**** *creator_regnard *book_regnard_joueur *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_joueur *dist2_regnard_verse_comedy *id_GERONTE *date_1696 *sexe_masculin *age_veteran *statut_exterieur *fonction_autres *role_geronte Doucement ; j'ai deux mots à vous dire, Valère. Pour toi, j'ai quelques coups de canne à te prêter. Demeure là, maraud. Pour la dernière fois, mon fils, je viens vous dire Que votre train de vie est si fort scandaleux, Que vous m'obligerez à quelque éclat fâcheux. Je ne puis retenir ma bile davantage, Et ne saurais souffrir votre libertinage. Vous êtes pilier-né de tous les lansquenets, Qui sont, pour la jeunesse, autant de trébuchets. Un bois plein de voleurs est un plus sûr passage ; Dans ces lieux, jour et nuit, ce n'est que brigandage. Il faut opter des deux, être dupe ou fripon. Tais-toi. Non, à présent le jeu n'est que fureur : On joue argent, bijoux, maisons, contrats, honneur ; Et c'est ce qu'une femme, en cette humeur à craindre, Risque plus volontiers, et perd plus sans se plaindre. Votre conduite enfin m'enflamme de courroux ; Je ne puis vous souffrir vivre de cette sorte : Vous m'avez obligé de vous fermer ma porte ; J'étais las, attendant chez moi votre retour, Qu'on fît du jour la nuit, et de la nuit le jour. Vous me poussez à bout ; mais je vous ferai voir Que si vous ne changez de vie et de manière, Je saurai me servir de mon pouvoir de père, Et que de mon courroux vous sentirez l'effet. Comme le voilà fait ! Débraillé, mal peigné, l'oeil hagard ! À sa mine On croirait qu'il viendrait, dans la forêt voisine, De faire un mauvais coup. Serez-vous bientôt las d'une telle conduite ? Parlez, que dois-je enfin espérer dans la suite ? Quand ils n'ont pas un sou, voilà de leur morale. S'il est ainsi, vraiment, j'en ai bien de la joie. Oui, je sais sa pensée, Et je serai ravi de le voir confondu. Je voudrais bien déjà que l'affaire fût faite. Angélique est fort riche, et point du tout coquette, Maîtresse de son choix. Avec ce bon dessein, Va te mettre en état de mériter sa main, Payer tes créanciers... Hé ! Plaît-il ? Ah ! Ah ! Je vous entends. Vous m'avez mille fois bercé de ces sornettes. Non ; comme vous pourrez, allez payer vos dettes. À d'autres, s'il vous plaît. Je ne puis vous entendre. Et de combien encore êtes-vous redevable ? La somme n'y fait rien ? Écoutez : je veux bien faire un dernier effort ; Mais, après cela, si... Mon frère en son amour n'aura pas trop beau jeu. Non, quand ce ne serait que pour le contredire, Je veux rompre l'hymen où son amour aspire ; Et j'aurai deux plaisirs à la fois, si je puis, De chagriner mon frère, et marier mon fils. Un maître de trictrac ! Il me prend pour mon fils. Quoi ! Vous montrez, Monsieur, un tel art dans Paris ? Et l'on ne vous a pas fait présent, en galère, D'un brevet d'espalier ? Monsieur le professeur, avec raisons, Il faudrait vous loger aux petites-maisons. Vous êtes riche, à voir ? S'il est quelque joueur qui vive de son gain, On en voit tous les jours mille mourir de faim, Qui, forcés à garder une longue abstinence, Pleurent d'avoir trop mis à la réjouissance. Et Monsieur Toutabas, vous avez l'insolence De venir dans ces lieux montrer votre science ? Et vous ne craignez pas Que j'arme contre vous quatre paires de bras, Qui le long de vos reins ? ... Maître juré filou, sortez de la maison. À moi, leçon ? Je ne sais qui me tient, tant je suis animé, Que quelques bons soufflets donnés à poing fermé... Va-t'en. Reviens. Sortiras-tu d'ici, vrai gibier de potence ? Je ne puis respirer, et j'en mourrai, je pense. Heureusement mon fils n'a point vu ce fripon : Il me prenait pour lui dans cette occasion. Sachons ce qu'il a fait ; et, sans plus de mystère, Concluons son hymen, et finissons l'affaire. Tant mieux. Bonjour, mon frère. Qu'est-ce ? Eh bien ! Qu'avez-vous ? Vous êtes tout changé ! Allons, gai. Vous a-t-on donné votre congé ? Voilà les sentiments d'un héros de Cassandre. Entre nous, vous aviez fort grand tort de prétendre Que sur votre neveu vous pussiez l'emporter. Je suis, en vérité, ravi de vous entendre ; Et vous prenez la chose ainsi qu'il la faut prendre. Allez, consolez-vous ; c'est fort bien fait, mon frère. Adieu. Le pauvre enfant ! Son sort me fait pitié. Çà, voyons, expédie au plus tôt ton affaire. Je le crois. Finis donc. Que je les paie ou non, ce n'est pas ton affaire. Lis toujours. Quel est ce Richard ? Le beau nom ! Il devait appeler Angélique Pallas, du nom connu de la dame de pique. Tout beau, n'embrouillons point, s'il vous plaît, les affaires ; Je ne veux point payer les dettes usuraires. Désaltéré, porté ! Que le diable t'emporte, Et ton maudit mémoire écrit de telle sorte. La belle cour ! Quelle est cette Margot ? Deux cent cinquante écus ! Et tu prétends, bourreau ? ... Voyons. Et de toute la terre : C'est ce négociant, ce banquier si fameux. Comment ! Voilà certainement un effet fort bizarre ! Que dis-tu ? Tiens, maraud, le voilà, Pour m'offrir un mémoire égal à celui-là. Va porter cet argent à celui qui t'envoie. Impertinent maraud ! Va, je t'apprendrai bien Avec ton trictrac... Pour quel sujet, mon fils, criez-vous donc si fort ? Est-ce toi, malheureux, qui causes ce transport ? Qu'est-ce à dire Sénèque ? Tant mieux : il apprend à bien vivre. Son livre est admirable et plein d'instructions, Et rend l'homme brutal maître des passions. Hector en peu de temps est devenu docteur. Je vous cherche en ces lieux avec impatience, Pour vous dire, mon fils, que votre hymen s'avance. Je quitte le notaire, et j'ai vu les parents, Qui, d'une et d'autre part, me paraissent contents. Vous avez vu, je crois, Angélique ? Et j'espère Que son consentement... Vraiment, pour un amant, Vous faites voir, mon fils, bien peu d'empressement. Courez-y : dites-lui que ma joie est extrême ; Que, charmé de ce noeud, dans peu j'irai moi-même Lui faire compliment, et l'embrasser... Oui-dà ! Laisse-moi faire. Le mariage fait, nous verrons cette affaire. Graces au ciel, mon fils est dans le bon chemin : Par mes soins paternels il surmonte la pente Où l'entraînait du jeu la passion ardente. Ah ! Qu'un père est heureux, qui voit en un moment Un cher fils revenir de son égarement ! Que mon âme est ravie De voir qu'avec mon fils un tendre hymen vous lie ! J'attends depuis longtemps ce fortuné moment. De vous trouver ici je suis ravi, mon frère. Vous prenez, croyez-moi, comme il faut cette affaire ; Et l'hymen de Madame, à vous en parler net, N'était, en vérité, point du tout votre fait. Le notaire en ce lieu va se rendre ; Avec lui nous prendrons le parti qu'il faut prendre. Comment donc ? Parle, toi, si tu veux ; Explique ce mystère. Parle donc. Sans vouloir davantage ici l'interroger, Sa folle passion m'en fait assez juger. J'ai peine à retenir le courroux qui m'agite. Fils indigne de moi, va, je te déshérite ; Je ne veux plus te voir, après cette action, Et te donne cent fois ma malédiction. **** *creator_regnard *book_regnard_joueur *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_joueur *dist2_regnard_verse_comedy *id_VALERE *date_1696 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_valere Quelle heure est-il ? Tu ne t'en souviens pas ? Je suis las De tes mauvais discours ; et tes impertinences... Ma robe de chambre. Euh ! Eh bien ! Me faudra-t-il attendre encor longtemps ? Une école maudite Me coûte, en un moment, douze trous tout de suite. Que je suis un grand chien ! Parbleu, je te saurai, Maudit jeu de trictrac, ou bien je ne pourrai. Tu peux me faire perdre, ô fortune ennemie ! Mais me faire payer, parbleu, je t'en défie : Car je n'ai pas un sou. Je me ris de tes coups, j'incague ta fureur. Va te coucher, maraud ; ne me romps point la tête. Va-t'en. Je veux dormir dans ce fauteuil. Que je suis malheureux ! Je ne puis fermer l'oeil. Je dois de tous côtés, sans espoir, sans ressource, Et n'ai pas, grâce au ciel, un écu dans ma bourse. Hector ! ... que ce coquin est heureux de dormir ! Hector ! Eh bien ! Bourreau, veux-tu venir ? N'es-tu pas las encor de dormir, misérable ? Tu dormiras demain. Est-il venu quelqu'un ? Bon. Pour cette autre affaire, M'as-tu déterré... ? Justement, elle-même. J'aurais les mille écus ! ô ciel ! Quel coup de grâce ! Hector, mon cher Hector, viens çà que je t'embrasse. Et tu crois qu'en effet, Je n'ai, pour en avoir, qu'à donner mon billet ? Des gages ? Mais y penses-tu bien ? Où les prendrai-je, dis ? Mais quel gage, dis-moi, veux-tu que je lui donne ? Si je l'aime ? Ah ! Ce doute et m'outrage et me pique. Je l'adore. Ne crois pas que le jeu, quelque sort qu'il me donne, Me fasse abandonner cette aimable personne. Et sur quel fondement peux-tu juger cela ? Dieux ! Que me dis-tu là ? Bon ! Cela ne se peut ; on t'a voulu surprendre. Point. Sans présomption, On sait ce que l'on vaut. En ce cas, Je prends le parti... mais cela ne se peut pas. En ce cas, je pourrais rabattre sur la veuve, la Comtesse sa soeur. Cette éponge, entre nous, ne vaudrait pas ce soin. Épouser ? Et quel est ce marquis ? Je reviens aujourd'hui de mon égarement, Et ne veux plus jouer, mon père, absolument. J'ai de l'argent encore ; et, pour vous contenter, De mes dettes je veux aujourd'hui m'acquitter. Te tairas-tu ? Mon oncle aspire dans ce jour À m'ôter d'Angélique et la main et l'amour : Vous savez que pour elle il a l'âme blessée, Et qu'il veut m'enlever... J'y vais, j'y cours... Mon père... Pour sortir entièrement d'affaire, Il me manque environ quatre ou cinq mille francs. Si vous vouliez, Monsieur... Mais, mon père, croyez... Prêtez-moi mille écus. Monsieur... Je ne veux point, mon père, aujourd'hui vous surprendre ; Et pour vous faire voir quels sont mes bons desseins, Retenez cet argent, et payez par vos mains. La somme n'y fait rien. Modérez ce transport ; Que sur mes sentiments votre âme se repose. Je vais voir Angélique ; et mon coeur se propose D'arrêter son courroux déjà prêt d'éclater. Ah ! Quel bonheur, Madame, Que vous me permettiez d'ouvrir toute mon âme ; Et quel plaisir de dire, en des transports si doux, Que mon coeur vous adore, et n'adore que vous ! Ce que vous-même ici m'avez permis de faire. Que je serais heureux, S'il vous plaisait encor de recevoir mes voeux ! Non. Enfin, belle Angélique, Entre mon oncle et moi que votre coeur s'explique ; Le mien est tout à vous, et jamais dans un coeur... On ne vit une plus noble ardeur. Madame, en ce moment je n'ai rien à vous dire. Regardez votre soeur ; et jugez si ses yeux Ont laissé dans mon coeur de place à d'autres feux. Quelques civilités que l'usage autorise... Vous avez cent vertus, de l'esprit, de l'éclat ; Vous êtes belle, riche, et... Oui, pour vous je soupire, Et je voudrais avoir cent bouches pour le dire. Mais que me sert, hélas ! Que mon coeur vous préfère ? Que sert mon amour un si sincère aveu ? Vous ne m'écoutez point, vous dédaignez mon feu. De vos beaux yeux pourtant, cruelle, il est l'ouvrage. Je sais qu'à vos beautés c'est faire un dur outrage De nourrir dans mon coeur des désirs partagés ; Que la fureur du jeu se mêle où vous régnez : Mais... Désormais, plein de votre tendresse, Nulle autre passion n'a rien qui m'intéresse : Tout ce qui n'est point vous me paraît odieux. Jamais ! Quelle rigueur extrême ! Jamais ! Ah ! Que ce mot est cruel quand on aime ! Hé quoi ! Rien ne pourra fléchir votre courroux ? Vous voulez donc me voir mourir à vos genoux ? Ma mort sera l'effet de mon cruel dépit. Vous le voulez ? Eh bien ! Il faut vous satisfaire, Cruelle ! Il faut mourir. Puisqu'un soin généreux Vous intéresse encore aux jours d'un malheureux, Non, ce n'est point assez de me rendre la vie ; Il faut que par l'amour, désarmée, attendrie, Vous me rendiez encor ce coeur si précieux, Ce coeur sans qui le jour me devient odieux. Madame, au nom des dieux, au nom de vos attraits... Oui, je vous le promets, Que la fureur du jeu sortira de mon âme, Et que j'aurai pour vous la plus ardente flamme... Ah ! Quelle joie extrême ! Quel excès de faveurs ! Que je le garde, ô ciel ! Le reste de ma vie... Que dis-je ? Je prétends que ce portrait si beau Soit mis avec moi dans le même tombeau, Et que même la mort jamais ne nous sépare. Fiez-vous aux serments de mon âme amoureuse. Est-il dans l'univers de mortel plus heureux ? Elle me rend son coeur ; elle comble mes voeux, M'accable de faveurs... Je suis tout transporté. Vois, considère, admire : Angélique m'a fait ce généreux présent. Et qui ? Hé ! Bonjour, mon enfant : tu ne peux concevoir Jusqu'où va dans mon coeur le plaisir de te voir. Ne vois-tu pas, Hector, que c'est un deuil de cour ? Quoi ! Monsieur La Ressource est mort ? J'aurais besoin, Madame La Ressource, De mille écus. Je fais, bien entendu, mon billet au porteur. Je veux que tu le prennes. Nous faisons ici bas des routes incertaines ; Je pourrais bien mourir. Ce maraud m'avait dit Que sur des gages sûrs tu prêtais à crédit. Je n'ai pour te donner, vaisselle ni bijoux. Compte, ma pauvre enfant, que ma mort est certaine, Si je n'ai dans ce jour mille écus. Ma charmante, mon coeur, ma reine, mon aimable, Ma belle, ma mignonne, et ma tout adorable. Dis-moi donc, si tu veux, où je les pourrai prendre. Mais vois donc. Écoute... nous avons le portrait d'Angélique. Dans le temps difficile il faut un peu s'aider. D'accord : honnêtement je ne puis m'en défaire. Attendez donc. Tu sais jusqu'où vont mes besoins. N'ayant pas son portrait, l'en aimerai-je moins ? Il est vrai. J'ai tantôt cette grosse partie De ces joueurs en fonds qui doivent s'assembler. Demeurez donc : où voulez-vous aller ? Je ferai de l'argent ; ou celui de mon père, Quoi qu'il puisse arriver, nous tirera d'affaire. Et qui le lui dira ? Dans une heure au plus tard nous irons le reprendre. Oui, vraiment. Je me mettrais en gage en mon besoin urgent. On ne perd pas toujours, je gagnerai sans doute. Je m'en tirerai bien, Hector, je t'en réponds. Peut-on, sur ce bijou, sans trop de complaisance ?... Je vous suis obligé, Madame La Ressource. Au moins, ne manquez pas de revenir tantôt : Je prétends retirer mon portrait au plus tôt. Aux maux désespérés il faut de l'émétique : Et cet argent, offert par les mains de l'amour, Me dit que la fortune est pour moi dans ce jour. Mille deux cent cinquante. Morbleu ! Ce dernier coup me pique ; Sans les cruels revers de deux coups inouis, J'aurais encor gagné plus de deux cents louis. Damon m'en doit encor deux cents sur sa parole. Ah ! D'Angélique ? Eh bien ! Comment suis-je avec elle ? À te dire le vrai, je n'en suis pas fâché. Ah ! Juge mieux, Hector, de l'amour qui me presse. J'aime autant que jamais ; mais sur ma passion J'ai fait, en te quittant, quelque réflexion. Je ne suis point du tout né pour le mariage. Des parents, des enfants, une femme, un ménage, Tout cela me fait peur. J'aime la liberté. Hector, en vérité, Il n'est point dans le monde un état plus aimable Que celui d'un joueur : sa vie est agréable ; Ses jours sont enchaînés par des plaisirs nouveaux ; Comédie, opéra, bonne chère, cadeaux : Il traîne en tous les lieux la joie et l'abondance : On voit régner sur lui l'air de magnificence ; Tabatières, bijoux : sa poche est un trésor : Sous ses heureuses mains le cuivre devient or. Chaque jour mille belles Lui font la cour par lettre, et l'invitent chez elles : La porte, à son aspect, s'ouvre à deux grands battants. Là, vous trouvez toujours des gens divertissants ; Des femmes qui jamais n'ont pu fermer la bouche, Et qui sur le prochain vous tirent à cartouche ; Des oisifs de métier, et qui toujours sur eux Portent de tout Paris le lardon scandaleux ; Des Lucrèces du temps, là, de ces filles veuves, Qui veulent imposer et se donner pour neuves ; De vieux seigneurs toujours prêts à vous cajoler ; Des plaisants qui font rire avant que de parler. Plus agréablement peut-on passer la vie ? Le jeu rassemble tout ; il unit à la fois Le turbulent Marquis, le paisible bourgeois. La femme du banquier, dorée et triomphante, Coupe orgueilleusement la duchesse indigente. Là, sans distinction, on voit aller de pair Le laquais d'un commis avec un duc et pair ; Et quoi qu'un sort jaloux nous ait fait d'injustices, De sa naissance ainsi l'on venge les caprices. Nous verrons. Je dois jouer tantôt. Oh ! Non, c'est un dépôt... Quoi ! Je te dois ? Mon père te paiera ; l'article est au mémoire. Va, j'examinerai ton compte une autre fois. J'entends venir quelqu'un. Il faut nous en défaire. Quel contre-temps ! Je suis votre humble serviteur. Bonjour, Madame Adam. Quelle joie est la mienne ! Vous voir ! C'est du plus loin, parbleu, qu'il me souvienne. C'est pour cette calèche à velours à ramage ? Je suis fort content de l'ouvrage ; Il faut vous la payer... Songe par quel moyen Tu pourras me tirer de ce triste entretien. Vous, Monsieur Galonier, quel sujet vous amène ? Quoi ! Vous la mariez ? Elle est vive et gentille ; Et son époux futur doit en être content. Je veux, Madame Adam, mourir à votre vue, Si j'ai... Que je sois en maraud, déshonoré cent fois, Si l'on m'a vu toucher un sou depuis six mois ! Et mais... si j'en avais... comptez que dans la vie Personne de payer n'eut jamais tant d'envie. Demandez... Mais... quand il vous plaira... dès demain ; que sait-on ? Écoutez, je vous dis un secret qui, je crois, Vous plaira dans la suite autant et plus qu'à moi. Je vais me marier tout-à-fait : et mon père Avec mes créanciers doit me tirer d'affaire. Rien ne porte malheur comme payer ses dettes. C'est là le soupirant ? Oui, monsieur ; c'est ainsi qu'on m'a toujours nommé. Va-t'en. Va-t'en : faut-il te le redire ? Je n'ai pas cet honneur. On le voit à votre air. Je ne crois pas,Monsieur, qu'on fût si téméraire. Moi ? C'est pure médisance ; Je sais ce qu'entre nous le sort mit de distance. Je le sais. Moi, monsieur ? Vous le voulez donc ? Il faut vous satisfaire. Vos ris ne sont point de mon goût, Et vos airs insolents ne plaisent point du tout. Vous êtes un faquin. Un fat, un malheureux. Il faut voir sur-le-champ si les vice-baillis Sont si francs du collier que vous l'avez promis. Oh ! Le vin est tiré, monsieur ; il le faut boire. Cesse de le contraindre : Va, c'est un malheureux qui n'est pas bien à craindre. Oh ! Vous pouvez l'aimer autant qu'il vous plaira ; C'est un bien que jamais on ne vous enviera : Vous êtes en effet un amant digne d'elle : Je vous cède les droits que j'ai sur cette belle. Je ne suis pas des vôtres. Voilà donc ce Marquis, cet homme dangereux ? C'est un grand malheureux. Je crains que mes joueurs ne soient sortis du gîte ; Ils ont trop attendu ; j'y retourne au plus vite. J'ai dans le coeur, Hector, un bon pressentiment ; Et je dois aujourd'hui gagner, assurément. Elles m'ont réussi déjà plus d'une fois. Paix ! Tu veux contredire : À mon âge, crois-tu m'apprendre à me conduire ? Non. Non, l'enfer en courroux et toutes ses furies N'ont jamais exercé de telles barbaries. Je te loue, ô destin, de tes coups redoublés ; Je n'ai plus rien à perdre, et tes voeux sont comblés. Pour assouvir encor la fureur qui t'anime, Tu ne peux rien sur moi, cherche une autre victime. De serpents mon coeur est dévoré ; Tout semble en un moment contre moi conjuré. Parle. As-tu jamais vu le sort et son caprice Accabler un mortel avec plus d'injustice, Le mieux assassiner ? Perdre tous les partis, Vingt fois le coupe-gorge, et toujours premier pris ! Réponds-moi donc, bourreau. As-tu vu de tes jours trahison aussi haute ? Sort cruel, ta malice a bien su triompher ; Et tu ne me flattais que pour mieux m'étouffer. Dans l'état où je suis, je puis tout entreprendre ; Confus, désespéré, je suis prêt à me pendre. Que la foudre t'écrase. Ah ! Charmante Angélique, en l'ardeur qui m'embrase, À vos seules bontés je veux avoir recours ! Je n'aimerai que vous ; m'aimeriez-vous toujours ? Mon coeur, dans les transports de sa fureur extrême, N'est point si malheureux, puisqu'enfin il vous aime. Calmons le désespoir où la fureur me livre. Approche ce fauteuil. Va me chercher un livre. Celui qui te viendra le premier sous la main ; Il m'importe peu ; prends dans ma bibliothèque. Lis. Oui. Ne sais-tu pas lire ? Ouvre, et lis au hasard. Lis donc. "Chapitre six. Du mépris des richesses. La fortune offre aux yeux des brillants mensongers ; Tous les biens d'ici-bas sont faux et passagers ; Leur possession trouble, et leur perte est légère : Le sage gagne assez quand il peut s'en défaire." Lorsque Sénèque fit ce chapitre éloquent, Il avait, comme vous, perdu tout son argent. Vingt fois le premier pris ! Dans mon coeur il s'élève Des mouvements de rage. Allons, poursuis, achève. De mon sort désormais vous serez seule arbitre, Adorable Angélique... achève ton chapitre. Je bénis le sort et ses revers, Puisqu'un heureux malheur me rengage en vos fers. Finis donc. Non, il était de Rome. Dix fois à carte triple être pris le premier ! Il faut que de mes maux enfin je me délivre : J'ai cent moyens tout prêts pour m'empêcher de vivre, La rivière, le feu, le poison, et le fer. Que je chante ! Que je chante, bourreau ! Je veux me poignarder ; la vie est un fardeau Qui pour moi désormais devient insupportable. Ah ! Je sens redoubler ma colère. Non pas, Monsieur. Non, pas encor, mon père. Certaine affaire m'a... Pénétré des bontés de celui qui m'envoie, Je vais de cet emploi m'acquitter avec joie. Quel bonheur est le mien ! Enfin voici le jour, Madame, où je dois voir triompher mon amour. Mon coeur tout pénétré... mais, ciel ! Quelle tristesse, Nérine, a pu saisir ta charmante maîtresse ? Est-ce ainsi que tantôt ? ... Hé quoi ! Changer sitôt ! Que ce tendre discours me charme et me rassure ! Madame, en ce moment, que mon âme est contente ! Jamais tant de bontés... Soit... mais permettez-moi de vous désobéir. C'est mon oncle : en voyant de votre amour ce gage, Il jouerait, à vos yeux, un mauvais personnage. Vous savez bien qui l'a. Puisque vous le voulez, il faut vous le chercher : Mais je n'aurai du moins rien à me reprocher... Vous voulez un témoin, il faut vous satisfaire. C'est votre faute, si... Qu'as-tu fait du portrait ? Oui, maraud ; parle, qu'en as-tu fait ? Ah ! Chien ! Ah ! Double traître ! Tu l'as perdu. Il faut que ton trépas... Tu l'as mis chez un peintre ! Ah ! Maraud ! Va, cours me le chercher, et reviens au plus tôt. Le peintre... Madame, en vérité, de telles épithètes Ne me vont point du tout. Ah ! Qu'à vos yeux je meure... Où vas-tu donc ? Va, va, consolons-nous, Hector : et quelque jour Le jeu m'acquittera des pertes de l'amour. **** *creator_regnard *book_regnard_joueur *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_joueur *dist2_regnard_verse_comedy *id_ANGELIQUE *date_1696 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_angelique Mon coeur serait bien lâche, après tant de serments, D'avoir encor pour lui de tendres mouvements. Nérine, c'en est fait, pour jamais je l'oublie ; Je ne veux ni l'aimer, ni le voir de ma vie ; Je sens la liberté de retour dans mon coeur. Ne me viens pas, au moins, parler en sa faveur. Ne viens point désormais, pour calmer mon dépit, Rappeler à mes sens son air et son esprit ; Car tu sais qu'il en a. Mon coeur est maintenant certain de sa victoire. Non ; l'amour de mon coeur est banni sans retour. Ne crains rien de mon coeur. Laisse-moi faire. Oui, j'y suis résolue. D'accord. Il est vrai. Je sais que ce défaut est le plus grand de tous. Moi ? Non : dans ce dessein nos humeurs sont conformes. L'épouser ? Ce joueur, qu'à l'instant ?... Quoi ! Vous voulez, ma soeur, avec cet air si doux, Ce maintien réservé, prendre un nouvel époux ? ConnAisseuse en maris, vous deviez mieux choisir. Vous unir à Valère ! Mais vous n'y pensez pas. Croyez-vous qu'il vous aime ? Après un si long temps de pleine jouissance, Vos attraits sont à vous sans contestation. Sans doute. Et je vois bien qu'il n'est pas impossible Que Valère pour vous ait eu le coeur sensible. L'or est d'un grand secours pour acheter un coeur ; Ce métal, en amour, est un grand séducteur. Qui peut vous assurer de l'amour de Valère ? D'autres sur lui, ma soeur, auraient les mêmes droits. J'attendrai bien du temps. Les dames de la cour sont bien mieux votre affaire ? Dans la bouche d'un autre il deviendrait plus doux. Mais Valère vous aime : et souvent... Hé, ma soeur ! Je ne vous croyais pas un tel engagement. Il vous aime ; et son ardeur est belle. Il ne faut pas avec sévérité Exiger des amants trop de sincérité. Ma soeur, tout doucement avalez la pilule. La modération, qui fut votre partage, Vous ne la mettez pas, ma soeur, trop en usage. Ne m'abandonne point. Cette passion est trop forte en votre âme Pour croire que l'amour d'aucun feu vous enflamme. Suivez, suivez l'ardeur de vos emportements ; Mon coeur n'en aura point de jaloux sentiments. Non, ne vous présentez jamais devant mes yeux. Je prends peu d'intérêt, Monsieur, à votre vie. Que faites-vous, Valère ? Tu ne m'as pas dit, Nérine, qu'il viendrait se percer à ma vue : Et je tremble de peur quand une épée est nue. Nérine, qu'en dis-tu ? Si vous me promettiez... Il faut encore, ingrat, vouloir ce qu'il vous plaît. Oui, je vous rends mon coeur. Et pour vous faire voir à quel point je vous aime, Je joins à ce présent celui de mon portrait. Gardez-le, je vous prie. Ne me trompez donc plus, Valère ; et que mon coeur Ne se repente point de sa facile ardeur. Le temps le guérira de cet aveuglement. Ne combats plus, Nérine, une ardeur qui m'enchante ; Tu prendrais pour l'éteindre une peine impuissante. Il est des noeuds formés sous des astres malins, Qu'on chérit malgré soi. Je cède à mes destins. La raison, les conseils ne peuvent m'en distraire, Je vois le bon parti ; mais je prends le contraire. Je ne veux point ici m'affliger par avance ; L'évènement souvent confond la prévoyance. Il quittera le jeu. Te voilà bien soufflant. En quels lieux est ton maître ? Tiens, voilà dix louis. Ne me mens pas ; dis-moi S'il n'est pas vrai qu'il joue à présent. Avec tes faux soupçons, Nérine, eh bien ! Tu vois. Il jouerait donc ? Quoi ! ... Quoi ! Ton maître jouerait au mépris d'un serment ? Ah ! Sortons de ces lieux. Je ne puis me résoudre à paroître à ses yeux. Que votre emportement en reproches éclate ; Je mérite les noms de volage, d'ingrate. Mais enfin de l'amour l'impérieuse loi À l'hymen que je crains m'entraîne malgré moi : J'en prévois les dangers ; mais un sort tyrannique... En faveur de mon faible il faut lui faire grâce : De la fureur du jeu veux-tu qu'il se défasse, Hélas ! Quand je ne puis me défaire aujourd'hui Du lâche attachement que mon coeur a pour lui ? Cette Nérine-là connaît toute la France. Oui, ma soeur, il est fait ; et ce choix doit vous plaire, Puisque avant moi pour vous vous avez su le faire. Vous aviez là, ma soeur, un fort illustre amant. Vous avez découvert ici bien du mystère. Qu'as-tu donc, Nérine ? Et te trouves-tu mal ? Mon portrait ! Es-tu folle ? Tu te trompes. Vois mieux. Tu ne te trompes point, Nérine ; c'est lui-même ; C'est mon portrait, hélas ! Qu'en mon ardeur extrême Je viens de lui donner pour prix de ses amours, Et qu'il m'avait juré de conserver toujours. Juste ciel ! C'en est fait : pour jamais je le veux oublier. Ne craignez point, Valère, Les funestes retours de mon humeur légère : Le portrait dont ma main vous a fait possesseur Vous est un sûr garant que vous avez mon coeur. Quiconque a mon portrait, sans crainte de rival, Doit, avec la copie, avoir l'original. Ne consentez-vous pas à ce parti, Dorante ? Valère, vous voyez pour vous ce que je fais. Montrez donc, sans attendre, Le portrait que de moi vous avez voulu prendre ; Et que votre rival sache à quoi s'en tenir. Vous pouvez le montrer : Il verra mon portrait sans se désespérer. Avec de vains détours, Ingrat, ne croyez pas qu'on m'abuse toujours. Perfide que vous êtes ! Ce portrait, que tantôt je vous avais donné, Pour le gage d'un coeur le plus passionné, Malgré tous vos serments, parjure, à la même heure, Vous l'avez mis en gage ! Ah ! Cessez de vouloir plus longtemps m'outrager, Coeur lâche. Autrefois mon coeur eut la faiblesse De rendre à votre fils tendresse pour tendresse ; Mais la fureur du jeu dont il est possédé, Pour mon portrait enfin son lâche procédé, Me font ouvrir les yeux ; et, contre mon attente, En ce moment, Monsieur, je me donne à Dorante. Acceptez-vous ma main ? À jamais je vous laisse. Si vous êtes heureux au jeu comme en maîtresse, Et si vous conservez aussi mal ses présents, Vous ne ferez, je crois, fortune de longtemps. **** *creator_regnard *book_regnard_joueur *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_joueur *dist2_regnard_verse_comedy *id_DORANTE *date_1696 *sexe_masculin *age_veteran *statut_exterieur *fonction_autres *role_dorante Quel est donc le sujet pourquoi ton coeur soupire ? Dis-moi donc, si tu veux, le sujet de tes pleurs. Chercher fortune ailleurs ! As-tu fait quelque pièce Qui t'aurait fait sitôt chasser de ta maîtresse ? Que dis-tu ? Quoique pour mon amour ce coup soit assommant, Je ne suis point surpris d'un pareil changement. Je sais que cet amant tout entière l'occupe : De ses ardeurs pour moi je ne suis point la dupe ; Et lorsque de ses feux je sens quelque retour, Je dois tout au dépit, et rien à son amour. Je ne veux point, Nérine, éclater en injures, Ni rappeler ici ses serments, ses parjures : Ainsi que mon amour, je calme mon courroux. Tiens, reçois cette bague, et dis à ta maîtresse Que, malgré ses dédains, elle aura ma tendresse, Et que la voir heureuse est mon plus grand bonheur. Vous êtes bien instruit des chagrins qu'on me donne ! On ne me verra point violenter personne ; Et quand je perds un coeur qui cherche à s'éloigner, Mon frère, je prétends moins perdre que gagner. Non ; je ne sus jamais jusque-là me flatter. La jeunesse toujours eut des droits sur les belles ; L'amour est un enfant qui badine avec elles : Et quand, à certain âge, on veut se faire aimer, C'est un soin indiscret qu'on devrait réprimer. Ma présence est assez inutile en ces lieux. Je vais de mon amour tâcher à me défaire. Hé quoi ! Vous me fuyez ? Daignez au moins M'apprendre... Et toi, Nérine, aussi tu ne veux pas m'entendre ? Veux-tu de ta maîtresse imiter la rigueur ? Ô ciel ! Ce trait me désespère. Je veux approfondir un si cruel mystère. Ô contre-temps fâcheux ! Cherchons à l'éviter. J'obéis... Madame... Madame... Madame... Madame, en vérité, je n'en ai nulle envie, Et veux bien avec vous n'en parler de ma vie. Madame... Le respect... Hé ! Madame, cessez d'éviter ma présence. Je ne viens point, armé contre votre inconstance, Faire éclater ici mes sentiments jaloux, Ni par des mots piquants exhaler mon courroux. Plus que vous ne pensez, mon coeur vous justifie. Votre légèreté veut que je vous oublie : Mais loin de condamner votre coeur inconstant, Je suis assez vengé si j'en puis faire autant. Votre coeur est hardi, généreux, héroïque : Vous voyez devant vous un abîme s'ouvrir, Et vous ne laissez pas, Madame, d'y courir. Ces feux sont trop charmants pour vouloir les éteindre. Je ne suis point, Madame, ici pour vous contraindre. Mon neveu vous épouse ; et je viens seulement Donner à votre hymen un plein consentement. Mais ne craignez-vous point qu'un soir dans le silence ? ... À ce bonheur charmant je n'ose pas prétendre. Si madame eût gardé son coeur pour le plus tendre, Plus que tout autre amant j'aurais pu l'espérer. Ils prennent leur parti. Je veux aussi le voir. Laissez-moi le garder un moment, je vous prie : C'est la seule faveur qu'on m'ait faite en ma vie. Du portrait ne soyez plus en peine. Je veux ce qu'il vous plaît : vos ordres sont pour moi Les décrets respectés d'une suprême loi. Votre bouche, Madame, a prononcé sans feindre ; Et mon coeur subira votre arrêt sans se plaindre. Madame au plus heureux accordant la victoire, Le triomphe est trop beau, pour n'en pas faire gloire. Épargnez-lui ces pas. Il n'est plus temps de feindre. Le voici. Laissez-le-moi garder ; j'en paierai l'intérêt Si fort qu'il vous plaira. Il est vrai. Ah ! Je suis trop heureux Que vous vouliez encor... Vous n'aurez rien perdu dans ces lieux pour attendre, Ni toi, Nérine, aussi. Suivez-moi toutes deux. Quelque autre fois, Monsieur, vous serez plus heureux. **** *creator_regnard *book_regnard_joueur *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_joueur *dist2_regnard_verse_comedy *id_NERINE *date_1696 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_nerine Que fait Valère ? Il faut que je le voie. Je veux lui parler. Tes sots raisonnements sont pour moi superflus. Quand se lèvera-t-il ? Achève. Oh ! Parle, ou de force, ou de gré. Il n'est pas rentré ? J'entends. Autour d'un tapis vert, Dans un maudit brelan, ton maître joue et perd, Ou bien réduit à sec, d'une âme familière, Peut-être il parle au ciel d'une étrange manière. Par ordre très exprès d'Angélique, aujourd'hui Je viens pour rompre ici tout commerce avec lui. Des serments les plus forts appuyant sa tendresse, Tu sais qu'il a cent fois promis à ma maîtresse De ne toucher jamais cornet, carte, ni dé, Par quelque espoir de gain dont son coeur fût guidé ; Cependant... Et quand cela serait, n'aurais-je pas raison ? Mon coeur ne peut souffrir de lâche trahison. Angélique, entre nous, serait extravagante De rejeter l'amour qu'à pour elle Dorante : Lui, c'est un homme d'ordre, et qui vit congrument. Un amant fait et mûr. D'un fort bon caractère ; Qui ne sut de ses jours ce que c'est que le jeu. Dont j'enrage. Morbleu ! Ne verrai-je jamais les femmes détrompées De ces colifichets, de ces fades poupées, Qui n'ont, pour imposer, qu'un grand air débraillé, Un nez de tous côtés de tabac barbouillé, Une lèvre qu'on mord pour rendre plus vermeille, Un chapeau chiffonné qui tombe sur l'oreille, Une longue steinkerque à replis tortueux, Un haut-de-chausse bas prêt à tomber sous eux ; Qui, faisant le gros dos, la main dans la ceinture, Viennent, pour tout mérite, étaler leur figure ? Je veux, moi, réformer cet abus. Je ne souffrirai pas qu'on trompe ma maîtresse, Et qu'on profite ainsi d'une tendre faiblesse ; Qu'elle épouse un joueur, un petit brelandier, Un franc dissipateur, et dont tout le métier Est d'aller de cent lieux faire la découverte Où de jeux et d'amour on tient boutique ouverte, Et qui le conduiront tout droit à l'hôpital. Et crois-tu, dans ta tête, Que l'amour sur son coeur ait un si grand pouvoir ? Elle est fille d'esprit ; peut-être dès ce soir Dorante, par mes soins, l'épousera. Et moi je te déclare Que je l'en tirerai dès aujourd'hui. Que Dorante a pour lui Nérine et la raison. Tu verras que chez nous, Quand la raison agit, l'amour a le dessous. Ton maître est un amant d'une espèce plaisante ! Son amour peut passer pour fièvre intermittente ; Son feu pour Angélique est un flux et reflux. Oui, c'est la passion qui seule le dévore : Dès qu'il a de l'argent, son amour s'évapore. Oh ! J'empêcherai bien... Ce portrait est tout prêt, mais ce n'est pas pour lui, Et Dorante en sera possesseur aujourd'hui. N'est-ce pas une honte à Valère, Étant fils de famille, ayant encor son père, Qu'il vive comme il fait, et que, comme un banni, Depuis un an il loge en un hôtel garni ? Est-ce de même, dis ? Ma maîtresse Angélique, Et la veuve sa soeur, ne sont dans ce pays Que pour un temps, et n'ont point de père à Paris. Il a tort, en effet, d'être si peu traitable ! Quoi qu'il en soit, enfin, je ne t'abuse pas, Je fais la guerre ouverte ; et je vais de ce pas, Dire ce que je vois, avertir ma maîtresse Que Valère toujours est faux dans sa promesse ; Qu'il ne sera jamais digne de ses amours ; Qu'il a joué, qu'il joue, et qu'il jouera toujours. Adieu. Moi, parler pour Valère ! Il faudrait être folle. Que plutôt à jamais je perde la parole ! De l'esprit ! Lui, madame ! Il est plus journalier mille fois qu'une femme : Il rêve à tout moment ; et sa vivacité Dépend presque toujours d'une carte, ou d'un dé. Madame, croyez-moi, je connais le grimoire. Souvent tous ces dépits sont des hoquets d'amour. Cet hôte dans un coeur a bientôt fait son gîte ; Mais il se garde bien d'en déloger si vite. S'il venait à l'instant, Avec cet air flatteur, soumis, insinuant, Que vous lui connaissez ; que d'un ton pathétique, Il vous dît à vos pieds : "Non, charmante Angélique, Je ne veux opposer à tout votre courroux Qu'un seul mot : je vous aime, et je n'aime que vous. Votre âme en ma faveur n'est-elle point émue ? Vous ne me dites rien ! Vous détournez la vue ! Vous voulez donc ma mort ? Il faut vous contenter." Peut-être en ce moment pour vous épouvanter, Il se soufflettera d'une main mutinée, Se donnera du front contre une cheminée, S'arrachera de rage un toupet de cheveux Qui ne sont pas à lui. Mais de ces airs fougueux Ne vous étonnez pas ; comptez qu'en sa colère Il ne se fera pas grand mal. Vous voilà, grâce au ciel, bien instruite sur tout ; Ne vous démentez point, tenez bon jusqu'au bout. Il a, ma foi, reçu son congé dans les formes. Madame n'aime pas les maris en peinture. C'est irriter le mal, au lieu de l'adoucir. Madame est prévoyante, elle a pris les devants. Mais on vient. Il vous est obligé, Monsieur, de tant de peine. La manière est facile ; Et ce commerce-là me paraît assez doux. Elle veut qu'en détours la chose s'enveloppe ; Et ce mot dit à cru lui cause une syncope. Ici. Des faveurs ! Cet homme-là vous aime épouvantablement. Il en a donc bien fait la première... Je crois Voir Valère. Il tremble en approchant. Voici du quiproquo. Elle connaît ses gens. Allons, Madame, allons, ferme ; voici le choc : Point de faiblesse au moins, ayez un coeur de roc. Non, non ; laissez-moi faire. Optimè. Vous mollissez. Nous allons bientôt voir jouer la comédie. Qu'un amant mort pour nous nous mettrait en crédit ! Eh bien ! Ne voilà pas votre tendre maudit Qui vous prend à la gorge ! Euh ! Que les amants sont sots ! Je dis qu'en la mêlée Vous avez moins de coeur qu'une poule mouillée. Pour faire des serments il est toujours tout prêt. Hélas ! De mes sermons voilà quel est l'effet ! Que l'esprit d'une fille est changeant et bizarre ! Ah ! Que voilà pour l'oncle une époque fâcheuse ! Nous n'avons pas, Monsieur, tous deux, sujet de rire. Il faut aller, Monsieur, chercher fortune ailleurs. Non : c'est de votre sort dont j'ai compassion ; Et c'est à vous d'aller chercher condition. Qu'Angélique est une âme légère, Et s'est mieux que jamais rengagée à Valère. Si vous saviez, Monsieur, ce que j'ai fait pour vous ! Ah ! Ah ! Je n'en puis plus ; vous me fendez le coeur. Si l'on m'en avait cru, tout n'en irait que mieux. J'en ai le coeur saisi. En vain vous m'opposez une indigne tendresse, Je n'ai vu de mes jours avoir tant de mollesse. Je ne puis sur ce point m'accorder avec vous. Valère n'est point fait pour être votre époux ; Il ressent pour le jeu des fureurs nonpareilles, Et cet homme perdra quelque jour ses oreilles. Le temps augmente encore un tel attachement. Eh bien ! Madame, soit ; contentez votre ardeur, J'y consens. Acceptez pour époux un joueur, Qui, pour porter au jeu son tribut volontaire, Vous laissera manquer même du nécessaire, Toujours triste ou fougueux, pestant contre le jeu, Ou d'avoir perdu trop, ou bien gagné trop peu. Quel charme qu'un époux qui, flattant sa manie, Fait vingt mauvais marchés tous les jours de sa vie ; Prend pour argent comptant, d'un usurier fripon, Des singes, des pavés, un chantier, du charbon ; Qu'on voit à chaque instant prêt à faire querelle Aux bijoux de sa femme, ou bien à sa vaisselle, Qui va, revient, retourne, et s'use à voyager Chez l'usurier, bien plus qu'à donner à manger, Quand, après quelque temps, d'intérêts surchargée, Il la laisse où d'abord elle fut engagée, Et prend, pour remplacer ses meubles écartés, Des diamants du temple, et des plats argentés ; Tant que, dans sa fureur n'ayant plus rien à vendre, Empruntant tous les jours, et ne pouvant plus rendre, Sa femme signe enfin, et voit en moins d'un an, Ses terres en décret, et son lit à l'encan ! Quiconque aime, aimera ; Et quiconque a joué, toujours joue, et jouera. Quelque docteur l'a dit, ce n'est point menterie. Et, si vous le voulez, contre vous je parie Tout ce que je possède, et mes gages d'un an, Qu'à l'heure que je parle il est dans un brelan. Nous le saurons d'hector qu'ici je vois paroître. Ce n'est point là, maraud, ce que l'on te demande. Non, demeure un moment. Tout doux ! N'est-il pas vrai qu'il est en quelque lieu Où, courant le hasard... Eh bien ! Ai-je raison ? Pourquoi l'as-tu quitté dans cette décadence ? Eh bien ! Madame, eh bien ! êtes-vous satisfaite ? Vous l'entendez, Madame ! Après cette action, Pour Valère armez-vous de belle passion ; Cédez à votre étoile ; épousez-le. J'enrage Lorsque j'entends tenir ce discours à votre âge. Mais Dorante qui vient... Non, monsieur ; je vous sers toujours avec vigueur. Laissez-moi faire. Quand j'en devrais mourir, je ne puis plus me taire. Je vous empêcherai de terminer l'affaire : Ou si dans cet amour votre coeur engagé Persiste en ses desseins, donnez-moi mon congé. Je suis fille d'honneur ; je ne veux point qu'on dise Que vous ayez sous moi fait pareille sottise. Valère est un indigne ; et, malgré son serment, Vous voyez tous les jours qu'il joue impunément. Madame La Ressource ici ! Qu'y viens-tu faire ? Pour vivre, il faut avoir plus d'une connoissance. C'est une illustre au moins, et qui sait en secret Couler adroitement un amoureux poulet : Habile en tous métiers, intrigante parfaite ; Qui prête, vend, revend, brocante, troque, achète, Met à perfection un hymen ébauché, Vend son argent bien cher, marie à bon marché. Il fait bon avec elle, Je vous en avertis. En bijoux et brillants, En poche elle a toujours plus de vingt mille francs. Bon, bon ! Tous les filous sont de sa connaissance. Montrez-nous votre écrin. Le drôle veut passer quelque acte à l'opéra. Mais voici la Comtesse. Non, non ; sur vos bijoux j'ai des droits de visite. Vous la connaissez ? Quoi ! Monsieur le Marquis... Votre père était donc un Marquis exploitant ? Vous auriez, par ma foi, bien à faire à Paris. Il est tant de traitants qu'on voit, depuis la guerre, En modernes seigneurs sortir de dessous terre, Qu'on ne s'étonne plus qu'un laquais, un pied-plat, De sa vieille mandille achète un marquisat. Oui, vraiment, dès ce soir. Faites-le voir. Oh ! Je suis curieuse ; il faut me montrer tout. Que les brillants sont gros ! Ils sont fort de mon goût. Mais que vois-je, grands dieux ! Quelle surprise extrême ! Aurais-je la berlue ? Eh ! Ma foi, c'est lui-même. Ah ! ... Votre portrait, Madame, en propre original. Ah ! Ma pauvre maîtresse, Faut-il vous voir ainsi durement mise en presse ? Regardez donc vous-même, et voyez par vos yeux. Le fripon ! S'il met votre portrait ainsi chez l'usurier, Étant encore amant, il vous vendra, Madame, À beaux deniers comptants, quand vous serez sa femme. Mais le voici qui vient. À trois ou quatre pas, De grace, éloignez-vous, et ne vous montrez pas. Bon ! Ne savez-vous pas ? Les filles sont, Monsieur, tantôt haut, tantôt bas. Tu ne seras heureux, par ma foi, qu'en peinture. Son coeur ressent, je crois, le même empressement. Oh ! Par ma foi, Monsieur, vous ne prendrez qu'un rat ; Et le notaire peut remporter son contrat. Grâce au ciel, ma maîtresse a tiré son enjeu. Vous épouser, Monsieur, c'était jouer gros jeu. **** *creator_regnard *book_regnard_joueur *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_joueur *dist2_regnard_verse_comedy *id_HECTOR *date_1696 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_hector Il est, parbleu, grand jour. Déjà de leur ramage les coqs ont éveillé tout notre voisinage. Que servir un joueur est un maudit métier ! Ne serai-je jamais laquais d'un sous-fermier ? Je ronflerais mon soûl la grasse matinée, Et je m'enivrerais le long de la journée : Je ferais mon chemin ; j'aurais un bon emploi ; Je serais dans la suite un conseiller du roi, Rat-de-cave ou commis ; et que sait-on ? Peut-être Je deviendrais un jour aussi gras que mon maître. J'aurais un bon carrosse à ressorts bien liants ; De ma rotondité j'emplirais le dedans : Il n'est que ce métier pour brusquer la fortune ; Et tel change de meuble et d'habit chaque lune, Qui, jasmin autrefois, d'un drap du sceau couvert, Bornait sa garde-robe à son justaucorps vert. Quelqu'un vient. Si matin, Nérine, qui t'envoie ? Il dort. Va, mon maître ne voit personne quand il dort. Paix, ne parle pas si fort. Oh ! J'entrerai, te dis-je. Ici je suis de garde, Et je ne puis t'ouvrir que la porte bâtarde. Voudrais-tu voir mon maître in naturalibus . Mais, avant qu'il se lève, Il faudra qu'il se couche ; et franchement... Je ne dis mot. Mon maître, en ce moment, n'est pas encor rentré. Non. Il ne tardera guère : Nous n'ouvrons pas matin. Il a plus d'une affaire, Ce garçon-là. Je vois bien qu'un rival domestique Consigne entre tes mains pour avoir Angélique. L'amour se plaît un peu dans le dérèglement. Les filles d'ordinaire, Aiment mieux le fruit vert. Mais mon maître est aimé. C'est le goût d'à présent ; tes cris sont superflus, Mon enfant. Ton sermon me paraît un tant soit peu brutal. Mais, tant que tu voudras, parle, prêche, tempête, Ta maîtresse est coiffée. Tarare ! Elle est dans nos filets. Bon ! Bon ! Et nous avons l'amour. Tu sais que d'ordinaire, Quand l'amour veut parler, la raison doit se taire, Dans les femmes, s'entend. Elle est, après le jeu, ce qu'il aime le plus. Mais en revanche aussi, quand il n'a pas un sou, Tu m'avoueras qu'il est amoureux comme un fou. Nous ne te craignons guère ; Et ta maîtresse, encor hier, promit à Valère, De lui donner dans peu, pour prix de son amour, Son portrait enrichi de brillants tout autour. Nous l'attendons, ma chère, avec impatience : Nous aimons les bijoux avec concupiscence. À d'autres. Et vous y logez bien, et vous et votre clique. Valère a déserté la maison paternelle, Mais ce n'est point à lui qu'il faut faire querelle ; Et si monsieur son père avait voulu sortir, Nous y serions encore, à ne t'en point mentir. Ces pères, bien souvent, sont obstinés en diable. Bonjour. Autant que je m'y puis connaître, Cette Nérine-ci n'est pas trop pour mon maître. A-t-elle grand tort ? Non, c'est un panier percé, Qui... Mais je l'aperçois. Qu'il a l'air harassé ! On soupçonne aisément, à sa triste figure, Qu'il cherche en vain quelqu'un qui prête à triple usure. Il est... je ne m'en souviens pas. Non, Monsieur. Ma foi, la vérité répond aux apparences. Il jure entre ses dents. Eh ! La voilà, monsieur. Vous plairait-il, Monsieur... ? Votre robe de chambre est, Monsieur, toute prête. Tant mieux. Monsieur ? Las de dormir ! Monsieur ? Hé ! Je me donne au diable, Je n'ai pas eu le temps d'ôter mon justaucorps. Il a le diable au corps. Il est, selon l'usage, Venu maint créancier ; de plus, un gros visage, Un maître de trictrac qui ne m'est pas connu. Le maître de musique est encore venu. Ils reviendront bientôt. Qui ? Cette honnête usurière, Qui nous prête, par heure, à vingt sous par écu ? Oui, monsieur, j'ai tout vu. Qu'on vend cher maintenant l'argent à la jeunesse ! Mais enfin, j'ai tant fait, avec un peu d'adresse, Qu'elle m'a reconduit d'un air fort obligeant ; Et vous aurez, je crois, au plus tôt votre argent. Comme l'argent rend tendre ! Qui le refuserait serait bien difficile : Vous êtes aussi bon que banquier de la ville. Pour la réduire au point où vous la souhaitez, Il a fallu lever bien des difficultés : Elle est d'accord de tout, du temps, des arrérages ; Il ne faut maintenant que lui donner des gages. Oui, monsieur. Ma foi, je n'en sais rien. Pour nippes, nous n'avons qu'un grand fonds d'espérance Sur les produits trompeurs d'une réjouissance ; Et dans ce siècle-ci, messieurs les usuriers, Sur de pareils effets prêtent peu volontiers. Elle viendra tantôt elle-même en personne, Vous vous ajusterez ensemble en quatre mots. Mais, Monsieur, s'il vous plaît, pour changer de propos, Aimeriez-vous toujours la charmante Angélique ? Tant pis : c'est un signe fâcheux. Quand vous êtes sans fonds, vous êtes amoureux ; Et quand l'argent renaît, votre tendresse expire. Votre bourse est, Monsieur, puisqu'il faut vous le dire, Un thermomètre sûr, tantôt bas, tantôt haut, Marquant de votre coeur ou le froid ou le chaud. Oui, mais j'ai bien peur, moi, qu'on ne vous plante là. Nérine sort d'ici, qui m'a dit qu'Angélique Pour Dorante votre oncle en ce moment s'explique ; Que vous jouez toujours, malgré tous vos serments, Et qu'elle abjure enfin ses tendres sentiments. Ce que je viens d'entendre. Vous êtes assez riche en bonne opinion, À ce qu'il me paraît. Mais si, sans vouloir rire, Tout allait comme j'ai l'honneur de vous le dire, Et qu'Angélique enfin pût changer... Si cela se pouvait, qu'une passion neuve ?... Ce dessein me plaît fort. J'aime un amour fondé sur un bon coffre-fort. Si vous vouliez un peu vous aider avec elle, Cette veuve, je crois, ne serait point cruelle ; Ce serait une éponge à presser au besoin. C'est, dans son caractère, une espèce parfaite, Un ambigu nouveau de prude et de coquette, Qui croit mettre les coeurs à contribution, Et qui veut épouser ; c'est là sa passion. Un marquis, de même caractère, Grand épouseur aussi, la galope et la flaire. C'est, à vous parler net, Un marquis de hasard fait par le lansquenet ; Fort brave, à ce qu'il dit, intrigant, plein d'affaires ; Qui croit de ses appas les femmes tributaires ; Qui gagne au jeu beaucoup, et qui, dit-on, jadis Était valet de chambre avant d'être marquis. Mais sauvons-nous, Monsieur, j'aperçois votre père. Excusez-moi, Monsieur, je ne puis m'arrêter. Il n'est pas temps de rire. Tous ces jeux de hasard n'attirent rien de bon. J'aime les jeux galants où l'esprit se déploie. C'est, Monsieur, par exemple, un joli jeu que l'oie. Oh ! Nous ne risquons pas, Monsieur, de tels bijoux. C'est bien fait. Ces joueurs qui courent la fortune, Dans leurs dérèglements ressemblent à la lune, Se couchant le matin, et se levant le soir. Votre père a raison. On croirait vrai de lui : Il a fait trente fois coupe-gorge aujourd'hui. Voilà du fruit nouveau dont son fils le régale. Vous acquitter, Monsieur ! Avec quelle monnaie ? Vous n'avez qu'à parler, c'est un homme tondu. Nous paierons l'intérêt Au denier un. Ah ! Parbleu, pour le coup, c'est être raisonnable. Non. Quand vous le verrez vivre en homme de bien, Vous ne regretterez nullement la dépense ; Et nous ferons, Monsieur, la chose en conscience. Je m'en vais travailler, moi, pour vous contenter, À vous faire, en raisons claires et positives, Le mémoire succinct de nos dettes passives, Et que j'aurai l'honneur de vous montrer dans peu. Monsieur, je viens vous dire... Que les brillants sont gros ! Pour être plus content, Je vous amène encore un lénitif de bourse, Une usurière. Madame La Ressource. Elle est jolie encor. Mais quel sombre équipage ! Vous voilà, sans mentir aussi noire qu'un four. Subitement ? Hélas ! J'en suis fâché vraiment. Au fait. Et je veux l'endosser. Oh ! Parbleu, nous marchons sans crainte des filous. Par pitié. Ah ! Que nous sommes fous ! Tous ces gens-là, Monsieur, ont des coeurs de cailloux ; Sans des nantissements il ne faut rien prétendre. Attendez... mais comment, avec un coeur d'airain, Refuser un billet endossé de ma main ? Laissez-moi ; je cherche en ma boutique. Ah ! Que dites-vous là ? Vous devez le garder. Fort bien. Mais voulez-vous que cette perfidie ?... Que peut dire Angélique alors qu'elle apprendra Que de son cher portrait ? ... Dans une heure ? Je commence à me rendre. Sur cette nippe-là vous auriez peu d'argent. Votre raisonnement met le mien en déroute. Je sais que ce micmac ne vaut rien dans le fond. Adieu, juif, le plus juif qui soit dans tout Paris. Vous faites là, Monsieur, une action inique. Oui, monsieur, Angélique épousera Valère ; Ils ont signé la paix. Moi, j'en pleure à moitié. Le pauvre homme ! Voilà, Monsieur, un petit rôle Des dettes de mon maître. Il vous tient sa parole, Comme vous le voyez, et croit qu'en tout ceci Vous voudrez bien, Monsieur, tenir la vôtre aussi. J'aurai fait en deux mots. L'honnête homme de père ! Ah ! Qu'à notre secours à propos vous venez ! Encore un jour plus tard, nous étions ruinés. N'allez pas sur les points vous débattre ; Foi d'honnête garçon, je n'en puis rien rabattre : Les choses sont, Monsieur, tout au plus juste prix ; De plus je vous promets que je n'ai rien omis. Il faut bien se mettre sur ses gardes. "Mémoire juste et bref de nos dettes criardes, Que Mathurin Géronte aurait tantôt promis, Et promet maintenant de payer pour son fils." C'est, Monsieur, ce que je m'en vais faire. "Item, doit à Richard cinq cents livres dix sous, Pour gages de cinq ans, frais, mises, loyaux-coûts." Moi, fort à votre service. Ce nom n'étant point fait du tout à la propice D'un valet de joueur ; mon maître de nouveau M'a mis celui d'Hector, du valet de carreau. "Secondement, il doit à Jérémie Aaron, Usurier de métier, juif de religion... " Eh bien ! Soit. "Plus, il doit à maints particuliers, Ou quidams, dont les noms, qualités et métiers Sont déduits plus au long avec les parties, Ès assignations dont je tiens les copies, Dont tous lesdits quidams, ou du moins peu s'en faut, Ont obtenu déjà sentence par défaut, La somme de dix mille une livre, une obole, Pour l'avoir, sans relâche, un an, sur sa parole, Habillé, voituré, coiffé, chaussé, ganté, Alimenté, rasé, désaltéré, porté." Si vous ne m'en croyez, demain, pour vous trouver, J'enverrai les quidams tous à votre lever. "De plus, à Margot De La Plante, Personne de ses droits usante et jouissante, Est dû loyalement deux cent cinquante écus Pour ses appointements de deux quartiers échus." Monsieur... c'est une fille... Chez laquelle mon maître... elle est vraiment gentille. Ce n'est, ma foi, pas cher : Demandez ; c'est, Monsieur, un prix fait en hiver. Monsieur, point d'invectives. Voici le contenu de nos dettes actives : Et vous allez bien voir que le compte suivant, Payé fidèlement, se monte à presque autant. "Premièrement, Isaac De La Serre... " Il est connu de vous. Nous ne vous donnons pas de ces effets véreux ; Cela sent comme baume. Or donc ce De La Serre, Si bien connu de vous et de toute la terre, Ne nous doit rien. Mais un de ses parents, Mort aux champs de Fleurus, nous doit dix mille francs. Oh ! S'il n'était pas mort, c'était de l'or en barre. "Plus, à mon maître est dû, du chevalier Fijac, Les droits hypothéqués sur un tour de trictrac." La partie est de deux cents pistoles ; C'est une dupe ; il fait en un tour vingt écoles : Il ne faut plus qu'un coup. Il ne voudra jamais prendre cette monnaie. Il a dix trous à rien. Sa main est à frapper, non à donner, légère ; Et mon maître a bien fait de faire ailleurs affaire. Mais le voici qui vient poussé d'un heureux vent : Il a les yeux sereins et l'accueil avenant. Par votre ordre, Monsieur, j'ai vu Monsieur Géronte, Qui de notre mémoire a fait fort peu de compte : Sa monnaie est frappée avec un vilain coin ; Et de pareil argent nous n'avons pas besoin. J'ai vu, chemin faisant, aussi Monsieur Dorante : Morbleu ! Qu'il est fâché ! La flotte est arrivée avec les galions ; Cela va diablement hausser nos actions. J'ai vu pareillement, par votre ordre, Angélique ; Elle m'a dit... Cette fille, Monsieur, de votre amour est folle. Monsieur, écoutez-moi ; calmez un peu vos sens ; Je parle d'Angélique, et depuis fort longtemps. On n'y peut être mieux. Ah ! Monsieur, qu'elle est belle ! Et que j'ai de plaisir à vous voir raccroché ! Comment ! Quelle froideur s'empare de votre âme ! Quelle glace ! Tantôt vous étiez tout de flamme. Ai-je tort quand je dis que l'argent de retour Vous fait faire toujours banqueroute à l'amour ? Vous vous sentez en fonds, ergo plus de maîtresse. Et le libertinage. Et l'or devient à rien. D'accord. Mais quand on perd, tout cela vous ennuie. À ce qu'on peut juger de ce discours charmant, Vous voilà donc en grâce avec l'argent comptant. Tant mieux. Pour se conduire en bonne politique, Il faudrait retirer le portrait d'Angélique. Vous savez... Tirez-en mille écus. Pour mettre quelque chose à l'abri des orages, S'il vous plaisait du moins de me payer mes gages. Depuis que je suis avec vous, Je n'ai pas, en cinq ans, encor reçu cinq sous. Votre père ? Ah ! Monsieur, c'est une mer à boire. Son argent n'a point cours, quoiqu'il soit bien de poids. Je vois votre sellière. Elle a flairé l'argent. Et Monsieur Galonier, votre honnête tailleur. Vous prenez trop de peine. Vous faites toujours mes habits trop étroits. Ma culotte s'use en deux ou trois endroits. Vous cousez si mal... Oui, nous avons tous deux, par pitié profonde, Fait voeu de pauvreté : nous renonçons au monde. Et de quoi diable aussi, du métier dont vous êtes, Vous avisez-vous là de faire des enfants ? Faites-moi des habits. S'il avait quelques deniers comptants, Ne me paierait-il pas mes gages de cinq ans ? Votre dette n'est pas meilleure que la mienne. Je vous avertirai quand il y fera bon. Non, je ne vis jamais d'animal si tenace. Pour le coup... Cette raison vaut mieux que de l'argent comptant. Montrez-nous les talons. Tout au plus tôt. J'enrage. Nous l'espérons. Adieu. Sortez. Nous attendons la future en ce lieu : Si l'on vous trouve ici, vous gâterez l'affaire. Allez, laissez-moi faire. Que de bruit ! Oh ! Parbleu, détalez. Voilà des créanciers assez bien régalés. Vous devriez pourtant, en fonds comme vous êtes... Ah ! Je ne dois donc plus m'étonner désormais Si tant d'honnêtes gens ne les payent jamais. Mais voici le Marquis, ce héros de tendresse. Oui, de notre comtesse. Que prétend-il donc faire ? Monsieur... Quels desseins emportés ? ... Ah ! Monsieur, arrêtez. Tout beau ! Quel sujet ? ... Mais encor quel sujet ? Ah ! Diable, c'est avoir une vieille querelle. Quoi ! Vous osez, monsieur, d'un coeur ambitieux, Sur notre patrimoine ainsi jeter les yeux ! Attaquer la Comtesse, et nous le dire encore ! Oui, les droits sur le coeur ; mais sur la bourse, Non. N'auriez-vous point besoin d'un peu d'eau vulnéraire ? Oui, monsieur, le voilà. Votre coeur est, Monsieur, toujours insatiable. Ces inspirations viennent souvent du diable ; Je vous en avertis, c'est un futé matois. Tant va la cruche à l'eau... Vous ne me parlez point, Monsieur, de votre amour. Il m'en parlera peut-être à son retour. En quelque lieu qu'il soit, je réponds de son coeur ; Il sent toujours pour vous la plus sincère ardeur. Maraud ! Je vois qu'ici je suis de contrebande. Le temps me presse. Adieu. Parlez mieux, je vous prie. Mon maître n'a hanté de tels lieux de sa vie. Oh ! Ma foi, Il est bien revenu de cette folle rage, Et n'aura pas de goût pour le jeu davantage. Il s'en donne aujourd'hui pour la dernière fois. Il joue, à dire vrai, Madame ; Mais ce n'est proprement que par noblesse d'âme : On voit qu'il se défait de son argent exprès, Pour n'être plus touché que de vos seuls attraits. Son mauvais sort, vous dis-je, Mieux que tous vos discours aujourd'hui le corrige. N'admirez-vous pas cette fidélité ? Perdre exprès son argent pour n'être plus tenté ! Il sait que l'homme est faible, il se met en défense. Pour moi, je suis charmé de ce trait de prudence. C'est la dernière fois, Madame, absolument. On le peut voir encor sur le champ de bataille ; Il frappe à droite, à gauche, et d'estoc et de taille, Il se défend, Madame, encor comme un lion. Je l'ai vu, dans l'effort de la convulsion, Maudissant les hasards d'un combat trop funeste : De sa bourse expirante il ramassait le reste ; Et paraissant encor plus grand dans son malheur, Il vendait cher son sang et sa vie au vainqueur. Comme un aide-de-camp, je viens en diligence Appeler du secours : il faut faire approcher Notre corps de réserve, et je m'en vais chercher Deux cents louis qu'il a laissés dans sa cassette. Les partis sont aux mains ; à deux pas on se bat, Et les moments sont chers en ce jour de combat. Nous allons nous servir de nos armes dernières, Et des troupes qu'au jeu l'on nomme auxiliaires. Attendez un moment. Quelle ardeur vous transporte ? Hé quoi ! Monsieur, tout seul vous sautez de la sorte ! Mon maître, qui me suit, vous le fera danser, Monsieur, si vous voulez. Oui, monsieur, à l'instant vous l'allez voir paraître. Allons, saute, Marquis. Un tour de cette sorte Est volé d'un gascon, ou le diable m'emporte : Il vient de la Garonne. Oh ! Parbleu, dans ce temps Je n'aurais jamais cru les Marquis si prudents. Je ris : et cependant mon maître à l'agonie Cède en un lansquenet à son mauvais génie. Le voici. Ses malheurs sur son front sont écrits : Il a tout le visage et l'air d'un premier pris. Il est sec. Mais, ce n'est pas ma faute. Heureusement pour vous, vous n'avez pas un sou Dont vous puissiez, Monsieur, acheter un licou. Voudriez-vous souper ? Notre bourse est à fond ; et, par un sort nouveau, Notre amour recommence à revenir sur l'eau. Quel livre voulez-vous lire en votre chagrin ? Voilà Sénèque. Que je lise Sénèque ? Eh ! Vous n'y pensez pas ; Je n'ai lu de mes jours que dans des almanachs. Je vais le mettre en pièces. "L'or est comme une femme ; on n'y saurait toucher, Que le coeur, par amour, ne s'y laisse attacher. L'un et l'autre en ce temps, sitôt qu'on les manie, Sont deux grands rémoras pour la philosophie. " N'ayant plus de maîtresse, et n'ayant pas un sou, Nous philosopherons maintenant tout le soûl. "Que faut-il ? ... " "Que faut-il à la nature humaine ? Moins on a de richesse, et moins on a de peine. C'est posséder les biens que savoir s'en passer." Que ce mot est bien dit ! Et que c'est bien penser ! Ce Sénèque, Monsieur, est un excellent homme. Était-il de Paris ? Ah ! Monsieur, nous mourrons un jour sur un fumier. Si vous vouliez, Monsieur, chanter un petit air ; Votre maître à chanter est ici : la musique Peut-être calmerait cette humeur frénétique. Monsieur... Vous la trouviez pourtant tantôt bien agréable. Qu'un joueur est heureux ! Sa poche est un trésor ; Sous ses heureuses mains le cuivre devient or, Disiez-vous. Monsieur, contraignez-vous, j'aperçois votre père. Ce sont des vapeurs de morale Qui nous vont à la tête, et que Sénèque exhale. Oui, Monsieur : maintenant Que nous ne jouons plus, notre unique ascendant C'est la philosophie, et voilà notre livre ; C'est Sénèque. Ah ! Si vous aviez lu son traité des richesses, Et le mépris qu'on doit faire de ses maîtresses ; Comme la femme ici n'est qu'un vrai rémora, Et que, lorsqu'on y touche... on en demeure là... Qu'on gagne quand on perd... que l'amour dans nos âmes... Ah ! Que ce livre-là connaissoit bien les femmes ! Oui, Monsieur, je saurai tout Sénèque par coeur. Tout doux ! Monsieur fera cela tout aussi bien que vous. Il vous plaira toujours d'être mémoratif D'un papier que tantôt, d'un air rébarbatif, Et même avec scandale... J'irai donc, sur ce pied, vous visiter demain. De l'arrêt tout du long il va payer les frais. Ah ! Nous sommes perdus, j'aperçois l'usurière. Du portrait ? Madame La Ressource, un moment sans paraître, Prêtez-nous notre gage. Monsieur... Ah ! Monsieur, arrêtez, et ne me tuez pas. Voyant dans ce portrait Madame si jolie, Je l'ai mis chez un peintre ; il m'en fait la copie. Oui, monsieur. Nous voilà bien achevés de peindre ! Ah ! Carogne ! Nous devions tantôt le dégager ; Et contre mon avis vous avez fait la chose. Oh ! Par ma foi, je n'ose ; Ce récit est trop triste en vers ainsi qu'en prose. Pour avoir mis, sans réflexion, Le portrait de madame, une heure, en pension Chez cette chienne-là, que Lucifer confonde, On nous donne un congé le plus cruel du monde. Le beau présent de noce ! Adieu, tison d'enfer, fesse-mathieu femelle. Je vais à la bibliothèque Prendre un livre, et vous lire un traité de Sénèque.