**** *creator_regnard *book_regnard_menechmes *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_menechmes *dist2_regnard_verse_comedy *id_APOLLON *date_1705 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_apollon Ah ! Dieu vous gard', seigneur Mercure. Par quelle agréable aventure Vous voit-on au sacré vallon ? Vous êtes le bras droit du grand dieu du tonnerre ; Votre peine est utile aux hommes comme aux dieux ; Et c'est par vos soins que la terre Entretient quelquefois commerce avec les cieux. Vous vous plaignez à tort d'un trop pénible emploi. S'il vous fallait donc, comme moi, Éclairer la machine ronde, Rendre la nature féconde, Mener quatre chevaux quinteux, Risquer de tomber avec eux Et de faire un bûcher du monde, Dans ce métier pénible et dangereux Vous auriez sujet de vous plaindre. Depuis que l'univers est sorti du chaos, Ai-je encor trouvé, moi, quelque jour de repos ? Quoi qu'il en soit, parlons sans feindre ; À vous servir je serai diligent. Le seigneur Jupiter, dont vous êtes l'agent, Honnête ou non, c'est dont fort peu je m'embarrasse, Pour goûter des plaisirs nouveaux, À quelque nymphe du Parnasse Voudrait-il en dire deux mots ? Que dit à cela son épouse ? Quelle est donc la raison nouvelle Qui près d'Apollon vous appelle ? Entre tant de métiers mis dans votre apanage, Qui pourraient fatiguer quatre dieux comme vous, C'est celui de porter, je crois, les billets doux Qui vous occupe davantage. Vous avez trop de modestie. Mais venons donc au fait dont il est question. Hé quoi ! Sans vous donner la peine De venir ici de si loin, N'est-il point là d'auteurs amoureux de la scène, Qui du théâtre encor puissent prendre le soin ? Il faut réparer le dommage Que le destin a fait au théâtre français, Et tirer du tombeau quelque personnage, Pour paraître encore une fois. Plaute fut, en son temps, les délices de Rome, Tel que Molière fut le charme de Paris ; Il tient ici son rang parmi les beaux esprits : Il faut consulter ce grand homme. Qu'on le fasse venir. Finissons là-dessus. Entre des dieux tels que nous sommes Il ne faut pas de longs discours. Laissons les compliments aux hommes ; Ils en sont les dupes toujours. Pendant que tu vivais, je t'ai comblé de gloire, Autant que de son temps auteur le fut jamais ; J'ai fait graver ton nom au temple de Mémoire, Et t'ai prodigué mes bienfaits. Un poète aisément s'endort dans la mollesse. L'abondance souvent, unie à la paresse, Sèche sa veine et la tarit ; Mais la nécessité réveille son esprit. C'est un tempérament ; et, comme je le vois, L'usage adoucit bien la rigueur de la loi. Je me souviens qu'un de ces jours, Un auteur, qui parfois erre dans ces détours, Me fit voir un sujet qu'on nomme Les Ménechmes, qu'il dit avoir tiré de vous, Et qui fut applaudi dans Rome. Et moi, je vais commencer ma carrière, Et rendre au monde son éclat. **** *creator_regnard *book_regnard_menechmes *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_menechmes *dist2_regnard_verse_comedy *id_MERCURE *date_1705 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mercure Honneur au seigneur Apollon. Vous savez, grand dieu du Parnasse, Que je ne me tiens guère en place. J'ai tant de différents emplois, Du couchant jusqu'aux lieux où l'aurore étincelle, Que ce n'est pas chose nouvelle De me rencontrer quelquefois. Ce travail me lasse et m'ennuie, Lorsque je vois tant de dieux fainéants Qui ne songent là-haut qu'à respirer l'encens, Et qu'à se gonfler d'ambroisie. Vos muses, ailleurs destinées, Sont pour lui par trop surannées : Depuis trois ou quatre mille ans, Tous vos faiseurs de vers, mal avec la fortune, En ont tous épousé quelqu'une. Il faut à Jupiter des morceaux plus friands : La qualité n'est pas ce qui plus l'inquiète ; Une bergère, une grisette, Lui fait souvent courir les champs. Elle suit les transports de son humeur jalouse ; Mais le bon Jupiter ne s'en étonne pas, Et là-haut, c'est comme ici-bas ; Quand un époux a fait quelque intrigue nouvelle, La femme a beau crier, le mari va son train. Quand la dame, en revanche, a formé le dessein De se dédommager d'un époux infidèle, Et qu'un galant se rend patron De la femme et de la maison, L'époux a beau gronder, faire le ridicule, Il faut qu'il en passe par là, Et qu'il avale la pilule, Ainsi que Vulcain l'avala. Je vais vous le dire ; écoutez : Vous savez qu'au ciel et sur terre On me donne cent qualités. Je suis l'agent du dieu qui lance le tonnerre ; Je conduis les morts aux enfers. Mon pouvoir s'étend sur les mers. Je suis le dieu de l'éloquence. Ma planète préside aux fous, Aux marchands, ainsi qu'aux filous : Fort petite est la différence. Je donne aux chimistes la loi. Des pâles médecins la cohorte assassine M'appelle, suivant mon emploi, Le furet de la médecine : Heureux qui se passe de moi ! Mon crédit est tombé, je suis de bonne foi. Chacun, depuis un temps, de ce métier se pique ; Et tant d'honnêtes gens exercent mon emploi, Que je leur laisse ma pratique ; Ils y sont presque tous aussi savants que moi. Les spectacles, la comédie, Me donnent, à Paris, quelque occupation ; Je les ai pris sous ma protection. Pour célébrer une fête publique, J'aurais aujourd'hui grand besoin D'avoir quelque pièce comique Qui fût marquée à votre coin. Depuis qu'un peu trop tôt la parque meurtrière Enleva le fameux Molière, Le censeur de son temps, l'amour des beaux esprits, La comédie en pleurs, et la scène déserte, Ont perdu presque tout leur prix : Depuis cette cruelle perte, Les plaisirs, les jeux et les ris, Avec ce rare auteur sont presque ensevelis. Certes, je suis confus Des bontés que pour moi... C'est faire peu de cas, et mettre à trop bas prix Les faveurs qu'Apollon dispense aux beaux esprits ; Et mon avis n'est pas le vôtre. Vous ! Cet illustre poète Finir ses jours au moulin ! Si Plaute a fait en ce lieu sa retraite, Où donc renverrons-nous nos rimeurs d'aujourd'hui ? Enfin, quel qu'ait été votre sort domestique, Je viens, charmé de vos talents, Vous demander une pièce comique, De celles que dans Rome on vit de votre temps, Pour savoir si le goût antique Trouverait à Paris encor ses partisans. Mais... elles sont du goût des femmes. Oh ! Ce n'est plus le temps. Une loi plus austère Fixe une femme au premier choix : Elle ne peut avoir qu'un époux à la fois ; Mais un usage moins sévère Aux coquettes du temps permet encor parfois D'avoir autant d'amants qu'elles en peuvent faire. Non ; mais l'on y voit des Gascons Qui valent bien des parasites. Sur cet augure heureux, de ce pas je vais faire Tout ce qui sera nécessaire Pour mettre la pièce en état. Messieurs, ne soyez point en peine Comment je puis si promptement Ajuster cette pièce, et faire en un moment Qu'elle paroisse sur la scène. Nous autres dieux, d'un coup de main Nous passons tout effort humain. Agréez donc mes soins, et, pour reconnaissance D'avoir voulu vous divertir, Ayez pour mon travail quelque peu d'indulgence, Et vous n'aurez pas lieu de vous en repentir. J'écarterai de vous tout ce qui peut vous nuire, Coupeurs de bourse adroits, médecins, usuriers, Avocats babillards, insolents créanciers ; Tous ces gens sont sous mon empire. Et s'il est parmi vous quelqu'un Possédant femme ou maîtresse fidèle, (C'est un cas qui n'est pas commun) Je n'emploierai jamais près d'elle, Pour corrompre son coeur et sa fidélité, Ni mon art, ni mon éloquence : C'est payer trop, en vérité, Quelques moments de complaisance ; Mais un dieu doit user de générosité. **** *creator_regnard *book_regnard_menechmes *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_menechmes *dist2_regnard_verse_comedy *id_PLAUTE *date_1705 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_plaute Il est vrai. Mais enfin, quelque amour qui vous guide, Les dons qu'aux beaux esprits prodigue votre main N'ont rien de réel, de solide, Et n'ôtent pas toujours les soins du lendemain. Qui ne mâche chez vous qu'un laurier insipide Court risque de mâcher à vide, Et souvent de mourir de faim ; Et si j'avais à reprendre naissance, J'aimerais mieux être portier D'un traitant ou d'un sous-fermier, Que mignon de votre excellence. J'en pourrais mieux parler qu'un autre. Croiriez-vous que, sur mon déclin, Laissant le dieu des vers, que j'étais las de suivre, Ne pouvant me donner de pain, Je me suis vu réduit, pour vivre, À tourner la meule au moulin ? Moi. Oui. J'en doute fort. Les caractères, Les esprits, les moeurs, les manières, En près de deux mille ans ont bien changé, je crois. Et, par exemple, dites-moi, À Paris aujourd'hui de quel goût sont les dames ? À Rome, de mon temps, libres dans leurs soupirs, Elles ne trouvaient point l'hymen un esclavage ; Et, faisant du divorce un légitime usage, Elles changeaient d'époux au gré de leurs désirs. Mais voit-on encor, par la ville, Une troupe lâche et stérile De fades et mauvais plaisants Qui chez les grands de Rome allaient chercher à vivre, Et qui ne cessaient de les suivre, Soit à la ville, soit aux champs ? De ces lâches flatteurs, des complaisants serviles, Que dans mes vers j'ai souvent exprimés ? Des parasites affamés, De ces importants inutiles, Qui tous les jours dans les maisons, À l'heure du dîner, font de sûres visites ? Le goût étant changé, comme enfin je le vois, Une pièce de moi, je crois, ne plairait guère ; À moins qu'Apollon ne fit choix D'un auteur comique et français, Qui pût accommoder le tout à sa manière, Porter la scène ailleurs, changer, faire et défaire : S'il pouvait réussir dans ce noble dessein, Moitié français, moitié romain, Je pourrais peut-être encor plaire. Tout auteur que je sois, je ne suis point jaloux Que mon travail lui soit utile. Le sujet qu'il a pris Divertit autrefois un peuple difficile ; Et peut-être aura-t-il même sort à Paris. **** *creator_regnard *book_regnard_menechmes *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_menechmes *dist2_regnard_verse_comedy *id_DEMOPHON *date_1705 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_demophon Bonjour, ma soeur. Bonjour. J'allais chez vous pour vous parler d'affaire. Votre nièce Isabelle est d'âge à marier ; Et monsieur Robertin, dont je connais le zèle, A su me ménager un bon parti pour elle ; Un jeune homme doué d'esprit et de vertus, Possédant, qui plus est, soixante mille écus D'un oncle qui l'a fait unique légataire, Dont ledit Robertin est le dépositaire : Et j'apprends, par les mots du billet que voici, Que cet homme en ce jour doit arriver ici. Or donc, ce mariage Étant pour la famille un fort grand avantage, Et vous voyant déjà, ma soeur, sur le retour, N'ayant, comme je crois, nul penchant pour l'amour, Je me suis bien promis qu'en faveur de l'affaire, Vous feriez de vos biens donation entière, Vous gardant l'usufruit jusques à votre mort. Vous moquez-vous, ma soeur ? Vous avez cinquante ans. Ma soeur, dans mon calcul je crois vous faire grâce ; Et je raisonne ainsi : J'en ai cinquante, et passe ; Vous êtes mon aînée ; ergo, dans un seul mot, Vous voyez si j'ai tort. Le joli caractère ! Je jugeais à peu près quels seraient ses discours ; Et j'ai fort prudemment cherché d'autres secours. Allons voir le notaire, et prenons des mesures Pour rendre, s'il se peut, les affaires bien sûres. Si l'homme en question est tel qu'on me l'a dit, Terminons au plus tôt l'hymen dont il s'agit. C'est ainsi qu'on me nomme. Ah, monsieur ! Permettez que cet embrassement Vous fasse voir l'excès de mon contentement. Votre taille, votre air, votre esprit, tout m'enchante Et mon âme serait entièrement contente, Si votre oncle défunt, que je voyais souvent, Pour voir cette alliance était encor vivant. Mais point trop. Nous étions de même âge tous deux, Cinquante ans environ. Point du tout ; et je crois que, dans toute sa vie, Il ne fut attaqué que de la maladie Qui causa de sa mort le funeste accident. Ce discours peut rouvrir votre plaie ; Prenons une matière et plus vive et plus gaie. Vous allez voir ma fille ; et j'ose me flatter Que son air et ses traits pourront vous contenter. Vous avez très grand tort, vous devez y compter ; Et du premier coup d'oeil vous saurez l'enchanter. Je me connais en gens, croyez-en ma parole : Et, de plus, Isabelle est une cire molle Que je forme et pétris comme il mie prend plaisir. Quand vous ne seriez pas au gré de son désir (Ce qui me tromperait bien fort), je suis son père. Et pour voir à mes lois combien elle défère, Mettez-vous à l'écart, je m'en vais l'appeler ; Et, sans être aperçu, vous l'entendrez parler. Isabelle, approchez. Vous dire quatre mots, et vous parler d'affaire. Un homme de province, assez bien fait pourtant, Doit, pour vous épouser, arriver à l'instant. Ce parti vous est fort convenable ; La naissance, le bien, tout m'en est agréable ; Et la personne aussi sera de votre goût. Comment ! D'où vous vient pour l'hymen ce brusque éloignement ? Vous n'avez pas tenu toujours un tel langage. Celui-ci te plaira quand tu l'auras connu. Je suis au désespoir qu'un dégoût téméraire Ait rendu son esprit à mes lois si contraire : Mais je l'obligerai, si vous le souhaitez... Regarde le parti qui t'était destiné ; Un époux fait à peindre, un jeune homme bien né, Dont l'esprit est égal au bien, à la naissance. Eh ! Oui, si dans mon choix vous ne me traversiez. Si votre sot dégoût et vos folles pensées Ne rompaient mes desseins et toutes mes visées. Vous voyez ce que fait l'autorité d'un père. Ma foi, ni moi non plus. Mais, dites-moi, ma soeur, À quoi tend ce discours ? Quelle bizarre humeur ? Oui, monsieur, dont j'enrage ; De plus, ma soeur aînée, et n'en est pas plus sage. Quel caprice nouveau, quel démon, dis-je, enfin, Vous oblige à venir, en faisant le lutin, Scandaliser ici monsieur, qui, de sa vie, Ne vous vit, ni connut, et n'en a nulle envie ? Je vous le disais bien, qu'elle était un peu folle. Oh ! J'en donne ma parole. Ne vous arrêtez point à tout ce qu'elle dit ; Il faut s'accommoder à son bizarre esprit. Quel vertigo l'agite et la conduit ici ? Toujours de plus en plus son cerveau se démonte. Je crains que cette femme, avec sa brusque humeur, Ne soit venue ici causer quelque malheur. Ah, monsieur ! Pour ma soeur et pour sa vision, Il faut, ma fille et moi, vous demander pardon. Vous savez bien qu'il est, en femmes comme en filles, Des esprits de travers dans toutes les familles. Vous voilà promptement de retour ! J'en suis ravi. Je vous l'ai déjà dit, et je vous le répète, Combien de ce parti mon âme est satisfaite : Ma fille en est contente ; elle vous a fait voir Qu'elle suit maintenant l'amour et le devoir. Elle a senti d'abord un peu de répugnance ; Mais, vous voyant, son coeur n'a plus fait de défense. À l'instant, Vous sortez d'avec elle, et paraissez content. Oui, sans doute, vous-même : Nous avions, de vous voir, une allégresse extrême, Quand ma soeur est venue, avec ses sots discours, De notre conférence interrompre le cours. Se peut-il que si tôt vous perdiez la mémoire ? Tout à l'heure, en ces lieux. Cet homme, dans l'abord, me paraissait plus sage. Prendrez-vous une charge à la cour, à l'armée ? Monsieur, ne craignez rien ; Isabelle toujours doit se porter au bien. Mon gendre avait d'abord de plus belles manières. C'est bien fait. Vous aurez, je crois, la complaisance De ne plus demeurer autre part que chez moi ? Vous souffrir en une hôtellerie ! Ce serait un affront.... Soit. Je vais travailler à l'hymen projeté. Mon gendre prétendu me paraît bien sauvage ; Mais le bien qu'il apporte est un grand avantage. Le hasard justement en ce lieu vous amène ; D'aller jusque chez vous il m'épargne la peine. Toujours préoccupée, N'êtes-vous point, ma soeur, encore détrompée ? Et ne voyez-vous pas que votre passion N'est rien qu'une chimère et pure vision ? Finissez, croyez-moi, n'allez pas davantage Traverser mes desseins, et montrez-vous plus sage. Mais jusqu'où va, ma soeur, votre crédulité ? Oh ! Je suis à la fin bien las de vous entendre. Heureusement ici je vois venir mon gendre. Vous n'amenez donc pas le notaire en ces lieux ? Je l'attends, et je crois qu'il ne tardera pas. Je vous crois sans jurer. Ah ! Monsieur Robertin, vous venez justement ; Et nous vous attendons avec empressement. Vous direz vos raisons et vos griefs demain, Ma soeur. Ne laissons pas d'aller notre chemin. Hé ! Messieurs, doucement ; je suis pour vous honteux, Et je ne sais ici qui croire de vous deux. Je vous prenais, monsieur, pour un homme de bien ; Mais je vois à présent que vous ne valez rien. Qu'est-ce donc que je vois ? L'incident que je vois, certes, n'est pas commun. Il te faut un époux ; en voilà deux pour un : Choisis le bon pour toi, ma fille, et te contente. Vous, acceptez ma fille, Puisqu'un coup du hasard vous met dans ma famille. Je voulais un Ménechme : en lui donnant la main, Vous ne changerez rien à mon premier dessein. **** *creator_regnard *book_regnard_menechmes *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_menechmes *dist2_regnard_verse_comedy *id_ISABELLE *date_1705 *sexe_masculin *age_jeune *statut_exterieur *fonction_autres *role_isabelle Que voulez-vous, mon père ? Qu'entends-je ? Mon père, sans pousser ce discours jusqu'au bout, Permettez-moi de dire, avecque déférence, Et sans vouloir pour vous manquer d'obéissance, Que je ne prétends point me marier. Il est vrai ; mais enfin l'esprit vient avec l'âge. J'en connais les dangers. Aujourd'hui les époux Sont tous, pour la plupart, inconstants ou jaloux ; Ils veulent qu'une femme épouse leurs caprices : Les plus parfaits sont ceux qui n'ont que peu de vices. Tel qu'il soit, je le hais avant de l'avoir vu : Il suffit que ce soit un homme de province ; Et je n'en voudrais pas, quand ce serait un prince. Que vois-je ? Juste ciel ! Et quel étonnement ! C'est Ménechme, grands dieux ! C'est lui, c'est mon amant. Quoi ! C'est là le parti que vous me proposiez ? À ne vous point mentir, depuis que je l'ai vu, Mon coeur n'est plus si fort contre lui prévenu. Mon père me l'ordonne, et je suis mon devoir. Il est vrai que souvent pour elle j'en ai honte. Je ne le connais plus, son esprit s'est troublé. Quel discours ! Quel travers ! Est-ce lui que j'entends ? Je sais à quel devoir l'état de femme engage. Ciel ! Peut-on me tenir de tels discours en face ? Mon père, permettez que je quitte la place : Monsieur me flatte trop ; ses tendres compliments Me font connaître assez quels sont ses sentiments. Où vous ne serez pas. Je vais chez Araminte, Lui dire que pour vous ma tendresse est éteinte. Aimez-la, j'y consens ; je fais voeu désormais De vous fuir comme un monstre, et ne vous voir jamais. Pour le prix de l'ardeur la plus vive, Je ne reçois de vous qu'injure et qu'invective ; Je vous parais sans foi, sans esprit, sans appas. Non ; je ne comprends pas, Si brutal que l'on soit, qu'on puisse avoir l'audace De dire, de sang-froid, ces duretés en face. Je ne veux rien savoir. Veux-tu que je m'expose encore à ses sottises ? Oh ! Pour moi, j'ai raison ; toi-même, sois-en juge. Hors de toute créance. De quels contes en l'air me fais-tu l'embarras ? Quelque étrange que soit ce surprenant récit, Je me plais à le croire ; il flatte mon esprit. L'amour rend ma méprise et juste et pardonnable. Modérez ces désirs. Mon coeur me le dira bien plutôt que mes yeux. Oui, sans doute, ma tante, J'entends bien. Qui pourrait de vos mains ravir une conquête ? Quand on est une fois frappé de vos attraits, Vos yeux vous sont garants qu'on ne change jamais. Ce sont ces yeux charmants qui les volent aux autres. De pareils sentiments n'entrent point dans mon âme. Monsieur pourrait-il bien avoir l'âme assez noire,... Puisque vous m'accordez le choix qui se présente, Portée également de l'une et l'autre part, Je prends monsieur : il faut en courir le hasard. **** *creator_regnard *book_regnard_menechmes *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_menechmes *dist2_regnard_verse_comedy *id_ARAMINTE *date_1705 *sexe_masculin *age_veteran *statut_exterieur *fonction_autres *role_araminte Nous reverrons Ménechme aujourd'hui : quelle joie ! Je ne puis demeurer en place, ni chez moi. Pareil empressement doit l'agiter, je crois. Comment me trouves-tu ? Dis, Finette. Cette fille toujours eut le goût admirable. Ah ! Monsieur, vous voilà ! Quel destin favorable, Plus que je n'espérais, presse votre retour ? Et quel dieu près de moi vous ramène ? L'Amour ! Le pauvre enfant ! Fi donc, badin ! L'amour quelquefois, quoique absente, À votre souvenir me rendait-il présente ? Votre portrait charmant, et qui fait tout mon bien, Que je reçus de vous, quand vous prîtes le mien, Me consolait un peu d'une absence effroyable : Le mien a-t-il sur vous fait un effet semblable ? Achevez, je vous prie. Et j'étais la Vénus flottant sur ce canal ? De grâce, dites-moi, parlant sincèrement, Sous l'habit de Vénus, avais-je l'air charmant, Le port noble et divin ? Je suis au désespoir de cette circonstance ; Et voilà des valets I'ordinaire imprudence ! Toujours mal à propos ils viennent vous trouver. D'accord. Mais je voudrais que, pour vous satisfaire, Votre bonheur toujours ne fût pas en chimère, Et qu?un heureux hymen, entre nous concerté, Pût donner à vos feux plus de réalité. Mais j?en crains le retour : dans le siècle où nous sommes, Le dégoût dans l'hymen est naturel aux hommes ; Et la possession souvent du premier jour Leur ôte tout le sel et le goût de l'amour. Rejetons loin de nous cette funeste idée ; Et, pour mieux célébrer le plaisir du retour, Je veux que nous dînions ensemble dans ce jour. J'ai fait, dès ce matin, inviter une amie, Et vous augmenterez la bonne compagnie. Allez. Je vous attends avec impatience. L'amour qu'il a pour moi ne s'imagine pas : Mais, en revanche aussi, je l'aime à la folie. Comment le trouves-tu ? Bonjour, mon frère. Ici, comme chez moi, vous pouvez m'ennuyer. J'en suis vraiment fort aise. Jusqu'à ma mort ! Vraiment ce projet me plaît fort ! Vous vous êtes promis, il faut vous dépromettre. L'âge, comme je crois, peut encor me permettre D'aspirer à l'hymen ; et d'avoir des enfants. Moi, j'ai cinquante ans ! Moi ! Finette ? Votre ergo n'est qu'un sot ; Et je sais fort bien, moi, que cela ne peut être. Ma jeunesse à mon teint se fait assez connaître. Ce que je puis vous dire en termes clairs et nets, C'est qu'il faut de mon bien vous passer pour jamais ; Que je me porte mieux que tous tant que vous êtes ; Que, malgré les complots qu'en votre âme vous faites, Je prétends enterrer, avec l'aide de Dieu, Les enfants que j'aurai, vous et ma nièce. Adieu. C'est moi qui vous le dis ; m'entendez-vous, mon frère ? Allons, Finette, allons. Non, je ne croirai point ce que tu me dis là. Tandis que de vous voir je meurs d'impatience, Vous témoignez, monsieur, bien de l'indifférence ! Le dîner vous attend ; et vous savez, je crois, Que je n'ai de plaisir que lorsque je vous vois. Le trouble où je vous vois, ce noir déguisement, Ne m'annoncent-ils point de triste événement ? Vous est-il survenu quelque mauvaise affaire ? Parlez, mon cher enfant. Daignez ne me rien taire. Vous êtes-vous battu ? Tout mon bien est à vous, et ne l'épargnez pas. Quand on s'aime, et qu'on a pour but de chastes chaînes, Tout le bien et le mal, les plaisirs et les peines, Tout, entre deux amants, doit ne devenir qu'un. Il faut mettre nos maux et nos biens en commun ; Et je veux avec vous courir même fortune. Mais je ne comprends point quels discours sont les vôtres. Entrons donc pour dîner. J'ai tort de vous contraindre ; Mais de votre froideur j'ai sujet de tout craindre. Mais d'où venez-vous donc ? Ne me déguisez rien. Quel reproche ! Et de quel coche ici me venez-vous parler ? Finette, il perd l'esprit. Des créatures ! Ciel ! Quels termes sont-ce là ? Que je suis malheureuse ! Et quelle est ma faiblesse D'avoir à cet ingrat déclaré ma tendresse ! Finette, tu le sais ; rien ne te fut caché. Va, n'attends plus de moi que haine et que rigueurs. Ah ! Te voilà donc, traître ! Avec quelle impudence Oses-tu dans ces lieux soutenir ma présence ! Après m'avoir traitée avec indignité, Ne crains-tu point l'effet de mon coeur irrité ? Tu feins de l'ignorer, âme double et traîtresse ! Tu 'abusais, hélas ! d'une feinte tendresse : Et moi, de bonne foi, je te donnais mon coeur, Sans connaître le tien et toute sa noirceur. Il ne me connaît pas ! Vous êtes fou, je crois ! Depuis plus de deux ans l'ingrat vit sous mes lois ; Il a fait de mon bien un assez long usage : J'ai fait à mes dépens son dernier équipage ; Et si de ses malheurs je n'avais eu pitié, Il aurait tout au long fait la campagne à pied. Ne crois pas m'échapper. Je connais vos desseins, Vous voudriez tous deux l'arracher de mes mains. Mais je veux l'épouser en dépit de la fille, Du père, des parents, de toute la famille, En dépit de lui-même, et de moi-même aussi. Si je ne le fais pas, que le ciel me punisse ! Vit, j'ai bien résolu, dans mon coeur courroucé, De venger, si je puis, tout le sexe offensé. Mais, s'il ne m'aime point, quel sera l'avantage Que me procurera ce triste mariage ? Le hasard nous sert donc tous deux également, Mon frère ; car chez vous j'allais pareillement. Vous m'épargnez des pas. Sans rime ni raison vous babillez toujours ; Mais vous savez quel cas je fais de vos discours. Ménechme m'appartient, et voilà la promesse Qu'il me fit de sa main pour marquer sa tendresse. Il est, vous dis-je, à moi ; je l'ai bien acheté. Entendez-vous, ma nièce ? Sans mentir, vous êtes fort plaisante De vouloir m'enlever un coeur comme le sien, Et vous approprier si hardiment mon bien ! Un procédé pareil est sot et malhonnête. Mes yeux sont, pour le moins, aussi beaux que les vôtres ; Et, lorsque nous voudrons les employer tous deux, On verra qui de nous y réussira mieux. Traître ! C'en est donc fait ; malgré ta foi donnée, Tu te veux engager dans un autre hyménée, Malgré tous tes serments, malgré ton premier choix ! Tu me quittes, perfide, ingrat, coeur infidèle ! Tu te fais un plaisir de ma peine cruelle ! Tu me vois expirante et cédant à mon sort, Sans donner seulement une larme à ma mort ! Perfide ! Je me veux venger de ton forfait. J'ai ta promesse en main ; voilà ta signature : Je puis, par ce témoin, confondre l'imposture. Rien ne presse si fort. À ce bel hymen, moi, s'il vous plaît, je m'oppose ; Et j'en ai dans les mains une très juste cause. Oui, c'est un scélérat, qui du crime fait gloire. Après ce qu'il m'a fait, il n'est point d'injustice, De crimes, de noirceurs dont il ne soit complice. Quelle aventure, ô ciel ! Dois-je en croire mes yeux ? Et moi, je prends monsieur. Et de quel droit, monsieur, me faites-vous la loi ? Je vous trouve plaisant de disposer de moi ! Si je pouvais un jour me résoudre à ce choix, Je le ferais exprès pour vous punir tous trois. Vous n'avez, je le vois, que mon bien seul en vue ; Mais, en me mariant, votre attente est déçue. Oui, je l'épouserai, pour me venger de vous, Lui donner tout mon bien, et vous désoler tous. **** *creator_regnard *book_regnard_menechmes *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_menechmes *dist2_regnard_verse_comedy *id_FINETTE *date_1705 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_finette Charmante. Votre beauté surprend, ravit, enlève, enchante. Il semble que l'Amour, dans ce jour si charmant, Ait pris soin par mes mains de votre ajustement. Ali, ciel ! Le joli rêve ! Sa figure est jolie. Son valet Valentin n'est pas mal fait aussi : Nous nous aimons un peu. Mais quelqu'un vient ici. C'est Démophon. Quels reproches ! Hélas ! On n'est jamais trahi que par ses proches. À cause que madame a vécu quelque temps, On ne la croit plus jeune ! Il est de sottes gens ! Monsieur, une autre fois, ou bien ne parlez pas, Ou prenez, s'il vous plaît, de meilleurs almanachs. Ma maîtresse est encor, malgré vous, jeune et belle ; Et tous les connaisseurs vous la soutiendront telle. Que diantre fais-tu là, planté comme un piquet ? Le dîner se morfond ; ma maîtresse s'ennuie. Ah ! Vous voilà, monsieur ! Vraiment j'en suis ravie ! J'allais, au-devant de vos pas, Voir qui peut empêcher que vous ne venez pas : Ma maîtresse ne peut en deviner la cause. Mais qu'est-ce donc, monsieur ? Quelle métamorphose ! Pourquoi cet habit noir et ce lugubre accueil ? En peu de temps, vraiment, vous avez pris le deuil. Faut-il, pour un dîner, s'habiller de la sorte ? Venez-vous d'un convoi, monsieur ? Mon zèle de ces soins ne peut se dispenser : À ce qui vous survient je dois m'intéresser : Ma maîtresse a pour vous une tendresse extrême, Et je dois l'imiter. Ne le savez-vous pas ? Vous en avez pourtant déjà fait quelque épreuve : Et, si vous en voulez de plus solide preuve, Quand vous souhaiterez, vous serez son époux. Oui vraiment. Vous. Vous n'avez pas, je crois, d'autre dessein en tête. Avant votre retour, Mille amants sont venus s'offrir à ma maîtresse ; Mais Ménechme est le seul qui flatte sa tendresse. D'où vous savez le mien. Oui. À quoi bon cette feinte ? Je me nomme Finette, et sers chez Araminte ; Et plus de mille fois je vous ai vu chez nous. Oui. Laissons ce badinage. En un mot, comme en cent, Ma maîtresse à dîner chez elle vous attend. Pour vous faire trouver meilleure compagnie, Elle a, dans ce repas, invité son amie, Belle et de bonne humeur, qui loge en son quartier. Mais parle-moi donc, toi. Quelle vapeur nouvelle A pu, dans un moment, déranger sa cervelle ? Tantôt il paraissait assez sage ; et peut-on Perdre en si peu de temps et mémoire et raison ? Voulez-vous, de bon sens, me dire une parole ? Vous ne voulez donc pas être plus raisonnable, Ni dîner au logis ? Nous verrons si dans peu vous aurez l'insolence De faire à ma maîtresse un discours aussi sot : Je vais lui dire tout, sans oublier un mot. Adieu, digne valet d'un trop indigne maître : J'espère que dans peu nous nous ferons connaître. Je ne le connais plus, et ne sais où j'en suis. Vous verrez si je mens : parlez-lui, le voilà. Bon ! Madame, il m'en a tantôt tenu bien d'autres. Hé bien ! Peut-on plus loin porter l'impertinence ? Ferme, monsieur ; ici poussez bien l'insolence : Mais, ma foi, si jamais chez nous vous revenez, Je vous fais de la porte un masque sur le nez. Il ne perd pas beaucoup. Il faut assurément qu'il ait trop bu d'un coup : C'est le vin qui le porte à ces extravagances. Des créatures ! Nous ! Ah, madame ! Voilà Les deux plus grands fripons... Si vous m'en voulez croire, Frottons-les comme il faut, pour venger notre gloire. Je ne me suis jamais senti tant de vigueur. J'aurai soin du valet ; n'épargnez pas le maître. Perfide ! Scélérat ! Ton coeur n'est point touché ? Ah ! Maudit renégat, le plus méchant du monde ! Que le ciel te punisse, et l'enfer te confonde ! Si nous avions bien fait, nous t'aurions étranglé. Il faut assurément qu'on l'ait ensorcelé ; Et ce n'est plus lui-même. Je cherche ici ton maître. Porte ailleurs tes présents ; ne me parle jamais. Ton maître m'a traitée avec tant d'insolence, Qu'il faut sur le valet que j'en prenne vengeance. M'appeler créature ! J'ai de ses vilains mots l'oreille encor blessée ; Et ma maîtresse en est si fort scandalisée, Que, rompant avec lui désormais tout à fait, Je viens lui demander et lettres et portrait. Pourrait-on d'un portrait faire si peu de cas ? Ah, ciel ! Que me dis-tu ? Quoi ! Dans si peu de temps vous auriez hérité ? Oli ! Je n'en doute point. Nous nous passerons bien d'amants tels que vous êtes. Dans les affaires, toi ? J'en suis d'avis. Ma maîtresse, rompant avec vous tout à fait, M'envoie ici, monsieur, demander son portrait, Ses lettres, ses bijoux. En nous rendant les nôtres, Elle m'a commandé de vous rendre les vôtres. Les voilà. C'est l'usage parmi tous les honnêtes gens : Quand il est survenu rupture ou brouillerie, Et que de se revoir on n'a plus nulle envie, On se rend l'un à l'autre et lettres et portraits. Oui, monsieur ; on n'y manque jamais. Ce garçon vous dira que cela se pratique, Lorsque de savoir vivre et de monde on se pique. Mort non pas de mes jours ! Ne vous y jouez pas. Voilà votre portrait, et rendez-nous le nôtre. Oui, sans doute, le vôtre, Que ma maîtresse prit en vous donnant le sien. Hé bien ! Allez-vous dire encor que ce sont là des fables, Et que rien n'est plus faux ? Ah, l'abominable homme ! Votre portrait n'est pas dans cette boîte ronde ? Quelle audace ! Quel front ! Mais je veux le confondre. Voyons à ce témoin ce qu'il pourra répondre. Hé bien ! Connaissez-vous ce visage et ces traits ? Finissons, s'il vous plaît. Rendez donc le portrait. De ma maîtresse. Savez-vous bien qu'avant de partir de ces lieux, Je pourrais bien, monsieur, vous arracher les yeux ? Eh bien ! Jusqu'à ce temps je veux encore attendre ; Mais si l'on manque après à me faire raison, Je reviens, et je mets le feu dans la maison. Je vous dis vrai, madame, et je ne saurais croire Que l'on puisse trouver une âme encor si noire. Lorsque je l'ai pressé de rendre le portrait, Il a voulu me battre, et l'aurait, je crois, fait Si son valet, plus doux, n'eût écarté l'orage. Ah, madame ! Armez-vous d'un généreux courage ; Poursuivez votre pointe, et faites bien valoir Les droits que la raison met en votre pouvoir. Vous avez sa promesse, il faut qu'il l'accomplisse. Il n'est plus ici-bas de foi, de probité, Plus de loi, plus d'honneur, plus de sincérité. Les filles, en ce temps, si souvent attrapées, Sur la foi des serments avoient été trompées ; Et, voulant mettre un frein au dégoût des amants, Se faisaient d'un écrit confirmer les serments ; Mais que leur sert d'user de cette prévoyance Si les écrits trompeurs n'ont pas plus de puissance ? Je vois bien maintenant que, dans ce siècle ingrat, Il ne faut se fier que sur un bon contrat. Mais c'est notre destin : toujours, tant que nous sommes, Nous serons le jouet et les dupes des hommes. Quoi donc ! Il ne tiendra, pour engager le monde, Qu'à venir étaler une perruque blonde ! Une tête éventée, un petit freluquet, Qui s'admire lui seul, et n'a que du caquet, Parce qu'il a bon air, et qu'on a le coeur tendre, Impunément viendra nous plaire et nous surprendre ; Nous fera par écrit sa déclaration, Sans en venir après à la conclusion ! Non, c'est une noirceur qui crie au ciel vengeance. Il faut de cet abus réprimer la licence ; Et, quand ce ne serait que pour vous en venger, Il faudrait l'épouser pour le faire enrager. Est-ce donc pour s'aimer qu'on s'épouse à présent ? Cela fut bon du temps du monde adolescent : Et j'en vois tous les jours qui ne font pas un crime D'épouser sans amour et même sans estime. Il faut se marier : vous êtes dans un temps Où les appas flétris s'effacent pour longtemps. Ce conseil bienfaisant que mon zèle vous donne, Je voudrais l'appliquer à ma propre personne ; Et rester vieille fille est un mal plus affreux Que tout ce que l'hymen a de plus dangereux. Vous, qui pour nous jadis eûtes tant de tendresse, Verrez-vous dans mes bras expirer ma maîtresse ? Cette pauvre innocente a-t-elle mérité Qu'on payât son amour de tant de cruauté ? Faites-lui son procès ; et, s'il en est besoin, Je servirai toujours contre lui de témoin. Traître ! Te voilà donc à la fin confondu ! Sans autre procédure, il faut qu'il soit pendu. Madame, je ne sais si j'ai le regard trouble, Si c'est quelque vapeur ; mais enfin je vois double. En tout ceci, madame, il n'y va rien du nôtre ; Quoi qu'il puisse arriver, nous aurons l'un ou l'autre. Moi, quand ce ne serait que pour la ressemblance, Je voudrais l'épouser, sans tant de résistance. À ne t'en point mentir, j'en aurais grande envie ; Mais je crains? De faire une folie. **** *creator_regnard *book_regnard_menechmes *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_menechmes *dist2_regnard_verse_comedy *id_VALENTIN *date_1705 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_valentin Quant à présent, monsieur, je ne vous puis rien dire ; Un moment, s'il vous plaît, souffrez que je respire : Je suis tout essoufflé. Ah, monsieur ! Ces commis sont de terribles gens ! Les Juifs, tout Juifs qu'ils sont, sont moins durs, moins arabes : Ils ne répondent point que par monosyllabes. Oui ; non ; paix ; quoi ? Monsieur... Je n'ai pas le loisir. Mais, monsieur... Revenez. Faites-moi le plaisir... Vous me rompez la tête ; allez. Enfin, les traîtres, Quand on a besoin d'eux, sont plus fiers que leurs maîtres. Oh ! Non pas, s'il vous plaît. Voyant que le commis qui gardait ma valise Usait depuis une heure avec moi de remise, Las d'avoir pour objet un visage ennuyeux, J'ai cru qu'au cabaret j'attendrais beaucoup mieux. Vous savez que chacun, monsieur, a sa faiblesse ; Mais le mauvais exemple, encor plus que le vin, Me retient, malgré moi, dans le mauvais chemin. Je me sens de bien vivre une assez bonne envie. Je fais de vains efforts, monsieur, pour l'éviter ; Mais je vous aime trop, je ne puis vous quitter. Monsieur, un long usage De parler librement me donne l'avantage. En pareil cas que moi vous vous êtes trouvé ; Assez souvent, d'un vin bien pris et mal cuvé, Je vous ai vu le chef plus lourd qu'à l'ordinaire ; J'ai même quelquefois prêté mon ministère Pour vous donner la main et vous conduire au lit : De ces petits excès je ne vous ai rien dit : Nous devons nous prêter aux faiblesses des autres, Leur passer leurs défauts, comme ils passent les nôtres. Ah ! Si je joue un peu, c'est pour passer le temps. Quand vous percez les nuits dans certains noirs brelans, Je vous entends jurer au travers de la porte : Je jure comme vous quand le jeu me transporte ; Et ce qui peut tous deux nous différencier, Vous jurez dans la chambre, et moi sur l'escalier. Je vous imite en tout. Vous, d'une ardeur extrême, Buvez, jouez, aimez ; je bois, je joue, et j'aime : Et si je suis coquet, c'est vous qui le premier, Consommé dans cet art, m'apprîtes le métier. Vous allez chaque jour, d'une ardeur vagabonde, Faisant rafle partout, de la brune à la blonde. Isabelle à présent vous retient sous sa loi ; Vous l'aimez, dites-vous : je ne sais pas pourquoi... Autrefois cependant pour sa tante Araminte, Toute folle qu'elle est, vous aviez I'âme atteinte. J'approuvais fort ce choix : outre que ses ducats Nous ont plus d'une fois tiré de mauvais pas, J'y trouvais mon profit : vous cajoliez la tante, Et moi je pourchassais Finette la suivante. Ainsi vous voyez bien... J'obéis : cependant, si je voulais parler, Sur un si beau sujet je pourrais m'étaler. Quand je veux, je parle mieux qu'un autre. Hé parbleu, c'est la vôtre. J'ai longtemps, comme vous, été dans le soupçon ; Mais de votre cachet la figure et l'empreinte, Et l'adresse bien mise, ont dissipé ma crainte. Lisez plutôt ces mots distinctement écrits : C'est « À monsieur Ménechme, à présent à Paris. » D'accord. Cependant à la vôtre elle ressemble fort. Mais vous me prenez donc, monsieur, pour une bête ? En revenant de Flandre, où par trop brusquement Vous avez pris congé de votre régiment ; Et passant à Péronne, où fut le dernier gîte, Nous y prîmes la poste ; et, pour aller plus vite, Vous me fîtes porter au coche, qui partait, Votre malle assez lourde, et qui nous arrêtait : J'obéis à votre ordre avec zèle et vitesse ; Je fis, par le commis, mettre dessus l'adresse : Ainsi je n'ai rien fait que bien dans tout ceci. Dans un moment, monsieur, je vais vous satisfaire. Ouais ! La clef n'entre point. Puisque vous le voulez, je n'y résiste pas. Or sus, instrumentons. Je ne vois là-dedans pas une de vos hardes. Monsieur, point de courroux. Au troc que nous faisons, peut-être gagnons-nous ; Et je ne crois pas, moi, que dans votre valise Nous eussions pour vingt francs de bonne marchandise. Tenez, en voilà d'autres Qui vous consoleront d'avoir perdu les vôtres. Mon dessein n'était pas de vous mettre en colère. Mais sans perdre de temps faisons notre inventaire. Ce meuble de chicane appartient sûrement À quelque homme du Maine, ou quelque Bas-Normand. L'habit est vraiment leste, et des plus à la mode. Pour un surtout de chasse il me sera commode. Quel est l'excès de cet étonnement ? Qu'avez-vous donc, monsieur ? Est-ce quelque vertige Qui vous monte à la tête ? Si vous ne mentez pas, monsieur, je vous croirai. Je le sais ; et de plus, je sais que votre mère Mourut en accouchant de vous et de ce frère ; Que vous êtes jumeaux, et que votre portrait En toute sa personne est rendu trait pour trait ; Que vos airs dans les siens sont si reconnaissables, Que deux gouttes de lait ne sont pas plus semblables. Vous m'avez dit cela déjà plus d'une fois. Mais que fait cette histoire au trouble où je vous vois ? La nouvelle en effet a de quoi vous surprendre. Cela pourrait bien être ; et je suis stupéfait Des effets surprenants que le hasard a faits. Il faut que justement je fasse une méprise, Et que notre bonheur vienne de ma sottise. Nous trouvons en un jour un vieil oncle enterré, Qui laisse de grands biens dont il vous a frustré : Un frère qui reçoit tous ces biens qu'on lui laisse, Et qui vient enlever encor votre maîtresse. Voilà tout à la fois cinq ou six incidents Capables d'étourdir les plus habiles gens. Soixante mille écus nous feraient grand besoin. Vous connaissez mon zèle et mon empressement ; Et s'il est à Paris, j'ai des amis fidèles, Qui, dans une heure au plus, m'en diront des nouvelles. Votre frère est trouvé, mais ce n'est pas sans peine ; Vous m'en voyez, monsieur, encor tout hors d'haleine. J'avais couru Paris de l'un à l'autre bout, Au coche, au messager, la poste, et partout ; Et je vous avertis que je n'ai passé rue, Où quelque créancier ne m'ait choqué la vue : J'ai même rencontré ce Gascon, ce Marquis, À qui, depuis un an, nous devons cent louis... Tant mieux. Ne sachant plus enfin quel parti prendre, À la douane encor j'ai bien voulu me rendre ; Là, j'ai vu votre frère au milieu des commis, Qui s'emportait contre eux du quiproquo commis. Je l'ai connu de loin ; et cette ressemblance, Dont vous m'avez parlé, passe toute croyance : Le visage et les traits, l'air et le ton de voix, Ce n'est qu'un ; je m'y suis trompé plus d'une fois. Son esprit, il est vrai, n'est pas semblable au vôtre. Il est brusque, impoli ; son humeur est tout autre : On voit bien qu'il n'a pas goûté l'air de Paris ; Et c'est un franc Picard qui tient de son pays. De loin, comme j'ai dit, j'observais sa querelle ; Et quand il est sorti, j'ai fait briller mon zèle ; J'ai flatté son esprit ; enfin, j'ai si bien fait, Qu'il veut, comme je crois, me prendre pour valet. Il s'est même informé pour une hôtellerie. Moi, dans les hauts projets dont mon âme est remplie, J'ai d'abord enseigné l'auberge que voici. Il doit dans un moment me venir joindre ici. La Fortune aujourd'hui me paraît désarmée. Tantôt, chemin faisant, j'ai cru, sans me flatter, Que de la ressemblance on pourrait profiter, Pour obtenir plus tôt Isabelle du père, Et tirer, qui plus est, cet argent du notaire : Ce serait deux beaux coups à la fois ! Cela pourrait peut-être arriver aisément. À notre campagnard nous donnerions la tante ; Pour vous serait la nièce, et pour moi la suivante. Il faut premièrement quitter cette parure, Prendre d'un héritier l'habit et la figure, L'air entre triste et gai. Le deuil vous sied-il bien ? Faites bien le dolent à la première vue. Imposez au notaire, et soyez diligent, Autant que vous pourrez, à toucher cet argent. Quelle délicatesse et vaine et ridicule ! Nantissez-vous de tout sans rien mettre au hasard ; Après, à votre gré vous lui ferez sa part. S'il tenait cet argent, il se pourrait bien faire Qu'il n'aurait pas pour vous un si bon caractère. Quelle est-elle ? Sur cet engagement bannissez votre crainte. Bon ! Si l'on épousait autant qu'on le promet, On se marierait plus que la loi ne permet. Allons au fait. Pour mettre en état notre affaire, Il faut être vêtu comme l'est votre frère. Il porte le grand deuil ; son linge est effilé ; Un baudrier noué d'un crêpe tortillé ; Sa perruque de peu diffère de la vôtre, Ainsi vous n'aurez pas besoin d'en prendre une autre. Allez vous encrêper sans perdre un seul instant. Vous avez maintenant bien autre chose à faire ; Vous dînerez demain. Je crois voir votre frère : Il vient de ce côté, je ne me trompe pas ; Vous, de cet autre-ci marchez, doublez le pas. Je n'ai rien à vous dire ; De tout, dans un moment, je saurai vous instruire. À la fin vous voilà, monsieur. Depuis longtemps, Pour tenir ma parole, ici je vous attends. Oh ! Paris est un lieu de tumulte et d'éclat. Il faut en ce pays être un peu sur ses gardes. En toute occasion on voit les gens d'esprit. Je vous ai, dans ce lieu, fait préparer un lit, Dans un appartement fort propre et fort tranquille. Comptez-vous de rester longtemps en cette ville ? C'est pourtant une affaire Que l'on ne conclut pas en un jour, d'ordinaire. Tout est-il pour vous seul, monsieur ? Le ciel lui fasse paix, Et dans tous vos desseins vous donne un plein succès ! Si vous avez besoin de mon petit service, Vous pouvez m'employer, monsieur, à tout office : Je connais tout Paris, et je suis toujours prêt À servir mes amis sans aucun intérêt. Démophon ? Qui vous peut enseigner mieux que moi sa maison ? Nous irons. Avez-vous avec lui quelque affaire ? Ali ! Vraiment, je le crois ; Vous ne pouvez pas mieux vous adresser qu'à moi : Il est de mes amis, et nous irons ensemble. Mais j'aperçois Finette. Ah ! Juste ciel ! Je tremble Qu'elle ne vienne ici gâter ce que j'ai fait. C'est l'humeur du pays ; et, sans beaucoup d'instance, Avec les étrangers elles font connaissance. Elle en a bien la mine. Depuis un certain temps il est assez sujet À des distractions dont tu peux voir l'effet. Il me tient quelquefois un discours vain et vague, À tel point qu'on dirait souvent qu'il extravague. Au coche elle aura pu savoir comme on vous nomme, Et que vous arrivez pour toucher une somme. Ne restons pas, monsieur, en ce lieu plus longtemps : Les femmes à Paris ont des attraits tentants, Où les coeurs les plus fiers enfin se laissent prendre. Dans ses discours, parfois, il est impertinent. De tout ce différend je ne veux rien connaître, Et je ne prétends point me battre contre toi. Si l'on vous brutalise, est-ce ma faute à moi ? Vous avez jusqu'au bout bravement combattu ; Et l'on ne peut assez louer votre vertu. Mais entrons au plus tôt dans cette hôtellerie, Pour n'être plus en butte à quelque brusquerie. Là, si vous me jugez digne de quelque emploi, Vous pourrez m'occuper, et vous servir de moi. Lorsque vous aurez fait un tour dans la maison, Je vous y conduirai, si vous le trouvez bon. Je vais trouver mon maître, Savoir en quel état les choses peuvent être ; S'il agit de sa part ; s'il a bon air en deuil. Courage, Valentin ; ferme ; bon pied, bon oeil. Rien n'est plus surprenant ; et votre ressemblance Avec votre jumeau passe la vraisemblance. Vous et lui ce n'est qu'un : étant vêtu de deuil, Il n'est homme à présent dont vous ne trompiez l'oeil. On ne peut distinguer qui des deux est mon maître ; Et moi, votre valet, j'ai peine à vous connaître. Pour ne m'y pas tromper, souffrez que, de ma main, Je vous attache ici quelque signe certain. Donnez-moi ce chapeau. Vous marquer de ma marque, ainsi que votre père, Pour vous mieux distinguer, faisait fort prudemment. Je ne ris nullement : Et je pourrais fort bien, le premier, m'y méprendre. Quoi, monsieur ! Il vous doit compter toute la somme, Soixante mille écus ? L'honnête homme ! D'autres à ce jumeau se sont déjà mépris : Pour vous, en ce lieu même, Araminte l'a pris, Et chez elle à dîner a voulu l'introduire. Lui, surpris, interdit, et ne sachant que dire, Croyant qu'elle tendait un piège à sa vertu, L'a brusquement traitée ; il s'est presque battu ; Et, si je n'avais pas apaisé la querelle, Il serait arrivé mort d'homme ou de femelle. Quel soupçon voulez-vous qu'il ait ? Depuis vingt ans Il vous croit trop bien mort ; et jamais, quoiqu'on ose, Il ne peut du vrai fait imaginer la cause. Êtes-vous, monsieur, un honnête homme Appelé Démophon ? Je me réjouis fort de vous avoir trouvé. Voilà mon maître ici fraîchement arrivé, Qui se nomme Ménechme, et qui vient de Péronne, À dessein d'épouser votre fille en personne. Qu'à son âme le ciel fasse miséricorde ! Mais nous parler de lui, c'est toucher une corde Bien triste... et qui pourrait... Mais il était bien vieux. Ce mot se peut entendre En diverses façons, suivant qu'on le veut prendre. Je dis qu'il était vieux pour son peu de santé ; Il se plaignait toujours de quelque infirmité. Il est vrai... cependant... J'en demeure d'accord. Mais je ne pourrai pas, dans son ardent transport, L'empêcher de venir ici voir sa maîtresse ; Ainsi je suis d'avis, quelque ardeur qui vous presse, Que vous soyez succinct en discours amoureux. Oui, monsieur, les voilà, la fille avec le père : Vous pouvez avec eux parler de votre affaire. Vous êtes de bon sens, Vous ne les flattez pas. Oui, monsieur, le voilà. Mais, si vous souhaitez que je parle sans feinte, De ses perfections je n'ai pas l'âme atteinte : Quel surcroît d'embarras ! Un de nos créanciers tourne vers nous ses pas : C'est le marchand fripier qui nous rend sa visite. C'est un visionnaire, Une espèce de fou d'un plaisant caractère, Qui s'est mis dans l?esprit que tous les gens qu'il voit Sont de ses débiteurs, et veut que cela soit : C'est sa folie enfin : il n'aborde personne Qu'un mémoire à la main ; et déjà je m'étonne Qu'il ne vous ait point fait quelque sot compliment. Que vous avais-je dit ? Ignorez-vous encore Le mal qui le possède ? Sa mémoire est perdue ; il ne se souvient plus, Ni de ce qu'il a fait, ni des gens qu'il a vus. Ainsi, de lui parler du passé c'est folie : Son nom même, son nom, bien souvent il l'oublie. Comment ! On l'a mis, à la guerre, en une batterie D'où le canon tirait avec tant de furie, Qu'il s'est fait dans sa tête une commotion Qui de son souvenir empêche l'action. De son faible cerveau... la membrane trop tendre... Oh ! L'effet du canon ne saurait se comprendre. Ah, monsieur ! Contre un fou ne vous emportez pas. De grâce... Sans faire tant de bruit, Plaignez l'état où le sort l'a réduit. Ne faites point d'affaires. Laissez-le aller : Que feriez-vous, monsieur, du nez d'un marguillier ? Vous causerez ici quelque accident funeste. Partez, monsieur, partez. Voulez-vous de nouveau, Par vos cris redoublés, ébranler son cerveau ? Contre un fou fallait-il vous fâcher ? Présentement, monsieur, nos pas seraient perdus ; Il n'est pas chez lui, mais bientôt il doit s'y rendre : Dans peu, pour l'aller voir, je reviendrai vous prendre. Certain devoir pressant m'appelle à quatre pas. Je prétends l'observer autour de cette place. Le poisson, de lui-même, entre dans notre nasse : Tout succède à mes voeux, et j'espère, en ce jour, Servir utilement la Fortune et l'Amour. J'ai toujours observé cette porte de vue ; Personne du logis n'est sorti dans la rue : Mon maître a tout le temps de toucher son argent. Je reviens en ce lieu, ministre diligent, De crainte que notre homme, allant chez le notaire, Ne fasse encor trop tôt découvrir le mystère. Déjà d'un créancier il m'a débarrassé. Je ris, lorsque je pense à ce qui s'est passé : Je les ai mis aux mains d'une ardeur assez vive. Parbleu, vive les gens pleins d'imaginative ! Mais j'aperçois Finette ; et mon coeur amoureux Se sent, en la voyant, brûler de nouveaux feux, En attendant qu'il vienne, Souffre que mon amour un moment t'entretienne, Et que j'offre mon coeur à tes charmants attraits. Ah ! Cela ne vaut rien. Il est dur quelquefois et brutal comme un chien. Pour les lettres, d'accord ; c'est un dépôt stérile, Dont la garde, à mon sens, est assez inutile : Mais pour le portrait d'or, attendu le métal, Le cas, à mon avis, ne paraît pas égal. Quand le besoin d'argent nous presse et nous harcèle, Tu sais, ma pauvre enfant, qu'on troque la vaisselle. Mous nous sommes trouvés dans de grands embarras. Mais, depuis quelque temps, un oncle, un honnête homme, (À peine pouvons-nous dire comme il se nomme) A bien voulu descendre aux ténébreux manoirs, Pour nous mettre à notre aise, et nous faire ses hoirs : Soixante mille écus d'argent sec et liquide Ont mis notre fortune en un vol bien rapide. Je dis la vérité. Bon ! Nous avons appris le mal de ce bon homme, La mort, le testament, et reçu notre somme, Dans le temps que tu mets à me le demander. Mon maître est diablement habile à succéder. Sois-en juge toi-même. Tu vois bien qu'il ferait une sottise extrême, S'il se piquait encor d'avoir des feux constants : Il faut bien, dans la vie, aller selon le temps. À son exemple aussi je quitte les soubrettes : Mon amour veut dompter des coeurs d'un plus haut rang : Je prends un vol plus fier, et suis haussé d'un cran. Mes mains de cet argent seront dépositaires ; Et je vais me jeter, je crois, dans les affaires. Devant qu'il soit deux ans, Je veux que l'on me voie, avec des airs fendants, Dans un char magnifique, allant à la campagne, Ébranler les pavés sous six chevaux d'Espagne. Un Suisse à barbe torse, et nombre de valets, Intendants, cuisiniers, rempliront mon palais : Mon buffet ne sera qu'or et que porcelaine ; Le vin y coulera, comme l'eau dans la Seine : Table ouverte à dîner ; et les jours libertins, Quand je voudrai donner des soupers clandestins, J'aurai, vers le rempart, quelque réduit commode, Où je régalerai les beautés à la mode, Un jour l'une, un jour l'autre ; et je veux, à ton tour, Et devant qu'il soit peu, t'y régaler un jour. Pour toi ma tendresse est extrême. Mais quelqu'un vient ici. C'est Ménechme lui-même. À vos ordres, monsieur, vous me voyez rendu. Pour moi, dans pareil cas, toujours j'en use ainsi. Il n'est plus temps de feindre ; Si vous l'avez reçu, dites-le sans façon : C'est pousser assez loin votre discrétion. Voyons donc, je vous prie, Mettons l'original auprès de la copie. Par ma foi, c'est vous-même ; et vous voilà parlant : Jamais peintre ne fit portrait si ressemblant. Pour éviter, monsieur, de plus longue querelle, Rendez-lui son portrait, et vous défaites d'elle. Vous savez ce que c'est qu'une amante en courroux : Les enfers déchaînés seraient cent fois plus doux. Quoi qu'il dise, l'amour le tient, encore au coeur : Je vais le ramener un peu par la douceur. Tu reviendras tantôt, je te ferai tout rendre. Quand on est, comme vous, jeune, aimable et bien fait, À ces petits malheurs on est souvent sujet. Entre amants, tel dépit n'est qu'une bagatelle ; Je veux, dès aujourd'hui, vous remettre avec elle. Mais je vois le Marquis ; il tourne ici ses pas. Les cent louis nous vont donner de l'embarras. C'est un de vos amis, Sans doute, et des plus chers. Monsieur... Il m?en vient dans l'esprit quelque confuse idée Il nous tuera tous deux. Quand vous ne serez plus, De quoi vous serviront quarante mille écus ? Lui n'a plus rien à perdre. Voilà plus de moitié, monsieur, de votre dette ; Demain on vous fera votre somme complète. Vous ne voulez donc pas que je vous y conduise ? Le pauvre diable en a, par ma foi, tout son soûl ; Il faudra qu'il décampe, ou qu'il devienne fou ; Pour peu de temps encor qu'en ces lieux il habite, De tous ses créanciers mon maître sera quitte. Quelle aubaine ! Le bien vous vient de toutes parts. De grâce, laissez-moi promener mes regards Sur ces billets moulés, dont l'usage est utile. La belle impression ! Les beaux noms ! Le beau style ! Ce sont là les billets qu'il faut négocier, Et non pas vos poulets, vos chiffons de papier, Où l'amour se distille en de fades paroles, Et qui ne sont partout pleins que de fariboles. Vous ignorez encor quel bonheur est le vôtre ; Votre frère pour vous vient encor d'être pris. Le Marquis, qui jadis nous prêta cent louis, Est venu brusquement lui demander la somme. Votre frère d'abord a rembarré son homme ; Mais lui, sourd aux raisons qu'il a pu lui donner, A voulu sur-le-champ le faire dégainer. Notre jumeau prudent n'en a voulu rien faire ; Et, mettant à profit mon conseil salutaire, Il en a délivré plus de moitié comptant, Que le Marquis a pris toujours en rabattant. Vos obligations ne sont pas si parfaites ; Car avec Isabelle il vous a mis fort mal. Oui vraiment. Il est un peu brutal, Ainsi que j'ai tantôt eu l'honneur de vous dire : Il a sur son chapitre étendu sa satire, Et tenu, face à face, un propos aigre-doux, Qu'on met sur votre compte, et que l'on croit de vous. Isabelle est sortie à tel point courroucée... Voilà le quiproquo. Écoutez, sans tant vous émouvoir. Mon Dieu ! Non. Sans sujet vous en venez aux prises. Je vais dans un moment dissiper ce soupçon : Tous deux vous avez tort, et vous avez raison. Tout ce petit grabuge Entre vous excité va finir en deux mots. Monsieur vous a tantôt tenu certains propos Assez durs, dites-vous ? Paix donc, point tant de pétulance. Je ne dirai plus rien, si vous parlez toujours. L'homme qui vous a fait d'impertinents discours, C'est lui, sans être lui : ce n'est que son image, De taille, de façon, de nom, et de visage ; Et quoique l'un soit l'autre, ils diffèrent entre eux ; Tous les deux ne font qu'un, et cependant font deux. Ainsi, c'est l'autre lui, vêtu de ses dépouilles, Le portrait de monsieur, qui vous a chanté pouilles. La chose, j'en conviens, ne paraît pas trop claire : Mais sachez que monsieur en ces lieux a son frère, Frère jumeau, semblable et d'habit et de traits, Dont la langue à tantôt sur vous lancé ses traits. Vous l'avez pris pour lui ; mais quoiqu'il soit semblable L'autre est un faux brutal, voici le véritable. Pour ne vous plus tromper, regardez ce signal ; Il doit, dans l'embarras, vous servir de fanal. Mais n'allez pas tantôt, par-devant le notaire, Épouser l'un pour l'autre, et prendre le contraire : Vous apprendrez par là quel est le vrai des deux. Trêve de compliments. Quand vous serez époux, Il vous sera permis de tout dire entre vous. La gloire en d'autres lieux vous et moi nous appelle. Que madame à présent en paix rentre chez elle. Nous, courons au contrat ; et qu'un heureux destin, Comme il a commencé, mette l'affaire à fin. Hé ! Qu'est-ce donc, messieurs ? Voilà bien du grabuge ! Sans doute, en belle espèce. Soixante mille écus, que votre oncle vous laisse, Vous ont été comptés en argent ou valeur. Oui, je soutiens que la somme A tantôt été mise entre les mains d'un homme Semblable à vous d'habit, de mine, de hauteur, Qui prétend épouser la fille de monsieur ; Il s'appelle Ménechme, il est de Picardie ; Et, si vous le niez, c'est une perfidie. Je lèverai la main de tout ce que j'ai dit. Puisque chacun ici prend ce qui lui convient, Par droit d'aubaine aussi, Finette m'appartient. Chacun, Finette, ici songe à se marier ; Marions-nous aussi, pour nous désennuyer. Que crains-tu ? J'en fais une cent fois bien plus grande que toi ; Et je ne laisse pas de te donner ma foi. Messieurs, j'ai réussi dans l'hymen qui s'apprête ; De myrte et de laurier je vais ceindre ma tête : Mais si je méritais vos applaudissements, Ce jour mettrait le comble à mes contentements. **** *creator_regnard *book_regnard_menechmes *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_menechmes *dist2_regnard_verse_comedy *id_ROBERTIN *date_1705 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_robertin Je vois avec plaisir toute la compagnie, Dans un jour plein de joie, en ce lieu réunie. Je crois que ma présence ici ne déplaît pas, Surtout à la future : elle a beaucoup d'appas ; Mais un époux bien fait, tel que l'Amour lui donne, Malgré tous ses attraits, manquait à sa personne : Elle n'a maintenant plus rien à désirer. Monsieur ne pense pas aussi ce qu'il vous dit. Votre beauté le charme autant que votre esprit. Je stipule, pour lui, que c'est un honnête homme. Et dans lui l'on renomme La franchise du coeur qu'il a par préciput. Puisque, comme je crois, vous êtes tous d'accord, Il nous faut procéder. Voici donc le contrat... Tout ce qui vous convient est toujours le meilleur. Je n'aurais pas usé de tant de diligence, Si vous n'étiez venu chez moi me faire instance De vouloir achever le contrat au plus tôt. Oui, monsieur. Tantôt... Vous ; oui, vous. Au logis où j'habite, Vous m'avez fait l'honneur de me rendre visite : Mais je l'ai bien payé. Soixante mille écus N'ont pas rendu vos pas ni vos soins superflus. Vous vous divertissez, vous avez de quoi rire. Oui, l'on me nomme ainsi. Et, de plus, honnête homme. Je les avais ; mais je ne les ai plus. N'est-ce pas Ménechme qu'on vous nomme ? C'est à vous que j'ai remis la somme, En bon argent comptant, ou billets au porteur, Dont j'ai votre quittance ; et c'est là le meilleur. Quoi ! Monsieur, vous auriez l'audace et l'impudence,... De nier hardiment de les avoir reçus ? Voilà, je vous l'avoue, un fourbe détestable. Vous voyez s'il se peut un plus méchant esprit, Plus noir, plus scélérat. Hélas ! Qu'alliez-vous faire ? Je vous embarquais là dans une belle affaire ! Quel prodige en ces lieux ! Moi, je vous prends tous deux. Je veux que l'on m'instruise En quelles mains enfin cette somme est remise. L'un de vous a touché soixante mille écus. Je n'ai rien fait de mal dans toute cette affaire, Et j'ai du testateur suivi l'intention. Il laisse à son neveu cette succession : Monsieur l'est comme vous ; vous n'avez rien à dire. **** *creator_regnard *book_regnard_menechmes *style_verse *genre_comedy *dist1_regnard_verse_comedy_menechmes *dist2_regnard_verse_comedy *id_MONSIEURCOQUELET *date_1705 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurcoquelet De mon petit devoir humblement je m'acquitte J'ai, ce matin, monsieur, appris votre retour, Et je viens des premiers vous donner le bonjour. Nous étions tous pour vous dans une peine extrême ; Car, dans notre maison, tout le monde vous aime, Moi, ma fille, ma femme : elles tremblaient de peur Qu'il ne vous arrivât quelque coup de malheur. Nous le devons, monsieur, pour plus d'une raison : Vous êtes dès longtemps ami de la maison. Votre bonne santé, plus que l'on ne peut croire, Me charme et me ravit. Voici certain mémoire Qu'avant votre départ je vous fis arrêter, Et que vous me paierez, je crois, sans contester. J'ai, pendant votre absence, Obtenu contre vous certain mot de sentence, Et par corps. Mais, bénin créancier, J'ai différé toujours d'en charger un huissier : De poursuites, d'exploits, il vous romprait la tête. Oh ! Vous le savez bien. Pourriez-vous oublier? Oui, vraiment, je l'ignore. Ciel ! Que me dites-vous ? Quel triste événement ! Et comment se peut-il qu'à son âge... Je plains bien le malheur qui vous est survenu ; Mais je puis assurer que le tout m'est bien dû. Vous savez... Monsieur, souvenez-vous que ce sont des habits Qu'à votre régiment l'an passé je fournis. Je suis marchand fripier, Mon nom est Coquelet, syndic et marguillier. Si vous avez perdu, par malheur, la mémoire, Les articles sont tous contenus au mémoire. Déchirer un billet !... Le jeter à la face !... Vous êtes un fripon. Je vous ferai bien voir... Un mémoire arrêté ! C'est un crime effroyable et digne des galères. Je veux être payé ; je me moque du reste. Oui, je pars : mais peut-être, avant qu'il soit une heure, Je lui ferai changer de ton et de demeure. Serviteur.