**** *creator_scudery *book_scudery_ligdamonelidias *style_verse *genre_tragicomedie *dist1_scudery_verse_tragicomedie_ligdamonelidias *dist2_scudery_verse_tragicomedie *id_LIGDAMON *date_1630 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_ligdamon Si jamais un mortel a fait expérience De cette aigre vertu qu'on nomme patience, Si jamais un captif arrêté dans les fers A supporté les maux qu'on feint dans les enfers, Si jamais un amant suivant l'ingratitude A connu quel mal c'est que d'être en servitude, Et senti puissamment quel bien nous est ôté Alors que nous perdons la douce liberté ; C'est moi chétif, c'est moi qui tente l'impossible En voulant émouvoir un rocher insensible : Ha ! Je l'appelle mal ; un rocher se fendrait, Si c'était une roche elle me répondrait Lorsque je l'entretiens du tourment que j'endure, Mais elle est de matière et plus sourde et plus dure : Tout hormis cet aspic prend part à mes malheurs, L'air pour l'amour de moi le matin fond en pleurs, L'onde même en murmure, et le vent en soupire ; Et l'ingrate Sylvie en devient toujours pire. Coeur de bronze ou de fer, âme de diamant, Qui traite également le haineur et l'amant, Injuste, inexorable, inflexible, farouche, Que je croirais flatter la nommant une souche, Salamandre de glace extrême en ses froideurs, Qui vit sans se brûler au milieu des ardeurs, Ou plutôt vrai soleil de la machine ronde Qui n'a point de chaleur échauffant tout le monde ; Hélas ! Je ne saurais guérir que par la mort : Mais un coeur généreux est maître de son sort, Essayons si Clothon nous sera plus propice, Ce rocher nous présente un affreux précipice ; Mais, ô dieux ! Le moyen de mourir par un saut, Si mon espoir est chu d'un dessein bien plus haut ? Allons à chef baissé nous abîmer dans l'onde ; Mais la mer pour cela n'est point assez profonde, Car à chaque moment mes yeux font des ruisseaux, Et je vis cependant au milieu de ces eaux, Joint que le feu cuisant qui me force à me plaindre Ressemble au feu grégeois que l'eau ne peut éteindre : Comme Porcie encor finit ses accidents, Essayons de mourir par des charbons ardents ; Nullement, ce trépas n'a garde de me prendre, Car je suis tout de flamme, et ne peux venir cendre : D'un funeste licol implorons le secours, Achevons dedans l'air le dernier de nos jours ; Mais non, je ne saurais me perdre en cette sorte, Car Cupidon m'étreint d'une corde plus forte, Des liens plus serrés me savent retenir, Cependant en ce mal je ne puis pas finir : Ne pourrai-je donc point ainsi que Cléopâtre M'appliquer un aspic capable de m'abattre ? Non car j'ai sans mourir dans le coeur des serpents Que ma jalouse humeur nourrit à mes dépends ; Il faut pour mettre fin à ma peine infinie Que le venin mortel sa faveur ne me nie : Mais comment ' Si je vis, l'esprit plein d'un poison Qui m'entrant par les yeux en chasse la raison, Afin que de mes jours la trame soit coupée, J'en porte les ciseaux au bout de mon épée : Mais fol, ne sais-je pas qu'amour qui m'a blessé M'a cent fois sans mourir le pauvre coeur percé ? Si bien que dans ce mal mon aventure est telle, Que pour mourir toujours ma mort est immortelle. Toi seul si tu le veux tu me peux assister, Petit dieu que je crois plus grand que Jupiter, Puissant maître des sens, doux roi de ma pensée, Qui sais comme Sylvie a ta gloire offensée ; Toi redoutable archer qui toujours le vainqueur Ne lache aucun trait qui n'aille droit au coeur, Si la pitié jamais eut place en ton courage, Fais-moi trouver le calme après ce long orage, Pour charmer la douleur dont je suis consumé, Que je sois moins sensible, ou rends-moi plus aimé ; Si tu souffres encore cet orgueil à Sylvie, Tu perdras ton honneur aussi bien que ma vie, Car l'univers saura que j'ai perdu le jour Parce que cette nymphe a méprisé l'amour : Or si le sentiment de ton règne te touche, Pour nous venger tous deux adoucis ma farouche : Quoi ! T'imagines-tu la neige de son sein Capable d'amortir l'ardeur de ton dessein ? Crois-tu que sa blancheur soit semblable à l'ivoire, Et que sa dureté puisse empêcher ta gloire ? Non, courbe et bande l'arc, incomparable archer, Tes dards peuvent ouvrir un coeur fait de rocher, Il n'est rien ici-bas qui ne te soit possible, Seule en cet univers serait-elle insensible ? Dieux, hommes, animaux, arbres, pierres, font voir Dans leur obéissance où s'étend ton pouvoir. Ô ciel ! Fort à propos je rencontre ma dame, Mais pourrai-je parler puisque je n'ai point d'âme ? Oui, l'objet qui la prit la prête en ce moment Pour chanter sa louange et dire mon tourment. Malgré la gaie humeur qui vous rend si chérie À ce coup je vous prend dedans la rêverie. Votre teint que j'adore a de plus belles roses, Et votre esprit n'agit qu'à de plus grandes choses. Admirez mon amour plus grande nulle fois. C'est où votre froideur se conserve dans l'ombre. Pouvez-vous voir de l'eau sans penser à mes larmes ? Elle y voulait parler, mais ma plainte l'étonne, Mon importunité l'oblige à se cacher Dedans l'antre écarté de quelque autre rocher. Leur nombre est plus petit que celui de mes peines. Oui sur votre visage, et dans moi le souci. Que ces bois d'alentour ont de routes diverses. Autant que mon amour éprouve de traverses. Vous verriez dans mon coeur bien mieux votre tableau. Voyez que de ce roc l'eau commence sa course. Ainsi de vos rigueurs mes pleurs prennent leur source. Mon coeur de la façon accompagne vos pas, Comme cet animal suivant votre paupière, Et tous deux nous cherchons la fatale lumière. C'est un mont de Sicile auprès de vos froideurs. Hélas ! Belle Sylvie, un dieu les fait chanter, Que vous allez fuyant pour ne me contenter. Donc vous méconnaissez ce que vous faites naître. Si avez. Chacun l'appelle amour. Trêves de ce discours, qui n'a rien qui me plaise. Je le veux, je m'en vais, pourvu que l'on me baise ; En vain vous reculez, on n'en peut échapper. Je demande pardon, et me veux retirer, Pourvu qu'on dise un mot qui me fasse espérer. Quoi, le parfait amour n'est-il rien en ce point ? Faveur certes sans pair, à nulle autre seconde, Faveur que l'on départ presques à tout le monde. N'aurez-vous pas pitié du feu qui me dévore ? Il est vrai, ce remède est propre à ma raison, Mais sachez que plutôt je prendrais du poison, Je me plais dans l'excès de ma mélancolie. Quoi que soit ma douleur, vous la pouvez guérir. Ô cruelle réponse, et plus cruelle absence, Qui méprise l'amour et foule l'innocence, Est-il donc ordonné par l'arrêt du destin Que jamais sa rigueur ne doive avoir de fin ? Dieux, sort, fatalité, destins et parques noires, Ôtez moi l'un des deux, la vie ou la mémoire ; Car parques et destins, fatalité, sort, dieux, En dépit de vous tous je mourrai dans ces lieux. Et vous m'importunez, m'a dit cette inhumaine, Appeler importun le récit de ma peine ; Et vous m'importunez : Ha ! Non, je veux finir, Il faut dedans mon sang noyer ce souvenir : Tigresse, où que tu sois autre part occupée, Reçois le sacrifice offert par mon épée. Sylvie, et mon malheur, que cela te suffise, Satisfait, laisse-moi poursuivre l'entreprise. Et comment ' Penses-tu me garder de mourir ? Apprends quand la douleur est extrêmement forte Que l'âme pour sortir ne peut manquer de porte, Et que nul ne saurait ce projet empêcher : Donc pour ce regard tu prêches un rocher. Ce discours enchanteur me vient ressusciter. Ha ! Bons dieux, qu'aisément on se laisse flatter. Plus dure mille fois. Exceptez en ma foi, qui jamais parjurée Plus outre que les ans étendra sa durée. Obligé du conseil, obligé de la vie, Que comme un second père or' vous me conservez, Disposez librement de ce que vous sauvez : Avant que de partir, cette lame choisie Ne pourrait-elle rien pour votre courtoisie ? Or mon destin m'attend. Adieu. Hélas ! Que ce souhait m'est amer et sensible. Parce qu'il veut une chose impossible. Oui si je m'éloignais, mais je demeure ici. Ha ! Que tu connais mal quelle est mon aventure, Depuis que le chaos enfanta la nature Et que les éléments se virent désunis, Aucuns maux que les miens ne furent infinis, Et Minerve en mon lieu quoique prudente et sage Perdrait de la raison et la force et l'usage. Si parmi les forêts tu vois un cerf chassé Portant dedans le flanc le dard qui l'a blessé Plus vite que le vent arpenter une plaine, Qui croit quittant un lieu quitter aussi sa peine ; Tel suis-je absent de l'oeil mon unique vainqueur, Je fuis, mais en fuyant j'en ai le trait au coeur, J'ai toujours dans l'esprit ce visage adorable, Comme l'ombre d'un corps se voit inséparable, Toutes sortes d'objets sont autant de portraits Où je vois son humeur ainsi que ses attraits ; Ces monts à qui la grêle est toujours inconnue, À cause que leur chef est plus haut que la nue, Me vont représentant l'excès de son orgueil, Les rocs sa dureté qui me met au cercueil ; La flamme de la foudre aussi prompte que claire Dans ses rayons de feu me dépeint sa colère ; Les arbres que je vois par les vents agités Me font ressouvenir de ses légèretés ; Mais de peindre son coeur, c'est un acte impossible, La nature n'a rien de si fort insensible, C'est là que le pinceau me demeure perclus. Or passons aux beautés que nous ne voyons plus, La rose en son éclat me présente sa bouche, La neige peint sa gorge, où personne ne touche ; Et lorsqu'en soupirant je regarde les cieux, Je vois dans le soleil un crayon de ses yeux ; La forme et la couleur de la voûte azurée Me remet dans l'esprit sa prunelle adorée ; Bref la voyant partout en mes pensers divers Je lui fais un tableau de tout cet univers : Pour quitter cet objet que l'amour me fait suivre Il faut premièrement que je cesse de vivre, Et si l'homme en mourant tout entier ne meurt pas, Qu'il reste quelque chose après notre trépas, Que l'âme comme on dit recouvre une autre vie, Dans le pays des morts, je veux aimer Sylvie. AEgide n'as tu point remarqué sa beauté ? Est-il rien si semblable à la divinité ? Mais insensé que dis-je en l'ardeur qui me presse ? Elle ressemble aux dieux, parce qu'elle est déesse. Hélas ! J'en ai tiré témoignage certain, Sa rigueur m'a fait voir qu'elle n'a rien d'humain. Allez, retirez-vous, triste image effacée, Fâcheux ressouvenir de ma douleur passée ; Passée, ha ! Qu'ai-je dit : las ! Ce nom du passé Ne convient pas au mal qui ne m'a point laissé ; Depuis le jour fatal que je quittai ma dame Un enfer portatif j'ai toujours eu dans l'âme, Qui tant que je vivrai ne m'abandonnera : AEgide ôte-le moi, ton poignard le fera, La pointe de ce fer chasse de ma pensée Celle de la douleur dont elle est offensée. Le devoir d'un sujet tel qu'un maître demande Ne gît qu'en ce seul point, faire ce qu'on commande Hélas ! Peux-tu douter que ce soit autrement ? Sans rompre mon discours souffre que je m'explique, Et ton esprit confus restera sans réplique. Dis-moi, si tu voyais quelqu'un de tes amis Dans le fond d'un cachot où le malheur l'eût mis, Et qu'il fût en ton choix de le tirer de peine. Or te voici surpris d'une forte raison, Mon âme est en ce corps comme en une prison, Sa liberté dépend d'un acte de courage, Un seul coup bien donné la tire de servage, Dont te laissant aller trop lâche à la pitié, Je conclus que c'est fait un tort à l'amitié ; Tort que je te remets, pourvu qu'à l'heure même Ton poignard soit plus doux que l'ingrate que j'aime. Je pardonne un refus qu'on fait avec effort, Assez d'autres chemins nous mènent à la mort, J'en trouverai bien un pour sortir de disgrâce. Cependant je connais en voyant cette trace D'hommes, de chariots, de pistes de chevaux, Que bientôt dans le camp nous bornons nos travaux. Adressons-là nos pas pour avoir ce bonheur D'aller l'épée au poing mourir au lit d'honneur. Insensé cavalier, aussi plein d'arrogance Comme tes sots discours le sont d'extravagance, Sur peine au même instant d'encourir le trépas Ne presse un étranger qui ne te connaît pas. Avec les yeux ouverts je te crois dans un songe, Mais laisse un innocent que tu dis criminel, Ou je t'endormirai d'un sommeil éternel. Arrête AEgide, Si tu branle, ce fer devient ton homicide, Je me sens assez fort pour mettre à la raison Celui dont la folie est sans comparaison. AEgide, soutiens le jusqu'au prochain village. Vous êtes moins blessé dans le bras qu'au cerveau. Aujourd'hui la fortune a montré son pouvoir, Mes voeux sont accomplis ayant trouvé mon maître. Ligdamon, le premier des serviteurs parfaits, Éclaircira ce doute avec les effets. Monarque dont le nom craint partout l'univers N'eut jamais d'ennemis qu'il ne mit à l'envers, Prince dont la valeur redoutable à la guerre Se va faire un État aussi grand que la terre, L'aimant de vos vertus tirant ici mes pas M'oblige d'y chercher l'honneur dans le trépas, Trop heureux en ma mort si pour comble de gloire Je puis revivre après dedans votre mémoire. Amasis, grâce au ciel, et Galathée aussi Sont dedans la santé qu'on leur souhaite ici, Je ne vous donne pas des lettres de madame, Car l'excès de douleur que je portais en l'âme Plus fort que le devoir m'enleva de ce lieu Sans ses commandements et sans lui dire adieu. L'amour et le dessein de finir ma souffrance. Oui, si ce feu s'éteint dedans le monument. Vivre comme je fais est pire que mourir. Donc n'espérant plus rien je ne dois plus durer. Puisqu'elle est sans pareille on la connaît assez, En dépit des objets qui lui portent envie, Ce titre glorieux n'appartient qu'à Sylvie. Vous parlez froidement d'une divinité. Les dieux, comme ses yeux, prennent ce qu'on leur donne. Mais elle a dérobé d'un pouvoir absolu. En dérobant mon coeur lui-même l'a voulu. Vous dissoudrez plutôt celle de la Scythie. Deux choses seulement font naître mes travaux, L'excès de son mérite, et le peu que je vaux. Vous changerez premier l'ordre de l'univers En mettant les étés dans le rang des hivers, Et plutôt vous mettrez le ciel dedans l'abîme, Et l'abîme où se voit cette voûte sublime, Que non pas de toucher d'aucun trait de pitié Ce coeur que la nature a fait sans amitié. Avant votre retour mon trépas jà tenté Vous absoud d'un serment d'impossibilité. Noire et profonde horreur où jamais la lumière Sinon faite par art ne s'offre à la paupière, Lieux où l'air épaissi fait que le jour y luit Un peu moins que le soir, un peu plus que la nuit, Lieux maudits, lieux d'effroi, tristes et déplorables, Lieux d'où rien que la mort ne sort les misérables, Lieux que la destinée a sacrés au malheur, Lieux où tous les objets ont la même couleur, Où le soleil se meurt, où le chagrin demeure, Où les plus doux pensers font désirer qu'on meure : Cachots voisins d'enfer d'où l'on oit chez Pluton Assez souvent bouillir l'onde du Phlegeton, Et dont les habitants en leur pauvre aventure Ont commerce avec ceux que tient la sépulture ; Cachots si creux qu'encor qu'ils fussent découverts Notre oeil ne pourrait voir celui de l'univers, Cachots dont le séjour est si noir et si sombre, Que l'ombre m'interdit même d'y voir mon ombre, Et dont les murs gluants d'une froide vapeur Suent d'humidité. Malgré vous aujourd'hui je porte dedans l'âme De quoi voir assez clair, puis qu'elle est toute en flamme : Mais aussi d'autre part, infortuné manoir, Auprès de mon humeur vous n'avez rien de noir ; De me plaindre pourtant je ne conçois l'envie, Trop content puis que j'ai le portrait de Sylvie, Que l'inclination a si bien su tracer De couleurs que le temps ne saurait effacer ; Excellente, parfaite, incomparable idée, Image de Venus que j'ai toujours gardée, Ici je vous adore, et mise au rang des dieux Je vous vois de l'esprit qui vaut plus que les yeux, À l'abord éclatant d'une telle pensée déjà l'obscurité se voit presque passée, Et pour ne recevoir l'affront d'être obscurci, Le soleil est heureux de n'entrer point ici : Et moi très satisfait, puis qu'en l'absence même Je possède le bien de voir tout ce que j'aime, Et certes mon esprit se plaindrait sans raison, Car trois ans sont passés qu'il ne vit qu'en prison. Dans le mécompte étrange où ce peuple s'abuse, Aegide mon ami ne cherchons point d'excuse, La belle que je sers désirant mon trépas L'honneur ne me permet de reculer un pas. J'approuve que chacun procède à sa façon, Mon esprit ne saurait souffrir une leçon, Et si tu n'as juré de t'acquérir ma haine, Laisse faire au destin, et ne te mets en peine, Car si la mort venait me prendre à cet instant Je finirais en cygne et mourrais en chantant. Le naître et le mourir sont choses naturelles. L'on doit quand on le peut abréger ces désastres, C'est ainsi que le sage a pouvoir sur les astres. Et quoi donc ' Endurer une peine éternelle ? J'endure, il est certain, un travail sans exemple Pour l'objet le plus dur que nature contemple, Qui se baigne en mes maux, se plaît en mon tourment, Et qui n'a rien de doux que les yeux seulement : Mais bien que sa rigueur tyrannise mon âme, Je veux comme un phénix mourir dedans la flamme, Et croire en expirant mon bonheur sans pareil, Car si je suis brûlé c'est du feu d'un soleil. Va t'en prendre le frère et me laisse la soeur. Nourri dans le péril où l'honneur nous embarque, J'ai toujours fait métier de mépriser la Parque, L'effroi de mille morts ne pourrait m'obliger À ce change honteux dont on me vient charger ; Ligdamon est mon nom, Seguse est ma patrie ; Au reste, lâcheté ne me fit onc affront, Si j'ai vu la frayeur c'est dessus votre front, Quand ce bras vous fauchait au milieu des batailles, Et qu'il fut l'instrument de tant de funérailles, Vous menant devant lui comme on voit un berger Qui conduit son troupeau quand il veut déloger ; Fuyant épouvantés seulement de mon ombre Ma valeur ne céda qu'à la force du nombre, Et si l'on me meurtrit, j'en ai pris ma raison, Je vous ai bien vendu ma mort et ma prison. Aegide mon ami, par un fort long usage Je sais voir le trépas sans changer de visage, Et j'aurais un esprit plus faible qu'un roseau S'il s'allait étonner pour un coup de ciseau ; Les Parques n'agissant qu'aux choses corporelles Les belles actions demeurent immortelles : arrête donc ces pleurs, en suivant mon conseil, Puisque je dois durer autant que le soleil. Vous juges abusez d'une apparence fausse, Faites qu'une prière équitable on exauce, Que l'épée à la main du moins il soit permis Que je meure vengé des brutaux ennemis. Sur le point de répandre avec le sang mon âme Je sens croître la force et l'ardeur de ma flamme, Mon amour embrasé fait ainsi qu'un flambeau Qui proche de sa fin éclaire et luit plus beau : Cher Aegide, va t'en retrouver ma maîtresse, Dis-lui que les lions plus doux qu'une tigresse Sachant bien que la mort me pouvait secourir, De pitié, non de rage, en fin m'ont fait mourir ; Dis lui que sur l'instant de sortir de ce monde Tu me vis adorer sa beauté sans seconde, Dis-lui que sans me plaindre on me vit expirer, Dis-lui que de respect je n'osais soupirer, Et que je faisais gloire encor de mon martyre : L'heure me presse, adieu, je n'ai plus qu'à te dire, Le ciel récompensant ton service et ta foi Te donne un maître riche et plus heureux que moi. Lions trop paresseux, animaux peu barbares, Changez vous de nature ! Et quoi ! La cruauté Pour m'être plus cruels vous a-t-elle quitté ? Portez tombeaux vivants où le sort veut que j'entre De la griffe à la gueule, et de la gueule au ventre, Ce misérable corps qui ne demande rien Que la mort, qu'il estime être un souverain bien : Pourquoi n'est de mon coeur votre faim assouvie Craignez vous d'effacer le portrait de Sylvie Craignez vous d'approcher de cet objet si doux Ou bien parce qu'elle est plus cruelle que vous Avancez, avancez, que rien ne vous effraye, Effacez tous ses traits par une grande plaie, Et méprisés ce fer qui vous veut résister, Car je ne me défends que pour vous irriter. En fin cet animal moins sourd que ma rebelle Soupire en rugissant, et vient quand on l'appelle : Favorable ennemi perdant la forme en moi Conserve la substance et la valeur en toi. Deux à deux, trois à trois, o bien de quatre à quatre, Qu'on lâche les lions afin de me combattre. À quoi sert d'allonger la trame de celui Que l'on a résolu de meurtrir aujourd'hui ? En un chemin fâcheux l'accourcir c'est me plaire. Mais voici le second dont la prunelle éclaire, Autant que généreux veuilles toi montrer fort. Peuple le plus cruel qu'on puisse jamais voir, À celui des lions joignez votre pouvoir, Les armes à la main, venez si bon vous semble, Femmes, enfants, soldats, et lions tous ensemble : Ce bras seul suffira pour creuser devant soi Un sépulcre assez grand et pour vous et pour moi. Avez vous inventé quelque peine nouvelle ? Dans cet évènement où je me sens confondre, Aegide mon ami, que lui dois-je répondre ? Hélas ! Je ne sais pas seulement la nommer : Madame à cette fois il faut que l'on pardonne À celui que la mort épouvantable étonne, Et dont l'esprit venant du bord du monument N'a pas la liberté de faire un compliment. Ha ! Pour vite qu'il soit, ma mort le préviendra. Astres ingénieux, fortune trop subtile, Contre qui mon secours est un acte inutile, Combien d'inventions encore gardez vous Pour darder sur mon chef la haine et le courroux ? Le tonneau des malheurs n'est il point vide encore ? N'ai-je pas épuisé la boite de Pandore ? S'il vous reste un moyen d'affliger un mortel Avant que je m'en aille immoler sur l'autel, Faites qu'au même instant il me vienne poursuivre, Car aujourd'hui sans plus je veux cesser de vivre ; Et quand le destin même allongerait mes jours, Ce bras a résolu d'en retrancher le cours, De souffrir ce tourment je n'ai plus la science, Il m'a ravi la force avec la patience, Et des maux de l'enfer ayant l'extrémité, Ma mort en ôtera la dure éternité. Hélas ! Qui vit jamais une âme infortunée Endurer tant de peine, et fut-elle damnée ? J'ai servi fort longtemps une fière beauté Avec autant d'amour qu'elle a de cruauté, J'ai pleuré, soupiré, prés de perdre la vie, Sans pouvoir adoucir la rigueur de Sylvie : Et sachant comme l'eau perce même un rocher, Mes yeux en ont versé trois ans sans s'étancher : Mais en fin j'ai connu parmi cette aventure Que le tigre et la femme ont la même nature, Et que ce sexe ingrat ne saurait soupirer Si ce n'est du regret de ne rien dévorer ; Mais quoi que sa rigueur me semblât inhumaine, L'absence toutefois m'a donné plus de peine, Et m'a bien fait juger qu'être dedans les fers Est le moindre tourment qu'on endure aux enfers, Et que le vrai supplice où sont ces misérables Consiste à ne point voir les beautés adorables : Mais pour moi j'ai par tout l'objet mon doux vainqueur, Puisque l'amour a fait que je le porte au coeur, C'est là qu'il a gravé le portrait de Sylvie. Ha ! Je discours fort mal, la raison m'est ravie, Il est vrai que mon coeur conserve ses appas, Mais ce coeur dont je parle, ô dieux ! Je ne l'ai pas, La cruelle le garde afin que je ne meure, Car sachant que c'est là que notre âme demeure Son oeil larron subtil à dessein l'a ravi, Afin qu'en ne mourant il soit toujours servi, Et semble que le sort le conspire avec elle, Car la parque pour moi n'est point assez mortelle. J'affronte le péril, je morgue le danger, Je vois vingt mille bras qui veulent m'égorger, Mais avec autant d'heur comme j'ai de courage Je demeure vivant au milieu de leur rage : L'on m'expose aux lions que la faim pousse assez Pour mettre cent vivants au rang des trépassés, Et parmi ce hasard le destin me retire, En allongeant mes jours pour croître mon martyre ; Mais bien qu'elle n'ait fait jamais que me haïr, Si suis-je résolu de ne la pas trahir, Et plutôt qu'embrasser cette dame abusée Que je vais rendre veuve aussitôt qu'épousée, Assisté du secours d'un homme suborné Par le charme de l'or que je lui ai donné, Je vais prendre la mort que ma constance ordonne Dans le vin de l'autel que sa main m'empoisonne, Et rendre mémorable en dépit du malheur Mon amour, et ma foi, ma mort, et ma valeur. Mais silence, je vois Aegide qui s'approche. As-tu perdu le sens ' Ne me connais-tu point ? Juges-tu mon esprit capable de ce point ? Ta bouche en cette affaire est-elle assez hardie Pour me solliciter de double perfidie ? L'une en trompant qui croit ses destins bien meilleurs, L'autre en rompant la foi que j'ai promis ailleurs, À genoux, insolent, et le regret en l'âme Demande le pardon d'un tort fait à madame, Demande le pardon, perfide suborneur, D'un infâme conseil qui répugne à l'honneur, Ha ! Premier que ma foi soit jamais violée Le vallon viendra mont, la montagne vallée, Le soleil déréglé son ordre ira perdant, Et fera voir l'aurore où se voit l'occident. Ne m'en parle donc plus, mais plutôt si tu m'aimes Cherche et trouve un remède à ces malheurs extrêmes. Je ne veux de ce mal non plus que du remède. quoi ! Ce noeud si mêlé n'a-t-il point d'Alexandre ? Ce labyrinthe ici d'où je ne puis partir N'a-t-il point de filet qui m'en puisse sortir ? Nullement, en coupant le filet de ma vie Je trancherai celui de ses difficultés, Dont mon coeur affligé souffre les cruautés, Et suivant jusqu'au bout cette trame fatale La mort comme Thésée ouvrira ce dédale. Veux-tu qu'en s'abusant moi même je l'abuse ? Que deviendrait la foi si saintement jurée ? Tu reviens au blasphème, il vaut donc mieux se taire. Or sus allons, Aegide, accomplir ce mystère, Toi ne me quitte point, mais me suivant toujours Regarde, considère, entends tous mes discours, Grave les dans l'esprit, et fais que ta mémoire Puisse fidèlement en rapporter l'histoire, Afin que des tourments qu'on m'aura fait sentir La cause en t'écoutant en ait du repentir. Allons donc achever une oeuvre commencée. Le chemin que je cherche est celui du trépas. Oui, dieux ! Perfide mot, rentre dans ma poitrine. C'est un faire le faut, Aegide apporte moi Ce qui va signaler mon courage et ma foi. Puissent les immortels reconnaître ta peine. Dieux ! Qui lisez aux coeurs, qui savez quel je suis, Et qui n'ignorez point l'état de mes ennuis, Qui connaissez le tort qu'on fait à ma personne, Veuillez le pardonner comme je le pardonne. Me préserve le ciel d'une faute pareille, Le monde en vous perdant perdrait une merveille, Et Lidias un jour revenant en ces lieux Y mourrait de douleur n'y voyant plus vos yeux. Je le veux et le dois, écoutez ce propos Qui nous met vous vivant et moi mort en repos : Sachez donc que je suis tout autre qu'on ne pense, Si bien que cet abus de la foi me dispense, Ne pouvant vous avoir sans double trahison, Ma bouche a pris la mort en prenant du poison. Vouliez vous que mon coeur par une offense extrême Allât confesser d'être un autre que soi-même ? Nature quelquefois se joue en ses ouvrages, Formant de mêmes traits deux différents visages. Dessus quoi fondez vous cette erreur qui m'affole ? Comment peut on partir d'où l'on ne fut jamais ? Faites que la raison à la fin vous régisse. À quoi bon ce discours ' Vous bâtissez en l'air, Lidias est absent, on ne lui peut parler. Persistez vous toujours en votre rêverie ? Quel malheur est le mien dans ces fâcheux propos, De ne pouvoir mourir seulement en repos, La Parque m'ôtera de cette tyrannie. Amis empêchez-la d'un si mauvais dessein. J'atteste derechef la suprême puissance Que jamais je ne fus de votre connaissance. Abusée aujourd'hui des traits de mon visage, Comme Pygmalion vous aimez une image, Image qui peut moins encor vous secourir, Car la sienne eut la vie, et je m'en vais mourir. La mort dans peu de temps éclaircira ce doute, Au moins si nos esprits prennent la même route. Trop de fidélité me va coûter la vie, J'en appelle à témoin le ciel et ma Sylvie. Ce beau nom a passé de l'esprit à la bouche. Aegide soutiens moi, le venin serpentant Me rampe dans le coeur que je sens palpitant, La parole me manque, et ma force succombe, Approche, couche moi, je n'en puis plus, je tombe. Reva-t-en en forêts, Aegide, vers ma dame, Dis lui que dans ma cendre encor revit la flamme, Et que pour ne fausser ce que j'avais juré Je suis mort en martyr de son oeil adoré. Adieu, ne pleure point, assure cette belle Que mon dernier soupir n'est sorti que pour elle. Quel objet se présente à mes yeux éblouis ? Je croyais que l'enfer fût couvert de ténèbres, Que l'on n'y rencontrât que des choses funèbres, Que ce fust un séjour d'horreur et de tourment ; Et j'y vois l'allégresse en son propre élément. Pitoyable fantôme, objet digne d'envie, Qui n'avez rien d'égal que la belle Sylvie, Puisque vous témoignez me vouloir secourir, Que je me crois heureux de m'être fait mourir. Le poison que j'ai pris m'éclaircit de ce point. Qui vous ferait venir dedans cette contrée ? Dites moi donc comment, soulagez mon souci. Sauveur de quatre amants, que votre tromperie A sagement conduit l'excès de ma furie, Disposez librement de mon faible pouvoir. Je promets ne garder dedans la fantaisie Que le seul souvenir de votre courtoisie. Semblables de la face et pareils de désir J'aurais en vous servant un souverain plaisir. Vous pouvez commander avec juste raison. **** *creator_scudery *book_scudery_ligdamonelidias *style_verse *genre_tragicomedie *dist1_scudery_verse_tragicomedie_ligdamonelidias *dist2_scudery_verse_tragicomedie *id_ALCIDOR *date_1630 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_alcidor Insensé que fais-tu ' Las ! Quel étrange sort Te peut contraindre ici de courir à la mort ? Je ne le ferai pas, cesse de discourir. Ô ! Que tu connais mal le naturel des femmes, L'apparente froideur cache souvent des flammes, Peut-être celle-là qui t'a tant méprisé Ainsi n'aurait pas fait si elle l'eut osé, Mais la discrétion qui la retient pressée Sous un front irrité couvre une autre pensée. Et crois-tu qu'elle soit une pierre, une souche ? Je le veux, la farouche Jure de ne te mettre au nombre des contents, Sais-tu pas qu'il n'est rien que ne vainque le temps ? Mais supposons encore, ce qu'on ne peut penser, Que ce coeur de métal ne se puisse blesser, Et que pour te guérir il faille que la Parque Ordonne au vieux Charon de te mettre en sa barque : Sans t'attaquer toi-même, insensé furieux, Que ne vas-tu chercher un trépas glorieux ? Es-tu seul à savoir que par toute la terre Aujourd'hui la valeur s'exerce dans la guerre ? C'est là qu'avec honneur le trépas est permis : Va bâtir un tombeau parmi les ennemis, Une pique à la main, soutenant une armée, Rends ta dame amoureuse avec ta renommée ; Et durant ton séjour, les dieux me soient témoins, Que je n'épargnerai ni paroles ni soins Pour rendre à tes désirs ployable ta Sylvie. Je vous baise les mains. Pour vous combler de gloire. Vivez content. Pourquoi ? L'absence bannira peut être ce souci. Portant dessus le front la morne inquiétude, Que faites-vous ici parmi la solitude ? Certes ce compliment a mon âme ravie. Où pensez-vous trouver des entretiens meilleurs ? De sorte qu'on ne peut sans importunité. Malgré tous ces dédains, si faut-il qu'on m'entende. Écoutez quatre mots. Assez proche d'ici reposant à l'ombrage J'entends plaindre un chétif d'un amoureux outrage, Curieux avançant mes pas dedans le bois Je me suis approché de cette triste voix ; J'ai connu Ligdamon, qui la face trempée Tournait devers son coeur le bout de son épée, Vous nommait en pleurant, et lors les yeux bandés. Patience, attendez, Les yeux, dis-je, bandez tout droit devers la pointe Aussitôt à son coeur elle allait être jointe. Et malgré ses efforts je lui retins la main. Excepté de celui que ce bel oeil lui donne. Moqueuse, vous riez de la douleur d'autrui. Maxime, qu'un esprit plein d'un rusé soupçon S'imagine chacun ⁎⁎⁎bêti de sa façon. Ha ! Tigre déguisé dessous la forme humaine, Fille de marbre blanc, qu'on ne peut entamer, Ou cesse d'être aimable, ou commence d'aimer. Las ! Nymphe sans pitié, qu'amour ne touche point, L'impossibilité n'est qu'en ce dernier point, Ligdamon a si bien empreinte en la mémoire, Qu'il peut sans t'oublier dans l'oubli même boire. Mais dis pourquoi ton oeil son unique vainqueur Ne veut-il accepter le présent de son coeur ? À tort de tant d'attraits nature t'a pourvue, Puisque vrai basilic on meurt en t'ayant vue. Un jour, qu'il t'en souvienne, on te verra punie De l'excès inhumain de cette tyrannie, Lorsque le temps vengeur qui vole diligent Changera ton poil d'or en des sillons d'argent, Que l'humide et le chaud manquant à ta poitrine Accroupie au foyer t'arrêteront chagrine, Que ton front plus ridé que Neptune en courroux, Que tes yeux enfoncés n'auront plus rien de doux, Et que si dedans eux quelque splendeur éclate, Elle prendra son être en leur bord d'écarlate, Que tes lèvres d'ébène, et tes dents de charbon N'auront plus rien de beau, ne sentiront plus bon, Que ta taille si droite et si bien ajustée Se verra comme un temple en arcade voûtée, Que tes jambes seront grêles comme roseaux, Que tes bras deviendront ainsi que des fuseaux, Que dents, teint, et cheveux restants sous la toilette Tu ne mettras au lit qu'un décharné squelette ; Alors certes, alors plus laide qu'un démon Il te ressouviendra du pauvre Ligdamon. Oui si tu prends pitié d'un que tu fais mourir. Bien que jà trépassé, belle et cruelle dame, Un baiser seulement lui redonnerait l'âme. **** *creator_scudery *book_scudery_ligdamonelidias *style_verse *genre_tragicomedie *dist1_scudery_verse_tragicomedie_ligdamonelidias *dist2_scudery_verse_tragicomedie *id_LIDIAS *date_1630 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lidias Puisque nous nous trouvons en ce lieu solitaire, Où tout comme je fais sait bien l'art de se taire, Dites ouvertement pour me tirer d'émoi Ce qu'Aronthe a dans l'âme, et ce qu'il veut de moi. Il suffit, le discours sied mal dans les combats, C'est pourquoi pour mourir mettez le pourpoint bas, Et prenez Amérine au bout de mon épée. Comment ' Vous reculez pour une main coupée, Ha ! Ce n'est pas assez, il faut d'un coup vainqueur Effacer un portrait que vous portez au coeur. Ô duel malheureux ! ô funeste victoire ! Qui me livre à la mort sous un appas de gloire : La rigueur de nos lois me force à m'éloigner D'un objet que les rois voudraient accompagner : Hélas ! Le rude coup que le destin me donne, Je n'aime qu'une chose, et mon oeil l'abandonne, Quoi ! La quitterons-nous ' S'en est fait, il le faut, Ou bien porter sa tête au sanglant échafaud : À la faveur de l'ombre éloignons cette ville, Allons dans le forêt rechercher un asile, Attendant que le temps nous laisse en liberté De n'être qu'en amour dans la captivité. Adieu belle Amérine, aujourd'hui plein de flamme Je t'emporte en mon coeur, et reste dans ton âme, Puisse-je en revenant trouver ton entretien Avec mon souvenir comme j'aurai le tien. Pronostique certain de mon sort lamentable, Hélas ! Votre soupçon n'est que trop véritable, Car sans vous amuser de discours superflus, L'un meurt de mille morts, et l'autre ne vit plus. Une jalouse envie Termine mon bonheur en terminant sa vie, Vous verrez un amant qu'on ne peut secourir, Si vous tournez les yeux qui le faisaient mourir. C'est lui même, Qui plus heureux que moi finit pour ce qu'il aime. Quand leurs bras à ce mort m'offriront en amende, Le ciel m'aura donné ce que je lui demande, Car m'éloigner de vous c'est plus que le trépas. Me préservent les dieux de jamais consentir À ce qui traînerait un tardif repentir : Non non, n'y songez point, le sort plus favorable Ne vous veut pas unir avec un misérable, L'objet de l'infortune et le but du malheur. Moi qui n'adore rien que votre beau visage, De tout autre serment ne connaissant l'usage, Je vous jure par lui sur le point de partir De cet aimable lieu, que je mourrai martyr. Toute terre sans vous me semble indifférente, Je prendrai la forêt en ce présent danger, Secourable refuge à tout pauvre étranger. Ô transport ! Ô plaisir ! Ô merveilleux moment ! Je me pâme, je meurs en ce ravissement. Pour me faire partir partez donc la première. Quittez un malheureux qui ne vous peut quitter. En ce jour arrivé dans l'heureuse contrée Où mes persécuteurs ne trouvent point d'entrée, Je rends grâces au ciel de ce qu'il a permis Que je sois échappé de tous mes ennemis ; Maintenant affranchi de péril et de crainte Mon esprit en repos n'a aucune contrainte, Et dans la liberté de cet heureux séjour Je ne saurais mourir si je ne meurs d'amour. Cette grande forêt si couverte d'ombrage En me faisant un bien vous a fait un outrage, Elle vous a trompée, et le pouvez juger Regardant de plus prés ce visage étranger, Qui loin du cher pays qui lui donna naissance, N'a jamais eu l'honneur de votre connaissance. Vous m'appelez d'un nom qui m'est fort inconnu, Et pour vous faire voir tout mon destin à nu, Je suis né neustrien qui pressé de désastre Viens chercher en forêt l'aspect d'un meilleur astre, Lidias est mon nom, contente en vos esprits Souffrez moi d'achever le voyage entrepris. Madame, excusez moi, je ne vous connais pas. Qui ne vous vit jamais ne vous saurait connaître. Je ne vous trouve point dedans mon souvenir. Quelque charme trompeur vous défend de me croire. Tel que je suis en moi, vous n'avez point d'amant. Aucune de ce nom je n'aimai de ma vie. Je m'en vais pour me plaire, et pour vous obliger. Cherchez-le. Elle se rit de moi comme je me ris d'elle. Demandez leur plutôt la vue ou la raison. Je ne sais que répondre à son extravagance. Souffrez qu'un étranger du malheur assailli S'enquière du chemin qui mène à Marsilly, Parmi tant de sentiers j'ai peur de me méprendre. Que le destin injurieux Qui trouble toutes mes délices A pour moi d'étranges malices, Et qu'il se monstre furieux ; Il fait qu'une fille aveuglée D'une passion déréglée Dont son faible esprit est charmé, Me poursuit d'un dessein fantasque, J'en suis aimé sans être aimé, Et crois-moi même avoir un masque. Depuis que le char du soleil Sortit le premier jour de l'onde, Ce dieu qui va par tout le monde N'a jamais rien vu de pareil, quoi que mon discours exécute La nymphe qui me persécute En m'accusant de trahison Tâche dans une erreur extrême De m'ôter avec la raison La créance d'être moi même. Elle m'embrasse, elle gémit, Elle me nomme ingrat, rebelle, Et dans sa plainte elle est si belle, Que mon triste coeur en frémit, Sans être touché de ses charmes, Je le sens couler dans les larmes Que je donne à son amitié : Mais Amerine je vous jure Que je condamne ma pitié, De peur de vous faire une injure. Je veux que le ciel en courroux Me face le but de la foudre, Si jamais on me voit résoudre D'adorer une autre que vous : Non non, cette pauvre abusée Que j'ai si souvent refusée A tort de me plus rechercher, Elle tente un acte impossible, Constant pour vous comme un rocher, Pour toute autre autant insensble. Sa mort me lairra sans terreur, Elle arrive pour une image, Je n'ai point causé ce dommage Qui ne vient que de son erreur, Et n'ai garde pour l'amour d'elle De perdre un titre de fidèle Qui m'a tant coûté d'acquérir : C'est en vain qu'elle me réclame, Sans doute on la verra périr Si ses pleurs n'éteignent sa flamme. Mais voici l'importune, amour fait aujourd'hui Qu'elle se monstre aveugle aussi bien comme lui. Celui qui court au mal et qui se le provoque Au lieu d'en être plaint mérite qu'on s'en moque. Les dieux qui savent tout savent que ma pensée Ne tend qu'à vous tirer d'une erreur insensée. Je vous monstre assez clair dedans ma résistance Que l'univers en a qui sont pleins de constance. Vous ne vous affligez qu'afin de m'affliger. Je ne saurais pour vous avoir amour ni haine. Méprisez ce mépris pour vous mettre en repos. Je naquis pour n'aimer que la seule Amerine. C'est l'unique lien qui me tient arrêté. Avant que la quitter je quitterai la vie. Elle est incomparable aussi bien que ma foi. Je l'aimai dés le jour que je vis la lumière. Madame, je ne mens, ni ne mentis jamais. Bien que les ennemis que j'ai dans la Neustrie Me défendent l'entrée en ma chère patrie, Pour vous désabuser je reçois cet accord, Songez donc à partir me menant à la mort. Que de peine à tous deux mon visage nous donne. Ce bruit confus m'étonne et me force à me plaindre. Ton Amerine est morte, il faut que tu l'imites. Destins impertinents qui me faites la guerre, Que vous conduisez mal les choses de la terre, Tout va dans le désordre en ce malheur récent, Vous sauvez le coupable et perdez l'innocent : Amerine mon coeur, mon unique pensée, Revenez en l'état où je vous ai laissée, C'est par où votre amour je désire éprouver : Non ne revenez pas, je m'en vais vous trouver, J'expire en ce soupir sur vos lèvres décloses, Et laisse mon esprit dans ce tombeau de roses. Père vous vous trompez, je ne suis qu'un coupable Qui souffre mille maux dedans un corps palpable, Je suis ce Lidias qu'un meurtre avait banni, Et je vous le ramène afin qu'il soit puni. Mon astre pour encor me cache sa lumière, Mais l'aurore en ce teint qui reparaît vermeil M'assure que bientôt nous verrons le soleil. Je suis assez brûlé des flammes de l'amour, Voyez, belle Amerine, avec toute assurance Comme l'on s'est déçu dans une ressemblance, Souffrez que je vous monstre, et sans me refuser, Que les morts comme moi savent l'art de baiser. Tout mon sang épargné se répandra pour vous. Vous à qui mon visage a fait un mal extrême, Disposez de mon bien comme du vôtre même. **** *creator_scudery *book_scudery_ligdamonelidias *style_verse *genre_tragicomedie *dist1_scudery_verse_tragicomedie_ligdamonelidias *dist2_scudery_verse_tragicomedie *id_CLIDAMANT *date_1630 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_clidamant Sire, dedans trois mots ma réponse comprise Vous fera voir à clair quelle est mon entreprise, Au discours obligeant que votre majesté A fait pour me piquer de générosité, Je dis que sous un roi père de la vaillance La timidité même aurait de l'assurance, Qu'à nul commandement je ne me veux lier, Résolu de combattre en simple cavalier : Quant au loyer promis, content de ma fortune, Des mains de Jupiter je n'en voudrais aucune ; Je suis né souverain, j'ai de quoi m'assouvir ; Mais vos rares vertus me forcent de servir, Et si dans le combat un gain je me propose, C'est celui de l'honneur, et non pas d'autre chose, Toute autre récompense est au-dessous de moi, Le nom de roi me manque, et non le coeur de roi. Sire, permettez-moi que j'aille le savoir. Dieux ! êtes vous celui que je pense connaître ? À ce coup, cher ami, je vois que le ciel m'aime, Sous un teint délicat voici la valeur même Qui vient offrir aux pieds de votre majesté L'invincible secours qu'il porte à son côté ; Je puis sans le flatter dire à son avantage Que peu de cavaliers l'égalent en courage, S'il vous plaît lui donner demain le premier rang, Sans doute il signera ce discours de son sang, Je l'ai vu maintes fois en pareille escarmouche : Sire, la vérité vous parle par ma bouche. Pour requérir la paix ? Sire, s'il est permis de conseiller un roi, Dont l'esprit va passant Jupiter en prudence, J'ose vous assurer de la part de la France, Que tous vos bons sujets fâchés de l'attentat, Veulent que leur roi soit tout ou rien dans l'État : Oeil de ce beau royaume, admirable monarque, Qui passés sur le ventre à l'implacable Parque, Faisons leur demain voir les allant affronter Que votre ire recule afin de mieux sauter, L'honneur vous y semond, et le ciel favorise L'auspice bienheureux d'une telle entreprise. Dedans ce sucre ici l'aconit on nous cache, Sire, ce n'est pas tout d'être élevé bien haut, Il faut savoir prudent se préserver du saut, Appuyer bien son trône, et domptant le rebelle Que son col à vos pieds serve d'une escabelle : Donnez à votre règne ainsi qu'aux bâtiments L'inébranlable appui de fermes fondements, Détrempés le ciment d'une telle muraille Dans l'infidèle sang de cette horde canaille. Elle passe souvent pour un mal nécessaire, L'image des bourreaux empêche de mal faire, Et l'horreur du supplice ordonné par les lois Assure puissamment la couronne des rois, La fortune s'envole aussitôt que la plume, Il faut battre le fer quand il est sur l'enclume. Un prince désirant vieillir avec l'empire Doit tout exterminer ce qui lui pourrait nuire. Si la crainte et l'amour le peuple avait ensemble, Ce serait le meilleur, au moins il me le semble, Mais ne pouvant les deux aisément acquérir, La crainte plus qu'amour empêche de périr. Mais cette heure penchera devers votre vaillance. Il faut l'épée au poing surmonter les destins, Terrasser à vos pieds l'insolence effrénée De cette populace au révolte adonnée : Les princes vont naissant avec le désir D'agrandir leur État pour croître leur plaisir : Faites donc adorer la puissance royale Des flots de Normandie à la mer provençale, Et régnant souverain qu'un clin d'oeil, qu'une voix Fasse courber chacun sous la rigueur des lois. Il faut avec le fer se rendre redoutable. Vous Alcide nouveau, trancherez tous ses chefs : Que la première ville esclave de vos armes Sente jusques où va la fureur des gendarmes, Étouffez dans leur mort les lâches trahisons, Et que le sang dérobe à nos yeux les maisons ; L'exemple sert beaucoup, la perte d'une ville Faites bien à propos vous en gagnera mille. Mais si ce triste objet ne leur touche le coeur, Ne revenez jamais sans revenir vainqueur ; Quoi qu'il coûte, mon roi, faites leur reconnaître Que de nom et d'effet vous voulez être maître : Et lorsque la victoire en ses plus grands appas Pompeuse dans son char vous suivra pas à pas, Qu'un tas de soldats morts, de drapeaux et de piques, De targues, de tambours, de bâtiments antiques, Pêle-mêle entassés en mont prodigieux, Porteront votre loi jusques dedans les cieux, Enchaînez la fortune, et lui rompant une aile, Faites que vos exploits ne se trouvent sans elle : Poursuivez, combattez, ne vous lassez jamais, Il faut faire la guerre afin d'avoir la paix, Et ne pas imiter les torrents en furie Qui bornent leur conquête à trois pas de prairie, Qui n'ont qu'une fougade, et dont l'insolent flux Se cache si profond qu'on ne le revoit plus ; Hannibal a terni le lustre de sa gloire Pour n'avoir pas suivi le fil de sa victoire, La trêve le perdit, car s'il eût combattu Rome était le loyer acquis à sa vertu ; Si neuf ans onze mois eussent rendu timides Les chefs et les soldats des troupes argolides, Après avoir souffert des maux un million, Encore subsisterait le superbe Illion : César dans le fourreau ne remit son épée Que la Gaule par lui ne se vit occupée ; Tant que l'empire entier lui fut mis en dépôt L'invincible César n'eut jamais de repos ; Vous qui les surpassés, rare ornement de France, Coeur plus grand que le corps, âme de la vaillance, Roi sans comparaison digne de posséder Tout ce que le soleil a pouvoir d'oeillader, Endossez le harnais, à cheval, grand génie, Faites que tout d'un coup la guerre soit finie, Paraissez sur les rangs, et sans plus discourir Résolvons-nous d'aller les vaincre, ou bien mourir : Les extrêmes sont bons à leur rage félone, On n'achète jamais trop cher une couronne : Donc allons au combat, et d'un coeur résolu Ou mourez en guerrier, ou vivez absolu. Eh bien, cher Ligdamon, dites-moi si ma mère Du depuis mon départ est en état prospère. L'amour, ou je me trompe, a causé cette absence. Vous pensez donc guérir par un éloignement. Chassez d'autre façon le mal qui vous possède. Rien que le seul trépas ne porte mon remède. Le sage attend la mort, le fol y veut courir. Le suprême des maux gît en la sépulture. S'il est grand, c'est au moins le dernier qu'on endure. Il ne faut point finir tant qu'on peut espérer. Que je sache le nom de cette inexorable. La plus belle du monde et la plus adorable. Ces termes généraux de grâce éclaircissez. Il est vrai, Ligdamon, qu'elle a de la beauté. Les dieux, comme ses yeux, ne font mal à personne. Or puisque je connais cette belle inhumaine, Sachez que le plaisir talonnera la peine ; Et que je vous promets par avant qu'il soit peu Faire fondre sa glace auprès de votre feu. Mais d'où peut procéder si grande antipathie ? S'il n'y a que cela, ma parole engagée Promet absolument de la rendre changée. Incrédule aussi bien que rempli de constance, Mon retour fera voir si j'ai de la puissance. Vous formez ma vertu de l'air comme un fantôme, Et voulez faire grand ce qui n'est qu'un atome ; Égaler mon courage au vôtre sans pareil C'est autant qu'opposer une étoile au soleil ; Vouloir m'attribuer une gloire usurpée, Gloire que nous devons aux coups de votre épée, Certes c'est imiter ce bel astre en ce point, Qu'il luit à tout le monde et ne s'éclaire point : Ainsi vous, ô taureaux qui sillonnez la plaine, Vous peinez sans goûter le fruit de votre peine ; Ainsi vous, ô moutons, en certaine saison Portez, mais non pour vous, une grosse toison ; Ainsi vous, beaux rosiers, florissez chaque année, Mais ce n'est pas pour vous, la fleur nous est donnée ; Ainsi vous, belle abeille, en faisant le miel doux Travaillez longuement, mais ce n'est pas pour vous. Indigne de l'honneur d'être estimé d'un roi, Je ne veux avouer ce qui n'est point en moi. Vous, Jupiter mortel, dont le bras est son foudre. quoi que l'on puisse dire on ne vous peut flatter, Votre juste louange à quel point qu'elle arrive Est moindre que vos faits, et non pas excessive. Le démon de l'État s'y servit de ma main. Si ce service, hélas ! Vaut une récompense, Si le peu que j'ai fait mérite qu'on y pense, J'ose vous requérir de vouloir m'accorder Ligdamon recherché, mais inutilement, Dans ceux que le combat a mis au monument, Me fait conjecturer que dedans Rothomage La fortune le voit réduit sous le servage ; Sire, délivrez-le, sûr que sa liberté Me tient lieu de loyer, si j'en ai mérité : Sans lui je ne saurais voir la clarté céleste, Pylade je ne peux vivre sans mon Oreste. **** *creator_scudery *book_scudery_ligdamonelidias *style_verse *genre_tragicomedie *dist1_scudery_verse_tragicomedie_ligdamonelidias *dist2_scudery_verse_tragicomedie *id_MEROVEE *date_1630 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_merovee La victoire est à nous, le coeur me le présage, Déjà tous mes soldats l'ont peinte en leur visage, L'allégresse publique erre parmi les rangs, Ils sont tous occupés à des soins différents, L'un fourbit son harnais, l'autre un cheval manie, L'autre voit si sa trousse est de flèches garnie, Un autre impatient commence à se fâcher De ce que le tambour ne l'oblige à marcher ; Enfin chacun attend une heure réclamée Qui doit dedans les cieux porter ma renommée : Vous, brave Clidamant, rare honneur des guerriers, Qui jeune succombez sous le faix des lauriers, Vous de qui les conseils me sont autant d'oracles, J'espère que demain vous ferez des miracles, Prenez parmi les miens tel rang qu'il vous plaira, Assuré que pas un ne désobéira, Et que la récompense est hors d'incertitude, Car vous suivez un prince exempt d'ingratitude, Qui pour son intérêt ne veut rien butiner, Et ne veut tout avoir qu'afin de tout donner. Prince dont la vertu n'a rien qui la seconde, Quand l'effort de mon bras m'aura conquis le monde, Que l'univers entier tremblera sous ma loi, Je n'aurai rien encore qui soit si grand que toi : Je confesse à regret ma force trop petite Pour fournir d'un loyer égal à ton mérite ; Mais qui fait ce qu'il peut, sans doute fait assez ; Au reste, jeune Mars, si nos travaux passés Le désir de régner ton courage aiguillonne, Je te partagerai mon sceptre et ma couronne ; Et bien qu'un compagnon choque la royauté, Mon esprit se résout à cette égalité. Mais quel est ce guerrier dont la démarche grave Semble forcer les yeux à juger qu'il est brave ? Guerrier bien qu'inconnu, je t'aime infiniment, Fondé sur le propos du Prince Clidamant, De qui le bel esprit rare au siècle où nous sommes, Ne se trompe jamais en l'estime des hommes ; Tu sois le bienvenu, de grâce assure-toi Qu'une entière faveur tu trouveras chez moi, Et que tu connaîtras comme une âme royale Est dans son élément paraissant libérale. Que l'on se tire à part, certain cas important Demande que vous seul l'appreniez à l'instant, Avisez, Clidamant, j'oubliais à vous dire Qu'au point que le soleil commençait à nous luire Les gardes de mon camp dans ma tente ont transmis Certains ambassadeurs venus des ennemis. Non pas déterminée, Mais bien pour différer cette grande journée, Que me conseillez-vous là-dessus ' Dites-moi. Mais puisqu'ils vont craignants de s'attaquer à nous, Ne vaudrait-il point mieux prendre un remède doux, Et sans rien hasarder leur donner sa relâche ? La douceur sied fort bien avec la majesté, Un prince est odieux usant de cruauté. Un prince désirant d'un peuple être vainqueur, Doit commencer de vaincre en lui gagnant le coeur. Un monarque tyran est indigne du jour, Le peuple et les troupeaux se mènent par amour. Toujours dans un combat l'heure est en la balance. Le sort le plus souvent maltraite les mutins. ⁎⁎⁎⁎⁎⁎ Prothée Mais comme quoi dompter ce Prothée variable ? Cet hydre renaîtra pour croître nos meschefs. Le sort en est jeté, l'aurore matinale N'aura plutôt ouvert la porte orientale, Que la charge sonnant au sortir du soleil Vous connaîtrez combien j'estime un bon conseil : Cependant ce guerrier ici hors de la presse Vous dira comme quoi se porte la maîtresse : Hé ! N'en rougissez point : Mars lui même amoureux Témoigne que ce dieu n'en veut qu'aux généreux. En vain vous m'opposez tant de raisons frivoles, Car je crois plus mes yeux que non pas vos paroles, Mes yeux, mes propres yeux, savent en vérité Que je tiens de vos mains l'empire et la clarté. Or mon esprit étant dans cette certitude, On ne le verra point noirci d'ingratitude, Chassez de vos vertus la seule humilité, Recevez un laurier justement mérité, Souffrez que tous mes gens courbés jusques à terre Vous rendent les honneurs dûs au dieu de la guerre, Votre bras les garda du suprême meschef, Puis qu'un corps ne peut vivre étant privé de chef, Moi mort leur liberté s'en allait asservie, Vous les avez sauvez en me sauvant la vie : Conserver un royaume est un acte d'un dieu, Il faut donc grand héros, qu'à cette heure en ce lieu Nous envoyons au ciel l'honorable fumée De l'encens que je donne à votre renommée : Mais ce faible devoir ne vaut pas en parler, Ce témoignage là se perdrait dedans l'air ; Il vaut donc mieux graver cet exploit mémorable Dessus un diamant, dont la lettre durable Se puisse maintenir mille siècles divers, Et disputer de l'âge avecques l'univers. Ainsi vous refusant une louange due, Voulez être de ceux dont la peine est perdue. Qui fit donc aux vaincus en fin mordre la poudre ? Ha ! Ne me flattez point croyant me contenter. Mais qui me garantit d'un barbare inhumain ? À ce coup je vous tiens, la chose ainsi connue, Fait que la vérité nous paraît toute nue. Il parle à une troupe d'habitants de Paris. Amis soyez témoins de la reconnaissance D'un monarque obligé plus que de la naissance, Écoutez comme quoi ce dieu de la valeur A soutenu mon sceptre en dépit du malheur, Lors que notre ennemi sortit de sa muraille, Et que nous eûmes pris notre champ de bataille, Que tous mes gens de pied rangez tambour battant J'eus mis mes cavaliers aux ailes, à l'instant Que la charge sonna, et que d'égal espace Je leur eus commandé de marcher pique basse, Chacun sait, mes amis, sans vous parler de moi, Si je fis le soldat, bien que je fusse roi : L'événement fut tel, l'avant-garde conduite Par mon fils Childeric tout soudain prit la fuite, La jeunesse du chef, pour ne dissimuler, Sauvera du gibet ceux qu'on vit reculer. Or l'ennemi voyant cette route première Comme un foudre lâché leur fond sur le derrière, De sorte qu'en un temps je me vis accabler Et d'eux et de mes gens que la peur fait trembler, Si bien que ma bataille étant toute rompue Les ennemis serrez s'opposent à ma vue, Me joignent de si prés qu'il ne me resta rien Qu'un dessein de finir tel qu'un homme de bien, Les rois, ce dis-je alors, encore qu'ils soient braves Naissent tous pour mourir, et non pour être esclaves : Or ce que mon bras fit tu le sais, Jupiter, Mais l'honneur me défend de vous le raconter : Ce généreux guerrier qui ce malheur regarde, Et qui seul commandait à mon arrière-garde, Partant comme un éclair pour borner mon ennui, Apporta la victoire en croupe avecques lui. Citoyens, vîtes vous jamais l'oiseau de proie Fondre sur des perdrix qu'il découvre à sa voie, N'avez-vous jamais vu quelque loup bocager Écarter un troupeau qu'il trouve sans berger, Ou l'horrible sanglier dont la forte défense Écarte en un moment la meute qui l'offense ; Tel parut ce héros, de qui les seuls regards Auraient mis la frayeur dedans le coeur de Mars, Et dont la dextre alors parmi le sang trempée Portait toujours la mort au bout de son épée : À chaque coup donné sans doute on voyait bas Ou la tête, ou la cuisse, ou la jambe, ou le bras ; L'abondance du sang répandu par la plaine Augmenta d'un ruisseau les ondes de la Seine, Et rougit tellement la rivière en son flux, Qu'à l'abord l'océan ne la connaissait plus : Aussi les ennemis perdant toute conduite, Plus vite que le vent se mettent à la fuite, Et presque sans espoir de voir le lendemain Se servent de leurs pieds, et non plus de la main ; Et tel fuyait la mort d'une vitesse extrême, Qui par excès de peur se la donna lui même. Moi qui pour épargner le tribut d'un denier Avais fait un trésor au pâle nautonnier, Qui pour sauver ma vie au milieu des alarmes Me couvrais d'un rempart fait de corps de gendarmes, Remontant à cheval aidé de ce guerrier, J'achève de changer le cyprès en laurier, Et la victoire alors dit à la renommée, Qu'elle allât publier qu'elle est dans notre armée. Ainsi vous apprenez, amis, de ce discours Comme quoi Clidamant par son divin secours, Et par les grands effets de son fer homicide, A beaucoup surpassé ce que l'on dit d'Alcide, Car son hydre n'avait que sept chefs seulement, Mais qui pourra compter les yeux du firmament, Les cheveux de Cérès, le sable maritime, Celui seul peut nombrer d'un compte légitime Combien de chefs avait, jeunes, hardis et forts, La superbe grandeur de ce monstrueux corps. Par les dieux tu l'obtiens avant que demander, quoi que ce soit, et fut-ce et le sceptre et la vie, L'un et l'autre en tes mains, assouvis ton envie. Un héraut envoyé devant qu'avoir dormi Offrira cent captifs pour tirer ton ami, Ce change avantageux sans doute le ramène : Mais si trompé d'espoir mon attente était vaine, Et que le neustrien aigrit un potentat, Foi de roi nous l'aurons, ou j'y perdrai l'État. **** *creator_scudery *book_scudery_ligdamonelidias *style_verse *genre_tragicomedie *dist1_scudery_verse_tragicomedie_ligdamonelidias *dist2_scudery_verse_tragicomedie *id_NICANDRE *date_1630 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_nicandre Sus, demeure assassin, tourne visage, infâme, Qui perdit ton renom pour gagner une femme, Les dieux en ce rencontre ordonnent à ma main De venger par ta mort celle de mon germain. Tu ne me connais point ' ô l'insigne mensonge ! Hélas ! Je suis blessé, Aronthe mon cher frère, J'éprouve ainsi que toi la fortune contraire ; Achève, Lidias, si tu veux m'obliger, Celui meurt doublement qui vit sans se venger. As-tu peur que la mort, traître, ne me soulage ? Ajoute à cette plaie un supplice nouveau. **** *creator_scudery *book_scudery_ligdamonelidias *style_verse *genre_tragicomedie *dist1_scudery_verse_tragicomedie_ligdamonelidias *dist2_scudery_verse_tragicomedie *id_LAMERE *date_1630 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lamere Plus avant que Niobe en la douleur amère, Et ja prête à me voir ravir le nom de mère, Beau nom qu'une tigresse estime et trouve doux, Amerine je n'ai d'espérance qu'en vous, Vous savez comme quoi ce cher fils que j'adore, Ce fils qui vous servit, et qui vous aime encore, Ce fils qui pour vous seule entra dans le danger, Qui le porta banni chez un peuple étranger, Tombe sous le pouvoir d'un juge inexorable, N'attend plus qu'une fin tragique et déplorable, Et demain se verra le dernier de ses jours, Si l'antique amitié ne vous porte au secours, Par le resouvenir de cette douce flamme Que l'amour autrefois alluma dans votre âme ; Par le resouvenir de ce même flambeau Que mon fils fera vivre encore en son tombeau, Par le soin que j'ai pris de l'élever fidèle, Amerine veuillez prendre en main sa querelle, Et puis qu'un plus constant ne se pourrait trouver Employez votre peine afin de le sauver. Apprenez un moyen plus facile par moi, Jadis nos devanciers nous firent une loi, Qui porte qu'une fille aura cet avantage Que venant demander en nom de mariage Un de ces condamnez au supplice dernier, Elle peut l'épousant sauver le prisonnier ; Si bien que maintenant il ne reste autre chose Que de mettre en effet ce que je vous propose. Ainsi du labyrinthe étant l'issue aisée, Ariane demain délivre son Thésée. Ma fille espérez mieux, l'intention sincère N'a que fort rarement le destin adversaire, Jupiter quoi que juste et clément aux humains, De laine sont ses pieds si de fer sont ses mains, Bien qu'il face éclater assez souvent la foudre, Il ne met pas pourtant toujours nos chefs en poude, Il imite un bon père à punir son enfant Qui se porte mutin à ce qu'on lui défend, Il hausse sans colère une main menaçante, Mais dés qu'un repentir rend l'âme obéissante, Ne se ressouvenant du pêché que fort peu, Vous lui voyez jeter les verges dans le feu : Ainsi nos sénateurs qui sont une peinture De cet être tout bon qui créa la nature, Se formeront encor sur la douceur des cieux : Punir est aux bourreaux, et pardonner aux dieux ; Et puis le privilège aussi me réconforte En faisant refleurir mon espérance morte, On ne saurait l'enfreindre, et ne reste en ce fait Que d'échanger bientôt le discours en effet. Ces larves ne sont rien qu'une ombre décevante, Et s'engendrent alors que la nuit fait son tour Des vapeurs du cerveau et des pensers du jour : Mais durant ce loisir dépeignez m'en l'idée, Au moins si la mémoire en soi l'a bien gardée. De vrai ce songe affreux est étrange et fantasque, Mais quelque évènement que sa feinte nous masque Ce n'est point aux mortels à s'en entretenir, En voulant pénétrer l'obscur de l'avenir, C'est un livre fermé que le sort se réserve, Et que ne pourrait lire en ma place Minerve. Recourons donc au ciel, priant d'un coeur ardent Qu'il veuille détourner tout funeste accident. Célestes qui tenez en vos mains nos années, Vous de qui les vouloirs s'appellent destinées, Grands dieux de qui la main par ses effets divers Pourraient en un clin d'oeil effacer l'univers, Donnez mon pauvre enfant à mon humble prière, Que ma requête ici ne soit mise en arrière, Accordez moi mon fils, faite qu'en liberté Il puisse posséder cette aimable beauté ; Si j'obtiens cette grâce, à chaque anje proteste Que pour rendre par tout ce bienfait manifeste J'immolerai cent boeufs, afin qu'on puisse voir Que chez vous la clémence est égale au pouvoir. Cher fils, puis qu'à la fin je vois qu'on te délivre, Je ne demande plus que de cesser de vivre, J'ai peur que ces plaisirs ne me soient traversez. Approche, Lidias, que ta mère t'embrasse. Or sus, mes chers enfants, allons nous préparer Pour vous joindre d'un noeud qui doit toujours durer, Allons nous en chez nous attendre la journée Qui dans peu vous accouple au doux joug d'hyménée. Toi qui peux tout lier et délier aussi, Ministre de nos dieux, tableau de leur puissance, Étant dans le dessein de clore l'alliance De ces deux que tu vois, fais qu'un noeud gordien Puisse serrer leurs coeurs et contenter le mien. Ô dieux ! Qu'ai-je entendu ; soutenez-moi, je pâme. Qui redonne à mes yeux la lumière importune ? Me veut-on faire vivre après mon infortune ? Hélas ! Quittez amis, ce frivole dessein, J'arracherais plutôt le coeur hors de mon sein : Où portez vous ce corps chef-d'oeuvre de nature ? Le croit-on mettre seul dedans la sépulture ? S'est-on imaginé que je demeure ici ? Non non, vous vous trompez, j'y veux entrer aussi. Ha ! Je tremble, ô ! Je vois l'âme de mon enfant. L'espérance et la peur me donnent la torture. D'un abîme profond en l'autre je me plonge. Secourable Esculape, hélas ! Je suis ravie. Je me jette à vos pieds, demi-dieux de ce monde, J'implore pour mon fils une grâce seconde. Juges, mille mercis. Vous nous ferez l'honneur de prendre la maison. **** *creator_scudery *book_scudery_ligdamonelidias *style_verse *genre_tragicomedie *dist1_scudery_verse_tragicomedie_ligdamonelidias *dist2_scudery_verse_tragicomedie *id_AEGIDE *date_1630 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_aegide Quoi ! Voulez-vous toujours, Monsieur, que la tristesse Soit dedans votre esprit une importune hôtesse ? Avez-vous le dessein de mourir de douleur Dés le premier assaut que vous livre un malheur ? Tout trempé dans les pleurs que produit votre peine Êtes-vous résolu de devenir fontaine ? Hélas ! Qu'avez-vous fait en cette extrémité De ce que vous aviez de générosité ? La tempête à la fin nous apporte le calme, Et l'homme courageux doit imiter la palme, Qui courbant quelquefois dessous l'effort du faix, Se raidit, se redresse, et ne se rompt jamais. L'homme que le malheur commence d'approcher Doit prendre sa leçon à l'aspect d'un rocher, Dont la masse solide et fermement plantée Ne fait que se moquer de la vague irritée : Quiconque ne résiste à qui va l'assaillant Ne saurait sans mentir se publier vaillant, Et l'or idolâtré de la race mortelle Doit souffrir s'il est bon la touche et la coupelle ; Le suprême laurier des belles actions S'acquiert à surmonter ses propres passions ; Mais celle de l'amour déplorable et funeste Ne se vainc qu'en fuyant ainsi qu'on fuit la peste ; Il faut combattre en Parthe, et ne pas affronter Un qui dans ses captifs nous montre Jupiter ; De sorte que ce mal que la raison offense Ne se guérit jamais si ce n'est par l'absence. Plutôt que de songer à cet acte cruel Le malheur sur mon chef pleuve continuel, Plutôt que perpétrer ce détestable crime M'engloutisse la terre au profond de l'abîme ; En vain pour ce regard vous m'allez caressant, Car je suis résolu de n'être obéissant. Oui bien si la raison est au commandement. Il aurait en ce cas la liberté certaine. Si faire un paradoxe en sophiste excellent Pouvait me mettre au coeur ce dessein violent, Certes par ce propos votre rare éloquence Me ferait approuver sa fausse conséquence ; Mais stupide et grossier jusques au dernier point, Ce discours est si haut que je ne l'entends point ; Et puis le sens commun m'a toujours fait connaître Que la main d'un sujet ne doit frapper son maître. L'air trouble que je vois nous marque la fumée Qu'exhalent tant de feux qui sont dans une armée. C'est trop de patience, il faut... Comme je fais de peur. Chaque chose a son temps, et cette gentillesse serait fort à propos auprès d'une maîtresse : Mais maintenant, monsieur, qu'on vous fait un affront, Que le glaive mortel vous pend dessus le front, Qu'on vous prend pour un autre, et qu'un peuple barbare Rompt les lois de la guerre, et cruel se prépare De vous faire courir un extrême danger, À votre liberté vous devez mieux songer. Il est beau de tenter un acte plein de gloire, Qui conserve en mourant notre nom dans l'histoire, Et qui laisse aux neveux de quoi nous imiter : Mais courir à clos yeux pour se précipiter, Fait que votre dessein réussit au contraire : Pour paraître vaillant vous êtes téméraire. Ces résolutions me semblent trop cruelles. Comme notre naissance est en la main des dieux, L'arrêt de notre mort nous doit venir des cieux. Cela ne s'entend pas comme vous l'entendez, Quand d'un mauvais aspect nous sommes regardez, Et qu'ils dardent sur nous leur maligne influence, Lors l'homme de vertu doit faire résistance ; Mais forcer la nature et creuser son tombeau, C'est être maniaque et faible de cerveau. Comme un soldat qu'un chef a mis en sentinelle Ne doit jamais partir du lieu de son devoir, Que de son capitaine il n'en ait eu pouvoir ; Ainsi nous que les dieux ont placez dans la terre, Nous à qui les malheurs livrent toujours la guerre, Souples d'obéissance et pleins d'humilité Nous n'en devons sortir que par leur volonté : Joint que vous ne souffrez que pour une insensible, Dont amollir le coeur est un fait impossible, Vous vous pouvez tous deux appeler un écueil, Vous l'êtes de constance, et elle l'est d'orgueil. Sans parler de la mort allons si bon vous semble Accoster le sommeil qui certes lui ressemble, Mais qui recelle en soi beaucoup plus de douceur. Ô dieux ! Vous le croyez tout autre qu'il n'est pas. Jupiter endormi que fais-tu de ta foudre ? Souffres-tu ces pervers sans les broyer en poudre ? Endures-tu qu'ainsi l'on traite un innocent ? Va, je ne te crois plus ni juste ni puissant. Adieu l'honneur du monde et la gloire des armes, Digne que l'univers pour toi se fonde en larmes, Ha ! Qu'on peut bien graver toi restant abattu Dessus ta sépulture, ici gît la vertu, Puisse-tu recevoir aux plaines élysées Les douleurs qu'une ingrate ici t'a refusées, Puisse-tu de plaisir ton esprit assouvir, Et moi bientôt avoir le bien de t'y servir. Hélas ! Le poil me dresse, ô l'horrible spectacle ! Le lion déchaîné n'a plus aucun obstacle, Il commence à marcher à pas lents et comptez Élançant des regards qui brillent de clartés, Hérissant sa perruque et fouettant sa colère, Il rugit et s'apprête au repas sanguinaire, Il découvre sa griffe et ses dents à la fois, Ha dieux ! Je perds la vue aussi bien que la voix. Lestrigons inhumains, apaisez votre rage, Faites que ce combat ne dure davantage, Et non pas l'estimer de discours superflus. Ha ! Que ne suis-je aveugle, ou que ne suis je mort ! Que tous les assassins meurent de même sorte. Que je vous dois de voeux grands dieux qui m'exaucez. Qu'immuable de foi vous la voulez aimer. Avec mille baisers cueillis dessus sa bouche. Tout le monde au logis est dessus le reproche, On blâme le sujet qui vous retient ici, Et de le pénétrer chacun est en souci ; Je viens vous avertir que cette compagnie N'attend plus rien que vous pour la cérémonie. Le remède d'un mal qu'on ne peut éviter Consiste à s'y résoudre et le bien supporter. Mais sachez que le sort à qui l'univers cède, Dont toute chose née observe et suit les lois, Ne vous a pas laissé la liberté du choix, Et soit mal ou remède en fin il faut le prendre. L'espérance d'en voir vous est toute ravie. Et voulez vous mourir plutôt que d'épouser Une fille qu'un dieu n'oserait refuser ? Je veux pour vous sauver vous permettre une ruse, Mais ruse qui résulte à son utilité, Voyant votre mérite et votre qualité. Cette foi ne doit pas être considérée, Veuillez sans vous fâcher apprendre en peu de mots Qu'aujourd'hui la constance est la vertu des sots. Il se faudrait hâter, l'heure est fort avancée. Voici notre chemin, retournez sur vos pas. Tenez, monsieur, voici la coupe toute pleine. Terre entr'ouvre tes flancs pour engloutir mon âme, Voyant que par ma main il s'est empoisonné. Dieux ! Ils sont tous deux morts, leur couleur devient pâle, Ces lèvres de corail se changent en opale, La rose cède aux lys, et leurs traits effacés N'ont plus que la beauté qui reste aux trépassez ; Ils sont sans mouvement, la chaleur diminue, L'âme a pris une sente à nos yeux inconnue, Et ne nous a laissé qu'un tronc sans sentiment, Qui ne demande plus que le seul monument. Amis, dans la faiblesse où la douleur m'engage Faites que votre main au besoin me soulage, De ces trois corps privez du céleste flambeau Portons la mère au lit et ces deux au tombeau. Mais pour faire savoir leur funeste aventure Allons graver ces mots dessus leur sépulture. Ci-gît qui préféra sa parole à sa vie, Ci-gît qui signala son amour du trépas, L'un aimait un rocher pensant aimer Sylvie, L'autre aimait un tableau qu'elle crut Lidias. Ainsi dans le mal qui les tue Ils sont semblables en ce trait, Que l'un meurt pour une statue, L'autre finit pour un portrait. Trop ingrate Sylvie, ô fille inexorable, Dont l'orgueil a causé ce malheur déplorable, Puisse-tu recevoir pour loyer mérité Tout ce qui doit punir une méchanceté, La peste, le poison, le fer, la flamme, et l'onde, Que tous ces maux en un t'arrachent de ce monde ; Ou bien pour mieux punir ton esprit criminel Vis pour mourir toujours d'un remords éternel. Quel prodige m'attaque et me vient étouffant ? Noir esprit des enfers, as-tu peur d'approcher ? Au sortir des rigueurs de l'éternelle flamme Peux-tu bien craindre un corps dont tu possèdes l'âme ? Vois, tigresse, un amant qui pour l'amour de toi Vient de perdre la vie en conservant sa foi : Et vous qui la suivez, chère ombre de mon maître, Si parmi les vivants où je vous vois paraître Vous avez quelque chose encor à demander, Sachez que votre voix me peut tout commander. Je ne sais que juger d'une telle aventure. Et bien, juges cruels, vous disais-je mensonge ? Je dois à son secours le reste de ma vie. Je suis aussi joyeux que j'étais affligé. **** *creator_scudery *book_scudery_ligdamonelidias *style_verse *genre_tragicomedie *dist1_scudery_verse_tragicomedie_ligdamonelidias *dist2_scudery_verse_tragicomedie *id_LEMIRE *date_1630 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lemire Illustres sénateurs ! Vous, père vénérable, Je viens vous faire voir une chose admirable, Car je veux retirer ces amants du trépas. Sachez que ce guerrier étant lassé de vivre Hier au soir seul à seul se mit à me poursuivre, Me pressa de mêler du poison dans le vin Que je devais fournir au service divin, Il joignit des présents aux charmes de sa plainte, Présents que j'acceptai pour colorer ma feinte, Sachant bien qu'un torrent que l'on veut arrêter Se doit vaincre en cédant au lieu de l'irriter : Doncques je lui promis l'effet de sa demande, Mais bien loin de commettre une faute si grande, Espérant que le ciel lui serait plus bénin, J'y mis de l'opium, et non pas du venin : Vous le verrez des sens reprendre un libre usage, Arrosant de cette eau l'un et l'autre visage. Je suis aussi content comme vous réjouis. J'ai pris ma récompense en faisant mon devoir.