**** *creator_restif *book_restif_jugementdeparis *style_prose *genre_comedie *dist1_restif_prose_comedie_jugementdeparis *dist2_restif_prose_comedie *id_JUNON *date_1773 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_junon À moi, vous dis-je, je vous trouve toutes les deux bien hardies. Épouse du Souverain maître de l'Univers, me contester le moindre de mes avantages ! Un mot auparavant ; retirons-nous un peu. Très volontiers ; Momus, ce Pâris que l'on nous donne pour Juge, dis-moi, est-ce un simple Berger ? Ses parents sont-ils riches, ou pasteurs comme lui ? Quelle est cette petite fille ? Et moi de même, assurément. Ah ! Très volontiers, tenez. Un fou sous l'habillement d'un guerrier et d'un roi ! La bigarrure est complète. Fi donc ! Voilà une générosité dont vous auriez pu nous faire grâce. Mêlez-vous de vos affaires, Monsieur de l'épigramme : pourquoi voulez-vous qu'il ôte ce bandeau? Ne suffit-il pas qu'il sache qui nous sommes ? Et ne peut-il juger de notre perfection par les droits de notre naissance et l'éclat du rang que nous occupons ? Apprends donc, Pâris, que je suis l'épousée du souverain Maître de l'Univers. C'est moi qui préside... Paris. Cela n'est pas juste : l'épouse de Jupiter doit, au moins, avoir le pas sur sa fille. Comment ! Eh bien ! Te voila triste, rêveur. N'as-tu pas de honte de l'avilissement où tu te plonge ? Je te vois dans la bassesse, toi que la naissance appelle aux emplois les plus distingués ; toi le fils du plus grand Roi de l'Asie. Oui, tu l'es ; oui, c'est ce Monarque fameux ; c'est Priam, lui-même, qui t'a donné la vie. Malheureux ! Quoi, tandis que ce Héros, couvert de gloire, jouit sur son Trône, des adorations de la Phrigie, son indigne fils languit ici dans le rang du dernier des humains ! L'héritier de la superbe Troie se contente d'être un vil Pâtre ! Tu frémis... Hé bien, il en est encore temps ; dis seulement un mot, et je te rétablis dans toutes les grandeurs de ta maison ; je te comble de richesse ; je mets la terre à tes pieds ; je te rends l'égal des demi-Dieux... Tu ne réponds rien... Tu baisse les yeux. Assurément, c'est de même que je l'entends. Sans contredit. Des plus beaux. Sans doute. Et des courtisans d'une figure, des femmes d'une discrétion... En un mot, vous n'aurez qu'à désirer, mon enfant, tous les plaisirs seront à vos ordres. Foi de Déesse. Eh bien ! Douterais-tu de ma bienveillance ? Et tu hésites à la mériter !... Ingrat. Eh bien ! Je vais enfin confondre mes rivales. L'ingrat ! Comment ? **** *creator_restif *book_restif_jugementdeparis *style_prose *genre_comedie *dist1_restif_prose_comedie_jugementdeparis *dist2_restif_prose_comedie *id_VENUS *date_1773 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_venus Moi, franchement, un peu vaines. Et moi qui.... Ah ! Que cette dispute m'excède, je crois en vérité qu'elles réussiraient à m'enlaidir. Finissons, Momus, va nous chercher Pâris. La folie se divertit. Eh ! Laisse en paix son titre ; j'ai bien besoin que tu viennes m'attrister du souvenir de ce que j'ai de commun avec lui. Est-il marié, ce beau Berger ? Trêve de raillerie, s'il vous plaît. Moi ? Non vraiment. J'ai toujours trop été de tes amies. Mais, sérieusement, Pâris a donc une maîtresse ? Hé bien ! Ne peut-on la voir, cette chère enfant ? Qu'elle approche. C'est ainsi que Vénus pense. L'un est plus aisé que l'autre. C'est être avantageuse. Eh bien ! Voyez-vous que je m'en sois parée ? Le secours de cette ceinture ne m'est pas si nécessaire ; le sacrifice était léger, et je me suis crue en état de vous faire ce petit avantage-là. Bon, elles ne l'ont point aperçue. On ne l'a point flatté : il est vraiment intéressant, ce garçon-là. Qu'est-ce donc que tout cela signifie ? Ah ! Finissons la plaisanterie. En vérité, tout ce que vous voudrez... Vous êtes trop aimables, l'une et l'autre, pour qu'on puisse vous rien refuser. Voilà donc mes soupçons vérifiés. Le temps est écoulé, et cependant l'on demeure. La Sagesse a vraiment l'art d'endormir son monde. Vous baissez les yeux l'un et l'autre. Que s'est-il donc passé ? Vous ne répondez point... Vous rougissez. Seriez-vous par hasard un peu... Je gage que j'ai deviné le crime : vous m'alliez trahir. Cela est un peu surprenant. Par quel art, par quel charme mes rivales avaient-elles donc pu vous séduire ? Eh bien ! Et moi, je vous donne la beauté. Et Vénus le bonheur. J'ai commencé votre félicité, mes enfants, je la veux achever. Le Roi Priam, de qui tu es sorti, est un de mes plus chers adorateurs, je vais vous mener à sa Cour; il te reconnaîtra pour son fils. Tu le remplaceras au Trône, et, t'éclairant de mon génie, j'espère prouver que, pour rendre un Royaume florissant, la mère des Amours vaut bien l'orgueilleuse Opulence, et la froide Sagesse. **** *creator_restif *book_restif_jugementdeparis *style_prose *genre_comedie *dist1_restif_prose_comedie_jugementdeparis *dist2_restif_prose_comedie *id_PALLAS *date_1773 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_pallas Et moi, bien folles. Disputer à la valeur le prix de la beauté ! Depuis quand le Dieu des fous se mêle-t-il d'être Philosophe ? Les hommes ne conviendront point de cela, et la sagesse... Il est certain que nous ne serons jamais d'accord, cela est dans l'ordre ; mais qui vous a prié, Monsieur le railleur, de venir avec nous ? Il me semble que nous ne sommes guère faits pour aller de compagnie. Vous perdez le temps, allez donc chercher ce Berger. Point de mystère, parlez haut. Momus... Mon cher Momus... Dis-moi, mon cher ami... Eh bien, Momus, Paris est-il ambitieux ? Aime-t-il la gloire ? Je ne puis avoir d'autre sentiment. L'un et l'autre m'est également facile, et malgré ce souris moqueur, j'espère vous en donner des preuves avant la fin du jour. Que faites vous, Momus ? Ces armes là vous siéront mal ; le destin vous en a donné d'autres qui vont mieux avec votre emploi. Assurément : l'épigramme, la satyre. Et au défaut de la raillerie, c'est donc avec cette pointe là que vous voudriez percer le vice et le ridicule. Eh ! Mais vraiment, vous n'auriez pas mal affaire, et si vous étiez aussi bon guerrier que vous êtes mauvais plaisant, l'univers courrait risque d'être bientôt dépeuplé. Et cette précieuse ceinture, qui renferme les tendres agaceries, les molles résistances, les brûlants désirs ; ce talisman merveilleux, qui donne avec la beauté tous les charmes séducteurs du sentiment. Sans doute, ce moyen est fort bien imaginé ; et j'y donne volontiers mon consentement. Et moi sa fille. Un moment. Il y a ici un charme qu'il faut détruire. La vraie beauté ne frappe pas d'abord ; il faut, pour la distinguer, un examen plus attentif. Je demande, avant de donner le prix, que notre juge nous voie seule à seule, et l'une après l'autre. Mon caractère est de ne répondre à l'ironie qu'en la confondant : dans un moment vous allez en avoir des preuves. Sortez seulement, et laissez-moi la première ouvrir cette nouvelle lice. L'entretien, au moins ne durera... On t'a donc révélé le mystère de ta naissance ; on t'a dit la vérité : oui, tu es Prince ; mais écoute, Paris, qu'est-ce que ce titre sans les qualités de l'âme qui sont les seuls trésors de la terre ? Des richesses ! De l'or, apparemment ? Assurément. La sagesse. Ah ! Mon fils, tu ne conçois pas la félicité d'un prince qui possède un pareil trésor ; image de l'Astre bienfaisant qui luit sur ta tête, c'est de lui qu'émanent la vie et l'abondance; de son trône Auguste, ses regards pénètrent dans tous les ordres de l'État ; il vit par la pensée dans chaque famille de citoyens ; il devient lui-même un simple sujet pour mieux connaître leurs besoins, et ce n'est qu'en les rendant heureux qu'il montre qu'il est Roi. Quelle satisfaction douce ; quelle volupté de sentiment il goûte à dire chaque jour : j'ai des voisins qui me respectent, un peuple qui m'adore, des amis qui m'aiment ! Ces plaisirs là ne sont pas brillants, mais ils sont purs, et les seuls qui ne trompent jamais. Ce n'est pas tout ; je préside encore aux combats, et je puis aussi d'apprendre le grand Art de la Guerre. Rassurez-vous ; je suis loin d'avouer tous ces Conquérants si vantés, ces trop célèbres destructeurs qui remplissent la terre du bruit de leurs cruautés ; leurs talents me sont en horreur ; de tels monstres ne peuvent être inspirés que par les Furies. Mais il est des malheurs nécessaires ; si je suis ton guide, mon enfant, tu n'entreprendras la guerre que pour maintenir la paix. L'injustice de tes voisins pourra seule t'attirer aux champs de Mars ; c'est alors que je volerai vers toi, j'amènerai ces deux Génies, qui, quoique issus de moi dans le même temps, se trouvent pourtant si rarement ensemble ; je mettrai dans tes yeux celui de la prudence, qui fait tout voir, tout ordonner ; et dans ton coeur, celui de l'audace, qui fait tout entreprendre et tout braver : paraître et vaincre seront une même chose ; et joignant au triomphe du Guerrier la clémence du grand Homme, tu te feras un nom aussi fameux, aussi chéri qu'immortel. Tu en seras quitte à bon marché ! Tu tiens dans ta main la seule récompense qui puisse me flatter. Eh bien ! Le contre-temps funeste ! Je me retire ; je compte sur toi, Pâris. Je vais donc voir finir une indigne concurrence. Le perfide ! **** *creator_restif *book_restif_jugementdeparis *style_prose *genre_comedie *dist1_restif_prose_comedie_jugementdeparis *dist2_restif_prose_comedie *id_MOMUS *date_1773 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_momus Un moment, Mesdames, arrêtez-donc. Toutes les trois, ensemble. Elle est à moi. Bon dialogue ; en trois mots, trois injures : nos Déesses s'humanisent. Comment, vous quittez déjà la partie ! Vous n'y pensez pas, Déesse, c'est avouer votre défaite : croyez-moi, de la vigueur ; tenez bon. Moi, Déesse ! Assurément vous ne me rendez pas justice. Rire d'une querelle aussi grave, dont l'objet est aussi important, aussi noble ! Depuis que vous avez cessé de l'être, divine Sagesse ; cette terre est maintenant mon domaine ; je vous ai remplacé. À le département de leurs pensées ; mais celui de leurs actions m'appartient, cela est certain. Ma foi, Déesse, puisque vous me forcez à l'aveu, c'est bien contre mon gré si je vous accompagne, tout l'Olympe en est témoin. J'étais dans un coin de la Salle du Banquet, où je m'amusais à rire avec quelques Dieux subalternes, de la noble émulation avec laquelle vous vous disputiez cette Pomme, que la discorde venait de jeter sur la table. Jupiter m'a remarqué du coin de l'oeil ; il m'a appelé, et m'a dit : Momus, va-t-en avec ces trois Déesses, en Phrigie, sur le Mont Ida, tu y trouveras le beau Berger Paris, remets-lui cette Pomme, en lui ordonnant de ma part de l'adjuger à celle des trois, dont la beauté sera la plus parfaite à ses yeux. J'ai eu beau représenter que ce message appartenait de droit à l'ami Mercure, qu'il était en titre le meneur des Belles. J'ordonne, obéis, a repris Jupiter : était-ce à moi de résister ? Vouliez-vous que je me fusse attiré le sort de ce pauvre Vulcain, qu'un coup de pied... Ah ! Belle Venus, voilà un sentiment qui n'est pas céleste, vous riez quand on parle de la disgrâce d'un malheureux époux ? Il devait être diablement laid ; quand au moyen des filets qu'il avait tendus, il vous surprit avec un certain Dieu, qui ne faisait pas la guerre pour lors.... Eh bien ! Ne voilà-t-il pas votre gaieté revenue ? J'y vais. C'est de quoi je puis parfaitement vous instruire, Jupiter m'a conté toute son histoire. Le père de ce prétendu Berger est le Roi Priam, qui, sur la foi d'un Oracle, le condamna à la mort dès sa naissance. L'Officier qui fut chargé de cet ordre, touché de compassion, au lieu de le faire mourir, vint l'exposer dans ces lieux retirés ; des Pasteurs le reçurent et l'ont élevé dans leur état champêtre ; il ignore encore qu'il est Prince. Eh bien. Ah ! Je vous entends ; vous avez, aussi vous, quelque question à me proposer, et vous craignez que je n'aie sur le coeur le petit compliment... Parlez, parlez franchement ; je suis sans rancune. Point d'hypocrisie, ou je me fâcherais tout de bon. Mal pour mal, j'aime encore mieux voir la Sagesse altière que rampante. Il ne la connaît pas encore ; mais vous devez bien juger qu'étant jeune, et fils de Roi, il possède toutes les qualités qui sont propres à former un Héros. Non, Déesse, c'est encore une conquête à faire. Il est aussi beau qu'Adonis, vous ne perdrez rien au change ; mais je vous préviens que vous aurez une rivale. Vous vous moquez, Déesse ; c'est le seul revenant bon de mon emploi. N'allez-vous pas vous formaliser, aussi vous? Oui : son nom est OEnone. Belle et naïve comme Aglaé, la plus chérie de vos grâces, elle est digne en tout du beau Berger qui l'adore. Ce couple charmant, l'ornement de ces lieux enchantés, n'a connu, jusqu'à ce jour, que le plaisir d'aimer et le bonheur de plaire, mais il touche au terme de sa félicité : le père d'OEnone ne consentira point à leur union; il a déjà rejeté la prière de Paris. Trompé par les apparences... Hem... Il croit que ce n'est qu'un misérable aventurier, sans fortune... Ah ! Je vous y surprends, la belle ; que faites-vous donc là ? Déesse, c'est OEnone, cette jeune Bergère, la Maîtresse de Paris, dont je vous faisais à l'instant le portrait. Elle fait ici le vôtre d'une manière qui vous étonnerait, sur ma parole. Peste, cet enfant-là est bien plus habile que je ne pensais. Arrêtez, un mot ; nous cherchons Pâris : c'est l'objet de notre voyage ; il faut que vous l'ameniez ici, ces Dames veulent le consulter sur un point des plus délicat. Oh ! Non vraiment, cela ne se peut ; ces Dames n'en veulent qu'à Pâris : allez le chercher, vous dis-je, ne craignez rien ; je réponds de tout... autant que je le puis. Ah ! Ça, Mesdames, avant que votre juge soit ici, il faut vous mettre en état de paraître devant lui ; songez que c'est un jeune et timide Berger, qu'il vous serait facile de l'effrayer ou de le séduire ; mais songez aussi qu'il serait honteux pour celle qui va recevoir la Pomme de ne devoir cet hommage qu'à son artifice, et que la beauté, pour mériter ce nom, doit paraître encore plus charmante en sortant du bain, qu'en quittant la toilette. Et vous ? Puisque vous pensez, ainsi que moi, que le prix ne doit être adjugé qu'aux seules grâces de la nature, consentez donc, Déesses, avant d'enter en lice, à renoncer à toutes les impostures de l'art ; et je commence par vous, Déesse de la guerre : allons, donnez-moi ce casque effrayant, cette lance terrible. Dans les champs de Mars cet appareil menaçant peut bien vous assurer le destin des batailles, mais il s'agit ici de plaire, et non de faire trembler. À moi, des armes ? Me voilà, ma foi, bien équipé avec cela, pour combattre tous les travers dont le monde est inondé : passe encore au bon vieux temps ; mais apprenez qu'aujourd'hui sur la terre le rire est hors de mode, et que l'on ne critique plus... que les femmes. Comment ! La Sagesse s'égaye ! Voilà du fruit nouveau. Mais venons à vous, ma reine : allons, rien d'imposant ; votre manteau royal, votre couronne. Que faire de cela : il me prend envie d'essayer aussi de la Majesté. Cela sera drôle : vous riez. Eh bien, tant mieux, j'aime fort que l'on rie, moi, fut-ce même à mes dépens. Et pourtant fort naturelle.... Ah ! J'oubliais... Donnez aussi votre sceptre et prenez ma marotte. Donnez, vous dis-je ; je fais tous les jours de ces échanges là... Pour vous, belle Cypris... Comme elle est mise ! Quelle simplicité ! Quelle élégance ! J'enrage d'être toujours forcé de l'admirer... Non, rien, absolument rien à reprendre. Pour moi, je la cherche en vain. Le voilà, le voilà. Approchez, le beau garçon... Mais que vois-je ? Ah ! Le tour est plaisant ! La petite masque lui a, ma foi, bandé les yeux ! Hé non, petite rusée, demeurez s'il vous plaît. Pardonnez-moi, la belle, très grand besoin pour l'affaire dont il s'agit. Apprenez qu'il doit vider le plus fameux différent : il est chargé de dire à qui cette pomme est due. Que faites-vous donc ? J'ai pitié de ton erreur, mon cher Pâris : ta maîtresse est sans doute accomplie, mais il n'est point du tout question d'elle. Ouvre bien tes oreilles, ce sont les trois plus grandes Déesses de l'Olympe qui se disputent ce prix. Elles sont ici même, et c'est de toi qu'elles attendent leur sort. C'est de leur consentement, et du choix de Jupiter. Rassures-toi, c'est au Dieu Momus que tu parles. Tu es beau, jeune et sensible : voilà, crois-moi, trois grandes qualités auprès des femmes : quitte donc cette timidité puérile, et lève ce voile importun qui te dérobe la vue... Belle question ! Comment, prétendez-vous qu'il juge en aveugle ? Le pauvre garçon est pétrifié... Oh ! L'ami, réveille-toi, il faut juger. À qui donnes-tu la Pomme ? Regarde-les donc toutes auparavant. Attendez ; voilà qui va vous mettre d'accord. Tirez. La plus courte paille passera la première. Bon, c'est vous-même. Vous ensuite, et Vénus la dernière. Maintenant, Mesdames, c'est à vous de vous retirer, en attendant votre tour. Que le temps qu'il faut aujourd'hui pour faire capituler un coeur : quatre minutes. Presque autant que vous: c'est beaucoup dire. Voilà, ma foi, l'oiseau dans le piège. Il faut que Paris consente à cela. Vous en tenez dans la tête, la belle, mais lui, c'est par le coeur qu'il est pris. Halte-là, jeune homme ; point de serment pour ton honneur. Vite, Déesse, détalez avec cette espérance-là : votre temps est écoulé. Voici la Déesse de la Sagesse et de la Guerre. Vous n'êtes pas la seule, mon enfant ; entre elle et votre sexe l'antipathie est générale. On sera moins surpris de voir votre métamorphose ; la Majesté vous ira à merveille, mais je vous avertis que, pour bien établir votre Puissance, c'est de moi qu'il faudra prendre conseil, ma petite reine. C'est à cause de cela que je dois vous servir de guide ; apprenez, ma belle poulette, que l'empire des femmes ne tient presque jamais qu'à un petit grain de folie, assaisonné par la gaieté. Chut. Les moments sont précieux. Je prévois que notre guerrière aura de la peine à se faire entendre. Si elle le peut ! Je le crois : c'est elle qui y préside. La nature vous a faite pour toute autre chose, n'est-il pas vrai ? La raison l'emporterait-elle sur l'amour et sur la fortune dans le coeur d'un jeune homme ? Je suis curieux de voir ce nouveau prodige. Un moment plus tard ce sommeil là ne vous eût pas fait rire. Que faire ici ? Il vont parler d'amour, de sentiment : ces mots seuls me font bâiller. Jupiter trouverait peut-être mauvais que j'abandonne ainsi mon poste ; c'est un Seigneur qui n'entend pas raillerie, et moi, naturellement, je n'aime pas les affaires sérieuses. Consolez-vous : chacune aura son tour. Oui, selon son âge : Vous, quand il aura..... Trente ans. Pour vous, divine Sagesse..... peut-être jamais ; mais si cela arrive..... Oh ! Selon l'usage, après la soixantaine..... Eh ! mais ne vois-je pas les Grâces ? Elles viennent, sans doute, vous féliciter sur votre victoire. **** *creator_restif *book_restif_jugementdeparis *style_prose *genre_comedie *dist1_restif_prose_comedie_jugementdeparis *dist2_restif_prose_comedie *id_PARIS *date_1773 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_paris Votre père me refuse pour gendre, sous prétexte que je suis trop jeune ; mais, en effet, parce que je suis un pauvre orphelin, délaissé dans ces lieux presqu'en naissant, qu'on n'a pu découvrir encore quelle est ma patrie ni à qui je dois le jour, il m'humilie cruellement ; mais, n'importe, je vous adore, chère OEnone, et je ne changerai jamais. Je vous le jure ; oui, je jure à vos pieds... Eh bien, je te jure par Jupiter.... Par la mère d'Amour... Eh bien ! Je te jure.... par toi même, de n'aimer jamais que toi. Et je scelle mon serment de ce baiser. À la bonne heure. Mais quel éclat nouveau se répand tout à coup ? Les cieux brillent d'une lumière plus vive. Qu'annonce donc un jour si beau ? De qui tient-on cette nouvelle ? Quelqu'un vient en effet. Elle a raison : s'il est un prix pour la beauté, c'est à ma chère OEnone qu'il appartient. Il faudrait être bien téméraire pour le lui disputer. Qu'entend-je ? Ô Ciel ! Qui ? Moi, un simple Berger juger entre des immortelles ! À quel titre ai-je pu m'attirer un tel honneur ? Quelles qualités m'a-t-on donc supposées ? Que vois-je ? Ô Ciel ! Que de charmes ! Que de beautés ! Mes yeux ne peuvent suffire à les voir, ma langue à les exprimer... Dieux ! Ah ! Moi, fils d'un Roi! Chère OEnone, tout ce que je viens d'entendre tient du prodige. Quoi ! Puis-je croire que ma naissance, le rang qu'on nous offre, tous les dons qu'on veut nous faire... Moi, Déesse ? Ah ! Ce reproche m'outrage. Faut-il vous protester, vous jurer ?... Il m'éclaire : qu'allais-je dire ? Ah, Vénus ! Ah ! Comptez... Oui... Comptez... Quoi ! Sérieusement, tu voudrais abandonner ces lieux champêtres ; renoncer aux plaisirs purs que l'on y goûte ; aux charmes de nos paisibles entretiens : tu pourrais quitter tout cela ? Depuis que vous m'avez quitté, Déesse, ma fortune a bien changé de face. Il est vrai que la généreuse épouse de Jupiter veut nous combler d'honneurs et de richesses. Pour un Roi qui songe à se rendre digne de ce nom, que voulez-vous de mieux que l'or, l'âme de tous les grands projets ? Connaissez-vous, Déesse, quelque chose au-dessus ? Quelle est cette chose ? Quel charme j'éprouve à l'entendre ! Ô la plus auguste des Déesses, écoutez ma prière. Je suis satisfait de mon humble condition ; je n'ai jamais désiré que les Dieux m'en donnassent une autre ; mais si tel est mon destin ; si je suis né en effet pour occuper un trône, ne pourriez-vous m'accorder la vertu qui en rend aussi digne. Je ne résiste plus : puissante Déesse, accordez-moi, de grâce, de si précieux dons, et demandez-moi tout ce que vous voudrez. Non, non, je n'hésite pas ; vous réunissez tous les charmes, vous méritez tous les prix ; recevez celui... Que trop coupables. Il est vrai. Inconcevable pour moi-même ; mais je vous revois, Déesse, et tout est oublié. Si vous saviez ce qu'on m'offrait. Minerve m'offrait un nom glorieux. Que vois-je ? Le père d'OEnone consent à notre union ! Généreuse immortelle, comment ai-je mérité tant de faveurs ? Quel prix pourra jamais m'acquitter envers vous ? Tiens, chere OEnone, regarde.... Ô Ciel ! Quel changement ! Quel prodige ! Aussi belle que Vénus ! Divin Momus, vous voici fort à propos. Avertissez, je vous prie, les deux autres Déesses de se rendre ici ; mon choix est fait. Je sais maintenant à qui des trois je dois donner la Pomme... Déesses, écoutez de grâce, et rendez-moi justice. Junon, vous avez flatté mon ambition, recevez mes remerciements ; Minerve a éclairé ma raison, elle mérite toute mon estime ; mais Vénus a gagné mon coeur, et je lui dois la Pomme... **** *creator_restif *book_restif_jugementdeparis *style_prose *genre_comedie *dist1_restif_prose_comedie_jugementdeparis *dist2_restif_prose_comedie *id_OENONE *date_1773 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_oenone Quel sera le gage de tes sentiments ? Doucement, recommencez ce serment là. Moins de politesse, mon aimable berger, votre timidité n'est plus de saison. Allons, sois familier avec ton amie. Qui, ce Dieu qui s'est fait un jeu de tromper tant de beautés ? Le bon garant que j'aurais là de ta fidélité ! Vénus ? J'aimerais mieux cette Déesse là, quoique cependant ses aventures avec Adonis, Anchise, le Dieu Mars.... Oh ! Non, cela sent encore trop le parjure. Bon cela. Je ne te rendrai pas celui-là. La plus superbe fête de l'Olympe. C'est aujourd'hui, dit-on, que Jupiter célèbre les noces de Thétis et de Pélée. Jamais rien de si beau ne parut encore : toutes les Divinités de la terre et des eaux assistent à cette pompeuse cérémonie. On cite la jeune Hebé, cette Nymphe autrefois notre compagne. On dit qu'on l'a vu ce matin descendre dans nos prairies, et cueillir les bouquets pour les convives du festin.... L'éclat a redoublé, J'entends du bruit. Ah ! Gardons qu'on ne nous surprenne ensemble : cachons-nous au fond de ce bois. On parle de moi, écoutons. Eh ! Mais ! Vous-même, je viens voir ce que vous y êtes venue faire. Vous nous avez causé une frayeur mortelle : à qui donc en voulez-vous ? Qui sont ces aventurières là ? Quelle est celle-ci avec ce vilain plumage sur la tête, qui me regarde de travers, appuyée sur un grand bâton ; et cette autre qui, je crois, n'a jamais su rire de sa vie, tant sa gravité est triste ; et cette intrigante là, qui m'a tout l'air d'une franche coquette, avec ses tons sucrés et ses yeux radoucis ? Qui sont donc tous ces gens-là ? Qu'est-ce donc que tout cela veut dire ? Des Déesses ! Adieu, Monsieur, on m'attend. Ô Ciel ! Elles viennent pour m'enlever mon amant... Monsieur, est-ce que je ne puis pas bien leur donner moi-même les éclaircissements dont elles ont besoin ? Cela vous déplaît, nous nous en retournons. Hé bien ! Parlez donc ; il n'a pas besoin de ses yeux pour entendre ce que vous avez à lui dire. Qu'est-ce donc que cette grande affaire ? À la plus belle : bon, ce n'est que cela, grand merci, Monsieur, votre servante. Il est devenu sourd. Pâris ; tes serments, perfide, tes serments. Il est tout occupé de sa Vénus. Que je suis tentée de la haïr, cette Déesse-là ! Mais est-elle donc belle, si belle ? Vous êtes un méchant, Monsieur Momus. Il fait bien ; il serait beau, vraiment, qu'il suivît votre conseil ; que, pour je ne sais quel trône, il abandonnât sa maîtresse, sa maîtresse si fidèle ! Passe encore si je le suivais ; si j'étais Reine quand il serait Roi. Si j'avais aussi moi bien des richesses, de beaux diamants, de belles robes bien brillantes ? Un char bien magnifique? Nombre d'esclaves ? Mais... vous ne me trompez pas, au moins ? Eh bien ! voilà qui est décidé, vous aurez la pomme. Pourrais-tu bien refuser le prix à qui nous comble à la fois de tant de bienfaits ? Pâris, mon cher Pâris, accorde-lui cet hommage ; je te le demande au nom de notre amour. Ne craignez rien ; vous serez contente, je vous le garantis. Vivre à la Cour du Roi Priam ; être brillante comme ces belles Troyennes; ô la bonne Déesse ! L'aimable Déesse ! Mais nous reviendrons, mon ami, nous reviendrons. Voilà une sagesse qui à la physionomie bien sévère, je ne puis la souffrir. On croyait que ce n'était qu'un aventurier ; on sera bien étonné quand on saura que c'est un Roi, et un grand Roi encore. De vous ! Vous êtes l'ami de la folie, je crois ? Mais.... Pour des trésors, nous n'avons point à nous plaindre ; assurément nous n'en manquerons pas. Sans doute. Que signifie ce souris dédaigneux. Elle gagne vraiment à se faire connaître. Qui est-ce qui aurait pensé cela ? Oh ! Par exemple voilà qui est bien différent. Fi ! Le vilain métier que de détruire le monde ! Est-il fou ? Que veut-il donc faire ? Et à moi. Junon me donnait tous les trésors du monde. Ah, Déesse! Quelle faible récompense pour tant de bienfaits ! Combien ? Que cela soit donc bien tard. Ah ! la belle famille !