**** *creator_segur *book_segur_fou *style_verse *genre_drame *dist1_segur_verse_drame_fou *dist2_segur_verse_drame *id_DORVAL *date_1791 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dorval Quoi ! Déjà me quitter, ma chère Adélaïde ! Nous n'étions réunis que depuis un moment ! Je vois l'intérêt qui te guide. Oui, ton âme toujours sent un secret tourment, Lorsque des malheureux, dont tu sèches les larmes, Tu t'éloignes un seul instant. Je voulais te gronder ; toujours tu me désarmes : Y songer est un crime, et mon cœur s'en repent. Assieds-toi près de moi ; plus près, je t'en conjure, Ne fût-ce qu'un instant : que ton amant te jure... Eh bien ! Te refuser à mon empressement ! C'est moi... C'est ton ami, ton époux, ton amant. Mais aujourd'hui, pourquoi me parois-tu plus belle ? Tout seul, hélas ! Faut-il donc t'admirer ! De ton regard touchant, à plaisir m'enivrer !... Quelqu'un vient dans ces lieux ; il faut que je l'appelle... Monsieur, Monsieur, si jamais la beauté Eut quelqu'attrait pour vous, regardez ce que j'aime : Je la vis, l'adorai : vous en ferez de même. Vous croyez voir une divinité ? Non, c'est Adelaïde à la terre rendue... Jusqu'au cœur le plus froid s'attendrit à sa vue : La mort, l'affreuse mort voulut trancher ses jours ; Mais l'amour, mais moi seul, par les plus prompts secours, J'enlevai cette proie à la Parque cruelle... Ah ! Regardez comme elle est belle ! Si je ne l'eusse pas arrachée au cercueil, Tout l'univers était en deuil. La nature, toujours, de ses dons trop avare, Ne produit pas deux fois une femme si rare. Ah ! Si vous connaissiez toutes ses qualités... Près d'elle sûrement, à présent vous restez ? Dans tous les cœurs vous la verrez placée. Savez-vous... qu'on n'a plus qu'une seule pensée ; Elle est dans chaque bouche, occupe chaque esprit : De son éloge ici tout retentit... Remarquez son inquiétude ; Elle veut nous quitter : ah ! Sa tendre habitude En est seule la cause : en écoutant son cœur, Elle cherche à rentrer dans ce lieu de douleur. Si je l'eusse perdu, quel serait mon malheur ! Vous le figurez-vous ?... L'excès de ma douleur Au tombeau devait me conduire... Exister sans la voir ! Qu'avez-vous ?... Vous répandez des pleurs : De chagrins, comme moi, votre âme est obsédée. Vous ne m'étonnez point... Il est de tels malheurs, Qu'on ne peut même pas en supporter l'idée... Pourquoi donc la pleurer ? Nous ne craignons plus rien. Je la vois ; oui, voilà l'objet pur et céleste, Que le ciel me rendit. Ô mon souverain bien ! Tu ne peux t'arrêter plus longtemps... Sois tranquille ; Je ne te retiens plus... Vas... mon cœur est docile : Seul, je voudrais toujours et t'entendre et te voir. Mais je te rends à ton devoir... Pardon, pardon, Monsieur, si je m'en vais si vite : Vous voyez... pour la suivre, il faut que je vous quitte. Quand je vole à tes pieds, objet que je révère, Je crois être suivi de la nature entière ; Et si je vois quelqu'un prendre un autre chemin, Je suis prêt à lui dire (en plaignant son destin) Où peux-tu donc aller ? Arrête, sois fidèle ; Sais-tu que ce sentier te conduira loin d'elle ? Tu te trompes ; crois-moi, oui, reviens sur tes pas : Que vas-tu devenir ? Tu ne la verras pas... Eh bien !... Où donc est-elle ?... Elle échappe à ma vue : Elle venait ici... Qu'est-elle devenue ?... Je la suivais... Cherchons... Ah ! Nous voilà tous trois ; Que j'étais malheureux !... Au moins, pour cette fois, Je ne vous quitte plus... Puis-je exister loin d'elle ? Ma vie est un tourment... Que je suis loin encor de me trouver heureux ! Ici, je sens toujours une douleur secrète... J'en demande la cause à mon âme inquiète... Connaissez mon supplice et mon affreux tourment. Vous voyez ce que j'aime... Eh bien ! Dans le moment Où je veux m'enivrer des feux qu'elle partage, Mes mains semblent, hélas ! N'embrasser qu'un nuage. La cruelle m'évite. Enfin, depuis deux ans, Elle s'est refusée à mes empressements. Qu'ai-je fait ?... Vous savez à quel point je l'adore ; Fut-il amant plus tendre... Eh bien !... Je puis encore Être heureux, malgré ses rigueurs ; Lorsque l'on peut la voir, est-il quelques malheurs ? Qui ne la vit jamais, ne connaît pas la grâce ; Tout artiste qui fut à l'immortalité, L'eût prise pour modèle, en traçant la beauté. Quoi ! L'amour, qui, par elle, a de si sûres armes, Permettra-t-il au temps de détruire ses charmes ? Ne laissera-t-il pas à la postérité Ce chef-d'œuvre enchanteur de la divinité ? Qui l'eût fait, cet ouvrage ? Qui pouvait imiter ce céleste visage ? Le charme de ses traits est surtout dans son cœur ; J'ai dû plus aisément renoncer au bonheur De posséder une image si chère : Je sens que, dans l'absence, un portrait peut nous plaire ; Mais vous voyez... je ne la quitte pas. Pourquoi donc ? Parlez ; ah ! parlez... Comment... Quel bonheur ! Ah ! Grands Dieux ! De ce travail charmant enchantez donc mes yeux. Songez qu'il est de vous... Seule, dans l'univers, Vous avez pu la peindre. Hélas ! Si je la perds, Ne fût-ce qu'un moment... Ah ! Jugez quel service... Courons, volons, voyons, abrégez mon supplice. Quelles délices !... Ciel !... De tes attraits divins, L'univers pourra donc se former une idée ; Ton image céleste, à leurs vœux accordée, Ira porter partout l'ivresse et le bonheur : J'en remplirai le monde ; ah ! Qu'il tarde à mon cœur !... Ah ! Que de temps perdu ! N'importe, l'on retrouve encore en ce portrait, Un charme doux, piquant, une grâce, un attrait, Que le meilleur pinceau ne peut jamais atteindre Qu'en voulant imiter sa beauté. De vous... Jamais, jamais... Mais, écoutez... ô ma charmante amie ! Ô vous ! Qui devenez nécessaire à ma vie. Corrigeons ce dessin : Ah ! Par mes yeux, voyez ce que j'adore ; Oui, laissons nos regards s'en pénétrer encore... Mon cœur conduira votre main. Sous le pinceau, souvent un défaut disparaît. N'omettons rien, je la veux comme elle est : Peu m'importe, en effet, qu'il lui manque une grâce ; Et je serai jaloux si votre art la remplace. Donnez plus de douceur encore à son regard ; Ses yeux sont trop ouverts... Et cet heureux hasard, Qui plaça sous sa bouche une tache légère, Vous pouvez l'oublier... Cruelle !... Elle sait plaire, Même par ses défauts... Elle est brune, et pourtant, Remarquez bien ses yeux ; ils sont d'un bleu charmant ; Oui, presque comme vous... En effet, plus j'y pense, Je trouve entre vous deux, beaucoup de ressemblance ; Vous seule approchez d'elle... Tourne les yeux sur nous, de grâce !... Je t'en prie ! Loin de moi... Si longtemps, quoi ! Ton cœur les oublie. Avec tant de beauté... Dans son ajustement, plus de simplicité ; Lorsqu'il a quelque éclat, c'est elle qui le donne ; L'enchantement qui règne en sa personne, Se communique à tout ce qui peut l'approcher ; Sa grâce est son secret ; cessons de le chercher. Ciel ! Quel nuage épais vient obscurcir ma vue ! Où suis-je ?... Où la trouver ? N'entends-je pas sa voix ?... Adélaïde !... Oui, c'est elle, écoutez... Je vole sur ses pas. Arrête... Écoute-moi, quoi ! Tu me fuis, cruelle ! Que peux-tu redouter de ma brûlante ardeur ? Tes regards n'ont-ils pas purifié mon cœur ?... Fuir, parce que ce voile, un instant, se soulève... Ta pudeur le remplace, et rien ne te l'enlève. Viens voir finir le jour... Par sa tendre lumière, La lune va le remplacer : Aimes-tu sa clarté ? Mon âme la préfère À l'éclat du soleil... Ah ! reste, reste encore ! Adelaïde... Ici, voyons lever l'aurore. Habitants de ces bois, témoins de mon bonheur, Ô vous, qu'un doux sommeil empêche de m'entendre ! Auriez-vous cru que rien augmentât mon ardeur ?... Ah ! demain... Cependant vous me verrez plus tendre... Arrête... Vois notre ombre... Il faudrait la fixer... Nos bras... vois-les s'ouvrir... pour mieux s'entrelacer... Ah ! Je suis aujourd'hui moins content de tes yeux ; Ils paraissent distraits, semblent ne pas m'entendre. Ah ! Dis encore : je t'aime... Hier, tu disais mieux ; Imite-moi, tâche d'être aussi tendre. Tu souris... Que dis-tu ?... Non, c'est de bonne foi. Je te trouve bien loin d'aimer autant que moi. Tu t'éloignes toujours... Qui t'alarme ? À cette heure, Tout dort dans cette heureuse et tranquille demeure. Crains-tu quelque regard ? Quelqu'un pourrait-il, par hasard... Éloignez-vous, Monsieur, je vous supplie. Vous ne connaissez pas toute sa modestie. Venez-vous enlever ces instants à mon cœur ? Ah ! Croyez-moi, fuyez... respectez mon bonheur... N'allez pas soupçonner sa vertu, sa décence... Ces moments sont bien doux, mais remplis d'innocence. Non, ne le retiens pas ; seul je veux t'adorer. Et ta voix et tes traits... jusques à ta pensée... Tout, tout est à moi ; seul, je veux m'en pénétrer. Des regards curieux mon âme est offensée. T'idolâtrer est le sort de mon cœur, Sa gloire, son instinct, sa vie et son bonheur. Vois l'entier abandon de toutes mes pensées : En foule, dans mon cœur, par ma flamme pressées, Elles volent vers toi, toi seul est leur objet : Pour vivre de tes jours, le destin m'avait fait... Grands dieux ! Je vois couler tes larmes... Ange du ciel, qui réunis les charmes D'une mortelle à ceux de la divinité, Tu fais honneur à la nature : Même en aimant, tu restas pure ; Des dons que tu reçus, le moindre est la beauté. Oui, mon respect égale ma tendresse. Même emporté par la plus douce ivresse, Dans l'instant que je cherche à voler dans tes bras, La vénération vient arrêter mes pas. Par toi, l'amour donna de la vie à mon âme. Objet rare et divin, délices de mes jours !... Quel regard !... On ne peut le contempler toujours ; Il pénètre, il consume : à sa céleste flamme, Le feu du ciel peut seul se comparer. Mon cœur se meurt à te trop admirer ; Il exhale vers toi trop de son existence. Je ne sais : en mon cœur, un noir pressentiment, Que je repousse en vain, m'alarme en ce moment. Je suis si malheureux... Mais ton âme est émue... Pourquoi sur ce couvent toujours fixer la vue ? Je me plais à le voir ; je me plais à penser Que dans ce lieu si cher, nous vîmes commencer Ces premiers sentiments, délices de nos âmes, Que le temps ne changea qu'en de brûlantes flammes. Mais toi, je sais pourquoi tu le chéris... Eh bien ! J'en suis jaloux. Paix... oui... tu m'as promis De me donner ta main... Tes moments, mon amie, N'appartiennent qu'à moi... Quitte, je t'en supplie, Cet état, cet habit... Si, si... C'est décidé. Quoi ! Tu peux balancer ! Ah !... Tout m'est accordé. Toi, qui reçus du ciel une âme vive et tendre ; Toi, qui seule pouvais m'attacher, me comprendre, Donne, donne ta main... Pose-là sur mon cœur ; Il brûle, il se consume... Ah ! Sens-tu son ardeur ? Tout l'anime, l'irrite... et rien ne peut l'éteindre. Oui, tu dois la sentir... et ce feu doit l'atteindre. Ô délire soudain !... Je ne me connais plus... Et ma raison s'égare en désirs superflus. Quels sentiments confus dans mon âme oppressée ! Un jour nouveau m'éclaire... Ô sublime pensée ! Ah !... Si de notre amour ce fut-là le berceau, Jurons que de tous deux il sera le tombeau. Viens, gravons sur l'airain, sous cette voûte sainte : Ou a mêlé leur cendre en cette même enceinte. Adélaïde !... Ah ciel !... Voyez-vous... Ah ! Grands dieux ! Est-ce toi... Est-ce toi ? J'en vois deux... **** *creator_segur *book_segur_fou *style_verse *genre_drame *dist1_segur_verse_drame_fou *dist2_segur_verse_drame *id_LACOMTESSE *date_1791 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lacomtesse Dumont, l'on vous a dit combien je m'intéresse À celui près de qui l'on vient de vous placer ; À lui-même, jamais il ne faut le laisser, Ce serait dangereux. La place est difficile À bien remplir ; car, il est même utile Qu'il ne se doute pas qu'on l'observe en tous lieux : Il y faut de l'adresse et le suivre des yeux. À son cœur tourmenté la solitude est chère ; La troubler trop souvent, le mettrait en colère, Et cet état peut nuire à sa santé. Du reste, il est très doux et rempli de bonté, Reconnaissant des soins que pour lui l'on veut prendre. Je crois que... de l'aimer on ne peut se défendre. Ah ! Je n'en doute pas. Voyez donc avec elle Où peut être Dorval... J'attends mon père ici. Ah ciel ! Serait-il vrai ? Ah ! De grâce ! Parlez, expliquez ce mystère. Eh bien ! Mon père ? Mon père... Que dites-vous ? Vous déchirez mon cœur. Écoutez-moi mon père, et lisez dans mon âme. Je l'avouerai. Dès le premier moment Que j'aperçus Dorval, un secret sentiment, De soulager ses maux, sut m'inspirer l'envie. Était-il un malheur plus rare, plus touchant ? Cherchant à l'adoucir, je suivais mon penchant : De mes premiers progrès, mon âme fut ravie : Pouvais-je calculer et mes soins et mon temps ? D'abord il eut quelques instants : Bientôt, j'y consacrai ma vie. Sans rien examiner, sans descendre en mon cœur, De Dorval seul consultant le bonheur, Il me devint plus cher, plus je lui fus utile. Oui, pour moi le bonheur habita cet asile, Dès l'instant que Dorval, plus calme, plus à lui, De mes secours enfin, me parut attendri : Quel moment pour mon cœur ! Qu'il m'était nécessaire ! Ce fut, je crois, le jour dont me parlait mon père. Dorval, qui jusques-là ne me connut jamais, Se rendit à ma voix, et reconnut mes traits ; Ses yeux fixaient encor son image fidèle : Il la voyait toujours, mais il me parlait d'elle : Pour la suivre... Il semblait plus triste, en me quittant ; Au moins, pour lui, j'étais un être intéressant ; Et sans doute qu'alors vous me vîtes, mon père ? Pourquoi vous alarmer ? Mon cœur concevrait-il jamais une chimère ? Je ne crains plus d'autre tourment Que de me voir cause de votre peine. Pour une crainte, hélas ! chimérique, incertaine, Abandonner Dorval à son malheureux sort ! Ah ! Que deviendrAit-il ? Par une affreuse mort, Il perd ce qu'il aimAit, et l'être qui lui reste PourrAit le fuir !... Jamais... À ce dessein funeste Avez-vous pu songer !... Il lui rend mille soins. Ô ciel ! L'y laisser seul ! Ah ! Que mon cœur voudrait croire avoir mérité De retrouver en vous cette tendre bonté ! Comment le trouvez-vous, aujourd'hui ? Avec exactitude, Je veux suivre ce plan. Je vous suis à l'instant, pour causer avec vous. Quel jour mon père a fait luire au fond de mon âme ! De ma tendre pitié, pourrait naître une flamme !... J'ose à peine y penser. Cher Dorval ! Ton malheur Ne suffisait-il pas pour déchirer mon cœur ? Ah ! Fallait-il encore... Le voici... Son délire L'empêche de me voir... Allons... il faut souscrire À ce qu'on a vouli. L'éviter aujourd'hui !... Mais, ciel ! Je le crois seul... Dumont est avec lui. Dumont... et votre maître, Il n'est plus dans ces lieux ? Quoi, seul ? Il est bien prudent De ne pas le quitter : mon âme n'est tranquille Que lorsque je le sais avec vous. De sa douceur n'êtes-vous pas surpris ? Quel être intéressant !... Souvent, il est docile, Il fait ce que l'on veut... Je l'ai bien évité : On l'a voulu... Vous l'avez écouté... Prononçait-il mon nom ?... Son tourment, l'habitude De me voir, le portait peut-être à me chercher. Ah ! Répondez avec exactitude. Ciel ! Tâchons de cacher Tout le mal qu'il me fait. Fermez bien cette porte : Vous viendrez m'avertir avant qu'il ne ressorte. Il faut me l'avouer : ah ! Ce n'est plus pour lui Que je cherche à le voir ; il me semble aujourd'hui, Que les momenTs ont une année... Quoi ! Parce qu'il s'éloigne... Ah ! quelle destinée ! Si ton ombre plaintive, en ce lieu vient errer, Adélaïde, hélas ! que peux-tu désirer ? Il t'aimait, tu péris ; sa raison l'abandonne : Adorant ton image, il ne connaît personne ; Sa bouche, de ton nom, vient remplir les forêts ; Ses yeux ne peuvent plus se peindre que tes traits. Si ta mort fut affreuse, il se peut qu'on l'envie : Ces tendres souvenirs valent cent fois la vie. Ne vous trompez-vous pas ? Vous croyez qu'il désire De me voir ? Allons, puisqu'il le faut, ici je vais rester. Pour soulager ses maux, rien ne doit me coûter. Cet être malheureux est d'autant plus à plaindre, Qu'égaré par sa passion, En voulant le guérir, nous avons même à craindre Que son bonheur ne tienne à son illusion. Vivons donc d'espérance. Il me cherche, dit-il... Ah ! Ce n'est pas pour moi : Il faut le secourir ; je m'en suis fait la loi. Si tendre, si fidèle, En la voyant, rien ne manque à vos vœux. Près de l'objet aimé, notre douleur s'efface. Son portrait... l'avez-vous ? J'eus donc tort ? Quel est mon embarras ? Empressée De soulager vos maux, il vint dans ma pensée D'essayer, en secret, de dessiner les traits Que vous me dépeignez... Que je voyais. De ma tendre amitié pour vous offrir un gage, D'Adélaïde, hier, ma main traça l'image... Bien... imparfaitement... Adélaïde est là... Vous le disiez vous-même ; Que peut faire un portrait, près de l'objet qu'on aime ? Dumont, apportez-moi mes cartons, mes dessins. Ne jugez que mon zèle, Vous voyez que je suis bien loin de mon modèle. J'ai pu craindre Que cette faible ébauche, en profanant ses traits, Ne déplût à vos yeux. Serait-il vrai ? Par ce moyen, je suis plus sûre De pouvoir approcher au moins de la nature. Ah ! Voyez : est-ce mieux ? Que ne puis-je imiter ce qui charme vos yeux... Comme elle était aimée !... Que mon ^qme est émue ! Hélas !... Dorval !... Dorval !... En vain, je le rappelle ! Par d'assez rudes coups, éprouve-t-il mon cœur ? Dieux cruels !... Cette image ajoute à ma douleur. Je ne puis plus cacher le tourment qui m'accable. Un désespoir affreux... Quoi ! Mon cœur est coupable ! Oui ! Je le suis ; oui, j'aime à me le répéter. Cher Dorval !... Non, sans lui, je ne puis exister. Pour toi, ce sentiment ne peut avoir de charmes ; Vois du moins ma douleur, mes regrets... Vois mes larmes ! Elles ne finiront qu'à mon dernier soupir ; Leur source est dans mon cœur, rien ne peut les tarir. Quelle voix m'appelle ? Oh ! Mon père... pardon... j'étais, je dessinais... Non. J'allais dessiner. C'est une ébauche... Mon père !... Eh bien, je vais être de bonne foi. Nous parlions du dessin... Écoutez-moi, mon père. Pour Dorval, vous savez tout ce que peut mon cœur. J'ai cru que je ferais peut-être son bonheur, En recherchant les traits de celle qu'il regrette. Eh bien, mon père, en voyant par ses yeux, J'ai tracé ce portrait... Que mon âme est émue ! Quel prodige, mon père ! Et pourrai-je le croire ? Ô ciel ! S'il était vrai !... Quelle vaine espérance ! Hélas ! Qu'entends-je ? Est-il possible ? Soyez mon guide. Laissez-moi respirer Ah ! Dieux ! Au destin qui m'attend... c'en est fait, je me livre. Cher Dorval ! **** *creator_segur *book_segur_fou *style_verse *genre_drame *dist1_segur_verse_drame_fou *dist2_segur_verse_drame *id_LISETTE *date_1791 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lisette Je le veux. Consulte mieux ton cœur : J'ai répondu de toi. Dans l'instant, ma maîtresse Va venir en ces lieux, et de tous tes devoirs Elle pourra t'instruire. J'oubliais. Tous les soirs, Tu sais que dans sa chambre on enferme ton maître : Tu rempliras ce soin ; il est très important. Mais on m'attend peut-être. J'y consens, non sans peine, et tu pourras m'en croire : Retracer son malheur est un nouveau tourment. Dorval se signala dans la guerre dernière ; Mais ardent, intrépide, et moins chef que soldat, Un jour, on le laissa mourant dans un combat. Il eût terminé sa carrière, Quand un hasard propice, en ce moment fatal, L'amena dans cet hôpital. Tu sais qu'il est servi par ces sœurs charitables, Qui rendent au malheur des soins si respectables, Dont la religion est dans sa pureté, En bornant leur devoir à tant d'humanité. Une d'elles, c'était la sœur Adélaïde, Ayant pris ses vertus et son âme pour guide, À vingt ans, dans ce lieu de mort, de piété, Avait enseveli sa grâce et sa beauté. Un ensemble enchanteur d'agréments, d'innocence, D'esprit et d'enjouement, que paraît la décence ; L'âme la plus sensible, un cœur fait pour aimer ; C'est ainsi que le ciel se plut à la former : Douce, compatissante, à son devoir fidèle, Aucune de ses sœurs n'approchait de son zèle ; Oubliant et son sexe et sa faible santé, Sa force se doublait par son humanité, Et l'être tourmenté d'une horrible souffrance, Se sentait soulagé par sa seule présence. Dorval, percé de coups, fut remis à ses soins ; Sans elle il eût péri : nous en fûmes témoins. Comment exprimerai-je un dévouement si tendre ? Il semblait que ses jours des siens dussent dépendre. Quels pénibles instants ! Que de nuits sans repos, Consacrés à le plaindre, à soulager ses maux ! Le ciel ne rendit pas son espérance vaine ; Il voulut couronner tant de soins, tant de peine, Et Dorval, né sensible, en conservant le jour, Vit la reconnaissance allumer son amour. Longtemps Adélaïde, à ses devoirs fidèle, Partageant une flamme et si pure et si belle, Résistant à Dorval, combattant son projet, Dans le fond de son cœur sut cacher son secret. Mais tout cède à l'amour, à la persévérance. Elle voulut enfin couronner sa constance. Non. Jamais le bonheur est-il long dans la vie ? Adélaïde, hélas ! des longtemps affaiblie, Sent d'affreuses douleurs ; on la secourt en vain : Ce mal terrible augmente ; il finit son destin. Peins-toi Dorval, son désespoir, sa rage : De sa raison il perd l'usage, Et ce dernier malheur est peut-être un bienfait ; Car, de sa passion, il croit revoir l'objet. L'imagination, l'effort de sa pensée Toujours offre à ses yeux cette image tracée ; Dans les mêmes habits, avec les mêmes traits Qui doivent de son cœur ne s'effacer jamais. Il est heureux, et croire voir sans cesse L'objet qu'il adorait, suffit à sa tendresse ; Il lui parle, l'appelle encore en son sommeil ; La même illusion l'attend à on réveil. Le lieu qui la retrace est celui qu'il préfère. Rien n'arrête ses pas ; sitôt qu'il la poursuit, Nous l'observons sans cesse : un laquais qui le quitte, À ces soins importants ne mettait nulle suite ; Mais me voilà tranquille, il est entre tes mains. Jeune, veuve, sensible, Libre de tout lien qui pouvait l'empêcher De lui rendre des soins, il était impossible Qu'un aussi grand malheur ne sût pas la toucher. D'ailleurs, Dorval paraît plus tranquille auprès d'elle : Pour causer avec lui, chaque jour, il l'appelle. La conversation n'a jamais qu'un sujet, Et son Adélaïde en est toujours l'objet. Quelquefois il me semble Qu'à celle qu'il aimait ma maîtresse ressemble : Me rappelant ses traits, j'y pensais aujourd'hui. Personne qu'elle ici n'a de crédit sur lui... Il se peut que Dorval, par cette ressemblance, Pour ma maîtresse éprouve un invincible attrait : Sans en chercher la cause, il n'en sent que l'effet. Peut-elle s'en douter ? Madame, vous voyez l'homme que j'ai promis ; Il se nomme Dumont, est fidèle, soumis. À mille qualités, il joint beaucoup d'adresse. Madame, le voici. Dumont, que fait ton maître ? Écoute : ma maîtresse à ses yeux doit paraître, Dès que de ce couvent la porte s'ouvrira, Et ce signal t'avertira : Je viens t'en prévenir. Adieu, le temps s'avance. **** *creator_segur *book_segur_fou *style_verse *genre_drame *dist1_segur_verse_drame_fou *dist2_segur_verse_drame *id_MONDOR *date_1791 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mondor Je vous trouve à propos ; ici calmes, tranquilles, Nous causerons en paix ; tous détours inutiles Sont indignes d'un père aussi tendre que moi : Je vais être de bonne foi. Depuis qu'en mon château, par pure bonhomie, Par pitié, j'ai logé l'infortuné Dorval, Vous le savez, je n'eus point d'autre envie Que de tout essayer pour soulager son mal. Peut-être faudra-t-il un jour que je déteste Cette complaisance funeste. Puissai-je me tromper ! Calmez-vous donc. Écoutez-moi, ma chère : En vous voyant d'abord vous occuper De donner à Dorval mille soins estimables, Je ne pus les trouver dangereux, condamnables. Je reconnus votre âme, et je me dis souvent : C'est un bonheur, et ma fille, à présent, A peu d'intérêt dans sa vie ; Rien en ces lieux ne la diversifie : Obligeante, sensible, un soin aussi touchant, En occupant son cœur, satisfait son penchant. On s'aveugle sans cesse ; C'est un malheur de la tendresse : Ne nous éclairant pas, elle sert de bandeau. Dans mon cœur tout-à-coup un sentiment nouveau, À ma sécurité m'arracha non, sans peine. Souvent, le hasard nous amène Un moyen d'éclairer notre faible raison. Un jour, je vous vis seule, auprès de la maison, Et Dorval vous quittait : votre âme était émue ; Quelques pleurs de vos yeux coulèrent à ma vue : Jugez si mon cœur fut inquiet, attendri ; Vous étiez seule, et vous aviez rougi. Ah ! Mon enfant, jugez de mes alarmes. Jamais cette rougeur, votre embarras, vos larmes, Ne sortirent depuis de mon cœur attristé. Vainement, mille fois, je me suis répété, Que ce que je craignais n'était qu'une chimère : Plus j'observe votre âme avec les yeux d'un père, Et plus d'un sentiment qui me ferait frémir Les symptômes secrets semblent se découvrir. S'il en est temps, fuyez un danger qui m'accable, Un danger que je crois peut-être inévitable. Ciel ! Aimer... qui ? Cet être malheureux, Que l'amour pour une autre embrase de ses feux ; Qui n'a plus sa raison, et qu'un tendre délire, Sans doute avec le temps au tombeau doit conduire ? Voulez-vous faire mon malheur, En bravant, sans prudence, une inutile flamme ? Mais croyez-vous me rassurer, ma chère ? Ah ! Jugez quels combats s'élèvent dans mon cœur ! Je voudrais n'exister que pour votre bonheur, Et mon trop de prudence a déchiré votre âme. Pourrais-je condamner une naissante flamme, Qui deviendrait le charme de vos jours ? Vous ne le croyez pas. Je chérirai toujours Les moyens que je vois d'embellir votre vie. Secourons, guérissons Dorval ; c'est mon envie. Ah ! S'il pouvait un jour faire votre bonheur, (Fût-ce une illusion) je chéris cette erreur. Mais si rien ne détruit son délire funeste, S'il va de sa raison altérer ce qui reste, Quel avenir pour vous ! Ma fille, qui ne sait ce que c'est que d'aimer ? Combien notre raison, alors si nécessaire, Loin de nous secourir, nous fuit facilement ! Qu'il vienne. Il croit voir un moyen D'empêcher de Dorval la cruelle insomnie. J'espère en son génie. Où votre maître est-il ? Ma fille, nous n'avons pu causer qu'un moment. Nous voir interrompus, m'a paru bien pénible ; Mais nous continuerons, et le plutôt possible. Il vient ; éloignons-nous. Ma fille... En quel état... Ciel !... Mon enfant, je voudrais Deviner le sujet... Vous cachez votre ouvrage À moi... Ah ! Toujours votre usage Fut de me consulter. Vos talents sont à moi. Oui ; mais votre douleur... d'où vient-elle, ma chère ? Eh bien !... Que je suis curieux ! Ne me trompai-je pas ? En croirai-je ma vue ? Ce sont-là tous vos traits. Jugez... Plus j'y songe à prèsent, je crois que ma mémoire Me dit que j'entendis Dorval, plus d'une fois, Parler de cette ressemblance. Que j'autorise... Quoi !.. Ce qu'elle se doit... Son sexe... Il faut prévoir... Je me sens entraîné... Venez, je suis rendu. **** *creator_segur *book_segur_fou *style_verse *genre_drame *dist1_segur_verse_drame_fou *dist2_segur_verse_drame *id_DUMONT *date_1791 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dumont Qui ? Moi, servir un sou ! En honneur, Cela me coûte un peu. Ah ! C'est avec tristesse Que je me place ici. Vous me quittez déjà ? Lisette, de grâce, un instant. Devant servir Dorval, dites-moi son histoire ; Je la sais imparfaitement. Ah ! Que ce récit est touchant ! Oui, sans avoir connu cet objet attachant, Un cœur sensible doit comprendre Qu'on l'adorait sans pouvoir s'en défendre. Lisette, que ce jour pour lui dut être beau ! L'amour vint de l'hymen allumer le flambeau ? On dit qu'il suit partout cette image si chère. Il s'expose, en suivant l'ombre qui le conduit. Pourquoi votre maîtresse a-t-elle à ses destins Pris autant d'intérêt ? D'où vient donc ce penchant ? Je la vois qui s'avance. À mes devoirs plus j'ai pensé, Plus j'en vis l'importance, et même ai balancé S'il fallait accepter cet emploi difficile ; Mais sentant qu'en ces lieux je puis vous être utile, Et touché du récit que Lisette m'a fait, Je me suis décidé : je serai satisfait Si mes soins, mes efforts, répondent à mon zèle. Je cours à mon devoir. Monsieur, le médecin Voudrait... Tourmenté par son mal, Il est sur le bord du canal, Les yeux fixés sur l'eau, croyant y voir l'image... Non, non : sur le rivage, Lisette est avec lui ; j'y retourne à l'instant. Ah ! Son égarement soulage au moins son âme !... Quel nouveau sentiment et l'irrite et l'enflamme ? Que ce tendre délire Est touchant ! Cette image si chère est tout ce qui lui reste. Sa douce illusion l'entraîne et le conduit : Il s'éloigne, en croyant suivre ce qu'il chérit ; Rien ne l'arrêterait... Il vient de disparaître. Il est entré dans le couvent : Vous savez qu'on l'y veille. Je le suis. Je n'ai pas remarqué. En ce lieu, je puis bien m'arrêter ; Car je le vois d'ici, poursuivant son image Dans le bosquet voisin... et je l'observerai... Je vous dirai Qu'à juger par le calme où semble être son âme, Sûrement son attrait va le conduire ici. Se peut-il ? Oui, oui, je vous entends. Quoi... Il approche. Écoutez. Quel moment ! Je le crains, et vais le désirer. Si j'osais avancer... Je crains qu'il ne s'éloigne... Eh bien ! Dans quel moment... Tu le vois absorbé dans ses réflexions. Un peu de calme suit tant d'agitations. Puisse le ciel remplir notre espérance ! Que les moments sont longs !... Son délire s'accroît. Dieux ! Quelle est sa souffrance ! Il expire. Accourez.