**** *creator_regnard *book_regnard_divorce *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_divorce *dist2_regnard_prose_comedy *id_JUPITER *date_1688 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_jupiter Arlequin. Je descends exprès des cieux pour voir une répétition de la pièce nouvelle qu'il y a si longtemps que tu promets. On dit que l'on y sépare un mari d'avec sa femme ; et comme Junon est une carogne qui me fait enrager, je pourrai bien en faire venir la mode là-haut. Ne te mets pas en peine ; j'ai fait provision de quantité de foudres de poche ; et le premier siffleur qui branlera, par la mort ! Je lui brûlerai la moustache. Je vais me placer aux troisièmes loges pour mieux voir. Je me suis amusé, en venant, à jouer à la boule aux petits-carreaux, contre quatre procureurs qui ne m'ont laissé que trente sous. **** *creator_regnard *book_regnard_divorce *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_divorce *dist2_regnard_prose_comedy *id_MERCURE *date_1688 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mercure Terminez vos regrets, que votre douleur cesse ; Dans votre sort Jupiter s'intéresse, Et vient pour empêcher que tu rendes l'argent. Je le vois qui descend. Qu'un changement favorable Nous arrête dans ces lieux, Pour voir un spectacle aimable ; C'est l'ordre irrévocable Du souverain des dieux. Ô déplorable coup du sort ! Ô malheur ! Patrocle est mort. **** *creator_regnard *book_regnard_divorce *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_divorce *dist2_regnard_prose_comedy *id_ARLEQUIN *date_1688 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_arlequin Hé ! Que diable, messieurs, ne sauriez-vous mieux prendre votre temps pour être malades ? Cela est de la dernière impertinence, de se trouver mal quand il faut gagner de l'argent. Que voulez-vous que je fasse de tout ce monde-là ? Messieurs, ce que je vais vous dire vous déplaira peut-être ; mais, en vérité, j'en suis plus fâché que vous, et personne n'y perd tant que moi.Nous ne pouvons pas jouer la comédie aujourd'hui ; voilà notre portier qui vient de se trouver mal, et Pantalon, qui devait faire un rôle de Patrocle, est indisposé. On va vous rendre votre argent à la porte. Vous voyez, messieurs, que nous ne suivons pas les mauvais exemples, et que nous rendons l'argent, quoique la comédie soit commencée. Jupiter. Mais, Monsieur Jupiter, quelle apparence ? Nous ne la savons pas encore : il va venir un débordement de sifflets de tous les diables. Oh ! Tout doucement, Monsieur Jupiter ; ne choquons point le parterre, s'il vous plaît ; nous en avons besoin : cela ne se gouverne pas comme votre tête. Messieurs, puisque Jupiter l'ordonne, et que d'ailleurs... l'occasion... de la faveur... votre bonté... votre argent... qu'on a de la peine à rendre ; ... vous voyez bien, messieurs, que nous vous allons donner "Le Divorce". Ah ! Monsieur Jupiter, un gentilhomme comme vous aux troisièmes loges ? Où diable vous êtes-vous fourré là ? Ces messieurs-là savent aussi bien rouler le bois que ruiner une famille. Monsieur Jupiter, si vous vouliez me laisser votre monture, je la ferais mettre à la daube : aussi bien les dieux de l'opéra, qui sont bien montés quand ils viennent, s'en retournent toujours à pied. Je frémis ; parle. Oui, Messieurs, étranger, étranger, arrivé tout-à-l'heure dans cette ville ! Le diable emporte toute la race badaudique ! Je n'ai jamais vu de gens plus curieux, ni plus insolents ; ils crient après moi, il a chié au lit, il a chié au lit, comme si j'étais un masque. Mais... Il me semble... D'avoir vu cette tête-là sur un autre corps. Mez... Mezzetin. Ah ! Parente ! Parente ! Je l'ai trouvé à terre. Qui ? Monsieur Aurélio, mon ancien maître ? Celui qui a tant de noblesse, et qui n'a jamais le sou ? Tant pis ; car je ne suis pas aussi sot que je l'ai été, moi ; et je ne m'emploierai jamais pour qui que ce soit, qu'auparavant je ne sois assuré de la récompense. Eh ! Point du tout ; je me porte le mieux du monde : il est vrai que j'ai eu quelque petite indisposition, et que j'ai été sur le point de mourir de la courte haleine ; mais je m'en suis bien guéri. Oui-dà. Tu sais bien que j'ai toujours aimé les grandes choses : dès le temps même que nous avions l'honneur de servir ensemble le roi sur ses galères... Je n'eus pas plus tôt quitté la rame, que je me jetai malheureusement dans les médailles. Non, dans les médailles ; c'est-à-dire que quand je n'avais rien à faire, pour me désennuyer, je m'amusais à mettre le portrait du roi sur des pièces de cuivre, que je couvrais d'argent, et que je donnais à mes amis pour du pain, du vin, de la viande, et autres choses nécessaires : mais comme il y a toujours des envieux dans le monde (voyez, je vous prie, comme on empoisonne les plus belles actions de la vie !), on fut dire à la justice que je me mêlais de faire de la fausse-monnaie. D'abord la justice m'envoya prier de lui aller parler. Nenni, diable ! C'étaient tous gens de distinction et qualifiés. Ils avaient des épées, des plumets bleus, des mousquetons. Ces messieurs montèrent donc dans ma chambre, et, le plus honnêtement du monde, me prièrent, de la part de la justice, de lui aller parler tout-à-l'heure ; qu'il y avait un carrosse à la porte, qui m'attendait. Et moi, j'eus beau dire que j'avais affaire, que je ne pouvais pas sortir, que j'irais une autre fois, il me fut impossible de résister aux honnêtetés et aux empressements de ces messieurs-là. Oh, pour cela, rien n'est plus vrai ; je n'ai jamais vu de gens plus honnêtes. L'un m'avait pris par un bras, aussi m'avait fait l'autre, en me disant le plus obligeamment du monde : "Oh ! Puisque nous avons été assez heureux que de vous trouver, vous ne nous échapperez pas, et nous aurons le plaisir de vous emmener avec nous" ; et à force de civilités, ils m'entraînèrent dans leur carrosse, et me conduisirent à la justice. D'abord que je fus arrivé, on me présenta à cinq ou six visages vénérables, qui étaient assis sur des fleurs-de-lis. Assurément. Celui qui était au milieu d'eux me dit : n'est-ce point vous, monsieur, qui vous mêlez de médailles ?À quoi je répondis fort modestement : oui, monsieur, pour vous rendre mes très humbles services. Vous êtes un honnête homme, ajouta-t-il ; tout-à-l'heure nous allons parler à vous ; asseyez-vous toujours en attendant. Bon ! Sur une petite chaise de bois qu'on avait mise à côté de moi. Ces messieurs donc, après s'être parlé à l'oreille, me demandèrent encore si véritablement c'était moi qui avais cet heureux talent ? Je leur répliquai qu'oui, que je leur demandais excuse si je ne faisais pas aussi bien que je l'aurais souhaité ; mais que j'avais grande envie de travailler, et qu'avec le temps, j'espérais devenir plus habile. Vous l'avez dit. Je remarquai que mon discours les avait réjouis ; mais cela n'empêcha pas qu'ils ne me condamnassent sur l'heure à être pendu et étranglé à la Croix Du Trahoir. Quand j'entendis qu'on m'allait pendre, je commençai à crier : mais, messieurs, vous n'y pensez pas. Me pendre, moi ! Je ne suis qu'un jeune homme qui ne fais que d'entrer dans le monde ; et d'ailleurs, je n'ai pas l'âge compétent pour être pendu. Aussi y eurent-ils beaucoup d'égard ; et, pour faire les choses dans l'ordre, ils me firent expédier une dispense d'âge. Me voilà donc dans la charrette. Je ne disais mot ; mais j'enrageais comme tous les diables. Nous arrivons enfin à la Croix Du Trahoir, au pied de cette fatale colonne qui devait être le non-plus-ultrà de ma vie, et qu'on appelle vulgairement la potence. Comme j'étais fort fatigué du voyage, j'avais soif, je demandai à boire : on me proposa si je voulais de la bière. Je dis que non, et que cela pourrait par la suite me donner la gravelle ; je priai seulement les archers de me laisser boire à la fontaine. On se range en haie ; je m'approche de la fontaine ; je donne un coup d'oeil autour de moi, et zest, je m'élance la tête en avant dans le robinet de la fontaine.Les archers, surpris, courent à moi, et me tirent par les pieds ; et moi je m'enfonce toujours avec les mains, de manière que j'entrai tout entier dans le tuyau de la fontaine, et il ne resta aux archers que mes souliers pour les pendre. Du robinet de la fontaine, je descendis dans la Seine ; de là, je fus à la nage jusqu'au Havre-de-Grace ; au Havre-de-Grace, je m'embarquai pour les Indes, d'où me voilà présentement de retour ; et voici mon histoire achevée. Va, va, mon ami, quand on est près d'être pendu, on est diablement mince. Je le fais exprès pour épargner les semelles. On m'a dit, monsieur, que vous aviez besoin d'un homme de ma profession ; je viens vous offrir mes services. Ne vous mettez pas en peine, monsieur ; dans deux petites heures votre affaire sera faite. Oh ! Que cela ne vous étonne pas : j'ai bien été trois mois entiers après une barbe, et tandis que je rasais d'un côté, le poil revenait de l'autre : mais présentement je suis plus habile ; vous allez voir. Ah ! Ma foi, je vous demande pardon : l'empressement de vous raser m'a fait prendre mon manteau pour votre linge à barbe. Allons, toi, donne-moi le linge, vite. C'est maître Jacques, celui qui accommode mes outils. Venez, maître Jacques, repassez-moi ce rasoir pour faire la barbe à monsieur. Allons, allons, monsieur, je n'ai point de temps à perdre. Mettez-vous là. Point du tout, monsieur ; mais c'est qu'il y a des gens qui sont terriblement rétifs sous le fer, et avec cet instrument-là, on leur couperait la gorge, qu'ils ne diraient mot. C'est un bassin à deux mains. Que de babil ! Tenez-vous donc, si vous voulez ; croyez-vous que je n'aie que vous à raser ? C'est que vous avez le cuir si dur, que vous ébréchez tous mes rasoirs. La peste m'étouffe, si vous branlez, je vous coupe la gorge. Quel homme êtes-vous donc ? Limousin, monsieur, pour vous rendre service. Je crois aussi être le premier de mon pays qui ait embrassé le parti de la savonnette. J'étais auparavant tailleur de pierres ; et comme on disait que j'avais beaucoup de légèreté dans la main, je crus que je serais plus propre à ce métier-ci. Et de tailleur de pierres, je me suis fait tailleur de barbes. Ah ! Monsieur, vous vous moquez ! Ce sont de petits talents qu'on reçoit de la nature, et dont un honnête homme ne doit pas se glorifier. Tant, que je n'y saurais suffire. C'est moi qui fais la barbe et les cheveux à tous les limousins qui viennent ici travailler, et j'ai une pension de la ville pour faire tous les quinze jours le crin au cheval de bronze. Hai ! Hai ! Point, point ; voilà qui est passé. Hai ! Hai ! Oh ! Pour le coup, je n'y puis plus tenir. Hai ! Hai ! Hai ! Une colique épouvantable qui me prend... Je suis à vous tout-à-l'heure. Hai ! Hai ! Hai ! Point du tout, monsieur ; cela n'en valait pas la peine : j'ai changé d'avis, et j'ai mieux aimé insulter la doublure de ma culotte que de vous faire attendre plus longtemps. Qu'appelez-vous, monsieur, s'il vous plaît ? Chacun ne fait-il pas de sa culotte ce qu'il lui plaît ? Comment, mardi, par les fenêtres ! Est-ce ainsi qu'on insulte un officier public ? Oh çà ! Je vous dis encore une fois que nous nous brouillerons, si vous ne me tenez parole. J'ai fait le barbier ; j'ai volé la bourse ; il y avait cent louis d'or dedans ; vous m'en avez promis dix : je prétends les avoir, ou je ne me mêle plus de rien. Pour épouser Colombine, j'en ferais cinquante, des fourberies. J'aurai Colombine, au moins. Et Colombine m'aura-t-elle aussi ? Je l'aurai, je ne l'aurai pas ; je l'aurai, je ne l'aurai pas ; je l'aurai, je ne l'aurai pas : je ne l'aurai pas. Je n'aurai pas Colombine : hi, hi, hi ! C'est la boutonomancie. Voilà Colombine. Et voici Arlequin. Arlequin dit : bonjour, ma colombelle.Colombine répond : bonjour, mon pigeonneau... Adieu, ma belle... Adieu, mon... Je répétois le compliment de noce. Mezzetin ! Y aura-t-il des violons à ma noce ? Mezzetin ! Et y dansera-t-on, à la noce ? On dansera à ma noce, et je danserai avec Colombine ! Ah ! Quel plaisir ! Je suis dans un lit ? Mezzetin ! Fermez les rideaux du lit, de peur du vent. Mezzetin ! Donnez-moi le pot-de-chambre. Ah ! Ma chère Colombine, que je t'embrasse, mon petit coeur, m'amour. Colombine ! Et où est-ce qu'elle est ? Si je sais plaider ? J'ai été quatre ans cocher du plus fameux avocat de Paris. Il me fit une fois plaider en sa place pour un homme qui avait fait quelque petite friponnerie. Il devait naturellement, et suivant toutes les règles de la justice, aller droit aux galères : je lui épargnai la fatigue du chemin : je fis tant qu'il n'alla qu'à la grève. Je criai comme un diable. Cela est vrai. Non. C'était moi qui recousais les sacs et les étiquettes. Et comment m'y prendre ? La profession d'avocat n'est pas si aisée. Un avocat mange des saucisses ? Oh ! Si cela est, je serai avocat, et bon avocat ; car je mangerai plus de saucisses qu'un autre : je les aime à la folie. Laisse-moi faire, pourvu que les saucisses marchent... Je ne puis pas. C'est que je n'ai pas encore été à la buvette. Mais répétons donc aussi la buvette. Messieurs... Messieurs... Messieurs... Messieurs, je conclus... Monsieur L'Hyménée, ce n'est pas tout : vous venez de défaire un mariage ; mais il s'agit d'en refaire un autre entre Colombine et moi. Je le veux bien ; car j'ai toujours ouï dire qu'une femme et un almanach sont deux choses qui ne sont bonnes tout au plus que pour une année. **** *creator_regnard *book_regnard_divorce *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_divorce *dist2_regnard_prose_comedy *id_ISABELLE *date_1688 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_isabelle Ah ! Colombine, quel bruit épouvantable ! Quelle rumeur ! Mais il faut qu'on ait perdu l'esprit, de faire un tintamarre semblable dans mon antichambre ! Quelle brutalité de m'éveiller à l'heure qu'il est ! Non, je ne crois pas qu'il soit encore midi ; il n'y a pas trois heures que je suis rentrée. Je crois, Colombine, que je suis faite d'une jolie manière. Ah ! L'horreur ! Quelle extinction de teint ! Ah ! Fi, Colombine, avec ton rouge ! Tu me mets au désespoir. Crois-tu que je puisse me résoudre à donner tous les jours un habit neuf à mes appas ? J'ai une conscience si délicate, que je me reprocherais les conquêtes qui ne se seraient pas faites de bonne guerre, et je crois que je mourrais de honte d'avoir dix années de plus que mon visage. Mon dieu ! Les femmes ne sont-elles pas assez déguisées sans se masquer encore ? Et pourquoi veulent-elles peindre leur peu de sincérité jusque sur leur visage ? Pour moi, je ne suis point de ce nombre-là ; j'aime mieux qu'on me trouve un peu moins jolie, et être un peu plus vraie. Bon ! Tu te moques, Colombine : est-ce que tu as vu cela ? Tu veux t'égayer, Colombine. Qu'on le fasse entrer. Votre nom, monsieur, est assez connu dans Paris ; et j'espère devenir une bonne écolière, ayant pour maître le plus habile homme du métier. Il est vrai que voilà une pensée qui est tout-à-fait bien mise en oeuvre ; c'est un brillant. Vous me surprenez, monsieur : j'avais toujours cru que l'opéra était le lieu du monde où l'on prenait le meilleur air. Mon dieu, que voilà un joli habit ! Je vous trouve un fonds de bon air que vous répandez sur tout. J'en suis charmée. Pour aujourd'hui, monsieur, il n'y a pas moyen ; je suis d'une fatigue, cela ne se conçoit pas. Mais avant que de me quitter, je vous prie de me dire combien vous prenez par mois. Ne vous en allez pas, monsieur, je vous prie. Je veux que vous entendiez chanter cet homme-là ; c'est un italien. Je suis ravi, messieurs, que vous vous trouviez ensemble. L'on n'est pas malheureux, quand on peut unir deux illustres. Je vous prie, monsieur, de vouloir bien chanter un air. Eh bien ! Monsieur, que dites-vous de ce chant-là ? Ah ! Vraiment, je vous trouve plaisant ! J'aime assez vos airs de reproches ! Et depuis quand les maris prennent-ils ces hauteurs-là avec leurs femmes ? Sachez, s'il vous plaît, monsieur, qu'un homme comme vous, qui a épousé une fille de qualité comme moi, est trop heureux quand elle veut bien s'abaisser à porter son nom. Mon mérite n'est-il pas bien soutenu d'avoir pour piédestal le nom de Monsieur Sotinet ! Madame Sotinet ! Ah ! Quelle mortification ! Je sens un soulèvement de coeur, quand j'entends seulement prononcer le nom de Monsieur Sotinet. Pourquoi voulez-vous qu'elle se taise, quand elle a raison ? Ne sait-on pas assez dans le monde l'honneur que je vous ai fait, quand je vous ai épousé ? Mais vous devez vous mettre en tête que je vous ai plutôt pris pour mon homme d'affaires que pour mon mari ; et je vous prie de ne plus vous mêler de ma conduite. Ah ! Colombine, ne te souviens-tu point de ce petit air que m'apprit hier monsieur le marquis ? Je l'ai oublié. Eh bien ! Monsieur, aurez-vous bientôt fait ? Savez-vous que je ne m'accommode point de tous vos dialogues. Je vous prie, monsieur, de vous en aller dans votre appartement, et de me laisser en repos dans le mien. Sitôt que je suis un moment avec vous, mes vapeurs me prennent d'une violence épouvantable. Ah ! Colombine, je n'en puis plus. Soutiens-moi. De l'eau de la reine d'Hongrie. Hai ! À te dire vrai, Colombine, je suis bien lasse de la vie que je mène. C'est un homme qui n'est jamais dans la route de la raison ; il a des travers d'esprit qui me désolent. Mais que veux-tu ? Je suis mariée ; c'est un mal sans remède. Toute ma consolation est que nous nous ferons bien enrager tous deux. Mon dieu ! Colombine, je voudrais bien n'en point venir là : je fais même tout ce que je puis pour avoir quelque estime pour Monsieur Sotinet ; mais je ne saurais en venir à bout. Je voudrais, Colombine, que tu fusses mariée ; tu verrais si c'est une chose si aisée que d'aimer un mari. Et va, va ; je n'y tâche que de bonne sorte. Mais nous perdons bien du temps. Je dois aller passer l'après-dînée chez la marquise : viens achever de m'habiller dans mon cabinet. Je suis ravie, monsieur, de l'honneur que je reçois ; mais je voudrais que ce ne fût pas une suite de votre malheur, et devoir à ma bonne fortune, et non pas à votre mauvaise, la visite que je reçois : mais il faut espérer que vous serez plus heureux. Monsieur le chevalier voudra bien passer toute l'après-dînée avec nous ? Dites là-bas qu'on leur donne à manger. Oh ! çà, monsieur le chevalier, voilà un chagrin qui me saisit. Que ferons-nous après la collation ? Quand je n'ai plus que deux ou trois plaisirs à prendre dans le reste du jour, je suis dans une langueur mortelle ; et je m'ennuie presque toujours, dans la crainte que j'ai de m'ennuyer bientôt. Il faut envoyer voir ce que l'on joue aux italiens. Broquette, broquette ! Allez voir ce que l'on joue aujourd'hui à l'hôtel de Bourgogne. Qu'importe ? Nous irons dans le carrosse de monsieur le chevalier. Ah ! Fi, Colombine, avec ton opéra. Peut-on revenir à la demi-Hollande, quand on s'est si longtemps servi de batiste ? J'y allai dès deux heures à la première représentation ; j'eus tout le temps de m'ennuyer avant que l'on commençât ; mais ce fut bien pis, quand on eut une fois commencé. Je vois bien que nous ne sommes pas engouées de musique aujourd'hui, et qu'il faudra nous en tenir à la comédie italienne. Vous n'attendîtes donc pas que la toile fût levée ? Approchez, petit garçon. Eh bien ! Quelle pièce joue-t-on ? Deux : un pour monsieur le chevalier, et l'autre pour moi. Non. Ne savez-vous pas bien que monsieur ne mange point à table quand il y a compagnie ? En vérité, Colombine, j'ai eu bien de la peine à me résoudre à ce que tu as voulu. On va me tympaniser par la ville, et je vais donner la comédie à tout Paris. Il fallait donc, Colombine, que j'apprisse de longue main à mépriser, comme ces femmes dont tu me parles, les chimères et les fantômes de réputation et d'honneur qui font peur aux esprits simples comme le mien. Je conviens, avec toi, qu'il y a beaucoup d'honnêtes femmes qui sont lasses de leur métier et de leur mari ; mais, du moins, elles n'en instruisent pas la ville par la bouche d'un avocat, et ne se font point déclarer fieffées coquettes par arrêt de la cour. Fais donc tout ce que tu voudras. Mais, faudra-t-il que j'aille solliciter toutes ces jeunes barbes de juges, qui me riront au nez, et qui sont ravis d'avoir des affaires de cette nature-là ? Je ne sais pas, Colombine, dans quelle affaire tu m'embarques là. Ne vous mettez pas en peine, madame ; je vous en tirerai. Je ne vous dis pas ce que j'ai envie de faire. **** *creator_regnard *book_regnard_divorce *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_divorce *dist2_regnard_prose_comedy *id_AURELIO *date_1688 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_aurelio Cosi è, Mezzetino. T'assicurio, Mezzetino, ch'il matrimonio di mia sorella con Sotinetto non è stato mai mio gusto ; e se ne fossi stato creduto, egli non si sarreba mai conchiuso. Ma che ? Al fato non vi è rimedio. Benissimo.Ma per addolcir la stato de mia sorella, io non veda altro mezzo, ch'une bonissima separazione. Sotinetto ? E che cosa facevi in cantina con la serva ? Orsù, vado a trovar mia sorella ; farò il possibile per resolverla a separarsi da suo marito.Tu pensa in tanto a quelle vieni di promettermi.Addio. **** *creator_regnard *book_regnard_divorce *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_divorce *dist2_regnard_prose_comedy *id_ARLEQUIN *date_1688 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_arlequin Hé ! Que diable, messieurs, ne sauriez-vous mieux prendre votre temps pour être malades ? Cela est de la dernière impertinence, de se trouver mal quand il faut gagner de l'argent. Que voulez-vous que je fasse de tout ce monde-là ? Messieurs, ce que je vais vous dire vous déplaira peut-être ; mais, en vérité, j'en suis plus fâché que vous, et personne n'y perd tant que moi.Nous ne pouvons pas jouer la comédie aujourd'hui ; voilà notre portier qui vient de se trouver mal, et Pantalon, qui devait faire un rôle de Patrocle, est indisposé. On va vous rendre votre argent à la porte. Vous voyez, messieurs, que nous ne suivons pas les mauvais exemples, et que nous rendons l'argent, quoique la comédie soit commencée. Jupiter. Mais, Monsieur Jupiter, quelle apparence ? Nous ne la savons pas encore : il va venir un débordement de sifflets de tous les diables. Oh ! Tout doucement, Monsieur Jupiter ; ne choquons point le parterre, s'il vous plaît ; nous en avons besoin : cela ne se gouverne pas comme votre tête. Messieurs, puisque Jupiter l'ordonne, et que d'ailleurs... l'occasion... de la faveur... votre bonté... votre argent... qu'on a de la peine à rendre ; ... vous voyez bien, messieurs, que nous vous allons donner "Le Divorce". Ah ! Monsieur Jupiter, un gentilhomme comme vous aux troisièmes loges ? Où diable vous êtes-vous fourré là ? Ces messieurs-là savent aussi bien rouler le bois que ruiner une famille. Monsieur Jupiter, si vous vouliez me laisser votre monture, je la ferais mettre à la daube : aussi bien les dieux de l'opéra, qui sont bien montés quand ils viennent, s'en retournent toujours à pied. Je frémis ; parle. Oui, Messieurs, étranger, étranger, arrivé tout-à-l'heure dans cette ville ! Le diable emporte toute la race badaudique ! Je n'ai jamais vu de gens plus curieux, ni plus insolents ; ils crient après moi, il a chié au lit, il a chié au lit, comme si j'étais un masque. Mais... Il me semble... D'avoir vu cette tête-là sur un autre corps. Mez... Mezzetin. Ah ! Parente ! Parente ! Je l'ai trouvé à terre. Qui ? Monsieur Aurélio, mon ancien maître ? Celui qui a tant de noblesse, et qui n'a jamais le sou ? Tant pis ; car je ne suis pas aussi sot que je l'ai été, moi ; et je ne m'emploierai jamais pour qui que ce soit, qu'auparavant je ne sois assuré de la récompense. Eh ! Point du tout ; je me porte le mieux du monde : il est vrai que j'ai eu quelque petite indisposition, et que j'ai été sur le point de mourir de la courte haleine ; mais je m'en suis bien guéri. Oui-dà. Tu sais bien que j'ai toujours aimé les grandes choses : dès le temps même que nous avions l'honneur de servir ensemble le roi sur ses galères... Je n'eus pas plus tôt quitté la rame, que je me jetai malheureusement dans les médailles. Non, dans les médailles ; c'est-à-dire que quand je n'avais rien à faire, pour me désennuyer, je m'amusais à mettre le portrait du roi sur des pièces de cuivre, que je couvrais d'argent, et que je donnais à mes amis pour du pain, du vin, de la viande, et autres choses nécessaires : mais comme il y a toujours des envieux dans le monde (voyez, je vous prie, comme on empoisonne les plus belles actions de la vie !), on fut dire à la justice que je me mêlais de faire de la fausse-monnaie. D'abord la justice m'envoya prier de lui aller parler. Nenni, diable ! C'étaient tous gens de distinction et qualifiés. Ils avaient des épées, des plumets bleus, des mousquetons. Ces messieurs montèrent donc dans ma chambre, et, le plus honnêtement du monde, me prièrent, de la part de la justice, de lui aller parler tout-à-l'heure ; qu'il y avait un carrosse à la porte, qui m'attendait. Et moi, j'eus beau dire que j'avais affaire, que je ne pouvais pas sortir, que j'irais une autre fois, il me fut impossible de résister aux honnêtetés et aux empressements de ces messieurs-là. Oh, pour cela, rien n'est plus vrai ; je n'ai jamais vu de gens plus honnêtes. L'un m'avait pris par un bras, aussi m'avait fait l'autre, en me disant le plus obligeamment du monde : "Oh ! Puisque nous avons été assez heureux que de vous trouver, vous ne nous échapperez pas, et nous aurons le plaisir de vous emmener avec nous" ; et à force de civilités, ils m'entraînèrent dans leur carrosse, et me conduisirent à la justice. D'abord que je fus arrivé, on me présenta à cinq ou six visages vénérables, qui étaient assis sur des fleurs-de-lis. Assurément. Celui qui était au milieu d'eux me dit : n'est-ce point vous, monsieur, qui vous mêlez de médailles ?À quoi je répondis fort modestement : oui, monsieur, pour vous rendre mes très humbles services. Vous êtes un honnête homme, ajouta-t-il ; tout-à-l'heure nous allons parler à vous ; asseyez-vous toujours en attendant. Bon ! Sur une petite chaise de bois qu'on avait mise à côté de moi. Ces messieurs donc, après s'être parlé à l'oreille, me demandèrent encore si véritablement c'était moi qui avais cet heureux talent ? Je leur répliquai qu'oui, que je leur demandais excuse si je ne faisais pas aussi bien que je l'aurais souhaité ; mais que j'avais grande envie de travailler, et qu'avec le temps, j'espérais devenir plus habile. Vous l'avez dit. Je remarquai que mon discours les avait réjouis ; mais cela n'empêcha pas qu'ils ne me condamnassent sur l'heure à être pendu et étranglé à la Croix Du Trahoir. Quand j'entendis qu'on m'allait pendre, je commençai à crier : mais, messieurs, vous n'y pensez pas. Me pendre, moi ! Je ne suis qu'un jeune homme qui ne fais que d'entrer dans le monde ; et d'ailleurs, je n'ai pas l'âge compétent pour être pendu. Aussi y eurent-ils beaucoup d'égard ; et, pour faire les choses dans l'ordre, ils me firent expédier une dispense d'âge. Me voilà donc dans la charrette. Je ne disais mot ; mais j'enrageais comme tous les diables. Nous arrivons enfin à la Croix Du Trahoir, au pied de cette fatale colonne qui devait être le non-plus-ultrà de ma vie, et qu'on appelle vulgairement la potence. Comme j'étais fort fatigué du voyage, j'avais soif, je demandai à boire : on me proposa si je voulais de la bière. Je dis que non, et que cela pourrait par la suite me donner la gravelle ; je priai seulement les archers de me laisser boire à la fontaine. On se range en haie ; je m'approche de la fontaine ; je donne un coup d'oeil autour de moi, et zest, je m'élance la tête en avant dans le robinet de la fontaine.Les archers, surpris, courent à moi, et me tirent par les pieds ; et moi je m'enfonce toujours avec les mains, de manière que j'entrai tout entier dans le tuyau de la fontaine, et il ne resta aux archers que mes souliers pour les pendre. Du robinet de la fontaine, je descendis dans la Seine ; de là, je fus à la nage jusqu'au Havre-de-Grace ; au Havre-de-Grace, je m'embarquai pour les Indes, d'où me voilà présentement de retour ; et voici mon histoire achevée. Va, va, mon ami, quand on est près d'être pendu, on est diablement mince. Je le fais exprès pour épargner les semelles. On m'a dit, monsieur, que vous aviez besoin d'un homme de ma profession ; je viens vous offrir mes services. Ne vous mettez pas en peine, monsieur ; dans deux petites heures votre affaire sera faite. Oh ! Que cela ne vous étonne pas : j'ai bien été trois mois entiers après une barbe, et tandis que je rasais d'un côté, le poil revenait de l'autre : mais présentement je suis plus habile ; vous allez voir. Ah ! Ma foi, je vous demande pardon : l'empressement de vous raser m'a fait prendre mon manteau pour votre linge à barbe. Allons, toi, donne-moi le linge, vite. C'est maître Jacques, celui qui accommode mes outils. Venez, maître Jacques, repassez-moi ce rasoir pour faire la barbe à monsieur. Allons, allons, monsieur, je n'ai point de temps à perdre. Mettez-vous là. Point du tout, monsieur ; mais c'est qu'il y a des gens qui sont terriblement rétifs sous le fer, et avec cet instrument-là, on leur couperait la gorge, qu'ils ne diraient mot. C'est un bassin à deux mains. Que de babil ! Tenez-vous donc, si vous voulez ; croyez-vous que je n'aie que vous à raser ? C'est que vous avez le cuir si dur, que vous ébréchez tous mes rasoirs. La peste m'étouffe, si vous branlez, je vous coupe la gorge. Quel homme êtes-vous donc ? Limousin, monsieur, pour vous rendre service. Je crois aussi être le premier de mon pays qui ait embrassé le parti de la savonnette. J'étais auparavant tailleur de pierres ; et comme on disait que j'avais beaucoup de légèreté dans la main, je crus que je serais plus propre à ce métier-ci. Et de tailleur de pierres, je me suis fait tailleur de barbes. Ah ! Monsieur, vous vous moquez ! Ce sont de petits talents qu'on reçoit de la nature, et dont un honnête homme ne doit pas se glorifier. Tant, que je n'y saurais suffire. C'est moi qui fais la barbe et les cheveux à tous les limousins qui viennent ici travailler, et j'ai une pension de la ville pour faire tous les quinze jours le crin au cheval de bronze. Hai ! Hai ! Point, point ; voilà qui est passé. Hai ! Hai ! Oh ! Pour le coup, je n'y puis plus tenir. Hai ! Hai ! Hai ! Une colique épouvantable qui me prend... Je suis à vous tout-à-l'heure. Hai ! Hai ! Hai ! Point du tout, monsieur ; cela n'en valait pas la peine : j'ai changé d'avis, et j'ai mieux aimé insulter la doublure de ma culotte que de vous faire attendre plus longtemps. Qu'appelez-vous, monsieur, s'il vous plaît ? Chacun ne fait-il pas de sa culotte ce qu'il lui plaît ? Comment, mardi, par les fenêtres ! Est-ce ainsi qu'on insulte un officier public ? Oh çà ! Je vous dis encore une fois que nous nous brouillerons, si vous ne me tenez parole. J'ai fait le barbier ; j'ai volé la bourse ; il y avait cent louis d'or dedans ; vous m'en avez promis dix : je prétends les avoir, ou je ne me mêle plus de rien. Pour épouser Colombine, j'en ferais cinquante, des fourberies. J'aurai Colombine, au moins. Et Colombine m'aura-t-elle aussi ? Je l'aurai, je ne l'aurai pas ; je l'aurai, je ne l'aurai pas ; je l'aurai, je ne l'aurai pas : je ne l'aurai pas. Je n'aurai pas Colombine : hi, hi, hi ! C'est la boutonomancie. Voilà Colombine. Et voici Arlequin. Arlequin dit : bonjour, ma colombelle.Colombine répond : bonjour, mon pigeonneau... Adieu, ma belle... Adieu, mon... Je répétois le compliment de noce. Mezzetin ! Y aura-t-il des violons à ma noce ? Mezzetin ! Et y dansera-t-on, à la noce ? On dansera à ma noce, et je danserai avec Colombine ! Ah ! Quel plaisir ! Je suis dans un lit ? Mezzetin ! Fermez les rideaux du lit, de peur du vent. Mezzetin ! Donnez-moi le pot-de-chambre. Ah ! Ma chère Colombine, que je t'embrasse, mon petit coeur, m'amour. Colombine ! Et où est-ce qu'elle est ? Si je sais plaider ? J'ai été quatre ans cocher du plus fameux avocat de Paris. Il me fit une fois plaider en sa place pour un homme qui avait fait quelque petite friponnerie. Il devait naturellement, et suivant toutes les règles de la justice, aller droit aux galères : je lui épargnai la fatigue du chemin : je fis tant qu'il n'alla qu'à la grève. Je criai comme un diable. Cela est vrai. Non. C'était moi qui recousais les sacs et les étiquettes. Et comment m'y prendre ? La profession d'avocat n'est pas si aisée. Un avocat mange des saucisses ? Oh ! Si cela est, je serai avocat, et bon avocat ; car je mangerai plus de saucisses qu'un autre : je les aime à la folie. Laisse-moi faire, pourvu que les saucisses marchent... Je ne puis pas. C'est que je n'ai pas encore été à la buvette. Mais répétons donc aussi la buvette. Messieurs... Messieurs... Messieurs... Messieurs, je conclus... Monsieur L'Hyménée, ce n'est pas tout : vous venez de défaire un mariage ; mais il s'agit d'en refaire un autre entre Colombine et moi. Je le veux bien ; car j'ai toujours ouï dire qu'une femme et un almanach sont deux choses qui ne sont bonnes tout au plus que pour une année. **** *creator_regnard *book_regnard_divorce *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_divorce *dist2_regnard_prose_comedy *id_COLOMBINE *date_1688 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_colombine Eh ! Là, là ; consolez-vous, madame ; vous avez des yeux à défrayer tout un visage. Et de quoi vous embarrassez-vous de votre teint ? Il ne tiendra qu'à vous de l'avoir comme il vous plaira. Que ne me laissez-vous faire ? Je ne veux qu'une petite couche de rouge pour réparer de trente méchantes nuits la plus obstinée. Bon, bon, mademoiselle, vous avez là un plaisant scrupule ; la beauté que l'on achète n'est-elle pas à soi ? Qu'importe que vos joues portent les couleurs d'un marchand ou les vôtres, pourvu que cela vous fasse honneur ? Pour moi, je trouve quelques femmes d'aujourd'hui d'un parfaitement bon goût ; de toute l'année elles en ont fait un carnaval perpétuel ; elles peuvent aller au bal à coup sûr, sans crainte d'être connues. Ho ! Par ma foi, voilà une belle délicatesse de sentiments. Il n'y a plus que le rouge qui se met à la toilette qui marque la pudeur des femmes d'aujourd'hui ; elles ne rougiraient jamais sans cela. Et que serait-ce donc, madame, s'il vous fallait peler avec de certaines eaux, comme la dernière maîtresse que je servais, qui changeait tous les six mois de peau. Si je l'ai vu ? C'étoit moi qui faisois l'opération ; elle me faisait prendre la peau de son front, que je tirais de toute ma force ; elle criait comme un beau diable, et moi je riais comme une folle ; il me semblait habiller un levraut : mais ce qui est de meilleur, c'est qu'elle portait toujours sur elle, dans une boîte, la peau de son dernier visage calcinée, et disait qu'il n'y avait rien de si bon pour les élevures et les bourgeons. Miséricorde ! Que Monsieur De Trotenville a d'esprit ! Ah ! Par ma foi, les beaux esprits sont donc bien communs ? Car la moitié du Mercure n'est remplie que des noms de ceux qui les devinent. Pour vous, monsieur, vous n'avez pas besoin que l'on imprime le vôtre, pour faire connoître votre mérite au public ; on sait assez que vous êtes l'honneur de l'escarpin. Mais je vous prie de me dire pourquoi vous avez un si petit cheval. Vous devriez bien avoir un carrosse à deux chevaux : depuis que l'on ne joue plus, il y a tant de chevaliers qui en ont à vendre. Comment donc ! Qu'est-ce que cela veut dire, un tendre engagement ? Ah, ah ! On voit bien que monsieur sait son opéra, et qu'il en est. Comment donc, fi, fi ? Bon, bon ! Monsieur De Trotenville a beau dire, il voudrait y être rentré, comme tous ceux qui en sont sortis : c'est un Pérou ; il n'y a pas jusqu'aux violons qui n'aient des justaucorps bleus galonnés. Je le crois bien : ces personnes-là ont grande raison ; et si j'étais d'elles, je leur ferais rendre jusqu'à la moindre petite faveur qu'elles auraient reçue. Ho bien, monsieur, nous la verrons une autre fois ; mais présentement je vous prie de danser un menuet avec moi. Qui est cet homme-là qui est avec vous ? Ah, mon dieu ! Vous avez été plus de vingt ans à faire toutes ces leçons-là. Un demi-louis d'or pour une leçon ! On ne donnait autrefois aux meilleurs maîtres qu'un écu par mois. Ah ! Mademoiselle, voilà votre maître à chanter, Monsieur Amilaré-Bécarre. Comment pas mal ! Il faut se jeter par les fenêtres, quand on a entendu chanter ainsi. Ah ! Ah ! Ah ! De la manière qu'il s'y prenait, je croyais qu'il allait tout tuer. Et que n'en changez-vous, madame ? N'est-ce pas la mode ? Je connais un homme qui s'appelle Monsieur Josset, et sa femme se fait appeler la Marquise de Bas-Aloi. Madame parle comme un oracle ; toutes les paroles qu'elle dit sont des sentences que toutes les femmes devraient apprendre par coeur. Non, madame ; mais, si vous voulez, je vais vous en chanter un que je viens d'apprendre. La, la, la. Moi ? Je n'en ferai rien. Non, je n'en sortirai pas. Pardonnez-moi. Je ne dis pas cela. C'est que je vous aime trop. Il m'est impossible ; je sens pour vous une tendresse... Allez, cela n'est guère bien de n'avoir pas plus de naturel pour des gens qui vous affectionnent. Hé ! Monsieur, retirez-vous ; voilà madame qui trépasse, et je la garantis morte, si vous ne décampez tout-à-l'heure. Là, là, revenez ; il est parti : cela vaut bien mieux qu'une bouteille d'eau de la reine d'Hongrie. Ma foi ! Madame, je ne sais pas ce que vous faites de cet homme-là ; mais je sais bien, moi, ce que j'en ferais, si j'étais à votre place. Quel moyen de vivre avec lui ? Il a toute la journée le gosier ouvert pour faire enrager tout le monde. Mariée ! Voilà une belle affaire ! Est-ce là ce qui vous embarrasse ? Bon, bon ! On se démarie aussi facilement qu'on se marie ; et je savais toujours bien, moi, que tôt ou tard il en fallait venir là ; il n'y avait pas de raison autrement. Il ne tiendra donc qu'à faire impunément enrager les femmes, sous prétexte qu'elles sont douces et qu'elles n'aiment pas le bruit ! Oh ! Vous en aurez menti, messieurs les maris ; et quand il n'y auroit que moi, j'y brûlerai mes livres, ou cela sera autrement. Donnez-moi la conduite de cette affaire-là ; vous verrez comme je m'y prendrai. Bon ! Est-ce que je ne le sais pas bien ? N'allez pas aussi vous mettre en tête de le vouloir faire ; vous y perdriez vos peines et votre temps. Mais, madame, qui est-ce qui entre là ? Il est vrai que de mémoire d'homme on n'a jamais vu venir une lettre-de-change de ce pays-là. Il faut dire la vérité ; monsieur le chevalier est d'un bon naturel : il ôterait volontiers le morceau de sa bouche pour le donner à ses gens. Ils sont quelquefois trois jours sans manger ; mais aussi je crois que vous leur donnez de gros gages. Ils ne sont pas malheureux. Voilà le meilleur de votre condition. Je ne sais, madame, ce que vous voulez faire ; mais je vous avertis que monsieur a enfermé une roue du carrosse dans son cabinet, pour vous empêcher de sortir. Cela ne doit pas nous arrêter. Si madame veut aller à l'opéra, je trouverai bien un carrosse. Je ne conçois pas comment on peut s'ennuyer à l'opéra ; les habits y sont si beaux ! Dieu merci, madame, ce que je demandais est enfin arrivé : nous plaiderons, morbleu ! Nous plaiderons ! La gueule du juge en pètera, et je ne souffrirai pas que vous soyez plus longtemps le rendez-vous des violences de Monsieur Sotinet. Vous ne serez plus Madame Sotinet, ou j'y perdrai mon latin. Je viens de consulter un avocat de mes amis sur votre affaire. Bon ! Il dit que cela ira son grand chemin, et qu'il y aurait là de quoi faire casser aujourd'hui vingt mariages. Ah ! Vraiment, nous y voilà ! On va vous tympaniser ! Eh ! Mort non pas de ma vie, madame, c'est vous éterniser, que de faire un coup d'éclat comme celui-là ! Dites-moi, je vous prie, auroit-on tant d'empressement à lire l'histoire galante de certaines femmes, si une séparation ne les avait rendues célèbres ? Saurait-on la magnificence de Madame Lycidas, en justaucorps de soixante pistoles, les discrétions qu'elle perd avec son galant, si elle n'avait pas plaidé contre son mari ? Et l'on n'aurait jamais connu tout l'esprit d'Artémise, sans ses lettres, qui ont été produites à l'audience. Je vous le dis, madame, il n'y a rien tel que de bien débuter dans le monde, et voilà le plus court chemin. On avance plus par là en un jour d'audience qu'en vingt années de galanterie ; et vous me remercierez dans peu des bons avis que je vous donne. C'est qu'elles n'ont pas un mari aussi bourru que vous en avez un. Vous êtes trop bonne, et vous gâtez les maris. Une bonne séparation, madame, une bonne séparation ; et le plus tôt, c'est le meilleur. Il y a déjà près de deux ans que vous êtes femme de Monsieur Sotinet ; et quand ce serait le meilleur mari du monde, il serait gâté depuis le temps. Oh ! Madame, ne vous mettez point en peine, vous n'irez point aux juridictions ordinaires : le dieu d'Hymen est arrivé depuis quelque temps en cette ville, pour démarier toutes les personnes qui sont lasses du mariage. Il aura de la pratique, comme vous pouvez juger. Je veux qu'il commence par vous. Laissez-moi faire ; j'ai une peste de tête... Ah ! Mon pauvre Arlequin, tu viens ici bien à propos. Tenez, madame, voilà l'avocat que je vous veux donner. Viens çà, sais-tu plaider ? Tu plaides donc bien ? Il n'en faut pas davantage pour gagner le procès le plus désespéré. Allons, viens ; suis-moi : je te dirai ce qu'il faut que tu fasses. Ah ! Très volontiers, à condition que l'on nous démariera au bout de l'an. **** *creator_regnard *book_regnard_divorce *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_divorce *dist2_regnard_prose_comedy *id_MEZZETIN *date_1688 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mezzetin Je le sais bien ; j'étais la chambre de madme votre soeur quand son mari, monsieur Sotinet, mon maître et votre beau-frère, la surprit comme elle vous écrivait la dernière lettre que vous avec reçue d'elle, où elle vous mande de venir au plus tôt à Paris, afiun de prendre des mesures avec vous pour se mettre à couvert du chagrin que son vieux mari lui fait tous les jours. Cela est vrai, ce qui est fait est fait.Mais quand on ne peut pas changer sa condition, et qu'elle est mauvaise, il faut tâcher de l'adoucir autant qu'il est possible. D'accord ; et c'est à quoi il faudrait songer, si vous aviez de ce qui se touche.Mais malheureusement mais vous êtes gueux comme un rat, et il y a longtemps que votre noblesse serait tombée par terre, si la roture ne l'avait soutenue. Mais laissez-moi faire : si votre soeur consent à la séparation, je m'engage, moi, de faire toruver tout l'argent qu'il faudra pour l'obtenir ; et si , je veux que ce soit mon maître qui le fournisse. Oui, Sotinet.J'ai une dent contre lui, pour certains coups de bâton qu'il me donna une fois, à cause qu'il me surprit à la cave avec la servante du logis. Je lui aidais à mettre un muid de vin en perce. Serviteur, monsieur.Ah !Que je pense de jolis tours pour délivrer ma maîtresse des mains de son vieux mari !Mais la difficulté est de trouver des gens qui les éxecutent.Si mon cher ami Arlequin était encore au monde, c'est là justement l'homme qu'il ma faudrait ; mais le pauvre garçon s'est avisé de se faire pendre, et ... Je crois... Que j'ai vu cet homme-là pendu quelque part. Arl... Arlequin. Mais ce manteau-là m'appartient. En vérité, je suis ravi de te voir. Je parlais tout-à-l'heure de toi. Tu arrives fort à propos pour rendre service à Monsieur Aurélio, dans une affaire de conséquence. Lui-même : il est aussi gueux à présent comme il était du temps que tu le servais. Va, va, le seigneur Aurélio est honnête homme.Sers-le bien, et ne te mets point en peine ; tes gages te seront bien payés ; et si l'affaire que j'ai en tête réussit, je te réponds d'une bonne récompense. Mais tire-moi d'un doute : il a couru un bruit que tu avais été pendu, et je te croyais déjà bien sec. Conte-moi donc ta maladie. Ne parlons point de cela ; je sais que tu as toujours été homme d'esprit. Comment, dans les médailles ? Dans les antiques ? Quelle apparence ? Qui envoya-t-elle ? Des pages ? Je vous entends ; poursuivez. Et vous ? Aux honnêtetés des pousse-culs. Fort bien ! Et ces messieurs ne vous prièrent-ils point de vous asseoir ? Et où t'asseoir ? Dans un fauteuil ? Fort bien. Et eux parurent fort contents de votre déclaration ? Quel malheur ! C'était une bonne raison celle-là. Il ne me reste qu'une difficulté, qui est de savoir comment, gros comme tu es, tu as pu te fourrer dans le robinet de la fontaine. Tu as, ma foi, raison. Va m'attendre au Petit Trianon ; dans un moment je suis à toi, et je te ménerai chez Monsieur Aurélio. Mais d'où vient que tu n'enfonces point tes pieds jusqu'au fond de tes bottes, et que tu marches sur la tige ? Je tire bon augure de l'affaire de Monsieur Aurélio, et la fortune ne nous a pas renvoyé Arlequin pour rien. Mon maître m'a ordonné tantôt de lui amener un barbier : il ne faut pas manquer cette occasion pour lui voler sa bourse ; elle servira à mettre nos affaires en train. Allons trouver Arlequin. La bourse est de ce côté-ci ; ne la manque pas. Que tu es impatient ! Je te les ai promis, et tu les auras ; et de plus, je te promets de te faire épouser Colombine ; mais il faut faire encore une petite fourberie. Oh çà ! Tiens-toi un peu en repos, et laisse-moi rêver au moyen de t'introduire chez Monsieur Sotinet, pour rendre cette lettre à Isabelle. Oui, vous dis-je, vous l'aurez. Eh morbleu, oui ! Vous l'aurez, et elle vous aura. Laissez-moi en repos. Qu'est-ce ? Qu'avez-vous ? Pourquoi pleurez-vous ? Qui est-ce qui vous a dit cela ? Que le diable t'emporte, toi et la boutonomancie ! Laisse-moi songer en repos. Je t'assure, encore une fois, que tu auras Colombine, le colombier, les pigeons, et tout ce qui a relation à elle. Console-toi donc, et ne m'interromps pas davantage. Adieu, vilain magot. Tu ne veux donc pas te tenir un moment en repos ? Pour vous empêcher de complimenter davantage, venez çà. Si vous ôtez vos mains de là, vous n'épouserez point Colombine. Que vous plaît-il ? Oui, il y aura des violons, des vielles, et de toutes sortes d'instruments. J'enrage ! Que vous plaît-il ? On y dansera ; oui, bourreau. Ne te tairas-tu jamais ? Oh ! Pour le coup, c'en est trop. Couchez-vous, vite. Nous verrons un peu à présent si vous vous tiendrez en repos. Imaginez-vous que vous êtes dans un lit, et que vous dormez. Oui, dans un lit, et Colombine est couchée avec vous. À la fin, il faudra que je change de nom. Que voulez-vous ? Quelle patience ! Encore ! Qu'est-ce qu'il y a, double enragé chien ? Tiens, voilà le pot-de-chambre ; puisses-tu pisser la parole ! Tenez, tenez ! Si je prends un bâton, je te romprai bras et jambes à la fin. Veux-tu t'arrêter ? Lève tes pieds. Si tu remues à présent, ou que tu parles, nous allons voir beau jeu. J'habillerai Arlequin en chevalier ; il ira heurter à la porte de Sotinet : d'abord, voilà Colombine... Je te cherchais. Colombine m'a dit que tu avais servi chez un avocat. Étois-tu clerc ? J'ai besoin de toi. Voici la dernière fourberie que tu feras : il faut que tu plaides la cause de Mademoiselle Isabelle devant le dieu de l'Hyménée. Bon ! Il n'y a rien au monde de si aisé. Il le faut prendre par la gueule. Un avocat va le matin en robe au palais. Dès qu'il y est, il entre à la buvette, où il mange des saucisses, des rognons, des langues, et boit du meilleur. D'abord, tu commenceras ton plaidoyer en disant : messieurs, je parle pour Mademoiselle Isabelle, contre son mari, qui est un débauché, un puant, un fou, et autres choses semblables. Oh ! Cela s'en va sans dire. Oh ! çà, prends que je sois le juge ; commence par plaider. Et d'où vient ? Nous irons après : répétons toujours auparavant. Voilà une buvette qui te tient bien au coeur ! Tiens, prends que je sois le juge. Avocat, plaidez. Fort bien. À quoi concluez-vous ? Je conclus à ce que nous allions manger les saucisses, avant qu'elles refroidissent. **** *creator_regnard *book_regnard_divorce *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_divorce *dist2_regnard_prose_comedy *id_PIERROT *date_1688 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_pierrot Oui, monsieur ; vous me dites d'empêcher que madame n'entre dans la maison, et de lui fermer la porte au nez. Eh bien ! Monsieur, n'est-ce pas ce que je dis ?Mais, à propos, vous êtes donc jaloux ? Ah, ah, ah ! Cela est plaisant ! De quoi diable vous êtes-vous avisé de vous marier à l'âge que vous avez ? Ne savez-vous pas bien qu'un vieux mari est comme ces arbres qui ne portent point de bons fruits, et qui ne servent que d'ombre ? Il y a là-dedans un barbier. Monsieur, il est bien malade ; il ne pourra pas venir : en taillant sa plume, il s'est coupé un peu le doigt ; il dit qu'il ne pourra pas plaider dans l'état où il est. Il m'a dit qu'il allait envoyer un jeune homme en sa place, qui plaide comme un diable, et qui vous fera aussi bien perdre votre procès que lui-même. Hé ! Monsieur, consolez-vous : il y a bien des gens qui voudroient être quittes de leurs femmes à ce prix-là.