**** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_harpagon *date_1668 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_harpagon Hors d'ici tout à l'heure, et qu'on ne réplique pas. Allons, que l'on détale de chez moi, maître Juré Filou ; vrai gibier de potence. Tu murmures entre tes dents. C'est bien à toi, pendard ; à me demander des raisons : Sors vite, que je ne t'assomme. Tu m'as fait, que je veux que tu sortes. Va-t-en l'attendre dans la Rue, et ne sois point dans ma Maison planté tout droit comme un piquet, à observer ce qui se passe, et faire ton profit de tout. Je ne veux point avoir sans cesse devant moi un espion de mes affaires ; un traître, dont les yeux maudits assiègent toutes mes actions, dévorent ce que je possède, et furètent de tous côtés pour voir s'il n'y a rien à voler. Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me plaît. Ne voilà pas de mes mouchards, qui prennent garde à ce qu'on fait ? Je tremble qu'il n'ait soupçonné quelque chose de mon argent. Ne serais-tu point Homme à aller faire courir le bruit que j'ai chez moi de l'argent caché ? Non, coquin, je ne dis pas cela. J'enrage. Je demande si malicieusement tu n'irais point faire courir le bruit que j'en ai. Tu fais le raisonneur ; je te baillerai de ce raisonnement-ci par les oreilles. Sors d'ici, encore une fois. Attends. Ne m'emportes-tu rien ? Viens çà, que je voie. Montre-moi tes mains. Les autres. Oui. N'as-tu rien mis ici dedans ? Ces grands hauts-de-chausses sont propres à devenir les recéleurs des choses qu'on dérobe ; et je voudrais qu'on en eût fait pendre quelqu'un. Euh ? Qu'est-ce que tu parles de voler ? C'est ce que je veux faire. Comment ? que dis-tu ? Oui. Qu'est-ce que tu dis d'avarice, et d'avaricieux ? De qui veux-tu parler ? Et qui sont-ils ces avaricieux ? Mais qui est-ce que tu entends par là ? Je me mets en peine de ce qu'il faut ? Je crois ce que je crois ; mais je veux que tu me dises à qui tu parles quand tu dis cela. Et moi, je pourrais bien parler à ta barrette. Non ; mais je t'empêcherai de jaser, et d'être insolent. Tais-toi. Je te rosserai, si tu parles. Te tairas-tu ? Ha, ha ! Allons, rends-le-moi sans te fouiller. Ce que tu m'as pris. Assurément. Adieu. Va-t-en à tous les Diables. Je te le mets sur ta conscience au moins.Voilà un pendard de valet qui m'incommode fort ; et je ne me plais point à voir ce chien de boiteux-là. Certes, ce n'est pas une petite peine que de garder chez soi une grande somme d'argent ; et bienheureux qui a tout son fait bien placé, et ne conserve seulement que ce qu'il faut pour sa dépense. On n'est pas peu embarrassé à inventer dans toute une Maison une cache fidèle : car pour moi les Coffres forts me sont suspects, et je ne veux jamais m'y fier.Je les tiens justement une franche amorce à Voleurs, et c'est toujours la première chose que l'on va attaquer.Cependant je ne sais si j'aurai bien fait, d'avoir enterré dans mon Jardin dix mille écus qu'on me rendit hier. Dix mille écus en or chez soi, est une somme assez… Ô Ciel ! je me serai trahi moi-même.La chaleur m'aura emporté ; et je crois que j'ai parlé haut en raisonnant tout seul. Qu'est-ce ? Y a-t-il longtemps que vous êtes là ? Vous avez entendu… Là… Ce que je viens de dire. Si fait, si fait. Je vois bien que vous en avez ouï quelques mots. C'est que je m'entretenais en moi-même de la peine qu'il y a aujourd'hui à trouver de l'argent ; et je disais, qu'il est bienheureux qui peut avoir dix mille écus chez soi. Je suis bien aise de vous dire cela, afin que vous n'alliez pas prendre les choses de travers, et vous imaginer que je dise que c'est moi qui ai dix mille écus. Plût à Dieu que je les eusse dix mille écus ! Ce serait une bonne affaire pour moi. J'en aurais bon besoin. Cela m'accommoderait fort. Et je ne me plaindrais pas, comme je fais, que le temps est misérable. Comment ? j'ai assez de bien.Ceux qui le disent, en ont menti. Il n'y a rien de plus faux ; et ce sont des coquins qui font courir tous ces bruits-là. Cela est étrange ! que mes propres Enfants me trahissent, et deviennent mes ennemis ! Oui, de pareils discours, et les dépenses que vous faites, seront cause qu'un de ces jours on me viendra chez moi couper la gorge, dans la pensée que je suis tout cousu de pistoles. Quelle ? Est-il rien de plus scandaleux que ce somptueux équipage que vous promenez par la ville ?Je querellais hier votre Sœur, mais c'est encore pis. Voilà qui crie vengeance au Ciel ; et à vous prendre depuis les pieds jusqu'à la tête, il y aurait là de quoi faire une bonne constitution. Je vous l'ai dit vingt fois, mon Fils, toutes vos manières me déplaisent fort ; vous donnez furieusement dans le Marquis ; et pour aller ainsi vêtu, il faut bien que vous me dérobiez. Que sais-je ? Où pouvez-vous donc prendre de quoi entretenir l'état que vous portez ? C'est fort mal fait. Si vous êtes heureux au jeu, vous en devriez profiter, et mettre à honnête intérêt l'argent que vous gagnez, afin de le trouver un jour.Je voudrais bien savoir, sans parler du reste, à quoi servent tous ces rubans dont vous voilà lardé depuis les pieds jusqu'à la tête ; et si une demi-douzaine d'aiguillettes ne suffit pas pour attacher un haut-de-chausses ?Il est bien nécessaire d'employer de l'argent à des perruques, lorsque l'on peut porter des cheveux de son cru, qui ne coûtent rien.Je vais gager qu'en perruques et rubans, il y a du moins vingt pistoles ; et vingt pistoles rapportent par année dix-huit livres six sols huit deniers, à ne les placer qu'au denier douze. Laissons cela, et parlons d'autre affaire. Euh ? je crois qu'ils se font signe l'un à l'autre, de me voler ma bourse. Que veulent dire ces gestes-là ? Et moi, j'ai quelque chose aussi à vous dire à tous deux. Et c'est de mariage aussi que je veux vous entretenir. Pourquoi ce cri ? Est-ce le mot, ma Fille, ou la chose, qui vous fait peur ? Un peu de patience. Ne vous alarmez point. Je sais ce qu'il faut à tous deux ; et vous n'aurez ni l'un, ni l'autre, aucun lieu de vous plaindre de tout ce que je prétends faire. Et pour commencer par un bout ; avez-vous vu, dites moi, une jeune Personne appelée Mariane, qui ne loge pas loin d'ici ? Et vous ? Comment, mon Fils, trouvez-vous cette Fille ? Sa physionomie ? Son air, et sa manière ? Ne croyez-vous pas, qu'une Fille comme cela, mériterait assez que l'on songeât à elle ? Que ce serait un Parti souhaitable ? Qu'elle a toute la mine de faire un bon ménage ? Et qu'un Mari aurait satisfaction avec elle ? Il y a une petite difficulté ; c'est que j'ai peur qu'il n'y ait pas avec elle tout le bien qu'on pourrait prétendre. Pardonnez-moi, pardonnez-moi. Mais ce qu'il y a à dire, c'est que si l'on n'y trouve pas tout le bien qu'on souhaite, on peut tâcher de regagner cela sur autre chose. Enfin je suis bien aise de vous voir dans mes sentiments : car son maintien honnête, et sa douceur, m'ont gagné l'âme ; et je suis résolu de l'épouser, pourvu que j'y trouve quelque bien. Comment ? D'épouser Mariane. Oui, moi, moi ; moi.Que veut dire cela ? Cela ne sera rien. Allez vite boire dans la Cuisine un grand verre d'eau claire. Voilà de mes Damoiseaux flouets, qui n'ont non plus de vigueur que des Poules. C'est là, ma Fille, ce que j'ai résolu pour moi. Quant à ton Frère, je lui destine une certaine Veuve dont ce matin on m'est venu parler ; et pour toi, je te donne au Seigneur Anselme. Oui. Un Homme mûr, prudent et sage, qui n'a pas plus de cinquante ans, et dont on vante les grands biens. Et moi, ma petite Fille ma mie, je veux que vous vous mariiez, s'il vous plaît. Je vous demande pardon, ma Fille. Je suis votre très humble valet ; mais, avec votre permission, vous l'épouserez dès ce soir. Dès ce soir. Cela sera, ma Fille. Si. Si, vous dis-je. C'est une chose où je te réduirai. Tu ne te tueras point, et tu l'épouseras. Mais voyez quelle audace ! A-t-on jamais vu une Fille parler de la sorte à son Père ? C'est un Parti où il n'y a rien à redire ; et je gage que tout le monde approuvera mon choix. Voilà Valère ; veux-tu qu'entre nous deux nous le fassions Juge de cette affaire ? Te rendras-tu à son jugement ? Voilà qui est fait. Ici, Valère. Nous t'avons élu pour nous dire qui a raison, de ma Fille ou de moi. Sais-tu bien de quoi nous parlons ? Je veux ce soir lui donner pour Époux un Homme aussi riche que sage ; et la coquine me dit au nez, qu'elle se moque de le prendre. Que dis-tu de cela ? Oui. Quoi ? Comment ? Le Seigneur Anselme est un Parti considérable ; c'est un Gentilhomme qui est noble, doux, posé, sage, et fort accommodé, et auquel il ne reste aucun Enfant de son premier mariage.Saurait-elle mieux rencontrer ? C'est une occasion qu'il faut prendre vite aux cheveux. Je trouve ici un avantage, qu'ailleurs je ne trouverais pas ; et il s'engage à la prendre sans dot. Oui. C'est pour moi une épargne considérable. Sans dot. Sans dot. Sans dot. Ouais. Il me semble que j'entends un Chien qui aboie. N'est-ce point qu'on en voudrait à mon argent ? Ne bougez, je reviens tout à l'heure. Ce n'est rien, Dieu merci. Bon. Voilà bien parlé cela. Comment ? j'en suis ravi, et je veux que tu prennes sur elle un pouvoir absolu. Oui, tu as beau fuir. Je lui donne l'autorité que le Ciel me donne sur toi, et j'entends que tu fasses tout ce qu'il te dira. Oui, tu m'obligeras. Certes… Cela est vrai. Il faut… Fais, fais. Je m'en vais faire un petit tour en Ville, et reviens tout à l'heure. Ah le brave Garçon !Voilà parlé comme un Oracle. Heureux qui peut avoir un Domestique de la sorte ! Mais croyez-vous, Maître Simon, qu'il n'y ait rien à péricliter ? et savez-vous le nom, les biens, et la Famille de celui pour qui vous parlez ? C'est quelque chose que cela. La charité, Maître Simon, nous oblige à faire plaisir aux Personnes, lorsque nous le pouvons. Comment ? Comment, pendard, c'est toi qui t'abandonnes à ces coupables extrémités ? C'est toi qui te veux ruiner par des emprunts si condamnables ? Oses-tu bien, après cela, paraître devant moi ? N'as-tu point de honte, dis-moi, d'en venir à ces débauches-là ? de te précipiter dans des dépenses effroyables ? et de faire une honteuse dissipation du bien que tes Parents t'ont amassé avec tant de sueurs ? Ôte-toi de mes yeux, coquin, ôte-toi de mes yeux. Retire-toi, te dis-je, et ne m'échauffe pas les oreilles. Je ne suis pas fâché de cette aventure ; et ce m'est un avis de tenir l'œil, plus que jamais, sur toutes ses actions. Attendez un moment. Je vais revenir vous parler, Il est à propos que je fasse un petit tour à mon argent. Tout va comme il faut. Hé bien, qu'est-ce, Frosine ? Qui moi ? Tout de bon ? Cependant, Frosine, j'en ai soixante bien comptés. Il est vrai ; mais vingt années de moins pourtant ne me feraient point de mal, que je crois. Tu le crois ? Tu te connais à cela ? Comment ? Hé bien, qu'est-ce que cela veut dire ? Est-il possible ? Tant mieux. Comment va notre affaire ? Qui a fait réponse… C'est que je suis obligé, Frosine, de donner à souper au Seigneur Anselme ; et je serai bien aise qu'elle soit du régale. Hé bien, elles iront ensemble dans mon Carrosse, que je leur prêterai. Mais, Frosine, as-tu entretenu la Mère touchant le bien qu'elle peut donner à sa Fille ? Lui as-tu dit qu'il fallait qu'elle s'aidât un peu, qu'elle fît quelque effort, qu'elle se saignât pour une occasion comme celle-ci ? Car encore n'épouse-t-on point une Fille, sans qu'elle apporte quelque chose. Douze mille livres de rente ! Oui, cela n'est pas mal ; mais ce compte-là n'est rien de réel. C'est une raillerie, que de vouloir me constituer son dot de toutes les dépenses qu'elle ne fera point. Je n'irai pas donner quittance de ce que je ne reçois pas ; et il faut bien que je touche quelque chose. Il faudra voir cela. Mais, Frosine, il y a encore une chose qui m'inquiète. La Fille est jeune, comme tu vois ; et les jeunes gens d'ordinaire n'aiment que leurs semblables, ne cherchent que leur compagnie. J'ai peur qu'un Homme de mon âge ne soit pas de son goût ; et que cela ne vienne à produire chez moi certains petits désordres qui ne m'accommoderaient pas. Elle ? Sur cela seulement ? Certes, tu me dis là une chose toute nouvelle. Cela est admirable ! Voilà ce que je n'aurais jamais pensé ; et je suis bien aise d'apprendre qu'elle est de cette humeur. En effet, si j'avais été Femme, je n'aurais point aimé les jeunes Hommes. Pour moi, je n'y en comprends point ; et je ne sais pas comment il y a des Femmes qui les aiment tant. C'est ce que je dis tous les jours, avec leur ton de Poule laitée, et leurs trois petits brins de barbe relevés en barbe de Chat, leurs perruques d'étoupes, leurs haut-de-chausses tout tombants, et leurs estomacs débraillés. Tu me trouves bien ? Je n'en ai pas de grandes, Dieu merci. Il n'y a que ma fluxion, qui me prend de temps en temps. Dis-moi un peu.Mariane ne m'a-t-elle point encore vu ? N'a-t-elle point pris garde à moi en passant ? Tu as bien fait ; et je t'en remercie. Certes, tu me ravis, de me dire cela. Tu m'as fait grand plaisir, Frosine ; et je t'en ai, je te l'avoue, toutes les obligations du monde. Adieu. Je vais achever mes dépêches. Je mettrai ordre que mon Carrosse soit tout prêt, pour vous mener à la Foire. Et j'aurai soin qu'on soupe de bonne heure, pour ne vous point faire malades. Je m'en vais. Voilà qu'on m'appelle. Jusqu'à tantôt. Allons.Venez çà tous, que je vous distribue mes ordres pour tantôt, et règle à chacun son emploi.Approchez, Dame Claude. Commençons par vous. Bon, vous voilà les armes à la mainJe vous commets au soin de nettoyer partout ; et surtout, prenez garde de ne point frotter les meubles trop fort, de peur de les user.Outre cela, je vous constitue, pendant le souper, au gouvernement des bouteilles ; et s'il s'en écarte quelqu'une, et qu'il se casse quelque chose, je m'en prendrai à vous, et le rabattrai sur vos gages. Allez. Vous, Brindavoine, et vous, La Merluche, je vous établis dans la charge de rincer les verres, et de donner à boire ; mais seulement lorsque l'on aura soif, et non pas selon la coutume de certains impertinents de Laquais, qui viennent provoquer les gens, et les faire aviser de boire, lorsqu'on n'y songe pas. Attendez qu'on vous en demande plus d'une fois, et vous ressouvenez de porter toujours beaucoup d'eau. Oui, quand vous verrez venir les Personnes ; et gardez bien de gâter vos habits. Paix. Rangez cela adroitement du côté de la muraille, et présentez toujours le devant au monde. Et vous, tenez toujours votre chapeau ainsi, lorsque vous servirez. Pour vous, ma Fille, vous aurez l'œil sur ce que l'on desservira, et prendrez garde qu'il ne s'en fasse aucun dégât. Cela sied bien aux Filles. Mais cependant préparez-vous à bien recevoir ma Maîtresse, qui vous doit venir visiter, et vous mener avec elle à la Foire. Entendez-vous ce que je vous dis ? Et vous, mon Fils le Damoiseau, à qui j'ai la bonté de pardonner l'histoire de tantôt, ne vous allez pas aviser non plus de lui faire mauvais visage. Mon Dieu, nous savons le train des Enfants dont les Pères se remarient, et de quel œil ils ont coutume de regarder ce qu'on appelle Belle-Mère. Mais si vous souhaitez que je perde le souvenir de votre dernière fredaine, je vous recommande, surtout, de régaler d'un bon visage cette Personne-là, et de lui faire enfin tout le meilleur accueil qu'il vous sera possible. Prenez-y garde au moins. Vous ferez sagement. Valère, aide-moi à ceci. Ho çà, Maître Jacques, approchez-vous, je vous ai gardé pour le dernier. C'est à tous les deux. Au cuisinier. Quelle diantre de cérémonie est-ce là ? Je me suis engagé, Maître Jacques, à donner ce soir à souper. Dis-moi un peu, nous feras-tu bonne chère ? Que diable toujours de l'argent ! Il semble qu'ils n'aient autre chose à dire, de l'argent, de l'argent, de l'argent.Ah ! ils n'ont que ce mot à la bouche, de l'argent.Toujours parler d'argent. Voilà leur épée de chevet, de l'argent. Taisez-vous. Qu'est-ce qu'il nous faudra ? Haye. Je veux que tu me répondes. Nous serons huit ou dix ; mais il ne faut prendre que huit.Quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix. Que diable, voilà pour traiter toute une Ville entière. Ah traître, tu manges tout mon bien. Encore ? Il a raison. Ah que cela est bien dit ! Approche, que je t'embrasse pour ce mot. Voilà la plus belle Sentence que j'aie entendue de ma vie. Il faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi…Non, ce n'est pas cela.Comment est-ce que tu dis ? Oui. Entends-tu ? Qui est le grand homme qui a dit cela ? Souviens-toi de m'écrire ces mots.Je les veux faire graver en lettres d'or sur la cheminée de ma Salle. Fais donc. Il faudra de ces choses, dont on ne mange guère, et qui rassasient d'abord ; quelque bon Haricot bien gras, avec quelque Pâté en pot bien garni de marrons. Maintenant, Maître Jacques, il faut nettoyer mon Carrosse. Qu'il faut nettoyer mon Carrosse, et tenir mes Chevaux tous prêts pour conduire à la Foire… Les voilà bien malades, ils ne font rien. Le travail ne sera pas grand, d'aller jusqu'à la foire. Paix. Pourrais-je savoir de vous, Maître Jacques, ce que l'on dit de moi ? Non, en aucune façon. Point du tout ; au contraire, c'est me faire plaisir, et je suis bien aise d'apprendre comme on parle de moi. Vous êtes un sot, un maraud, un coquin, et un impudent. Apprenez à parler. Ne vous offensez pas, ma Belle, si je viens à vous avec des lunettes. Je sais que vos appas frappent assez les yeux, sont assez visibles d'eux-mêmes, et qu'il n'est pas besoin de lunettes pour les apercevoir : mais enfin c'est avec des lunettes qu'on observe les Astres, et je maintiens et garantis que vous êtes un Astre, mais un Astre, le plus bel Astre qui soit dans le Pays des Astres. Frosine, elle ne répond mot, et ne témoigne, ce me semble, aucune joie de me voir. Tu as raison. Voilà, belle mignonne, ma Fille, qui vient vous saluer. Vous voyez qu'elle est grande ; mais mauvaise herbe croît toujours. Que dit la Belle ? C'est trop d'honneur que vous me faites, adorable mignonne. Je vous suis trop obligé de ces sentiments. Voici mon Fils aussi, qui vous vient faire la révérence. Je vois que vous vous étonnez de me voir de si grands Enfants ; mais je serai bientôt défait et de l'un, et de l'autre. Voilà un compliment bien impertinent. Quelle belle confession à lui faire ! Elle a raison.À sot compliment, il faut une réponse de même. Je vous demande pardon, ma Belle, de l'impertinence de mon Fils. C'est un jeune sot, qui ne sait pas encore la conséquence des paroles qu'il dit. C'est beaucoup de bonté à vous, de vouloir ainsi excuser ses fautes. Le temps le rendra plus sage, et vous verrez qu'il changera de sentiments. Mais voyez quelle extravagance ! Il continue encore plus fort. Encore ? Avez-vous envie de changer de discours ? Doucement, mon Fils, s'il vous plaît. Mon Dieu, j'ai une langue pour m'expliquer moi-même, et je n'ai pas besoin d'un Procureur comme vous.Allons, donnez des sièges. Qu'on mette donc les Chevaux au Carrosse. Je vous prie de m'excuser, ma Belle, si je n'ai pas songé à vous donner un peu de collation avant que de partir. Valère ! Moi ? Comment ? J'enrage ! Peste soit… Ah traître ! Bourreau que tu es ! Pendard ! Le coquin ! Dis-lui que je suis empêché, et qu'il revienne une autre fois. Je vous demande pardon. Je reviens tout à l'heure. Ah, je suis mort ! Le traître assurément a reçu de l'argent de mes Débiteurs, pour me faire rompre le cou. Que viens-tu faire ici, Bourreau ? Qu'on les mène promptement chez le Maréchal. Valère, aie un peu l'œil à tout cela ; et prends soin, je te prie, de m'en sauver le plus que tu pourras, pour le renvoyer au marchand. Ô fils impertinent, as-tu envie de me ruiner ! Ouais ! mon Fils baise la main de sa prétendue belle-mère, et sa prétendue Belle-mère ne s'en défend pas fort.Y aurait-il quelque mystère là-dessous ? Le Carrosse est tout prêt. Vous pouvez partir quand il vous plaira. Non, demeurez. Elles iront bien toutes seules ; et j'ai besoin de vous. Ô çà, intérêt de Belle-Mère à part, que te semble à toi de cette Personne ? Oui, de son air, de sa taille, de sa beauté, de son esprit ? Mais encore ? Tu lui disais tantôt pourtant… Si bien donc que tu n'aurais pas d'inclination pour elle ? J'en suis fâché : car cela rompt une pensée qui m'était venue dans l'esprit. J'ai fait, en la voyant ici, réflexion sur mon âge ; et j'ai songé qu'on pourra trouver à redire, de me voir marier à une si jeune Personne. Cette considération m'en faisait quitter le dessein ; et comme je l'ai fait demander, et que je suis pour elle engagé de parole, je te l'aurais donnée, sans l'aversion que tu témoignes. À toi. En mariage. Moi ? je suis plus raisonnable que tu ne penses.Je ne veux point forcer ton inclination. Non, non, un mariage ne saurait être heureux, où l'inclination n'est pas. Non, du côté de l'Homme, on ne doit point risquer l'affaire, et ce sont des suites fâcheuses, où je n'ai garde de me commettre. Si tu avais senti quelque inclination pour elle, à la bonne heure, je te l'aurais fait épouser, au lieu de moi ; mais cela n'étant pas, je suivrai mon premier dessein, et je l'épouserai moi-même. Lui avez-vous rendu visite ? Beaucoup de fois ? Vous a-t-on bien reçu ? Lui avez-vous déclaré votre passion, et le dessein où vous étiez de l'épouser ? A-t-elle écouté, pour sa Fille, votre proposition ? Et la Fille correspond-elle fort à votre amour ? Je suis bien aise d'avoir appris un tel secret, et voilà justement ce que je demandais. Oh sus, mon fils, savez-vous ce qu'il y a ? c'est qu'il faut songer, s'il vous plaît, à vous défaire de votre amour ; à cesser toutes vos poursuites auprès d'une Personne que je prétends pour moi ; et à vous marier dans peu avec celle qu'on vous destine. Comment, pendard, tu as l'audace d'aller sur mes brisées ? Ne suis-je pas ton Père ? et ne me dois-tu pas respect ? Je te ferai bien me connaître, avec de bons coups de bâton. Tu renonceras à Mariane. Donnez-moi un bâton tout à l'heure. Me parler avec cette impudence ! Laisse-moi faire. Je te veux faire toi-même, Maître Jacques, juge de cette affaire, pour montrer comme j'ai raison. J'aime une Fille, que je veux épouser ; et le pendard a l'insolence de l'aimer avec moi, et d'y prétendre malgré mes ordres. N'est-ce pas une chose épouvantable, qu'un Fils qui veut entrer en concurrence avec son Père ? et ne doit il pas, par respect, s'abstenir de toucher à mes inclinations ? Ah, dis-lui, Maître Jacques, que moyennant cela, il pourra espérer toutes choses de moi ; et que hors Mariane, je lui laisse la liberté de choisir celle qu'il voudra. Voilà qui va le mieux du monde. Tu m'a fait plaisir, maître Jacques, et cela mérite une récompense. Va, je m'en souviendrai, je t'assure. Cela n'est rien. Et moi, j'ai toutes les joies du monde de te voir raisonnable. On oublie aisément les fautes des Enfants, lorsqu'ils rentrent dans leur devoir. C'est une chose où tu m'obliges, par la soumission et le respect où tu te ranges. Et moi, je te promets qu'il n'y aura aucune chose, que de moi tu n'obtiennes. Comment ? Qui est-ce qui parle de t'accorder Mariane ? Moi ? Comment ? C'est toi qui as promis d'y renoncer ? Oui. Tu ne t'es pas départi d'y prétendre ? Quoi, pendard, derechef ? Laisse-moi faire, traître. Je te défends de me jamais voir. Je t'abandonne. Je te renonce pour mon Fils. Je te déshérite. Et je te donne ma malédiction. Au voleur, au voleur, à l'assassin, au meurtrier.Justice, juste Ciel.Je suis perdu, je suis assassiné, on m'a coupé la gorge, on m'a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? qu'est-il devenu ? où est-il ? où se cache-t-il ? que ferai-je pour le trouver ? où courir ? où ne pas courir ? n'est-il point là ? n'est-il point ici ? qui est-ce ? Arrête. Rends-moi mon argent, coquin… Ah, c'est moi.Mon esprit est troublé, et j'ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas, mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami, on m'a privé de toi ; et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie, tout est fini pour moi, et je n'ai plus que faire au monde.Sans toi, il m'est impossible de vivre. C'en est fait, je n'en puis plus, je me meurs, je suis mort, je suis enterré. N'y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui l'a pris ? Euh ? que dites-vous ? Ce n'est personne.Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin on ait épié l'heure ; et l'on a choisi justement le temps que je parlais à mon traître de Fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice, et faire donner la Question à toute la Maison ; à Servantes, à Valets, à Fils, à Fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne, qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Eh ! de quoi est-ce qu'on parle là ? de celui qui m'a dérobé ?Quel bruit fait-on là-haut ? est-ce mon voleur qui y est ? De grâce, si l'on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu'ils ont part, sans doute, au vol que l'on m'a fait. Allons vite, des Commissaires, des Archers, des Prévôts, des Juges, des Gênes, des Potences et des Bourreaux. Je veux faire pendre tout le monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après. Tous les Magistrats sont intéressés à prendre cette affaire en main ; et si l'on ne me fait retrouver mon argent, je demanderai justice de la Justice. Dix mille écus bien comptés. Dix mille écus. Il n'y a point de supplice assez grand pour l'énormité de ce crime ; et s'il demeure impuni, les choses les plus sacrées ne sont plus en sûreté. En bons Louis d'or, et Pistoles bien trébuchantes. Tout le Monde ; et je veux que vous arrêtiez prisonniers la Ville et les Faubourgs. Qui ? celui qui m'a dérobé ? Il n'est pas question de cela ; et voilà Monsieur, à qui il faut parler d'autre chose. Ce n'est pas là l'affaire. Traître, il s'agit d'autre chose que de souper ; et je veux que tu me dises des nouvelles de l'argent qu'on m'a pris. Oui, coquin ; et je m'en vais te pendre, si tu ne me le rends. Qu'as-tu à ruminer ? Valère ? Lui, qui me paraît si fidèle ? Et sur quoi le crois-tu ? Oui. L'as-tu vu rôder autour du lieu, où j'avais mis mon argent ? Dans le Jardin. Dans une Cassette. Et cette Cassette, comment est-elle faite ? Je verrai bien si c'est la mienne. Oui. Celle qu'on m'a volée est petite. Euh ? Non, grise. Il n'y a point de doute.C'est elle assurément. Écrivez, Monsieur, écrivez sa déposition. Ciel ! à qui désormais se fier ! Il ne faut plus jurer de rien ; et je crois après cela que je suis Homme à me voler moi-même. Approche. Viens confesser l'action la plus noire, l'attentat le plus horrible, qui jamais ait été commis. Comment, traître, tu ne rougis pas de ton crime ? De quel crime, je veux parler, infâme, comme si tu ne savais pas ce que je veux dire. C'est en vain que tu prétendrais de le déguiser. L'affaire est découverte, et l'on vient de m'apprendre tout.Comment abuser ainsi de ma bonté, et s'introduire exprès chez moi pour me trahir ? pour me jouer un tour de cette nature ? Et quelles belles raisons peux-tu me donner, Voleur infâme ? Comment pardonnable ? Un guet-apens ? Un assassinat de la sorte ? Le mal n'est pas si grand que je le fais ! Quoi mon sang, mes entrailles, pendard ? C'est bien mon intention ; et que tu me restitues ce que tu m'as ravi. Il n'est pas question d'honneur là-dedans. Mais, dis-moi, qui t'a porté à cette action ? Oui, vraiment, je te le demande. L'Amour ? Bel amour, bel amour, ma foi ! L'amour de mes Louis d'or. Non ferai, de par tous les Diables, je ne te le laisserai pas. Mais voyez quelle insolence, de vouloir retenir le vol qu'il m'a fait ! Si je l'appelle un vol ? Un trésor comme celui-là. Je n'en ferai rien. Qu'est-ce à dire cela ? Le Serment est admirable, et la Promesse plaisante ! Je vous en empêcherai bien, je vous assure. C'est être bien endiablé après mon argent. Vous verrez que c'est par charité chrétienne qu'il veut avoir mon bien ; mais j'y donnerai bon ordre ; et la Justice, pendard effronté, me va faire raison de tout. Je le crois bien, vraiment ; il serait fort étrange que ma Fille eût trempé dans ce crime. Mais je veux ravoir mon affaire, et que tu me confesses en quel endroit tu me l'as enlevée. Ô ma chère Cassette ! Elle n'est point sortie de ma maison ? Hé, dis-moi donc un peu ; Tu n'y as point touché ? Brûlé pour ma cassette ! Ma Cassette trop honnête ! Les beaux yeux de ma Cassette ! Il parle d'elle, comme un Amant d'une Maîtresse. Quoi, ma Servante est complice de l'affaire ? Eh ? Est-ce que la peur de la justice le fait extravaguer ? Que nous brouilles-tu ici de ma Fille ? La pudeur de qui ? Ma fille t'a signé une Promesse de mariage ! Ô Ciel ! autre disgrâce ! Rengrègement de mal ! Surcroît de désespoir ! Allons, Monsieur, faites le dû de votre Charge, et dressez-lui-moi son Procès, comme Larron, et comme suborneur. Ah ! fille scélérate ! Fille indigne d'un Père comme moi ! C'est ainsi que tu pratiques les Leçons que je t'ai données ! Tu te laisses prendre d'amour pour un Voleur infâme, et tu lui engages ta foi sans mon consentement ? Mais vous serez trompés l'un et l'autre. Quatre bonnes murailles me répondront de ta conduite ; et une bonne Potence me fera raison de ton audace. Je me suis abusé de dire une Potence ; et tu seras roué tout vif. Tout cela n'est rien ; et il valait bien mieux pour moi, qu'il te laissât noyer que de faire ce qu'il a fait. Non, non, je ne veux rien entendre ; et il faut que la Justice fasse son devoir. Ah ! Seigneur Anselme, vous me voyez le plus infortuné de tous les hommes ; et voici bien du trouble et du désordre au Contrat que vous venez faire ?On m'assassine dans le bien, on m'assassine dans l'honneur ; et voilà un traître, un scélérat, qui a violé tous les droits les plus saints ; qui s'est coulé chez moi sous le titre de Domestique, pour me dérober mon argent, et pour me suborner ma Fille. Oui, ils se sont donné l'un et l'autre une Promesse de mariage. Cet affront vous regarde, Seigneur Anselme ; et c'est vous qui devez vous rendre partie contre lui, et faire toutes les poursuites de la Justice, pour vous venger de son insolence. Voilà Monsieur, qui est un honnête Commissaire, qui n'oubliera rien à ce qu'il m'a dit de la fonction de son Office. Chargez-le comme il faut, Monsieur, et rendez les choses bien criminelles. Je me moque de tous ces contes ; et le Monde aujourd'hui n'est plein que de ces larrons de Noblesse, que de ces imposteurs, qui tirent avantage de leur obscurité, et s'habillent insolemment du premier nom illustre qu'ils s'avisent de prendre. Je ne me soucie, ni de D. Thomas, ni de Dom Martin. C'est là votre Fils ? Je vous prends à partie, pour me payer dix mille écus qu'il m'a volés. Lui-même. Maître Jacques. Oui. Voilà Monsieur le Commissaire qui a reçu sa déposition. Capable, ou non capable, je veux ravoir mon argent. Où est-il ? N'en a-t-on rien ôté ? Il faut, pour me donner conseil, que je voie ma cassette. Je n'ai point d'argent à donner en mariage à mes Enfants. Vous obligerez-vous à faire tous les frais de ces deux Mariages ? Oui, pourvu que pour les Noces vous me fassiez faire un habit. Nous n'avons que faire de vos écritures. Pour votre paiement, voilà un Homme que je vous donne à pendre. Vous payerez donc le Commissaire ? Et moi, voir ma chère Cassette. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_cleante *date_1668 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_cleante Je suis bien aise de vous trouver seule, ma Sœur ; et je brûlais de vous parler, pour m'ouvrir à vous d'un secret. Bien des choses, ma Sœur, enveloppées dans un motJ'aime. Oui, j'aime.Mais avant que d'aller plus loin, je sais que je dépends d'un Père, et que le nom de Fils me soumet à ses volontés ; que nous ne devons point engager notre foi, sans le consentement de ceux dont nous tenons le jour ; que le Ciel les a faits les maîtres de nos vœux, et qu'il nous est enjoint de n'en disposer que par leur conduite ; que n'étant prévenus d'aucune folle ardeur, ils sont en état de se tromper bien moins que nous, et de voir beaucoup mieux ce qui nous est propre ; qu'il en faut plutôt croire les lumières de leur prudence, que l'aveuglement de notre passion ; et que l'emportement de la jeunesse nous entraîne le plus souvent dans des précipices fâcheux. Je vous dis tout cela, ma Sœur, afin que vous ne vous donniez pas la peine de me le dire : car enfin, mon amour ne veut rien écouter, et je vous prie de ne me point faire de remontrances. Non ; mais j'y suis résolu ; et je vous conjure encore une fois, de ne me point apporter de raisons pour m'en dissuader. Non, ma Sœur, mais vous n'aimez pas.Vous ignorez la douce violence qu'un tendre amour fait sur nos cœurs ; et j'appréhende votre sagesse. Ah ! plût au Ciel que votre âme comme la mienne… Une jeune personne qui loge depuis peu en ces quartiers, et qui semble être faite pour donner de l'amour à tous ceux qui la voient. La Nature, ma Sœur, n'a rien formé de plus aimable ; et je me sentis transporté, dès le moment que je la vis. Elle se nomme Mariane, et vit sous la conduite d'une bonne Femme de Mère, qui est presque toujours malade, et pour qui cette aimable Fille a des sentiments d'amitié qui ne sont pas imaginables. Elle la sert, la plaint, et la console avec une tendresse qui vous toucherait l'âme. Elle se prend d'un air le plus charmant du monde aux choses qu'elle fait, et l'on voit briller mille grâces en toutes ses actions ; une douceur pleine d'attraits, une bonté toute engageante, une honnêteté adorable, une…Ah ! ma Sœur, je voudrais que vous l'eussiez vue. J'ai découvert sous main, qu'elles ne sont pas fort accommodées, et que leur discrète conduite a de la peine à étendre à tous leurs besoins le bien qu'elles peuvent avoir. Figurez-vous, ma Sœur, quelle joie ce peut être, que de relever la fortune d'une Personne que l'on aime ; que de donner adroitement quelques petits secours aux modestes nécessités d'une vertueuse Famille ; et concevez quel déplaisir ce m'est, de voir que par l'avarice d'un Père, je sois dans l'impuissance de goûter cette joie, et de faire éclater à cette Belle aucun témoignage de mon amour. Ah ! ma Sœur, il est plus grand qu'on ne peut croire. Car enfin, peut-on rien voir de plus cruel, que cette rigoureuse épargne qu'on exerce sur nous ? que cette sécheresse étrange où l'on nous fait languir ? Et que nous servira d'avoir du bien, s'il ne nous vient que dans le temps que nous ne serons plus dans le bel âge d'en jouir ? et si pour m'entretenir même, il faut que maintenant je m'engage de tous côtés ; si je suis réduit avec vous à chercher tous les jours le secours des Marchands, pour avoir moyen de porter des habits raisonnables ? Enfin j'ai voulu vous parler, pour m'aider à sonder mon Père sur les sentiments où je suis ; et si je l'y trouve contraire, j'ai résolu d'aller en d'autres lieux, avec cette aimable Personne, jouir de la fortune que le Ciel voudra nous offrir. Je fais chercher partout pour ce dessein, de l'argent à emprunter ; et si vos affaires, ma Sœur, sont semblables aux miennes, et qu'il faille que notre Père s'oppose à nos désirs, nous le quitterons là tous deux, et nous affranchirons de cette tyrannie où nous tient depuis si longtemps son avarice insupportable. J'entends sa voix. Éloignons-nous un peu, pour nous achever notre confidence ; et nous joindrons après nos forces pour venir attaquer la dureté de son humeur. Rien, mon Père. Quoi ? mon Père. Non. Nous feignions à vous aborder, de peur de vous interrompre. Nous n'entrons point dans vos affaires. Je ne crois pas… Je pense que… Mon Dieu, mon Père, vous n'avez pas lieu de vous plaindre ; et l'on sait que vous avez assez de bien. Est-ce être votre ennemi, que de dire que vous avez du bien ? Quelle grande dépense est-ce que je fais ? Hé comment vous dérober ? Moi ? mon Père : c'est que je joue ; et comme je suis fort heureux, je mets sur moi tout l'argent que je gagne. Vous avez raison. C'est de mariage, mon Père, que nous désirons vous parler. Le mariage peut nous faire peur à tous deux, de la façon que vous pouvez l'entendre ; et nous craignons que nos sentiments ne soient pas d'accord avec votre choix. Oui, mon Père. Une fort charmante Personne. Toute honnête, et pleine d'esprit. Admirables, sans doute. Oui, mon Père. Très souhaitable. Sans doute. Assurément. Ah ! mon Père, le bien n'est pas considérable, lorsqu'il est question d'épouser une honnête personne. Cela s'entend. Euh ? Vous êtes résolu, dites-vous… Qui vous ? vous ? Il m'a pris tout à coup un éblouissement, et je me retire d'ici. Ah ! traître que tu es, où t'es-tu donc allé fourrer ?Ne t'avais-je pas donné ordre… Comment va notre affaire ?Les choses pressent plus que jamais ; et depuis que je ne t'ai vu, j'ai découvert que mon Père est mon Rival. Oui ; et j'ai eu toutes les peines du monde à lui cacher le trouble où cette nouvelle m'a mis. Il a fallu, pour mes péchés, que cette passion lui soit venue en tête. Pour lui donner moins de soupçon, et me conserver au besoin des ouvertures plus aisées pour détourner ce mariage. Quelle réponse t'a-t-on faite ? L'affaire ne se fera point ? J'aurai les quinze mille francs que je demande ? T'a-t-il fait parler à celui qui doit prêter l'argent ? Et principalement notre Mère étant morte, dont on ne peut m'ôter le bien. Il n'y a rien à dire à cela. Au denier dix-huit ? Parbleu, voilà qui est honnête.Il n'y a pas lieu de se plaindre. Comment diable ! quel Juif ! quel Arabe est-ce là ?C'est plus qu'au denier quatre. Que veux-tu que je voie ? J'ai besoin d'argent ; et il faut bien que je consente à tout. Il y a encore quelque chose ? Que veut dire cela ? Que veut-il que je fasse de cela ? Qu'ai-je affaire, morbleu… J'enrage. Que la peste l'étouffe avec sa discrétion, le traître, le bourreau qu'il est.A-t-on jamais parlé d'une usure semblable ? Et n'est-il pas content du furieux intérêt qu'il exige, sans vouloir encore m'obliger à prendre, pour trois mille livres, les vieux rogatons qu'il ramasse ? Je n'aurai pas deux cents écus de tout cela ; et cependant il faut bien me résoudre à consentir à ce qu'il veut ; car il est en état de me faire tout accepter, et il me tient, le scélérat, le poignard sur la gorge. Que veux-tu que j'y fasse ? Voilà où les jeunes gens sont réduits par la maudite avarice des Pères ; et on s'étonne après cela que les Fils souhaitent qu'ils meurent. Donne-moi un peu ce Mémoire, que je le voie encore. Lui aurait-on appris qui je suis ? et serais-tu pour nous trahir ? Comment, mon Père, c'est vous qui vous portez à ces honteuses actions ? C'est vous qui cherchez à vous enrichir par des usures si criminelles ? Osez-vous bien, après cela, vous présenter aux yeux du monde ? Ne rougissez-vous point, de déshonorer votre condition, par les commerces que vous faites ? de sacrifier gloire et réputation, au désir insatiable d'entasser écu sur écu ? et de renchérir, en fait d'intérêts, sur les plus infâmes subtilités qu'aient jamais inventées les plus célèbres Usuriers ? Qui est plus criminel, à votre avis, ou celui qui achète un argent dont il a besoin, ou bien celui qui vole un argent dont il n'a que faire ? Moi, mon Père, mauvais visage ; et par quelle raison ? À vous dire le vrai, mon Père, je ne puis pas vous promettre d'être bien aise qu'elle devienne ma Belle-Mère.Je mentirais, si je vous le disais : mais pour ce qui est de la bien recevoir, et de lui faire bon visage, je vous promets de vous obéir ponctuellement sur ce chapitre. Vous verrez que vous n'aurez pas sujet de vous en plaindre. Madame, à vous dire le vrai, c'est ici une aventure où sans doute je ne m'attendais pas ; et mon Père ne m'a pas peu surpris, lorsqu'il m'a dit tantôt le dessein qu'il avait formé. Il est vrai que mon Père, Madame, ne peut pas faire un plus beau choix, et que ce m'est une sensible joie, que l'honneur de vous voir : Mais avec tout cela, je ne vous assurerai point que je me réjouis du dessein où vous pourriez être de devenir ma Belle-Mère. Le compliment, je vous l'avoue, est trop difficile pour moi ; et c'est un titre, s'il vous plaît, que je ne vous souhaite point. Ce discours paraîtra brutal aux yeux de quelques-uns ; mais je suis assuré que vous serez personne à le prendre comme il faudra.Que c'est un mariage, Madame, où vous vous imaginez bien que je dois avoir de la répugnance ; que vous n'ignorez pas, sachant ce que je suis, comme il choque mes intérêts ; et que vous voulez bien enfin que je vous dise, avec la permission de mon Père, que si les choses dépendaient de moi, cet hymen ne se ferait point. Non, mon Père, je ne suis point capable d'en changer ; et je prie instamment Madame de le croire. Voulez-vous que je trahisse mon cœur ? Hé bien, puisque vous voulez que je parle d'autre façon ; souffrez, Madame, que je me mette ici à la place de mon Père ; et que je vous avoue, que je n'ai rien vu dans le monde de si charmant que vous ; que je ne conçois rien d'égal au bonheur de vous plaire ; et que le titre de votre Époux est une gloire, une félicité, que je préférerais aux destinées des plus grands Princes de la Terre. Oui, Madame, le bonheur de vous posséder est à mes regards la plus belle de toutes les fortunes ; c'est où j'attache toute mon ambition.Il n'y a rien que je ne sois capable de faire pour une conquête si précieuse ; et les obstacles les plus puissants… C'est un compliment que je fais pour vous à Madame. J'y ai pourvu, mon Père, et j'ai fait apporter ici quelques bassins d'Oranges de la Chine, de Citrons doux, et de Confitures, que j'ai envoyé quérir de votre part. Est-ce que vous trouvez, mon Père, que ce ne soit pas assez ? Madame aura la bonté d'excuser cela, s'il lui plaît. Avez-vous jamais vu, Madame, un Diamant plus vif que celui que vous voyez que mon Père a au doigt ? Il faut que vous le voyiez de près. Nenni, Madame, il est en de trop belles mains. C'est un présent que mon Père vous a fait. N'est-il pas vrai, mon Père, que vous voulez que Madame le garde pour l'amour de vous ? Belle demande.Il me fait signe de vous le faire accepter. Vous moquez-vous ? Il n'a garde de le reprendre. Non, vous dis-je, c'est l'offenser. Point du tout. Le voilà qui se scandalise de votre refus. Vous voyez qu'il se désespère. Mon Père, ce n'est pas ma faute. Je fais ce que je puis pour l'obliger à la garder, mais elle est obstinée. Vous êtes cause, Madame, que mon Père me querelle. Vous le ferez tomber malade. De grâce, Madame, ne résistez point davantage. Qu'est-ce, mon Père ? Vous êtes-vous fait mal ? En attendant qu'ils soient ferrés, je vais faire pour vous, mon Père, les honneurs de votre Logis, et conduire Madame dans le Jardin, où je ferai porter la collation. Rentrons ici, nous serons beaucoup mieux.Il n'y a plus autour de nous personne de suspect, et nous pouvons parler librement. Que veux-tu ? c'est ma mauvaise destinée qui l'a voulu ainsi.Mais, belle Mariane, quelles résolutions sont les vôtres ? Point d'autre appui pour moi dans votre cœur que de simples souhaits ? point de pitié officieuse ? point de secourable bonté ? point d'affection agissante ? Hélas, où me réduisez-vous, que de me renvoyer à ce que voudront me permettre les fâcheux sentiments d'un rigoureux honneur, et d'une scrupuleuse bienséance ! Frosine, ma pauvre Frosine, voudrais-tu nous servir ? Songe un peu, je te prie. Cela s'entend. Tu as raison. Tout cela est fort bien pensé. Sois assurée, Frosine, de ma reconnaissance, si tu viens à bout de la chose : mais, charmante Mariane, commençons, je vous prie, par gagner votre Mère ; c'est toujours beaucoup faire, que de rompre ce mariage.Faites-y de votre part, je vous en conjure, tous les efforts qu'il vous sera possible.Servez-vous de tout le pouvoir que vous donne sur elle cette amitié qu'elle a pour vous.Déployez sans réserve les grâces éloquentes, les charmes tout-puissants que le Ciel a placés dans vos yeux et dans votre bouche ; et n'oubliez rien, s'il vous plaît, de ces tendres paroles, de ces douces prières, et de ces caresses touchantes à qui je suis persuadé qu'on ne saurait rien refuser. Puisque vous n'y allez pas, mon Père, je m'en vais les conduire. Ce qui m'en semble ? Là, là. À vous en parler franchement, je ne l'ai pas trouvée ici ce que je l'avais crue. Son air est de franche Coquette ; sa taille est assez gauche, sa beauté très médiocre, et son esprit des plus communs. Ne croyez pas que ce soit, mon Père, pour vous en dégoûter ; car Belle-Mère pour Belle-Mère, j'aime autant celle-là qu'une autre. Je lui ai dit quelques douceurs en votre nom, mais c'était pour vous plaire. Moi ? point du tout. À moi ? En mariage ? Écoutez, il est vrai qu'elle n'est pas fort à mon goût ; mais pour vous faire plaisir, mon Père, je me résoudrai à l'épouser, si vous voulez. Pardonnez-moi ; je me ferai cet effort pour l'amour de vous. C'est une chose, mon Père, qui peut-être viendra ensuite ; et l'on dit que l'amour est souvent un fruit du mariage. Hé bien, mon Père, puisque les choses sont ainsi, il faut vous découvrir mon cœur, il faut vous révéler notre secret.La vérité est que je l'aime, depuis un jour que je la vis dans une promenade ; que mon dessein était tantôt de vous la demander pour Femme ; et que rien ne m'a retenu, que la déclaration de vos sentiments, et la crainte de vous déplaire. Oui, mon Père. Assez, pour le temps qu'il y a. Fort bien ; mais sans savoir qui j'étais ; et c'est ce qui a fait tantôt la surprise de Mariane. Sans doute ; et même j'en avais fait à sa Mère quelque peu d'ouverture. Oui, fort civilement. Si j'en dois croire les apparences, je me persuade, mon Père, qu'elle a quelque bonté pour moi. Oui, mon Père, c'est ainsi que vous me jouez ! Hé bien, puisque les choses en sont venues là, je vous déclare, moi, que je ne quitterai point la passion que j'ai pour Mariane ; qu'il n'y a point d'extrémité où je ne m'abandonne, pour vous disputer sa conquête ; et que si vous avez pour vous le consentement d'une mère, j'aurai d'autres secours, peut-être, qui combattront pour moi. C'est vous qui allez sur les miennes ; et je suis le premier en date. Ce ne sont point ici des choses où les Enfants soient obligés de déférer aux Pères ; et l'Amour ne connaît personne. Toutes vos menaces ne feront rien. Point du tout. Je me moque de cela. Je n'en démordrai point. Hé bien oui, puisqu'il veut te choisir pour Juge, je n'y recule point ; il ne m'importe qui ce soit ; et je veux bien aussi me rapporter à toi, Maître Jacques, de notre différend. Je suis épris d'une jeune Personne qui répond à mes vœux, et reçoit tendrement les offres de ma foi ; et mon Père s'avise de venir troubler notre amour, par la demande qu'il en fait faire. N'a-t-il point de honte, à son âge, de songer à se marier ? lui sied-il bien d'être encore amoureux ? et ne devrait-il pas laisser cette occupation aux jeunes gens ? Ah, Maître Jacques, tu lui peux assurer, que s'il m'accorde Mariane, il me verra toujours le plus soumis de tous les hommes ; et que jamais je ne ferai aucune chose que par ses volontés. Le Ciel en soit loué. Mon pauvre Maître Jacques, je te serai obligé toute ma vie. Je vous demande pardon, mon Père, de l'emportement que j'ai fait paraître. Je vous assure que j'en ai tous les regrets du monde. Quelle bonté à vous, d'oublier si vite ma faute ! Quoi, ne garder aucun ressentiment de toutes mes extravagances ? Je vous promets, mon Père, que jusques au tombeau, je conserverai dans mon cœur le souvenir de vos bontés. Ah ! mon Père, je ne vous demande plus rien ; et c'est m'avoir assez donné, que de me donner Mariane. Je dis, mon Père, que je suis trop content de vous ; et que je trouve toutes choses dans la bonté que vous avez de m'accorder Mariane. Vous, mon Père. Sans doute. Moi, y renoncer ? Point du tout. Au contraire, j'y suis porté plus que jamais. Rien ne me peut changer. Faites tout ce qu'il vous plaira. À la bonne heure. Abandonnez. Soit. Tout ce que vous voudrez. Je n'ai que faire de vos dons. Qu'y a-t-il ? Comment ? Quoi ? Qu'est-ce que c'est ? Comment as-tu fait ? Ne vous tourmentez point, mon Père, et n'accusez personne. J'ai découvert des nouvelles de votre affaire, et je viens ici pour vous dire, que si vous voulez vous résoudre à me laisser épouser Mariane, votre argent vous sera rendu. Ne vous en mettez point en peine. Il est en lieu dont je réponds, et tout ne dépend que de moi.C'est à vous de me dire à quoi vous vous déterminez ; et vous pouvez choisir, ou de me donner Mariane, ou de perdre votre Cassette. Rien du tout. Voyez si c'est votre dessein de souscrire à ce mariage, et de joindre votre consentement à celui de sa Mère, qui lui laisse la liberté de faire un choix entre nous deux. Vous la verrez saine et entière. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_elise *date_1668 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_elise Non, Valère, je ne puis pas me repentir de tout ce que je fais pour vous. Je m'y sens entraîner par une trop douce puissance, et je n'ai pas même la force de souhaiter que les choses ne fussent pas. Mais, à vous dire vrai, le succès me donne de l'inquiétude ; et je crains fort de vous aimer un peu plus que je ne devrais. Hélas ! cent choses à la fois : L'emportement d'un Père ; les reproches d'une Famille ; les censures du monde ; mais plus que tout, Valère, le changement de votre cœur ; et cette froideur criminelle dont ceux de votre Sexe payent le plus souvent les témoignages trop ardents d'une innocente amour. Ah ! Valère, chacun tient les mêmes discours.Tous les Hommes sont semblables par les paroles ; et ce n'est que les actions, qui les découvrent différents. Hélas ! qu'avec facilité on se laisse persuader par les Personnes que l'on aime !Oui, Valère, je tiens votre cœur incapable de m'abuser.Je crois que vous m'aimez d'un véritable amour, et que vous me serez fidèle ; je n'en veux point du tout douter, et je retranche mon chagrin aux appréhensions du blâme qu'on pourra me donner. Je n'aurais rien à craindre, si tout le monde vous voyait des yeux dont je vous vois ; et je trouve en votre Personne de quoi avoir raison aux choses que je fais pour vous. Mon cœur, pour sa défense, a tout votre mérite, appuyé du secours d'une reconnaissance où le Ciel m'engage envers vous.Je me représente à toute heure ce péril étonnant, qui commença de nous offrir aux regards l'un de l'autre ; cette générosité surprenante, qui vous fit risquer votre vie, pour dérober la mienne à la fureur des ondes ; ces soins pleins de tendresse, que vous me fîtes éclater après m'avoir tirée de l'eau ; et les hommages assidus de cet ardent amour, que ni le temps, ni les difficultés, n'ont rebuté, et qui, vous faisant négliger et Parents et Patrie, arrête vos pas en ces lieux, y tient en ma faveur votre fortune déguisée, et vous a réduit, pour me voir, à vous revêtir de l'emploi de Domestique de mon père.Tout cela fait chez moi sans doute un merveilleux effet ; et c'en est assez à mes yeux, pour me justifier lengagement où j'ai pu consentir : mais ce n'est pas assez, peut-être, pour le justifier aux autres ; et je ne suis pas sûre qu'on entre dans mes sentiments. Ah ! Valère, ne bougez d'ici, je vous prie ; et songez seulement à vous bien mettre dans l'esprit de mon Père. Mais que ne tâchez-vous aussi à gagner l'appui de mon Frère, en cas que la Servante s'avisât de révéler notre secret ? Je ne sais si j'aurai la force de lui faire cette confidence. Me voilà prête à vous ouïr, mon Frère. Qu'avez-vous à me dire ? Vous aimez ? Vous êtes-vous engagé, mon Frère, avec celle que vous aimez ? Suis-je, mon Frère, une si étrange personne ? Hélas ! mon Frère, ne parlons point de ma sagesse. Il n'est personne qui n'en manque du moins une fois en sa vie ; et si je vous ouvre mon cœur, peut-être serai-je à vos yeux bien moins sage que vous. Finissons auparavant votre affaire, et me dites qui est celle que vous aimez. J'en vois beaucoup, mon Frère, dans les choses que vous me dites ; et pour comprendre ce qu'elle est, il me suffit que vous l'aimez. Oui, je conçois assez, mon Frère, quel doit être votre chagrin. Il est bien vrai que tous les jours il nous donne, de plus en plus, sujet de regretter la mort de notre Mère, et que… Nous ne venons que d'arriver. Quoi ? Pardonnez-moi. Ce sont des choses… Vous êtes… Ne vous mettez point en colère. Nous marchandons, mon Frère et moi, à qui parlera le premier ; et nous avons tous deux quelque chose à vous dire. Ah ! mon Père. J'en ai ouï parler. Au Seigneur Anselme ? Je ne veux point me marier, mon Père, s'il vous plaît. Je vous demande pardon, mon Père. Je suis très humble servante au Seigneur Anselme ; mais, avec votre permission, je ne l'épouserai point. Dès ce soir ? Cela ne sera pas, mon Père. Non. Non, vous dis-je. C'est une chose où vous ne me réduirez point. Je me tuerai plutôt, que d'épouser un tel Mari. Mais a-t-on jamais vu un Père marier sa Fille de la sorte ? Et moi, je gage qu'il ne saurait être approuvé d'aucune Personne raisonnable. J'y consens. Oui, j'en passerai par ce qu'il dira. Vous moquez-vous, Valère, de lui parler comme vous faites ? Mais ce mariage, Valère ? Mais quelle invention trouver, s'il se doit conclure ce soir ? Mais on découvrira la feinte, si l'on appelle des Médecins. Oui, mon Père. Vous avez fait, Madame, ce que je devais faire, et c'était à moi de vous prévenir. Oui, Madame, mon Frère m'a fait confidence de la passion qu'il a pour vous. Je sais les chagrins et les déplaisirs que sont capables de causer de pareilles traverses ; et c'est, je vous assure, avec une tendresse extrême que je m'intéresse à votre aventure. Trouve quelque invention pour rompre ce que tu as fait. Voilà mon Père. Ah ! mon père, prenez des sentiments un peu plus humains, je vous prie, et n'allez point pousser les choses dans les dernières violences du pouvoir paternel : Ne vous laissez point entraîner aux premiers mouvements de votre passion, et donnez-vous le temps de considérer ce que vous voulez faire.Prenez la peine de mieux voir celui dont vous vous offensez : il est tout autre que vos yeux ne le jugent ; et vous trouverez moins étrange que je me sois donnée à lui, lorsque vous saurez que sans lui vous ne m'auriez plus il y a longtemps. Oui, mon Père, c'est celui qui me sauva de ce grand péril que vous savez que je courus dans l'eau, et à qui vous devez la vie de cette même fille, dont… Mon père, je vous conjure, par l'amour paternel, de me… **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_valere *date_1668 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_valere Hé quoi, charmante Élise, vous devenez mélancolique, après les obligeantes assurances que vous avez eu la bonté de me donner de votre foi ?Je vous vois soupirer, hélas, au milieu de ma joie !Est-ce du regret, dites-moi, de m'avoir fait heureux ? et vous repentez-vous de cet engagement où mes feux ont pu vous contraindre ? Hé que pouvez-vous craindre, Élise, dans les bontés que vous avez pour moi ? Ah ! ne me faites pas ce tort, de juger de moi par les autres.Soupçonnez-moi de tout, Élise, plutôt que de manquer à ce que je vous dois.Je vous aime trop pour cela ; et mon amour pour vous, durera autant que ma vie. Puisque les seules actions font connaître ce que nous sommes ; attendez donc au moins à juger de mon cœur par elles, et ne me cherchez point des crimes dans les injustes craintes d'une fâcheuse prévoyance. Ne m'assassinez point, je vous prie, par les sensibles coups d'un soupçon outrageux ; et donnez-moi le temps de vous convaincre, par mille et mille preuves, de l'honnêteté de mes feux. Mais pourquoi cette inquiétude ? De tout ce que vous avez dit, ce n'est que par mon seul amour que je prétends auprès de vous mériter quelque chose ; et quant aux scrupules que vous avez, votre Père, lui-même, ne prend que trop de soin de vous justifier à tout le monde ; et l'excès de son avarice, et la manière austère dont il vit avec ses Enfants, pourraient autoriser des choses plus étranges. Pardonnez-moi, charmante Élise, si j'en parle ainsi devant vous.Vous savez que sur ce chapitre on n'en peut pas dire de bien. Mais enfin, si je puis, comme je l'espère, retrouver mes Parents, nous n'aurons pas beaucoup de peine à nous le rendre favorable. J'en attends des nouvelles avec impatience, et j'en irai chercher moi-même, si elles tardent à venir. Vous voyez comme je m'y prends, et les adroites complaisances qu'il m'a fallu mettre en usage, pour m'introduire à son service ; sous quel masque de sympathie, et de rapports de sentiments, je me déguise, pour lui plaire, et quel personnage je joue tous les jours avec lui, afin d'acquérir sa tendresse. J'y fais des progrès admirables ; et j'éprouve que pour gagner les Hommes, il n'est point de meilleure voie, que de se parer à leurs yeux de leurs inclinations ; que de donner dans leurs maximes, encenser leurs défauts, et applaudir à ce qu'ils font. On n'a que faire d'avoir peur de trop charger la complaisance ; et la manière dont on les joue, a beau être visible, les plus fins toujours sont de grandes dupes du côté de la flatterie ; et il n'y a rien de si impertinent, et de si ridicule, qu'on ne fasse avaler, lorsqu'on l'assaisonne en louange.La sincérité souffre un peu au métier que je fais : mais quand on a besoin des Hommes, il faut bien s'ajuster à eux ; et puisqu'on ne saurait les gagner que par là, ce n'est pas la faute de ceux qui flattent, mais de ceux qui veulent être flattés. On ne peut pas ménager l'un et l'autre ; et l'esprit du Père, et celui du Fils, sont des choses si opposées, qu'il est difficile d'accommoder ces deux confidences ensemble. Mais vous, de votre part, agissez auprès de votre Frère, et servez-vous de l'amitié qui est entre vous deux, pour le jeter dans nos intérêts. Il vient.Je me retire.Prenez ce temps pour lui parler ; et ne lui découvrez de notre affaire, que ce que vous jugerez à propos. C'est vous, Monsieur, sans contredit. Non. Mais vous ne sauriez avoir tort, et vous êtes toute raison. Ce que j'en dis ? Eh, eh. Je dis que dans le fond je suis de votre sentiment ; et vous ne pouvez pas que vous n'ayez raison. Mais aussi n'a-t-elle pas tort tout à fait, et… Cela est vrai. Mais elle pourrait vous dire que c'est un peu précipiter les choses, et qu'il faudrait au moins quelque temps pour voir si son inclination pourra s'accommoder avec… Sans dot ? Ah ! je ne dis plus rien. Voyez-vous, voilà une raison tout à fait convaincante ; il se faut rendre à cela. Assurément, cela ne reçoit point de contradiction. Il est vrai que votre Fille vous peut représenter que le mariage est une plus grande affaire qu'on ne peut croire ; qu'il y va d'être heureux, ou malheureux, toute sa vie ; et qu'un engagement qui doit durer jusqu'à la mort, ne se doit jamais faire qu'avec de grandes précautions. Vous avez raison.Voilà qui décide tout, cela s'entend. Il y a des gens qui pourraient vous dire qu'en de telles occasions l'inclination d'une Fille est une chose sans doute où l'on doit avoir de l'égard ; et que cette grande inégalité d'âge, d'humeur, et de sentiments, rend un mariage sujet à des accidents très fâcheux. Ah ! il n'y a pas de réplique à cela.On le sait bien.Qui diantre peut aller là contre ? Ce n'est pas qu'il n'y ait quantité de Pères qui aimeraient mieux ménager la satisfaction de leurs Filles, que l'argent qu'ils pourraient donner ; qui ne les voudraient point sacrifier à l'intérêt, et chercheraient plus que toute autre chose, à mettre dans un mariage cette douce conformité qui sans cesse y maintient l'honneur, la tranquillité, et la joie ; et que… Il est vrai.Cela ferme la bouche à tout, sans dot. Le moyen de résister à une raison comme celle-là ? C'est pour ne point l'aigrir, et pour en venir mieux à bout. Heurter de front ses sentiments, est le moyen de tout gâter ; et il y a de certains esprits qu'il ne faut prendre qu'en biaisant ; des tempéraments ennemis de toute résistance ; des naturels rétifs, que la vérité fait cabrer, qui toujours se roidissent contre le droit chemin de la raison, et qu'on ne mène qu'en tournant où l'on veut les conduire. Faites semblant de consentir à ce qu'il veut, vous en viendrez mieux à vos fins, et… On cherchera des biais pour le rompre. Il faut demander un délai, et feindre quelque maladie. Vous moquez-vous ?Y connaissent-ils quelque chose ? Allez, allez, vous pourrez avec eux avoir quel mal il vous plaira, ils vous trouveront des raisons pour vous dire d'où cela vient. Enfin notre dernier recours, c'est que la fuite nous peut mettre à couvert de tout ; et si votre amour, belle Élise, est capable d'une fermeté… Oui, il faut qu'une fille obéisse à son Père. Il ne faut point qu'elle regarde comme un Mari est fait ; et lorsque la grande raison de sans dot s'y rencontre, elle doit être prête à prendre tout ce qu'on lui donne. Monsieur, je vous demande pardon, si je m'emporte un peu, et prends la hardiesse de lui parler comme je fais. Après cela, résistez à mes remontrances. Monsieur, je vais la suivre, pour lui continuer les leçons que je lui faisais. Il est bon de lui tenir un peu la bride haute. Ne vous mettez pas en peine, je crois que j'en viendrai à bout. Oui, l'argent est plus précieux que toutes les choses du monde ; et vous devez rendre grâces au Ciel, de l'honnête homme de Père qu'il vous a donné. Il sait ce que c'est que de vivre. Lorsqu'on s'offre de prendre une Fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout est renfermé là-dedans, et sans dot tient lieu de beauté, de jeunesse, de naissance, d'honneur, de sagesse, et de probité. Je n'ai jamais vu de réponse plus impertinente que celle-là. Voilà une belle merveille, que de faire bonne chère avec bien de l'argent.C'est une chose la plus aisée du monde, et il n'y a si pauvre esprit qui n'en fît bien autant : mais pour agir en habile Homme, il faut parler de faire bonne chère avec peu d'argent. Oui. Cela s'entend. Est-ce que vous avez envie de faire crever tout le monde ? Et Monsieur a-t-il invité des gens pour les assassiner à force de mangeaille ? Allez-vous-en lire un peu les préceptes de la santé, et demander aux Médecins s'il y a rien de plus préjudiciable à l'Homme que de manger avec excès. Apprenez, Maître Jacques, vous, et vos pareils, que c'est un coupe-gorge, qu'une table remplie de trop de viandes ; que pour se bien montrer ami de ceux que l'on invite, il faut que la frugalité règne dans les repas qu'on donne ; et que, suivant le dire d'un Ancien, il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger. Qu'il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger. Je ne me souviens pas maintenant de son nom. Je n'y manquerai pas. Et pour votre souper, vous n'avez qu'à me laisser faire.Je réglerai tout cela comme il faut. Reposez-vous sur moi. Monsieur, j'obligerai le voisin le Picard, à se charger de les conduire : aussi bien nous fera-t-il ici besoin pour apprêter le souper. Maître Jacques fait bien le raisonnable. À ce que je puis voir, Maître Jacques, on paye mal votre franchise. Ah, Monsieur Maître Jacques, ne vous fâchez pas, je vous prie. Eh doucement. De grâce. Monsieur Maître Jacques. Comment, un bâton ? Savez-vous bien, Monsieur le fat, que je suis Homme à vous rosser vous-même ? Que vous n'êtes, pour tout potage, qu'un faquin de cuisinier ? Et que vous ne me connaissez pas encore ? Vous me rosserez, dites-vous ? Et moi, je ne prends point de goût à votre raillerie. Apprenez que vous êtes un mauvais railleur. Il a perdu le sens. Cela ne sera rien. C'est assez. Que voulez-vous, Monsieur ? De quel crime voulez-vous donc parler ? Monsieur, puisqu'on vous a découvert tout, je ne veux point chercher de détours, et vous nier la chose. C'était mon dessein de vous en parler, et je voulais attendre pour cela des conjonctures favorables ; mais puisqu'il est ainsi, je vous conjure de ne vous point fâcher, et de vouloir entendre mes raisons. Ah ! Monsieur, je n'ai pas mérité ces noms. Il est vrai que j'ai commis une offense envers vous ; mais après tout ma faute est pardonnable. De grâce, ne vous mettez point en colère. Quand vous m'aurez ouï, vous verrez que le mal n'est pas si grand que vous le faites. Votre sang, Monsieur, n'est pas tombé dans de mauvaises mains. Je suis d'une condition à ne lui point faire de tort, et il n'y a rien en tout ceci que je ne puisse bien réparer. Votre honneur, Monsieur, sera pleinement satisfait. Hélas ! me le demandez-vous ? Un Dieu qui porte les excuses de tout ce qu'il fait faire : l'Amour. Oui. Non, Monsieur, ce ne sont point vos richesses qui m'ont tenté, ce n'est pas cela qui m'a ébloui, et je proteste de ne prétendre rien à tous vos biens, pourvu que vous me laissiez celui que j'ai. Appelez-vous cela un vol ? C'est un trésor, il est vrai, et le plus précieux que vous ayez sans doute ; mais ce ne sera pas le perdre, que de me le laisser. Je vous le demande à genoux, ce trésor plein de charmes ; et pour bien faire, il faut que vous me l'accordiez. Nous nous sommes promis une foi mutuelle, et avons fait serment de ne nous point abandonner. Oui, nous nous sommes engagés d'être l'un à l'autre à jamais. Rien que la mort ne nous peut séparer. Je vous ai déjà dit, Monsieur, que ce n'était point l'intérêt qui m'avait poussé à faire ce que j'ai fait. Mon cœur n'a point agi par les ressorts que vous pensez, et un motif plus noble m'a inspiré cette résolution. Vous en userez comme vous voudrez, et me voilà prêt à souffrir toutes les violences qu'il vous plaira ; mais je vous prie de croire, au moins, que s'il y a du mal, ce n'est que moi qu'il en faut accuser, et que votre Fille en tout ceci n'est aucunement coupable. Moi ? je ne l'ai point enlevée, et elle est encore chez vous. Non, Monsieur. Moi, y toucher ? Ah ! vous lui faites tort, aussi bien qu'à moi ; et c'est d'une ardeur toute pure et respectueuse, que j'ai brûlé pour elle. J'aimerais mieux mourir que de lui avoir fait paraître aucune pensée offensante. Elle est trop sage et trop honnête pour cela. Tous mes désirs se sont bornés à jouir de sa vue ; et rien de criminel n'a profané la passion que ses beaux yeux m'ont inspirée. Dame Claude, Monsieur, sait la vérité de cette aventure, et elle vous peut rendre témoignage… Oui, Monsieur, elle a été témoin de notre engagement ; et c'est après avoir connu l'honnêteté de ma flamme, qu'elle m'a aidé à persuader votre Fille de me donner sa foi, et recevoir la mienne. Je dis, Monsieur, que j'ai eu toutes les peines du monde à faire consentir sa pudeur à ce que voulait mon amour. De votre Fille ; et c'est seulement depuis hier qu'elle a pu se résoudre à nous signer mutuellement une Promesse de Mariage. Oui, Monsieur ; comme de ma part je lui en ai signé une. Ce sont des noms qui ne me sont point dus ; et quand on saura qui je suis… Ce ne sera point votre passion qui jugera l'affaire ; et l'on m'écoutera, au moins, avant que de me condamner. Qui songe à votre argent, dont vous me faites un galimatias ? Je ne vois pas quel crime on me peut faire de la passion que j'ai pour votre Fille, et le supplice où vous croyez que je puisse être condamné pour notre engagement, lorsqu'on saura ce que je suis… Sachez que j'ai le cœur trop bon, pour me parer de quelque chose qui ne soit point à moi, et que tout Naples peut rendre témoignage de ma naissance. Je ne suis point homme à rien craindre ; et si Naples vous est connu, vous savez qui était D. Thomas d'Alburcy. Je veux dire que c'est lui qui m'a donné le jour. Oui. Songez à mieux parler. Ce n'est point une imposture ; et je n'avance rien qu'il ne me soit aisé de justifier. Oui, je l'ose ; et je suis prêt de soutenir cette vérité contre qui que ce soit. Oui : mais apprenez, pour vous confondre, vous, que son Fils âgé de sept ans, avec un domestique, fut sauvé de ce naufrage par un Vaisseau Espagnol, et que ce Fils sauvé est celui qui vous parle.Apprenez que le Capitaine de ce Vaisseau, touché de ma fortune, prit amitié pour moi ; qu'il me fit élever comme son propre Fils, et que les Armes furent mon emploi dès que je m'en trouvai capable.Que j'ai su depuis peu, que mon Père n'était point mort, comme je l'avais toujours cru ; que passant ici pour l'aller chercher, une aventure par le Ciel concertée, me fit voir la charmante Élise ; que cette vue me rendit esclave de ses beautés ; et que la violence de mon amour, et les sévérités de son Père, me firent prendre la résolution de m'introduire dans son Logis, et d'envoyer un autre à la quête de mes Parents. Le Capitaine Espagnol ; un cachet de rubis qui était à mon Père ; un bracelet d'agate que ma Mère m'avait mis au bras ; le vieux Pedro, ce Domestique, qui se sauva avec moi du naufrage. Vous, ma Sœur ? Vous êtes notre Père ? Qui vous dit cela ? C'est toi qui le dis ? Pouvez-vous me croire capable d'une action si lâche ? **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_mariane *date_1668 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_mariane Ah ! que je suis, Frosine, dans un étrange état ! et s'il faut dire ce que je sens, que j'appréhende cette vue ! Hélas ! me le demandez-vous ? et ne vous figurez-vous point les alarmes d'une Personne toute prête à voir le supplice où l'on veut l'attacher ? Oui, c'est une chose, Frosine, dont je ne veux pas me défendre ; et les visites respectueuses qu'il a rendues chez nous, ont fait, je vous l'avoue, quelque effet dans mon âme. Non, je ne sais point quel il est ; mais je sais qu'il est fait d'un air à se faire aimer ; Que si l'on pouvait mettre les choses à mon choix, je le prendrais plutôt qu'un autre ; et qu'il ne contribue pas peu à me faire trouver un tourment effroyable, dans l'Époux qu'on veut me donner. Mon Dieu, Frosine, c'est une étrange affaire, lorsque pour être heureuse, il faut souhaiter ou attendre le trépas de quelqu'un, et la mort ne suit pas tous les projets que nous faisons. Ah Frosine, quelle figure ! Je m'acquitte bien tard, Madame, d'une telle visite. Ô l'Homme déplaisant ! Quel animal ! Je n'y puis plus tenir. Ah ! Frosine, quelle rencontre !C'est justement celui dont je t'ai parlé. Je puis dire la même chose. C'est une rencontre imprévue qui m'a surprise autant que vous ; et je n'étais point préparée à une pareille aventure. Et moi, pour vous répondre, j'ai à vous dire que les choses sont fort égales ; et que si vous auriez de la répugnance à me voir votre Belle-Mère, je n'en aurais pas moins sans doute à vous voir mon Beau-Fils. Ne croyez pas, je vous prie, que ce soit moi qui cherche à vous donner cette inquiétude. Je serais fort fâchée de vous causer du déplaisir ; et si je ne m'y vois forcée par une Puissance absolue, je vous donne ma parole, que je ne consentirai point au mariage qui vous chagrine. Je vous promets que ce qu'il m'a dit ne m'a point du tout offensée ; au contraire, il m'a fait plaisir de m'expliquer ainsi ses véritables sentiments. J'aime de lui un aveu de la sorte ; et s'il avait parlé d'autre façon, je l'en estimerais bien moins. C'est une chose qui n'était pas nécessaire. Il est vrai qu'il brille beaucoup. Il est fort beau, sans doute, et jette quantité de feux. Je ne veux point… Ce serait… De grâce… Pour ne vous point mettre en colère, je la garde maintenant ; et je prendrai un autre temps pour vous la rendre. C'est une douce consolation, que de voir dans ses intérêts une Personne comme vous ; et je vous conjure, Madame, de me garder toujours cette généreuse amitié, si capable de m'adoucir les cruautés de la fortune. Hélas, suis-je en pouvoir de faire des résolutions ! Et dans la dépendance où je me vois, puis-je former que des souhaits ? Que saurais-je vous dire ? Mettez-vous en ma place, et voyez ce que je puis faire. Avisez, ordonnez vous-même ; je m'en remets à vous ; et je vous crois trop raisonnable, pour vouloir exiger de moi, que ce qui peut m'être permis par l'honneur et la bienséance. Mais que voulez-vous que je fasse ? Quand je pourrais passer sur quantité d'égards où notre Sexe est obligé, j'ai de la considération pour ma Mère. Elle m'a toujours élevée avec une tendresse extrême, et je ne saurais me résoudre à lui donner du déplaisir. Faites, agissez auprès d'elle.Employez tous vos soins à gagner son esprit ; vous pouvez faire et dire tout ce que vous voudrez, je vous en donne la licence ; et s'il ne tient qu'à me déclarer en votre faveur, je veux bien consentir à lui faire un aveu moi-même, de tout ce que je sens pour vous. Ouvre-nous des lumières. J'y ferai tout ce que je puis, et n'oublierai aucune chose. Hélas ! à vos paroles, je puis ici répondre, moi, que vous n'imposez point ; et tout ce que vous dites, me fait connaître clairement que vous êtes mon frère. Oui, mon cœur s'est ému, dès le moment que vous avez ouvert la bouche ; et notre Mère, que vous allez ravir, m'a mille fois entretenue des disgrâces de notre Famille. Le Ciel ne nous fit point aussi périr dans ce triste naufrage ; mais il ne nous sauva la vie que par la perte de notre liberté ; et ce furent des corsaires qui nous recueillirent, ma Mère et moi, sur un débris de notre Vaisseau. Après dix ans d'esclavage, une heureuse fortune nous rendit notre liberté, et nous retournâmes dans Naples, où nous trouvâmes tout notre bien vendu, sans y pouvoir trouver des nouvelles de notre Père. Nous passâmes à Gênes, où ma Mère alla ramasser quelques malheureux restes d'une succession qu'on avait déchirée ; et de là, fuyant la barbare injustice de ses Parents, elle vint en ces lieux, où elle n'a presque vécu que d'une vie languissante. C'est vous que ma mère a tant pleuré ? Mais vous ne savez pas, que ce n'est pas assez que ce consentement ; et que le Ciel, avec un Frère que vous voyez, vient de me rendre un Père dont vous avez à m'obtenir. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_anselme *date_1668 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_anselme Qu'est-ce, Seigneur Harpagon, je vous vois tout ému. Ce n'est pas mon dessein de me faire épouser par force, et de rien prétendre à un cœur qui se serait donné ; mais pour vos intérêts, je suis prêt à les embrasser ainsi que les miens propres. Tout beau.Prenez garde à ce que vous allez dire. Vous risquez ici plus que vous ne pensez ; et vous parlez devant un Homme à qui tout Naples est connu, et qui peut aisément voir clair dans l'Histoire que vous ferez. Sans doute je le sais ; et peu de gens l'ont connu mieux que moi. De grâce, laissez-le parler, nous verrons ce qu'il en veut dire. Lui ? Allez. Vous vous moquez.Cherchez quelque autre Histoire, qui vous puisse mieux réussir ; et ne prétendez pas vous sauver sous cette imposture. Quoi vous osez vous dire fils de D. Thomas d'Alburcy ? L'audace est merveilleuse. Apprenez, pour vous confondre, qu'il y a seize ans pour le moins, que l'Homme dont vous nous parlez, périt sur Mer avec ses Enfants et sa Femme, en voulant dérober leur vie aux cruelles persécutions qui ont accompagné les désordres de Naples, et qui en firent exiler plusieurs nobles Familles. Mais quels témoignages encore, autres que vos paroles, nous peuvent assurer que ce ne soit point une fable que vous ayez bâtie sur une vérité ? Ô Ciel ! quels sont les traits de ta puissance ! et que tu fais bien voir qu'il n'appartient qu'à toi de faire des miracles.Embrassez-moi, mes Enfants, et mêlez tous deux vos transports à ceux de votre Père. Oui ma Fille, oui mon Fils, je suis D. Thomas d'Alburcy, que le Ciel garantit des ondes avec tout l'argent qu'il portait, et qui vous ayant tous crus morts durant plus de seize ans, se préparait après de longs voyages, à chercher dans l'hymen d'une douce et sage Personne, la consolation de quelque nouvelle Famille. Le peu de sûreté que j'ai vu pour ma vie, à retourner à Naples, m'a fait y renoncer pour toujours ; et ayant su trouver moyen d'y faire vendre ce que j'avais, je me suis habitué ici, où sous le nom d'Anselme, j'ai voulu m'éloigner les chagrins de cet autre nom qui m'a causé tant de traverses. Oui. Lui, vous avoir volé ? Le Ciel, mes Enfants, ne me redonne point à vous, pour être contraire à vos vœux. Seigneur Harpagon, vous jugez bien que le choix d'une jeune personne tombera sur le Fils plutôt que sur le Père. Allons, ne vous faites point dire ce qu'il n'est pas nécessaire d'entendre, et consentez ainsi que moi à ce double hyménée. Hé bien, j'en ai pour eux, que cela ne vous inquiète point. Oui, je m'y oblige.Êtes-vous satisfait ? D'accord. Allons jouir de l'allégresse que cet heureux jour nous présente. Seigneur Harpagon, il faut lui pardonner cette imposture. Soit. Allons vite faire part de notre joie à votre Mère. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_frosine *date_1668 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_frosine Monsieur… Hé c'est toi, mon pauvre la Flèche ! D'où vient cette rencontre ? Ce que je fais partout ailleurs ; m'entremettre d'affaires, me rendre serviable aux gens, et profiter du mieux qu'il m'est possible des petits talents que je puis avoir. Tu sais que dans ce Monde il faut vivre d'adresse, et qu'aux Personnes comme moi le Ciel n'a donné d'autres rentes, que l'intrigue, et que l'industrie. Oui, je traite pour lui quelque petite affaire, dont j'espère une récompense. Il y a de certains services qui touchent merveilleusement. Mon Dieu, je sais l'art de traire les Hommes.J'ai le secret de m'ouvrir leur tendresse, de chatouiller leurs cœurs, de trouver les endroits par où ils sont sensibles. Ah, mon Dieu ! que vous vous portez bien ! et que vous avez là un vrai visage de santé ! Jamais je ne vous vis un teint si frais, et si gaillard. Comment ? vous n'avez de votre vie été si jeune que vous êtes ; et je vois des gens de vingt-cinq ans qui sont plus vieux que vous. Hé bien, qu'est-ce que cela, soixante ans ? Voilà bien de quoi ! C'est la fleur de l'âge cela ; et vous entrez maintenant dans la belle saison de l'Homme. Vous moquez-vous ? Vous n'avez pas besoin de cela ; et vous êtes d'une pâte à vivre jusques à cent ans. Assurément. Vous en avez toutes les marques. Tenez-vous un peu. Ô que voilà bien là entre vos deux yeux un signe de longue vie ! Sans doute. Montrez-moi votre main. Ah mon Dieu ! quelle ligne de vie ! Ne voyez-vous pas jusqu'où va cette ligne-là ? Par ma foi, je disais cent ans, mais vous passerez les six-vingts. Il faudra vous assommer, vous dis-je ; et vous mettrez en terre, et vos Enfants, et les Enfants de vos Enfants. Faut-il le demander ? et me voit-on mêler de rien, dont je ne vienne à bout ? J'ai, surtout, pour les mariages, un talent merveilleux.Il n'est point de Partis au monde, que je ne trouve en peu de temps le moyen d'accoupler ; et je crois, si je me l'étais mis en tête, que je marierais le Grand Turc avec la République de Venise.Il n'y avait pas sans doute de si grandes difficultés à cette affaire-ci. Comme j'ai commerce chez elles, je les ai à fond l'une et l'autre entretenues de vous, et j'ai dit à la Mère le dessein que vous aviez conçu pour Mariane, à la voir passer dans la rue, et prendre l'air à sa fenêtre. Elle a reçu la proposition avec joie ; et quand je lui ai témoigné que vous souhaitiez fort que sa Fille assistât ce soir au Contrat de mariage qui se doit faire de la vôtre, elle y a consenti sans peine, et me l'a confiée pour cela. Vous avez raison. Elle doit après dîner rendre visite à votre Fille, d'où elle fait son compte d'aller faire un tour à la Foire, pour venir ensuite au souper. Voilà justement son affaire. Comment ? c'est une Fille qui vous apportera douze mille livres de rente. Oui. Premièrement, elle est nourrie et élevée dans une grande épargne de boucheC'est une Fille accoutumée à vivre de salade, de lait, de fromage, et de pommes, et à laquelle par conséquent il ne faudra ni table bien servie, ni consommés exquis, ni orges mondés perpétuels, ni les autres délicatesses qu'il faudrait pour une autre Femme ; et cela ne va pas à si peu de chose, qu'il ne monte bien, tous les ans, à trois mille francs pour le moins.Outre cela, elle n'est curieuse que d'une propreté fort simple, et n'aime point les superbes habits, ni les riches bijoux, ni les meubles somptueux, où donnent ses pareilles avec tant de chaleur ; et cet article-là vaut plus de quatre mille livres par an. De plus, elle a une aversion horrible pour le jeu, ce qui n'est pas commun aux Femmes d'aujourd'hui ; et j'en sais une de nos quartiers, qui a perdu à trente-et-quarante, vingt mille francs cette année. Mais n'en prenons rien que le quart. Cinq mille francs au jeu par an, et quatre mille francs en habits et bijoux, cela fait neuf mille livres ; et mille écus que nous mettons pour la nourriture, ne voilà-t-il pas par année vos douze mille francs bien comptés ? Pardonnez-moi. N'est-ce pas quelque chose de réel, que de vous apporter en mariage une grande sobriété ; l'héritage d'un grand amour de simplicité de parure, et l'acquisition d'un grand fonds de haine pour le jeu ? Mon Dieu, vous toucherez assez ; et elles m'ont parlé d'un certain Pays où elles ont du bien, dont vous serez le maître. Ah que vous la connaissez mal ! C'est encore une particularité que j'avais à vous dire. Elle a une aversion épouvantable pour tous les jeunes gens, et n'a de l'amour que pour les vieillards. Oui, elle. Je voudrais que vous l'eussiez entendue parler là-dessus. Elle ne peut souffrir du tout la vue d'un jeune Homme ; mais elle n'est point plus ravie, dit-elle, que lorsqu'elle peut voir un beau Vieillard avec une barbe majestueuse. Les plus vieux sont pour elle les plus charmants, et je vous avertis de n'aller pas vous faire plus jeune que vous êtes. Elle veut tout au moins qu'on soit sexagénaire ; et il n'y a pas quatre mois encore, qu'étant prête d'être mariée, elle rompit tout net le mariage, sur ce que son Amant fit voir qu'il n'avait que cinquante-six ans, et qu'il ne prit point de lunettes pour signer le contrat. Oui. Elle dit que ce n'est pas contentement pour elle que cinquante-six ans ; et surtout, elle est pour les nez qui portent des lunettes. Cela va plus loin qu'on ne vous peut dire. On lui voit dans sa Chambre quelques Tableaux et quelques Estampes ; mais que pensez-vous que ce soit ? Des Adonis ? des Céphales ? des Pâris ? et des Apollons ? Non.De beaux portraits de Saturne, du Roi Priam, du vieux Nestor, et du bon Père Anchise sur les épaules de son Fils. Je le crois bien. Voilà de belles drogues que des jeunes gens pour les aimer ! Ce sont de beaux morveux, de beaux godelureaux, pour donner envie de leur peau ; et je voudrais bien savoir quel ragoût il y a à eux ? Il faut être folle fieffée. Trouver la jeunesse aimable ! Est-ce avoir le sens commun ? Sont-ce des hommes que de jeunes blondins ? et peut-on s'attacher à ces animaux-là ? Eh ! cela est bien bâti auprès d'une Personne comme vous. Voilà un Homme cela. Il y a là de quoi satisfaire à la vue ; et c'est ainsi qu'il faut être fait, et vêtu, pour donner de l'amour. Comment ? vous êtes à ravir, et votre figure est à peindre. Tournez-vous un peu, s'il vous plaît. Il ne se peut pas mieux. Que je vous voie marcher. Voilà un corps taillé, libre, et dégagé comme il faut, et qui ne marque aucune incommodité. Cela n'est rien. Votre fluxion ne vous sied point mal, et vous avez grâce à tousser. Non.Mais nous nous sommes fort entretenues de vous. Je lui ai fait un portrait de votre Personne ; et je n'ai pas manqué de lui vanter votre mérite, et l'avantage que ce lui serait, d'avoir un Mari comme vous. J'aurais, Monsieur, une petite prière à vous faire. J'ai un Procès que je suis sur le point de perdre, faute d'un peu d'argent ; et vous pourriez facilement me procurer le gain de ce Procès, si vous aviez quelque bonté pour moi. Vous ne sauriez croire le plaisir qu'elle aura de vous voir. Ah ! que vous lui plairez ! et que votre fraise à l'antique fera sur son esprit un effet admirable ! Mais, surtout, elle sera charmée de votre haut-de-chausses, attaché au pourpoint avec des aiguillettes.C'est pour la rendre folle de vous ; et un Amant aiguilletté sera pour elle un ragoût merveilleux. En vérité, Monsieur, ce Procès m'est d'une conséquence tout à fait grande. Je suis ruinée, si je le perds ; et quelque petite assistance me rétablirait mes affaires. Je voudrais que vous eussiez vu le ravissement où elle était, à m'entendre parler de vous. La joie éclatait dans ses yeux, au récit de vos qualités ; et je l'ai mise enfin dans une impatience extrême, de voir ce mariage entièrement conclu. Je vous prie, Monsieur, de me donner le petit secours que je vous demande. Cela me remettra sur pied ; et je vous en serai éternellement obligée. Je vous assure, Monsieur, que vous ne sauriez jamais me soulager dans un plus grand besoin. Je ne vous importunerais pas, si je ne m'y voyais forcée par la nécessité. Ne me refusez pas la grâce dont je vous sollicite. Vous ne sauriez croire, Monsieur, le plaisir que… Que la fièvre te serre, chien de vilain à tous les Diables.Le ladre a été ferme à toutes mes attaques : mais il ne me faut pas pourtant quitter la négociation ; et j'ai l'autre côté, en tout cas, d'où je suis assurée de tirer bonne récompense. Savez-vous, Maître Jacques, si votre maître est au logis ? Dites-lui, je vous prie, que nous sommes ici. Mais pourquoi, et quelle est votre inquiétude ? Je vois bien que pour mourir agréablement, Harpagon n'est pas le supplice que vous voudriez embrasser ; et je connais à votre mine, que le jeune Blondin dont vous m'avez parlé, vous revient un peu dans l'esprit. Mais avez-vous su quel il est ? Mon Dieu, tous ces Blondins sont agréables, et débitent fort bien leur fait ; mais la plupart sont gueux comme des Rats ; et il vaut mieux pour vous, de prendre un vieux Mari, qui vous donne beaucoup de bien.Je vous avoue que les sens ne trouvent pas si bien leur compte du côté que je dis, et qu'il y a quelques petits dégoûts à essuyer avec un tel Époux ; mais cela n'est pas pour durer ; et sa mort, croyez-moi ; vous mettra bientôt en état d'en prendre un plus aimable, qui réparera toutes choses. Vous moquez-vous ? Vous ne l'épousez qu'aux conditions de vous laisser veuve bientôt ; et ce doit être là un des articles du Contrat. Il serait bien impertinent de ne pas mourir dans trois mois !Le voici en propre personne. C'est qu'elle est encore toute surprise ; et puis les Filles ont toujours honte à témoigner d'abord ce qu'elles ont dans l'âme. Qu'elle vous trouve admirable. L'aventure est merveilleuse. Non, il vaut mieux que de ce pas nous allions à la Foire, afin d'en revenir plus tôt, et d'avoir tout le temps ensuite de vous entretenir. Mon Dieu, que de façons ! Gardez la Bague, puisque Monsieur le veut. Vous êtes, par ma foi, de malheureuses gens l'un et l'autre, de ne m'avoir point avant tout ceci, avertie de votre affaire !Je vous aurais sans doute détourné cette inquiétude, et n'aurais point amené les choses où l'on voit qu'elles sont. Par ma foi, faut-il demander ? Je le voudrais de tout mon cœur. Vous savez que de mon naturel, je suis assez humaine.Le Ciel ne m'a point fait l'âme de bronze ; et je n'ai que trop de tendresse à rendre de petits services, quand je vois des gens qui s'entr'aiment en tout bien, et en tout honneur.Que pourrions-nous faire à ceci ? Ceci est assez difficile. Pour votre Mère, elle n'est pas tout à fait déraisonnable, et peut-être pourrait-on la gagner, et la résoudre à transporter au Fils le don qu'elle veut faire au Père. Mais le mal que j'y trouve, c'est que votre Père est votre Père. Je veux dire qu'il conservera du dépit, si l'on montre qu'on le refuse ; et qu'il ne sera point d'humeur ensuite à donner son consentement à votre mariage. Il faudrait, pour bien faire, que le refus vînt de lui-même ; et tâcher par quelque moyen de le dégoûter de votre Personne. Oui, j'ai raison, je le sais bien. C'est là ce qu'il faudrait ; mais le diantre est d'en pouvoir trouver les moyens. Attendez ; si nous avions quelque Femme un peu sur l'âge, qui fût de mon talent, et jouât assez bien pour contrefaire une Dame de qualité, par le moyen d'un train fait à la hâte, et d'un bizarre nom de Marquise, ou de Vicomtesse, que nous supposerions de la Basse Bretagne ; j'aurais assez d'adresse pour faire accroire à votre Père que ce serait une Personne riche, outre ses Maisons, de cent mille écus en argent comptant ; qu'elle serait éperdument amoureuse de lui, et souhaiterait de se voir sa femme, jusqu'à lui donner tout son bien par Contrat de mariage ; et je ne doute point qu'il ne prêtât l'oreille à la proposition ; car enfin, il vous aime fort, je le sais : mais il aime un peu plus l'argent ; et quand ébloui de ce leurre, il aurait une fois consenti à ce qui vous touche, il importerait peu ensuite qu'il se désabusât, en venant à vouloir voir clair aux effets de notre Marquise. Laissez-moi faire. Je viens de me ressouvenir d'une de mes Amies, qui sera notre fait. Voici un étrange embarras. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_maitre-simon *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_maitresimon Oui, Monsieur, c'est un jeune Homme qui a besoin d'argent. Ses affaires le pressent d'en trouver, et il en passera par tout ce que vous en prescrirez. Non, je ne puis pas bien vous en instruire à fond, et ce n'est que par aventure que l'on m'a adressé à lui ; mais vous serez de toutes choses éclairci par lui-même ; et son Homme m'a assuré, que vous serez content, quand vous le connaîtrez. Tout ce que je saurais vous dire, c'est que sa famille est fort riche, qu'il n'a plus de Mère déjà ; et qu'il s'obligera, si vous voulez, que son Père mourra avant qu'il soit huit mois. Cela s'entend. Ah, ah, vous êtes bien pressés ! Qui vous a dit que c'était céans ? Ce n'est pas moi, Monsieur, au moins, qui leur ai découvert votre nom, et votre logis : mais, à mon avis, il n'y a pas grand mal à cela. Ce sont des Personnes discrètes ; et vous pouvez ici vous expliquer ensemble. Monsieur est la Personne qui veut vous emprunter les quinze mille livres dont je vous ai parlé. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_maitre-jacques *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_maitrejacques Châtiment politique. Oui ; le vin pur monte à la tête. Est-ce à votre Cocher, Monsieur, ou bien à votre Cuisinier, que vous voulez parler ; car je suis l'un et l'autre. Mais à qui des deux le premier ? Attendez donc, s'il vous plaît. Vous n'avez qu'à parler. Grande merveille ! Oui, si vous me donnez bien de l'argent. Bonne chère avec peu d'argent ! Par ma foi, Monsieur l'Intendant, vous nous obligerez de nous faire voir ce secret, et de prendre mon office de Cuisinier : aussi bien vous mêlez-vous céans d'être le Factoton. Voilà Monsieur votre Intendant, qui vous fera bonne chère pour peu d'argent. Combien serez-vous de gens à table ? Hé bien, il faudra quatre grands potages, et cinq assiettes.Potages… Entrées… Rôt… Entremets… Tant mieux, j'en aurai moins de peine. Attendez. Ceci s'adresse au cocher. Vous dites… Vos Chevaux, Monsieur ? Ma foi, ils ne sont point du tout en état de marcher : Je ne vous dirai point qu'ils sont sur la litière, les pauvres bêtes n'en ont point, et ce serait fort mal parler : mais vous leur faites observer des jeûnes si austères, que ce ne sont plus rien que des idées ou des fantômes ; des façons de Chevaux. Et pour ne faire rien, Monsieur, est-ce qu'il ne faut rien manger ? Il leur vaudrait bien mieux, les pauvres animaux, de travailler beaucoup, de manger de même. Cela me fend le cœur, de les voir ainsi exténués : car enfin j'ai une tendresse pour mes Chevaux, qu'il me semble que c'est moi-même, quand je les vois pâtir ; je m'ôte tous les jours pour eux les choses de la bouche ; et c'est être, Monsieur, d'un naturel trop dur, que de n'avoir nulle pitié de son prochain. Non, Monsieur, je n'ai pas le courage de les mener, et je ferais conscience de leur donner des coups de fouet en l'état où ils sont. Comment voudriez-vous qu'ils traînassent un Carrosse, qu'ils ne peuvent pas se traîner eux-mêmes ? Soit.J'aime mieux encore qu'ils meurent sous la main d'un autre, que sous la mienne. Monsieur l'Intendant fait bien le nécessaire. Monsieur, je ne saurais souffrir les flatteurs ; et je vois que ce qu'il en fait, que ses contrôles perpétuels sur le pain et le vin, le bois, le sel, et la chandelle, ne sont rien que pour vous gratter, et vous faire sa cour. J'enrage de cela, et je suis fâché tous les jours d'entendre ce qu'on dit de vous : car enfin je me sens pour vous de la tendresse en dépit que j'en aie ; et après mes Chevaux, vous êtes la Personne que j'aime le plus. Oui, Monsieur, si j'étais assuré que cela ne vous fâchât point. Pardonnez-moi ; je sais fort bien que je vous mettrais en colère. Monsieur, puisque vous le voulez, je vous dirai franchement qu'on se moque partout de vous ; qu'on nous jette de tous côtés cent brocards à votre sujet ; et que l'on n'est point plus ravi, que de vous tenir au cul et aux chausses, et de faire sans cesse des contes de votre lésine. L'un dit que vous faites imprimer des Almanachs particuliers, où vous faites doubler les Quatre-temps, et les vigiles, afin de profiter des jeûnes, où vous obligez votre monde. L'autre, que vous avez toujours une querelle toute prête à faire à vos valets dans le temps des Étrennes, ou de leur sortie d'avec vous, pour vous trouver une raison de ne leur donner rien. Celui-là conte qu'une fois vous fîtes assigner le Chat d'un de vos Voisins, pour vous avoir mangé un reste d'un gigot de Mouton. Celui-ci, que l'on vous surprit une nuit, en venant dérober vous-même l'avoine de vos Chevaux ; et que votre cocher, qui était celui d'avant moi, vous donna dans l'obscurité je ne sais combien de coups de bâton dont vous ne voulûtes rien dire. Enfin voulez-vous que je vous dise, on ne saurait aller nulle part où l'on ne vous entende accommoder de toutes pièces.Vous êtes la fable et la risée de tout le monde, et jamais on ne parle de vous, que sous les noms d'avare, de ladre, de vilain, et de fesse-mathieu. Hé bien, ne l'avais-je pas deviné ? Vous ne m'avez pas voulu croire.Je vous l'avais bien dit que je vous fâcherais de vous dire la vérité. Morbleu, Monsieur le nouveau venu, qui faites l'Homme d'importance, ce n'est pas votre affaire.Riez de vos coups de bâton quand on vous en donnera, et ne venez point rire des miens. Il file doux. Je veux faire le brave, et s'il est assez sot pour me craindre, le frotter quelque peu. Savez-vous bien, Monsieur le rieur, que je ne ris pas, moi ; et que si vous m'échauffez la tête, je vous ferai rire d'une autre sorte ? Comment, doucement ? il ne me plaît pas, moi. Vous êtes un impertinent. Il n'y a point de Monsieur Maître Jacques pour un double. Si je prends un bâton, je vous rosserai d'importance. Eh je ne parle pas de cela. Je n'en doute pas. Je le sais bien. Pardonnez-moi. Je le disais en raillant. Peste soit la sincérité, c'est un mauvais métier.Désormais j'y renonce, et je ne veux plus dire vrai. Passe encore pour mon Maître, il a quelque droit de me battre : mais pour ce Monsieur l'Intendant, je m'en vengerai si je puis. Oui vraiment il y est, je ne le sais que trop. Eh, eh, eh, Messieurs, qu'est-ce ci ? à quoi songez-vous ? Ah, Monsieur, doucement. Ah, Monsieur, de grâce. Hé quoi, à votre Père ? Hé quoi, à votre Fils ? Encore passe pour moi. J'y consens. Éloignez-vous un peu. Ah ! il a tort. Vous avez raison. Laissez-moi lui parler, et demeurez là. C'est beaucoup d'honneur que vous me faites. Il a tort assurément. Vous avez raison, il se moque. Laissez-moi lui dire deux mots. Hé bien, votre Fils n'est pas si étrange que vous le dites, et il se met à la raison. Il dit qu'il sait le respect qu'il vous doit, qu'il ne s'est emporté que dans la première chaleur, et qu'il ne fera point refus de se soumettre à ce qu'il vous plaira, pourvu que vous vouliez le traiter mieux que vous ne faites, et lui donner quelque Personne en mariage, dont il ait lieu d'être content. Laissez-moi faire. Hé bien, votre Père n'est pas si déraisonnable que vous le faites ; et il m'a témoigné que ce sont vos emportements qui l'ont mis en colère ; qu'il n'en veut seulement qu'à votre manière d'agir, et qu'il sera fort disposé à vous accorder ce que vous souhaitez, pourvu que vous vouliez vous y prendre par la douceur, et lui rendre les déférences, les respects, et les soumissions qu'un Fils doit à son père. Cela est fait. Il consent à ce que vous dites. Tout est conclu. Il est content de vos promesses. Messieurs, vous n'avez qu'à parler ensemble : Vous voilà d'accord maintenant ; et vous alliez vous quereller, faute de vous entendre. Il n'y a pas de quoi, Monsieur. Je vous baise les mains. Je m'en vais revenir. Qu'on me l'égorge tout à l'heure ; qu'on me lui fasse griller les pieds ; qu'on me le mette dans l'eau bouillante, et qu'on me le pende au plancher. Je parle d'un Cochon de lait que votre Intendant me vient d'envoyer, et je veux vous l'accommoder à ma fantaisie. Monsieur est de votre Souper ? Ma foi, Monsieur, je montrerai tout ce que je sais faire ; et je vous traiterai du mieux qu'il me sera possible. Si je ne vous fais pas aussi bonne chère que je voudrais, c'est la faute de Monsieur notre Intendant, qui m'a rogné les ailes avec les Ciseaux de son économie. On vous a pris de l'argent ? Voici justement ce qu'il me faut pour me venger de notre Intendant : depuis qu'il est entré céans, il est le favori, on n'écoute que ses conseils ; et j'ai aussi sur le cœur les coups de bâton de tantôt. Monsieur, si vous voulez que je vous dise les choses, je crois que c'est Monsieur votre cher Intendant qui a fait le coup. Oui. Lui-même. Je crois que c'est lui qui vous a dérobé. Sur quoi ? Je le crois…Sur ce que je le crois. Oui, vraiment. Où était-il votre argent ? Justement. Je l'ai vu rôder dans le Jardin. Et dans quoi est-ce que cet argent était ? Voilà l'affaire. Je lui ai vu une Cassette. Comment elle est faite ? Elle est faite…Elle est faite comme une cassette. C'est une grande cassette. Eh, oui, elle est petite, si on le veut prendre par là ; mais je l'appelle grande pour ce qu'elle contient. De quelle couleur ? Elle est de couleur…Là d'une certaine couleur…Ne sauriez-vous m'aider à dire ? N'est-elle pas rouge ? Eh, oui, gris-rouge ; c'est ce que je voulais dire. Monsieur, le voici qui revient. Ne lui allez pas dire, au moins, que c'est moi qui vous ai découvert cela. Oh, oh. Aurais-je deviné sans y penser ? Écrivez, Monsieur, écrivez. Tu me payeras mes coups de bâton. Vous voyez que je ne dis rien. Hélas ! comment faut-il donc faire ? On me donne des coups de bâton pour dire vrai ; et on me veut pendre pour mentir. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_la-fleche *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_lafleche Je n'ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard ; et je pense, sauf correction, qu'il a le Diable au corps. Pourquoi me chassez-vous ? Qu'est-ce que je vous ai fait ? Mon maître, votre Fils, m'a donné ordre de l'attendre. Comment diantre voulez-vous qu'on fasse pour vous voler ? Êtes-vous un Homme volable, quand vous renfermez toutes choses, et faites sentinelle jour et nuit ? Vous avez de l'argent caché ? Hé que nous importe que vous en ayez, ou que vous n'en ayez pas, si c'est pour nous la même chose ? Hé bien, je sors. Que vous emporterais-je ? Les voilà. Les autres ? Les voilà. Voyez vous-même. Ah ! qu'un Homme comme cela, mériterait bien ce qu'il craint ! et que j'aurais de joie à le voler ! Quoi ? Je dis que vous fouilliez bien partout, pour voir si je vous ai volé. La peste soit de l'avarice, et des avaricieux. Ce que je dis ? Je dis que la peste soit de l'avarice, et des avaricieux. Des avaricieux. Des vilains, et des ladres. De quoi vous mettez-vous en peine ? Est-ce que vous croyez que je veux parler de vous ? Je parle…Je parle à mon bonnet. M'empêcherez-vous de maudire les avaricieux ? Je ne nomme personne. Qui se sent morveux, qu'il se mouche. Oui, malgré moi. Tenez, voilà encore une poche.Êtes-vous satisfait ? Quoi ? Je ne vous ai rien pris du tout. Assurément. Me voilà fort bien congédié. Oui, Monsieur, et je m'étais rendu ici pour vous attendre de pied ferme ; mais Monsieur votre Père, le plus malgracieux des Hommes, m'a chassé dehors malgré moi, et j'ai couru risque d'être battu. Votre Père amoureux ? Lui se mêler d'aimer ! De quoi diable s'avise-t-il ? Se moque-t-il du monde ? Et l'amour a-t-il été fait pour des gens bâtis comme lui ? Mais par quelle raison lui faire un mystère de votre amour ? Ma foi, Monsieur, ceux qui empruntent sont bien malheureux ; et il faut essuyer d'étranges choses, lorsqu'on en est réduit à passer, comme vous, par les mains des fesse-mathieux ! Pardonnez-moi. Notre Maître Simon, le Courtier qu'on nous a donné, Homme agissant, et plein de zèle, dit qu'il a fait rage pour vous ; et il assure, que votre seule physionomie lui a gagné le cœur. Oui ; mais à quelques petites conditions, qu'il faudra que vous acceptiez, si vous avez dessein que les choses se fassent. Ah ! vraiment, cela ne va pas de la sorte.Il apporte encore plus de soin à se cacher que vous, et ce sont des mystères bien plus grands que vous ne pensez. On ne veut point du tout dire son nom, et l'on doit aujourd'hui l'aboucher avec vous dans une Maison empruntée, pour être instruit, par votre bouche, de votre bien, et de votre famille ; et je ne doute point que le seul nom de votre Père ne rende les choses faciles. Voici quelques Articles qu'il a dictés lui-même à notre entremetteur, pour vous être montrés, avant que de rien faire.Supposé que le Prêteur voie toutes ses sûretés, et que l'Emprunteur soit majeur, et d'une Famille où le bien soit ample, solide, assuré, clair, et net de tout embarras ; on fera une bonne et exacte obligation par-devant un Notaire, le plus honnête Homme qu'il se pourra, et qui pour cet effet sera choisi par le Prêteur, auquel il importe le plus que l'Acte soit dûment dressé. Le Prêteur, pour ne charger sa conscience d'aucun scrupule, prétend ne donner son argent qu'au denier dix-huit. Cela est vrai. Mais comme ledit Prêteur n'a pas chez lui la somme dont il est question, et que pour faire plaisir à l'Emprunteur, il est contraint lui-même de l'emprunter d'un autre, sur le pied du denier cinq ; il conviendra que ledit premier Emprunteur paye cet intérêt, sans préjudice du reste, attendu que ce n'est que pour l'obliger, que ledit Prêteur s'engage à cet emprunt. Il est vrai, c'est ce que j'ai dit. Vous avez à voir là-dessus. C'est la réponse que j'ai faite. Ce n'est plus qu'un petit article. Des quinze mille francs qu'on demande, le Prêteur ne pourra compter en argent que douze mille livres ; et pour les mille écus restants, il faudra que l'Emprunteur prenne les hardes, nippes, et bijoux, dont s'ensuit le mémoire, et que ledit Prêteur a mis, de bonne foi, au plus modique prix qu'il lui a été possible. Écoutez le mémoire. Premièrement, un Lit de quatre pieds, à bandes de points de Hongrie, appliquées fort proprement sur un drap de couleur d'olive ; avec six chaises, et la courte-pointe de même ; le tout bien conditionné, et doublé d'un petit taffetas changeant rouge et bleu. Plus, un Pavillon à queue, d'une bonne serge d'Aumale rose-sèche ; avec le mollet et les franges de soie. Attendez. Plus, une Tenture de Tapisserie des Amours de Gombaut, et de Macée. Plus, une grande Table de bois de noyer, à douze colonnes, ou piliers tournés, qui se tire par les deux bouts, et garnie par le dessous de ses six Escabelles. Donnez-vous patience. Plus, trois gros Mousquets tout garnis de nacre de perles, avec les trois Fourchettes assortissantes. Plus, un Fourneau de brique, avec deux Cornues, et trois Récipients, fort utiles à ceux qui sont curieux de distiller. Doucement.Plus, un luth de Bologne, garni de toutes ses cordes, ou peu s'en faut. Plus, un Trou-Madame, et un Damier, avec un Jeu de l'Oie renouvelé des Grecs, fort propres à passer le temps lorsque l'on n'a que faire. Plus, une Peau d'un lézard, de trois pieds et demi, remplie de foin ; curiosité agréable, pour pendre au plancher d'une Chambre. Le tout, ci-dessus mentionné, valant loyalement plus de quatre mille cinq cents livres, et rabaissé à la valeur de mille écus, par la discrétion du prêteur. Je vous vois, Monsieur, ne vous en déplaise, dans le grand chemin justement que tenait Panurge pour se ruiner, prenant argent d'avance, achetant cher, vendant à bon marché, et mangeant son blé en herbe. Il faut avouer que le vôtre animerait contre sa vilanie, le plus posé Homme du monde. Je n'ai pas, Dieu merci, les inclinations fort patibulaires ; et parmi mes confrères, que je vois se mêler de beaucoup de petits commerces, je sais tirer adroitement mon épingle du jeu, et me démêler prudemment de toutes les galanteries qui sentent tant soit peu l'échelle : mais, à vous dire vrai, il me donnerait, par ses procédés, des tentations de le voler ; et je croirais, en le volant, faire une action méritoire. Que veut dire ceci ? Notre maître Simon qui parle à votre Père. L'Aventure est tout à fait drôle Il faut bien qu'il ait quelque part un ample magasin de hardes ; car nous n'avons rien reconnu au Mémoire que nous avons. Ah, ah, c'est toi, Frosine, que viens-tu faire ici ? As-tu quelque négoce avec le Patron du logis ? De lui ?Ah, ma foi, tu seras bien fine, si tu en tires quelque chose ; et je te donne avis que l'argent céans est fort cher. Je suis votre valet ; et tu ne connais pas encore le Seigneur Harpagon. Le Seigneur Harpagon est de tous les humains, l'humain le moins humain ; le mortel de tous les mortels, le plus dur, et le plus serré. Il n'est point de service qui pousse sa reconnaissance jusqu'à lui faire ouvrir les mains. De la louange, de l'estime, de la bienveillance en paroles, et de l'amitié tant qu'il vous plaira ; mais de l'argent, point d'affaires. Il n'est rien de plus sec et de plus aride, que ses bonnes grâces, et ses caresses ; et donner est un mot pour qui il a tant d'aversion, qu'il ne dit jamais je vous donne, mais je vous prête le bon jour. Bagatelles ici. Je te défie d'attendrir, du côté de l'argent, l'Homme dont il est question. Il est Turc là-dessus, mais d'une Turquerie à désespérer tout le monde ; et l'on pourrait crever, qu'il n'en branlerait pas. En un mot, il aime l'argent, plus que réputation, qu'honneur, et que vertu ; et la vue d'un demandeur lui donne des convulsions. C'est le frapper par son endroit mortel, c'est lui percer le cœur, c'est lui arracher les entrailles ; et si…Mais il revient ; je me retire. Ah, Monsieur, que je vous trouve à propos !Suivez-moi vite. Suivez-moi, vous dis-je, nous sommes bien. Voici votre affaire. J'ai guigné ceci tout le jour. Le trésor de votre Père, que j'ai attrapé. Vous saurez tout. Sauvons-nous, je l'entends crier. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_brindavoine *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_brindavoine Vous savez bien, Monsieur, qu'un des devants de mon pourpoint est couvert d'une grande tache de l'huile de la Lampe. Monsieur, il y a là un Homme qui veut vous parler. Il dit qu'il vous apporte de l'argent. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_la-merluche *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_lamerluche Quitterons-nous nos siquenilles, Monsieur ? Et moi, Monsieur, que j'ai mon haut-de-chausses tout troué par derrière, et qu'on me voit, révérence parler… Monsieur… Monsieur, je vous demande pardon, je croyais bien faire d'accourir vite. Vous dire que vos deux Chevaux sont déferrés. **** *creator_moliere *book_moliere_avare *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_avare *dist2_moliere_prose_comedy *id_commissaire *date_1668 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_commissaire Laissez-moi faire. Je sais mon métier, Dieu merci. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je me mêle de découvrir des vols ; et je voudrais avoir autant de sacs de mille francs, que j'ai fait pendre de personnes. Il faut faire toutes les poursuites requises. Vous dites qu'il y avait dans cette Cassette ? Dix mille écus ! Le vol est considérable. En quelles espèces était cette somme ? Qui soupçonnez-vous de ce vol ? Il faut, si vous m'en croyez, n'effaroucher personne, et tâcher doucement d'attraper quelques preuves, afin de procéder après par la rigueur, au recouvrement des deniers qui vous ont été pris. Ne vous épouvantez point. Je suis Homme à ne vous point scandaliser ; et les choses iront dans la douceur. Il faut ici, mon cher Ami, ne rien cacher à votre Maître. Mon Dieu ne le maltraitez point.Je vois à sa mine qu'il est honnête homme ; et que sans se faire mettre en prison, il vous découvrira ce que vous voulez savoir. Oui, mon ami, si vous nous confessez la chose, il ne vous sera fait aucun mal, et vous serez récompensé comme il faut par votre Maître. On lui a pris aujourd'hui son argent, et il n'est pas que vous ne sachiez quelques nouvelles de cette affaire. Laissez-le faire. Il se prépare à vous contenter ; et je vous ai bien dit qu'il était honnête Homme. Mais il est nécessaire de dire les indices que vous avez. Cela s'entend. Mais dépeignez-la un peu pour voir. Et de quelle couleur est-elle ? Oui. Holà, Messieurs, holà.Tout doucement, s'il vous plaît.Qui me payera mes écritures ? Oui.Mais je ne prétends pas, moi, les avoir faites pour rien.