**** *creator_palissot *book_palissot_philosophes *style_verse *genre_comedy *dist1_palissot_verse_comedy_philosophes *dist2_palissot_verse_comedy *id_CYDALISE *date_1760 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_cydalise Retirez-vous, Marton. Prenez mes clés, allez renfermer mon Platon . De son monde idéal j'ai la tête engourdie. J'attendais à l'instant mon encyclopédie ; Ce livre ne doit plus quitter mon cabinet. Vous, demeurez ; je veux vous parler en secret. Laissez-nous. Obéissez, Marton. Vous êtes belle et sage, Rosalie, et pour vous j'eus toujours des bontés. Je vais connaître enfin si vous les méritez. Je ne consulte point ce sentiment vulgaire, Amour de préjugé, trivial, populaire, Que l'on croit émané du sang qui parle en nous, Et qui n'est, dans le fond, qu'un mensonge assez doux, Une faiblesse... J'ai cru, tout comme une autre, à ces vaines chimères, Dignes du gros bon sens qui conduisait nos pères. Crédule, heureuse même en mon aveuglement, Automate abusé, je suivais le torrent. Je commence à sentir, à penser, à connaître. Si je vous aime enfin, c'est en qualité d'être : Mais vous concevez bien qu'un autre individu N'aurait à mes bontés qu'un droit moins étendu. Ma fille !... hé quoi ! Pour vous l'erreur a tant de charmes ! Vous me faites pitié. Consultez la raison. Ces puérilités ne sont plus de saison. Je reconnais vos droits sur le coeur d'une mère ; Mais je les anoblis, et si je vous suis chère, Si j'ai sur vous aussi quelques droits à mon tour J'en exclus le hasard, qui vous donna le jour. Le soin que j'ai pris de votre intelligence Doit mériter, surtout, votre reconnaissance ; Voilà le digne objet où tendent tous mes voeux. Vous apprendre à penser, voilà ce que je veux. Concevez le bonheur d'étendre son génie, D'ouvrir l'oeil aux clartés de la philosophie, De dissiper la nuit où vos sens sont plongés, D'affranchir votre esprit du joug des préjugés ! Ce grand art d'exister, qui n'appartient qu'au sage, Dont je connais enfin le solide avantage, Ce jour de la raison, dont j'ai su m'éclairer, Ma fille, mon amour veut vous le procurer. J'avais avec Damis conclu votre hyménée. De légers intérêts m'avaient déterminée. Des rapports de fortune, un procès à finir, Je me souviens qu'alors tout semblait vous unir. C'est ainsi que se font la plupart des affaires ; Mais enfin, aujourd'hui je romps ces noeoeuds vulgaires. Damis a du bon sens, des vertus, de l'honneur, Il a ce que le monde exige à la rigueur : Tout mortel n'est pas fait pour aller au sublime ; Dans le fond, cependant, on lui doit de l'estime : Mais je vous dois aussi, ma fille, un autre époux, Beaucoup plus convenable et plus digne de vous. Valère a ce qu'il faut pour plaire et pour séduire, C'est peu de vous aimer, il saura vous instruire ; En un mot, c'est de lui que mon coeur a fait choix. Votre père ! Il est vrai que je n'y songeais guère. Plaisante autorité que la sienne en effet ! L'être le plus borné que la nature ait fait. Nul talent, nul essor, espèce de machine Allant par habitude, et pensant par routine, Ayant l'air de rêver et ne songeant à rien, Gravement occupé du détail de son bien, Et de mille autres soins purement domestiques ; Défenseur ennuyeux des préjugés gothiques, Sauvage dans ses moeurs, alliant à la fois La morgue de sa robe au ton le plus bourgeois ; Ne s'énonçant jamais qu'avec poids et mesure, Et qui toujours grimpé sur la magistrature, Hors de son tribunal, aurait cru déroger ; Ayant, comme Dandin, la fureur de juger. Mais il est mort enfin, laissons en paix sa cendre. Allez-vous le défendre ? Un père n'est qu'un homme, et l'on peut sensément Remarquer ses défauts, en parler librement. Non, Valère est l'amant que j'ai choisi pour vous, Ma fille, et dès ce soir il sera votre époux. Ces noeuds embelliront le cours de votre vie. Quant à vos préjugés sur la philosophie, Contre eux, à mon exemple, il faut vous aguerrir. Le temps et la raison sauront vous en guérir. Vous êtes dans cet âge où l'on commence à vivre, Tout fait ombrage alors ; mais vous lirez mon livre. J'y traite en abrégé de l'esprit, du bon sens, Des passions, des lois, et des gouvernements ; De la vertu, des moeurs, du climat, des usages, Des peuples policés et des peuples sauvages ; Du désordre apparent, de l'ordre universel, Du bonheur idéal et du bonheur réel. J'examine avec soin les principes des choses, L'enchaînement secret des effets et des causes. J'ai fait exprès pour vous un chapitre profond, Je veux l'intituler : "Les devoirs tels qu'ils sont" Enfin, c'est en morale une encyclopédie, Et Valère l'appelle un livre de génie. Vous serez trop heureuse avec un tel époux. Un jour vous connaîtrez ce que je fais pour vous ; Vous m'en remercierez. Adieu, mademoiselle, Songez à m'obéir. Me voilà parvenue à m'en débarrasser. Que l'oisiveté pèse alors qu'on veut penser ! Parmi tous ces fâcheux dont j'étais obsédée, Je n'ai pas entrevu le germe d'une idée. On ne peut à ce point outrager le bon sens ; Mais il faut tout souffrir de messieurs ses parents. Ah ! Vous êtes ici. Bon ! Prenez votre place. Mon livre va paraître, on attend la préface, Il faut y travailler. J'aurais voulu pourtant Que nous eussions Valère. Vous parliez de mon livre ? Vous en êtes content ? Vous vous y connaissez. Avec nombre de gens je me suis rencontrée, Et c'est un pur hasard. Non, jamais. Encor moins. Point du tout. Sont-ce là les livres d'une femme ? Non, rien, vous dis-je, rien. Je l'ignore. Non. Pour celui-là, d'accord. Ce sont de ces écrits qu'il faut citer d'abord. C'est aussi mon avis, et je crois qu'en effet Un ouvrage excellent s'annonce au moindre trait. C'est un je ne sais quoi... dont notre âme est saisie... Cela se sent... enfin c'est l'attrait du génie. Oui ; la comparaison est pourtant trop vulgaire. Ah ! C'est une autre affaire. Venons à ma préface. Allons, je vais dicter. Écrivez. "J'ai vécu". Non, c'est mal débuter. Effacez, "J'ai vécu" . Mettez-vous à votre aise. Ah ! Monsieur Carondas, votre plume est mauvaise. "J'ai vécu" ne vaut rien. Non, monsieur, je voudrais Un début plus pompeux et plus philosophique. Non, non, je cherche un tour qui soit moins familier. On n'a jamais écrit sur de pareil papier. Effacez donc, monsieur ; votre encre est détestable. Je ne pourrai trouver un tour plus favorable ! Ah ! Valère, après tout, devrait bien être ici. Je ne me sens jamais tant d'esprit qu'avec lui. Quoi ! Pas même une idée ? Ah ! Je suis au supplice. Hé ! Monsieur Carondas, Laissez les morts en paix. J'avais un trait sublime, Qui m'échappe. Attendez... mais, oui ; ce tour exprime... Écrivez. Non, la phrase a trop d'obscurité. Je ne sentis jamais cette stérilité. Quel métier ! Finissons. C'en est fait, j'y renonce. L'imprimeur attendra, portez-lui ma réponse. Non, revenez. Enfin je l'ai trouvé : j'y suis. Vite, écrivez, monsieur : "jeune homme, prends et lis". "Jeune homme prends et lis". le tour est-il unique ? Qu'en pensez-vous, monsieur ? J'oublie en le lisant tout ce qu'il m'a coûté. "Jeune homme prends et lis" ! Il est inimitable, Et Valère en sera d'une joie incroyable. Mais que nous veut Marton ? Que son temps est mal pris ! J'allais finir sans lui. L'importun personnage ! On ne me permet pas d'achever un ouvrage. Oui, vous avez raison. Faites-en vingt copies. Ah ! Je respire enfin, et j'ai su m'en tirer. "Jeune homme, prends et lis". Oui, Damis peut entrer. Vous voilà de retour ? Le titre, je l'avoue, est assez légitime ; Je conviens de mes torts, non pas que mon estime, Ni que cette amitié qui m'attachait à vous, Ne soient encor pour moi des sentiments bien doux, Et c'est ce que d'abord on aurait dû vous dire : Mais j'ai formé des noeuds dont le charme m'attire, J'ai suivi trop longtemps les frivoles erreurs D'un monde que j'aimais. L'âge a changé mes moeurs, Aujourd'hui toute entière à la philosophie, Libre des préjugés qui corrompaient ma vie, N'existant plus enfin que pour la vérité, Je me suis fait, Damis, une société, Peu nombreuse, il est vrai : je vis avec des sages, Et j'apprends à penser en lisant leurs ouvrages : J'ai choisi l'un d'entre eux pour ma fille, et ce soir, Cette heureuse union doit combler mon espoir, C'est à vous de juger si, quoique votre amie, Je dois vous immoler le bonheur de ma vie. Je sais tout le mépris que l'on doit aux pédants, Et ne les confonds pas avec les vrais savants. Épargnez-vous, monsieur, cette satyre amère, Ceux que je peux nommer, Théophraste, Valère, Dortidius enfin, sont tous assez connus... D'où vient cette surprise ? Ce jugement fait tort à votre intelligence, Et ce Dortidius fait honneur à la France ; Son nom chez les savants fut toujours en crédit, Et je ne sais pourquoi tout le monde en médit. Mais quittons ce propos. Ces rares avantages, Dont je suis redevable au commerce des sages, Je dois vous en parler et leur en faire honneur. Peut-être, après cela, leur tiendrez vous rigueur. N'importe, il faut du moins apprendre à les connaître. J'avais des préjugés qui dégradaient mon être ; Vainement ma raison voulait s'en dégager, L'habitude bientôt venait m'y replonger. Les plus vaines terreurs me déclaraient la guerre, Je croyais aux esprits, j'avais peur du tonnerre, Je rougis devant vous de ces absurdités, Mais on nous berce enfin de ces frivolités, Et leur impression n'en est que plus durable. Notre éducation, frivole, méprisable, Loin de nous éclairer sur le vrai, ni le faux, N'est que l'art dangereux de masquer nos défauts. Mes yeux se sont ouverts, hélas ! Trop tard peut-être ! À ces hommes divins, je dois un nouvel être. Le hasard présidait à mes attachements, J'étais aux petits soins avec tous mes parents, Et les degrés entre eux réglaient les préférences. Cet ordre s'étendait jusqu'à mes connaissances. J'avais tous ces travers, beaucoup d'autres encor ; Enfin mes sentiments ont pris un autre essor. Mon esprit épuré par la philosophie Vit l'univers en grand, l'adopta pour patrie, Et mettant à profit ma sensibilité, Je ne m'attendris plus que sur l'humanité. Vous en voulez beaucoup à cette humanité. En vérité, monsieur, les sages sont à plaindre, Et vous êtes pour eux un adversaire à craindre. Le siècle et la patrie ont beau s'en applaudir, Sur le bien qu'ils ont fait il vaut mieux s'étourdir, Et servir d'interprète et d'organe à l'envie. J'admire vos raisons, elles sont d'un grand poids ; Et vous me citez-là des exemples de choix, Bien dignes en effet d'appuyer votre cause. Mais un abus jamais prouva-t-il quelque chose ? Faudrait-il renoncer pour quelques importuns ? ... Restez, monsieur, restez dans votre opinion. Il n'est point de remède à la prévention ; À penser autrement vous auriez du scrupule, Hé ! Que peut la raison sur un esprit crédule ! Voilà parler en sage, et je vous applaudis ; C'est très bien fait à vous que d'avoir un avis. Mais, sans nous égarer dans ces hautes matières, Je sais ce que je dois aux talents, aux lumières, De ces hommes de bien que vous persécutez. Vous avez donc tout dit ? J'admire le bon sens, Et la solidité de vos raisonnements. Dans un très haut éclat votre mérite y brille ; Mais j'ai pris mon parti. Vous n'aurez point ma fille. Adieu, monsieur. Pardon, si j'ai tardé ; je m'occupais de vous, Et ce sont-là toujours mes moments les plus doux. Asseyons-nous, messieurs : ah ! Vous voilà, Valère ! On vient de m'apporter le projet du notaire, Vous en serez content. Je vous dois le bonheur répandu sur ma vie, Je m'acquitte envers vous. Mais, messieurs, à l'instant Vous parliez avec feu. Quel sujet important Pouvait vous diviser ? J'ai cru du moins entendre Que l'on se disputait. Puis-je apprendre Sur quoi vous dissertiez avec tant d'intérêt ? Moi ? Quoi donc ? N'allez pas là-dessus demander mon avis ; Je sais trop... Ah ! C'est la vérité. Je devrais le gronder, son esprit me désarme ; On ne peut y tenir, et je suis sous le charme . Monsieur Dortidius, dit-on quelques nouvelles ? On ne trouve jamais son esprit en défaut. Oui, véritablement, ce sont-là des misères. Je n'appellerai pas de votre autorité. À propos, parle-t-on de quelque nouveauté ? Un chef-d'oeuvre, sans doute. Une tragédie ? Je craindrais la critique ; Contre les nouveautés elle a toujours raison ; Et le public... Je ne sais, le vieux goût tient encore au parterre. Oui ; je n'y songeais pas, et vous me détrompez. Et ce chef-d'oeuvre enfin l'attendrons-nous longtemps ? Quoi donc ? L'entreprise est hardie. Ah ! Le public entier... Ah ! Tous les magistrats élèveraient la voix. Mais la cour... C'est bien dit : qui le brave est son maître. Mais notre colporteur tarde bien à venir. Il devrait être ici : qui peut le retenir ? Il faut qu'on l'avertisse. Entrez, Monsieur Propice. Avez-vous du nouveau ? L'idée en est comique ; Mais cela n'est plus neuf. Passons. L'auteur m'en fit présent. Voyons. Je les connais. Est-ce tout ? Bon. C'est un livre excellent ! Je le garde ; quelqu'un m'a pris mon exemplaire. Ah ! Je vais le relire avec avidité. Quel est cet autre écrit... Là... Que je vois en tête ? Ah ! Ah ! Je m'en souviens ; il est très amusant. Non. Je retiens ceci. Bonjour, Monsieur Propice. Ah ! Je relirai donc mon livre favori. Pour moi, je goûterais une volupté pure À nous voir tous rentrer dans l'état de nature. Mais que nous veut Marton ? Il se nomme ? Le nom est singulier. Mais enfin. Les noms ne prouvent rien : ah ! Ciel ! Quelle surprise ! Il est original du moins dans son système. Savez-vous qu'on démêle, à travers sa folie, De l'esprit ? Dans le fond, ce serait un homme à respecter ; Mais par les préjugés on se sent arrêter. Vous donnez, à vrai dire, un exemple bien rare ; Mais votre empressement ne peut qu'être flatteur ; Vous êtes philosophe, et même à la rigueur. Mais qui peut nous venir ? Qu'avez-vous ? C'est un grand philosophe, il sera de la fête. Quel est donc ce mystère ? Je connais l'écriture ; C'est la vôtre, monsieur. Je te renvoie, mon cher Frontin, ce recueil d'impertinences que Cydalise appelle son livre. Continue de flatter cette folle, à qui ton nom savant en impose. Théophraste et Dortidius viennent de me communiquer un projet excellent qui achèvera de lui tourner la tête, et pour lequel tu nous seras nécessaire. Ses ridicules, ses travers, ses... Lisez, Monsieur, lisez ; Et justifiez-vous après, si vous l'osez. De vos séductions j'étais donc la victime ! Et mes yeux sont ouverts sur le bord de l'abîme ! Que vous avais-je fait pour me traiter ainsi ? Allez, et de vos jours ne paraissez ici. Votre confusion suffit à ma vengeance. Ingrats ; d'autres peut-être auront moins d'indulgence. C'est le dernier espoir de mon coeur outragé : partez. Les cruels, à quel point ils m'avaient prévenue. Venez, Damis, venez, je sens que votre vue Me rappelle l'excès de mon aveuglement. À ces hommes pervers j'avais sacrifié Les devoirs les plus saints, et même l'amitié. Vous êtes bien vengé ! Ma chère Rosalie, Je reconnais mes torts, que ton coeur les oublie ; Je les répare tous en te donnant Damis. **** *creator_palissot *book_palissot_philosophes *style_verse *genre_comedy *dist1_palissot_verse_comedy_philosophes *dist2_palissot_verse_comedy *id_ROSALIE *date_1760 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_rosalie Doutez-vous que le mien en soit moins pénétré ? Je vois avec douleur ce changement extrême, Je souffre autant que vous ; mais enfin je vous aime. À ce titre du moins quelque espoir m'est permis. Qui pourrait résister à deux amants unis ? Ma mère vous aimait. En vous voyant, peut-être, Dans son coeur combattu, l'amitié va renaître. Sur ce coeur autrefois j'avais plus de pouvoir, Je le sais ! C'est à vous, Damis, de l'émouvoir ; Allez, et pour combler le bonheur que j'espère, Que je vous doive encor les bontés de ma mère. Laisse-moi mon erreur. Je ne l'aurais pas cru ! Mais pourtant, si ma mère M'immolait sans retour aux desseins de Valère, Si ce projet enfin était bien avéré, Pourquoi jusqu'à présent n'est-il pas déclaré ? Qui peut la retenir ? Hélas ! Peux-tu, Marton, me désoler ainsi ? Mais, Marton... En vérité, Marton, Ce cruel badinage est bien peu de saison. Tu poursuis ? Hé bien ! Je... Non, monsieur, c'en est trop. Oh ! Je te le promets. Si tu pouvais sentir combien je hais Valère ! Certainement. Oh ! Oui. Assurément, Marton. Ah ! Marton... Aussi, pourquoi m'épouvanter ? L'amour dans le besoin me rendra du courage. Mais enfin tu verras. Tu me soutiendras ? Hé quoi ! La voix de la nature, Quoi ! Cette impression si touchante et si pure, Ce premier des devoirs, cet auguste lien, (je définirai mal ce que je sens si bien,) N'importe, se peut-il que le coeur de ma mère Méconnaisse aujourd'hui ce sacré caractère ? Ah ! Rappelez pour moi vos sentiments passés. En les analysant, vous les affaiblissez. Vous déchirez mon coeur. Ah ! Permettez, madame, Souffrez qu'à vos genoux votre fille réclame Un droit plus légitime et des titres plus doux. Pourquoi briser les noeuds qui m'attachaient à vous ? Jugez de leur pouvoir à mon trouble, à mes larmes. Je ne puis soutenir ce funeste langage. Il fait à toutes deux un trop sensible outrage. Qui ? Moi ! Le pensez-vous, que je puisse jamais Oublier que ma vie est un de vos bienfaits ? Non... Ainsi, vous oubliez que Damis autrefois Eut votre aveu, madame, et celui de mon père ? Ah ! Madame, songez... Si ce sont-là les droits de la philosophie, Souffrez que j'y renonce, et pour toute ma vie. Je perdrais trop, madame, à m'éclairer ainsi ; J'ose vous l'avouer. Daignez permettre aussi Qu'en faveur de Damis je vous rappelle encore Vos premières bontés que votre fille implore. Quelle douleur mortelle ! Que résoudre ? Que faire ? Ah ! Te voilà, Marton. Je n'ai plus qu'à mourir. Mais enfin... Mon âme en ce moment n'en est pas moins émue. Ah ! Marton... Oui, si tu réussis ; mais qui m'en répondra ? Tous mes voeux sont remplis, le ciel me rend ma mère. **** *creator_palissot *book_palissot_philosophes *style_verse *genre_comedy *dist1_palissot_verse_comedy_philosophes *dist2_palissot_verse_comedy *id_DAMIS *date_1760 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_damis Non, je ne reviens pas d'un semblable vertige. Rompre un hymen conclu ! Mais encor ? Que me dis-tu, Marton ? Le moyen que l'on change ainsi dans un moment ! Quelque chargé que soit ce bizarre tableau, Je livre Cydalise aux traits de ton pinceau ; Je m'en rapporte à toi. Mais que fait Rosalie ? Aux voeux de mon rival son coeur s'est-il rendu ? Elle fut mon amie, et je me flatte encore... Hé bien ? Quoi ? Bon ! Quelque brochure ? Je lui conseille fort de garder l'anonyme. Mais, dans ces beaux esprits que Cydalise estime, N'en est-il donc aucun assez droit, assez franc, Pour lui montrer l'excès d'un travers aussi grand ; Pour la désabuser ? Et ce sont-là, dis-tu, des philosophes ? Quel motif as-tu donc pour en juger si mal ? Quel homme est-ce ? Ha, ha, ha, ha, ha, ha. Ce Monsieur Carondas est de mauvais augure ; Mais avec ton secours et celui de Crispin... Vraiment oui. Mon dessein Était de vous unir ; tu le sais, et j'espère Que tu me serviras de ton mieux. Je compte sur tes soins. Je te devrai, Marton, le bonheur de ma vie. Mais... Ne puis-je un moment ? ... Après trois mois d'absence, Quand je reviens ici, guidé par l'espérance, Réclamer une foi promise à mon ardeur, On m'apprend qu'un rival, jaloux de mon bonheur, Ose me disputer le seul bien où j'aspire, Qu'avec lui, contre moi, votre mère conspire. Ah ! Rassurez du moins mon coeur désespéré. Encore est-il permis de tenter l'entreprise. Marton... Marton... Rosalie. Demeurez, je vous prie. Comment ! Voilà, parbleu, de la philosophie ! Je cours m'y disposer, dans un espoir si doux. Je remets en tes mains le bonheur de ma vie. Vous que j'adore, adieu, ma chère Rosalie. Oui, je reviens, madame, Pour me plaindre de vous et vous ouvrir mon âme. Je n'aperçois que trop, et c'est avec douleur, Que j'ai perdu mes droits au fond de votre coeur, Et que votre amitié s'est enfin ralentie ; Mais la mienne jamais ne s'étant démentie, Souffrez que je rappelle à votre souvenir Un espoir que le temps ne dut pas en bannir. Vous savez à quel point votre fille m'est chère ; C'est votre aveu, du moins, c'est celui de son père, Qu'en faveur de mes feux je réclame aujourd'hui, Puisqu'enfin près de vous j'ai besoin d'un appui. Non, pour votre bonheur je donnerais mes jours, Et la même amitié m'inspirera toujours. Mais quels sont donc enfin ces rares avantages Attachés, dites-vous, au commerce des sages. Je ne prends point pour tels un tas de charlatans, Qu'on voit sur des tréteaux ameuter les passants, Qui mettent une enseigne à leur philosophie : De tous ces importants ma raison se défie. De ce vain appareil le vulgaire est séduit. Moi, je suis de ces gens qui font peu cas du bruit, Et je distingue fort l'ami de la sagesse, Du pédant qui s'enroue à la prêcher sans cesse. Je ne connais entr'eux que ce Dortidius . Quoi ! Madame, il en est ? Je l'ai connu, vous dis-je ; excusez ma franchise : Apparemment qu'alors il cachait bien son jeu ; Mais ce n'était qu'un sot, presque de son aveu. Quelqu'un me le fit voir, et malgré sa grimace, Et les plats compliments qu'il vous adresse en face, Et le sucre apprêté de ses propos mielleux, Ma foi, je n'y vis rien de si miraculeux. Malgré son ton capable, et son air hypocrite, Je ne fus point tenté de croire à son mérite, Et je ne lui trouvai pour le peindre en deux mots, Qu'un froid enthousiasme imposant pour les sots. Je ne sais, mais enfin dussé-je vous déplaire, Ce mot "d'humanité" ne m'en impose guère, Et par tant de fripons je l'entends répéter, Que je les crois d'accord pour le faire adopter. Ils ont quelque intérêt à le mettre à la mode. C'est un voile à la fois honorable et commode, Qui de leurs sentiments masque la nullité, Et prête un beau dehors à leur aridité. J'ai peu vu de ces gens qui le prônent sans cesse, Pour les infortunés avoir plus de tendresse, Se montrer, au besoin des amis, plus fervents, Être plus généreux, ou plus compatissants, Attacher aux bienfaits un peu moins d'importance, Pour les défauts d'autrui marquer plus d'indulgence, Consoler le mérite, en chercher les moyens, Devenir, en un mot, de meilleurs citoyens ; Et pour en parler vrai, ma foi, je les soupçonne D'aimer le genre humain, mais pour n'aimer personne. On en abuse trop, et j'en suis révolté. C'est pour le coeur de l'homme un sentiment trop vaste, Et j'ai vu quelquefois, par un plaisant contraste, De ce système outré les plus chauds partisans, Chérir tout l'univers, excepté leurs enfants. Hé ! Quel bien a produit cette philosophie ? Je ne découvre pas ces succès éclatants. Je vois autour de moi de petits importants, Qui, pour avoir un ton, enrôlés dans la secte, Pensent avoir perdu leur qualité d'insecte. Se croyant une cour et des admirateurs, Pour le malheur des arts, devenus protecteurs Ne se réveillant pas aux traits de la satyre, Et ne devinant rien à ces éclats de rire, Dont en tous lieux pourtant on les voit poursuivis ; Louant, admirant tout dans les autres pays, Et se faisant honneur d'avilir leur patrie : Sont-ce là les succès sur lesquels on s'écrie ? Madame, ces abus deviennent trop communs. J'en prévois pour les moeurs d'étranges catastrophes, Et je suis alarmé de tant de philosophes. On croit avoir tout dit, madame, avec ce mot. Crédule est devenu l'équivalent de sot : Aux yeux de bien des gens, du moins la chose est claire. Pour moi, que ces gens-là ne persuadent guère, Et que leur ton railleur n'épouvanta jamais, J'ai mon avis, madame, et si je leur déplais, J'en gémis, mais sur eux. Je crois ce qu'il faut croire ; J'ose le déclarer, je le dois, j'en fais gloire. Ces messieurs peuvent rire, et sans m'humilier : Il faut bien leur laisser le droit de s'égayer. Mais moi, j'ose à mon tour les trouver ridicules, Et souvent la bêtise a fait des incrédules. Ils vous ont donc appris de grandes vérités. Je ne le croyais pas. Ils ont l'art de détruire, Mais ils n'élèvent rien, et ce n'est pas instruire. Quel fruit attendez-vous de leurs vains arguments ? Je n'en prévois que trop les effets affligeants. Vous irez sur leurs pas de sophisme en sophisme, Vous perdre dans la nuit d'un triste pyrrhonisme. Ah ! Renoncez, madame, à ces perturbateurs ; Ce sont eux que l'on doit nommer persécuteurs. Abjurez une erreur qui vous est étrangère, Et reprenez enfin votre vrai caractère. Ah ! Ciel ! Je ne sais où j'en suis ! Je viens de lui parler, Crispin : mais qu'il m'en coûte ! Il me faut renoncer à cet hymen. Je suis congédié. Oui, très formellement, Crispin. Oh ! Je n'en vois aucun. Crispin, quel excès de folie ! Crois-tu qu'elle y consente, et la connais-tu bien Pour me parler ainsi ? Ce serait en effet le parti le plus sage ; Mais Cydalise. N'y verra qu'un outrage, Et c'est précisément le moyen de l'aigrir, Le secret de me perdre, à n'en plus revenir. Ah ! Crispin... mais comment s'en reposer sur toi ? Toi ? Comment ? Ah ! Puis-je t'écouter dans le trouble où je suis ? Comment ! Que veux-tu dire ! Je suis au désespoir ! Marton... Qu'est-il donc arrivé ? Je ne peux revenir encor de ma surprise ! C'est donc ainsi, Marton, qu'ils trompaient Cydalise ? Oh ! Je n'en doute plus, ce billet est trop bon ! Que ne te dois-je pas pour cette découverte ? Toi. Marton... Mais... Ni moi. Certainement. Je me fie à tes soins du succès de mes voeux. Les voilà démasqués, l'erreur n'a qu'un moment. Ils sont assez punis de n'être plus à craindre, Et ce n'est plus à vous, madame, de vous plaindre. Vous trouverez en moi les sentimens d'un fils. **** *creator_palissot *book_palissot_philosophes *style_verse *genre_comedy *dist1_palissot_verse_comedy_philosophes *dist2_palissot_verse_comedy *id_VALERE *date_1760 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_valere Frontin. D'accord. Je te jure Que c'est mon sentiment. Le beau titre Que l'avis d'une folle à qui dans un moment On ferait adopter tout autre sentiment ; Qui ne sait que des mots, et n'a rien dans la tête. Pitoyable. Ennuyeux à l'excès. Sans doute. Nous savons lui prescrire Comment il faut penser, parler, juger, écrire ; Nous le déciderons aisément. Non, jamais. Il est, pour le gagner, des méthodes plus sûres. Par exemple, on lui dit des injures. C'est un expédient par nos sages trouvé ; Le secret est certain, nous l'avons éprouvé. Dans peu, tu le verras toi-même avec surprise, Nous porterons aux cieux le nom de Cydalise ; Cinq ou six traits hardis, révoltants, scandaleux, Produiront dans son livre un effet merveilleux. Il faut les ajouter. Et le reste en est-il ? D'abord avec pudeur Elle s'en défendra, puis s'en croira l'auteur. As-tu donc oublié que Cydalise est femme ? Crois-moi, suppose encore un piège plus grossier, L'amour propre est crédule, et l'on peut s'y fier. Les femmes sur ce point sont même assez sincères. Sans doute, et cette idée, entre nous, n'est pas neuve. Le livre de Cratès n'en est-il pas la preuve ? Jamais production ne prit un tel essor. Chacun se l'arrachait, on se l'arrache encor : Pour livre dangereux partout on le renomme, Et pourtant nous savons que Cratès est bon homme. Cydalise aura plus de faveur. On ne juge jamais son sexe à la rigueur. Quelques-uns de ces traits qu'on se dit à l'oreille, Au public hébété feront crier merveille ! Je veux que Cratès même en devienne jaloux, Et rien n'est plus aisé, nous la protégeons tous. Le sot ! Mais pour ces beaux endroits ajoutés à son livre, Si les lois s'avisaient, monsieur, de nous poursuivre. Elle aurait le plaisir de s'entendre louer ; N'est-ce rien ? Quitte après à tout désavouer. D'ailleurs l'amour du vrai va jusqu'à l'héroïsme. Ces grands mots imposants d'erreur , de fanatisme , De persécution , viendraient à son secours. C'est un ressort usé qui réussit toujours. N'avons-nous pas encor l'exemple de Socrate Opprimé, condamné par sa patrie ingrate ? Tous nos admirateurs parleraient à la fois. Oui, la philosophie encor dans son enfance Des préjugés du moins conservait l'apparence ; Mais nous n'en voulons plus. Excepté contre nous et contre nos amis. Comment ! Sur des rochers on plaçait la vertu ? Y grimpait qui pouvait. L'homme était méconnu. Ce roi des animaux, sans guide et sans boussole, Sur l'océan du monde errait au gré d'Éole ; Mais enfin nous savons quel est son vrai moteur. L'homme est toujours conduit par l'attrait du bonheur, C'est dans ses passions qu'il en trouve la source. Sans elles, le mobile arrêté dans sa course Languirait tristement à la terre attaché. Ce pouvoir inconnu, ce principe caché, N'a pu se dérober à la philosophie, Et la morale enfin est soumise au génie. Du globe où nous vivons despote universel, Il n'est qu'un seul ressort, l'intérêt personnel ; À tous nos sentiments, c'est lui seul qui préside ; C'est lui qui dans nos choix nous éclaire et nous guide. Libre de préjugés ; mais docile à sa voix, Le sauvage attentif le suit au fond des bois. L'homme civilisé reconnaît son empire ; Il commande en un mot à tout ce qui respire. La nature en a fait une nécessité. La fortune t'appelle, il faut la prendre au mot. La franchise est la vertu d'un sot. Préjugé ridicule, Dont il faut s'affranchir ! Il s'agit d'être heureux, il n'importe comment. Mais sans doute, en flattant Cydalise, Tu remplis un devoir que l'usage autorise. Ne faut-il pas flatter quand on veut plaire aux gens ? Bien voir ses intérêts, c'est être de bon sens. Le superflu des sots est notre patrimoine. Ce que dit un corsaire au roi de Macédoine, Est très vrai dans le fond. Oui, monsieur. Tous les biens, Devraient être communs ; mais il est des moyens De se venger du sort. On peut avec adresse Corriger son étoile, et c'est une faiblesse Que de se tourmenter d'un scrupule éternel. Mais que fais-tu donc là ? Quoi ! Traître, me voler ! Oui, mais sois plus adroit. Il est certains malheurs auxquels on se hasarde, Lorsque l'on est surpris. Ceci, Monsieur Frontin, doit être une leçon ; Mais puisqu'il ne faut plus vous nommer de ce nom, Songez à me servir auprès de Cydalise. Jusqu'ici, tout va bien ; sa fille m'est promise. Vous savez là-dessus quels sont mes sentiments, Ainsi continuez de flatter ses talents. Vos termes de collège ont produit des merveilles ; Il faut de plus en plus étourdir ses oreilles, De ce jargon savant qui vous a réussi. Vous êtes sans fortune, et vous pouvez ici Vous faire un petit sort que j'aurai soin d'étendre, Si mes voeux ont l'effet que j'ai droit d'en attendre. Adieu, soyez discret, je serai généreux. Oui, j'épouse ce soir. Le notaire est mandé. Messieurs. Vous voulez... Si j'avais tes talents, Si je réunissais tes qualités sublimes, Ces éloges alors deviendraient légitimes. À regret ; Mais que me fait à moi son déplaisir secret ? Je ne sais quel rival me dispute son coeur ; Mais Cydalise au fond n'en a que plus d'ardeur. Que mon hymen s'achève, et je te l'abandonne. Je mourais, si l'affaire eût traîné plus longtemps, Et jamais à ce point on n'excéda les gens. Oui, l'amour ! C'est bien ce qui me tente ! Quoi donc ! Me trouves-tu le ton d'un amoureux ? Ce serait à mon âge un ridicule affreux. On revient aujourd'hui de cette erreur commune, Et l'on songe au plaisir, mais après la fortune. Aurais-je sans cela pu supporter l'ennui Qui m'obsédait sans cesse auprès de cette folle ? Eût-elle été Venus, j'aurais quitté l'idole. Oh ! Je ne donne pas dans de pareils travers. Mais c'est depuis son livre. Oui. Ah ! Ne m'en parle pas, je l'ai relu vingt fois ; Il fallait, à toute heure, essuyer cet orage. Bon ! Tu veux plaisanter. Et tu peux t'en vanter ! Tu veux rire. C'est une absurdité qui va jusqu'au délire. Va, ton air sérieux ne m'en impose pas. Mais au ton que tu prends, je t'en croirais le père. Ma foi, tant pis pour toi. Je suis de bonne foi. Toujours, quand on a tort, on en vient aux injures. Et j'en ris, qui plus est. Moi, j'ai raison. Le plus cher de mes voeux, Vous le savez, madame, en formant ces beaux noeuds, C'est d'affermir encor l'amitié qui nous lie. Il est vrai. Puisqu'il faut l'avouer, vous en étiez l'objet. Vous. Cette chaleur en est le témoignage. Ah ! Je ne puis en dire davantage. Je ne sais point louer en présence des gens. Parlez, messieurs, parlez. J'y consens. Je la trouve choquante, et voici ma raison. Aspasie autrefois put briller dans Athènes ; Mais la philosophie y fleurissait à peine. Tous les peuples frappés de son éclat nouveau, Durent se prosterner autour de son berceau ; Tout fut surprise alors. Des talents ordinaires Brillaient à peu de frais, dans ces siècles vulgaires, Mais de nos jours l'esprit a fait tant de progrès ; Il est si difficile, après tant de succès, De se mettre au niveau de ces hommes célèbres, Par qui la barbarie a vu fuir ses ténèbres, Que je ne puis souffrir, sans me mettre en courroux, Que l'on balance encore entre Aspasie et vous. Comparez donc les temps, et voyez où vous êtes. Allons, vous aviez tort. Nous savons que vous êtes sublime. Vous me pardonnez donc cette vivacité ? Je vois que le génie est toujours indulgent. Madame, il a raison. L'esprit philosophique Ne doit point déroger jusqu'à la politique. Ces guerres, ces traités, tous ces riens importants, S'enfoncent par degrés dans l'abîme des temps. Tout cela disparaît au flambeau du génie, Et si l'on peut parler sans fausse modestie, Excepté vous, et nous, je ne découvre rien Qui puisse être l'objet d'un honnête entretien. Nous n'en protégeons qu'une. C'est une découverte, une nouvelle route, Que l'un de nous, madame, entreprend de trace, Un genre où le génie a de quoi s'exercer. Oui, purement domestique, Comme nous les voulons. Vraiment, il décide en oison ; Nous savons bien cela : mais nous ferons la guerre. Nous risquons, il est vrai, surtout les premiers jours ; Mais nous ferons un bruit à rendre les gens sourds. Nous avons des amis, qui de loges en loges, Vont crier au miracle, et forcer les éloges ; N'avons-nous pas d'ailleurs le succès des soupers ? Nous avons tant de gens qui pour nous se dévouent Tant de petits auteurs qui par orgueil nous louent Que je suis assuré qu'avec un peu d'encens, Nous leur ferions à tous abjurer le bon sens. Mais non, sans plaisanter, j'en ferais la gageure. Nous sommes occupés de soins plus importants. Certain auteur dans une comédie Veut, dit-on, nous jouer. Nous saurons parer cet attentat. Ne prendra jamais notre querelle ; Nous en avons agi lestement avec elle. Le pis aller, messieurs, c'est d'attendre l'orage, Jusques-là, diffamons et l'auteur et l'ouvrage ; Armons la main des sots pour nous venger de lui ; Portons des coups plus sûrs en nous servant d'autrui. Ne peut-on pas gagner des acteurs, des actrices ? Nous aurons un parti jusques dans les coulisses. Il faut de la cabale exciter les rumeurs, Nous montrer, même en loge, aux yeux des spectateurs. Je connais le public, nous n'avons qu'à paraître : Il nous craint. Quoi ! "L'inégalité" ? C'est bien le mien aussi. Mais il est fort plaisant. Hé ! Comment ? Ah ! Nous sommes perdus ! Quelle disgrâce affreuse ! Que lui dire ? Sortons. Ah ! Malheureux ! **** *creator_palissot *book_palissot_philosophes *style_verse *genre_comedy *dist1_palissot_verse_comedy_philosophes *dist2_palissot_verse_comedy *id_THEOPHRASTE *date_1760 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_theophraste Hé ! Bien, le mariage est enfin décidé ? Que je t'en félicite ! Oui, malgré le dépit de tous les envieux. Et la future enfin consent donc ? Sans doute, avec le temps tu la rendras docile. Ma foi, je quitte aussi ; le moyen d'y suffire ! Toi du moins, tu pouvais, animé par l'espoir, Te faire une raison, t'ennuyer par devoir, Et l'amour... Il a vraiment raison. On devrait l'avertir de réformer ses airs ; Elle était autrefois moins difficile à vivre, D'où vient qu'elle a changé ? Quoi ! Sérieusement le fait-elle imprimer ? Si l'on n'y met ordre, il faudra l'enfermer. Connais-tu son discours sur "Les devoirs des Rois" ? Hé ! Messieurs, s'il vous plaît... Messieurs, n'imitons pas les pédants de Molière. Permettez-moi tous deux de vous mettre d'accord. Sans doute. Vraiment non. Mais enfin on pourrait vous entendre, Et déjà Cydalise aurait pu nous surprendre. Il n'est pas question, messieurs, de s'estimer ; Nous nous connaissons tous : mais du moins la prudence Veut que de l'amitié nous gardions l'apparence. C'est par ces beaux dehors que nous en imposons, Et nous sommes perdus, si nous nous divisons. Il faut bien se passer certaines bagatelles. Tenez, on vient à nous. Oubliez vos querelles. Tu permets ? Dans les siècles passés on cherchait un génie Qu'on pût vous comparer. Je citais Aspasie, Et monsieur se fâchait de la comparaison. Mais les comparaisons ne sont jamais parfaites. Je le sens, j'en rougis. Il voit en philosophe, et c'est voir comme il faut. Qu'il faut abandonner à des esprits vulgaires. Ha, ha, ha, ha, ha, ha, c'est la vérité pure. Nous nous sommes brouillés avec ces gens de lois. Oui, du moins on pourrait essayer s'il a peur. Le voici justement. Nécessaire ! Ce livre est un trésor ; il réduit tous les hommes Au rang des animaux, et c'est ce que nous sommes. L'homme s'est fait esclave en se donnant des lois, Et tout n'irait que mieux s'il vivait dans les bois. Les esprits dans l'erreur sont encor trop plongés, Et l'on est retenu par tant de préjugés... ! Il est tant de savants qui n'en ont pas l'étoffe... ! C'est ce que nous cherchions ; un homme convaincu, Qui plein de son système, et bravant la critique, Aux spéculations veut joindre la pratique. On juge ici, monsieur, l'homme par ce qu'il vaut, Et non par les habits. **** *creator_palissot *book_palissot_philosophes *style_verse *genre_comedy *dist1_palissot_verse_comedy_philosophes *dist2_palissot_verse_comedy *id_DORTIDIUS *date_1760 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dortidius Parbleu, j'en suis ravi. Ma foi, cette fortune est due à ton mérite. Dans le fond, tu pouvais espérer beaucoup mieux. Non je le pense, et c'est sans flatterie. Nous savons honorer ton génie. Ah ! Tu me rends confus avec ces compliments. Mais c'est la vérité. Il faut que Rosalie ait le goût difficile. Cydalise... conviens que la dupe est bien bonne. Moi, ton hymen conclu, d'honneur, je me retire. Il épouse parbleu dix mille écus de rente. Je pense comme lui. Sais-tu bien qu'au besoin ce trait pourrait suffire, Si tu pensais jamais à la faire interdire. Entre nous, cependant, c'est son meilleur ouvrage. Le crois-tu de sa main ? Non, d'honneur ; il me plaît. Je te dis qu'il est bien ; mais très bien. Si j'en pensais ainsi, je le dirais très bas. Enfin, monsieur décide, et chacun doit se taire. Hé ! Bien, s'il était vrai... Mais, mon petit monsieur. Je pourrais en venir à des vérités dures. Vous me poussez à bout ! Ah ! C'en est trop enfin. Plaisant original, pour me rompre en visière ! Et moi, je n'ai pas tort. L'estime qui toujours devrait nous animer... Ce sont nos sentiments ; mais comme il les exprime ! Il sait tout embellir. Personne ne sait mieux se rendre intéressant. Je ne m'occupe point des rois, de leurs querelles : Que me fait le succès d'un siège ou d'un combat ? Je laisse à nos oisifs ces affaires d'état. Je m'embarrasse peu du pays que j'habite, Le véritable sage est un cosmopolite. On tient à la patrie, et c'est le seul lien... Fi donc ! C'est se borner que d'être citoyen. Loin de ces grands revers qui désolent le monde, Le sage vit chez lui dans une paix profonde ; Il détourne les yeux de ces objets d'horreur ; Il est son seul monarque et son législateur ; Rien ne peut altérer le bonheur de son être : C'est aux grands à calmer les troubles qu'ils font naître. Nous jouer ! Mais vraiment, c'est un crime d'état ; Nous jouer ! Nous pourrions nous méprendre, Nous l'avons malmené ; s'il allait nous le rendre. Vous verrez qu'il faudra dire un mot à l'auteur. Peut-être qu'il attend. Tout son mérite y brille. Vous vous y connaissez. Sublime ! Oui, parbleu ! Mais beaucoup. L'aventure est fâcheuse, Mais nous y sommes faits. **** *creator_palissot *book_palissot_philosophes *style_verse *genre_comedy *dist1_palissot_verse_comedy_philosophes *dist2_palissot_verse_comedy *id_MARTON *date_1760 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_marton Tout est changé, vous dis-je. Mais encor, vous êtes officier ; Notre projet n'est pas de nous mésallier. Nous voulons un mari taillé d'une autre étoffe ; En un mot, nous prenons un mari philosophe. Je vous étonne fort ; Mais ne savez-vous pas que les absents ont tort ? Trois mois ont opéré bien des métamorphoses : Peut-être dans trois mois verrons-nous d'autres choses. Vous pourrez reparaître alors avec succès ; Mais jusques-là, néant. En dépit du procès Qui devait se finir par votre mariage, Sans appel aujourd'hui la pomme est pour le sage. Toute femme est, monsieur, un animal changeant. On pourrait calculer les jours de Cydalise Par les différents goûts dont son âme est éprise : Quelquefois étourdie, enjouée à l'excès, D'autres fois sérieuse, et boudant par accès ; Coquette, s'il en fut, en sauvant le scandale, Prude à nous étourdir de son aigre morale ; Courant le bal la nuit, et le jour les sermons ; Tantôt les directeurs, et tantôt les bouffons. C'était là le bon temps. Mais aujourd'hui que l'âge Fait place à d'autres moeurs, et veut un ton plus sage, Madame a depuis peu réformé sa maison. Nous n'extravaguons plus qu'à force de raison. D'abord on a banni cette gaieté grossière, Délices des traitants, aliment du vulgaire ; À nos soupers décents tout au plus on sourit. Si l'on s'ennuie, au moins c'est avec de l'esprit. Quelquefois on admet, au lieu de Vaudevilles, De savants concerto, de grands airs difficiles ; Car il faut bien encore un peu d'amusement. Mais notre fort, monsieur, c'est le raisonnement. Quelque tems, dans le cercle, on parla politique ; Enfin tout disparut sous la métaphysique. Ce que nous faisons tous, monsieur ; elle s'ennuie. Non, ce coeur est à vous. L'amour l'a défendu Contre tous les projets d'un rival téméraire ; Mais votre sort dépend de l'aveu d'une mère, Ensorcelée au point que je n'ai plus d'espoir. Pardonnez-moi ce mot ; je vois comme il faut voir. Le bel esprit, monsieur, est tout ce qu'elle adore. C'est une maladie inconnue à vingt ans ; Mais bien forte à cinquante. Encore avec le temps, On pourrait espérer un retour de sagesse, S'il en était quelqu'un contre cette faiblesse, Quand à certains degrés elle a fait des progrès. Dans les commencements, moi-même j'espérais ; Mais sachez tous nos maux et ceux qui vont les suivre. Entre nous... Madame a fait un livre. Qui même à présent s'imprime incognito. Non : un volume in-quarto. Eux ! Ils se moquent d'elle ; Ils ont tous conspiré de gâter sa cervelle ; Surtout votre rival. Comme il connaît son goût, Il ne se borne pas à l'applaudir en tout ; Il la fait admirer par messieurs ses semblables, Tous charlatans adroits, et flatteurs agréables, Ravis de présider dans sa société, D'y porter leurs erreurs, et faisant vanité De dominer ici sur un esprit crédule, Qu'ils ont l'art d'aguerrir contre le ridicule. Oui ; Du plus grand air encor. Paris en est rempli. Mais pour établir mieux leur crédit chez madame, Et pour mieux pénétrer jusqu'au fond de son âme, Ils nomment aux emplois vacants dans la maison. Leur choix, toujours guidé par la saine raison, Quel qu'il soit, à madame est toujours sûr de plaire. Je soupçonne pourtant un certain secrétaire, Reçu par Cydalise à titre de savant, De n'avoir d'autre emploi que celui d'intrigant, De recéler un fourbe, et d'être ici pour cause ; Mais enfin, tôt ou tard, j'éclaircirai la chose. Ou je me trompe fort, ou c'est votre rival Qui pour servir ses feux ici l'impatronise. Un fripon affectant la franchise, Et pourtant, m'a-t-on dit, natif de Pézenas, Titré du nom pompeux de Monsieur Carondas, Reconnu pour savant, du moins sur sa parole, Tout hérissé de grec et de termes d'école, Plaçant à tout propos ce bizarre jargon, Et nous citant sans cesse Homère ou Lycophron . Je peins d'après nature. Quoi ! Crispin est ici ? Laissez faire. Crispin est fort adroit ; j'en tirerai parti. Oh ! Monsieur, comptez-y. Je déclare la guerre à la philosophie. Ah ! Je vous vois venir. Tenez, monsieur ; l'amour a su vous prévenir : On vient ; c'est Rosalie. Beaux sentiments ! Mais moi je ne m'y fierais pas. Non : c'est par des combats Qu'il faut à la raison ramener Cydalise. Oui ; c'est un beau moyen, des soupirs et des pleurs ! Oh ! La philosophie endurcit trop les coeurs. J'entrerais en colère. Elle n'a pas encor fait venir le notaire, Il est vrai ; les témoins ne sont pas invités, D'accord ; il manque aussi quelques formalités, J'y consens ; il se peut d'ailleurs que la journée Ne soit pas fixement encor déterminée ; J'en conviens. Cependant ne souffre-t-elle pas L'hommage assez public qu'il rend à vos appas ? N'en êtes-vous pas même à toute heure obsédée ? Mais non ; je me trompais : ce n'était qu'une idée. J'avais rêvé. Contes que tout ceci, Propos en l'air. Vision chimérique, Absurde. Non, c'est terreur panique, Illusion, vous dis-je. J'avais tort. Ah ! Vous vous fâchez donc ? Vraiment, c'est très bien fait. Mais raisonnons un peu. Dites-moi, s'il vous plaît, Fallait-il vous tromper ? Je sais bien que le doute Suspend l'impression des maux que l'on redoute, Qu'il est très naturel d'éloigner le danger, Et de rendre toujours son fardeau plus léger. Moi-même à vous flatter je serais la première. J'aurais soin de fermer les yeux à la lumière, Sans l'intérêt pressant qui me parle pour vous. Pardonnez ; mais, ma foi, les amants sont des fous. Tranquilles sans raison, désespérés sans cause, Dans un juste équilibre aucun ne se repose, Et le sang froid souvent les conseille bien mieux, Que cet amour qu'on peint un bandeau sur les yeux. On apprend à hurler, dit-on, de compagnie, En fréquentant les loups. Le proverbe a raison. C'est un mal répandu dans toute la maison, Mais perdons un moment cette idée importune. çà, faisons notre paix. Vous serez sans rancune ? Vous me le promettez ? Et moi d'être attentive à tous vos intérêts. Vous, monsieur, qui sans soins et sans trouble dans l'âme, Passeriez votre vie à regarder madame, Il faut battre en retraite, et même promptement. Songez qu'il est grand jour dans cet appartement, Que nous pourrions ici risquer quelque surprise, Et qu'il faut vous montrer d'abord à Cydalise, Avant que de penser à d'autres rendez-vous. Vous, soyez sans faiblesse. Allons, point de langueur. La fermeté, madame, en impose au malheur. Oui : Damis sort d'ici. Mais c'est à votre mère Qu'il importe surtout de parler avec feu. Si vous aimez Damis, ce fut de son aveu ; Je le suppose au moins. Les filles Ne font rien, comme on sait, sans l'avis des familles, C'est la règle. Il faut donc déclarer sans détour Pour l'un tous vos mépris, pour l'autre votre amour. Vous sentez-vous cette fermeté d'âme ? Allons, j'entends madame. Comment donc ! C'est très bien débuter. Cela promet. L'amour ! Oui vous ferez tous deux de bel ouvrage. Il y parait vraiment, à cet air d'embarras, Qu'un mot dit au hasard... Ce n'est point à l'amour à vous tirer de peine, Il est trop mal adroit. Pensez à votre haine ; Voilà le sentiment qui doit vous inspirer, Dont il est important de vous bien pénétrer. Je ne sais si l'amour, que d'ailleurs je révère, Est de nos passions en effet la plus chère ; Mais ce n'est que faiblesse, et que timidité. La haine n'est qu'ardeur et que vivacité. L'un abat, l'autre anime, et dans un coeoeur femelle, Ma foi, je la croirais beaucoup plus naturelle. Vous ne connaissez pas encor ce sentiment. Que votre coeur l'éprouve aujourd'hui seulement. Tenez, j'aime Crispin, et je sens pour Valère... Mais, ce n'est plus un jeu, j'aperçois votre mère. Oui. Allons, ferme, et montrez du courage. Oui, j'ai tout entendu. Mais quelle déraison ! Quel travers ! Badinage : Mourir ! Vous vous moquez, et ce n'est plus l'usage. On ne le souffre pas même dans les romans. Calmez-vous, et reprenez vos sens. Cette crise, après tout, vous l'aviez attendue ? Présumez vous si peu du succès de mes soins ? Commencez par vous affliger moins. Si vos voeux sont comblés, dites-moi, je vous prie, À quoi ce beau chagrin vous aura-t-il servie ? Vous pleurerez alors autant qu'il vous plaira, Je vous aiderai même, et n'aurai rien à dire ; Mais jusqu'à ce moment, qui vous défend de rire ? À tout évènement, c'est toujours fort bien fait, Et quand tout irait mal, je crois qu'il le faudrait. Du moins c'est mon humeur. Le chagrin m'incommode. Je le crois inutile, et j'en suis l'antipode. C'est à quoi dans la vie il faut le moins songer, Et l'on a toujours tort, quand on veut s'affliger. Mais allons concerter quelque heureuse saillie, Venez, et nous verrons si la philosophie, Quelque soit son crédit, pourra dans ce grand jour Tenir contre Marton, et Crispin, et l'amour. Madame, c'est Damis, Qui demande à vous voir. Valère achèvera. Allons, monsieur, il faut éclaircir ces ennuis ; Vite, de la gaité. Il faut d'abord, monsieur, commencer par en rire. Bon ! Vous n'y pensez pas, et vous voyez trop noir. Consolez-vous. Consolez-vous, vous dis-je. Vous l'apprendrez ; venez. Oui, je vous mets au rang des amants fortunés. J'espère qu'à la fin elle entendra raison. L'heureux hasard, monsieur, que cette porte ouverte ! Ma foi, je le guettais, et depuis fort longtemps ; J'avais toujours bien dit qu'il était de leurs gens. Je l'aurais affirmé. Mais qui se chargera de rendre cet écrit ? Moi ? Je me perdrais, monsieur, dans son esprit. Je n'oserai jamais. À ma maîtresse, Un billet de ce style ! Oh ! Non : point de faiblesse, Il m'en coûterait trop. Propos superflus, Je ne le ferai pas. C'est que d'ailleurs il faut le rendre en leur présence, Ou nous ne tenons rien. Non. Oui. Mais vraiment j'entrevois qu'il pourra réussir. On vient, c'est l'assemblée, éloignez-vous tous deux. Hé ! Vite, éloignez-vous, de crainte de surprise. Je vais vous annoncer, messieurs, à Cydalise. Madame, un philosophe Demande à vous parler. Crispin. Moi, je sens que je l'aime. Je dirais du génie ; Et jamais philosophe à ce point ne m'a plu. Des sages de nos jours nous distinguons les traits : Nous démasquons les faux, et respectons les vrais. **** *creator_palissot *book_palissot_philosophes *style_verse *genre_comedy *dist1_palissot_verse_comedy_philosophes *dist2_palissot_verse_comedy *id_CRISPIN *date_1760 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_crispin Hé ! Bien, cette démarche a-t-elle eu d'heureux fruits ? Épousons-nous, Monsieur ? Cydalise, sans doute... Comment ? Quoi ! La... formellement ? Nous savons plaire, Monsieur, et nous serions éconduits par Valère ! N'est-il point de remède ? Bon ! Vous n'y pensez pas : moi, j'en vois cent pour un. Il faut tout simplement enlever Rosalie. C'est le plus court. Je goutais ce moyen ; Mais puisqu'il vous déplaît, il faut dans cette affaire Recourir au plus sûr. J'irais trouver Valère, Et je voudrais, morbleu, lui parler sur un ton À lui faire ce soir déserter la maison. Hé ! Bien ? Allons, c'est donc à moi par une heureuse audace, D'éclairer Cydalise, et de donner la chasse À tous ces discoureurs qui lui gâtent l'esprit. Auprès d'elle, à mon tour, j'aurai quelque crédit, Et pour peu que Marton seconde l'entreprise, À la raison bientôt vous la verrez soumise. Je veux qu'elle balance entre Valère et moi. Vous ne connaissez pas encor tout mon mérite ; Vous voyez le Strabon d'un nouveau Démocrite. Moi-même, monsieur ; j'ai fait plus d'un métier : Un sage à ses travaux daigna m'associer ; Et quelque jour mon nom eût été sur la liste, Du moins il m'en flattait, quand j'étais son copiste. J'avais déjà quelques admirateurs ; Ah ! Qu'il m'a fait de tort en fuyant les honneurs, Pour vivre dans les bois ! Je lui dois la justice Qu'il ne connut jamais la brigue, l'artifice. De sa philosophie il était entêté, Au fond plein de droiture et de sincérité. Animal à la fois misanthrope et cynique, C'était vraiment un fou dans son espèce unique. Oui, rions, c'est bien dit. Mais je crois qu'en effet elle a quelque vertige. C'est Frontin qu'il se nomme : À ce nom-là d'abord j'aurais reconnu l'homme. Ni moi non plus. Silence. Cydalise, je crois, ne m'a jamais vû ? Et je suis inconnu dans toute la maison ? Je veux à la fois m'introduire et lui plaire. Donnez-moi ce billet, je prends sur moi l'affaire. Allez, monsieur, allez, je saurai vous servir. Je ne veux que Marton pour prix de mes services. Que n'oserai-je pas sous de pareils auspices ? Madame, elle n'a rien dont je me formalise. Je ne me règle plus sur les opinions, Et c'est-là l'heureux fruit de mes réflexions. Pour la philosophie un goût à qui tout cède, M'a fait choisir exprès l'état de quadrupède : Sur ces quatre piliers mon corps se soutient mieux, Et je vois moins de sots qui me blessent les yeux. En nous civilisant, nous avons tout perdu, La santé, le bonheur, et même la vertu. Je me renferme donc dans la vie animale ; Vous voyez ma cuisine, elle est simple et frugale. On ne peut, il est vrai, se contenter à moins ; Mais j'ai su m'enrichir en perdant des besoins. La fortune autrefois me paraissait injuste ; Et je suis devenu plus heureux, plus robuste Que tous ces courtisans dans le luxe amollis, Dont les femmes enfin connaissent tout le prix. Prévenu de l'accueil que vous faites aux sages, Madame, je venais vous rendre mes hommages, Inviter ces messieurs, peut-être à m'imiter, Du moins si mon exemple a de quoi les tenter. Ma résolution peut vous sembler bizarre. Je me suis interdit de consulter les modes, J'ai cru que des habits devaient être commodes, Et rien de plus. Encor dans un climat bien chaud... C'est penser en vrai sage. En vérité... Madame... Hé ! Oui, Monsieur Frontin : Parlez haut ; oui, c'est lui. Le valet de monsieur est votre secrétaire, Et je me suis servi de ce déguisement, Pour remettre en vos mains un billet important, Surpris chez ce fripon. Lisez, je vous conjure. Elle baisse la voix, Et n'ira pas plus loin, à ce que je prévois. Moi, j'épouse Marton pour terminer l'affaire.