**** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_monsieur-jourdain *date_1670 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurjourdain Hé bien, Messieurs ? Qu'est-ce ? Me ferez-vous voir votre petite drôlerie ? Eh la… comment appelez-vous cela ? Votre Prologue, ou Dialogue de Chansons et de Danse. Je vous ai fait un peu attendre, mais c'est que je me fais habiller aujourd'hui comme les Gens de Qualité ; et mon Tailleur m'a envoyé des Bas de soie que j'ai pensé ne mettre jamais. Je vous prie tous deux de ne vous point en aller, qu'on ne m'ait apporté mon Habit, afin que vous me puissiez voir. Vous me verrez équipé comme il faut, depuis les pieds jusqu'à la tête. Je me suis fait faire cette Indienne-ci. Mon Tailleur m'a dit que les Gens de Qualité étaient comme cela le matin. Laquais, holà, mes deux Laquais. Rien. C'est pour voir si vous m'entendez bien. Que dites-vous de mes Livrées ? Voici encore un petit Déshabillé pour faire le matin mes Exercices. Laquais. L'autre Laquais. Tenez ma Robe. Me trouvez-vous bien comme cela ? Voyons un peu votre Affaire. Oui ; mais il ne fallait pas faire faire cela par un Écolier ; et vous n'étiez pas trop bon vous-même pour cette besogne-là. Donnez-moi ma Robe pour mieux entendre… Attendez, je crois que je serai mieux sans Robe… Non, redonnez-la-moi, cela ira mieux. Cette Chanson me semble un peu lugubre, elle endort, et je voudrais que vous la pussiez un peu ragaillardir par-ci, par-là. On m'en apprit un tout à fait joli il y a quelque temps. Attendez… La… Comment est-ce qu'il dit ? Il y a du Mouton dedans. Oui. Ah. Je croyais Janneton Aussi douce que belle ; Je croyais Janneton Plus douce qu'un Mouton : Hélas ! hélas ! Elle est cent fois, mille fois plus cruelle, Que n'est le Tigre aux Bois. N'est-il pas joli ? C'est sans avoir appris la Musique. Est-ce que les Gens de Qualité apprennent aussi la Musique ? Je l'apprendrai donc. Mais je ne sais quel temps je pourrai prendre ; car outre le Maître d'Armes qui me montre, j'ai arrêté encore un Maître de Philosophie qui doit commencer ce matin. Comment cela ? Cela est vrai. Vous avez raison. Oui, on dit cela. Cela est vrai, vous avez raison tous deux. Je comprends cela à cette heure. Oui. Fort bien. Pourquoi toujours des Bergers ? On ne voit que cela partout. Passe, passe. Voyons. Est-ce tout ? Je trouve cela bien troussé, et il y a là dedans de petits dictons assez jolis. Sont-ce encore des bergers ? Voilà qui n'est point sot, et ces Gens-là se trémoussent bien. C'est pour tantôt au moins ; et la Personne pour qui j'ai fait faire tout cela, me doit faire l'honneur de venir dîner céans. Est-ce que les Gens de Qualité en ont ? J'en aurai donc. Cela sera-t-il beau ? Il y faudra mettre aussi une Trompette marine. La Trompette marine est un instrument qui me plaît, et qui est harmonieux. Au moins, n'oubliez pas tantôt de m'envoyer des Musiciens, pour chanter à Table. Mais surtout, que le Ballet soit beau. Ah les Menuets sont ma Danse, et je veux que vous me les voyiez danser. Allons, mon Maître. Euh ? À propos. Apprenez-moi comme il faut faire une Révérence pour saluer une Marquise ; j'en aurai besoin tantôt. Oui. une Marquise qui s'appelle Dorimène. Non. Vous n'avez qu'à faire, je le retiendrai bien. Faites un peu ? Bon. Dis-lui qu'il entre ici pour me donner Leçon. Je veux que vous me voyiez faire. Euh ? De cette façon donc un Homme, sans avoir du cœur, est sûr de tuer son Homme, et de n'être point tué. Oui. Êtes-vous fou de l'aller quereller, lui qui entend la tierce et la quarte, et qui sait tuer un homme par raison démonstrative ? Tout doux, vous dis-je. Eh mon Maître d'Armes. Eh mon Maître à Danser. Doucement. Tout beau. De grâce. Je vous prie. Mon Dieu. arrêtez-vous. Holà, Monsieur le Philosophe, vous arrivez tout à propos avec votre Philosophie. Venez un peu mettre la Paix entre ces Personnes-ci. Ils se sont mis en colère pour la préférence de leurs Professions, jusqu'à se dire des injures, et vouloir en venir aux mains. Monsieur le Philosophe. Monsieur le Philosophe. Messieurs. Monsieur le Philosophe. Messieurs. Monsieur le Philosophe. Messieurs. Monsieur le Philosophe, Messieurs, Monsieur le Philosophe, Messieurs, Monsieur le Philosophe. Oh battez-vous tant qu'il vous plaira, je n'y saurais que faire, et je n'irai pas gâter ma robe pour vous séparer. Je serais bien fou, de m'aller fourrer parmi eux, pour recevoir quelque coup qui me ferait mal. Ah ! Monsieur, je suis fâché des coups qu'ils vous ont donnés. Tout ce que je pourrai, car j'ai toutes les envies du monde d'être savant, et j'enrage que mon Père et ma Mère ne m'aient pas fait bien étudier dans toutes les Sciences, quand j'étais jeune. Oui, mais faites comme si je ne le savais pas. Expliquez-moi ce que cela veut dire. Ce Latin-là a raison. Oh oui, je sais lire et écrire. Qu'est-ce que c'est que cette Logique ? Qui sont-elles, ces trois opérations de l'Esprit ? Voilà des mots qui sont trop rébarbatifs. Cette Logique-là ne me revient point. Apprenons autre chose qui soit plus joli. La Morale ? Qu'est-ce qu'elle dit cette Morale ? Non, laissons cela. Je suis bilieux comme tous les Diables ; et il n'y a Morale qui tienne, je me veux mettre en colère tout mon soûl, quand il m'en prend envie. Qu'est-ce qu'elle chante cette Physique ? Il y a trop de tintamarre là dedans, trop de brouillamini. Apprenez-moi l'Orthographe. Après vous m'apprendrez l'Almanach, pour savoir quand il y a de la Lune, et quand il n'y en a point. J'entends tout cela. A, A, Oui. A, E, A, E. Ma foi oui. Ah que cela est beau ! A, E, I, I, I, I. Cela est vrai. Vive la Science. O, O. Il n'y a rien de plus juste. A, E, I, O, I, O. Cela est admirable ! I, O, I, O. O, O, O. Vous avez raison, O. Ah la belle chose, que de savoir quelque chose ! U, U. Il n'y a rien de plus véritable, U. U, U. Cela est vrai. Ah que n'ai-je étudié plus tôt, pour savoir tout cela. Est-ce qu'il y a des choses aussi curieuses qu'à celles-ci ? DA, DA. Oui. Ah les belles choses ! les belles choses ! FA, FA. C'est la vérité. Ah ! mon Père, et ma Mère, que je vous veux de mal ! R, r, ra ; R, r, r, r, r, ra. Cela est vrai. Ah l'habile Homme que vous êtes ! et que j'ai perdu de temps ! R, r, r, ra. Je vous en prie. Au reste il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d'une Personne de grande qualité, et je souhaiterais que vous m'aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds. Cela sera galant, oui. Non, non, point de Vers. Non, je ne veux ni Prose, ni Vers. Pourquoi ? Il n'y a que la Prose, ou les Vers ? Et comme l'on parle, qu'est-ce que c'est donc que cela ? Quoi, quand je dis : Nicole, apportez-moi mes Pantoufles, et me donnez mon Bonnet de nuit, c'est de la Prose ? Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je dis de la Prose, sans que j'en susse rien ; et je vous suis le plus obligé du monde, de m'avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un Billet : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour ; mais je voudrais que cela fût mis d'une manière galante ; que cela fût tourné gentiment. Non, non, non, je ne veux point tout cela ; je ne veux que ce que je vous ai dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Non, vous dis-je, je ne veux que ces seules paroles-là dans le Billet ; mais tournées à la mode, bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on les peut mettre. Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure ? Cependant je n'ai point étudié, et j'ai fait cela tout du premier coup. Je vous remercie de tout mon cœur, et vous prie de venir demain de bonne heure. Comment, mon Habit n'est point encore arrivé ? Ce maudit Tailleur me fait bien attendre pour un jour où j'ai tant d'affaires. J'enrage. Que la fièvre quartaine puisse serrer bien fort le Bourreau de Tailleur. Au Diable le Tailleur. La peste étouffe le Tailleur. Si je le tenais maintenant ce Tailleur détestable, ce chien de Tailleur-là, ce traître de Tailleur, je… Ah vous voilà. Je m'allais mettre en colère contre vous. Vous m'avez envoyé des Bas de soie si étroits, que j'ai eu toutes les peines du monde à les mettre, et il y a déjà deux mailles de rompues. Oui, si je romps toujours des mailles. Vous m'avez aussi fait faire des Souliers qui me blessent furieusement. Comment, point du tout ? Je vous dis qu'ils me blessent, moi. Je me l'imagine, parce que je le sens. Voyez la belle raison. Qu'est-ce que c'est que ceci ? Vous avez mis les fleurs en enbas. Est-ce qu'il faut dire cela ? Les Personnes de Qualité portent les fleurs en enbas ? Oh voilà qui est donc bien. Non, non. Non, vous dis-je, vous avez bien fait. Croyez-vous que l'Habit m'aille bien ? La Perruque, et les Plumes, sont-elles comme il faut ? Ah, ah, Monsieur le Tailleur, voilà de mon étoffe du dernier Habit que vous m'avez fait. Je la reconnais bien. Oui, mais il ne fallait pas le lever avec le mien. Oui, donnez-moi. Comment m'appelez-vous ? Mon Gentilhomme ! Voilà ce que c'est, de se mettre en Personne de Qualité. Allez-vous-en demeurer toujours habillé en Bourgeois, on ne vous dira point mon Gentilhomme. Tenez, voilà pour Mon Gentilhomme. Monseigneur, oh, oh ! Monseigneur ! Attendez, mon ami, Monseigneur mérite quelque chose, et ce n'est pas une petite parole que Monseigneur. Tenez, voilà ce que Monseigneur vous donne. Votre Grandeur Oh, oh, oh ! Attendez, ne vous en allez pas. À moi, Votre Grandeur ! Ma foi, s'il va jusqu'à l'Altesse, il aura toute la Bourse. Tenez, voilà pour ma Grandeur. Il a bien fait, je lui allais tout donner. Suivez-moi, que j'aille un peu montrer mon Habit par la Ville ; et surtout, ayez soin tous deux de marcher immédiatement sur mes pas, afin qu'on voie bien que vous êtes à moi. Appelez-moi Nicole, que je lui donne quelques ordres. Ne bougez, la voilà. Nicole ! Écoutez. Qu'as-tu à rire ? Que veut dire cette Coquine-là ? Comment donc ? Quelle Friponne est-ce là ? Te moques-tu de moi ? Je te baillerai sur le nez, si tu ris davantage. Tu ne t'arrêteras pas ? Mais voyez quelle insolence. Je te… Tiens, si tu ris encore le moins du monde, je te jure que je t'appliquerai sur la joue le plus grand soufflet qui se soit jamais donné. Prends-y bien garde. Il faut que pour tantôt tu nettoies… Que tu nettoies comme il faut… Il faut, dis-je, que tu nettoies la Salle, et… Encore. J'enrage. Si je te prends… Mais a-t-on jamais vu une Pendarde comme celle-là ? qui me vient rire insolemment au nez, au lieu de recevoir mes ordres ? Que tu songes, Coquine, à préparer ma Maison pour la Compagnie qui doit venir tantôt. Ne dois-je point pour toi fermer ma Porte à tout le Monde ? Il n'y a que des Sots, et des Sottes, ma Femme, qui se railleront de moi. Qui est donc tout ce Monde-là, s'il vous plaît ? Ouais, notre Servante Nicole, vous avez le caquet bien affilé pour une Paysanne. Taisez-vous, ma Servante, et ma Femme. Taisez-vous, vous dis-je, vous êtes des ignorantes l'une et l'autre, et vous ne savez pas les prérogatives de tout cela. Je songerai à marier ma Fille, quand il se présentera un Parti pour elle ; mais je veux songer aussi à apprendre les belles choses. Fort bien. Je veux avoir de l'Esprit, et savoir raisonner des choses parmi les honnêtes Gens. Pourquoi non ? Plût à Dieu l'avoir tout à l'heure, le fouet, devant tout le Monde, et savoir ce qu'on apprend au Collège. Sans doute. Assurément. Vous parlez toutes deux comme des Bêtes, et j'ai honte de votre ignorance. Par exemple, savez-vous, vous, ce que c'est que vous dites à cette heure ? Je ne parle pas de cela. Je vous demande ce que c'est que les paroles que vous dites ici ? Je ne parle pas de cela, vous dis-je. Je vous demande ; Ce que je parle avec vous, Ce que je vous dis à cette heure, qu'est-ce que c'est ? Hé non, ce n'est pas cela. Ce que nous disons tous deux, le langage que nous parlons à cette heure ? Comment est-ce que cela s'appelle ? C'est de la Prose, ignorante. Oui, de la Prose. Tout ce qui est Prose, n'est point Vers ; et tout ce qui n'est point Vers, n'est point Prose. Heu, voilà ce que c'est d'étudier. Et toi, sais-tu bien comme il faut faire pour dire un U ? Oui. Qu'est-ce que tu fais quand tu dis un U ? Dis un peu, U, pour voir ? Qu'est-ce que tu fais ? Oui ; mais quand tu dis, U, qu'est-ce que tu fais ? Ô l'étrange chose que d'avoir affaire à des Bêtes ! Tu allonges les lèvres en dehors, et approches la mâchoire d'en haut de celle d'en bas, U, vois-tu ? U, vois-tu ? U. Je fais la moue : U. C'est bien autre chose, si vous aviez vu O, et DA, DA, et FA, FA. J'enrage, quand je vois des Femmes ignorantes. Ouais, ce Maître d'Armes vous tient fort au cœur. Je te veux faire voir ton impertinence tout à l'heure. Tiens ; Raison démonstrative, La ligne du corps. Quand on pousse en quarte, on n'a qu'à faire cela ; et quand on pousse en tierce, on n'a qu'à faire cela. Voilà le moyen de n'être jamais tué ; et cela n'est-il pas beau, d'être assuré de son fait, quand on se bat contre quelqu'un ? Là, pousse-moi un peu pour voir. Tout beau. Holà, oh, doucement. Diantre soit la Coquine. Oui ; mais tu me pousses en tierce, avant que de pousser en quarte, et tu n'as pas la patience que je pare. Lorsque je hante la Noblesse, je fais paraître mon jugement ; et cela est plus beau que de hanter votre Bourgeoisie. Paix. Songez à ce que vous dites. Savez-vous bien, ma femme, que vous ne savez pas de qui vous parlez, quand vous parlez de lui ? C'est une Personne d'importance plus que vous ne pensez ; Un seigneur que l'on considère à la Cour, et qui parle au Roi tout comme je vous parle. N'est-ce pas une chose qui m'est tout à fait honorable, que l'on voie venir chez moi si souvent une Personne de cette qualité, qui m'appelle son cher Ami, et me traite comme si j'étais son égal ? Il a pour moi des bontés qu'on ne devinerait jamais ; et devant tout le monde, il me fait des caresses dont je suis moi-même confus. Hé bien ! ne m'est-ce pas de l'honneur, de prêter de l'argent à un Homme de cette condition-là ? et puis-je faire moins pour un Seigneur qui m'appelle son cher Ami ? Des choses dont on serait étonné, si on les savait. Baste, je ne puis pas m'expliquer. Il suffit que si je lui ai prêté de l'argent, il me le rendra bien, et avant qu'il soit peu. Assurément. Ne me l'a-t-il pas dit ? Il m'a juré sa foi de Gentilhomme. Ouais, vous êtes bien obstinée, ma Femme ; je vous dis qu'il me tiendra parole, j'en suis sûr. Taisez-vous. Le voici. Taisez-vous, vous dis-je. Fort bien, Monsieur, pour vous rendre mes petits services. Vous voyez. Hay, hay. Vous me faites beaucoup d'honneur, Monsieur. Dans la chambre du Roi ! Monsieur, je sais le respect que je vous dois. Monsieur… Monsieur, je suis votre Serviteur. J'aime mieux être incivil, qu'importun. Monsieur, vous vous moquez. Je n'en doute point, Monsieur. Hé bien, vous voyez votre impertinence, ma Femme. Je vous le disais bien. Vous voilà, avec vos soupçons ridicules. Je crois que oui. J'en ai fait un petit Mémoire. Le voici. Donné à vous une fois deux cents louis. Une autre fois, six-vingts. Et une autre fois, cent quarante. Ces trois articles font quatre cent soixante Louis, qui valent cinq mille soixante livres. Mille huit cent trente-deux livres à votre plumassier. Deux mille sept cent quatre-vingts livres à votre Tailleur. Quatre mille trois cent septante-neuf livres douze sols huit deniers à votre marchand. Et mille sept cent quarante-huit livres sept sols quatre deniers à votre Sellier. Somme totale, quinze mille huit cents livres. Paix. Eh non. Taisez-vous. Non, Monsieur. Taisez-vous, vous dis-je. Point, Monsieur. Taisez-vous donc. Vous tairez-vous ? C'est trop d'honneur, Monsieur, que vous me faites. Je vais quérir votre affaire. Que faire ? voulez-vous que je refuse un Homme de cette condition-là, qui a parlé de moi ce matin dans la Chambre du Roi ? Voilà deux cents Louis bien comptés. Je vous suis trop obligé. Tirons-nous un peu plus loin, pour cause. Comment l'a-t-elle trouvé ? Plût au Ciel ! Ce sont, Monsieur, des bontés qui m'accablent ; et je suis dans une confusion la plus grande du monde, de voir une Personne de votre Qualité s'abaisser pour moi à ce que vous faites. Ho assurément, et de très grand cœur. Il est vrai, ce sont des bontés qui me confondent. Il n'y a point de dépenses que je ne fisse, si par là je pouvais trouver le chemin de son cœur. Une Femme de Qualité a pour moi des charmes ravissants, et c'est un honneur que j'achèterais au prix de toute chose. Pour être en pleine liberté, j'ai fait en sorte que ma Femme ira dîner chez ma Sœur, où elle passera toute l'après-dînée. Ouais, vous êtes bien impertinente. Sortons, s'il vous plaît. Avant que de vous rendre réponse, Monsieur, je vous prie de me dire, si vous êtes Gentilhomme. Touchez là, Monsieur. Ma Fille n'est pas pour vous. Vous n'êtes point Gentilhomme, vous n'aurez pas ma Fille. Taisez-vous, ma Femme, je vous vois venir. Voilà pas le coup de langue. Peste soit de la Femme. Elle n'y a jamais manqué. Si votre Père a été Marchand, tant pis pour lui ; mais pour le mien, ce sont des malavisés qui disent cela. Tout ce que j'ai à vous dire, moi, c'est que je veux avoir un Gendre Gentilhomme. Taisez-vous, impertinente. Vous vous fourrez toujours dans la conversation ; j'ai du bien assez pour ma Fille, je n'ai besoin que d'honneur, et je la veux faire Marquise. Oui, Marquise. C'est une chose que j'ai résolue. Voilà bien les sentiments d'un petit Esprit, de vouloir demeurer toujours dans la bassesse. Ne me répliquez pas davantage, ma Fille sera Marquise en dépit de tout le monde ; et si vous me mettez en colère, je la ferai Duchesse. Que Diable est-ce là ! Ils n'ont rien que les grands Seigneurs à me reprocher ; et moi, je ne vois rien de si beau, que de hanter les grands Seigneurs ; il n'y a qu'honneur et que civilité avec eux, et je voudrais qu'il m'eût coûté deux doigts de la main, et être né Comte ou Marquis. Hé mon Dieu, j'ai quelques ordres à donner. Dis-leur que je vais venir ici tout à l'heure. Un peu plus loin, Madame. Un pas, s'il vous plaît. Reculez un peu, pour la troisième. Madame, ce m'est une gloire bien grande, de me voir assez fortuné, pour être si heureux, que d'avoir le bonheur, que vous ayez eu la bonté de m'accorder la grâce, de me faire l'honneur, de m'honorer de la faveur de votre présence : Et si j'avais aussi le mérite, pour mériter un mérite comme le vôtre, et que le Ciel… envieux de mon bien… m'eût accordé… l'avantage de me voir digne… des… C'est trop d'honneur que vous me faites. Je n'ai rien fait encore, Madame, pour mériter cette grâce. Ne pourrais-je pas seulement lui demander comment elle le trouve ? Que je vous suis obligé, Monsieur, de lui parler ainsi pour moi ! Je ne sais quelles grâces vous en rendre. Madame, c'est vous qui faites les grâces, et… Vous vous moquez, Madame, et je voudrais qu'il fût plus digne de vous être offert. Ah que voilà de belles mains ! Moi, Madame ! Dieu me garde d'en vouloir parler ; ce ne serait pas agir en galant Homme, et le Diamant est fort peu de chose. Vous avez trop de bonté… Madame, ce n'est pas… Je vois encore ici, Madame, quelque chose de plus beau. Je voudrais bien qu'elle me prît pour ce que je dirais. Elle me connaîtra quand il lui plaira. Si je pouvais ravir votre cœur, je serais… Oui, impertinente, c'est Monsieur le Comte qui donne tout ceci à Madame, qui est une Personne de Qualité. Il me fait l'honneur de prendre ma maison, et de vouloir que je sois avec lui. Madame. Monsieur le Comte, faites-lui excuses, et tâchez de la ramener. Ah, impertinente que vous êtes, voilà de vos beaux faits ; vous me venez faire des affronts devant tout le monde, et vous chassez de chez moi des Personnes de Qualité. Je ne sais qui me tient, maudite, que je ne vous fende la tête avec les pièces du Repas que vous êtes venue troubler. Vous faites bien d'éviter ma colère. Elle est arrivée là bien malheureusement. J'étais en humeur de dire de jolies choses, et jamais je ne m'étais senti tant d'esprit. Qu'est-ce que c'est que cela ? Non, Monsieur. Moi ! Pour me baiser ! De feu Monsieur mon Père ! Comment dites-vous ? Mon Père ! Vous l'avez fort connu ? Et vous l'avez connu pour Gentilhomme ? Je ne sais donc pas comment le Monde est fait. Il y a de sottes Gens qui me veulent dire qu'il a été Marchand. Je suis ravi de vous connaître, afin que vous rendiez ce témoignage-là que mon Père était Gentilhomme. Vous m'obligerez. Quel sujet vous amène ? Par tout le Monde ! Je pense qu'il y a bien loin en ce Pays-là. Quelle ? Moi ? Non. Par ma foi, je ne savais pas cela. Le Fils du Grand Turc ? Mon Gendre, le Fils du Grand Turc ! Le Fils du Grand Turc dit cela de moi ? Marababa sahem veut dire Ah que je suis amoureux d'elle ? Par ma foi, vous faites bien de me le dire, car pour moi je n'aurais jamais cru que Marababa sahem eût voulu dire, Ah que je suis amoureux d'elle ! Voilà une langue admirable, que ce Turc ! Cacaracamouchen ? Non. Cacaracamouchen veut dire, Ma chère âme ? Voilà qui est merveilleux ! Cacaracamouchen, Ma chère âme. Dirait-on jamais cela ? Voilà qui me confond. Mamamouchi ? Le Fils du Grand Turc m'honore beaucoup, et je vous prie de me mener chez lui, pour lui en faire mes remerciements. Il va venir ici ? Voilà qui est bien prompt. Tout ce qui m'embarrasse ici, c'est que ma Fille est une opiniâtre, qui s'est allée mettre dans la tête un certain Cléonte, et elle jure de n'épouser personne que celui-là. Je suis très humble serviteur de Son Altesse Turque. Son Altesse Turque m'honore trop, et je lui souhaite toutes sortes de prospérités. Tant de choses en deux mots ? Voyez l'impertinente, de parler de la sorte à un Mamamouchi ! Oui, il me faut porter du respect maintenant, et l'on vient de me faire Mamamouchi. Mamamouchi, vous dis-je. Je suis Mamamouchi. Mamamouchi, c'est-à-dire en notre Langue, Paladin. Quelle ignorante ! Je dis Paladin ; c'est une Dignité dont on vient de me faire la cérémonie. Mahameta per Jordina. Jordina, c'est-à-dire Jourdain. Voler far un Paladina de Iordina. Dar turbanta con galera. Per deffender Palestina. Dara dara bastonara. Non tener honta questa star l'ultima affronta. Hou la ba ba la chou ba la ba ba la da. Paix, insolente, portez respect à Monsieur le Mamamouchi. Monsieur, je vous souhaite la force des Serpents, et la prudence des Lions. Madame, je vous souhaite toute l'année votre Rosier fleuri ; je vous suis infiniment obligé de prendre part aux honneurs qui m'arrivent, et j'ai beaucoup de joie de vous voir revenue ici pour vous faire les très humbles excuses de l'extravagance de ma Femme. La possession de mon cœur est une chose qui vous est toute acquise. Le voilà qui vient, et j'ai envoyé quérir ma Fille pour lui donner la main. Où est le Truchement, pour lui dire qui vous êtes, et lui faire entendre ce que vous dites. Vous verrez qu'il vous répondra, et il parle Turc à merveille. Holà, où diantre est-il allé ?. Strouf, strif, strof, straf. Monsieur est un grande Segnore, grande Segnore, grande Segnore ; et Madame une granda Dama, granda Dama. Ahi lui, Monsieur, lui Mamamouchi Français, et Madame Mamamouchie française. Je ne puis pas parler plus clairement. Bon, voici l'Interprète. Où allez-vous donc ? Nous ne saurions rien dire sans vous. Dites-lui un peu que Monsieur et Madame sont des Personnes de grande Qualité, qui lui viennent faire la révérence, comme mes amis, et l'assurer de leurs services. Vous allez voir comme il va répondre. Voyez-vous ? Je vous l'avais bien dit, qu'il parle Turc. Venez, ma Fille, approchez-vous, et venez donner votre main à Monsieur, qui vous fait l'honneur de vous demander en mariage. Non, non, ce n'est pas une Comédie, c'est une affaire fort sérieuse, et la plus pleine d'honneur pour vous qui se peut souhaiter. Voilà le Mari que je vous donne. Oui à vous, allons, touchez-lui dans la main, et rendez grâce au Ciel de votre bonheur. Je le veux moi, qui suis votre Père. Ah que de bruit. Allons, vous dis-je. Çà votre main. Ah je suis ravi de vous voir si promptement revenue dans votre devoir ; et voilà qui me plaît, d'avoir une Fille obéissante. Voulez-vous vous taire, impertinente ? Vous venez toujours mêler vos extravagances à toutes choses, et il n'y a pas moyen de vous apprendre à être raisonnable. Je veux marier notre Fille avec le Fils du Grand Turc. Oui, faites-lui faire vos compliments par le Truchement que voilà. Voulez-vous vous taire, encore une fois ? Voilà bien du caquet. Je vous dis que ce Mariage-là se fera. Ah que de bruit. Quoi, vous la querellez, de ce qu'elle m'obéit ? Écoutez-le. Il vous dira… Voilà une grande obstination de Femme ! Cela vous fera-t-il mal, de l'entendre ? Ah voilà tout le monde raisonnable. Vous ne vouliez pas l'écouter. Je savais bien qu'il vous expliquerait ce que c'est que le Fils du Grand Turc. C'est pour lui faire accroire. Bon, bon. Qu'on aille vite quérir le Notaire. C'est fort bien avisé, allons prendre nos places. Je la donne au Truchement ; et ma Femme, à qui la voudra. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_madame-jourdain *date_1670 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madamejourdain Ah, ah, voici une nouvelle histoire. Qu'est-ce que c'est donc, mon Mari, que cet équipage-là ? Vous moquez-vous du Monde, de vous être fait enharnacher de la sorte ? et avez-vous envie qu'on se raille partout de vous ? Vraiment on n'a pas attendu jusqu'à cette heure, et il y a longtemps que vos façons de faire donnent à rire à tout le Monde. Tout ce monde-là est un Monde qui a raison, et qui est plus sage que vous. Pour moi, je suis scandalisée de la vie que vous menez. Je ne sais plus ce que c'est que notre Maison. On dirait qu'il est céans Carême-prenant tous les jours ; Et dès le matin, de peur d'y manquer, on y entend des vacarmes de Violons et de Chanteurs, dont tout le voisinage se trouve incommodé. Nicole a raison, et son sens est meilleur que le vôtre. Je voudrais bien savoir ce que vous pensez faire d'un Maître à Danser à l'âge que vous avez. Est-ce que vous voulez apprendre à danser, pour quand vous n'aurez plus de jambes ? Vous devriez bien plutôt songer à marier votre Fille, qui est en âge d'être pourvue. N'irez-vous point l'un de ces jours au Collège vous faire donner le fouet, à votre âge ? Tout cela est fort nécessaire pour conduire votre Maison. Oui, je sais que ce que je dis est fort bien dit, et que vous devriez songer à vivre d'autre sorte. Ce sont des paroles bien sensées, et votre conduite ne l'est guère. Des Chansons. Hé bien ? Cela s'appelle comme on veut l'appeler. De la Prose ? Voilà qui est admirable. Qu'est-ce que c'est donc que tout ce galimatias-là ? Allez, Vous devriez envoyer promener tous ces Gens-là, avec leurs fariboles. Vous êtes fou, mon Mari, avec toutes vos fantaisies, et cela vous est venu depuis que vous vous mêlez de hanter la Noblesse. Çamon vraiment. Il y a fort à gagner à fréquenter vos Nobles, et vous avez bien opéré avec ce beau Monsieur le Comte dont vous vous êtes embéguiné. Oui, il a des bontés pour vous, et vous fait des caresses, mais il vous emprunte votre argent. Et ce Seigneur, que fait-il pour vous ? Et quoi ? Oui. Attendez-vous à cela. Oui, oui, il ne manquera pas d'y faillir. Chansons. Et moi, je suis sûre que non, et que toutes les caresses qu'il vous fait ne sont que pour vous enjôler. Il ne nous faut plus que cela. Il vient peut-être encore vous faire quelque emprunt ; et il me semble que j'ai dîné quand je le vois. Madame Jourdain se porte comme elle peut. Il le gratte par où il se démange. Oui, aussi sot par derrière que par devant. Oui, nous ne le savons que trop. Hé bien, ne l'avais-je pas bien deviné ? Cet homme-là fait de vous une Vache à lait. Il ne sera pas content, qu'il ne vous ait ruiné. C'est un vrai enjôleux. Il vous sucera jusqu'au dernier sou. Quoi, vous allez encore lui donner cela ? Allez, vous êtes une vraie dupe. J'ai la tête plus grosse que le poing, et si elle n'est pas enflée. Mademoiselle ma Fille est bien où elle est. Elle se porte sur ses deux jambes. Oui vraiment, nous avons fort envie de rire, fort envie de rire nous avons. Trédame, Monsieur, est-ce que Madame Jourdain est décrépite, et la tête lui grouille-t-elle déjà ? Madame Jourdain vous baise les mains. Quand il est une fois avec lui, il ne peut le quitter. Que sa présence me pèse sur les épaules ! Est-ce qu'il ne s'en ira point ? Que peuvent-ils tant dire ensemble ? Va-t'en un peu tout doucement prêter l'oreille. Ce n'est pas d'aujourd'hui, Nicole, que j'ai conçu des soupçons de mon Mari. Je suis la plus trompée du monde, ou il y a quelque amour en campagne, et je travaille à découvrir ce que ce peut être. Mais songeons à ma Fille. Tu sais l'amour que Cléonte a pour elle. C'est un homme qui me revient, et je veux aider sa recherche, et lui donner Lucile, si je puis. Va-t'en lui parler de ma part, et lui dire que tout à l'heure il me vienne trouver, pour faire ensemble à mon Mari la demande de ma Fille. Je suis bien aise de vous voir, Cléonte, et vous voilà tout à propos. Mon Mari vient, prenez vite votre temps pour lui demander Lucile en mariage. Que voulez-vous donc dire avec votre Gentilhomme ? Est-ce que nous sommes, nous autres, de la Côte de saint Louis ? Descendons-nous tous deux que de bonne Bourgeoisie ? Et votre Père n'était-il pas Marchand aussi bien que le mien ? Il faut à votre Fille un Mari qui lui soit propre, et il vaut mieux pour elle un honnête Homme riche et bien fait, qu'un Gentilhomme gueux et mal bâti. Marquise ! Hélas, Dieu m'en garde. C'est une chose, moi, où je ne consentirai point. Les alliances avec plus grand que soi, sont sujettes toujours à de fâcheux inconvénients. Je ne veux point qu'un Gendre puisse à ma Fille reprocher ses parents, et qu'elle ait des Enfants qui aient honte de m'appeler leur Grand-Maman. S'il fallait qu'elle me vînt visiter en équipage de Grand-Dame, et qu'elle manquât par mégarde à saluer quelqu'un du quartier, on ne manquerait pas aussitôt de dire cent sottises. Voyez-vous, dirait-on, cette Madame la Marquise qui fait tant la glorieuse ? C'est la Fille de Monsieur Jourdain, qui était trop heureuse, étant petite, de jouer à la Madame avec nous : Elle n'a pas toujours été si relevée que la voilà ; et ses deux Grands-Pères vendaient du drap auprès de la Porte Saint-Innocent. Ils ont amassé du bien à leurs Enfants, qu'ils payent maintenant, peut-être, bien cher en l'autre Monde, et l'on ne devient guère si riches à être honnêtes Gens. Je ne veux point tous ces caquets, et je veux un Homme en un mot qui m'ait obligation de ma Fille, et à qui je puisse dire : Mettez-vous là, mon gendre, et dînez avec moi. Cléonte, ne perdez point courage encore. Suivez-moi, ma Fille, et venez dire résolument à votre Père, que si vous ne l'avez, vous ne voulez épouser personne. Ah, ah, je trouve ici bonne compagnie, et je vois bien qu'on ne m'y attendait pas. C'est donc pour cette belle affaire-ci, Monsieur mon Mari, que vous avez eu tant d'empressement à m'envoyer dîner chez ma Sœur ? Je viens de voir un Théâtre là-bas, et je vois ici un Banquet à faire Noces. Voilà comme vous dépensez votre bien, et c'est ainsi que vous festinez les Dames en mon absence, et que vous leur donnez la Musique et la Comédie, tandis que vous m'envoyez promener ? Ce sont des Chansons que cela ; je sais ce que je sais. Je n'ai que faire de Lunettes, Monsieur, et je vois assez clair ; il y a longtemps que je sens les choses, et je ne suis pas une Bête. Cela est fort vilain à vous, pour un grand Seigneur, de prêter la main comme vous faites aux sottises de mon Mari. Et vous, Madame, pour une grande Dame, cela n'est ni beau, ni honnête à vous, de mettre de la dissension dans un Ménage, et de souffrir que mon Mari soit amoureux de vous. Je me moque de leur Qualité. Je me moque de cela. Ce sont mes droits que je défends, et j'aurai pour moi toutes les Femmes. Ah mon Dieu, miséricorde ! Qu'est-ce que c'est donc que cela ? Quelle figure ! Est-ce un Momon que vous allez porter ; et est-il temps d'aller en Masque ? Parlez donc, qu'est-ce que c'est que ceci ? Qui vous a fagoté comme cela ? Comment donc ? Que voulez-vous dire avec votre Mamamouchi ? Quelle Bête est-ce là ? Baladin ! Êtes-vous en âge de danser des Ballets ? Quelle cérémonie donc ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Hé bien quoi, Jourdain ? Comment ? Qu'est-ce à dire cela ? Que voulez-vous donc dire ? Qu'est-ce donc que ce jargon-là ? Qu'est-ce que c'est donc que tout cela ? Hélas, mon Dieu, mon mari est devenu fou. Où est-ce qu'il a donc perdu l'esprit ? Courons l'empêcher de sortir. Ah, ah, voici justement le reste de notre écu. Je ne vois que chagrin de tous les côtés. Comment donc, qu'est-ce que c'est que ceci ? On dit que vous voulez donner votre Fille en mariage à un Carême-prenant ? C'est vous qu'il n'y a pas moyen de rendre sage, et vous allez de folie en folie. Quel est votre dessein, et que voulez-vous faire avec cet assemblage ? Avec le Fils du Grand Turc ! Je n'ai que faire du Truchement, et je lui dirai bien moi-même à son nez, qu'il n'aura point ma Fille. Mon Dieu, Monsieur, mêlez-vous de vos affaires. Madame, je vous prie aussi de ne vous point embarrasser de ce qui ne vous touche pas. Je me passerai bien de votre amitié. Ma Fille consent à épouser un Turc ? Elle peut oublier Cléonte ? Je l'étranglerais de mes mains, si elle avait fait un coup comme celui-là. Je vous dis, moi, qu'il ne se fera point. Allez, vous êtes une Coquine. Oui, elle est à moi, aussi bien qu'à vous. Que me voulez-vous conter, vous ? Je n'ai que faire de votre mot. Je n'y consentirai point. Non. Non, je ne veux pas écouter. Je ne veux point qu'il me dise rien. Hé bien, quoi ? Ah, ah. Ah comme cela, je me rends. Oui, voilà qui est fait, je consens au Mariage. Il me l'a expliqué comme il faut, et j'en suis satisfaite. Envoyons quérir un Notaire. Je consens aussi à cela. Et Nicole ? **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_lucile *date_1670 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_lucile Ce ne peut être, Nicole, que ce que je te dis. Mais le voilà. Qu'est-ce donc, Cléonte ? qu'avez-vous ? Quel chagrin vous possède ? Êtes-vous muet, Cléonte ? Je vois bien que la rencontre de tantôt a troublé votre esprit. N'est-il pas vrai, Cléonte, que c'est là le sujet de votre dépit ? Voilà bien du bruit pour un rien. Je veux vous dire, Cléonte, le sujet qui m'a fait ce matin éviter votre abord. Sachez que ce matin… Écoutez. Cléonte. Arrêtez. Un moment. Deux paroles. Hé bien, puisque vous ne voulez pas m'écouter, demeurez dans votre pensée, et faites ce qu'il vous plaira. Il ne me plaît plus de le dire. Non, je ne veux rien dire. Non, vous dis-je. Laissez-moi. Non. Je ne veux pas. Non, je n'en ferai rien. Cléonte. Où allez-vous ? Vous allez mourir, Cléonte ? Moi, je veux que vous mouriez ? Qui vous le dit ? Est-ce ma faute ? Et si vous aviez voulu m'écouter, ne vous aurais-je pas dit que l'aventure dont vous vous plaignez, a été causée ce matin par la présence d'une vieille Tante, qui veut à toute force, que la seule approche d'un Homme déshonore une Fille ; Qui perpétuellement nous sermonne sur ce chapitre, et nous figure tous les Hommes comme des Diables qu'il faut fuir. Il n'est rien de plus vrai. Comment, mon Père, comme vous voilà fait ! Est-ce une Comédie que vous jouez ? À moi, mon Père ! Je ne veux point me marier. Je n'en ferai rien. Non, mon Père, je vous l'ai dit, il n'est point de pouvoir qui me puisse obliger à prendre un autre Mari que Cléonte ; et je me résoudrai plutôt à toutes les extrémités, que de… . Il est vrai que vous êtes mon Père, je vous dois entière obéissance ; et c'est à vous à disposer de moi selon vos volontés. Ma Mère. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_nicole *date_1670 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_nicole Plaît-il. Hi, hi, hi, hi, hi. Hi, hi, hi, hi, hi, hi. Hi, hi, hi. Comme vous voilà bâti ! Hi, hi, hi. Ah, ah, mon Dieu. Hi, hi, hi, hi, hi. Nenni Monsieur, j'en serais bien fâchée. Hi, hi, hi, hi, hi, hi. Monsieur, je ne puis pas m'en empêcher. Hi, hi, hi, hi, hi, hi. Monsieur, je vous demande pardon ; mais vous êtes si plaisant, que je ne saurais me tenir de rire. Hi, hi, hi. Vous êtes tout à fait drôle comme cela. Hi, hi. Je vous prie de m'excuser. Hi, hi, hi, hi. Hé bien, Monsieur, voilà qui est fait, je ne rirai plus. Hi, hi. Hi, hi. Hi, hi. Tenez, Monsieur, battez-moi plutôt, et me laissez rire tout mon soûl, cela me fera plus de bien. Hi, hi, hi, hi, hi. De grâce, Monsieur, je vous prie de me laisser rire. Hi, hi, hi. Monsieur, eur, je crèverai, aie, si je ne ris. Hi, hi, hi. Que voulez-vous que je fasse, Monsieur ? Ah, par ma foi, je n'ai plus envie de rire ; et toutes vos Compagnies font tant de désordre céans, que ce mot est assez pour me mettre en mauvaise humeur. Vous devriez au moins la fermer à certaines Gens. Madame parle bien. Je ne saurais plus voir mon ménage propre, avec cet attirail de Gens que vous faites venir chez vous. Ils ont des pieds qui vont chercher de la boue dans tous les Quartiers de la ville, pour l'apporter ici ; et la pauvre Françoise est presque sur les dents, à frotter les planchers que vos biaux Maîtres viennent crotter régulièrement tous les jours. Et d'un grand Maître Tireur d'Armes, qui vient, avec ses battements de pied, ébranler toute la Maison, et nous déraciner tous les carriaux de notre Salle ? Est-ce que vous avez envie de tuer quelqu'un ? J'ai encore ouï dire, Madame, qu'il a pris aujourd'hui, pour renfort de potage, un Maître de Philosophie. Oui, ma foi, cela vous rendrait la jambe bien mieux faite. Comment ? Quoi ? Hé bien, U. Je dis, U. Je fais ce que vous me dites. Oui, cela est biau. De quoi est-ce que tout cela guérit ? Et surtout ce grand escogriffe de Maître d'armes, qui remplit de poudre tout mon ménage. Hé bien, quoi ? Vous me dites de pousser. Ils se trouvent bien ensemble. Ma foi, Madame, la curiosité m'a coûté quelque chose ; mais je crois qu'il y a quelque anguille sous roche, et ils parlent de quelque affaire, où ils ne veulent pas que vous soyez. En vérité, Madame, je suis la plus ravie du monde, de vous voir dans ces sentiments ; car, si le Maître vous revient, le Valet ne me revient pas moins, et je souhaiterais que notre mariage se pût faire à l'ombre du leur. J'y cours, Madame, avec joie, et je ne pouvais recevoir une commission plus agréable. Je vais, je pense, bien réjouir les Gens. Ah vous voilà tout à propos. Je suis une Ambassadrice de joie, et je viens… Est-ce ainsi que vous recevez… Quel vertigo est-ce donc là ? Mon pauvre Covielle, dis-moi un peu ce que cela veut dire ? Quoi ? tu me viens aussi… Ouais ! Quelle mouche les a piqués tous deux ? Allons de cette belle histoire informer ma Maîtresse. Pour moi, j'en ai été toute scandalisée. Qu'as-tu donc, Covielle ? Quelle mauvaise humeur te tient ? As-tu perdu la parole, Covielle ? Notre accueil de ce matin t'a fait prendre la chèvre. Je te veux apprendre la cause qui nous a fait passer si vite. Apprends que… Laisse-moi dire. Covielle. Entends-moi. Un peu de patience. Un mot. Puisque tu fais comme cela, prends-le tout comme tu voudras. Je ne veux plus, moi, te l'apprendre. Non, je ne conte rien. Point d'affaire. Ôte-toi de là. Point. Point du tout. Non, il ne me plaît pas. Covielle. Voilà le secret de l'affaire. C'est la chose comme elle est. Cela est vrai. Nous avons le Fils du Gentilhomme de notre Village, qui est le plus grand Malitorne et le plus sot Dadais que j'aie jamais vu. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_cleonte *date_1670 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_cleonte Retire-toi, perfide, et ne me viens point amuser avec tes traîtresses paroles. Retire-toi, te dis-je, et va-t'en dire de ce pas à ton infidèle Maîtresse, qu'elle n'abusera de sa vie le trop simple Cléonte. Quoi, traiter un Amant de la sorte, et un Amant le plus fidèle, et le plus passionné de tous les Amants ? Je fais voir pour une Personne toute l'ardeur, et toute la tendresse qu'on peut imaginer ; Je n'aime rien au Monde qu'elle, et je n'ai qu'elle dans l'esprit ; elle fait tous mes soins, tous mes désirs, toute ma joie ; je ne parle que d'elle, je ne pense qu'à elle, je ne fais des songes que d'elle, je ne respire que par elle, mon cœur vit tout en elle : et voilà de tant d'amitié la digne récompense ! Je suis deux jours sans la voir, qui sont pour moi deux siècles effroyables ; je la rencontre par hasard ; mon cœur à cette vue se sent tout transporté, ma joie éclate sur mon visage ; je vole avec ravissement vers elle ; et l'infidèle détourne de moi ses regards, et passe brusquement comme si de sa vie elle ne m'avait vu ! Peut-on rien voir d'égal, Covielle, à cette perfidie de l'ingrate Lucile ? Après tant de sacrifices ardents, de soupirs, et de vœux que j'ai faits à ses charmes ! Tant de larmes que j'ai versées à ses genoux ! Tant d'ardeur que j'ai fait paraître à la chérir plus que moi-même ! Elle me fuit avec mépris ! C'est une perfidie digne des plus grands châtiments. Ne t'avise point, je te prie, de me parler jamais pour elle. Ne viens point m'excuser l'action de cette infidèle. Non, vois-tu, tous tes discours pour la défendre, ne serviront de rien. Je veux contre elle conserver mon ressentiment, et rompre ensemble tout commerce. Ce Monsieur le Comte qui va chez elle, lui donne peut-être dans la vue ; et son esprit, je le vois bien, se laisse éblouir à la qualité. Mais il me faut, pour mon honneur, prévenir l'éclat de son inconstance. Je veux faire autant de pas qu'elle au changement où je la vois courir, et ne lui laisser pas toute la gloire de me quitter. Donne la main à mon dépit, et soutiens ma résolution contre tous les restes d'amour qui me pourraient parler pour elle. Dis-m'en, je t'en conjure, tout le mal que tu pourras. Fais-moi de sa Personne une peinture qui me la rende méprisable ; et marque-moi bien, pour m'en dégoûter, tous les défauts que tu peux voir en elle. Cela est vrai, elle a les yeux petits ; mais elle les a pleins de feux, les plus brillants, les plus perçants du monde, les plus touchants qu'on puisse voir. Oui ; mais on y voit des grâces qu'on ne voit point aux autres bouches ; et cette bouche, en la voyant, inspire des désirs, est la plus attrayante, la plus amoureuse du monde. Non ; mais elle est aisée, et bien prise. Il est vrai ; mais elle a grâce à tout cela, et ses manières sont engageantes, ont je ne sais quel charme à s'insinuer dans les cœurs. Ah ! elle en a, Covielle, du plus fin, du plus délicat. Sa conversation est charmante. Veux-tu de ces enjouements épanouis, de ces joies toujours ouvertes ? et vois-turien de plus impertinent, que des Femmes qui rient à tout propos ? Oui, elle est capricieuse, j'en demeure d'accord ; mais tout sied bien aux Belles, on souffre tout des Belles. Moi, j'aimerais mieux mourir ; et je vais la haïr autant que je l'ai aimée. C'est en quoi ma vengeance sera plus éclatante ; en quoi je veux faire mieux voir la force de mon cœur, à la haïr, à la quitter, toute belle, toute pleine d'attraits, toute aimable que je la trouve. La voici. Je ne veux pas seulement lui parler. Que voilà qui est scélérat ! Ah, ah, on voit ce qu'on a fait. Oui, perfide, ce l'est, puisqu'il faut parler ; et j'ai à vous dire que vous ne triompherez pas comme vous pensez de votre infidélité, que je veux être le premier à rompre avec vous, et que vous n'aurez pas l'avantage de me chasser. J'aurai de la peine, sans doute, à vaincre l'amour que j'ai pour vous ; cela me causera des chagrins : Je souffrirai un temps ; mais j'en viendrai à bout, et je me percerai plutôt le cœur, que d'avoir la faiblesse de retourner à vous. Non, je ne veux rien écouter. Non, vous dis-je. Point d'affaire. Non. Chansons. Point du tout. Non, c'en est fait. Sachons donc le sujet d'un si bel accueil. Dites-moi… De grâce. Je vous en prie. Lucile. Au nom des Dieux ! Éclaircissez mes doutes. Hé bien, puisque vous vous souciez si peu de me tirer de peine, et de vous justifier du traitement indigne que vous avez fait à ma flamme, vous me voyez, ingrate, pour la dernière fois, et je vais loin de vous mourir de douleur et d'amour. Eh ? Où je vous ai dit. Oui, cruelle, puisque vous le voulez. Oui, vous le voulez. N'est-ce pas le vouloir, que de ne vouloir pas éclaircir mes soupçons ? Ne me trompez-vous point, Lucile ? Ah, Lucile, qu'avec un mot de votre bouche vous savez apaiser de choses dans mon cœur ! et que facilement on se laisse persuader aux Personnes qu'on aime ! Ah, Madame, que cette parole m'est douce, et qu'elle flatte mes désirs ! Pouvais-je recevoir un ordre plus charmant ? une faveur plus précieuse ? Monsieur, je n'ai voulu prendre personne pour vous faire une demande que je médite il y a longtemps. Elle me touche assez pour m'en charger moi-même ; et sans autre détour, je vous dirai que l'honneur d'être votre Gendre est une faveur glorieuse que je vous prie de m'accorder. Monsieur, la plupart des Gens sur cette question, n'hésitent pas beaucoup. On tranche le mot aisément. Ce nom ne fait aucun scrupule à prendre, et l'usage aujourd'hui semble en autoriser le vol. Pour moi, je vous l'avoue, j'ai les sentiments sur cette matière un peu plus délicats. Je trouve que toute imposture est indigne d'un honnête Homme, et qu'il y a de la lâcheté à déguiser ce que le Ciel nous a fait naître ; à se parer aux yeux du monde d'un Titre dérobé, à se vouloir donner pour ce qu'on n'est pas. Je suis né de Parents, sans doute, qui ont tenu des Charges honorables. Je me suis acquis dans les Armes l'honneur de six ans de services, et je me trouve assez de bien pour tenir dans le Monde un rang assez passable : mais avec tout cela je ne veux point me donner un nom où d'autres en ma place croiraient pouvoir prétendre ; et je vous dirai franchement que je ne suis point Gentilhomme. Comment ? Que veux-tu ? J'ai un scrupule là-dessus, que l'exemple ne saurait vaincre. Tu as raison ; mais je ne croyais pas qu'il fallût faire ses preuves de Noblesse, pour être Gendre de Monsieur Jourdain. De quoi ris-tu ? Comment ? Quoi donc ? Mais apprends-moi… Ambousahim oqui boraf, Iordina salamalequi. Oustin yoc catamalequi basum base alla moran. Bel-men. Catalequi tubal ourin soter amalouchan. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_covielle *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_covielle Ton pauvre Covielle, petite Scélérate ! Allons vite, ôte-toi de mes yeux, vilaine, et me laisse en repos. Ôte-toi de mes yeux, te dis-je, et ne me parle de ta vie. C'est une chose épouvantable, que ce qu'on nous fait à tous deux. Je dis les mêmes choses que vous. Et à celle, Monsieur, de la pendarde de Nicole ? Après tant d'assidus hommages, de soins, et de services que je lui ai rendus dans sa Cuisine ! Tant de seaux d'eau que j'ai tirés au Puits pour elle ! Tant de chaleur que j'ai soufferte à tourner la Broche à sa place ! Elle me tourne le dos avec effronterie ! C'est une trahison à mériter mille soufflets. Moi, Monsieur ! Dieu m'en garde. N'ayez pas peur. Qui songe à cela ? J'y consens. C'est fort bien dit, et j'entre pour mon compte dans tous vos sentiments. Elle, Monsieur ! Voilà une belle Mijaurée, une Pimpesouée bien bâtie, pour vous donner tant d'amour ! Je ne lui vois rien que de très médiocre, et vous trouverez cent Personnes qui seront plus dignes de vous. Premièrement, elle a les yeux petits. Elle a la bouche grande. Pour sa taille, elle n'est pas grande. Elle affecte une nonchalance dans son parler, et dans ses actions. Pour de l'Esprit… Sa conversation… Elle est toujours sérieuse. Mais enfin elle est capricieuse autant que Personne du monde. Puisque cela va comme cela, je vois bien que vous avez envie de l'aimer toujours. Le moyen, si vous la trouvez si parfaite. Je veux vous imiter. Que cela est Judas ! On a deviné l'enclouure. Queussi, queumi. Je ne veux rien entendre. Non, traîtresse. Je suis sourd. Point. Bagatelles. Tarare. Plus de commerce. Apprends-nous un peu cette histoire. Conte-moi… Par charité. Je t'en conjure. Nicole. Parle-moi. Guéris-moi l'esprit. Et moi, je vais suivre ses pas. Plaît-il ? Nous allons mourir. Ne m'en donnes-tu point à garder ? Nous rendrons-nous à cela ? Qu'on est aisément amadoué par ces diantres d'animaux-là ! Vous avez fait de belles affaires, avec vos beaux sentiments. Vous moquez-vous, de le prendre sérieusement avec un Homme comme cela ? Ne voyez-vous pas qu'il est fou ? et vous coûtait-il quelque chose de vous accommoder à ses chimères ? Ah, ah, ah. D'une pensée qui me vient pour jouer notre Homme, et vous faire obtenir ce que vous souhaitez. L'idée est tout à fait plaisante. Il s'est fait depuis peu une certaine Mascarade qui vient le mieux du monde ici, et que je prétends faire entrer dans une bourle que je veux faire à notre Ridicule. Tout cela sent un peu sa Comédie ; mais avec lui on peut hasarder toute chose, il n'y faut point chercher tant de façons, et il est Homme à y jouer son rôle à merveille ; à donner aisément dans toutes les fariboles qu'on s'avisera de lui dire. J'ai les Acteurs, j'ai les Habits tout prêts, laissez-moi faire seulement. Je vais vous instruire de tout ; retirons-nous, le voilà qui revient. Monsieur, je ne sais pas si j'ai l'honneur d'être connu de vous. Je vous ai vu que vous n'étiez pas plus grand que cela. Oui, vous étiez le plus bel Enfant du Monde, et toutes les Dames vous prenaient dans leurs bras pour vous baiser. Oui. J'étais grand Ami de feu Monsieur votre Père. Oui. C'était un fort honnête Gentilhomme. Je dis que c'était un fort honnête Gentilhomme. Oui. Assurément. Sans doute. Comment ? Lui Marchand ! C'est pure médisance, il ne l'a jamais été. Tout ce qu'il faisait, c'est qu'il était fort obligeant, fort officieux ; et comme il se connaissait fort bien en étoffes, il en allait choisir de tous les côtés, les faisait apporter chez lui, et en donnait à ses Amis pour de l'argent. Je le soutiendrai devant tout le monde. Depuis avoir connu feu Monsieur votre Père honnête Gentilhomme, comme je vous ai dit, j'ai voyagé par tout le Monde. Oui. Assurément. Je ne suis revenu de tous mes longs Voyages que depuis quatre jours ; et par l'intérêt que je prends à tout ce qui vous touche, je viens vous annoncer la meilleure nouvelle du monde. Vous savez que le Fils du Grand Turc est ici ? Comment ! Il a un train tout à fait magnifique ; tout le Monde le va voir, et il a été reçu en ce Pays comme un Seigneur d'importance. Ce qu'il y a d'avantageux pour vous, c'est qu'il est amoureux de votre Fille. Oui ; et il veut être votre Gendre. Le Fils du Grand Turc votre Gendre. Comme je le fus voir, et que j'entends parfaitement sa langue, il s'entretint avec moi ; et après quelques autres discours, il me dit. Acciam croc soler ouch alla moustaph gidelum amanahem varahini oussere carbulath, c'est-à-dire ; N'as-tu point vu une jeune belle personne, qui est la fille de Monsieur Jourdain, gentilhomme parisien ? Oui. Comme je lui eus répondu que je vous connaissais particulièrement, et que j'avais vu votre Fille : Ah, me dit-il, Marababa sahem ; c'est-à-dire, Ah que je suis amoureux d'elle ! Oui. Plus admirable qu'on ne peut croire. Savez-vous bien ce que veut dire Cacaracamouchen ? C'est-à-dire, Ma chère âme. Oui. Enfin, pour achever mon Ambassade, il vient vous demander votre Fille en mariage ; et pour avoir un Beau-Père qui soit digne de lui, il veut vous faire Mamamouchi, qui est une certaine grande Dignité de son pays. Oui, Mamamouchi : c'est-à-dire en notre langue, Paladin. Paladin, ce sont de ces anciens… Paladin enfin : Il n'y a rien de plus noble que cela dans le Monde ; et vous irez de pair avec les plus grands Seigneurs de la Terre. Comment ? le voilà qui va venir ici. Oui ; et il amène toutes choses pour la cérémonie de votre Dignité. Son amour ne peut souffrir aucun retardement. Elle changera de sentiment, quand elle verra le Fils du Grand Turc ; et puis il se rencontre ici une aventure merveilleuse, c'est que le Fils du Grand Turc ressemble à ce Cléonte, à peu de chose près. Je viens de le voir, on me l'a montré ; et l'amour qu'elle a pour l'un, pourra passer aisément à l'autre, et… Je l'entends venir ; le voilà. C'est-à-dire : Monsieur Jourdain, votre cœur soit toute l'année comme un rosier fleuri. Ce sont façons de parler obligeantes de ces Pays-là. Carigar camboro oustin moraf. Il dit que le Ciel vous donne la force des Lions, et la prudence des Serpents. Ossa binamen sadoc babally oracaf ouram. Il dit que vous alliez vite avec lui vous préparer pour la cérémonie, afin de voir ensuite votre Fille, et de conclure le mariage. Oui, la Langue Turque est comme cela, elle dit beaucoup en peu de paroles. Allez vite où il souhaite. Ha, ha, ha. Ma foi, cela est tout à fait drôle. Quelle dupe ! Quand il aurait appris son rôle par cœur, il ne pourrait pas le mieux jouer. Ah, ah. Je vous prie, Monsieur, de nous vouloir aider céans dans une affaire qui s'y passe. Vous voyez. Ah, ah. D'une chose, Monsieur, qui le mérite bien. Je vous le donnerais en bien des fois, Monsieur, à deviner, le stratagème dont nous nous servons auprès de Monsieur Jourdain, pour porter son esprit à donner sa Fille à mon Maître. Je sais, Monsieur, que la Bête vous est connue. Prenez la peine de vous tirer un peu plus loin, pour faire place à ce que j'aperçois venir. Vous pourrez voir une partie de l'histoire, tandis que je vous conterai le reste. Alabala crociam acci boram alabamen. Il dit que la pluie des prospérités arrose en tout temps le jardin de votre Famille. Madame. Un mot. Monsieur, si elle veut écouter une parole en particulier, je vous promets de la faire consentir à ce que vous voulez. Écoutez-moi seulement. Ne faites que m'écouter, vous ferez après ce qu'il vous plaira. Il y a une heure, Madame, que nous vous faisons signe. Ne voyez-vous pas bien que tout ceci n'est fait que pour nous ajuster aux visions de votre Mari, que nous l'abusons sous ce déguisement, et que c'est Cléonte lui-même qui est le Fils du Grand Turc ? Et moi, Covielle, qui suis le Truchement. Ne faites pas semblant de rien. Monsieur, je vous remercie. Si l'on en peut voir un plus fou, je l'irai dire à Rome. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_dorante *date_1670 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dorante Mon cher Ami, Monsieur Jourdain, comment vous portez-vous ? Et Madame Jourdain que voilà, comment se porte-t-elle ? Comment, Monsieur Jourdain, vous voilà le plus propre du monde ! Vous avez tout à fait bon air avec cet Habit, et nous n'avons point de jeunes Gens à la Cour qui soient mieux faits que vous. Tournez-vous. Cela est tout à fait galant. Ma foi, Monsieur Jourdain, j'avais une impatience étrange de vous voir. Vous êtes l'Homme du monde que j'estime le plus, et je parlais de vous encore ce matin dans la Chambre du Roi. Allons, mettez… Mon Dieu, mettez ; point de cérémonie entre nous, je vous prie. Mettez, vous dis-je, Monsieur Jourdain, vous êtes mon Ami. Je ne me couvrirai point, si vous ne vous couvrez. Je suis votre débiteur, comme vous le savez. Vous m'avez généreusement prêté de l'argent en plusieurs occasions, et vous m'avez obligé de la meilleure grâce du monde, assurément. Mais je sais rendre ce qu'on me prête, et reconnaître les plaisirs qu'on me fait. Je veux sortir d'affaire avec vous, et je viens ici pour faire nos comptes ensemble. Je suis Homme qui aime à m'acquitter le plus tôt que je puis. Voyons un peu ce que je vous dois. Vous souvenez-vous bien de tout l'argent que vous m'avez prêté ? Cela est vrai. Oui. Vous avez raison. Le compte est fort bon. Cinq mille soixante livres. Justement. Il est vrai. Fort bien. Douze sols huit deniers ; le compte est juste. Tout cela est véritable. Qu'est-ce que cela fait ? Somme totale est juste ; quinze mille huit cents livres. Mettez encore deux cents Pistoles que vous m'allez donner, cela fera justement dix-huit mille francs, que je vous payerai au premier jour. Cela vous incommodera-t-il, de me donner ce que je vous dis ? Si cela vous incommode, j'en irai chercher ailleurs. Vous n'avez qu'à me dire si cela vous embarrasse. J'ai force Gens qui m'en prêteraient avec joie : mais comme vous êtes mon meilleur Ami, j'ai cru que je vous ferais tort, si j'en demandais à quelque autre. Vous me semblez toute mélancolique : qu'avez-vous, Madame Jourdain ? Mademoiselle votre Fille, où est-elle, que je ne la vois point ? Comment se porte-t-elle ? Ne voulez-vous point un de ces jours venir voir avec elle, le Ballet et la Comédie que l'on fait chez le Roi ? Je pense, Madame Jourdain, que vous avez eu bien des Amants dans votre jeune âge, belle et d'agréable humeur comme vous étiez. Ah, ma foi, Madame Jourdain, je vous demande pardon. Je ne songeais pas que vous êtes jeune, et je rêve le plus souvent. Je vous prie d'excuser mon impertinence. Je vous assure, Monsieur Jourdain, que je suis tout à vous, et que je brûle de vous rendre un service à la Cour. Si Madame Jourdain veut voir le Divertissement Royal, je lui ferai donner les meilleures places de la Salle. Notre belle marquise, comme je vous ai mandé par mon Billet, viendra tantôt ici pour le Ballet et le Repas ; et je l'ai fait consentir enfin au Cadeau que vous lui voulez donner. Il y a huit jours que je ne vous ai vu, et je ne vous ai point mandé de nouvelles du Diamant que vous me mîtes entre les mains, pour lui en faire présent de votre part ; mais c'est que j'ai eu toutes les peines du monde à vaincre son scrupule, et ce n'est que d'aujourd'hui qu'elle s'est résolue à l'accepter. Merveilleux ; et je me trompe fort, ou la beauté de ce Diamant fera pour vous sur son esprit un effet admirable. Je lui ai fait valoir comme il faut la richesse de ce présent, et la grandeur de votre amour. Vous moquez-vous ? Est-ce qu'entre Amis on s'arrête à ces sortes de scrupules ? et ne feriez-vous pas pour moi la même chose, si l'occasion s'en offrait ? Pour moi, je ne regarde rien, quand il faut servir un Ami ; et lorsque vous me fîtes confidence de l'ardeur que vous aviez prise pour cette Marquise agréable chez qui j'avais commerce, vous vîtes que d'abord je m'offris de moi-même à servir votre amour. Vous avez pris le bon biais pour toucher son cœur. Les Femmes aiment surtout les dépenses qu'on fait pour elles ; et vos fréquentes Sérénades, et vos Bouquets continuels, ce superbe Feu d'artifice qu'elle trouva sur l'eau, le Diamant qu'elle a reçu de votre part, et le Cadeau que vous lui préparez, tout cela lui parle bien mieux en faveur de votre amour, que toutes les paroles que vous auriez pu lui dire vous-même. Ce sera tantôt que vous jouirez à votre aise du plaisir de sa vue, et vos yeux auront tout le temps de se satisfaire. Vous avez fait prudemment, et votre Femme aurait pu nous embarrasser. J'ai donné pour vous l'ordre qu'il faut au Cuisinier, et à toutes les choses qui sont nécessaires pour le Ballet. Il est de mon invention ; et pourvu que l'exécution puisse répondre à l'idée, je suis sûr qu'il sera trouvé… Voilà qui est bien. Quel Lieu voulez-vous donc, Madame, que mon amour choisisse pour vous régaler, puisque pour fuir l'éclat, vous ne voulez ni votre Maison, ni la mienne ? Ma foi, Madame, vous y devriez déjà être. Vous êtes Veuve, et ne dépendez que de vous. Je suis maître de moi, et vous aime plus que ma vie. À quoi tient-il que dès aujourd'hui vous ne fassiez tout mon bonheur ? Vous vous moquez, Madame, de vous y figurer tant de difficultés ; et l'expérience que vous avez faite, ne conclut rien pour tous les autres. Ah, Madame, ce sont des bagatelles, et ce n'est pas par là… Eh, Madame, de grâce, ne faites point tant valoir une chose que mon amour trouve indigne de vous ; et souffrez… Voici le Maître du Logis. Madame, Monsieur Jourdain sait son monde. Monsieur Jourdain, en voilà assez ; Madame n'aime pas les grands compliments, et elle sait que vous êtes Homme d'esprit.C'est un bon Bourgeois assez ridicule, comme vous voyez, dans toutes ses manières. Madame, voilà le meilleur de mes Amis. Galant Homme tout à fait. Prenez bien garde au moins, à ne lui point parler du Diamant que vous lui avez donné. Comment ? gardez-vous-en bien. Cela serait vilain à vous ; et pour agir en galant Homme, il faut que vous fassiez comme si ce n'était pas vous qui lui eussiez fait ce présent. Monsieur Jourdain, Madame, dit qu'il est ravi de vous voir chez lui. J'ai eu une peine effroyable à la faire venir ici. Il dit, Madame, qu'il vous trouve la plus belle Personne du Monde. Songeons à manger. Allons donc nous mettre à table, et qu'on fasse venir les Musiciens. Monsieur Jourdain a raison, Madame, de parler de la sorte, et il m'oblige de vous faire si bien les honneurs de chez lui. Je demeure d'accord avec lui, que le Repas n'est pas digne de vous. Comme c'est moi qui l'ai ordonné, et que je n'ai pas sur cette matière les lumières de nos Amis, vous n'avez pas ici un Repas fort savant, et vous y trouverez des incongruités de bonne chère, et des barbarismes de bon goût. Si Damis s'en était mêlé, tout serait dans les règles ; il y aurait partout de l'élégance et de l'érudition, et il ne manquerait pas de vous exagérer lui-même toutes les pièces du Repas qu'il vous donnerait, et de vous faire tomber d'accord de sa haute capacité dans la science des bons morceaux ; de vous parler d'un Pain de rive, à biseau doré, relevé de croûte partout, croquant tendrement sous la dent ; d'un Vin à sève veloutée, armé d'un vert qui n'est point trop commandant ; d'un Carré de Mouton gourmandé de persil ; d'une Longe de Veau de Rivière, longue comme cela, blanche, délicate, et qui sous les dents est une vraie pâte d'amande ; de Perdrix relevées d'un fumet surprenant ; et pour son Opéra, d'une Soupe à bouillon perlé, soutenue d'un jeune gros Dindon, cantonné de Pigeonneaux, et couronnée d'Oignons blancs, mariés avec la Chicorée. Mais pour moi, je vous avoue mon ignorance ; et comme Monsieur Jourdain a fort bien dit, je voudrais que le Repas fût plus digne de vous être offert. Allons, qu'on donne du Vin à Monsieur Jourdain, et à ces Messieurs qui nous feront la grâce de nous chanter un Air à boire. Monsieur Jourdain, prêtons silence à ces Messieurs ; ce qu'ils nous diront, vaudra mieux que tout ce que nous pourrions dire. Comment, Madame, pour qui prenez-vous Monsieur Jourdain ? Vous ne le connaissez pas. Il est Homme qui a toujours la riposte en main. Mais vous ne voyez pas que Monsieur Jourdain, Madame, mange tous les morceaux que vous touchez. Que voulez-vous dire, Madame Jourdain ? et quelles fantaisies sont les vôtres, de vous aller mettre en tête que votre Mari dépense son bien, et que c'est lui qui donne ce Régale à Madame ? Apprenez que c'est moi, je vous prie ; Qu'il ne fait seulement que me prêter sa Maison, et que vous devriez un peu mieux regarder aux choses que vous dites. Prenez, Madame Jourdain, prenez de meilleures Lunettes. Madame, holà Madame, où courez-vous ? Ah, ah, Covielle, qui t'aurait reconnu ? Comme te voilà ajusté ! De quoi ris-tu ? Comment ? Je ne devine point le stratagème, mais je devine qu'il ne manquera pas de faire son effet, puisque tu l'entreprends. Apprends-moi ce que c'est. Oui, Madame, vous verrez la plus plaisante chose qu'on puisse voir ; et je ne crois pas que dans tout le Monde il soit possible de trouver encore un homme aussi fou que celui-là : Et puis, Madame, il faut tâcher de servir l'amour de Cléonte, et d'appuyer toute sa Mascarade. C'est un fort galant Homme, et qui mérite que l'on s'intéresse pour lui. Outre cela, nous avons ici, Madame, un Ballet qui nous revient, que nous ne devons pas laisser perdre, et il faut bien voir si mon idée pourra réussir. Ah ! Madame, est-il possible que vous ayez pu prendre pour moi une si douce résolution ? Que j'ai d'obligation, Madame, aux soins que vous avez de conserver mon bien ! Il est entièrement à vous, aussi bien que mon cœur, et vous en userez de la façon qu'il vous plaira. Monsieur, nous venons rendre hommage, Madame, et moi, à votre nouvelle dignité, et nous réjouir avec vous du mariage que vous faites de votre Fille avec le Fils du Grand Turc. Vous voyez, Madame, que Monsieur Jourdain n'est pas de ces Gens que les prospérités aveuglent, et qu'il sait dans sa gloire connaître encore ses Amis. Où est donc Son Altesse Turque ? Nous voudrions bien, comme vos Amis, lui rendre nos devoirs. Monsieur, nous venons faire la révérence à Votre Altesse, comme Amis de Monsieur votre Beau-Père, et l'assurer avec respect de nos très humbles services. Cela est admirable. Comment, Madame Jourdain, vous vous opposez à un bonheur comme celui-là ? Vous refusez Son Altesse Turque pour Gendre ? C'est l'amitié que nous avons pour vous, qui nous fait intéresser dans vos avantages. Voilà votre Fille qui consent aux volontés de son Père. Sans doute. Que ne fait-on pas pour être grand-Dame ? C'est fort bien dit. Et afin, Madame Jourdain, que vous puissiez avoir l'esprit tout à fait content, et que vous perdiez aujourd'hui toute la jalousie que vous pourriez avoir conçue de Monsieur votre Mari, c'est que nous nous servirons du même Notaire pour nous marier Madame, et moi. Il faut bien l'amuser avec cette feinte. Tandis qu'il viendra, et qu'il dressera les Contrats, voyons notre Ballet, et donnons-en le divertissement à Son Altesse Turque. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_dorimene *date_1670 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_dorimene Je ne sais pas, Dorante ; je fais encore ici une étrange démarche, de me laisser amener par vous dans une Maison où je ne connais personne. Mais vous ne dites pas que je m'engage insensiblement chaque jour à recevoir de trop grands témoignages de votre passion ? J'ai beau me défendre des choses, vous fatiguez ma résistance, et vous avez une civile opiniâtreté qui me fait venir doucement à tout ce qu'il vous plaît. Les Visites fréquentes ont commencé ; les Déclarations sont venues ensuite, qui après elles ont traîné les Sérénades et les Cadeaux, que les Présents ont suivis. Je me suis opposée à tout cela, mais vous ne vous rebutez point, et pied à pied vous gagnez mes résolutions. Pour moi je ne puis plus répondre de rien, et je crois qu'à la fin vous me ferez venir au Mariage dont je me suis tant éloignée. Mon Dieu, Dorante, il faut des deux parts bien des qualités pour vivre heureusement ensemble ; et les deux plus raisonnables Personnes du Monde, ont souvent peine à composer une union dont ils soient satisfaits. Enfin j'en reviens toujours là. Les dépenses que je vous vois faire pour moi, m'inquiètent par deux raisons ; l'une, qu'elles m'engagent plus que je ne voudrais ; et l'autre, que je suis sûre, sans vous déplaire, que vous ne les faites point, que vous ne vous incommodiez ; et je ne veux point cela. Je sais ce que je dis ; et entre autres le diamant que vous m'avez forcée à prendre, est d'un prix… Comment ? Quoi donc ? Il n'est pas malaisé de s'en apercevoir. J'ai beaucoup d'estime pour lui. Il m'honore beaucoup. C'est bien de la grâce qu'il me fait. Comment, Dorante, voilà un Repas tout à fait magnifique ! Je ne réponds à ce compliment, qu'en mangeant comme je fais. Les mains sont médiocres, Monsieur Jourdain ; mais vous voulez parler du Diamant qui est fort beau. Vous êtes bien dégoûté. C'est merveilleusement assaisonner la bonne chère, que d'y mêler la Musique, et je me vois ici admirablement régalée. Je ne crois pas qu'on puisse mieux chanter, et cela est tout à fait beau. Ouais. Monsieur Jourdain est galant plus que je ne pensais. Encore ! Oh je le quitte. Monsieur Jourdain est un Homme qui me ravit. Que veut donc dire tout ceci ? Allez, Dorante, vous vous moquez, de m'exposer aux sottes visions de cette extravagante. J'en fais beaucoup de cas, et il est digne d'une bonne fortune. J'ai vu là des apprêts magnifiques, et ce sont des choses, Dorante, que je ne puis plus souffrir. Oui, je veux enfin vous empêcher vos profusions ; et pour rompre le cours à toutes les dépenses que je vous vois faire pour moi, j'ai résolu de me marier promptement avec vous. C'en est le vrai secret, et toutes ces choses finissent avec le Mariage. Ce n'est que pour vous empêcher de vous ruiner ; et sans cela je vois bien qu'avant qu'il fût peu, vous n'auriez pas un sou. J'userai bien de tous les deux. Mais voici votre Homme ; la figure en est admirable. J'ai été bien aise d'être des premières, Monsieur, à venir vous féliciter du haut degré de gloire où vous êtes monté. Cela n'est rien, j'excuse en elle un pareil mouvement ; votre cœur lui doit être précieux, et il n'est pas étrange que la possession d'un Homme comme vous puisse inspirer quelques alarmes. C'est la marque d'une âme tout à fait généreuse. C'est une grande gloire, qui n'est pas à rejeter. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_maitre-musique *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_maitremusique Venez, entrez dans cette Salle, et vous reposez là, en attendant qu'il vienne. Est-ce fait ? Voyons… Voilà qui est bien. Oui, c'est un Air pour une Sérénade, que je lui ai fait composer ici, en attendant que notre Homme fût éveillé. Vous l'allez entendre, avec le Dialogue, quand il viendra. Il ne tardera guère. Il est vrai. Nous avons trouvé ici un Homme comme il nous le faut à tous deux. Ce nous est une douce rente que ce Monsieur Jourdain, avec les visions de Noblesse et de Galanterie qu'il est allé se mettre en tête. Et votre Danse, et ma Musique, auraient à souhaiter que tout le Monde lui ressemblât. Il est vrai qu'il les connaît mal, mais il les paie bien ; et c'est de quoi maintenant nos Arts ont plus besoin, que de toute autre chose. J'en demeure d'accord, et je les goûte comme vous. Il n'y a rien assurément qui chatouille davantage que les applaudissements que vous dites ; mais cet Encens ne fait pas vivre. Des louanges toutes pures, ne mettent point un Homme à son aise : Il y faut mêler du solide ; et la meilleure façon de louer, c'est de louer avec les mains. C'est un Homme à la vérité dont les lumières sont petites, qui parle à tort et à travers de toutes choses, et n'applaudit qu'à contre-sens ; mais son argent redresse les jugements de son Esprit. Il a du discernement dans sa bourse. Ses louanges sont monnayées ; et ce Bourgeois ignorant, nous vaut mieux, comme vous voyez, que le grand Seigneur éclairé qui nous a introduits ici. Vous recevez fort bien pourtant l'argent que notre Homme vous donne. Je le voudrais aussi, et c'est à quoi nous travaillons tous deux autant que nous pouvons. Mais en tout cas il nous donne moyen de nous faire connaître dans le Monde ; et il payera pour les autres, ce que les autres loueront pour lui. Vous nous y voyez préparés. Nous ne sommes ici que pour attendre votre loisir. Nous n'en doutons point. Cela vous sied à merveille. Il est galant. Je voudrais bien auparavant vous faire entendre un Air qu'il vient de composer pour la Sérénade que vous m'avez demandée. C'est un de mes Écoliers, qui a pour ces sortes de choses un talent admirable. Il ne faut pas, Monsieur, que le nom d'Écolier vous abuse. Ces sortes d'Écoliers en savent autant que les plus grands Maîtres, et l'Air est aussi beau qu'il s'en puisse faire. Écoutez seulement. Il faut, Monsieur, que l'Air soit accommodé aux Paroles. Le plus joli du monde. Vous devriez l'apprendre, Monsieur, comme vous faites la Danse. Ce sont deux Arts qui ont une étroite liaison ensemble. Oui, Monsieur. La Philosophie est quelque chose ; mais la Musique, Monsieur, la Musique… Il n'y a rien qui soit si utile dans un État, que la Musique. Sans la Musique, un État ne peut subsister. Tous les désordres, toutes les guerres qu'on voit dans le Monde, n'arrivent que pour n'apprendre pas la Musique. La Guerre ne vient-elle pas d'un manque d'union entre les Hommes ? Et si tous les Hommes apprenaient la Musique, ne serait-ce pas le moyen de s'accorder ensemble, et de voir dans le Monde la Paix universelle ? Voulez-vous voir nos deux Affaires ? Je vous l'ai déjà dit, c'est un petit essai que j'ai fait autrefois des diverses passions que peut exprimer la Musique. Allons, avancez. Il faut vous figurer qu'ils sont habillés en Bergers. Oui. Lorsque la Danse sera mêlée avec la Musique, cela fera plus d'effet encore, et vous verrez quelque chose de galant dans le petit Ballet que nous avons ajusté pour vous. Au reste, Monsieur, ce n'est pas assez, il faut qu'une Personne comme vous, qui êtes magnifique, et qui avez de l'inclination pour les belles choses, ait un Concert de Musique chez soi tous les Mercredis, ou tous les Jeudis. Oui, Monsieur. Sans doute. Il vous faudra trois Voix, un Dessus, une Haute-Contre, et une Basse, qui seront accompagnées d'une Basse de Viole, d'un Théorbe, et d'un Clavecin pour les Basses continues, avec deux Dessus de Violon pour jouer les Ritournelles. Laissez-nous gouverner les choses. Vous aurez tout ce qu'il vous faut. Vous en serez content, et entre autres choses de certains Menuets que vous y verrez. Voilà qui est le mieux du monde. Vous faites des merveilles. Apprenez, je vous prie, à mieux traiter l'excellence de la Musique. Voyez un peu l'Homme d'importance ! Laissez-nous un peu lui apprendre à parler. Et moi, que la Musique en est une que tous les Siècles ont révérée. Allez, Belître de Pédant. Au Diable l'impertinent. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_l-eleve *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_leleve Oui. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_musicien1 *date_1670 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_musicien1 Je languis nuit et jour, et mon mal est extrême, Depuis qu'à vos rigueurs vos beaux yeux m'ont soumis : Si vous traitez ainsi, belle Iris, qui vous aime, Hélas ! que pourriez-vous faire à vos ennemis ? Il n'est rien de si doux que les tendres ardeurs Qui font vivre deux cœurs Dans une même envie : On ne peut être heureux sans amoureux désirs ; Ôtez l'amour de la vie, Vous en ôtez les plaisirs. Aimable ardeur ! Que tu m'es précieuse ! Ah ! quitte pour aimer, cette haine mortelle ! **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_musicien2 *date_1670 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_musicien2 Il serait doux d'entrer sous l'amoureuse Loi, Si l'on trouvait en Amour de la foi : Mais hélas, ô rigueur cruelle, On ne voit point de Bergère fidèle ; Et ce Sexe inconstant, trop indigne du jour, Doit faire pour jamais renoncer à l'Amour. Sexe trompeur ! Que tu me fais d'horreur ! Hélas ! où la rencontrer ? Mais, Bergère, puis-je croire Qu'il ne sera point trompeur ? Qui manquera de constance, Le puissent perdre les Dieux. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_musicienne *date_1670 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_musicienne Franchise heureuse ! Que tu plais à mon cœur ! On peut, on peut te montrer Une Bergère fidèle. Pour défendre notre gloire, Je te veux offrir mon cœur. Voyons par expérience Qui des deux aimera mieux. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_maitre-a-danser *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_maitreadanser Et vous aussi, de ce côté. Est-ce quelque chose de nouveau ? Peut-on voir ce que c'est ? Nos occupations, à vous, et à moi, ne sont pas petites maintenant. Non pas entièrement ; et je voudrais pour lui, qu'il se connût mieux qu'il ne fait aux choses que nous lui donnons. Pour moi, je vous l'avoue, je me repais un peu de gloire. Les applaudissements me touchent ; et je tiens que dans tous les beaux Arts, c'est un supplice assez fâcheux, que de se produire à des Sots ; que d'essuyer sur des Compositions, la barbarie d'un Stupide. Il y a plaisir, ne m'en parlez point, à travailler pour des Personnes qui soient capables de sentir les délicatesses d'un Art ; qui sachent faire un doux accueil aux beautés d'un Ouvrage ; et par de chatouillantes approbations, vous régaler de votre travail. Oui, la récompense la plus agréable qu'on puisse recevoir des choses que l'on fait, c'est de les voir connues ; de les voir caressées d'un applaudissement qui vous honore. Il n'y a rien, à mon avis, qui nous paie mieux que cela de toutes nos fatigues ; et ce sont des douceurs exquises, que des louanges éclairées. Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites ; mais je trouve que vous appuyez un peu trop sur l'argent ; et l'intérêt est quelque chose de si bas, qu'il ne faut jamais qu'un honnête Homme montre pour lui de l'attachement. Assurément ; mais je n'en fais pas tout mon bonheur, et je voudrais qu'avec son bien, il eût encore quelque bon goût des choses. Le voilà qui vient. Comment ? Quelle petite drôlerie ? Ah, ah. Tout ce qu'il vous plaira. Elle est fort belle. Elles sont magnifiques. Fort bien. On ne peut pas mieux. Par ma foi, je ne sais. Du Mouton ? Et vous le chantez bien. Et qui ouvrent l'esprit d'un Homme aux belles choses. La Musique et la Danse… La Musique et la Danse, c'est là tout ce qu'il faut. Il n'y a rien qui soit si nécessaire aux Hommes, que la Danse. Sans la Danse, un Homme ne saurait rien faire. Tous les malheurs des Hommes, tous les revers funestes dont les Histoires sont remplies, les bévues des Politiques, et les manquements des grands Capitaines, tout cela n'est venu que faute de savoir danser. Lorsqu'un Homme a commis un Manquement dans sa conduite, soit aux Affaires de sa Famille, ou au Gouvernement d'un État, ou au Commandement d'une Armée, ne dit-on pas toujours, un Tel a fait un mauvais pas dans une telle Affaire ? Et faire un mauvais pas, peut-il procéder d'autre chose que de ne savoir pas danser ? C'est pour vous faire voir l'excellence et l'utilité de la Danse et de la Musique. Lorsqu'on a des Personnes à faire parler en Musique, il faut bien que pour la vraisemblance on donne dans la Bergerie. Le Chant a été de tout temps affecté aux Bergers ; et il n'est guère naturel en Dialogue, que des Princes, ou des Bourgeois, chantent leurs passions. Voici pour mon affaire, un petit essai des plus beaux mouvements, et des plus belles attitudes dont une Danse puisse être variée. C'est ce qu'il vous plaira. Allons. Tout est prêt. Un Chapeau, Monsieur, s'il vous plaît. La, la, la ; La, la, la, la, la, la ; La, la, la, bis ; La, la, la ; La, la. En cadence, s'il vous plaît. La, la, la, la. La jambe droite. La, la, la. Ne remuez point tant les épaules. La, la, la, la, la ; La, la, la, la, la. Vos deux bras sont estropiés. La, la, la, la, la. Haussez la tête. Tournez la pointe du pied en dehors. La, la, la. Dressez votre corps. Une Révérence pour saluer une Marquise ? Donnez-moi la main. Si vous voulez la saluer avec beaucoup de respect, il faut faire d'abord une Révérence en arrière, puis marcher vers elle avec trois Révérences en avant, et à la dernière vous baisser jusqu'à ses genoux. Tout beau, Monsieur le Tireur d'armes. Ne parlez de la Danse qu'avec respect. Voilà un plaisant Animal, avec son Plastron ! Monsieur le Batteur de Fer, je vous apprendrai votre Métier. Je me moque de sa raison démonstrative, et de sa tierce, et de sa quarte. Comment ? grand Cheval de Carrosse. Si je mets sur vous la main… Je vous rosserai d'une manière… Comment, Monsieur, il vient nous dire des injures à tous deux, en méprisant la Danse que j'exerce, et la Musique dont il fait profession ? Je lui soutiens que la Danse est une Science à laquelle on ne peut faire assez d'honneur. Allez, Cuistre fieffé. Diantre soit de l'Âne bâté ! **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_maitre-armes *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_maitrearmes Allons, Monsieur, la révérence. Votre corps droit. Un peu penché sur la cuisse gauche. Les jambes point tant écartées. Vos pieds sur une même ligne. Votre poignet à l'opposite de votre hanche. La pointe de votre Épée vis-à-vis de votre épaule. Le bras pas tout à fait si étendu. La main gauche à la hauteur de l'œil. L'épaule gauche plus quartée. La tête droite. Le regard assuré. Avancez. Le corps ferme. Touchez-moi l'Épée de quarte, et achevez de même. Une, Deux. Remettez-vous. Redoublez de pied ferme. Un saut en arrière. Quand vous portez la Botte, Monsieur, il faut que l'Épée parte la première, et que le corps soit bien effacé. Une, deux. Allons, touchez-moi l'Épée de tierce, et achevez de même. Avancez. Le corps ferme. Avancez. Partez de là. Une, deux. Remettez-vous. Redoublez. Un saut en arrière. En garde, Monsieur, en garde. Je vous l'ai déjà dit ; tout le secret des Armes ne consiste qu'en deux choses, à donner, et à ne point recevoir : Et comme je vous fis voir l'autre jour par raison démonstrative, il est impossible que vous receviez, si vous savez détourner l'Épée de votre ennemi de la ligne de votre corps ; ce qui ne dépend seulement que d'un petit mouvement du poignet ou en dedans, ou en dehors. Sans doute. N'en vîtes-vous pas la démonstration ? Et c'est en quoi l'on voit de quelle considération nous autres nous devons être dans un État, et combien la Science des Armes l'emporte hautement sur toutes les autres Sciences inutiles, comme la Danse, la Musique, la… Vous êtes de plaisantes Gens, de vouloir comparer vos Sciences à la mienne ! Mon petit Maître à Danser, je vous ferais danser comme il faut. Et vous, mon petit Musicien, je vous ferais chanter de la belle manière. Comment ? petit Impertinent. Si je me jette sur vous… Je vous étrillerai d'un air… Ils ont tous deux l'audace, de vouloir comparer leurs Professions à la mienne. Et moi, je leur soutiens à tous deux, que la Science de tirer des Armes, est la plus belle et la plus nécessaire de toutes les Sciences. Allez, Philosophe de chien. La peste l'Animal ! **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_maitre-philosophie *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_maitrephilosophie Qu'est-ce donc ? Qu'y a-t-il, Messieurs ? Hé quoi, Messieurs, faut-il s'emporter de la sorte ? et n'avez-vous point lu le docte Traité que Sénèque a composé, de la Colère ? Y a-t-il rien de plus bas et de plus honteux, que cette passion, qui fait d'un Homme une Bête féroce ? et la Raison ne doit-elle pas être maîtresse de tous nos mouvements ? Un Homme sage est au-dessus de toutes les injures qu'on lui peut dire ; et la grande réponse qu'on doit faire aux outrages, c'est la modération, et la patience. Faut-il que cela vous émeuve ? Ce n'est pas de vaine gloire, et de condition, que les hommes doivent disputer entre eux ; et ce qui nous distingue parfaitement les uns des autres, c'est la Sagesse, et la Vertu. Et que sera donc la Philosophie ? Je vous trouve tous trois bien impertinents, de parler devant moi avec cette arrogance ; et de donner impudemment le nom de Science à des choses que l'on ne doit pas même honorer du nom d'Art, et qui ne peuvent être comprises que sous le nom de Métier misérable de Gladiateur, de Chanteur, et de Baladin ! Comment ? Marauds que vous êtes… Infâmes ! coquins ! insolents ! Impudents ! Scélérats ! Fripons ! gueux ! traîtres ! imposteurs ! Venons à notre leçon. Cela n'est rien. Un Philosophe sait recevoir comme il faut les choses, et je vais composer contre eux une Satire du style de Juvénal, qui les déchirera de la belle façon. Laissons cela. Que voulez-vous apprendre ? Ce sentiment est raisonnable, Nam sine doctrina vita est quasi mortis imago. Vous entendez cela, et vous savez le Latin sans doute. Cela veut dire que sans la Science, la Vie est presque une image de la Mort. N'avez-vous point quelques principes, quelques commencements des Sciences ? Par où vous plaît-il que nous commencions ? Voulez-vous que je vous apprenne la Logique ? C'est elle qui enseigne les trois opérations de l'Esprit. La première, la seconde, et la troisième. La première est, de bien concevoir par le moyen des Universaux. La seconde, de bien juger par le moyen des Catégories : Et la troisième, de bien tirer une conséquence par le moyen des Figures. Barbara, Celarent, Darii, Ferio, Baralipton, etc. Voulez-vous apprendre la Morale ? Oui. Elle traite de la Félicité ; Enseigne aux Hommes à modérer leurs passions, et… Est-ce la Physique que vous voulez apprendre ? La Physique est celle qui explique les principes des choses naturelles, et les propriétés du Corps ; Qui discourt de la nature des Éléments, des Métaux, des Minéraux, des Pierres, des Plantes, et des Animaux, et nous enseigne les causes de tous les Météores, l'Arc-en-ciel, les Feux volants, les Comètes, les Éclairs, le Tonnerre, la Foudre, la Pluie, la Neige, la Grêle, les Vents, et les Tourbillons. Que voulez-vous donc que je vous apprenne ? Très volontiers. Soit. Pour bien suivre votre pensée, et traiter cette matière en Philosophe, il faut commencer selon l'ordre des choses, par une exacte connaissance de la nature des Lettres, et de la différente manière de les prononcer toutes. Et là-dessus j'ai à vous dire, que les Lettres sont divisées en voyelles, ainsi dites voyelles, parce qu'elles expriment les voix ; et en consonnes, ainsi appelées consonnes, parce qu'elles sonnent avec les voyelles, et ne font que marquer les diverses articulations des voix. Il y a cinq voyelles, ou voix, A, E, I, O, U. La voix, A, se forme en ouvrant fort la bouche, A. La voix, E, se forme en rapprochant la mâchoire d'en bas de celle d'en haut, A, E. Et la voix, I, en rapprochant encore davantage les mâchoires l'une de l'autre, et écartant les deux coins de la bouche vers les oreilles, A, E, I. La voix, O, se forme en rouvrant les mâchoires, et rapprochant les lèvres par les deux coins, le haut et le bas, O. L'ouverture de la bouche fait justement comme un petit rond qui représente un O. La voix, U, se forme en rapprochant les dents sans les joindre entièrement, et allongeant les deux lèvres en dehors, les approchant aussi l'une de l'autre sans les joindre tout à fait, U. Vos deux lèvres s'allongent comme si vous faisiez la moue : D'où vient que si vous la voulez faire à quelqu'un, et vous moquer de lui, vous ne sauriez lui dire que U. Demain, nous verrons les autres Lettres, qui sont les consonnes. Sans doute. La consonne, D, par exemple, se prononce en donnant du bout de la langue au-dessus des dents d'en haut : DA. L'F, en appuyant les dents d'en haut sur la lèvre de dessous, FA. Et l'R, en portant le bout de la langue jusqu'au haut du palais ; de sorte qu'étant frôlée par l'air qui sort avec force, elle lui cède, et revient toujours au même endroit, faisant une manière de tremblement, R r a. Je vous expliquerai à fond toutes ces curiosités. Fort bien. Sans doute. Sont-ce des Vers que vous lui voulez écrire ? Vous ne voulez que de la Prose ? Il faut bien que ce soit l'un, ou l'autre. Par la raison, Monsieur, qu'il n'y a pour s'exprimer, que la Prose, ou les Vers. Non, Monsieur : tout ce qui n'est point prose, est Vers ; et tout ce qui n'est point Vers, est Prose. De la Prose. Oui, Monsieur. Mettre que les feux de ses yeux réduisent votre cœur en cendres ; que vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d'un… Il faut bien étendre un peu la chose. On les peut mettre premièrement comme vous avez dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Ou bien : D'amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux. Ou bien : Vos yeux beaux d'amour me font, belle Marquise, mourir. Ou bien : Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d'amour me font. Ou bien : Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d'amour. Celle que vous avez dite : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Je n'y manquerai pas. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_maitre-tailleur *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_maitretailleur Je n'ai pas pu venir plus tôt, et j'ai mis vingt Garçons après votre Habit. Ils ne s'élargiront que trop. Point du tout, Monsieur. Non, ils ne vous blessent point. Vous vous imaginez cela. Tenez, voilà le plus bel Habit de la Cour, et le mieux assorti. C'est un chef-d'œuvre, que d'avoir inventé un Habit sérieux, qui ne fût pas noir ; et je le donne en six coups aux Tailleurs les plus éclairés. Vous ne m'aviez pas dit que vous les vouliez en enhaut. Oui, vraiment. Toutes les Personnes de Qualité les portent de la sorte. Oui, Monsieur. Si vous voulez, je les mettrai en enhaut. Vous n'avez qu'à dire. Belle demande. Je défie un Peintre, avec son pinceau, de vous faire rien de plus juste. J'ai chez moi un Garçon qui, pour monter une Rhingrave, est le plus grand Génie du Monde ; et un autre, qui pour assembler un Pourpoint, est le Héros de notre temps. Tout est bien. C'est que l'étoffe me sembla si belle, que j'en ai voulu lever un Habit pour moi. Voulez-vous mettre votre habit ? Attendez. Cela ne va pas comme cela. J'ai amené des Gens pour vous habiller en cadence, et ces sortes d'Habits se mettent avec cérémonie. Holà, entrez, vous autres. Mettez cet Habit à Monsieur, de la manière que vous faites aux Personnes de Qualité. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_garcon-tailleur *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_garcontailleur Mon Gentilhomme, donnez, s'il vous plaît, aux Garçons, quelque chose pour boire. Mon gentilhomme. Monseigneur, nous vous sommes bien obligés. Monseigneur, nous allons boire tous à la santé de votre Grandeur. Monseigneur, nous la remercions très humblement de ses libéralités. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_laquais1 *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_laquais1 Que voulez-vous, Monsieur ? Monsieur. Monsieur, voilà votre Maître d'Armes qui est là. Oui, Monsieur. Monsieur, voici Monsieur le Comte, et une Dame qu'il mène par la main. Monsieur dit comme cela, qu'il va venir ici tout à l'heure. Tout est prêt, Monsieur. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_laquais2 *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_valet *role_laquais2 Monsieur. Non, Monsieur. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_mufti *date_1670 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mufti Se ti sabir, Ti respondir Se non sabir Tazir, tazir. Mi star Mufti Ti qui star ti Non intendir Tazir, tazir. Mahametta per Giourdina Mi pregar sera é mattina Voler far un Paladina De Giourdina, de Giourdina. Dar Turbanta, é dar scarcina Con Galera ê Brigantina Per deffender Palestina. Mahametta, etc. Star bon Turca, Giourdina. Hu la ba ba la chou ba la ba ba la da. Ti non star Furba. Non star forfanta ? Donar Turbanta, donar Turbanta. Ti star nobilé non star fabola. Pigliar schiabbola. Dara dara Bastonara bastonara. Non tener honta Questa star l'ultima affronta. **** *creator_moliere *book_moliere_bourgeoisgentilhomme *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_bourgeoisgentilhomme *dist2_moliere_prose_comedy *id_turcs *date_1670 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_turcs Hi valla. No no no. No no no.