**** *creator_regnard *book_regnard_retourimprevu *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_retourimprevu *dist2_regnard_prose_comedy *id_GERONTE *date_1700 *sexe_masculin *age_veteran *statut_exterieur *fonction_autres *role_geronte Enfin, après bien des travaux et des dangers, voilà, grâce au ciel, mon voyage heureusement terminé ; je retrouve ma chère maison, et je crois que mon fils sera bien sensible au plaisir de me revoir en bonne santé. Les enfants ont bien de l'obligation aux pères qui se donnent tant de peine pour leur laisser du bien. Je ne veux pas différer davantage à rentrer chez moi, et à donner à mon fils le plaisir que lui doit causer mon retour : je crois que le pauvre garçon mourra de joie en me voyant. Je crois, si je ne me trompe, que voilà Merlin. Oui, c'est moi, Merlin. Comment te portes-tu ? Voilà qui est bien. Entrons au logis. Non ; je suis venu par le carrosse de Bordeaux, où mon vaisseau est heureusement abordé depuis quelques jours... Mais nous serons aussi bien... Comment se porte mon fils ? A-t-il eu grand soin de mes affaires ; et mes deniers ont-ils bien profité entre ses mains ? Que tu me fais de plaisir, Merlin, de m'apprendre une si bonne nouvelle ! Je trouverai donc une grosse somme d'argent qu'il aura amassée ? Comment, point du tout ! Voilà ce que c'est de donner aux enfants de bonnes leçons et de bons exemples à suivre. Je me meurs d'impatience de l'embrasser : allons, Merlin. Quelle affaire avez-vous donc ? Qu'est-ce que cela veut dire, Merlin ? Clitandre vous doit deux mille écus ? Que voulez-vous dire avec votre ladre et votre fesse-mathieu ? Merlin... Et tu dis qu'il a été d'une si bonne conduite ! Comment ! Emprunter deux mille écus d'un usurier ! Car je vois bien, à la mine, que monsieur est du métier. Tu appelles cela l'effet d'une bonne conduite ? Une maison de dix mille écus ! Au contraire, je ne me sens pas de joie. Oh çà, monsieur, ce Clitandre, qui vous doit de l'argent, est mon fils. Ne vous mettez point en peine de vos deux mille écus ; j'approuve l'emploi que mon fils en a fait. Revenez demain, c'est de l'argent comptant. Et, dis-moi un peu, dans quel endroit de la ville mon fils a-t-il acheté cette maison ? Oui. Il y a des quartiers meilleurs les uns que les autres ; celui-ci, par exemple... Bon, tant mieux. Où cela ? Oui. Hé bien ? Je ne saurais voir cela d'ici. Ne serait-ce point la maison de madame Bertrand ? Oui vraiment. Mais pourquoi cette femme-là vend-elle ses héritages ? Elle est devenue folle ! Mais elle n'avait point de fils quand je suis parti. Non assurément. Je suis fâché de son accident. Mais je m'amuse ici trop longtemps ; fais-moi ouvrir la porte. Te voilà bien consterné ! Serait-il arrivé quelque accident à mon fils ? M'aurait-on volé pendant mon absence ? Explique-toi donc ; parle. Hé bien ! Ma maison, depuis six mois... Le diable s'est emparé de ma maison ? Tu te moques de moi ; cela n'est pas croyable. Mais, encore une fois, je crois que tu te moques de moi. Une frayeur soudaine commence à me saisir. Et dis-moi, je te prie, n'ont-ils point été dans ma cave ? Ah ! Je suis perdu ; j'ai caché en terre un sac de cuir où il y n vingt mille francs. Tout autant, mon pauvre Merlin. Dans la cave. À gauche en entrant, sous une grande pierre noire qui est à côté de la porte. Oui ; l'endroit n'est pas difficile à trouver. Toute en louis vieux. J'ai peine à me persuader tout ce que tu me dis : cependant on fait tant de contes sur ces matières-là, que je ne sais qu'en croire. Je m'en vais au-devant de mes hardes, et je reviens sur mes pas, pour voir ce qu'il faut faire en cette occasion. Qu'il y a de traverses dans la vie ! On ne saurait avoir un peu de bien que les hommes ou le diable ne cherchent à vous l'attraper. Je n'ai pas tardé, comme tu vois. J'ai trouvé mes gens à deux pas d'ici, et je les ai fait demeurer, parce qu'il m'est venu en pensée de mettre mes ballots dans cette maison que mon fils a achetée. Je ne la remets pas bien ; viens-t'en m'y conduire toi-même. Quoi ! Mais ? Elle y loge encore ! Je lui en parlerai d'une manière qui ne lui fera pas de peine. Allons, viens. Tu me fais perdre patience. Je veux absolument lui parler, te dis-je. Laisse-moi faire. Comme sa physionomie est changée ! Elle a les yeux hagards. Prêt à vous rendre mes petits services. Il faut prendre patience. On dit qu'il revient des esprits dans ma maison ; il faudra bien qu'ils en délogent, quand ils seront las d'y demeurer. Je voudrais bien, madame Bertrand, mettre dans votre maison quelques ballots que j'ai rapportés de mon voyage. Ah ! Madame, je ne prétends point abuser de l'état où vous êtes. Mais vraiment, Merlin, cette femme-là n'est pas si folle que tu disais. Dites-moi, madame Bertrand, êtes-vous toujours aussi sage, aussi raisonnable qu'à présent ? Mais si cela est, votre famille n'a point été en droit de vous faire interdire. Elle ne connaît pas son mal. Me faire enfermer ! Voilà la machine qui se détraque. Ça, çà, changeons de propos. Hé bien ! Qu'est-ce, madame Bertrand ? Êtes-vous fâchée qu'on ait vendu votre maison ? Du moins vaut-il mieux que mon fils l'ait achetée qu'un autre, et que nous profitions du bon marché. La, la, ne vous chagrinez point ; je prétends que vous y ayez toujours votre appartement comme si elle était à vous, et que vous fussiez dans votre bon sens. Oh, parbleu ! Puisque vous le prenez sur ce ton-là, vous sortirez de la maison ; elle m'appartient, et j'y ferai mettre mes ballots malgré vous. Mais voyez cette vieille folle ! Merlin, qu'est-ce que cela veut dire ? Il y a ici quelque fourberie ; je ne donne point là-dedans. Oui, monsieur, c'est moi-même. Monsieur, monsieur !... Tu es un fripon. Hé ! Que venez-vous de faire chez moi, monsieur, s'il vous plaît ? Le fripon me ruine. Il faut aller... Je n'entrerai pas dans ma maison ? Qu'est-ce à dire ? Que les quatre murailles ! Et ma belle tapisserie, qui me coûtait près de deux mille écus, qu'est-elle devenue ? Comment, bien vendre ! Une tenture comme celle-là ! Ah, pendard ! Oui vraiment ; ce sont deux originaux d'un fameux maître, qui représentent l'enlèvement des Sabines. Par délicatesse de conscience ! Je ne sais ce que c'est que votre nièce ; mais mon fils est un coquin, madame Bertrand. Allez au diable, avec votre galimatias. Mais que vois-je ? Mon sac et mes vingt mille francs qu'on emporte. Et mon fripon de fils ! Ah, misérable ! Ah, pendard ! Tu te moquais de moi ! Pouvez-vous donner quelque chose, et n'êtes-vous pas interdite ? Quoi ! La maison... Ah, malheureux ! Mais... Qu'on me rende mon argent, je me sens assez d'humeur à consentir à ce que vous voulez ; c'est le moyen de vous empêcher de faire pis. **** *creator_regnard *book_regnard_retourimprevu *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_retourimprevu *dist2_regnard_prose_comedy *id_CLITANDRE *date_1700 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_clitandre Hé ! Bonjour, ma chère Lisette. Comment te portes-tu, mon enfant ? Que fait ta belle maîtresse ? Va, cours, ma chère Lisette, la prier de se rendre au plus tôt ici ; je n'ai d'heureux moments que ceux que je passe avec elle. Que tu es impertinent avec tes réflexions ! Hé ! Mon ami, jouissons du présent ; n'ayons point de regret au passé, et ne lisons point des choses fâcheuses dans l'avenir. N'as-tu pas reçu de l'argent pour moi ces jours passés ? Bon. Bon. Bon. Voilà un petit rafraîchissement qui nous mènera quelque temps, et nous travaillerons ensuite sur nouveaux frais. Celui qui m'embarrasse le plus, c'est ce persécutant monsieur André ; et si, je ne lui dois que trois mille cinq cents livres. Nous trouverons des expédients pour nous parer de cet inconvénient. Si mon père peut être encore cinq ou six mois sans revenir, j'aurai tout le temps de réparer, par mon économie, les premiers désordres de ma jeunesse. Sans doute. Tu as raison, Merlin. Que tu parles aujourd'hui de bon sens, mon pauvre Merlin ! Cinq ou six. Il me l'a promis. Mais voici la charmante Lucile et sa cousine. Je n'ai jamais eu d'autres sentiments, belle Lucile ; et voilà votre amie qui peut vous en rendre témoignage. Je voudrais que le nôtre la pût engager à nous imiter ; et j'ai un jeune homme de mes amis qui s'est brouillé depuis quelques jours avec sa famille. Quelle affaire si pressée ?... Je ressens mon bonheur dans toute son étendue. Mais, dis-moi, je te prie, as-tu passé, comme tu m'avais promis, chez ce joaillier, pour ces diamants ? Les moments sont trop chers aux amants ; n'en perdons aucun. Il ne faut pas, mon père, abuser plus longtemps de votre crédulité. Tout ceci est un effet du zèle et de l'imagination de Merlin, pour vous empêcher d'entrer chez vous, où j'étais avec Lucile dans le dessein de l'épouser. Je vous demande pardon de ma conduite passée : consentez à ce mariage, je vous prie : on vous rendra votre argent ; et je promets que vous serez content de moi dans la suite. **** *creator_regnard *book_regnard_retourimprevu *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_retourimprevu *dist2_regnard_prose_comedy *id_MADAMEBERTRAND *date_1700 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madamebertrand Ah ! Vous voilà ! Je suis fort aise de vous rencontrer. Parlons ensemble un peu sérieusement, je vous prie, mademoiselle Lisette. Savez-vous bien que je suis fort mécontente de la conduite et des manières de ma nièce ? Elle ne fait rien que de mal ; et le pis que j'y trouve, c'est qu'elle garde auprès d'elle une coquine comme vous, qui ne lui donnez que de mauvais conseils, et qui la poussez dans un précipice où son penchant ne l'entraîne déjà que trop. Vous avez bien de la modération ! Comment, impudente ! Le dérèglement de mon imagination ! C'est le dérèglement de vos actions qui me fait parler ; et il n'y a rien de plus horrible que la vie que vous faites. Quelle ? Y a-t-il rien de plus scandaleux que la dépense que Lucile fait tous les jours ? Une fille qui n'a pas un sou de revenu ! C'est bien à elle d'avoir seule une grosse maison, des habits magnifiques ! Et comment la fait-elle, cette fortune ? Et la réputation se perd de même. Elle verra ce qui lui arrivera ; elle n'aura pas un sou de mon bien. Premièrement, ma fille unique ne veut plus être religieuse ; je m'en vais la marier : mon frère le chanoine, qui lui en veut depuis longtemps, la déshéritera ; car il est vindicatif. Patience, patience ; elle ne sera pas toujours jeune. Oui ! Fort bien ! Et tout le profit qui vous en demeurera, c'est que vous mourrez toutes deux à l'hôpital, et déshonorées encore, Un bon mariage ! Elle va se marier ? À la bonne heure, je ne m'en mêle point ; je la renonce pour ma nièce, et je ne prétends pas aider tromper personne. Adieu. Je crois que ce sera quelque belle alliance ! Comment ! Voilà monsieur Géronte de retour, je pense ! Quel dommage ! Le pauvre homme ! Il a quelque chose d'égaré dans la vue. Hé bien, qu'est-ce, monsieur Géronte ? Vous voilà donc de retour en ce pays-ci ? J'ai bien du chagrin, en vérité, du malheur qui vous est arrivé. Des esprits dans sa maison ! Il ne faut pas le contredire ; cela redoublerait son mal. Il ne se souvient pas que son vaisseau a péri : quelle pitié ! Je suis à votre service, et ma maison est plus à vous qu'à moi-même. Je ne pense pas, monsieur Géronte, qu'on m'ait jamais vue autrement. De me faire interdire, moi ! De me faire interdire ! Mais si vous n'êtes pas ordinairement plus fou qu'à présent, je trouve qu'on a grand tort de vous faire enfermer. On a vendu ma maison ? Mon pauvre monsieur Géronte, ma maison n'est point vendue, et elle n'est point à vendre. Qu'est-ce à dire, comme si j'étais dans mon bon sens ? Allez, vous êtes un vieux fou ; un vieux fou, à qui il ne faut point d'autre habitation que les Petites-Maisons ; les Petites-Maisons, mon ami. Vous n'avez qu'à y venir ; je vais vous y attendre. Hom ! L'extravagant ! Hâtez-vous de le faire enfermer : il devient furieux, je vous en avertis. Ah ! Vraiment, je viens d'apprendre de jolies choses, monsieur Géronte ; et votre fils, à ce qu'on dit, engage ma nièce dans de belles affaires. C'est cette coquine de Lisette et ma nièce. Lucile est ma nièce ; et si votre fils l'épouse, je lui donnerai un mariage dont vous serez content. **** *creator_regnard *book_regnard_retourimprevu *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_retourimprevu *dist2_regnard_prose_comedy *id_LUCILE *date_1700 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lucile Les démarches que vous me faites faire, Clitandre, ne peuvent être justifiées que par le succès qu'elles vont avoir ; et je serais entièrement perdue dans le monde, si le mariage ne mettait fin à toutes les parties de plaisir où je me laisse engager tous les jours. Et depuis quand, monsieur le Marquis, vous mêlez- vous d'aller à Versailles ? Il me semble que vous faites ordinairement votre cour à Paris. Avez-vous bien des écoliers ? **** *creator_regnard *book_regnard_retourimprevu *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_retourimprevu *dist2_regnard_prose_comedy *id_CIDALISE *date_1700 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_cidalise Je suis caution de la bonté de votre coeur, et vous touchez au moment de la justifier par vous-même. Mais moi qui n'entre pour rien dans l'aventure, et qui n'ai point en vue de conclusion, quel personnage est-ce que je fais dans tout ceci ? Et que dira-t-on, je vous prie ? Non ; ces sortes d'alliances-là ne me plaisent point. Je ne dépends de personne ; je veux prendre un mari aussi indépendant que moi. En vérité, monsieur le Marquis, vous vous êtes bien fait attendre. L'état de fille ne m'a point encore ennuyée. **** *creator_regnard *book_regnard_retourimprevu *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_retourimprevu *dist2_regnard_prose_comedy *id_LEMARQUIS *date_1700 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lemarquis Serviteur, mon ami. Ah, mesdames ! Je suis ravi de vous voir. Vous m'attendez, c'est bien fait : je suis l'âme de vos parties, j'en conviens ; le premier mobile de vos plaisirs, je le sais. Où en sommes-nous ? Le souper est-il prêt ? Épouserons-nous ? Aurons- nous du vin abondamment ? Allons, de la gaîté ; je ne me suis jamais senti de si belle humeur ; et je vous défie de m'ennuyer. Je vous assure, mesdames, qu'à moins de voler, on ne peut pas faire plus de diligence : il n'y a pas, en vérité, trois quarts d'heure que je suis parti de Versailles. Vous connaissez ce cheval barbe et cette jument arabe que je mets ordinairement à ma chaise ; il n'y a pas deux meilleurs animaux pour un rendez-vous de vitesse. Et un postillon... Un postillon, qui n'est pas plus gros que le poing, et qui va comme le vent. Si nous n'avions pas, nous autres, de ces voitures volantes-là, nous manquerions ln moitié de nos occasions. Hé bien, qu'est-ce, mon cher ? Te voilà au comble des plaisirs ; tu vas nager dans les délices : tu sais l'intérêt que je prends à tout ce qui te touche. Quelle félicité, lorsque deux cœurs bien épris approchent du moment attendu... là, qu'on se voit à la queue du roman. Sangaride, ce jour est un grand jour pour vous. Et vous, la belle cousine, qu'est-ce ? Le cœur ne vous en dit-il point ? Il faut que l'exemple vous encourage. Ne voulez-vous point, en vous mariant, payer vos dettes à l'amour et à la nature ? Fi ! Que cela est vilain d'être une grande inutile dans le monde ! Ce sera quand il vous plaira, au moins, que nous ferons quelque marché de cœur ensemble : je suis fait pour les dames ; et les dames, sans vanité, sont aussi faites pour moi. Je veux être déshonoré, si je ne vous trouve fort à mon g é : je me sens même de la disposition à vous aimer un jour à l'adoration, à la fureur ; mais point de mariage au moins, point de mariage ; j'aime les amours sans conséquence : vous m'entendez bien ? Il n'est pas connaissable depuis qu'il me hante, ce petit homme. Il est vrai que je n'ai pas mon pareil pour débourgeoiser un enfant de famille, le mettre dans le monde, le pousser dans le jeu, lui donner le bon goût pour les habits, les meubles, les équipages. Je le mène un peu raide ; mais ces petits messieurs-là ne sont-ils pas trop heureux qu'on leur inspire les manières de cour, et qu'on leur apprenne à se ruiner en deux ou trois ans ? À propos, où est Merlin ? Je ne le vois point ici : c'est un joli garçon ; je l'aime ; je le trouve admirable pour faire une ressource, pour écarter les créanciers, amadouer des usuriers, persuader des marchands, démeubler une maison en un tour de main. Que ton père a eu de prévoyance, d'esprit, de jugement, de te laisser un gouverneur aussi sage, un économe aussi entendu ! Ce coquin-là vaut vingt mille livres de rente, comme un sou, à un enfant de famille. Oui, c'est bien dit ; ne perdons point de temps. Je vous disais bien que Merlin était un joli garçon. Je me sens en disposition louable de bien boire du vin ; vous allez voir si j'en tiens raisonnablement. Allons, mesdames, qui m'aime me suive. Que veut donc dire tout ce tintamarre-là ? Vient-on, s'il vous plaît, faire tapage à la porte d'un honnête homme, et scandaliser toute une populace ? Il nous est revenu que le maître de ce logis vient d'arriver d'un long voyage : serait-ce vous par aventure ? Je vous en félicite. C'est quelque chose de beau que les voyages, et cela façonne bien un jeune homme : il faut savoir comme monsieur votre fils s'est façonné pendant le vôtre ; les jolies manières... Ce garçon-là est bien généreux : il ne vous ressemble pas ; vous êtes un vilain, vous. Nous avons eu bien du chagrin, bien du souci, bien de la tribulation de votre retour ; je veux dire, de votre absence : votre fils en a pensé mourir de douleur, en vérité ; il a pris toutes les choses de la vie en dégoût ; il s'est défait de toutes les vanités qui pouvaient l'attacher à la terre ; richesses, meubles, ajustements. Ce garçon-là vous aime, cela n'est pas croyable. Ne le voyez-vous pas bien sans que je vous le dise ? J'y viens de boire du bon vin de Champagne, et en fort bonne compagnie. Votre fils est encore à table, qui se console de votre absence du mieux qu'il est possible. Halte là, s'il vous plaît, je ne souffrirai pas que vous entriez là-dedans. Non ; les lieux ne sont pas disposés pour vous recevoir. Il serait beau, vraiment, qu'au retour d'un voyage, après une si longue absence, un fils qui sait vivre, et que j'ai façonné, eût l'impolitesse de recevoir son très cher et honoré père dans une maison où il n'y a que les quatre murailles ! Nous en avons eu dix-huit cents livres ; c'est bien vendre. Fi ! Le sujet était lugubre ; elle représentait la brûlure de Troie : il y avait là-dedans un grand vilain cheval de bois qui n'avait ni bouche ni éperons : nous en avons fait un ami. N'aviez-vous pas aussi deux grands tableaux qui représentaient quelque chose ? Justement : nous nous en sommes aussi défaits, mais par délicatesse de conscience. Un homme sage, vertueux, religieux comme monsieur Géronte ! Ah ! Il y avait là une immodeste Sabine, décolletée, qui... Fi ! Ces nudités-là sont scandaleuses pour la jeunesse. Ne nous plaignons point les uns des autres, et ne parlons point mal des absents ; il ne faut point condamner les personnes sans les entendre. Un peu d'attention, monsieur Géronte. Il est constant que si.... vous prenez les choses du bon côté... quand vous serez content, tout le monde le sera... D'ailleurs, comme dans tout ceci il n'y a pas de votre faute, vous n'avez qu'à ne point faire de bruit, on n'aura pas le mot à vous dire. C'est bien dit ; cela me plaît. Touchez là, monsieur Géronte ; vous êtes un brave homme : je veux boire avec vous : allons nous remettre à table. Cela est heureux que vous soyez venu tout à propos pour être de la noce. **** *creator_regnard *book_regnard_retourimprevu *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_retourimprevu *dist2_regnard_prose_comedy *id_LISETTE *date_1700 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lisette Aussi sérieusement qu'il vous plaira, Madame Bertrand. Comment donc, madame ! Que fait-elle de mal, s'il vous plaît ? Voilà un discours très sérieux au moins, madame ; et si je répondais aussi sérieusement, la fin de la conversation pourrait bien faire rire ; mais le respect que j'ai pour votre âge, et pour la tante de ma maîtresse, m'empêchera de vous répondre avec aigreur. Il serait à souhaiter, madame, que vous en eussiez autant : vous ne seriez pas la première à scandaliser votre nièce, et à la décrier, comme vous faites, dans le monde, par des discours qui n'ont point d'autre fondement que le dérèglement de votre imagination. Comment donc, madame ! Quelle vie faisons-nous, s'il vous plaît ? Nous avons du crédit, madame. Est-il défendu de faire fortune ? Fort innocemment : elle boit, mange, chante, rit, joue, se promène ; les biens nous viennent en dormant, je vous assure. Hé ! Vraiment, c'est pour cela que nous songeons à profiter de la belle saison. Oh ! Pour cela, non, madame ; un bon mariage va nous mettre à couvert de la prédiction. Oui, madame. Nous ferons bien nos affaires sans vous ; ne vous mettez pas en peine. Ce sera un mariage dans toutes les formes ; et quand il sera fait, vous serez trop heureuse de nous faire la cour, et d'être la tante de votre nièce. Quoi ! Tu ne connais pas madame Bertrand, la tante de ma maîtresse ? C'est une femme fort à son aise, qui a de bonnes rentes sur la Ville, des maisons à Paris. Lucile est fort bien apparentée, au moins. Il ne faut désespérer de rien ; cela peut venir. S'il lui mourait trois oncles, deux tantes, trois couples de cousins germains, deux paires de neveux et autant de nièces, elle se trouverait une fort grosse héritière. Le parti n'est pas mauvais dès à présent ; et la beauté... Et elle, absolument déterminée à épouser ton maître. Comment donc ? Que veux-tu dire ? Ah, ah ! Tu es encore un plaisant visage, de croire que Clitandre puisse jamais se repentir d'avoir épousé Lucile, une fille que j'ai élevée ! Une fille belle, jeune, et bien faite ! Une fille aisée à vivre ! Une fille sage et vertueuse ! Parle donc, maraud ; que veux-tu dire ? Il est d'un naturel trop prodigue pour devenir jamais trop économe. A-t-il donné de bons ordres pour le régal d'aujourd'hui ? Tant mieux ; j'aime la bonne chère. Mais voici ton maître. Elle est chez elle avec Cidalise. Que vous êtes bien faits l'un pour l'autre ! Elle s'ennuie à la mort quand elle ne vous voit point : elle ne tardera pas, je vous en réponds. Prenez-en quelqu'un, madame : plus on est de fous, plus on rit. Allons, déterminez-vous. Cela serait beau, qu'un Marquis fût le premier au rendez-vous ! On croirait qu'il n'aurait rien à faire. Vraiment, ce discours-là est assez clair ; il n'a pas besoin de commentaire. Quoi ! Monsieur le Marquis... Ah, mon pauvre Merlin ! Est-il vrai que le père de ton maître est arrivé ? Un trésor ! Vingt mille francs ! Mais si... **** *creator_regnard *book_regnard_retourimprevu *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_retourimprevu *dist2_regnard_prose_comedy *id_MONSIEURANDRE *date_1700 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurandre Bonjour, monsieur Merlin. Savez-vous bien, monsieur Merlin, que je suis las de venir tous les jours sans trouver votre maître, et que, s'il ne me paie aujourd'hui, je le ferai coffrer demain, afin que vous le sachiez. Une affaire de deux mille écus qui me sont dûs par son maître, dont j'ai le billet, et, en vertu d'icelui, une bonne sentence par corps, que je vais faire mettre à exécution. Oui, justement, Clitandre, un enfant de famille, dont le père est allé je ne sais où, et qui sera bien surpris, à son retour, quand il apprendra la vie que son fils mène pendant son absence. Autant que le fils est joueur, dépensier et prodigue, autant le père, à ce qu'on dit, est un vilain, un ladre, un fesse-mathieu. Ce n'est pas de vous dont je veux parler ; c'est du père de Clitandre, qui est un sot, un imbécile. Oui, monsieur ; et je vous crois aussi de la profession. J'en ai bien de la joie. Soit. Je suis votre valet. **** *creator_regnard *book_regnard_retourimprevu *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_retourimprevu *dist2_regnard_prose_comedy *id_MERLIN *date_1700 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_merlin Bonjour, ma chère enfant. Qui est cette vieille madame avec qui tu étais en conversation ? Si fait vraiment, je ne connais autre ; je ne l'avais pas bien envisagée. Oui, mais elle n'en est pas plus riche. Comment diable ! Mais sais-tu bien qu'en temps de peste, cette fille-là pourrait devenir un très gros parti ? Tu as raison, sa beauté lui tient lieu de tout, et mon maître est absolument déterminé à l'épouser. Il y aura peut-être quelque tribulation à essuyer au retour de notre bon homme de père : mais il ne reviendra pas si tôt ; nous aurons le temps de nous préparer ; et mon maître ne sera pas malheureux, s'il n'a que ce chagrin-là de son mariage. Le mariage est sujet à de grandes révolutions. Tant pis. Il n'y a pas là de quoi se rassurer. La plupart des filles ne le sont que trop. Et c'est toi qui l'as élevée ? Tiens, veux-tu que je te parle franchement ? Cette alliance ne me plaît point du tout ; et je ne prévois pas que nous y trouvions notre compte ni I'un ni l'autre. Clitandre fait de la dépense, parce qu'il est amoureux : l'amour rend libéral ; le mariage corrige l'amour. Si mon maître devenait avare, où en serions nous ? Je t'en réponds. Trois garçons de la Guerbois viennent d'arriver avec tout leur attirail de cuisine ; Camel, le fameux Camel, marchait à leur tête. L'illustre Forel a envoyé six douzaines de bouteilles de vin de Champagne comme il n'y en a point : il l'a fait lui-même. Hé bien, monsieur, vous allez donc épouser ? Vous voici, grâce au ciel, bientôt à la conclusion de votre amour, et à la fin de votre argent. C'est vraiment bien fait, de terminer ainsi toutes ses affaires. Mais, s'il vous plaît, qu'allons-nous faire en attendant le retour de monsieur votre père, qui est en Espagne depuis un an pour les affaires de son commerce ? Et que ferons-nous quand il sera revenu ? Il n'y a que trois semaines que j'ai touché une demi-année d'avance de ce fermier à qui vous avez donné quittance de l'année entière. J'ai reçu, l'autre semaine, dix-huit cents livres de ce curieux, pour ces deux grands tableaux dont votre père avait refusé deux mille écus quelque temps avant que de partir. Bon ? J'ai encore eu deux cents louis d'or de ce fripier, pour cette tapisserie que monsieur votre père avait achetée, il y a deux ans, cinq mille francs, à un inventaire. Oui, oui, nous avons fait de bons marchés pendant son absence, n'est-ce pas ? Travaillez-y donc vous-même ; car pour moi je fais conscience d'être l'instrument et la cheville ouvrière de votre ruine ; c'est par mes soins que vous avez trouvé le moyen de dissiper plus de dix mille écus, sans compter douze ou quinze mille francs que vous devez encore à plusieurs quidams, usuriers ou notaires (c'est presque la même chose), qui nous vont tomber sur le corps au premier jour. Il ne vous a prêté que cela ; mais vous avez fait le billet de deux mille écus. Il a, depuis quatre jours, obtenu contre vous une sentence des consuls ; et il ne serait pas plaisant que, le jour de la noce, il vous coucher au Châtelet. Hé ! Quel expédient trouver ? Nous avons fait argent de tout : les revenus sont touchés d'avance ; la maison de la ville est démeublée à faire pitié ; nous avons abattu les bois de la maison de campagne, sous prétexte d'avoir de la vue. Pour moi, je vous avoue que je suis à bout. Assurément. Et monsieur votre père, de son côté, ne travaille-t-il pas à reboucher tous ces trous-là ? Il vaut mieux que vous fassiez toutes ces sottises-là de son vivant qu'après sa mort ; il ne serait plus en état d'y remédier. Allez, monsieur, vous n'avez pas tant de tort qu'on dirait bien. Monsieur votre père fera un gros profit pendant son voyage ; vous aurez fait une grosse dépense pendant son absence : quand il reviendra, de quoi aura-t-il à se plaindre ? Ce sera comme s'il n'avait bougé de chez lui ; et, au pis aller, ce sera lui qui aura eu tort de voyager. Entre nous, ce n'est pas un grand génie que monsieur votre père ; je l'ai mené autrefois par le nez, comme vous savez ; je lui fais accroire ce que je veux : et quand il reviendrait présentement, je me sens encore assez de vigueur pour vous tirer des affaires les plus épineuses. Allons, monsieur, grande chère et bon feu ; le courage me revient. Combien serez-vous à table aujourd'hui ? Et votre bon ami le Marquis, soi-disant tel, qui vous aide à manger si généreusement votre bien, et qui n'est qu'un fat au bout du compte, y sera-t-il ? On dira qu'on se fait pendre par compagnie ; et par compagnie, il ne tiendra qu'à vous de vous faire épouser : mon maître a tant d'amis ! Vous n'avez qu'à dire. Je me donne au diable, pendant que nous sommes en train, il me prend envie d'épouser Lisette aussi par compagnie, moi ; c'est une chose bien contagieuse que l'exemple. Voilà le vrai moyen de le raccommoder. Le coeœur vous en dit-il ? C'est bien fait ; il n'est rien tel que d'avoir tous deux la bride sur le cou. Mais voici votre Marquis qui vient au rendez-vous. Je vais voir si tout se prépare pour votre souper. Messieurs et mesdames, quand vous voudrez entrer, le souper est tout prêt. Voilà, Dieu merci, les affaires en bon train : nos amants sont en joie ; fasse le ciel que cela dure longtemps ! Mais que vois-je ? Voilà, je crois, Jaquinet, le valet de notre bon homme. Et vous le mal revenu. Monsieur Jaquinet, comment t'en va ? Comment, vous avez fait un bon voyage ! Tu n'es donc pas venu tout seul ? Voilà une nouvelle qui le réjouira fort. Qu'allons-nous faire ? Je ne suis pas celui qu'elle chagrinera le plus. Tout est perdu. Et, dis-moi, le bon homme a-t-il affaire pour longtemps à cette douane ? Dans un moment ! Où me fourrerai-je ? Je ne saurais. Ah ! Le maudit vieillard ! Revenir si mal à propos, et ne pas avertir qu'il revient, encore ! Cela est bien traître ! Oh ! Non ; elles sont toutes dérangées, de par tous les diables. Jaquinet, mon pauvre Jaquinet, aide-moi un peu à sortir d'intrigue, je te prie. Va te reposer ; entre au logis, tu trouveras bonne compagnie : ne t'effarouche point, on te fera boire de bon vin de Champagne. Dis à mon maître que son père est de retour, mais qu'il ne s'embarrasse point : je vais l'attendre ici, et tâcher de faire en sorte que nous puissions... Je me donne au diable, si je sais comment m'y prendre. Dis-lui qu'il se tienne en repos ; et toi, commence par t'enivrer, et tu t'iras coucher. Bonsoir. Allons, Merlin, de la vivacité, mon enfant, de la présence d'esprit, Ceci est violent : un père qui revient en impromptu d'un long voyage ; un fils dans la débauche, sa maison en désordre, pleine de cuisiniers ; les apprêts d'une noce prochaine ! Il faut se tirer d'embarras pourtant. Ah ! Le voici. Tenons-nous un peu à l'écart, et songeons d'abord aux moyens de l'empêcher d'entrer chez lui. Nous le serions bien davantage à celui de te savoir encore bien loin d'ici. Oui ; mais ils n'en ont guère à ceux qui reviennent si mal à propos. Je le tiens déjà plus que demi-mort. Mais il faut l'aborder. Que vois-je ? Juste ciel ! Suis-je bien éveillé ? Est-ce un spectre ? Mais vraiment ! C'est monsieur Géronte lui-même, ou c'est le diable sous sa figure. Sérieusement parlant, serait-ce vous, mon cher maître ? Vous voyez, monsieur, fort à votre service, comme un serviteur fidèle, gai, gaillard, et toujours prêt à vous obéir. Nous ne vous attendions point, je vous assure ; et vous êtes tombé des nues pour nous, en vérité. Que vous vous portez bien ! Quel visage ! Quel embonpoint ! Il faut que l'air du pays d'où vous venez soit merveilleux pour les gens de votre âge. Vous y deviez bien demeurer, monsieur, pour votre santé,.... et pour notre repos. Oh ! Pour cela, je vous en réponds ; il s'en est servi d'une manière... Vous ne sauriez comprendre comme ce jeune homme-là aime l'argent : il a mis vos affaires dans un état... dont vous serez étonné, sur ma parole. Point du tout, monsieur. Et non, vous dis-je : ce garçon-là est bien meilleur ménager que vous ne pensez ; il suit vos traces ; il fatigue son argent à outrance ; et sitôt qu'il a des pistoles, il les fait travailler jour et nuit. Il n'est pas au logis, monsieur ; et si vous êtes si pressé de le voir... Votre valet, monsieur André, votre valet. Voilà un coquin d'usurier qui prend bien son temps pour venir demander de l'argent. Nous voilà gâtés. Je vous l'expliquerai tantôt : ne vous mettez pas en peine. C'est un maraud qui le ferait comme il le dit. Cela va mal. Il vous dit vrai, monsieur ; Clitandre lui doit deux mille écus. Oui, monsieur ; c'est un effet de sa bonne conduite de devoir cet argent-là. Comme les honnêtes gens se connaissent ! Paix, ne dites mot. Quand vous saurez le fond de cette affaire-là, vous serez charmé de monsieur votre fils ; il a acheté une maison de dix mille écus. Qui en vaut plus de quinze ; et comme il n'avait que vingt-quatre mille francs d'argent comptant, pour ne pas manquer un si bon marché, il a emprunté les deux mille écus en question de l'honnête fripon que vous voyez. Vous n'êtes plus si fâché que vous étiez, je gage ? Et monsieur est son père, entendez-vous ? Dans quel endroit ? Mais vraiment, c'est aussi dans celui-ci qu'il l'a achetée. Tenez, voyez-vous bien cette maison couverte d'ardoise, dont les fenêtres sont reblanchies depuis peu ? Ce n'est pas celle-là ; mais un peu plus loin, à gauche, là... Cette grande porte cochère qui est vis-à-vis de cette autre qui est vis-à-vis d'elle, là.... Dans cette autre rue. Ce n'est pas ma faute. Justement, de madame Bertrand ; la voilà : c'est une bonne acquisition, n'est-ce pas ? On ne prévoit pas tout ce qui arrive. Il lui est survenu un grand malheur ; elle est devenue folle. Oui, monsieur. Sa famille l'a fait interdire ; et son fils, qui est un dissipateur, a donné sa maison pour moitié de ce qu'elle vaut. Je m'embourbe ici de plus en plus. Elle n'en avait point ? Il faut donc que ce soit sa fille. Ouf ! Nous voilà dans la crise. Non, monsieur. Pas tout à fait... Que lui dirai-je ? J'ai peine à retenir mes larmes. N'entrez pas, monsieur. Votre maison, cette chère maison que vous aimez tant... depuis six mois... Le diable s'en est emparé, monsieur ; il nous a fallu déloger à mi-terme. Oui, monsieur : il y revient des lutins si lutinants... C'est ce qui a obligé votre fils à acheter cette autre maison ; nous ne pouvions plus demeurer dans celle-là. Il n'y a sorte de niches qu'ils ne m'aient faites ; tantôt ils me chatouillaient la plante des pieds, tantôt ils me faisaient la barbe avec un fer chaud ; et, toutes les nuits régulièrement, ils me donnaient des camouflets qui puaient le soufre... Point du tout, monsieur : qu'est-ce qu'il m'en reviendrait ? Nous avons vu là-dessus les meilleures devineresses de Paris, la Duverger même ; il n'y a pas moyen de les faire déguerpir : ce diable-là est furieusement tenace ; c'est celui qui possède ordinairement les femmes, quand elles ont le diable nu corps. Hélas ! Monsieur, ils ont fourragé partout. Vingt mille francs ! Quoi, monsieur ! Il y a vingt mille francs dans votre maison ? Ah ! Voilà ce que c'est ; les diables cherchent les trésors, comme vous savez. Et en quel endroit ? Dans la cave ? Justement, c'est là où ils font leur sabbat. Ah ! Si nous l'avions su plus tôt... Et de quel côté, s'il vous plaît ? Sous une grande pierre noire ! Vingt mille francs ! Vous deviez bien nous en avertir ; vous nous eussiez épargné bien de l'embarras. C'est à gauche en entrant, dites-vous ? Je le trouverai bien. Mais savez-vous bien, monsieur, que vous jouiez là à nous faire tordre le cou ? Et toute la somme est-elle en or ? Bon, elle en sera plus aisée à emporter. Oh çà, monsieur, puisque nous savons la cause du mal, il ne sera pas difficile d'y remédier ; je crois que nous en viendrons à bout : laissez-moi faire. Le diable n'aura pas celui-ci. Cela n'est que trop vrai : mais, pour nous en consoler, j'ai trouvé un trésor. Il y a dans la cave, en entrant, à gauche, sous une grande pierre noire, un sac de cuir qui contient vingt mille francs. Oui, mon enfant ; je te dirai cela plus amplement : cours au sac, au sac ; c'est le plus pressé. Que le diable, t'emporte avec tes si et tes mais. J'entends monsieur Géronte qui revient sur ses pas : sauve-toi au plus vite. Au sac, nu sac.... Nous voilà dans un joli petit embarras ! Et vogue la galère ! Nouvel embarras ! Je le veux bien, monsieur ; mais... Le diable ne s'est pas emparé de celle-1à ; mais madame Bertrand y loge encore. Oui, vraiment. On est convenu qu'elle achèverait le terme ; et comme elle a l'esprit faible, elle se met dans une fureur épouvantable quand on lui parle de la vente de cette maison ; c'est là sa plus grande folie, voyez-vous. Oh ! Pour le coup, tout est perdu. Hé bien, monsieur, parlez-lui donc ; la voilà qui vient heureusement ; mais souvenez-vous toujours qu'elle est folle. Oui, madame, c'est lui-même ; mais il est revenu fou : son vaisseau a péri ; il a bu de l'eau salée un peu plus que de raison ; cela 1ui a tourné la cervelle. S'il s'avise de vous accoster par hasard, ne prenez pas garde à ce qu'il vous dira ; nous allons le faire enfermer. Si vous lui parlez, ayez un peu d'égard à sa faiblesse ; songez qu'elle a le timbre un peu fêlé. Elle a quelquefois de bons moments, mais cela ne dure pas. Êtes-vous sage, de vous emporter contre un extravagant ? À quoi pensez-vous de vous mettre en colère contre une femme qui a perdu l'esprit ? Je ne sais pas comment je me tirerai de cette affaire. Les diables de chez vous sont un peu ivrognes ; ils se plaisent dans la cave. Ces lutins-là sont d'une insolence... Il serait mort, je crois, de chagrin pendant votre absence, sans cet honnête monsieur-là. Oui, un débauché, qui m'a donné de mauvais conseils, et qui est cause.... Cela est vrai, monsieur. Elle ne l'est que de ma façon. ? Tout cela part de là. **** *creator_regnard *book_regnard_retourimprevu *style_prose *genre_comedy *dist1_regnard_prose_comedy_retourimprevu *dist2_regnard_prose_comedy *id_JAQUINET *date_1700 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_jaquinet À la fin me voilà. Hé ! Bonjour, Merlin ; soyez le bien retrouvé. Comment te portes-tu ? Tu vois, mon enfant, le mieux du inonde. À la fatigue près, nous avons fait un bon voyage. La belle question ! Vraiment non ; je suis arrivé avec mon maître ; et pendant qu'il est allé avec le carrosse de voiture faire visiter à la douane quelques ballots de marchandises, il m'a fait prendre les devants pour venir dire à monsieur son fils qu'il est de retour en parfaite santé. Qu'as-tu ? Il semble que tu ne me fais guère bonne mine ; et tu ne me parais pas trop content de notre arrivée. Non ; il sera ici dans un moment. Mais que diable as-tu donc ? Parle. Te voilà bien intrigué ! Ce retour imprévu ne dérangerait-il point un peu vos petites affaires ? Tant pis. Moi ! Que veux-tu que je fasse ? Cela n'est pas bien difficile. J'exécuterai tes ordres à merveille, ne te mets pas en peine.