**** *creator_mercier *book_mercier_habitantguadeloupe *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_habitantguadeloupe *dist2_mercier_prose_drame *id_MADAMEDORTIGNI *date_1782 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madamedortigni Que vous êtes maussade !... Vous ne tenez pas compte des jours où je gagne. Vous ne risquez rien de m'avancer pour aujourd'hui cent louis. Je jouerai avec Artémise : c'est la folle la plus étourdie.... Donnez-moi cent louis, vous dis-je, je vous réponds que j'en gagnerai mille, et nous serons de moitié. Oh ! Laissez-moi faire. Mais, monsieur, faut-il vous répéter ce que je vous ai dit cent fois, que je ne vous ai épousé que pour écarter la gêne sous laquelle j'étais avant de me marier ? Votre extrême économie ne regarde que moi.... Et votre table, monsieur.... Votre table ? Parle-t-on de cela ? Il faut bien soutenir un luxe nécessaire. Je vous seconde de tout mon pouvoir.... Je vous ai ménagé l'affaire du petit marquis.... Lui avez- vous prêté ? Avec caution, intérêts d'avance. À merveille. En vérité Monsieur, vos reproches m'excèdent.... Oui, monsieur, s'il vous plaît... Je le veux... Ils sont rares ; mais je vais vous en indiquer un qui me paraît devoir vivre cent ans. Plaçons sur la tête de ce jeune duc. C'est que ce jeune duc est grand chasseur, fort sot, fait beaucoup d'exercice, n'ouvre jamais un livre, et n'ayant rien dans la tête, doit vivre longtemps et en pleine santé. C'est, vous dis je, un excellent tempérament, propre à servir de base solide à des rentiers calculateurs. Suivez toujours mes conseils.... Ne hantez jamais que les riches, et point d'autres ; car dans le fond il n'y a rien à gagner qu'avec eux. Des deniers que vous amasserez, vous pourrez bientôt en acheter une terre noble, et vous moquer ensuite de tout le monde. Ne prenez aucune sorte d'engagement, qu'après y avoir mûrement réfléchi. Soyez en règle, et surtout dans les plus petites choses ? Les grandes se recommandent d'elles-mêmes. Ainsi fait un homme d'ordre, qui lit dans l'avenir ; il veille sur tout ce qu'il écrit, et sait mettre à profit l'imprudence ou l'indiscrétion de ceux qui ne prévoient rien. Et comment savez-vous qu'il est mort ? Oh ! Cela équivaut à un extrait mortuaire. Grand esprit, par ma foi ! Il me semble qu'il avait assez de ressemblance avec votre chère soeur, qui se pique de connaître les livres et d'être au fait de la littérature... C'est ma ma bête. À propos, avez-vous de ses nouvelles ? C'est une précieuse, entendez-vous, et qui m'ennuie étrangement ! À son aise.... Elle a l'orgueil de vouloir passer pour une bonne mère, avec ses deux marmots en bas âge, qu'elle mène partout. J'ai bien besoin de cela, moi ! Elle semble dire : voyez comme je les élève, comme je ne les perds pas de vue un seul instant !... Vous ne faites pas de même, ma belle soeur... Oh ! On ne saurait y tenir... D'ailleurs elle est d'un triste ! D'un mélancolique ! Soupirant toujours après son époux défunt. Bonne leçon pour ces esprits avantageux qui croient en savoir plus que les gens sensés ; qui affichent je ne sais quels sentiments ridicules ; qui ne font point cas des richesses, comme s'il y avait effectivement quelqu'autre chose de réel dans le monde. Elle fait encore la fière au milieu de sa pauvreté. Oh bien, qu'elle étale sa dignité et toute sa philosophie chez elle. Ne voilà-t-il pas votre esprit qui voyage soudain en Amérique après votre très éloigné cousin, parce que vous m'en avez parlé ! Mais n'y a t-il pas trente noms qui se ressemblent. Il n'est donc pas mort ? Oh ! Il va lui demander de l'argent... Je chasse mon portier. Cet animal ! Laisser entrer un pareil homme, malgré mes recommandations journalières... Ah, quel insupportable début ! Ils sont après tout fort heureux, puisqu'ils n'avaient plus rien au monde... L'aisance ! Qui vous a dit cela, monsieur ? Est-ce qu'on a de la fortune à Paris !... Vous avez donc oublié dans le Nouveau-Monde le train de celui-ci ? Hé bien, monsieur, l'on est comme tout le monde... Vous avez l'admiration emphatique d'un nouveau débarqué. Ah ? Je suis sur les épines.... Il n'aura pas l'esprit de le congédier. Vous aviez donc tout mis sur le même vaisseau ? Cela est fort imprudent ? Mais vous le fûtes toujours, à ce que j'ai appris.... Au reste, ce qui est au fond de la mer ne peut pas revenir sur l'eau à notre commandement ; et malgré tout le désir que nous en aurions, nous ne pouvons vous le restituer. Cela est bien insolent... Et vous avez raison. Bientôt placé ! Mais monsieur ignore sans doute qu'il y a des surnuméraires qui servent depuis plusieurs années, qui sont recommandés de toutes parts, et même par les Puissances. On ne peut pas non plus les tuer pour vous faire place. Chacun son tour, et le nombre des solliciteurs est immense. D'un coup de pied sur le pavé de Paris, l'on fait naître un régiment de clercs, de commis, de secrétaires, de scribes. Les gens du Nouveau-Monde ne doivent point ôter le pain à ceux de celui-ci.... Tout reflue sur la capitale, et de là sur la finance. Non, non.... Voilà le langage accoutumé de tous ces mendiants... Congédiez-le promptement et avec fermeté... Qu'ai-je besoin moi, d'une pareille entrevue ?... Joli parent par ma foi ! Rue de la Huchette ! Quelle horreur !... Peut-on demeurer rue de la Huchette !... Il ne s'en ira pas. Enfin nous en voilà quittes... Il revient... Ah, quel supplice !... Je n'y tiens plus. Une fortune immense ! Point d'enfants ! Oh ! Nous y sommes. Vous ne savez pas pourquoi... Eh bien, je vais vous le dire ; c'est que cet homme riche de vos libéralités venait à la lettre de nous demander des secours. Nous éprouver ? Monsieur Mulson ! Monsieur Mulson !... Serait-il possible ? Ah ! Je frissonne.... Vous l'avez vu à Guadeloupe ! Il y avait donc changé de nom ? Ô ciel ! Est-il possible ? Mon mari avait des affaires en tête. Chaque mot me déchire l'âme. Nous n'avons pas fait grande attention à sa personne... Nous avons besoin de votre médiation en ce moment, mon cher monsieur Mulson. Les gens du Nouveau-Monde croient être accueillis ici, comme ils accueillent là bas. Cela est bien différent, comme vous savez. Que mon mari, en le recevant, avait mille choses en tête, qui l'obsédaient ; que vous connaissez son coeur et son amitié pour ses parents ; que vous en répondez ; que nous lui rendrons visite dès demain, et qu'il nous verra tout autres. Il pourrait conserver quelque ressentiment de notre inattention. De grâce, hâtez-vous de nous réconcilier avec lui.... Taisez-vous monsieur ; vous n'avez jamais su donner à propos. Était-il mon parent cet homme- là ? Le connaissais je ? Étais-je au fait de son caractère... Vous voilà puni de votre sottise, et cent fois plus que moi. Comment, je répondrai de tes propres sottises ? Allez le voir ; réparez votre bévue. Je sais ce que j'ai à faire. Je ne prendrai point conseil de vous ; vous ne savez ni parler ni agir ; et hors votre agiotage, vous êtes un être absolument nul. Je ne devrais pas faire un seul pas dans cette affaire ; mais je veux bien m'exposer pour vous, et vous prouver que, sans mon génie, vous se- riez sans rang, sans crédit, sans existence... Allez, et laissez-moi.... Comment réparer ?.... Il faut du front, de la présence d'esprit, de la souplesse... Trouvons un plan qui puisse raccommoder les choses.... Cela n'est pas impossible.... Dieu ! Si j'avais pu soupçonner l'opulence de cet homme ! Assis à ma table, logé dans mon hôtel, choyé, fêté, caressé.... Je le tiendrais présentement dans mes filets. Oui, prévenances, affection, douceur, tendresse, rien ne m'aurait coûté.... Que n'ai-je pu deviner !.... Quand je songe que tout cela dépendait d'un soupçon, d'un trait de lumière ! Où était alors ma pénétration ?... Ah ! Fortune, tu as pris plaisir à m'aveugler ce matin : mais je reviens sur le coup ; et comme tu favorises l'audace, je ne prétends pas que tu m'échappes. Bonjour, ma soeur. Il y a longtemps que nous ne nous sommes vues. Ah ! Si vous saviez tous les détails, vous me pardonneriez ; mais cela ne peut se raconter... Eh bien, votre santé, comment va-t-elle ? J'en suis ravie... Je voulais vous envoyer mon médecin... Il est tombé lui-même malade, et je crois qu'il en mourra... Mais grâces à Dieu, vous avez été promptement rétablie. Votre santé en sera plus raffermie... Je vous trouve un excellent visage. Les temps ont été affreux, vous le savez, je n'ai pu sortir... Les migraines m'assiègent... J'ai eu les nerfs agacés. Puis, excédée de mille importuns... C'en est fait : je renonce à ce tracas. C'est un plan arrêté depuis longtemps dans ma tête, et que j'exécute enfin. Je ne veux plus voir que mes parents. Ce sont, après tout, les meilleurs amis que l'on puisse avoir en ce monde... Ma chère soeur, pourquoi nous négliger à ce point, ne pas venir nous voir ?... Vous avez plus de temps que moi. Pour vous, ma chère soeur, pour vous ?... Ah ! Vous ne me ferez pas l'injure de le penser. Permettez ; si j'avais donné des ordres, vous n'y étiez sûrement pas comprise. C'est la faute de mon portier, le plus lourd butor... Venez nous voir ; oublions le passé.... Si je vous parois coupable, prenez-vous en à votre frère ; c'est un tyran, en vérité... J'y perdrai la vie. Il me fait tenir table impitoyablement quatre fois la semaine. Votre vie est fortunée, ma soeur, en comparaison de la mienne. Le tourbillon des affaires n'emporte pas toujours votre esprit loin de vous. Dans le monde où je vis, l'on ne sait qui l'on voit, qui l'on reçoit. Fatigué par la présence de tant d'objets qui se succèdent, on a de l'humeur malgré soi. On accueille mal ou bien, comme au hasard.... À propos, ma soeur, avez-vous vu le cher cousin arrivé récemment de l'Amérique ? Il sort d'ici ?... Oh ! Il nous a joué un tour facétieux, plaisant, original. Imaginez-vous qu'il s'est présenté chez moi comme un misérable, un vagabond.... Nous ne l'avons pas accueilli gracieusement : nous comptons bien réparer cette inattention. Mais aussi c'est d'une originalité peu décente ; on ne surprend point ainsi les gens... A-t-il usé envers vous de la même feinte ?... Ah vous avez été bien éclairée : vous l'aviez donc deviné, sous son habit plus que modeste ? Personne ne vous avait avertie ? Ah ! Vous avez le coup-d'oeil plus fin, plus pénétrant que le nôtre. Cela fait honneur à votre sagacité. Voyons, voyons, ce qu'il renferme... Mais, ma soeur, ma soeur, ma soeur ! voilà des effets pour plus de six cents mille livres... Ah, mon Dieu, voilà une offre unique, incroyable, extraordinaire : on n'a jamais rien vu de tel. Oui, autrement le monde jaserait. Ah çà, ma chère soeur, je suis enchantée de ce qui est arrivé. On ne doit cependant compter que médiocrement sur un esprit aussi bizarre. Ces caractères singuliers, pour ne pas dire extravagants, ont mille caprices qui les font changer d'un quart d'heure à l'autre. Gardez-vous en bien, ma soeur ; vous n'êtes point d'un âge... Il faut redouter les langues médisantes... Il faut si peu de chose pour ternir sa réputation !... Les dons qu'il vous a faits, si vous m'en croyez, doivent même n'être sus de personne ; car on en tirerait quelque conséquence... Vous êtes veuve, jeune ; on parlera. Je le crois ; mais à propos, je sais déjà ce que vous ignorez peut-être... Mes informations ont été sûres et promptes : savez-vous où il demeure ? Eh bien, je vous l'apprends ; il loge rue de Richelieu, dans un hôtel magnifique. Il a un train ?... Et venir sous un pareil habillement intercéder, ou plutôt tromper la compassion.... Ah ! Cela est d'une singularité choquante. Cela ne devrait pas être toléré, ma soeur : si cette mode s'introduisait une fois dans le monde, on ne saurait bientôt plus à qui l'on doit certains égards. Ah ça, ma chère soeur... Vous avez tout crédit sur son esprit... Vous êtes bonne, vous êtes éloquente... Faites ma paix. S'il eût dit un mot de son état, nous l'aurions reçu à bras ouverts... Attendez ; il faudrait lui dire que tout cela n'a été qu'un jeu, et que le connaissant riche, nous avons voulu... aussi... de notre côté... jouer la comédie... Qu'en dites vous ? Eh bien, dites-lui que mon mari avait la tête fort occupée d'affaires, qu'il l'a saisi dans un de ces mauvais quarts d'heure où l'on brusque tout ce qui nous approche ; que moi, j'avais grondé mes gens à mon lever, et que l'impression m'en était demeurée... Ajoutez, chère soeur, que les hommes qui ont des bureaux sont tristes le matin, et qu'on ne rit à Paris que le soir. Je compte aller ce soir lui demander à souper. Il verra bien alors que je n'ai pas voulu lui manquer... Quand ce ne serait que son extrême générosité envers vous, ce parent me deviendrait cher... Ménagez-vous bien... Prenez soin de votre santé... Et les chers enfants ? Vous les embrasserez bien pour moi. Ne prenez pas ceci pour une visite de cérémonie ; point du tout, c'est une visite de bonne et franche amitié... Depuis un mois, je guettais l'instant d'âtre libre... Adieu, adieu... Ne bougez pas ; l'air est froid. À tantôt, nous nous reverrons. Adieu... Nous allons nous voir fréquemment, c'est une chose arrêtée. Mon cher cousin, vraiment, vous êtes un aimable espiègle. Est-ce au Nouveau-Monde qu'on apprend ces jolis tours là ? Vous avez déployé l'imagination la plus originale, la plus riante... Oui, malin, mais charmant.... Nous avons eu regret de ne vous avoir pas mieux accueilli ; et nous venons... Comment donc ? Bonne folie ! Vous plaisantez encore ? J'ai déjà vu la chère soeur ; elle nous a annoncé votre générosité ; je l'en ai félicitée sincèrement.... Elle étonnerait de la part de tout autre ; mais vous êtes l'homme inconcevable, unique. Je vous trouve le meilleur visage du monde, chère soeur, un air content, satisfait. Et les chers enfants ? Ils se portent bien. Oui, cousin ; ils sont au collège. Le cher cousin a encore un peu du ressentiment de l'aventure de tantôt. Chère soeur, faites qu'en ce jour la paix se rétablisse dans toute la famille. On dit que c'est un beau pays que la Guadeloupe, que son sol est fertile, que son climat est sain et agréable.... Les Anglais ne s'en sont-ils point emparés ?... Le cher cousin aime beaucoup la lecture, à ce qu'il paraît.... Celui que vous tenez paraît vous occuper fort. Pourrait-on savoir ce que c'est ?... Est-ce une nouveauté ?... Il y en a peu d'agréables. Des vers ! Des vers ! On ne voit que cela. Cela n'est pas malheureux. Qu'est-ce donc ? Tout ce que dit le cousin est d'une vérité, d'une justesse surprenante, et je ne sais pourquoi vous voulez contredire des choses aussi lumineuses.... Quel affreux tableau vous venez de tracer ; monsieur... Non, ces monstres n'existent point... Oh ! Il est trop judicieux, trop honnête pour cela : mais pour dissuader entièrement le cher cousin, qui voit aujourd'hui l'humanité en noir, je prendrai sa défense. Oui, monsieur ; et pour éloigner de votre esprit les nuages qui peuvent encore l'offusquer, j'oserai me citer en exemple. J'ai cru vous entendre, mon cher cousin. Permettez-moi de vous répondre. Tout ce que j'aperçois ici est à ma belle soeur ; vous la comblez de vos largesses ; le bien que vous lui faites n'excite en moi ni envie ni jalousie, je vous le proteste du fond de l'âme : au contraire, je jouis comme elle de son propre bonheur, et dans ce moment je ne veux, ne désire, ne demande, n'implore que son amitié et la vôtre. Oui, mon cher cousin. Je l'aime, et je lui en donnerai des marques dans toutes occasions... Ne prenez pas, monsieur, les distractions, trop ordinaires dans le monde, pour de l'insensibilité. Ô dépit, ô rage ! Voilà ce que je redoutais... Contraignons-nous. Je me sens suffoquée... J'étouffe... Comment dompter ?... Je vais m'évanouir, je le sens... Ah ! De tout mon coeur. Pourrai-je me vaincre ?... Essayons. Ah ! Dieu ! Je n'en puis plus... Je me meurs... **** *creator_mercier *book_mercier_habitantguadeloupe *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_habitantguadeloupe *dist2_mercier_prose_drame *id_MADAMEMILVILLE *date_1782 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madamemilville Il n'y a point de honte, ma chère Brigitte, à travailler pour jeter un peu plus d'aisance dans sa maison, surtout lorsqu'on est mère de famille... Mais tu me feras plaisir de te charger toujours du soin de la vente... C'est un égard que je dois à la mémoire d'un époux qui ne croyait pas, hélas ! Me laisser dans une pareille situation. Non, ma bonne amie, non, point d'excès ; conservons le calme que l'infortune ne saurait ôter aux âmes élevées. Mon frère n'est point né dur ; mais il dépend d'une femme avide et hautaine, qui a corrompu toutes ses bonnes qualités. Je ne désirais que leur amitié. De n'être point riche, et tout leur déplaît en moi.... Ils m'ont rebutée vingt fois. Je crois présentement ne devoir m'offrir à leurs yeux que quand ils auront conçu des sentiments plus fraternels. Point de haine, ma chère Brigitte. C'est un sentiment trop pénible à l'âme qui la nourrit. Le riche, malgré les noeuds étroits du sang, rompt ordinairement tout lien avec le pauvre.... Il l'éloigne et par instinct et par réflexion. Cela se voit partout. Il ne faut jamais rendre outrage pour outrage ; ce serait le moyen d'éterniser les inimitiés. La douceur et la patience viennent à bout quelquefois de désarmer la dureté et l'orgueil. D'ailleurs, l'intérêt de mes enfants, cet intérêt si cher, m'oblige à dévorer l'affront qu'on fait à leur mère. Mon frère peut revenir à la voix de la nature, qui a toujours ses droits, et touché de ma modération, reconnaître d'autant plus ses torts. Ma chère Brigitte, point de voeux contraires au repos d'autrui. Je n'existe que pour élever ma famille dans les principes de la vertu, et mes enfants sont les seuls liens qui désormais m'attachent à la vie. Oui, à ce que je m'imagine ; un second mariage leur aurait donné un maître, sans leur assurer un protecteur. Le souvenir d'un époux toujours présent à ma tendresse, me les rend chaque jour plus chers. Non, je n'ai jamais reçu leurs baisers, que les larmes du coeur n'aient arrosé leurs joues. Mais je ne suis point malheureuse, ma chère Brigitte ; je parais, il est vrai, un peu mélancolique. Je m'attendris sur mes enfants ; je songe au temps où leurs besoins augmenteront avec l'âge : mais me reposant bientôt sur la Providence et sur la base de l'économie, je ne m'alarme pas plus qu'il ne faut.... Crois-moi, la paix est au fond de mon âme. Je te l'assure ; il est une tristesse douce et pénétrante, qui remplit mon âme à l'instant même que mes yeux se mouillent de larmes. Je contemple mes enfants, leur présence me console, je les presse contre mon sein ; et leurs tendres caresses me payent au centuple des peines et des inquiétudes que me donne la médiocrité de ma fortune. Un seul de leurs baisers, et mes larmes sont taries. On frappe, Brigitte... Allez voir... Je ne sais qui ce peut être... Vous savez que je ne reçois aucun homme chez moi.... Eh bien donc, qu'il entre. À moi, monsieur ? Asseyez-vous, monsieur. Brigitte, faite taire les enfants ; qu'ils fassent moins de bruit. Je ne crois pas vous avoir jamais vu, monsieur... Oui, monsieur, je m'en souviens très bien. Mais ce parent.... Depuis on nous l'avait dit mort. Vous, monsieur... Vous seriez.... Ah ! Monsieur, ma joie égale ma surprise.... Oui, vous fûtes toujours cher à mon père, et il connaissait bien les hommes.... Je remercie le ciel de vous avoir amené ici. Mais quel événement vous a fait quitter le séjour de l'Amérique, que vous aviez choisi de préférence et habité si longtemps ? Venez-vous vous fixer à Paris ? Pardonnez à l'intérêt que vous m'inspirez, la question que je vous fais. Ma pitié, monsieur ! Ce qu'on fait pour ses parents est un devoir. Vous n'écrivîtes donc point à mon frère ? Ô mon cousin, ce sont-là les coups qui déchirent et accablent ! Vous perdîtes tout, mon cher cousin ? Que votre récit m'a pénétrée !.... Vous avez tout perdu ? Écoutez, mon cher cousin : j'ai essuyé aussi des revers et je suis pauvre ; mais je ne le suis pas tellement que je ne puisse partager quelque chose avec un parent plus infortuné que moi. Si vous voulez vous contenter d'un repas frugal, tel que je le prends avec ma petite famille et cette compagne, ou plutôt cette amie que vous avez vue, vous serez toujours ici le bien venu, jusqu'à ce que vous trouviez mieux. Je vois très peu de monde, je ne sors presque jamais ; mais j'irai, je ferai tous mes efforts pour vous servir. Je parlerai en votre faveur ? Quelques personnes de connaissance, capables de vous rendre service et de vous procurer de l'emploi... Quoique timide, je me sens décidée, et même hardie, quand j'intercède pour autrui. Mais vous êtes venu me chercher dans un quartier assez éloigné... Voudriez-vous accepter mon déjeuner ? Vous êtes à jeun ! Brigitte, apportez le café. Versez. Mon cher cousin, je mettrai ce jour au rang des plus intéressants de ma vie. J'aurai aussi tout le plaisir ; car vous, vous ne serez que l'obligé. On compte ici-bas les heureux... Je bravais les revers ; mais j'ai éprouvé le coup que je redoutais le plus. La mort m'a enlevé un époux que j'adorais. Vous avez senti par vous-même combien cette séparation est cruelle. La fortune qui commençait à me sourire s'est ensevelie avec lui. Ce n'est pas cette dernière perte qui m'a coûté des larmes ; il ne m'est resté pour toute consolation, que deux enfants en bas âge... Je fus assez courageuse pour voir mon état sans m'effrayer, pour oser pénétrer l'avenir qui m'attendait. Je recueillis les débris de ma mince fortune, et résolus de renoncer au monde qui n'accueille que les richesses.... J'ai vécu entièrement retirée, cherchant dans l'économie la richesse qui me manquait ; et comme c'est à Paris surtout que l'on cache son peu d'aisance et que l'on vit sans attacher le regard curieux et insultant de ceux qui vous environnent, j'ai cru devoir y rester de préférence. Ainsi la fortune m'a appris le secret que j'aurais ignoré toute ma vie sans ses rigueurs utiles. Mais, puis-je demander de quelle manière vous avez découvert ma demeure ? Je la croyais à peu près ignorée de tout le monde. Chez mon frère ? Quoi, vous l'avez vu ? Eh bien ? Qu'a-t-il répondu ?... Qu'a-t-il fait ?... Ciel, mon frère ! Oh ! Certainement. Qu'ont-ils dit ? Quoi ! Mon frère n'a rien fait pour vous ? Est-il possible ? Rien ? Pas toujours, mon cher cousin, pas toujours. Il y a des dettes sacrées ; je suis bien sûre que vous m'entendez, et qu'à sa place.... Ah, mon frère, mon frère ! Cher parent, l'or n'abonde pas ici comme chez mon frère ; mais, en attendant mieux, acceptez, je vous prie, ce double louis.... C'est une dette que je paie avec joie à la parenté, à l'amitié. Prenez, vous dis-je ; il est offert de bon coeur. Prenez, prenez. Gardez, gardez, vous dis-je. Je suis trop heureuse de pouvoir en disposer ainsi. Toute sa vie ! Que dit-il ? Pourquoi ces trop vives démonstrations pour un bienfait si léger ? Je ne vous comprends pas... Je demeure interdite, étonnée. Moi ? Ah ! Ne le rejetez point... Il a été gâté par les faux principes qu'on puise dans le monde... Mais il peut revenir. Je ne lui demandais rien. Ah ! croyez que je ne l'accuse point. Non, non... Oubliez, oubliez plutôt les écarts de la vanité, avec cette supériorité qui vous caractérise. Vous allez les voir ; ils vous connaîtront avec le temps. Avant de sortir, cousin, reprenez votre porte- feuille. Veillai-je ?... Est-ce un songe ?... Je suis tentée de le croire... Un parent que je n'ai point vu depuis l'âge de dix ans, qu'on disait mort, dont on ne parlait même plus, ressuscite, traverse les mers avec une fortune immense, l'apporte ici, me l'offre, prend mes enfants sous sa protection : et pourquoi ? Parce que j'ai obéi au premier devoir qu'exige la simple humanité.... Eh, pourquoi s'étonne-t-il à ce point de la bienfaisance, lui qui est né généreux ?... Mais puis-je m'empêcher de rendre hommage à son caractère ? Comme il possède le vrai langage de l'âme ! Je me sens disposée à le chérir.... Mais quoi, ne serait-ce pas sa générosité que je chérirais en lui ? Ce qu'il se promet de faire pour mes enfants... Non, non, je ne me trompe point. En m'examinant bien, c'est lui, c'est lui que j'aime. Le noble et honnête homme. Eh bien, ma chère Brigitte... Qu'as-tu ? Tu pleures ! Tu as pu soutenir mon adversité, et tu ne supportes pas mon bonheur ? Remets-toi, de grâce remets-toi. Mais j'entends un certain bruit : vois ce que ce peut être. Quoi donc ! Ma belle-soeur !... Ce jour est fait pour m'étonner. En effet, vous me surprenez, madame, étrangement ; je ne m'attendais pas à cette visite, je vous l'avoue... Beaucoup mieux... Grâces au régime plutôt qu'aux remèdes. Ma convalescence a été assez longue. Ils devraient l'être au moins... Le reproche est admirable ! Je me suis présentée cinq à six fois de suite à votre porte ; vous n'étiez pas visible. Mon frère ? C'est n'être jamais à soi. Oui ; il sort d'ici. Comment donc ? Oui, ma soeur... Il s'est offert à moi comme étant dans la peine et cherchant un emploi. Je lui ai offert ces petits secours qu'on doit à la parenté et à l'humanité. Non, je vous l'assure. Personne. Je n'avais rien prévu de ce qui est arrivé... Quand je lui eus fait mon présent, qui était bien peu de chose au fond, après avoir pris une tasse de café avec moi, tout-à-coup il s'est levé de cette place, les bras étendus, l'oeil humide de larmes, et m'a dit d'un ton pénétré, d'un ton qu'on ne peut jamais rendre : j'ai accepté vos dons, ma cousine, recevez les miens... Il m'a remis ensuite ce porte-feuille entre les mains, pour moi, dit-il, et pour mes enfants.... Le voici ; je ne l'ai pas encore ouvert. Je compte bien le lui rendre, comme vous imaginez. Vous pensez bien, ma soeur, que je ne me regarde que comme dépositaire, et rien de plus. Il m'a fait mille protestations d'amitié... que je crois sincères... Il veut absolument que j'aille loger dans son hôtel. Je ne les crains point ; mais croyez que je serai toujours très sévère sur l'article des bienséances. Ma soeur, je vous proteste que je n'accepterai des bienfaits qu'à charge de les publier à toute la terre. Le monde, tout méchant qu'il est, reconnaît et et respecte la véritable vertu... On peut la calomnier, mais non pas la flétrir. Non : il doit venir me prendre avec mes enfants. Je ne crois pas en effet qu'on se soit jamais avisé d'une telle métamorphose. On prendrait le parti alors d'en avoir pour tous les hommes. J'y travaillerai assurément de tout mon coeur. Cela ne prendra pas. Je vous promets d'employer, et les raisons, et les prières, pour que le passé soit enseveli dans le silence. C'est assez, Brigitte... Tous les vices et les travers naissent d'un seul vice, de la cupidité. Malheur aux coeurs livrés à cette passion triste ! Ils se tourmentent eux-mêmes, et l'on n'a rien à ajouter au supplice dans lequel ils vivent... Il faut les plaindre, vous dis-je, et non les outrager. Ah, cousin, quel éclat ! Quelle magnificence ! Et vous me destinez... À moi, cet hôtel !... Vous me croyez donc sensible à ce luxe ? C'est m'affliger. Vous pensez bien que je ne peux ni ne dois accepter de tels bienfaits. Modérez-les, si vous voulez que j'en use. Mais comptez-vous me le prouver avec cette profusion ? Si elle convient à votre opulence, elle ne convient nullement à ma situation... Je ne refuse point vos dons, je vous offenserais ; mais qu'ils s'accordent avec la modestie, qui doit être mon premier devoir. Vous savez comme je vivais ; quelque chose de plus suffira pour compléter mon bonheur. Jusqu'à ce terme ?... Et votre porte-feuille !... Reprenez-le... Vous voulez que je garde un don exorbitant ? J'ai supporté la pauvreté avec courage, et la supporterais encore de même ; mais en ce moment, où le bonheur me sourit enfin, je ne vous déguiserai point le fond de mon âme... Non... Ce n'est pas sans un secret plaisir que je retrouve, après tant de traverses, cette douce aisance à laquelle j'étais accoutumée, et que mes chers enfants vont partager avec moi ; mais l'aisance aussi me suffit. Je suis vraie avec vous comme avec moi-même ; je ne vous dissimulerai point la joie dont mon âme se trouve remplie. Dieu ! Oserai-je lui parler de mon frère !... J'attends le moment... Mon cousin, bon et généreux comme vous l'êtes, je prendrai sur moi de vous supplier en faveur d'un frère assez malheureux déjà de méconnaître cette élévation de sentiments, qui est un don de la nature. Mais l'effort d'une belle âme, d'une âme comme la vôtre. Je ne prétends pas excuser sa conduite ; mais il eût peut-être fait dans la suite ce qu'il n'a pas fait d'abord. Hélas !... Il y aura donc entre vous une séparation éternelle Ah ! Modérez votre indignation, je vous supplie... Les voilà. Et les vôtres, ma soeur ! C'est l'objet de tous mes voeux.... J'ai fait et je ferai tout ce qui fera en mon pouvoir pour que tout soit oublié. Ah, Dieu ! Comme il s'enflamme ! La surprise m'a ôté la voix... Ah, mon bienfaiteur, vous méritiez une femme plus accomplie que moi... Ne pouvons-nous vivre sous les lois de l'amitié ? Voilà ce que vous m'aviez promis. Vous m'avez choisie... Je vous dois tout... Eh bien ! Je donne un père à mes enfants. Ainsi que nos coeurs... Est-il possible !... Il faut du secours. Elle ne revient point. **** *creator_mercier *book_mercier_habitantguadeloupe *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_habitantguadeloupe *dist2_mercier_prose_drame *id_VANGLENNE *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_vanglenne Dieu soit loué, mon cher cousin ! Que j'ai de joie à vous revoir ! M'auriez-vous entièrement oublié ? Je m'appelle Vanglenne... Je suis votre proche parent. Il vit, hélas ! Et c'est moi. Oh ! Je vous reconnais bien, moi ; mais je suis bien plus changé que vous, et cela n'est pas étonnant. Les fatigues, les peines, les chagrins, le long séjour dans un climat étranger.... Mon ton de voix du moins, au défaut de mes traits... Je vous ai souvent pressé dans mes bras... Qu'il vous en souvienne, nous fûmes amis. Je n'en ai point, mon cher cousin... Le pauvre, hélas ! Les reçoit et n'en donne point. J'étais établi à la Guadeloupe. J'avais amassé quelque chose avec beaucoup de peine.... Daignez prêter l'oreille à ma triste infortune : ayant eu le malheur de perdre ma femme et mon fils, et n'ayant plus rien qui m'attachât à un pays étranger, je résolus de revenir en France. L'amour de la patrie parlait vivement à mon coeur. C'est le dernier sentiment qui s'éteigne. Mon vaisseau chargé de toute ma fortune, modique à la vérité, mais qui satisfaisait à mes désirs, a fait naufrage sur les côtes d'Espagne... J'ai tout perdu ; mon malheur est constaté par les papiers publics. Le vaisseau la Licorne... Dix de mes compagnons de voyage se sont noyés en voulant sauver les malheureux débris de leur fortune. Vous avez bien raison, madame ; ce ne sont pas les plus à plaindre : j'ai envié plus d'une fois leur sort. Je n'ai gagné Paris qu'avec des peines infinies. Si vous saviez ce que j'ai souffert en route ! Que l'infortune traîne après soi d'humiliations ! Mais je me suis armé de constance et de courage. J'arrive et je m'informe de vous.... Avec quel plaisir j'apprends que vous êtes dans l'aisance ! Que le ciel a béni vos travaux, que vous jouissez en paix... Pardonnez, madame ; mais cet ameublement, cet hôtel, l'extérieur qui vous environne, tout dit... Celui qui manque du nécessaire fait, malgré lui, des remarques sur tout ce qui le frappe ; il voit, il sent la distance extrême qui le sépare de ceux qui sont heureux. J'ai cru, sous cet habit qui ne relève que trop mon indigence, ne devoir point me faire connaître à vos domestiques.... C'est par discrétion, mon cher cousin, par discrétion, je vous l'assure, que j'ai usé de ce moyen qui cachait ma détresse. Une lettre n'aurait jamais parlé comme ma présence. J'ai conçu plus d'espoir en venant vous supplier moi-même et vous exposer de vive voix ma triste et douloureuse situation. Oui, j'ai cette prière à vous faire.... Je ne vous le déguise point. Hélas ! Oui, Madame. Je le sais, madame.... Mais... Je peux être encore bon à quelque chose, et je viens implorer votre bienfaisance, votre générosité. J'ai eu une jeunesse dissipée, je l'avoue ; je ne suis pas à m'en repentir... Elles ont été toutes fidèlement acquittées depuis... Permettez-moi de vous le dire, mon cher cousin ! Cela n'est pas. Pardonnez, madame, mon dessein n'est pas d'offenser ? Excusez ; je veux dire seulement, que mon cher oncle m'a donné en tout temps des preuves constantes de son amitié... Il a daigné m'écrire plusieurs fois... J'ai de ses lettres sur moi... En voici que je garde bien précieusement. Vous verrez qu'il m'estimait. Ses lettres disent que, sans deux enfants qu'il avait, et auxquels il devait comme de raison toute préférence, il m'aurait fait plus de bien : il m'en a fait néanmoins, malgré la distance des lieux, en recommandations, en services, qui obligent plus que l'argent... La mémoire de votre père, mon cher cousin, me sera à jamais chère et sacrée. Il est vrai, c'était pour acquitter mes folles dettes contractées dans l'étourderie de mon jeune âge. Je ne prétends point leur être à charge, madame, j'implore seulement de l'emploi : pourvu qu'il ne soit pas avilissant, quel qu'il soit, je le prendrai. J'entends un peu les affaires, je suis au fait du change ; mon écriture est convenable ; on sera content de mon intelligence, de mon exactitude.... J'aspire à un modique emploi dans les bureaux de mon cousin, ou bien qu'il daigne me recommander, et je serai bientôt placé. Oh, madame ! J'intercède un emploi qui ne nuise à personne : il y en a de tant de sortes ! Mais si le service se mesure au besoin, personne en ce moment n'est plus pressé que moi.... J'implore cette faveur avec le plus vif empressement, parce que, madame.... Non, je ne rougirai point d'en faire l'aveu, mon travail est le seul gage de ma subsistance.... Je ne recourrai point à des gémissements pour vous attendrir... Demain je manque de pain, si ce soir votre générosité ne me met à portée d'en gagner.... Je n'ai que vous de parents dans cette immense ville que je ne reconnais plus.... Je me consacre à tout ; mais au nom de Dieu, soulagez-moi dans ce moment. Vous parlerez pour moi ? Vous me permettez de repasser ? Ah ! Ne trompez pas mon espérance : elle n'est fondée que sur les promesses que vous avez la bonté de me faire. Mais si ces promesses ne devaient pas se réaliser, il vaudrait mieux me présenter sur-le-champ la triste vérité, toute cruelle quelle serait : car je ne m'attacherais plus à un fantôme d'espérance... Vous remuerez ciel et terre !..... Mais il faut pour cela, monsieur, que vous sachiez ma demeure. Rue de la Huchette, au Cadran bleu. Voulez-vous que je vous l'écrive, de peur que votre mémoire ?... Vous la retiendrez, malgré vos grandes, vos importantes affaires ? Allons, je cesse de vous importuner. Mais, monsieur, avant de sortir, j'ai une chose à vous demander, et que vous pouvez du moins m'accorder sur-le-champ. Donnez-moi, je vous en supplie, l'adresse de ma cousine, de votre chère soeur, que j'ai vue enfant, et qui semblait dès lors douée d'un coeur noble et compatissant. Elle a deux enfants ! Ah ! Tant mieux. Je voulais dire que je serai bien charmé de les voir, de les embrasser, de... Je vous demande son adresse avec la plus vive instance. Si elle est pauvre, si elle ne peut rien, nous nous attendrirons du moins ensemble : elle a connu l'infortune ; elle sera sensible à la mienne... Je vais donc demander au portier son adresse de votre part. Pardonnez à mes importunités... Je suis plongé dans la plus affreuse peine. Si vous pouviez faire en ma faveur le moindre effort... Rien.... Allons... Le vrai courage consiste à savoir souffrir avec résignation ; je suis homme, et j'en conserverai la dignité. Pardonnez, madame, si j'ai osé me présenter chez vous de cette manière. On a toujours mauvaise grâce, quand le coeur est dans la peine. Me convenait-il de venir attrister les douceurs de votre vie !... Je souhaite, monsieur, que vous ne connaissiez jamais combien il est douloureux de tomber tout-à-coup dans l'indigence : je vous ai décelé ma misère ; mais si vous m'êtes secourable, du moins par vos recommandations ; si vous ne me trompez pas dans la promesse que vous m'avez faite, vous n'aurez pas abusé du respect qu'on doit aux infortunés... Je me retire.... Mon abord vous étonne, madame ; mais quand je me serai nommé, vous serez moins surprise de la visite que je prends la liberté de vous faire.... J'aurais quelque chose à vous communiquer en particulier. Oui, madame. Daignez m'accorder cet entre- tien, je vous en supplie.... Je vois, madame, que vous ne me reconnaissez pas. Vous m'avez vu, madame ; mais vous étiez bien jeune alors. Vous n'aviez que dix ans, et ce n'est pas à cet âge que l'on retient des traits qui doivent changer avec le temps, surtout quand le malheur les a beaucoup altérés... Ne vous souvenez-vous plus d'avoir eu un cousin nommé Vanglenne, qui passa en Amérique il y a environ seize ans ? On s'était arrangé pour cela dans la famille... Vous voyez, cet infortuné... Il est devant vos yeux. Je suis, après votre frère, votre plus proche parent. Votre père, dont je conserve un si tendre, un si respectueux souvenir, était le frère unique de ma mère. Je vous dois, madame, un tableau fidèle de ma vie passée, puisque, je ne vous le déguise pas, je viens solliciter votre pitié. Vous l'avez déjà appris, madame ; j'eus une jeunesse fougueuse et même inconsidérée. Orphelin dans l'enfance, et sous la tutelle de votre père, il me prodigua des conseils que j'écoutai mal, et dont je profitai peu. Voulant enfin réparer mes folies je m'embarquai pour l'Amérique. D'abord simple commis dans une habitation, votre très-honoré père répondit à toutes mes lettres avec bonté. Il mourut ! Quelle perte pour moi ! Je suivis le commerce pendant plusieurs années, et l'on parut m'oublier en Europe. Pardonnez-moi ; mais huit à dix lettres au moins demeurèrent sans réponse. Je pensai que c'était le souvenir de mes fautes passées, qui liguait contre moi ma parenté ; et les croyant suffisamment expiées par le malheur et l'expatriation, je passai à une autre extrémité. Je cessai de mon côté d'écrire ; on sema comme on voulut le bruit de ma mort. Cependant je me rendis utile au commerçant dont je dirigeais l'habitation ; et il m'accorda en peu de temps toute sa confiance. Il avait une fille à laquelle je ne déplus point ; je l'obtins en mariage. Le père enchanté de cette union, et qui n'avait point d'enfants mâles, ne m'imposa d'autres conditions que de quitter mon nom pour porter le sien. Et le négoce se continua sous son nom connu et accrédité.... La mort m'enleva mon beau-père et mon épouse presque dans la même année. Je restai quelque temps veuf, et je me remariai à une femme qui me fit connaître l'amour et m'inspira la tendresse la plus vraie. Au bout de quatorze ans d'une union heureuse, plaignez-moi, je la perdis... C'est là une blessure profonde, et que le temps ne guérit point. Le chagrin que j'en ressentis me rendit la vie insupportable. Le ciel de l'Amérique n'eut plus d'attraits pour moi. Je me voyais seul, et tous les objets qui m'entouraient, me rappelaient une perte irréparable.... L'amour de la patrie parla à mon coeur, je résolus de repasser en France.. Hélas, madame, les côtes d'Espagne furent témoins de mon naufrage ! Tout, et sans ressource. Forcé de faire à pied le voyage, vous jugez.... Mais j'ai appris de votre généreux père, que la fermeté et la constance doivent être les premières vertus d'un homme, et je saurai supporter le malheur. Je vous afflige ; mais j'ai cru ne devoir pas vous cacher les revers dont la fortune m'a accablé. J'ai joui quelque temps de ses faveurs passagères. Je suis réduit maintenant à solliciter la protection de ceux qui me voudront quelque bien ; car personne au monde n'est dans le cas, madame, d'en avoir plus besoin que moi. Ah, madame ! Que vous êtes compatissante ! Vous me rendez l'espérance et la vie. Volontiers, madame ; car j'ai beaucoup couru, et je suis à jeun. Vous êtes bien généreuse. Je suis cependant un homme qui vient vous être à charge, et dont, je ne le dissimule pas, vous auriez pu vous passer. Vous joignez la grâce à la générosité..... Mais vous, qui vous intéressez tant à mon sort, me serait-il défendu de savoir quel fut le vôtre ? Je les ai entrevu en entrant... Que j'aime à vous entendre !... Vous avez reçu de votre père cette philosophie de l'âme, si supérieure à celle des mots et si nécessaire dans la carrière de la vie, c'est-à-dire, du malheur... Près de vous j'oublie mes infortunes, et je me sens un nouveau courage. C'est chez monsieur votre frère, madame, qu'on me l'a donnée. Oui, madame.... J'ai été introduit dans son hôtel ; j'ai eu l'honneur de le saluer dans son appartement, je lui ai fait à peu près le récit que vous avez eu la bonté d'écouter. Votre frère, madame, paraît occupé de grandes et importantes affaires. Il s'est avancé dans les postes lucratifs de la finance ; c'est une occupation profonde, et qui l'absorbe tout entier. Il a été un peu distrait... Votre belle-soeur est une dame opulente, qui paraît jouir de son état... Il sont plus qu'aisés, je pense ? À Paris cependant, les apparences sont quelquefois trompeuses. Il se pourrait qu'il fût gêné, avec l'éclat de l'opulence.... Je me suis hasardé à leur demander de vos nouvelles. Que vous étiez peu fortunée, et absolument hors d'état de m'être utile à quelque chose... Les malheureux espèrent toujours... Je n'ai pas perdu la confiance ; et, grâces au ciel, je n'ai pas lieu de m'en repentir. Non, madame.... Je n'en murmure point..... Chacun, après tout, est propriétaire de son bien, et maître de ce qu'il possède. J'aurais pu à sa place.... Mais il ne me devait rien.... J'ai cherché néanmoins à ménager sa délicatesse, en ne m'introduisant pas sous mon vrai nom, dans la crainte de le blesser, à raison de mon vêtement... Je ne rougis pas de le dire devant vous... Je n'ai que celui-là... Vous voyez que je n'ai pu m'offrir autrement. S'il m'avait présenté quelque secours, je l'eusse accepté. Cette faveur du ciel, je vous le confesse serait venue fort à propos. Généreuse parente, vous n'êtes guère plus fortunée que moi. Vous me donnez votre table, je l'accepte avec reconnaissance, c'est assez... Un autre, dans un état plus aisé, pourra m'avancer.... Vous vous privez en ma faveur, de ce qui vous serait absolument nécessaire. Je ne sais si je dois accepter... Vous pleurez, ma tendre et généreuse parente !... Et moi... Ah ! Ah ! Ah ! Cette pièce m'est précieuse !... Je la garderai toute ma vie. Oui... Toute ma vie ; mais, mais, mais.. Pardonnez.... Je ne puis plus soutenir l'émotion.... Pardonnez-moi... Léger ! Ah ! Pardonnez-moi d'avoir mis à l'épreuve un coeur tel que le vôtre. Vous êtes bien la fille de votre père... Cette bonté noble et compatissante... Allez... Vous avez semé dans mon coeur un bienfait qui doit y vivre éternellement, y fructifier... J'ai reçu votre don... Recevez le mien.... Je l'exige.... Voici pour vous et pour vos enfants. Je ne suis point un indigent ; je suis un millionnaire, mais je n'ai point endurci mon coeur... Non, il ne l'est pas ; je pleure de joie et de tendresse, en songeant à l'avenir qui s'ouvre pour nous. Soyez, soyez mon héritière. Eh ! Quelle autre remplirait mes vues ? La Providence m'a comblé de biens ; j'ai cru devoir en faire un digne usage : mais je n'ai point voulu être trompé en obligeant des parents insensibles ou ingrats ; mon coeur a voulu en trouver un autre... L'espoir de la fortune ne rend que trop souvent le visage de l'homme hypocrite, en lui prêtant les dehors de la bienfaisance. J'ai voulu lire à nu la pensée, et j'ai conçu en Amérique l'idée que j'exécute aujourd'hui. Elle consistait à venir aux yeux des miens sous cet habit modeste, et dans la véritable posture d'un indigent ; à sonder en cet état les caractères. Le naturel percera, me disais-je, dans cette première apparition inattendue, et je ne ferai part de ma fortune qu'à celui qui s'en montrera le plus digne par la noblesse et la sensibilité ; car je n'estime pour vrais parents, que ceux dont l'âme sait compatir aux maux des infortunés. Il n'y a de réel dans tout ceci, chère cousine, que mon naufrage, et je n'y ai pas perdu la cinquantième partie de mes richesses... Je l'ai donc trouvé ce coeur généreux et sensible que je cherchais ! Je fais avec lui le partage des biens que le ciel m'a accordés, et je rejette à jamais mon indigne cousin. Eh ! comment êtes-vous du même sang ?.. Je ne vous ai pas tout dit. Non, il n'a pas tenu à lui que je n'aie senti le dernier terme de l'humiliation et de l'opprobre. Il m'a fallu d'abord entrer chez lui comme par surprise. J'ai tout fait pour l'émouvoir ; j'ai supplié, je me suis mis tout entier à la place de l'homme souffrant ; j'avais son ton, sa voix, son accent ; il doit être toujours sacré, quand il gémit et soupire. Qu'ai-je obtenu ? Des refus inhumains, des défaites, du mépris. La morgue, l'insolence, la froideur insultante caractérisAient ses moindres expressions ; il avait la parole brutale d'un homme riche qui outrage celui qui ne l'est pas. Sa femme, plus hautaine encore, me toisait d'un oeil dédaigneux, plus dure, plus insolente dans sa plate arrogance... Je leur aurais peut-être pardonné... Mais ce que je ne leur pardonne pas, ce que je ne leur pardonnerai de ma vie, c'est leur dureté envers vous. Comment ! Un frère, au milieu de l'abondance, aura pu voir sa soeur vertueuse manquer du nécessaire avec ses enfants ! Il n'a donc ni sentiments, ni entrailles, ni honneur ! Vous le jugiez donc bien insensible, cousine ? C'est sa condamnation qui vient de sortir de votre bouche... Amour aux bons, inimitié aux méchants, à tous ces coeurs endurcis, qui n'existent que pour eux ! Puisque les lois ne savent point punir l'insensibilité, l'orgueil, l'ingratitude, il faut être plus sévère pour ces vices-là, que pour ceux qu'elles frappent et flétrissent. C'est à l'homme ferme que la société a remis sa vengeance. On oublierait bientôt la vertu, si l'on perdait sa juste indignation contre le vice. Eh, qui distinguerait désormais l'homme honnête et sensible de l'homme dur et superbe, si on les accueillait d'un front égal, si à leur approche l'hommage devenait le même ?... Mais, chère cousine, où sont-ils ce deux enfants, qui dès ce moment deviennent les miens ? Faites les venir. Les voici donc, ces aimables créatures ! Vous avez un oncle inhumain, mes bonnes amies ; mais vous avez une bonne mère, et moi qui vous adopte... Allons, ma chère cousine, vous êtes dès ce moment ma trésorière... Je vais vous charger d'un emploi qui plaira sûrement à votre âme, du soin de secourir les infortunés. Allez, cherchez-les, amenez-les ; ne craignez pas d'en trop rassembler autour de moi... Je crois, ainsi que vous, aux plaisirs intimes de la bienfaisance... Mon hôtel est prêt ; venez l'embellir, car le palais le plus superbe est un séjour triste sans l'amitié... Je veux d'ailleurs que vous effaciez le luxe dont s'enorgueillit votre belle-soeur. Vous le dédaignez, je le sais : mais elle, elle aura la bassesse de sécher de dépit ; car les petites âmes sont misérables en tout... Oui, mon aimable cousine, cessez de vous en défendre... Ce que j'ai est à vous. J'ai pris votre déjeuner, nous finirons la journée par souper ensemble. Je vous le laisse ; soyez-en dépositaire... Si vous voulez me le rendre.... songez, songez bien que je ne l'accepterai qu'à une seule condition... Adieu, aimable cousine. Vous voici chez vous, chère cousine. Je n'aurai de droits ici que ceux que vous voudrez bien me donner... Vous y serez libre, vous y inviterez tous ceux qui vous conviendront... Votre société sera la mienne, si vous me le permettez. Bien caché depuis dix-huit jours, j'ai fait tout arranger l'argent à la main ; et avec ce mobile universel, il n'y a point de ville comme Paris pour être servi promptement et à souhait... Je n'ai fait part de mon projet à personne ; mon projet n'a point été trahi. Allons, prenez possession... Je suis chez vous. L'hôtel est coupé en deux, et sans aucune communication... Quand vous voudrez me recevoir, je viendrai comme votre parent et votre meilleur ami. Vous m'avez promis, cousine, de condescendre à toutes mes idées... Dans six mois vous serez parfaitement libre de vivre à votre guise ; mais j'exige que vous ayez pour moi cette complaisance jusqu'à ce terme. Gardez-le jusqu'à ce que je vous le redemande ; c'est encore là une de nos conditions. N'êtes-vous pas ma trésorière ? Laissez-moi achever, vous dis je, et ne me chagrinez point... Ce que je fais n'est pas par ostentation, mais pour donner un exemple aux riches, pour leur apprendre à ne jamais dédaigner le pauvre, à se souvenir que dans un tour de roue, la fortune abaisse celui qui était au sommet, et élève celui qu'ils apercevaient au dernier rang... Voilà vos domestiques, madame ; ils sont instruits de tout ce qui regarde leur office. Ce qui est ici est à vous sans réserve. Allez. Je ne m'inquiète plus de l'emploi que vous en ferez. Cette pièce que je garderai précieusement tant que je vivrai, cette pièce qui m'aurait en effet racheté la vie, si je me fusse trouvé dans le besoin, voilà le gage irrécusable qui me dit que vous honorerez les richesses, en en faisant un digne usage. Voilà de ces aveux qui n'échappent qu'à un coeur comme le vôtre... Mais vous me serez utile, chère cousine, vous m'aiderez à placer mon argent d'une manière qui ne soudoie ni l'oisiveté, ni l'intrigue, ni l'effronterie. Ah ! Mulson l'agent de change ?... Cousine, permettez-vous que je le reçoive ici... Faites entrer. C'est que je suis ruiné... J'ai fait naufrage. On m'a tué dans ce pays-ci ; mais je ne m'en porte pas moins bien. Il est vrai cependant que j'ai failli à me noyer tout de bon. Il me reste encore quelque chose pour moi et mes amis. Et qui donc, s'il vous plaît ? C'est donc vous qui leur avez dit que j'étais ici ?... Mon crédit ? Connaissez-vous madame ? Comment, vous ne connaissez point madame ?... Mais vous fréquentez cependant la maison de Madame Dortigni ? Et vous ne connaissez pas madame ? C'est sa soeur. Présentement, monsieur l'ambassadeur, achevez votre message. Quelque tort !... Vous êtes très bien informé. Inadvertances ! Mais, quand Monsieur Dortigni reçoit un homme de la bourse, a-t-il des distractions alors ? Commet-il beaucoup d'inadvertances ? J'entends. Je le crois de même... Il ira loin, comme vous le dites. Je vois que vous êtes venu ici pour préparer les voies d'accommodement. Vous savez comme j'agis avec tout le monde. Nous verrons cela, monsieur Mulson. Oui, Monsieur Mulson. Eh bien, je les attends. Ils oseront venir !... Cela est fort... En ce cas j'aurai mon tour... Vous prétendez à toute force l'excuser ; cela est à sa place, et digne de vous : mais moi, je sais ce qu'il faut que je fasse. Cousine, ce n'est pas moi qu'ils ont offensé, c'est l'infortuné caché sous l'habit que je portais ; c'est lui qu'ils ont outragé durement, inhumainement, et mon ressentiment est juste. De quel droit un homme accable-t-il son semblable du fardeau du mépris ?.... Pour un rôle éphémère que chacun joue ici bas en passant, et tandis que nous sommes tous égaux par la nature, la souffrance et la mort, le riche, du sein de ses jouissances que les lois lui assurent, au lieu de compatir du moins aux privations que le pauvre éprouve, le repoussera d'une manière injurieuse, l'outragera dans son infortune ? Non, ce pitoyable, ce cruel orgueil doit-être flétri, et l'amour de l'ordre exige aujourd'hui que l'insolent qui marchait sur la tête de son frère soit à son tour humilié. Quand le premier mouvement du coeur humain n'est pas bon, le second devient pire encore ; et la triste humanité n'a peut-être d'autre vertu que ce premier cri de la commisération, et de la pitié... Qui l'étouffe, est mort au bien. Oui, et de tout l'intervalle qui se trouve entre nos âmes. Je ne lui veux point de mal ; mais il m'est permis de rire de sa bassesse, et je retiendrai l'or qu'il couve des yeux, pour le placer dans des mains plus dignes de le recevoir. Voilà toute ma vengeance. Vous a-t-elle fait rire, madame ? Et vous, monsieur, vous ne vous masquiez point, n'est-il pas vrai ? Vous alliez à front découvert... Mais ce n'est pas ici mon domicile, madame. Vous le savez, je demeure au Cadran bleu ; telle est l'adresse que j'ai eu l'honneur de vous indiquer. Je ne plaisante point, madame. Si vous voulez me rendre visite, c'est-là que vous me trouverez, et que j'aurai l'honneur de vous recevoir. Ici, vous êtes chez votre soeur. Je connais d'autres êtres plus inconcevables encore. Oui. Oh ! Cela ira de mieux en mieux, j'y compte bien. Ils ont eu le temps de grandir depuis que vous ne les avez vus. Vous avez des enfants, madame ? Vous ferez bien de les y laisser, madame. Croyez moi, ne les élevez pas vous-même. On lui fit, à ce que je me rappelle, scier ou fendre du bois.... On l'employa du moins, et on le crut bon à quelque chose ; on ne le congédia point. Faites-vous l'éloge des habitants de la capitale ? Ils vous doivent un remerciement.... Je lis peu ; mais j'examine le front de l'homme... Ce livre-là n'est pas toujours agréable, il s'en faut ; mais il dit beaucoup, pour qui sait y voir. Je ne sais ; c'est un assemblage de vers. Je suis assez de votre avis ; je n'aime pas trop en général les vers... Mais dans ce tas de frivolités vides de sens, je viens de tomber par hasard sur une pièce qui me fait rire malgré moi. Épître à mon habit. Ce titre-là, d'abord, est d'un homme qui voit, qui sent. Cela ne ressemble point à ces épîtres à Flore, aux Zéphirs, à des filles d'opéra... J'aime ce titre... Épître à mon habit. Il y a quelques bons ouvrages dans ce cas là mais enfin il se trouve un admirateur qui décide pou son compte.... Madame, chacun peut défendre son opinion. Voyons donc. Ah, mon habit, que je vous remercie ! Je ne me lasse point d'admirer ce début, cette exclamation pleine de vérité et sel. Ah, mon habit, que je vous remercie ! Que je vaux aujourd'hui, grâce à votre valeur ! Je me connais ; et plus je m'apprécie, Plus j'entrevois qu'il faut que mon tailleur, Par une secrète magie, Ait caché dans vos plis un talisman vainqueur Capable de gagner et l'esprit et le coeur. Qu'en dites-vous, monsieur l'Aristarque ?.... Continuons. Dans ce cercle nombreux de bonne compagnie, Quels honneurs je reçus ! Quels égards, quel accueil !... Auprès de la maîtresse et dans un grand fauteuil... Dans un grand fauteuil à bras ; on le voit. Je ne vis que des yeux toujours prêts à sourire. Toujours prêts à sourire ! Cela est d'une expression vivante.... Des yeux qui mentaient d'ailleurs.... Qu'importe ?... Le poète peint les dehors. J'eus le droit d'y parler, et parler sans rien dire. Parler sans rien dire ! Il y avait de quoi parler cependant ; il parlait probablement. Mais tel s'endurcit le coeur et les oreilles. Cela revient au même. Cette femme à grands falbalas... Ah, ah, ah ! Je ne puis m'empêcher de rire. Cette femme à grand falbalas Me consulta sur l'air de son visage. Je passe quelques vers. Ce que je décidai fut le nec plus ultra... On applaudit à tout ; j'avais tant de génie ! Ah, mon habit, que je vous remercie ! C'est vous qui me valez cela. Oh ! Je l'apprendrai par coeur, cette pièce. Elle est semée de traits heureux, de saillantes vérités. La connaissance du monde !... Écoutez ceci, monsieur. Ce marquis, autrefois mon ami de collège, Me reconnut enfin, et du premier coup-d'oeil Il m'accorda par privilège Un tendre embrassement qu'approuvait son orgueil. Ce qu'une liaison dès l'enfance établie, Ma probité, des moeurs, que rien ne dérégla... On ne compte point ici de légères fredaines, tribut payé à la fougue de l'âge. Ce qu'une liaison dès l'enfance établie, Ma probité, des moeurs que rien ne dérégla, N'eussent obtenu de ma vie, Votre aspect seul me l'attira. Ah, mon habit, que je vous remercie ! C'est vous qui me valez cela. Eh bien, monsieur, qu'en dites-vous ? Il n'y point là de faux brillant, d'enluminure, de bel-esprit, tel qu'en affectent des écrivains maniérés : c'est du bon, du solide esprit, de la raison, et c'est là ce qui fait vivre un ouvrage. Comment se nomme l'auteur de cette épître ? Moi, je voudrais avoir le plaisir de faire sa connaissance, pour lui témoigner combien son bon sens me charme... Mais, monsieur, puisque la discussion est entamée, et que le champ est libre aux demandes et aux réponses, quel est, selon vous, le résultat de cette pièce ? Voilà ce que vous avez dit de mieux. Et moi, monsieur, et moi je vais plus loin, c'est que, comme on n'a de beaux habits qu'avec de l'or, (et habit signifie ici, dans son acception générale, toutes les décorations extérieures qui annoncent un homme, comme ameublement, table, équipage, etc.) je soutiens qu'il n'y a rien de préférable à l'or ; qu'il n'y a que cela de désirable, d'estimable au monde ; qu'il faut sans pudeur être son esclave, tourner tous ses voeux du côté de la fortune, ne rougir d'aucune démarche basse ou honteuse, dans l'espoir même incertain d'en obtenir quelques parcelles : conséquemment je soutiens qu'il ne faut point communiquer avec celui qui n'a point d'or, qu'il faut être dur envers lui par caractère, insolent par principe. L'intérêt personnel ne calcule que ce qu'un homme peut rendre à un autre, et il doit voir comme s'il n'existait pas celui qui n'ayant point d'or, ne lui est bon à rien. Vous, madame ? Vous, madame ?... En exemple !... Vous aimez votre belle-soeur, madame ? Vous demandez son amitié, vous vous réjouissez intérieurement du bien que je lui ai fait, et que je lui prépare ? Vous voulez être son amie sincèrement ? Vous l'aimez, et vous me l'assurez ? Ah ! Prenez garde ; je suis habile à lire sur les visages ce qui se passe au fond des coeurs... Si je me suis trompé, comme cela se pourrait, si en effet la sensibilité réside encore au fond de votre âme, et que vous n'ayez été égarée, comme vous le dites, que par les distractions du monde, les usages journaliers que le luxe commande, que le faste établit, j'oublierai tout ; j'en suis capable ; je reviendrai véritablement à vous et sans aucun ressentiment... Je ne suis, madame, ni injuste, ni vindicatif ; je sais qu'il y a des sentiments vertueux qui dorment en nous, sans être étouffés, et qui se réveillent, qui renaissent, quand les coeurs sont émus. Je sais qu'il ne faut jamais désespérer du coeur de l'homme, faible, mais bon, chez le grand nombre. Hélas ! nous avons tous trop besoin d'indulgence, pour ne pas apprendre a distinguer la faiblesse du vice, et l'erreur de la dureté... Je vais donc jouir de votre retour à la sensibilité, et il me sera bien cher... S'il est ainsi, tout sera oublié, et vous trouverez en moi un parent. Faites entrer. Voici une donation entière de mes biens, que je fais à ma cousine. Elle est motivée parce qu'il y a de plus juste, l'amitié, l'estime, la reconnaissance. Tout le monde saura ce que j'ai fait pour elle, et pourquoi je l'ai fait. Je dirai à qui voudra l'entendre, la manière généreuse et noble dont j'ai été accueilli dans ses humbles foyers ; et tout le monde, je pense, m'applaudira. Il est licite sans doute de faire du bien à une parente vertueuse, sur - tout lorsqu'elle est veuve, et qu'elle a des enfants à élever ; mais comme j'ai réfléchi que la chicane s'attachait à tout, bouleversait tout, dévorait tout, que l'on cassait les actes des vivants lorsqu'ils étaient morts, j'ai cherché la forme de donation la plus entière, la plus complète, la plus inviolable. J'ai appris qu'un contrat de mariage réunissait tous ces points divers, et j'ai jugé à propos de faire dresser un tel acte. Madame, nos âmes se connaissent ; elles doivent désormais être unies l'une à l'autre... Je vous offre ma main... Voici le moment que je vous ai annoncé tantôt, et la manière de mettre le porte-feuille en communauté... Gardez-le, ou daignez signer. Je comptais vivre ainsi avec vous, chère cousine ; mais la calomnie, cette ennemie irréconciliable des moeurs les plus chastes, ne tarderait pas à souiller la pureté de notre amitié, et elle y supposerait des liens qui nous déshonoreraient... Je veux la faire taire... J'aspire enfin à m'unir à un coeur que je suis bien sûr d'estimer à jamais. Oui, je vous le jure, et j'en atteste le ciel et l'honneur. Notre hôtel n'en fera plus qu'un. Allons, madame, voilà le sceau éternel de la réconciliation, elle sera entière de mon côté : que la joie triomphe aujourd'hui, que tout autre sentiment s'efface... Signez le bonheur de votre soeur et le mien.... Tenez, prenez, voilà la plume ; et vous, monsieur, après, s'il vous plaît. Qu'on la transporte. Femme cruelle et lâche ! Tu n'étais pas même digne de ma vengeance... Je la regrette... Oublions, dans le sein de l'amitié, qu'il existe des coeurs à ce point insensibles et envieux. **** *creator_mercier *book_mercier_habitantguadeloupe *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_habitantguadeloupe *dist2_mercier_prose_drame *id_MULSON *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mulson En croirai-je mes yeux ? Dourville à Paris. C'est parbleu lui ! On le congédie froidement, on ne le reconduit seulement pas, on le salue à peine. Me serai-je trompé ? Attendez. Mais c'est lui, il n'y a pas à en douter ; c'est lui-même sous cet habit.... Connaissez-vous cet homme qui sort de chez vous ? Oh ! Je le vois bien. Cent quatre-vingt cinq.... Mais cela est incroyable.... Madame, je vous salue ; pardonnez, j'avais quelque chose en tête. Elles baissent. Dites-moi, vous ne saviez donc pas à qui vous parliez tout-à-l'heure ? Et vous ne reconduisez pas respectueusement un tel personnage ? Non, parbleu, je ne ris pas. Quatre-vingt-dix-huit.... Mais votre conduite envers ce particulier a droit de m'étonner.... Je mettrais ma main au feu que vous ne le connaissez pas. Cinquante-quatre.... Et vous le traitez ainsi... Un des plus riches particuliers du royaume ? Oui, son habit m'a un peu surpris ; mais il est original dans sa conduite, et cela n'empêche point que sous cet habit ce ne soit le fameux Dourville de la Guadeloupe. Vanglenne ou Dourville ; le nom n'importe, je connais l'individu, et cet individu est riche et opulent. Je soutiens, moi, le contraire. Vous ne le connaissez pas ; et je le connais, moi... Il a été marié deux fois ; il est veuf depuis dix-huit mois, n'a point d'enfants, et jouit d'une fortune immense. Oui, madame, point d'enfants, et d'une fortune immense. Je l'ai vu il y a trois ans pendant quatre mois à la Guadeloupe, et je vous réponds qu'il ma reconnu. Mais il a baissé les yeux, je ne sais pourquoi, comme pour ne pas me reconnaître. Il a voulu se divertir. Mais il est plus riche à lui seul, que vous et tous vos voisins. C'est votre cousin ? Eh bien, il venait pour vous éprouver. C'est dans son caractère... Dans sa vie il a fait vingt tours de cette espèce, et tous plus plaisants le uns que les autres. Je vous assure, madame, sur mon honneur, que votre cousin est le négociant de la Guadeloupe qui jouit du plus grand crédit. J'ai fait personnelle ment quelques affaires avec lui, il y a trois ans. Je n'avais pas encore l'honneur de vous connaître.... J'ai négocié de son papier..... Papier doré, ma foi.... Il s'y nommait Dourville... Mais que fait le nom, quand la personne est la même ? Il est d'un caractère bizarre et même aimant à imaginer des singularités, à causer des surprises. De plus, libéral, même magnifique. S'il vous a joué le tour plaisant de venir vous emprunter de l'argent sous un habit usé, vous lui en aurez donné, et cela se sera terminé de part et d'autre par de grands éclats de rire ? J'en suis fâché : il est sensible aux bons comme aux mauvais procédés. C'est un homme excellent pour ceux qu'il aime ; mais aussi pour ceux qu'il n'aime pas... Mais que voulez-vous que je lui dise ? Vous me chargez là d'une assez singulière commission. S'il n'y a eu que de l'inattention, il est bon, franc, humain, sans petitesse, d'un caractère vif, mais excellent.... Il sera le premier à en plaisanter. D'abord je le verrai pour affaire, puisqu'il est à Paris. S'il veut placer six cents mille francs avec avantage, je suis son homme. Il y a trente pour cent à gagner... C'est une opération sûre ; et s'il était en colère, je ferai tout pour l'apaiser. Et notre revirement de partie, monsieur ? Mais il faudrait vous décider.... Je reviendrai ce soir... Adieu, madame ; je verrai Dourville. Je suis bien votre très humble serviteur. Qui l'aurait cru ! Vous en Europe ! Et tout le monde l'ignore ; on eût été au devant de vous, vous offrir nos services. Et pourquoi vous êtes vous caché, vous fait pour aller de pair avec tout ce qui brille ? Ah ! Vous êtes bien revenu sur l'eau, à ce qu'il paraît. En sauvant votre personne, il n'y avait rien de perdu... La mer est bien avide, mais elle ne pouvait pas tout engloutir. Je le crois... Vous venez jouir ici de votre félicité au milieu de vos parents ?... J'ai à vous porter les salutations, les excuses, les respects de deux personnes qui vous sont liées par les noeuds du sang, et de plus fort attachées. Monsieur et madame Dortigni... Honnêtes gens, braves gens au fond... Je suis un de leurs principaux agents. Eh ! Monsieur, j'ai eu l'honneur de vous reconnaître au premier coup d'oeil, à l'instant où vous sortiez de chez eux... Vous n'êtes pas de ces hommes qui ne laissent dans la mémoire qu'une faible impression... Malgré l'habit que vous portiez, je vous ai reconnu... Votre crédit... Je n'ai pas cet honneur. Depuis quatre ans j'ai cet avantage, et presque tous les jours... J'y mange fréquemment. Non, monsieur... Je ne me rappelle pas d'avoir vu madame. Quoi ! Monsieur Dortigni a une soeur ?... Madame permettez que je vous présente mon respect. Je suis un peu interdit... Je sais tout ce qui s'est passé ; ils ont eu quelque tort avec vous... Mais ce sont au fond d'honnêtes personnes, fort affables, dont j'ai lieu, moi, d'être satisfait. Comme vous êtes d'un caractère facile et généreux, vous oublierez quelques petites inadvertances. Oui, ils veulent réparer... On a des distractions à l'infini dans le monde. Oh, non... Mais entre nous, il faut pardonner à Monsieur Dortigni, car il n'est que l'aveugle agent des volontés de sa femme. De plus, il est très bien avec les gens en place. Il est fait pour aller loin... Il ne faut jamais se brouiller entièrement avec ces hommes-là ; car on ne sait pas ce qui peut arriver dans la suite... On a vu... Vous savez... Justement. Ils sollicitent la grâce de vous rendre une visite. La parenté, malgré quelques nuages, reprend toujours ses droits... Pourront ils vous voir sans que vous leur fassiez mauvaise mine ? Oh ! Sans doute... C'est ce que je leur ai dit, vous êtes bien le plus galant homme que je connaisse... Ah çà, cela est donc arrangé ?... J'en suis content, charmé... J'espère, monsieur, vous proposer quelques affaires d'une solidité... Il y a une opération, dont je vous montrerai le tableau. Mais j'ai réussi à merveille, et le plus heureusement du monde. Je vais donc leur porter l'agréable nouvelle de votre réconciliation. Ils y seront très sensibles, je vous assure. À merveille... Ils en seront enchantés, vous dis-je. Bon, tout va bien. Quand je me mêle de quelque chose, cela réussit toujours. **** *creator_mercier *book_mercier_habitantguadeloupe *style_prose *genre_drame *dist1_mercier_prose_drame_habitantguadeloupe *dist2_mercier_prose_drame *id_BRIGITTE *date_1782 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_brigitte Ma chère maîtresse, voici le produit de nos petits travaux. J'ai rencontré un marchand qui a trouvé votre ouvrage d'une délicatesse exquise, surprenante, et qui m'a promis de le bien payer chaque fois que je lui en apporterais.... Tenez, serrez cela. Toutes les fois que je rencontre votre frère traîné dans un superbe équipage, et que je songe qu'il vous abandonne ici sans vous offrir le plus léger secours, je suis prête à crier dans la rue à tous les passants : voyez cet homme si brillant ; eh bien, il aime mieux nourrir des chevaux dans son écurie, que de soulager sa soeur et ses nièces en bas âge. Qu'ont-ils donc à vous reprocher ? Votre belle-soeur vous traite avec un mépris qui me met contre elle la haine dans le coeur.... Quoi, pendant votre maladie, aux portes de la mort, n'envoyer savoir qu'une seule fois de vos nouvelles, pour apprendre sans doute que vous n'étiez plus !... Ne pas vous rendre une seule visite !... Une inimité ouverte, une guerre déclarée serait préférable à cette cruelle indifférence. À votre place, moi, je rendrais publique leur indignité ; j'instruirais tout le monde de leurs procédés. Le ciel, dit-on, humilie tôt ou tard les orgueilleux... Ah ! Je mourrais contente, ma chère maîtresse, si je pouvais voir un tel exemple s'accomplir sous mes yeux. Vous avez refusé de vous marier à cause d'eux. C'était néanmoins de bons partis.... Avez-vous fait sagement ? J'ai toujours dans l'idée, ma chère maîtresse, que le ciel récompensera un jour vos vertus. Oui, vous soupirez souvent, et je n'ose alors vous demander la cause de vos soupirs. Bien vrai !... C'est que vous n'étiez point accoutumée, comme moi, à une vie si frugale.... Ah ! vous êtes la meilleure des mères. Madame, c'est un homme qui demande à vous parler. Il a l'air d'un bien honnête homme... Il est tout prêt, madame. Ah, ma chère maîtresse !... Ce digne homme... Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Je n'ai pas été maîtresse de ne point tout entendre... Ô ma chère et bonne maîtresse !... Pardonnez : je n'en puis plus, la joie me suffoque. Non, non, non, il m'est trop sensible... Je vous l'avais bien dit que la Providence vous récompenserait. Ah ! Je mourrai contente à présent... Ah... Ah... Ah... Laissez moi pleurer... J'ai du plaisir à pleurer... Ah, mon Dieu !... Il faut que je pleure longtemps... Madame, madame, un équipage... De grands valets... Ah, madame, madame, miracle, miracle !... C'est madame votre belle-soeur qui monte en personne à votre quatrième étage. Eh bien, est-elle assez impudente, assez menteuse, assez basse ? Et de l'orgueil encore ! Je l'observais ; chaque mot de votre bouche était pour elle un coup de poignard. Elle a frémi du porte-feuille ; elle a éprouvé le plus violent dépit ; elle se déguise habilement, mais son regard la trahit malgré elle. Comme elle souffrait en affectant un sentiment qui n'est pas dans son coeur ! Elle n'a que le désespoir de l'avarice.