**** *creator_rousseaujb *book_rousseaujb_ceinturemagique *style_prose *genre_comedy *dist1_rousseaujb_prose_comedy_ceinturemagique *dist2_rousseaujb_prose_comedy *id_MADAMEMERLUCHE *date_1701 *sexe_masculin *age_veteran *statut_exterieur *fonction_autres *role_madamemerluche Or ça, mes nièces, parlons un peu d'affaires. Vous commencez à devenir grandes filles, mes enfants ; et à votre âge, je le sais par mon expérience, les jours sont longs et les années sont courtes. Je crois qu'il est temps, ou jamais, de songer à vous pourvoir. Feu monsieur Goguelu, votre père, se voyant près d'aller rendre ses comptes en l'autre monde, s'avisa de faire un testament. Il eût bien mieux fait de mourir subitement, le pauvre homme ! Il n'eut pas cet esprit-là. Il vous laissa sous la tutelle, vous du Capitan, et vous du seigneur Trufaldin ; deux aussi grands benêts, sans les flatter, qu'il y en ait dans le pays. En cette qualité, il a réglé qu'ils pourraient vous épouser au bout de l'an, ou bien vous marier à leur fantaisie. Voilà l'année finie. Quelle est votre intention à toutes deux ? Voilà une réponse fort claire. Et vous ? Oui ? Voilà donc votre réponse, mademoiselle Lucette ? Et vous, mademoiselle Baliverne, est-ce là tout ce que vous avez à me dire ? Vous ne dites pas cela, mais enfin. Mais enfin vous ne dites rien. Et moi, qui n'ai pas le loisir de lanterner, je suis votre servante. Faites vos affaires comme vous l'entendrez. Vous n'êtes pas mal impertinentes, mes petites nièces ! Mais enfin il n'y a qu'un oui ou un non qui servira. Vous Lucette, voulez-vous épouser le Capitan ? Eh quoi n'est-ce pas oui que vous dites ? Ah voilà parler. C'est quelque chose que cela. Et vous, êtes-vous dans la résolution de prendre Trufaldin pour mari ? Plaît-il ? Dépêchez-vous, je m'en vais. Voilà bien du Phébus pour dire non. Ah jeunesse, jeunesse ! Oh ça, puisque ces deux-là ne vous conviennent point, j'en ai deux autres à vous proposer, qui vous sont venus demander ce matin à moi. Le premier est un grand garçon. Cela se peut. Oui. Vous y êtes. Justement. C'est cela même. Au diantre soit la petite mijaurée ! L'autre est un jeune homme du même âge riche, sage, bien fait, et qui s'appelle Octave. Vous riez ? Je vois bien que vous ne le connaissez pas, comme votre soeur. Elle est de bonne foi, celle-ci. Eh bien ! Consentez-vous à le recevoir pour époux ? Et vous, serez-vous bien aise d'épouser Horace ? Voilà qui est bien. Rentrez chacune chez vous. Je vais parler à vos tuteurs. S'ils y consentent, l'affaire se consommera dès aujourd'hui et s'ils n'y consentent point, je saurai bien les y obliger par force ou par adresse. Ah ! Les voici fort à propos. Je vous cherchais messieurs ; et j'ai une proposition à vous faire, à tous deux. Vous êtes tuteurs de mes nièces. Elles sont en âge d'être pourvues, et je dois, comme leur tante, penser à leur établissement. Vous, seigneur Trufaldin, vous connaissez Horace ? Il vous demande votre pupille en mariage. Et vous, seigneur Capitan, Octave est de vos voisins; il est dans le dessein de prendre Lucette pour épouse. Voyez ce que vous avez à répondre. Allons seigneur Capitan. Il ne faut point tant de cérémonies pour dire une parole. Parlez, vous, seigneur Trufaldin : quelle réponse faut-il que je fasse à Horace ? Et par quelle raison, je vous prie ? Fort bien. Et vous, que souhaitez-vous que je dise de votre part à Octave ? Et pourquoi cela, s'il vous plaît ? Je ne manquerai pas de leur dire cela de votre part : mais, en attendant, je puis vous répondre de la mienne, que mes nièces ne seront ni pour vous, ni pour vous. Cela est vrai : témoin ce procédé que vous eûtes, il y a quelque temps, contre un passant qui vous donna je ne sais combien de soufflets, sans que vous vous missiez en défense. Eh mon ami, croyez-moi, vous êtes vous-même le plus grand poltron qu'il y ait à vingt lieues à la ronde ; comptez là-dessus. Mais, pour couper court, j'ai à vous dire, en un mot comme en cent, que je ne me soucie ni de Nembroth ni de Faribroth ; que je suis la tante de mes nièces ; et qu'à moins qu'elles ne consentent à vous épouser, je seconderai de tout mon pouvoir tous les stratagèmes qu'Horace et Octave mettront en oeuvre pour vous les enlever à l'un et à l'autre. Sans tant de forfanterie, tâchez d'avoir entre ci et ce soir le consentement de mes nièces. Si vous me faites voir qu'elles vous aiment, je signerai la première à votre contrat. Sinon, je vous ferai connaître de quel bois se chauffe madame Merluche. Une bonne et une mauvaise. Mes nièces ne s'éloignent pas de vous épouser ; mais leurs tuteurs se sont mis dans la tête de les épouser eux-mêmes. C'est à vous à y rêver. Ce sont deux hommes très propres à donner dans tous les panneaux qu'on leur voudra tendre. Mais ils vont être furieusement en garde contre vous. Votre soin est de faire en sorte de tirer mes nièces de chez eux pour les amener chez moi ; et le mien est de faire tenir vos contrats tout prêts, afin de profiter vite de l'occasion. Adieu. Songez à vos affaires je vais songer aux miennes. Je suis bien aise de vous rencontrer. On vient de m'adresser un homme admirable, un fameux astrologue qui est arrivé depuis peu en ce pays-ci. C'est un personnage extraordinaire, un homme qui possède la philosophie cabalistique, et les sciences divinatoires, comme celui qui les a faites. Il m'a dit du premier coup, tout ce qui m'est arrivé depuis que je suis au monde et il m'a assuré qu'il vous ferait voir, clair comme le jour, si vous êtes aimés de mes nièces. Vous savez que j'ai mis votre mariage avec elles à cette condition-là ; et j'en passerai par tout ce qu'il me dira. Il est à deux pas d'ici, je vais vous le faire venir tout présentement. Ah ! Mon Dieu ! Qu'est-ce que c'est que cela ? Êtes-vous devenus fous ? Est-ce une farce que vous jouez ? Comme vous voilà fagotés ! Hé, hé, hé, hé ! Qui est-ce qui vous a ajustes comme cela ? Ah, ah, ah, ah ! On va se moquer de vous. Vous n'êtes pas raisonnable. Un homme sérieux comme vous. Une personne de votre profession ! Octave et Horace ont emmené mes nièces ? Si cela est, c'est un signe évident qu'elles ne vous aiment point. Mes enfants, il faut avaler cela tout doucement. Je vous ai proposé tantôt deux partis sortables pour mes nièces. Vous avez voulu vous approprier leurs personnes et leur bien cela ne vous a pas réussi elles sont chez moi. J'ai signé leur contrat le voilà ; et si vous voulez être décadenassés, il faut que vous preniez la peine de le signer aussi. Seigneur Octave et vous seigneur Horace venez chez moi pour y célébrer vos mariages. Et vous, messieurs, rentrez chacun dans vos logis ; et, si vous m'en croyez, ne parlez de cette aventure que le moins qu'il vous sera possible. **** *creator_rousseaujb *book_rousseaujb_ceinturemagique *style_prose *genre_comedy *dist1_rousseaujb_prose_comedy_ceinturemagique *dist2_rousseaujb_prose_comedy *id_LUCETTE *date_1701 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lucette Hé mais, ma tante pour ce qui est de moi, dame, je ne sais pas que vous dire, car, voyez-vous une fille, enfin, vous comprenez bien. Ah ! Ma tante, ne vous en allez pas. Non, vraiment, ma tante. Et qui est l'autre, ma tante ? Pardonnez-moi, ma tante je le connais fort bien. Oui, ma tante. Que vous plaît-il, seigneur Capitan ? Ce n'est rien, seigneur Capitan. Seigneur Capitan, je suis votre très humble servante. **** *creator_rousseaujb *book_rousseaujb_ceinturemagique *style_prose *genre_comedy *dist1_rousseaujb_prose_comedy_ceinturemagique *dist2_rousseaujb_prose_comedy *id_BALIVERNE *date_1701 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_baliverne Ah ma tante, en vérité, vous demandez là des choses bien extraordinaires. Comment voulez-vous qu'on vous réponde ? Et le moyen d'acheminer la pudeur et la bienséance aux termes d'une déclaration comme celle-là. Nous ne disons pas cela, mais enfin. Mon Dieu, ma tante, que vous êtes pressante ! Vous traitez les sentiments du coeur avec une autorité tyrannique, et vous ne leur donnez pas le temps de se développer par les gradations nécessaires. Puisque vous me défendez de périphraser mes élocutions, et que vous exigez de mon ingénuité le laconisme d'une décision monosyllabique la particule négative est celle dont je me servirai pour vous répondre. N'est-ce pas un jeune homme qui vient quelquefois au logis ? Qui est si bien fait et qui a des manières si polies? Qui est toujours vêtu si magnifiquement ? Qui s'appelle Horace ? Et qui loge dans la grande place, vis-à-vis la maison du gouverneur ? Je ne le connais point. Je ferai tout ce qu'il vous plaira. Que désirez-vous, seigneur Trufaldin ? C'est un rire de réminiscence, monsieur. Seigneur Trufaldin, je vous souhaite toutes sortes de prospérités. **** *creator_rousseaujb *book_rousseaujb_ceinturemagique *style_prose *genre_comedy *dist1_rousseaujb_prose_comedy_ceinturemagique *dist2_rousseaujb_prose_comedy *id_OCTAVE *date_1701 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_octave Quelles nouvelles avez-vous à nous apprendre ? Quels moyens emploierons-nous pour empêcher ce funeste mariage ? Non. Je ne sais. Et ce faquin de Capitan va être en garde contre toutes les tentatives que je pourrais faire pour parler à l'aimable Lucette. Qui est-ce qui rendrait nos lettres ? Quel parti prendre ? À quelle invention recourir ? Quelle résolution former ? Que vois-je ? N'est-ce pas ? Oui. Eh ! C'est toi, mon pauvre Francisque ? Par quelle aventure te retrouvé-je en ce pays-ci ? Te voilà dans un plaisant équipage ! Il semble que le ciel t'ait fait venir ici pour nous tirer d'embarras. Seigneur Horace, voilà l'homme qu'il nous faut le génie le plus heureux, l'esprit le plus fertile en expédients que nous puissions jamais trouver. Qu'as-tu donc fait, depuis six ans que tu as quitté mon service ? Je prends part aux dignités que ton mérite t'a procurées ; et... Il a raison ce n'est pas lui qui emmena le cheval, c'est le cheval qui l'emmena. Or ça, mon pauvre Francisque, te sens-tu toujours ces nobles dispositions que je t'ai vues autrefois, ce génie heureux pour la fourberie, cette généreuse tendresse pour l'argent, ce vertueux mépris des coups de bâton et des étrivières ? Il s'agit de tromper la vigilance de deux Argus qui tiennent dans l'esclavage deux filles qui sont sous leur tutelle. De faire en sorte de les tirer de leur maison pour les conduire chez leur tante, qui est dans nos intérêts. L'un d'eux est le Capitan Escarbombardon qui demeure dans ce logis. Seigneur Capitan, je veux bien commencer par vous mettre en liberté ; mais quand vous y serez, soyez persuadé que je vous donnerai les étrivières jusqu'à ce que vous ayez signé. Vous pouvez aller maintenant où il vous plaira. **** *creator_rousseaujb *book_rousseaujb_ceinturemagique *style_prose *genre_comedy *dist1_rousseaujb_prose_comedy_ceinturemagique *dist2_rousseaujb_prose_comedy *id_HORACE *date_1701 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_horace Hé bien, madame, quelle réponse vous a-t-on faite ? Que ferons-nous pour détourner l'exécution de ce fatal dessein ? Mon cher Octave, n'imaginez-vous rien pour détourner l'orage qui nous menace ? Comment faire pour sortir du labyrinthe où nous sommes ? Ce brutal de Trufaldin ne souffrira jamais que nous entrions chez lui. Nous ne pourrons pas même leur écrire. Tous nos valets leur sont connus. Rêvez un peu de votre coté, tandis que je rêverai du mien. Il me semble que j'ai vu ce coquin-là quelque part. J'ai quelque idée de l'avoir vu il n'y a pas longtemps. Ah par ma foi, je me le remets à son récit. C'est lui que j'ai vu, il y a six semaines, à Marseille, voler, en présence de toute la ville, le cheval d'un gentilhomme. Comment ce ne fut pas ta faute ? Voilà un compère qui a de l'esprit, et qui pourrait bien, s'il voulait, nous tirer de l'inquiétude où nous sommes. D'empêcher que ces deux brutaux n'épousent ces deux belles personnes. Et de trouver moyen de leur faire tenir à chacune une lettre, qui les instruise de ce que nous aurons imaginé. Et l'autre, nommé Trufaldin est logé dans cette maison. J'entends ouvrir. Il ne faut pas qu'on nous voie ensemble. Sortons, et allons chez la tante concerter notre entreprise. Vous n'irez pas si loin, messieurs; nous voici. **** *creator_rousseaujb *book_rousseaujb_ceinturemagique *style_prose *genre_comedy *dist1_rousseaujb_prose_comedy_ceinturemagique *dist2_rousseaujb_prose_comedy *id_TRUFALDIN *date_1701 *sexe_masculin *age_veteran *statut_exterieur *fonction_autres *role_trufaldin Je reviens dans le moment qu'on m'attende au logis, et qu'on ait soin de faire bien mitonner mon potage pour ce soir. Me voilà prêt à vous ouïr. Je ne parlerai pas le premier. L'honneur vous appartient. Vous pouvez lui répondre qu'il n'a qu'a prendre parti ailleurs, et que je ne suis pas dans le sentiment de lui donner votre nièce. Par la raison que je suis dans le dessein de la prendre pour moi. J'empêcherai bien qu'Horace ne me l'enlève et ma maison sera si bien fermée, que je défie homme vivant d'y entrer sans canon. Soit. Je rentre, et je vais sur-le-champ avoir une explication là-dessus. Eh bien ! Seigneur Capitan en quelles dispositions avez-vous trouvé Lucette ? Elle a consenti à votre mariage ? Il faut que j'aie fait la même impression sur le coeur de la mienne ; car elle m'a répondu de la même manière. Vous verrez que ces vives impressions-là seront cause que nous ne les épouserons ni l'une ni l'autre. Cela se pourrait bien ; car j'ai ouï dire à la mienne, qui lit les romans, qu'Astrée ne déclara sa passion à Céladon qu'à la fin du cinquième volume. Je trouve la chose assez problématique et je voudrais, pour beaucoup, être éclairci de la vérité. Envoyez-le-nous promptement, madame Merluche, envoyez-le-nous promptement. Il faut voir si cet habile homme nous apprendra ce que nous désirons savoir. Monsieur le docteur, nous voudrions... Vous devez avoir apporté beaucoup de curiosités de tous ces pays étrangers que vous venez de nommer ? Monsieur le docteur, nous sommes persuadés de votre admirable savoir, et nous vous dirons de nous éclaircir un doute. Nous sommes tuteurs de deux jeunes personnes que nous avons dessein d'épouser mais leur tante n'y veut point consentir, qu'elle ne sache si nous en sommes aimés et elles s'expliquent là-dessus d'une manière très ambiguë. Or, nous serions bien aises, par le moyen de vos rares connaissances, d'apprendre au vrai ce qui en est. C'est cela même. Ah, malepeste, j'ai fait le plus terrible rêve du monde. Je songeais que j'étais métamorphosé en chouette, et que je voyais dans l'air une quantité prodigieuse d'alouettes. J'en ai vu une entre autres, la plus appétissante du monde, et j'ai volé après elle pour la gober ; mais comme j'en étais tout proche, il est venu un étourneau qui me l'a enlevée sur la moustache et tout d'un coup j'ai repris ma figure humaine, avec cette différence que je me suis trouvé un nez si long, que je n'en ai jamais pu voir le bout. Je vous prie de me dire quel signe c'est. Oui. De mort subite ? Quelquefois, quand je suis seul. Pour l'ordinaire. Toujours, quand je vais à l'air. Comment diable, mort subite ! Passe pour cela. Je vous en prie de tout mon coeur. Cela fera des merveilles. Qu'est-ce que c'est que ces deux papiers que vous tenez là ? À genoux ? C'est une chose admirable que l'astrologie. Je m'appelle le seigneur Trufaldin. Apportez nous donc vitement votre ceinture constellée. Il a raison. Descendez, Baliverne. Prenez ma houppelande, et gardez-vous bien de la gâter. Qu'est-ce que ce fou rire qui vous prend ? Voilà un homme d'un prodigieux savoir ! Oui ; mais si on nous voit en cet état, on se moquera de nous ? Elle est d'acier, monsieur le docteur ? Et moi aussi. Ne voyez-vous rien, seigneur Capitan ? Morbleu je vois quelque chose, moi : Horace s'approche de ma maison. On ouvre ma porte ! Baliverne sort avec lui ! Laissez-moi donc aller. Il me l'emmène, seigneur Capitan ! Ne me retenez donc pas. Ah ! Nous sommes pris pour dupes ! Je suis au Désespoir. J'enrage. Ah, madame Merluche, votre scélérat d'astrologue. Je vous dis que... Je veux vous dire... Je vous dis que ce pendard que vous nous avez envoyé, qui nous a mis en cet état ; et pendant ce temps-là, Octave et Horace ont emmené vos nièces. Moi, signer le contrat ? Puisque la chose est faite, il faut-bien s'y résoudre. **** *creator_rousseaujb *book_rousseaujb_ceinturemagique *style_prose *genre_comedy *dist1_rousseaujb_prose_comedy_ceinturemagique *dist2_rousseaujb_prose_comedy *id_LECAPITAN *date_1701 *sexe_masculin *age_veteran *statut_exterieur *fonction_autres *role_lecapitan Qu'on porte mes armes chez le fourbisseur que mes pistolets soient bien nettoyés ; et que mon épée de combat soit prête au plus tard dans demi-heure. Parlez. Répondez, seigneur Trufaldin. Parlez parlez, je vous le permets. Eh bien je vous l'ordonne. Vous lui direz, que s'il veut avoir Lucette, il n'a qu'à la venir chercher au bout de cette épée. Parce que je suis résolu, moi, de lui faire l'honneur de la prendre pour femme. Pauvre femme ! Et ou diable pouvez-vous trouver un parti plus avantageux un parti en qui se rencontrent plus éminemment le bien, la noblesse, et la valeur ? Pour mon bien, il est connu de tout le monde. J'ai huitante mille écus, à quelques zéros près, de patrimoine. Quant à la noblesse cadédis, je descends, moi qui vous parle, en droite ligne de Nembroth et pour ce qui est de la valeur, celle d'Alexandre, celle de Thémistocle, de Scipion, de Pompée, de César ; vétilles. J'ai par-devers moi trente batailles plus sanglantes que celle du Granique, sans compter les combats singuliers, et les procédés, qui feront un jour le tableau le plus splendide du théâtre d'honneur. Fi donc ! Vous voulez que je m'aille commettre contre un fat, qui n'est peut-être pas gentilhomme ? D'ailleurs je ne fais rien, moi, qu'avec délibération. Ce coquin me prit pendant que je délibérais ; et dans le temps que j'allais prendre mon parti, le poltron s'esquiva. Cadédis ! Si je vois Octave approcher mon hôtel de cinq cents pas, je le réduirai si bien en poussière, que le vent emportera ses cendres jusqu'à la moyenne région de l'air. Je vais aussi faire expliquer Lucette. Souvenez-vous, cependant, que je suis le Capitan Escarbombardon de la Spopondrillade c'est tout dire. Par la sandis, faut-il le demander ? N'étais-je pas sûr de mon fait ? Je ne suis pas moins l'amour des belles que la terreur des ennemis. Au contraire ma présence a fait une si vive impression sur son coeur, qu'elle en a perdu le sens ; et au lieu de oui, qu'elle voulait dire, elle m'a toujours répondu non. Je n'en ai jamais manqué une. Je n'ai besoin que d'un regard, d'un coup d'oeil, je vous les ensorcelle toutes. La pudeur les retient, sur ma parole. Voilà le fait. Nous n'avons qu'à attendre. Elles y viendront tôt ou tard. Quant à moi, je suis sûr de Lucette : la sotte m'adore, autant vaut. Mais baste, ne laissez pas de m'envoyer ce pauvre diable. Le voici, sans doute. Ce gentilhomme a de belles alliances. Nous voudrions savoir... Mon ami, je veux, pour joindre à ces raretés, te faire présent d'une de mes épées. Ce sera le plus beau meuble de ton trésor. Comment, malheureux, à genoux, moi ! Si tout l'univers s'écroulait sur mes épaules, il n'aurait pas le talent de me faire plier la jambe. Hydropique ? Je suis mort ! Monsieur le docteur ! Miséricorde ! Holà, monsieur le docteur, ne vous en allez pas nous nous mettrons comme il vous plaira. C'est fort bien pensé. Hola, Lucette. Otez-moi le manteau, et me le pliez proprement. À qui en avez-vous donc ? S'il était aussi consommé dans la science des armes que dans celle de l'astrologie, j'en ferais mon valet de chambre. Comment ferons-nous donc ? Terribles ! Cela ne fera-t-il point peur au seigneur Trufaldin ? Vous la fermez au cadenas, monsieur le docteur ? Je suis fort serré, monsieur le docteur. Je ne vois rien. Ah ventre ! Octave vient à mon logis. On ouvre aussi la mienne ! Lucette lui donne la main ! Laissez-moi aller vous-même. Elle s'en va avec lui, seigneur Trufaldin ! C'est vous qui me retenez. C'est une fourberie. C'est ce coquin... Vous aurez... Oui, mais... Débarrassez-moi de cette ferraille, et je les attraperai, fussent-ils au fond des abîmes de l'océan. J'aimerais mieux ne porter jamais épée. Donnez ; je signerai à votre considération. **** *creator_rousseaujb *book_rousseaujb_ceinturemagique *style_prose *genre_comedy *dist1_rousseaujb_prose_comedy_ceinturemagique *dist2_rousseaujb_prose_comedy *id_FRANCISQUE *date_1701 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_francisque Le mérite et les talents sont bien persécutés en ce siècle de fer ! J'ai toujours ouï dire que l'argent des sots est le patrimoine des gens d'esprit ; et cependant il n'est pas permis de prendre son bien où on le trouve, et vous êtes perpétuellement exposé aux irruptions de la populace, ou aux brutalités de la justice. Il faut voir si je serai plus heureux dans cette ville-ci que dans les autres ; et... Voilà un homme qui me connaît ; passons de l'autre côté. Vous voyez un exemple des caprices de la fortune. Ma foi, monsieur, on a beau se tourmenter pour bien faire, quand on est né malheureux, on ne réussit jamais à rien. Au sortir de chez vous, me voyant en âge de prendre un parti, je m'étais jeté dans les finances. Nous étions cinq ou six qui avions fait une compagnie pour lever un droit sur les particuliers qui vont tard dans les rues. Cela allait assez bien dans les commencements ; mais dans la suite nous fûmes traversés. Un faux frère révéla les mystères de la société. Nous nous dispersâmes ; et moi, qui ai toujours eu les inclinations belliqueuses, je me jetai dans le parti des armes. Comme je ne trouvai pas d'abord d'occasion d'aller exercer ma valeur sur la frontière, je me suis mis à faire la petite guerre dans Paris, où en peu de temps je me rendis assez recommandable. Au bruit de mes grandes actions, le lieutenant-criminel fut curieux de me voir. Il m'envoya un de ses gentilshommes, et me témoigna qu'il serait bien aise que nous eussions un quart d'heure de conversation ensemble. Je ne pus me dispenser de lui particulariser quelques faits, dont il n'avait ouï parler qu'en gros. Il en fut charmé ; et, pour me récompenser, il me donna, de son pur mouvement, un emploi sur les galères de France. J'y ai servi cinq ans avec honneur je m'y suis fort distingué. Enfin, comme je n'exerçais que par commission, mon temps étant expiré j'ai été licencié et je me suis retiré dans cette province, en attendant quelque occasion qui puisse me conduire à un poste plus élevé. Voler un cheval ! Vous me faites tort. Il est vrai que nous sortîmes ensemble de la ville à bride abattue mais ce ne fut pas ma faute. Non vraiment. Comme je passais par une petite rue fort étroite, je trouve un cheval, qui était justement en travers du chemin. Je me mis en devoir de passer par derrière. On me cria prenez garde, il vous donnera un coup de pied. Je voulus aller par devant. On me dit n'avancez pas, il vous mordra. Si bien donc que, de peur d'être mordu ou estropié, il fallait nécessairement que je passasse par-dessus. Effectivement, je mis le pied dans un des étriers et je passai une jambe. Dans ce temps-là ce diable de cheval prend le mors aux dents, et m'emporte à vingt-cinq lieues de Là. Voyez, je vous prie si cela s'appelle voler un cheval ? Toujours Monsieur. Je n'ai point varié ; et depuis que je ne vous ai vu j'ai encore fortifié mes perfections de la connaissance de tous les arts qui peuvent enrichir la profession de fourbe. Je suis empirique, astrologue, maître en fait d'armes, tailleur serrurier, maître à danser. En un mot, j'ai cinquante-trois métiers, avec lesquels je meurs de faim c'est la vérité mais si dans l'un ou dans l'autre je puis vous être bon à quelque chose, vous pouvez disposer librement de mon savoir-faire. J'en ai déjà ouï parler comme de deux imbéciles à jouer par-dessous jambe et s'ils sont, comme on me les a dépeints, je vous les expédierai en bref, sur ma parole. Puisse Jupiter, dans le signe du Lion, présider toujours à vos entreprises. Quelle diantre de cérémonie est ceci ? Je suis le célèbre astrotogue Melchior Alcofribas, issu en droite ligne de la nymphe Égérie et du sylphe Oromasis, petit-fils de Mercure Trismégiste, neveu d'Agrippa, oncle de Nostradamus, beau-frère de Mélusine, et cousin-germain de l'Almanach de Milan. Vous voyez en moi le type, le prototype et l'archétype des philosophes, l'intendant-général des sept planètes, le commissaire ordonnateur des éclipses et le gouverneur perpétuel des deux ourses, du dragon, du serpent, du chien, de l'hydre, du taureau, du lion, du scorpion, et de toute la ménagerie céleste. C'est moi qui ai inventé la cabale, qui ai mis dans le monde les sciences occultes, chiromancie, pédomancie, hydromancie pyromancie, alectromancie, sternutomancie, négromancie, pharmacie et apoplexie. Il y a dix-sept cents ans que je voyage dans le monde, où je suis connu sous le nom de Juif-errant. Depuis ce temps-là, j'ai parcouru tous les royaumes de la terre : la France, l'Espagne, l'Italie, la Turquie, la Hongrie l'Esclavonie, la Moldavie, la Scythie, la Tartarie, l'Arabie, l'Abyssinie, l'Egypte et le pays du Maine et enfin je suis venu m'établir en cette ville, pour me reposer un peu de toutes mes longues fatigues. Sans doute; mais j'en ai donné la plus grande partie au cabinet du Roi des Terres Australes ; et je n'ai apporté avec moi qu'une pomme de canne au bec de corbin, faite d'une dent de lait de l'éléphant blanc ; une pyramide d'Égypte avec la momie de Pharaon ; un basilic d'Éthiopie qui a tué deux cent mille hommes aux guerres de Congo ; le perroquet du grand Mogol, qui parle dix-sept sortes de langues, et répondait aux harangues des ambassadeurs ; une fiole de sens commun, dont je vous ferai présent, si vous voulez ; et une perruque faite des cheveux de la comète qui parut en mille-six-cent-quatre-vingt-un. C'est-à-dire que le soleil de leurs regards a fait éclipser la lune de votre entendement ; et que vous voudriez savoir par moi si l'étoile de vos désirs se pourra trouver quelque jour en conjonction avec la planète de leur consentement. Et dites-moi un peu. Quel rêve avez-vous fait cette nuit ? Quel signe c'est ? C'est signe... c'est signe... de mort subite. Oui c'est cela assurément. Ne dormez-vous pas volontiers, quand vous avez fait un bon repas ? Mort subite. Ne vous prend-il point des envies de bâiller, quand vous voyez bâiller quelqu'un ? Mort subite. Et quand il fait un vent de bise en hiver, n'avez-vous pas froid au bout du nez ? Mort subite, vous dis-je ; subitus, subitum, per omnia saecula saeculorum. Oui ; mais consolez vous, ce ne sera que dans soixante ou quatre-vingts ans. Or sus, je vais travailler à vous faire connaître clairement si vous êtes aimés ou non des deux pupilles que vous voulez épouser. Si j'avais achevé ma carte cosmo-géo-hydro-chorotopographique du royaume de Saturne, je vous mettrais l'affaire au net dans le moment mais au défaut de cela, j'ai une ceinture constellée qui a servi autrefois au prêtre Jean dans une semblable occasion et qui fera le même effet, après quelques préparations nécessaires. Voici deux lettres qu'il faut faire tenir aux nièces. Chut... Ce sont deux lettres... Je veux dire deux tables astronomiques, dont l'une contient votre thème natal, et l'autre l'horoscope des enfants qui doivent naître de votre mariage. Çà, commençons l'opération. Mettez-vous à genoux. Oui, à genoux, et appuyez-vous sur vos deux mains. Allons, vous monsieur le spadassin qui bâillez aux corneilles, à genoux. Comment ! Vous êtes réfractaire aux ordonnances de l'astrologie ! Je vous déclare, de la part du zodiaque, que vous allez devenir hydropique. Non seulement hydropique, mais encore pulmonique. Non seulement pulmonique, mais encore épileptique. Non seulement épileptique, mais encore paralytique. Et qu'enfin après avoir été hydropique, pulmonique, épiteptique paralytique, et par-dessus cela phrénétique, vous mourrez hérétique. Adieu. Ah, que diantre, on a bien de la peine à vous mettre à la raison ! Allons, bien bas. Encore plus bas. Voilà qui est bien. Ne tournez pas la tête. Ne tournez pas la tête. Voilà qui est fait. Levez-vous. Messieurs, voici un argument qui vous fera voir l'existence, la certitude et l'évidence de l'astrologie judiciaire. Écoutez bien ceci, s'il vous plaît. Les astres. Non. Les planètes. Si fait, je dis bien : les astres. Je crois pourtant que ce sont les planètes. Ma foi, je ne sais si ce sont les planètes ou les astres. Tant il y a que c'est l'un ou l'autre. Or ces planètes, ou ces astres, si vous voulez, ressemblent à des étoiles. Remarquez bien ceci. Les étoiles sont comme des flambeaux. Les flambeaux produisent la lumière. La lumière est ce qui nous illumine. En illuminant elle chasse les ténèbres. Les ténèbres se forment dans la nuit. La nuit... tous les chats sont gris. Alqui : le pôle arctique et le pôle antarctique formant une espèce de triangle hexagone, par la sympathie qu'il y a avec l'antipathie des rayons du soleil et de la lune il s'ensuit que la réverbération... de la subordination... qui se trouve... pour ainsi dire... par exemple... comme... dans un tourbillon : les influences... les influences... Comment vous appelez-vous ? Voilà un vilain nom. Pourquoi diable vous appelez-vous comme cela ? Trufaldin ! Il ne faut qu'un nom comme celui-là, pour déconcerter tout l'observatoire. Je vais vous la chercher. Mais vous avez là des manteaux qui vous embarrassent. Vous ne pourrez jamais vous en servir avec ce harnais. Appelez vos deux maîtresses, afin qu'elles les emportent. Aussi bien est-il nécessaire que je les voie. Je vais maintenant chercher votre affaire. Je vous apporte la ceinture en question. Mais je n'ai pas songé à une chose. Le prêtre Jean est fort gros, et vous êtes tous deux assez menus. Cela ne pourra jamais vous servir séparément car pour bien faire, il faut que vous soyez extrêmement serrés. Attendez je m'avise d'une chose. Elle a assez de longueur pour vous servir en même temps. Vous n'avez qu'à vous mettre dos à dos, et je vous l'attacherai à tous deux par le milieu du corps. Bon, bon ! Personne ne passe à l'heure qu'il est. Laissez-moi faire seulement. Vraiment oui. C'est une ceinture magique, semée de talismans, gravés an signe et à l'heure de Mercure, en quadrat avec Jupiter. Vous verrez avec cela des choses terribles. En aucune façon. Et oui, vraiment. Cela est essentiel. Or sus, voilà qui est bien. Vous allez voir tout à l'heure quelque chose qui vous surprendra. Tant mieux, vous ne sauriez l'être trop. Demeurez là je vais faire un tour, et je reviens dans le moment. Allons promptement faire venir nos amants. Voilà nos renards dans le piège ; profitez-en. Je me retire.