**** *creator_quinault *book_quinault_fantomeamoureux *style_verse *genre_tragedy *dist1_quinault_verse_tragedy_fantomeamoureux *dist2_quinault_verse_tragedy *id_carlos *date_1657 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_carlos Le sçay tu bien Clarine ? Ô Ciel ! est-il possible,1 Qu'Isabelle pour moy, cesse d'estre insensible ; Et que cette Beauté ressente en ma faveur Le feu⁎ que ses beaux yeux ont fait naistre en mon cœur ? Je suis fort estonné⁎ d'un succez⁎ si charmant. Mais viens-tu par son ordre. Je pouray dire au moins mon bon-heur⁎ à son frere, Nostre amitié l'oblige⁎ à me favoriser, Et je me ferois tort de lui rien déguiser. Je sçay qu'à ce dessein son Pere se prepare ; Mais s'il est inhumain son frere est moins barbare, L'amitié nous unit par de si beaux liens, Que dans mes interests il confondra⁎ les siens. Ah c'est assez Clarine Il n'est plus de raison qu'à présent j'examine, Il faut que j'obéïsse avec aveuglement, Et que le nom d'Amy cede à celuy d'Amant ; Mais verray-je ce soir nostre belle Maistresse⁎. Je connois⁎ ton adresse, Et tu sçais… Qu'il est doux d'attendrir un cœur fier & cruel ? Que l'Amour est charmant, quand il est mutuel, Et qu'un captif ressent de charmes dans ses peines, Quand la main qui le dompte aide à porter les chaisnes : Un bien acquis sans peine est peu delicieux ; Et plus il a cousté, plus il est precieux : Malgré l'obscurité dont l'orison se couvre, Je discerne aisement, que cette porte s'ouvre, C'est sans doute Isabelle, il se faut avancer. Mon bon-heur⁎ est plus grand que je n'osois penser, Je ne puis vous marquer quelque effort que j'employe Toute ma passion avec toute ma joye. Dieu que je suis confus, c'est son frere Fabrice. Amy… Qu'il est ingenieux à me tirer de peine. Tu me ferois grand tort d'en juger autrement. Je ne fais rien pour toy qui soit considerable, Mon interest m'ameine en ce lieu seulement, Et tu ne m'en dois faire aucun remerciement. Celuy qu'en tes plaisirs l'amitié me fait prendre, Entre deux vrais amis tout doit estre commun, La joye en touche deux alors qu'elle en touche un : Sçache quand je prens part dans ton bon-heur⁎ extresme, Qu'au lieu de t'obliger⁎, je m'oblige⁎ moy-mesme, Et du soin⁎ que je prens je suis si bien payé, Que je n'ay pas besoin d'estre remercié. J'y consens de bon cœur, allons-y de ce pas, Tes desirs sont les miens, tu dois n'en douter pas. Que ce succez⁎ favorise ma flamme⁎. Je t'attends, Voicy pour mon amour un nouveau contre-temps. Elle te veut parler, sans doute en confidence. Amy console-toy. Tu seras plus heureux si tu veux m'écouter, Tu ne partiras point, & tu verras Climene, Tous les jours⁎ sans peril, sans tesmoins, & sans peine. Bien donc, croy que pour toy je feray l'impossible, Souffre⁎ que je te parle, & dedans un moment Tu perdras ta douleur et ton estonnement⁎ : Tu sçais depuis quel temps l'Italie affligée, Entre deux factions se trouve partagée, Dont en chaque Cité les partisans mutins Se nomment hautement Guelphes & Gibelins ; Souviens-toy que mon Pere, & celuy de Climene Prirent pour ce sujet, une immortelle haine, Et que par leur credit & leur condition Chacun d'eux se rendit Chef d'une faction : Le Duc l'ayant appris & redoutant l'issuë De cette inimitié, si fortement conceuë, Il les fit arrester avec quelque raison, Laissant à chacun d'eux son logis pour prison Mon Pere qui voyoit sa pretention⁎ vaine⁎,  Sçachant que sa maison de l'autre estoit prochaine⁎ Eut recours à l'adresse, & se creut tout permis Pour perdre le plus grand de tous ses ennemis ; Et lors pour advancer en secret sa ruine Jusque sous son Jardin fit creuser une Mine ; Desja mesme elle estoit achevée à peu pres, Lors qu'il tomba malade & mourut tost apres : Je fus, comme tu sçais par le droit de naissance, Heritier de ses biens, & non de sa vengeance : Et quand je hairois Climene dans ce jour⁎, Je voudrois immoler ma haine à ton amour, En ouvrant cette Mine, avec un peu d'adresse, Tu peus, sans qu'on te voye, entrer chez ta Maistresse⁎, Et pour l'executer en toute sureté Nous ferons croire à tous que tu t'es absenté. De tes remercimens mon amitié s'offense, Je m'en vais chez le Duc faire ma cour expres Pour sçavoir ses desseins touchant tes interests : Entre dans mon logis. De ce logis, voyant la porte ouverte, Je n'ay pû refuser l'occasion offerte, Et suivant mon amour j'ay cru pouvoir monter, Sans perdre le respect, & sans vous irriter. Quelque raison que j'aye icy pour ma deffense, Je me tiens criminel, puisque je vous offense, Et profiterois peu d'estre assez obstiné, Pour me croire innocent, quand je suis condamné. Je n'en appelle point, je vais me retirer, J'obeis à regret, mais sans en murmurer. Puisque vous l'ordonnez, il faut bien que je sorte, Je dois vous obeyr. Ce discours surprenant rend mon ame interdite⁎ ! Pouvez-vous bien vous plaindre alors que je vous quite ; Quand je vous obeis contre mon sentiment⁎, Quand mon amour éclate en mon aveuglement, Et quand par une ardeur, qui n'est pas fort commune, Mon bon-heur⁎ me déplaist, lors qu'il vous importune ; Que n'auriez-vous point dit, si cherchant mes plaisirs J'avois à vos souhaits preferé mes desirs, Et de quelle façon pouray-je enfin vous plaire, Si vous obeissant je vous mets en colere. C'est agreablement que je reste confus, Si cét adveu m'estonne⁎, il me charme encor plus, Et s'il faut demeurer pour ne vous pas déplaire, Il n'est rien plus aisé que de vous satisfaire ; Puisque l'obéissance a pour vous peu d'appas⁎, Je resteray, Madame, & n'obéiray pas. Cét ordre est rigoureux. Ils sont entrez tous deux, sortons sans differer. Le sort à mes desirs cesse d'estre contraire, Je puis sortir ; mais quoy, j'entends la voix du Pere. Que je suis mal-heureux⁎. Pour sauver nostre amy, feignons addroitement. Seigneur c'est justement. Venant pour de Fabrice apprendre icy la perte, Dés que je suis entré dans cette chambre ouverte, Son spectre au mesme instant s'est offert devant moy, Mais dedans un estat qui m'a trancy d'effroy ; D'un Fantosme effroyable il avoit la figure, Son sein⁎ estoit ouvert d'une large blessure, Tout son teint estoit pasle, & tout son corps sanglant, Il n'avançoit vers moy que d'un pas chancellant ; Il lançoit un regard languissant & farrouche, Un sang livide & noir luy sortoit de la bouche ; Et sa vigueur mourante en ce dernier effort, Promenoit dans ses yeux l'image de la mort. Je vous donne ma foy⁎ Que vostre Altesse a veu son Ombre comme moy : C'est ce qui me confond⁎, je tenois pour un conte Ce que des spectres vains⁎ le vulgaire raconte : Je ne pouvois penser qu'un esprit⁎ hors d'un corps, Pour s'offrir aux vivants se separa des morts ; Qu'il cessa d'estre simple, & qu'il luy fut possible, Quand il n'a plus de corps d'estre encore visible ; Ce succez⁎ toutesfois me doit épouventer, Je ne le sçaurois croire, & je n'en puis douter ; Mais adieu, vostre ennuy⁎ s'acroist par ma presence. La grace⁎ n'est pas grande, Que Fabrice à l'instant en mon logis se rende, D'icy sans qu'on le voye il se peut évader, Je vais suivre le Duc pour le persuader. Secourons nostre amy, ce bruit me fait juger Que ses jours⁎ en ces lieux courent quelque danger. Ah Seigneur ! quel forfait Carlos a-t'il commis ? Vous n'avez jamais eu de sujet plus fidele. Moy, Seigneur, nullement le bruit qu'on vient d'entendre, Pour en sçavoir la cause en ce lieu m'a fait rendre. De Fabrice, Seigneur, c'est l'ombre asseurément. Ainsi que vous, Seigneur, ce succez⁎ m'épouvante. Ah Ciel ! tout est perdu, la fourbe est averée, Si Fabrice est trouvé, sa perte est asseurée ; Mais si malgré la nuit, je ne m'abuse pas, J'apperçoy qu'une femme addresse icy ses pas. Non… Si ce n'est luy du moins, c'est un autre luy-mesme. C'est Carlos… J'ay sçeu vostre disgrace⁎, & n'en ignore rien, J'ay tout apris du Duc, qui brûlant de colere Vous cherche avec un soin qui n'est pas ordinaire. J'y cours ; vous, essayez d'avertir vostre Amant ; Et sur tout, rendez-vous en ce lieu promptement. Vous voyez en ce lieu Climene qui m'attent. Madame c'est Carlos, suivez mes pas sans crainte, Parlez bas… Que vois-je, qu'ay-je fait ! ah rencontre cruelle, Ne m'abusay-je point, est-ce vous Isabelle ? Ce soupçon est injuste ; avec sincerité Je vous veux sur ce point dire la verité. Ne me condamnez point avant que de m'entendre : J'avois fait un dessein qui n'a pas reüssy, Je pretendois⁎ conduire une autre femme icy ; J'avoüeray qu'à regret je vous voys en sa place, Et que vostre presence en effect m'embarasse : Mais, Souffrez⁎ que je m'explique ! Escoutez ce qui reste. Mais sçachez… Je n'ay, Souffrez⁎ que je vous parle ! Ah prenez moins de soin à vous tromper vous-même, Et soyez moins injuste pour mon cœur qui vous aime ! Quoy sans m'entendre ? ah demeurez de grace ! Arrestez, C'est la verité mesme, Vous ne sortirez point sans m'avoir escouté ! Souffrez⁎ que sur ce point j'explique ma pensée. Ce que je vous diray se peut verifier. Pour la derniere fois laissez moy dire encore, Que ce n'est que vous seule aujourd'huy que j'adore, Que je suis tout à vous : Madame, commandez, vous serez satisfaite. Pour un parfait Amant, C'est crime d'obeyr un peu trop promptement. L'Amour par des respects se sçait mal exprimer ! Qui sçait bien obeyr ne sçait pas bien aymer : Ce conseil favorable ! ô beauté trop cruelle, Fut donné pour Carlos : Quel est mon crime : Cette confusion qui dans mes yeux s'exprime, Vient de vostre injustice, & non pas de mon crime. Vous m'avez deffendu de me justifier ; De mes discours encor vous seriez offencée. Dessus vos belles mains pour cét aveu charmant, Que j'exprime ma joye & mon ressentiment. Vos soupçons me font un tort extréme. O sort trop inhumain. Souffrez⁎ que l'equité par ma bouche s'exprime,  Je suis seul criminel si sa flame⁎ est un crime. Ouy ! si c'est un forfait, daignez vous souvenir, Que c'est moy qui le cause, & qu'on doit seul punir : Sans estre plus humain, soyez plus équitable ; Conservez l'innocente, & perdez le coupable. Ah ! perdez cette envie. Ne craignez rien de moy, j'ay du respect pour vous ; Et puis que je n'ay pû calmer vostre couroux, Loin de combatre encor cette fureur cruelle, Je ne vous presse plus que de perdre Isabelle. Madame, je n'ay dit que ce que j'ay deu dire ! Ouy, Seigneur, puis qu'il faut que vostre fille expire, Et qu'en vain je voudrois empescher son trépas ; Contentez-vous ? frappez, mais ne vous trompez pas ; Portez icy vos coups, c'est là qu'est Isabelle ; C'est là qu'elle est amante, & qu'elle est criminelle ! C'est là pour la punir, qu'il la faut attaquer ; En me perçant le cœur on ne la peut manquer. Il n'est point en ces lieux, & je vous en asseure. Il n'estoit point icy lors que je vous l'ay dit. Amy, n'en jurez pas. C'est peut-estre moy-mesme. Ouy, soyez instruit d'un triste evenement, Qui doit estre à tous deux funeste⁎ esgallement. Sçachez ! qu'une infortune⁎, à nulle autre seconde, Met Climene en ma garde, & veut que j'en responde : J'en ay l'ordre du Duc ; & pour dernier malheur, J'ay crû prendre Climene, & j'ay pris vostre sœur. Avec peu de raison vous en avez douté ; Mais connoissez⁎ ma peine en cet extremité : Si Climene s'enfuit, il faudra qu'au lieu d'elle, Aux passions du Duc j'abandonne Isabelle. Je l'ayme, il n'est plus temps de vous rien déguiser, Jugez en ce peril si je dois l'exposer ! Ce moyen est fort seur, mais d'où provient ce bruit. C'est le Duc & ses Gardes ; Leur dessein me surprend : Nous serons sur ce point esclaircis tout à l'heure ! Que sans clarté Fabrice en cet endroit demeure ; Et s'il se peut douter qu'on le vienne chercher, Derriere ce faux mur il pourra se cacher ! Vous, voyez comme il tourne : avant sa mort mon pere, Craignant ses ennemis en secret le fit faire, Et je sçay qu'il n'est point d'esprit⁎ assez adroit Pour pouvoir découvrir Fabrice en cét endroit. Cessons de discourir & sortons promptement. En mon logis. Ne craignez rien vous dis-je. Veuillez y consentir, Seigneur ! **** *creator_quinault *book_quinault_fantomeamoureux *style_verse *genre_tragedy *dist1_quinault_verse_tragedy_fantomeamoureux *dist2_quinault_verse_tragedy *id_clarine *date_1657 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_clarine Je vous le dis encor ; oüy vostre amour la touche, C'est une verité que j'ay sçeu de sa bouche. Moy, je m'estonne⁎ fort peu de vostre estonnement⁎ ? Seigneur à vos plaisirs ne mettez point d'obstacle. Voir changer une fille, est-ce un si grand miracle ? Nous avons une pante à changer tour à tour, Soit ou l'amour en haine, ou la haine en amour ; Et lors que nostre haine, ou nostre amour se change, Un effet si commun doit peu sembler estrange : Isabelle est d'un âge à ressentir l'effet Et du feu⁎ qu'elle allume, & du mal qu'elle fait : La fin de ses froideurs ne vous doit pas surprendre, Qui donne de l'amour peut aisement en prendre, Et lors qu'un jeune cœur n'a jamais rien aymé, Au premier feu⁎ qui brille il s'en trouve enflammé⁎, Ma Maistresse⁎ est sensible autant comme elle est belle ; Et vous serez heureux si vous estes fidele. A m'expliquer sans fard⁎ Elle m'a commandé de parler de ma part ; Mais vostre honnesteté m'oblige⁎ à vous tout dire, C'est par son ordre exprés que je viens vous instruire Je vous ay découvert un important secret, Mais pour en profiter il faut estre discret : Pour bien sçavoir aymer, il faut sçavoir se taire. Ah c'est ce que sur tout ma Maistresse⁎ redoute ? Loin de l'en advertir craignez qu'il ne s'en doute ! Ignorez-vous encor que son Pere inhumain Ne luy permettra pas de vous donner la main : Qu'il veut pour soütenir l'éclat de sa famille Favoriser son fils aux despens de sa fille, Et comme il se pratique aujourd'huy fort souvent Destine à l'un ses biens, & pour l'autre un Couvent. Sçachez si j'ose icy parler avec franchise Qu'il n'est point de liens que l'interest ne brise, Que l'on garde tousjours son bien mieux que sa foy⁎, Et qu'il n'est point d'amy qu'on ayme plus que soy : Ne recevez personne en vostre confidence, Le peril fuit tousjours le trop de confiance : Moins un bien est connu, plus il doit estre doux ; Enfin que vos secrets ne soient sçeus que de vous, Ma Maistresse⁎ le veut. Monsieur il est bien tard. Oüy je sçay vos liberalitez⁎, Je m'en vais l'advertir comme vous souhaitez, Et je viendray bien-tost, si vous voulez m'attendre, Ou vous faire monter, ou la faire descendre. Entrez, entrez Seigneur, ma Maistresse⁎ Isabelle Vous attend en sa chambre & veut… O malheur ! c'est Fabrice, il faut dissimuler. Elle veut vous parler, Et vous marquer la joye où l'amitié l'engage Sur la conclusion de vostre Mariage. Madame c'est Valere, Qui de la part du Duc entretient⁎ vostre Pere. Pour vous le pouvoir dire, il faudroit deviner. C'est ce qui comme vous me tient fort en cervelle. Vous voulez m'obliger⁎ à parler de Carlos ! Advoüez-le, Madame. J'aurois perdu le sens⁎, si j'en disois du mal, C'est un fort honneste homme, il est fort liberal⁎, Il merite⁎ beaucoup. Avecque des transports⁎ qu'on ne peut exprimer. Oüy, je l'ay dit, Madame, & fort adroitement ; Mais votre amour bizarre⁎ a droit de me surprendre, Vous craignez qu'il le sçache, & luy faites apprendre : S'il en sçait un peu moins, en ferez-vous bien mieux, Les esprits⁎ des Amans sont bien capricieux. Helas tout est perdu, Possible il s'est douté de vostre intelligence⁎, Dedans ce cabinet entrez en diligence⁎. Ah Seigneur ; ah Madame… J'ay veu… J'ay veu, j'ay veu… J'ay veu marcher un mort. Rien n'est plus veritable, Il marche sur mes pas ce Fantosme effroyable. Je l'entends, je le voy ce spectre que je fuys. **** *creator_quinault *book_quinault_fantomeamoureux *style_verse *genre_tragedy *dist1_quinault_verse_tragedy_fantomeamoureux *dist2_quinault_verse_tragedy *id_fabrice *date_1657 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_fabrice De grace cher amy, laissons les complimens, Je suis persuadé de tes bons sentimens. Tu sçais donc à quel point le destin m'est propice, Mon hymen⁎ est conclu, l'on vient de l'arrester, Et sans doute-tu viens pour m'en feliciter. Je suis certain que c'est ce qui t'ameine, Tu viens pour prendre part à mon ravissement, Aprens que nos desirs estoient d'intelligence⁎, J'allois t'en apporter l'advis⁎ en diligence⁎, J'ay crü que mon bon-heur⁎ ne t'estoit pas connu, Et je n'attendois pas de me voir prevenu. A ta rare amitié je suis trop redevable. Comment, quel interest en ce lieu t'a fait rendre. Sçache aussi quand le sort⁎ me fait quelque advantage⁎, Que Carlos le redouble alors qu'il le partage, Et qu'il diminuëroit si tu n'y prenois part, Mais de nostre maison qui peut sortir si tard. Quoy, que veut-elle ? Que veut-elle ? achevez. Je connois⁎ sa tendresse, & je sçay mon devoir, Je vais avec Carlos luy donner le bon soir. Entrons… Mais qui vient m'arrester ? Ô Ciel c'est une femme, C'est à moy qu'elle en veut, demeure ; D'où vient qu'elle s'esloigne alors que je m'avance. Dans l'espoir que c'est moy que vous venez chercher, Ne vous offensez pas si j'ose m'approcher. J'ay le cœur assez bon, & l'ame assez civile⁎ Pour m'estimer heureux si je vous suis utile ; Pour m'engager, Madame, à l'offre que je fais D'employer tous mes soins⁎ au gré de vos souhaits. Il suffit que du Ciel vous ayez l'advantage⁎ D'estre de ce beau Sexe à qui tout doit hommage, Si je puis, toutesfois, sans importunité Apprendre vostre Nom, & votre Qualité, Vous accroistrez mon zele, en me tirant de peine. Climene, ma Maistresse⁎, est-il croyable, ô Cieux ? Quel sort⁎ t'a pû conduire à telle heure en ces lieux, Tu redoubles ma crainte & mon inquietude, Plus ta voix m'esclaircit, plus j'ay d'incertitude, Loin de sortir d'erreur j'entre en de nouveaux soins⁎, Et j'estois plus heureux lors que j'en sçavois moins ; Quel dessein est le tien, je ne le puis comprendre ! Quoy, qui peut maintenant troubler nostre heureux sort⁎, Lors qu'ainsi que nos cœurs, nos parens sont d'accort. Ah Climene je crains… Ce discours est cruel autant qu'il paroit doux, Quoy vous me conseillez de m'esloigner de vous, Je sçaurais mal aymer si je pouvais m'en taire : Dites tout, avoüez que vostre amour s'altere, Que mon reste d'espoir se doit évanoüir, Et que les feus⁎ du Duc ont sçeu vous esbloüir ; Je voy bien que ma flamme⁎ icy vous importune, Que vous quittez l'Amour pour suivre la Fortune⁎, Et qu'avec tous ses fers Fabrice infortuné Plaist moins à vos beaux yeux qu'un captif couronné ; Je n'accuseray point cette rigueur insigne, Vous me privez d'un bien dont je n'estois pas digne, Et recevant un Sceptre offert à vos beautez, Vous obtenez bien moins que vous ne meritez⁎ ! Reignez, rien n'est honteux pour prendre un Diadëme ; Et comme je vous ayme encor plus que moy-mesme, Je tiendray dans ma mort mon destin assez beau, Si je vous laisse au thrône en entrant au tombeau. Ah ! Climene il suffit, mon ame qui t'adore, Quand tu l'abuserois te voudroit croire encore, Et quoy que le mensonge ait de noir & de bas, En sortant de ta bouche il auroit des appas⁎ ; Mais d'où vient quand pour moy tu fuis une Couronne, Que tu veux que je parte & que je t'abandonne ? Quoy je te laisserois au pouvoir d'un rival, Non ce cruel remede est pire que le mal : Souffre⁎ mon desespoir ou souffre⁎ ma presence, Qu'importe qui me tuë, ou le Duc, ou l'absence. N'accrois point mes ennuis⁎ avecque tes douleurs, Tout mon sang ne vaut pas les moindres de tes pleurs, Et les maux dont je sens mon ame menacée Sont desja trop payez d'une larme versée. Hé bien ! hé bien Climene il y faut consentir. Climene ; elle me fuit, ô destin déplorable ! Je suis inconsolable, Il faut mourir Carlos, puisqu'il faut m'absenter. Me vouloir abuser, c'est mal me secourir, C'est irriter mon mal, & non pas le guerir, On ne peut trouver l'art de me rendre invisible. Que ne te dois-je point ? quelle reconnoissance… Ne te mets point en peine. Je vais de cét advis⁎ faire part à Climene ; Mais qu'est-ce que j'entens C'est le Duc, la fureur me rend tout interdit⁎. Il faut nous éclaircir, approchons doucement. Amant qu'entend-je, ô ciel ? Le puis-je croire, ô Ciel, suis-je point enchanté. O trop heureux Rival ? Je le connoissois⁎ mal. Que je suis miserable. Ne jurez pas, ame ingrate & sans foy⁎, Il n'en est pas besoin, perfide je vous croy. En vain je ferois resistance. Je vois le jour⁎, Seigneur, & j'y trouve des charmes, Puis qu'à vos yeux ma vie épargne quelques larmes ; Ce n'est pas qu'outragé du sort⁎ & de l'Amour, L'on ne me fît faveur de me priver du jour⁎, Mais bien qu'on m'obligeat⁎ dans l'estat où j'ay l'ame, D'esteindre avec mon sang tout ce que j'ay de flamme⁎ ; Et que ce sang versé rendit mon sort⁎ plus doux, J'ayme à le conserver, parce qu'il vient de vous. C'est un témoin bien faux qu'une belle apparence, Je m'asseurois trop bien de sa perseverance, Et croyois mesme encor ses desirs innocens⁎, Si je pouvois douter du rapport de mes sens : J'ay de sa perfidie un trop seur témoignage, J'ay de sa propre bouche appris qu'elle est volage, L'ingrate entretenoit⁎ mon Rival fortuné⁎, D'un air si peu commun & si passionné, Que le respect du Duc, ny les soins⁎ de ma vie, De marquer mon dépit n'ont pû m'oster l'envie : Le Duc aux premiers mots plein de haine & d'amour A donné l'ordre exprés de me priver du jour⁎ ; Et connoissant⁎ alors ma deffence inutile, Sous un portail obscur j'ay cherché mon azile, Tandis⁎ qu'un inconnu marchant de ce costé Que l'on a pris pour moy parmy l'obscurité, S'est trouvé tout à coup environné de Gardes, Et s'est senty percer de coups de Hallebardes. Dés que ces assassins ont esté retirez Pour tirer de peril mes jours⁎ mal asseurez, Et rendre cette erreur encor plus vray-semblable, J'ay pris l'habit sanglant de ce corps déplorable ; Et j'estois déja prest à luy laisser le mien Dans le courant du fleuve ayant jetté le sien, Alors qu'un bruit de voix traversant⁎ mon envie, M'a fait laisser ce corps sans habits & sans vie, Pour me rendre en ces lieux prés de vous promptement, Et vous donner advis⁎ de cét évenement. Mais quoy ! quitter Climene. Je suis tousjours Amant, quoy qu'Amant mal-traitté, Elle a moins d'injustice encor que de beauté : Son crime dans ses yeux n'a rien mis d'effroyable, Elle cesse d'aymer sans cesser d'estre aymable ; Et mon cœur qu'elle charme & qu'elle a sçeu trahir, S'est trompé s'il a creu qu'il la pouvoit hayr. Et ce que j'apprehende. Mais Seigneur. Ma sœur. Seigneur… J'ay rencontré le Duc auprés de nostre porte, Il suivoit un flambeau qui m'a pû faire voir, J'oy du bruit, il me suit, allez-le recevoir. Suivez-moy donc ma sœur, qui peut vous retenir. Je n'y contredits point, dépeschons-nous d'entrer. Seigneur… Grace aux soins⁎ de Carlos, & malgré le destin, J'ose esperer de voir Climene en ce jardin, Mais pour cacher à tous cette estrange aventure, Couvrons de cette Mine avec soin l'ouverture : Ces caisses pourront rendre avec ces rameaux verts Cette mine invisible, & ces débris couverts, Il ne me reste plus que de chercher l'ingrate, Devant qui je pretens⁎ que mon dépit éclate ; Je luy veux reprocher mes services passez, Son Amour inconstante, & ses sermens faussez, De peur que mon trépas lui donne de la joye, Afin de l'affliger, je veux qu'elle me voye, Et que l'ingrate icy m'entende protester, Que je veux vivre encor, mais pour la détester. Je la voy, je la voy, cette belle inconstante, Mais helas je la voy, pasle, froide & mourante : A ce funeste⁎ objet⁎, qui me rend interdit⁎, Une tendre pitié succede à mon dépit ; Et si cette pitié que son mal-heur⁎ me cause, N'est pas encor amour, il s'en faut peu de chose : Climene ! beau sujet de mon feu⁎ renaissant, Jette encor sur Fabrice un regard languissant, Malgré tout mon dépit, malgré ton inconstance, Je n'ay point contre toy souhaité de vengeance. Reviens, & si tu veus que je ne vive pas, D'un regard tout au moins honore mon trespas : J'entens quelqu'un marcher, cachons nous sans l'attendre. Si j'entrois dans la Mine, on pouroit me surprendre. Approchons, j'apperçoy le Duc qui se retire, Ma peine est dissipée, & Climene respire ; Mais Dieu ! qui vient encore icy me traverser⁎. Approchons, c'est Jacinte, Pour elle il ne faut pas me faire de contrainte⁎. Il faut qu'il s'accomplisse. Contentez-vous ? voyez, le mal-heureux⁎ Fabrice. Vous me fuyez ingratte & perfide beauté, C'est faire aller trop loin vostre legereté : Si sur vostre ame encor quelque justice regne, Apres m'avoir trahy, souffrez⁎ que je me plaigne. Je suis ce mesme Amant, qui contre vostre envie, En perdant tout espoir n'a pû perdre la vie, Oüy ! oüy, je vis encore, & malgré mon courroux, Ingratte je crains bien de vivre encor pour vous : Je ne sçay qui s'oppose au dépit qui m'inspire, Qu'au lieu de murmurer, je sens que je soûpire, Et que toute l'ardeur qui me reste en ce jour⁎ Ressemble beaucoup moins au dépit qu'à l'amour. Fidelle ! ah c'est au Duc que ce discours s'adresse, Il doit seul esperer toute vostre tendresse. Ce sont des veritez, si j'en croy vos sermens, Je douterois encor de ce malheur extréme, Si je l'avois apris d'autre que de vous-mesme. Pour un Amant dont l'ame aux soupçons s'abandonne, La plus mauvaise excuse est toujours assez bonne ; Un mensonge qui plaist trompe agreablement, Et tout ce qu'on souhaitte est creu fort aisément : Quand toutes tes raisons seroient des raisons feintes, Il est si doux pour moy de voir finir mes craintes, Et flatter⁎ les ennuis⁎ que tu m'as sceu causer, Que tu m'obligerois⁎ de vouloir m'abuser. Que dois-je… Le destin m'a fait grace, Un passant a pery dans la nuict en ma place ; Et cette mine encor m'a donné le moyen Du logis de Carlos de passer dans le tien. Si je ne suis trompé, Jacinte icy s'avance, De ma chere Climene elle a la confidence ; De tout point aujourd'huy le sort me sera doux, Si je puis l'obliger⁎ à partir avec nous. Arreste… Qu'enten-je ? il faut sçavoir les secrets jusqu'au bout, Ne me déguise rien, aussi bien je sçay tout. Esprit⁎ pernicieux… Quelle infidelité… Il me seroit honteux de punir une femme : Allez… Le Duc doit enlever Climene cette nuict : Ciel ! mon espoir encor doit-il estre destruit ; Mais d'une vaine⁎ peur mon cœur se laisse atteindre, Puis que je suis aymé, je n'ay plus rien à craindre. Allons, souvenons-nous qu'il n'est rien d'assez fort Pour des-unir deux Cœurs que l'Amour met d'accort ; Et qu'augmentant sa force au milieu des obstacles, Ce Dieu sçait tousjours l'art de faire des miracles. Fin du troisiéme Acte. Voicy l'heure propice où j'espere de voir La beauté dont mon cœur adore le pouvoir : Des-ja l'Astre du jour⁎ achevant sa cariere, Ne lance plus icy qu'une foible lumiere ; De ses derniers rayons il pare l'Occident, Il tombe avec éclat, il brille en se perdant ; Et le reste brillant de sa clarté mourante, Rend sa cheutte pompeuse, & sa perte éclatante. Pardonnez, ô Soleil ! dont la splendeur me nuit, Si mon espoir s'accroist quand vostre éclat s'enfuit : L'amour ingenieux assemble pour ma peine Tout l'éclat qui me charme aux beaux yeux de Climene ; Et bien-tost ses regards me rendront des clartez, Qui passent de beaucoup celles que vous m'ostez ; Mais qu'elle tarde ! ô Ciel, qu'elle a de negligence, Elle ne paroist point, & la Lune s'avance ; Tout mon espoir des-ja s'esteint avec le jour⁎, Ce long retardement marque un defaut⁎ d'amour ! On marche, & si mes yeux sont des tesmoins fideles, Je voy venir enfin ce miracle des Belles. Il n'est pas loin, beau sujet de mes feux⁎ ? Ce Fabrice fidele autant qu'il est heureux. Pour Fabrice en effet croy que de tes beaux yeux Le joindre esloignement est beaucoup ennuyeux⁎ ; Je t'attendois plustost, & pour ne te rien feindre, J'avois dessus ce poinct resolu de me plaindre ; Mais pour tout oublier, il suffit de te voir, De me plaindre à tes yeux, je n'ay pas le pouvoir ; Et le plaisir present qui flatte⁎ ma pensée M'oste le souvenir de ma peine passée. Il faut de ces discours remettre ailleurs la suitte, Achevons nos desseins, & hastons nostre fuitte ; Du sort injurieux je crains encor les coups, On s'y doit moins fier, lors qu'il paroist plus doux. Je mourray plustost que me cacher, On veut te faire outrage, & je dois l'empescher ; Je suis bien averty que le Duc se prepare A te faire enlever par un ordre barbare. Quoy souffrir⁎ qu'on t'enleve, & mesme en ma presence, De quoy donc si long-temps peut-elle discourir ; Mais Dieux le Duc l'emmeine, allons la secourir. Esteignons la lumiere. C'est Fabrice qui vient vous arracher Climene. Sauve-toy ma Climene, ou laisse moy perir. Climene est esloignée, allons suivre ses pas. C'est Jacinte, & Climene est sans doute avec elle. Climene c'est Fabrice, arreste écoute moy. Le Duc à qui mes soins⁎ viennent de t'arracher, Sans doute en ce moment s'employe à te chercher ; Ne perdons point de temps pour fuir sa violence, Au logis de Carlos passons en diligence⁎ : De plus, je crains ma sœur, car chez mon Pere au soir, Elle me témoigna qu'elle viendroit te voir ; S'il faut qu'elle me voye, au mesme instant mon Pere, Qui me croit desja loin, apprendra le contraire, Ce n'est pas que ma sœur soit fine au dernier point, Elle est fort innocente⁎, & ne me nuira point ; Mais elle a le deffaut de ne pouvoir rien taire. C'est ma sœur Isabelle ? ah quel est mon mal-heur⁎. Helas j'en ay trop dit, ma sœur Excuse d'un Amant la foiblesse & les craintes, Si ton cœur ressentoit de pareilles atteintes⁎, Tu sçaurois que le Dieu qui preside aux amours, Est un enfant timide⁎, & qui tremble toûjours. Ah c'est avoir pour moy des sentimens trop doux. Je suivray ton advis⁎, sors de cette demeure, Et t'en vas chez Carlos, je te suis tout à l'heure. Ma Climene… Hastons-nous, mais je crains que dans l'obscurité, Tu n'entres dans la Mine avec difficulté. Par quels remercimens. Enfin des mains du Duc nous sommes délivrez. Ah funeste⁎ rencontre. Le soin⁎ de mon salut vous donne trop de peine, J'ayme le jour⁎, Seigneur ; mais bien moins que Climene. J'en avois un autre ordre ; De l'Amour. Ah Seigneur, la raison m'avoit abandonné, Et pour pouvoir partir j'estois trop enchaisné. Ma Climene est constante autant comme elle est belle ; D'un injuste soupçon j'avois l'esprit⁎ frappé, Elle est preste à me suivre, & je suis detrompé. Il n'est rien qui demain puisse arrester nos pas ? Seigneur, je vous le jure, Si vous ne le croyez vostre erreur est extréme ? Qui peut nous arrester. Vous, Nostre malheur est grand : J'obeys comme fils ; j'obeys comme amant. Ciel ! faut-il que tousjours & je craigne & j'espere : Et qu'un amour si juste ait le sort si contraire ; Le Duc ayme, on l'abhore ; & je reconnois bien Que je dois craindre tout de qui n'espere rien ; Et que sur toute chose il est dangereux d'estre Concurrant de son Prince & rival de son Maistre ; Mais quoy ! n'entend-je pas icy quelqu'un marcher, Qui tesmoigne de moy se vouloir approcher. C'est Fabrice, J'entends la voix du Duc qui m'est assez connuë. Je n'en douteray plus pour peu qu'il continuë ; Seigneur Duc, c'est donc vous ? Il me croit tousjours mort, profitons de l'erreur ! Duc, vous avez sujet de craindre ma fureur, Vostre sort maintenant se trouve en ma puissance, Rien ne vous peut soustraire au cours de ma vengeance, Je puis sacrifier tout vostre sang au mien ; Mais vous estes mon Prince, & je n'en feray rien ; J'abore l'injustice, & malgré ma colere, Seigneur, j'ayme encor mieux la souffrir⁎ que la faire. Puis que vous l'ordonnez, Seigneur, je vais parler. Sçachez qu'il m'est permis de ne vous rien celer, Que vous ne sçauriez voir la fin de cette peine, Que vous n'ayez devant⁎ cessé d'aimer Climene. C'est aymer en tyran, que d'aymer de la sorte. Qui peut perdre l'objet⁎ peut perdre aussi la flame⁎, Ce que l'on oste aux yeux s'oste aisément de l'ame : De nostre volonté l'Amour tient son pouvoir, Et pour cesser d'aymer on n'a qu'à le vouloir : Pour perdre tous ses feux⁎, perdez toute esperance, Et cedez pour jamais Climene à ma constance. L'espouser, Qu'ais-je dit, Il feint pour me connoistre⁎, & pour me perdre aprez. Ciel où suis-je reduit. Avant que l'on apporte de la lumiere, Avançons vers ce mur & nous cachons derriere. Vous me voyez vivant Prince trop genereux, Tenez vostre parole & me rendez heureux ! J'attends de vos serments l'effect à vos genoux. **** *creator_quinault *book_quinault_fantomeamoureux *style_verse *genre_tragedy *dist1_quinault_verse_tragedy_fantomeamoureux *dist2_quinault_verse_tragedy *id_climene *date_1657 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_climene Cette voix que j'entends est celle de Fabrice, Je ne pouvois sortir dans un temps plus propice. Sors d'erreur, cher Fabrice, & reconnois⁎ Climene. Laisse-moy donc parler, je m'en vais te l'apprendre. Je ne te diray point combien dans un moment L'on m'a donné de joye & de ravissement, Lors qu'on m'a fait sçavoir que dans cette journée⁎ Nos parens ont enfin conclu nostre hymenée⁎, Mon amour dont tu dois garder le souvenir, Doit m'exempter du soin⁎ de t'en entretenir⁎, Et m'oblige⁎ à te faire un recit veritable Beaucoup plus important, & bien moins agreable. Ce n'est pas d'aujourd'huy que l'Amour s'accoûtume A mesler ses douceurs de beaucoup d'amertume, Ceux qu'il flate⁎ d'abord sont heureux rarement, Sa malice est égale à son aveuglement, Et comme la Fortune⁎ il a pris l'habitude De n'avoir de certain que son incertitude : C'est une verité qu'en cét évenement, Tu ne vas concevoir que trop sensiblement : Un jour⁎ le plus funeste⁎ entre ceux de ma vie, Où mon Pere accablé d'âge & de maladie, Receut le triste honneur de se voir visité Par le Duc de Ferrare en cette extremité, Ce prince me connut⁎, & crut voir quelques charmes Sur mon visage pasle & tout couvert de larmes, Mes yeux pleurent aux siens, pour nos communs mal-heurs⁎, Et sa flamme⁎ nâquit des sources de mes pleurs. Cette crainte m'offence, Mon ame toute entiere estoit en ta puissance, Je te l'avois donnée, & cette passion N'a jamais exité que mon aversion : Si j'ay caché ce feu⁎, tu ne dois pas t'en plaindre, Avant qu'il fut connu j'esperois de l'esteindre, Et j'aurois peine encor à te le reveler, Si ton propre interest ne me faisoit parler : Sur le bruit qui s'espend de nostre mariage, La passion du Duc s'est convertie en rage, Il m'est venu trouver dans son premier transport⁎, M'a juré que mon choix est l'Arrest de ta mort, Que l'amour l'empeschant de me punir moy-mesme, Qu'il croira faire plus en perdant ce que j'aime, Et que pour me punir avec plus de rigueur, Il ira me chercher jusqu'au fonds de ton cœur ; Enfin connoissant⁎ bien que son unique envie Est d'ataquer mes jours⁎, en ataquant ta vie, Conduite par l'amour & plus par la terreur, Je viens te conjurer d'éviter sa fureur ; Fuis d'icy, quelque soin⁎ pour moy qui t'y retienne, Et pour sauver ma vie, enfin sauve la tienne. Peus-tu m'aimer Fabrice, & le pouray-je croire, Quand tu ne me crois pas digne de cette gloire, Et quand, par des soupçons que tu devrais banir, De ma fidelle amour tu perds le souvenir. Peus-tu bien ignorer avec quelque justice, Que j'aime beaucoup moins un Sceptre que Fabrice, Et trouve plus de joye en partageant tes fers, A regner sur ton cœur qu'à regir l'Univers. Il faut de deux perils songer au plus pressant, Icy ta perte est seure, & tu peux vivre absent, Songe qu'à quelque peine ou nostre amour te livre, Tu ne sçaurois mourir sans m'empescher de vivre, Qu'avecque tes destins mes jours⁎ seront finis, Qu'au cercueüil par la mort nous serons réunis ; Qu'où je ne te voy pas, je ne voy point de charmes, Et si tu ne m'en crois, du moins crois-en mes larmes. Quite ces vains⁎ discours, & consens à partir ? J'ay lieu d'estre affligée autant que satisfaite, Je crains plus ton depart, que je ne le souhaite ; Et je t'arresterois, je t'en donne ma foy⁎, Si je le pouvois faire, & n'exposer que moy : Separons-nous ; mais quoy, cette image funeste⁎ Me dérobe desja la force qui me reste. Espargne moy de grace, en partant de ce lieu, Le danger de mourir en te disant adieu. Que peus-tu souhaiter, où viens-tu cher Amant. J'ay sujet de me plaindre, A ma priere un soir ne peus-tu te contraindre⁎, Je t'excuse pourtant, & je veux presumer Que l'on se contraint mal, quand on sçait bien aimer, Et ne veux pas nier que mon ame charmée Ne peut se plaindre icy que d'estre trop aimée. Tu ne sçaurois douter de cette verité, Quand je veux m'irriter je sens que je m'abuse, Mon ame se défend quand ma bouche t'accuse. Tu connois⁎ mon amour. Quoy, tu ne respons rien, doutes-tu de ma flamme⁎, Crains-tu qu'un autre objet⁎ te chasse de mon ame, Quoy qu'il puisse arriver, sois certain que tousjours Mon amour & ma vie auront un mesme cours, Que de ne t'aimer plus je me trouve incapable. Qui t'oblige⁎ tout bas encor à murmurer, Faut-il quelques serments pour mieux t'en assurer, Si tousjours mon amour ne fait toute ma gloire, Si tu n'occupes seul mon cœur & ma memoire, Que le… La force me deffaut, Jacinte soûtiens moy. Qu'on me laisse un moment seule icy ! Que chacun se retire, & vous Jacinte aussy ! Sortez, sans achever le reste, Ne prononcez jamais ce nom que je déteste. STANCES. Toy qui fais l'impossible avec facilité, Guide errant & sans yeux, enfans sans innocence⁎, Tirant des cœurs amour, qui t'es tousjours vanté, Que la mort cede à ta puissance. Contre elle de tes droits viens donner connoissance⁎, Ou permets qu'à ces traits je puisse recourir, Fais revivre Fabrice ; ou laisse moy mourir. Les objets⁎ les plus doux, loin de me divertir⁎, Accroissent de mes maux la rigueur & le nombre, Le Soleil qui me luit ne sert qu'à m'advertir, Que Fabrice n'est plus qu'une Ombre. Les lis me semblent noirs, & la Verdure sombre, Et la plus vive Rose, en ce fatal moment, Paroist tainte à mes yeux du sang de mon Amant ! Cher Amant, triste Objet⁎ de mes cris superflus, Dont l'image est sans cesse en ma memoire errante, Ne me reproche point, si quand tu ne vis plus Je demeure encore vivante. La mort m'auroit rejointe à ton Ombre sanglante, Si j'avois pû finir ma vie & ma langueur, Sans faire encor perir Fabrice dans mon cœur. Ton Rival animé du barbare dessein, De terminer ton sort, qui luy faisoit envie, Ne frappa que mon cœur, lors qu'il perça ton sein⁎, Et n'attentat que sur ma vie. Sa fureur est trompée, au lieu d'estre assouvie, En tranchant tes destins, il a trahy ses vœux ; Car je meurs dans ta cendre, & tu vis dans mes feux⁎. Et tu vis dans mes feux⁎ ! ah que dis-je insensée, Ton image vivante en mon ame est tracée, Mais ces traits immortels qui me flatent⁎ si fort, Sont les traits de Fabrice, & de Fabrice mort ! Estoit il raisonnable, injuste destinée, Que la mort l'attendit si pres de l'himenée ? Mais ne raisonnons point en de si grands mal-heurs⁎, Etouffons nos sanglots, interdisons nos pleurs, Et pour de nos ennuis⁎ envenimer l'atteinte⁎, Ne nous accordons pas l'usage de la plainte. Nourrissons notre deüil, & par des soins⁎ prudens, De peur de l'affoiblir, renfermons-le dedans, Signalons nos regrets, mieux qu'avec la parole : Lors qu'on a tout perdu, qui se plaint, se console ? Oüy, cher amant, pour mieux déplorer ton trespas : Mais quel bruit effroyable enten-je sous mes pas, Pour me joindre à Fabrice, il semble qu'un tonnere Se prepare à sortir du centre de la terre ? Ciel ! le bruit se redouble, & par des coups nouveaux Je sens que sous mes pieds on creuse des tombeaux, Je voy tomber les fleurs, deraciner les plantes, Des arbres les plus forts, les souches sont tremblantes, Fuyons, mais je ne puis, la peur me le deffend, Dieu le desordre augmente, & la terre se fend ? O Ciel ! Fabrice en sort, la force icy me laisse, Je n'en puis plus, je meurs de crainte & de foiblesse. Helas… C'est donc toy, cher Fabrice, Fantosme que j'adore, Ombre de mon Amant ? Que veux-tu… Viens-tu me reprocher d'une vois inpreveuë, Que tu verrois le jour⁎, si tu ne m'avois veuë, Et que de nostre Amour, le feu⁎ jadis si beau Brilla pour t'éclairer à descendre au tombeau. Dis moy donc cher Amant le sujet qui t'ameine Viens-tu soliciter, & mon cœur, & mon bras, De differer ma mort pour vanger ton trépas ; Veux-tu que cette main, au sang du Duc plongée, Rende ma perte juste, & la tienne vangée ! Parle, parle ? hé bien par un illustre effort Il sera hors d'estat de rire de ta mort ; Au milieu de sa Cour, aux yeux de tout Ferrare, J'iray percer le cœur de ce Prince Barbare. Que vois-je… Quel accident funeste⁎, & quel crüel destein, Au lieu de mon Amant, m'offre son assassin, Seigneur, souffrez⁎ ce mot d'une Amante offencée, Qui de vous respecter doit estre dispensée. Quoy vous n'estes donc pas assouvy plainement, D'avoir sceu me priver d'un Noble & cher Amant, Et par ces cruautez sans exemple & sans nombre, Vous venez donc encor me priver de son Ombre. A ce compte il faudra que je vous rende grace De m'avoir exposée aux dernieres disgraces⁎, D'avoir crüellement fait perir à mes yeux L'objet⁎, sans qui pour moy le jour⁎ est odieux ; D'avoir ravy mon ame, à la sienne assortie, Et percé de mon cœur la plus chere partie : De vos pretentions⁎ vous estes esloigné, Et perdant un Rival, vous n'avez rien gagné, Et l'art que vous mettez à le noircir de blâme, Ne sçauroit l'empescher de vivre dans mon ame ? Quand ce mort que je sens vivant dans mes esprits⁎ M'eust autant témoigné de haine & de mépris, Que vous montrez d'amour & de respect encore, Je l'eusse autant aimé, comme je vous abhorre. Le temps n'a point pour moy de remede assez fort, Mon mal n'aura jamais de terme que ma mort. Quoy celuy de Fabrice ? C'est mon dernier souhait. Quoy, Jacinte me laisse ? Moy vous trahir ? qu'entens-je, en quel estonnement⁎ Me met la nouveauté de cét evenement ; S'il faut croire mes yeux dedans cette rencontre, C'est Fabrice vivant que ce hazard me monstre ; Mais si j'en croy sa voix, ce n'est assurément Qu'un Fantosme trompeur d'un si fidelle Amant. A ce dernier aveu je reconnois⁎ Fabrice, En secret, malgré luy son cœur me rend justice ; Et quand sa bouche injuste oze me condamner A me croire fidelle, il semble s'obstiner. Peux-tu bien m'imputer ces lasches sentimens ! D'un mal que l'on connoist⁎, le remede est aisé, Je connois⁎ ton erreur, cesse d'estre abusé ; Si dans le dernier soir, second en infortune⁎, J'ay marqué pour le Duc des bontez peu communes, J'ay creu t'entretenir⁎, & dessus cette foy⁎, Ce que j'ay dit pour luy ne s'addressoit qu'à toy : Ton image qui sçait avecque tant de gloire Occuper tous mes sens mon cœur et ma memoire, Fut seule criminelle en ce fatal moment, Si c'est crime en amour qu'un peu d'aveuglement. De ces lasches soupçons que ton cœur se délivre, Si tu veux t'esloigner, je suis preste à te suivre ; Tu connoistras⁎ par tout l'equité de ma foy⁎, Soit qu'il me faille vivre ou mourir avec toy ? Que le Ciel favorise ou trompe nostre attente, Je vivray satisfaite, & je mourray contente. Tu ne dois aucuns remerciements, En suivant tes desirs je suis mes sentimens : Mais qui t'a pû sauver. Tu peux entretenir⁎ icy tes resveries, Cependant que j'iray prendre mes pierreries ? Passe sous ce berceau, je crois oüyr du bruit, Je te viendrai trouver si-tost qu'il fera nuict. Fabrice ?... Auprés de toy plustost j'esperois de me rendre, Je crains de t'avoir fait ennuyer⁎ de m'attendre. Puis que l'amour te force à ne pas m'accuser, La mesme passion m'oblige⁎ à m'excuser. Le soin des Diamants dont je me suis chargée, A ce retardement ne m'a pas engagée ; Le soin⁎ de prendre un temps propre à nostre départ, A pû seul m'obliger⁎ à te joindre si tard. Hastons-nous, j'y consens, mais que vois-je paroistre, Je crains que ce flambeau ne te fasse connoistre⁎? Cache toy… Non, si tu t'apperçois de quelque violence ; Avance à mon secours, cependant cache-toy, Et ne me laisse encor à craindre que pour moy. Que cherchez-vous, Valere, en ces lieux à telle heure ? De qui vous vient cét ordre ? Tout Souverain qu'il est il doit pourtant sçavoir Que l'ame de Climene est hors de son pouvoir ; Mon cœur dépend d'un autre, & quoy qu'il puisse dire, Ce n'est pas un sujet qui soit sous son Empire⁎. Croit-il se faire aymer, comme on se fait hayr ; Perdant la liberté, pense-t'il que je prenne Pour des effets d'amour tant de marques de hayne ; De son inimitié, que peut-on redouter, Si quand il m'ayme il cherche à me persecuter. Je rendrois grace au Duc d'un adveu si propice, Si je pouvois flatter⁎ l'ennemy de Fabrice. Ce bruit n'a rien de faux, il est vray qu'en ces lieux Fabrice apres sa mort s'est offert à mes yeux. Ah ! Seigneur, ce n'est pas ce que je vous demande. Il n'en est pas besoin. Au lieu de m'obliger⁎ vostre dessein me blesse, Mes desirs de ce soin⁎ dispensent vostre Altesse. Non, Seigneur, deffendez qu'on me suive, La vision m'en plaist, & je crains qu'on m'en prive. S'il ne tient qu'à changer de logis pour vous plaire, Dés ce mesme moment je veux vous satisfaire ; Le logis de Carlos au mien se trouve joint. Seigneur, cette priere est un commandement ; De le suivre en ce lieu je ne puis me deffendre, Puis qu'aussi bien Fabrice a dessein de s'y rendre : Fabrice, à quel danger es-tu venu t'offrir ? Mes jours⁎ sont en peril lors que tu te hazardes⁎ ; Je m'esloigne, suis moy. Fabrice, est-ce toy… Ah ma peine est extréme. Ah, Seigneur, quel mal-heur⁎ est le mien. Fabrice est en ces lieux, s'il alloit le treuver, Il seroit impossible apres de le sauver ; Carlos, si vous l'aimez, destournez ses disgraces⁎, Pour rejoindre le Duc, marchez dessus ses traces, Afin de l'éloigner, il le faut avertir, Que de ce lieu fatal je suis preste à sortir ; Et qu'enfin j'ay promis icy de vous attendre, Pour en vostre logis avecque vous me rendre. La fortune⁎ pour moy n'est pas assez propice, Pour souffrir⁎ qu'à present je rencontre Fabrice, Avecque trop d'ardeur son couroux me poursuit, Pour m'accorder ce bien : toutesfois, j'oy du bruit : Possible que l'Amour favorable à mes flames⁎, Guide icy mon Amant ; mais quoy, ce sont deux femmes, Elles m'ont apperceu, ou je m'abuse fort, Allons chercher Fabrice, & fuyons leur abord. Fabrice… Chacun est retiré, nous sommes seuls enfin, Et le Duc à present n'est plus en ce Jardin : Je viens d'oüir un bruit de gens qui se retirent, Achevons le dessein où nos souhaits aspirent ; Pressons notre retraite, & fuyons sans terreur, L'amour de ce Tyran pour qui j'ay tant d'horreur. Il faut de ce Jardin sortir d'autre maniere, Il m'est aisé d'ouvrir la porte de derriere : J'en ay pris dessus moy la clef secretement, Nous pouvons chez Carlos passer commodement, Et dés qu'il fera jour⁎ je seray preparée De suivre ta fortune⁎ en toute autre contrée. Hastons nous de sortir, Ne perdons point de temps, suis moy sans repartir. Ouy, Seigneur, je m'y suis engagée : Si son sort est changé, je ne suis point changée. Et Climene t'en prie. Voyons-nous pas le Duc. **** *creator_quinault *book_quinault_fantomeamoureux *style_verse *genre_tragedy *dist1_quinault_verse_tragedy_fantomeamoureux *dist2_quinault_verse_tragedy *id_jacinte *date_1657 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_jacinte Ouy, tout nous est propice, Ma Maistresse⁎ se trompe, & vous prend pour Fabrice, Elle m'a commandé d'ouvrir sans differer, Et son ordre m'excuse en vous laissant entrer, Ne perdez point de temps, mais je l'entends descendre, Ne parlez pas, sans doute, elle se va méprendre. Helas je meurs d'effroy. Ah ! Seigneur arrestez. N'entrez point au logis, si vous aymez Climene, D'une grande foiblesse elle revient à peine. C'est icy le jardin, Seigneur, où ma Maistresse⁎ Viendra dans un moment promener sa tristesse : L'ennuy⁎ que luy produit la mort de son Amant, Ainsi que sa santé trouble son jugement⁎, Encor que de son mal, le danger soit extresme, Elle marche & voudroit se fuir presque elle-mesme ; Je puis vous asseurer que bien-tost ses douleurs L'ameineront icy, pour pleurer ses mal-heurs⁎, Et vous la pourez voir sans témoins & sans peine, Pour peu que Vostre Altesse en ce lieu se promeine. Vostre Altesse, Seigneur, doit estre preparée Aux reproches sanglants d'une Amante éplorée ? A vous parler sans fard⁎, j'ay peine à presumer Que son cœur aisément se porte à vous aymer ; Mais vostre ame en ce point doit-elle estre incertaine, Servez-vous de la force, où la douceur est vaine⁎, Puisque tous vos desirs tendent à l'espouser : Ravissez un bon-heur⁎ qu'on veut vous refuser ? Enlevez cette Amante, aveugle & rigoureuse, Et malgré qu'elle en ait forcez-là d'estre heureuse. Vos raisons ne sont pas tout à fait legitimes, Nostre Sexe, Seigneur, a d'estranges maximes ; Souvent ce qu'il témoigne est ce qu'il ne sent pas, Il aime rarement le débris du trépas : Dans l'esprit⁎ d'une Amante, apres cette disgrace⁎, L'amour devient douleur, & la douleur se passe ; Et malgré ses sermens & ses cris superflus, La passion defaut⁎ lors que l'objet⁎ n'est plus ? Climene dans son cœur dés ce moment peut-estre Des cendres de l'amour sent l'ambition naistre, S'apreste à preferer, malgré son juste deüil ; Le possesseur d'un Trône au dépost d'un cerceüil ; Et possible des-ja de ses ennuis⁎ lassée, A cét eslection voudroit estre forcée. Seigneur, la voicy qui s'avance. Laissez-moy l'aborder ? passez dans cette allée. Madame… Mais si le Duc… Je vous l'avois bien dit, La douceur ne peut rien sur ce farouche esprit⁎. De peur qu'on ne vous voye, il faut la voir entrer Avant que de ces lieux je vous puisse tirer : Je vais y prendre garde, & tandis⁎ vostre Altesse Peut dans ces promenoirs divertir⁎ sa tristesse. Le funebre appareil à l'instant va passer. Oüy, de vostre Balcon dans ce mesme moment, L'on peut voir le cercuëil qui cache vostre Amant : Son Pere qui pretend⁎ rendre son deüil celebre, Honnore son trespas d'une pompe funebre ; Et tandis⁎ qu'on le porte au temple destiné, Vous pourrez voir passer ce corps infortuné⁎. Ciel contre ce Fantosme, où dois-je avoir recours, La fuitte en ce peril sera mon seul secours ! Où puis-je me sauver. Je ne reconnois⁎ plus que la peur pour Maistresse⁎. De ma derniere peur remise encor à peine, Je retourne en tremblant au logis de Climene ; J'ay fait perir Fabrice, & je dois bien juger Qu'il vient de l'autre monde afin de se vanger : Ma perte en ce moment seroit inévitable Si j'allois rencontrer ce spectre épouventable. C'est l'esprit⁎, bon Dieu je meurs d'effroy ! Ah ! Monsieur le Fantosme ayez pitié de moy ; Je reconnois ma faute, & je vous fais promesse De ne trahir jamais ny vous, ny ma Maistresse⁎. Ne me touchez dont point, je m'en vais vous tout dire ; Il est vray que tousjours j'ay tasché de vous nuire, Que pour servir le Duc j'ay fait tout mon effort, Et que mesme je suis cause de vostre mort. N'entrez point en furie, Ce n'est pas encor tout, écoutez, je vous prie ; J'oubliois que le Duc a, par mon sentiment, De Climene aujourd'huy conclud l'enlevement ; Et que ce mesme soir possible sans remise On doit executer cette injuste entreprise. J'ay tout dit mes forfaits, Trouvez bon maintenant que je vous laisse en paix ! Et sçachez que pour moy la peine est sans seconde, D'entretenir⁎ long-temps des gens de l'autre monde ; Si vous n'estiez point mort vous seriez assez bon Pour à mon repentir accorder mon pardon. Monsieur l'Esprit⁎, Dieu veüille avoir vostre ame. C'est Climene, approchez avec toute asseurence, Et souffrez⁎ qu'au logis je rentre en diligence⁎, Ma conduite & mes soins sont icy superflus. Dieu si j'allois trouver l'esprit⁎ que je redoute. Quoi moy ? Dieu m'en veuille garder, Je sçay bien mon devoir, quoy que fille grossiere, Madame c'est à vous de passer la premiere : Ah ! si l'esprit⁎ venoit punir ma trahison. Hélas ! ce n'est pas sans raison. Elle me laisse seule, ah ma perte est certaine, Madame, où courez-vous ? Vous deussiez vous fascher, vous ne la suivrez pas. Parce que je vous ayme, Vous seriez en peril, si vous alliez plus loin, Votre salut m'est cher, & j'en veux prendre soin. Non, sçachez une chose incroyable, Il revient en ces lieux un esprit⁎ effroyable. Non, il n'est point plaisant. C'est plûtost un esprit⁎ malin & mal-faisant. Mes yeux, Madame, & je vous jure Que je l'ay veu vingt fois, sous diverse figure, Tantost en forme d'homme, & puis en Loup-garou, Et chaque fois tout prest à me tordre le cou. Je ne sçay, mais je croy qu'ils ont fait connoissance⁎, Ils s'accordent fort bien, mais je l'avois bien dit, En forme de Geant voicy venir l'esprit⁎. Elle approche, ah fuyons, sa rencontre est mortelle. **** *creator_quinault *book_quinault_fantomeamoureux *style_verse *genre_tragedy *dist1_quinault_verse_tragedy_fantomeamoureux *dist2_quinault_verse_tragedy *id_ferdinand *date_1657 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_ferdinand Faites ce que j'ay dit. Quelqu'horreur que Climene ait montré pour ma flamme⁎, Quelque reste d'espoir flate⁎ encore mon ame, J'ay gagné la suivante, & le viens de sçavoir Qu'elle veut m'introduire en sa chambre ce soir, On ouvre, est-ce Jacinte ? O trop heureux Fabrice ! Que je suis mal-heureux⁎. Ton trespas de bien prés suivra ton insolence ! A moy Gardes. Qu'on le suive et qu'il meure. Qu'il perisse, sa mort n'est que trop legitime, Un merite⁎ trop grand est souvent un grand crime ; En perdant ce Rival je puis tout acquerir, Et s'il ne perit pas mon espoir doit perir, Sçachons si le succez⁎ respond à mon envie. Tes soins⁎ sont superflus, Je suis vangé, Jacinte, & Fabrice n'est plus. Le sang que j'ay versé luy coûtera des pleurs, Entre je n'iray point accroistre ses douleurs, Je vais me retirer, vous cependant Valere, Du trespas de Fabrice avertissez son Pere, Et luy faites sçavoir que sa temerité, N'a receu que le prix qu'elle avoit merité. Fin du premier Acte. Je ne suis point déceu, Vostre fils est vivant, Alphonce je l'ay veu : Ayant sceu que Climene estoit évanoüye, J'ay voulu prendre soin d'une si belle vie ; Et conduit par l'amour j'allois en son logis, Alors que le hazard m'a fait voir vostre fils ; Je sçay qu'elle l'adore, & j'oseray vous dire Que son mal cessera si Fabrice respire ; Enfin je le souhaitte, & suis icy monté Afin de m'éclaircir de cette verité. C'est trop, j'ay de sa perte une asseurance entiere, Mais que faisoit Carlos en ce lieu sans lumiere. Il paroist interdit⁎. La mesme vision tantost m'est survenüe, Mais Fabrice a paru moins horrible à ma veuë, J'ay creu le voir vivant. Non, je vous en dispence. Je sçay ce qu'est un Pere, & qu'il n'est pas permis De rendre des devoirs à qui vous oste un fils. Ton soin⁎ accroist ma peine, & non pas mon espoir, Je brûle également, & je crains de la voir : Je brûle de la voir, quand je me represente De toutes ses beautez une image charmante ; Et quand ses déplaisirs me sont representez Je crains de rencontrer ses beaux yeux irritez ? Oüy, oüy, je crains de voir cette belle affligée, Me reprocher les maux où mes feux⁎ l'ont plongée, Dire que de mes soins⁎ sa haine est le seul fruit ; Et qu'avec mon Rival mon esprit⁎ est détruit. Moy l'enlever ! non, non, je n'y puis consentir, La force avec l'amour ne sçauroit compatir : Je voudrois estre aimé sans qu'elle fut contrainte⁎, Et qu'elle eut de l'amour sans avoir de la crainte ; Mais loin que son dédain cessast par cét effort, En devenant plus juste il deviendroit plus fort. La forcer à l'hymen⁎ & la faire enlever, Sont les derniers moyens que je veux éprouver, Avant que de tanter la moindre violence Je veux la voir. Voy comment elle resve, & comme ses pas lens Marquent de son esprit⁎ les troubles violens, On void sur sa pâleur sa tristesse étalée. Ah ! que j'ay de mal-heurs⁎ ! Je suivray ton conseil ! sortons en diligence⁎, Sa fierté s'accroistroit encor par ma presence. Je viens d'oüir des coups qui m'ont inquieté, Le bruit qui m'a surpris est fait de ce costé ? Avançons, j'apperçois Climene qui sommeille ; Mais, helas ! ô disgrace⁎ à nulle autre pareille ; Elle a perdu le jour⁎, & sous un voile épais Ses beaux yeux sont fermez pour ne s'ouvrir jamais. Par quelles Loix faut-il ! ô destin tyrannique, Qu'une beauté si rare ait un sort si tragique, Et que l'Astre naissant, dont mon feu⁎ s'est produit, Trouve dés son matin une eternelle nuit ; Mais, quelle est mon erreur ! ô merveille adorable ! Le sort est innocent, & je suis seul coupable, C'est un bras inhumain, qui par un coup fatal M'a ravy ma Maistresse⁎, en m'ostant mon Rival. Elle respire, Amour sois moy propice. Climene ouvrez les yeux. Sa douleur trouble son jugement⁎. Non, non, détrompez-vous, adorable Climene. Ce n'est que de vos yeux que mon cœur craint les coups ? Connoissez⁎ qui vous parle, & revenez à vous, L'excez de vos ennuis⁎ vous fait un tort extréme. Vous voyez un Prince qui vous ayme. L'ombre dont vous parlez n'est qu'une illusion, Que forme votre crainte, & vostre affliction, Et quand j'ay dissipé cette funeste⁎ image, J'ay creu vous faire plus de faveur que d'outrage : Quant à Fabrice mort, daignez vous souvenir Que c'est vostre interest qui me l'a fait punir, Le discours qu'il vous tint avec tant d'insolence, M'a porté justement à cette violence : Je vous eusse offencée en luy laissant le jour⁎, Et j'aurois moins osé, si j'eusse eu moins d'amour. Je ne condamne point ce juste emportement, S'il estoit mon Rival, il estoit vostre Amant, Et j'eus tort d'outrager d'une rage animée, Vostre image charmante en son cœur imprimée. Je sçay que ce Rival, qui m'estoit odieux Eut plus de droit que moy de plaire à vos beaux yeux : Son merite⁎ tout seul l'avoit rendu coupable, Et je le hayssois pour estre trop aimable ; Mais en le hayssant, je vous aimois assez, Pour voir sans murmurer ses soins⁎ recompensez, S'il eut pû comme moy joindre en vostre personne, Au present de son cœur le don d'une Couronne ; Vous pouvez recevoir ces deux biens de ma main, Mais desja vos regards marquent vostre dedain : Pour moins vous irriter, je vous laisse & j'espere Qu'un jour⁎ à mes desirs vous serez moins contraire. Je me tire à l'écart, J'entendray tout ? allez, & parlez de ma part. Arrestez ! Pour souffrir⁎ qu'on l'outrage elle a trop de Beautez, Ou plutost quelque peine où sa rigueur m'engage, J'ay trop de passion pour souffrir⁎ qu'on l'outrage. Ouy de vostre mépris, confus, desesperé, A vostre enlevement je m'estois preparé ; J'en attendois l'issuë, & j'avoüeray, Madame, Que l'amour surmontoit le respect de mon ame : Mais à vos premiers mots par un soudain retour, Le respect dans mon ame a surmonté l'amour ! Cessez, cessez de craindre, ô merveille charmante, L'ardeur de cette amour un peu trop violente : Vostre cœur deut-il estre aussi dur qu'un rocher, J'emploieray le respect tout seul pour le toucher ; J'ay plus de passion que vous n'avez de hayne, Par tout où je seray vous serez Souveraine ; Et je tiendray mon sort trop heureux & trop doux, Non de donner des loix, mais d'en prendre de vous. Encore que sa perte ait lieu de m'obliger⁎, Puis qu'elle vous afflige elle doit m'affliger ; Mais il court sur ce poinct un bruit qui m'épouvante, On tient que son Fantosme à vos yeux se presente. Afin de dissiper les craintes dangereuses, Que vous pourroient causer des visions fascheuses ; Quatre ou cinq de mes gens & des mieux resolus Auront ordre à l'instant de ne vous quitter plus. C'est le moindre devoir qu'il faut que je vous rende ! Souffrez⁎ que l'on vous garde. Vostre repos me touche, & j'en dois prendre soin, Ce seroit vous trahir que suivre vos desirs, La vision d'un mort accroist vos déplaisirs. Permettez ? Ce spectre troublera tousjours vostre raison, Tant que vous resterez seule en cette maison. Si vous en faites choix, je n'y contredits point, Sa Mere est fort prudente, & ses conseils solides Seront un grand secours pour vos esprits⁎ timides⁎ ; Souffrez⁎ que je vous meine en son appartement. Ce Fantosme est l'effet d'une triste pensée, Tous les sens sont troublez lors que l'Ame est blessée. Enfin je vous promets Qu'il n'est point de Fantosme, & qu'il n'en fût jamais ; Mais que vois-je, ô prodige ! ah Ciel quelle est ma peine. Que l'on s'avance, Gardes, Je veux estre éclaircy, ne m'abandonnez pas. N'importe, il faut encor que je m'en éclaircisse. Ah traistre ! ah, le plus grand de tous mes ennemis. Qu'entends-je ! c'est Carlos, la surprise est nouvelle ; Tous mes raisonnements se trouvent icy vains⁎, Venez-vous d'enlever Climene de mes mains. Qui donc en ce jardin est venu m'arrester. Je les ay remarquez aussi distinctement. Ce prodige me laisse en une estrange peine, A quiter ce logis j'avois porté Climene, Et jusqu'en sa maison j'allois l'accompagner, Quand ce spectre est venu, qui l'a fait esloigner. Carlos il faut trouver cette Beauté charmante, Et pour sa seureté la conduire chez toy. Cherche de ce costé : vous autres suivez-moy. Conduis-la ? c'est assez, je sortiray contant. Gardes, suivez Climene, il faudra pour ce soir Que mes yeux soient privez du bon-heur⁎ de la voir, Mon amour à la suivre en vain me solicite ? Differons à demain de luy rendre visite, Le bien que j'en attens seroit trop achepté, S'il coûtoit à Climene une importunité ? Sortons, & flatons⁎ nous encor de l'esperance, Qu'on vient à bout de tout par la perseverance, Et qu'il n'est point de cœur, soit de bronze ou de fer, Que des feux⁎ bien ardens ne puissent échauffer. Ah Ciel qu'ay-je entendu, Mon jugement⁎ icy se trouve confondu⁎, Climene suit Carlos, quel charme que j'ignore, Avec l'Ombre d'un mort la fait trouver encore. Dans un gouffre d'herreur ce prodige me plonge. Est-ce une verité, seroit-ce point un songe ? Il n'en faut point douter, la chose est tres-certaine, Fabrice, vif ou mort enleve encor Climene, Ha je ne puis souffrir⁎ cette outrage à mes yeux, Allons, il faut nous perdre ou la sauver ? ah Cieux. Fin du Quatrième Acte. Apres avoir passé par une estroite route, J'entre en un lieu plus grand & ne sors point de doute, Mon espoir se confond⁎ & n'a point de clartez Qui puissent m'esclaircir dans les obscuritez ! Suis-je entre les mortels ! Suis-je au creux de quelque antre ! Suis-je encor sur la terre ; ou suis-je dans son centre : Fabrice massacré s'offre à mon souvenir Le Ciel de son trépas me voudroit-il punir ! J'oy du bruit, qui va là, Fabrice. Quoy son Fantosme icy paroist pour mon supplice, Et pour estre puny des maux qu'il a soufferts ; Je suis donc descendu tout vivant aux Enfers ? Tu ne t'abuses pas. Ouy Fabrice, je suis l'autheur de ton trépas : Je ne te diray rien pour me sauver la vie, Tu peux l'oster sans crime à qui te l'a ravie ? Tout l'effroy qui me reste en un si triste sort, Ne vient que de mon crime & non pas de ma mort ; Et si dans ce moment quelque douleur m'accable, Ce n'est pas de mourir, mais de mourir coupable. Plus ton respect pour moy se fait encore voir, Plus ta perte est injuste, & plus mon crime est noir ; Mon forfait en devient doublement condamnable ; Et moins tu me punis, plus je suis punissable ! Mais si ton ombre encor pretend⁎ me respecter, Qui t'oblige⁎ en tous lieux à me persecuter ? D'où vient que tu me fais des faveurs imparfaites ? Pourquoy me poursuis-tu ; qu'est-ce que tu souhaites ? Cessé d'aymer Climene ; ah ! c'est trop presumer, Je puis cesser de vivre, & non pas de l'aymer : Pour rendre de tes vœux le succez⁎ infaillible, Tu devois souhaiter une chose possible ; Mais je t'abuserois si je t'avois flatté⁎ De l'espoir de cesser d'aymer cette beauté. Ouy, ouy, j'ayme en tyran, je le sçay, mais n'importe, Sçache aussi que l'amour qui me donne la loy, Est encor un tyran plus aveugle que moy : Pour me forcer d'aymer cette ingrate Maistresse⁎, Il n'a que trop de force & moy trop de foiblesse ; Et je puis seulement te donner quelque espoir, Non de ne l'aymer plus, mais de ne la plus voir. Mais toy que pretends⁎-tu, si je fais cét effort ; l'espouser ? quoy ? tu n'es donc pas mort. Des vivants tu dois estre du nombre, Qui peut cherir un corps ne sçauroit estre une ombre ? Parles & crois que ta mort m'a cousté des regrez. Il ne dit mot ? cherchons ; mais de peur qu'il ne sorte, Il est plus à propos de garder cette porte, Pour sçavoir où je suis, il faut faire du bruit ! Hola quelqu'un à moy. Nous sortirons d'erreur, voicy de la clairté, Qui pourra m'esclaircir de ce dont j'ay douté. Vois-je encor ma Maistresse⁎ ? Est-ce un anchantement ? où suis-je. Mais qu'est-il devenu, Vostre fils. Je viens de luy parler ne cherchez point de ruse. Ce sont des veritez ; Mais il n'a pû sortir ? cherchons de tous costez. Ciel quel nouveau prodige ; Jugez si j'ay raison de me croire enchanté : Je sortois du Jardin où j'estois seul resté, Croyant voir devant moy le spectre de Fabrice, Lors que je suis tombé dedant un precipice ; Et passant par des lieux que je ne connois pas, J'ay porté jusqu'icy mon erreur & mes pas ; Où pour combler d'effroy mon ame espouvantée, Son Ombre devant moy s'est encor presentée, Qui m'a parlé long-temps, pour me persuader De n'aimer plus Climene & de la luy ceder. Ce discours qui m'a mis en quelque inquietude, M'a donné de son sort beaucoup d'incertitude : J'ay douté qu'il fut mort, mais surpris & confus, J'apprends de ce succez⁎ qu'il faut n'en douter plus ! Pleut ô Ciel, que sa mort ne fut point veritable, Je serois delivré du remords qui m'accable ; Je luy ferois justice, & perdant tous mes feux⁎, Je me rendrois content en le rendant heureux. Je tiendrois ma parole, Alphonce je vous jure ! Par le Ciel, par Climene, & toute la nature ! Que si par un miracle à l'instant en ces lieux, Fabrice encor vivant paroissoit à mes yeux, A ses justes desirs bien loin d'estre contraire, Il obtiendroit de moy cette beauté si chere. Est-ce un Fantosme ! ô Ciel ; Ouy je tiens ma parole, & Climene est à vous. Ouy j'y consens : Je suis trompé Carlos & par vostre artifice ; Mais perdant mon amour, je perds mon injustice ; Vous trahissiez ma gloire à ne me pas trahir, A qui commande mal on doit mal obeir ; Aux injustes desseins, on peut justement nuire, Suivez-moy cependant ; & me venez instruire Par quel Art mon Rival aussi constant qu'heureux, A passé dans ce jour⁎ pour Fantosme Amoureux. Fin du cinquiesme & dernier Acte. **** *creator_quinault *book_quinault_fantomeamoureux *style_verse *genre_tragedy *dist1_quinault_verse_tragedy_fantomeamoureux *dist2_quinault_verse_tragedy *id_valere *date_1657 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_valere Ah Seigneur ! c'en est fait, il est tombé sans vie, En vain pour se deffendre il a fait quelque effort, De mille coups mortels il a receu la mort, Et de son corps sanglant & couvert de blessures, Son ame a pour s'enfuir trouvé mille ouvertures. Elle doit estre icy… Je ne souhaittois pas de rencontre meilleure ; Un carrosse à present vous attend icy prés, Je vous y dois conduire, & j'en ay l'ordre exprés. Il vient du Duc mon Maistre, Qu'icy pour Souverain chacun doit reconnoistre. Madame, je vous plains, mais il faut obeyr. Je suis autant forcé que vous estes contrainte⁎, Mais quoy vostre ame en vain s'abandonne à la plainte ; Suivez-moy promptement ou je vais… N'en doutez point, Seigneur, c'est l'ombre de Fabrice. D'un Fantosme trompeur la prise est impossible, Il est pris toutesfois, & c'est un corps sensible. C'est l'ombre de Fabrice, en pouvez-vous douter ; Nous en pouvons tous rendre un fort seur témoignage, Nous aurons bien connu⁎ sa voix & son visage. Ah Seigneur ! en tous lieux nous cherchons vostre Altesse. Seigneur, je n'ay rien vu. **** *creator_quinault *book_quinault_fantomeamoureux *style_verse *genre_tragedy *dist1_quinault_verse_tragedy_fantomeamoureux *dist2_quinault_verse_tragedy *id_isabelle *date_1657 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_isabelle Qui vient d'entrer ceans. Quel sujet si pressant peut icy l'amener. Un message à telle heure est chose assez nouvelle. Attendons-en l'issuë, & changeons de propos. Il faut que je t'avoüe Que j'ay quelque plaisir, quand j'entens qu'on le loüe. Mais de quelle maniere A-t'il sceu que pour luy mon humeur est moins fiere, Et que mon cœur enfin se dispose à l'aimer. Sur tout as-tu bien sceu luy dire avec adresse, Qu'afin de le servir tu trahis ta Maistresse⁎, Et que tu l'avertis sans mon consentement. Bien que j'ayme Carlos, soit raison, ou caprice, Je crois me faire tort, quand je luy fais justice, La pudeur que le Ciel dans nostre Sexe a mis, En matiere d'amour ne se croit rien permis ; Et par certain pouvoir, que j'ignore moy-mesme, Ne sçauroit, sans rougir, me laisser dire, j'ayme : Il semble que nos yeux, faits pour dompter les cœurs, Alors que nos captifs deviennent nos vainqueurs, Quoy qu'ils trouvent d'aimable au trait qui nous surmonte. Ne peuvent regarder ce changement sans honte. De mépriser l'amour mon cœur ne sçait plus l'art : Mais que vois-je Carlos, dans ma chambre & si tard. O Ciel ? Quoy, vous vous figurez que sans que je m'irrite Je puisse ainsi de vous souffrir⁎ une visite, Non, votre espoir se trompe, & cette liberté Marque en vous peu d'amour, ou trop de vanité⁎ ! Pouvez-vous bien m'aimer, & prendre une licence, Qui fera contre moi parler la médisance, Ou sans estre trop vain⁎ pouvez-vous bien penser Qu'un dessein si hardy ne puisse m'offenser. Oüy, oüy, je vous condamne, & pour vostre supplice, Il faut que vous sortiez, & que je vous banisse. Quoy, vous sortez si-tost, quel motif vous y porte. Pour un parfait amant C'est obeyr Carlos, un peu bien promptement : Croyant que vous m'aimez je paroistrois trop vaine⁎, On cherit sans ardeur, ce qu'on quite sans peine ; L'amour par ses respects se sçait mal exprimer, Qui sçait bien obeyr, ne sçait pas bien aimer. Pour un homme amoureux, vous raisonnez trop bien, Où l'Amour est puissant, la Raison ne peut rien, L'un ne peut s'establir, tant que l'autre subsiste, Quelquesfois une fille ayme qu'on luy resiste, Qu'on s'obstine à l'aimer sans son consentement ; Et comme ses desirs s'expliquent rarement, Elle parle souvent pour se voir contredire, Et pour estre forcée à ce qu'elle desire : Suivant cette maxime, en cét évenement, Possible ay-je parlé contre mon sentiment⁎, Et peut-estre bien loin de me croire outragée, Ne m'obéissant pas, vous m'auriez obligée⁎. Il n'est plus temps ! sortez, j'ay changé de pensée, L'occasion se perd si-tost qu'elle est passée, Vous auriez trop d'orgueil, & j'en aurois trop peu, Si je vous retenois apres un tel aveu. Il est sans injustice, Je n'aime pas tousjours qu'on me desobéisse, Suivez Clarine, allez, & gardez d'estre veu. O Ciel ? j'entens mon Pere. Il paroist furieux, Je lis trop clairement mon mal-heur⁎ dans ses yeux. Qu'est-il donc arrivé ? Quoy, quel mal-heur⁎ mon Pere ? Je feindrois vainement, il faut tout confesser. De grace escoutez-moy. J'advoüe… Si son trespas… Souffrez⁎ que par mes pleurs. Mon Pere la vangeance est fort aisée à prendre. Le Duc ! que dites-vous. C'est ce que j'ignorois ! ô disgrace⁎ cruelle. Quoy donc par une injuste & barbare contrainte⁎, Ainsi que la vengeance on vous deffend la plainte. Mais Seigneur, songez-vous dans cette conjecture, Que le corps de mon frere attend la sepulture. La cruauté du Duc devroit estre punie. C'est mon frere… Par quelle cruauté bannissez-vous mon frere. Il va trouver Carlos, que dois-je devenir. J'ay peur qu'on ne vous voye, & j'auray moins de crainte, Pourveu que la lumiere en ce lieu soit estainte. Seigneur, malgré vos soins⁎ je crains bien que mon frere Ne se puisse soûmettre à cet ordre severe : Par ses derniers discours je n'ay que trop compris Qu'il ayme encor Climene apres tous ses mépris, Et que son ame aveugle est encor resoluë A tout perdre, plustost qu'à la perdre de veuë. Les maux que je ressens Pour estre plus cachez ne sont pas moins pressans. Fin du second Acte. Demeure ? elle s'esloigne, & je ne la voy plus, Marchons dessus ses pas, & prenons cette route. Tu sçais tous ces détours, & tu m'y peux guider, Passe devant… Mais tu trembles… Demeure donc, sans toy je vais suivre Climene. N'arreste point mes pas. Ton importunité, sans mentir est extréme, Pourquoy m'arreste-tu ? Laisse moy… Est-ce un esprit⁎ folet… Qui te l'a dit… Climene donc icy n'est pas en asseurance. C'est à moy qu'il s'arreste ! ô Ciel que j'ay d'effroy. Parlons bas, c'est mon Frere, ah Dieu quelle surprise. Faignons, pour découvrir quelle est son entreprise. Vous m'obligez⁎ beaucoup, continüez mon frere. Poursuivez donc… Des maximes d'Amour je suis fort ignorante, Et pour les bien sçavoir je suis fort innocente: Quant à vostre sejour⁎ que j'apprens à regret, Ce secret sceu de moy n'en est pas moins secret : Je veux en vous montrant que je sçay bien me taire Estre meilleure sœur, que vous n'estes bon frere. J'entends quelqu'un marcher, mon frere éloignez-vous. C'est Carlos, suivons-le sans contrainte⁎. Qu'entend-je ! quoy Carlos, vous me méconnoissez⁎, Mes traits en un instant se sont-ils effacez, Non ils me sont restez, & j'ay bien lieu de croire Que s'ils sont effacez c'est de vostre memoire. Quelle sincerité de vous peut-on attendre ? Il suffit ingrat, ton crime est confessé, Et plus sincerement que je n'aurois pensé. Il n'est pas nécessaire Quelle explication pourroit estre plus claire. Ah je n'escoute plus, Tous tes deguisemens sont icy superflus. Je n'ay rien à sçavoir davantage, Ne m'as-tu pas appris que ton ame est volage ; Tu pretendois⁎ conduire une autre femme icy, Tu veux que je le croye, & je le croys aussy. Tu n'as pour moy que froideur & qu'audace. Avec regret, dis-tu, tu me voys en sa place, Et d'une injuste ardeur ton esprit⁎ emporté, Passe de l'inconstance à l'incivilité. Hé que me peus-tu dire ; Que d'un plus digne Objet⁎ tu reconnois⁎ l'empire⁎, Qu'à ses charmes ton cœur en vain a resisté, Et que pour t'acquerir j'ay trop peu de beauté. Je perdray peu, perdant un cœur comme le tien, Il est fourbe, il est lasche, & je n'y pretends⁎ rien ! Adieu, Ma presence en ce lieu t'embarasse. Ingrat la verité ? De tes discours encor je serois offencée. Non, non, je te deffens de te justifier. Hé bien fais moy donc voir S'il me reste en ton ame encor quelque pouvoir. Ne dis rien qui t'excuse & souffre⁎ ma retraite ; Je l'ordonne ? obeys : Non, non, sur ton esprit⁎ si j'ay quelque puissance, Montre encor ton respect par ton obeyssance. Ouy pour Carlos fidelle ; Mais ce conseil fatal dont tu presumes tant, Ne fut jamais donné pour Carlos inconstant. Ingrat, je veux bien te l'apprendre, J'ay tousjours eu pour toy je ne sçay quoy de tendre, Et ce je ne sçay quoy commençoit en ce jour⁎ D'estre peu different de ce qu'on nomme Amour : J'estois Amante, enfin, alors que pour ma peine, J'ay sceu que mon amour n'a produit que ta haine ; Ouy tu n'es plus atteint quand je me sens toucher, Je deviens importune à qui me devient cher ; Lors que mon feu⁎ paroist ta flame⁎ est consommée, Et commençant d'aymer, je cesse d'estre aymée. Aymée ! ah qu'ay-je dit, j'apprens par les effets, Que tu faignis tousjours, & ne m'aimas jamais : Ingrat pour t'excuser que pourois-tu respondre, Un reproche si juste a droit de te confondre⁎. Pour te justifier tu ne t'empresses plus, Tu reconnois ton crime & tu restes confus. Deffends-toy ? qu'ays-je dit que tu puisses nier. Non, non, parlez Carlos, ma colere est passée ; Fussiez-vous inconstant, m'eussiez-vous pû trahir, Je pouray bien me plaindre, & non pas vous hayr ; Et quelque changement que vous fassiez paroistre, Vous serez excusé, si vous le voulez estre. Mes soupçons à Carlos font sçavoir que je l'ayme. Dieu, qu'entens-je ? Il faut me disposer à mourir de sa main : Mon Pere ? De grace, escoutez-moy ! faites-vous cét effort, Me refuserez-vous : Non, soyez contre moy seulement animé, Si c'est crime qu'aymer, c'est vertu qu'estre aimé : Tout ce que pour Carlos je ressens de tendresse, Tesmoigne son merite⁎, & fait voir ma foiblesse ; Et si ma passion est digne du trespas, Je suis seule coupable, & Carlos ne l'est pas. Quoy vous pressez ma perte ! ah c'est dans ce moment Que je puis du destin me plaindre justement : Je me plains de vous voir avec tant d'injustice, Estre plustost mon Juge icy que mon complice ! J'allois mourir, Carlos, & mon sort m'estoit doux, Quand je songeois qu'au moins j'allois mourir pour vous ; Mais je ne croyois pas que dans cette avanture, L'Amour deut me trahir ainsi que la Nature ; Et qu'enfin je ne deusse entrer au monument, Que par le coup d'un Pere, & l'arrest d'un Amant. Ah ne le croyez pas ! tournez icy vos armes. Quoy ? c'est donc le sujet qui tantost a fait naistre Le trouble que d'abord vous avéz fait paroistre. **** *creator_quinault *book_quinault_fantomeamoureux *style_verse *genre_tragedy *dist1_quinault_verse_tragedy_fantomeamoureux *dist2_quinault_verse_tragedy *id_alphonce *date_1657 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_alphonce Ah ma fille ? ah ma fille ? Pourois-je vivre apres des disgraces⁎ si grandes. Quoy tu me le demandes, Vois-tu pas dans l'excez de mes vives douleurs, Que je suis accablé du plus grand des mal-heurs⁎. Isabelle, Isabelle, Ce n'est plus de ce nom qu'il faut que l'on m'appelle. Quel fatal changement ? Ciel qui l'eut pû penser. Que veux-tu que j'escoute, Je ne sçay que trop bien ce qu'aujourd'huy me coute, Cét amour qui se plaist dans le sang et les pleurs, Et cache des poisons quand il montre des fleurs. Ah que souvent nos attentes sont vaines⁎, Souhaitans des enfans, qu'on souhaite de peines. Ouy, ouy, son trespas est certain. Tu les répans en vain. Helas ! contre le Duc que pourois-je entreprendre. Hé quoy, tu ne sçais pas. Que mon fils par son ordre a receu le trépas. Valere de sa part m'en a dit la nouvelle, Et m'a voulu forcer de demeurer d'accord, Qu'il n'a rien fait d'injuste en luy donnant la mort. Oüy, pour punir mon fils, mesme avec son trépas, On veut que je l'apprenne, & n'en murmure pas ; Il semble qu'on souhaite, en causant ma rüine, Que j'aille encor baiser la main qui m'assassine, Et qui d'un fils si cher ayant percé le flanc, Est encore fumante & teinte de mon sang. Oüy, j'en ay pris le soin⁎, par mon commandement On le doit apporter dans cét appartement. O fils infortuné d'un Pere miserable ! Il est fort à propos, Licaste qu'on le tire ! Que l'on nous laisse seuls, que chacun se retire : Dans ce funeste⁎ objet⁎ mes regards interdits⁎ Ne treuvent presque plus aucun trait de mon fils, Et mon desordre a peine à me laisser connoistre⁎ Dans ce corps massacré celuy que j'ay fait naistre : Mon fils, si dans l'estat où nos malheurs t'ont mis, Un nom encor si doux me peut estre permis, A ce spectacle affreux qui rend ma peine extresme, Je me sens plus atteint de tes coups que toy-mesme, Mon destin mal-heureux⁎ differe peu du tien, Le sang que tu répands est le plus pur du mien ; Le bras dont la rigueur haste tes funerailles, N'a pû percer ton flanc sans percer mes entrailles, Et si nous differons dans un sort⁎ si confus, C'est que je sens les maux que tu ne souffres⁎ plus ! Sources de mes ennuis⁎, Blessures violentes, Qui ne parroissez plus que des bouches sanglantes, Dont les muets accents solicitent mon bras A vanger cette mort par un autre trépas, Le sort⁎ d'un souverain n'est pas en ma puissance, En vain contre un tel sang vous demandez vengeance ; Je ne puis vous offrir d'autre sang en ces lieux, Que celuy que mon cœur fait couler par mes yeux. Il est mon Prince encor malgré sa tirannie, Le destin des Sujets dépend des Souverains, Un crime devient juste en partant de leurs mains ; Et malgré leurs rigueurs, si ces Dieux de la terre Doivent estre punis, c'est d'un coup de Tonnerre ; Je ferois aussi bien des efforts superflus, Mon fils revivra-t'il si le Duc ne vit plus ? Mais Clarine à la haste icy s'est avancée. Estes-vous insensée⁎ ? Qu'avez-vous veu qui vous trouble si fort. Quoy donc… Vous perdez la raison. O merveille ! en effet c'est mon fils. Mon fils, mon ame est-elle éclaircie ou trompée, Est-ce une illusion dont ma veuë est frappée Si c'est un vain⁎ objet⁎ que forme ma terreur, Finisse au moins ma vie avecque mon erreur ? Peus-tu bien des vivans estre encore du nombre, Vois-je ton corps Fabrice, ou bien vois-je ton ombre, Viens-tu pour me combler ou de joye, ou d'effroy, Viens m'éclaircir, mon fils ! approche, embrasse-moy. D'où te vient pour la vie une si forte haine, Tu ne sçaurois douter de l'amour de Climene ; La passion du Duc te rend trop alarmé, Si tu cheris beaucoup, tu n'es pas moins aymé. De cét heureux succez⁎ la suitte m'épouvante, Aprens que de ta mort déja le Duc se vente ; Il croit ta perte juste, & m'oblige⁎ à juger Que tes jours⁎ conservez sont encor en danger ; Si tu veux m'obeïr par une prompte absence, Soustraits sans differer ta vie à sa vengeance. Elle t'a bien quitté, Son exemple te guide à l'infidellité ; Si trahir qui nous ayme est un trait de bassesse, Aymer qui nous trahit n'est pas moindre foiblesse. De cette erreur, l'absence est l'unique remede, Il faut à mes desirs que ta passion cede ; Fuys par obeyssance ou par ressentiment, Assure ton salut par ton esloignement, C'est ce que je desire. N'importe… Mais je te le commande, De peur d'estre apperceu, sors sans suitte & sans bruit, Va passer chez Carlos le reste de la nuict ; Et prends devant⁎ le jour⁎ le chemin de Florence, Où j'ay beaucoup d'amis qui prendront la deffence ; Je feray chez Carlos par un fidelle Agent, Te conduire un cheval avecque de l'argent. Par des regrets n'accroists point ma disgrace⁎, Sors, sors sans differer, adieu, que je t'embrasse, De mon plus cher appuy je me laisse priver, Mais quoy je ne te perds qu'afin de te sauver. Tu me parles en sœur, & moy j'agis en Pere ; Il est beaucoup plus doux à mon esprit⁎ confus D'avoir un fils absent, que de n'en avoir plus : Je veux tromper le Duc, & qu'il perde l'envie, En sçachant son trespas de poursuivre sa vie : Je veux que dés demain ma maison soit en deüil, Que pour mon fils ce corps soit mis en un cercueil, Afin qu'avec le Duc tout Ferarre se trompe, Je le veux honnorer d'une funebre pompe ; Aussi bien devons-nous quelque honneur pour le prix, D'un sang de qui la perte a conservé mon fils. Enfin, Qui peut te troubler de la sorte. O Devoir trop injuste ! ô contrainte⁎ cruelle, Dedans ce cabinet passe avec Isabelle. Seigneur il est aisé de vous tirer de peine, Voicy mon fils, jugez si la perte est certaine, Vous le craignez vivant, ne le craignez plus mort, Voyez son sang glacé qui fume à vostre abord. Seigneur je vous conduis. Que ne vous dois-je point. Sors & choisis demain Florence pour retraitte. Sans repliquer, fais ce que je souhaite, Pour toy tous mes desirs doivent estre des loix ; Adieu, viens m'embrasser pour la derniere fois. Je veux m'en éclaircir, & j'y sçauray pourvoir, Chez Climene demain rends-toy devers le soir ; Le mal qui l'a surprise à ce devoir t'invite, Et tandis⁎ à Carlos j'iray rendre visite ; Si mon fils est resté, j'espere avec raison De le trouver dans l'une ou dans l'autre maison ; Mais il est tard, adieu, la Fortune⁎ inhumaine, T'accorde du repos autant que j'ay de peine, Je souffre⁎ assez d'ennuis⁎. Que vois-je ? Vous l'aymez : Indigne objet⁎ de ma juste colere, Je suis ton ennemy, je ne suis plus ton Pere. Quoy perdant à la fois l'honneur & la raison, Tu viens chercher Carlos de nuict en sa Maison : Et méprisant le Cloistre où je t'ay destinée, A de lasches Amours Tu t'es abandonnée. Ouy tout hormis la mort. Tu mourras donc perfide. Carlos avec l'honneur ostez-moy donc la vie : Pour asseurer son crime il le faut achever, Et si l'on ne me perd, on ne peut la sauver : Ma mort peut seulement empescher son supplice, Et s'il faut que je vive, il faut qu'elle perisse. Prest à verser mon sang, je sens couler mes larmes, Ma colere s'esteint ; & par un prompt effet Je reste seul vaincu du combat qu'ils ont fait. Feignons encor pourtant ? Carlos, vostre artifice, Pour bien peu de moments retarde son suplice ; Mais sur ce qui m'ameine ostez-moy ce soucy, Dites-moy si mon fils n'est point encore icy : S'il se trouve en ces lieux sa mort n'est que trop seure. Je n'en veux point douter, puis que vous l'asseurez. O Ciel ! est-il possible. Quoy Fabrice à mes yeux encore icy se montre : J'avois à vos discours donné trop de credit. O toy fils aveuglé ! par quelle ingratitude, Fonde-tu tes plaisirs sur mon inquietude ; Qui te fait mépriser les volontez d'un Pere, A qui tu sçais ingrat, que ta vie est si chere ; Et pourquoy violant toute sorte de droits, Fais-tu si peu d'estat du jour⁎ que tu me dois. Je t'avois commandé de quitter ce sejour⁎. Et de qui, L'Amour ne fait des loix, que pour qui veut en prendre, Et la raison alors te le devoit deffendre. Peus-tu rester sans honte aupres d'une infidelle : A te suivre : J'avois tousjours douté jusques à ce moment, Qu'une femme jamais pût aymer constamment⁎ ; Mais si dans vostre amour quelque raison vous reste, Hastez-vous de sortir de ce pays funeste⁎. Bien moins qu'il ne nous semble ; Pour ne craindre plus rien, partez tous quatre ensemble ! Le Duc à s'appaiser apres sera reduit. Tout mon espoir se pert. Carlos, asseurement mon fils est découvert. Fais-toy ce peu d'effort pour asseurer ta vie. Ton pere t'en conjure, Qui Seigneur ? Mon fils n'est plus, Seigneur, vostre Altesse s'abuse ; Ce sont des visions ; Ah Carlos que je crains ; La generosité n'est pas grande de plaindre, L'ennemy qu'on opprime, & qui n'est plus à craindre : Vous croyez mon fils mort, & le plaignez en vain, Mais s'il estoit vivant vous seriez moins humain. Dissippez vostre crainte, C'est Fabrice vivant & sa mort n'est que feinte. Favorisez, Seigneur de tout point ma famille, Et souffrez⁎ que Carlos espouse aussi ma fille ! Approuvez avec moy leurs desirs innocens. **** *creator_quinault *book_quinault_fantomeamoureux *style_verse *genre_tragedy *dist1_quinault_verse_tragedy_fantomeamoureux *dist2_quinault_verse_tragedy *id_licaste *date_1657 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_licaste Seigneur de vostre fils la mort est trop certaine, Nous l'avons apporté dans la chambre prochaine⁎, A quelques pas d'icy nous l'avons rencontré, Sans habits & de coups si fort défiguré, Que l'on pouvoit douter avec quelque justice, Que ce funeste⁎ corps fut celuy de Fabrice, Si l'on n'avoit trouvé, cherchant avecque soin, Sa casaque assez proche, & son chapeau plus loin ; Ce qui dans ce malheur m'a mis le plus en peine, C'est que j'ay fait du reste une recherche vaine⁎, Ses autres vestemens ne se sont point trouvez, Et j'ignore qui peut les avoir enlevez. Vous pouvez voir d'icy cét objet⁎ deplorable. Avant qu'on se prepare à le mettre au tombeau, S'il vous plaist d'ordonner qu'on tire ce rideau. **** *creator_quinault *book_quinault_fantomeamoureux *style_verse *genre_tragedy *dist1_quinault_verse_tragedy_fantomeamoureux *dist2_quinault_verse_tragedy *id_celin *date_1657 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_celin Plusieurs hommes, Seigneur, armez de hallebardes, Desirent vous parler ;