**** *creator_regnard *book_regnard_arlequinbonnesfortunes *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_arlequinbonnesfortunes *dist2_regnard_prose_comedy *id_MEZZETIN *date_1690 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mezzetin Vous faites l'entendu, parce que les bonnes fortunes vous suivent partout ; mais souvenez-vous que nous sommes deux laquais, et qu'il n'y a point d'autre différence entre nous que celle que j'y veux bien mettre : ainsi, un peu plus de douceur, s'il vous plaît, et un peu moins d'emportement avec votre camarade. Hé ! Nous travaillons pour cela. Tenez, voilà-t-il pas encore la robe que vous volâtes à cet aveugle des Quinze-Vingts, qui vous sert de robe de chambre ? À propos de robe de chambre, tandis que vous dormiez, madame la marquise de Noirchignon vous en a envoyé une. Passe. La pauvre créature fait tout ce qu'elle peut pour m'égratigner le coeur, Il est aussi venu' un laquais de la part de madame la comtesse de Charbonglacé, qui a laissé un paquet dans une toilette. Diable ! Celle-ci est bien mieux étoffée que l'autre. La Comtesse pourrait bien me faire faire la sottise de l'aimer. Mais il ne fait pas si cher vivre à Paris ; tout s'y donne. Monsieur, c'est le laquais de la Veuve de ce procureur. Monsieur, c'est la Marquise. Ce n'est pas la Marquise, monsieur, c'est la Comtesse. Oh ! Monsieur, c'est la veuve du procureur. Hé ! Morguenne de vous ! Quelle fille, quelle fille ! Morguenne de vous ! Quelle fille êtes-vous ? Le friand morceau ! J'aurai bien du plaisir d'en faire une perroquette. Qu'elle est belle ! Hé ! Morguenne de vous ! Quelle fille ! Quelle fille ! Morguenne de vous !... Pata, pata, pata, pon, Amis, je m'en vais à la guerre ; J'ai pour épée un flacon, Et pour mousquet un grand verre. La santé du roi, Porte-la-moi : Dépêche-toi ; Car je suis mort, si je ne bois. Au son de cet instrument, Je sens que mon coeur se réveille ; Il faut, pour être content, Toujours la pipe et la bouteille. La santé du roi, Porte-la-moi : Dépêche-toi ; Car je suis mort, si je ne bois. **** *creator_regnard *book_regnard_arlequinbonnesfortunes *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_arlequinbonnesfortunes *dist2_regnard_prose_comedy *id_BROCANTIN *date_1690 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_brocantin Quel ouvrage faites-vous là, vous ? Est-il besoin, s'il vous plaît, que vous couchiez avec quelqu'un ? Si, par bonheur, ou par malheur, vous veniez à être mariée, vous vous presseriez. Hé ! Je sais de vos fredaines : vous n'avez pas toujours une aiguille et de la tapisserie entre les mains, et vous commencez à escrimer de la plume. Mais ce n'est pas pour cela que nous sommes ici. Laissez là votre ouvrage, et m'écoutez. Le mariage... Oh, oh ! Vous riez déjà ! Tuchou ! Il ne faut que vous hocher la bride... Le mariage, dis-je, étant un usage aussi ancien que le monde ; car on s'est marié avant vous, et on se mariera encore après... J'ai résolu, pour éterniser la famille Brocantine... Vous voyez où j'en veux venir. J'ai donc résolu de me marier. Ah, mes filles ! Vous voilà bien ébaubies. Est-ce que je ne me porte pas encore assez bien ? Regardez cet air, cette taille, cette légèreté. Oui, si vous le trouvez bon, ma fille. Non ; c'est à un tuyau d'orgue. Voyez, je vous prie, la belle demande ! Mais je crois que vous avez toutes deux l'esprit en écharpe. Est-ce que je suis hors d'âge d'avoir lignée ? Savez-vous bien que l'on n'a que l'âge que l'on paraît ; et monsieur Visautrou, mon apothicaire, me disait encore ce matin, en me donnant un remède, que je ne paraissais pas quarante-cinq ans. J'ai ce que j'ai ; mais je sais bien que j'ai besoin d'une femme. Je crève de santé, et j'ai trouvé une fille comme je la souhaite, belle, jeune, sage, riche ; enfin, une fille de hasard... Ali ! Vous prenez la chose du bon biais. Puisque vous êtes si raisonnables, apprenez donc que je suis en pourparler de mariage ; mais c'est pour vous. Ali, mes filles ! Je savais bien que cela te ferait plaisir, et que tu n'aurais point de chagrin de voir marier ta soeur avant toi. Il faut bien qu'elle passe avant toi ; elle est ton aînée ; et afin de te mettre en état d'être bientôt mariée, elle épousera un honnête homme. Bien fait. Riche. Monsieur Bassinet, médecin, enfin ; c'est tout dire. Comment donc ! Vous trouvez-vous mal ? Du vinaigre, vite ! Avec votre permission, ma fille, vous l'épouserez. Il ne faut pas, s'il vous plaît, que vous songiez à Octave ; j'ai appris que c'était un gueux, et je vais tout de ce pas l'envoyer chercher, pour lui dire qu'un autre lui a passé la plume par le bec. Pierrot, Pierrot ! Il n'y a qu'un mot qui serve ; il faut épouser monsieur Bassinet, ou un couvent. Il vous viendra voir ; songez à le recevoir comme un homme qui doit être votre mari. Allons, dénichons ; point tant de caquet. Pierrot Où diable es-tu donc toujours ? Il faut que je m'égosille quatre heures. Laisse cela ; j'ai autre chose en tête. Va me chercher Octave ; j'ai quelque chose de conséquence à lui dire. Animal ! Est-ce là ce que je te dis ? Tiens, vois le logis. Le butor ! Je vois bien que nous ne vivrons pas longtemps ensemble : je ne veux point de bête dans ma maison. Comment donc ! Serait-il arrivé quelque malheur dans ma famille ? Que veux-tu donc dire avec tes animaux équivoques ? Ne te mets point en peine, Pierrot ; je suis sur le point d'en marier une, et je crois que je ferai affaire de l'aînée avec monsieur Bassinet. Il m'a promis qu'il quitterait sa profession de médecin, si je voulais lui donner Isabelle, et qu'il se ferait troqueur. Te moques-tu, Pierrot ? Notre vacation est la plus jolie du monde ; nous voyons tout ce qu'il y a de gens de qualité ; il n'y a point de prince qui fasse la dépense que nous faisons ; nous changeons de meubles tous les jours ; on ne voit jamais chez nous la même chose, et notre cabinet est le rendez-vous de tous les fainéants de la ville. Qu'on les renvoie ; je ne veux point... Le prince des Curieux épouser ma fille ! Je suis bien obligé à son altesse tonquinoise. Voyons un peu ce qu'il va dire : écoute. Quel diable de jargon ! Qu'est-ce donc qu'il dégoise là ? Je suis fatigué, j'ai fait un grand voyage, Pour vous demander Colombine en mariage. Oh ! Avec moi, monsieur, point de surprise. Voilà mes deux filles ; vous n'avez qu'à choisir : c'est encore trop d'honneur pour le sang des Brocantins. Oh ! Monsieur, je vous la garantis tout ce qu'on peut garantir une fille. Il a ma foi raison. Çà, monsieur... Mais voici monsieur Bassinet fort à propos. Oh, monsieur Bassinet ! Vous venez le plus à propos du monde ; nous ferons d'une pierre deux coups. Voilà ma fille Isabelle qui vous attend pour vous donner la main. Vous moquez-vous ? C'est un médecin très riche. Pendu ! Et comment connaissez-vous cela ? Cela étant, je vais le congédier. Monsieur Bassinet, vous voyez bien ma fille : touchez là ; vous n'en croquerez que d'une dent, et je ne veux point de gendre dont la barbe ne tient point. Qu'est-ce qu'il jargonne là ? Quoi ! Ma fille sait déjà le tonquinois ? Puisque cela est ainsi, je veux bien faire le mariage d'Isabelle ; mais dites-moi auparavant, est-il curieux ? Voilà qui est très beau. Ces tableaux-là sont tous originaux. Joli, ma foi ! On dirait qu'il me regarde. Assurément, et je le crois encore. Non. Est-ce que j'entends le langage des singes, moi ? **** *creator_regnard *book_regnard_arlequinbonnesfortunes *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_arlequinbonnesfortunes *dist2_regnard_prose_comedy *id_ISABELLE *date_1690 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_isabelle En vérité, vous êtes bien folle de farcir votre tête de vos sottes imaginations d'amour et de mariage. Est-ce là le parti que doit prendre une cadette, et ne devriez-vous pas avoir renoncé au monde ? Et que sentez-vous donc, s'il vous plaît ? Vraiment, je vous trouve une jolie mignonne, pour sentir quelque chose ! Et que sentirai-je donc, moi qui suis votre aînée ? Est-ce que l'on m'entend plaindre des envies que cause I'état de fille ? Vous êtes encore une plaisante morveuse ! Mais savez-vous bien ce que c'est qu'un mari, pour parler comme vous faites ? Hé ! Qui vous a donc appris de si belles choses ? Vous vous trompez fort à votre calcul, si vous vous figurez tant de plaisir dans le mariage. Le beau régal qu'un mari qui gronde toujours ! Les soins des domestiques, l'incommodité d'une grossesse : non, quand il n'y aurait que la peur d'avoir des enfants, je renoncerais au mariage pour toute ma vie. Bon Dieu ! Quelle petitesse de raisonnement ! Que votre esprit est à rez-de-chaussée ! Oh ! Ce n'est pas de même, moi ; je suis votre aînée, et la raison qui veut que vous ne vous mariiez pas, veut que je me marie. Vous n'êtes point propre au mariage ; ce n'est point un jeu d'enfant. En vérité, il faut que j'aie bien de la bonté de souffrir tous les travers de votre esprit. Tout ce que je puis faire encore pour vous, c'est de vous conseiller de bannir de votre cerveau toutes vos idées matrimoniales, et de croire qu'il n'y a personne assez dépourvu de bon sens pour vouloir se charger de votre peau. Et que lui répondîtes-vous ? Vous serez plus grande et plus folle. Vous ne voyez donc pas qu'il se moquait de vous, et que vous vous donnez un ridicule dans le monde ? Allez, vous devriez mourir de honte. Une petite fille qui n'a pas quinze ans, donner à corps perdu au travers du mariage ! Allez, allez ; vous ne savez ce que vous dites. Vous me croyez bien embarrassée de trois ou quatre années que j'ai plus que vous ; mais je veux bien que vous sachiez que pour dix ans de moins je ne voudrais pas être faite comme vous, ni de corps, ni d'esprit. Viens çà, Pierrot ; toi qui es un homme d'esprit, et qui sais le monde, n'est-il pas du dernier bourgeois de marier plus d'une fille dans une maison, et ne devrais-je pas déjà l'être ? Mais aussi, est-il juste que je cède mes droits à ma cadette ? Petite fille, vous plaît-il de vous taire ? Vous avez raison, car vous allez dire une sottise. Il n'y a plus moyen de tenir à vos impertinences : je vous laisse ; et si je faisais bien, j'avertirais mon père de mettre ordre à votre conduite. Vous vous mariez donc, mon père ? Vous l'épouserez ? Une autre fille que moi, qui ne saurait pas vivre, vous dirait, mon père, que vous risquez beaucoup en vous mariant ; qu'il faut avoir perdu l'esprit pour songer, à votre âge, à un engagement, et que l'on renferme tous les jours des gens aux Petites-Maisons pour de moindres sujets : mais moi, qui sais le respect que je vous dois, sans me prévaloir des raisons que les enfants ont d'appréhender un second mariage, je vous dirai que, puisque vous crevez de santé, vous faites parfaitement bien de prendre une femme. Je vous ai des obligations que je n'oublierai jamais. Non ; on ferait bien mieux de vous laisser passer la première, et d'attendre à me marier que vous eussiez trois ou quatre enfants ! Pour moi, je ne conçois pas cette petite fille-là. Je le connais bien. Je l'ai vu. Je le crois. Monsieur Bassinet ! Monsieur Bassinet ! J'ai bien du respect pour la médecine ; mais, avec votre permission, mon père, je n'épouserai point un médecin. Je vous prie, mon père, de ne me point donner ce chagrin, et ne m'obligez pas à épouser un homme pour qui je n'ai nulle estime. Hé, mon père ! Voilà ma soeur qui a si envie d'être mariée ; que ne lui donnez-vous monsieur Bassinet pour mari ? J'aime mieux lui céder mes droits, et qu'elle passe avant moi. Donne-moi ce chapeau. Hé bien, Pierrot, ce cavalier-là est il de ton goût ? Ne pense pas te moquer ; je tâterais fort bien de l'armée, et je n'appréhenderais pas plus le feu qu'un autre. Je ne mets pas cet habit-ci sans raison. Tu sais que mon père veut que j'épouse monsieur Bassinet. Je me sers du déguisement où tu me vois pour détourner ce mariage. Monsieur Bassinet ne m'a jamais vue ; il doit venir me voir, et j'attends sa visite en cet équipage. Je vais lui apprendre des nouvelles d'Isabelle, et je lui en ferai, parbleu, passer l'envie. Pour moi, Pierrot, je ne m'embarrasse pas de cela ; je ne songe qu'à faire rompre, si je puis, l'impertinent mariage dont je suis menacée. Mais je crois que voilà monsieur Bassinet ; laisse-moi avec lui : je vais commencer mon rôle. Serviteur, monsieur, serviteur. Monsieur, elle n'y est pas, et je l'attends. Mais vous, monsieur, que venez-vous faire ici ? Mademoiselle Isabelle est-elle malade ? Car, à votre mine, je vous crois médecin, et vous avez toute l'encolure d'un membre de la Faculté. Oui ! Et de quelle nature, s'il vous plaît, sont les prétentions d'un médecin sur une fille ? Pour l'épouser ! Isabelle ? Ha, ha, ha ! Point du tout ; mais c'est que... Ha, ha, ha !... Je ris comme cela quelquefois. Ha, ha, ha ! Bon ! Ne voyez-vous pas bien que je ris ? Ha, ha, ha ! Dites-moi un peu, monsieur, en vous déterminant à un saut si périlleux, vous êtes-vous bien tâté ? N'avez-vous point senti quelque petit mal de tête... Vous m'entendez bien ? Ma foi, vous porterez bien cela ; et je suis plus aise que vous ayez cette fille-là qu'un autre. Mais quand elle sera votre femme, au moins n'allez pas nous la gâter par vos manières ridicules. Nous avons eu assez de peine à la mettre sur le pied où elle est. Le joli tour d'esprit ! Elle l'a comme le corps. Bon ! Qui le sait mieux que moi ! Si vous voulez, je vais la dessiner qu'il n'y manquera pas un trait. Une gorge, morbleu ! Plantée là... Bon ! C'est un marbre. Je vous dis que vous ne sauriez faire une meilleure affaire. Elle a, par-dessus cela, une adresse à conduire une affaire de coeur qui ne se comprend pas. C'est un petit démon pour les tours d'esprit. Si elle est votre femme, elle aura des intrigues avec toute la terre, que vous ne vous en apercevrez non plus que si elle était à Rome et vous au Japon. Diable ! Une femme comme cela est un trésor pour le repos du ménage. Ne savez-vous pas les allures du monde et la malignité des rivaux ? Les uns disent qu'elle a des vapeurs ; les autres lui font faire un voyage : il y en a d'assez enragés qui lui font garder le lit cinq ou six mois pour une détorse... et... que sais-je, moi ! Cent autres contes que l'on va souffler aux oreilles d'un fiancé, qui ne manquent pas de rompre un mariage comme un verre ; et si, de tout cela, bien souvent il n'y en a pas la moitié de vrai. Au moins, je veux être de vos amis ; et je prétends, quand vous serez marié, aller sans façon manger chez vous votre chapon. Ce n'est pas d'aujourd'hui que nous sommes toujours ensemble, et si vous étiez discret, je vous apprendrais quelque chose sur son chapitre, que je suis sûr que vous ne savez pas. Je passe... (Mais il faut voir si personne ne nous entend.) Je passe toutes les nuits dans sa chambre. Dans sa chambre. Je vous dirai même... ; mais vous irez jaser. Cette nuit, nous avons reposé tous deux sur le même chevet. Prenez vos mesures là-dessus. Ensemble ; et cette nuit nous en ferons autant infailliblement. Elle ne saurait se coucher sans moi. Ce que je viens de vous dire là, au moins, ne doit point vous empêcher de conclure l'affaire. Un homme bien amoureux ne s'arrête pas à ces bagatelles-là. On ! Pardi, monsieur Bassinet, je crois que vos fumées d'amour pour Isabelle sont bien passées présentement. Depuis un quart d'heure que je fais l'homme, je ne suis pas mal scélérat. Ah, ciel ! C'est Octave ! **** *creator_regnard *book_regnard_arlequinbonnesfortunes *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_arlequinbonnesfortunes *dist2_regnard_prose_comedy *id_COLOMBINE *date_1690 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_colombine Mon Dieu, ma soeur, cela est bien aisé à dire ; mais vous ne parleriez pas comme vous faites, si vous sentiez ce que je sens. Plaisante morveuse ! Mon Dieu ! Je ne suis pas si morveuse que je le parais, et il y aurait déjà longtemps que je serais femme si mon père avait voulu ; car on m'a dit qu'on pouvait l'être à douze ans. Bon ! Si je ne le savais pas, est-ce que j'en voudrais avoir un ? Cela ne s'apprend-il pas tout seul ? Quand je songe que je serai mariée, je suis si aise, si aise ! Oh ! Il faut que ce soit quelque chose de fort joli que le mariage, puisque la pensée seule fait tant de plaisir. La peur d'avoir des enfants ! Bon ! On dit que c'est pour cela qu'il faut se marier. Mais vous, ma saur, qui êtes si raisonnable, est-ce que vous ne voulez pas vous marier ? Et moi, je vous dis que j'y suis aussi propre que vous. Je supporterai fort bien toutes les fatigues du ménage ; et quoique je sois jeune, si j'étais mariée présentement, je suis sûre que je n'en mourrais pas. Hé ! La la, cette charge-là n'est pas si pesante et ne fait pas peur à tout le monde : il n'y a pas encore huit jours que je trouvai dans une boutique, au Palais, un monsieur de condition, qui me dit que j'étais bien à son gré, et qu'il serait bien aise de m'épouser. Je lui dis que j'étais encore bien petite pour cela ; mais que l'année qui vient, j'espérais d'être plus grande. Ne voilà-t-il pas ? Vous me grondez toujours. Vous voulez bien vous marier, vous, et vous ne voulez pas que je me marie. Est-ce que je ne suis pas fille comme vous ? Mon Dieu ! Je vous dis, encore une fois, que j'ai plus d'âge qu'il ne faut ; mais puisque vous me trouvez trop jeune, faisons une chose ; vous avez quatre années plus que moi, donnez-m'en deux ; cela ne gâtera rien ni pour l'une, ni pour l'autre. Pierrot, c'est ma soeur qui se fiche : elle veut qu'il n'y ait de mari que pour elle. Mon pauvre Pierrot, toi qui es si joli, est-ce qu'il faut que je demeure toute ma vie fille ? Je conviens, Pierrot, que je suis encore petite ; mais si tu savais ce que j'ai déjà J'ai... mais je n'oserais le dire. Me te moqueras-tu point de moi ? J'ai de la gorge, Pierrot, puisque tu le veux savoir. Oh, nenni, nenni ; je ne la montre pas encore : j'attends qu'elle soit plus venue. Oh ! Va, va, je ne m'en soucie pas. Elle veut faire la madame, et me traiter comme une petite fille ; mais nous verrons. Oh ! Çà, çà, Pierrot, il faut que tu me fasses un plaisir. Il faut que tu me portes cette lettre à ce monsieur que je trouvai dernièrement au Palais. Oui. Est-ce qu'il y a du mal à cela ? Puisque je sais écrire, pourquoi n'écrirais-je pas ? C'est un homme de grande condition, et on l'appelle monsieur le Vicomte. Tu lui diras que je m'ennuie bien fort de ne pas le voir, et qu'il ne manque pas de me venir trouver aujourd'hui. M'entends-tu ? C'est une pente de mon lit ; mais je crains de la faire trop petite ; on n'y pourra jamais coucher deux. Non ; mais si, par bonheur, je venais à être mariée... Je le sais bien, mon papa ; il y a longtemps qu'on me dit cela. À une femme ? Oh ! Mon papa, c'est qu'il ne vous voyait pas au visage. Pour moi, je vous le conseille ; car je voudrais que tout le monde fût marié. Ah, mon petit papa ! Que je vous aime ! Quoi ! Mon père, ce n'est pas moi que vous voulez marier ? Si vous ne me mariez, je sais bien ce que je ferai, moi. Allons, ma soeur, faites cela de bonne grâce, puisque mon père le veut. Oh ! Ce n'est pas de même ; je suis votre cadette, et la raison qui veut que je ne me marie pas, veut que vous vous mariiez la première. Hé bien, mon pauvre Pierrot, as-tu porté ma lettre à monsieur le Vicomte ? Eh ! Donne donc vite. « L'amour est comme la gale, on ne le saurait cacher ; c'est ce qui fait que je vous irai voir aujourd'hui, ou je veux que la peste m'étouffe ! Le vicomte de Bergamotte » Il m'aime bien, car il me l'a dit, et j'espère que nous serons bientôt mariés ensemble. Il n'y a qu'une chose qui m'embarrasse, c'est que je ne sais pas encore tout à fait ce que c'est que le mariage : ne pourrais-tu pas me le dire ? Hé bien donc ? Fais-le monter, Pierrot ; hé ! Vite. Monsieur, je n'ai point ma bourse sur moi ; mais je vais le faire payer. Holà, quelqu'un ! Qu'on paye cet homme-là. Allez, allez, l'homme ; on vous contentera. En vérité, monsieur le Vicomte, il faut bien vous aimer, pour vous regarder après une si longue négligence à me venir voir. Et que faites-vous donc toute la journée ? Quoi, monsieur ! Vous prenez donc du tabac comme ces vilains soldats ? Fi ! Je ne pourrais jamais m'y accoutumer. Eh ! Monsieur le Vicomte, avez-vous fumé aujourd'hui ? Ah ! Fi, fi, monsieur le Vicomte ! Je n'aime point ces soupirs-là. Les gens que je vois n'assaisonnent pas leurs douceurs de tabac et d'eau-de-vie. C'est ce que je dis tous les jours à deux grands haquiers d'avocats, qui sont sans cesse autour de moi à me faire endêver. Je ne sais pas pourquoi mon père a tant d'aversion pour les gens d'épée. Il dit qu'ils sont tous débauchés, et qu'ils n'ont jamais le sou. Je crois, monsieur le Vicomte, que, fait comme vous êtes, vous voyez bien des femmes de condition. Vous dites la même chose de moi quand vous êtes auprès d'une autre ? Dites la vérité. Je ne sais pas ; mais mon père dit qu'il y a quatorze ans que ma mère était grosse de moi. Vraiment ! J'ai bien plus que tout cela. Vous croyez donc parler à une petite fille ? Vous vous trompez. Je sais déjà bien des choses : j'ai déjà lu cinq ou six comédies de Molière, et j'en suis au troisième tome de Cyrus ; je fais du point à la turque, et j'apprends à chanter. C'est un nommé l'Opéra. Ah, monsieur ! Je vous prie de m'excuser ; j'ai aujourd'hui quelque chose qui m'en empêche. S'il n'y avait que cela, je ne laisserais pas de chanter. Je n'ai rien, c'est que... C'est que... Voilà-t-il pas ? Ces vilains hommes, ils veulent tout savoir. C'est que ma voix ne paraît rien quand je n'ai pas mes fontanges argent et jaune. Je le veux bien ; mais vous allez voir comme je vais trembler. La, la, la... Mon Dieu ! Je suis faite comme je ne sais quoi... Jeanneton, m'aimez-vous bien ?... Hélas ! Quel conte ! Pourquoi ne vous aimerais-je pas ? Mon Dieu ! Quel conte ! Vous qui m'avez tant fait de bien, Quel fichu conte ! Je crois que c'est de Roland. Oh, monsieur ! Je ne suis pas encore assez forte pour tenir ma partie. Qu'avez-vous donc, monsieur le Vicomte ? Que ne partez-vous ? Il y a là-bas tout plein de laquais qui vous attendent. Ne peut-on pas savoir la cause de votre chagrin ? Je veux l'apprendre. Ah, monsieur le Vicomte ! Vous jurez devant les filles. Vous me le direz pourtant. Et que dit-il ? Monsieur le Vicomte, je n'ai point d'argent ; mais voilà deux brillants avec lesquels vous pourrez en faire. Prenez encore mon collier. Voilà encore une montre qui est assez jolie. Attendez ; j'ai encore ici une petite boîte à mouches et un cachet. Quand on a donné son coeur, cela ne coûte guère à donner. Tenez, tenez, monsieur le Vicomte ; voilà encore un petit jonc d'or que j'avais oublié. Monsieur le Vicomte, vous m'épouserez, au moins. Ah ! Que je suis aise de lui avoir fait ce petit plaisir ! De la manière que je l'aime, je ne sais ce que je ne lui donnerais pas. Mon papa, il y a là-bas une troupe de carêmes-prenants qui veulent entrer. On dit que c'est l'ambassadeur du prince Tonquin des Curieux qui veut m'épouser. Ali ! Mon Dieu, la vilaine bête ! Pierrot, Pierrot, ne me quitte point ; j'ai peur. Moi ? Oh ! Je ne veux point épouser un perroquet. Oh ! Vous vous moquez. J'ai ma soeur qui est bien plus jolie que moi ; et si vous aviez vu ma cousine Gogo, c'est tout autre chose. Quel air de santé ! Vous avez la mine Un jour de rester seule à la tontine... Oh ! Je ne veux jamais rester seule ; j'ai trop peur. Je me porte bien, et je n'ai jamais eu d'autre maladie qu'un mal d'aventure : mon pouce devint gros comme ma tête. Moi ! Votre femme ? Bon, bon ! Vous vous moquez : est-ce que je suis capable de cela ? Je vous avertis par avance que si je suis jamais mariée avec vous, je ne vous incommoderai point de toute la nuit ; car je suis la meilleure coucheuse du monde : je me trouve le matin comme je me suis mise le soir. Point de maître à danser ? Et quel mal font-ils aux maris ? Ils ne les touchent jamais. Je renoncerais plutôt au mariage. J'aime le mien presque autant qu'un mari. Moi ? Je dis que je n'y entends rien. Qu'est-ce que c'est que de venir pondre dans nos nids ? Est-ce que l'on a des oeufs quand on est mariée ? **** *creator_regnard *book_regnard_arlequinbonnesfortunes *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_arlequinbonnesfortunes *dist2_regnard_prose_comedy *id_PIERROT *date_1690 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_pierrot Qu'est-ce donc, mesdemoiselles ? Voilà bien du bruit : il me semble que vous vous flattez comme chiens et chats. Est-ce que vous ne sauriez vous égratigner plus doucement ? Ho ! La goulue ! Cela est vrai, et je dis tous les jours à votre père, que, s'il ne vous marie au plus tôt, vous lui ferez quelque stratagème. Bon ! Est-ce que cela se peut ? Voyez-vous, mademoiselle, il faut marier les filles quand elles sont jeunes. Ce gibier-là ne se garde pas : la mouche s'y met. Il est vrai que vous n'êtes encore qu'un embryon, et j'en ai vu dans des bouteilles de bien plus grandes que vous. Hé ! Pardi, laissez-la dire. Hé bien donc, qu'avez-vous ? Eh ! Palsangué, laissez-la donc parler : vous lui rembourrez les paroles dans le ventre. Eh ! Non, non : dites. Oh ! Voyons cela, voyons. Elle est bien rudanière. Je ne demande pas mieux. Ne suis-je pas fait pour faire plaisir aux filles ? Une lettre ! Ah ! Vous avez raison. Oh ! Si c'est un vicomte, je ne dis plus rien. Hé ! Oui, oui, j'entends bien, je ne suis pas sourd. La petite masque ! C'est une belle chose que la nature ! Cela songe au mariage dès la coquille. Me voilà, monsieur. Monsieur, j'étais avec cette femme qui marchande ces singes, et qui veut donner six écus du gros, parce qu'elle dit qu'il ressemble à son mari. Monsieur, je ne le trouve pas. Pardi, monsieur, il faut donc que vous en sortiez. Assurément, et il m'a donné un petit mot de réplique. Malepeste ! Comme vous êtes âpre à la curée ! Voilà un homme qui écrit bien tendrement. Assurément ; il n'y a rien de si aisé : c'est comme qui dirait une chose... Oh ! Vous ne pouviez jamais mieux vous adresser qu'à moi. C'est comme, par exemple, une chose où l'on est ensemble... Votre père... avait épousé... votre mère... ; ça faisait qu'ils étaient deux ; et comme çà, votre grand-père..., d'un côté..., la nature... On ne saurait bien expliquer ce brouillamini-là. Mais vous n'aurez pas été deux jours ensemble, que vous saurez toutes ces drogues-là sur le bout du doigt. Ah, mademoiselle ! C'est monsieur le vicomte de Bergamotte. Pardi, mademoiselle, vous voilà à charmer ! On vous prendrait pour moi. Il y a pourtant un peu de différence. Est-ce que vous allez lever une compagnie de fantassinerie ? Si tous les capitaines étaient faits comme vous, ils pourraient gagner les frais de l'enrôlement, et faire leurs soldats eux-mêmes. Votre père ? Bon ! C'est un vieux fou qui radote ; et je le lui ai dit, da ! Mardi ! Voilà une hardie tête de fille ! J'ai toujours dit à votre père que je ne croyais pas qu'il fût le mari de votre mère quand elle vous a faite. Vous avez trop d'esprit. Qu'en croyez-vous ? Pardi ! C'est lui-même ; il ressemble à un marcassin. Tout franc, monsieur, je crains que vous n'ayez attendu trop tard à marier vos filles. Non, pas encore tout à fait ; mais, voyez-vous, monsieur, vous tournez trop à l'entour du pot. Diable ! Les filles sont de certains animaux équivoques... C'est-à-dire, monsieur... tant y a que, je m'entends bien. C'est comme des armes à feu ; ça tire quelquefois sans qu'on y pense. Qui ? Ce médecin ? Fi ! Votre fille n'est point le fait de ce vieux rhumatisme-là. Hé ! Pardi, je le crois bien. On lui en sait grand gré, ma foi, de quitter son séné ; pour une fille drue comme Isabelle ! Tuchoux ! Si vous voulez me la bailler, je vous quitte, vous et vos chevaux, dès demain ; et si, je crois que je vous panse avec autant d'honneur qu'un médecin fait ses malades. Voulez-vous que je vous dise mon sentiment ? Car, révérence parler, j'ai plus d'esprit que vous : vous ferez mieux, si je ne vous accommode pas, de la donner à quelque homme de condition, comme, par exemple, à un gentilhomme de robe. Et quelquefois aussi des fainéantes ; Car voyez vous, monsieur, les femmes ont toujours quelque pièce à troquer. Oh ! Pardi, monsieur, les voilà. Oh ! Pardi, ne craignez rien avec moi ; il n'a qu'à venir. Ah, mademoiselle ! La jolie queue ! Perroquet mignon ; tôt, tôt, à déjeuner. Voilà l'ambassadeur du Pont-Neuf. **** *creator_regnard *book_regnard_arlequinbonnesfortunes *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_arlequinbonnesfortunes *dist2_regnard_prose_comedy *id_MONSIEURBASSINET *date_1690 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurbassinet Ah, monsieur ! Je vous demande pardon. On m'avait dit que mademoiselle Isabelle était dans sa chambre. Que diable cherche ici ce godelureau-là ? Vous ne vous trompez pas, monsieur ; je suis un nourrisson d'Hippocrate : mais je ne viens pas ici pour tâter le pouls à Isabelle ; j'ai bien d'autres prétentions sur... Je viens ici pour l'épouser. Isabelle. Mais cela est donc bien drôle ? Comment donc ! Est-ce que je suis barbouillé ? Non, monsieur ; je me porte fort bien : je ne suis pas sujet à la migraine. Et moi aussi. Comme le corps ! Et savez-vous comme elle l'a tourné ? Ouf ! Quel peintre ! Je vois bien qu'elle ne serait point mauvaise pour vous. Et avec tous ces beaux talents-là, d'où vient qu'elle n'est pas mariée ?Voilà des qualités merveilleuses pour être femme. Quand il n'y en aurait que le quart, c'est bien encore assez, de par tous les diables ! Une détorse ! Monsieur, vous me faites trop d'honneur ; mais je ne mange jamais de volaille. À ce que je vois, vous connaissez parfaitement la demoiselle en question ? Oh ! Vous pouvez tout dire, et compter sur ma discrétion. Vous savez que les médecins... Dans sa chambre ? Non, je me donne au diable. Sur le même chevet ! Ensemble ? Ah, ah ! Monsieur Brocantin, vous voulez donc m'en faire avaler ! Bon ! Voilà de belles badineries ! Je ne vois pas que rien presse encore de quitter la robe et le bonnet de médecine, pour me faire coiffer de mademoiselle Isabelle. Adieu, monsieur, jusqu'au revoir. Le ciel m'a assisté : voilà un jeune homme qui m'aime bien. Parbleu, je suis ravi de trouver ici tout le inonde en joie. Apparemment que vous disposez le bal pour notre mariage ? Que le diable vous emporte ! Quelle peste de cérémonie ! Ni moi d'une fille qui a eu des détorses de neuf mois. Allez, vieux radoteur, aux Petites-Maisons, avec votre chienlit. Je venais ici pour vous dire que je ne voulais point de la fille d'un fou, et qui passe toutes les nuits avec des godelureaux. Fi, la vilaine ! **** *creator_regnard *book_regnard_arlequinbonnesfortunes *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_arlequinbonnesfortunes *dist2_regnard_prose_comedy *id_PASQUARIEL *date_1690 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_pasquariel Monsieur, ne sortez pas. Il y a là-bas deux sergents et environ douze archers qui vous guettent pour vous mettre en prison.