**** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_sganarelle *date_1664 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_sganarelle Je suis de retour dans un moment. Que l'on ait bien soin du Logis ; et que tout aille comme il faut. Si l'on m'apporte de l'argent, que l'on me vienne quérir vite chez le Seigneur Géronimo ; et si l'on vient m'en demander, qu'on dise que je suis sorti, et que je ne dois revenir de toute la journée. Ah ! Seigneur Géronimo, je vous trouve à propos ; et j'allais chez vous vous chercher. Pour vous communiquer une Affaire, que j'ai en tête ; et vous prier de m'en dire votre avis. Mettez donc dessus, s'il vous plaît. Il s'agit d'une chose de conséquence, que l'on m'a proposée ; et il est bon de ne rien faire, sans le conseil de ses Amis. Mais auparavant, je vous conjure de ne me point flatter du tout ; et de me dire nettement votre pensée. Je ne vois rien de plus condamnable qu'un Ami, qui ne nous parle pas franchement. Et dans ce Siècle, on trouve peu d'Amis sincères. Promettez-moi donc, Seigneur Géronimo, de me parler avec toute sorte de franchise. Jurez-en votre foi. C'est que je veux savoir de vous, si je ferai bien de me marier. Oui, moi-même en propre Personne. Quel est votre avis là-dessus ? Et quoi ? Moi ? Ma foi, je ne sais ; mais je me porte bien. Non. Est-ce qu'on songe à cela ? Ma foi, je n'avais que vingt ans alors. Huit ans. Sept ans. Cinq ans, et demi. Je revins en cinquante-six. Qui, moi ? Cela ne se peut pas. Et moi, je vous dis que je suis résolu de me marier ; et que je ne serai point ridicule en épousant la Fille, que je recherche. C'est une Fille, qui me plaît ; et que j'aime de tout mon cœur. Sans doute ; et je l'ai demandée à son Père. Oui, c'est un Mariage, qui se doit conclure ce soir ; et j'ai donné parole. Je quitterais le dessein que j'ai fait ? Vous semble-t-il, Seigneur Géronimo, que je ne sois plus propre à songer à une Femme ? Ne parlons point de l'âge que je puis avoir ; mais regardons seulement les choses. Y a-t-il Homme de trente ans, qui paraisse plus frais, et plus vigoureux, que vous me voyez ? N'ai-je pas tous les mouvements de mon Corps aussi bons que jamais ? Et voit-on que j'aie besoin de Carrosse, ou de Chaise, pour cheminer ? N'ai-je pas encore toutes mes dents les meilleures du monde ? Ne fais-je pas vigoureusement mes quatre Repas par jour ? Et peut-on voir un Estomac qui ait plus de force que le mien ? Hem, hem, hem. Eh ? Qu'en dites-vous ? J'y ai répugné autrefois : mais j'ai maintenant de puissantes raisons pour cela. Outre la joie que j'aurai de posséder une belle Femme, qui me fera mille caresses ; qui me dorlotera, et me viendra frotter, lorsque je serai las : outre cette joie, dis-je, je considère, qu'en demeurant comme je suis, je laisse périr dans le Monde la race des Sganarelles ; et qu'en me mariant, je pourrai me voir revivre en d'autres moi-mêmes ; que j'aurai le plaisir de voir des Créatures, qui seront sorties de moi ; de petites Figures qui me ressembleront comme deux gouttes d'eau ; qui se joueront continuellement dans la Maison ; qui m'appelleront leur Papa, quand je reviendrai de la Ville, et me diront de petites folies les plus agréables du Monde. Tenez, il me semble déjà que j'y suis, et que j'en vois une demi-douzaine autour de moi. Tout de bon ; vous me le conseillez ? Vraiment, je suis ravi que vous me donniez ce conseil en véritable Ami. Dorimène. Oui. Justement. C'est cela. Qu'en dites-vous ? N'ai-je pas raison, d'avoir fait ce choix ? Vous me comblez de joie, de me dire cela. Je vous remercie de votre conseil ; et je vous invite ce soir à mes Noces. Serviteur. Ce Mariage doit être heureux ; car il donne de la joie à tout le monde ; et je fais rire tous ceux à qui j'en parle. Me voilà maintenant le plus content des Hommes. Voici ma Maîtresse, qui vient. Ah ! qu'elle est agréable ! quel air ! et quelle taille ! Peut-il y avoir un Homme, qui n'ait, en la voyant, des démangeaisons, de se marier ? Où allez-vous, belle Mignonne, chère Épouse future de votre Époux futur ? Hé bien, ma Belle, c'est maintenant que nous allons être heureux l'un, et l'autre. Vous ne serez plus en droit de me rien refuser ; et je pourrai faire avec vous tout ce qu'il me plaira, sans que personne s'en scandalise. Vous allez être à moi depuis la tête jusqu'aux pieds ; et je serai Maître de tout : De vos petits yeux éveillés ; de votre petit nez fripon ; de vos lèvres appétissantes ; de vos oreilles amoureuses ; de votre petit menton joli ; de vos petits tétons rondelets ; de votre... Enfin toute votre Personne sera à ma discrétion ; et je serai à même, pour vous caresser, comme je voudrai. N'êtes-vous pas bien aise de ce Mariage, mon aimable Pouponne ? Ce sont quelques vapeurs, qui me viennent de monter à la tête. Mon Dieu, cela n'est pas pressé. Il m'est venu, depuis un moment, de petits scrupules sur le mariage. Avant que de passer plus avant, je voudrais bien agiter à fond cette matière ; et que l'on m'expliquât un Songe que j'ai fait cette Nuit, et qui vient tout à l'heure de me revenir dans l'esprit. Vous savez que les Songes sont comme des Miroirs, où l'on découvre quelquefois tout ce qui nous doit arriver. Il me semblait que j'étais dans un Vaisseau, sur une Mer bien agitée ; et que... Il a raison. Il faut que je consulte un peu ces Gens-là sur l'incertitude où je suis. Ah ! bon, en voici un fort à propos. Il a pris querelle contre quelqu'un. Seigneur... La colère l'empêche de me voir. Seigneur... Il faut qu'on l'ait fort irrité. Je... Je baise les mains à Monsieur le Docteur. Peut-on... Je vous... Je... Puis-je... Seigneur Aristote, peut-on savoir ce qui vous met si fort en colère ? Et quoi encore ? Puis-je demander ce que c'est ? Quoi donc ? Comment ? Je pensais que tout fût perdu. Seigneur Docteur, ne songez plus à tout cela. Je... Laissez la Forme, et le Chapeau en paix ; j'ai quelque chose à vous communiquer. Je... De grâce, remettez-vous. Je... Eh ! mon Dieu. Je... Il a tort. Je... Cela est vrai. Je... Vous avez raison. Oui, vous êtes un Sot, et un Impudent, de vouloir disputer contre un Docteur, qui sait lire, et écrire. Voilà qui est fait, je vous prie de m'écouter. Je viens vous consulter sur une Affaire qui m'embarrasse. J'ai dessein de prendre une Femme, pour me tenir compagnie dans mon Ménage. La Personne est belle, et bien faite : elle me plaît beaucoup, et est ravie de m'épouser. Son Père me l'a accordée ; mais je crains un peu ce que vous savez, la disgrâce dont on ne plaint Personne ; et je voudrais bien vous prier, comme Philosophe, de me dire votre sentiment. Eh ! quel est votre avis là-dessus ? La peste soit de l'Homme. Eh ! Monsieur le Docteur, écoutez un peu les Gens. On vous parle une heure durant ; et vous ne répondez point à ce qu'on vous dit. Eh ! laissez tout cela ; et prenez la peine de m'écouter. Je veux vous parler de quelque chose. De quelle langue ? Parbleu, de la langue que j'ai dans la bouche ; je crois que je n'irai pas emprunter celle de mon Voisin. Ah ! c'est une autre affaire. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non, non, Français. Fort bien. Il faut bien des cérémonies avec ces sortes de Gens-ci ! Vous consulter sur une petite difficulté. Pardonnez-moi. Je... Point du tout. Je... Ce n'est pas cela. Je... Non. Je... Point. Je... Nenni. Je... Non. Je... Eh ! non. Je... Non, non, non, non, non, de par tous les diables, non. Je vous la veux expliquer aussi : mais il faut m'écouter. L'affaire que j'ai à vous dire, c'est que j'ai envie de me marier avec une Fille, qui est jeune, et belle. Je l'aime fort, et l'ai demandée à son Père : mais comme j'appréhende... Au Diable les Savants, qui ne veulent point écouter les Gens. On me l'avait bien dit, que son Maître Aristote n'était qu'un Bavard. Il faut que j'aille trouver l'autre ; il est plus posé, et plus raisonnable. Holà. Seigneur Docteur, j'aurais besoin de votre Conseil sur une petite Affaire dont il s'agit ; et je suis venu ici pour cela. Ah ! voilà qui va bien. Il écoute le monde, celui-ci. Il me semble ! Parbleu, il faut bien qu'il me le semble, puisque cela est. Comment, il n'est pas vrai que je suis venu ? Quoi ? je ne suis pas ici ; et vous ne me parlez pas ? Eh ! que Diable, vous vous moquez. Me voilà, et vous voilà bien nettement ; et il n'y a point de me semble à tout cela. Laissons ces subtilités je vous prie ; et parlons de mon Affaire. Je viens vous dire que j'ai envie de me marier. Je vous le dis. La Fille, que je veux prendre, est fort jeune, et fort belle. Ferai-je bien, ou mal, de l'épouser ? Ah ! ah ! voici une autre Musique. Je vous demande, si je ferai bien d'épouser la Fille dont je vous parle. Ferai-je mal ? De grâce, répondez-moi, comme il faut. J'ai une grande inclination pour la Fille. Le Père me l'a accordée. Mais en l'épousant, je crains d'être Cocu. Qu'en pensez-vous ? Mais que feriez-vous, si vous étiez en ma place ? Que me conseillez-vous de faire ? J'enrage ! Au Diable soit le vieux rêveur. La peste du Bourreau. Je te ferai changer de note, chien de Philosophe enragé. Te voilà payé de ton galimatias ; et me voilà content. Corrigez, s'il vous plaît, cette manière de parler. Il faut douter de toutes choses ; et vous ne devez pas dire que je vous ai battu ; mais qu'il vous semble que je vous ai battu. Je m'en lave les mains. Il se peut faire. Il n'y a pas d'impossibilité. Je n'en sais rien. Il en sera ce qui pourra. Comment ? on ne saurait tirer une Parole positive de ce chien d'Homme-là ! et l'on est aussi savant à la fin, qu'au commencement ! Que dois-je faire dans l'incertitude des suites de mon Mariage ? Jamais Homme ne fut plus embarrassé que je suis. Ah ! voici des Égyptiennes. Il faut que je me fasse dire par elles ma bonne Aventure. Elles sont gaillardes. Écoutez, vous autres, y a-t-il moyen de me dire ma bonne fortune ? Tenez, les voilà toutes deux, avec ce que vous demandez. Voilà qui est bien : mais, dites-moi un peu, suis-je menacé d'être Cocu ? Oui. Oui, si je suis menacé d'être Cocu ? Que Diable, ce n'est pas là me répondre. Venez çà. Je vous demande à toutes deux, si je serai Cocu ? Oui, si je serai cocu ? Oui, si je le serai, ou non ? Peste soit des Carognes, qui me laissent dans l'inquiétude ! Il faut absolument que je sache la destinée de mon Mariage : et pour cela, je veux aller trouver ce grand Magicien, dont tout le monde parle tant, et qui par son art admirable fait voir tout ce que l'on souhaite. Ma foi, je crois que je n'ai que faire d'aller au Magicien, et voici qui me montre tout ce que je puis demander. Me voilà tout à fait dégoûté de mon Mariage ; et je crois que je ne ferai pas mal de m'aller dégager de ma Parole. Il m'en a coûté quelque argent : mais il vaut mieux encore perdre cela, que de m'exposer à quelque chose de pis. Tâchons adroitement de nous débarrasser de cette affaire. Holà. Monsieur, votre serviteur. Excusez-moi. Je viens ici pour un autre sujet. Il n'est pas question de cela. Ce n'est pas ce qui m'amène. Mon Dieu, c'est autre chose. J'ai un petit mot à vous dire. Non, vous dis-je. Je vous veux parler auparavant. Oui. Seigneur Alcantor, j'ai demandé votre fille en mariage, il est vrai ; et vous me l'avez accordée : mais je me trouve un peu avancé en âge pour elle ; et je considère que je ne suis point du tout son fait. Point ; j'ai parfois des bizarreries épouvantables ; et elle aurait trop à souffrir de ma mauvaise humeur. J'ai quelques infirmités sur mon Corps, qui pourraient la dégoûter. Enfin voulez-vous que je vous dise, je ne vous conseille pas de me la donner. Mon Dieu, je vous en dispense, et je... Que diable ! Seigneur Alcantor, je vous suis obligé de l'honneur que vous me faites ; mais je vous déclare que je ne me veux point marier. Oui, moi. La raison ; c'est que je ne me sens point propre pour le Mariage ; et que je veux imiter mon Père, et tous ceux de ma Race, qui ne se sont jamais voulu marier. Encore est-il plus raisonnable que je ne pensais ; et je croyais avoir bien plus de peine à m'en dégager. Ma foi, quand j'y songe, j'ai fait fort sagement, de me tirer de cette Affaire ; et j'allais faire un pas, dont je me serais peut-être longtemps repenti. Mais voici le Fils qui me vient rendre réponse. Monsieur, je suis le vôtre de tout mon cœur. Oui, Monsieur, c'est avec regret : mais... J'en suis fâché, je vous assure ; et je souhaiterais... De ces deux Épées ? À quoi bon ? Comment ? Voilà un Compliment fort mal tourné. Je suis votre Valet : je n'ai point de gorge à me couper. La vilaine façon de parler que voilà ! Eh ! Monsieur, rengainez ce Compliment, je vous prie. Je ne veux point de cela, vous dis-je. Nenni, ma foi. Tout de bon. Quel Diable d'Homme est-ce ci ? Encore ! Monsieur, je ne puis faire ni l'un, ni l'autre, je vous assure. Assurément. Ah, ah, ah, ah. Hé bien ! j'épouserai, j'épouserai... **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_geronimo *date_1664 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_geronimo Voilà un Ordre fort prudent. Et pour quel sujet, s'il vous plaît ? Très volontiers. Je suis bien aise de cette rencontre ; et nous pouvons parler ici en toute liberté. Je vous suis obligé, de m'avoir choisi pour cela. Vous n'avez qu'à me dire ce que c'est. Je le ferai, puisque vous le voulez. Vous avez raison. Cela est vrai. Je vous le promets. Oui, foi d'Ami. Dites-moi seulement votre Affaire. Qui, vous ? Je vous prie auparavant, de me dire une chose. Quel âge pouvez-vous bien avoir maintenant ? Oui. Quoi ! Vous ne savez pas à peu près, votre âge ? Hé, dites-moi un peu, s'il vous plaît : Combien aviez-vous d'années, lorsque nous fîmes connaissance ? Combien fûmes-nous ensemble à Rome ? Quel temps avez-vous demeuré en Angleterre ? Et en Hollande, où vous fûtes ensuite ? Combien y a-t-il, que vous êtes revenu ici ? De cinquante-six, à soixante-huit, il y a douze ans, ce me semble. Cinq ans en Hollande, font dix-sept. Sept ans en Angleterre, font vingt-quatre. Huit dans notre séjour à Rome, font trente-deux : Et vingt que vous aviez lorsque nous nous connûmes, cela fait justement cinquante-deux. Si bien, Seigneur Sganarelle, que sur votre propre confession, vous êtes, environ, à votre cinquante-deuxième, ou cinquante-troisième année. Mon Dieu, le calcul est juste. Et là-dessus je vous dirai franchement, et en Ami, comme vous m'avez fait promettre de vous parler, que le Mariage n'est guère votre fait. C'est une chose à laquelle il faut que les jeunes Gens pensent bien mûrement avant que de la faire : mais les Gens de votre âge n'y doivent point penser du tout. Et si l'on dit, que la plus grande de toutes les folies, est celle de se marier, je ne vois rien de plus mal à propos, que de la faire, cette folie, dans la Saison où nous devons être plus sages. Enfin je vous en dis nettement ma pensée. Je ne vous conseille point de songer au Mariage ; et je vous trouverais le plus ridicule du Monde, si ayant été libre jusqu'à cette heure, vous alliez vous charger maintenant de la plus pesante des chaînes. Ah ! c'est une autre chose. Vous ne m'aviez pas dit cela. Vous l'aimez de tout votre cœur ? Vous l'avez demandée ? Oh ! mariez-vous donc. Je ne dis plus mot. Vous avez raison : je m'étais trompé. Vous ferez bien de vous marier. Il n'y a rien de plus agréable que cela ; et je vous conseille de vous marier, le plus vite que vous pourrez. Assurément. Vous ne sauriez mieux faire. Hé ! quelle est la Personne, s'il vous plaît, avec qui vous vous allez marier ? Cette jeune Dorimène, si galante, et si bien parée ? Fille du Seigneur Alcantor ? Et Sœur d'un certain Alcidas, qui se mêle de porter l'Épée ? Vertu de ma vie ! Bon Parti ! Mariez-vous promptement. Sans doute. Ah ! que vous serez bien marié ! Dépêchez-vous de l'être. Je n'y manquerai pas ; et je veux y aller en Masque, afin de les mieux honorer. La jeune Dorimène, Fille du Seigneur Alcantor, avec le Seigneur Sganarelle, qui n'a que cinquante-trois ans ? ô le beau Mariage ! ô le beau Mariage ! Ah ! Seigneur Sganarelle, je suis ravi de vous trouver encore ici ; et j'ai rencontré un Orfèvre, qui sur le bruit que vous cherchez quelque beau Diamant en Bague, pour faire un Présent à votre Épouse, m'a fort prié de vous venir parler pour lui ; et de vous dire qu'il en a un à vendre, le plus parfait du Monde. Comment ! que veut dire cela ? où est l'ardeur que vous montriez tout à l'heure ? Seigneur Sganarelle, j'ai maintenant quelque petite affaire, qui m'empêche de vous ouïr. Je n'entends rien du tout aux Songes ; et quant au raisonnement du mariage, vous avez deux Savants ; deux Philosophes vos voisins, qui sont Gens à vous débiter tout ce qu'on peut dire sur ce sujet. Comme ils sont de Sectes différentes, vous pouvez examiner leurs diverses opinions là-dessus. Pour moi, je me contente de ce que je vous ai dit tantôt, et demeure votre Serviteur. **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_dorimene *date_1664 *sexe_feminin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fille *role_dorimene Allons, petit Garçon, qu'on tienne bien ma Queue : et qu'on ne s'amuse pas à badiner. Je vais faire quelques Emplettes. Tout à fait aise, je vous jure : car enfin la sévérité de mon père m'a tenue jusques ici dans une sujétion la plus fâcheuse du Monde. Il y a je ne sais combien que j'enrage du peu de liberté, qu'il me donne ; et j'ai cent fois souhaité qu'il me mariât, pour sortir promptement de la contrainte, où j'étais avec lui, et me voir en état de faire ce que je voudrai. Dieu merci, vous êtes venu heureusement pour cela, et je me prépare désormais à me donner du divertissement, et à réparer comme il faut le temps que j'ai perdu. Comme vous êtes un fort galant Homme, et que vous savez comme il faut vivre ; je crois que nous ferons le meilleur ménage du Monde ensemble, et que vous ne serez point de ces Maris incommodes, qui veulent que leurs Femmes vivent comme des Loups-garous. Je vous avoue que je ne m'accommoderais pas de cela ; et que la Solitude me désespère. J'aime le Jeu ; les Visites ; les Assemblées ; les Cadeaux, et les Promenades ; en un mot toutes les choses de plaisir ; et vous devez être ravi, d'avoir une femme de mon humeur. Nous n'aurons jamais aucun démêlé ensemble ; et je ne vous contraindrai point dans vos actions ; comme j'espère que de votre côté vous ne me contraindrez point dans les miennes : car pour moi, je tiens qu'il faut avoir une complaisance mutuelle ; et qu'on ne se doit point marier, pour se faire enrager l'un l'autre. Enfin nous vivrons, étant mariés, comme deux Personnes qui savent leur monde. Aucun soupçon jaloux ne nous troublera la cervelle ; et c'est assez que vous serez assuré de ma fidélité, comme je serai persuadée de la vôtre. Mais qu'avez-vous ? Je vous vois tout changé de visage. C'est un mal aujourd'hui qui attaque beaucoup de Gens : mais notre Mariage vous dissipera tout cela. Adieu, il me tarde déjà que je n'aie des Habits raisonnables, pour quitter vite ces guenilles. Je m'en vais de ce pas achever d'acheter toutes les choses qu'il me faut ; et je vous enverrai les marchands. Sans raillerie. Tout de bon. Dès ce soir. Moi, point du tout. Je vous considère toujours de même ; et ce Mariage ne doit point vous inquiéter. C'est un Homme que je n'épouse point par amour ; et sa seule richesse me fait résoudre à l'accepter. Je n'ai point de bien. Vous n'en avez point aussi ; et vous savez que sans cela on passe mal le temps au Monde ; et qu'à quelque prix que ce soit, il faut tâcher d'en avoir. J'ai embrassé cette occasion-ci de me mettre à mon aise ; et je l'ai fait sur l'espérance de me voir bientôt délivrée du Barbon, que je prends. C'est un Homme qui mourra avant qu'il soit peu ; et qui n'a tout au plus que six mois dans le ventre. Je vous le garantis défunt dans le temps que je dis ; et je n'aurai pas longuement à demander pour moi au Ciel, l'heureux état de Veuve. Ah ! nous parlions de vous, et nous en disions tout le bien qu'on en saurait dire. Oui, c'est Monsieur, qui me prend pour Femme. C'est trop d'honneur que vous nous faites à tous deux. Mais allons, le temps me presse ; et nous aurons tout le loisir de nous entretenir ensemble. **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_alcantor *date_1664 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_alcantor Ah ! mon Gendre, soyez le bienvenu ! Vous venez pour conclure le Mariage ? Je vous promets que j'en ai autant d'impatience que vous. J'ai donné ordre à toutes les choses nécessaires pour cette Fête. Les Violons sont retenus ; le Festin est commandé ; et ma Fille est parée, pour vous recevoir. Enfin vous allez être satisfait ; et rien ne peut retarder votre contentement. Allons, entrez donc, mon Gendre. Ah ! mon Dieu, ne faisons point de cérémonie : entrez vite, s'il vous plaît. Vous voulez me dire quelque chose ? Et quoi ? Pardonnez-moi. Ma Fille vous trouve bien, comme vous êtes ; et je suis sûr qu'elle vivra fort contente avec vous. Ma Fille a de la complaisance ; et vous verrez qu'elle s'accommodera entièrement à vous. Cela n'est rien. Une honnête Femme ne se dégoûte jamais de son Mari. Vous moquez-vous ? J'aimerais mieux mourir, que d'avoir manqué à ma parole. Point du tout. Je vous l'ai promise ; et vous l'aurez en dépit de tous ceux qui y prétendent. Voyez-vous, j'ai une estime, et une amitié pour vous, toute particulière ; et je refuserais ma Fille à un Prince, pour vous la donner. Qui, vous ? Et la raison ? Écoutez, les volontés sont libres ; et je suis Homme à ne contraindre jamais Personne. Vous vous êtes engagé avec moi, pour épouser ma Fille ; et tout est préparé pour cela. Mais puisque vous voulez retirer votre Parole, je vais voir ce qu'il y a à faire ; et vous aurez bientôt de mes nouvelles. Monsieur, voilà sa main : vous n'avez qu'à donner la vôtre. Loué soit le Ciel ! m'en voilà déchargé ; et c'est vous désormais que regarde le soin de sa conduite. Allons nous réjouir, et célébrer cet heureux Mariage. **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_alcidas *date_1664 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_alcidas Monsieur, je suis votre serviteur très humble. Mon Père, m'a dit, Monsieur, que vous vous étiez venu dégager de la Parole que vous aviez donnée. Oh ! Monsieur, il n'y a pas de mal à cela. Cela n'est rien, vous dis-je. Monsieur, prenez la peine de choisir de ces deux Épées, laquelle vous voulez. Oui, s'il vous plaît. Monsieur, comme vous refusez d'épouser ma Sœur, après la Parole donnée ; je crois que vous ne trouverez pas mauvais le petit Compliment, que je viens vous faire. D'autres Gens feraient du bruit, et s'emporteraient contre vous : mais nous sommes Personnes à traiter les choses dans la douceur ; et je viens vous dire civilement, qu'il faut, si vous le trouvez bon, que nous nous coupions la gorge ensemble. Allons, Monsieur, choisissez, je vous prie. Monsieur, il faut que cela soit, s'il vous plaît. Dépêchons vite, Monsieur. J'ai une petite Affaire qui m'attend. Vous ne voulez pas vous battre ? Tout de bon ? Au moins, Monsieur, vous n'avez pas lieu de vous plaindre ; et vous voyez que je fais les choses dans l'ordre. Vous nous manquez de Parole : Je me veux battre contre vous, vous refusez de vous battre : je vous donne des coups de Bâton, tout cela est dans les formes ; et vous êtes trop honnête Homme, pour ne pas approuver mon procédé. Allons, Monsieur, faites les choses galamment, et sans vous faire tirer l'oreille. Monsieur, je ne contrains Personne ; mais il faut que vous vous battiez, ou que vous épousiez ma Sœur. Assurément ? Avec votre permission donc... Monsieur, j'ai tous les regrets du monde d'être obligé d'en user ainsi avec vous ; mais je ne cesserai point, s'il vous plaît, que vous n'ayez promis de vous battre, ou d'épouser ma Sœur. Ah ! Monsieur, je suis ravi que vous vous mettiez à la raison ; et que les choses se passent doucement : car enfin vous êtes l'Homme du Monde que j'estime le plus, je vous jure ; et j'aurais été au désespoir que vous m'eussiez contraint à vous maltraiter. Je vais appeler mon Père, pour lui dire que tout est d'accord. Mon Père, voilà Monsieur, qui est tout à fait raisonnable. Il a voulu faire les choses de bonne grâce ; et vous pouvez lui donner ma Sœur. **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_lycaste *date_1664 *sexe_masculin *age_jeune *statut_maitre *fonction_fils *role_lycaste Quoi ? belle Dorimène, c'est sans raillerie que vous parlez ? Vous vous mariez tout de bon ? Et vos Noces se feront dès ce soir ? Et vous pouvez, Cruelle que vous êtes, oublier de la sorte l'amour que j'ai pour vous ; et les obligeantes paroles que vous m'aviez données ? Est-ce là Monsieur... ? Agréez, Monsieur, que je vous félicite de votre Mariage, et vous présente en même temps mes très humbles services. Je vous assure que vous épousez là une très honnête Personne. Et vous, Mademoiselle, je me réjouis avec vous aussi de l'heureux choix que vous avez fait. Vous ne pouviez pas mieux trouver ; et Monsieur a toute la mine d'être un fort bon Mari. Oui, Monsieur, je veux faire amitié avec vous ; et lier ensemble un petit commerce de visites et de divertissements. **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_egyptienne1 *date_1664 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_egyptienne1 Oui, mon bon Monsieur, nous voici deux qui te la diront. Tu as une bonne physionomie, mon bon Monsieur, une bonne physionomie. Tu seras marié avant qu'il soit peu, mon bon Monsieur ; tu seras marié avant qu'il soit peu. Oui, une Femme qui sera chérie, et aimée de tout le Monde. Une femme qui fera venir l'abondance chez toi. Tu seras considéré par elle, mon bon Monsieur ; tu seras considéré par elle. Cocu ? Vous, Cocu ? **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_egyptienne2 *date_1664 *sexe_feminin *age_sans-age *statut_serviteur *fonction_servante *role_egyptienne2 Tu n'as seulement qu'à nous donner ta main, avec la Croix dedans ; et nous te dirons quelque chose pour ton bon profit. Oui, bonne physionomie. Physionomie d'un Homme qui sera un jour quelque chose. Tu épouseras une Femme gentille ; une Femme gentille. Une Femme qui te fera beaucoup d'Amis, mon bon Monsieur ; qui te fera beaucoup d'Amis. Une femme qui te donnera une grande réputation. Cocu ! Cocu, vous ? **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_pancrace *date_1664 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_pancrace Allez, vous êtes un impertinent, mon Ami ; un Homme bannissable de la République des Lettres. Oui, je te soutiendrai par vives raisons, que tu es un ignorant, ignorantissime, ignorantifiant, et ignorantifié par tous les cas, et modes imaginables. Tu veux te mêler de raisonner, et tu ne sais pas seulement les Éléments de la Raison. C'est une Proposition condamnable dans toutes les Terres de la Philosophie. Toto Cœlo, tota via aberras. Serviteur. Sais-tu bien ce que tu as fait ? un Syllogisme in balordo. La Majeure en est inepte, la Mineure impertinente, et la Conclusion ridicule. Je crèverais plutôt que d'avouer ce que tu dis ; et je soutiendrai mon opinion jusqu'à la dernière goutte de mon Encre. Oui, je défendrai cette Proposition, pugnis et calcibus, unguibus et rostro. Un sujet le plus juste du Monde. Un Ignorant m'a voulu soutenir une Proposition erronée ; une Proposition épouvantable, effroyable, exécrable. Ah ! Seigneur Sganarelle, tout est renversé aujourd'hui ; et le Monde est tombé dans une corruption générale. Une licence épouvantable règne partout ; et les Magistrats, qui sont établis, pour maintenir l'ordre dans cet État, devraient rougir de honte, en souffrant un scandale aussi intolérable, que celui dont je veux parler. N'est-ce pas une chose horrible ; une chose qui crie vengeance au Ciel, que d'endurer qu'on dise publiquement la forme d'un Chapeau ! Je soutiens qu'il faut dire la Figure d'un Chapeau, et non pas la Forme. D'autant qu'il y a cette différence entre la Forme, et la Figure ; que la Forme est la disposition extérieure des corps qui sont animés ; et la Figure, la disposition extérieure des corps qui sont inanimés : et puisque le Chapeau est un Corps inanimé, il faut dire la Figure d'un Chapeau, et non pas la Forme. Oui, Ignorant que vous êtes, c'est comme il faut parler ; et ce sont les termes exprès d'Aristote dans le Chapitre De la Qualité. Je suis dans une colère, que je ne me sens pas. Impertinent fieffé. Ignorant. Me vouloir soutenir une Proposition de la sorte ? Une Proposition condamnée par Aristote ? En termes exprès ? Plutôt que d'accorder qu'il faille dire la Forme d'un Chapeau, j'accorderais que datur vacuum in rerum natura, et que je ne suis qu'une bête. Je vous demande pardon. Une juste colère m'occupe l'esprit. Soit. Que voulez-vous me dire ? Et de quelle Langue voulez-vous vous servir avec moi ? Oui. Je vous dis de quel Idiome ; de quel Langage. Voulez-vous me parler Italien ? Espagnol ? Allemand ? Anglais ? Latin ? Grec ? Hébreu ? Syriaque ? Turc ? Arabe ? Ah Français ! Passez donc de l'autre côté : car cette oreille-ci est destinée pour les Langues scientifiques, et étrangères, et l'autre est pour la maternelle. Que voulez-vous ? Sur une difficulté de Philosophie, sans doute ? Vous voulez peut-être savoir, si la substance, et l'accident, sont termes synonymes, ou équivoques, à l'égard de l'Être ? Si la logique est un Art, ou une Science ? Si elle a pour objet les trois opérations de l'Esprit, ou la troisième seulement ? S'il y a dix Catégories, ou s'il n'y en a qu'une ? Si la Conclusion est de l'essence du Syllogisme ? Si l'essence du Bien est mise dans l'appétibilité, ou dans la convenance ? Si le Bien se réciproque avec la fin ? Si la Fin nous peut émouvoir par son Être réel, ou par son Être intentionnel ? Expliquez donc votre pensée : car je ne puis pas la deviner. La Parole a été donnée à l'Homme, pour expliquer sa Pensée ; et tout ainsi que les Pensées sont les Portraits des Choses, de même nos Paroles sont-elles les portraits de nos Pensées : mais ces Portraits diffèrent des autres Portraits, en ce que les autres portraits sont distingués partout de leurs Originaux, et que la Parole enferme en soi son Original, puisqu'elle n'est autre chose que la Pensée, expliquée par un Signe extérieur : d'où vient que ceux qui pensent bien, sont aussi ceux qui parlent le mieux. Expliquez-moi donc votre Pensée par la Parole, qui est le plus intelligible de tous les signes. **** *creator_moliere *book_moliere_mariageforce *style_prose *genre_comedy *dist1_moliere_prose_comedy_mariageforce *dist2_moliere_prose_comedy *id_marphurius *date_1664 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_marphurius Que voulez-vous de moi, Seigneur Sganarelle ? Seigneur Sganarelle, changez, s'il vous plaît, cette façon de parler. Notre Philosophie ordonne de ne point énoncer de Proposition décisive ; de parler de tout avec incertitude ; de suspendre toujours son jugement : et par cette raison vous ne devez pas dire Je suis venu ; mais Il me semble que je suis venu. Oui. Ce n'est pas une conséquence ; et il peut vous sembler, sans que la chose soit véritable. Cela est incertain ; et nous devons douter de tout. Il m'apparaît que vous êtes là, et il me semble que je vous parle : mais il n'est pas assuré que cela soit. Je n'en sais rien. Il se peut faire. Il n'est pas impossible. L'un, ou l'autre. Selon la rencontre. Par aventure. C'est mon dessein. Cela peut être. Il se pourrait. La chose est faisable. Il n'y a pas d'impossibilité. Je ne sais. Ce qui vous plaira. Je m'en lave les mains. Il en sera ce qui pourra. Ah, ah, ah. Comment ? quelle insolence ! m'outrager de la sorte ! Avoir eu l'audace de battre un philosophe comme moi ! Ah ! je m'en vais faire ma plainte, au Commissaire du Quartier, des coups que j'ai reçus. J'en ai les marques sur ma Personne. C'est toi, qui m'as traité ainsi. J'aurai un Décret contre toi. Et tu seras condamné en Justice. Laisse-moi faire.