**** *creator_regnard *book_regnard_coquette *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_coquette *dist2_regnard_prose_comedy *id_TRAFIQUET *date_1691 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_trafiquet Holà, quelqu'un, Pierrot, Pierrot ! Avec qui diable es-tu donc ? Il faut toujours t'appeler vingt fois. Oh, oh ! Voilà du nouveau. Tu es donc amoureux ? Il faut entendre patience. Mais que vois-je ? C'est Octave ! Hé ! Que faites-vous donc ici, s'il vous plaît ? Ne vous avais-je pas prié de n'y plus venir ? Est-ce que vous prétendez, mon petit monsieur, épouser ma fille malgré moi ? Mais, monsieur, encore une fois, je n'ai que faire de vos révérences : répondez à ce que je vous demande. Vous ferez bien, messieurs de la révérence, de ne regarder ma porte qu'avec une lunette ; je vous saluerais d'une manière... Quelle plaisante conversation ! Toujours des révérences ! Et vous, mademoiselle l'impertinente, ne vous ai-je pas défendu de le voir ? Savez-vous que quand je commande, je veux être obéi ? Ne t'ai-je pas dit que je ne voulais pas que tu songeasses davantage à cet homme-là pour être ton époux ? Écoutez, ne m'échauffez pas les oreilles ; il y a des maisons à Paris où l'on réduit les filles désobéissantes. Merci de ma vie ! Mais que veulent donc dire toutes ces cérémonies-là ? Voilà une nouvelle manière de répondre. Allons, allons, il faut faire cesser tout ce manége-là. J'attends aujourd'hui un gendre qui me vient du Bas-Maine ; je veux envoyer savoir s'il est venu. Pierrot ! Ah, monsieur le maraud ! Je crois que vous voulez rire aussi. Si je prends un bâton... Quoi ! Tu t'en mêles aussi ? Je veux que tu passes chez monsieur Fesse-Mathieu, pour le prier de venir ici ; et que tu ailles de là dans la rue de la Huchette, savoir si le messager du Mans est arrivé. J'attends le bailli de Laval, qui vient pour être mon gendre. Assurément. Il faut prendre patience, pourvu qu'il vienne demain. Et quelle est donc cette affaire ? Il est mort ! Tu as raison ; je ne crois pas qu'il revienne de longtemps. C'est bien dommage ; c'était le seul honnête homme de notaire que j'aie encore trouvé. Hé ! Dis-moi, as-tu des nouvelles de notre homme ? Le ciel en soit loué ! Je me déferai peut-être à la fin de ma fille, et je ne verrai plus dans ma maison des animaux de toute sorte d'espèces, et particulièrement cette assemblée de femmes, ou plutôt cette académie de folles qui s'y tenait. Parle, Pierrot ; que me veux-tu ? Toi, te marier ! Es-tu fou ? Et qui est donc cette malheureuse-là ? Ma fille ? Ma fille Colombine ? Je ne sais, maraud, à quoi il tient que je ne t'assomme de coups. Et moi, voilà comme je réponds. J'espère, monsieur, que vous ne vous repentirez pas de l'affaire que vous faites ; car je puis vous assurer que je vous livre une fille toute neuve, et qui vous fera dans la suite un très bon usé. Voilà cet homme si doux, qui ne joue et qui ne boit pas ! Vous dites donc, monsieur, que ma fille sera doucement avec vous ; et qu'est-ce que c'est que cela, s'il vous plaît ? Vous m'assurez que sa dot ne court point de risque entre vos mains, et que vous ne jouez point ? Pour du vin, vous n'en buvez pas ? Je vois pourtant là quelque chose qui a assez la physionomie d'une bouteille. Allons, allons, il faut passer par là-dessus : on ne fera pas un homme exprès pour moi. Apparemment vous n'épouserez pas ma fille sans la voir ? Pierrot, dis à Colombine qu'elle vienne saluer monsieur. Elle n'est pas ici ? Il n'y a rien à perdre sur cette fille-là ; vous en trouverez toujours votre argent. Ma fille, voilà le bailli en question : tu ne voudras peut-être pas lui ouvrir ton coeur en ma présence ? Monsieur, je ne vous rends pas un méchant office de vous laisser seul avec votre maîtresse. Je vous prie, mademoiselle ma fille, de ne point m'échauffer les oreilles ; je sais ce qu'il vous faut, et c'est à vous d'obéir quand je vous ai choisi un mari, entendez-vous ? N'est point fait pour vous ! J'en suis d'avis ; il faut vous l'essayer. Mais voyez, je vous prie, comme cela fait la raisonneuse ! Et que trouvez-vous, s'il vous plaît, à redire au mari que je vous propose ? Hé ! De par tous les diables ! Comment veux-tu donc qu'il se présente ? Tant mieux, s'il entre tout de suite en matière ; en fait de mariage, je n'aime point à voir préluder. Oui, je le veux. Oui, je le prétends. Si tu as de la raison tu dois m'obéir, et prendre le parti qui se présente. Oui, le parti qui se présente. Oui, s'il vous plaît ; il ne faut point tant faire de gestes et de grimaces : est-ce qu'il lui manque quelque chose ? Est-il tortu ou bossu ? Est-ce qu'il n'a point d'esprit ? Va, va, ce n'est pas le plus nécessaire en ménage. Et pourquoi donc n'en veux-tu point ? Oh ! Que ne parles-tu donc ? J'allais me mettre en colère. Voyez, je vous prie, quand on ne s'entend pas. Viens, ma fille, que je t'embrasse. Tu réponds dignement aux soins que j'ai pris de ton éducation. Tu me promets donc de ne plus songer à cet étourdi ? Et moi, pour reconnaître ton obéissance, je te promets d'augmenter ton trousseau de six chemises, et d'aller te voir toutes les fêtes et dimanches quand tu seras au Maine. Accompagner ton mari. Vraiment si ; il est bailli du Maine. Que diable veux-tu donc dire avec ton Octave ? Je crois que tu es folle. Non, assurément. Je ne ris point, et je veux... C'est donc ainsi, coquine, que tu fais état de mes remontrances, et que tu te moques de moi ! Va, je t'abandonne. Je te déshérite. Je te donne ma malédiction, et tu mourras vieille fille. Que veut donc dire, s'il vous plaît, cette mascarade-ci ? Vous êtes un fou, voilà ce que vous êtes. Ce que j'ai vu tantôt, et ce que je vois présentement, m'oblige de vous dire, monsieur le bailli, que vous pouvez, tout de ce pas, vous en retourner dans le Bas-Maine, manger vos chapons ; car pour ma fille, vous n'en croquerez que d'une dent. **** *creator_regnard *book_regnard_coquette *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_coquette *dist2_regnard_prose_comedy *id_COLOMBINE *date_1691 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_colombine Holà, quelqu'un ! N'ai-je là personne ? Cascaret, Jasmin, Pierrot, Bagatelle, Bagatelle ! D'où vient, petit garçon, qu'il faut vous appeler tant de fois ? N'est-il venu personne me demander ? Le petit étourdi ! C'est notre bel esprit ; je la tiens quitte de sa visite dès à présent. Venez çà ; allez chez ma couturière, et dites-lui que je veux avoir mon habit aujourd'hui. Taisez-vous, petit sot, et faites ce que je vous dis. Dis-moi, je te prie, comment me trouves-tu aujourd'hui ? J'ai beau arranger mes traits, il me semble qu'il y en a toujours quelqu'un qui se révolte contre mon économie. Je sais bien, sans vanité, que j'ai quelque agrément ; mais avec un peu de beauté, et trois ou quatre mouches sur le nez, une fille ne va pas loin dans le siècle où nous sommes. Il faut de cela pour plaire ... Et pour attraper un époux, qui est le point difficile. Nous commençons tout doucement à monter en graine, et nous sommes assez fortes pour bien soutenir une thèse en mariage. Que tu es folle ! Quoique le mariage ne soit plus guère à la mode, les hommes ont beau faire, ils ne sauraient se passer de nous. Leur répugnance pour le mariage vient de la simplicité des filles qui ne savent pas jouer leur rôle. L'homme est un animal qui veut être trompé. Mais que prétendent donc tous ces petits messieurs-là ? Cependant ce n'est pas une chose si difficile que tu le penses, d'engager un homme. Savoir risquer un billet dans son temps, marcher sur le pied à l'un, tendre la main à l'autre, se brouiller avec celui-ci, se raccommoder avec celui-là : crois-moi, avec ce petit manège-là, il faut, bon gré, mal gré, que quelque bête donne dans les toiles. Bon ! Il n'y a plus que les sottes qui se persuadent d'attraper des hommes par des airs composés. Cousine, le monde m'en a plus appris qu'à toi, et je te suis caution qu'une fille n'est piquante qu'autant qu'elle a pris sel dans la coquetterie. Voilà-t-il pas mes contes de grand'mères, qui condamnent dans leurs enfants les plaisirs que l'âge leur refuse ! Je veux, moi, te donner des conseils pour le mariage, plus courts et plus faciles : et afin que tu les retiennes mieux, je vais te les lire en vers. N'en perds pas une syllabe. Portrait d'une Coquette, ou la vraie morale d'une Fille à marier. Une fille qui veut se faire Un époux parmi ses amants, Doit changer à tous les moments Et de visage et de manière ; Tantôt, d'un air modeste, elle entre dans un coeur, Sous un faux semblant de sagesse ; Et tantôt, rallumant un feu de belle humeur, Elle y porte à la fois la joie et la tendresse ; Elle sait finement, par un mélange heureux, Délaver la douceur avecque la rudesse ; Du frein ou de l'épron usant avec adresse, Suivant que l'animal est vif ou paresseux. Rien ne se démentira. Pour conserver les coeurs qu'elle a su préparer, Elle tient toujours la balance Entre la crainte et l'espérance, Laissant un pauvre amant doucement s'enferrer. Si quelqu'un, rebuté de son trop long martyre, Cherche à s'échapper du filet, Par de fausses bontés alors on le retire : On écrit, et Dieu sait le style du billet ! Un roi ne paierait pas tout ce qu'on lui promet : On se désespère, on soupire ; Trac, l'oiseau rentre au trébuchet. Je te dis qu'en amour ils sont si niais, qu'une fille qui sait un peu son métier en va duper trente à la fois. Lui parle-t-on d'amour... Voici le dernier. Dame ! Il entre bien des ingrédients dans la composition d'une coquette. Lui parle-t-on d'amour, vante-t-on ses appas, Elle impose silence en faisant la novice ; Elle fait expliquer ceux qui n'en parlent pas, Et sait se démonter à visse : D'un rire obéissant son visage est paré ; Le robinet des pleurs s'ouvre et ferme à son gré ; Et, dispensant ainsi la rigueur, la tendresse, Crois-moi, cousine, en cet état, C'est jouer de malheur, après tant de souplesse, Si quelque dupe enfin ne tâte du contrat. Je n'y gagnerais pas de l'eau : toutes les filles savent cela. Dans le fond, on n'a que de bonnes intentions. Et quel reproche peut faire un homme quand une fille ne le trompe qu'en vue de mariage ? Qu'il entre. Bon ! Ta mère t'attend : va, va, elle est la maîtresse, elle attendra tant qu'elle voudra : demeure ici ; tu en apprendras plus avec moi en un quart d'heure, que tu ne feras en toute ta vie avec ta mère. C'est une façon de mari. Que tu es sotte ! Ne t'ai-je pas dit cent fois que j'aime tout le monde sans aimer personne. Mon père m'a défendu de le voir, parce qu'il me destine à un bailli du Maine, qui doit arriver dans peu. Ne suis-je pas bien malheureuse ! Car imagine-toi ce que c'est qu'un bailli, et un bailli du Maine ! Mais voici Octave. Vous savez, monsieur le Comte, quels sont mes sentiments pour vous : cela vous doit suffire. Ne parlons point d'amour, si ce n'est en chansons. Vous chantez bien : voilà ma cousine qui accompagne parfaitement du clavecin : je veux vous entendre ensemble. Bon, bon ! Si vous n'avez pas la force de chanter, vous soupirerez : c'est la langue la plus familière aux amants. Allons, qu'on approche le clavecin. Mezzetin, prenez bien garde que mon père ne vienne. Une bougie ? Est-ce que tu n'entends pas que je demande une bougie pour cacheter une lettre ? Pour moi, je ne sais plus quelle maladie a attaqué le cerveau de cet animal-là : il ne voit plus, il n'entend plus ; il a assurément quelque chose de brouillé dans son timbre. Tu veux donc que je cachette une lettre avec un manchon ? Je te demande une bougie, m'entends-tu ? Je crois qu'il me fera perdre l'esprit. Oh, oh ! Voilà une nouvelle folie que je ne lui connaissais pas encore. Depuis quand as-tu perdu la parole ? Parle, réponds ; dis donc à qui tu en as. Que signifie donc cette cérémonie-ci ? Je trouve cela assez plaisant. Voyons donc ce que dit cette lettre. Comme il n'y a point d'animal dans le monde qui n'aime quelque autre animal, c'est ce qui fait que je vous aime. Autre chose ne peut vous dire votre très humble serviteur et fidèle amant, Pierrot. Mon très humble serviteur et fidèle amant, Pierrot. Ah, ah ! Voilà donc où le bât vous blesse, monsieur l'amoureux ! En vérité, je suis ravie d'avoir fait une pareille conquête. J'entends cela le mieux du monde ; mais je vous prie, monsieur Pierrot, d'étouffer un peu vos hoquets de tendresse, et d'aller porter cette lettre à monsieur de la Maltotière. La conquête de Pierrot n'est pas bien illustre : je sens néanmoins une secrète joie de voir que rien ne m'échappe. Quelque sévérité qu'affectent les femmes, elles ne sont jamais fâchées de s'entendre dire qu'on les aime. En vérité, monsieur Nigaudin, j'ai lieu de louer votre diligence : nous ne devons partir pour la Comédie que dans deux heures, et je suis ravie de pouvoir pendant ce temps-là profiter de votre conversation. Ah, monsieur ! Que vous dites les choses galamment ! Vous avez un tour aisé et naturel dans les expressions, que les autres n'ont point ; et il semble toujours que vous demandiez le coeur, quelque indifférente chose que vous puissiez dire. Fi ! Ne me parlez point des gens d'épée ; ils n'auraient jamais rien à vous dire, s'ils ne vous étourdissaient de leurs bonnes fortunes, et s'ils ne vous faisaient le calcul du nombre des bouteilles qu'ils ont vidées. Pour moi, je ne conçois pas bien la manie de la plupart des femmes d'aujourd'hui ; on ne saurait leur plaire, si l'on ne revient de Flandre ou d'Allemagne, et si l'on ne rapporte à leurs pieds un coeur tout persillé de poudre à canon. Il est vrai qu'on n'est point en sûreté contre leurs entreprises ; et quand ils sont chez les dames, ils s'imaginent être dans un quartier d'hiver à vivre à discrétion. Pourquoi donc, monsieur ? Eh ! Que craint-on, monsieur, quand on est fait comme vous ? Vous avez assez d'autres endroits pour vous faire distinguer. Je gagerais, à votre air, que vous opinez l'épée à la main ? Et je vous prendrais quelquefois pour un colonel de robe. À charmer. Ah, monsieur l'assesseur ! Si vous débrouillez aussi bien un procès que vous savez vous faire jour dans un coeur, que vous êtes un juge éclairé ! Pas un mot ! Et comment avez-vous pu rendre la justice ? Oh ! Je sais que deux chevaux gris mènent un procès bien rondement. Ah, monsieur ! Vous êtes perdu si cet homme-là vous trouve ici. C'est un officier qui est jaloux à la fureur ; il a déjà tué cinq ou six hommes pour n'avoir fait que me regarder. Hé, que faites-vous, monsieur ? À quoi vous amusez-vous là ? Votre robe ! Et où est-elle ? Ah, monsieur ! Ne vous y fiez pas ; vous auriez toutes les robes du Palais sur le corps, qu'il... Que je suis malheureuse ! Le voilà qui entre. Tenez, cachez-vous vite sous cette table-là, et ne remuez pas. Monsieur, je suis bien fâchée de l'accident de votre cravate : mais... Ce n'est rien, monsieur... Que voilà un habit bien entendu ! Ce n'est rien, vous dis-je. Voilà vos inquiétudes qui vous prennent ; vous voudriez déjà être hors d'ici, et vous ne songez pas qu'il y a un siècle qu'on ne vous a vu. Mon Dieu ! Monsieur, je ménage tout le monde pour des raisons particulières ; mais je sais donner la préférence à qui le mérite. Je me distingue en voyant des gens de cour ; les officiers me font plaisir ; je trouve des ressources avec les financiers : et pour peu qu'on aime les bagatelles, c'est le moins qu'on puisse avoir que deux ou trois petits abbés dans une maison. Bon ! L'été les femmes les souffrent faute d'officiers : mais ce sont des oiseaux de semestre qui disparaissent avec les hirondelles. Et puis les affaires viennent sans qu'on y pense ; on a tous les jours, malgré soi, des procès ; et vous savez qu'auprès d'un juge sensible, l'enjouement d'une jolie femme est toujours la meilleure pièce d'un sac. Hé ! Fi, monsieur, ne m'en parlez point ; je ne le saurais souffrir : c'est une éponge à sottises. Ce n'est rien, monsieur ; on ne peut pas toujours se porter si bien que vous. Mon Dieu ! Que vous avez bon visage ! C'est-à-dire, monsieur le capitaine, que vous ne manquez pas de moyens pour trouver de l'argent. Vous rêvez, je crois, avec vos mâtins. Monsieur le capitaine, vous êtes un extravagant de vous emporter sans raison. N'ai-je pas fait mon devoir de faire cacher monsieur pour vous épargner du chagrin ? Tant pis pour vous, si vous allez chercher où vous n'avez que faire. Et vous, monsieur, de quoi vous avisez-vous de faire du bruit mal à propos ? Il n'y a qu'un homme de robe et officier d'un présidial capable de tousser quand on le cache sous une table. Puisque vous avez fait la sottise, démêlez la fusée comme il vous plaira. Je suis confuse de vos civilités, monsieur ; et il faudrait avoir plus d'esprit que je n'en ai pour répondre à un compliment aussi bien tourné. De pareils efforts d'esprit sont bons pour la province ; mais à Paris on aime à parler terre à terre. À vous entendre parler, vous ne paraissez pas content des cavaliers de ce pays-ci ; et les dames, qu'en dites-vous ? Il faut pourtant tomber d'accord qu'elles ont un tour d'esprit et des manières de se mettre que les femmes de province n'ont pas. Où passe-t-on le temps avec plus d'économie ? Aujourd'hui à l'Opéra, demain à la Comédie, un autre jour au bal ; on entrelace cela de parties de jeu et de promenades. Vous voyez bien qu'il n'y a point de lieu où une femme soit si façonnière. Les maris disent ce qu'ils veulent, et les femmes font ce qui leur plaît ; c'est la mode du pays. Ils ne disent rien ; dès que la femme est rentrée, ils se rendorment. Oh ! Les Parisiens sont trop bons serviteurs du Roi pour trouver cela mauvais. Quelque loi que vous m'imposiez, elle me paraîtra toujours douce, pourvu que je sois sûre de passer avec vous le reste de mes jours : vous me tenez lieu de tout ; et du moment que je vous ai vu, j'ai senti pour vous... Ah ! Ne m'obligez pas de m'expliquer ; j'en dirais peut-être plus que je ne veux. J'ai une grâce à vous demander : les filles, comme vous savez, ont beaucoup d'ambition sur le fait du mariage ; j'ai eu toute ma vie une noble horreur pour les baillis du Maine ; ne pourriez-vous point changer de charge, et vous faire homme de qualité ? Oh, monsieur ! Que cela me fera de plaisir ! Mais, en achetant une charge de marquis, n'oubliez pas, s'il vous plaît, de vous faire donner les airs déhanchés de ces messieurs-là. La sotte pécore qu'un homme qui a le mariage en tête ! Une fille un peu savante sur l'article le manie comme un chamois. Voyez, je vous prie, cet idiot de bailli qui va se faire marquis. Pour m'essayer, le premier marquis qui me tombera sous la patte, j'en ferai un procureur fiscal. Comme je suis une partie des plus intéressées dans l'affaire, je crois, mon père, que mon choix est du moins aussi nécessaire que le vôtre ; et je vous dirai franchement que cet homme-là n'est point fait pour moi. Je vous dis encore une fois, mon père, laissez-moi mener cette affaire-là. Vous êtes plus vieux que moi, j'en conviens ; mais je me connais mieux en maris que vous. Bon ! C'est un homme qui se présente de front au mariage, et ne sait pas ce que c'est qu'un préliminaire d'amour. Quoi ! Mon père, vous voudriez... Vous prétendez qu'un homme que je n'ai jamais vu... J'ai trop de raison pour... Le parti qui se présente ? Assurément ? Je ne dis pas cela. Je trouve sa taille dégagée et engageante. Son esprit me charme, et je connais peu de gens qui en aient plus que lui. Moi, je n'en veux pas ! Il faudrait, mon père, que je fusse bien aveugle ou bien insensible pour, refuser un tel parti. Que cet embrassement me fait de plaisir ! J'aimerais mieux mourir, mon père, que de vous désobliger. Je ne le verrai de ma vie ; c'est un homme que je ne puis souffrir. Au Maine, mon père ! Et que faire là ? Mon mari ! Ce n'est pas son dessein de quitter Paris. Octave est bailli du Maine ! Depuis quand donc ? Quoi ! Ce n'est pas Octave que vous voulez me donner pour mari ? Bon, bon ! Vous voulez rire. Mon père... Hé ! Mon père... Mon petit papa ! Oh ! Criez tant qu'il vous plaira. Je n'irai pas perdre un amant pour la mauvaise humeur d'un père : nous sommes dans un temps où il faut garder le peu qu'on en a. Voici notre amoureux Pierrot ; il faut l'écouter un moment et nous en divertir. Que dis-tu là ? C'est donc à dire que ta folie te dure toujours ? Tu te moques, Pierrot ; quand on est bien amoureux, on n'est pas à un étage près. Je te conseille, de ce pas, d'aller faire ce saut-là pour l'amour de moi. La comtesse de Flamèche et la marquise de Bistoquet ! Je ne connais point cela. De quel mauvais vent ces femmes-là abordent-elles chez moi ? Il faut que ce soient des provinciales. Faites-les entrer. Voilà de ces chiennes de visites que l'on ne saurait éviter. En vérité, mesdames, je suis dans la dernière confusion d'avoir si mai profité de l'honneur de votre visite. Holà ! Quelqu'un, des siéges. Je suis ravie, mesdames, d'avoir un voisinage aussi agréable que le vôtre. Quand vous voudrez, nous jouerons ensemble ; mais je vous avertis que je suis la plus malheureuse fille du monde. Six bouteilles de vin à deux femmes ! Avec ces talents-là, mesdames, il est à présumer que vous êtes mariées en Bourgogne ou en Champagne. Pour moi, madame, je ne trouve rien de vilain à faire tout ce que le monde fait, et ce que vous avez fait vous-même. J'ai assez de peine à m'y résoudre ; mais que voulez-vous ? Il faut bien prendre le bénéfice avec les charges. Dix-sept ! En vérité, madame, l'état vous est bien obligé de lui donner tant de bons sujets. Elle est d'une finesse extraordinaire ; on croirait que vous allez rompre. Et monsieur votre époux prendra-t-il toujours ce petit divorce en patience ? Plusieurs partis me recherchent ; mais mon père me destine à un bailli du Maine, et... Comment donc, madame ! Avez-vous des vapeurs ? Ah ! Que je suis malheureuse ! Voilà deux femmes qui vont me demeurer dans les mains. Holà, quelqu'un ! Mes laquais, ma femme de chambre ! Non, je ne crois pas que de mémoire d'homme on ait reçu une visite aussi impertinente. Elles n'ont que faire de me tant dégoûter du bailli ; si je l'épouse, ce ne sera qu'à mon corps défendant. Je n'entends point parler de notre bailli ; il faut que le traité de cette charge de marquis l'arrête chez quelque notaire. Il n'en est pas encore où il pense ; je lui garde le meilleur pour le dernier. On ne m'a point dit, madame, que vous m'ayez fait cet honneur-là. Il est vrai que j'ai le domestique du monde le plus brutal : qu'une femme de qualité me vienne voir, on ne m'en dit rien ; qu'une procureuse frappe à ma porte, on vient m'en faire la honte en pleine compagnie. Comment dites-vous cela, s'il vous plaît ? Les cal... Que vous êtes heureuse, madame, de savoir tant de belles choses ! Si j'avais l'avantage de vous voir souvent, je crois que je deviendrais une habile fille. Ah ! Que cela est bien dit ! La conversation roturière ! Comment pouvez-vous fournir à la dépense d'esprit que vous faites ? Si vous ne vous ménagez, vous n'en aurez jamais assez pour le reste de vos jours. Avec les anciens, madame ! Voilà ce qui s'appelle mettre à profit jusqu'à son ennui. Non, madame, je ne suis point d'une complexion si délicate. À vous dire le vrai, j'aime beaucoup mieux la conversation des hommes, et je voudrais parfois qu'il n'y eût que moi de femme au monde. Cela étant, madame, quand vous allez en visite de marquise, de crainte de vous enrhumer une seconde fois, il faudrait faire porter un manteau fourré avec votre Juvénal. Une femme de qualité ignorante ! Vous me surprenez. Mais encore ? Ah, ciel ! Quelle ignorance ! En vérité, madame, vous fûtes bien heureuse d'en être quitte pour un rhume ; cela valait bien la peine de tomber en apoplexie. Non, madame ; cela n'est pas venu jusqu'à moi. Vous me ferez, je vous assure, un sensible plaisir. Oh ! Oui, cela s'entend de reste ; peu s'en faut que je ne le sente. Ah, madame ! Quel merveilleux talent vous avez pour la poésie ! À la physique, madame ! Quoi ! Si tôt, madame ! Je vous prie, monsieur, de m'en dispenser ; je suis d'une fatigue outrée, et voilà huit nuits de suite que je cours le bal. Allons, courage, madame ; voulez-vous qu'on envoie quérir votre Juvénal ? À vous sincèrement, pour un marquis de nouvelle impression, vous ne jouez pas mal votre rôle, et l'on croirait que vous l'auriez étudié toute votre vie. Vous voulez vous divertir ; je sais ce que je dois croire, et j'appelle de votre modestie. Mais où allez-vous donc ? Vous avez des inquiétudes horribles dans les jambes, et vous ne sauriez vous tenir un moment en place. C'est-à-dire que vous n'oseriez pas y faire le fanfaron comme ailleurs. Je ne sais pas, pour moi, quel plaisir prennent certaines gens, à la Comédie, de venir étouffer un acteur jusque sur les chandelles. Comment voulez-vous qu'un pauvre diable de comédien se fasse entendre au bout d'une salle ? Il faut donc qu'il crève ? Mais, de bonne foi, monsieur le Marquis, croyez-vous que ce soit pour voir peigner votre perruque, prendre du tabac, et faire votre carrousel sur le théâtre, que le parterre donne ses quinze sols ? Assurément ; c'est ce qui fait qu'il s'est mis en droit de vous siffler aussi bien que les méchantes pièces. Vous avez beau pester, le parterre fait du bien à tout le monde ; il redresse les auteurs, il tient les comédiens en haleine ; un fat ne se campe point impunément devant lui sur les bancs du théâtre : en un mot, c'est l'étrille de tous ceux qui exposent leurs sottises au public. Que ne vous mettez-vous dans les loges ? On ne vous examinera pas de si près. Hé bien, Margot, m'apportez-vous mon manteau ? Vous voulez bien, monsieur le Marquis ; me permettre d'essayer mon manteau ? Allons donc, monsieur le Marquis, soyez sage. Que ne vous laissez-vous voir aussi, Margot, vous qui êtes si jolie ? Pourquoi ? Qui est donc ce monsieur Harpillon ? Margot peut aller partout, monsieur le Marquis ; elle est sage, et j'en réponds corps pour corps. Justement ! On garde des filles de cet âge-là pour votre commodité ! Vous n'avez qu'à vous y attendre. Mais il me semble, Margot, que ce manteau-là monte bien haut ; on ne voit point ma gorge. Taisez-vous, Margot ; vous êtes une sotte : tenez, remportez votre manteau ; j'y suis faite comme je ne sais quoi. Je vous dirai, monsieur le Marquis, qu'avant que de vous épouser, je vous demande encore une grâce. Nous sommes un certain nombre de filles qui avons fait serment de ne point prendre de mari qui n'ait été reçu auparavant dans notre académie. Il faut vous y faire recevoir. Ne vous mettez pas en peine : on vous habillera en femme ; on vous fera peut-être faire serment d'être un époux commode, de laisser faire à votre femme tout ce qu'il lui plaira, de n'être point de ces maris coquets qui vivent de rapine, et laissent leurs femmes pour aller picorer sur le commun. Je suis, mon père, disposée à vous obéir ; mais je ne crois pas que vous vouliez me donner pour mari un homme qui est capable de pareilles extravagances. Moi, je vous ai fait faire ces extravagances-là ? Ma foi, monsieur le bailli, vous rêvez. Et qu'une fille à Paris soit bien près de ses pièces pour épouser un bailli du Bas-Maine. **** *creator_regnard *book_regnard_coquette *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_coquette *dist2_regnard_prose_comedy *id_ISABELLE *date_1691 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_isabelle Hé bien, cousine, as-tu bientôt mis la dernière main à ton visage ? À charmer. Je t'assure que tu es d'un air à faire payer contribution à tous les coeurs de la ville. J'en tombe d'accord. Crois-tu, cousine, que j'aie le coeur plus dur que toi ? Je sens quelquefois qu'une fille n'est pas née pour vivre seule ; je t'avouerai même que j'emploie tout mon esprit pour attirer quelque amant dans le filet conjugal. Mais les hommes sont des pestes de poissons rusés qui viennent badiner autour de l'appât, et qui mordent rarement à l'hameçon. Le mariage se décrie de jour en jour ; je crois, pour moi, que nous allons voir la fin du monde. Je ne m'applique nuit et jour à autre chose. Je relève, avec art, les agréments que la nature m'a donnés : je joins à quelque brillant d'esprit les talents de la poésie et de la musique : pour mes manières, elles sont douces et insinuantes ; et, avec tout cela, point d'épouseurs. C'est ce que je ne conçois pas. On sait bien qu'il y a de certaines avances qui accrochent quelquefois. Mais vous en aurez menti, messieurs les soupirants ; et si j'accorde quelque faveur, ce ne sera, ma foi, que par-devant notaire, et en vertu d'un bon parchemin bien signé. Il me semble que tu copies assez bien une coquette d'après nature. Prends-y garde, au moins : on ne fait plus guère de fortune à ce métier-là. Vraiment ! Ce ne sont pas là les maximes de ma mère, qui me prône tous les jours que la coquetterie est l'antipode du mariage ; et j'ai ouï dire cent fois à mon oncle qu'une fille coquette ressemble à ces vins pétillants dont tout le monde veut tâter, et dont personne ne veut acheter pour son ordinaire. En vers, ma petite ! Ah ! C'est ma folie. Je ne sais pas comment sera le reste, mais le début est fort vif. Au trébuchet ! Un mari ne se prend pas comme un oiseau ; il faut bien d'autres piéges. Encore ? Savante comme tu l'es, tu devrais te mettre à montrer le coquettisme en ville : tu serais bientôt riche. Je te laisse avec lui ; car apparemment c'est un épouseur : et ma mère m'attend. Tu l'aimeras donc ? Cousine, voilà un gibier à trébuchet. Tu me mets là, cousine, à une rude épreuve. **** *creator_regnard *book_regnard_coquette *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_coquette *dist2_regnard_prose_comedy *id_ARLEQUIN *date_1691 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_arlequin Vous en avez menti, messieurs les commis de la barrière, je ne dois rien : vous êtes des fripons. On est plus assuré au milieu des bois que dans ce maudit pays-ci : on ne saurait faire un pas qu'on ne trouve un filou. Il n'y a pas une demi-heure que je suis arrivé dans Paris, et me voilà déjà presque tout déshabillé... Au voleur ! Au voleur ! Quelle maudite nation ! À peine suis-je entré dans la ville, qu'on fait derrière mon cheval l'opération à ma valise ; on en tire les hardes, et on la fait accoucher avant terme. En descendant à l'hôtellerie, on m'escamote ma casaque. Je fais deux pas dans la rue, un fiacre me couvre de boue depuis les pieds jusqu'à la tête ; un porteur de chaise me donne d'un de ses bâtons dans le dos : il vient un homme me saluer ; je lui ôte mon chapeau, un coquin par derrière m'arrache ma perruque ; et, pour comble de friponneries, on veut me faire payer l'entrée à la porte comme bête à cornes, parce que je viens pour me marier... Attendez donc que je sois... Monsieur, n'êtes-vous pas un coupeur de bourses ? Je crois, monsieur, que vous avez plus d'impatience de me faire votre gendre, que je n'en ai de vous voir mon beau-père. Vous avez une fille : ergo vous êtes pourvu d'une drogue dont vous voudriez être défait ; car une fille, c'est une fleur qui se fane, si elle n'est cueillie dans sa saison ; c'est un quartaut de vin de Champagne qui jaunit, s'il n'est bu dans sa primeur. Ah ! Cette marchandise-là ne dure toujours que trop. Vous pouvez aussi vous vanter que vous serez le beau-père de France le mieux engendré. Je n'ai aucune mauvaise qualité ; je hais le vin à la mort ; j'ai une aversion incroyable pour le jeu, et je suis fort aisé à vivre : je ne crois pas avoir assommé plus de vingt paysans ; et si, ce n'était que pour des bagatelles, quelques rentes seigneuriales. Je porte toujours cela sur moi, car je n'aime pas à être contredit. Fi, monsieur ! Il n'y a que des fripons qui s'amusent à ce métier-là. Je porte quelquefois des cartes et des dés par complaisance ; mais je ne m'en sers qu'en compagnie, et je vous assure que si j'étais seul je ne jouerais jamais. La crapule me fait horreur. Est-ce que les honnêtes gens boivent du vin ? Oui, parbleu ! Il l'a ; ce n'est que de l'eau-de-vie que je porte à une femme de qualité qui est en couche. L'emprunter ! Comment donc ! Est-ce là cette fille si neuve ? Si on me l'emprunte comme cela quand elle sera ma femme, elle ne durera pas si longtemps que je pensais. Mon garçon, la fille de monsieur se prête donc quelquefois de main en main quand on la demande ? Oui, monsieur du beau-père ! En tout cas, si dans six mois ou un an je ne m'accommodais pas de votre fille, en perdant quelque chose dessus, vous la reprendriez. Ne vous étonnez pas, mademoiselle, si vous me voyez reculer trois pas au frontispice de vos charmes : vous avez des yeux capables d'embraser tout le bailliage de mon coeur ; et depuis qu'on porte des bouches, on n'a jamais bouchonné un bouchon si bouchonnable. Il est vrai que pour des compliments, il n'y a personne dans notre province qui ose me prêter le collet. J'ai harangué une fois notre intendant pendant deux heures, avec tant d'éloquence, qu'il s'endormit tout debout, et ne s'éveilla qu'une heure après que j'eus fini. Bon ! A-t-on de l'esprit à Paris ? Sitôt qu'il y a un fat dans un pays, on l'y envoie ; c'est le rendez-vous de tous les sots de la France ; et, de tous les Parisiens, je ne vois que les Normands et les Manceaux qui aient un peu de brillant. La la ; elles sont d'assez bonne amitié : j'en ai trouvé quelques unes de jolies en mon chemin ; mais, tout franc, je n'en ai point encore vu une de votre calibre. Oui-da, oui-da, je trouve qu'elles se coiffent raisonnablement haut, et je crois que leurs maris ne sont guère coiffés plus bas, Pour moi, je trouve cela le plus joli du monde ; mais que disent les maris à Paris ? Les femmes feront durer cette mode-là le plus qu'elles pourront. Et, s'il vous plaît, quand une femme revient du bal à cinq heures du matin avec un cavalier, qu'elle éveille toute la maison, que disent les maris à Paris ? Un homme qui a le sommeil si bien en main n'a pas besoin d'être bercé. Mais, je vous prie, lorsqu'une femme vend ses pierreries pour faire l'équipage de quelque galant homme qui va à l'armée, que disent les maris à Paris ? Je ne m'en dédis point, voila de bonnes gens que ces Parisiens-là. Vaille que vaille, puisque j'ai fait les frais du voyage, je vous épouserai ; mais à condition que, dès le lendemain de la noce, vous vous mettrez dans la carriole du Mans pour venir régenter les chapons de ma basse-cour : l'air de Paris donne trop de maux de tête. Les filles de ce pays-ci sont faites avec des étoupes ; il ne faut qu'une étincelle... Très volontiers ; rien n'est plus aisé : aussi bien je suis en pourparler avec un marquis de nos cantons qui s'en va à l'armée ; et, comme il a besoin d'argent, il veut me vendre sa charge de marquis avec sa pratique. Oh ! Je n'en ai que faire : quand on a été toute sa vie élevé dans le Bas-Maine, les airs de cour ne sont que trop familiers. Adieu, ma belle enfant ; touchez là : dans une heure au plus tard je vous fais marquise ou baillivesse ; vous choisirez. Quand vous serez las de chanter, vous me direz peut-être ce que vous me voulez. Monsieur le meneur de ballets, peut-on savoir qui sont ces sauterelles-là ? Puisque ces créatures -là savent tant de belles choses, elles pourront donc bien me déterminer sur un mariage ? Mesdames, pour venir à la conclusion, Vous saurez que je sens une convulsion, Un appétit, nommé vapeurs de mariage ; Un... là... quelque Arlequin qui demande passage. Me dois-je marier ? Oh ! Vous avez raison. Et vous, à votre avis, me marierai-je, ou non ? C'est bien dit ; à ces mots il n'est point de réplique. Dans leur langue, à mon tour, il faut que je m'explique. Vous m'entendez donc bien : enfin, sans tant parler, (Car cela vous fait mal) devrais-je convoler ? Comment ? Quelle peste de gamme ! Celle-ci, par ma foi, lui rive bien son clou. J'en connais bien pourtant de plus d'une fabrique, Qui ne furent jamais faits dans cette boutique ; Enfants du pur hasard ; et, sans aller plus loin, J'en trouverais peut-être ici plus d'un témoin. Cet avis, à mon goût, vaut bien l'autre, madame. Oui, cela se disait du temps de Jean-de-Vert. Oh ! Vous avez raison ; je sais qu'une femelle Qui prétend se venger d'un époux offensif, Devient des animaux le plus vindicatif. Qui nous racquittera, dites-nous, s'il vous plaît, Lorsque de notre honneur elle tire intérêt ? Voilà, je vous l'avoue, un extrait de sorcière, Que les femmes devraient jeter dans la rivière : Elle en dit peu de bien. Mais parlez-moi français ;... là, si je me marie, Ne serai-je point,... là... Je vous en prie, Ne me déguisez rien. Là, ce qu'était Peut-être votre époux dans le temps qu'il vivait. Et pour les grands parfois. Ce sont elles, morbleu, qui nous les plantent là, De par Belzébuth. Assurément. Mauvaise sauvegarde Contre les accidents qu'une femme vous garde. Ah, ciel ! Nous y voilà. Ah ! Je sens déjà là... Ma foi ! Je crois à l'ascendant. Ce grand front, cet aspect... Dans cette conjoncture, Je crains bien de payer un jour avec usure Tous les frais de la guerre. Allons, tant que quelqu'un Plus courageux que moi prendra femme en commun, Je prétends me servir des droits du voisinage, Et laisser qui voudra goûter du mariage. En ces occasions, on court plus de danger À bâtir sur son fonds que sur un étranger. Je ne tâterai point de la cérémonie. Hélas ! C'en est fait, je suis mort ! Je n'en puis revenir. Prédiseuses du diable, ah ! Laissez-moi partir. Ah ! Plutôt qu'on me noie ! N'en faites rien ; je suis le dernier de ma race. Hé ! Mesdames, de grâce ! Un accord : je serai six mois de l'an garçon, Et six mois marié. Il faut donc que madame danse à votre place ? Parbleu ! Madame, vous danserez en vers, ou vous crèverez en prose. Madame Pindaret se laisse tomber. Voilà un vers à qui il manque un pied. Adieu, madame ; allez vous faire tirer trois palettes d'épigrammes de la veine poétique. Hé bien, mademoiselle, ne vous avais-je pas bien dit qu'il n'y avait guère de marquis plus ridicule que moi ? Étudié ! Moi, étudié ! Palsembleu ! Vous ne le prenez pas mal. Étudié ! Vous ne savez donc pas que je suis homme de qualité ? À peine sais-je écrire mon nom ! Cela est, parbleu, comme je vous le dis ; et je veux que le diable m'emporte si jamais j'ai eu d'autres livres qu'un almanach avec un Parfait Maréchal. Bon ! Que nous faut-il à nous autres gens de cour ? Beaucoup de bonne opinion, saupoudrée de quelques grains d'effronterie. Voilà toute notre science auprès des femmes. Ma foi, mademoiselle, il faut du plain-pied à un marquis. Je voudrais que vous vissiez à la Comédie le terrain que j'occupe sur le théâtre. Oh, parbleu ! La scène n'est jamais vide avec moi. Il n'y a que le théâtre de l'Opéra où je me trouve un peu en brassière ; je n'y saurais pirouetter à ma fantaisie. Je suis pourtant toujours sur le bord du théâtre. Il y a longtemps que j'ai secoué la pudeur de ces demi-gens de qualité qui commencent à se donner au public. Ventrebleu ! Je ne tâte point des coulisses ; sur l'orchestre, morbleu ! Sur l'orchestre. Parbleu ! Qu'il crève s'il veut ; il est payé pour cela. N'est-ce pas bien de l'honneur pour lui de voir des gens de qualité ? Ma foi, quand il n'aurait que ce plaisir-là, cela vaut bien une mauvaise comédie. Il est vrai que le parterre devient terriblement orgueilleux : ce sont ces Italiens qui ont achevé de le gâter. Savez-vous bien que cet été ils l'ont traité de monseigneur dans un placet ? Le parterre monseigneur ! J'enrage ! Moi, dans les loges ! Je vous baise les mains : je n'entends point la comédie dans une loge comme un sansonnet ; je veux, morbleu ! Qu'on me voie de la tête aux pieds, et je ne donne mon écu que pour rouler pendant les entr'actes, et voltiger autour des actrices. Ni moi de fille si ragoûtante. Voilà, mordi ! Une petite créature bien émerillonnée. Écoutez, ma fille, où demeurez-vous ? Tant mieux. Oui-da, mademoiselle ; vous pouvez vous habiller jusqu'à la chemise inclusivement. Margot est, ma foi, toute des plus jolies, et il y aurait plaisir de lui margotter le coeur ; je m'assure qu'elle n'a pas quinze ans. Peut-on voir votre minois, petite femelle ténébreuse ? J'entends, j'entends ; monsieur Harpillon a mis le frère dans un bureau, et mettra, s'il peut, la soeur en chambre. Fi ! Une bergame à une fille comme vous ! Si tu voulais, Margot, m'épouser à la Harpillon, j'irais moi jusqu'à une verdure. Écoutez, Margot, votre montée a peut-être raison, et il pourrait bien y avoir quelque chose à refaire à votre réputation. La bonne caution ! Croyez-moi, les environs de Paris sont terriblement dangereux. N'allez-vous point quelquefois au bois de Boulogne ? C'est peut-être là que votre mère a été égorgée. Ma foi, cette fille me plaît. Ma mie, me voudrais-tu tailler une chemise et quelques caleçons ? Hé bien, viens les faire chez moi. Plus je vois cette enfant-là, plus elle me plaît... Un petit mot : j'ai besoin d'une fille de chambre ; je crois que tu serais assez mon fait. Sais-tu raser ? Adieu, adieu, petite nymphe du bois de Boulogne. Elle n'est, morbleu, pas sotte, et je m'aimerais presque autant que vous. Nous autres gens de qualité, nous aimons quelquefois à rabattre sur la grisette. Et de notre mariage qu'en dirons-nous ? Moi, dans votre académie de filles ! Vous vous moquez ; j'ai des empêchements plus que légitimes. Et que faut-il faire pour cela ? Quand on a de cette besogne-là toute taillée chez soi, on n'a guère envie d'aller travailler en ville. Allons, faisons ce qu'il vous plaira. Voilà qui est bien drôle, qu'il faille, pour vous épouser, commencer par se déshumaniser ! Je peux présentement résister à la pluie ; me voilà bien peint. Monsieur, je vous prie de me dire si je suis mâle ou femelle ; car, ma foi, je n'y connais rien. Oh, oh ! Voilà qui est assez drôle. Par ma foi ! S'il y en a, c'est vous qui les avez faites, et qui avez voulu que je me sois fait et marquis et ce que me voilà... Voyez, ne me voilà-t-il pas bien désigné ? Allez-vous-en au diable, vous et votre fille, petit vilain grigou raccourci. Adieu, la belle ; je ne crois pas qu'il y ait au monde un animal plus méchant que vous. Il faut qu'un provincial ait bien le diable au corps, pour venir s'équiper d'une femme à Paris. **** *creator_regnard *book_regnard_coquette *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_coquette *dist2_regnard_prose_comedy *id_PIERROT *date_1691 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_pierrot Monsieur le conseiller a dit qu'il allait revenir. Il est venu aussi cette grande femme qui a le visage si creux, qui vous viendra voir tantôt, quand elle aura été chez son libraire. Me voilà, me voilà, monsieur. Vous criez plus fort qu'un fiacre mal graissé. Je suis avec l'amour. Je ne dors ni ne veille ; je sens toujours là un tintamarre, comme s'il y avait un régiment de lutins. Puisque monsieur vous l'a défendu, pourquoi y revenez-vous ? Monsieur, n'allez pas souffrir cela ; on vous prendrait pour un insensé. Va, va, tu n'as qu'à y revenir ; je te ferai danser un branle de sortie sans violons. Elles ont appris à danser du même maître. Fi ! Ce n'est pas là votre fait. Ma foi, monsieur, il faut dire la vérité ; voilà des filles bien civiles. Mais, monsieur, est-ce que vous voulez m'empêcher d'être civil ? Qu'est-ce que vous me voulez ? Bon, bon, bon, monsieur. Vous attendez donc quelque panier de volaille ? Quoi ! Tout de bon ? Un homme du Maine pour être le mari de votre fille ? Fi ! Monsieur, n'en faites rien ; il ne vient que des chapons de ce pays-là. Pardonnez-moi... mais... c'est que... en vérité... mademoiselle ; je m'en vais... Je n'oserais ; je sens là un tourbillon, un étouffement de la nature... heurtant contre l'amour. Tenez, voilà une lettre qui vous dira tout cela. Hé ! Mademoiselle, je sais bien que mon mérite n'est pas capable de mériter ;... mais, d'un autre côté,... voilà que l'occasion,... votre beauté... Je ne suis pas bien riche ; mais, ma foi, je suis un bon garçon. Ah ! Petit cocodrille ! Ouf ! Monsieur, je viens de chez votre notaire ; il vous prie bien fort de l'excuser ; il ne saurait venir aujourd'hui. Ni demain non plus : il lui est survenu une petite affaire ; je ne crois pas qu'il puisse venir si tôt. C'est, monsieur, qu'il est mort. Ho ! Oui, monsieur ; pour celui-là, on m'a dit qu'il était arrivé par le poulailler du Maine, et qu'il demeurait tout rasibus de chez nous. Tout franc, monsieur, je commençais à être bien las de toutes ces visageresses, et j'étais résolu de prendre mon congé ou de vous donner le vôtre. Mais, monsieur, je voudrais bien vous lâcher un petit mot, tandis que je sommes sur la chose du mariage. Monsieur, regardez-moi bien ; tel que vous me voyez, je me vais marier. Ce qui me console ; monsieur, c'est que celle que j'épouse est aussi folle que moi. Oh ! Monsieur, vous la connaissez bien ; c'est... mademoiselle votre fille. Vraiment, monsieur, cela est tout prêt ; on n'attend plus que votre consentement et le sien. Mais, monsieur, il ne faut pas se fâcher ; cela n'est pas si inégal. Je suis un garçon, une fois, et elle est une fille ; et puis, monsieur, je ne sais ce que c'est que de faire le blêche : vous me donnez quinze écus par an ; j'aime mieux n'en gagner que dix et être votre gendre. Voilà comme je parle, moi. Eh ! Fi donc, monsieur ; est-ce comme ça qu'on parle de mariage ? Tenez, voilà votre diable de bailli ; est-ce qu'il est mieux fait que moi ? Monsieur du quartaut, vous n'en aurez peut-être que la baissière. Je vous l'ai toujours dit, monsieur ; il n'y a que les mauvaises compagnies qui gâtent la jeunesse. Bon ! Monsieur, vous avez la berlue. Elle n'est pas ici. Non, monsieur ; j'ai vu un chevalier avec un abbé qui sont venus pour l'emprunter jusqu'à sept heures. Oui, monsieur, tous les jours ; il y a tout plein d'honnête monde qui la vient prendre pour la divertir. On ne parle point du loup qu'on n'en voie la queue. Tenez, la voilà. Ne vous avais-je pas bien dit qu'elle viendrait souper avec vous ? Il n'y a point de fille à Paris si bien morigénée ; elle ne couche jamais en ville. Enfin, Pierrot, te voilà dans le bourbier jusqu'au cou. De quoi t'avises-tu d'être amoureux ? Tu ne fais plus que quatre repas par jour ; tu ne saurais plus t'éveiller qu'à midi sonné : tu vois bien qu'en cet état-là tu ne peux pas faire longue vie. Hé bien, je mourrai. Tu mourras ! Sais-tu bien qu'il n'y a rien de si triste que la mort ? Il n'importe ; je ne verrai plus cette ingrate, cette.... Je dis... Je dis, mademoiselle, que quand je serai mort, je ne verrai plus goutte. Mademoiselle, assurément vous me ferez faire quelque mauvais coup : je me serais déjà jeté vingt fois par la fenêtre de notre grenier, s'il avait été seulement un étage plus bas. Allez, vilain petit porc-épic, le ciel vous punira. Ô amour ! Amour ! Ô Pierrot ! Pierrot ! Ha, ha, ha ! Essuyez-vous, monsieur le bailli, vous êtes tout barbouillé. Monsieur, quand je vous ai dit que j'étais mieux le fait de votre fille que cet homme-là, est-ce que je me trompais ? Il faudra pourtant que vous y veniez. Que d'une dent, monsieur le bailli, que d'une dent. **** *creator_regnard *book_regnard_coquette *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_coquette *dist2_regnard_prose_comedy *id_MEZZETIN *date_1691 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mezzetin Oui, mademoiselle, nous avons résolu cela : et s'il ne vous épouse, je vous épouserai, moi. Hé ! Bonjour, mademoiselle ; comment vous portez-vous ? Il y a mille ans que j'ai envie de vous venir voir, et de profiter de l'honneur de votre voisinage. Peut-on savoir, la belle, quels sont vos plaisirs ? Vous êtes toujours dans le grand monde ; on dit que c'est vous qui faites l'honneur du quartier. Nous faisons nos visites de quartier. Une charrette de foin a fait un embarras, ce qui nous a obligées de nous sauver chez Lamy, où nous avons bu chacune trois bouteilles de vin pour nous désennuyer. Madame la Marquise veut qu'on lui rende justice, et qu'on lui dise qu'il n'y a point de Breton qu'elle ne boive par-dessous la jambe ; c'est bien le plus hardi vin de femme ! Vous ne vous trompez point. À propos de mariage, ma belle voisine, on m'a dit que vous couchiez la noce en joue. Une fille comme vous peut-elle se résoudre à cette vilenie-là ? Il est vrai ; mais je n'avais que quinze ans pour lors ; vous savez que c'est un âge terriblement scabreux pour une fille. Pourrez-vous abandonner votre taille aux accidents du mariage ? Cela est fort bon pour vous, madame la Marquise, qui avez quantité d'enfants de votre premier lit ; mais une fille qui se marie est bien aise de savoir au juste à quoi elle est propre. J'en aurais bien eu vingt-cinq ou trente, si tout était venu à profit ; mais les fausses couches ont fait de terribles brèches dans ma famille. Le dirait-on à ma taille ? Depuis deux ans, Dieu merci, j'en suis un peu la maîtresse ; j'ai obligé monsieur le Comte à faire lit à part ; car je suis présentement bien revenue de la bagatelle. Madame, il fera comme il pourra. Ah, mademoiselle ! Vous ne deviez jamais lâcher le mot de bailli. À l'heure qu'il est, cela me dévoie. Un bailli ! Encore si c'était un procureur fiscal ! Si je passe la première, je veux que cinq cent mille diables me tordent le cou ! Monsieur, ce sont des filles surnaturelles, qui connaissent les astres, les langues, et tout ce qu'il y a de plus extraordinaire au monde et hors du monde ; elles ne parlent qu'en vers : enfin, ce sont des filles d'un mérite sublime. Vous ne pouvez pas mieux vous adresser. Ô toi qui veux épouser Colombine, Reçois l'honneur que sa main te destine: Tu n'étais qu'un vilain magot, Un ostrogot, Un escargot ; Tu vas être aussi beau qu'une fille Gentille, Ou peu s'en faut. Reçois cette coiffure en malice féconde ; Avec cet ornement, Tu peux facilement Insulter hardiment Et la brune et la blonde ; Avec cet ornement, Tu charmeras tout le monde. Micropoli, chariba, charistac. Baroquina, bocardo, merlinbrac. Ministres de mon art, Versez tout votre fard Sur ce nez en pied de marmite ; Barbouillez vite ce museau, Et nettoyez votre pinceau Sur cette trogne hermaphrodite. Ah ! Qu'il est beau!... oh, oh ! Le damoiseau Au museau De couleur de pruneau ; Faisons le pied de veau : Ah !qu'il est beau !... oh, oh ! **** *creator_regnard *book_regnard_coquette *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_coquette *dist2_regnard_prose_comedy *id_PASQUARIEL *date_1691 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_pasquariel On a dû vous dire, mademoiselle, que mon équipage s'est arrêté vingt fois à votre porte ; mais vous êtes introuvable, et toute des plus rares. Mais voyez ce teint, je vous prie, madame la Comtesse. Apparemment que vous l'avez pris du bon faiseur ; je n'ai jamais rien vu d'aussi charmant. Il faut dire la vérité ; madame la Comtesse porte le vin comme un charme. Faites comme moi, mademoiselle ; depuis que j'ai épousé mon mari, nous ne couchons plus ensemble. Pour moi, je suis malheureuse en garçons ; je n'en saurais élever ; je n'en ai plus que dix-sept. Peut-on savoir, ma chère, qui vous épousez ? À un bailli !... À un bailli !... Ah ! Ouf ! Je me trouve mal ! Un bailli ! Ah ! Quelle ordure ! Non, madame, assurément je ne passerai pas, ou la peste m'étouffe ! **** *creator_regnard *book_regnard_coquette *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_coquette *dist2_regnard_prose_comedy *id_BAGATELLE *date_1691 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_bagatelle Mademoiselle, c'est que j'achevais ma main au lansquenet. Il est venu cinq ou six personnes ; mais j'ai oublié leurs noms et ce qu'elles m'ont dit. Ne lui dirai-je pas aussi de nous faire des culottes ? La mienne est toute déchirée entre les jambes, et ma chemise passe, révérence parler, par... Mademoiselle, voilà monsieur le comte Octave. **** *creator_regnard *book_regnard_coquette *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_coquette *dist2_regnard_prose_comedy *id_MADAMEPINDARET *date_1691 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madamepindaret Ah, ma chère belle ! Que je suis heureuse de vous rencontrer ! Car vous êtes la fille de France la plus introuvable. En vérité, mademoiselle, il faut que votre train soit travaillé d'un prodigieux dévoiement de mémoire ; oui, je crois que je suis venue ici plus de dix fois depuis les calendes du mois dernier. Les calendes, mademoiselle ; c'est la manière de compter des Romains, et la mienne. Si ma servante datait sa dépense autrement, elle ne coucherait pas chez moi deux jours de suite. Je veux de l'érudition jusque dans ma cuisine. Il faut dire la vérité ; on se décrasse en ma compagnie, et tout le monde avoue que je n'ai point la conversation roturière. Bon ! Cela ne coûte rien à une femme comme moi, qui se joue des auteurs ; j'entretiens commerce avec les anciens, et je fraye aussi avec les modernes. Assurément, mademoiselle ; j'en attrape assez le vrai, et je veux vous faire voir quelle est ma lecture quotidienne. Laquais ! Petit garçon ! Donnez-moi mon Juvénal. Ce livre in-quarto que je vous ai donné tantôt. Eh ! Le petit ignorant ! Qu'il vous arrive une autre fois de l'oublier ! Je prends toujours la précaution de me faire escorter de ce livre-là, quand je vais en visite de femmes, pour me dédommager des minuties de leur conversation. Êtes-vous comme moi, ma chère ? Toutes les visites de femmes me donnent la colique. Vous auriez de la chalandise. J'allai voir, il y a quelque temps, une marquise ; je ne fus qu'un quart d'heure avec elle, c'était pendant la canicule : sa conversation ne laissa pas de m'enrhumer si fort, que je me suis mise au gruau pendant trois semaines pour en revenir. Vous ne sauriez vous imaginer jusqu'où va l'ignorance de cette femme-là. Ignorantissime ! Croiriez-vous ?... Mais non ; cela n'entre point dans l'esprit. Croiriez-vous qu'elle ne put jamais me dire dans quelle olympiade mourut Épaminondas ? Il ne tint qu'à moi. À propos, mademoiselle, avec-vous vu mon madrigal ? Vous n'êtes donc pas de ce monde ? C'est une pièce qui a déjà souffert la troisième édition, et qui a marié les trois filles de mon libraire. Je vais vous le lire. Ce n'est pas cela ; c'est un rondeau sur une absence, que je laisse quelque temps mitonner sur le réchaud de la réflexion... Ni cela ; c'est la vie de Thémistocle, en vers burlesques. Je tiens un poème épique aux cheveux, qui surprendra tout Paris. Ah ! Voici notre madrigal. MADRIGAL, Sur l'inconstance d'une maîtresse qui changea d'amant, parce qu'il avait soupiré par le derrière. Vous entendez bien cela ? Quoi ! Pour avoir laissé sauver un prisonnier Qui n'a de voix que pour crier, Votre coeur fait la pirouette, Et se fait un nouvel amant ! On dira, volage Lisette, Que ce coeur est si girouette, Qu'il change au moindre petit vent. J'ai d'assez belles humanités, comme vous voyez ; mais je vais me donner à la physique. Oui, mademoiselle. C'est une des plus nobles sciences qu'il y ait ; elle a pour objet tout ce qui tombe sous les sens, et par conséquent, le corps humain, qui est la plus belle et la plus parfaite de toutes les structures humaines. Adieu, mademoiselle ; je sens que ma colique veut me reprendre. Je ne me prostitue jamais à une longue conversation, et j'aime les visites brèves et laconiques. Moi, monsieur ! Excusez-moi, s'il vous plaît ; je ne danse point, je fais des vers. Ah, ah ! Voilà un menuet qui m'a mise sur les dents. J'aimerais mieux faire vingt sonnets que de... Ah, ah ! Souffrez, mademoiselle, que je vous quitte pour aller me mettre au lit. **** *creator_regnard *book_regnard_coquette *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_coquette *dist2_regnard_prose_comedy *id_MARGOT *date_1691 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_margot Oui, mademoiselle j'espère qu'il vous habillera parfaitement bien : depuis que je travaille, je n'ai jamais vu d'habit si bien taillé. Pas loin d'ici. Je n'oserais, mademoiselle. C'est que monsieur Harpillon m'a défendu de regarder les hommes ; et il serait fâché s'il savait que je me fusse montrée. C'est un des gros fermiers, qui est mon parrain ; il fait du bien à toute notre famille, et il a déjà donné un bon emploi à mon grand frère. Oh ! Monsieur, il n'y a point de ce que vous pensez à son fait : c'est un homme qui n'a que de bons desseins ; il m'a promis de m'épouser ; et pour preuve de cela, il m'a déjà envoyé une housse verte avec une bergame. Je vous remercie, monsieur ; cela ferait jaser le monde. Tenez, monsieur, pour avoir été un jour promener avec mon cousin, vous ne sauriez croire quels contes on a faits. Il y a les plus maudites langues dans notre montée. Dieu m'en garde, monsieur ! Ma mère me l'a défendu, et m'a dit que c'était un vrai coupe-gorge pour une fille. Je suis votre servante, monsieur ; on ne travaille point en homme au logis. Ce n'est peut-être pas la faute du manteau, mademoiselle. Moi, raser ! Je vois bien que vous êtes un gausseur: je mourrais de peur, si je touchais un homme seulement du bout du doigt. Adieu, mademoiselle ; dans un quart d'heure je vous rapporterai votre manteau avec de la gorge.