**** *creator_voltaire *book_voltaire_charlot *style_verse *genre_piece dramatique *dist1_voltaire_verse_piece dramatique_charlot *dist2_voltaire_verse_piece dramatique *id_LACOMTESSE *date_1767 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lacomtesse Eh ! qu'est-ce que je vois ? Je le cherche partout : que ses moeurs sont rustiques ! Je le trouve toujours parmi des domestiques. Il se plaît avec eux ; il m'abandonne. Consolez-vous, nourrice ; Mon coeur en tous les temps vous a rendu justice, Et mon fils vous la doit : on pourra l'attendrir. Je sais qu'en son berceau, dans une maladie, Étant cru mort longtemps, vous sauvâtes sa vie : Il en doit à jamais garder le souvenir. S'il ne vous aimait pas, qui pourrait-il chérir ? Laissez-moi lui parler. Et vous, tout est-il préparé ? Vous savez de vos soins combien je vous sais gré. Qu'importe ? Le coeur ne compte point, et rien ne doit coûter Lorsque le grand Henri daigne nous visiter. Laissez-moi, je vous prie. Il est temps qu'une mère, Que vous écoutez peu, mais qui ne doit rien taire, Dans l'âge où vous entrez, sans plainte et sans rigueur, Parle à votre raison et sonde votre coeur. Je veux bien oublier que, depuis votre enfance, Vous avez repoussé ma tendre complaisance ; Que vos maîtres divers et votre précepteur, Par leurs soins vigilants révoltant votre humeur, Vous présentant à tout, n'ont pu rien vous apprendre : Tandis qu'à leurs leçons empressé de se rendre, Le fils de la nourrice, à qui vous insultiez, Apprenait aisément ce que vous négligiez Et que Charlot, toujours prompt à me satisfaire, Faisait assidûment ce que vous deviez faire. S'ils l'avaient su, mon fils, ils en seraient meilleurs. J'en ai connu beaucoup qui, polissant leurs moeurs, Des beaux-arts avec fruit ont fait un noble usage. Un esprit cultivé ne nuit point au courage(6). Je suis loin d'exiger qu'aux lois de son devoir Un officier ajoute un triste et vain savoir ; Mais sachez que ce roi, qu'on admire et qu'on aime, A l'esprit très orné. Songez à le servir à la guerre, à la cour. Il faudra que, dans cet heureux jour, De sa royale main sa bonté ratifie Le contrat qui vous doit engager à Julie. Elle est votre parente, et doit plaire à vos yeux, Aimable, jeune, riche. Se peut-il, à votre âge, Que du seul intérêt vous parliez le langage ? Ah ! mon fils, apprenez du moins à vous connaître. Vos discours, votre ton, la révoltent peut-être. On ne réussit point sans un peu d'art flatteur Et la grossièreté ne gagne point un coeur. Oui, mais soyez aimable. Cette pure nature est fort insupportable. Vos pareils sont polis : pourquoi ? c'est qu'ils ont eu Cette éducation qui tient lieu de vertu ; Leur âme en est empreinte ; et si cet avantage N'est pas la vertu même, il est sa noble image. Il faut plaire à sa femme, il faut plaire à son roi, S'oublier prudemment, n'être point tout à soi, Dompter cette humeur brusque où le penchant vous livre. Pour vivre heureux, mon fils, que faut-il ? savoir vivre. Vous vous moquez de nous : Votre frère de lait vous rendrait-il jaloux ? Auriez-vous bien le coeur à ce point endurci ? Cela ne se peut pas. Ce jeune homme estimable Peut-il par son mérite être envers vous coupable ? Je dois tout à sa mère ; oui, je lui dois mon fils : Aimez un peu le sien. Du même lait nourris, L'un doit protéger l'autre : ayez de l'indulgence, Ayez de l'amitié, de la reconnaissance ; Si vous étiez ingrat, que pourrai-je espérer ? Pour ne vous point haïr il faudrait expirer. Mon fils, j'aurais voulu de vous, Avec tant de respects, un mot encor plus doux. Dites-le donc du coeur, ainsi que de la bouche. Venez, mon bon Charlot. Le marquis m'a promis Qu'il serait désormais de vos meilleurs amis. Ce grand jour d'allégresse Ne pourra plus laisser de place à la tristesse. Où donc est votre mère ? Va, j'en ferais autant, si j'étais à ta place. Mon fils, sans doute, aura pour servir sous sa loi Autant d'empressement et de zèle que toi. Aimez-le, mon cher fils ; que tout soit oublié. Çà, donnez-lui la main pour marque d'amitié. Point de mais. Son bon coeur se déclare ; Le mien s'épanouit... Quel bruit ! quel tintamarre ! A peine j'imagine Qu'il arrive si tôt ; c'est ce soir qu'on l'attend : Mais sa bonté prévient ce bienheureux instant. Allons tous. Oh ! je n'entends plus rien. Mais quand vient-il ? Nous aurons tout le temps de le bien recevoir. Mon fils, donnez la main à la belle Julie. Bonsoir, Charlot. Viens, ma chère nourrice, et ne soupire plus. A bien placer ton fils mes voeux sont résolus : Il servira le roi ; je ferai sa fortune : Je veux que cette joie à nous deux soit commune. Je voudrais contenter tout ce qui m'appartient, Vous rendre tous heureux ; c'est là ce qui soutient, C'est là ce qui console et qui charme la vie. Qui donc en est plus digne ? Nos félicités S'altèrent du chagrin que tu montres sans cesse. Va, fais danser nos gens avec les violons. Ton fils nous aidera. Mes filles, laissez-moi ; que je parle à Julie ; Dans ma chambre avec moi je ne saurais rester. Ô ma chère Julie ! en ma douleur profonde, Ne m'abandonnez pas... je n'ai que vous au monde. Ma fille, voilà donc quel est votre hyménée ! Ah ! j'avais espéré vous rendre fortunée. Le roi même en ces lieux devait vous marier : Au lieu de cette fête et si sainte et si chère, J'ordonne de mon fils la pompe funéraire ! Ah, Julie ! J'envoie auprès de lui, je l'instruis de ma perte : Il plaindra les horreurs où mon âme est ouverte, Il aura des égards ; il ne mêlera pas L'appareil des festins à celui du trépas. Le roi ne viendra point... tout a changé de face. Il est bien criminel. Il devait fuir plutôt. Il devait dans mon fils respecter une mère. Le fils de sa nourrice, ô ciel ! tuer mon fils ! Cette femme, après tout, dont les soins infinis Ont conduit leur enfance, et qui tous deux les aime, En ne paraissant point le condamne elle-même. Je l'aimais tendrement ; mon sort est plus affreux, Son attentat plus grand. Quoi ! Deux morts au lieu d'une ! Ah ! Je n'en puis douter. Elle est mère... et je sais ce qu'il en doit coûter. Hélas ! ne parlons point de vengeance et de peine ; Ma douleur me suffit. Quoi ! Malheureuse ! As-tu paru devant le roi ? Qu'as-tu dit ? quels étranges discours Redoublent ma douleur et l'horreur de mes jours ! Laisse-moi. Où suis-je ? juste Dieu ? pourrais-je m'en flatter ? Ah, Julie ! entends-tu ? Julie ! heureux jour ! heureux crime ! Adorons des Français le vainqueur et le père. **** *creator_voltaire *book_voltaire_charlot *style_verse *genre_piece dramatique *dist1_voltaire_verse_piece dramatique_charlot *dist2_voltaire_verse_piece dramatique *id_LEMARQUIS *date_1767 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lemarquis Mon vieux faiseur de conte, il me faut de l'argent. Bonjour, belle Babet ; bonjour, ma vieille bonne... Ah ! te voilà, maraud ; si jamais ta personne S'approche de Babet, et surtout moi présent, Pour te mieux corriger je t'assomme à l'instant. Va, détale. Allez, vous radotez... Monsieur Rente, à l'instant Qu'on me fasse donner six cents écus comptant. Ayez-en, je vous prie, Il m'en faut pour mes chiens et pour mon écurie, Pour mes chevaux de chasse, et pour d'autres plaisirs. J'ai très peu d'écus d'or, et beaucoup de désirs. Monsieur mon trésorier, déboursez, le temps presse. Je me passerais fort d'une telle visite. Mon petit précepteur, que l'on vient d'éloigner, M'avait dit que ma mère allait me ruiner ; Je vois qu'il a raison. Vous m'ennuyez. Eh ! si fait. Si, te dis-je, Babet. Je l'aime... comme il m'aime... assez peu, c'est l'usage. Mais je t'aime bien plus. Donnez-m'en donc bien vite... Ah ! ah ! je t'aperçois ; Attends-moi, malheureux ! Que de contrainte ! Vous l'oubliez, madame, et m'en parlez souvent. Charlot est, je l'avoue, un héros fort savant. Je consens pleinement que Charlot étudie, Que Guillot aille aussi dans quelque académie ; La doctrine est pour eux, et non pour ma maison. Je hais fort le latin ; il déroge à mon nom ; Et l'on a vu souvent, quoi qu'on en puisse dire, De très bons officiers qui ne savaient pas lire. Je ne suis pas de même. Oui, j'y songe. Elle est riche ? tant mieux ; Marions-nous bientôt. Oh ! j'aime aussi Julie ; elle a bien des appas ; Elle me plaît beaucoup ; mais je ne lui plais pas. Je suis fort naturel. Pour le roi, nous verrons comme je m'y prendrai : Julie est autre chose, elle est fort à mon gré ; Mais je ne puis souffrir, s'il faut que je le dise, Que le savant Charlot la suive et la courtise Il lui fait des chansons. Oui ; je ne cache point que je suis en colère Contre tous ces gens-là qui cherchent tant à plaire. Je n'aime point Charlot ; on l'aime trop ici. Ah ! vous m'attendrissez ; madame, je vous jure De respecter toujours mon devoir, la nature, Vos sentiments. Oui, le respect s'unit à l'amour qui me touche. Je n'ai point promis ça. Eh, mon Dieu ! oui. Faut-il toujours qu'on me compare A notre ami Charlot ? l'accolade est bizarre ! Eh bien ! la voilà... mais... Va... je suis très content. Mon Dieu, que ce Charlot m'ennuie ! Meurt de ne les plus voir !... Notre belle héritière, Avec monsieur Charlot vous êtes familière. Vous dansez aux chansons dans un coin du logis ! Il donne des leçons ! vraiment il en a l'air. Profitez-vous beaucoup ? Et les payez-vous cher ? Ouais ! Quand ce drôle a parlé, je ne sais que répondre. Écoute, mon garçon, je te défends... à toi, De montrer, quand j'y suis, de l'esprit plus que moi. Il m'offusque toujours. Tant d'insolence lasse. Je ne le puis souffrir près de vous... En un mot, Je n'aime point du tout qu'on danse avec Charlot. Quoi ! toujours Charlot ! que tout cela me blesse ! Sortez, et devant moi ne paraissez jamais. Si... Sors d'ici tout à l'heure. Je te l'ordonne. Ah ! c'en est trop, faquin. Quoi ! Misérable... Dans ce nouveau combat du froid avec le chaud, Me retirer en hâte est, je crois, ce qu'il faut ; Je n'aurais pas beau jeu : c'est une étrange affaire De combattre à la fois deux femmes en colère. **** *creator_voltaire *book_voltaire_charlot *style_verse *genre_piece dramatique *dist1_voltaire_verse_piece dramatique_charlot *dist2_voltaire_verse_piece dramatique *id_JULIE *date_1767 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_julie Je vous suis... Je rougis ; ma toilette M'a trop longtemps tenue, et n'est pas encor faite. Est-ce bien déjà lui ? Ce n'est pas lui. Enfin je le verrai ce charmant Henri Quatre, Ce roi brave et clément qui sait plaire et combattre, Qui conquit à la fois son royaume et nos coeurs, Pour qui Mars et l'Amour n'ont point eu de rigueurs, Et qui sait triompher, si j'en crois les nouvelles, Des Ligueurs, des Romains, des héros et des belles. Lisette à me parer a réussi, je crois. Comment me trouvez-vous ? Oui, ses yeux seulement... Il a le coeur fort tendre ; On me l'a dit du moins... je n'y veux point prétendre ; Je ne veux avoir l'air ni prude ni coquet... Eh ! mon Dieu ! j'aperçois qu'il me manque un bouquet. Hélas ! comment veut-on que mon coeur soit touché ; Qu'il se donne à celui qui ne l'a point cherché ? Par la digne comtesse en ces murs élevée, Conduite par vos soins, à son fils réservée, Je n'ai jamais dans lui trouvé jusqu'à ce jour Le moindre sentiment qui ressemble à l'amour ; Il n'a jamais montré ces douces complaisances Qui d'un peu de tendresse auraient les apparences. Il est sombre, il est dur, il me doit alarmer ; Il ose être jaloux et ne sait point aimer. J'aime avec passion sa vertueuse mère : Le fils me fait trembler ; quel triste caractère ! Ses airs et son ton brusque, et sa grossièreté, Affligent vivement ma sensibilité. D'un noir pressentiment je ne puis me défendre. La nature me fit une âme honnête et tendre. J'aurais voulu chérir mon mari. Tout autant qu'haïssable : C'est une aversion qui n'est pas surmontable. A sa mère, après tout, je ne puis l'avouer. De quinze ans de bontés je dois trop me louer : Je percerais son coeur d'une atteinte cruelle ; Je ne puis la tromper, ni m'ouvrir avec elle. Voilà mes sentiments, mes chagrins et mes voeux. Et moi, que devenir, comment faire, nourrice ? Tu ne me réponds point, lu rêves tristement, Ma chère Aubonne ! Pourrais-tu prudemment Engager la comtesse à différer la chose ? Tu sais la gouverner ; ton avis en impose ; Par tes discours flatteurs tu pourrais l'amener A me laisser le temps de me déterminer. Mais réponds donc. Ce n'est point là le mien ; le vôtre est bien mieux fait, Mieux choisi, plus brillant... Que votre fils, ma bonne, Est galant et poli !... Tous les jours il m'étonne. Est-il vrai qu'il nous quitte ? Nous le regretterons. La bonne, vous pleurez ! Quoi ! pouvez-vous sans joie et sans vous attendrir, Voir un fils si bien né, si rempli de courage, Au-dessus de son rang, au-dessus de son âge ? Votre amour est bien juste, il est touchant, ma bonne ; Mais, il faut l'avouer, votre douleur m'étonne. Quel est votre chagrin ?... Çà, dites-moi, Charlot... Non... monsieur... mon ami... Ma mère... que ce mot... De Charlot... convient mal... à toute sa personne ! Charlot !... Ma bonne ! D'où vient que votre fils Est différent en tout de monsieur le marquis ? L'art n'a rien pu sur l'un ; dans l'autre la nature Semble avoir répandu tous ses dons sans mesure. Le roi vient aujourd'hui ; Je dois avoir l'honneur de danser avec lui... Je voudrais répéter... Vous dansez comme un ange. Cela n'est point étrange : Vous avez réussi dans les jeux, dans les arts, Qui de nos courtisans attirent les regards, Les armes, le dessin, la danse, la musique, Enfin dans toute étude où votre esprit s'applique ; Et c'est pour votre mère un plaisir bien parfait... Je cherche à m'affermir dans le pas du menuet... Et je danserai mieux vous ayant pour modèle. Mon Dieu ! non... Vous chantez à merveille ; et votre voix, je pense, Bien mieux qu'un violon marquera la cadence : Asseyez-vous, ma mère, et voyez votre fils. Vous êtes donc l'auteur de la chanson ? Ils n'offensent personne... Ils ne peuvent déplaire ; Ils ne peuvent surtout exciter ma colère : Ils ne sont pas pour moi. Une seconde fois je puis donc les entendre... Achevons la leçon que de vous je veux prendre. Elle donne des lois Aux bergers, aux rois, etc. Vous seule ornez ces lieux. Des rois et des dieux Le maître est dans vos yeux. Ah ! si de votre coeur Il était vainqueur ! Quel bonheur ! Tout parle en ce beau jour D'amour. Un roi brave et galant, Charmant, Partage avec vous L'heureux pouvoir de régner sur nous. Elle donne des lois, etc. On meurt à ses yeux sans espoir ; On meurt de ne les plus voir. Mais je crois qu'il m'est assez permis De prendre ; quand je veux, devant madame Aubonne, Pour danser un menuet, la leçon qu'il me donne. J'en dois avoir, monsieur, de la reconnaissance. Si vous êtes fâché de cette préférence, Si mon petit menuet vous donne quelque ennui, Que n'avez-vous appris..., à danser comme lui ? Eh ! Comment faudra-t-il donc qu'il fasse ? Ma bonne, à quel mari je me verrais livrée ! Allez, votre colère est trop prématurée. Je n'ai point de reproche à recevoir de vous ; Et je n'aurai jamais un tyran pour époux. Mais, monsieur... Et moi, j'ordonne qu'il demeure. Encore ! Mon sang, ma chère amie, est bouillant dans les miennes. Quoi ! tu me serviras ? Ah ! que je te devrai ! Je le sais, et je crains que mon refus la blesse : Pour ce fils que je hais je connais sa tendresse. La nature, il est vrai, parle beaucoup en elle. Je compte sur ton zèle, Sur tes conseils prudents, sur ta tendre amitié. De ce joug odieux tire-moi par pitié. Tu gémis. Hélas ! tu fais tout mon espoir. Ah ! Charlot est blessé ! Je tremble. A-t-il fait à Charlot quelque nouvelle injure ? Hélas ! vous répandez des larmes. Mais ce n'est pas Charlot ; Charlot n'avait point d'armes. Hélas ! à quel état Sera-t-elle réduite après cet attentat ? Je plains son fils... Le temps l'aurait changé peut-être. Hélas ! ma pauvre Aubonne, Que deviendra Charlot ? Ce garçon n'a rien fait qu'à son corps défendant : La justice est injuste. Plus de ressource ? Mon âme D'une si bonne mère éprouve les douleurs. Courons, allons mêler nos larmes à ses pleurs. Ah ! je respire enfin... Madame évanouie Reprend un peu ses sens et sa force affaiblie ; Ses femmes à l'envi, les miennes, tour à tour, Rendent ses yeux éteints à la clarté du jour. Faut-il qu'en cet état la nourrice fidèle, Devant la secourir, ne soit pas auprès d'elle ! Vainement je la cherche, on ne la trouve pas. Pourquoi nous fuir ? pourquoi de nous se défier ? Le roi viendra bientôt : son seul aspect fait grâce, Son grand coeur doit la faire. Non, le brave Henri ne peut punir un brave. Je suis la cause, hélas ! de cet affreux malheur ; Ne me reprochant rien, dans ma simple candeur, J'ai cru qu'on n'avait point de reproche à me faire. Ce malheureux marquis, dans sa sotte colère, Se croyant tout permis, a forcé cet enfant A tuer son seigneur, et fort innocemment. Je saurai recourir à la clémence auguste, Aux bontés de ce roi galant autant que juste ; Je n'avais répété ce menuet que pour lui ; Il y sera sensible, il sera notre appui. Quoi ! Babet ? Ô ciel ! Charlot est en prison ! Madame sort déjà de ses appartements. Dans quel accablement elle est ensevelie ! Vous m'avez tenu lieu d'une mère, et mon coeur Répond toujours au vôtre et sent votre malheur. Je pleure votre sort... et je sais m'oublier. En ce temps, en ce séjour de pleurs, Comment de la maison faire au roi les honneurs ? Ainsi... le meurtrier... n'aura donc point sa grâce ? Il s'est vu bien pressé ; À ce coup malheureux le marquis l'a forcé. Votre fils en colère... Vous aviez protégé ce jeune malheureux. Faudra-t-il qu'il périsse ? Hélas ! notre nourrice Ferait donc la troisième. Quelle rumeur soudaine ! J'aime à n'en point douter. Madame, cette fois, voici le grand Henri. **** *creator_voltaire *book_voltaire_charlot *style_verse *genre_piece dramatique *dist1_voltaire_verse_piece dramatique_charlot *dist2_voltaire_verse_piece dramatique *id_MADAMEAUBONNE *date_1767 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madameaubonne Il est vrai. Quand on porte lunette, ou rit peu, mes enfants. Ris tant que tu pourras, chaque chose a son temps. Hélas ! j'espère d'aujourd'hui Que Charlot, mon enfant, pourra servir sous lui. Les pauvres gens ! Je l'aime ! Ah ! j'ai bien d'autres soins. Je le suis plus que vous. Notre marquis pourra se corriger. À l'éducation tout tempérament cède. Eh bien ! de quoi viens-tu nous étourdir la tête ? Allons, console-toi. Quelle sotte folie ! Le marquis est promis à la belle Julie, Cousine de madame, et qui, dans la maison, Est un modèle heureux de beauté, de raison, Que j'élevai longtemps, que je formai moi-même : C'est pour lui qu'on la garde, et c'est elle qu'il aime. Des soufflets à mon fils ! Tant de brutalité Sied horriblement mal aux gens de qualité. Je vous l'ai dit cent fois ; mais vous n'en tenez compte. Vous me faites mourir de douleur et de honte. Fi ! quel discours infâme ! Soyez plus généreux, respectez plus madame. Je ne m'attendais pas, quand je vous allaitai, Que vous auriez un coeur si plein de dureté. L'ingrat ! Hélas ! Nous l'envoyons à vous, mais il n'écoute pas. Il me traite bien mal. Ah ! vous ne savez pas ce qu'il me fait souffrir. Dieu veuille que madame Par ses soins maternels amollisse son âme ! Vous me rendez confuse, et mon âme attendrie Devrait mériter mieux vos extrêmes bontés. Ah ! Ce beau jour, il est vrai, doit bannir la tristesse. Mon fils !... Madame... allons. Très belle et très bien mise, Vous seriez peu fâchée, excusez ma franchise, D'essayer tant d'appas, et d'arrêter les yeux D'un héros couronné, partout victorieux. Eh bien ! belle Julie, Ce grand prince ici même aujourd'hui vous marie ; Il signera du moins le contrat projeté, Qui sera par madame avec vous présenté. Vous semblez n'y penser qu'avec indifférence, Et je crois entrevoir un peu de répugnance. Parlez net ; Développez un coeur qui se cache à regret. Le marquis est haï. Ce mariage-là fera des malheureux. Ah ! comment nous tirer du fond du précipice ? Hélas ! Hélas !... oui, ma belle Julie... Votre demande est juste... elle sera remplie. Il veut servir le roi. J'en ai sujet : mon âme Se rappelle sans cesse un fatal souvenir. Il paraît en effet digne de vos bontés ; Il mérite surtout les pleurs qu'il m'a coûtés. Oh les mots n'y font rien... mais vous êtes trop bonne. Eh quoi ? Vous le flattez beaucoup. De tout ce que je vois mon coeur n'est point surpris. Elle donne des lois Aux bergers, aux rois, A son choix ; Elle donne des lois Aux bergers, aux rois. Qui pourrait l'approcher Sans chercher Le danger ? On meurt à ses yeux sans espoir ; On meurt de ne les plus voir. Elle donne des lois Aux bergers, aux rois. Ils me font tous les deux un extrême plaisir. Je voudrais que madame en pût aussi jouir. C'est très bien riposté ; Charlot doit le confondre. Quelle idée ! Eh bien ! vous méritez une telle algarade. Vous vous faites haïr... Monsieur, prenez-y garde : Vous n'êtes ni poli, ni bon, ni circonspect : Vous deviez à Julie un peu plus de respect, Plus d'égards à Charlot, à moi plus de tendresse ; Mais... Mes enfants, paix ! paix ! paix ! Eh, mon Dieu ! je crains tout. Allez, mon fils, de grâce, Ne l'effarouchez point, et quittez-lui la place : Tout ira bien ; cédez, quoique très offensé. Ah ! c'en est fait, mon sang se glace dans mes veines. Non, vous n'aurez jamais ce brutal de marquis : Qu'ai-je fait ! non, ces noeuds sont trop mal assortis. Je réponds que sa mère Brisera ce lien qui doit trop vous déplaire... M'y voilà résolue. Ô fortune ! ô destin ! que tout change à ton gré ! Du public cependant respectons l'allégresse ; Trop de monde a présent entoure la comtesse ; Comment parler ? comment, par un trouble cruel, Contrister les plaisirs d'un jour si solennel ? D'un coup trop imprévu n'allons point l'accabler... Je n'ai jamais rien fait que pour la consoler. Elle peut s'aveugler. Hélas ! tout dès longtemps trompa mes espérances. Oui, je suis dans de terribles transes... N'importe... je le veux... je ferai mon devoir ; Je serai juste. Je ne le sais que trop. De cette bagatelle Il peut naître aisément une grande querelle. Je crains beaucoup. Qu'est-il arrivé ? Ah ! mon Dieu ! Que dis-tu ? Eh ! Butor ! Dis donc vite, de grâce, Ce qui s'est pu passer, et tout ce qui se passe. Ah ! malheureuse ! Hélas ! Allons le secourir, s'il en est temps encore. Juste ciel que j'implore ! Les pierres parleront, si nous osons nous taire. Quelle mort ! et par qui ! J'en mourrai... mais allons, le dessein en est pris. Ce n'est pas lui, madame, hélas ! ce n'est que moi. J'ai laissé ce bon prince à moins d'un quart de lieue, J'ai précédé sa cour avec sa garde bleue ; J'avais pris des chevaux ; et je viens à genoux Révéler votre sort et mon crime envers vous. Le roi m'a pardonné ma fraude et mon audace. Je ne mérite pas que vous me fassiez grâce. Madame, je l'ai vu tout comme je vous vois : Ce monarque adoré ne rebute personne ; Il écoute le pauvre, il est juste, il pardonne : J'ai tout dit. Non, sachez cet important mystère : Charlot est plein de vie, et vous êtes sa mère. Hélas ! vous auriez pu sur son noble visage Du comte de Givry voir la parfaite image. Il vous souvient assez qu'en ces temps pleins d'effroi Où la Ligue accablait les partisans du roi, Votre époux opprimé cacha dans ma chaumière Cet enfant dont les yeux s ouvraient à la lumière : Vous voulûtes bientôt le tenir dans vos bras ; Ce malheureux enfant touchait à son trépas : Je vous donnai le mien. Vous fûtes trop flattée De la fatale erreur où vous fûtes jetée. Votre fils réchappa, mais l'échange était fait. Un enfant supposé dans vos bras s'élevait, Vos soins vous attachaient à cette créature, Et l'habitude en vous tint lieu de la nature. Mon mari, que le roi vient de faire appeler, Interrogé par lui, vient de tout révéler ; C'est un brave soldat que ce grand prince estime. Tout est prouvé. **** *creator_voltaire *book_voltaire_charlot *style_verse *genre_piece dramatique *dist1_voltaire_verse_piece dramatique_charlot *dist2_voltaire_verse_piece dramatique *id_CHARLOT *date_1767 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_charlot Elle pleure toujours ; Et j'implore pour moi votre puissant secours, Votre protection, vos bontés toujours chères, Et ce coeur digne en tout de ses augustes pères. Madame, vous savez qu'à monsieur votre fils, Sans me plaindre un moment, je fus toujours soumis. Vivre à vos pieds, madame, est ma plus forte envie. Le héros des Français, l'appui de sa patrie, Le roi des coeurs bien nés, le roi qui des Ligueurs A par tant de vertus confondu les fureurs, Il vient chez vous, il vient dans vos belles retraites ; Et ce n'est que pour lui que des lieux où vous êtes Mon âme en gémissant se pourrait arracher. La fortune n'est pas ce que je veux chercher. Pardonnez mon audace, excusez mon jeune âge. On m'a si fort vanté sa bonté, son courage, Que mon coeur tout de feu porte envie aujourd'hui A ces heureux Français qui combattent sous lui. Je ne veux point agir en soldat mercenaire ; Je veux auprès du roi servir en volontaire, Hasarder tout mon sang, sûr que je trouverai Auprès de vous, madame, un asile assuré. Daignez-vous approuver le parti que j'embrasse ? Je révère, J'ose chérir en vous madame votre mère. Jamais de mon devoir je n'ai trahi la voix ; Je vous rendrai toujours tout ce que je vous dois. Elle aime ce grand homme ; elle est tout comme moi. Un bouquet ! allons vite. Madame, j'ai trouvé chez vous votre bouquet. Je fais ce que je dois Oui, mon père est soldat du plus grand des monarques. Il fut blessé, madame, à la bataille d'Arques. Je voudrais sur ses pas bientôt l'être à mon tour. Pour ce généreux roi mon coeur est plein d'amour ; Oui, je voudrais servir Henri Quatre et ma dame. Je ne mérite pas... Ah ! vous seule en servez... mais le respect, le zèle, Me forcent d'obéir. Il faut un violon, Je cours en chercher un, s'il vous plaît. Madame, C'est un faible portrait d'une timide flamme. Les vers étaient à l'air assez mal ajustés. Par votre goût, sans doute, ils seront rejetés. Pour vous !... je n'oserais Perdre ainsi le respect, profaner vos attraits ! Pourquoi non ? Modérez, monsieur, votre injuste colère. Vous aviez assuré votre adorable mère Que d'un peu d'amitié vous vouliez m'honorer ; Mon coeur le méritait, il l'osait espérer. Ce noble et digne objet, respectable à vous-même, M'a chargé dans ces lieux de son ordre suprême ; Ses ordres sont sacrés, chacun doit les remplir En la servant, monsieur, j'ai cru vous obéir. Quoi ? Si ? À tous les deux, monsieur, je sais ce que je doi ; Mais enfin j'ai fait voeu de suivre en tout sa loi. C'en est trop, je l'avoue ; Et sur votre alphabet je doute qu'on vous loue. Il paraît que le lait dont vous fûtes nourri Dans votre noble sang s'est un peu trop aigri. De vos expressions j'ai l'âme assez frappée. A mon côté, monsieur, si j'avais une épée, Je crois que vous seriez assez sage, assez grand, Pour m'épargner peut-être un si doux compliment. Ma mère... j'obéis... mais j'ai le coeur percé. J'aurais pu fuir, sans doute, et ne l'ai pas voulu. Je désire la mort, et j'y suis résolu. J'ai tort, je le confesse. J'espère Qu'on souffrira du moins que je parle à ma mère. Voudrait-on me priver de ses derniers adieux ? Elle ne vent plus voir un fils infortuné, Indigne de sa mère, et bientôt condamné. Mais que je plains, hélas mon auguste maîtresse ; Et que je plains Julie ! elle avait la tendresse De monsieur le marquis ; et mes funestes coups Privent l'une d'un fils, et l'autre d'un époux. Non, je ne veux plus voir ce château respectable, Où l'on daigna m'aimer, où je fus si coupable. Vous, monsieur, si jamais dans leur triste maison, Après cet attentat, vous prononcez mon nom, J'ose vous conjurer de bien dire à madame Qu'elle a toujours régné jusqu'au fond de mon âme, Que j'aurais prodigué mon sang pour la servir ; Que j'ai, pour la venger, demandé de mourir : Daignez en dire autant à la noble Julie. Hélas ! dans la maison mon enfance nourrie Me laissait peu prévoir tant d'horribles malheurs. Vous tous qui m'écoutez, pardonnez-moi mes pleurs, Ils ne sont pas pour moi... la source en est plus belle... Adieu... Conduisez-moi. **** *creator_voltaire *book_voltaire_charlot *style_verse *genre_piece dramatique *dist1_voltaire_verse_piece dramatique_charlot *dist2_voltaire_verse_piece dramatique *id_LINTENDANT *date_1767 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lintendant Ils se sont tous trompés selon leur ordinaire. Madame, un postillon que j'avais fait partir Pour s'informer au juste, et pour vous avertir, Vous ramenait en hâte une troupe altérée, Moitié déguenillée, et moitié surdorée, D'excellents pâtissiers, d'acteurs italiens, Et des danseurs de corde, et des musiciens, Des flûtes, des hautbois, des cors, et des trompettes, Des faiseurs d'acrostiche, et des marionnettes. Tout le monde a crié le roi sur les chemins ; On le crie au village, et chez tous les voisins ; Dans votre basse-cour on s'obstine à le croire ; Et voilà justement comme on écrit l'histoire(8). **** *creator_voltaire *book_voltaire_charlot *style_verse *genre_piece dramatique *dist1_voltaire_verse_piece dramatique_charlot *dist2_voltaire_verse_piece dramatique *id_BABET *date_1767 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_babet Que ce jour sera beau, Madame Aubonne ! ici nous le verrons paraître, Ici, dans ce château, ce grand roi ; ce bon maître ! Mais cela devrait vous dérider. Je ne vous vis jamais que pleurer ou bouder. Quand tout le monde rit, court, saute, danse, chante, Notre bonne est toujours dans sa mine dolente. Eh bien ? Leur fit grâce sans doute ? Je l'adore ! Oui, ça m'en donne aussi. La nourrice toujours dans son chagrin persiste, Faites-lui quelque conte. Charlot est, je l'avoue, un fort joli garçon. Bon ! c'est de joie Qu'il t'aura souffleté ; tout le monde est en proie A des transports si grands, en attendant le roi, Qu'on ne sait où l'on frappe. Qu'as-tu pu faire Pour acquérir ainsi deux soufflets du marquis ? Est-il bien vrai ?... Tu dis Que je plais à monsieur ? Monsieur m'aimerait donc ? Tu m'aimes donc vraiment ? Eh ! de grâce, Un peu moins de colère, un peu moins de menace. Que vous a fait Guillot ? Toujours il nous fait quelque injure. Vous n'aimez pas le roi ! vous, méchant ! Non, vous ne l'aimez pas. C'est le roi ; je l'ai vu tout comme je vous vois. Il était encor loin ; mais qu'il a bonne mine ! Il est très beau... C'est lui. Les filles du village Trottent toutes en foule, et sont sur son passage. J'y vais aussi, j'y vole. C'est lui. Allez, votre marquis est un vrai trouble-fête. Vous savez qu'on apprête Cette longue feuillée où Charlot de ses mains De guirlandes de fleurs décorait les chemins ; Il a dans cent endroits disposé cent lumières, Où du nom de Henri les brillants caractères Sont lus, à ce qu'on dit, par tous les gens savants ; Ce spectacle admirable attirait les passants ; Les filles l'entouraient ; toute notre séquelle Voyait le beau Charlot monté sur une échelle, Dans un leste pourpoint faisant tous ces apprêts ; Mais monsieur le marquis a trouvé tout mauvais, A voulu tout changer, et Charlot, au contraire, A dit que tout est bien. Le marquis en colère A menacé Charlot, et Charlot n'a rien dit : Ce silence au marquis a causé du dépit ; Il a tiré l'échelle, il a su si bien faire Qu'en descendant vers nous Charlot est chu par terre. Non, il s'est lestement Relevé d'un seul saut... Il s'est fâché vraiment : Il a dit de gros mots. Quoi ? J'ai dit ce que j'ai vu. Pas grand'chose. Charlot serait perdu ! Mais le marquis est-il tout à fait mort ? Ah ! j'entends bien du bruit et des cris chez madame. Quel crime a-t-il donc fait ? Ne vaut-il pas bien mieux Tuer quatre marquis qu'être tué par eux ? Il me met en colère. Quand tu voudras parler, ne dis mot pour bien faire. Messieurs, de grâce, Ne l'enlevez donc pas... suivons-le au moins des yeux. Au secours ! ah ! mon Dieu, la misère ! Protégez-nous, madame, en cette horrible affaire. Les filles ont recours à vous dans la maison. C'est Charlot que l'on fourre en prison. Des gens tout noirs des pieds jusqu'à la tête L'ont fait conduire, hélas ! d'un air bien malhonnête. Pour comble de malheur, le roi dans le logis Ne viendra point, dit-on, comme il l'avait promis ; On ne dansera point, plus de fête... Ah ! Madame ! Que de maux à la fois !... tout cela perce l'âme. Hélas ! de le sauver prenez sur vous le soin : Chacun vous aidera ; tout le château vous prie. Les morts ont toujours tort, et Charlot est en vie. **** *creator_voltaire *book_voltaire_charlot *style_verse *genre_piece dramatique *dist1_voltaire_verse_piece dramatique_charlot *dist2_voltaire_verse_piece dramatique *id_GUILLOT *date_1767 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_guillot Ah ! le méchant marquis ! comme il est malhonnête ! De deux larges soufflets dont il m'a fait présent : C'est le seul qu'il m'ait fait, du moins, jusqu'à présent. Passe encor pour un seul, mais deux ! Sans doute. Ça peut être. Oui. Pas tant. Il est jaloux, il t'aime. Oh ! tu ne lui plais guère ; Mais il t'aime en passant, quand il n'a rien à faire. Je dois, comme tu sais, épouser tes attraits ; Et pour présent de noce il donne des soufflets. Oh bien, il en veut donc avoir deux à la fois ? Ces jeunes grands seigneurs ont de terribles droits ; Tout doit être pour eux, femmes de cour, de ville, Et de village encore : ils en ont une file ; Ils vous écrèment tout, et jamais n'aiment rien. Qu'il me laisse Babet ; parbleu, chacun le sien. Oui, de tout mon courage ; Je t'aime tant, vois-tu, que quand sur mon passage Je vois passer Charlot, ce garçon si bien fait, Quand je vois ce Charlot regardé par Babet, Je rendrais, si j'osais, à son joli visage Les deux pesants soufflets que j'ai reçus en gage. Eh !... j'entends si j'osais... Mais Charlot m'en impose, et je n'ose jamais. Quel diable de marquis ! Il a l'âme bien dure, Les mains aussi. Le roi vient. C'est le roi, c'est le roi. Donne-t-il des soufflets ? Ne le voyez-vous pas Qui vers la basse-cour avance avec fracas ? Je m'y connais fort bien. Tout le monde m'a dit : C'est lui ; la chose est claire. Nous voilà tous bien sots ! Ah ! mon Dieu ! quel malheur ! Notre jeune seigneur... Il ne donnera plus des soufflets, je vous jure, À moins qu'il n'en revienne. Babet l'aura pu voir. Hélas ! tout est passé. Le marquis là dehors Est troué d'un grand coup tout au travers du corps. On en trouve bientôt. Ce marquis turbulent Poursuivait notre ami, ma foi très vertement. L'autre, qui sagement se battait en retraite, Déjà d'un écuyer avait saisi la brette. Je lui criais de loin : « Charlot, garde-toi bien D'attendre monseigneur, il ne ménage rien ; J'ai trop à mes dépens appris à le connaître ; Va-t'en ; il ne faut pas s'attaquer à son maître. » Mais Charlot lui disait : « Monsieur n'approchez pas. » Il s'est trop approché, voilà le mal. Ce sont des aventures Qui font bien de la peine, et qu'on ne peut prévoir : On est gai le matin, on est pendu le soir. Écoute ; Il en disait de moi l'an passé tout autant ; Il croyait m'enterrer, et me voilà pourtant. Je gage que sa mère a déjà tout appris. On n'a jamais gardé le silence. Il devait en user comme moi, Ne se point revancher, imiter ma sagesse ; Je l'avais averti. Elle a toujours raison, c'est très bien dit. Quoi ! ta mère est complice ? Tout pleure, je ne sais s'il faut aussi pleurer. Qu'on aime ce Charlot ! Charlot plaît, quoiqu'il fasse. On n'en ferait pas tant pour moi. Allons, suivons aussi, car on est curieux. **** *creator_voltaire *book_voltaire_charlot *style_verse *genre_piece dramatique *dist1_voltaire_verse_piece dramatique_charlot *dist2_voltaire_verse_piece dramatique *id_DOMESTIQUES *date_1767 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_domestiques C'est le roi.