**** *creator_piron *book_piron_metromanie *style_verse *genre_comedy *dist1_piron_verse_comedy_metromanie *dist2_piron_verse_comedy *id_FRANCALEU *date_1733 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_francaleu Peste soit de ces coups où l'on ne s'attend pas ! Voilà ma pièce au diable, et mon théâtre à bas. Trois acteurs : l'amant, l'oncle, le père, Manquant à point nommé, font cette belle affaire. L'un est inoculé ; l'autre, aux eaux ; l'autre, mort. C'est bien prendre son temps ! Je croyais célébrer le retour de ma fille. À grands frais, je convoque amis, parents, famille ; J'assemble un auditoire et nombreux et galant ; Et nous fermons. Cela n'est-il pas régalant ? Quelle sérénité ! Savez-vous, quand j'enrage, Que j'enrage encor plus, si l'on n'enrage aussi ? Et l'amant ? Il a d'un amoureux tout à fait l'encolure. Mais il s'agit ici d'un amant maltraité ; Et peut-être monsieur ne l'a jamais été. Or il faut, quelque loin qu'un talent puisse atteindre, Éprouver pour sentir, et sentir pour bien feindre. Bon ! Tant mieux ! Vous voilà selon notre désir. Venez ; et, croyez-moi, vous aurez du plaisir. Attendez-vous à voir quelque chose de beau. J'achève de brocher une pièce en six actes. La rime et la raison n'y sont pas trop exactes ; Mais j'en apprête mieux à rire à mes dépens. C'est que je vous revois. Oui, mon cher Baliveau, Embrassons-nous encore, et que, tout de nouveau, De l'ancienne amitié ce témoignage éclate. La séparation n'est pas de fraîche date ; Convenez-en : pendant l'intervalle écoulé, La parque, à la sourdine, a diablement filé. En auriez-vous l'humeur moins gaillarde et moins vive ? Pour moi, je suis de tout ; joueur, amant, convive ; Fréquentant, fêtoyant les bons faiseurs de vers. J'en fais même comme eux. Oui. Pas tout à fait comme eux, car je les fais sans peine. Aussi me traitent-ils de poète à la douzaine ; Mais, en dépit d'eux tous, ma muse, en tapinois, Se fait, dans Le Mercure , applaudir tous les mois. J'y prends le nom d'une basse-bretonne. Sous ce voile étranger, je ris, je plais, j'étonne ; Et le masque femelle agaçant le lecteur, De tel qui m'a raillé fait mon adorateur. Lisez-vous Le Mercure ? Tant pis, morbleu ! Tant pis ! Bonne lecture ! Lisez celui du mois ; vous y verrez encor, Comme aux dépens d'un fou, je m'y donne l'essor. Je ne sais pas qui c'est ; mais le benêt s'abuse, Jusque-là qu'il me nomme une dixième muse, Et qu'il me veut, pour femme, avoir absolument. Moi j'ai, par un sonnet, riposté galamment. Je goûte à ce commerce un plaisir incroyable ! Et vous ne trouvez pas l'aventure impayable ? Moi-même. Je ne saurais vous dire au juste le quantième. Dans ma tête, un beau jour, ce talent se trouva ; Et j'avais cinquante ans quand cela m'arriva. Enfin je veux, chez moi, que tout chante et tout rie. L'âge avance et le goût avec l'âge varie. Je ne saurais fixer le temps ni les désirs ; Mais je fixe du moins chez moi tous les plaisirs. Aujourd'hui nous jouons une pièce excellente ; J'en suis l'auteur. Elle a pour titre : L'indolente . Ridicule jamais ne fut si bien daubé ; Et vous êtes, pour rire, on ne peut mieux tombé. Et quelle affaire encore ? Vous aurez cet ordre. Mais plaisir pour plaisir. Sans doute, à vous. Vous en avez les dehors. Assez l'humeur. Et tant soit peu la moue. Et puis le rôle n'est pas fort. Il faut faire un effort. Que voulez-vous qu'on dise ? Eh bien ? Sottise ! Vous n'êtes pas connu. Tenez, tenez. Pour recevoir ensemble et rendre un bon office. Oui, oui, j'en suis garant ; Demain on vous le coffre au faubourg saint-Laurent. Dans son lit. On saura bien l'avoir, après l'ordre obtenu. Adieu, car il est temps de vous mettre à l'étude. Moi, je fais l'oncle ; et toi, Lisette, es-tu contente ? Tu voulais un beau rôle, et tu fais l'indolente. Reste à s'en bien tirer. Ma fille est sous tes yeux. Tâche à la copier. Tu ne peux faire mieux ; Le modèle est parfait. L'indolence, en effet, laisse tout ignorer ; Et combien l'ignorance en fait-elle égarer ? Le danger vole autour de la simple colombe ; Et, sans lumière, enfin, le moyen qu'on ne tombe ! Tu feras donc fort bien de la morigéner. Qu'elle sache connaître, applaudir, condamner. Qu'à son gré d'elle-même elle dispose ensuite. Le penchant satisfait répond de la conduite. C'est contre le torrent du siècle intéressé ; Mais, me regardât-on comme un père insensé, Je veux qu'à tous égards ma fille soit contente ; Que l'époux qu'elle aura soit selon son attente ; Qu'elle n'écoute qu'elle et que son propre coeur, Sur un choix qui fera sa perte ou son bonheur ; Qu'elle s'explique enfin là-dessus sans finesse. Ce lieu rassemble exprès une belle jeunesse, Vingt honnêtes partis, dont le meilleur, je crois, Ne refusera pas de s'allier à moi. Ma fille est riche et belle. En un mot, je la donne Au premier qui lui plaît ; je n'excepte personne. Au contraire, c'est lui Que je préférerais à tout autre aujourd'hui. Eh bien ! J'en ai de reste. J'aurai fait un heureux : c'est passe-temps céleste. Favorisant ainsi l'honnête homme indigent, Le mérite une fois aura valu l'argent. Et quel ? Tu parles juste. Aussi j'ai pris soin de savoir L'histoire de tous ceux qu'ici j'ai voulu voir. On dit, à propos, que le drôle... J'y cours tout de ce pas ; tu peux en être sûre ; Et vais, à la douceur joignant l'autorité, Laisser un libre choix, ce jeune homme excepté. Qu'as-tu donc tant à faire Avec ce cavalier qui ne semble chez moi S'être impatronisé, que pour être avec toi ? Voyons un peu le tour qu'elle donne à la chose. Et n'a-t-il pas l'ami qui me l'a présenté ? J'en croirais quelque chose, à son rire moqueur. Le serpent de l'envie a sifflé dans son coeur. Oh ! Bien, bien, double joie, en ce cas, pour le nôtre ! Je mortifierai l'un, et satisferai l'autre ; L'autre aussi bien m'a plu, comme il plaira partout. Il a tout à fait l'air d'un homme de bon goût ; Et d'ailleurs il me prend dans mon enthousiasme. Je suis en train de rire, et veux, malgré mon asthme, Lui lire tous mes vers, sans en excepter un. Va donc me le chercher. Et pourquoi donc si tôt ? C'est fort bien avisé. Va, je me charge, moi... Ah ! C'est vous ! Comment va la mémoire ? Et moi, de mon côté, je songe à votre affaire. Cependant soyez gai. Débutez seulement, Et vous serez bientôt de notre sentiment. De vos talents à peine aurons-nous les prémices, Que nous voulons vous voir un pilier de coulisses ; Et, quoi que vous disiez, vers un plaisir si doux, De la force du charme, entraîné comme nous. J'ai vu ce charme, en France, opérer des miracles ; Nos palais devenir des salles de spectacles ; Et nos marquis, chaussant à l'envi l'escarpin, Représenter Hector, Sganarelle et Crispin. Celui qui fait le fils s'y prend le mieux du monde, Car nous ne jouons bien qu'autant qu'on nous seconde. Tout dépend de l'acteur mis vis-à-vis de nous. Si celui-ci venait répéter avec nous ? Holà ! Hée ! Que l'on aille chercher Monsieur De L'Empyrée. Tenez, voilà par où le jeune homme entrera. Vous pouvez commencer sitôt qu'il paraîtra. Faites comme l'on fait aux choses imprévues. Soyez comme quelqu'un qui tomberait des nues ; Car c'est l'esprit du rôle, et vous vous souvenez Que vous vous trouvez, vous et ce fils, nez à nez, L'instant précis qu'il sort, ou d'une académie, Ou de quelque autre lieu que vous voulez qu'il fuie ; Et qu'à cette rencontre, un silence fâcheux Exprime une surprise égale entre vous deux. C'est un coup de théâtre admirable, et j'espère... Monsieur, voilà celui qui fera votre père. Il sait son rôle ; allons, concertez-vous un peu, Et tout en vous voyant, commencez votre jeu. Comment diable ! à merveille ! à miracle ! Courage ! Personne ne jouera mieux que vous, du visage. Vous avez joué, vous, la surprise assez bien ; Mais le rire vous prend, et cela ne vaut rien. Il faut être interdit, confus, couvert de honte. Adieu donc ; aussi bien je fais languir quelqu'un. Monsieur l'homme accompli, qui du moins croyez l'être, Prenez, prenez leçon, car voilà votre maître. Bravo ! Bravo ! Bravo ! Eh ! Venez donc, monsieur ! Depuis une heure, Je vous cherche partout, pour vous lire mes vers. À vous. Vous désirez, dit-on, ce petit sacrifice. Lui, Il voudrait qu'on fût sourd aux ouvrages d'autrui. Vous dites bien : l'envie ! Oui, c'est un envieux, Qui voudrait, sur lui seul, attirer tous les yeux. On me voudrait pourtant assurer du contraire. Ah ! Quelque humeur qu'il ait, il faudra bien qu'il rie ; Et pour cela d'abord, je lis ma tragédie. Pourvu que les fâcheux nous laissent en repos. Et vous, vous n'en voulez pas être ? Laissez, laissez, de grâce ! Il en veut à ma fille ; et je serais charmé Qu'il parvînt à lui plaire, et qu'il en fût aimé. Comme si nous avions besoin de ses suffrages ! Je serai trop heureux que vous me le donniez. Moins l'assemblée est grande, et plus elle a d'oreilles. Non ; qui satisfait tôt, satisfait doublement. Et c'est le moins qu'on doive à votre politesse, D'avoir bien voulu prendre un rôle dans la pièce. La mort de Bucéphale... Où diable est-il ? Comment ! On me fuit ! Oh ! Parbleu, ce sera vainement. Je cours après mon homme ; et s'il faut qu'il m'échappe, Je me cramponne après le premier que j'attrape ; Et, bénévole ou non, dût-il ronfler debout, L'auditeur entendra ma pièce jusqu'au bout. Lucile, redoublez de fierté pour Dorante, Vous n'êtes pas encore assez indifférente. Vous souffrez qu'il vous parle ; et je défends cela Tout net ! Entendez-vous, ma fille ! Ah ! C'est toi, Lisette ? Admirez, en effet, comme elle lui ressemble ! Tout à l'heure ; on s'assemble. Cependant, va chercher ta maîtresse, et l'instruis Des dispositions où tu vois que je suis. Si j'eus une raison, maintenant j'en ai trente Qui doivent à jamais disgracier Dorante. La coquine le sert indubitablement, Et m'en a, sur son compte, imposé doublement. Sur quoi donc, s'il vous plaît, vous a-t-il fait querelle ? Ce procédé l'exclut du rang de vos amis ? Ce que j'apprends encor lui fait bien moins d'honneur. Qu'il est le fils d'un maudit chicaneur, Qui, n'écoutant prière, avis, ni remontrance, Depuis dix ou douze ans, me plaide à toute outrance. Des sottises d'un père, un fils n'est pas garant : Mais le tort que me fait ce plaideur est si grand, Que je puis, à bon droit, haïr jusqu'à sa race. Ce procès me ruine en sotte paperasse ; Et sans le temps, les pas, et les soins qu'il y faut, J'aurais été poète onze ou douze ans plus tôt. Sont-ce là, dites-moi, des pertes réparables ? Pardonnez-moi, monsieur, il a son caractère. Je lui croyais du goût, de l'esprit, du bon sens ; Ce n'est qu'un étourdi. Cela tourne à tous vents. Cervelle évaporée, esprit jeune et frivole Que vous croyez tenir au moment qu'il s'envole ; Qui me choque, en un mot, et qui me choque au point Que chez moi, sans ma pièce, il ne resterait point. Mais il le faut avoir, si je veux qu'on la joue ; Et voilà trop de fois que mon spectacle échoue. À propos, ce bonhomme avec qui vous jouez, Plaît-il ? Que vous en semble ? Excellent ! Avouez. A-t-il l'air d'un père qui querelle ! Heim ! Comme sa surprise a paru naturelle ! Pour un mois, avec nous, il faut que je l'enrôle. C'est que je l'ai flatté du succès d'une affaire. Tirons-en donc parti, tandis qu'à nous complaire Et qu'à nous ménager il a quelque intérêt. Si vous le souhaitez, c'est une affaire faite. Et personne, monsieur, n'y peut mieux réussir. Que vous. Vous êtes bien venu des ministres ? Ma parole, en ce cas, sera donc mal gardée ; Car je comptais sur vous quand je l'ai hasardée. Il veut faire enfermer un fripon de neveu, Un libertin qui s'est attiré sa disgrâce, En ne faisant rien moins que ce qu'on veut qu'il fasse. Non, non, laissez ! Parbleu ! J'admire ma sottise ! J'en vais charger quelqu'un dont je m'avise. Et pourquoi ? C'est qu'avec celui-ci l'affaire ira plus vite. Je serais très fâché qu'il en eût le mérite. Songez donc que ce soir il aura mon billet, Et que j'aurai demain la lettre de cachet. Mais vous ne ferez pas la même diligence ? Oh non ! Ce soir ! Ah ! Sur ce pied, je n'ai plus rien à dire ; Mais comment ce temps-là pourra-t-il vous suffire ? Vous promettez pourtant beaucoup. Sans doute, et j'ai raison. L'oncle me fait pitié, Et tout mauvais sujet mérite inimitié. Tenez, j'ai toujours eu l'amour de l'ordre en tête. Vous menez, par exemple, un train de vie honnête, Vous ; cela fait plaisir, mais n'étonnera pas ; Car vous me fréquentez et vous suivez mes pas. Des travers du jeune homme un fou sera la cause. Aussi l'ordre du roi, pour le bien de la chose, Devrait faire enfermer, avec le libertin, Tel chez qui l'on saura qu'il est soir et matin. Vous riez, mais je parle en père de famille. Que viens-tu m'annoncer ? Quoi ! La pièce... Faute d'acteurs ? Quoi donc ? Que dis-tu ? Ah ! J'en suis ! Non. Le sort d'une pièce est-il en notre main, Nous en voyons mourir du soir au lendemain. Celle-ci peut n'avoir qu'une heure ou deux à vivre. Si nous la voulons voir, songeons donc à les suivre. Venez. Adieu donc. Demeurez, Monsieur De L'Empyrée. Votre refus fait place à Monsieur Baliveau, Qui, dans l'art du théâtre étant encor nouveau, Ne sera pas fâché qu'on le mène à l'école. Qui plus est, son neveu l'occupe et le désole, Et la pièce nouvelle est un amusement Qui pourra le lui faire oublier un moment. Eh bien ! Une autre fois, malgré mes conjectures, Vous fierez-vous encore à vos heureux augures, Monsieur ? J'avais donc tort tantôt de vous prêcher Que, lorsqu'on veut tout voir, il faut se dépêcher ? Voilà pourtant, voilà la nouveauté... flambée ! Tout à plat ! Celui-ci pourrait bien n'en pas tomber d'accord, Sans être, pour cela, taxé de suffisance Car jamais le public n'eut moins de complaisance. Comment veut-il juger d'une pièce, en effet, Au tintamarre affreux qu'au parterre on a fait ? Ah ! Nous avons bien vu des fureurs de cabale ; Mais jamais il n'en fut ni n'en sera d'égale. La pièce était vendue aux sifflets aguerris De tous les étourneaux des cafés de Paris. Il en est venu fondre un essaim des nuées ! Cependant à travers les brocards, les huées, Le carillon des toux, des nez, des paix là ! Paix ! J'ai trouvé... On en peut mieux juger, puisque l'on s'en escrime. Morbleu ! Je le maintiens : j'ai trouvé... telle rime... Oui, telle rime digne elle seule, à mon gré, De relever l'auteur que l'on a dénigré. C'est parler en héros, en grand homme, en poète ! Vous êtes stupéfait ? Moi non. Je le répète. Vivent les grands esprits, pour former les grands coeurs ! Mais cela n'appartient qu'à nous autres auteurs. N'est-ce pas, mon confrère ? Si vous saviez combien j'aime ce garçon-là... C'est que cela jamais n'a rien dit comme un autre. Une lice ! Un nocher ! Comme nous n'allons droit, qu'à force de broncher ! Plaît-il ? Vous l'entendiez ? Ce jeune homme n'est pas du commun des humains. Peste ! Les grands seigneurs se l'arrachent des mains. Vous parlez d'une pièce ? Ah ! S'il en fait jamais, Ce sera de l'exquis ; c'est moi qui le promets ; Et je défierai bien la cabale d'y mordre. Eh ! Tranquillisez-vous ! Soyez sûr de l'avoir. Oui, vous serez content, ce soir même, ce soir ! C'est le terme qu'il prend. Votre affaire est certaine. Et, tenez, son retour va vous tirer de peine ; Car je gagerais bien que, tout en badinant, L'ordre est dans le paquet qu'il ouvre maintenant. Celui qui nous quitte. Êtes-vous sourd ? Cet homme de mérite. Monsieur de L'Empyrée ? Et qui donc ? Lui-même. Il a trouvé que vous jouïez en maître ; Et votre admirateur, autant que l'on doit l'être, Il veut vous enrôler pour un mois, parmi nous. Moi, le voyant d'humeur à tout faire pour vous, J'ai dû le mettre au fait de ce qui vous intrigue, Et des égarements de votre enfant prodigue. Il a, sur cette affaire, obligeamment pris feu, Comme si c'eût été la sienne propre. Comment donc ? Monsieur le capitoul, vous avez des vertiges. Eh ! C'est vous qui, plutôt que mon neveu, cent fois Mériteriez... je suis le moins sensé des trois. Serviteur ! Mais encore, entre amis, l'on s'explique. Ne pourrait-on savoir quelle mouche vous pique ? Quoi ! Lorsque nous tenons... Non, nous ne tenons rien, Puisqu'il faut vous le dire ; et cet homme de bien, Au mérite de qui vous êtes si sensible, Est le pendard à qui j'en veux. Est-il possible ? Je vous en offre autant. à présent, je demande Où vous prenez le mal que vous m'en avez dit. Un garçon studieux, de probité, d'esprit, Beau feu, judiciaire, en qui tout se rassemble ; Un phénix, un trésor... Oncle indigne à jamais d'avoir part à la gloire D'un neveu qui déjà vous a trop honoré ! Savez-vous ce que c'est que tout ce long narré ? Préjugé populaire, esprit de bourgeoisie, De tout temps gendarmé contre la poésie. Mais apprenez de moi qu'un ouvrage d'éclat Anoblit bien autant que le capitoulat. Apprenez... Je vous arrête, En véritable ami dont la réplique est prête ; Et vais vous faire voir, avec précision, Que nous ne sommes pas des gens à vision. Si j'admire en Damis un don qui vous irrite, Votre chagrin me touche, autant que son mérite ; Afin donc que son sort ne vous alarme plus, Je lui donne ma fille, avec cent mille écus. Eh bien ! Est-il à plaindre ? Car elle a de l'esprit, est belle, faite à peindre... Holà ! Quelqu'un ! ... vous-même en jugerez ainsi. Que l'on cherche Lucile, et qu'elle vienne ici. Aussi bien elle hésite, et rien ne se décide. Qu'est-ce ? Vous mollissez ? Votre front se déride ? Vous paraissez ému ! Venez, venez, Monsieur ! Une autre fois encore Vous serez à la cour notre solliciteur. Vous vous flattiez, ce soir, de contenter monsieur. Quoi ? Ah ! Monsieur, la poésie a ses licences ; mais Celle-ci passe un peu les bornes que j'y mets ; Et votre oncle, entre nous, n'a pas tort de se plaindre. Comment ! La connaîtrais-je ? Quoi ! Ce serait ? ... quoi ! C'est... la muse originale, Qui de ses impromptus tous les mois nous régale ! Ce bel esprit sans pair... Mériadec... De Kersic... de Quimper... Embrassez-moi ! Du pauvre oncle qui s'est effarouché trop tôt ; Mais nous l'apaiserons ; rien n'est gâté. Oh ! C'est vous qui, pour peu que vous nous écoutiez, Laisserez, s'il vous plaît, l'erreur où vous étiez. Que vous comptez en vain faire ce mariage. Et vous, beau protester ! Il faudra l'en ôter. Parbleu si ! Parions. La personne pourrait, par exemple, être telle... Sans la chercher si loin... Quel homme ! Non ; mais, en vérité, J'ai bien, à vos dépens, jusqu'ici plaisanté, Quand, sous le masque heureux qui vous donnait le change, Je vous faisais chanter des vers à ma louange. Voilà de vos arrêts, messieurs les gens de goût ! L'ouvrage est peu de chose, et le seul nom fait tout. Oh çà ! Laissons donc là ce burlesque hyménée. Je vous remets la foi que vous m'aviez donnée. Ne songeons désormais qu'à vous dédommager De la faute où ce jeu vient de vous engager. Je vous fais perdre un oncle, et je dois vous le rendre. Pour cela, je persiste à vous nommer mon gendre. Ma fille, en cas pareil, me vaudra bien, je crois, Et n'est pas un parti moins sortable que moi. Tenez, lui pourriez-vous refuser quelque estime ? Mignonne, venez çà ! Vous voyez devant vous Celui dont j'ai fait choix pour être votre époux. Ses talents... Qu'on se taise ! Ne me romps pas la tête. Coquine ! Tu crois donc que je sois à sentir Que tout le jour ici tu n'as fait que mentir ? Va-t-en. Je ne veux rien entendre. L'impertinente ! Elle a dit vrai ? La nouvelle, en ce cas, M'étonne bien un peu, mais ne me change pas. Non, je n'en rabats rien de ma première estime : Loin de là ; votre chute est si peu légitime, Fait voir tant de rivaux déchaînés contre vous, Qu'elle prouve combien vous les surpassez tous. Et ma fille n'est pas non plus si malhabile... Au fait ! J'augure mal de cet avant-propos. Ah ! Fort bien ! Vous penchiez pour quelqu'un ? J'en suis fâché pour vous. Pourquoi tardiez-vous tant à me le venir dire ? Quoi ! Quand j'ai mes raisons... La sotte chose en nous, que l'amour paternelle ! Ne suis-je pas déjà prêt à pleurer comme elle ? Votre ennemi mortel ! Qui voulait aujourd'hui... Mais c'est le fils d'un homme ardent à ma ruine... "Aux traits dont vous peignez la charmante Lucile, Je ne suis pas surpris de l'amour de mon fils. Par son médiateur, il est des mieux servis ; Et vous plaidez sa cause en orateur habile. La rigueur, il est vrai, serait très inutile ; Et je défère à vos avis. Reste à lui faire avoir cette beauté qu'il aime. Il n'aura que trop mon aveu ; Celui de Monsieur Francaleu Puisse-t-il s'obtenir de même ! Parlez, pressez, priez ! Je désire à l'excès Que sa fille, aujourd'hui, termine nos procès, "Et que le don d'un fils qu'un tel ami protége, Entre votre hôte et moi, renouvelle à jamais La vieille amitié de collége. Métrophile. " Maîtresse, amis, parents, puisque tout est pour vous, Aimez donc bien Lucile, et soyez son époux. **** *creator_piron *book_piron_metromanie *style_verse *genre_comedy *dist1_piron_verse_comedy_metromanie *dist2_piron_verse_comedy *id_BALIVEAU *date_1733 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_baliveau L'heureux tempérament ! Ma joie en est extrême. Gai, vif, aimant à rire ; enfin, toujours le même. Comme eux ? Quel travers ! Comment ? Il est devenu fou ! Jamais. Ma foi, je n'aime point que vous ayez donné Dans un goût pour lequel vous étiez si peu né. Vous, poète ! Eh ! Bon Dieu, depuis quand ? Vous ! Ne comptez pas sur moi. J'ai quelque affaire en tête, Qui ne ferait chez vous de moi qu'un trouble-fête. Un diable de neveu Me fait, par ses écarts, mourir à petit feu. C'est un garçon d'esprit, d'assez belle apparence, De qui j'avais conçu la plus haute espérance ; J'en fis l'unique objet d'un soin tout paternel ; Mais rien ne rectifie un mauvais naturel. Pour achever son droit (n'est-ce pas une honte ? ), Il est depuis cinq ans, à Paris, de bon compte. J'arrive, je le trouve encore au premier pas, Endetté, vagabond, sans ce qu'on ne sait pas. Ne pourrais-je obtenir, pour peu qu'on me seconde, Un ordre qui le mette en lieu qui m'en réponde ? Ne connaissant personne et vous sachant ici, Je venais... Grand merci. Pour vous que puis-je faire ? Dans la pièce du jour prendre un rôle de père. Un rôle ! à moi ? C'est tout de bon ? Oui. N'êtes-vous pas bien de l'âge d'un barbon ? Soit. Mais... Je l'avoue. Que trop. Avec raison. Quel qu'il soit, j'y répugne. Eh fi ! Que dirait-on ? Un capitoul ! La gravité ! Ma noblesse, d'ailleurs ! D'accord. Quoi ! Je serais venu ? ... Je vois bien qu'il faudra qu'à la fin j'obéisse. Mon coquin paiera donc... Il faudra commencer par savoir où le prendre. C'est bien dit, s'il lui plaît de s'y rendre ; Mais son hôte ne sait ce qu'il est devenu. Je vais donc m'enfoncer dans cette solitude ; Et là, gesticulant et braillant tout le soû, Faire un apprentissage, en vérité, bien fou. Ma foi ! Quelques raisonnements que votre goût m'oppose, Je hais bien la démarche où mon neveu m'expose : Pour m'y résoudre, il faut, à cet original, Vouloir étrangement et de bien et de mal. Enfin mon rôle est su : voyons, que faut-il faire ? Je ne le cache pas. Malgré ma répugnance, Une chose me fait quelque plaisir d'avance. C'est le parfait rapport qui, par un cas plaisant, Se trouve entre mon rôle et mon état présent. Je représente un père austère et sans faiblesse, Qui d'un fils libertin gourmande la jeunesse... Le vieillard, à mon gré, parle comme un Caton, Et je me réjouis de lui donner le ton. Je voudrais que ce fût déjà fait. Je sens qu'ainsi que lui votre aspect me démonte. Le sot événement ! Raisonnons d'autre chose et ne plaisantons point. Le hasard a voulu... C'est moi-même qui parle, et qui parle à Damis. Voilà donc ce que fait mon neveu dans Paris ? Qu'a produit un séjour de si longue durée ? Que veut dire ce nom : Monsieur De L'Empyrée ? Sied-il, dans ton état, d'aller ainsi vêtu ? Dans quelle compagnie, en quelle école es-tu ? Coquin ! Tu te prévaux du contre-temps maudit... C'est à moi de plier, après mon incartade. J'ai ri. Me voilà désarmé. Eh ! Oui, bourreau, tu m'as nommé. Je n'ai que trop pour toi des entrailles de père, Et ce fut le seul bien que te laissa mon frère. Quel usage en fais-tu ? Qu'ont servi tous mes soins ? Où la vas-tu chercher ? Ce temple prétendu (Pour parler ton jargon) n'est qu'un pays perdu, Où la nécessité, de travaux consumée, Au sein du sot orgueil se repaît de fumée. Eh ! Malheureux ! Crois-moi, fuis ce terroir ingrat. Prends un parti solide et fais choix d'un état Qu'ainsi que le talent, le bon sens autorise ; Qui te distingue et non qui te singularise ; Où le génie heureux brille avec dignité, Tel qu'enfin le barreau l'offre à ta vanité. Protégeant la veuve et la pupille, C'est là qu'à l'honorable on peut joindre l'utile ; Sur la gloire et le gain établir sa maison, Et ne devoir qu'à soi sa fortune et son nom. Eh bien ! Porte plus haut ton espoir et tes vues. À ces beaux sentiments les dignités sont dûes. La moitié de mon bien remise en ton pouvoir, Parmi nos sénateurs, s'offre à te faire asseoir. Ton esprit généreux, si la vertu t'est chère, Si tu prends à sa cause un intérêt sincère, Ne préférera pas, la croyant en danger, L'effort de la défendre au droit de la juger. Quelle étrange manie ! Et dis-moi, misérable ! À de si grands esprits te crois-tu comparable ? Et ne sais-tu pas bien qu'au métier que tu fais Il faut ou les atteindre ou ramper à jamais ? Mais les beautés de l'art ne sont pas infinies. Tu m'avoueras du moins que ces rares génies, Outre le don qui fut leur principal appui, Moissonnaient à leur aise où l'on glane aujourd'hui. Va, malheur à toi-même, ingrat ! Cours à ta perte ! À qui veut s'égarer, la carrière est ouverte. Indigne du bonheur qui t'était préparé, Rentre dans le néant dont je t'avais tiré. Mais ne crois pas que, prêt à remplir ma vengeance, Ton châtiment se borne à la seule indigence. Cette soif de briller, où se fixent tes voeux, S'éteindra, mais trop tard, dans des dégoûts affreux. Va subir du public les jugements fantasques, D'une cabale aveugle essuyer les bourrasques, Chercher en vain quelqu'un d'humeur à t'admirer, Et trouver tout le monde actif à censurer ! Va, des auteurs sans nom, grossir la foule obscure, Égayer la satire, et servir de pâture À je ne sais quel tas de brouillons affamés Dont les écrits mordants sur les quais sont semés ! Déjà dans les cafés tes projets se répandent. Le parodiste oisif et les forains t'attendent. Va, après t'être vu, sur leur scène, avili, De l'opprobre, avec eux, retomber dans l'oubli ! Jamais l'extravagance alla-t-elle plus loin ? Eh bien ! Tu braveras la honte et le besoin. Je veux que ton esprit n'en soit que plus rebelle, Et qu'aux siècles futurs ta sottise en appelle ; Que, de ton vivant même, on admire tes vers ; Tremble, et vois sous tes pas mille abîmes ouverts ! L'impudence d'autrui va devenir ton crime. On mettra sur ton compte un libelle anonyme. Poursuivi, condamné, proscrit sur ces rumeurs, À qui veux-tu qu'un homme en appelle ? À ses moeurs ? Et le monde, en ces sortes d'orages, Est-il instruit des moeurs, ainsi que des outrages ? Et comment, s'il vous plaît ? Quoi ! Vous seriez l'auteur de la pièce nouvelle Que ce soir, aux français, l'on doit représenter ? Puisque vous le voulez, je vous en félicite. Cependant, gardez-vous de dire à Francaleu Que de son bon ami vous êtes le neveu. J'ai de bonnes raisons pour en agir ainsi. J'y compte. Volontiers. À demain, scélérat ! Si jamais tu rimailles, Ce ne sera, morbleu, qu'entre quatre murailles ! Oh ! Tout à plat. Sifflée et resifflée ! Il ne faut pas douter que l'auteur n'en appelle. Le plus impertinent n'a jamais dit : j'ai tort. Ma foi, moi, j'ai trouvé tout mauvais. Tout ce que peut de mieux l'auteur, avec sa rime, Ce sera, s'il m'en croit, de garder l'anonyme ; Et de n'exercer plus un talent suborneur, Dont les productions lui font si peu d'honneur. Oui, changeons de propos, et laissons tout cela. C'est qu'à ce que je vois, sa marotte est la vôtre. Belle prérogative ! Moi ? Non ; j'avais en tête La lettre de cachet, qui, dites-vous, est prête. J'enrage ! Revenons, de grâce, à la promesse Dont vous m'avez, tantôt, flatté pendant la pièce. Parlez ! Aurai-je enfin, n'aurai-je pas mon ordre ? Qu'il ouvre maintenant ? Qui ? Plaît-il ? Quoi ! C'est lui, Dont le zèle, pour moi, sollicite aujourd'hui ? Adieu. Vous avez opéré des prodiges ! Le voilà ! Maintenant soyez émerveillé Du jeu de la surprise où j'ai tantôt brillé. Si j'eusse vu le diable, elle eût été moins grande. Un fou qui vous ressemble ! Allez, vous méritez cette apostrophe-là. De bonne foi, sied-il, à l'âge où vous voilà, Fait pour morigéner la jeunesse étourdie, Que, par vous-même, au mal elle soit enhardie, Et que l'écervelé qui me brave aujourd'hui, Au lieu d'un adversaire, en vous trouve un appui ? Il versifiera donc ! Le beau genre de vie ! Ne se rendre fameux qu'à force de folie ! Être, pour ainsi dire, un homme hors des rangs, Et le jouet titré des petits et des grands ! Examinez les gens du métier qu'il embrasse. La paresse ou l'orgueil en ont produit la race. Devant quelques oisifs, elle peut triompher ; Mais, en bonne police, on devrait l'étouffer. Oui ! Comment souffre-t-on leurs licences extrêmes ? Que font-ils pour l'état, pour les leurs, pour eux-mêmes ? De la société véritables frelons, Chacun les y méprise, ou craint leurs aiguillons. Damis eût figuré dans un poste honorable ; Mais ce ne sera plus qu'un gueux, qu'un misérable, À la perte duquel, en homme infatué, Vous aurez eu l'honneur d'avoir contribué. Félicitez-vous bien ! L'oeuvre est très méritoire ! Apprenez de moi qu'on ne voit guère Les honneurs, en ce siècle, accueillir la misère : Et que la pauvreté, par qui tout s'avilit, Faite pour dégrader, rarement anoblit. Forgez-vous des plaisirs de toutes les espèces. On fait comme on l'entend, quand on a vos richesses ; Mais lui, que voulez-vous qu'il devienne à la fin ? Son partage assuré, c'est la soif et la faim. Et d'un oeil satisfait, on veut que je le voie ? Soit ! à vos visions, je l'abandonne en proie. Il peut se reposer de ses nobles destins Sur ceux qui, dites-vous, se l'arrachent des mains. Qu'il périsse ! Il est libre. Adieu ! Avec cent mille écus ? Je le suis en effet. Vous êtes un ami bien rare et bien parfait ! Un procédé si noble est-il imaginable ! Ne me trouvez donc pas, au fond, si condamnable. Nous perçons l'avenir ainsi que nous pouvons, Et sur le train des moeurs du siècle où nous vivons. Quand, à faire des vers, un jeune esprit s'adonne, Même en l'applaudissant, je vois qu'on l'abandonne. Damis, de ce côté, se porte avec chaleur, Et je ne lui pouvais pardonner son malheur ; Mais, dès que d'un tel choix votre bonté l'honore... Non. Qu'entre nous tout s'oublie, Damis. Voici quelqu'un qui nous réconcilie, Qui signale à tel point son amitié pour nous, Qu'il s'acquiert à jamais les droits que j'eus sur vous. Monsieur vous fait l'honneur de vous choisir pour gendre. Ainsi que moi, la chose a lieu de vous surprendre ; Car, de quelques talents dont vous fussiez pourvu, Nous n'osions espérer ce bonheur imprévu. Mais la joie aurait dû, suspendant sa puissance, Avoir déjà fait place à la reconnaissance. Tombez donc aux genoux de votre bienfaiteur. Eh bien ? Le voilà cet homme au-dessus du vulgaire, Dont vous vantiez l'esprit et la judiciaire, Qui, tout à l'heure, était un phénix, un trésor ! Eh bien ! De ces beaux noms le nommez-vous encor ? Va ! Maudit soit l'instant où mon malheureux frère M'embarrassa d'un monstre en devenant ton père ! **** *creator_piron *book_piron_metromanie *style_verse *genre_comedy *dist1_piron_verse_comedy_metromanie *dist2_piron_verse_comedy *id_DAMIS *date_1733 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_damis Non ! Jamais si beau feu ne m'échauffa la veine. Ma foi, j'ai fait pour vous bien des vers jusqu'ici, Mais je donne ma voix et la palme à ceux-ci. De vous faire une églogue ; elle est faite. Oh ! Mais faite et parfaite. Je le crois... Au bon coin ceci sera frappé. Et je le donne en quatre au plus huppé. Laissons ; je vous demande... Oui, du noble et du tendre. Aussi, vous en allez entendre. Eh ! J'en jugerais mal ! Mieux qu'un autre. écoutez. Je crierai. Permettez. Daphnis et l'écho, dialogue. Daphnis... "Écho, que je retrouve en ce bocage épais... " Comment, Monsieur ! Quand pour vous je compose... Ode ? épître ? Cantate ? Élégie ? Portrait ? Sonnet ? Bouquet ? Triolet ? Ballet ? C'est autre chose : alors ces vers seront pour moi. Elle n'est pas perdue. Mes vers, sans aller loin, sauront où se placer, Et l'on a, pour son compte, à qui les adresser. Qui donc aimerait, je vous prie ? La sensibilité fait tout notre génie. Le coeur d'un vrai poète est prompt à s'enflammer ; Et l'on ne l'est qu'autant que l'on sait bien aimer. De la vôtre, pour moi, le nom fut un mystère ; Que le nom de la mienne en puisse être un pour vous. Est des plus doux. Ce jour vous en dira peut-être des nouvelles. Est un grand jour. Je le voudrais. Je ne le puis. Je ne l'ai jamais vue. Mes termes sont fort clairs. De son goût pour les vers. Qu'est-ce donc ? Qu'avez-vous ? D'où vient tant d'aparté ? Parlez ; me voilà prêt. Que faut-il entreprendre ? Venez. Il faut le taire. Vous êtes mon ami ; ce titre suffira. Écoutez seulement les vers qu'il vous lira. C'est un fort galant homme, excellent caractère, Bon ami, bon mari, bon citoyen, bon père ; Mais à l'humanité, si parfait que l'on fût, Toujours, par quelque faible, on paya le tribut. Le sien est de vouloir rimer malgré Minerve ; De s'être, en cheveux gris, avisé de sa verve ; Si l'on peut nommer verve une démangeaison Qui fait honte à la rime, ainsi qu'à la raison. Et, malheureusement, ce qui vicie abonde. Du torrent de ses vers sans cesse il nous inonde. Tout le premier lui-même, il en raille, il en rit. Grimace ! L'auteur perce ; il les lit, les relit, Prétend qu'ils fassent rire ; et, pour peu qu'on en rie, Le poignard sur la gorge, en fait prendre copie, Rentre en fougue, s'acharne impitoyablement, Et, charmé du flatteur, le paye en l'assommant. Pour moi je meurs, je tombe, écrasé sous le faix. Des raisons que je tais ; Et je m'y plairais fort, sans sa muse funeste Dont le poison maudit nous glace et nous empeste. Heureux, quand mon esprit vole à sa région, S'il n'y porte pas l'air de la contagion ! Le voici. Tout le corps me frissonne à l'approche Du griffonnage affreux qu'il a toujours en poche. Comment donc ? Le dernier a grand tort. Certes, les trois sujets étaient bons ; c'est dommage. C'est que je vois, Monsieur, bon remède à ceci. Le rôle des vieillards n'est pas de longue haleine ; Les deux premiers venus le rempliront sans peine. Mon ami s'en acquitte à ravir. Le jeu bien au-dessus encor de la figure. Aussi n'ira-t-il pas se chercher en autrui. Le rôle qu'il accepte est modelé sur lui. Le pauvre infortuné meurt pour une inhumaine, Sans oser déclarer son amoureuse peine ; De façon qu'il en est encore à s'aviser, Quand peut-être quelqu'autre est tout près d'épouser. J'ai beau le voir parti : je ne m'en crois pas quitte. Mais, grâce à l'embarras qui l'occupe et l'agite, Sain et sauf, une fois, j'échappe à mon bourreau. Et je n'armerais pas contre ce guet-apens ? Ce devrait être fait. Qu'il reste à sa campagne, Ou me vienne chercher au fond de la Bretagne. L'amour m'y tend les bras. Mon coeur m'a devancé. C'est un noeud que de loin l'esprit a commencé. Il est temps que la vue et l'achève et le serre. Partons. Oh ! Oh ! Bon gré mal gré, voici qui me retarde ! Un beau jour, ne te tairas-tu point ? De mes admirateurs tout cet enclos fourmille : Mais tu m'as demandé par mon nom de famille ? Je n'ai plus ce nom-là. Oui ; j'ai, depuis huit jours, imité mes confrères. Sous leur nom véritable, ils ne s'illustrent guères ; Et, parmi ces messieurs, c'est l'usage commun De prendre un nom de terre, ou de s'en forger un. De L'Empyrée ; Et j'en oserais bien garantir la durée. Et crois-tu donc qu'un homme à talents, tel que moi, Puisse régler sa marche, et disposer de soi ? Les gens de mon espèce ont le destin des belles. Tout le monde voudrait nous enlever comme elles. Je me laisse entraîner chez Monsieur Francaleu Par un impertinent que je connaissais peu. C'est lui qui me présente ; et, dupe du manége, Je sers de passeport au fat qui me protége. On tenait table encore. On se serre pour nous. La joie, en circulant, me gagne ainsi qu'eux tous. Je la sens : j'entre en verve ; et le feu prend aux poudres. Il part de moi des traits, des éclairs et des foudres ; J'ai le vol si rapide et si prodigieux, Qu'à me suivre, on se perd, après moi, dans les cieux ; Et c'est là, qu'à grands cris, je reçois des convives Ce nom qui va du Pinde enrichir les archives... Ensuite un équipage et commode et pompeux Me roule, en un quart d'heure, à ce lieu de plaisance, Où je ris, chante, et bois : le tout, par complaisance. Et quoi ? Hein ? Après ? Qu'il y reste. Pourquoi donc me le dire ? Mondor, porte ces vers à l'auteur du Mercure. Digne du sermonneur. De l'honneur. Tu crois que je dis des sornettes ? Qu'un valet raisonneur est un sot animal ! Eh ! Fais ce qu'on te dit. Tu me rapporteras Le Mercure du mois ; Entends-tu ? Amène. Non. Je t'attends. Et toi, celui de voir des gens comblés de joie. Sans doute. Ne t'embarrasse pas. Arrangeons-nous déjà sur ce que nous devons. Au répétiteur ? À la lingère ? À l'hôte ? Au perruquier ? Au tailleur ? À l'aubergiste ? À toi ? Combien ? Parle. De ma patience ! Cent écus, supposons. Plus ou moins, il n'importe. çà, partageons les prix que dans peu je remporte. Oui ; de l'argent, de l'or, qu'en lieux divers La France distribue à qui fait mieux les vers. À Paris, à Rouen, à Toulouse, à Marseille, J'ai concouru partout ; partout j'ai fait merveille... Tu doutes qu'en tous lieux j'emporte les suffrages ? Sans doute, et sur un fonds de la plus noble espèce Le théâtre-français donne aujourd'hui ma pièce. Le secret m'est gardé. Hors un acteur et toi, Personne au monde encor ne sait qu'elle est de moi. Ce soir même on la joue : en voici la nouvelle. Mon talent à l'Europe aujourd'hui se révèle. Vers l'immortalité je fais les premiers pas ; Cher ami, que pour moi ce grand jour a d'appas ! Autre espoir... Une fille adorable, Rare, célèbre, unique, habile, incomparable... Aujourd'hui triomphant, demain j'en suis l'époux ; Demain... où vas-tu donc, Mondor ? Et pourquoi tout à coup suis-je indigne de l'être ? Qui te veut nourrir d'air ? Es-tu fou ? Nullement. Ma foi, tu n'es pas sage. Eh quoi ! Tu te révoltes À la veille, que dis-je ? Au moment des récoltes ! Car enfin rassemblons (puisqu'il faut avec toi Descendre à des détails si peu dignes de moi), Rassemblons en un point de précision sûre L'état de ma fortune et présente et future. De tes gages déjà le paiement est certain. Ce soir une partie, et l'autre après-demain. Je réussis. J'épouse une femme savante. Vois le bel avenir qui de là se présente ! Vois naître tour à tour, de nos feux triomphants, Des pièces de théâtre et de rares enfants ! Les aiglons généreux et dignes de leurs races, À peine encore éclos, voleront sur nos traces. Ayons-en trois. Léguons le comique au premier, Le tragique au second, le lyrique au dernier. Par eux seuls, en tous lieux, la scène est occupée. Qu'à l'envi cependant, donnant dans l'épopée, Et mon épouse et moi, nous ne lâchions par an, Moi, qu'un demi-poëme ; elle, que son roman : Vers nous, de tous côtés, nous attirons la foule. Voilà dans la maison l'or et l'argent qui roule ; Et notre esprit qui met, grâce à notre union, Le théâtre et la presse à contribution. Pars. L'embarras où je suis mérite un peu d'égards. Une pièce affichée, une autre dans la tête ; Une où je joue ; une autre à lire toute prête : Voilà de quoi, sans doute, avoir l'esprit tendu. Oui, divine inconnue ! Oui, céleste bretonne ! Possédez seule un coeur que je vous abandonne. Sans la fatalité de ce jour où mon front Ceint le premier laurier, ou rougit d'un affront, Je désertais ces lieux, et volais où vous êtes. Si, comme je le crois, ma pièce est applaudie, Vous êtes la puissance à qui je la dédie. Vous eûtes un esprit que la France admira ; J'en eus un qui vous plut. L'univers le saura. Qui te savait là ? Dis. Tu m'écoutais ? Eh bien ! Raille, blâme, conteste. Dis encor que mon art ne sert qu'à m'éblouir. Tu vois ! Je suis heureux ! À t'ouïr, Je ne me repaissais que de vaines chimères. Par un sot comme toi. De pas une autre aussi je ne me soucierais. Celle-ci seule a tout ce que je désirais. De ma muse elle seule épuisant les caresses, Me fait prendre congé de toutes mes maîtresses. Je ne te parle aussi que de celles que j'ai. Pas tant d'orgueil, toi-même, ami ! Va, tu t'abuses. En fait d'amour, le coeur d'un favori des muses Est un astre, vers qui l'entendement humain Dresserait d'ici-bas son télescope en vain. Sa sphère est au-dessus de toute intelligence. L'illusion nous frappe autant que l'existence ; Et, par le sentiment, suffisamment heureux, De l'amour seulement nous sommes amoureux. Ainsi le fantastique a droit sur notre hommage : Et nos feux, pour objet, ne veulent qu'une image. Volontiers. Imagine une jeune merveille ; Élégance, fraîcheur, et beauté sans pareille ; Taille de nymphe... C'est de mes premiers feux l'objet en raccourci. T'accommoderais-tu d'une femme ainsi faite ? Aussi ma flamme a-t-elle été parfaite. Parbleu ! Je le crois bien, puisqu'il n'existait pas. Très fort. À la folie ! Oui, je l'aimais, avec autant de volupté Que le vulgaire en trouve à la réalité. La réalité même est moins satisfaisante. Sous une même forme elle se représente : Mais une iris en l'air en prend mille en un jour. La mienne était bergère et nymphe tour à tour. Brune ou blonde, coquette ou prude, fille ou veuve ; Et, comme tu crois bien, fidèle à toute épreuve. Et par quelles raisons ? Cet amour, il est vrai, me parut un peu vide ; Et je ne pus tenir à l'appât du solide. Je répudiai donc la chimérique Iris. D'une beauté palpable enfin je fus épris. J'ai chanté celle-ci sous le nom d'Uranie. Ah ! Que j'ai bien pour elle exercé mon génie, Et que de tendres vers consacrent ce beau nom ! Non. La fierté, la naissance et le rang de la dame Renfermaient dans mon coeur le secret de ma flamme. Comment aurais-tu fait pour t'en être aperçu ? Elle-même elle était aimée à son insu. N'en doute pas, et même y goûter des douceurs. L'amour impunément badine au fond des coeurs. À ce que nous sentons, que fait ce que nous sommes ? L'astre du jour se lève ; il luit pour tous les hommes, Et le plaisir commun que répand sa clarté, Représente l'effet que produit la beauté. Hélas ! En ce moment encore, Je revois son image ; et mon esprit l'adore. Pour la dernière fois, tu me fais soupirer, Divinité chérie ! Il faut nous séparer. Plus de commerce ! Adieu. Nous rompons. De mon coeur attendri pour jamais elle sort, Et fait place à l'objet dont nous parlions d'abord. Que celle-ci, Mondor, a de grâce et d'esprit ! C'est que... c'est qu'elle en fait des mieux tournés du monde. Les ducats ? Enfin tu conçois donc qu'on en saura gagner ? Le bonhomme ? Extravagues-tu ? Et qui diable te parle, en cette circonstance, De Monsieur Francaleu, ni de son alliance ? D'une sapho, D'un prodige, qui doit, aidé de mes lumières, Effacer, quelque jour, l'illustre Deshoulières ; D'une fille à laquelle est uni mon destin. À Quimper-Corentin. Oh ! Ce n'est pas un bonheur en idée, Celui-ci ! L'espérance est saine et bien fondée. La bretonne adorable a pris goût à mes vers. Douze fois l'an, sa plume en instruit l'univers. Elle a, douze fois l'an, réponse de la nôtre ; Et nous nous encensons tous les mois l'un et l'autre. Nulle part. à quoi bon ? Sans doute. Pourquoi non ? Oh ! Tais-toi ! Tu m'excèdes. Les personnes d'esprit sont-elles jamais laides ? Je suis assez instruit par notre ambassadeur. Le messager des dieux. Lui-même. le mercure . Ton esprit aisément perce à travers ces voiles ; Et voit bien que c'est moi qui suis les cinq étoiles. Oui ! Qu'à jamais pour moi, belle Mériadec, Pégase soit rétif, et l'Hippocrène à sec, Si ma lyre, de myrte et de palmes ornée, Ne consacre les noeuds d'un si rare hyménée ! J'entends. C'est bien dit. Cette idée, échauffant mes esprits, N'en portera que plus de feu dans mes écrits. Le bon sens du maraud quelquefois m'épouvante. On se peint, dans l'objet présent et plein d'appas, L'objet qu'on idolâtre et que l'on ne voit pas. Aussi bien, transporté du bonheur de ma flamme, Déjà, dans mon cerveau, roule un épithalame, Que, devant qu'il soit peu, je prétends mettre au net, Et donner au mercure , en paiement du sonnet. Muse, évertuons-nous ! Ayons les yeux, sans cesse, Sur l'astre qui fait naître en ces lieux la tendresse ! Cherche, en le contemplant, matière à tes crayons ; Et que ton feu divin s'allume à ses rayons ! Que cette solitude est paisible et touchante ! J'y veux relire encor le sonnet qui m'enchante. Le plus grand tort, monsieur, que l'on puisse nous faire, C'est de priver nos yeux de ce qui peut leur plaire. Peut-on penser si bien, étant seul en ces lieux, Qu'étant avec madame, on ne pense encor mieux ? Madame, je vous prête une oreille attentive. Rien ne me plaira tant. Lisez ; et s'il m'arrive Quelque distraction dont je ne réponds pas, Vous ne l'imputerez qu'à vos divins appas. C'est que lorsqu'on répète un tiers est importun. Je ne puis revenir de mon étonnement. Après un tel prodige, on en croira mille autres. Quoi ! Mon oncle, c'est vous ? Et vous êtes des nôtres ! Heureux le lieu, l'instant, l'emploi qui nous rejoint ! Voici qui paraît drôle. Est-ce vous qui parlez, ou si c'est votre rôle ? Dans la vôtre, mon oncle. Un peu de patience. Imitez-moi. Voyez si je romps le silence Sur mille questions, qu'en vous trouvant ici, Peut-être suis-je en droit d'oser vous faire aussi. Mais c'est que notre rôle est notre unique affaire, Et que de nos débats le public n'a que faire. Monsieur, ce geste-là vous devient interdit. Nous sommes, vous et moi, membres de comédie. Notre corps n'admet point la méthode hardie De s'arroger ainsi la pleine autorité ; Et l'on ne connaît point chez nous de primauté. Répétons donc en paix. Voyons, mon camarade. Je suis un fils... Et vous, un père... À me mettre en état de les implorer moins. Mon oncle, vous avez cultivé mon enfance. Je ne mets point de borne à ma reconnaissance, Et c'est pour le prouver que je veux désormais Commencer par tâcher d'en mettre à vos bienfaits ; Me suffire à moi-même en volant à la gloire, Et chercher la fortune au temple de mémoire. Le barreau ! Ce mélange de gloire et de gain m'importune. On doit tout à l'honneur et rien à la fortune. Le nourrisson du Pinde, ainsi que le guerrier, À tout l'or du Pérou, préfère un beau laurier. L'avocat se peut-il égaler au poète ? De ce dernier la gloire est durable et complète ; Il vit longtemps après que l'autre a disparu. Scarron même l'emporte aujourd'hui sur Patru. Vous parlez du barreau de la Grèce et de Rome, Lieux propres autrefois à produire un grand homme. L'antre de la chicane et sa barbare voix N'y défiguraient pas l'éloquence et les lois. Que des traces du monstres on purge la tribune, J'y monte, et mes talents, voués à la fortune, Jusqu'à la prose encor voudront bien déroger. Mais l'abus ne pouvant si tôt se corriger, Qu'on me laisse, à mon gré, n'aspirant qu'à la gloire, Des titres du Parnasse anoblir ma mémoire, Et primer dans un art plus au-dessus du droit, Plus grave, plus sensé, plus noble qu'on ne croit. La fraude impunément, dans le siècle où nous sommes, Foule aux pieds l'équité, si précieuse aux hommes : Est-il, pour un esprit solide et généreux, Une cause plus belle à plaider devant eux ? Que la fortune donc me soit mère ou marâtre, C'en est fait : pour barreau, je choisis le théâtre ; Pour client, la vertu ; pour lois, la vérité ; Et pour juges, mon siècle et la postérité. Non, mais d'un si beau droit l'abus est trop facile. L'esprit est généreux et le coeur est fragile. Qu'un juge incorruptible est un homme étonnant ! Du guerrier le mérite est sans doute éminent ; Mais presque tout consiste au mépris de la vie, Et de servir son roi la glorieuse envie, L'espérance, l'exemple, un je ne sais quel prix, L'horreur du mépris même inspire ce mépris. Mais avoir à braver le sourire ou les larmes D'une solliciteuse aimable et sous les armes ! Tout sensible, tout homme enfin que vous soyez, Sans oser être ému, la voir presque à vos pieds ! Jusqu'à la cruauté pousser le stoïcisme ! Je ne me sens point fait pour un tel héroïsme. De tous nos magistrats la vertu nous confond, Et je ne conçois pas comment ces messieurs font. La mienne donc se borne au mépris des richesses ; À chanter des héros de toutes les espèces ; À sauver, s'il se peut, par mes travaux constants, Et leurs noms et le mien des injures du temps. Infortuné ! Je touche à mon cinquième lustre Sans avoir publié rien qui me rende illustre ! On m'ignore, et je rampe encore à l'âge heureux Où Corneille et Racine étaient déjà fameux ! Eh bien ! Voyons le rang que le destin m'apprête ; Il ne couronne point ceux que la crainte arrête. Ces maîtres même avaient les leurs en débutant, Et tout le monde alors put leur en dire autant. Ils ont dit, il est vrai, presque tout ce qu'on pense. Leurs écrits sont des vols qu'ils nous ont faits d'avance ; Mais le remède est simple : il faut faire comme eux ; Ils nous ont dérobés, dérobons nos neveux ; Et tarissant la source où puise un beau délire, À tous nos successeurs ne laissons rien à dire. Un démon triomphant m'élève à cet emploi. Malheur aux écrivains qui viendront après moi ! Que peut contre le roc une vague animée ? Hercule a-t-il péri sous l'effort du pygmée ? L'Olympe voit en paix fumer le mont Etna. Zoïle contre Homère en vain se déchaîna ; Et la palme du Cid, malgré la même audace, Croît et s'élève encore au sommet du Parnasse. À ses moeurs. Oui. De mes moeurs bientôt j'instruirai tout Paris. Comment ? Par mes écrits. Je veux que la vertu plus que l'esprit y brille. La mère en prescrira la lecture à sa fille ; Et j'ai, grâce à vos soins, le coeur fait de façon À monter aisément ma lyre sur ce ton. Sur la scène aujourd'hui, mon coup d'essai l'annonce. Je suis un malheureux, mon oncle me renonce ; Je me tais ; mais l'erreur est sujette au retour ; J'espère triompher avant la fin du jour, Et peut-être la chance alors tournera-t-elle. Soyez donc le premier à m'en féliciter. J'en augure une heureuse et pleine réussite. Tout comme il vous plaira, mais je vois avec peine Que vous ne vouliez pas que je vous appartienne. J'obéirai, monsieur. Mais aussi, Daignant de même entrer dans l'esprit qui m'anime, Laissez-moi quelque temps jouir de l'anonyme, Pour goûter du succès les plaisirs plus entiers Et m'entendre louer sans rougir. Il ne veut m'avouer qu'après l'événement. Nous nous sommes ici rencontrés plaisamment. La scène est théâtrale, unique, inopinée. Je voudrais, pour beaucoup, l'avoir imaginée. Mon succès serait sûr. Du moins profitons-en, Et songeons à la coudre à quelque nouveau plan. J'en ai plusieurs. Voyons. Où sont donc mes tablettes ? La perte, pour le coup, serait des plus complètes. Tout à l'heure, à la main, je les avais encor. Ah ! Je suis ruiné ! J'ai perdu mon trésor ! Nombre de canevas, deux pièces commencées ; Caractères, portraits, maximes et pensées, Dont la plus triviale, en vers alexandrins, Au bout d'une tirade, eût fait battre des mains ! Que j'ai regret, surtout, à mon épithalame ! Hélas ! Ma muse, au gré de l'espoir qui m'enflamme, Dans un premier transport venait de l'ébaucher. Deux fois du même enfant pourra-t-elle accoucher ? Ah ! Monsieur ! Secourez les muses attristées ! Mes tablettes, là-bas, dans le bois sont restées. Suivez-moi ! Cherchons-les ! Aidons-nous ! Je ne puis exprimer le plaisir... Vous me rendez l'espoir, le repos et la vie. L'étrange alternative ! Un ami la propose ! Ne puis-je, avant d'opter, en demander la cause ? C'est la pure franchise. En vérité, j'ignore... Non. Quand j'ai vu tantôt mes vers entre ses mains... Moi ! Ah ! Ce mot échappé me fait enfin comprendre... Dorante ! Opposons quelque flegme aux vapeurs de la bile : La valeur n'est valeur qu'autant qu'elle est tranquille, Et je vois... C'en est trop. à vous-même, un mot eût pu vous rendre, Je ne le dirais plus, voulussiez-vous l'entendre. C'est moi qui maintenant vous demande raison. Cependant on pourrait nous voir de la maison. La place, pour nous battre, ici près est meilleure. Marchons ! Autre esprit à l'envers ! Loin de l'en détourner, c'est moi qui l'y convie. Mon ami, par bonheur, est là pour me défendre. Tantôt je l'exhortais encore à vous entendre. Je songe à votre amour. Songez, si vous voulez, à faire votre cour. Lisez : et qu'il admire ; il ne saurait mieux faire. D'autant plus que monsieur A besoin maintenant d'un peu de belle humeur. Rien ne pouvait pour lui venir plus à propos. Dès que vous le pourrez, songez à disparaître. Je vous attends. Monsieur, excusez-moi, J'aime ; et c'est un état où l'on n'est guère à soi. Vous savez qu'un amant ne peut rester en place. Sur un malentendu : pour une bagatelle. Quelque ressentiment pourrait m'être permis ; Mais je suis sans rancune ; et ce qui se prépare Va me venger assez de cet esprit bizarre. Quoi donc ? Le dommage est vraiment des plus considérables. Il faut que le public intervienne au procès, Et conclue, avec vous, à de gros intérêts. Et Dorante n'a-t-il contre lui que son père ? Admirable ! Attendez à juger de ce qu'il peut valoir, Que vous en ayez vu ce que je viens d'en voir. Il est original en ces sortes de rôle. De l'humeur dont il est, j'admire seulement Qu'il daigne se prêter à nous pour un moment. La troupe ne saurait faire un meilleur acquêt. Personne plus que moi, monsieur, ne le souhaite. Que moi ? Par où ? Daignez m'en éclaircir. Vous pouvez, à la cour, lui rendre un bon office. Plût au ciel ! Il n'est rien que pour lui je ne fisse. Un fat Avouerait que la cour fait de lui quelque état ; Et, passant du mensonge à la sottise extrême, En le faisant accroire, il le croirait lui-même. Mais je n'aime à tromper ni les autres ni moi. Un poète, à la cour, est de bien mince aloi. Des superfluités il est la plus futile. On court au nécessaire ; on y songe à l'utile : Ou si, vers l'agréable, on penche quelquefois, Nous sommes éclipsés par le moindre minois ; Et là, comme autre part, les sens entraînant l'homme, Minerve est éconduite, et Vénus a la pomme. Ainsi, je n'oserais vous promettre pour lui, Sur un crédit si frêle, un bien solide appui. Et de quoi s'agit-il encor ? Voyons un peu. Oh ! Je le servirai, si ce n'est que cela ; Et mon peu de crédit ira bien jusque-là. Quoi donc ? Ah ! Gardez-vous-en bien, s'il vous plaît ! Quand je vous dis qu'on peut s'en reposer sur moi ! Mon dieu ! Laissez-moi faire ! Ayez cette indulgence. Plus grande encore. Que direz-vous pourtant, Si votre homme ce soir, ce soir même, est content ? Je ne vous promets rien par delà mon pouvoir. Vous allez voir. Mais, monsieur, on dirait à cette ardeur extrême, Qu'à ce pauvre neveu vous en voulez vous-même. Quelle rage ! à quoi bon cette brusque sortie ? Comme s'ils n'eussent pu remettre la partie. J'augure mieux de la pièce que vous. D'ailleurs ce qui se vient de conclure entre nous, De soins très sérieux remplira ma soirée. Oui-da, c'est bien s'y prendre. Certaine ? Mademoiselle a donc le don de deviner ? Et ce grand connaisseur dont le goût est si fin... Je voudrais bien savoir sur quelle conjecture ? Chez lui ! L'auteur ! Hier ! C'est Alcippe ! Oh ! C'est lui, je le gage. Nouvelliste effronté, suffisant personnage, Qui raisonne au hasard de nous et de nos vers, Et pour ou contre nous prévient tout l'univers. Cela sait ses foyers, sa ville, ses provinces, Ses intrigues de cour, son cabinet des princes ; Pèse ou règle à son gré les plus grands intérêts, Et croit ses visions d'immuables arrêts. Présent, passé, futur, tout est de sa portée. Le livre des destins s'emplit sous sa dictée. Rien ne doit arriver que ce qu'il a prédit : Et l'événement seul toujours le contredit. Et n'a-t-il pas poussé l'impertinence extrême Jusqu'à nommer l'auteur ? Lisette ! De grâce ! ... étourdi que je suis ! Du secret. Quelques jours seulement ! Hé ! Ne me faites pas ce déplaisir sensible ! Laissez-moi recevoir un encens qui soit pur, En cas de réussite, ainsi que j'en suis sûr. Et je n'en veux pas plus ; car je réussirai. Avec cette promesse où mon espoir se fonde, Je vous laisse, et m'en vais le plus content du monde. Je ne me connais plus, aux transports qui m'agitent. En tous lieux, sans dessein, mes pas se précipitent. Le noir pressentiment, le repentir, l'effroi, Les présages fâcheux volent autour de moi. Je ne suis plus le même, enfin, depuis deux heures. Ma pièce, auparavant, me semblait des meilleures : Maintenant je n'y vois que d'horribles défauts, Du faible, du clinquant, de l'obscur et du faux. De là, plus d'une image annonçant l'infamie : La critique éveillée, une loge endormie, Le reste, de fatigue et d'ennui harassé, Le souffleur étourdi, l'acteur embarrassé, Le théâtre distrait, le parterre en balance, Tantôt bruyant, tantôt dans un profond silence ; Mille autres visions, qui toutes, dans mon coeur, Font naître également le trouble et la terreur. Voici l'heure fatale, où l'arrêt se prononce ! Je sèche. Je me meurs. Quel métier ! J'y renonce. Quelque flatteur que soit l'honneur que je poursuis, Est-ce un équivalent à l'angoisse où je suis ? Il n'est force, courage, ardeur qui n'y succombe. Car, enfin, c'en est fait ; je péris, si je tombe. Où me cacher ? Où fuir ? Et par où désarmer L'honnête oncle qui vient pour me faire enfermer ? Quelle égide opposer aux traits de la satire ? Comment paraître aux yeux de celle à qui j'aspire ? De quel front, à quel titre, oserais-je m'offrir, Moi, misérable auteur qu'on viendrait de flétrir ? Mais mon incertitude est mon plus grand supplice. Je supporterai tout, pourvu qu'elle finisse. Chaque instant qui s'écoule, empoisonnant son cours, Abrége, au moins d'un an, le nombre de mes jours. Et mon sort décidé ! Je respire. Tombée ? Tout à plat ! Tant pis. C'est qu'ils auront joué comme des étourdis. Et le méritait-elle ? C'est, s'il eût réussi, qu'il pourrait vous en croire, Et demeurer oisif, au sein de la victoire, De peur qu'une démarche à de nouveaux lauriers Ne portât quelque atteinte à l'éclat des premiers ; Mais contre ses rivaux et leur noire malice, Le parti qui lui reste, est de rentrer en lice, Sans que jamais il songe à la désemparer, Qu'il ne les force même à venir l'admirer. Le nocher, dans son art, s'instruit pendant l'orage. Il n'y devient expert qu'après plus d'un naufrage. Notre sort est pareil, dans le métier des vers : Et, pour y triompher, il y faut des revers. Eh bien ? Je sais, je sais. Ma lettre ? Laisse-nous, je te suis. Messieurs, permettez-moi D'aller décacheter à l'écart ; après quoi, Je compte vous rejoindre : et, laissant vers et prose, Nous nous entretiendrons, s'il vous plaît, d'autre chose. M'avez-vous trahi ? Mon oncle... Je suis... L'humble adorateur Des grâces, de l'esprit, des vertus de Lucile ; Mais de tant de bontés l'excès m'est inutile. Rien ne doit l'emporter sur la foi des serments ; Et j'ai pris, en un mot, d'autres engagements. Les inclinations ne sauraient se contraindre. Je suis fâché de voir mon oncle mécontent ; Mais vous-même, à ma place, en auriez fait autant. Car je vous ai surpris, louant celle que j'aime, À la louer en homme épris plus que moi-même, Et dont le sentiment sur le mien renchérit. Oui ; du moins son esprit. Grâce à l'heureux talent dont l'orna la nature, Il est connu partout où se lit le mercure . C'est là que, sous les yeux de nos lecteurs jaloux, L'amour, entre elle et moi, forma des noeuds si doux. Je ne m'en cache plus. Eh ! Oui. En Bretagne. Elle-même ! Il faut être équitable. Avouez maintenant, rien est-il plus sortable ? De quoi riez-vous donc si haut ? Sans doute. Il sortira d'erreur, pour peu qu'il nous écoute. Quelle erreur ? Qu'insinue un pareil verbiage ? Ah ! Vous aurez beau dire ! Je l'ai mis dans ma tête. Parbleu non ! Bagatelle ! Telle qu'il vous plaira ! Suffit qu'elle ait un nom. Mais, laissez dire un mot ; et vous verrez que non ! Rien ! Rien ! J'irais à Rome. Quoi faire ? L'épouser. Je l'ai promis. Et, tout en vous quittant, j'y vais tout disposer. Oh ! Disposez-vous donc, monsieur, à m'épouser ! À m'épouser, vous dis-je ! Oui, moi ! Moi ! C'est moi-même, Qui suis le bel objet de votre amour extrême. Vous ne plaisantez point ? Ah ! Lisette la suit ! Malheur à l'anonyme ! Faites qu'elle nous laisse un moment ; et pour cause. Maintenant elle peut rester. A dit vrai. Très vrai. Permettez, belle et jeune Lucile... Eh ! Laissez-vous aller à ce doux mouvement, Monsieur ! Ayez pitié d'elle et de son amant. Je ne vous rejoignais, après ma lettre lue, Que pour servir Dorante à qui Lucile est due. Laissez là ma fortune, et ne songez qu'à lui. Souffrez que ma vengeance à cela se termine. Non. Voilà qui met fin à vos inimitiés. Enfin l'on s'entendra malgré votre colère. J'ai véritablement écrit à votre père, Dorante ; mais je crois avoir fait ce qu'il faut. Monsieur tient la réponse, et peut lire tout haut. Sans en moins estimer l'ami qui vous la cède ? Heureux. Non ; mais, en termes honnêtes, Amoureux et français, voilà ce que vous êtes. Quoi ?... mais je m'en prends moins à vous qu'à la traîtresse Qui vous a confié que j'en étais l'auteur. Je suis bien consolé : j'ai fait votre bonheur. Non ! J'appelle, en auteur soumis, mais peu craintif, Du parterre en tumulte, au parterre attentif. Qu'un si frivole soin ne trouble pas la fête. Ne songez qu'aux plaisirs que l'hymen vous apprête. Vous à qui cependant je consacre mes jours, Muses, tenez-moi lieu de fortune et d'amours ! **** *creator_piron *book_piron_metromanie *style_verse *genre_comedy *dist1_piron_verse_comedy_metromanie *dist2_piron_verse_comedy *id_DORANTE *date_1733 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dorante Ah ! Lisette ! Ah ! Ma belle ! Que je t'embrasse ! Eh bien, dis-moi donc la nouvelle ! Félicite-moi donc ! Quel plaisir ! L'heureux jour ! Que ce jour a tardé longtemps à mon amour ! De la chose, avant moi, tu dois être avertie. Que ne me dis-tu donc que Lucile est sortie ? Que je vais... que je puis... conçois-tu ?... Baise-moi. Pourquoi ? Bon ! M'a-t-il jamais vu ni de loin ni de près ! Je vois le parc ouvert : j'entre. Oh ! Je le sais bien, moi. Mon père m'idolâtre : Il n'a que moi d'enfant : je suis opiniâtre : Je le veux ; qu'il le veuille : autrement (j'ai des moeurs), Je ne lui manque point : mais je fais pis, je meurs. Qu'il y renonce. Le père de Lucile a gagné. Je prononce. Jamais. Finis, de grâce, et laisse là tes mais. Je l'espère. Sois en paix là-dessus. Le jeune homme encor plus. Je suis bon pour Lucile. J'en aurai deux cent mille. Ah ! Laisse-là ta peur ! Quand je t'en vois douter, tu me perces le coeur. Enfin, depuis un mois, sachons où nous en sommes. Qu'ils sont de moi ! Mais c'est mentir effrontément. Lucile en est encore à savoir que je l'aime ! Que ne profitions-nous de la commodité De ces vers amoureux dont son goût est flatté ? Un trait pouvait m'y faire aisément reconnaître, Et, mieux que tu ne crois, m'eût réussi peut-être. C'est une églogue aussi qu'on lui prépare encore. Damis se lève exprès, chez vous, avant l'aurore. L'auteur des riens dont on fait tant de cas. Et sa rencontre ici, tout franc, ne me plaît pas. Oui. Son talent, chez nous, lui donne aussi l'entrée. Mon père en est épris jusqu'à l'aimer, je crois, Un peu plus que ma mère, et presque autant que moi. Ah ! Soit : je l'en dispense. Sur un pareil emprunt tu sais comme je pense. Non. Il peut me demander la raison qui m'attire ? Le goût pour le théâtre en est une à lui dire. Désirez de jouer avec nous. Justement, Quelques acteurs nous font faux-bond en ce moment. Oui-da, je les remplace, et je m'offre à tout faire. Voici notre poète. Adieu. Retire-toi. Tout à l'heure, mon cher, il faut prendre la peine... Il s'agit... Eh ! N'allons pas si vite ! ... D'accord... Non ! Du tranquille. Je suis sourd. Vainement ! Quelle rage ! Au diable soient l'écho, l'homme et l'églogue ! Paix ! Dit l'écho. Paix ! Dis-je ; une bonne fois : Paix ! Sinon... Mais quand de vous, Monsieur, on demande autre chose. Ahie ! Eh bien ! Rien. Mon amour se retranche au langage ordinaire ; Et désormais du vôtre il n'aura plus affaire. Non que je ne ressente, ainsi que je le dois, La bonté que ce jour encor vous avez eue. J'ai regret à la peine. Ah ! Vous aimez ? Je le crois mon rival. Quelle est votre bergère ? Et votre sort, Monsieur, sans doute... Une plume si tendre a de quoi plaire aux belles. Ce jour ? Ah ! C'est Lucile ! Oh çà ! Si vous ne la nommez, du moins dépeignez-la. À qui tient-il ? Son froid me tue ! Pourquoi ? C'est elle. Expliquez-vous. D'où naîtraient donc vos feux ? De son goût pour les vers ! Mon infortune est sûre : Mais n'importe ; feignons, et poussons l'aventure. De mon premier objet c'est trop m'être écarté. Revenons au plaisir que de vous j'ose attendre. Donnez-moi pour acteur à Monsieur Francaleu. Je me sens du talent ; et je voudrais un peu, En m'essayant chez lui, voir ce que je sais faire. Mon nom pourrait me nuire. Oh ! Je suis patient, je veux lasser votre homme ; Et que de l'encensoir ce soit moi qui l'assomme. Qui vous retient chez lui ? Vous me voyez, Monsieur, tout prêt à vous servir. Ma situation sans doute est peu commune ; Et je sens en effet toute mon infortune. Je ne t'interromps point. Non ; j'écoute, j'admire et je me tais. Courage ! En effet, me voilà joliment installé. Quelle audace ! Quoi ! Tu peux, sans rougir, me regarder en face ? Après l'exclusion qu'on me donne en ces lieux ? Il est bon là ! De grâce, fais-moi voir... Je n'en demande plus. Ma perte était jurée. Je trouve en mon chemin Monsieur De L'Empyrée. Il aime, il a su plaire ; oui, je le tiens de lui. J'ignorais seulement quel était son appui ; Mais, sans voir ta maîtresse, il osait tout écrire, Tandis qu'en la voyant, moi, je n'osais rien dire ; Et ta bouche infidèle, ouverte en sa faveur, Des vers que j'empruntais le déclarait l'auteur. Oui, perfide. Mais cette exclusion, que veux-tu que j'en pense ? Encore ? à quoi d'heureux peut-elle préparer ? Mais si cet ascendant se taisait dans Lucile ? Eh bien ! Les yeux fermés, je m'abandonne à toi. Oh ! C'est aussi trop loin pousser la patience. Dans un quart d'heure ? Quel supplice ! L'éviter ! Ah ! Que c'est à regret ! À cet aveu si tendre, à de tels sentiments Que je viens d'appuyer du plus saint des serments ; À tout ce que j'ai craint, madame ; à ce que j'ose ; À vos charmes enfin plus qu'à toute autre chose, Reconnaissez que j'aime ; et réparez l'erreur D'un père qui m'exclut du don de votre coeur. Je ne veux pour tout droit que sa volonté même. Père équitable et tendre, il veut que l'on vous aime. Dès que c'est à ce prix que l'on met votre foi, Qui jamais vous pourra mériter mieux que moi ? J'obtiendrai son aveu ; rien ne m'est plus facile. Mais, parmi tant d'amants, adorable Lucile, N'auriez-vous pas déjà nommé votre vainqueur ? On nous écoute ! Est-ce lui, juste ciel ! Ou moi qu'elle a nommé ? Madame, on fait grand tort à messieurs les poëtes, Quand on les interrompt dans leurs doctes retraites. Laissons donc celui-ci rêver en liberté ; Et détournons nos pas de cet autre côté. Est-ce un coup du hasard ou de leur perfidie ? Voyons, il faut, de près, que je les étudie, Et que je sorte enfin de la perplexité, La plus grande où peut-être on ait jamais été. Quelqu'un regrette bien les secrets confiés À ces tablettes-ci que je trouve à mes pieds. Épithalame. ah ! Ah ! J'en reconnais le maître. J'y pourrais bien aussi développer un traître... Lisons. Ah ! Qu'elle est ravissante ! Et que ce tête-à-tête Achève de lui bien assurer sa conquête ! Je l'aimais, l'adorais, l'idolâtrais ; mais rien N'exprime mon état, depuis cet entretien. Jusqu'au son de sa voix, tout me pénètre en elle. Son défaut me la rend plus piquante et plus belle ; Oui, ce qu'en elle on nomme indolence et froideur, Redouble de mes feux la tendresse et l'ardeur. Tu me vois dans un trouble... Ses grâces m'ont charmé, mais non pas ses propos. Non. Mais j'aurais voulu qu'elle en eût tenu d'autres. Ayant fait de ma flamme un libre et tendre aveu, Et promis d'agréer à Monsieur Francaleu, Comme je témoignais la plus ardente envie D'entendre mon arrêt ou de mort ou de vie, Elle m'a répondu (dirai-je avec douceur ? ) : L'auteur seul de ces vers a su toucher mon coeur. À ces mots, de sa poche elle a tiré l'idylle, Dont le succès me rend de moins en moins tranquille. Je ne sais. Mais elle a mis mon âme à de rudes essais. Elle a vu mon rival d'un oeil de complaisance. Elle a lu, malgré moi, l'idylle en sa présence. C'était me démasquer. Sous cape, il en riait, Peut-être en homme à qui l'on me sacrifiait ! Le serais-je en effet ? Serait-ce lui qu'on aime ? Me joueraient-ils tous deux ? Me jouerais-tu toi-même ? L'auteur seul de ces vers a su toucher son coeur, Dit-elle ! Encore un coup, je n'en suis point l'auteur. Supposé qu'on la trompe, et qu'elle me le croie ; Où donc est encor là le grand sujet de joie ? Je jouis d'une erreur ; et j'aurais souhaité Une source plus pure à ma félicité ! Un mérite étranger est cause que l'on m'aime ; Et je me sens jaloux d'un autre, dans moi-même ! Tout ce que j'entrevois, de plus en plus m'effraie. Le bonheur du poète était encor douteux ; Mais il est mon rival, et mon rival heureux. De Lucile, sans cesse, il contemple les charmes. Il se voit, vingt rivaux, sans en prendre d'alarmes. À l'estime du père il a le plus de part. Seule, avec son valet, je te trouve à l'écart. Que te veut-il ? Pourquoi s'enfuit-il à ma vue ? Quels étaient vos complots ? D'où vient paraître émue ? Réponds. Je t'épierai si bien aujourd'hui... prends-y garde. Quelque part que tu sois, crois que je te regarde. Cependant, allons voir, en les feuilletant bien, Si ces tablettes-ci ne'instruisent de rien. Les voilà. Brisons là. Mon dessein n'est pas tel, car je vous signifie Qu'il faut, en ce logis, ne plus vous remontrer, Et vous faire une affaire ou n'y jamais rentrer. Eh fi ! L'air ingénu sied mal à votre front, Et ce doute affecté n'est qu'un nouvel affront. Quoi, monsieur ? Que Lucile est celle que j'adore ? Vous m'avez insulté, c'est de quoi je me plains. En quoi donc ? Oui, c'est vous qui les lui faisiez lire. Vous. Plus je souffrais, plus je vous voyais rire... De ce qu'innocemment, la belle, malgré vous, Révélait un secret dont vous étiez jaloux. Non. Mais de la noirceur de cette âme cruelle, Et du plaisir malin de jouir avec elle De la confusion d'un rival malheureux Que vous avez joué de concert tous les deux. C'est à quoi votre esprit, depuis un mois, s'occupe ; Mais je ne serai pas jusqu'au bout votre dupe. Je veux, de mon côté, mettre aussi les railleurs, Et votre épithalame ira servir ailleurs. Songez vite au parti que vous avez à prendre. Vous voulez temporiser en vain. Renoncez à Lucile, ou l'épée à la main ! Oh ! Je vois qu'un versificateur Entend l'art de rimer mieux que le point d'honneur. À moi, monsieur ? Et qui m'a, près de vous, rendu ce bon office ? C'est Lisette. C'est vous qu'elle veut servir. Je lis dans votre coeur, et je vois votre envie. Vous osez m'attester ? ... Tu crois m'échapper. Mais... Je ne vous quitte point. Par la même raison... Oh ! Parbleu, qu'il vous aime, et vous et vos Ouvrages ! Le mien mérite peu que vous vous y teniez. Prodiguer à moi seul le fruit de tant de veilles ! Si vous vouliez, pour lui, différer d'un moment ? Avec cette promesse où mon espoir se fonde, Je vous laisse, et m'en vais le plus content du monde. Madame, on n'aura pas de peine à concevoir Quelle était la promesse, et quel est cet espoir. Mais ce que l'on aurait de la peine à comprendre, C'est que cette promesse et si douce et si tendre, Reçue à la même heure, et presque au même lieu, Mot à mot dans ma bouche ait mis le même adieu. Il faut vous en faire un de plus longue durée, Et dont vous vous teniez un peu moins honorée. Adieu, madame ; adieu ! Ne vous flattez jamais Que je vous aie aimée autant que je vous hais ! Monstre de perfidie ! Pouvoir ainsi passer, d'abord et sans égard, Des mains de la nature à ce comble de l'art ! M'avoir peint ce rival comme le moins à craindre ! M'avoir persuadé, presqu'au point de le plaindre ! Qu'avez-vous prétendu par cette trahison ? Pourquoi, d'un vain espoir y mêlant le poison, Me venir étaler d'obligeantes alarmes ? Me dire, en paraissant prête à verser des larmes : "Dorante ! Ou je fléchis mon père, ou de mes jours, À l'asile où j'étais, je consacre le cours ! " Quels étaient vos desseins ? Répondez-moi, cruelle ! Ne les dois-je imputer qu'à l'orgueil d'une belle, Qui, jalouse des droits d'un éclat peu commun, Veut gagner tous les coeurs, et ne pas en perdre un ? Ce reproche fût-il le seul que j'eusse à faire ! Mais, hélas ! Malgré moi, la vérité m'éclaire. Ce rival, dès longtemps, est le rival aimé. C'est pour lui que j'ai vu votre front alarmé ; Et quand vous me disiez que j'en étais la cause, Quand vous me promettiez bien plus que l'amour n'ose, C'est que de votre amant vous protégiez les jours, Et vouliez ralentir la vengeance où je cours. Oui, j'y vole ; on ne l'a tantôt que différée, Et ma rage, à vos yeux, l'aurait déjà tirée ; J'attaquais devant vous le traître en arrivant, Si je n'eusse voulu jouir auparavant De la confusion qui vous ferme la bouche ! Que ma plainte à présent vous révolte ou vous touche ; Repentez-vous, ou non, de m'avoir outragé ; Vous ne me verrez plus que mort, ou que vengé ! Je m'arrête au cri de l'infidèle ! Elle tremble, il est vrai : mais pour qui tremble-t-elle ? N'importe : je l'adore ; écoutons-la. Parlez. Je veux encor, je veux tout ce que vous voulez. Rejetons le passé sur l'inexpérience : Et redemandez-moi toute ma confiance. Un regard, un seul mot n'a qu'à vous échapper. Mon coeur vous aidera lui-même à me tromper. Ah ! Lucile ! Ai-je pu si tôt perdre le vôtre ? Vous me haïssez ! Vous en aimez un autre ! Vous m'aimez donc ? M'y fierai-je ? Eh bien, je n'en veux plus douter ! Ne sais-je pas Que l'infidélité, surtout dans la jeunesse, Souvent est moins un crime, au fond, qu'une faiblesse, Qui peut servir ensuite à vous en détourner, Lorsque la nôtre va jusqu'à vous pardonner. Je vous pardonne donc, et même vous excuse. Lisette est contre moi ; Lisette vous abuse ; Ce sont ici des coups qu'elle seule a conduits ; C'est elle qui me met dans l'état où je suis. C'est assez ! Mon âme satisfaite... Je croyais en effet, madame, être à vos pieds. Son habit m'a fait faire une lourde bévue. Eh ! Quel autre, à ma place, eût pu se contenir ? Avant que sur ce ton vous le preniez vous-même, Vous qui savez, madame, à quel point je vous aime, Souffrez qu'on vous instruise ; après quoi décidez Si mes soupçons jaloux n'étaient pas bien fondés. Je surprends mon rival... Entendons-nous, de grâce ! Encore un coup, madame, Bien loin, qu'en tout ceci, je mérite aucun blâme, Croyez, si j'eusse pu ne me pas alarmer, Que je ne serais pas digne de vous aimer. Devais-je voir en paix... Mais ayez la bonté... Eh ! Ne m'accable pas ! Tu sais mon innocence. Apaisez vos alarmes, Lucile ! Retenez ces précieuses larmes ! C'est mon injuste amour qui les a fait couler ; C'est lui qui, toutefois, pour moi doit vous parler. L'amour est défiant, quand l'amour est extrême. Ni l'un ni l'autre. Il faut qu'enfin je le confesse, Madame, et que je cède au remords qui me presse. Du moins, vous concevrez, après un tel aveu, Pourquoi tout mon bonheur me rassurait si peu. C'est que je n'en jouis qu'à titre illégitime ; C'est que tous ces écrits, source de votre estime, Vous venaient par mes soins, mais ne sont pas de moi. Non. Laissant lire, il est vrai, dans le fond de mon âme, J'inspirais le poète, en lui peignant ma flamme. Que son art, à mon gré, s'y prenait faiblement ! Et que le bel esprit est loin du sentiment ! Mais cet art vous amuse ; il a fallu vous plaire, Laisser dire des riens, sentir mieux, et se taire. N'est-ce donc qu'à l'esprit que votre coeur est dû ? Et ma sincérité m'aurait-elle perdu ? Vous ne vous plaindrez plus d'un coeur qui vous adore, Où vous établissez la paix et le bonheur, Et qui commence enfin d'en goûter la douceur. Il aura su mon nom ! Rassurez-moi d'un mot encore, en me quittant ; Ou déjà mon espoir est tout prêt à s'éteindre. Quelqu'un m'a desservi près de lui, je parie. Oui, j'ai tort, je l'avoue, à présent il peut lire : Je l'écoute ; ou plutôt, sans cela, je l'admire, Et m'offre, en trouvant beau tout ce qui lui plaira, De me couper la gorge avec qui le niera. Que diable en veux-tu faire ? Oui ; pour un, j'en sais trois. Tu veux... Ah ! Tu me fais frémir, et des transes pareilles Me livrent en aveugle à ce que tu conseilles ! Écoutez-moi, monsieur ; ou je meurs à vos pieds, Après avoir percé le coeur de ce perfide ! Il est temps que je rompe un silence timide. J'adore votre fille. Arbitre de mon sort, Vous tenez en vos mains et ma vie et ma mort. Prononcez, et souffrez cependant que j'espère. Un malheureux procès vous brouille avec mon père. Mais vous fûtes amis : il m'aime tendrement ; Le procès finirait par son désistement. Je cours donc me jeter à ses pieds comme aux vôtres, Faire, à vos intérêts, immoler tous les nôtres, Vous réunir tous deux, tous deux vous émouvoir, Ou me laisser aller à tout mon désespoir ! D'une ou d'autre façon, tu n'auras pas la gloire, Traître, de couronner la méchanceté noire Qui croit avoir ici disposé tout pour toi, Et qui t'a fait écrire, à Paris, contre moi. Ah ! Monsieur ! Ô mon père ! Enfin je vous possède. Cher Damis ! Vous devez en effet m'en vouloir, Et vous voyez un homme... Au désespoir ! Je suis un monstre ! Un furieux ! Qui, plein d'un ridicule effroi, Tandis qu'il agissait si noblement pour moi, Impitoyablement ai fait siffler sa pièce. J'ai demain, pour ma part, cent places retenues ; Et veux, après-demain, vous faire aller aux nues. **** *creator_piron *book_piron_metromanie *style_verse *genre_comedy *dist1_piron_verse_comedy_metromanie *dist2_piron_verse_comedy *id_LUCILE *date_1733 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lucile J'y prends peu garde. Tu le dis, je le crois. Je l'ai vu quelquefois au parloir. La multitude augmente en moi l'indifférence. Je hais de ces galants le concours importun ; Et tu ne verras pas que j'en regarde aucun. Si j'en ai, ce sera pour un seul. Point du tout. Je ne le veux choisir ni ne le connais même. Mon père le désigne ; il défend que je l'aime ; J'obéirai. Je sais le devoir d'un enfant. Nous n'oserions aimer, lorsqu'on nous le défend. Mais devait-on, sachant mon caractère, M'embarrasser l'esprit d'une défense austère ? Exiger par delà ma froideur, Et de l'obéissance où m'eût suffi l'humeur ? Voyons ce conquérant terrible, Pour qui l'on craint si fort que je ne sois sensible. La curiosité me fera succomber, Et sur lui seul, enfin, mes regards vont tomber. C'est celui qui jouera l'amoureux dans la pièce. Quel air d'austérité ! Mademoiselle, point de curiosité. C'est bien innocemment que j'ai pris la licence De vous insinuer la désobéissance. Qu'est-ce à dire ? Quoi ? Que me dis-tu ? C'est là celui que l'on excepte ? Mille choses de lui maintenant me reviennent, Qui véritablement engagent et préviennent. Quoi ! Ces vers que je lis, que je relis sans cesse... Quel esprit ! Quelle délicatesse ! De plaisirs et de jeux quel mélange amusant ! Que, sous des traits si doux, l'amour est séduisant ! L'auteur veut plaire et plaît sans doute à quelque belle À qui l'on doit le feu dont sa plume étincelle. Je remarque en effet... prenons par ce chemin. Monsieur De L'Empyrée approche, un livre en main. On m'a, pour le choisir, presque tyrannisée ; Et mon âme jamais n'y fut moins disposée. Mais enfin là-dessus, qu'importe qu'on l'éclaire, S'il ne vous en est pas pour cela moins contraire ; Et si, dès qu'il saura de qui vous êtes fils, Nul espoir, près de moi, ne vous est plus permis ? L'auteur seul de ces vers a su toucher mon coeur ; Je l'avoue, et pour lui me voilà déclarée. Eh ! C'est Monsieur De L'Empyrée ! Lisons-les-lui, ces vers, il en sera charmé. Venez, monsieur, venez, pour qu'en votre présence, Nous discutions un fait de votre compétence ; Il s'agit d'une idylle où j'ai quelque intérêt ; Et vous nous en direz votre avis, s'il vous plaît. Votre façon d'écrire élégante et fleurie Vous accoutume au ton de la galanterie. Allons, messieurs, passons sous ce feuillage épais, Où, loin des importuns, nous puissions lire en paix. Veillé-je ou non ? Dorante aux genoux de Lisette ! Eh quoi ! Dorante, après mille et mille assurances, Qui, tout à l'heure encor, passaient vos espérances, Le reproche et l'injure aigrissaient vos discours, Et sur le ton plaintif on vous trouve toujours ? Oui, j'ai tort de me plaindre ! En effet, ma faiblesse autorise à tout craindre ; Et l'aveu que j'ai fait, trop naïf et trop prompt, De votre défiance a mérité l'affront. Mais vous trouverez bon qu'en me faisant justice, Cette justice même aussi nous désunisse ; Et rompe, entre nous deux, un noeud mal assorti, Dont jamais on ne s'est assez tôt repenti. Depuis quand, je vous prie, N'est-on digne d'aimer, qu'autant qu'on se défie ? Ainsi l'amour jamais doit n'être satisfait ? Et le plus soupçonneux est donc le plus parfait ? Vos vers m'en avaient fait toute une autre peinture. Juste sujet, pour moi, de crainte et de rupture ! J'aime trop mon repos, pour le perdre à ce prix ; Et ne jugerai plus des gens par leurs écrits. Ma bonté m'a trahie ! Vous feriez, je le vois, le malheur de ma vie. Je ne recueillerais de mes soins les plus doux, Que l'éclat scandaleux des fureurs d'un jaloux. Que n'ai-je conservé, prévoyante et soumise, L'insensibilité que je m'étais promise ! Lisette, je t'ai crue ; et toi seule, tu m'as... S'il se faut quelquefois défier quand on aime, C'est de tout ce qui peut, dans le coeur alarmé, Soulever des soupçons contre l'objet aimé. Je tiens, vous le savez, cette sage maxime, De ces vers qui vous ont mérité mon estime ; De votre propre idylle, ouvrage séducteur, Où votre esprit se montre, et non pas votre coeur. Ils ne sont pas de vous ! Quoi ? ... Votre sincérité mérite qu'on vous aime, Dorante ; aussi pour vous suis-je toujours la même. Tel est enfin l'effet de ces vers que j'ai lus : J'étais indifférente, et je ne le suis plus ; Et je sens que, sans vous, je le serais encore. Ah ! Tu me fais trembler ! De vos rivaux du moins vous n'avez rien à craindre. Mon père pourra bien, en ce commun danger, Désapprouver mon choix, mais jamais le changer. Mon père... Permettez-moi, monsieur, vous-même, de parler. Mon père, il n'est plus temps de rien dissimuler. D'un père, je le sais, l'autorité suprême Indique ce qu'il faut qu'on haïsse ou qu'on aime ; Mais de ce droit jamais vous ne fûtes jaloux. Aujourd'hui même encor, vous vouliez, disiez-vous, Que, par mon propre choix, je me rendisse heureuse ; Vous vous en étiez fait une loi généreuse : Et c'est ainsi qu'un père est toujours adoré, Et que moins il est craint, plus il est révéré. Vous m'avez ordonné surtout d'être sincère, Et d'oser là-dessus m'expliquer sans mystère. Mon devoir le veut donc, ainsi que mon repos. Parmi les jeunes gens que ce lieu-ci rassemble... Rassurez votre fille qui tremble, Et qui n'ose qu'à peine embrasser vos genoux. C'est que celui vers qui ce doux penchant m'attire Est le seul justement que vous aviez exclu. Vous ne les avez plus. Son coeur, à mon égard, était selon le vôtre. Vous craigniez qu'il ne fût dans les liens d'une autre : Et jamais un soupçon ne fut si mal fondé. Il m'adore, et de moi, près de vous, secondé... Ah ! Je lis mon arrêt sur votre front sévère ! Eh bien ! J'ai mérité toute votre colère : Je n'ai pas, contre moi, fait d'assez grands efforts ; Mais est-ce donc avoir mérité mille morts ? Car enfin, c'est à quoi je serais condamnée, S'il fallait à tout autre unir ma destinée. Non, vous n'userez pas de tout votre pouvoir, Mon père ! Accordons mieux mon coeur et mon devoir. Arrachez-moi du monde à qui j'étais rendue ! Hélas ! Il n'a brillé qu'un instant à ma vue. Je fermerai les yeux sur ce qu'il a d'attraits. Puisse le ciel m'y rendre insensible à jamais ! **** *creator_piron *book_piron_metromanie *style_verse *genre_comedy *dist1_piron_verse_comedy_metromanie *dist2_piron_verse_comedy *id_LISETTE *date_1733 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lisette Tu l'appelles ? Non. Adieu. C'est ici. Témoin ce rôle encor qu'il faut que j'étudie. Oui. D'aujourd'hui. Et très digne de l'être. À ne pas nous connaître. Tout cela. Il est vrai. Sa mine ? Ses habits ? Son état ? Sa façon ? Je m'oriente. On a l'homme que tu souhaites. N'est-ce pas de ces gens que l'on nomme poètes ? Nous en avons un. Peut-être bien. Quoi donc ? Le personnage en tout ressemble au tien : Sinon que ce n'est pas Damis que l'on le nomme. Cherche ! Il est à rêver là-bas dans ces bosquets. Mais vas-y seul : on vient, et je crains les caquets. Dorante ici ! Dorante ! Mais vous n'êtes pas sage, en vérité. Si monsieur vous trouvait ! Songez donc où vous êtes. Y pensez-vous, d'oser venir, comme vous faites, Chez un homme avec qui votre père en procès... Vous le dirai-je ? Eussiez-vous cent fois plus d'audace et de manége, Lucile même à nous daignât-elle s'unir ; Je ne sais trop comment vous pourrez l'obtenir. Mais si le grand procès qu'il a... Mais si votre père ose en appeler ? Mais si... Croyez-vous donc, Monsieur, vous seul avoir un père ? Le nôtre y voudra-t-il consentir ? Moi, je l'espère peu. Le vieillard est entier. Lucile est un parti... Elle a cent mille écus. Mais vous aimera-t-elle ? Je vous l'ai dit cent fois ; c'est une nonchalante Qui s'abandonne au cours d'une vie indolente ; De l'amour d'elle-même éprise uniquement, Incapable en cela d'aucun attachement. Une idole du nord, une froide femelle, Qui voudrait qu'on parlât, que l'on pensât pour elle ; Et, sans agir, sentir, craindre, ni désirer, N'avoir que l'embarras d'être et de respirer. Et vous voulez qu'elle aime ? Elle, avoir une intrigue ! Y songez-vous, monsieur ? Fi donc ! Cela fatigue. Voyez, depuis un mois que le coeur vous en dit, Si votre amour vous laisse un moment de répit. Et c'est, ma foi, bien pis chez nous que chez les hommes. Elle aime éperdument ces vers passionnés, Que votre ami compose, et que vous nous donnez ; Et je guette l'instant d'oser dire à la belle, Que ces vers sont de vous, et qu'ils sont faits pour elle. Eh bien ! Je mentirai : mais j'aurai l'agrément D'intéresser pour vous l'indifférence même. Eh non ! Vous dis-je, non ! Vous auriez tout gâté. L'indifférence incline à la sévérité. Il fallait bien d'abord préparer toutes choses, De l'empire amoureux lui déplier les roses, L'induire à se vouloir baisser pour en cueillir. D'aise, en lisant vos vers, je la vois tressaillir ; Surtout quand un amour qui n'est plus guère en vogue Y brille sous le titre ou d'idylle ou d'églogue. Elle n'a plus l'esprit maintenant occupé Que es bords du Lignon, des vallons de Tempé, De bergers figurant quelques danses légères, Ou, tout le jour assis aux pieds de leurs bergères, Et, couronnés de fleurs, au son du chalumeau, Le soir, à pas comptés, regagnant le hameau. La voyant s'émouvoir à ces fades esquisses, Et de ces visions savourer les délices, J'ai cru devoir mener tout doucement son coeur, De l'amour de l'ouvrage, à l'amour de l'auteur. Damis ? Celui que nous nommons Monsieur De L'Empyrée ? Laissons-là son églogue. Monsieur De Francaleu ne vous connaît pas ? Faites-vous présenter à lui sous un faux nom. Ici, l'amour des vers est un tic de famille. Le père, qui les aime encor plus que la fille, Regarde votre ami comme un homme divin ; Et vous plairez d'abord, présenté de sa main. À la pièce du jour rendez-vous nécessaire. Il s'agit de cela maintenant. Après quoi... N'en soyez pas en peine. Je veux lui ressembler au point qu'on s'y méprenne. J'ai d'abord un habit en tout pareil au sien ; J'ai sa taille ; j'aurai son geste et son maintien. Enfin je veux si bien représenter l'idole, Qu'elle se reconnaisse à la fadeur du rôle : Et, comme en un miroir, s'y voyant traits pour traits, Que l'insipidité l'en dégoûte à jamais. Car, Monsieur, excusez ; mais vous et votre femme, Vous avez fait un corps où je veux mettre une âme. Pas même le poète ? Je ne le crois pas riche. Je vois, dans ce choix libre, un contre-temps à craindre, Qui rendrait votre fille extrêmement à plaindre. C'est que son choix pourrait tomber très bien Sur tel qui, sur une autre, aurait fixé le sien ; Et pour lors il serait moins aisé qu'on ne pense De ramener son coeur à de l'indifférence. Et celle du jeune homme à qui l'on donne un rôle, La savez-vous ? Je vous en avertis, il est fort amoureux. Pour ne pas nous jeter dans un cas dangereux, Très positivement songez donc à l'exclure. Bien malgré vous, je gage. Vous vous trouverez bien de n'avoir point parlé. Installé ? Tout des mieux ! J'en réponds. Pourquoi donc, s'il vous plaît, baisserais-je les yeux ? Eh ! C'est le coup de maître. Sans doute. Ne décidons jamais où nous ne voyons goutte. Oh ! Qui va rondement Ne daigne pas entrer en éclaircissement. Vous croyez que je sers le poète ? Vous ne croyez donc pas que l'intérêt me guide ? Pauvre cervelle ! Ainsi je l'ai donc bien servi, Quand j'ai formé le plan que vous avez suivi ? Quand je vous établis dans les lieux où vous êtes ? Quand je songe à tenir les routes toutes prêtes, Pour vous conduire au but où pas un ne parvient ? Et quand enfin... allez ! Je ne sais qui me tient... Tout ce qu'il vous plaira. Je hais la défiance. À vous tirer du pair, à vous faire adorer. Tel est le coeur humain, surtout celui des femmes : Un ascendant mutin fait naître dans nos âmes, Pour ce qu'on nous permet, un dégoût triomphant, Et le goût le plus vif pour ce qu'on nous défend. Oh ! Que non ! L'indolence est toujours indocile. Et telle qu'est la sienne, à ce que j'en puis voir, La contrariété seule peut l'émouvoir. Ce n'est pas même assez des défenses du père, Si je ne les seconde en duègne sévère. Défense encor d'oser lui parler avant moi. Dans un quart d'heure au plus, je vous livre audience. Au plus. Promenez-vous là-bas, Tenez ; dans un moment j'y conduirai ses pas. La voici. Partez donc. Laissez-nous. Désirez-vous ou non qu'on vous rende service ? Ou tout perdre. Voilà, mademoiselle, un cavalier bien fait. Aimable autant qu'on le peut être. Vous semblez le connaître. Sans plaisir ? Ni chagrin. Si j'avais, comme vous, à choisir, Celui-là, je l'avoue, aurait la préférence. Quoi ! Sans yeux pour eux tous ? On vous fera dédire. C'est-à-dire Qu'en faveur de ce seul, votre coeur se résout, Et que le choix en est déjà fait ? Oh ! Non. En effet. Cela pique. On vous l'aura donc bien désigné ? Lequel est-ce ? C'est celui qui jouera... Oubliez ce que je vous ai dit. Vous venez de voir celui dont il s'agit. Ma préférence était un fort mauvais précepte. Lui-même. Rendez grâce à l'inattention Qui ferma votre coeur à la séduction. Vous gagnez tout au monde à ne le pas connaître. Le devoir eût eu peine à se rendre le maître ; Et, sûre de l'aveu d'un père complaisant, Vous n'eussiez pas remis le choix jusqu'à présent. Ce que, depuis un mois, de lui vous avez lu, Témoigne assez combien son esprit vous eût plu. Sont les siens. C'est ce qu'apparemment votre père en conclut Et la raison qui fait que son ordre l'exclut. Il craint que vous n'aimiez la conquête d'une autre... D'une autre ! Mais j'y songe : et s'il était la vôtre ? Vous riez ! Et moi, non. C'est au plus sérieux. Les vers étaient pour vous. J'ouvre à présent les yeux. Oui, je vous reconnais traits pour traits dans l'image De celle à qui s'adresse un si galant hommage. Bon ! Ce préliminaire est, je crois, suffisant Et Dorante, s'il veut, peut traiter à présent. S'il me plaît. Comment ? Et de quel droit encor ? La belle avance ! Oh ! Je n'ai pas le temps. Suis-je une fourbe ? Ai-je trahi vos feux ? Le seul qu'on veut exclure, est-il si malheureux ? Dès que je vous ai vu près d'aborder Lucile, Je me suis éclipsée en confidente habile, Et je vous ai laissé le champ libre à l'instant. Eh bien ! Quelle nouvelle ? En êtes-vous content ? La dédaigneuse enfin s'est-elle humanisée ? Je l'avais, ce me semble, assez bien disposée. Eh ! Vivez en repos. A-t-elle, avec rigueur, fermé l'oreille aux vôtres ? Quoi ? Qu'elle eût dit : monsieur, je suis folle de vous. Je voudrais que déjà vous fussiez mon époux. Mais oui ; c'est avoir l'âme assurément bien dure, De ne pas abréger ainsi la procédure. C'est qu'elle a cru parler à l'auteur. Les honnêtes soupçons ! Rendez grâce, entre nous, Au cas particulier que je fais des jaloux. Sans les égards qu'on doit à leur tendre caprice, Mon honneur offensé se ferait bien justice. Que la délicatesse est folle en ses excès ! Eh ! Monsieur, y faut-il regarder de si près ? Qu'importe du bonheur la source fausse ou vraie ? Tout bellement ! Vous prenez trop de soin ; Et c'est aussi pousser l'interrogat trop loin. M'épier ! Doucement ! Ce serait une chaîne. Quoiqu'on soit sans reproche, on ne veut rien qui gêne. Ah ! C'est peu d'être injuste ; il ose être importun ! Aux trousses du fâcheux je vais en lâcher un, Qui, s'attachant à lui, saura bien m'en défaire. Le voici justement. De tous nos entretiens vous seul êtes la cause. Tout simple. Le jeune homme entend vanter à tous Certaine tragédie en six actes, de vous, Que l'on dit fort plaisante, et qu'il brûle d'entendre, Sans qu'il sache par qui, ni trop comment s'y prendre. Monsieur De L'Empyrée ? Il aura plaisanté, De caustique et de fat joué les mauvais rôles, Et parlé de vos vers, en pliant les épaules. Vous me déferez là d'un terrible importun. Faites-en votre affaire. Je me vais occuper d'un soin plus nécessaire. Il faut que je m'habille. Voulant représenter Lucile comme il faut, J'ôte dès à présent mes habits de soubrette, Pour être, sous les siens, plus libre et moins distraite. Mondor ! Tu ne voyais pas ? Qu'on nous épiait. Le voilà bien sot ! Le trait certes est piquant. Quel ? Quel ? Qu'est-ce ? Quoi ? Quand ? Qui ? L'amant de Lucile, Que son mauvais démon ne peut laisser tranquille, Dorante. Il nous a vus de loin, Ainsi que tu croyais m'aborder sans témoin. Sous ce nouvel habit, du bout de l'avenue, Qu'il ait cru voir Lucile, ou qu'il m'ait reconnue Près de toi, l'un vaut l'autre ; et surtout son destin Semblant te mettre exprès une lettre à la main. Nous entrons dans le parc : il nous guette, il pétille ; Il se glisse, et nous suit le long de la charmille. Moi qui, du coin de l'oeil, observe tous ses tours, Je me laisse entrevoir, et disparais toujours : Dieu sait si le cerveau de plus en plus lui tinte ! Tant qu'enfin je le plante au fond du labyrinthe, Où le pauvre jaloux, pour longtemps en défaut, Peste et jure, je crois, maintenant, comme il faut. Je ferais encor pis, si je pouvais pis faire. De ces coeurs défiants l'espèce atrabilaire Ressemble, je le vois, aux chevaux ombrageux ; Il faut les aguerrir, pour venir à bout d'eux. Ceux qui l'ont séparé d'avec son adversaire, Disent qu'il s'y prenait en brave cavalier ; Et, pour un bel esprit, qu'il est franc du collier. Voilà donc cet amour dont j'étais ignorante, Et que j'ai cru toujours un rêve de Dorante ? Mon maître ne dit mot ; mais, à la vérité, Ce combat-là tient bien de la rivalité. En ce cas, mon adresse a tout fait. Ton adresse ? Il se repentirait de les avoir suivis. Envers et contre tous, je protége Dorante. Mais cet autre, avec qui je suis de connivence, A pris, depuis un mois, terriblement l'avance. J'ai vu pâlir Lucile, au récit du combat. D'une tendre frayeur, le coeur encor lui bat. Lucile s'est émue, et c'est pour lui, te dis-je. Il a visiblement tout l'honneur du prodige. Depuis, ils se sont même entretenus longtemps, Et s'étaient séparés, l'un de l'autre contents, Lorsque, dans cet esprit soupçonneux à la rage, Ma présence équivoque a ramené l'orage ; Mais le calme ne tient qu'à l'éclaircissement Qui coulera ton maître à fond dans le moment. Telle gloire le peut couronner... j'ai beau dire, Dorante pourrait bien avoir ici du pire. Faisons la guerre à l'oeil ; et mettons-nous au fait De ce coup qui doit faire un si terrible effet. Oui, mon père. Eh bien ! C'est moi, je tiens parole. Lui ressemblé-je assez ? Jouerai-je bien son rôle ? L'oeil du père s'y trompe ; et je conclus d'ici Que bien d'autres, tantôt, s'y tromperont aussi. Quand commencera-t-on ? Que je me déshabille. Est au croc une seconde fois. Tantôt, il n'en manquait que trois ; Mais, ma foi, maintenant c'est bien une autre histoire. Vous n'avez plus d'acteurs ni d'auditoire. Tout défile et vole vers Paris. Désertion totale ! Oui, pour avoir appris Que ce soir on y joue une pièce nouvelle Dont le titre les pique et les met en cervelle. L'heure presse et tous ont décampé, Comptant se retrouver ici pour le soupé. Un peu de hardiesse ! Cet homme-ci, je crois, est l'auteur de la pièce. Faisons qu'il se trahisse. Il en est un moyen. Vous risquez, en tardant, de ne trouver plus rien. Monsieur raisonnait juste, et votre attente est vaine, Car la pièce est mauvaise et sa chute est certaine. Oui, cet arrêt dût-il vous chagriner. Non, mais c'est ce que mande un connaisseur en titre Dont le goût n'a jamais erré sur ce chapitre. Ne croit pas que la pièce aille jusqu'à la fin. Sur ce qu'hier, chez lui, l'auteur en fit lecture. Oui. Qu'a donc ce discours ? ... Je ne suis pas sorti d'ici depuis huit jours ! Je le tiens. Non, monsieur ; c'est vous-même Qui venez de tout dire et de vous déceler. Alcippe, en tout ceci, n'a rien à démêler. Moi seule je mentais ; et je m'en remercie, Vu le plaisir que j'ai de me voir éclaircie. Hé bien ? Que voulez-vous de moi ? Je ne puis. Cela n'est pas possible. J'imagine un marché dont l'espèce est plaisante. D'un secret tout entier la charge est trop pesante. Partageons celui-ci par la belle moitié. Tenez, si vous tombez, je parle sans pitié. Si vous réussissez, je consens de me taire. Voilà, pour vous servir, tout ce que je puis faire. Oh bien, en ce cas-là, monsieur, je me tairai. Le jaloux nous surprend ; le voilà furieux ; Car je passe, à coup sûr, pour Lucile à ses yeux. Donnons-nous à notre aise ici la comédie, Car il va revenir. Dorante ! Non. Eh non ! Oui. Hélas ! Il est vrai. Lui-même ! Et qui me fait fort joliment sa cour. On vous prend sur le fait, monsieur, à votre tour ; Songez à bien jouer le rôle que je quitte ; Car vous nous voyez deux que votre faute irrite. Enfin concevez-vous combien vous vous trompiez ? Madame, vous plaît-il que je vous restitue Les fleurettes qu'avant d'embrasser mes genoux, Monsieur me débitait, croyant parler à vous ? N'en déplaise à l'amour si doux dans ses peintures, Je vous restituerais un beau torrent d'injures. Je vous devais cela, monsieur, pour vous punir. N'avez-vous point de honte ? Le sot homme ! Trêve de beaux discours ! Il est temps que j'y pense. De par monsieur, expresse et nouvelle défense De souffrir que jamais vous osiez nous parler. Et même ici quelqu'un peut-être nous épie. Séparez-vous : rentrez, madame, je vous prie. Nous allons concerter un projet important. Eh ! Ne vous en prenez qu'à votre étourderie, Et qu'au brusque mépris dont vous avez heurté La rage qu'il avait, tantôt, d'être écouté. Ce n'est pas maintenant votre plus grande affaire. Songez à profiter d'un avis salutaire. Pourriez-vous nous trouver de ces perturbateurs Du repos du parterre et des pauvres auteurs, Contre les nouveautés signalant leurs prouesses, Et se faisant un jeu de la chute des pièces ? Courez les ameuter, pour aller aux Français, Sur ce qui se jouera, faire éclater l'orage. La pièce est de l'auteur qui vous fait tant d'ombrage. Le père de Lucile y vient d'aller... Ah ! J'en serais d'avis : faites le scrupuleux. Damis ne l'est pas tant, lui ; car, à votre père, Il a de votre amour écrit tout le mystère. Ce n'aura pas été pour vous servir, je crois. Et vous le voudriez ménager ? Et sur quoi ? Les plaisants intérêts pour balancer les vôtres ! Une pièce tombée, il en renaît mille autres. Mais Lucile perdue, où sera votre espoir ? Monsieur de Francaleu, vous dis-je, va la voir. Il n'a déjà que trop ce bel auteur en tête. S'il le voit triompher, c'est fait ; rien ne l'arrête : Il lui donne sa fille, et croirait aujourd'hui S'allier à la gloire, en s'alliant à lui. Ah ! Ah ! Monsieur l'auteur, avec votre air humain, Vous endormez les gens ; vous écrivez sous main ; Vous avez du manége ; et votre esprit superbe Croit déjà, sous le pied, nous avoir coupé l'herbe ! Un bon coup de sifflet va vous être lâché ; Et vous savez alors quel est notre marché. Ses talents ! C'est où je vous arrête... Apprenez... Qu'auparavant je vous dise une chose. Et moi, je veux parler. Tenez, voilà l'auteur que l'on vient de siffler. Tenez bon ; je vais chercher Dorante. **** *creator_piron *book_piron_metromanie *style_verse *genre_comedy *dist1_piron_verse_comedy_metromanie *dist2_piron_verse_comedy *id_MONDOR *date_1733 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mondor Cette maison des champs me paraît un bon gîte. Je voudrais bien ne pas en décamper si vite : Surtout m'y retrouvant avec tes yeux fripons, Auprès de qui, pour moi, tous les gîtes sont bons. Mais de mon maître ici n'ayant point de nouvelles, Il faut que je revole à Paris. Damis. Le connais-tu ? Adieu donc. On m'a pourtant bien dit : chez Monsieur Francaleu. Vous jouez chez vous la comédie ? Le patron n'a-t-il pas une fille unique ? Et qui sort du couvent depuis peu ? Vivement recherchée ? Et vous avez grand monde ? Illuminations, bal, concert ? Un beau feu d'artifice ? M'y voilà. Damis doit être ici ; chaque mot me le prouve. Quand le diable en serait, il faut que je l'y trouve. Oh ! C'est ce qui n'est pas facile à peindre, non. Car, selon la pensée où son esprit se plonge, Sa face, à chaque instant, s'élargit ou s'allonge. Il se néglige trop, ou se pare à l'excès. D'état, il n'en a point, ni n'en aura jamais. C'est un homme isolé qui vit en volontaire ; Qui n'est bourgeois, abbé, robin, ni militaire ; Qui va, vient, veille, sue, et, se tourmentant bien, Travaille nuit et jour, et jamais ne fait rien ; Au surplus, rassemblant dans sa seule personne, Plusieurs originaux qu'au théâtre on nous donne : Misanthrope, étourdi, complaisant, glorieux, Distrait... ce dernier-ci le désigne le mieux ; Et tiens, s'il est ici, je gage mes oreilles Qu'il est dans quelque allée à bayer aux corneilles, S'approchant, pas à pas, d'un haha qui l'attend, Et qu'il n'apercevra qu'en s'y précipitant. Oui. C'est lui. Contente-moi, n'importe, et montre-moi cet homme. Ah ! Grâce au ciel, enfin je vous déterre ! Je vous cherche, Monsieur, depuis huit jours entiers ; Et de Paris cent fois j'ai fait tous les quartiers. J'ai craint, au bord de l'eau, vos visions cornues ; Que, cherchant quelque rime, et lisant dans les nues, Pégase imprudemment, la bride sur le cou, N'eût voituré la muse aux filets de Saint-Cloud. Écoutez donc, Monsieur : ma foi, prenez-y garde ! Un beau jour... À votre aise ! Après tout, liberté sur ce point. Enfin quelqu'un m'a dit qu'ici vous pouviez être. Mais personne, Monsieur, ne veut vous y connaître ; Et, dans ce vaste enclos que j'ai tout parcouru, Je vous manquais encor, si vous n'eussiez paru. Sans doute. Comment donc aurais-je interrogé ? Vous en avez changé ? Votre nom maintenant, c'est donc ? ... De L'Empyrée ? Oui-da ! N'ayant sur l'horizon Ni feu ni lieu qui puisse allonger votre nom, Et ne possédant rien sous la voûte céleste, Le nom de l'enveloppe est tout ce qui vous reste. Voilà donc votre esprit devenu grand terrien. L'espace est vaste : aussi s'y promène-t-il bien. Mais quand il va là-haut lui seul à sa campagne, Que le corps, ici-bas, souffre qu'on l'accompagne. Qui va nous appauvrir, à coup sûr, tous les deux. Par complaisance, soit. Mais vous ne savez pas ? Pendant qu'aux champs vous prenez vos ébats, La fortune, à la ville, en est un peu jalouse. Monsieur Baliveau... Votre oncle de Toulouse... Est à Paris. Fort bien. Sans croire, sans vouloir que vous en sachiez rien. Ah ! Quelle indifférence ! Et rien est-il pour vous de plus de conséquence ? Un oncle riche et vieux dont votre sort dépend ; Qui du bien qu'il vous veut, sans cesse se repent ; Prétendant, sur son goût, régler votre génie ; De vos diables de vers détestant la manie ; Et qui, depuis cinq ans bien comptés, Dieu merci, Pour faire votre droit, nous pensionne ici ! Attendez-vous, monsieur, à d'horribles tempêtes. Il vient incognito , pour voir où vous en êtes. Peut-être il sait déjà que vous donnant l'essor, Vous n'avez pris ici d'autre licence encor Que celles qu'il craignait, et que, dans vos rubriques, Vous nommez, entre vous, licences poétiques. Ah ! Monsieur, redoutez son indignation. Vous aurez encouru l'exhérédation. Ce mot doit vous toucher, ou votre âme est bien dure. Beau fruit de mon sermon ! Et que doit nous valoir ce papier ? Bon ! De l'honneur ! C'est qu'on n'a point d'honneur à mal payer ses dettes, Et qu'avec celui-ci, vous les paierez très mal. Aussi, ne vous déplaise, Vous en parlez, Monsieur, un peu trop à votre aise. Vous avez les plaisirs ; et moi, tout l'embarras. Vous et vos créanciers, je vous ai sur les bras. C'est moi qui les écoute, et qui les congédie. Je suis las de jouer, pour vous, la comédie, De vous celer, d'oser remettre au lendemain, Pour emprunter encore, avec un front d'airain. Ma probité répugne à ces façons de vivre. De ce monde aboyant, cherchez qui vous délivre. Pour moi, plein désormais d'un juste repentir, J'abandonne le rôle, et ne veux plus mentir. Viennent baigneur, marchand, tailleur, hôte, aubergiste, Que leur cour vous talonne, et vous suive à la piste ; Tirez-vous-en vous seul ; et voyons une fois... Trouvez bon aussi que je revienne Environné des gens que je vous nomme. Vous pensez rire ? Vous verrez. Oh bien ! Vous en allez avoir le passe-temps. Les paierez-vous ? Et de quelle monnaie ? Ouais ! Serait-il en fonds ? Morbleu ! C'est pour m'apprendre à peser mes paroles. Trente ou quarante pistoles. Autant. Quatre-vingts. Cent. Monsieur... Monsieur... J'abuse... Oui, je vous demande excuse. Il est vrai que... le zèle... a manqué de... respect ; Mais le passé rendait l'avenir très suspect. Les prix ? Ah ! Si bien que Paris paiera donc le loyer ; Rouen, le maître en droit ; Toulouse, le barbier ; Marseille, la lingère ; et le diable, mes gages. Non, ne doutons de rien ; et, sur un fonds meilleur N'hypothéquez-vous pas l'auberge et le tailleur ? Chimérique. De cette incomparable, après, qu'espérez-vous ? Chercher un maître. C'est que l'air est, monsieur, un fort sot aliment. En bonne opinion, vous êtes un rare homme ; Et, sur cet oreiller, vous dormez d'un bon somme ; Mais un coup de sifflet peut vous réveiller. Dites un héritage et bien du temps perdu. Lisette, ai-je un rival ici ? Qu'il disparaisse. Plaise ou non ; tu n'es plus ta maîtresse. Tu m'appartiens. Lucile est à Damis ; donc, Lisette à Mondor. Lucile est à ton maître ? Ah ! Tout beau ! J'en appelle. Il ne lui manque plus que l'aveu de la belle. Celui du père est sûr, à tout ce que j'entends. Écoute ! Je ne m'étonne plus si nous payons nos dettes. Entre vingt prétendants on vous le donne beau ; Et vous avez pour vous, monsieur, l'air du bureau. Ouf ! Maugrebleu du geste ! Plus que sage. Votre bonheur, tout franc, ne se devinait guères. Mon Dieu, pas tant d'orgueil ! Vous ne pouviez manquer d'être vu de bon oeil. Vous trouvez un esprit de la trempe du vôtre ; Mais vous n'eussiez jamais réussi près d'une autre. Il faudrait en avoir, pour en prendre congé. Vous n'en eûtes jamais. J'ai de bons yeux, peut-être ! Un valet veut tout voir, voit tout, et sait son maître, Comme à l'observatoire un savant sait les cieux ; Et vous-même, monsieur, ne vous savez pas mieux. Monsieur, à ma portée ajustez-vous un peu ; Et, de grâce, en français mettez-moi cet hébreu. Après. Je vois cela d'ici. La peste ! Mais je n'ai jamais vu cet objet plein d'appas. Et vous l'aimiez ! D'honneur ? Une maîtresse en l'air, et qui n'eut jamais vie ! Monsieur, parlez tout bas. C'est qu'on pourrait vous mettre aux petites-maisons. Et je n'ai pas plus vu l'une que l'autre ? Mais vraiment un amour de si légère espèce Pourrait prendre son vol bien par delà l'altesse. J'entends. Tout vous est bon ; rien ne vous importune, Pourvu que votre esprit soit en bonne fortune. À ce compte, un jaloux ne vous craindra jamais ; Et vos rivaux, monsieur, peuvent dormir en paix. Et deux ! à l'autre. Quel dommage ! L'union était belle. Et que répond l'image ? D'un poste mal acquis l'équité la dépose, Et rien, avec raison, fait place à quelque chose. C'est qu'elle aime les vers ; et cela vous suffit. Pour moi, ce qui m'en plaît, c'est la source féconde Où nous allons puiser désormais les ducats. C'est de quoi vous faites peu de cas. L'un de nous deux a tort ; mais qu'à cela ne tienne. Aura tort qui voudra, pourvu que l'argent vienne. Le bonhomme du moins ne veut pas l'épargner. Oui, monsieur ; si vous êtes son gendre, Monsieur De Francaleu dit à qui veut l'entendre, Qu'il rendra là-dessus votre bonheur complet. Non ; foi d'honnête valet. Bon ! Ne voilà-t-il pas encore un quiproquo ! De qui parlez-vous donc, monsieur ? Où diantre est cette fille ? À Quimp... Où vous êtes-vous vus ? Et vous l'épouseriez ! Et si c'était un monstre ? Oui ; mais répondra-t-elle à votre folle ardeur ? Et quel est l'intrigant d'une telle aventure ? Oh ! Oh ! Bel entrepôt, vraiment, pour coqueter ! Tiens, lis dans celui-ci que tu viens d'apporter. Sonnet de Mademoiselle Mériadec De Kersic, de Quimper en Bretagne, à Monsieur Cinq Étoiles... Je respecte, monsieur, un si noble transport. Qui vous chicanerait franchement aurait tort. Mais prenez un conseil. Votre esprit s'exténue À se forger les traits d'une femme inconnue. Peignez-vous celle-ci sous quelque objet présent. Lucile a, par exemple, un visage amusant... Suivez, lorgnez, obsédez sa personne. Croyez voir et voyez en elle la bretonne... Molière, avec raison, consultait sa servante. Quelle tête ! Il faut bien le prendre comme il est. Voyons ce qui naîtra de ce jeu qui lui plaît. L'assiduité peut, Lucile étant jolie, Lui faire de Quimper abjurer la folie. À quoi bon, dans le parc, ainsi tourner sans cesse, Pirouetter, courir, voltiger ? Qu'est-ce ? Quoi ? Quand ? Qui ? Eh bien ! Dorante ? Oh parbleu ! Ce n'est pas le faible de mon maître ! Au contraire, il se livre aux gens, sans les connaître ; Et présume assez bien de soi-même et d'autrui, Pour se croire adoré, sans que l'on songe à lui. Du reste, sait-il bien se tirer d'une affaire ? Il n'est sorte de gloire, à laquelle il ne coure. Le bel esprit, en nous, n'exclut pas la bravoure. D'ailleurs, ne dit-on pas : telles gens, tel patron ; Et, dès que je le sers, peut-il être un poltron ? Oui. J'ai, de sa conquête, honoré ta maîtresse. Celle qu'il recherchait ne me convenant pas, De Lucile, à propos, j'ai vanté les appas, Lui conseillant d'avoir souvent les yeux sur elle, Et de mettre un peu l'une et l'autre en parallèle. Il paraît qu'il n'a pas négligé mes avis. Gageons que, malgré toi, mon maître le supplante. Car étant né poète au suprême degré, Lucile va d'abord le trouver à son gré. Monsieur de Francaleu déjà l'aime et l'estime ; Du père de Dorante, il n'est pas moins l'intime : Et je porte un billet à ce père adressé, Qu'après s'être battu, sur l'heure, il a tracé. Sachant des deux vieillards la mésintelligence, Il mande à celui-ci, selon toute apparence, De rappeler un fils qui fait ici l'amour, Et dont l'entêtement croîtrait de jour en jour. Il saura, là-dessus, le rendre impitoyable. S'il aime enfin Lucile, ainsi qu'il est croyable, Prends de mes almanachs, et tiens pour assuré Que le bonheur de l'autre est fort aventuré. Je réponds de la barque, en dépit de Neptune. Songe donc qu'elle porte un poète et sa fortune ! Telle gloire le peut couronner aujourd'hui, Qui mettrait père et fille à genoux devant lui. De ce coup décisif l'instant fatal approche. L'amour m'arrache un temps que l'honneur me reproche. Adieu. Que devant nous, tout s'abaisse en ce jour ; Et que tous nos rivaux tremblent à mon retour ! Je vous annonce... En voilà la réponse.