**** *creator_nivelle *book_nivelle_fausseantipathie *style_verse *genre_comedy *dist1_nivelle_verse_comedy_fausseantipathie *dist2_nivelle_verse_comedy *id_LEONORE *date_1744 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_leonore Oui. Je voulais sortir. Mais de la part d'Orphise on vient de m'avertir Qu'elle veut me parler ; ainsi je vais l'attendre. Pour toi, l'on ne sait plus désormais où te prendre. Tu sembles te lasser de l'état où je suis ; Et pourtant je m'en plains tout le moins que je puis. Je sais ce qui l'attire. Tu n'es pas raisonnable. Va, ce malheur pour lui ne fut jamais à craindre. Tu m'assurais pourtant... J'y prends peu d'intérêt. Mais sur quelle assurance Accuses-tu Damon de tant d'indifférence ? Vous vous émancipez. M'avez-vous reconnue Pour être, en ma faveur, follement prévenue ? En quoi ? Mais accorde-toi donc, Nérine, avec toi-même. Tu viens de me prouver... Par où peux-tu juger... Mais encore, quoi donc ? Je n'ai jamais compté sur de si faibles armes. Achève ; dis-moi tout. Ah ! C'est trop voir. Finis ; je ne veux plus t'entendre. Je te défends... hélas ! Que puis-je lui défendre ? Quoi ! De faibles attraits flétris par les douleurs, Ces yeux accoutumés à pleurer mes malheurs, Pourraient causer encore une faiblesse ? Nérine, tu me perds. Ne me rappelle plus le malheur de ma vie, Ni les égarements d'un âge sans raison. À peine j'achevais ma première saison, On me tira du cloître ; et j'entrai dans le monde, Avec les préjugés dont la jeunesse abonde. Une mère absolue, abusant de ses droits, Avait promis ma main, sans consulter mon choix. Je me prévins d'abord. Mon dépit fut extrême. Je croyais qu'on devait m'obtenir de moi-même. Je croyais mériter du moins quelques soupirs : Mais, loin de s'abaisser à flatter mes désirs, On ne m'honora pas d'une seule entrevue. Je fus au temple ; et là, sans détourner la vue, Victime dévouée au cruel intérêt, On me fit malgré moi prononcer mon arrêt. Quel hymen ! Ou plutôt quelle union fatale ! L'aversion, sans doute, entre nous fut égale. En sortant de l'autel, Sainflore disparut. Moi-même je m'enfuis ; et mon époux mourut. Mais j'ai connu l'erreur de mon antipathie, Je crois, si mon époux n'eût pas perdu la vie, Que sans doute l'hymen, mon devoir, et le temps, Auraient mis dans mon coeur de plus doux sentiments. Peut-être que sa fille... C'est, sans doute, Orphise que j'attends ! Madame... Ma reconnaissance... De grâce... Souffrez... Pour vos moindres désirs il aura plus d'égard. Madame, sur Damon, ai-je assez de crédit ?... Je le crois honnête homme. En quoi, madame ? Tous ses pareils devraient imiter sa prudence. Ceux qui font autrement sont toujours ennuyeux. Il n'appartient qu'aux sots d'en tirer vanité. Plaît-il ? Rien. Ciel ! De quoi va-t-elle me prier ! En vérité, madame... Nérine... Quelle commission dangereuse et cruelle ! Je ne puis y songer ni pour moi, ni pour elle. Oui, cette occasion n'est qu'un piége fatal. Je m'exposerais trop, je la servirais mal. Laissons aller Damon ; il faut que je l'évite. Imagine une excuse, et reçois sa visite. J'aime mieux à jamais ignorer ma victoire, Que de mettre en danger mon honneur et ma gloire. Que ne l'ai-je évité ! Mon repos, dites-vous ? On croyait que Julie aurait dû vous charmer. Quoi ! Ses attraits naissants n'ont pu vous enflammer ? Vous le voulez ? Il faut approuver votre zèle. Sans entrer plus avant dans votre confidence, Puisque vous nous quittez, vous avez vos raisons. Vous êtes marié ? Orphise approuvera ce départ nécessaire. Il est donc marié ?... Que devient mon amour ? Nérine, je l'aimais... Sa présence funeste N'eût fait qu'entretenir un feu que je déteste. Est-ce là le bonheur dont mon coeur s'est flatté ? Rassure-moi ; je crains d'avoir trop éclaté. Ai-je pu contenir ma colère trop prompte ? N'en ai-je point trop dit ? Ah ! Je mourrais de honte. Ah ! Ne te donne point une gêne importune. Quand la nécessité ramène ma raison, Cesse de retarder encor ma guérison. C'est assez... va chercher l'épouse de Géronte. De tout ce qui se passe, il faut lui rendre compte. Pour ne plus voir Damon, qui part dans un moment, Je vais me renfermer dans mon appartement. Damon est-il parti ? Orphise ne vient point ? Ne m'abandonne pas. Des noms aussi flatteurs ne me conviennent point : Et vous me surprenez, madame, au dernier point. Madame, excusez-moi... Mon ouvrage ? Je n'y prends point de part. Il vous plaît de le croire. Madame, il n'en est rien. Non, je vous jure. Cela peut être vrai ; mais vous me l'apprenez. Quoi, véritablement ? Je vous le certifie. Je n'ai parlé de rien. Encore moins. Oui, je sais qu'une femme aime un peu trop à plaire ; C'est de l'âge où je suis la faiblesse ordinaire. Dans l'arrière-saison, on ne fait qu'en changer ; Du monde qui nous quitte on cherche à se venger, Du plaisir qui nous fuit, des défauts qu'on regrette, Auxquels on voudrait bien être encore sujette. Alors, par désespoir et par nécessité, On se masque ; l'on prend un air d'autorité ; On se croit vertueuse en voulant le paraître, Tandis qu'au fond du coeur, on néglige de l'être ; Qu'au contraire on se fait un plaisir inhumain De nourrir son orgueil aux dépens du prochain. L'esprit de charité paraît une faiblesse ; Et la mauvaise humeur prend le nom de sagesse : Ainsi chaque âge apporte un travers différent. On échange un défaut contre un autre plus grand ; Et l'on corrige un vice avec un autre vice. Mais je veux vous forcer à me rendre justice. Un mot vous suffira, pour voir quel intérêt Je dois prendre à Damon. Apprenez que Damon ne peut être à Julie. Par un hymen secret il se trouve lié. Non, je vous en assure. Ainsi, vous voyez bien que c'est me faire injure. Ah ! Quelle calomnie ! Je n'y saurais tenir ; je suis au désespoir. Quel trait injurieux ! En est-il un plus noir ? Il reste ; je l'ignore ; et l'on m'en fait un crime : Mon repos, mon honneur, tout en est la victime. Et pouvais-je m'attendre à cette indignité, Et qu'on m'imputerait la dernière bassesse ? Nérine, quelle horreur ! On me croit la maîtresse D'un homme marié ? Que vais-je devenir ? Le bruit va s'en répandre. Orphise va le dire à qui voudra l'entendre. Ah ! Quelle est ton erreur ? C'est assez qu'une histoire attaque notre honneur, Elle passe aussitôt pour être véritable. Tout ce qui peut nous nuire, ou nous perdre, est croyable, On n'examine rien ; et la crédulité Va toujours contre nous jusqu'à l'absurdité. Dis-moi la vérité. Ne m'as-tu point trahie ? Damon devait partir. J'ai reçu ses adieux : Cependant il s'obstine à rester en ces lieux. N'aurais-tu point parlé ? Je ne sais que penser ; je ne sais que conclure. Me serais-je oubliée ?... Aurait-il deviné ? Dis-moi par quel motif il s'est déterminé ? Après tant de respect, d'où lui vient tant d'audace ? Il faut donc m'éloigner, il faut que je me chasse. Mais il devinera que c'est lui que je fuis. Il me suivra partout, puisqu'il reste où je suis. Va le trouver. Dis-lui... Non, il vaut mieux écrire. On ne dit par écrit que ce que l'on veut dire. Et toi, tu lui feras remettre mon billet. Tiens, fais rendre à Damon... Damon ! Vous le deviez attendre ; et je dois m'étonner De n'avoir pas reçu cette marque d'estime. Épargnez-vous le soin D'un éclaircissement, dont je n'ai pas besoin. Nous nous devons toujours éviter l'un et l'autre. J'ai ma raison. Souffrez que j'ignore la vôtre. Partez, monsieur, partez ; et cessons de nous voir ; Que ce soit par égard, si ce n'est par devoir. C'est pour vous en prier que j'ose vous écrire. Vous ne devez plus avoir rien à me dire. Damon ose me retenir ? J'ai lieu de m'offenser de votre résistance. Je ne veux rien savoir... Quoi ! Vous vous séparez ? C'est donc-là ce secret que vous vouliez m'apprendre ? Et vous croyez, monsieur, qu'il doit m'intéresser ? Malgré tous ces détours où votre esprit s'efforce, Ce que vous m'annoncez est toujours un divorce. Oui, tel que soit le nom dont vous les colorez, C'est votre épouse enfin que vous déshonorez. Vous prétendez, monsieur, me rendre la complice D'un coupable abandon fondé sur un caprice. C'est vous qui l'exigez. Peut-elle y consentir ? Je sens le désespoir qu'elle doit ressentir D'un si terrible affront. Je me mets à sa place. Pour elle enfin, monsieur, je vous demande grâce. Si vous n'aimiez ailleurs... ah ! N'en espérez rien. Elle m'accuserait... votre coeur est son bien. Loin de favoriser cette indigne rupture, Je ne puis profiter de sa triste aventure. Quelle conformité. Dites-moi donc comment elle a pu vous haïr ? Vous me haïssez bien. Ah ! Laissez-moi vous fuir. Oublions-nous tous deux. N'ajoutez pas encore à mon état funeste Cet affreux désespoir. Restez dans votre erreur, et vivez seulement. Damon... Que vois-je ! Orphise ? Adieu ; fuyez, disparaissez. Pardonnez-moi, madame. Je fais plus ; car je l'aime. Elle était vraie alors ; mais tout est bien changé. D'un malheureux hymen Damon est dégagé. On va briser sa chaîne ; il me l'a dit lui-même. Voilà ce qui me fait avouer que je l'aime : Car je dois avec vous bannir un vain détour. Toutefois à Damon j'ai caché mon amour. Je le crois ; ou du moins je cherche à me séduire. Mais, Madame, en tout cas, vous pouvez l'en instruire. Ils vont être rompus. Oui, je n'en rougis point ; je chéris ma défaite ; Je perds ma liberté, sans que je la regrette ; J'ai rencontré l'objet que je devais aimer. Un mutuel amour a su nous enflammer. C'est une sympathie invincible, absolue, Que j'ai d'abord sentie à la première vue. Si le même rapport n'eût agi dans son coeur, Jamais je n'aurais pu survivre à ce malheur. Mon époux est vivant ! Il vit, et je suis infidèle ! Grand dieu ! Dans quelle horreur me précipitez-vous ? Ah ! Vous n'ignorez pas quelle est l'antipathie, Que m'inspira l'époux à qui je suis unie. L'un et l'autre aux autels nous fûmes entraînés, L'un à l'autre à regret nous fûmes enchaînés. Hélas ! Pour éviter une infortune extrême, À quel triste moyen n'ai-je pas eu recours ? Que ne me laissait-on finir mes tristes jours ? J'avais passé douze ans ignorée et tranquille : Devais-je consentir à quitter mon asile, Pour venir retrouver celui que je fuyais ? Sainflore n'était plus ; du moins je le croyais ; Il ne m'en resta pas la moindre incertitude. C'est-là ce qui me fit quitter ma solitude. J'ai cru renaître. Hélas ! Je n'avais point vécu. Le plus beau de ma vie avait été perdu ; Et l'amour en devait empoisonner le reste. Damon vint dans ces lieux. C'est l'époque funeste Du plus grand de mes maux. Mon coeur en fut blessé. Je crus pouvoir aimer. Mon coeur s'est trop pressé. C'est d'avoir cru pouvoir disposer de mon coeur. Mais enfin, sous ce nom, qu'au moins pour mon bonheur Votre époux a voulu que je gardasse encore, Je peux fuir à jamais un époux qui m'abhorre. De quel front à présent paraîtrais-je à ses yeux ? Pourrais-je soutenir le reproche odieux Dont il accablerait une épouse infidèle, Que peut-être il voudrait retrouver criminelle ? On connaît son erreur sans pouvoir en guérir. Adieu. Je pars, je fuis ; et je vais en mourir. Madame, à vos avis je rends plus de justice. Vous arrêtez mes pas au bord du précipice. Victime d'un penchant devenu criminel, J'allais m'envelopper d'un opprobre éternel ; J'allais me dérober au pouvoir légitime D'un époux, qu'on ne peut abandonner sans crime. C'est un dessein coupable ; et je n'y pense plus. Je reprends des liens que je croyais rompus. Il m'en coûtera cher... que dis-je, malheureuse ? Mais la nécessité me rendra vertueuse. J'ai gagné sur mon coeur, ou du moins je le crois. Ah, rencontre cruelle ! Et qu'est-ce que je vois ? Je vous l'ai dit, vivez ; mais cessez de me suivre. Ah ! Ne m'engagez point à de nouveaux combats. Mon coeur n'a pas besoin d'une épreuve cruelle. À vous faire haïr, à me désespérer. C'est me persécuter, c'est me déshonorer, Que d'exposer encor mon coeur à se défendre. Ce sont de vains regrets que je ne puis entendre. Vous avez un rival qui n'en doit point avoir. Je vais le retrouver, et remplir mon devoir. Non, je n'ai point assez d'audace, ni de force, Pour aller mendier un malheureux divorce. Je n'imagine pas qu'une femme de bien, Puisse jamais avoir recours à ce moyen. Il faut un front d'airain pour donner ce scandale. Sur l'espoir d'un succès toujours déshonorant, Je ne risquerai point d'être tympanisée. Le plus grand des malheurs est d'être méprisée. Hé quoi ! Sur un prétexte absurde et mendié, Aller de porte en porte implorer la pitié, Y faire de sa vie un journal équivoque, Que personne ne croit, et dont chacun se moque Suborner des témoins, gagner des partisans ; Remplir les tribunaux de ses cris indécents ; Y faire débiter des plaintes infidèles ; Inonder le public d'injurieux libelles ; Ébruiter des malheurs qu'on pouvait empêcher, Ou qu'au moins la raison devait faire cacher : Je ne puis seulement soutenir cette idée. Daignez lui pardonner. À sa discrétion, je veux m'abandonner. Peut-être que l'absence, et son état funeste Auront changé son coeur ; le mien fera le reste. Ah, cruel ! D'où vient donc le remords qui m'accable... Qu'ai-je dit ? Je me rends encore plus coupable. Ne vous promettez rien des pleurs que je répands. Non, quand je briserais les noeuds que je reprends, Notre hymen ne peut plus devenir légitime. Ce serait avouer, et consommer mon crime. Vous avez une épouse. Imitez-moi tous deux : Ou, plutôt, puissiez-vous l'un et l'autre être heureux. Je sens que tôt ou tard il faut qu'elle vous aime. C'est vous qui le voulez. Arrêtez. On pourrait en dire autant de moi. C'est vous qui me jugez. Respectez ses malheurs. Ne le sachez jamais. J'entrevois vos projets ; Et le coupable espoir que vous gardez encore. Voulez-vous achever de perdre Léonore ? Son repos, son honneur devraient bien vous toucher. Ah ! Qui m'a pu trahir !... Téméraire ! Arrêtez. Quelle horreur !... Laissez-moi... Vous, Sainflore ? Ô sort trop fortuné ! C'est mon époux que j'aime. **** *creator_nivelle *book_nivelle_fausseantipathie *style_verse *genre_comedy *dist1_nivelle_verse_comedy_fausseantipathie *dist2_nivelle_verse_comedy *id_DAMON *date_1744 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_damon L'ennui n'habite point le séjour où vous êtes. Des motifs plus pressants, d'autres peines secrètes... Oui, madame, je fuis ; Je fais ce que je dois, et plus que je ne puis. Que trop ? Mon honneur, ma raison, le danger, ma faiblesse ; Votre repos, enfin. Ah ! Madame, daignez m'écouter sans courroux. N'y cherchez point un sens coupable et téméraire. Oui, pour votre repos, ma fuite est nécessaire. Orphise dans ces lieux cherche à me retenir ; Et c'est ce qui m'a fait résoudre à me bannir. Car enfin je dois voir ce qu'on rend trop visible, Sa bonté m'est à charge, et vous serait nuisible. Quelqu'un l'ignore-t-il ? Non, jamais on ne peut Avec plus de mystère, être plus indiscrète. Mais je ne puis répondre à ce qu'elle souhaite. Ah ! Tout autre que moi doit lui rendre les armes. Non. J'échappe à ses charmes. Vous seriez exposée à des soupçons jaloux. Orphise, avec raison, n'accuserait que vous Du refus que je fais de prendre cette chaîne. Sa pénible amitié se changerait en haine. Sans compter d'autres maux trop aisés à prévoir, Je payerais trop cher le plaisir de vous voir. De quoi m'accusez-vous ? Je m'exile chez moi. D'ailleurs, si quelqu'objet me tenait sous sa loi, Hélas ! Je n'aurais point de retour à prétendre ; Mon coeur s'entretiendrait dans l'amour le plus tendre, Sans laisser éclater le moindre de ses feux. Moi, des raisons ? Je vois vos injustes soupçons. Vous croyez que je vole où mon bonheur m'appelle. Si vous saviez combien cette erreur m'est cruelle ! ... Puisque vous m'y forcez, apprenez mon état. Si j'aimais, mon amour éviterait l'éclat. Je dis plus. Mon aveu deviendrait un outrage, Qui déshonorerait l'objet de mon hommage. Mon vainqueur ne pourrait répondre à mon amour. Hé ! Que me servirait le plus tendre retour ? Il ferait le malheur de cette infortunée. Je gémis dans les fers d'un cruel hyménée. Je le suis. Mais enfin Un prompt événement peut changer mon destin. Madame, j'obéis. J'espère un prompt retour. Faisons cesser enfin le bruit de mon trépas. Mon ennemi s'apaise après tant de débats. Celle à qui mon malheur avait uni ma vie, Se porte à dénouer la chaîne qui nous lie ; Du moins on se fait fort de lui faire agréer Ce projet, que ses gens viennent de m'envoyer. J'ai donné ma parole ; on répond de la sienne. Ainsi, dans quelque endroit que ma femme se tienne, Nous nous verrons bientôt, pour ne nous plus revoir. Mes amis en secret m'ont donné cet espoir. Qu'il m'est doux de briser une odieuse chaîne ! Je tiens notre rupture infaillible et prochaine ; Il ne nous manque plus qu'une formalité Pour achever enfin notre félicité. En attendant, cessons une feinte importune : Allons à Léonore annoncer ma fortune. Avant que je lui dise et mon nom et mon rang, Pénétrons dans son coeur. C'est d'où mon sort dépend. Voyons si mon amour... mais j'aperçois Nérine. Peut-on voir Léonore ? Je veux lui parler un moment. Il faut que je la voie. De grâce, annonce-moi. Que je lui dise un mot. Il m'est de conséquence. Ma bague. Elle est en bonnes mains ; et, puisqu'elle te plaît, Profite du présent que le hasard te fait. Oui ; c'est une bagatelle : Nérine, je voudrais qu'elle eût été plus belle. Ce n'est qu'un faible essai du bien que je te veux. Puisqu'on ne peut parler à ta belle maîtresse, Tu lui donneras bien un billet de ma part. Je cours te le chercher, je reviens au plus vite. Tiens, donne à ta maîtresse... Madame avait quelque ordre à me donner ? Une raison heureuse, ou du moins légitime, Dont je vais vous instruire... Mais... Ah ! Madame... Apprenez donc mon crime, avant de me punir. Il est vrai. Pardonnez cette dernière instance. Il y va de mes jours. Permettez en partant, Qu'on vous dise un secret qui peut m'être important. Hélas ! Daignez m'entendre. Enfin, je puis céder à l'amour le plus tendre. Ces soupirs, si longtemps retenus dans mon coeur, Peuvent enfin paraître aux yeux de mon vainqueur. Moins je l'offense, et plus je ressens que je l'aime. Je n'ai plus désormais que sa rigueur extrême... Ah ! Ce titre si doux Aurait dû ne jamais appartenir qu'à vous. Celle qui le portait n'a point perdu la vie ; Nous cédons l'un et l'autre à notre antipathie ; Et ces noeuds que l'hymen avait désavoués, Sont d'un commun accord entre nous dénoués. Une heureuse rupture Nous dégage tous deux d'une chaîne trop dure. Nos serments étaient nuls, ils ont été forcés ; Notre bouche à regret les avait prononcés. Nos coeurs ont réclamé contre la tyrannie De ceux à qui le ciel nous fit devoir la vie. La loi me restitue et ma main et mon coeur. Nous pouvons tous les deux nous choisir un vainqueur. Hélas ! Mon choix est fait ; et vous devez m'entendre. Quoi donc ! Ce faible espoir peut-il vous offenser ? N'appelez point divorce un accommodement. Quand je consens à rompre un faux engagement, Une chaîne, à tous deux également cruelle, Ce n'est point un affront ; c'est un bonheur pour elle. Vous n'avez jamais su, vous n'éprouverez point Que le plus grand malheur est celui d'être joint Au déplorable objet d'une haine invincible. Soyez-y donc sensible. Quand vous refuseriez de vous rendre à mes voeux, Nous ne romprons pas moins nos liens rigoureux. Ma femme n'eut pour moi qu'une haine mortelle ; C'est ce que vous avez de commun avec elle. Moi, que je vous oublie ? Vous, sur qui je fondais le bonheur de ma vie, Qui seule avez trouvé le secret d'enflammer Un coeur que je croyais incapable d'aimer, Dont vous allez causer l'éternelle souffrance ! Perd-on le souvenir, en perdant l'espérance ? Ce n'est qu'en expirant d'amour et de douleur, Que je puis oublier l'auteur de mon malheur. Vous l'apprendrez bientôt ; c'est l'espoir qui me reste. C'est vous qui le causez. Ces frivoles raisons que vous me proposez, Qu'invente contre moi votre délicatesse, Ne l'emporteraient pas sur la moindre tendresse. De votre aversion, c'est le plus sûr garant. Ah ! Puis-je interpréter ce que je viens d'entendre ? Est-ce pitié ? Serait-ce un sentiment plus tendre ? Léonore, achevez. Éclaircissez... Je l'adore. à quoi sert ma tendresse ? Je m'en consolerai ? Jamais ; et j'en mourrai. Moi, la déshonorer ? En quoi, je vous supplie ? Ah ! Silvie aurait tort de se plaindre de moi. Je fais ce qu'elle veut ; et je lui rends sa foi. Elle a fait trop longtemps le malheur de ma vie. Quand on ne s'aime point, aisément on s'oublie. On cherche volontiers à sortir de ses fers. Léonore est l'objet que j'aimerai toujours. Mon secret doit ici n'être su de personne. Ce nom m'a fait frémir ; et ce rapport m'étonne. C'est un infortuné, qui n'a plus guère à vivre. Eh ! Le puis-je ? C'est vous qui voulez mon trépas. Hélas ! Que craignez-vous ? À quoi servirait-elle ? Vous l'étendez plus loin qu'il ne devrait s'étendre. Madame, si je crois ce qu'on m'a fait entendre, Sans blesser ce devoir, vous pourriez recourir À des moyens plus doux, qu'on vient de vous offrir. On vous excepterait de la loi générale. Vous allez exposer votre gloire, et vos jours. Songez-vous qu'un mortel, insensible à vos larmes, Va jouir, malgré vous, d'un bien si plein de charmes ? Je ne vous parle point du désespoir affreux Où vous allez jeter le coeur d'un malheureux, Qui mourra, malgré vous, dans sa persévérance. J'avais pris dans vos yeux une fausse espérance. Je perds tout, en perdant ce bonheur apparent. Ce que je deviendrai vous est indifférent. N'exigez pas de moi cette faiblesse extrême. Sa haine ou son amour ne m'intéressent plus. Ne consent-elle pas que nos fers soient rompus ? Y consentirait-elle, Si ce n'était pour prendre une chaîne nouvelle ? Je n'eus jamais son coeur ; elle a repris sa foi. Quels rapports étonnants ! Eh ! De grâce, Madame... Peut on savoir le nom... Ne me refusez pas... Sous ce nom étranger, cessez de vous cacher. Vous vous nommez Silvie, et non pas Léonore. Que n'êtes-vous aussi l'épouse de Sainflore ! Madame, permettez... Je renais... Ah ! Madame... Ah ! Ma chère Silvie... Tenez... je suis... voilà votre consentement ; Retrouvez un époux dans le plus tendre amant. **** *creator_nivelle *book_nivelle_fausseantipathie *style_verse *genre_comedy *dist1_nivelle_verse_comedy_fausseantipathie *dist2_nivelle_verse_comedy *id_GERONTE *date_1744 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_geronte Léonore est en pleurs ? D'où vient qu'elle m'évite ? Je dois à Léonore un petit compliment ; Je vais m'en acquitter. À votre appartement, je me suis fait écrire. Si vos gens sont exacts, ils pourront vous le dire. Nous nous retrouverons ; et plutôt dix fois qu'une. Ne nous imposons point une gêne importune, Ni ces empressements follement amoureux, Ridicules à l'âge où nous sommes tous deux. Oui, dans l'âge où nous sommes, Vous croyez que le tems ne vieillit que les hommes ? Est passé pour ne plus revenir. C'est quand vous le voudrez. Eh ! Madame, pourquoi l'appeler de ce nom ? Vous avez toujours eu cette démangeaison. Vous savez cependant qu'il était nécessaire, De peur d'effaroucher des gens intéressés Entre qui tous ses biens se trouvaient dispersés : Mais c'était un secret, et la charge est pesante. Tout va bien. Ah ! D'accord. Oui, cet homme prétend n'avoir pas été mort : Il revient, c'est à quoi je ne m'attendais guère : Les gens qu'il a chargé du soin de ses affaires, Ont arrêté les miens, quand j'allais terminer : Mais d'une autre façon j'ai su me retourner, Sans paraître autrement, que par mes émissaires ; J'ai pris les sûretés qui m'étaient nécessaires. Léonore, en tout cas, n'y participe en rien. C'est sur quoi nous allons avoir un entretien ; Car elle ne sait pas ce que j'ai fait pour elle. Tant mieux. Parbleu, l'alternative est toujours quelque chose. Pourquoi donc, s'il vous plaît ? Ah, ah ! Oui-da, ce parti-là pourrait être assez bon. Mais, pour cela, faut-il que je chasse ma nièce ? J'entends à demi-mot. Les femmes ont toujours des projets merveilleux. Ma nièce n'aura point regret à mon voyage. D'abord, j'ai retiré tous ses biens du pillage. Son époux, il est vrai, n'est pas mort. Cependant Je n'en suis pas la cause ; et c'est un accident Qui n'interrompra guère, ou très peu son veuvage, Puisqu'il veut bien laisser casser son mariage. Allons la préparer à cet événement. Elle n'espère pas un si bon dénouement. La femme est une espece à qui rien ne ressemble ; C'est tout bien ou tout mal ; et tous les deux ensemble. Est-elle vertueuse ? Elle l'est à l'excès. Sa sagesse devient un véritable accès ; La modération lui paraît insipide : C'est toujours à l'extrême où son penchant la guide. Ses moindres mouvements sont des convulsions ; La vertu, dans son coeur, se change en passions, Dégénère en faux zèle, et devient fanatique. Ne vous chagrinez pas d'un portrait si flatté. Une femme, à tout âge, est un enfant gâté. Madame, je suis juste, et sans prévention. J'avais fait jusqu'ici certaine exception... Une. Et c'était encor trop. C'est Silvie. Ah ! Morbleu, je me trompe de nom. Son caprice imprévu me trouble la raison. Diable ! Je ne sais plus ce que je voulais dire. J'exceptais Léonore ; et cela vous fait rire. Léonore, elle-même. Oui, d'avoir du mérite. Que trop. Et c'est en elle un excès qui me blesse, Un travers véritable, un faux raffinement, Fondé sur le scrupule, et sur l'entêtement. Je m'en vais préparer Damon à sa disgrâce. Déjà ? Mais vous l'avez accablé de douleurs ? J'espère cependant... Peut-être que Damon, que j'ai fait avertir, Aura plus de crédit... Oui. Point du tout. Si ma nièce était moins obstinée, Elle pourrait... Venez, monsieur, venez vous unir avec nous ; La pauvre Léonore... elle se croyait veuve. Eh bien, il n'en est rien ; nous en avons la preuve. Mais de son esclavage on pourrait l'affranchir. Peut-être mieux que moi vous pourrez la fléchir. Un mot de ce qu'on aime a toute une autre force. Déterminez un coeur fortement combattu. Ne l'abandonnez pas à sa triste vertu. Car je n'ignore plus qu'elle vous intéresse. Vous l'aimez ? Ma foi, sans le savoir, je travaillais pour lui. Quand ma nièce peut rompre une chaîne cruelle, Elle n'approuve plus ce que j'ai fait pour elle. Sous main, depuis un mois, j'ai mis l'affaire en train ; Mais le diable jaloux, ou l'esprit féminin, Ne veulent pas permettre une union si belle. Eh ! Madame, tâchez d'être un peu plus tranquille. Jetez-vous à ses pieds. Employez les soupirs. Allez. Quand on ne s'aime point ? Je m'en doutais, madame. Ma nièce est cependant l'objet qui vous enflamme ? L'équivoque des noms a pu nous embrouiller ; Mais l'histoire en serait trop longue à détailler. C'est peut-être le nom de certaine beauté, Qui vous a fait, sans doute, une infidélité. Ma nièce, en vérité, tous ces grands sentiments Sont des inventions pour orner des romans. Heureuse, apparemment. Est sûr. Le cas est différent. Eh ! Non. Rassure-toi. Ta crainte est mal fondée. Non. Il s'agit au plus D'achever de briser des noeuds presque rompus, De m'en laisser le soin ; en un mot, de reprendre L'heureuse liberté qu'on offre de lui rendre ; De quitter un époux. Erreur ! N'espérez pas de si tendres retours. Quelle bizarrerie ! Eh ! Ventrebleu, va-t-en les faire dételer. Pourquoi s'abandonner au torrent des scrupules ? De trop grands sentiments sont souvent ridicules. Si c'était un époux tel qu'eût été Damon, Passe ; mais ç'en est un qui n'en eut que le nom ; Un jeune écervelé qui laisse sa compagne, Et, pour libertiner, va battre la campagne ; Que je ne connais point ; car ma soeur, dieu merci, Ne consultait personne en tout, comme en ceci ; Un homme qui n'agit que par ses émissaires, Et n'ose se montrer que par ses gens d'affaires ; Qui, lorsqu'on le croit mort, revient après douze ans Pour se démarier. Voilà pourtant l'époux que ma nièce réclame ! Voyons donc. C'est lui-même. La bonne antipathie ! Ah ! Gardez-la toujours. Haïssez-vous ainsi, le reste de vos jours. **** *creator_nivelle *book_nivelle_fausseantipathie *style_verse *genre_comedy *dist1_nivelle_verse_comedy_fausseantipathie *dist2_nivelle_verse_comedy *id_ORPHISE *date_1744 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_orphise Vous pouvez demeurer. Vous avez quelque adresse ; J'aurai besoin de vous, et de votre maîtresse. Madame, vous savez qu'autant que je le puis, Je me fais un devoir d'adoucir vos ennuis. Entre ma fille et vous tout mon coeur se partage. J'espère que Géronte en fera davantage ; Qu'il vous fera rentrer dans vos biens usurpés. Si par malheur enfin ses soins étaient trompés, Vous deviendrez, madame, une seconde fille, Que la fortune aura mise dans ma famille ; Et vos plus grands malheurs m'attacheront à vous. Je prévois ce que vous m'allez dire. Est telle que je désire. Épargnez-vous de vains remerciements. C'est tout ce que je crains quand j'oblige les gens. Je viens d'apprendre un départ qui m'afflige. Damon va nous quitter. Et c'est ce qui m'oblige À vous venir prier d'empêcher son départ. N'importe. Je voudrais, sans être compromise, Que vous employassiez ici votre entremise. Assez, pour l'amener au point dont il s'agit. J'ai des desseins secrets qu'il faut que je vous dise. Connaissez-vous Damon ? Parlez avec franchise. Oh ! Je n'en doute pas. Le mystère a pour lui de furieux appas. Je m'y perds comme vous. Depuis qu'il nous fréquente, Il est d'une réserve incivile et piquante. En tout. En voici quelques traits. Il est homme de guerre, et n'en parle jamais. Quand on est noble, on peut en faire confidence. Il ne cite jamais ni lui, ni ses ayeux. Quand on est riche, est-il naturel qu'on s'en cache ? Le premier avantage est que chacun le sache. Ainsi vous approuvez sa singularité ? Tant mieux. Du reste, il est homme assez sociable. Je crois qu'on en peut faire un mari fort passable. J'ai, comme vous savez, ma fille à marier. Et ce serait me faire un plaisir véritable De savoir si Damon est un parti sortable. En ce cas, agissez, madame ; servez-nous, Comme on vous servirait ; faites comme pour vous. Je veux, de votre main, l'accepter pour mon gendre. Je crois qu'il va venir vous faire son adieu. Je sors ; il ne faut pas qu'il me trouve en ce lieu. Vous ne mettrez en jeu ni moi, ni la future. En pareille aventure, Il faut avec adresse employer les détours. Tout homme qu'on recherche en abuse toujours : Se renchérit d'abord, sans valoir davantage : Et, de rien qu'il était, s'érige en personnage. Leur fatuité vient du cas que l'on en fait. Il faut les maîtriser, malgré que l'on en ait, Se les assujettir, les faire à son caprice. Nous perdons leur estime, en leur rendant justice ; Nous nous avilissons, si nous sentons leur prix ; Et la moindre indulgence attire leur mépris. Je vous laisse. Madame, en vérité, vous êtes admirable, Une personne unique, une femme adorable. Damon nous reste enfin, grâce à votre entremise : Si je le sais déjà, n'en soyez pas surprise. Ses gens l'ont dit aux miens. Les valets savent tout ; c'est d'eux que je le tiens. Vous me voyez sensible, on ne peut davantage. Allons, madame, il faut achever votre ouvrage. Quoi donc ? Mais ne venez-vous pas d'empêcher son départ ? Et de plus, j'en suis sûre. Comment ? Damon reste pourtant ; les ordres sont donnez. J'en ai l'âme ravie. Vous n'avez point écrit ? Tant mieux. Je connais le motif qui l'attache en ces lieux. Ma fille, j'en suis sûre, en a tout le mérite. Damon ne peut quitter un séjour qu'elle habite. Pour vous, madame, à qui cette affaire déplaît, Il faut vous dispenser d'y prendre d'intérêt. Oui, je n'ignore pas qu'une femme à votre âge, N'aime guère à jouer un second personnage. Elle voudrait que tout lui devînt personnel ; être l'unique but, l'objet perpétuel Où tendent tous les coeurs, les yeux et les oreilles ; Plaire, à l'exclusion de toutes ses pareilles ; N'en reconnaître aucune, et dominer partout. À votre âge, madame, on est fort de ce goût. Voyons donc ce que c'est. Qui l'en empêchera ? Pourquoi donc, je vous prie ? Bon ! Que me dites-vous ? Le traître est marié ? En secret. Avec vous ? Ah ! L'énigme est assez facile à deviner. Damon devait cesser de nous importuner. Il n'est point retenu par moi, ni par Julie ; Et cependant il reste. Ce que j'ai vu m'enchante ! En vérité, l'attitude est touchante. Je venais vous marquer que j'avais du regret D'avoir conçu peut-être un soupçon indiscret. L'excuse n'a plus lieu. Vous souffrez que Damon vous parle de sa flamme ? Avez-vous oublié Que Damon, par malheur, est déjà marié ? Pour vous, apparemment, c'est une bagatelle ; Ou bien vous m'avez dit une fausse nouvelle. On va briser ses fers ? Madame, il devient libre, et vous ne l'êtes plus. Vous survivrez, madame, à de plus grandes peines. La mort de votre époux n'a point brisé vos chaînes : Il est encore vivant. Oui. C'est ce que Géronte a dit en arrivant. Il va vous confirmer cette heureuse nouvelle. Il était temps. Est-ce un si grand malheur de revoir un époux ? Une fille aisément se prévient, et s'entête ; Et veut mal-à-propos se choisir sa conquête. Je subis, à votre âge, un hymen plus fâcheux : J'en ai fait un second plus conforme à mes voeux : Et bien, je vous dirai qu'ils reviennent au même. Il faudra bien éteindre une flamme importune. Et d'ailleurs, quelle est donc cette grande infortune ? C'est la sujétion du sexe infortuné De périr sous le joug quand il est enchaîné. Abandonnez enfin le nom de Léonore. La feinte vous rendrait plus criminelle encore. Allez, Silvie, allez, retrouver votre époux. Vous vous inspirerez des sentiments plus doux. Aussi bien que l'amour, l'aversion s'épuise. D'autre ressource enfin ne vous est plus permise. C'est vous, Monsieur Géronte ? Où courez-vous Si vite ? Eh ! De grâce, un moment. Certes, pour un époux l'accueil est très galant ; Après un mois d'absence, il est fort consolant. Monsieur, parlez du vôtre. Autrefois... Et vous anticipez toujours sur l'avenir. Monsieur, entendons-nous une fois dans la vie. Au sujet de Silvie... Monsieur, c'est que jamais je n'aimai le mystère. L'apostrophe est commune, et même déplaisante. Son époux est vivant ? En vérité, j'ai plaint sa fortune cruelle. Mais cependant, pour certaine raison, Il faudra, qu'elle ou moi, sortions de la maison. C'est que je me propose De marier... Ma fille avec Damon. C'est qu'en un mot ici sa présence me blesse. Je n'en dirai pas plus, ni d'elle, ni de lui. Suffit. Je n'aime point à parler mal d'autrui. Disposez votre nièce À suivre son époux. J'y compte. Je vous laisse. Arrangez-vous ensemble ; et faites pour le mieux. Sachons ce que Géronte aura fait chez sa nièce. S'il aime un peu ma fille, en cas qu'il s'intéresse À son hymen, il peut me servir à mon gré. Damon est gentilhomme ; il est même titré... Ah ! Vous voilà, monsieur, dans votre humeur critique. Le mépris pour le sexe est un air qu'on se donne, Qui n'est, en vérité, convenable à personne. Peut-on savoir combien vous en exceptiez ? Pour nous quelle fortune ! C'est votre nièce, à qui vous faisiez cet honneur ? Elle a bien du bonheur. Autant que de sagesse. Bon ! Je l'ai prévenu de tout ce qui se passe. Il fallait, tôt ou tard, qu'il apprît ses malheurs. Plutôt on les apprend, plutôt on s'en console. Espérance frivole. Eh ! Laissez-la partir. Elle est mariée... L'affaire est terminée. Aller retrouver son époux. Quoi ! Vous voulez, monsieur, la porter au divorce ? Ce sont-là de vos tours. Vous servez en ami. On s'en consolera. Modérez votre zèle. Vous serez dans le cas. Non, vous n'en mourrez pas. Vous, donnez un conseil plus sage et plus utile. Ne la voyez jamais. Oubliez ses attraits. Quoi ? Voulez-vous déshonorer Silvie. Pour le coup, je m'y perds. Ceci ne laisse pas d'être incompréhensible. Pour qui donc votre coeur était-il si sensible ? Léonore n'est point l'objet de vos amours ? Nous extravaguons tous. La morale est légère, et ce n'est pas la mienne. Monsieur, que voulez-vous que madame devienne ? Eh ! Le moyen ? Quoi ! Faudra-t-il qu'au fond de quelque asile obscur, Elle aille ensevelir une épouse craintive, Ou mener une vie errante et fugitive ? Ne vous en flattez pas. Eh ! Mais, pardonnez-moi. Oh ! Vous traitez toujours la vertu de folie. Damon, y songez-vous ? Ah, grand dieu ! **** *creator_nivelle *book_nivelle_fausseantipathie *style_verse *genre_comedy *dist1_nivelle_verse_comedy_fausseantipathie *dist2_nivelle_verse_comedy *id_FRONTIN *date_1744 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_frontin C'est elle... Qui devait l'enflammer. Léonore a toujours une mélancolie Qui lui fait bien du tort. L'amour suit la folie. On veut qu'une maîtresse ait l'air vif, sémillant ; Un peu moins de bon sens, un peu plus de brillant. Défiez-vous-en ; L'histoire d'une femme est toujours un roman. Un brevet de veuvage ? Mais je ne vois point là tant de sujet d'ennui ; Car Léonore est veuve, et dans le plus bel âge. Ceci m'ouvre l'esprit ; et je crois entrevoir... Que je n'étais qu'un sot... oui. Je crois que Léonore arrête ici mon maître ; Mais qu'à cause d'Orphise il tient ses feux secrets. Quand Damon acheta cette terre ici près, Tu sais que le château n'était pas praticable ; Et qu'il était besoin pour le rendre habitable... Géronte, en attendant, s'en vint nous accueillir ; Et, comme un bon voisin, nous offrir un asile. Nous vînmes donc chez lui. Mais notre domicile Est depuis quelque tems en état d'y loger : Mon maître cependant paraît n'y pas songer. Julie ? Ah ! Si mon maître en avait l'âme éprise, Son amour oserait paraître à découvert. Léonore est trop fière ; et sa fierté nous perd. Les femmes se connaissent. Ah ! Te voilà, Nérine ! Enseigne-moi mon maître. Si j'en sais rien, je veux être étranglé tout net. Mon maître est un sournois comme on n'en trouve guère : Oui, je crois que le diable est son homme d'affaires. Je le trouvai jadis en pays étranger : Il n'a, depuis ce tems, cessé de voyager. Ce n'est que depuis peu, que nous sommes en France. Il n'a fait, que je sache, aucune connaissance ; Si ce n'est chez Géronte, où tu sais bien comment Il n'a pu refuser de prendre un logement. Oh ! S'il est marié, ce que je ne puis croire, Ce n'est pas de mon bail : c'est quelque vieille histoire... Bon ! Il n'a point de femme appartenante à lui ; Partout il a roulé sur le compte d'autrui. Je viens, à toute outrance, De chez cet avocat ici près en vacance ; J'y vais dix fois pour une, et toujours sans succès ; Mais à la fin... Ma foi, je ne sais point quelle est leur manigance. Le robin m'a donné ce paquet d'importance, En me disant : " voilà votre maître en repos... Mais, à quoi rêves-tu ? " Oui, si j'étais sorcier. Ah ! L'enquête plaisante ! Vos gens et vos chevaux, tout est prêt pour aller... **** *creator_nivelle *book_nivelle_fausseantipathie *style_verse *genre_comedy *dist1_nivelle_verse_comedy_fausseantipathie *dist2_nivelle_verse_comedy *id_NERINE *date_1744 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_nerine Ton maître et ma maîtresse auraient bien dû s'aimer. C'est lui... Quoi ? Un fou cherche une folle, et la trouve de reste. L'état de Léonore est cruel et funeste. Frontin, toute sa vie, est... Oui. Le sien commença par un sot mariage. Ce ne fut point l'amour qui la mit en ménage ; Et jamais on n'en eut un dépit plus mortel. Il fallut obéir, et marcher à l'autel : Mais, en sortant du temple, un jeune téméraire, À qui, sans le savoir, elle avait trop su plaire, Furieux de la perdre, attaqua son époux, L'obligea de se battre, et tomba sous ses coups. Pour dérober sa tête à l'injuste poursuite D'un ennemi puissant, cet époux prit la fuite. Léonore aussitôt saisit sa liberté ; Et s'enfuit en secret dans un cloître écarté, Sous ce nom inconnu, qu'elle conserve encore. Que ne ferait-on pas pour fuir ce qu'on abhorre ? Sa mère, mais trop tard, en mourut de regret. Géronte apprit enfin notre asile secret, Et vint nous apporter... Oui. Nous vîmes la fin d'un si long esclavage. Cet oncle généreux nous retira chez lui. Douze ans d'absence ont mis tous ses biens au pillage : C'est pour les recueillir, ou du moins leurs débris, Que Géronte est allé faire un tour à Paris. S'il ne réussit pas dans ses justes poursuites, Vois l'état malheureux où nous serons réduites. Géronte a pour sa nièce une tendre amitié ; Mais tu sais qu'on ne peut vivre avec sa moitié. Il le faudra, peut-être. Est-il enfer plus rude, Que d'être à la merci d'une maudite prude, Toujours contente d'elle, et jamais du prochain ; Dont la vertu bruyante insulte au genre humain ? Joins à l'humeur d'Orphise un sujet infaillible, Qui la rendra pour nous encore plus terrible : Elle a, d'un premier lit, une fille à pourvoir. Cela peut bien être. Oui, je sais qu'il fallut le faire rétablir. Ta remarque est juste. Oui... mais la fille d'Orphise... Les femmes ne sont pas tout ce qu'elles paraissent. J'en aurai le coeur net. Léonore m'appelle. Adieu. Cela suffit. Je m'en vais travailler sur ce que tu m'as dit. Tout ce que ma mémoire à présent me rappelle, Me confirme encor plus cette heureuse nouvelle. Vous m'avez appelée. J'étais avec Frontin, puisqu'il faut vous le dire : Je lui parlais de vous. Nous disions que Damon aurait dû vous aimer : Il a pourtant bien fait de ne pas s'enflammer. Il serait trop à plaindre. Oui, je croyais d'abord Que Damon vous aimait, madame, j'avais tort. Si l'on aimait encore, ainsi que Céladon, Peut-être je pourrais en soupçonner Damon. Mais de pareils amans ne sont plus qu'en idée. À présent une intrigue est bientôt décidée : On ne se donne plus le tems d'être enchaîné : L'amour prend son essor aussitôt qu'il est né. Dès qu'on aime, on en fait un récit infidèle ; On exagère un feu qui n'est qu'une étincelle ; Pour mieux en assurer l'objet de son amour, Un amant en instruit et la ville et la cour. La sotte vanité conduit tout le mystère ; Et la fatuité l'empêche de se taire. Si Damon vous aimait, il en eût fait l'aveu. Ainsi nous nous trompions... cela vous fâche un peu ? Ainsi vous croyez donc mon discours conséquent. Non, ma chère maîtresse, il est extravagant, Insoutenable. C'est que Damon vous aime. Un tiers voit mieux que ceux qui sont dans l'embarras. Que Damon n'avait pas Les défauts des amans qu'en ce siècle on voit naître. Quoi ? Parce que l'on n'est ni fat, ni petit-maître, On ne peut vous aimer ? L'obstacle est imprévu. Par tout ce que j'ai vu. Premièrement, vos charmes. J'ai démêlé, vous dis-je, à travers ses respects, Des soupirs étouffés, des regards indirects, Un silence pénible, autant qu'involontaire, Des désirs, des égards, du trouble, du mystère, Un intérêt secret, un soin particulier. Un homme indifférent est bien plus familier. Ce sont-là mes garants. Tout cela fait en somme De l'amour ; et, de plus, un amant honnête homme. J'ai vu bien plus encore. Que cet amant serait assez de votre goût. Et surtout à l'objet pour qui l'amour vous blesse ? Car il faut vous aider. De quoi m'accusez-vous ? Croyez que je vous sers. Léonore et Damon sont formés l'un pour l'autre. C'est moi qui vous apprends sa défaite et la vôtre. L'hymen peut réparer les maux qu'il vous a faits. Il forme quelquefois des liens pleins d'attraits. Quand on dépend de soi, pour soi l'on se marie. En tout cas, par bonheur, il est en l'autre monde. Pour vous montrer sur quoi mon préjugé se fonde, Au sujet de Damon, il faut vous expliquer Ce que m'a dit Frontin. Il m'a fait remarquer Que Damon s'accoutume à la maison d'Orphise. Eh ! Souffrez qu'on vous dise... Mais on vient. Le diable qui l'amène a bien mal pris son temps. Que diantre signifie un exorde si doux ? Sans doute, c'est à quoi vous devez vous attendre. Ah ! Rien n'est plus risible. Orphise vous procure un moyen infaillible De vous servir vous-même, en servant ses desseins. Voilà des intérêts remis en bonnes mains. Quel danger courez-vous ? Quoi ! Vous n'osez saisir La seule occasion qui peut vous éclaircir. À ne point voir Damon, ne vous obstinez plus. Que pourrait-il penser d'un semblable refus ? Cette affectation serait plus dangereuse. D'ailleurs, Madame Orphise en serait furieuse. Madame, il faut céder à la nécessité. Mais j'aperçois Damon. Que deux amants sont sots, quand ils sont en présence ! Il faut que je les aide à rompre le silence. On dit que vous allez chercher en d'autres lieux Une société qui vous amuse mieux. Quoi ! Vous partez, monsieur ? Si la maison vous plaît ? Hé ! Qui vous presse ? Quoi ! Vous savez déjà le bien qu'elle vous veut ? Vous ne l'aimez donc pas ? Allez, monsieur, allez où l'amour vous appelle. Tenez monsieur, j'ai peine à croire au merveilleux : Tant de discrétion est hors de vraisemblance. Partez, monsieur, partez ; vous ne pouvez mieux faire. Je ne puis qu'approuver un trop juste dépit. Mais quel sens peut avoir un mot qu'il vous a dit. Qu'un prompt événement peut changer sa fortune ? Il faut que je t'étrangle. Approche, double traître. Ton maître est marié ; tu m'en fais un secret ? C'est un fait. D'où viens-tu ? Ton maître a-t-il quelque procès ? C'est à certains propos... Pourrais-tu deviner ce que ce papier chante ? Ah ! Tu n'es bon à rien. Va-t'en, sans différer. Je ne sais pas pourquoi j'ose encore espérer. Sans doute qu'il doit l'être. C'est qu'elle sait peut-être Tout ce que vous avez à lui dire. En tout cas... La voilà justement. Vous connaissez Orphise, et sa malignité. Ce trait est inouï. Une prude jamais n'a bien pensé d'autrui. Et l'on n'en croira rien. Je ne m'étonne plus si tant d'infortunées Se plaignent, tous les jours, d'être à tort condamnées. Je vois bien à présent qu'une femme d'honneur, Avec son innocence, a besoin de bonheur. Moi, vous trahir, madame ? En quoi, je vous supplie ? Nullement, je vous jure. Allez. Je vais tâcher de trouver son valet. S'il est intelligent, il me pourrait instruire D'où vient ce changement, et qui peut le produire. Ah ! Monsieur, j'imagine Que vous rêvez. Vous me faites frémir d'y penser seulement. Ah ! Je vous crois trop sage Pour oser à ses yeux vous offrir davantage. Votre présence ici cause assez d'embarras. Je ne le ferai pas. Cela n'est pas possible. Elle n'est pas visible. En vérité, monsieur, je ne vous comprends pas... Que cherchez-vous ? Ah ! Je la vois là-bas, Ou je suis bien trompée. Oui, justement c'est elle. C'eût été grand dommage ; elle est vraiment fort belle. Moi, que je la garde ? Voilà ce qui s'appelle un homme dangereux. On ne saurait prévoir des tours de cette espèce. Voilà donc l'encloueure ! Allons, à tout hasard. L'avez-vous ce billet ? Il faut que je m'acquitte. Je ne sais, à présent que j'ai le diamant, Je vois que je me suis oubliée un moment : Réfléchissons un peu sur mon étourderie. Je devais refuser cette galanterie. Mon petit intérêt m'a fait illusion. C'est la première fois... maudite occasion ! Tu sais apprivoiser l'honneur le plus sauvage ; Tu mènes où tu veux la fille la plus sage. Sans toi, l'on pourrait l'être avec facilité. Je ne me croyais pas tant de fragilité. Cependant, si je rends la bague que j'ai prise Je répare une faute avec une sottise. Damon ne voudra pas reprendre son présent : Au contraire, il croira qu'il n'est pas suffisant. Il sera généreux ; je voudrai me défendre ; Il ne démordra pas, je finirai par prendre : Voilà pour cet article. Autre réflexion. Mais comment m'acquitter de ma commission ? Donnez, je remettrai chacune à son adresse. Votre épouse n'est plus ? Ferme, tenez-vous bien. Quoi donc ? Pour le coup, il s'oublie.