**** *creator_regnard *book_regnard_legataire *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_legataire *dist2_regnard_verse_comedy *id_GERONTE *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_geronte Ah ! Bonjour, mon neveu. J'ai, cette nuit, été secoué comme il faut, Et je viens d'essuyer un dangereux assaut : Un pareil, à coup sûr, emporterait la place. Oui, j'aimerais assez ce que tu me proposes ; Mais il faut tant d'argent pour se faire soigner, Que, puisqu'il faut mourir, autant vaut l'épargner. Ces porteurs de seringue ont pris des airs si rogues !... Ce n'est qu'au poids de l'or qu'on achète leurs drogues. Qui pourrait s'en passer et mourir tout d'un coup, De son vivant, sans doute, épargnerait beaucoup. C'est tout argent perdu dans cette occasion ; La maison ne vaut pas la réparation. Je veux, mon cher neveu, mettre ordre à mes affaires. As-tu dit qu'on allât me chercher deux notaires ? Et dans peu vous saurez mes sentiments aussi ; Je veux, en bon parent, vous les faire connaître. J'ai des collatéraux... Qui, d'un regard avide, et d'une dent de loup, Dans le fond de leur coeur dévorent par avance Une succession qui fait leur espérance. Je sais ce qu'il en est. J'en suis persuadé. Je voudrais me venger D'un vain tas d'héritiers, et les faire enrager ; Choisir une personne honnête et qui me plaise, Pour lui laisser mon bien et la mettre à son aise. Quoique déjà je sois atteint et convaincu, Par les maux que je sens, d'avoir longtemps vécu ; Quoiqu'un sable brûlant cause ma néphrétique, Que j'endure les maux d'une âcre sciatique, Qui, malgré le bâton que je porte en tout lieu, Fait souvent qu'en marchant je dissimule un peu ; Je suis plus vigoureux que l'on ne s'imagine, Et je vois bien des gens se tromper à ma mine. Est-il vrai ? J'ai toujours reconnu du bon dans cette fille. Je veux pourtant songer à mettre ordre à mon bien, Avant qu'un prompt trépas m'en ôte le moyen. Tu connais et tu vois parfois madame Argante ? Et sa fille Isabelle, euh, la connais-tu ? Tu conviens que le ciel a versé dans son âme Les qualités qu'on doit chercher en une femme ? Je m'en vais l'épouser. Moi-même. D'Isabelle, en ce jour ; et, par ce mariage, Je lui donne, à ma mort, tout mon bien en partage. Je sais ce qu'il me faut : apprenez, je vous prie, Que même ma santé veut que je me marie. Je prends une compagne, et de qui tous les jours Je pourrai, dans mes maux, tirer de grands secours. Que me sert-il d'avoir une avide cohorte D'héritiers, qui toujours veille et dort à ma porte ; De gens qui, furetant les clefs du coffre-fort, Me détendront mon lit peut-être avant ma mort ? Une femme, au contraire, à son devoir fidèle, Par des soins conjugaux me marquera son zèle ; Et de son chaste amour recueillant tout le fruit, Je me verrai mourir en repos et sans bruit. Ah ! Le joli garçon ! Aurais-je dû m'attendre Qu'il eût pris cette affaire ainsi qu'on lui voit prendre ? Va, tu n'y perdras rien ; Quoi qu'il puisse- arriver, je te ferai du bien, Et tu ne seras pas frustré de ton attente. Mais quelqu'un vient ici. Mon chapeau, ma perruque. Ne va pas leur parler, je te prie, Ni de mon lavement, ni de ma léthargie. Ce sont mes héritiers qui font courir ce bruit ; Ils me voudraient déjà voir dans la sépulture : Je ne me suis jamais mieux porté, je vous jure : Je serais bien malade, et plus qu'à l'agonie, Si des yeux aussi beaux ne me rendaient la vie. Oui, madame, c'est vous (pour le moins je m'en flatte) Qui guérirez mes maux mieux qu'un autre Hippocrate. Vous êtes pour mon coeur comme un julep futur, Qui doit le nettoyer de ce qu'il a d'impur : Mon hymen avec vous est un sûr émétique ; Et je vous prends enfin pour mon dernier topique. Au feu que je ressens si l'amour est propice, Avant qu'il soit neuf mois, sans trop me signaler, Tous mes collatéraux auront à qui parler : Dans le monde on saura, dans peu, de mes nouvelles. Vraiment, c'est fort bien fait. Qui vous a donc si bien affilé le caquet ? De ses airs ne soyez point blessées : Elle me dit parfois librement ses pensées ; Je le souffre en faveur de quelques bons talents, Je ne les aurai qu'à la Saint-Jean prochain. Ils m'ont même assuré que, dans fort peu de temps, Je pourrais de mon chef avoir quelques enfants. Lisette, le remède agit à certain point... Mon neveu, je n'y puis résister davantage. Ah ! Ah !... Madame, il faut que je vous dise adieu ; Certain devoir pressant m'appelle en certain lieu. Éraste, conduis-les. Excusez-moi, de grâce, Si je ne puis rester plus longtemps avec vous. Madame, accordez-moi l'honneur de vous conduire. Ma colique m'a pris assez mal à propos ; Je n'ai senti jamais à la fois tant de maux. N'ont-elles point été justement irritées De ce que je les ai si brusquement quittées ? Il est vrai. Cependant j'ai quelque répugnance De songer, à mon âge, à faire une alliance : Mais, puisque j'ai promis... Le sort en est jeté, suivons ma destinée. Je voudrais inventer quelque petit cadeau Qui coûtât peu d'argent, et qui parût nouveau. Ne va pas m'embarquer dans un si grand festin. Je valais, dans mon temps, mon prix tout comme un autre. Pour ma santé, sans doute, elles sont inquiètes. Lisons. Va me chercher, Lisette, mes lunettes. Mon neveu, Que dis-tu de cela ? Je me garderai bien de suivre ton avis, Et d'un plaisir soudain tous mes sens sont ravis. Je ne sais pas comment, ennemi de moi-même, Je me précipitais dans ce péril extrême : Un sort à cet hymen m'entraînait malgré moi, Et point du tout l'amour. Attends un peu là-bas, et que rien ne te presse ; Je vais faire, à l'instant, réponse à ta maîtresse. Voyez comme je prends promptement mon parti ! De l'hymen tout d'un coup me voilà départi. Mais tu louais tantôt mon dessein et mes feux. Puisque je suis tranquille, et qu'un conseil plus sage Me guérit des vapeurs d'amour, de mariage, Je veux mettre ordre au bien que j'ai reçu du ciel, Et faire en ta faveur un legs universel Par un bon testament. Tant mieux ; c'est un effet de ton bon naturel. Je veux donc te nommer mon légataire unique. J'ai deux parents encor pour qui le sang s'explique : L'un est fils de mon frère, et tu sais bien son nom, Gentilhomme normand, assez gueux, ce dit-on ; Et l'autre est une veuve avec peu de richesse, La fille de ma soeur, par conséquent ma nièce, Qui jadis dans le Maine épousa, quoique vieux, Certain baron qui n'eut pour bien que ses aïeux. Je veux donc, en faveur de l'amitié sincère Qu'autrefois je portais à leur père, à leur mère, Leur laisser à chacun vingt mille écus comptant, Je ne les vis jamais ; ce que je puis vous dire, C'est qu'ils se sont tous deux avisés de m'écrire Qu'ils voulaient à Paris venir dans peu de temps, Pour me voir, m'embrasser, et retourner contents. Je crois que tu n'es pas fâché que je leur laisse De quoi vivre à leur aise, et soutenir noblesse. Je vais l'expédier, et reviens à l'instant. Il est vrai : mon neveu viendra m'accompagner ; Et je vais lui dicter une lettre d'un style Qui de madame Argante émouvra la bile ; J'en suis bien assuré. Viens, Éraste ; suis-moi. Je parle en cet écrit comme il faut à la mère : Je voudrais que quelqu'un me contât la manière Dont elle recevra mon petit compliment ; Je crois qu'elle sera surprise assurément. Cela sera-t-il bien que toi-même on te voie ? Dis-leur de bouche encor qu'elles ne pensent pas À renouer l'hymen dont je fais peu de cas... Que je vais à l'instant te nommer légataire. Te donner tout mon bien. Oui, depuis que j'ai pris ce généreux dessein, Je me sens de moitié plus léger et plus sain. Ah ! Dieu vous garde en ces lieux ! Je suis, quand je vous vois, plus vif et plus joyeux. Si je m'y puis connaître, Vous paraissez fâché. Quoi ! Qui vous a mis si fort la bile en mouvement ? Oui. Comment ? Eh ! Monsieur, quelle est-elle ? De quoi s'agit-il donc ? Et quand cela serait : pourquoi vous récrier, Vous que depuis un mois on vit remarier ? Vous avez fort bien fait, dans cette procédure, D'avoir jusques au bout soutenu la gageure. C'est bien fait. Ces messieurs voulaient vous offenser : Mais que vous ai-je fait, moi, pour vous courroucer ? Monsieur... Mais, monsieur... Monsieur... Monsieur, un petit mot. Mais... Il ne reviendra plus ; son départ me chagrine. Fais-le-moi donc venir. Allons nous reposer. Lisette, suis mes pas. Ce monsieur Clistorel m'a tout ému la bile. Je t'en ferai, pourvu qu'il ne m'en coûte rien. Éraste ne vient point me rendre de réponse. Qu'est-ce que ce délai me prédit et m'annonce ? Je suis content de moi dans cette occasion, Et monsieur Clistorel a fort bonne raison. C'était, la pierre au cou, la tête la première, M'aller précipiter au fond de la rivière. Cet homme assurément prétend me démembrer. Je le crois. À la chronologie ! Apprenez, mon neveu, si par hasard vous l'êtes, Que vous êtes un sot, aux discours que vous faites. Ma soeur fut sage ; et nul ne peut lui reprocher Que jamais sur l'honneur on l'ait pu voir broncher. C'est bien fait ; et je loue assez l'intention. Quand vous en allez-vous ? À te dire le vrai, j'en suis épouvanté. Savez-vous, mon neveu, qui tenez ce langage, Que, si de mes deux bras j'avais encor l'usage, Je vous ferais sortir par la fenêtre. Oui, vous ; et, dans l'instant, sortez. Où suis-je ? Grands dieux ! Vit-on jamais insolence semblable ? Mon neveu, c'est à tort qu'avec tant de hauteur Vous venez tourmenter un oncle à l'agonie ; En repos laissez-moi finir ma triste vie, Et vous hériterez au jour de mon trépas. À chaque pas L'impitoyable mort s'obstine à me poursuivre ; Et je n'ai, tout au plus, que quatre jours à vivre. Ce n'est point mon neveu ; ma soeur était trop sage Pour élever son fils dans un air si sauvage : C'est un fieffé brutal, un homme des plus fous. Par ma foi, s'il en tient, il lui fait peu d'honneur. Ah ! Le vilain parent ! Moi, lui laisser mon bien ! J'aimerais mieux cent fois L'enterrer pour jamais. Si c'est sur mon bien seul qu'il fonde sa cuisine, Je t'assure déjà qu'il mourra de famine, Et qu'il n'aura pas lieu de rire à mes dépens. Tu te fais bien attendre ! Tu m'as abandonné dans un grand embarras. Un malheureux neveu m'est tombé sur les bras. Que dis-tu de ses airs ? J'aurais bien eu besoin ici de ta présence Pour réprimer l'excès de son impertinence ; Lisette en est témoin. J'ai bien changé d'avis : je te donne parole Qu'il n'aura de mon bien jamais la moindre obole. Oui, je te l'ai promis ; c'est mon intention. J'en suis persuadé. Et qu'as-tu su répondre à ces belles pensées ? Ne t'embarrasse point encor de mariage. Que mon exemple ici serve à te rendre sage. A la vie ! Et pourquoi ? Suis-je mort, s'il vous plaît ? Avec de tels discours et ton air d'insolence, Tu pourrais, à la fin, lasser ma patience. Encore des parents ! Non, je te le défends. Elle a de la douceur et de la politesse. Qu'on donne promptement un fauteuil à ma nièce. Je suis assez content déjà de la parente. Votre époux, vous laissant mère et veuve à vingt ans, Ne vous a pas laissé, je crois, beaucoup d'enfants. Peut-on vous demander, sans vous faire de peine, Quel sujet si pressant vous fait quitter le Maine ? Elle est folle, et souvent il lui prend des accès... Elle ne parle pas si bien que vous procès Est-ce à moi, s'il vous plaît, que ce discours s'adresse ? Je ne sais où j'en suis. Je ne sais qui retient l'effet de ma colère. Moi, me faire interdire ! Sortez d'ici, madame, et que de votre vie Remettre le pied il ne vous prenne envie ; Sortez d'ici, vous dis-je, et sans vous arrêter... Voilà, je vous avoue, une grande coquine. Ouf ! Ce jour-ci sera le dernier de ma vie. Je ne puis revenir encor de ma faiblesse : Je ne sais où je suis : l'éclat du jour me blesse ; Et mon faible cerveau, de ce choc ébranlé, Par de sombres vapeurs est encor tout troublé. Ai-je été bien longtemps dans cette léthargie ? Où donc est mon neveu ? Son absence m'ennuie. Que dis-tu là ? Comment ! Où donc ? Dans la rivière ? Va donc lui redonner et le calme et la joie ; Et dis-lui, de ma part, que le ciel lui renvoie Un oncle toujours plein de tendresse pour lui, Qui connaît son bon coeur, et qui veut aujourd'hui Lui montrer des effets de sa reconnaissance. Mais, à ce que je vois, J'ai donc, Lisette, été plus mal que je ne crois ? Il faut donc, expliquer ma volonté dernière, Et, sans perdre de temps, faire mon testament. Les Notaires sont-ils venus ? Qu'on aille de nouveau les chercher ? Et leur dire Que dans le même instant je veux les faire écrire. Hélas ! Mon cher neveu, je n'en suis guère mieux : Mais je rends grâce au ciel de prolonger ma vie, Pour pouvoir maintenant exécuter l'envie De te donner mon bien par un bon testament. Bonjour, monsieur Scrupule. Ici depuis longtemps vous êtes attendu. Tous les jours je l'éprouve. Quel papier, s'il vous plaît ? Pour quoi ? Pour quelle affaire ? J'ai fait mon testament ! Eh ! Parbleu, vous rêvez, monsieur ; c'est pour le faire Que j'ai besoin ici de votre ministère. Éraste était présent ? Est-il vrai, mon neveu ? Parle, je t'en conjure. Lisette, parle donc. J'ai fait mon testament ? Il faut donc que mon mal m'ait ôté la mémoire ; Et c'est ma léthargie. Oui. Je ne m'en souviens point. Oui. Je ne m'en souviens point. Je crois qu'ils ont raison, et mon mal est réel. Il faut bien qu'il soit vrai, puisque chacun le dit. Mais voyons donc enfin ce que j'ai fait écrire. En les voyant pleurer, mon âme est attendrie. La, la, consolez-vous ; je suis encore en vie. De tout ce préambule et de cette légende, S'il m'en souvient d'un mot, je veux bien qu'on me pende. Je ne dois rien. Je dois quatre cents francs ! C'est une fourberie. C'est un maraud qu'il faut envoyer en galère. Comment ! Moi des bâtards ? Oui, je voulais nommer Éraste légataire. À cet article-la, je vois présentement Que j'ai bien pu dicter le présent testament. Qu'est-ce à dire cela ? Je ne suis point l'auteur de ces sottises-là. Deux mille écus comptant ! Comment ! Six mille francs ! Quinze ou vingt écus, passe. On a ce que l'on peut, entendez-vous, ma mie ? Il en est à tout prix. Achevez, je vous prie. À Crispin ! Où donc ce beau discours doit-il enfin venir Voyons. Non ferai-je, parbleu ! Que veut dire ceci ? Monsieur, de tous ces legs je veux être éclairci. Quoi ! Moi, j'aurais légué, sans aucune raison, Quinze cents francs de rente à ce maître fripon, Qu'Éraste aurait chassé s'il m'avait voulu croire ! Ne m'a-t-on point vole mes billets dans mes poches ? Je tremble du malheur dont je sens les approches ; Je n'ose me fouiller, Où sont-ils donc ? Réponds. Par mon ordre ! Je ne m'en souviens point. Oh ! Je veux, sur ce point, Qu'on me fasse raison. Quelles friponneries ! Je suis las, à la fin, de tant de léthargies. Cours chez elle ; dis-lui que, quand j'ai fait ce don, J'avais perdu l'esprit, le sens, et la raison. Ô ciel ! Et quelles sont ces lois ? Mais tu n'y penses pas. Veux-tu donc que je laisse À cette chambrière un legs de cette espèce ? Et ce maraud aurait cette somme en partage ! Il est vrai qu'il n'en doit jouir qu'après ma mort. Ah ! Monsieur mon neveu... Nous verrons : mais, avant de conclure l'affaire, Je veux voir mes billets en entier. Si tu ne me les rends, je vous ferai tous pendre. La tendresse m'accueille. Dites-moi, n'a-t-on rien distrait du portefeuille ? Hé bien ! S'il est ainsi, par-devant le notaire, Pour avoir mes billets, je consens à tout faire ; Je ratifie en tout le présent testament, Et donne à votre hymen un plein consentement. Mes billets ? De vos remerciements volontiers je me passe. Mariez-vous tous deux, c'est bien fait ; j'y consens : Mais, surtout, au plus tôt procréez des enfants Qui puissent hériter de vous en droite ligne ; De tous collatéraux l'engeance est trop maligne. Détestez à jamais tous neveux bas-normands, Et nièces que le diable amène ici du Mans ; Fléaux plus dangereux, animaux plus funestes Que ne fusent jamais les guerres ni les pestes. **** *creator_regnard *book_regnard_legataire *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_legataire *dist2_regnard_verse_comedy *id_ERASTE *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_eraste Ah ! Te voilà, Lisette ! Guéris-moi, si tu peux, du soin qui m'inquiète. Hé bien ! Mon oncle est-il en état d'être vu ? Ah, ciel ! Que dis-tu là ? Quel que soit mon espoir, je sens que la nature Excite dans mon coeur de tristes sentiments. Je ressens pour mon oncle une amitié sincère ; Je donne dans son sens en tout pour lui complaire ; Quoi qu'il dise ou qu'il fasse, ayant le droit ou non, Je conviens avec lui qu'il a toujours raison. Hé ! Dis-moi, mon enfant, en pleine confidence, Puis-je, sans me flatter, former quelque espérance ? Ah ! Lisette, Que tu flattes mes sens ! Que ma joie est parfaite ! Ce n'est point l'intérêt qui m'anime aujourd'hui ; Un dieu beaucoup plus fort et plus puissant que lui, L'Amour, parle en mon coeur : la charmante Isabelle Est de tous mes désirs une cause plus belle, Et pour le testament me fait faire des voeux... Va, tranquillise-toi ; Ce que j'ai dit est dit ; repose-toi sur moi. Je suis, en vérité, Charmé de vous revoir en meilleure santé. Le Laquais apporte une chaise. De grâce, asseyez-vous. Ôte donc cette chaise ; Mon oncle en ce fauteuil sera plus à son aise. Le Laquais ôte la chaise, apporte un fauteuil, et sort. Vous voilà beaucoup mieux ; et le ciel, par sa grâce, Pour vos jours en péril nous permet d'espérer. Il faut présentement songer à réparer Les désordres qu'a pu causer la maladie, Vous faire désormais un régime de vie, Prendre de bons bouillons, de sûrs confortatifs, Nettoyer l'estomac par de bons purgatifs, Enfin ne vous laisser manquer de nulles choses. Oui, vous avez raison ; c'est une tyrannie : Mais je ferai les frais de votre maladie. La santé dans le monde étant le premier bien, Un homme de bon sens n'y doit ménager rien. De vos maux négligés vous guérirez sans doute. Tâchons à réparer vos forces, quoi qu'il coûte. Je me doute à peu près de ce que ce peut être. Ne me confondez pas, mon oncle, s'il vous plaît, Avec de tels parents. Votre santé me touche, et me plaît davantage Que tout l'or qui pourrait me tomber en partage. Vous devez là-dessus suivre votre désir. Oui : dans ses procédés elle est toute charmante. Fort. C'est une fille sage, et qui charme d'abord. Je ne vois point d'objet plus digne d'aucuns voeux, Ni de fille plus propre à rendre un homme heureux. Vous, mon oncle ? J'en ai, je vous l'avoue, une allégresse extrême. Vous ne pouvez mieux faire, et j'en suis très content : Je voudrais, comme vous, en pouvoir faire autant. Mon oncle parle juste, et ne saurait mieux faire Que de se ménager un secours nécessaire. Une femme économe et pleine de raison, Prendra seule le soin de toute la maison. Votre bien seul m'est cher. Je vais les amener. Mon oncle a le visage, ou du moins peu s'en faut, D'un galant de trente ans. Au pouvoir de ces yeux je rends plus de justice. Vous avez très grand tort de parler de la sorte ; Je voudrais me porter comme monsieur se porte. Il veut se marier ; et n'a-t-il pas raison D'avoir un héritier, s'il peut, de sa façon ? Quoi ! Refusera-t-il une aimable personne Que son heureux destin lui réserve et lui donne ? Ah ! Le ciel m'est témoin si je voudrais jamais De sort plus glorieux pour combler mes souhaits ! Je crois qu'en vérité vous ne sauriez mieux faire. Oui, je vous soutiens, moi, qu'une jeune personne, Malgré sa répugnance et l'orgueil de ses sens, Doit suivre aveuglément le choix de ses parents ; Et mon oncle, après tout, n'a pas un si grand âge, À devoir renoncer encore au mariage ; Et soixante et huit ans, est-ce un si grand déclin, Pour... Mon oncle, qu'avez-vous ? Vous changez de visage. Je ne puis vous quitter ni vous laisser sortir Que vous ne me flattiez d'un rayon d'espérance. Quoi ! Vous aurez, madame, assez de cruauté Pour conclure à mes yeux cet hymen projeté, Après m'avoir promis la charmante Isabelle ? Pourrai-je, sans mourir, me voir séparé d'elle ? Vous, madame, y consentiriez-vous ? Et ne voyez-vous pas que, par cet artifice, Pour rompre ses projets, je flattais son caprice ? Il est certains esprits qu'il faut prendre de biais, Et que, heurtant de front, vous ne gagnez jamais. Mon oncle est ainsi fait. L'intérêt peut-il faire Que vous sacrifiiez une fille si chère ? Donnez-moi votre foi De rompre cet hymen ; et je vous promets, moi, De tourner aujourd'hui son esprit de manière Que les choses iront ainsi que je l'espère, Et qu'il fera pour moi quelque heureux testament. Que mon sort est heureux ! Qu'il est digne d'envie ! Mais Lisette s'avance, et j'entends quelque bruit. Comment mon oncle est-il ? Le prix que j'en attends vous répond de mon coeur. Hélas ! Ma pauvre enfant, j'en suis au désespoir. Mais l'affaire n'est pas encore consommée, Et son feu pourrait bien s'en aller en fumée. La mère, en ma faveur, change de volonté, Et va, d'un mot d'écrit entre nous concerté, Remercier mon oncle, et lui faire comprendre Qu'il est un peu trop vieux pour en faire son gendre. On sait que d'un malade on doit excuser tout. Mon oncle fera mieux une seconde fois : Suffit qu'en épousant il ait fait un bon choix. Reposez-vous sur moi des soins de cette fête, Des habits, du repas qu'il faut que l'on apprête : J'ordonne sur ce point bien mieux qu'un médecin. Je m'en étonne peu. Mais, sans vous arrêter à cet écrit frivole, Il faut les obliger à tenir leur parole. C'était témérité, dans l'âge où vous voilà, Malsain, fiévreux, goutteux, et pis que tout cela, De prendre femme, et faire, en un jour si célèbre, Du flambeau de l'hymen une torche funèbre. Tantôt vous faisiez bien, et maintenant bien mieux. Ah, monsieur ! Je vous prie, Épargnez cette idée à mon âme attendrie : Je ne puis, sans soupir, vous ouïr prononcer Le mot de testament ; il semble m'annoncer, Avant qu'il soit longtemps, le sort qui doit le suivre, Et le malheur auquel je ne pourrai survivre : Je frémis, quand je pense à ce moment cruel. N'êtes-vous pas, monsieur, maître de votre bien ? Tout ce que vous ferez, je le trouverai bien. Vous obéir, monsieur, est ma suprême loi. Si vous voulez, monsieur, me charger de la lettre, Moi-même entre ses mains je promets de la mettre, Et de vous rapporter ce qu'elle m'aura dit, Et ce qu'elle aura fait en lisant votre écrit. Vous ne sauriez, monsieur, me donner plus de joie. De vos intentions je sais tout le mystère. Je connais leur esprit, Elles en crèveront toutes deux de dépit. Demeurez en repos ; je sais ce qu'il faut dire, Et de notre entretien je reviens vous instruire. Il vient de m'accoster là-bas tout hors d'haleine, Et m'a dit en deux mots le sujet qui l'amène. Je les trouve étonnants. Il peste, il jure, il veut mettre le feu céans. Je me suis acquitté de ma commission, Et tout s'est fait au gré de notre intention. Votre lettre a produit un effet qui m'enchante. On a montré d'abord une âme indifférente ; D'un faux air de mépris voulant couvrir leur jeu, Elles me paraissaient s'en soucier fort peu : Mais quand je leur ai dit que vous vouliez me faire Aujourd'hui de vos biens unique légataire, (Car vous m'avez prescrit de parler sur ce ton...) Elles ont toutes deux témoigné des surprises Dont elles ne seront de six mois bien remises. Mais écoutez ceci, Qui doit bien vous surprendre, et m'a surpris aussi ; C'est que madame Argante, aimant votre famille, M'a proposé, tout franc, de me donner sa fille, Et d'acquitter ainsi, par un commun égard, La parole donnée et d'une et d'autre part. Que je ne voulais point aller sur vos brisées, Sans avoir, sur ce point, su votre sentiment, Et de plus, obtenu votre consentement. C'est lui, je le sais bien ; Nous avons eu là-bas un moment d'entretien. Elle sait vraiment vivre, et sa taille est charmante. On ne poussa jamais plus loin la foi promise. Voilà des sentiments dignes d'une Artémise. Pourquoi donc de ce terme être si fort piquée ? C'est un mot du barreau. Comment donc ? Quel caprice ! Il faut développer le fond de ce mystère. Que l'on m'aille à l'instant chercher un commissaire. On verra ce que c'est ; Et dans peu nous saurons, avec un tel tumulte, Si l'on vient chez les gens ainsi leur faire insulte. Vous, mon oncle, rentrez dans votre appartement ; Je vous rendrai raison de tout dans un moment. Est-il bien vrai, Crispin ? Et ton ardeur sincère.... Ah ! Juste ciel ! C'est toi. Je ne me trompe point. Ta pudeur a souffert d'une telle incartade. Quoi ! Enfin de ses neveux l'oncle se désabuse ; Il fait un testament qui doit combler mes voeux. Est-il dans l'univers un mortel plus heureux ? Ah ciel ! Est-il possible ? Je suis au désespoir. C'est ce dernier transport Où tu l'as mis, Crispin, qui causera sa mort. Ne désespérons point encore de sa vie ; Il tombe assez souvent dans une léthargie Qui ressemble au trépas, et nous alarme fort. Ah ! Juste ciel ! Crispin, quel triste événement ! Non oncle mourra donc sans faire un testament ; Et je serai frustré, par cette mort cruelle, De l'espoir d'obtenir la charmante Isabelle ! Fortune, je sens bien l'effet de ton courroux ! Que nous sert le courage, et que pouvons-nous faire ? Ah ! Mon pauvre Crispin, je perds toute espérance. Mon oncle ne saurait reprendre connaissance : L'art et les médecins sont ici superflus ; Le pauvre homme n'a pas à vivre une heure au plus. Le legs universel qu'il prétendait me faire, Comme tu vois, Crispin, ne m'enrichira guère. Quoiqu'un cruel destin, à nos désirs contraire, Épuise contre nous les traits de sa colère, Nos soins ne seront pas infructueux et vains ; Quarante mille écus que je tiens dans mes mains, Triste et fatal débris d'un malheureux naufrage, Seront mis, si je veux, à l'abri de orage. Voilà tous bons billets que j'ai trouvés sur lui. Il est vrai, cher Crispin ; mais enfin tu sais bien. Que cela ne fait pas presque le quart du bien Qu'en la succession mes soins pouvaient prétendre, Et que le testament me donnait lieu d'attendre : Des maisons à Paris, des terres, des contrats, Offraient bien à mon coeur de plus charmants appas. Non que l'ardeur du gain et la soif des richesses Me fissent ressentir leurs indignes faiblesses ; C'est d'un plus noble feu dont mon coeur est épris. Je devais épouser Isabelle à ce prix : Ce n'est qu'avec ce bien, qu'avec ces avantages, Que je puis de sa mère obtenir les suffrages ; Faute de testament, je perds, et pour toujours, Un bien dont dépendait le bonheur de mes jours. Faudra-t-il qu'un espoir fondé sur la justice, En stériles regrets passe et s'évanouisse ? Ne saurais-tu, Crispin, parer ce coup fatal, Et trouver promptement un remède à mon mal ? Tantôt tu méditais un héroïque ouvrage : C'est dans les grands dangers qu'on voit un grand courage. Tu veux donc me confondre et me désespérer ? Je vois à tous moments croître mon embarras. Fais-en, ma pauvre enfant, tout ce que tu voudras. Savent-ils que mon oncle a perdu connaissance, Et qu'il ne peut parler ? Crispin... Hélas ! Juste ciel ! Que ferons-nous, dis-moi ? Quoi ! Les renverrons-nous ? Attends encore un peu. Je me sens accabler. Crispin, tu vas me voir expirer à ta vue. Fais-nous part du dessein que ton coeur se propose. Tu m'arraches, Crispin, des portes du trépas. Si ton dessein succède au gré de notre envie, Je veux te rendre heureux le reste de ta vie. Je serais légataire ! Et, par même moyen, J'épouserais l'objet qui fait seul tout mon bien ! Ah, Crispin ! Ton trouble est mal fondé : depuis deux ou trois mois Géronte ne pouvait se servir de ses doigts ; Ainsi sa signature, ailleurs si nécessaire, N'est point, comme tu vois, requise en notre affaire ; Et tu déclareras que tu ne peux signer. Ne crains rien, arme-toi de résolution. Fasse un heureux destin réussir l'artifice ! Si j'ose me porter à cette extrémité, Malgré moi j'obéis à la nécessité. J'entends du bruit. Un dieu, dont le pouvoir sert d'excuse aux amants, Saura me disculper de ces emportements. Mon oncle, sur ce point, dira son sentiment. Nous n'en trouverons pas, je crois, beaucoup de faites. Tout se fera, monsieur, selon votre désir. J'aurai soin du convoi, de la pompe funèbre, Et n'épargnerai rien pour la rendre célèbre. Ô douleur trop amère ! Les biens que vous m'offrez n'ont pour moi nuls appas, S'il faut les acheter avec votre trépas. Deux mille écus ! Je crois que le pendard se moque. Le fripon m'a joué d'un tour de son métier. Je crois que voilà tout ce que vous voulez dire. À Crispin ! Je crois qu'il perd l'esprit. Quel est donc son dessein ? Ah, le traître ! Vous ne connaissez pas, mon oncle, ce Crispin : C'est un mauvais valet, ivrogne, libertin, Méritant peu le bien que vous voulez lui faire. Le chien ! Ah ! Quelle trahison ! Comment ! Quinze cents francs ! Pour un valet, mon oncle, a-t-on fait un tel legs ? Vous n'y pensez donc pas ? Mais... Si... Soit, je ne dirai mot ; cependant, de ma vie, Je n'aurai de parler une si juste envie. Le scélérat encor rit de ma retenue ; Il ne me laissera plus rien, s'il continue. Le ciel en soit béni ! Vous nous ferez plaisir ; mon oncle vous en prie, Et veut récompenser votre peine et vos soins. Trop bien pour mon profit. Dis-moi donc, malheureux ! As-tu perdu l'esprit, De faire un testament qui m'est si dommageable ? De laisser à Lisette une somme semblable ? Deux mille écus comptant ! Comment donc, traître ! Et de ta conscience ! Et ces quinze cents francs De pension, à toi payables tous les ans, Que tu t'es fait léguer avec tant de prudence, Est-ce encor pour l'acquit de cette conscience ? M'en préserve le ciel ! Ce serait cent fois pis ; j'en mourrais de douleur. Rentrons, Crispin ; je tremble, et suis persuadé Que nous allons trouver mon oncle décédé, Ou que, dans ce moment, pour le moins il expire. Le laurier dont tu viens de couronner ton front Ne peut avoir un prix ni trop grand, ni trop prompt. C'est ce que nous verrons avec plus de loisir. Qu'as-tu donc, mon enfant, à crier de la sorte ? Comment donc ! Que dis-tu ? Avec quelle constance, au branle de sa roue, La fortune ennemie et me berce et me joue ! Toi que j'ai vu tantôt si grand, si magnanime, Un seul revers te rend faible et pusillanime ! Reprends des sentiments qui soient dignes de toi : Offrons-nous aux dangers ; viens signaler ta foi : Quelque coup de hasard nous tirera d'affaire. Je vais, sans perdre temps, remettre ces billets Dans les mains d'Isabelle : ils feront leurs effets ; Et nous en tirerons peut-être un avantage Qui pourrait bien servir notre mariage. Vous, rentrez chez mon oncle, et prenez bien le soin D'appeler le secours dont il aura besoin. Pour retourner plus tôt, je pars en diligence, Et viens vous rassurer ici par ma présence. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je connais, madame, Les nobles sentiments qui règnent dans votre âme : Nous ne prétendons point, vous ni moi, retenir Un bien qui ne nous peut encore appartenir. Mais gardez ces billets quelques moments, de grâce ; Le ciel m'inspirera ce qu'il faut que je fasse. Je le prends à témoin, si, dans ce que j'ai fait, L'amour n'a pas été mon principal objet. Hélas ! Pour mériter la charmante Isabelle, J'ai peut-être un peu trop fait éclater mon zèle ; Mais on pardonnera ces transports amoureux : Mon excuse, madame, est écrite en vos yeux. Si je l'obtiens ce coeur, non, je ne veux plus rien. Mon oncle maintenant, par sa convalescence, Fait revivre en mon coeur la joie et l'espérance ; Et je vais l'exciter à faire un testament. Et voilà la raison qui me fait hasarder À vouloir quelque temps encore les garder. Pour revoir ce dépôt rentrer en sa puissance, Il accordera tout, sans trop de résistance. Il faut, mademoiselle, en ce péril offert, Être un peu, dans ce jour, avec nous de concert. Voilà tous bons billets qu'il faut, s'il vous plaît, prendre. N'en rougissez point, ce n'est que pour les rendre. Mais j'entends quelque bruit. C'est Crispin que je vois. À qui donc en as-tu ? Te voilà hors de toi. Ô ciel ! En ce moment, Souffrez que je vous mène à mon appartement. J'ai de la peine encore à m'offrir à sa vue : Laissons évaporer un peu sa bile émue ; Et quand il sera temps, tous unanimement Nous viendrons travailler ensemble au dénouement. Pour toi, reste ici ; vois l'humeur dont il peut être, Et tu m'informeras s'il est temps de paraître. Hélas ! À ce bonheur me serais-je attendu ? Je revois mon cher oncle ; et le ciel, par sa grâce, Sensible à mes douleurs, permet que je l'embrasse ! Après l'avoir cru mort, il paraît à mes yeux ! Que dire ? Ah ! Ne me parlez point, monsieur, de testament ; C'est m'arracher le coeur trop tyranniquement. Pourquoi tant répéter cet interrogatoire ? Monsieur convient de tout, du tort de sa mémoire, Du notaire mandé, du testament écrit. Se peut-il ? Juste ciel ! Quel funeste embarras ! Vous les cherchez en vain, vous ne les avez pas. Tantôt, pour Isabelle, Je les ai, par votre ordre exprès, portés chez elle. Oui, monsieur. Mais sous des lois que nous osons prétendre. Je vous prie humblement De vouloir approuver le présent testament. Ce n'est pas encor tout : regardez cette belle ; Vous savez ce qu'un coeur peut ressentir pour elle ; Vous avez éprouvé le pouvoir de ses coups : Charmé de ses attraits, j'embrasse vos genoux ; Et je vous la demande en qualité de femme. Je n'ai fait voir ma flamme Que, lorsqu'en écoutant un sentiment plus sain, Votre coeur moins épris a changé de dessein. Monsieur, vous me voyez embrasser vos genoux : Voulez-vous aujourd'hui nous désespérer tous ? Quelle action de grâce !... **** *creator_regnard *book_regnard_legataire *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_legataire *dist2_regnard_verse_comedy *id_MADAMEARGANTE *date_1704 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madameargante Nous avons, ce matin, appris de vos nouvelles, Qui nous ont mis pour vous en des peines mortelles. Vous avez, ce dit-on, très mal passé la nuit. Ma fille, en ce moment vous voyez devant vous Celui que je vous ai destiné pour époux. Monsieur, vous épousant, vous fait un avantage Qui doit faire oublier et ses maux et son âge ; Et vous n'aurez pas lieu de vous en repentir. Ma fille sait toujours obéir quand j'ordonne. De peur d'incommoder, nous vous cédons la place. Adieu, je me retire. C'est trop nous retenir, laissez-nous donc partir. Je voudrais vous pouvoir donner la préférence. Quand je vous la promis, vous me fîtes serment Que votre oncle, en faveur de cet engagement, Vous ferait de ses biens donation entière. En épousant ma fille, il offre de le faire : Ai-je tort ? Mais le bien qu'il lui fait... S'il le fait, ma fille est à vous absolument. Je vais d'un mot d'écrit lui mander que son âge, Que sa frêle santé répugne au mariage ; Que je serais bientôt cause de son trépas ; Que l'affaire est rompue, et qu'il n'y pense pas. Je vous laisse avec lui ; pour moi, je me retire. Mais, avant de partir, je vais là-bas écrire. Vous, de votre côté, secondez mon ardeur. Quel est votre dessein, et que voulez-vous faire ? Puis-je de ces billets être dépositaire ? On me soupçonnerait d'avoir prêté les mains À faire réussir en secret vos desseins ; Maintenant que votre oncle a pu, malgré son âge, Reprendre de ses sens heureusement l'usage, Le parti le meilleur, sans user de délais, Est de lui reporter vous-même ses billets. Tous ces beaux sentiments sont fort bons dans un livre. L'amour seul, tel qu'il soit, ne donne point à vivre : Et je vous apprends, moi, que l'on ne s'aime bien, Quand on est marié, qu'autant qu'on a de bien. Mais ne craignez-vous rien de son ressentiment ? Ces billets détournés ne peuvent-ils point faire Qu'il prenne à vos désirs un sentiment contraire ? Je crois que vous et moi nous ne saurions mieux faire. **** *creator_regnard *book_regnard_legataire *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_legataire *dist2_regnard_verse_comedy *id_ISABELLE *date_1704 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_isabelle Je ne sais pas, monsieur, pour quoi vous me prenez ; Mais ce choix m'interdit, et vous me surprenez. Madame, le devoir m'y fera consentir ; Mais peut-être monsieur, par cette loi sévère, Ne trouvera-t-il pas en moi ce qu'il espère. Je sais ce que je suis, et le peu que je vaux, Pour être, comme il dit, un remède à ses maux ; Il se trompe bien fort, s'il prétend, sur ma mine, Devoir trouver en moi toute la médecine : Je connais bien mes yeux ; ils ne feront jamais Une si belle cure et de si grands effets. Vous me conseillez donc de conclure l'affaire ? Vos conseils amoureux et vos rares avis, Puisque vous le voulez, monsieur, seront suivis. Assurément, monsieur, il sera mon époux. . Et ne venez-vous pas de me dire vous-même Qu'une fille, malgré la répugnance extrême Qu'elle trouvait à prendre un parti présenté, Devait de ses parents suivre la volonté ? Je me fais d'obéir une joie infinie. Vous pouvez maintenant, sans que l'on vous punisse, Vous retirer chez vous, et quitter le service ; Voilà votre congé bien signé. Puisque pour notre hymen j'ai l'aveu de ma mère, Je puis faire paraître un sentiment sincère. Les biens dont vous pouvez hériter chaque jour N'ont point du tout pour vous déterminé l'amour : Votre personne seule est le bien qui me flatte ; Et tous les vains brillants dont la fortune éclate Ne sauraient éblouir un coeur comme le mien. Moi ! Mais je ne sais, monsieur, en cette occasion, Si je dois accepter cette commission : De ces billets surpris on me croira complice : En restitution je suis encor novice. Ne vous alarmez point, je viens pour vous les rendre. Les voilà : Tels que je les reçus, je les rends. Non, monsieur, je vous jure ; il est en son entier, Et vous retrouverez jusqu'au moindre papier. **** *creator_regnard *book_regnard_legataire *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_legataire *dist2_regnard_verse_comedy *id_LISETTE *date_1704 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lisette Bonjour, Crispin, bonjour. Mal. Un remède par moi lui vient d'être donné, Tel que l'apothicaire en avait ordonné. J'ai cru que ce serait le dernier de sa vie ; Il est tombé sur moi deux fois en léthargie- De ma main il les trouve meilleurs : Aussi, sans me targuer d'une vaine science, J'entends ce métier-là mieux que fille de France. Il ne me donne rien ; mais j'ai, pour récompense, Le droit de lui parler avec toute licence. Je lui dis, à son nez, des mots assez piquants : Voilà tous les profits que j'ai depuis cinq ans. C'est le plus ladre vert qu'on ait vu de la vie. Je ne puis t'exprimer où va sa vilenie. Il trouve tous les jours, dans son fécond cerveau, Quelque trait d'avarice admirable et nouveau. Il a pour médecin pris un apothicaire Pas plus haut que ma jambe, et de taille sommaire : Il croit qu'étant petit, il lui faut moins d'argent ; Et qu'attendu sa taille, il ne paiera pas tant. Mais dans son testament ses grâces départies Doivent me racquitter de son avare humeur : Ainsi je renouvelle avec soin mon ardeur. Dans peu de temps, j'espère Y voir coucher mon nom en riche caractère. Tout beau, l'ami, tout beau ! L'on dirait, à t'entendre, Qu'à la succession tu peux aussi prétendre. Déjà ne sont-ils pas assez de concurrents, Sans t'aller mettre encore au rang des aspirants ? Il a tant d'héritiers, le bon seigneur Géronte, Il en a tant et tant, que parfois j'en ai honte : Des oncles, des neveux, des nièces, des cousins, Des arrière-cousins remués de germains ; J'en comptai l'autre jour, en lignes paternelles, Cent sept mâles vivants : juge encor des femelles. Toi ? Oui-da ; tu peux passer pour parent de campagne, Ou pour neveu, suivant la mode de Bretagne. Comment diable ! Crispin, tu plaides comme un ange ! La boutique était bonne. Eh ! Pourquoi la quitter ? Ah, monsieur ! Depuis hier il est encor déchu ; J'ai cru que cette nuit serait sa nuit dernière, Et que je fermerais pour jamais sa paupière. Les lettres de répit qu'il prend contre la mort Ne lui serviront guère, ou je me trompe fort. C'est la vérité pure. Il faut que le vieillard soit mal dans ses affaires, Puisqu'il m'a commandé d'aller chez deux notaires. C'est pour instrumenter avecque plus d'honneur. Elle est très bien fondée ; et, depuis quelques jours, Avec madame Argante il tient certains discours Où l'on parle tout bas de legs, de mariage : Je n'ai de leur dessein rien appris davantage. Votre maîtresse est mise aussi dans l'entretien. Pour moi, je crois qu'il veut vous laisser tout son bien, Et vous faire épouser Isabelle. L'Amour et l'intérêt seront contents tous deux. Serait-il juste aussi qu'un si bel héritage De cent cohéritiers devînt le sot partage ? Verrais-je d'un oeil sec déchirer par lambeaux, Par tant de campagnards, de pieds-plats, de nigauds, Une succession qui doit, par parenthèse, Vous rendre un jour heureux, et nous mettre à notre aise ? Car vous savez, monsieur... Si votre oncle vous fait le bien qu'il se propose, Sans trop vanter mes soins, j'en suis un peu la cause : Je lui dis tous les jours qu'il n'a point de neveux Plus doux, plus complaisants, ni plus respectueux ; Non par l'espoir du bien que vous pouvez attendre, Mais par un naturel et délicat et tendre. Monsieur Géronte vient, il faut changer de ton. Je n'ai point eu le temps d'aller chez les notaires. Toi, qui m'as trop longtemps parlé de tes affaires, Va vite, cours, dis-leur qu'ils soient prêts au besoin. L'un s'appelle Gaspard, et demeure à ce coin ; Et l'autre un peu plus bas, et se nomme Scrupule. Oui, monsieur, et dans peu vous les verrez ici. Oui vraiment, et beaucoup. Non, je ne comprends pas de plus charmant plaisir Que de voir d'héritiers une troupe affligée, Le maintien interdit, et la mine allongée, Lire un long testament où, pâles, étonnés, On leur laisse un bonsoir avec un pied de nez. Pour voir au naturel leur tristesse profonde, Je reviendrais, je crois, exprès de l'autre monde. Il est de certains jours de barbe, où, sur ma foi, Vous ne paraissez pas plus malade que moi. Dans vos yeux un certain éclat brille. Miséricorde ! Hélas ! Ah ciel ! Assiste-nous. De quelle malheureuse allez-vous être époux ? Quoi ! Vous, vieux et cassé, fiévreux, épileptique, Paralytique, étique, asthmatique, hydropique, Vous voulez de l'hymen allumer le flambeau, Et ne faire qu'un saut de la noce au tombeau ! On va vous les donner. Les voilà. Elles ont toutes deux bon nez ; dans un moment Elles le sentiront de reste assurément. Oui, qui mourra bientôt. Ah ! Par ma foi, je crois qu'il en fera de belles. Si le diable vous tente et vous veut marier, Qu'il cherche un autre objet pour vous apparier. Je m'en rapporte à vous : madame est vive et belle ; Il lui faut un époux qui soit aussi vif qu'elle, Bien fait, et de bon air, qui n'ait pas vingt-cinq ans ; Vous, vous êtes majeur, et depuis très longtemps. À votre âge, doit-on parler de mariages ? Employez le notaire à de meilleurs usages : C'est un bon testament, un testament, morbleu, Bien fait, bien cimenté, qui doit vous tenir lieu De tendresse, d'amour, de désir, de ménage, De femme, de contrats, d'enfants, de mariage. J'ai parlé, je me tais. La raison. Je ne sais ce que c'est que de flatter les gens. Il a souffert le choc de deux apoplexies, Qui ne sont, par bonheur, que deux paralysies ; Et tous les médecins qui connaissent ses maux Ont juré Galien, qu'à son retour des eaux, Il n'aurait sûrement ni goutte sciatique, Ni gravelle, ni point, ni toux, ni néphrétique. Je ne suis médecin non plus qu'apothicaire, Et je jurerais, moi, cependant du contraire. Et dussiez-vous crever, ne le témoignez point. Madame, vous voyez le pouvoir de vos coups : Un seul de vos regards, d'un mouvement facile, Agite plus d'humeurs, détache plus de bile, Opère plus en lui, dès la première fois, Que les médicaments qu'il prend depuis six mois. Ô pouvoir de l'amour ! Moi, je vais là-dedans vaquer à mon emploi ; Le bon homme m'attend, et ne fait rien sans moi. Pour le premier début d'une noce conclue, Voilà, je vous l'avoue, une belle entrevue ! Le voilà qui me suit. Eh bien ! Vous souffrirez que votre oncle, à son âge, Fasse, devant vos yeux, un si sot mariage ; Qu'il vous frustre d'un bien que vous devez avoir ! Je veux dans le complot entrer conjointement. Et que deviendrait donc enfin le testament Sur lequel nous fondons toutes nos espérances, Et qui doit cimenter un jour nos alliances, Et faire le bonheur d'Éraste et de Crispin ? Il faut, par notre esprit, faire notre destin, Et rompre absolument l'hymen qu'il prétend faire. J'en ai fait dire un mot à son apothicaire ; C'est un petit mutin, qui doit venir tantôt, Et qui lui lavera la tête comme il faut. Je ne veux pas rester dans une nonchalance Qu'il faut laisser aux sots. Mais Géronte s'avance. Monsieur a fait pour vous les honneurs jusqu'au bout : Je dirai cependant qu'en entrant en matière, Vous n'avez pas là fait un beau préliminaire. Ne vous contraignez point ; On n'est pas aujourd'hui scrupuleux sur ce point. Monsieur acquittera la parole donnée. Il faut que l'abondance, avec soin répandue, Puisse nous racquitter de votre triste vue : Il faut entendre aussi ronfler les violons ; Et je veux avec vous danser les cotillons. Cela fait que bien peu vous valez dans le nôtre. Cela vaut-il le soin de vous tant préparer ? Donnez-moi le billet, je vais le déchiffrer. Depuis notre entrevue, monsieur, j'ai fait réflexion sur le mariage proposé, et je trouve qu'il ne convient ni à l'un ni à l'autre ; ainsi vous trouverez bon, s'il vous plaît, qu'en vous rendant votre parole, je retire la mienne, et que je sois votre très humble et très obéissante servante, Sans jurer, je le crois. Que diantre voulez-vous que l'amour aille faire Dans un corps moribond, à ses feux si contraire ? Ira-t-il se loger avec des fluxions, Des catarrhes, des toux, et des obstructions ? Il faut chanter, monsieur, votre nom par la ville. Voilà ce qui s'appelle une action virile. Vingt mille écus ! Le legs serait exorbitant. Un neveu bas-normand, une nièce du Maine, Pour acheter chez eux des procès par douzaine, Jouiront, pour plaider, d'un bien comme cela ! Fi ! C'est trop des trois quarts pour ces deux cancres-là. Et moi, je trouve mal cette dernière clause ; Et de tout mon pouvoir à ce legs je m'oppose. Mais vous ne songez pas que le laquais attend. Avez-vous oublié qu'une paralysie S'est de votre bras droit depuis un mois saisie, Et que vous ne sauriez écrire ni signer ? Nos affaires vont prendre une face nouvelle, Et la fortune enfin nous rit et nous appelle. Ah ! Te voilà, Crispin ! Et d'où diantre viens-tu ? Bon. Sais-tu pourquoi Géronte ici les mandait ? Pour faire son contrat de mariage. Pour Isabelle, un trait décoché par l'Amour Avait, ma foi, percé son pauvre coeur à jour ; Et, frustrant des neveux l'espérance uniforme, Lui-même il voulait faire un héritier en forme : Mais le ciel, par bonheur, en ordonne autrement ; Il pense maintenant à faire un testament Où ton maître sera nommé son légataire. Dans tes emportements sois sage et plus modeste. Mais, comme en ce bas monde il n'est nuls biens parfaits, Et que tout ne va pas au gré de nos souhaits, Il met au testament une fâcheuse clause. Il dispose De son argent comptant quarante mille écus Pour deux parents lointains, et qu'il n'a jamais vus. L'un est un Bas-Normand Gentilhomme, natif d'entre Falaise et Caen : L'autre est une baronne et veuve sans douaire, Qui dans le Maine fait sa demeure ordinaire, Plaideuse s'il en fut, comme on m'a dit souvent, Qui, de vingt-cinq procès, en perd trente par an. L'un et l'autre bientôt arriveront ici. Il faut, mon cher Crispin, tirer de ta cervelle, Comme d'un arsenal, quelque ruse nouvelle Qui déporte Géronte à leur faire ce legs. Jamais. Il a su seulement, par une lettre écrite, Qu'ils viendraient à Paris pour lui rendre visite. Géronte, tu le sais, ne t'a presque point vu : Et, pour te dire vrai, je suis persuadée Qu'il n'a de ta figure encore nulle idée. Il ne le sait que trop : dans son coeur il enrage, Et voudrait que quelqu'un détournât cet orage. Quoi ! Tu pourrais, Crispin... D'accord... mais enfin... Tu m'as l'air d'être un peu libertin. On sait de tes fredaines. Tu dois de tous côtés, et tu devras longtemps. C'est Géronte. Adieu ; sauve-toi. Va m'attendre là-bas : dans peu j'irai t'instruire De ce que pour ton rôle il faudra faire et dire. Vous avez fait, monsieur, ce que vous deviez faire. Mais j'aperçois quelqu'un. C'est votre apothicaire, Monsieur Clistorel. Quoi ! Ce n'est que cela ? Ce sera très bien fait. Quoi ! Monsieur Clistorel, vous savez du latin ! Vous pourriez, dans un jour, vous faire médecin. Fi donc ! Ces médecins sont de plaisantes gens ! Leur dessein, en effet, était bien ridicule. Monsieur... Mais, monsieur Clistorel... Monsieur, écoutez-nous ! Que le diable t'emporte ! Non, je ne vis jamais animal de la sorte : À le bien mesurer, il n'est pas, que je crois, Plus haut que sa seringue, et glapit comme trois. Ces petits avortons ont tous l'humeur mutine. Pour un, vous en aurez mille tout à la fois. Un de mes bons amis, dont il faut faire choix, Qui s'est fait, depuis peu, passer apothicaire, M'a promis qu'à bon prix il ferait votre affaire ; Et qu'il aurait pour vous quelque sirop à part, Casse, séné, rhubarbe, et le tout de hasard, Qui fera plus d'effet et de meilleur ouvrage, Que ce qu'on vous vendait quatre fois davantage. Je n'y manquerai pas. Souvenez-vous toujours, quand vous serez tranquille, Dans votre testament de me faire du bien. Et pourquoi, s'il vous plaît, vous inquiéter tant ? Suffit que vous devez être de vous content : Vous n'avez jamais fait rien de plus héroïque Que de rompre un hymen aussi tragi-comique. Bon ! C'était cent fois pis encor que tout cela. Mais enfin tout va bien. Eh ! Qui diantre chez nous heurte de la façon ? Que voulez-vous, monsieur ? Quel démon vous agite ? Vient-on chez un malade ainsi rendre visite ? Dieu me pardonne ! C'est Crispin ; c'est lui, ma foi ! Pourquoi non ? Le voilà. Une femme, en effet, Ne peut pas calculer comme un homme aurait fait. Vous avez un neveu, monsieur, ne vous déplaise, Qui dit ses sentiments en pleine liberté. Ah, ciel ! Quel garnement ! Ce n'est pas un neveu, monsieur ; mais c'est un diable. Pour le faire sortir employez la douceur. Ah ! Quel homme voilà ! Quel neveu vos parents vous ont-ils donné là ? Cependant, à le voir, il a quelque air de vous : Dans ses yeux, dans ses traits, un je ne sais quoi brille ; Enfin, on s'aperçoit qu'il tient de la famille. Et vous auriez le coeur De laisser votre bien, une si belle somme, Vingt mille écus comptant, à ce beau gentilhomme ? Ma foi, je m'aperçois Que monsieur le neveu, si j'en crois mon présage, N'aura pas trop gagné d'avoir fait son voyage, Et que le pauvre diable, arrivé d'aujourd'hui, Aurait aussi bien fait de demeurer chez lui. C'est fort bien fait : il faut apprendre à vivre aux gens. Voilà comme sont faits tous ces neveux avides, Qui ne peuvent cacher leurs naturels perfides : Quand ils n'assomment pas un oncle assez âgé, Ils prétendent encor qu'il leur est obligé. Mais Éraste revient, et nous allons apprendre Comment tout s'est passé. Ah ! Le mauvais pendard, À qui monsieur voulait de son bien faire part ! Moi, j'approuverais fort cet hymen et ce choix : Il est tel qu'il le faut, et j'y donne ma voix. Il convient à monsieur de suivre cette envie, Non à vous, qui devez renoncer à la vie. Je ne sais pas, monsieur, au vrai ce qu'il en est ; Mais tout le monde croit, à votre air triste et sombre, Qu'errant près du tombeau, vous n'êtes plus qu'une ombre, Et que, pour des raisons qui vous font différer, Vous ne vous êtes pas encor fait enterrer. Je ne sais point, monsieur, farder la vérité, Et dis ce que je pense avecque liberté. Gardez-vous bien, monsieur, d'en user de la sorte ; Et vous ne devez pas lui refuser la porte. Va-t'en la faire entrer. Contraignez-vous un peu : La nièce aura l'esprit mieux fait que le neveu. Entre tant de parents, ce serait bien le diable S'il ne s'en trouvait pas quelqu'un de raisonnable. Monsieur, c'est là Crispin. Vous passeriez encor pour fille assurément. Deux ans après ! Voyez quelle fidélité ! On ne le croira pas dans la postérité. Interloquée ! Ah, ciel ! Quel affront est-ce là ! Et vous avez souffert qu'on vous interloquât ! Une femme d'honneur se voir interloquée ! C'est ce qu'il vous plaira ; Mais juge, de ses jours, ne m'interloquera : Le mot est immodeste, et le terme m'en choque ; Et je ne veux jamais souffrir qu'on m'interloque. Avec moi ! Juste ciel ! Voyez les médisants ! De quoi se mêlent-ils ? Est-ce là leur affaire ? Ah ciel ! Quelle famille ! Faire enfermer monsieur ! À la Salpêtrière ! Misérable ! Tu mets un oncle à l'agonie ! La mauvaise famille et du Maine et de Caen ! Oui, tous ces parents-là méritent le carcan. Ah, monsieur ! Apprenez un accident terrible ; Monsieur Géronte est mort. Hélas ! Il ne vaut guère mieux, tant le pauvre homme est bas. Arrivant dans sa chambre et se traînant à peine, Il s'est mis sur son lit sans force et sans haleine ; Et, raidissant les bras, la suffocation A tout d'un coup coupé la respiration ; Enfin il est tombé, malgré mon assistance, Sans voix, sans sentiment, sans pouls, sans connaissance. Ah, monsieur ! Pour le coup, il est à moitié mort ; Et moi, qui m'y connais, je dis qu'il faut qu'il meure, Et qu'il ne peut jamais aller encore une heure. C'est à moi de pleurer, et je perds plus que vous. Personne n'entrera sans ma permission. Les Notaires, monsieur, viennent là-bas d'entrer ; Je les ai mis tous deux dans cette salle basse. Voyez ; que voulez-vous, s'il vous plaît, qu'on en fasse ? Non, pas encor, je pense. Je vais donc leur marquer qu'ils n'ont qu'à s'en aller. Moi ! Je n'irai pas loin. Faut-il nous voir, tous trois, Comme d'un coup de foudre, écraser à la fois ? Peste soit l'animal, avec sa vision ! Allons, mon cher Crispin, tâche à voir quelque chose. Ne rêve donc point tant ; Les Notaires là-bas sont dans l'impatience : Tout ici ne dépend que de la diligence. Je t'en laisse l'emploi. Qui peut en fourberie être si fort que toi ? L'amour doit ranimer ton adresse passée. Bon. Fort bien... C'est penser à merveilles. Je veux en élever un trophée à ta gloire, Et je cours te servir. Je reviens sur mes pas. Du bon homme Géronte, en gros comme en détail, Comme tu l'as requis, voilà tout l'attirail. Oui, voilà le défunt ; dissipons notre ennui. Géronte n'est point mort, puisqu'il revit en lui : Voilà son air, ses traits ; et l'on doit s'y méprendre. Je veux te mettre encor ce vieux manteau fourré, Dont aux jours de remède il était entouré. Je vais dans un moment les amener ici. Entrez, messieurs, entrez. Voilà les deux notaires, Avec qui vous pouvez mettre ordre à vos affaires. Moi, je ne puis quitter monsieur un seul moment. Le pauvre malheureux meurt comme il a vécu. Ce discours me fend l'âme. Hélas ! Mon pauvre maître ! Il faudra donc vous voir pour jamais disparaître ! Ah ! Ah ! Ah ! Le bon maître, grands dieux ! Que je vais perdre là ! Ah ! Ah ! Ah ! Je n'y puis résister, la douleur me suffoque. Je crois que j'en mourrai. Le ciel vous fasse paix d'avoir de moi mémoire, Et vous paie au centuple une oeuvre méritoire ! Il m'avait bien promis de ne pas m'oublier. Ne l'obstinez point, je connais son esprit. Il le ferait, monsieur, tout comme il vous le dit. Miséricorde ! Ah, ciel ! Je me meurs : je suis morte. J'étouffe. Ouf, ouf, la peur m'empêche de parler. Géronte... Ah ! Prenez garde à moi. Un grand fantôme noir... Hélas ! Mon cher monsieur, je dis ce que j'ai vu. Après avoir conduit ces messieurs dans la rue, Où la mort du bon homme est déjà répandue, Où même le crieur a voulu, malgré moi, Faire entrer, avec lui, l'attirail d'un convoi ; De la chambre, où gisait votre oncle sans escorte, Il m'a semblé d'abord entendre ouvrir la porte ; Et, montant l'escalier, j'ai trouvé nez pour nez, Comme un grand revenant, Géronte sur ses pieds. C'est lui, vous dis-je ; il parle... Ah ! Excuse, mon enfant, je te prenais pour lui. Enfin criant, courant, sans détourner la vue, Essoufflée et tremblante, ici je suis venue Vous dire que le mal de votre oncle en ces lieux N'est qu'une léthargie, et qu'il n'en est que mieux. Ô trop flatteur espoir ! Projets si bien conçus, Et mieux exécutés, qu'êtes-vous devenus ? Et mes deux mille écus pour prix de mon service ? Pas tant que nous croyions. Mais votre maladie Nous a tous mis ici dans un dérangement, Une agitation, un soin, un mouvement Qu'il n'est pas bien aisé, dans le fond, de décrire : Demandez à Crispin, il pourra vous le dire. Nous vous avons cru mort pendant une heure entière. Assurément. Ils reviendront dans peu. Ce garçon-là, monsieur, vous aime tendrement. Si vous aviez pu voir les syncopes, les crises Dont, par la sympathie, il sentait les reprises, Il vous aurait percé le coeur de part en part. Enfin le ciel a pris pitié de nos misères. Mais j'aperçois quelqu'un. C'est un des deux Notaires. Crispin, le coeur me bat. Juste ciel ! Crispin, parle en ma place ; Je sens, dans mon gosier, que ma voix s'embarrasse. N'en doutez nullement ; et, pour prouver le fait, Ne vous souvient-il pas que, pour certaine affaire, Vous m'avez dit tantôt d'aller chez le notaire ? Qu'il est arrivé dans votre cabinet ; Qu'il a pris aussitôt sa plume et son cornet, Et que vous lui dictiez à votre fantaisie ? C'est votre léthargie. Ne vous souvient-il pas que monsieur Clistorel... Hélas ! Je ne saurais arrêter mes sanglots. Intestat !... Ce mot me perce l'âme. Intestat !... C'est votre léthargie. Ah ! Grands dieux ! Ah ! Monsieur... Quoi ! Déjà, je vous prie, Vous repentiriez-vous d'avoir fait oeuvre pie ? Une fille nubile, exposée au malheur, Qui veut faire une fin en tout bien, tout honneur, Lui refuseriez-vous cette petite grâce ? Les maris aujourd'hui, monsieur, sont si courus ! Et que peut-on, hélas ! avoir pour vingt écus ? Songez à l'intérêt que le ciel vous en rend : Et plus le legs est gros, plus le mérite est grand. Halte-là. Convenons de nos faits avant que de rien rendre. Eh ! Monsieur. Les voilà. J'ai du bien maintenant assez pour être sage. **** *creator_regnard *book_regnard_legataire *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_legataire *dist2_regnard_verse_comedy *id_CRISPIN *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_crispin Bonjour, belle Lisette. Mon maître, toujours plein du soin qui l'inquiète, M'envoie à ton lever, zélé collatéral, Savoir comment son oncle a passé la nuit. Le bon homme, chargé de fluxions, d'années, Lutte depuis longtemps contre les destinées, Et pare de la mort le trait fatal en vain ; Il n'évitera pas celui du médecin. Il garde le dernier ; et ce corps cacochyme Est à son art fatal dévoué pour victime. Nous prévoyons dans peu qu'un petit ou grand deuil Étendra de son long Géronte en un cercueil. Si mon maître pouvait être fait légataire, Je ferais de bon coeur les frais du luminaire. De ses bouillons de bouche, et des postérieurs, Tu prends soin ? Peste, le beau talent ! Tu te fais bien payer, Je crois, de tous les soins qu'il te fait employer. S'il est court, il fera de très longues parties. Il fait son testament ? C'est très bien espérer : j7espère bien encor Y voir aussi coucher le mien en lettres d'or. Oui ! Mais mon maître aspire à la plus grosse part : J'en pourrais bien aussi tirer ma quote-part ; Je suis un peu parent, et tiens à la famille. Ma première femme était assez gentille, Une Bretonne vive, et coquette surtout, Qu'Éraste, que je sers, trouvait fort à son goût : Je crois, comme toujours il fut aimé des dames, Que nous pourrions bien être alliés par les femmes ; Et de monsieur Géronte il s'en faudrait bien peu Que par là je ne fusse un arrière-neveu. Mais, raillerie à part, nous avons grand besoin Qu'à faire un testament Géronte prenne soin. Si mon maître, primo, n'est nommé légataire, Le reste de ses jours il fera maigre chère. Secundo, quoiqu'il soit diablement amoureux, Madame Argante, avant de couronner ses feux, Et de le marier à sa fille Isabelle, Veut qu'un bon testament, bien sûr et bien fidèle, Fasse ledit neveu légataire de tout. Mais ce qui doit le plus être de notre goût, C'est qu'Éraste nous fait trois cents livres de rente, Si nous réussissons au gré de son attente : Ce don, de notre hymen formera les liens. Ainsi tant de raisons sont autant de moyens Que j'emploie à prouver qu'il est très nécessaire Que le susdit neveu soit nommé légataire ; Et je conclus enfin qu'il faut conjointement Agir pour arriver au susdit testament. Je le crois. Mon talent te paraît-il étrange ? J'ai brillé dans l'étude avec assez d'honneur, Et l'on m'a vu trois ans clerc chez un procureur. Sa femme était jolie ; et, dans quelques affaires, Nous jugions à huis clos de petits commissaires. L'époux un peu jaloux m'en a fait déserter. Un procureur n'est pas un homme fort traitable : Sur sa femme il m'a fait des chicanes de diable. J'ai bataillé, ma foi, deux ans sans en sortir ; Mais je fus à la fin contraint de déguerpir. Mais mon maître paraît. Je sentis autrefois les mêmes mouvements, Quand ma femme passa les rives du Cocyte Pour aller en bateau rendre aux défunts visite. J'en avais dans le coeur un plaisir plein d'appas, Comme tant de maris l'auraient en pareil cas ; Cependant la nature, excitant la tristesse, Faisait quelque conflit avecque l'allégresse, Qui par certains ressorts et mélanges confus, Combattaient tour à tour, et prenaient le dessus ; En sorte que l'espoir... la douleur légitime... L'amour... On sent cela bien mieux qu'on ne l'exprime. Mais ce que je puis dire, en vous accusant vrai, C'est que, tout à la fois, j'étais et triste et gai. Deux notaires, hélas ! Cela me fend le coeur. Que cette fille-là connaît bien votre coeur ! Vous ne sauriez, ma foi, trop payer son ardeur. Je dois, dans peu de temps, contracter avec elle. Regardez-la, monsieur ; elle est et jeune et belle : N'allez pas en user comme de l'autre, non ! Voilà pour un notaire un nom bien ridicule. Ma foi, pour te servir j'ai diablement couru ; Ces notaires sont gens d'approche difficile. L'un n'était pas chez lui, l'autre était par la ville. Je les ai déterrés où l'on m'avait instruit, Dans un jardin, à table, en un petit réduit, Avec dames qui m'ont paru de bonne mine. Je crois qu'ils passaient là quelque acte à la sourdine. Mais dans une heure au plus ils seront ici. Non. Oh, diable ! À son âge, il voudrait nous faire un tour semblable ! Pour lui, comme pour nous, il ne pouvait mieux faire. La nouvelle est trop bonne ; il faut qu'en sa faveur Je t'embrasse et rembrasse, et, ma foi, de bon coeur ; Et qu'un épanchement de joie et de tendresse, En te congratulant... L'amour qui m'intéresse... La nouvelle est charmante, et vaut seule un trésor. Il faut, ma chère enfant, que je t'embrasse encor. Excuse si la joie emporte un peu le geste. Hé, dis-moi, mon enfant, quelle est-elle ? Quarante mille écus d'argent sec et liquide ! De la succession voilà le plus solide. C'est de l'argent comptant dont je fais plus de cas. Vous en aurez menti, cela ne sera pas, C'est moi qui vous le dis, mon cher monsieur Géronte ; Vous avez fait sans moi trop vite votre compte. Et qui sont ces parents ? C'est tirer du métier toute la quintessence. Puisque pour les procès elle a si bonne chance, Il faut lui faire perdre encore celui-ci. A-t-il vu quelquefois ces deux parents ? Mon visage chez vous n'est-il point trop connu ? Bon. Mon maître sait-il ce dangereux projet, L'intention de l'oncle, et le tort qu'on lui fait ? Je serai ce quelqu'un, je te le promets bien. De la succession les parents n'auront rien ; Et je veux que Géronte à tel point les haïsse, Qu'ils soient déshérités ; de plus, qu'il les maudisse, Eux et leurs descendants à perpétuité, Et tous les rejetons de leur postérité. Va, demeure tranquille ; Le prix qui m'est promis me rendra tout facile : Car je dois t'épouser, si... Comment donc ! Ne nous reprochons rien. Nous sommes but à but, ne sais-je point des tiennes ? J'ai cela de commun avec d'honnêtes gens. Mais enfin sur ce point à tort tu t'inquiètes ; Le testament de l'oncle acquittera mes dettes ; Et tel n'y pense pas qui doit payer pour moi. Mais on vient. Va, va, je sais déjà tout mon rôle par coeur ; Les gens d'esprit n'ont point besoin de précepteur. Holà, quelqu'un, holà ! Tout est-il mort ici, laquais, valet, servante ? J'ai beau heurter, crier, aucun ne se présente. Le diable puisse-t-il emporter la maison ! Tu ne te trompes pas, ma chère enfant ; c'est moi. Bonjour, bonjour, la fille. On m'a dit par la ville Qu'un Géronte en ce lieu tenait son domicile ; Pourrait-on lui parler ? Parbleu, j'en suis bien aise. Ah, monsieur ! Touchez là. Je suis votre valet, ou le diable m'emporte. Touchez là derechef. Le plaisir me transporte Au point que je ne puis assez vous le montrer. Vous paraissez surpris autant qu'on le peut être. Je vois que vous avez peine à me reconnaître ; Mes traits vous sont nouveaux : savez-vous bien pourquoi ? C'est que vous ne m'avez jamais vu. Mais feu monsieur mon père, Alexandre Choupille, Gentilhomme normand, prit pour femme une fille Qui fut, à ce qu'on dit, votre soeur autrefois, Et qui me mit au jour au bout de quatre mois. Mon père se fâcha de cette diligence ; Mais un ami sensé lui dit, en confidence, Qu'il est vrai que ma mère, en faisant ses enfants, N'observait pas encore assez l'ordre des temps ; Mais qu'aux femmes l'erreur n'était pas inouïe, Et qu'elle ne manquait qu'à la chronologie. Or donc cette femelle, à concevoir si prompte, Qu'à tout considérer quelquefois j'en ai honte, En me mettant au jour, soit disgrâce ou faveur, M'a fait votre neveu, puisqu'elle est votre soeur. Je le crois : cependant, tant qu'elle fut vivante, On tient que sa vertu fut un peu chancelante. Quoi qu'il en soit enfin, légitime ou bâtard, Soit qu'on m'ait mis au monde ou trop tôt ou trop tard ? Je suis votre neveu, quoi qu'en dise l'envie ; De plus, votre héritier, venant de Normandie Exprès pour recueillir votre succession. Voudriez-vous me suivre ? Cela dépend du temps que vous avez à vivre. Mon oncle, soyez sûr que je ne partirai Qu'après vous avoir vu, bien cloué, bien muré, Dans quatre ais de sapin reposer à votre aise. Je suis persuadé, de l'humeur dont vous êtes, Que la succession sera des plus complètes, Que je vais manier de l'or à pleine main ; Car vous êtes, dit-on, un avare, un vilain. Je sais que, pour un sou, d'une ardeur héroïque Vous vous feriez fesser dans la place publique. Vous avez, dit-on même, acquis, en plus d'un lieu, Le titre d'usurier et de fesse-mathieu. Moi ? Ah ! Par ma foi, Je vous trouve plaisant de parler de la sorte ! C'est à vous de sortir et de passer la porte. La maison m'appartient : ce que je puis souffrir, C'est de vous y laisser encor vivre et mourir. Allons, ma mie, Au bel appartement mène-moi, je te prie. Est-il voisin du tien ? Je te trouve à mon gré ; Et nous pourrons, la nuit, converser de plain-pied. Bonne chère, grand feu : que la cave enfoncée Nous fournisse, à pleins brocs, une liqueur aisée : Fais main basse sur tout ; le bon homme a bon clos, Et l'on peut hardiment le ronger jusqu'aux os. Mon oncle, pour ce soir il me faut, je vous prie, Cent louis neufs comptant, en avance d'hoirie ; Sinon, demain matin, si vous le trouvez bon, Je mettrai, de ma main, le feu dans la maison. D'accord. Mais quand viendra ce jour ? Je vous en donne six ; mais après, ventrebleu, N'allez pas me manquer de parole, ou dans peu Je vous fais enterrer mort ou vif. Je vous laisse. Mon oncle, encore un coup, tenez votre promesse, Ou je tiendrai la mienne. Permettez, s'il vous plaît, que cet embrassement Vous témoigne ma joie et mon ravissement : Je vois un oncle enfin, mais un oncle que j'aime, Et que j'honore aussi cent fois plus que moi-même. Ne bougez, s'il vous plaît ; le respect m'interdit. Un fauteuil près mon oncle ! Un tabouret suffit. Fi donc ! Vous vous moquez, je suis à faire peur. Je n'avais autrefois que cela de grosseur ; Mais vous savez l'effet d'un fécond mariage, Et ce que c'est d'avoir des enfants en bas âge : Cela gâte la taille, et furieusement. J'ai fait du mariage une assez triste épreuve. À vingt ans mon mari m'a laissé mère et veuve. Vous vous doutez assez qu'après ce prompt trépas, Et faite comme on est, ayant quelques appas, On aurait pu trouver à convoler de reste ; Mais du pauvre défunt la mémoire funeste M'oblige à dévorer en secret mes ennuis. J'ai bien de fâcheux jours, et de plus dures nuits : Mais d'un veuvage affreux les tristes insomnies Ne m'arracheront point de noires perfidies ; Et je veux chez les morts emporter, si je peux, Un coeur qui ne brûla que de ses premiers feux. Rien que neuf ; mais, le coeur tout gonflé d'amertume, Deux ans encore après j'accouchai d'un posthume. Le désir de vous voir est mon premier objet ; De plus, certain procès qu'on m'a sottement fait, Pour certain four banal sis en mon territoire. Je propose d'abord un bon déclinatoire ; On passe outre : je forme empêchement formel ; Et, sans nuire à mon droit, j'anticipe l'appel. La cause est au bailliage ainsi revendiquée : On plaide, et je me trouve enfin interloquée ! Ce procès n'est pas seul le sujet qui m'amène, Et qui m'a fait quitter si brusquement le Maine. Ayant appris, monsieur, par gens dignes de foi, Qui m'ont fait un récit de vous, et que je crois, Que vous étiez un homme atteint de plus d'un vice, Un ivrogne, un joueur... Qui hantiez certains lieux et le jour et la nuit, Où l'honnêteté souffre et la pudeur gémit... Oui, mon oncle, à vous-même. A-t-il rien qui vous blesse, Puisqu'il est copié d'après la vérité ? On m'a même ajouté Que, depuis très longtemps, avec mademoiselle, Vous meniez une vie indigne et criminelle, Et que vous en aviez déjà plusieurs enfants. Ainsi, sur le rapport de mille honnêtes gens, Nous avons fait, monsieur, assembler vos parents ; Et pour vous empêcher, dans ce désordre extrême, De manger notre bien et vous perdre vous-même, Nous avons résolu, d'une commune voix, De vous faire interdire, en observant les lois. Nous savons votre vie avecque cette fille, Et voulons empêcher qu'il ne vous soit permis De faire un mariage un jour in extremis. Comment ! Battre une veuve et la violenter ! Au secours ! Aux voisins ! Au meurtre ! On m'assassine. Quoi ! Contre votre sang vous osez blasphémer ! Cela peut bien aller à vous faire enfermer. Ne faites point le fière ; On peut aussi vous mettre à la Salpétrière. Oui ma mie, et sans bruit. De vos déportements on n'est que trop instruit. Un commissaire à moi ! Suis-je donc, s'il vous plaît, Gibier à commissaire ? Envoyez donc, monsieur, chercher un commissaire : Je l'attends de pied ferme. Oui, ventrebleu, c'est moi. Vous venez de me faire une rude algarade. L'ardeur de vous servir m'a donné cet habit ; Et, comme vous voyez, mon projet réussit. Avec de certains mots j'ai conjuré l'orage : Ici de deux parents j'ai fait le personnage ; Et j'ai dit, en leur nom, de telles duretés, Qu'ils seront, par ma foi, tous deux déshérités. Si vous m'aviez vu tantôt faire merveille, En noble campagnard, le plumet sur l'oreille, Avec un feutre gris, longue brette au côté, Mon air de Bas-Normand vous aurait enchanté. Mais il faut dire vrai, cette coiffe m'inspire Plus d'intrépidité que je ne puis vous dire : Avec cet attirail, j'ai vingt fois moins de peur ; L'adresse et l'artifice ont passé dans mon coeur. Qu'on a, sous cet habit, et d'esprit et de ruse ! Quoi ! L'oncle de monsieur serait défunt ? Moi, monsieur ! De sa mort je ne suis point la cause ; Et le défunt, tout franc, a fort mal pris la chose. Pourquoi se saisit-il si fort pour des discours ? J'en voulais à son bien, et non pas à ses jours. Allons, mes chers enfants, il faut agir de tête, Et présenter un front digne de la tempête : Il n'est pas temps ici de répandre des pleurs ; Faisons voir un courage au-dessus des malheurs. Il faut premièrement, d'une ardeur salutaire, Courir au coffre-fort, sonder les cabinets, Démeubler la maison, s'emparer des effets. Lisette, quelque temps tiens la bouche cousue, Si tu peux : va fermer la porte de la rue ; Empare-toi des clefs, de peur d'invasion. Que l'ardeur du butin et d'un riche pillage N'emporte pas trop loin votre bouillant courage ; Surtout, dans l'action, gardons le jugement. Le sort conspire en vain contre le testament : Plutôt que tant de bien passe en des mains profanes, De Géronte défunt j'évoquerai les mânes ; Et vous aurez pour vous, malgré les envieux, Et Lisette, et Crispin, et l'enfer, et les dieux. Lisette et moi, monsieur, pour finir nos projets, Nous comptions bien aussi sur quelque petit legs. Souffrez que je partage avec vous votre ennui. . Ce petit lénitif, en attendant le reste, Pourra nous consoler d'un coup aussi funeste. J'entre dans vos raisons ; elles sont très plausibles : Mais ce sont de ces coups imprévus et terribles, Dont tout l'esprit humain demeure confondu, Et qui mettent à bout la plus mâle vertu. Pour marquer au vieillard sa dernière demeure, Ô mort ! Tu devais bien attendre encore une heure ; Tu nous aurais tous mis dans un parfait repos, Et le tout se serait passé bien à propos. Oui, je croyais tantôt réparer cet échec ; Mais à présent j'échoue, et je demeure à sec. Un autre, en pareil cas, serait aussi stérile. S'il fallait, par hasard, d'un coup de main habile, Soustraire, escamoter sans bruit un testament Où vous seriez traité peu favorablement, Peut-être je pourrais, par quelque coup d'adresse, Exercer mon talent et montrer ma prouesse : Mais en faire trouver alors qu'il n'en est point, Le diable avec sa clique, et réduit à ce point, Fort inutilement s'y casserait la tête ; Et cependant, monsieur, le diable n'est pas bête. Monsieur ! Hélas ! Ha ! Tout ce qu'il vous plaira. Eh ! Qu'en voulez-vous faire ? Qu'en pouvons-nous tirer qui nous soit salutaire ? Je vous suivrai de près, et la douleur me tue. Attendez... Il me vient... Le dessein est bizarre ; Il pourrait par hasard... J'entrevois... Je m'égare, Et je ne vois plus rien que par confusion. Laisse-moi donc rêver... Oui-da... Non... Si, pourtant... Pourquoi non ?... On pourrait... Il est vrai ; mais enfin j'accouche d'un dessein Qui passera l'effort de tout esprit humain. Toi, qui parais dans tout si légère et si vive, Exerce à ce sujet ton imaginative ; Voyons ton bel esprit. Paix... Silence... Il me vient un surcroît de pensée. J'y suis, ventrebleu ! Dans un fauteuil assis... Ne troublez pas l'enthousiasme où je suis. Un grand bonnet fourré jusque sur les oreilles ; Les volets bien fermés... Oui, monsieur, dans ce jour, au gré de vos souhaits, Vous serez légataire, et je vous le promets. Allons, Lisette, allons, ranimons notre zèle ; L'amour à ce projet nous guide et nous appelle. Va de l'oncle défunt me chercher quelque habit, Sa robe de malade, et son bonnet de nuit : Les dépouilles du mort feront notre victoire., Cependant une terreur secrète S'empare de mes sens, m'alarme et m'inquiète : Si la Justice vient à connaître du fait, Elle est un peu brutale, et saisit au collet. Il faut faire un faux seing ; et ma main alarmée Se refuse au projet dont mon âme est charmée. À de bonnes raisons je me laisse gagner ; Et je sens tout à coup renaître en mon courage L'ardeur dont j'ai besoin pour un si grand ouvrage. Ne perdons point de temps, que l'on m'habille en hâte. Monsieur, mettez la main, s'il vous plaît, à la pâte. La robe ; dépêchons, passez-la dans mes bras. Ah ! Le mauvais valet ! Chaussez chacun un bas. Çà, le mouchoir de cou. Mets-moi vite ce casque. Les pantoufles. Fort bien. L'équipage est fantasque. Mais, avec son habit, si son mal m'allait prendre ? Ma foi, déjà je sens un peu d'émotion : Je ne sais si la peur est un peu laxative, Ou si cet habit a la vertu purgative. Tu peux, quand tu voudras, appeler les Notaires ; Me voilà maintenant en habits mortuaires. Secondez-moi bien tous dans cette affaire-ci. Vous, monsieur, s'il vous plaît, fermez porte et fenêtre ; Un éclat indiscret peut me faire connaître. Avancez cette table. Approchez ce fauteuil. Ce jour mal condamné me blesse encore l'oeil. Tirez bien les rideaux, que rien ne nous trahisse. Songeons à la cérémonie ; Et ne me quittez pas, monsieur, à l'agonie. Messieurs, je suis ravi, quoiqu'à l'extrémité, De vous voir tous les deux en parfaite santé. Je voudrais bien encore être à l'âge où vous êtes ; Et si je me portais aussi bien que vous faites, Je ne songerais guère à faire un testament. Que le ciel veuille donc me traiter de la sorte ! Messieurs, asseyez-vous. Toi, va fermer la porte. Ces personnes, messieurs, sont sages et discrètes ; Je puis leur confier mes volontés secrètes, Et leur montrer l'excès de mon affection. Je veux premièrement qu'on acquitte mes dettes. Je dois quatre cents francs à mon marchand de vin, Un fripon qui demeure au cabaret voisin. À dire vrai, messieurs, il ne m'importe guère. Qu'on se garde surtout de me mettre trop près De quelque procureur chicaneur et mauvais ; Il ne manquerait pas de me faire querelle ; Ce serait tous les jours procédure nouvelle, Et je serais encor contraint de déguerpir. Non, mon neveu, je veux que mon enterrement Se fasse à peu de frais et fort modestement. Il fait trop cher mourir, ce serait conscience. Jamais, de mon vivant, je n'aimai la dépense ; Je puis être enterré fort bien pour un écu. C'est à quoi nous allons nous employer dans peu. Je nomme, j'institue Éraste, mon neveu, Que j'aime tendrement, pour mon seul légataire, Unique, universel. Lui laissant tout mon bien, meubles, propres, acquêts, Vaisselle, argent comptant, contrats, maisons, billets ; Déshéritant, en tant que besoin pourrait être, Parents, nièces, neveux, nés aussi bien qu'à naître, Et même tous bâtards, à qui Dieu fasse paix, S'il s'en trouvait aucuns au jour de mon décès. Item. Je donne et lègue à Lisette présente... Qui depuis cinq ans me tient lieu de servante, Pour épouser Crispin en légitime noeud, Non autrement,... Soutiens-la, mon neveu. Et pour récompenser l'affection, le zèle Que de tout temps, pour moi, je reconnus en elle... Deux mille écus comptant en espèce. Lesquels deux mille écus, Du plus clair de mon bien seront pris et perçus. J'ai trois ou quatre mots encore à faire écrire. Item. Je laisse et lègue à Crispin... Pour les bons et loyaux services... Qu'il a toujours rendus, et doit rendre à son maître... Je suis persuadé, mon neveu, du contraire ; Je connais ce Crispin, mille fois mieux que vous : Je lui veux donc léguer, en dépit des jaloux... Quinze cents francs de rentes viagères, Pour avoir souvenir de moi dans ses prières. Trouvez-vous, mon neveu, Le présent malhonnête, et que ce soit trop peu ? Oui, sans laquelle clause Le testament sera nul, et pour cause. Je sais ce que je fais ; Et je n'ai point l'esprit si faible et si débile. Si vous me fâchez, j'en laisserai deux mille. N'aurais-je point encor quelqu'un de mes amis À qui je pourrais faire un fidéicommis ? Oui, monsieur. J'en aurais grande envie ; Mais j'en suis empêché par la paralysie Qui depuis quelques mois me tient sur le bras droit. Qu'un testament à faire est un pesant fardeau ! M'en voilà délivré ; mais je suis tout en eau. Laissez-moi, s'il vous plaît, l'acte qu'on vient de faire. Lisette, conduis-les. Ai-je tenu parole ? Et, dans l'occasion, sais-je jouer mon rôle, Et faire un testament ? Ma foi, ce n'est pas trop. Il faut, en pareil cas, que chacun soit content. Pouvais-je moins laisser à cette pauvre fille ? Elle est un peu de la famille : Votre oncle, si l'on croit le lardon scandaleux, N'a pas été toujours impotent et goutteux ; Et j'ai dû lui laisser, un peu de subsistance, Pour l'acquit de son âme et de ma conscience. Il ne faut point, monsieur, s'estomaquer si fort : On peut en un moment nous mettre tous d'accord. Puisque le testament que nous venons de faire, Où je vous institue unique légataire, Ne peut avoir l'honneur d'obtenir votre aveu, Il faut le déchirer et le jeter au feu. Sans former d'entreprise, Laissons la chose au point où votre oncle l'a mise. Il s'élève, aussi bien, dans le fond de mon coeur Certain remords cuisant, certaine syndérèse, Qui furieusement sur l'estomac me pèse. Hélas ! Il était temps, ma foi, de faire écrire. Il faut donc, s'il vous plaît, m'avancer une année De cette pension que je me suis donnée : Vous ne sauriez me faire un plus charmant plaisir. Quel vertigo soudain a donc pu te troubler ? Parle donc, si tu veux. Hé bien, Géronte... . Veux-tu finir ton conte ? De la crainte d'un mort ton âme possédée T'abuse et te fais voir un fantôme en idée. Pourquoi ce grand cri ? Voilà donc le défunt que le sort nous renvoie ! Et l'avare Achéron lâche encore sa proie ! Vous le voulez, grands dieux ! Ma constance est à bout. Je ne sais où j'en suis, et j'abandonne tout. Allons-nous abuser encor quelque notaire ? Ne me voilà pas mal avec mon testament ! Je vois ma pension payée en un moment. Juste ciel ! Sauve-moi des mains de la justice ! Tout ceci ne vaut rien, et m'inquiète fort : Je crains bien d'avoir fait mon testament de mort. Allons, monsieur, allons ; en homme de courage, Il faut ici, ma foi, soutenir l'abordage. Monsieur Géronte approche. Nous voilà, grâce au ciel, dans un grand embarras. Dieu veuille nous tirer d'un aussi mauvais pas ! Si vous saviez, monsieur, ce que nous avons fait, Lorsque de votre mal vous ressentiez l'effet, La peine que j'ai prise, et les soins nécessaires Pour pouvoir, comme vous, mettre ordre à vos affaires, Vous seriez étonné, mais d'un étonnement À n'en pas revenir si tôt assurément. Ah ! Le pauvre garçon, je crois, n'est plus en vie. Il s'est saisi si fort, Quand il a vu vos yeux tourner droit à la mort, Que, n'écoutant plus rien que sa douleur amère, Il s'est allé jeter... Non, monsieur, sur son lit, où, baigné de ses pleurs, L'infortuné garçon gémit de ses malheurs. S'il n'est pas encor mort, en toute diligence Je vous l'amène ici. Le ciel vous l'a rendu. Nous en avons, tous trois, eu notre bonne part. Ah! Me voilà perdu ! Je frissonne de peur. Me voilà confondu ! Je pourrais là-dessus vous rendre satisfait ; Nul ne sait mieux que moi la vérité du fait. On ne peut pas vous dire Qu'on vous l'ait vu tantôt absolument écrire ; Mais je suis très certain qu'au lieu où vous voilà, Un homme, à peu près mis comme vous êtes là ; Assis dans un fauteuil auprès de deux notaires, A dicté mot à mot ses volontés dernières. Je n'assurerai pas que ce fût vous ; pourquoi ? C'est qu'on peut se tromper. Mais c'était vous, ou moi. Oui, c'est elle en effet. Ne vous souvient-il pas, monsieur, bien nettement, Qu'il est venu tantôt certain neveu normand, Et certaine baronne, avec un grand tumulte Et des airs insolents, chez vous vous faire insulte ? Que pour vous venger de leur emportement, Vous m'avez promis place en votre testament, Ou quelque bonne rente au moins pendant ma vie ? C'est votre léthargie. Ah ! Voilà bien le diable. Ah ! Quel coeur de rocher, et quelle âme assez noire Ne se fendrait en quatre, en entendant ces mots ? Intestat !... Intestat !... Ah ! Je vous en réponds. Ce que c'est que de nous ! Moi, cela me confond. Excusez-moi, monsieur, c'est votre léthargie. Je ne sais pas au vrai si vous les lui devez ; Mais il me les a, lui, mille fois demandés. Quand ils y seraient tous, on ne les plaindrait guère. C'est style de notaire. Monsieur... en vérité... pour peu... Non... jamais... car enfin... ma bouche... quand j'y pense... Je me sens suffoquer par la reconnaissance, Parle donc. Ah ! C'est mon tour enfin. Et l'on va me jeter... Oui, je vous le promets, monsieur, à deux genoux, Jusqu'au dernier soupir, je prierai Dieu pour vous. Voilà ce qui s'appelle un vraiment honnête homme ! Si généreusement me laisser cette somme ! Ne vous repentez pas d'une oeuvre méritoire ; Voulez-vous, démentant un généreux effort, Être avaricieux même après votre mort ? C'est votre léthargie. Je vous promets, monsieur, d'en faire un bon usage : De plus, ce legs ne peut en rien vous faire tort. Eh ! Monsieur. Laissons-le dans l'erreur, nous sommes héritiers. Lisette, sur mon front viens ceindre des lauriers : Mais n'y mets rien de plus pendant le mariage. Messieurs, j'ai, grâce au ciel, mis ma barque à bon port. En faveur des vivants je fais revivre un mort ; Je nomme, à mes désirs, un ample légataire ; J'acquiers quinze cents francs de rente viagère, Et femme au par-dessus : mais ce n'est pas assez ; Je renonce à mon legs, si vous n'applaudissez. **** *creator_regnard *book_regnard_legataire *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_legataire *dist2_regnard_verse_comedy *id_MONSIEURSCRUPULE *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurscrupule Cela ne vous doit point chagriner un moment ; Rien n'est désespéré : cette cérémonie Jamais d'un testateur n'a raccourci la vie ; Au contraire, monsieur, la consolation D'avoir fait de ses biens la distribution, Répand au fond du coeur un repos sympathique, Certaine quiétude et douce et balsamique, Qui, se communiquant après dans tous les sens, Rétablit la santé dans quantité de gens. Nous ferons tout au gré de votre intention. L'intitulé sera tel que l'on doit le faire, Et l'on le réduira dans le style ordinaire. Par-devant... fut présent... Géronte... et caetera. Dites-nous maintenant tout ce qu'il vous plaira. Fort bien. Où voulez-vous, monsieur, qu'on vous enterre ? Est-ce fait ? Vous n'avez plus besoin de notre ministère ? Nous ne pouvons, monsieur ; cet acte est un dépôt Qui reste dans nos mains ; je reviendrai tantôt, Pour vous en apporter moi-même une copie. Certes, je suis ravi, monsieur, qu'en moins d'une heure Vous jouissiez déjà d'une santé meilleure. Je savais bien qu'ayant fait votre testament, Vous sentiriez bientôt quelque soulagement. Le corps se porte mieux lorsque l'esprit se trouve Dans un parfait repos. Voici donc le papier que, selon vos desseins, Je vous avais promis de remettre en vos mains. C'est votre testament que vous venez de faire. Oui, sans doute, monsieur. Je ne rêve, monsieur, en aucune façon ; Vous nous l'avez dicté plein de sens et raison. Le repentir si tôt saisirait-il votre âme ? Monsieur était présent, aussi bien que madame : Ils peuvent là-dessus dire ce qu'ils ont vu. Oui, monsieur, je vous jure. Rien n'est plus véritable, et vous pouvez m'en croire. Il faut donc vous le lire. Fut présent devant nous, dont les noms sont au bas, Maître Mathieu Géronte, en son fauteuil à bras, Étant en son bon sens, comme on a pu connaître Par le geste et maintien qu'il nous a fait paraître ; Quoique de corps malade, ayant sain jugement ; Lequel, après avoir réfléchi mûrement Que tout est ici-bas fragile et transitoire... Considérant que rien ne reste en même état, Ne voulant pas aussi décéder intestat... Faites trêve un moment à vos soupirs, madame. Considérant que rien ne reste en même état, Ne voulant pas aussi décéder intestat... Mais laissez-moi donc lire ; Si vous pleurez toujours, je ne pourrai rien dire. A fait, dicté, nommé, rédigé par écrit Son susdit testament, en la forme qui suit. Je veux, premièrement, qu'on acquitte mes dettes. Voici l'aveu que vous en faites : Je dois quatre cents francs à mon marchand de vin, Un fripon qui demeure au cabaret voisin. Je fais mon légataire unique, universel, Éraste mon neveu. Déshéritant, en tant que besoin pourrait être, Parents, nièces, neveux, nés aussi bien qu'à naître, Et même tous bâtards, à qui Dieu fasse paix, S'il s'en trouvait aucuns au jour de mon décès. Item. Je donne et lègue, en espèce sonnante, Qui me sert de servante, Pour épouser Crispin en légitime noeud, Deux mille écus. Item. Je donne et lègue... À Crispin... Pour tous les obligeants, bons et loyaux services Qu'il rend à mon neveu dans divers exercices, Et qu'il peut bien encor lui rendre à l'avenir... Quinze cents francs de rentes viagères, Pour avoir souvenir de moi dans ses prières. Quel éclaircissement voulez-vous qu'on vous donne ? Et je n'écris jamais que ce que l'on m'ordonne. **** *creator_regnard *book_regnard_legataire *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_legataire *dist2_regnard_verse_comedy *id_MONSIEURGASPARD *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurgaspard D'ordinaire, monsieur, nous apportons nos soins Que ces actes secrets se passent sans témoins. Il serait à propos que monsieur prît la peine D'aller, avec madame, en la chambre prochaine. C'est à vous maintenant, s'il vous de nous dire Les legs qu'au testament vous voulez faire écrire. Voilà le testament heureusement fini. Vous plaît-il de signer ? Et ledit testateur déclare, en cet endroit, Que de signer son nom il est dans l'impuissance, De ce l'interpellant au gré de l'ordonnance. C'est maintenant, monsieur, ce qui presse le moins. **** *creator_regnard *book_regnard_legataire *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_legataire *dist2_regnard_verse_comedy *id_UNLAQUAIS *date_1704 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_unlaquais Monsieur, madame Argante Et sa fille sont là.