**** *creator_rousseau *book_rousseau_engagementtemeraire *style_verse *genre_bergerie *dist1_rousseau_verse_bergerie_engagementtemeraire *dist2_rousseau_verse_bergerie *id_DORANTE *date_1747 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_dorante Elle m'évite encor ! Que veut dire ceci ? Sur l'état de son coeur quand serai-je éclairci ? Hasardons de parler... Son humeur m'épouvante : Carlin connaît beaucoup sa nouvelle suivante ; Je veux... Carlin ! Vois-tu bien ce château ? Qu'en dis-tu ? Mais encor ? Et si bientôt j'en devenais le maître, T'y plairais-tu ? Tu n'es pas dégoûté. Eh bien ! réjouis-toi, car il est... Non, mais gagné bientôt. Il est à nous, te dis-je, et tout est décidé Déjà dans mon esprit... Songe à me seconder au lieu de te moquer. Sais-tu, mon tendre ami, qu'avec ta gentillesse Tu pourrais bien, pour prix de ta moralité, Attirer sur ton dos quelque réalité ? Apprends donc un secret qu'à tous il faut celer, Si tu le peux, du moins. Dieu le veuille ! En ce cas tu pourras m'être utile. J'aime Isabelle. Qui te l'a dit ? Moi ? Sans doute. Parbleu ! Messer Carlin, vous êtes curieux. Je suis sûr de mon fait, Isabelle en tous lieux me fuit. Écoute jusqu'au bout. Cette veuve charmante À la fin de son deuil, déclara sans retour Que son coeur pour jamais renonçait à l'amour. Presque dès ce moment mon âme en fut touchée, Je la vis, je l'aimai ; mais toujours attachée Au voeu qu'elle avait fait, je sentis qu'il faudrait Ménager son esprit par un détour adroit : Je feignis pour l'hymen beaucoup d'antipathie, Et, réglant mes discours sur sa philosophie, Sous le tranquille nom d'une douce amitié, Dans ses amusements je fus mis de moitié. Dans ces ménagements plus d'un an s'est passée Tu peux bien te douter qu'après toute une année, On est plus familier qu'après une journée ; Et mille aimables jeux se passent entre amis, Qu'avec un étranger on n'aurait pas permis. Or, depuis quelque temps j'aperçois qu'Isabelle Se comporte avec moi d'une façon nouvelle. Sa cousine toujours me reçoit du même oeil ; Mais, sous l'air affecté d'un favorable accueil, Avec tant de réserve Isabelle me traite, Qu'il faut ou qu'en secret prévoyant sa défaite Elle veuille éviter de m'en faire l'aveu, Ou que d'un autre amant elle approuve le feu. Moi donc, n'apercevant aucun rival à craindre, Ne dois-je pas juger que, voulant se contraindre, Isabelle aujourd'hui cherche à m'en imposer Sur les progrès d'un feu qu'elle veut déguiser ? Mais, avec quelque soin qu'elle cache sa flamme, Mon coeur a pénétré le secret de son âme ; Ses yeux ont sur les miens lancé ces traits charmants, Présages fortunés du bonheur des amants. Je suis aimé, te dis-je ; un retour plein de charmes Paie enfin mes soupirs, mes transports et mes larmes... L'aveu de mon bonheur. Il faut qu'en ce château... Mais j'aperçois Lisette. Va m'attendre au logis. Surtout, bouche discrète. Ah ! J'oubliais... Carlin, j'ai reçu de Valère Une lettre d'avis que, pour certaine affaire Qu'il ne m'explique pas, il arrive aujourd'hui. S'il vient, cours aussitôt m'en avertir ici. Ah ! c'est toi, belle enfant ! Eh ! bonjour, ma Lisette : Comment, vont les galants ? À ta mine coquette On pourrait bien gager au moins pour deux ou trois : Plus le nombre en est grand, et mieux on fait son choix. Bon, bon, point de colère. Tiens, avec ces traits-là, Lisette, par ta foi, Peux-tu défendre aux gens d'être amoureux de toi ? Parbleu ! tu me ravis, J'aime à te prendre au mot. Tu ris, Et je veux rire aussi. Quoi ! tu penserais donc qu'épris de ta maîtresse... Ah ! je l'avais prévu : l'ingrate a vu ma flamme, Et c'est pour m'accabler qu'elle a lu dans mon âme. Qui nie l'a dit ? c'est toi. Comment ? Et ces feux mal payés, est-ce un rêve ? est-ce un conte ? Ah ! daigne m'éclaircir. Quel plaisir peux-tu prendre à me faire souffrir ! Me voilà retombé dans ma perplexité. Hélas ! Tant de lenteur me met au désespoir. Madame, il me suffit qu'elle vous appartient Pour rechercher en tout le bonheur de lui plaire. Ah ! madame... Ah ! du moins une fois heureux qui peut le dire. Moi, madame ? Vous me raillez, sans doute ? Madame, en vérité... Pour lui faire ma cour, Faut-il en convenir ? Non, vraiment, Madame, il me déplaît fort de vous contredire. J'aimerais mieux mourir que de vous abuser. Ciel ! Se vit-on jamais en pareille détresse ! Hélas ! J'approuve tout : dictez vos volontés. Tous vos ordres par moi seront exécutés. Ah ! Mon goût à vos voeux sera toujours soumis. À mon choix ? Dieux ! Quels légers travaux pour tant de récompense ! Ah ! Que vous m'épargnez de mortelles alarmes ! Mais quel est donc enfin cet objet plein de charmes Dont les attraits pour moi sont tant à redouter ? Et c'est ? Vous ? Qu'entends-je ! Non, je n'en reviens pas. Mais il faut me contraindre. Cherchons en cet instant à remettre mes sens. Mon coeur contre soi-même a lutté trop longtemps ; Il faut un peu de trêve à cet excès de peine. La cruelle a trop vu le penchant qui m'entraîne, Et je ne sais prévoir, à force d'y penser, Si l'on veut me punir ou me récompenser. Où te tiens-tu donc, traître ? Je te cherche partout. Mais pourquoi si longtemps ?... Qu'est-ce que ce discours ? Quelle sotte nouvelle Viens-tu ?... L'écriture, en effet, est de son caractère. Que vois-je ? malheureux ! d'où te vient ce billet ? D'où te vient-il ? te dis-je. D'Éliante ! Comment ? Ah ! Je suis confondu ! Aveuglé que j'étais ! comment n'ai-je pas dû, Dans leurs airs affectés, voir leur intelligence ? On abuse aisément un coeur sans défiance. Ils se riaient ainsi de ma simplicité ! Ils se voyaient fort peu devant moi, ce me semble. Non pas ; ils se regardaient peu, Par affectation. Chez moi-même à l'instant ayant trouvé Valère, J'aurais dû voir, au ton dont parlant de leurs noeuds D'Éliante avec art il faisait l'amoureux, Que l'ingrat ne cherchait qu'à me donner le change. Rien ; je veux seulement savoir si jusqu'au bout Ils oseront porter leur lâche stratagème. Je veux voir Isabelle, et, feignant d'ignorer Le prix qu'à ma tendresse elle a su préparer, Pour la mieux détester je prétends me contraindre, Et sur son propre exemple apprendre l'art de feindre. Toi, va tout préparer pour partir dès ce soir. Quoi ? Je suis au désespoir. Elle vient. À ses yeux déguisons ma colère. Qu'elle est charmante ! Hélas ! comment se peut-il faire Qu'un esprit aussi noir anime tant d'attraits ? Il faut en convenir ; je n'avais pas l'audace De m'attendre, madame, à cet excès de grâce. Cet aveu me confond, et je ne puis douter Combien, en le faisant, il a dû vous coûter. Madame, pardonnez au trouble qui me gêne, Mon bonheur est trop grand pour le croire sans peine. Quand je songe quel prix vous m'avez destiné, De vos rares bontés je me sens étonné. Mais moins à ces bontés j'avais droit de prétendre, Plus au retour trop dû vous devez vous attendre. Croyez, sous ces dehors de la tranquillité, Que le fond de mon coeur n'est pas moins agité. À d'autres, en effet, il eût convenu mieux. Avec autant de goût on a de meilleurs yeux, Et je ne trouve point, sans doute, en mon mérite, De quoi justifier ici votre conduite : Mais je vois qu'avec moi vous voulez plaisanter ; C'est à moi de savoir, madame, m'y prêter. Madame, vous jouez fort bien la comédie ; Votre talent m'étonne, il me fait même envie ; Et, pour savoir répondre à des discours si doux, Je voudrais en cet art exceller comme vous : Mais, pour vouloir trop loin pousser le badinage, Je pourrais à la fin manquer mon personnage, Et reprenant peut-être un ton trop sérieux... Ah ! per... Je me tais Me suis-je assez longtemps contraint en sa présence ? Ai-je montré près d'elle assez de patience ? Ai-je assez observé ses perfides noirceurs ? Suis-je assez poignardé de ses fausses douleurs ? Douceurs pleines de fiel, d'amertume et de larmes, Grands dieux ! que pour mon coeur vous eussiez eu de charmes ! Si sa bouche, parlant avec sincérité, N'eût pas au fond du sien trahi la vérité ! J'en ai trop enduré, je devais la confondre ; À cette lettre enfin qu'eût-elle osé répondre ? Je devais à mes yeux un peu l'humilier ; Je devais... Mais plutôt songeons à l'oublier. Fuyons, éloignons-nous de ce séjour funeste ; Achevons d'étouffer un feu que je déteste Mais ne partons qu'après avoir tiré raison Du perfide Valère et de sa trahison. J'ai tort, mon cher Valère, et t'en demande excuse : Mais pouvais-je prévoir une semblable ruse ? Qu'un coeur bien amoureux est facile à duper ! Il n'en fallait pas tant, hélas ! pour me tromper. Quoi ! songes-tu ? Lisette, ah ! mon enfant, serais-tu bien capable De trahir mon amour en me rendant coupable ? Ta maîtresse de tout se rapporte à ta foi ; Si tu veux me sauver cela dépend de toi. Hélas ! de mes faiblesses Montre quelque pitié. J'avais compté sur toi, mon attente est trompée ; Je n'ai plus qu'à mourir. Si tu rends de mes feux l'espérance accomplie, Dispose de mes biens, dispose de ma vie ; Cette bague d'abord... Qu'est-ce ? Morbleu ! Dieux ! quel espoir flatteur succède à ma souffrance ! Mais n'abuses-tu point ma crédule espérance ? Puis-je compter sur toi ? Je verrais terminer tant de peines cruelles ! Je pourrais voir enfin mon amour couronné ! Dieux ! À tant de plaisirs serais-je destiné ? Je sens que les dangers ont irrité ma flamme ; Avec moins de fureur elle brûlait mon âme Quand je me figurais, par trop de vanité, Tenir déjà le prix dont je m'étais flatté. Quelqu'un vient. Évitons de me laisser connaître. Avant le temps prescrit je ne dois point paraître. Hélas ! mon faible coeur ne peut se rassurer, Et je crains encor plus que je n'ose espérer. Je sens ce que je dois à vos bontés, madame : Mais vos sages leçons ont si touché mon âme, Que, pour vous rendre ici même sincérité, Peut-être mieux que vous j'en aurai profité. Vous marier ! vous-même ? Oh ! non : c'est fort bien fait. Cet hymen-là s'est fait avec un grand secret. Qui ? Valère ? Ah ! mon ami, je t'en fais compliment. Mais Éliante donc ? Parbleu ! voilà, madame, un exemple bien race ! Mais c'est être pressés : Le contrat dès ce soir ! Ce n'est pas raillerie ? À vos ordres toujours je dois me résigner. Pour vous plaire, madame, il n'est rien qu'on ne fasse. Le futur est en blanc ; tout va bien jusqu'ici. Il faut donc vous le dire, Je demande... La liberté d'écrire. Oui, d'écrire mon nom dans le blanc que voilà. Eh quoi ! belle Isabelle, Ne vous lassez-vous point de m'être si cruelle ? Faut-il encor... La peste des valets ! Te tairas-tu ?... Voilà bien, à mon gré, le plus maudit bavard ! Madame, pardonnez... Le grand diable d'enfer puisse-t-il l'emporter ! Toi déparleras-tu, parleur impitoyable ? Puis-je enfin me flatter qu'un penchant favorable Confirmera le don que vos lois m'ont promis ? Ah ! Vous mettez par là le comble à mon bonheur. **** *creator_rousseau *book_rousseau_engagementtemeraire *style_verse *genre_bergerie *dist1_rousseau_verse_bergerie_engagementtemeraire *dist2_rousseau_verse_bergerie *id_VALERE *date_1747 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_valere Ami, je suis charmé du bonheur de la flamme. Il manquait à celui qui pénètre mon âme De trouver dans ton coeur les mêmes sentiments, Et de nous voir heureux tous deux en même temps. Peux-tu voir de sang froid comme il se désespère, Lisette ? Ah ! Sa douleur aurait dû t'attendrir. Eh ! Ma pauvre Lisette, Laisse de ces propos l'inutile défaite ; Sers-nous si tu le peux, si tu le veux du moins, Et compte que nos coeurs acquitteront tes soins. Dis-nous un peu... Il est fort question de te mettre en colère ! Songe à bien accomplir ton projet salutaire, Et, loin de t'irriter contre ce pauvre amant, Connais à ses terreurs l'excès de son tourment. Mais je brûle d'ardeur de revoir Éliante : Ne puis-je pas entrer ? Mon âme impatiente... Eh quoi ! Belle Éliante, avez-vous donc pu croire Que Valère, à ce point ennemi de sa gloire. De son bonheur surtout, cherchât en d'autres noeuds Le prix dont vos bontés avaient flatté ses voeux ? Ah ! que vous avez mal jugé de ma tendresse ! Dorante est, comme vous, instruit de tout ceci. Gardez votre secret en affectant de feindre. Isabelle, bientôt, lasse de se contraindre, Suivant notre projet peut-être, dès ce jour, Tombe en son propre piège et se rend à l'amour. Si mon zèle suffit et mon respect extrême, Vous pourriez bien, madame, en répondre vous même. On ne refuse pas, madame, un sort si doux ; Mais d'un terme trop court... Non, monsieur le notaire ; on s'en rapporte en tout À ce qu'a fait madame ; il suffit qu'à son goût Le contrat soit passé. Au vrai, tous ces détails nous sont fort inutiles. Nous croyons le contrat plein de clauses subtiles ; Mais on n'a nul désir de les voir aujourd'hui. Jamais plus justement vous n'auriez pu compter Sur mon obéissance. Que demandes-tu là ? Eh ! Quelle fantaisie De nous troubler ?... **** *creator_rousseau *book_rousseau_engagementtemeraire *style_verse *genre_bergerie *dist1_rousseau_verse_bergerie_engagementtemeraire *dist2_rousseau_verse_bergerie *id_ISABELLE *date_1747 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_isabelle L'hymen va donc enfin serrer des noeuds si doux ; Valère, à son retour, doit être votre époux : Vous allez être heureuse. Ah ! Ma chère Éliante ! Non, l'hymen n'aura plus de droits sur ma personne, Cousine ; un premier choix m'a trop mal réussi. Je veux suivre la loi que j'ai su me prescrire ; Ou du moins... Car Dorante a voulu me séduire, Sous le feint nom d'ami s'emparer de mon coeur ; Serais-je donc ainsi la dupe d'un trompeur ? Qui, par le succès même, en serait plus coupable, Et qui l'est trop, peut-être ? Point ; il ne m'aura pas trompée impunément. Il vient. Éloignons-nous, ma cousine, un moment. Il n'est pas de son but aussi près qu'il le pense ; Et je veux à loisir méditer ma vengeance. Ah ! Dorante, bonjour. Quoi ! Tous deux tête à tête ! Eh mais ! vous faisiez donc votre cour à Lisette ? Elle est vraiment gentille et de bon entretien. Si c'est là votre objet, rien ne vous reste a faire, Car Lisette s'attache a tous mes sentiments. Oh ! surtout, quittons les compliments, Et laissons aux amants ce vulgaire langage. La sincère amitié, de son froid étalage A toujours dédaigné le fade et vain secours : On n'aime point assez quand on le dit toujours. J'oserais bien prédire Que, sur le ton touchant dont vous vous exprimez. Vous aimerez bientôt, si déjà vous n'aimez. Oui, vous. Je crois lire en vos yeux des symptômes d'amour. Point ici de détour : parlez-moi franchement ; Seriez-vous amoureux ? Sur ce ton positif, je n'ai plus rien à dire : Vous ne voudriez pas, je crois, m'en imposer. Ainsi donc votre coeur, qu'aucun objet ne tente, Les a tous dédaignés, et jusques aujourd'hui N'en a point rencontré qui fût digne de lui ? Eh bien ! J'en suis charmée, Voilà notre amitié pour jamais confirmée, Si, ne sentant du moins nul penchant à l'amour, Vous y voulez pour moi renoncer sans retour. Vous répondez pour lui ! C'est de mauvaise grâce. Ce ne sont point des lois, Dorante, que j'impose ; Et si vous répugnez à ce que je propose, Nous pouvons dès ce jour nous quitter bons amis. Vous êtes complaisant, je veux être indulgente ; Et pour vous en donner une preuve évidente, Je déclare à présent qu'un seul jour, un objet, Doivent borner le voeu qu'ici vous avez fait. Tenez pour ce jour seul votre coeur en défense ; Évitez de l'amour jusques à l'apparence Envers un seul objet que je vous nommerai ; Résistez aujourd'hui, demain je vous ferai Un don... Soit, il faut vous satisfaire ; Et je vous laisserai régler votre salaire. Je n'en excepte rien que les lois de l'honneur : Je voudrais que le prix fût digne du vainqueur. Oui : mais si vous manquez un moment de prudence, Le moindre acte d'amour, un soupir, un regard, Un trait de jalousie enfin, de votre part, Vous privent à l'instant du droit que je vous laisse : Je punirai sur moi votre propre faiblesse, En vous voyant alors pour la dernière fois : Telles sont du pari les immuables lois. Votre coeur aisément pourra les rebuter : Ne craignez rien. C'est moi. Oui, moi-même. D'où vous vient cette surprise extrême ? Si le combat avait moins de facilité, Le prix ne vaudrait pas ce qu'il aurait coûté. Va, Lisette, il n'a rien qu'il n'ait bien mérité. Quoi ! pendant si longtemps il m'aura pu séduire, Dans ses pièges adroits il m'aura su conduire ; Il aura, sous le nom d'une douce amitié... Et j'en aurais pitié ! Il faut que ces trompeurs trouvent dans nos caprices Le juste châtiment de tous leurs artifices. Tandis qu'ils sont amants, ils dépendent de nous : Leur tour ne vient que trop sitôt qu'ils sont époux. Oui, le tour est heureux. Je médite à Dorante une assez bonne pièce Où nous aurons besoin de toute ton adresse. Valère en peu de jours doit venir de Paris ? Tant mieux, à mon projet cela vient à merveilles. Valère et ma cousine, unis d'un même amour, Doivent se marier peut-être dès ce jour. Je veux de mon dessein la faire confidente. Tu dis fort bien, vraiment ; mais pourtant mon projet Demanderait... Attends... Mais oui, voilà le fait. Nous pouvons aisément la tromper elle-même ; Cela n'en fait que mieux pour notre stratagème. Qu'appelles-tu, plus loin ? Ce sont ici des jeux, Mais dont l'événement doit être sérieux. Si Dorante est vainqueur et si Dorante m'aime, Qu'il demande ma main, il l'a dès l'instant même ; Mais si son faible coeur ne peut exécuter La loi que par ma bouche il s'est laissé dicter, Si son étourderie un peu trop loin l'entraîne, Un éternel adieu va devenir la peine Dont je me vengerai de sa séduction, Et dont je punirai son indiscrétion. D'abord, à ses dépens nous nous amuserons ; Puis nous verrons après ce que nous en ferons. Elle croit tout de bon que j'en veux à Valère ? Ah ! très assurément Ce procédé va mal avec mon caractère. D'ailleurs... Non, quand je l'aimerais, je ne suis pas capable... Le tour, je te l'avoue, est malin. Mais... Oui. Je vais faire la fausse lettre. À Valère feignant de la vouloir remettre, Tu tâcheras tantôt, mais très adroitement, Qu'elle parvienne aux mains de Dorante. Le voici lui-même : Rentrons. Il vient à point pour notre stratagème. Tubleu ! Le joli style ! Après de pareils tours on ne dit rien, sinon Qu'il faut pour les trouver être femme ou démon. Oh ! que voici de quoi bien réjouir mon maître ! Quelqu'un vient ; c'est lui-même. Dorante, il n'est plus temps d'affecter désormais Sur mes vrais sentiments un secret inutile. Quand la chose nous touche ; on voit la moins habile À l'erreur qu'elle feint se livrer rarement. Je prétends avec vous agir plus franchement. Je vous aime, Dorante ; et ma flamme sincère, Quittant ces vains dehors d'une sagesse austère Dont le faste sert mal à déguiser le coeur, Veut bien à vos regards dévoiler son ardeur. Après avoir longtemps vanté l'indifférence, Après avoir souffert un an de violence, Vous ne sentez que trop qu'il n'en coûte pas peu Quand on se voit réduite à faire un tel aveu. Votre discrétion, vos feux, votre constance, Ne méritaient pas moins que cette récompense ; C'est au plus tendre amour, à l'amour éprouvé, Qu'il faut rendre l'espoir dont je l'avais privé. Plus vous auriez d'ardeur, plus, craignant ma colère, Vous vous attacheriez à ne pas me déplaire ; Et mon exemple seul a pu vous dispenser De me cacher un feu qui devait m'offenser. Mais quand à vos regards toute ma flamme éclate, Sur vos vrais sentiments peut-être je me flatte, Et je ne les vois point ici se déclarer Tels qu'après cet aveu j'aurais pu l'espérer. Non, je ne trouve point que votre air soit tranquille ; Mais il semble annoncer plus de torrents de bile Que de transports d'amour : je ne crois pas pourtant Que mon discours, pour vous, ait eu rien d'insultant, Et sans trop me flatter, d'autres à votre place L'auraient pu recevoir d'un peu meilleure grâce. Dorante, c'est pousser bien loin la modestie : Ceci n'a point trop l'air d'une plaisanterie : Il nous en coûte assez en déclarant nos feux, Pour ne pas faire un jeu de semblables aveux. Mais je crois pénétrer le secret de votre âme ; Vous craignez que, cherchant à tromper votre flamme, Je ne veuille abuser du défi de tantôt Pour tâcher aujourd'hui de vous prendre en défaut. Je ne vous cache point qu'il me paraît étrange Qu'avec autant d'esprit on prenne ainsi le change : Pensez-vous que des feux qu'allument nos attraits Nous redoutions si fort les transports indiscrets, Et qu'un amour ardent jusqu'à l'extravagance Ne nous flatte pas mieux qu'un excès de prudence ? Croyez, si votre sort dépendait du pari, Que c'est de le gagner que vous seriez puni. À la plaisanterie il n'en ferait que mieux. Tout de bon, je ne sais où de cette boutade Votre esprit a péché la grotesque incartade. Je m'en amuserais beaucoup en d'autres temps. Je ne veux point ici vous gêner plus longtemps. Si vous prenez ce ton par pure gentillesse, Vous pourriez l'assortir avec la politesse ; Si vos mépris par moi veulent se signaler, Il faudra bien chercher de quoi m'en consoler. Quoi ! De peur d'étourderie, Allons faire en secret veiller sur sa furie. Dans ses emportements je vois tout son amour... Je crains bien à la fin de l'aimer à mon tour. Ce sang-froid de Dorante et me pique et m'outrage. Il m'aime donc bien peu, s'il n'a pas le courage De rechercher du moins un éclaircissement ! Mais il nous faut encor le secours de Valère. Je crois qu'il voudra bien nous servir aujourd'hui. J'ai bonne caution qui me répond de lui. J'ai besoin d'un mari seulement pour ce soir, Voudriez-vous bien l'être ? Hé bien ! qu'en dites-vous ? Il est bon de vous dire, Au reste, que ceci n'est qu'un hymen pour rire. J'espère que son coeur ne pourra résister Au trait que je lui garde. Ah ! vous voilà, Dorante ! De vous voir aussi peu je ne suis pas contente Pourquoi me fuyez-vous ? Trop de présomption M'a fait croire, il est vrai, qu'un peu de passion De vos soins près de moi pouvait être la cause : Mais faut-il pour cela prendre si mal la chose ? Quand j'ai voulu tantôt, par de trop doux aveux, Engager votre coeur à dévoiler ses feux, Je n'avais pas pensé que ce fût une offense À troubler entre nous la bonne intelligence ; Vous m'avez cependant, par des airs suffisants, Marqué trop clairement vos mépris offensants ; Mais, si l'amant méprise un si faible esclavage, Il faut bien que l'ami du moins m'en dédommage ; Ma tendresse n'est pas un tel affront, je croi, Qu'il faille m'en punir en rompant avec moi. Lisette, qu'il est froid ! il a l'air tout de glace. Depuis notre entretien, vous serez bien surpris D'apprendre en cet instant le parti que j'ai pris. Je vais me marier. En personne. D'où vient cette surprise extrême ? Ferais-je mal, peut-être ? Point. C'est sur le refus que vous m'avez su faire Que je vais épouser... devinez. Valère. Me cède son amant. Lisette, il me paraît Qu'il ne s'anime point. Périssent mon caprice et mes jeux insensés. Non, sans doute, monsieur ; et même je vous prie, En qualité d'ami, de vouloir y signer. S'il signe, c'en est fait, il faut que j'y renonce. Je n'ai pas lieu de craindre Que de ce qu'il contient personne ait à se plaindre. Signons, je le veux bien, voilà mon écriture. À vous, Valère. Eh ! mon Dieu ! non. Dorante veut-il bien nous faire aussi la grâce ?... Le coeur me bat : je crains la fin de tout ceci. Il signe sans façon !... À la fin je soupçonne... Ne me trompez-vous point ? Hélas ! Et plût au ciel que vous me trompassiez ! Je serais sûre au moins de l'amour de Dorante. Rien. Mais je serais contente. Valère, enfin l'hymen va couronner nos voeux ; Pour en serrer les noeuds sous un heureux auspice Faisons, en les formant, un acte de justice. À Dorante à l'instant je cède le pari. J'avais cru qu'il m'aimait, mais mon esprit guéri. S'aperçoit de combien je m'étais abusée. En secret mille fois je m'étais accusée De le désespérer par trop de cruauté. Dans un piège assez fin il s'est précipité ; Mais il ne m'est resté, pour fruit de mon adresse, Que le regret de voir que son coeur sans tendresse Bravait également et la ruse et l'amour. Choisissez donc, Dorante, et nommez en ce jour Le prix que vous mettez au gain de la gageure : Je dépends d'un époux, mais je me tiens bien sûre. Qu'il est trop généreux pour vous le disputer. Eh bien ! quoi ? D'écrire ? Ah ! vous m'avez trahie ! Je ne sais si ce don vous est si bien acquis, Et j'entrevois ici de la friponnerie. Mais, en punition de mon étourderie, Je vous donne ma main et vous laisse mon coeur. **** *creator_rousseau *book_rousseau_engagementtemeraire *style_verse *genre_bergerie *dist1_rousseau_verse_bergerie_engagementtemeraire *dist2_rousseau_verse_bergerie *id_ELIANTE *date_1747 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_eliante Vous soupirez ? Eh bien ! Si l'exemple vous tente, Dorante vous adore, et vous le voyez bien. Pourquoi gêner ainsi votre coeur et le sien ? Car vous l'aimez un peu ; du moins je le soupçonne. Prenez votre revanche en faisant celui-ci. Il est donc pardonnable. Ciel ! Que viens-je d'entendre ? Et qui voudra le croire ? Inventa-t-on jamais perfidie aussi noire ? À de telles noirceurs Qui pourrait reconnaître Isabelle et Valère ? Ah ! Carlin, qu'à propos je te rencontre ici ! Cours appeler Dorante, et dis-lui qu'Isabelle, Lisette, et son ami, nous trahissent tous trois. Valère ? Ah ! Le perfide ! Il méprise mon coeur, Il épouse Isabelle ; et sa coupable ardeur, À son ami Dorante arrachant sa maîtresse, Outrage en même temps l'honneur et la tendresse. J'en ai, pour mon malheur, la preuve trop certaine. J'étais par pur hasard dans la chambre prochaine ; Isabelle et Lisette arrangeaient leur complot. À travers la cloison, jusques au moindre mot, J'ai tout entendu... Lisette en peu d'instants sûrement doit sortir Pour porter à Valère elle-même une lettre Qu'Isabelle en ses mains tantôt a dû remettre. Tâche de la surprendre, ouvre-la, porte-la Sur-le-champ à Dorante ; il pourra voir par là De tout leur noir complot la trame criminelle. Qu'il tâche à prévenir cette injure cruelle, Mon outrage est le sien. De mon juste retour tu peux tout te promettre. Lisette va venir : souviens-toi de la lettre. Un autre procédé serait plus généreux ; Mais contre les trompeurs on peut agir comme eux. Faute d'autre moyen pour le faire connaître, C'est en le trahissant qu'il faut punir un traître. Oui, Valère, déjà de tout je suis instruite ; Avec beaucoup d'adresse elles m'avaient séduite Par un entretien feint entre elles concerté, Et que, sans m'en douter, j'avais trop écouté. Je conviens avec vous de toute ma faiblesse. Mais que j'ai bien payé trop de crédulité ! Que n'avez-vous pu voir ce qu'il m'en a coûté ! Isabelle, à la fin par mes pleurs attendrie, A par un franc aveu calmé ma jalousie ; Mais cet aveu pourtant, en exigeant de moi Que sur un tel secret je donnasse ma foi Que Dorante par moi n'en aurait nul indice. À mon amour pour vous j'ai fait ce sacrifice : Mais il m'en coûte fort pour le tromper ainsi. Eh mais ! il faudra voir. Comment ! il vous faut donc des cautions, cousine, Pour pleiger vos maris ? Au moins ce n'est pas tout de bon ; Vous me l'avez promis, cousine ? Lisette, explique-lui... **** *creator_rousseau *book_rousseau_engagementtemeraire *style_verse *genre_bergerie *dist1_rousseau_verse_bergerie_engagementtemeraire *dist2_rousseau_verse_bergerie *id_LISETTE *date_1747 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lisette Vous me prêtez, monsieur, un petit caractère, Mais fort joli vraiment ! Fort bien. Vous débitez la fleurette à merveilles, Et vos galants discours enchantent les oreilles, Mais au fait, croyez-moi. Tout doux ! monsieur ! Je le vois. Malepeste ! Comme a m'interpréter, monsieur, vous êtes leste ! Je m'entends autrement, et sais qu'auprès de nous Ce jargon séduisant de messieurs tels que vous Montre, par ricochet, où le discours s'adresse. Moi ? je ne pense rien : mais, si vous m'en croyez, Vous porterez ailleurs des feux trop mal payés. Qui vous a dit cela ? Moi ? je n'y songe pas. Non, par ma foi. Diantre ! comme au cerveau d'abord le feu vous monte ! Je ne m'y frotte plus. Et pourquoi si longtemps, vous, me faire un mystère D'un secret dont je dois être dépositaire ? J'ai voulu vous punir par un peu de souci Isabelle n'a rien aperçu jusqu'ici. C'est mentir. Mais gardez qu'elle ne vous soupçonne ; Car je doute en ce cas que son coeur vous pardonne. Vous ne sauriez penser jusqu'où va sa fierté. Elle vient. Essayez de lire dans son âme, Et surtout avec soin cachez-lui votre flamme ; Car vous êtes perdu si vous la laissez voir. Taisez-vous donc, jaseur. Oh ! ma foi, pour le coup mon homme est en déroute. Bravo ! prenez courage. Mais il faut bien, monsieur aider au badinage. Gardez de... Il ment, ma foi, fort bien ; j'en suis assez contente. Madame, il n'ose pas, par pure politesse, Donner à ce discours son approbation ; Mais je sais que l'amour est son aversion. Il faut ici du coeur. Pour vous plaire, madame, il n'est rien qu'il ne fasse. Mais regardez-le donc ; sa figure est à peindre ! De ce pauvre garçon le sort me touche l'âme. Vous vous plaisez par trop à maltraiter sa flamme, Et vous le punissez de sa fidélité. Fait prospérer l'amour ? Ce sont bien, il est vrai, les plus francs hypocrites ! Ils vous savent longtemps faire les chattemites : Et puis gare la griffe. Oh ! d'avance auprès d'eux Prenons notre revanche. Il arrive aujourd'hui, Dorante en a l'avis. Or, expliquez-nous donc la ruse sans pareilles. Que ferez-vous, hélas ! de la pauvre Éliante ? Elle gâtera tout. Avez-vous oublié Qu'elle est la bonté même, et que, peu délié, Son esprit n'est pas fait pour le moindre artifice, Et moins encor son coeur pour la moindre malice ? Mais si Dorante, enfin, par l'amour emporté, Tombe dans quelque piège où vous l'aurez jeté, Vous ne pousserez pas, du moins, la raillerie Plus loin que ne permet une plaisanterie ? Mais s'il ne commettait qu'une faute légère Pour qui la moindre peine est encor trop sévère ? Oui, tout a réussi, madame, par merveilles. Éliante écoutait de toutes ses oreilles, Et sur nos propos feints, dans sa vaine terreur, Nous donne bien, je pense, au diable de bon coeur. Et que trouvez-vous là que de fort ordinaire ? D'une amie en secret s'approprier l'amant, Dame ! attrape qui peut. Vous n'aimez point l'amant qui sait lui plaire, Et la vertu vous dit de lui laisser son bien. Ah ! qu'on est généreux quand il n'en coûte rien ! Mais croyez-vous au fond d'être bien moins coupable ? Très malin. Les frais en sont faits, il faut en voir la fin, N'est-ce pas ? Oh ! vraiment, Carlin est si nigaud que... Voilà déjà mon drôle aux aguets : tout va bien. Je ne te voyais pas ; on dirait qu'en vedette Quelqu'un t'aurait mis là pour détrousser les gens. Aussi peu redoutables ? Que leur volerais-tu ? pauvre enfant ! je n'ai rien. Fort bien ; mais de ma part tâchant de me défendre, Vous ne prendriez rien, du moins pour le moment. Cette lettre. Carlin ? Eh mais, c'est une lettre... Que je mets dans ma poche. Déjà deux fois Vous avez essayé de la prendre par ruse. Je voudrais bien savoir... Et si c'était pour eux... Elle est pour d'autres gens. Et si, vous la donnant, je vous faisais promettre De ne la point montrer, me le tiendriez-vous ? Vous m'apprenez comment il faudra me conduire. De ne la point montrer on a su me prescrire ; J'ai promis en honneur. Ma foi, monsieur Carlin, j'en serais très fâchée. Voyez l'impertinent ! Il est vrai ; d'un rival devenue amoureuse, De vos soins désormais je suis peu curieuse. Non, je t'aime toujours. Mais il tombe en faiblesse. Pourquoi vouloir aussi lui cacher ma tendresse ? C'est moi qui, l'assassine. Eh ! vite mon flacon. Sens, sens, mon pauvre enfant. Ah ! le rusé fripon ! Comment te trouves-tu ? De la mienne bientôt ta mort serait suivie. C'est ma lettre, coquin, qui t'a ressuscité. Avec toi cependant trop longtemps je m'amuse ; Il faudra que je rêve à trouver quelque excuse, Et déjà je devrais être ici de retour. Adieu, mon cher Carlin. Eh quoi ! peux-tu douter de toute ma constance ? Il croit m'avoir dupée, et rit de mes propos : Avec tout leur esprit, les hommes sont des sots. Que vous êtes tous deux ardents à la colère ! Sans moi vous alliez faire une fort belle affaire ! Voilà mes bons amis si prompts à s'engager ; Ils sont encor plus prompts souvent à s'égorger ; Vous pouvez en parler tout-à-fait à votre aise ; Mais pour monsieur Dorante, il faut, ne lui déplaise, Qu'il nous fasse l'honneur de prendre son congé. C'est vous qui n'avez pas songé À la loi qu'aujourd'hui vous prescrit Isabelle. On peut se battre, au fond, pour une bagatelle, Avec les gens qu'on croit qu'elle veut épouser : Mais Isabelle est femme à s'en formaliser ; Elle va, par orgueil, mettre en sa fantaisie Qu'un tel combat s'est fait par pure jalousie ; Et, sur de tels exploits, je vous laisse à juger Quel prix à vos lauriers elle doit adjuger. Point, je veux lui conter vos brillantes prouesses, Pour vous faire ma cour. Très noble chevalier, Jamais un paladin ne s'abaisse à prier : Tuer d'abord les gens, c'est la bonne manière. Si je lui dis un mot, ce mot pourra l'aigrir, Et contre moi peut-être il tirera l'épée. Oh ! Le rare secret : Mais il est du vieux temps, j'en ai bien du regret ; C'était un beau prétexte. Quelle nécessité ? Je prétends vous servir par générosité Je veux vous protéger auprès de ma maîtresse Il faut qu'elle partage enfin votre tendresse ; Et voici mon projet. Prévoyant de vos coups, Elle m'avait tantôt envoyé près de vous Pour empêcher le mal, et ramener Valère, Afin qu'il ne vous pût éclaircir ce mystère ; Que si je ne pouvais autrement tout parer, Elle m'avait chargé de vous tout déclarer. C'est donc ce que j'ai fait quand vous vouliez vous battre, Et qu'il vous a fallu, monsieur, tenir à quatre. Mais je devais, de plus, observer avec soin Les gestes, dits et faits dont je serais témoin, Pour voir si vous étiez fidèle à la gageure. Or, si je m'en tenais à la vérité pure, Vous sentez bien, je crois, que c'est fait de vos feux : Il faudra donc mentir ; mais pour la tromper mieux Il me vient dans l'esprit une nouvelle idée... Je suis persuadée... Non... Si... si fait... Je crois... Ma foi, je n'y suis plus. Mais à quoi bon tant de soins superflus ? L'idée est toute simple ; écoutez bien, Dorante : Sur ce que je dirai, bientôt impatiente, Isabelle chez vous va vous faire appeler. Venez ; mais comme si j'avais su vous celer Le projet qu'aujourd'hui sur vous elle médite, Vous viendrez sur le pied d'une simple visite, Approuvant froidement tout ce qu'elle dira, Ne contredisant rien de ce qu'elle voudra. Ce soir un feint contrat pour elle et pour Valère Vous sera proposé pour vous mettre en colère : Signez-le sans façon ; vous pouvez être sûr D'y voir partout du blanc pour le nom du futur. Si vous vous tirez bien de votre petit rôle, Isabelle, obligée à tenir sa parole, Vous cède le pari peut-être dès ce soir, Et le prix, par la loi, reste en votre pouvoir. Le compliment est doux ! Vous me payez ainsi de ma bonté pour vous ? Que les amants sont vifs ! Oui, venez avec moi. Vous, de votre bonheur fiez-vous à ma foi, Et retournez chez vous attendre des nouvelles. Dorante va venir, madame, en un moment. J'ai fait en même temps appeler le notaire. Oh ! oui ; car pour la mine, Elle trompe souvent. Dorante est là ; sans moi, vous alliez tout gâter. Bon, c'est qu'il est piqué ; c'est par pure grimace. Avant le mariage, oui, le fait est bizarre ; Car si c'était après, ah ! qu'on en céderait Pour se débarrasser ! Il croit que l'on badine : Attendez le contrat, et vous verrez sa mine. Item vous nous feriez une faveur insigne Si, de ces mots cornus le poumon dégagé, Il vous plaisait, monsieur, abréger l'abrégé. En voici d'une bonne ! Il serait fort plaisant que vous le pensassiez ! Pour en faire quoi ? Que les pauvres enfants se contraignent tous deux ! Il est donc fou ? Bon ! Veut-il m'écouter ? Et peut-on dire un mot où parle monsieur Carle ! Non, vous avez, mon cher, une très bonne vue, Témoin la lettre... Que j'ai tant eu de peine à me faire voler. Mon Dieu ! Quel imbécile ! Tu t'imaginais donc être le plus habile ? Jamais comparaison ne fut moins méritée, Au bien de mon prochain toujours je suis portée ; Tu vois que par mes soins ici tout est content, Ils vont se marier, en veux-tu faire autant ? Souvent, parmi les jeux, le coeur de la plus sage Plus qu'elle ne voudrait en badinant s'engage. Belles, sur cet exemple apprenez en ce jour Qu'on ne peut sans danger se jouer à l'amour. **** *creator_rousseau *book_rousseau_engagementtemeraire *style_verse *genre_bergerie *dist1_rousseau_verse_bergerie_engagementtemeraire *dist2_rousseau_verse_bergerie *id_CARLIN *date_1747 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_carlin Monsieur ? Oui, depuis fort longtemps. Qu'il est beau. Beau, très beau, plus beau qu'on ne peut être. Que diable ! Selon : s'il nous restait garni ; Cuisine foisonnante, et cellier bien fourni ; Pour vos amusements, Isabelle, Éliante ; Pour ceux du sieur Carlin, Lisette la suivante ; Mais, oui, je m'y plairais. Acheté ? Bon ! par quelle aventure ? Isabelle n'est pas d'âge ni de figure À perdre ses châteaux en quatre coups de dé Peste ! La belle emplette ! Résolue à part vous ? C'est une affaire faite. Le château désormais ne saurait nous manquer. Oh ! Monsieur, je n'ai pas une tête si vive ; Et j'ai tant de lenteur dans l'imaginative, Que mon esprit grossier, toujours dans l'embarras, Ne sait jamais jouir des biens que je n'ai pas : Je serais un Crésus sans cette maladresse. Ah ! De moraliser je n'ai plus nulle envie. Comme on te traite, hélas ! Pauvre philosophie ! Çà, vous pouvez parler, j'écoute sans souffler. Rien ne m'est plus facile. Voyons. Oh ! Quel secret ! Ma foi, Je le savais sans vous. Vous. Oui, vous : vous conduisez avec tant de mystère Vos intrigues d'amour, qu'en cherchant à les taire, Vos airs mystérieux, tous vos tours et retours En instruisent bientôt la ville et les faubourgs. Passons. À votre amour la belle répond-elle ? Vous croyez être aimé d'Isabelle ? Quelle preuve avez-vous du bonheur de vos feux ? Oh ! Ce ton-là, ma foi, sent la bonne fortune ; Mais trop de confiance en fait manquer plus d'une, Vous le savez fort bien. Mais en effet, C'est de sa tendre ardeur une preuve constante ! Peste ! Ceci va bien. En amusant les belles On vient au sérieux. Il faut rire auprès d'elles ; Ce qu'on fait en riant est autant d'avancé. Eh ! Qui voudriez-vous qui pût ici lui plaire ? Il n'entre en ce château que vous seul et Valère, Qui, près de la cousine en esclave enchaîné, Va bientôt par l'hymen voir, son feu couronné. Économisez mieux ces exclamations ; Il est, pour les placer, d'autres occasions Où cela fait merveille. Or, quant à notre affaire, Je ne vois pas encor ce que mon ministère, Si vous êtes aimé, peut en votre faveur : Que vous faut-il de plus ? Vous offensez, monsieur, les droits de mon métier. On doit choisir son monde, et puis s'y confier. Valère est arrivé ; moi j'accours à l'instant, Et voilà la façon dont Dorante m'attend. Où diable le chercher ? Hom, qu'il m'en doit de belles ! On dit qu'au dieu Mercure on a donné des ailes : Il en faut en effet pour servir un amant, S'il ne nourrit son monde assez légèrement Pour compenser cela. Quelle maudite vie Que d'être assujettis à tant de fantaisie ! Parbleu ! ces maîtres-là sont de plaisants sujets ! Ils prennent, par ma foi, leurs gens pour leurs valets ! Éliante paraît ; elle a les yeux en pleurs ! À qui diable en a-t-elle ? Ceci couvre à coup sûr quelque nouveau mystère. Et moi, très à propos je vous y trouve aussi, Madame, si je puis vous y marquer mon zèle. Je le cherche moi-même, et déjà par deux fois J'ai couru jusqu'ici pour lui pouvoir apprendre Que Valère au logis est resté pour l'attendre. Mais de qui tenez-vous un si bizarre fait ? Il faut se défier des rapports qu'on nous fait. Mais, c'est de quoi me confondre ; À cette preuve-là je n'ai rien à répondre. Que puis-je cependant faire pour vous servir ? Madame, la douleur Que je ressens pour vous dans le fond de mon coeur... Allume dans mon âme... une telle colère... Que mon esprit... ne peut... Si je tenais Valère... Suffit... Je ne dis rien... Mais, ou nous ne pourrons, Madame, vous servir... ou nous vous servirons. Souviens-toi ! c'est bien dit ; mais pour exécuter Le vol qu'elle demande, il y faut méditer. Lisette n'est pas grue, et le diable m'emporte Si l'on prend ce qu'elle a que de la bonne sorte. Je n'y vois qu'embarras. Examinons pourtant Si l'on ne pourrait point... Le cas est important ; Mais il s'agit ici de ne point nous commettre, Car mon dos... C'est Lisette, et j'aperçois la lettre. Éliante, ma foi, ne s'est trompée en rien. Hasardons l'aventure. Eh ! comment va Lisette ? Mais, j'aimerais assez à piller les passants Qui te ressembleraient. Non, des gens qui seraient autant que toi volables. Carlin de ce rien-là s'accommoderait bien. Par exemple, d'abord je tâcherais de prendre... Il faudrait donc tâcher de m'y prendre autrement. Qu'est-ce que cette lettre ? où vas-tu donc la mettre ? Oh ! vraiment, je le vois. Mais voudrais-tu me dire à qui ?... Je te demande excuse ; Je dois à tes secrets ne prendre aucune part. Je voulais seulement savoir si par hasard Cette lettre n'est point pour Valère ou Dorante. D'abord, je me présente, Ainsi que je ferais même en tout autre cas, Pour la porter moi-même et vous sauver des pas. Tu mens ; voyons la lettre : Oui. Lisette, en honneur, j'en jure à tes genoux. Oh ! c'est un autre point : Ton honneur et le mien ne se ressemblent, point. Ah ! vous êtes cachée ! Je connais maintenant quel est votre motif. Votre esprit en détours serait moins inventif, Si la lettre touchait un autre que vous-même : Un traître rival est l'objet du stratagème, Et j'ai, pour mon malheur, trop su le pénétrer Par vos précautions pour ne la point montrer. Oui, perfide, je vois que vous me trahissez Sans retour pour mes soins, pour mes travaux passés ; Quand je vous promenais par toutes les guinguettes, Lorsque je vous aidais à plisser vos cornettes, Quand je vous faisais voir la Foire ou l'Opéra, Toujours, me disiez-vous, notre amour durera. Mais déjà d'autres feux ont chassé de ton âme Le charmant souvenir de ton ancienne flamme. Je sens que le regret m'accable de vapeurs ; Barbare, c'en est fait, c'est pour toi que je meurs ! Je reviens à la vie. Ta divine liqueur m'a tout réconforté. Tu t'en vas, mon amour ? Rassure-moi, du moins, sur ta persévérance. À la fin je triomphe, et voici ma conquête. Ce n'est pas tout ; il faut encore un coup de tête : Car, à Dorante ainsi si je vais la porter, Il la rend aussitôt sans la décacheter ; La chose est immanquable : et cependant Valère Vous lui souffle Isabelle, et, sous mon ministère, Je verrai ses appas, je verrai ses écus Passer en d'autres mains, et mes projets perdus ! Il faut ouvrir la lettre... Eh ! oui ; mais si je l'ouvre, Et par quelque malheur que mon vol se découvre, Valère pourrait bien... La peste soit du sot ! Qui diable le saura ? moi, je n'en dirai mot. Lisette aura sur moi quelque soupçon peut-être : Eh bien ! nous mentirons... Allons, servons mon maître, Et contentons surtout ma curiosité. La cire ne tient point, tout est déjà sauté ; Tant mieux : la refermer sera chose facile... Diable ! voyons ceci. « Je vous préviens par cette lettre, mon cher Valère, supposant que vous arriverez aujourd'hui, comme nous en sommes convenus. Dorante est notre dupe plus que jamais : il est toujours persuadé que c'est à Éliante que vous en voulez, et j'ai imaginé là-dessus un stratagème assez plaisant pour nous amuser à ses dépens, et l'empêcher de troubler notre mariage. J'ai fait avec lui une espèce de pari, par lequel il s'est engagé à ne me donner d'ici à demain aucune marque d'amour ni de jalousie, sous peine de ne me voir jamais. Pour le séduire plus sûrement, je l'accablerai de tendresses outrées, que vous ne devez prendre à son égard que pour ce qu'elles valent ; s'il manque à son engagement, il m'autorise à rompre avec lui sans détour ; et s'il l'observe, il nous délivre de ses importunités jusqu'à la conclusion de l'affaire. Adieu. Le notaire est déjà mandé : tout est prêt pour l'heure marquée, et je puis être à vous dès ce soir. » Moi, je vous cherche aussi : Ne m'avez-vous pas dit de revenir ici ? Donnez-vous patience. Si vous montrez en tout la même pétulance, Nous allons voir beau jeu. Ce n'est rien ; seulement à vos tendres amours Il faudra dire adieu. Point de courroux. Je sais bien qu'Isabelle Dans le fond de son coeur vous aime uniquement ; Mais, pour nourrir toujours un si doux sentiment, Voyez comme de vous elle parle à Valère. Allez-vous soupçonner que c'est moi qui l'ai fait ? À la chère suivante Je l'ai surpris tantôt par ordre d'Éliante. Elle avait découvert Toute la trahison qu'arrangeaient de concert Isabelle et Lisette, et pour vous en instruire, Jusqu'en ce vestibule a couru me le dire. La pauvre enfant pleurait. Pour moi, depuis longtemps je m'en étais douté. Continuellement on les trouvait ensemble. Oui, c'était justement pour mieux cacher leur jeu. Mais leurs regards... Parbleu ! Voilà l'affaire. Jamais crédulité fut-elle plus étrange ? Mais que sert le regret ? et qu'y faire après tout ? Quoi ! Vous prétendez donc être témoin vous-même ? Peut-être... J'y cours. Monsieur, les chevaux sont tout prêts, La chaise nous attend. Monsieur, le temps se passe. Il est six heures et demie : Monsieur, nous partirons trop tard. Monsieur, il faut me taire : Mais nous avons ce soir bien du chemin à faire. Eh ! Parle, au nom du ciel ! Avant qu'on parle, parle : Parle, pendant qu'on parle : et, quand on a parlé, Parle encor, pour finir sans avoir déparlé. Que diable font-ils donc, aurais-je la berlue ? Eh bien ! De quoi veux-tu parler ? Quoi ! C'était tout exprès ?... Je sens que j'avais tort ; cette ruse d'enfer Te doit donner le pas sur monsieur Lucifer. Tope, j'en fais le saut ; mais sois bonne diablesse ; À me cacher tes tours mets toute ton adresse ; Toujours dans la maison fais prospérer le bien ; Nargue du demeurant quand je n'en saurai rien. **** *creator_rousseau *book_rousseau_engagementtemeraire *style_verse *genre_bergerie *dist1_rousseau_verse_bergerie_engagementtemeraire *dist2_rousseau_verse_bergerie *id_UNLAQUAIS *date_1747 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_unlaquais Le notaire est ici.