**** *creator_voltaire *book_voltaire_depositaire *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_depositaire *dist2_voltaire_verse_comedy *id_NINON *date_(non *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_ninon J'aime assez, cher Gourville, à former la jeunesse. Le fils de mon ami vivement m'intéresse ; Je touche à mon hiver, et c'est mon passe-temps De cultiver en vous les fleurs d'un beau printemps. N'étant plus bonne à rien désormais pour moi-même, Je suis pour le conseil ; voilà tout ce que j'aime : Mais la sévérité ne me va point du tout. Hélas ! on sait assez que ce n'est point mon goût. L'indulgence à jamais doit être mon partage ; J'en eus un peu besoin quand j'étais à votre âge. Eh bien ! vous aimez donc cette petite Agnant ? C'est une aimable enfant ; Sa mère quelquefois dans la maison l'amène. J'ai l'oeil bon ; j'ai prévu de loin votre fredaine. Mais est-ce un simple goût, une inclination ? Je crois que mieux que lui vous avez su plaider. Sans doute vous flattez et le père et la mère, Et jusqu'à l'avocat ; c'est le grand art de plaire. C'est un vice du temps, La mode en passera. Ces buveurs me déplaisent ; Leur gaîté m'assourdit, leurs vains discours me pèsent, J'aime peu leurs chansons, et je hais leur fracas ; La bonne compagnie en fait très peu de cas. Oui, voilà trait pour trait De nos très sots voisins le fidèle portrait. Mais on doit se plier à souffrir tout le monde, Les plats et lourds bourgeois dont cette ville abonde, Les grands airs de la cour, les faux airs de Paris, Nos étourdis seigneurs, nos pincés beaux-esprits : C'est un mal nécessaire, et que souvent j'essuie : Pour ne pas trop déplaire il faut bien qu'on s'ennuie. Ah ! je vous avouerai qu'elle est pleine d'appas : Aimez-la, quittez-la, mon amitié tranquille A vos goûts, quels qu'ils soient, sera toujours facile. A la droite raison dans le reste soumis, Changez de voluptés, ne changez point d'amis ; Soyez homme d'honneur, d'esprit et de courage, Et livrez-vous sans crainte aux erreurs du bel âge. Quoi qu'en disent l'Astrée, et Clélie, et Cyrus, L'amour ne fut jamais dans le rang des vertus ; L'amour n'exige point de raison, de mérite. J'ai vu des sots qu'on prend, des gens de bien qu'on quitte. Je fus, et tout Paris l'a souvent publié, Infidèle en amour, fidèle en amitié. Je vous chéris, Gourville, et pour toute ma vie. Votre père n'eut pas de plus constante amie : Dans des temps malheureux il arrangea mon bien, Je dois tout à ses soins sans lui je n'aurais rien. Vous savez à quel point j'avais sa confiance. C'est un plaisir pour moi que la reconnaissance ; Elle occupe le coeur : je n'ai point de parents ; Et votre frère et vous me tenez lieu d'enfants. Parlons donc, je vous prie, un peu solidement. Vous n'êtes pas, je crois, fort en argent comptant ? Voici le temps où de votre fortune Le noeud très délicat, l'intrigue peu commune, Grâce à monsieur Garant, pourra se débrouiller. On omit, il est vrai, le mot de légitime. Gourville, votre père, eut la publique estime ; Il eut mille vertus, mais il eut, entre nous, Pour les beaux noeuds d'hymen de merveilleux dégoûts. La rigueur de la loi (peut-être un peu trop sage) A votre frère, à vous, ravit tout héritage. Vous ne possédez rien ; mais ce monsieur Garant, Son banquier autrefois, et son correspondant, Pour deux cent mille francs étant son légataire, N'en est, vous le savez, que le dépositaire. Il fera son devoir ; il l'a dit devant moi : L'honneur est plus puissant, plus sacré que la loi. Il est un temps pour tout. Tout réussit aux gens qui sont doux et joyeux. Pour monsieur votre aîné, c'est un fou sérieux : Un précepteur maudit, maîtrisant sa jeunesse, Chargea d'un joug pesant sa docile faiblesse, De sombres visions tourmenta son esprit, Et l'âge a conservé ce que l'enfance y mit. Il s'est fait à lui-même un bien triste esclavage. Malheur a tout esprit qui veut être trop sage ? J'ai bonne opinion, je vous l'ai déjà dit, D'un jeune écervelé, quand il a de l'esprit, Mais un jeune pédant, fut-il très estimable, Deviendra, s'il persiste, un être insupportable. Je ris lorsque je vois que votre frère a fait L'extravagant dessein d'être un homme parfait. Le parti qu'il a pris n'est pas ce qui m'afflige : J'aime les gens de bien, mais je hais les cagots ; Et je crains les fripons qui gouvernent les sots. Je le sais. C'est ajouter beaucoup. Fort bien. Encor ! Il faut les secourir ; C'est un devoir sacré. Çà, monsieur l'aumônier, vous savez que céans Il est, ainsi qu'ailleurs, de jeunes indigents ; Ils sont recommandés à vos nobles largesses. Vous n'avez pas, sans doute, oublié vos promesses. Ah ! Que c'est parler bien ! Je me flatte, je crois, je suis persuadée, Je me sens convaincue, et surtout j'ai l'idée Que vous rendrez bientôt les deux cent mille francs A votre ami si cher, ès mains de ses enfants. Eh ! Rien n'est plus aisé... Des deux cent mille francs n'êtes-vous pas le maître ? Eh bien ! À chacun d'eux donnez cent mille francs. Par cette égalité Vous assurez la paix de leur société. Quelle idée est la vôtre ! Tout est réglé, monsieur... Le véritable honneur est très fort de mon goût, Mais il sait écarter ces craintes ridicules. Il est de certains cas où j'ai peu de scrupules. Ayez des procédés, je réponds du succès. Toujours cent mots pour un. Moi, je vais à l'instant Répondre à vos discours en un mot comme en cent. Mon cher petit Gourville, allez dire à Lisette Qu'elle m'apporte ici cette grande cassette. Elle sait ce que c'est. Mais vraiment Vous me touchez le coeur par un soin si prudent. On ne peut parler mieux ; mais trop de pauvreté Dans des dangers plus grands peut plonger la jeunesse : Je ne voudrais pour lui pauvreté ni richesse, Point d'excès ; mais son bien lui doit appartenir. Et son frère ? Comment donc?... Oui... C'était un avantage Que son père lui fit. Ah ! Ah, monsieur !... Et surtout patiente. Allons, vite, ouvrons-la. C'est le très faible reste De l'argent qu'autrefois, dans un péril funeste, Étant contraint de fuir, Gourville me laissa ; Longtemps à son retour dans ce coffre il puisa ; Le compte est de sa main. Allez tous deux sur l'heure Donner à ses enfants le peu qu'il en demeure : Ce sera pour chacun, je crois, deux mille écus. Par un partage égal il faut qu'ils soient reçus. Pour leurs menus plaisirs ils en feront usage, Attendant que monsieur fasse un plus grand partage. Pour remplir son devoir il faut peu de façon : Vous le voyez, monsieur. Quand apporterez-vous cette petite aubaine Des deux cent mille francs en contrats bien dressés ? Et quand remplirez-vous ces devoirs si pressés ? Eh ! fi donc ! Ah ! Cela perce l'âme. Ah ! Mon Dieu ! Le méchant ! Courtiser une fille ! Ô ciel ! Est-il possible ? Quel crime irrémissible ! Allez, je ne l'oublierai pas. Il voulait, ce me semble, Par pure probité, nous mettre mal ensemble. Vous pouvez, croyez-moi, le penser sans scrupule : On peut être à la fois fripon et ridicule. Avec son verbiage et ses fades propos, Ce fat dans le quartier séduit les idiots. Sous un amas confus de paroles oiseuses Il pense déguiser ses trames ténébreuses. J'aime fort la vertu ; mais, pour les gens sensés, Quiconque en parle trop n'en eut jamais assez. Plus il veut se cacher, plus on lit dans son âme ; Et que ceci soit dit et pour homme et pour femme. Enfin, je ne veux point, par un zèle imprudent, Garantir la vertu de ce monsieur Garant. Eh bien ! Chère Lisette, Ma petite ambassade a-t-elle été bien faite ? Son frère a-t-il de vous reçu son contingent ? Est-il bien satisfait ? Comment ? Il en faut convenir, son caractère est rare. La nature a conçu des desseins différents, Alors que son caprice a formé ces enfants. Un contraste parfait est dans leurs caractères ; Et le jour et la nuit ne sont pas plus contraires. Je ne ris point de lui, Lisette, je le plains : Il a le coeur très bon, je le sais ; mais je crains Que cette aversion des plaisirs et du monde, Des usages, des moeurs, l'ignorance profonde, Ce goût pour la retraite, et cette austérité, Ne produisent bientôt quelque calamité. Pour ce monsieur Garant sa pleine confiance Alarme ma tendresse, accroît ma défiance : Souvent un esprit gauche en sa simplicité, Croyant faire le bien, fait le mal par bonté. Puissiez-vous tous les deux être plus raisonnables ! Mais le monde aime mieux des erreurs agréables, Et d'un esprit trop vif la piquante gaîté, Qu'un précoce Caton, de sagesse hébété, Occupé tristement de mystiques systèmes, Inutile aux humains, et dupe des sots mêmes. Il est un peu scabreux, et je crains cette mère. Prenez bien garde, au moins, vous vous y méprendrez. Vos discours de vertu seront peu mesurés ; Tout sera reconnu. Mais c'est du loup berger que vous jouez le rôle. Pour ce dernier point, non. Ah ! Ah ! Monsieur, vous sortez donc enfin ! Vous vous humanisez, et votre noir chagrin Cède au besoin qu'on a de vivre en compagnie. Le plaisir sied très bien à la philosophie ; La solitude accable, et cause trop d'ennui. Eh bien ! où comptez-vous de dîner aujourd'hui ? Eh mais !... j'espère... Que ce n'est pas avec des fripons. Et vos convives sont ? On en trouve, en effet, de très honnêtes gens, Et chez qui la vertu n'offre rien que d'aimable. Allez, c'est fort bien fait. Quelle mauvaise humeur ! Il semble en me parlant qu'il soit rempli d'aigreur ! En savez-vous la cause ? Je savais qu'il était et bizarre et pédant, Mais je ne croyais pas qu'il eût le coeur méchant. Il est vrai qu'en effet de mon petit présent Il n'a pas daigné faire un seul remerciement ; Mais c'est distraction, manque de savoir-vivre, Et pour l'instruire mieux le monde est un grand livre. Vous prodiguez assez les épithètes. La chose est-elle bien certaine ? Ce n'est rien, n'en soyez point en peine ; Cela s'ajustera. Ce mauvais procédé ne lui peut réussir. Peut-être il le mérite. S'ils dépendent de vous, monsieur, je le crois bien. Me le conseillez-vous ? Jusqu'au bord : De notre ami défunt c'était le coffre-fort ; Vous le savez assez. Non ; Mais mon bien me suffit pour tenir ma maison. A la cour ! moi, monsieur ! que le ciel m'en préserve ! Si j'ai quelques amis, il faut avec réserve Ménager leurs bontés, craindre d'importuner, Ne les inviter point à nous abandonner. Pour garder son crédit, monsieur, n'en usons guère. Je le crois bonnement. Oh ! Oui. C'est que je considère Avec maturité cette sublime affaire. Vous voulez m'épouser ? Vous m'aimez donc un peu ? Je ne m'attendais pas à cet excès d'honneur. Peut-être on vous a dit quelle était mon humeur. J'eus longtemps pour l'hymen un peu de répugnance : Son joug effarouchait ma libre indépendance : C'est un frein respectable ; et, si je l'avais pris, Croyez que ses devoirs auraient été remplis. Je fus dans ma jeunesse un tant soit peu légère ; Je n'avais pas alors le bonheur de vous plaire. Eh bien ! j'y pense aussi : vos offres à mes yeux Présentent des objets qui sont bien spécieux. Il est vrai qu'ou pourrait m'imputer par envie Je ne sais quoi d'injuste, et quelque hypocrisie. Oui ; la monnaie est fausse, elle a pourtant du cours. Que me sont, après tout, les enfants de Gourville ? Rien que des étrangers à qui je fus utile. J'admire vos raisons, et j'en suis pénétrée. Oui, tout cela me pèse infiniment. Ce soir vous aurez ma réponse ; Et devant tout le monde il faut que je l'annonce. Mon Dieu ! finissez donc ; vous me tournez la tête : Sortez... n'abusez point de ma faible conquête... Mais revenez bientôt. J'y compte. Par contrat ! eh ! mais oui... vos desseins concertés Ne sauraient, à mon sens, être trop constatés. Oui-dà. Plus vous parlez, et plus mon coeur se sent lier. Ce soir, mon marguillier. Quel indigne animal, et quelle âme de boue ! Il ne s'aperçoit pas seulement qu'on le joue ; Tout absorbé qu'il est dans ses desseins honteux, Il n'en peut discerner le ridicule affreux. J'ai vu de ces gens-là, qui se croyaient habiles Pour avoir quelque temps trompé des imbéciles, Dans leurs propres filets bientôt enveloppés : Le monde avec plaisir voit les dupeurs dupés. On peint l'Amour aveugle ; il peut l'être, sans doute : Mais l'intérêt l'est plus, et souvent ne voit goutte. Vouloir toujours tromper, c'est un malheureux lot : Bien souvent, quoi qu'on dise, un fripon n'est qu'un sot. Je sais ce qu'on a fait ; je prétends calmer tout, Et j'ai pris les devants pour en venir à bout. Oui, ce trait ne sent pas la bonne compagnie Notre pauvre Gourville en est encore ému. Lisette, que veux-tu ? Il faut pour la jeunesse être un peu complaisante. Ninon aurait grand tort de faire la méchante. La jeune Agnant me touche. Dès la première fois son maintien me surprit, Sa grâce me charma, j'aimai son tour d'esprit. Des femmes quelquefois assez extravagantes, Ayant de sots maris, font des filles charmantes. Il fallut bien souffrir de ses très sots parents La visite importune et les plats compliments ; Sa mère m'excéda par droit de voisinage : Sa fille était tout autre ; elle obtint mon suffrage. Elle aura quelque bien : Gourville, en l'épousant, N'est point forcé de vivre avec madame Agnant ; On respecte beaucoup sa chère belle-mère, On la voit rarement, encor moins le beau-père. Je me trompe, ou Sophie est bonne par le coeur ; Point de coquetterie, elle aime avec candeur. Je veux aux deux amants faire des avantages. Il en a grand besoin : tout vient avec le temps. Dans la rage qu'il eut d'être trop raisonnable, Il ne lui manqua rien que d'être supportable ; Mais les fortes leçons qu'il vient de recevoir Sur cet esprit flexible ont eu quelque pouvoir : Pour toi ton tour approche, et ton affaire est prête. Mon cher ami Garant s'était mis dans la tête De t'engager, Lisette, à me parler pour lui : Il t'a promis beaucoup, est-il vrai ? Un peu de différence est entre sa personne Et la mienne peut-être, il promet et je donne : Prends cinquante louis pour subvenir aux frais De ton nouveau ménage. J'aime ton éloquence, Picard, et je me plais à ta reconnaissance. Nous devons rendre heureux quiconque est près de nous. Pour ceux qui sont trop loin, ce n'est pas notre affaire. Çà, notre ami Picard, il faut ne me rien taire De ce qu'on fait chez moi, tandis qu'en liberté J'ai choisi, loin du bruit, cet endroit écarté(15). Oui, c'est l'intention De ce monsieur Garant si plein d'affection. Oh, oui Mais, dis-moi, je te prie, Que fait madame Agnant ? Et monsieur son époux ? Que fait notre Gourville ? Et l'autre frère ? Ah ! j'aime à voir les gens Dans leur vrai caractère à nos yeux se montrant. Monsieur le marguillier est bien le seul peut-être Qui voudrait dans le fond qu'on put le méconnaître : Malgré sa modestie on le découvre assez... Ah ! voici notre aîné qui vient les yeux baissés. Tout est raccommodé. J'avais pris mes mesures, Tout va bien. Ah ! Vos yeux sont ouverts ; Vous démêlez enfin ces esprits de travers, Ces cagots insolents, ces sombres rigoristes(16), Qui pensent être bons quand ils ne sont que tristes, Et ces autres fripons, n'ayant ni feu ni lieu, Qui volent dans la poche en vous parlant de Dieu ; Ces escrocs recueillis, et leurs plates bigotes Sans foi, sans probités(17), plus méchantes que sottes. Allez, les gens du monde ont cent fois plus de sens, D'honneur et de vertu, comme plus d'agréments. Ainsi la politesse Déjà dans votre esprit succède à la rudesse ; Je vous vois dans le train de la conversion Vous deviendrez aimable, et j'en suis caution. Mais comment trouvez-vous ce grave personnage Que mon bizarre sort me donne en mariage ? Blâmeriez-vous tout bas une union si chère ? Oh ! C'était par vertu ; dans le fond Garant m'aime, Il ne veut que mon bien : c'est un homme excellent : Mais ne lui donnez plus la clef de votre argent ; Et surtout gardez-vous un peu de ses cousines. Reposez-vous sur moi de ce que je vais faire : Allez, croyez surtout qu'il était nécessaire Que j'en agisse ainsi pour sauver votre bien ; Un seul moment plus tard vous n'aviez jamais rien. Vous apprendrez par des faits admirables De quoi les marguilliers sont quelquefois capables ; Vous serez convaincu bientôt, comme je crois, Que ces hommes de bien sont différents de moi : Vous y renoncerez pour toute votre vie, Et vous préférerez la bonne compagnie. Écoutez-moi, de grâce ; Souffrez sans vous fâcher que je vous satisfasse. Mes bons, mes chers voisins, daignez d'abord m'instruire Si c'est votre intérêt et votre volonté De donner votre fille et sa propriété À mon jeune Gourville, en cas que par mon compte À cent bons mille francs sa fortune se monte ? Eh bien ! je vous promets Qu'il aura cette somme. Eh bien ! Je veux encor M'engager avec vous à rendre ce trésor. Mais auparavant je me flatte, j'espère, Que vous me laisserez finir ma grande affaire Avec le vertueux, le bon monsieur Garant. Vraiment oui ; demeurez : vous verrez avec nous Ce que monsieur Garant veut bien faire pour vous ; Et nous aurons besoin de votre signature. Nous allons tout conclure. Voilà monsieur Garant ; vous allez tout connaître. De mon côté je tiens un charmant parchemin. Non, mon coeur est si plein de tous vos tendres soins, Que je n'en puis avoir ici trop de témoins ; Et même j'ai mandé des amis, gens d'élite, Qui publieront mon choix et tout votre mérite. Nous souperons ensemble ; ils seront enchantés De votre prud'homie et de vos loyautés. Sans doute ce contrat porte en gros caractères Les deux cent mille francs qui sont pour les deux frères ? Il faut les adoucir par de bonnes paroles. Laissez-moi m'expliquer, Et si dans mes propos un mot peut vous choquer, N'en faites pas semblant. Et si je me hasarde De vous interroger, alors vous répondrez. Madame, et vous, Gourville, enfin vous apprendrez Quels sont mes sentiments, et quelles sont mes vues. Vous voulez votre fille et de l'argent comptant ? Il faut premièrement Vous mettre tous au fait... Feu monsieur de Gourville Me confia ses fils, et je leur fus utile : Il ne put leur laisser rien par son testament ; Vous en savez la cause. Mais, par supplément, Il voulut faire choix d'un fameux personnage, Justement honoré dans tout le voisinage, Et bien recommandé par des gens vertueux Et ses amis secrets, tous bien d'accord entre eux ; Et cet homme de bien nommé son légataire, Cet homme honnête et franc, c'est monsieur. C'est à lui qu'on légua Les deux cent mille francs qu'en hâte il s'appliqua. Des esprits prévenus eurent la fausse idée Qu'une somme si forte et par lui possédée N'était rien qu'un dépôt qu'entre ses mains il tient Pour le rendre aux enfants auxquels il appartient ; Mais il n'est pas permis, dit-on, qu'ils en jouissent C'est un crime effroyable, et que les lois punissent. N'est-ce pas ? Et ces graves délits, Comment les nomme-t-on ? Et, pour se mettre en règle, il faut qu'un honnête homme Jure qu'à son profit il gardera la somme ? Soyez moins effrayée, Et daignez, s'il vous plaît, m'écouter jusqu'au bout. Poursuivons... Toujours prêt de me favoriser, Monsieur, me croyant riche, a voulu m'épouser, Afin que nous puissions, dans des emplois utiles, Nous enrichir encor du bien des deux pupilles. Si fait ; Rien ne saurait ici faire un meilleur effet. Il faut vous dire enfin qu'aussitôt que Gourville Eut fait son testament, un ami difficile, Un esprit de travers, eut l'injuste soupçon Que votre marguillier pourrait être un fripon. Eh ! mon Dieu, non, vous dis-je. Gourville épouvanté dans l'instant se corrige ; Et peut-être trompé, mais sain d'entendement, Il fait, sans en rien dire, un second testament. Il m'a fallu courir longtemps chez les notaires Pour y faire apposer les formes nécessaires, Payer de certains droits qui m'étaient inconnus : Et, si j'avais tardé, les miens étaient perdus ; Monsieur gardait l'argent pour son beau mariage. Tenez, voilà, je pense, un testament fort sage : Il est en ma faveur ; c'est pour moi tout le bien : J'en ai le coeur percé ; monsieur Garant n'a rien. Entre eux deux je partage, Ainsi que je le dois, le petit héritage. Je souhaite à monsieur d'autres engagements, Une plus digne épouse, et d'autres testaments. Lisez, vous savez lire. La dot de votre fille enfin va se payer. Adieu, cher marguillier. Ah ! croyez que, dès qu'elle saura Qu'on va la marier, elle reparaîtra. **** *creator_voltaire *book_voltaire_depositaire *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_depositaire *dist2_voltaire_verse_comedy *id_GOURVILLELAINE *date_(non *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_gourvillelaine De si vilains propos, une telle conduite, Me font pitié, monsieur, j'en prévois trop la suite. Vous ferez à coup sur une mauvaise fin. Je ne puis plus souffrir un si grand libertin. De cette maison-ci je connais les scandales ; Il en peut arriver des choses bien fatales : Déjà monsieur Garant m'en a trop averti. Je n'y veux plus rester, et j'ai pris mon parti. Monsieur Garant, mon frère, Que vous calomniez, est d'un tel caractère De probité, d'honneur... de vertu... de... Il met discrètement la paix dans les familles ; Il garde la vertu des garçons et des filles : Je voudrais jusqu'à lui, s'il se peut, m'exalter. Allez dans le beau monde ; allez vous y jeter ; Plongez-vous jusqu'au cou dans l'ordure brillante De ce monde effréné dont l'éclat vous enchante ; Moquez-vous plaisamment des hommes vertueux ; Nagez dans les plaisirs, dans ces plaisirs honteux, Ces plaisirs dans lesquels tout le jour se consume, Et la douceur desquels produit tant d'amertume. Allez, je sais tout ce qu'il faut savoir. J'ai bien lu. Avec personne. Oh ! Je fréquenterai souvent madame Aubert. Eh oui ! Madame Aubert. Oui, pieuse et savante, D'un esprit transcendant, d'un mérite accompli. Non ; mais son logis est rempli Des gens les plus versés dans les vertus pratiques. Elle connaît à fond tous les auteurs mystiques ; Elle reçoit souvent les plus graves docteurs, Et force gens de bien qu'on ne voit point ailleurs. Oui : mon tuteur fidèle, Monsieur Garant, me mène enfin dîner chez elle. Eh ! Oui. Elle-même ; et je veux, après cet entretien, Ne hanter désormais que de tels caractères, Des dévots éprouvés, secs, durs, atrabilaires. Je ne veux plus vous voir ; et je préfère un trou, Un ermitage, un antre... Je pleure sur son sort ; le voilà qui s'abîme ; Il va de femme en fille, il court de crime en crime. Que Garasse a raison ! Qu'il peint bien, à mon sens, Les travers odieux de tous nos jeunes gens ! Qu'il enflamme mon coeur, et qu'il le fortifie Contre les passions qui tourmentent la vie ! C'est bien dit oui, voilà le plan que je suivrai. Du sentier des méchants je me retirerai. J'éviterai le jeu, la table, les querelles, Les vains amusements, les spectacles, les belles. Quel plaisir noble et doux de haïr les plaisirs ; De se dire en secret : Me voilà sans désirs ; Je suis maître de moi, juste, insensible, sage ; Et mon âme est un roc au milieu de l'orage ! Je rougis quand je vois dans ce maudit logis Ces conversations, ces soupers, ces amis. Je souris de pitié de voir qu'on me préfère, Sans nul ménagement, mon étourdi de frère. Il plaît à tout le monde, il est tout fait pour lui. C'en est trop pour jamais j'y renonce aujourd'hui. Je conserve à Ninon de la reconnaissance ; Elle eut soin de nous deux au sortir de l'enfance ; Et, malgré ses écarts, elle a des sentiments Qu'on eût pris pour vertu peut-être en d'autres temps. Mais... J'y suis très résolu. Tout ce qu'il vous plaira ; vous en disposerez. Ah ! Que vous m'obligez ! Je ne pourrai jamais Vous payer dignement le prix de vos bienfaits. L'on me l'a dit... Mon Dieu, je vous les laisse. Vous voulez bien encore en être embarrassé ? Oui, c'est fort bien pensé. Cet honneur me serait bien utile et bien doux ; Mais je ne me sens pas l'âme encore assez forte Pour chasser une femme, et la mettre à la porte. C'est un acte pieux : mais l'honneur a ses droits ; Et vous savez, monsieur, tout ce que je lui dois. Pourrais-je, sans rougir, dire à ma bienfaitrice : « Sortez de la maison, et rendez-vous justice ? » Cela n'est-il pas dur ? Voilà donc la raison de cette préférence Qu'on lui donnait sur moi ! Je n'aurais pu jamais la deviner sans vous. Les vilains !... Grâce au ciel, je n'en suis point jaloux. Je n'imaginais pas qu'un si grand fou dût plaire. Ah ! J'en suis en colère Pour l'honneur du Marais. Oui, l'idée est profonde ; oui, les dévots, les sages, Sur le reste du monde ont de grands avantages. Je signerai demain. La vertu ! Vous êtes, je le vois, très actif en affaire. Oui. La voilà. Vous m'enchantez ! Et c'est là justement tout ce qu'il me fallait ; Vous m'avez découvert ce que mon coeur voulait. Vous me faites penser, vous êtes mon Socrate ; Je suis Alcibiade ah ! que cela me flatte ! Me voilà dans mon centre. J'y vais. Avec des gens de bien, madame. Au contraire. Des docteurs très savants. L'heure presse, avec eux je vais me mettre à table. Ô ciel ! Ô juste ciel ! Je voudrais être mort. Que son sein m'engloutisse ! Qu'on m'enterre Je ne mérite pas de voir le jour. Je me meurs de douleur, De honte, de dépit... Je ne puis me tenir : ah ! Lisette, écoutez Mes fautes, mes malheurs, et mes indignités. Voulant rester chez moi, monsieur Garant me donne Rendez-vous à dîner chez sa cousine Aubert. Ah ! Diablesse d'enfer ! Il y devait venir de savants personnages, Parfaits chez les parfaits, sages entre les sages : J'y vais ; madame Aubert était encore au lit. Monsieur Aubert tout seul près de moi s'établit, Me propose un trictrac en attendant la table : J'avais pour tous les jeux une haine effroyable ; Et cependant je joue. J'y gagne, j'y prends goût ; de partie en partie Je ne vois point venir la docte compagnie : Le jeu se continue ; enfin le sort fait tant, Qu'ayant bientôt perdu tout mon argent comptant, Je redois mille écus encor sur ma parole. Ah ! ce n'est rien encor. Garant à son cousin Écrit que les docteurs ne viendront que demain, Et qu'il l'attend chez lui pour affaire pressante. Aubert me fait excuse, Aubert me complimente : Il sort, je reste seul ; je n'osais demeurer, Et dans notre maison j'étais prêt à rentrer. Madame Aubert paraît avec un air modeste, Bien coiffée en cheveux, un déshabillé leste, Un négligé brillant, mais qui paraît sans art. « On a dîné partout, me dit-elle ; il est tard Je vous proposerais de dîner tête à tête ; Mais je vous ennuierais... » J'accepte cette fête : Le repas était propre et très bien ordonné ; Elle avait du vin grec dont je me suis donné. Hélas ! oui, ce vin grec la rendait plus jolie ; Madame Aubert tenait des propos enchanteurs, Que j'ai rarement vus chez nos plus vieux auteurs : Je l'entendais parler, je la voyais sourire Avec cet agrément que Sapho sut décrire. Vous connaissez Sapho ? Le plus doux poison Par l'oreille et les yeux surprenait ma raison. Nous nous attendrissons : monsieur Aubert arrive ; Madame Aubert s'enfuit éplorée et craintive, En criant que je suis un homme dangereux. L'époux est très fâcheux Il m'applique un soufflet ; je suis assez colère, J'en rends deux sur-le-champ : nous nous roulons par terre ; L'un sur l'autre acharnés, je frappais, il frappait ; Et j'entendais de loin madame qui riait... Vous avez lu tous deux de ces combats d'athlète ? Ni toi non plus, Lisette ? Quoi qu'il en soit, meurtrissants et meurtris, Nous heurtions de nos fronts les carreaux, les lambris ; Des oisifs du quartier une foule accourue Remplissait la maison, l'escalier, et la rue : Ou crie, on nous sépare ; un procureur du coin D'accommoder l'affaire a pris sur lui le soin : Pour empêcher les gens d'aller chercher main-forte, Pour prévenir, dit-il, une amende plus forte, Pour payer le scandale avec les coups reçus, Je lui signe un billet encor de mille écus. Ah, Lisette ! Ah, Picard ! Le sage est peu de chose ! Après ce que je viens de faire et d'essuyer, Comment revoir jamais monsieur le marguillier ? Comment revoir madame ? Comment revoir mon frère, après l'avoir traité Avec tant de hauteur et de sévérité ? Mon frère, je rougis et je pleure à vos yeux. Ô ciel ! madame Aubert serait dans la maison ? Elle a donc pris pour moi bien de la passion ! Ah de grâce, oubliez ma sottise effroyable. Est-ce une illusion ? Est-ce un tour qu'on me joue ? Quels docteurs j'ai trouvés ! Je me tâte, et j'avoue Que je suis confondu, que je n'y comprends rien. Quoi ! son père et sa mère ont l'obstination De me poursuivre ici pour réparation ? C'est moi qui meurs de honte. Quel galimatias ! Vous voulez excuser ici madame Aubert ? Que dites-vous ? après un bruit si violent ? Ah ! vous êtes trop bon. Mon frère est un bon coeur, il oublie aisément ; Mais de ce qu'il me dit pas un mot ne s'entend. Quel est cet homme en robe ? Très humble serviteur. C'est sans doute un docteur Que, pour me consoler, monsieur Garant m'envoie. J'en ai bien de la joie ; Je les révère tous. Contre madame Aubert plaidez donc, je vous prie, Et vengez-moi, monsieur, de sa friponnerie. Si vous voulez, monsieur, vous charger de ma cause... En deux mots je l'expose. Non ; mais un avocat fait bien de prendre femme Pour se désennuyer quand il a travaillé. Qui ? moi, monsieur ? Je veux être pendu, je veux être enterré, Si j'ai jamais écrit à cette demoiselle, Et si j'ai pu sentir le moindre goût pour elle ! Quoi ! Ah ! c'est une coquine ; et je ferai serment Que rien n'est plus menteur que cette fille Agnant. Juste ciel ! Qui donc ? Je sais qu'en ce logis On la souffre parfois ; mais je vous avertis Que je n'ai jamais eu la plus légère envie D'elle ni de sa fille, et très peu me soucie De la famille Agnant. Je n'en sais rien du tout. Ma foi, cette journée est féconde en soufflets. Le diable vous emporte et vous et vos billets ! Vous me feriez jurer. Non, je ne vis jamais Une si détestable et si lourde imposture. Allez, vous êtes fou. Que voilà pour m'instruire une bonne journée ! J'étais charmé de moi ; ma sagesse obstinée Se complaisait en elle, et j'admirais mon voeu De fuir l'amour, le vin, les querelles, le jeu : Je joue, et je perds tout ; certaine Aubert maudite M'enlace en ses filets par sa mine hypocrite ; Je bois, on m'assassine : en tout point confondu, Je paye encor l'amende ayant été battu. Un bavard d'avocat, dans cette conjoncture, Veut me persuader que j'ai pris sa future, Et me vient menacer d'un procès criminel. Garant peut me tirer de cet état cruel ; Garant ne paraît point, il me laisse, il emporte Jusqu'aux clefs de ma chambre, et je reste à la porte, N'osant, dans mes terreurs, ni fuir, ni demeurer. Ô sagesse ! À quel sort as-tu pu me livrer ! Voilà donc le beau fruit d'une étude profonde ! Ah ! si j'avais appris à connaître le monde, Je ne me verrais pas au point où je me voi : Mon libertin de frère est plus sage que moi. Qui frappe à coups pressés ? quel bruit ! quel tintamarre ! Que fait-on donc là-bas ? Est-ce une autre bagarre ? Est-ce madame Aubert qui me vient harceler, Pour mille écus comptant qu'on m'a fait stipuler ? Quoi donc ? Madame Aubert la mère ? Monsieur Aubert lui-même ? Ah ! Cela me manquait. Eh bien ! Que faut-il faire ? Où fuir ? Où me fourrer ? Ah ! j'y cours m'y jeter de la fenêtre en bas(14). Allons, si j'en réchappe, Sera bien fin, je crois, qui jamais m'y rattrape. Monsieur, madame Aubert, et tous les grands docteurs, Ces dévots du quartier, et ces prédicateurs, Ne tourmenteront plus ma simple bonhomie ; Je renonce à jamais à la théologie : Je vois que j'en étais sottement entiché, Et j'aurais moins mal fait d'être un franc débauché. Au secours ! Ah ! j'ai le nez cassé ! Eh ! madame, pardon ! Hélas ! Je la rendrai sitôt que je l'aurai. Reprenez-la partout où vous la trouverez, Et que d'elle et de vous nous soyons délivrés. Non, je n'y puis tenir ; tout ceci me confond. Ça n'est pas vrai. Je vous dis... J'enrage ! Allez, ces lettres sont d'un faussaire. Je n'ai jamais écrit ces sottises. Ah ! Cessez vos ébats ennuyeux ; Plus vous paraissez gai, plus je suis sérieux ; Après tant de chagrins et de tracasserie, C'est une cruauté que la plaisanterie ; Dans ce jour de malheur tout le quartier, je crois, S'était donné le mot pour se moquer de moi. Ma voisine, à la fin, vous voilà bien instruite Que si votre Sophie est par malheur en fuite, Ce n'était pas pour moi qu'elle a fait ce beau tour ; Ni vos yeux ni les siens ne m'ont donné d'amour. Vos yeux. C'est une calomnie, Un mensonge effroyable inventé par l'envie. Vous en rapportez-vous au bon monsieur Garant ? Nous l'attendons ici de moment en moment : Il connaît assez bien quelle est mon écriture ; Et dans sa poche même il a ma signature ; Il a jusqu'à la clef de mon appartement, Où lui-même a laissé tout mon argent comptant : Il me rendra justice. Que lui dire ? Persuader ! et quoi ? Comment ? Moi ? Je n'entends rien... Allons donc. Vous me voyez, madame, après d'étranges crises, Bien sot et bien confus de toutes mes bêtises : Je ne mérite pas votre excès de bonté, Dont, tout en plaisantant, mon frère m'a flatté. Hélas ! j'avais voulu, dans ma mélancolie, Et dans les visions de ma sombre folie, Me séparer de vous, et donner la maison Que vos propres bienfaits ont mise sous mon nom. Vous pourriez pardonner tant d'injures ! J'étais coupable et sot. Vous en êtes la preuve. Il ne m'appartient plus d'avoir un sentiment ; Tout ce que vous ferez sera fait prudemment. Je n'ose plus blâmer ; mais quand je considère Que pour nous séparer, pour m'entraîner ailleurs, Il vous a peinte à moi des plus noires couleurs, Qu'il voulait vous chasser de votre maison même... Ah ! Que ces prudes-là sont de grandes coquines ! Quel antre de voleurs ! et cependant enfin Vous allez donc, madame, épouser le cousin ! Comment ? Je ne réplique point. Honteux, désespéré, Des sauvages erreurs dont j'étais enivré, Je vous fais de mon sort la souveraine arbitre ; Et dépendant de vous, je veux vivre à ce titre(18). Hélas ! Soyez très sûre Que je n'y prétends rien. J'y suis bien neuf encore... À tout ce grand mystère Ma présence, madame, est-elle nécessaire ? Vous vous trompez. Pour moi, de cet argent je n'attends rien du tout ; Et je me sens, madame, indigne d'y prétendre. Laissons là ce maraud. Comme elle a démasqué, vilipendé le traître ! **** *creator_voltaire *book_voltaire_depositaire *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_depositaire *dist2_voltaire_verse_comedy *id_MONSIEURGARANT *date_(non *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurgarant Je me suis fait attendre. Le temps, vous le savez, est difficile à prendre. Mes emplois sont bien lourds... Bien pesants. Sans mes soins vigilants, Sans mon activité... Sans ma prudence, Sans mon crédit... L'oeuvre aurait pu, je pense, Souffrir un grand déchet ; mais j'ai tout réparé. Les pauvres sont d'ailleurs si pauvres ! Leurs souffrances Me percent tant le coeur, que de leurs doléances Je m'afflige toujours. Leurs maux me font souffrir. Vous savez que mon coeur est toujours pénétré Des extrêmes bontés dont je fus honoré Par ce parfait ami, ce cher monsieur Gourville, Si bon pour ses amis... qui fut toujours utile A tous ceux qu'il aima... qui fut si bon pour moi, Si généreux !... Je sais tout ce que je lui doi. L'honneur, la probité, l'équité, la justice, Ordonnent qu'un ami sans réserve accomplisse Ce qu'un ami voulait. Que dites-vous là ? Madame, il faut payer ses dettes légitimes ; Et les moindres délais en ce cas sont des crimes ; L'honneur, la probité, le sens, et la raison, Demandent qu'on s'applique avec attention A remplir ses devoirs, à ne nuire à personne, A voir quand et comment, à qui, pourquoi l'on donne, A bien considérer si le droit est lésé, Si tout est bien en ordre. Oh, oui ! son testament le fait assez connaître. Je les dois recevoir en louis trébuchants. Oui, cette arithmétique Est parfaite en son genre, et n'a point de réplique ; Égales portions. Soyez sûre que l'un n'aura pas plus que l'autre, Quand j'aurai tout réglé. Il faudra mûrement Consulter sur ce cas quelque avocat savant, Quelque bon procureur, quelque habile notaire, Qui puisse prévenir toute fâcheuse affaire. Il faut fermer la bouche aux malins héritiers, Qui pourraient méchamment répéter les deniers. Hélas ! dès qu'on enterre Un vieillard un peu riche, il sort de dessous terre Mille collatéraux qu'on ne connaissait pas. Voyez que de chagrins, de peines, d'embarras, Si jamais il fallait que, par quelque artifice, J'éludasse les lois de la sainte justice ? L'honneur, vous le savez, qui doit conduire tout... J'en suis persuadé, madame, je le crois ; C'est mon opinion... mais la rigueur des lois, De ces collatéraux les plaintes, les murmures, Et les prétentions avec les procédures... Vous ne connaissez pas, madame, les affaires, Leurs détours, leurs dangers, les lois et leurs mystères. Avec chagrin. Je vois que ce jeune homme a pris un mauvais train, De mauvais sentiments... une allure mauvaise. Je crains que s'il était un jour trop à son aise... Il ne se confirmât dans le mal... Il est fort libertin : une trop grande aisance... Trop d'argent dans les mains, trop d'or, trop d'opulence... Donne aux vices du coeur trop de facilité. D'accord, c'est à cela que je veux parvenir. Ah ! pour lui, ce sont d'autres affaires, Vous avez des bontés qu'il ne mérite guère. Vous avez acheté sous son nom, Quand son père vivait, votre propre maison. Vous avez mal fait. Mais cela n'est pas sage : Nous y remédierons ; je vous en parlerai : J'ai d'honnêtes desseins que je vous confierai Vous êtes belle encore. Vous savez, le monde... Vous avez la science profonde Des secrètes façons dont on peut se pousser, Être considéré, s'intriguer, s'avancer ; Vous êtes éclairée, avisée, et discrète. Cela n'est pas dans l'ordre, Dans l'exacte équité : la justice y peut mordre. Cette caisse au défunt appartint autrefois, Et les collatéraux réclameront leurs droits : Il faut pour préalable en faire un inventaire. Je suis exécuteur qu'on dit testamentaire. Allez, j'en suis chargé ; n'en soyez point en peine. Bientôt. L'oeuvre m'attend, et les pauvres gémissent : Lorsque je suis absent tous les secours languissent. Adieu... Vous devriez employer prudemment Ces quatre mille écus donnés légèrement. La débauche ! hélas ! de toute espèce À la perdition conduira sa jeunesse. Il dissipera tout, je vous en avertis. Pour votre bien, mon fils, Avec discrétion je m'explique à madame... Il est très inconstant. Il a déjà séduit notre voisine Agnant : Cela fera du bruit. C'est comme je le dis. Un mot dans votre oreille. Eh bien ! mon très cher, mon vertueux Gourville, De tant d'iniquités allez-vous fuir l'asile ? Ce logis infecté N'était point convenable à votre piété. Sortez-en promptement... Mais que voulez-vous faire De ces deux mille écus de monsieur votre père ? L'argent est inutile aux coeurs bien pénétrés D'un vrai détachement des vanités du monde ; Et votre indifférence en ce point est profonde : Je veux bien m'en charger ; je les ferai valoir... Pour les pauvres s'entend... Vous aurez le pouvoir D'en répéter chez moi le tout ou bien partie, Dès que vous en aurez la plus légère envie. Je puis avoir à vous d'autres sommes en caisse. Eh ! eh ! Je mettrai tout ensemble. Or çà, votre dessein de chercher domicile Est très juste et très bon ; mais il est inutile : La maison est à vous : gardez-vous d'en sortir, Et priez seulement Ninon d'en déguerpir. Par mille éclats fâcheux la maison polluée, Quand vous y vivrez seul, sera purifiée, Et je pourrais bien même y loger avec vous. Un tel ménagement Est bien louable en vous, et m'émeut puissamment. Ce scrupule d'abord a barré mes idées ; Mais j'ai considéré qu'elles sont bien fondées. Le désordre est trop grand. Votre propre danger A la faire sortir devrait vous engager. Sachez que votre frère entretient avec elle Une intrigue odieuse, indigne, criminelle, Un scandaleux commerce... un... je n'ose parler De tout ce qui s'est fait... tant je m'en sens troubler. Sentez la conséquence. Les fous plaisent parfois. Oui. Il faut premièrement Détourner loin de nous ce scandale impudent, Mais avec l'air honnête, avec toute décence, Avec tous les dehors que veut la bienséance : Nous avons concerté que de cette maison Vous feriez pour un tiers une donation, Un acte bien secret que je pourrais vous rendre. Armé de cet écrit, je puis tout entreprendre. Je ne m'emparerai que de votre logis, Et vous aurez vos droits sans être compromis. Ce soir, votre cadet Reviendra vous braver comme il a toujours fait. Tout se moque de vous, laquais, cocher, servante : Ils traitent la vertu de chose impertinente. Vraiment oui. Toujours un marguillier A soin d'avoir en poche encre, plume, papier. Venez, l'acte est dressé. Cet honnête artifice Est, comme vous voyez, dans l'exacte justice. Signez sur mon genou. Je signe aveuglément, Et crois n'avoir jamais rien fait de si prudent. Je rédigerai tout dès ce soir par notaire. Vous pouvez du logis sortir dès à présent. Donnez-moi la clef de votre appartement. Tout est bien ; et puis chez ma cousine, Chez la savante Aubert, notre illustre voisine... Nous irons faire ensemble un dîner familier. Elle est la perle du quartier. Il est dans sa maison de doctes assemblées, Des conversations utiles et réglées ; Il y doit aujourd'hui venir quelques docteurs, Des savants pleins de grec, de brillants orateurs, Avec quelques abbés, gens de l'Académie, Tous pétris du vrai suc de la philosophie. On n'est jamais heureux Qu'avec des gens de bien, savants et vertueux. Chez ma cousine Aubert, mon fils, allez vous rendre Je ne me ferai pas, je crois, longtemps attendre. Eh oui, je suis sincère, La cause est en effet son méchant caractère. Allez, je m'y connais ; vous pouvez être sûre Qu'il n'est point d'âme au fond plus ingrate et plus dure. Je vous dis que son coeur est pour jamais gâté, Endurci, gangrené, méchant... au mal porté ; Faux... avec fausseté ; ses allures secrètes, Sombres... Il ne peut vous souffrir. Il vient de s'engager A vendre sa maison pour vous en déloger... Vous en riez? J'en suis témoin ; j'ai vu cet effet de sa haine ; J'en ai vu l'acte en forme au notaire porté : C'est l'usage qu'il fait de sa majorité. Quel homme ! Craignez tout de sa haine. De cette ingratitude il faut le bien punir, Qu'il sorte de chez vous. Pour moi, je l'abandonne, et je le déshérite : De ses cent mille francs il n'aura, ma foi, rien. Que nous sommes à plaindre ! Un bon ami nous laisse De ses deux chers enfants à guider la jeunesse : L'un est un garnement, turbulent, effronté, À la perdition par le vice emporté ; L'autre est fourbe, perfide, ingrat, atrabilaire, Dur, méchant... De tous deux il nous faudra défaire. Ce doit être l'avis De tous les gens d'honneur et de vos vrais amis, Prenez un parti sage... Écoutez... Cette caisse Dont vous avez tantôt fait si prompte largesse, Était-elle bien pleine autrefois ? Selon que je calcule, Vous avez amassé loyaument, sans scrupule, Un bien considérable, une fortune ? Vous avez du crédit : la dame qui régente, Madame Esther, vous garde une amitié constante. Et, si vous le vouliez, vous pourriez quelque jour Faire beaucoup de bien vous produisant en cour. Il le faut réserver pour les grandes affaires, Pour les grands coups, madame ; oui, vous avez raison ; Et votre sentiment est ici ma leçon. Je dois avec candeur vous faire une ouverture Pleine de confiance et d'une amitié pure : Je suis riche, il est vrai ; mais avec plus d'argent Je ferais plus de bien. Il vous faut un état, vous êtes de mon âge, Je suis aussi du vôtre. Quel bon ménage Se formerait bientôt de nos biens rassemblés, Loin de ces deux marmots du logis exilés ! Les deux cent mille francs, croissant notre fortune, Entreraient de plein saut dans la masse commune ; Vous pourriez employer votre art persuasif A nous faire obtenir un poste lucratif. Vous seriez dans le monde avec plus d'importance ; Il faut que le crédit augmente votre aisance ; Que des prudes surtout la noble faction, Célébrant de vos moeurs la réputation, Et s'enorgueillissant d'une telle conquête, A vous bien épauler se tienne toujours prête. Avec un pot-de-vin j'aurais par ce canal Un fortuné brevet de fermier général. Nous pourrions sourdement, sans bruit, sans peine aucune, Placer à cent pour cent ma petite fortune ; Et votre rare esprit tout bas se moquerait De tout le genre humain qui vous respecterait. Vous ne répondez rien ? Sans doute, je voudrais Payer de tout mon bien tant d'esprit, tant d'attraits : C'est à quoi j ai pensé dès que mon sort prospère De deux cent mille francs me nomma légataire. J'ai combattu longtemps Les inspirations de ces désirs puissants ; Mais en les combattant avec justesse extrême, En m'examinant bien, comptant avec moi-même, Calculant, rabattant, j'ai vu pour résultat Qu'il est temps en effet que vous changiez d'état, Que nous nous convenons, et qu'un amour sincère, Soutenu par le bien, ne doit pas vous déplaire. Madame, croyez-moi, tout ce qui s'est passé Fait peu d'impression sur un esprit sensé ; Ces bagatelles-là n'ont rien qui m'intimide : Je vais droit à mon but, et je pense au solide. Eh, mon Dieu ! c'est par là qu'on réussit toujours. Il faut l'être à nous seuls, et songer en effet Que pour ces étrangers nous en avons trop fait. Ah ! je me doutais bien que votre âme éclairée En sentirait la force et le vrai fondement, Le poids... Vous vous rendez ? Ah ! vous me ravissez je n'ai parlé d'abord Que de vos intérêts qui me touchent si fort ; Mais si vous connaissiez quel effet font vos charmes, Vos beaux yeux, votre esprit !... Quelles puissantes armes M'ont ôté pour jamais ma chère liberté !... De quel excès d'amour je me sens tourmenté !... Vous n'en pouvez douter. Sur mon coeur daignez toujours compter. Ne trouvez-vous pas bon que j'amène un notaire Pour coucher par écrit cette divine affaire ? Nos faits sont convenus ? Notre fortune Sera par la coutume entre nous deux commune ? À ce soir, ma Ninon. Oui, ma chère voisine, et le ciel l'a voulu. Il est vrai qu'on a sur sa conduite Glosé bien fortement ; mais l'hymen par la suite Vous passe un beau vernis sur ces péchés mignons. La réputation revient d'ailleurs aux belles Ainsi que les cheveux : et puis considérons Qu'elle a bien du crédit, des amis, des patrons ; Et qu'outre sa richesse à tous les deux commune, Elle pourra me faire une grande fortune. Qui parle ici de votre fille ? De la belle Ninon, Que j'épouse ce soir, ici, dans sa maison ; Je vous prie à la noce, et vous devez en être. Très vrai. Rêvez-vous, mes voisins ? Et ce petit délire Vous prend-il quelquefois ? Qui diable a pu vous dire Que Sophie est chez moi, que Gourville aujourd'hui Aura cent mille francs qui sont tout prêts pour lui ? De ce jeune étourdi la folie est extrême ; Il séduit tour à tour les filles du Marais ; Il leur fait des serments d'épouser leurs attraits ; Et pour les mieux tromper, il fait accroire aux mères Qu'il a cent mille francs placés dans mes affaires. Il n'en est pas un mot, et je ne lui dois rien. Monsieur son frère et lui sont tous les deux sans bien, Et tous deux au logis cesseront de paraître Dès le premier moment que j'en serai le maître. Pas un denier. Il n'en est pas un mot. Toujours de ces deux frères J'ai craint, je l'avouerai, les méchants caractères. La maison m'appartient ; gardez-vous-en, ma bonne. La raison, l'intérêt, le bonheur vous attend. Voici notre acte en forme et dressé congrûment, Avec mesure et poids, d'une manière sage, Selon toutes les lois, la coutume, et l'usage. Madame, permettez... Un moment, mon voisin. Le ciel le bénira ; mais, avant d'y souscrire, À l'écart, s'il vous plaît, mettons-nous pour le lire. J'ignore ce qu'on peut leur devoir en effet, Et cela n'entre point dans l'état mis au net Des stipulations entre nous énoncées. Ce sont, vous le savez, des affaires passées ; Et nous étions d'accord qu'on n'en parlerait plus. Oui, qui ne disent rien... là... des raisons frivoles, Qu'on croit valoir beaucoup. Ah ! Vraiment, je n'ai garde. C'est me faire Mille fois trop d'honneur. Oui, madame. Des fidéicommis. Oui, madame. Oui, je le garderai. Mais il ne fallait pas dire cela. Mais vous perdez la tête ! Il faudra voir cela. Serviteur. L'oeuvre m'attend, j'ai hâte. **** *creator_voltaire *book_voltaire_depositaire *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_depositaire *dist2_voltaire_verse_comedy *id_LAVOCATPLACET *date_(non *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lavocatplacet On m'a dit par la ville Que je dois m'adresser à monsieur de Gourville, Des Courville l'aîné. Tout prêt à vous servir. Je suis docteur en droit. Au barreau du palais, Depuis deux ans, je plaide avec quelque succès. Je ferai tout pour vous. Vous pouvez, au parquet, Vous informer du nom de l'avocat Placet. Vous devez être instruit... J'ai dès longtemps en vue un établissement, Et j'avais pourchassé Claire-Sophie Agnant ; Pour elle vous savez, monsieur, quelle est ma flamme. Vous me privez d'icelle ; et vous m'avez baillé, Par vos productions, bien de la tablature. Vous-même ; et votre procédure Par madame sa mère est remise en mes mains : On a surpris, monsieur, vos papiers clandestins, Vos missives d'amour, et tous vos beaux mystères, Colorés d'un vernis de maximes austères ; À nos yeux clairvoyants le poison s'est montré. On renia toujours, monsieur, les vilains cas ; Mademoiselle Agnant ne vous ressemble pas, Elle a tout avoué. Que votre éloquence Avait voulu tromper sa timide innocence. Les serments coûtent peu, monsieur, aux hypocrites ; Et chez madame Aubert vos infâmes visites, Le viol dont partout vous êtes accusé, Un mari trop bénin par vous de coups brisé, Ont fait connaître assez votre affreux caractère. Poursuivons... Vous connaissez la mère ? Madame Agnant. Vous savez sur l'honneur Combien elle est terrible, et quelle est son humeur. Pour venger son injure, Sa main de deux soufflets a doué ma future Devant monsieur Agnant et devant les valets. D'une telle leçon ma future excédée, Du logis maternel soudain s'est évadée : On sait qu'elle est chez vous, et je m'en doutais bien ; Monsieur, il faut la rendre, et ma femme est mon bien. Je vous rapporte ici vos lettres ridicules, Où vous parlez toujours de péchés, de scrupules : Rendez-moi sur-le-champ ses petits billets doux ; Que tout ceci se passe en secret entre nous, Et ne me forcez point d'aller à l'audience Faire rougir messieurs de votre extravagance. Vous êtes donc, monsieur, ravisseur et parjure ? J'avais l'intention De ménager céans la réputation De l'objet que mon coeur destinait à ma couche ; Mais, puisque vous niez, puisque rien ne vous touche, Que dans le crime enfin vous êtes endurci, Adieu, monsieur. Bientôt vous me verrez ici ; Je viendrai vous y prendre en bonne compagnie ; Les lois sauront punir cet excès d'infamie ; Et vous verrez s'il est un plus énorme cas Que d'oser se jouer aux femmes d'avocats. Au voleur ! Race de débauchés ! Oui, c'est la conséquence. Cette excuse louable est d'un coeur fraternel ; Mais, monsieur, votre aîné n'est pas moins criminel. Tenez, monsieur, voilà ses missives infâmes, Et ses instructions pour diriger les âmes. Les voilà. Mais il faut me les rendre. Nous devons les déposer au greffe. Il est fort bon ; mais vous ne pouvez croire Qu'en l'état où je suis je vienne ici pour boire. Un grand homme de bien. Mais, monsieur, c'est moi seul que cette affaire touche : On me donne une dot qui doit fermer la bouche Aux malins envieux, prêts à tout censurer ; Dix mille écus comptant sont à considérer. Oui, j'ai mon éloquence, Mon étude, ma voix, les plaideurs, l'audience. Moi, non. J'en doute fortement. Mais songez, s'il vous plaît... Comment, madame, après des articles conclus, Stipulés par vous-même ! Je vais vous faire assigner tous. **** *creator_voltaire *book_voltaire_depositaire *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_depositaire *dist2_voltaire_verse_comedy *id_MONSIEURAGNANT *date_(non *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieuragnant Qu'on l'arrête ! Ah ! Ma femme, Es-tu morte en effet ? Volontiers ; tu parais un très bon vivant, toi ; Je t'ai toujours aimé. Parbleu, l'on ne peut mieux parler : Il faut toujours s'entendre, et non se quereller. Il est fort agréable ; J'en boirai volontiers, en ayant bu déjà : Asseyons-nous, ma femme, et pesons tout cela. Il n'est point frelaté. Mettre au couvent ma fille ! Oh, le plaisant visage ! De la vertu ! Non, je n'ai jamais vu de plus honnête enfant. L'oracle du quartier. Oui, confie. C'est votre faute aussi, ma femme ; et franchement Vous deviez avec elle agir moins durement : Vous avez la main prompte, et vous êtes la cause De tout notre malheur. Ma femme, ce jeune homme est un esprit bien sage. Par ma foi, ce jeune homme est rempli de prudence. Vous avez de gros biens ? Il parle comme un livre, Il a toujours raison. Parbleu, je le voudrais. Ma foi, j'en suis charmé. Cent mille francs, ma femme Ah ! ça me plaît. Il est plein de mérite, et d'ailleurs il boit sec. Tais-toi ; je vais le prendre Dès ce même moment a ton nez pour mon gendre. Dénichez au plus vite. Cherchez un autre gîte. Cent mille francs ! Bonsoir. Mais que n'as-tu plus tôt expliqué ton affaire ? Pourquoi de ta fortune as-tu fait un mystère ? C'est comme dans les tiennes. Elle ne revient point, donc elle reviendra. Ça peut l'avoir aigrie. Oui, j'en veux faire autant. Par ma foi, notre gendre est un charmant garçon. Ah ! ah ! On dit qu'elle entend tout, et même les affaires, Une bonne caboche ! Un pédant imbécile, Fait pour rincer au plus les verres de Gourville. Je suis tout interdit. Ma fille, de grands biens, des patrons, du crédit ! Quels discours ! Mon maître, Est-il bien vrai ? J'en suis, parbleu, touché. Vous ne pourriez jamais faire un meilleur marché. Oui, tant qu'il vous plaira, mariez-vous ici ; Mais, parbleu, permettez qu'on se marie aussi. Il nous l'a dit lui-même. C'est dommage. Les fripons que voilà ! Ma femme, il est bien plat. Elle a tort. Eh ! tais-toi, ma moitié. Madame Ninon parle ; écoutons sans rien dire. Oui, parbleu, ma voisine. C'est une comédie ; Personne ne s'entend, et chacun se marie. Soupera-t-on bientôt ? Allons, mon grand flandrin, Il faut que je t'apprenne à te connaître en vin. Eh bien ! tu vois, ma femme, et je l'avais bien dit, Que madame Ninon avec son grand esprit Saurait arranger tout. Comment ? Et monsieur a juré Qu'il gardera le tout ? Quel tour ! Et pourquoi t'en aller ? Reste avec nous pour boire. **** *creator_voltaire *book_voltaire_depositaire *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_depositaire *dist2_voltaire_verse_comedy *id_MADAMEAGNANT *date_(non *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madameagnant Au méchant ! Je suis morte ! Non... Séducteur infâme, Tu m'enlèves ma fille, impudent loup-garou, Et de la mère encor tu viens casser le cou ! Détestable hypocrite ! Coeur faux ! plume maudite ! Tu me rendras ma fille, ou je t'étranglerai. Tu m'insultes encore !... Et toi qui fus si sage, Parle, as-tu pu souffrir un pareil brigandage ? Je n'ai rien à peser ; il faut que l'on commence Par me rendre ma fille. Eh bien ! vous le voyez, encore il m'injurie, L'effronté dissolu ! C'est un impertinent. Fripon, Nieras-tu tes écrits ? Tiens, voici tout du long Tes beaux enseignements dont ma fille se coiffe ; Les voici. Écoute... « La vertu que je veux vous montrer Doit plaire à votre coeur, l'échauffer, l'éclairer. Votre vertu m'enchante, et la mienne me guide... » Ah ! Je te donnerai de la vertu, perfide ! Peste ! Il est admirable ! Mes yeux, méchant ! Oh ! C'est un honnête homme. Un homme franc, tout rond. Vraiment, l'avis est bon. Va, si tu la rends, je te pardonne tout. Et c'est ce que je crains. J'en ai peur en effet. Quelle folie ! Tu n'as rien, un cadet de Basse-Normandie Est plus riche que toi. Cent mille francs ? Grand Dieu ! Et la somme, mon fils, est chez monsieur Garant ? Cent mille francs, mon cher ! Ça va jusqu'au fond de mon âme. Cent mille francs, mon fils ! Ils ne le seront plus. Cent mille francs... Allez. Allez plaider ailleurs. Allons, arrangeons-nous. Tout de même : et ma fille ? Afin que tu la tiennes, Il faut que je la trouve. Ça n'arrivera plus... C'est chez l'ami Garant Que tu la crois cachée ? Il faut que je t'embrasse. Reviens bien vite au moins. Écoute encore un peu, mon cher ami, mon gendre ; En famille avec toi quels plaisirs je vais prendre ! Je ne puis te quitter... va, mon fils... sois certain Que ma fille est ta femme. Tu réponds d'elle ! Quel bon ami j'ai là ! Mon Dieu, comme je l'aime ! Oh ! c'est bien élevé. La voisine Ninon Vous a formé cela ; c'est une dégourdie Qui sait bien mieux que nous ce que c'est que la vie, Un grand esprit. Je voudrais l'égaler ; Mais sitôt qu'elle parle on n'ose plus parler. On dit que les deux frères Lui doivent ce qu'ils sont ; comment ? Cent mille francs ! L'avocat n'aurait pu les gagner en trente ans ; Ce n'est rien qu'un bavard. Eh bien ? Monsieur Garant, enfin tout est conclu. Quel bonheur ! L'escapade, monsieur, que nous lui reprochons, Ne peut se mettre au rang des fautes criminelles. Une fortune, à vous ! Il est vrai qu'elle est assez gentille ; Mais du Crédit ! De qui donc parlez-vous ? Comment ! vous épousez notre Ninon ? Et moi je vous disais que je donne Sophie À mon petit Gourville, et qu'elle s'est blottie Chez vous, en votre absence, et qu'elle en va sortir Pour serrer ces doux noeuds que je viens d'assortir, Et qu'il nous faut donner, pour aider leur tendresse, Cent mille francs comptant que vous avez en caisse. Je le tiens de sa bouche. Vous n'avez pas à lui le moindre argent comptant ? Mon Dieu, le méchant garnement ! Ma fille, à mes bras enlevée, Après dîner chez vous ne s'était pas sauvée ? Les deux frères, je vois, D'accord pour m'outrager, s'entendent contre moi. Tous deux m'ont pris ma fille ! Ah ! J'en aurai raison ; Et je mettrai plutôt le feu dans la maison. Quoi donc ! pour épouser nous n'aurons plus personne ? Allons, courons bien vite après notre avocat ; Il vaudra mieux que rien. Oui, j'ai tort quand ma fille est perdue, Qu'on ne me la rend point ! Est-ce donc ce benêt... ou toi, jeune éventé, Qui m'as pris ma Sophie ? Va, tu n'es qu'un vaurien, Un fort mauvais plaisant, sans un écu de bien. J'avais un avocat dont j'étais fort contente ; Je prétends qu'il revienne, et veux qu'il instrumente Contre toi pour ma fille ; et tes cent mille francs Ne me tromperont pas, mon ami, plus longtemps : Ni vous non plus, madame. Ah ! Souffrez que je crie, et quand j'aurai crié Je veux crier encore. Ah ! cela va bien... Mais Pour finir ce marché que de grand coeur j'approuve, Pour marier Sophie, il faut qu'on la retrouve ; On ne peut rien sans elle. Oui, passe, et puis la mienne ira pareillement. Je ne vois rien paraître. À tout moment cent mille francs perdus ! Ma fille aussi ! sortons de ce franc coupe-gorge Où chacun me trompait, où ce traître m'égorge. Et c'est vous, grand nigaud, dont les séductions M'ont valu mes chagrins, m'ont causé tant d'affronts : Ma fille payera cher son énorme sottise. Que disent-ils de nous ? Ma foi, jusqu'à présent elles sont peu connues. Oui, mais rien ne nous vient. Oui. De ta femme, ma foi, voilà la dot payée. J'enrage. Ah ! c'en est trop. La brave femme ! Adieu, vilain mâtin, qui m'en fis tant accroire. Nous y devons tous être. Et ma fille ? **** *creator_voltaire *book_voltaire_depositaire *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_depositaire *dist2_voltaire_verse_comedy *id_LISETTE *date_(non *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lisette Ah ! La lourde cassette ! Comment voulez-vous donc que j'apporte cela ? Picard la traîne à peine. C'est un vrai coffre-fort. J'y cours ; je sais compter. Oui, madame, à la fin il a reçu l'argent. Point du tout, je vous jure. Oh ! Les savants sont d'étrange nature. Quel étonnant jeune homme, et qu'il est triste et sec ! Vous l'eussiez vu courbé sur un vieux livre grec ; Un bonnet sale et gras qui cachait sa figure, De l'encre au bout des doigts, composaient sa parure ; Dans un tas de papiers il était enterré ; Il se parlait tout bas comme un homme égaré ; De lui dire deux mots je me suis hasardée ; Madame, il ne m'a pas seulement regardée. « J'apporte de l'argent, monsieur, qui vous est dû ; Monsieur, c'est de l'argent. » Il n'a rien répondu : Il a continué de feuilleter, d'écrire. J'ai fait, avec Picard, un grand éclat de rire : Ce bruit l'a réveillé. « Voilà deux mille écus, Monsieur, que ma maîtresse avait pour vous reçus. - Hem ! Qui ? Quoi ? M'a-t-il dit ; allez chez les notaires ; Je n'ai jamais, ma bonne, entendu les affaires Je ne me mêle point de ces pauvretés-là. - Monsieur, ils sont à vous, prenez-les, les voilà. » Il a repris soudain papier, plume, écritoire. Picard, l'interrompant, a demandé pour boire. « Pourquoi boire ? A-t-il dit, fi ! Rien n'est si vilain Que de s'accoutumer à boire si matin ! » Enfin il a compris ce qu'il devait entendre : « Voilà les sacs, dit-il, et vous pouvez y prendre Tout ce qu'il vous plaira pour la commission. » Nous avons pris, madame, avec discrétion. Il n'a pas un moment daigné tourner la tête Pour voir de nos cinq doigts la modestie honnête ; Et nous sommes partis avec étonnement, Sans recevoir pour vous le moindre compliment. Avez-vous vu jamais un mortel plus bizarre ? Moi, de tout mon pouvoir je l'aime aussi, monsieur ; J'ai toujours remarqué, sans trop oser le dire, Que vous aimez assez les gens qui vous font rire. Ma foi, les jeunes gens ont souvent bien du bon. Eh bien ! Picard, sais-tu la plaisante nouvelle ? Notre maîtresse enfin s'en va prendre un mari. Ah ! Picard, ces beaux noeuds Sont faits pour les messieurs qui sont dans l'opulence ; Peu de chose avec rien ne fait pas de l'aisance ; Et nous sommes trop gueux, Picard, pour être unis. Le mari de madame aujourd'hui m'a promis De faire ma fortune. Et je t'épouserai dès qu'elle sera faite. Va, je te jure Que les honneurs chez moi ne changent point les moeurs ; Je t'aime, et je ne puis être contente ailleurs. La peste ! c'est un homme extrêmement puissant, Marguillier de paroisse, ayant beaucoup d'argent ; Sur son large visage on voit tout son mérite ; Homme de bon conseil, et qui souvent hérite Des gens qui ne sont pas seulement ses parents. Il a toujours, dit-on, vécu de ses talents ; Il est le directeur de plus de vingt familles : Il peut faire aisément beaucoup de bien aux filles. C'est ce monsieur Garant qui vient dans la maison. Eh bien ! que fait cela ? Cette friponnerie N'empêche pas, je crois, qu'un homme se marie. Il m'a promis beaucoup. Rien n'est plus vrai, Picard. Je n'en saurais douter. Lui-même. J'ai de plus entendu des mots de leurs discours ; Picard, ils se juraient d'éternelles amours. Pour revenir bientôt ce monsieur l'a quittée ; Et madame aussitôt en carrosse est montée. Tout change avec le temps : on ne rit pas toujours ; Ou devient sérieux au déclin des beaux jours. La femme est un roseau que le moindre vent plie ; Et bientôt il lui faut un soutien qui l'appuie. Va, nous attendrons bien Que madame ait choisi monsieur pour son soutien. Je pense que l'aîné va dans un monastère ; L'autre sera, je crois, cornette ou lieutenant. Chacun suit son instinct ; tout s'arrange aisément. Pourquoi ? Pour en douter quelles raisons as-tu ? Quoi ! Maroufle, insolent ! Hem ! Bon ! ce monsieur Garant a la clef dans sa poche. Ne te l'ai-je pas dit ? Madame, avec mystère, A dit à son cocher : « Cocher, chez le notaire. » Ils sont allés signer. Un excellent souper qu'un grand traiteur apprête Ce soir de ces beaux noeuds doit célébrer la fête ; Les amis du logis y sont tous invités. C'est chez notre voisine, Comme lui très pieuse, et de Garant cousine ; On m'a dit qu'il y dîne avec quelques docteurs. Le voici qui revient. Ah ! comme il a l'air triste ! Quelles contorsions ! Il a des yeux funestes. Qu'avez-vous donc, monsieur ? Êtes-vous ici près, monsieur, tombé par terre ? Qu'est-il donc arrivé ? Hélas ! n'auriez-vous point reçu quelques blessures ? Mon Dieu, que ce début m'étonne ! Eh bien ! jusqu'à présent La chose est très commune, et le mal n'est pas grand. De ces petits chagrins un sage se console. Vous avez oublié votre théologie ? Vous, dangereux, monsieur ? Très peu. Quelle métamorphose ! Toujours aux jeunes gens, monsieur, elle pardonne. Eh bien ? J'y vais ; comptez sur moi. Oui, mais la chose est faite. Bon ! je la perds bien, moi, monsieur, moi qui raisonne, Pour ce petit Picard. Ah ! la femme est si faible ! Tout ce qu'il vous plaira ; mais j'ai quelques lumières ; J'en sais autant que vous sur ces grandes matières : Un abbé, grand ami de madame Ninon, Qui, dans mon jeune temps, fréquentait la maison, Et qui même, entre nous, eut du goût pour Lisette, Me disait que la femme est comme la girouette ; Quand elle est neuve encore, à toute heure on l'entend, Elle brille aux regards, elle tourne à tout vent ; Elle se fixe enfin quand le temps l'a rouillée. La chose est pourtant sûre. Croyez-le. Ils ont déjà cherché, dans chaque appartement. Ils n'ont pu déterrer la petite Sophie. Oui ; mais madame Agnant paraît d'une autre étoffe ; Elle est à craindre ici. Ah ! Madame, quel train, quel bruit dans votre absence ! Quel tumulte effroyable, et quelle extravagance ! Madame, contre moi ne soyez point fâchée Que la petite Agnant se soit ici cachée ; Hélas ! J'en aurais fait de bon coeur tout autant Si j avais eu pour mère une madame Agnant : Comment ! battre sa fille ! ah ! c'est une infamie. Il l'adore en effet. À peine je conçois Comment nos plats voisins, avec leur air bourgeois, Ont trouvé le secret de nous faire une fille Si pleine d'agréments, si douce, si gentille. Vous allez donc ce soir bâcler trois mariages ; Celui de ces enfants, le vôtre, et puis le mien. Madame, en un seul jour c'est faire assez de bien : Il faudrait tout d'un temps, dans votre zèle extrême, Pour notre aîné Gourville en faire un quatrième ; Le mariage forme et dégourdit les gens. Madame, oui. Ah ! Picard, quels bienfaits ! Vois-tu cela ? Je sais signer aussi. Voici le moment de la crise. Acceptez ce dépôt ; Vous les gardez si bien. Ne t'avais-je pas dit, Picard, que ma maîtresse À plus d'esprit qu'eux tous, d'honneur, et de sagesse? **** *creator_voltaire *book_voltaire_depositaire *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_depositaire *dist2_voltaire_verse_comedy *id_PICARD *date_(non *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_picard Je n'ai jamais rien su le premier : quelle est-elle ? Ma foi, j'en ai le coeur tout à fait réjoui. Ah ! c'est donc pour cela que madame est sortie ! C'est pour se marier... J'ai souvent même envie, Tu le sais ; et je crois que nous devons tous deux Suivre un si digne exemple. Est-il bien vrai, Lisette ? Bon ! attendons-nous-y ! Quand le bien te viendra, D'autres amants viendront ; tu me planteras là : Des filles de Paris je connais trop l'allure ; Elles n'épousent point Picard. Allons, il faudra donc se résoudre d'attendre. Et quel est ce monsieur que madame va prendre ? Bon ! l'on m'a dit à moi qu'il est gueux et fripon. Plus qu'il ne te tiendra... Quoi ! c'est lui qu'aujourd'hui madame épousera ? C'est lui que madame aime ? Qui te l'a dit ? Mon Dieu, comme en amour on va vite à présent ! Je ne l'aurais pas cru car, vois-tu, j'ai souvent Entendu ma maîtresse avec un beau langage Se moquer, en riant, des lois du mariage. Quand t'appuierai-je donc ? Mais que va devenir Gourville avec son frère ? Je ne sais, mon instinct me dit que ces affaires Ne s'arrangeront pas ainsi que tu l'espères. Je n'ai point de raisons, moi ; j'ai des yeux, j'ai vu Que, lorsqu'on veut aux gens assurer quelque chose, On se trompe toujours ; je n'en sais point la cause : J'ai vu tant de messieurs qui pour tes doux appas Disaient qu'ils reviendraient, et ne revenaient pas ! À ton tour, ma mignonne, Jamais, en promettant, n'as-tu trompé personne ? Ne te fâche point. Allons, rendons bien net De notre cher savant le sale cabinet ; Tenons la chambre propre : allons, la nuit approche. Diable ! il est donc déjà maître de la maison ; Et ce grand mariage est donc fait tout de bon ? Oui, je comprends très bien Que l'affaire est conclue, et je n'en savais rien. Tant mieux ; nous danserons : plaisir de tous côtés. Mais que va devenir notre aîné de Gourville ? Il était si posé, si sage, si tranquille, Lui-même se servant, n'exigeant rien de nous ; Fort dévot, cependant d'un naturel très doux. Où donc est-il allé ? Oh ! c'est un grand savant ; il lit tous les auteurs. Pour la noce peut-être. Oui, je crois reconnaître Qu'il est bien affligé. C'est des convulsions. C'est d'un vrai possédé les regards et les gestes. Vous avez l'oeil poché, Bosse au front, nez sanglant, et l'habit tout taché. Et quoi donc ? Monsieur ! Et de vos meurtrissures. Écoutons bien. C'est une brave dame. Non. Je n'ai jamais rien lu. Oui, je le croirais bien. Oh ! Madame est très bonne. Eh ! Mon Dieu ! Ces gens-ci Sont tous devenus fous : qu'a-t-on donc fait ici ? Ah ! Cachez-vous. Une mère affligée Qui vient redemander une fille outragée... Un mari pris de vin Qui prétend boire ici du soir jusqu'au matin... Et qui veut qu'on lui rende Sa belle et chère enfant que sa femme demande : Tout retentit des cris de la dame en fureur ; Ses regards seulement m'ont fait trembler de peur ; Et pour son premier mot elle m'a fait entendre Qu'elle venait céans pour vous faire tous pendre. Quelques bonnets carrés, Pour mieux y parvenir, sont avec elle entrés : Déjà l'on verbalise. Venez, j'ai votre affaire ; Je m'en vais vous tapir au fond du galetas. Oui, oui, dépêchez-vous. Madame, il faut d'abord vous dire Que mon bonheur est grand... et que je ne désire Rien plus... sinon qu'il dure... et que Lisette et moi Nous sommes obligés... Mais aide-moi donc, toi ; Je ne sais point parler. Ah ! Madame, à vos pieds ici nous devons tous... D'abord un homme noir raisonne et gesticule Avec monsieur Garant ; et les mots de scrupule, De probité, d'honneur, de raisons, de devoirs, M'ont saisi de respect pour ces deux manteaux noirs. L'un dicte, l'autre écrit, disant qu'il instrumente Pour le faire bien riche, et vous rendre contente, Et qu'il fait un contrat. C'est un digne homme ! Mais, madame, elle crie, Elle gronde vos gens, messieurs Gourville, et moi, Son mari, tout le monde, et dit qu'on est sans foi ; Et dit qu'on l'a trompée, et que sa fille est prise ; Et dit qu'il faudra bien que quelqu'un l'indemnise, Et puis elle s'apaise, et convient qu'elle a tort, Puis dit qu'elle a raison, et crie encor plus fort. En véritable sage, Il voit sans sourciller tout ce remue-ménage, Et, pour fuir les chagrins qui pourraient l'occuper, Il s'amusait à boire attendant le souper. En son humeur plaisante Il les amuse tous, et boit, et rit, et chante. Il pleure. Et puis la mienne aussi.