**** *creator_voltaire *book_voltaire_droitduseigneur *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_droitduseigneur *dist2_voltaire_verse_comedy *id_LEBAILLIF *date_1749 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lebaillif Plaisante question ! Eh ! Que t'importe ? Elle s'appelle Acanthe : C'est un beau nom ; il vient du grec Anthos, Que les Latins ont depuis nommé Flos. Flos se traduit par Fleur ; et ta future Est une fleur que la belle nature, Pour la cueillir façonna de sa main : Elle fera l'honneur de ton jardin. Qu'importe un nom ? Chaque père, à sa guise, Donne des noms aux enfants qu'on baptise. Acanthe a pris son nom de son parrain, Comme le tien te nomma Mathurin. Chose certaine. Ah ! Qu'il vienne De Picardie ou d'Artois, un savant À ces noms-là s'arrête rarement. Tu n'as point de nom, toi ; ce n'est qu'aux belles D'en avoir un, car il faut parler d'elles. Il l'est enfin, et de manière exacte : Chez ses parents je t'en dresserai l'acte ; Car si je suis le magister d'ici, Je suis baillif, je suis notaire aussi ; Et je suis prêt, dans mes trois caractères, À te servir dans toutes tes affaires. Que veux-tu ? Dis. Ah ! Vous êtes pressant. C'est très bien dit : et quand donc ? Oui ; mais Colette à votre sacrement, Monsieur Mathurin, peut mettre empêchement : Elle vous aime avec quelque tendresse, Vous et vos biens ; elle eut de vous promesse De l'épouser. Oui, j'entends bien : vous êtes trop hâtif ; Et pour signer vous devriez attendre Que monseigneur daignât ici se rendre Il vient demain ; ne faites rien sans lui. Comment ? Mais il est fort honnête : Il est permis de parler tête à tête À sa sujette, afin de la tourner À son devoir, et de l'endoctriner. Acanthe a trop d'honneur Pour te fâcher : c'est le droit du seigneur ; Et c'est à nous, en personnes discrètes, À nous soumettre aux lois qu'on nous a faites. Ah ! Depuis bien longtemps C'est établi... ça vient du droit des gens. Oh ! Point du tout... c'est une invention Qu'on inventa pour les gens d'un grand nom. Car, vois-tu bien, autrefois les ancêtres De monseigneur s'étaient rendus les maîtres De nos aïeux, régnaient sur nos hameaux. Pas plus que toi. Les seigneurs du village Devaient avoir un droit de vasselage. C'est très bien dit, Mathurin : mais, je gage, Si tes valets te tenaient ce langage, Qu'un nerf-de-boeuf appliqué sur le dos Réfuterait puissamment leurs propos ; Tu les ferais rentrer vite à leur place. Si les petits à leurs femmes se tiennent, Compère, aux grands les nôtres appartiennent. Que ton esprit est bas, lourd et brutal ! Tu n'as pas lu le code féodal. Il tient son origine Du mot fides de la langue latine C'est comme qui dirait... Je suis baillif, ne t'en avise pas. Fides veut dire foi. Conviens-tu pas Que tu dois foi, que tu dois plein hommage À Monseigneur le marquis du Carrage ? Que tu lui dois dîmes, champart, argent ? Que tu lui dois... Va, nous savons la loi ; Nous aurons bien ta femme ici sans toi. Ma robe, allons... du respect... vite, Philippe. C'est en baillif qu'il faut que je m'équipe : J'ai des clients qu'il faut expédier. Je suis baillif, je te fais mon huissier. Amène-moi Colette à l'audience. L'affaire est grave, et de grande importance. De matrimonio... chapitre deux. Empêchements... Ces cas-là sont véreux ; Il faut savoir de la jurisprudence. Approchez-vous... faites la révérence, Colette il faut d'abord dire son nom. Bon. Colette... il faut dire ensuite son âge. N'avez-vous pas trente ans, et davantage ? Çà, vingt ans passés : ils sont bien révolus ? Vos oppositions seront notoires. Çà, vous avez des raisons péremptoires ? Dites-les... Aurait-il... ? Mais vous coupez le fil À tout moment de notre procédure. Vous a-t-il fait injure ? Il vous a fait sans doute des promesses ? En légitime noeud... Quelle malice ! Çà, produisez ses lettres en justice. Mais du moins, Au lieu d'écrits, vous avez des témoins ? Non plus qu'eux tous je n'ai donc rien à dire. Votre complainte en droit ne peut suffire ; On ne produit ni témoins ni billets, On ne vous a rien fait, rien écrit. En abuser ! Mais vraiment c'est un cas Épouvantable, et vous n'en parliez pas ! Instrumentons... Laquelle nous remontre Que Mathurin, en plus d'une rencontre, Se prévalant de sa simplicité, A méchamment contre icelle attenté ; Laquelle insiste, et répète dommages, Frais, intérêts, pour raison des outrages, Contre les lois, faits par le suborneur, Dit Mathurin, à son présent honneur. Que prétendez-vous donc ? Pour se venger il faut être outragée, Et par écrit coucher en mots exprès Quels attentats encontre vous sont faits ; Articuler les lieux, les circonstances, Quis, quid, ubi, les excès, insolences, Énormités sur quoi l'on jugera. Ce n'est pas tout ; il faut savoir la suite Que ces excès pourraient avoir produite. Fort bien. Laquelle fille a dans ses procédures Perdu le sens, et nous dit des injures ; Et n'apportant nulle preuve du fait, L'empêchement est nul, de nul effet. Depuis une heure en vain je vous écoute : Vous n'avez rien prouvé, je vous déboute. Vous. Oui ; quand le plaintif Ne peut donner des raisons qui convainquent, On le déboute, et les adverses vainquent. Sur Mathurin n'ayant point action, Nous procédons à la conclusion. Il l'aura ; De monseigneur le droit se maintiendra. Je suis baillif, et j'ai les droits du maître C'est devant moi qu'il faudra comparaître. Consolez-vous, sachez que vous aurez Affaire à moi quand vous vous marierez. Oh ! je vous en défie. Nous venons tous avec conjouissance Nous présenter devant Votre Excellence, Comme les Grecs jadis devant Cyrus... Comme les Grecs... Les Grecs de qui la proie... La chose est constatée. Colette est folle, et je l'ai déboutée. Et votre droit, Monseigneur ; le temps presse. Ils disent que sur l'heure Chacun s'en aille, et qu'Acanthe demeure. Oui, sans doute. C'est la condition sine qua non. Pas encore Il faut premier que monseigneur l'honore D'un entretien selon les nobles us En ce châtel de tous les temps reçus. L'épousée Sur une chaise est sagement placée ; Puis Monseigneur, dans un fauteuil à bras, Vient vis-à-vis se camper à six pas. C'est la règle. Monseigneur avec grâce Fait un présent de bijoux, de rubans, Comme il lui plaît. Puis il lui parle ; il vous la considère ; Il examine à fond son caractère ; Puis il l'exhorte à la vertu. Expressément la loi veut qu'on demeure Pour l'exhorter l'espace d'un quart d'heure. La loi porte Que s'il osait se tenir à la porte, Se présenter avant le temps marqué, Faire du bruit, se tenir pour choqué, S'émanciper à sottises pareilles, On fait couper sur-le-champ ses oreilles. Déniche ; il faut qu'un mari se retire : Point de raisons. Veux-tu partir ? Asseyez-vous ; attendez en ce lieu Un maître aimable et vertueux. Adieu. Point de reproches, Mais du respect. C'est qu'il pense beaucoup. C'est pour ton bien. **** *creator_voltaire *book_voltaire_droitduseigneur *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_droitduseigneur *dist2_voltaire_verse_comedy *id_MATHURIN *date_1749 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mathurin Écoutez-moi, monsieur le magister : Vous savez tout, du moins vous avez l'air De tout savoir ; car vous lisez sans cesse Dans l'almanach. D'où vient que ma maîtresse S'appelle Acanthe, et n'a point d'autre nom ? D'où vient cela ? Oh ! Cela me tourmente : J'ai mes raisons. Acanthe vient du grec ? Et Mathurin, d'où vient-il ? Je ne sais, mais ce nom grec me déplaît. Maître, je veux qu'on soit ce que l'on est : Ma maîtresse est villageoise, et je gage Que ce nom-là n'est pas de mon village. Acanthe, soit. Son vieux père Dignant Semble accorder sa fille en rechignant ; Et cette fille, avant d'être ma femme, Paraît aussi rechigner dans son âme. Oui, cette Acanthe, en un mot, cette fleur, Si je l'en crois, me fait beaucoup d'honneur De supporter que Mathurin la cueille. Elle est hautaine, et dans soi se recueille, Me parle peu, fait de moi peu de cas ; Et, quand je parle, elle n'écoute pas : Et n'eût été Berthe, sa belle-mère, Qui haut la main régente son vieux père, Ce mariage, en mon chef résolu, N'aurait été, je crois, jamais conclu. Je veux qu'incessamment On me marie. Et très pressé... Voyez-vous ? L'âge avance. J'ai dans ma ferme acquis beaucoup d'aisance ; J'ai travaillé vingt ans pour vivre heureux ; Mais l'être seul !... Il vaut mieux l'être deux. Il faut se marier avant qu'on meure. Tout à l'heure. Oh bien ! Je dépromets. Je veux pour moi m'arranger désormais ; Car je suis riche et coq de mon village. Colette veut m'avoir par mariage, Et moi je veux du conjugal lien Pour mon plaisir, et non pas pour le sien, Je n'aime plus Colette ; c'est Acanthe, Entendez-vous, qui seule ici me tente. Entendez-vous, magister trop rétif ? C'est pour cela que j'épouse aujourd'hui. Eh oui : ma tête est peu savante ; Mais on connaît la coutume impudente De nos seigneurs de ce canton picard. C'est bien assez qu'à nos biens on ait part, Sans en avoir encore à nos épouses. Des Mathurins les têtes sont jalouses : J'aimerais mieux demeurer vieux garçon Que d'être époux avec cette façon. Le vilain droit ! Je n'aime point qu'un jeune homme endoctrine Cette disciple à qui je me destine ; Cela me fâche. D'où vient ce droit ? Mais sur ce pied, dans toutes les familles, Chacun pourrait endoctriner les filles. Ouais ! Nos aïeux étaient donc de grands sots ! Pourquoi cela ? Sommes-nous pas pétris D'un seul limon, de lait comme eux nourris ? N'avons-nous pas comme eux des bras, des jambes, Et mieux tournés, et plus forts, plus ingambes : Une cervelle avec quoi nous pensons Beaucoup mieux qu'eux, car nous les attrapons ? Sommes-nous pas cent contre un ? Ça m'étonne De voir toujours qu'une seule personne Commande en maître à tous ses compagnons, Comme un berger fait tondre ses moutons. Quand je suis seul, à tout cela je pense Profondément. Je vois notre naissance Et notre mort, à la ville, au hameau, Se ressembler comme deux gouttes d'eau. Pourquoi la vie est-elle différente ? Je n'en vois pas la raison : ça tourmente. Les Mathurins et les godelureaux, Et les baillifs, ma foi, sont tous égaux. Oui, vous avez raison : ça m'embarrasse ; Oui, ça pourrait me donner du souci. Mais, palsembleu, vous m'avouerez aussi Que quand chez moi mon valet se marie, C'est pour lui seul, non pour ma seigneurie ; Qu'à sa moitié je ne prétends en rien ; Et que chacun doit jouir de son bien. Féodal ! Qu'est-ce ? Sais-tu qu'avec Ton vieux latin et ton ennuyeux grec, Si tu me dis des sottises pareilles, Je pourrais bien frotter tes deux oreilles ? Baillif outrecuidant, Oui, je dois tout ; j'en enrage dans l'âme : Mais, palsandié, je ne dois point ma femme, Maudit baillif ! Chien de baillif ! Que ton latin m'irrite ! Ah ! Sans latin marions-nous bien vite ; Parlons au père, à la fille surtout ; Car ce que je veux, moi, j'en viens à bout. Voilà comme je suis... J'ai dans ma tête Prétendu faire une fortune honnête : La voilà faite ; une fille d'ici Me tracassait, me donnait du souci, C'était Colette, et j'ai vu la friponne Pour mes écus mugueter ma personne : J'ai voulu rompre, et je romps ; j'ai l'espoir D'avoir Acanthe, et je m'en vais l'avoir, Car je m'en vais lui parler. Sa manière Est dédaigneuse, et son allure est fière : Moi, je le suis ; et, dès que je l'aurai, Tout aussitôt je vous la réduirai Car je le veux. Allons... Allons. Si fait... bonjour. Oui, mon enfant. Non, mon enfant. Mais je t'aimais : je n'aime plus. Le diable À t'épouser me poussa vivement ; En sens contraire il me pousse à présent Il est le maître. Oui, mon enfant. C'est que je suis le maître en ma maison Et pour quelqu'un de notre Picardie Tu m'as paru un peu trop dégourdie : Tu m'aurais fait trop d'amis, entre nous ; Je n'en veux point, car je suis né jaloux. Acanthe, enfin, aura la préférence : La chose est faite : adieu ; prends patience. Cette innocente est dangereuse : il faut Voir le beau-père, et conclure au plus tôt. Allons, beau-père, allons bâcler la chose. Quelle innocente ! Très volontiers !... Tout ce train-là me lasse : Je suis têtu ; je veux que tout se passe À mon plaisir, suivant mes volontés, Car je suis riche... Or, beau-père, écoutez Pour honorer en moi mon mariage, Je me décrasse, et j'achète au bailliage L'emploi brillant de receveur royal Dans le grenier à sel : ça n'est pas mal. Mon fils sera conseiller, et ma fille Relèvera quelque noble famille ; Mes petits-fils deviendront présidents : De monseigneur un jour les descendants Feront leur cour aux miens ; et, quand j'y pense, Je me rengorge, et me carre d'avance. Et pourquoi ça ? Voisin, Notre baillif t'a donné sa folie. Eh ! Dis-moi donc, s'il prend en fantaisie À monseigneur d'avoir femme au logis, A-t-il besoin de prendre ton avis ? Tout le monde est contre moi ; ça m'irrite. Ma belle-mère, arrivez, venez vite. Vous n'êtes plus la maîtresse au logis, Chacun rebèque ; et je vous avertis Que si la chose en cet état demeure, Si je ne suis marié tout à l'heure, Je ne le serai point ; tout est fini, Tout est rompu. Ah ! C'est tout jeune, et ça n'a pas encore L'esprit formé : ça vient avec le temps. Madame Berthe, on ne distingue guère Ni vous ni moi : la belle a le maintien Un peu bien sec, mais cela n'y fait rien ; Et je réponds, dès qu'elle sera nôtre, Qu'en peu de temps je la rendrai tout autre. Ah ! Palsandié... Ni rien pour moi non plus ? On me fiance. Foin du respect ! Et moi, l'ami, je pense le contraire. Est un sot qui diffère. Je ne veux point soumettre mon honneur, Si je le puis, à ce droit du seigneur. C'est très bien dit. Eh bien ! L'aurai-je enfin ? Oui-da, monsieur : la fiançaille est faite, Et nous prions que monseigneur permette Qu'on nous finisse. Bon ! J'ai promis en l'air. Vous voyez bien qu'en effet elle m'aime. Quel chien de droit ! Ah ! Me voilà perdu. Que disent-ils ? Moi, que je sorte ! Mais doit-on ?... Je n'aime point cette cérémonie, Maître baillif ; c'est une tyrannie. Sine qua non ! Quel diable de jargon ! Morbleu, ma femme est à moi. Ces maudits us, quels sont-ils ? Quoi ! Pas plus loin ? Allons, passe. Et puis après ? Passe pour des présents. Fort bien ; Et quand finit, s'il vous plaît, l'entretien ? Un quart d'heure est beaucoup. Et le mari Peut-il au moins se tenir près d'ici Pour écouter sa femme ? La belle loi ! les beaux droits que voilà ! Et ma moitié ne dit mot à cela ? Ma femme heureusement N'a point d'esprit ; et son air innocent, Sa conversation ne plaira guère. Adieu donc, ma très chère ; Songe surtout au pauvre Mathurin, Ton fiancé. Je crains, ma foi, que l'on ne me déboute : Entrons, entrons ; le quart d'heure est fini. Maître baillif, ces sièges sont bien proches : Est-ce encore un des droits ? Mon Dieu ! nous en aurons ; Mais aurons-nous ma femme ? Ouais ! Ceci me tourmente. Dis-moi, baillif, ce que cela figure. Notre seigneur est sorti bien sournois. Il me parlait poliment autrefois, J'aimais assez ses honnêtes manières ; Et même à coeur il prenait mes affaires. Je me marie : il s'en va tout pensif. Maître Baillif, Je pense aussi. Ce « Nous verrons » m'assomme. Quand on est prêt, « Nous verrons » ! Ah ! Quel homme ! Que je fis mal, ô ciel ! Quand je naquis Chez mes parents ; de naître en ce pays ! J'aurais bien dû choisir quelque village Où j'aurais pu contracter mariage Tout uniment, comme cela se doit, À mon plaisir, sans qu'un autre eût le Droit De disposer de moi-même à mon âge, Et de fourrer son nez dans mon ménage. Mon ami Baillival ; Pour notre bien on nous fait bien du mal. Ah ! Voici bien, pardienne, une autre histoire ! Pour le coup c'est le droit du seigneur : On m'a volé ma femme. Vous le savez comme moi. Fort bien ; vous vous fâchez, mon maître ; Oh ! C'est à moi d'être fâché. C'est un enlèvement. Savez-vous pas qu'à peine chez son père Elle arrivait pour finir notre affaire, Quatre coquins alertes, bien tournés, Effrontément me l'ont prise à mon nez, Tout en riant, et vite l'ont conduite Je ne sais où ? Qui ? Moi ? Tout va bien, tout va bien, Tout est en paix, la femme est retrouvée ; Votre parent nous l'avait enlevée : Il nous la rend ; c'est peut-être un peu tard. Chacun son bien ; tudieu ! Quel égrillard ! Excepté moi ? Ouais ! Tout ceci m'étonne. Par ma foi, tous ces grands Sont dans le fond de bien vilaines gens. Droit du seigneur, femme que l'on enlève ! Défense à moi de lui parler... Je crève. Mais je l'aurai, car je suis fiancé : Consolons-nous, tout le mal est passé. **** *creator_voltaire *book_voltaire_droitduseigneur *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_droitduseigneur *dist2_voltaire_verse_comedy *id_DIGNANT *date_1749 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dignant Carre-toi bien ; mais songe qu'à présent On ne peut rien sans le consentement De monseigneur : il est encor ton maître. Mais c'est que ça doit être. À tous seigneurs, tous honneurs. C'est différent ; je fus son domestique De père en fils dans cette terre antique. Je suis né pauvre, et je deviens cassé. Le peu d'argent que j'avais amassé Fut employé pour élever Acanthe. Notre baillif dit qu'elle est fort savante, Et qu'entre nous, son éducation Est au-dessus de sa condition ; C'est ce qui fait que ma seconde épouse, Sa belle-mère, est fâchée et jalouse, Et la maltraite, et me maltraite aussi De tout cela je suis fort en souci. Je voudrais bien te donner cette fille : Mais je ne puis établir ma famille Sans monseigneur ; je vis de ses bontés, Je lui dois tout ; j'attends ses volontés : Sans son aveu nous ne pouvons rien faire. Personne, Nous n'avons garde ; et Mathurin veut bien Prendre ma fille à peu près avec rien : J'en suis content, et je dois me promettre Que monseigneur daignera le permettre. Mais... Ma bonne, il faut quelques ménagements Pour une fille ; elles ont d'ordinaire De l'embarras dans cette grande affaire C'est modestie et pudeur que cela. Comme elle, enfin, vous passâtes par là ; Je m'en souviens, vous étiez fort revêche. Chez le baillif, ma bonne, allons l'attendre, Sans la gêner, et laissons-lui reprendre Un peu d'haleine. Eh ! Qu'est-ce que j'entends ? C'est un courrier : c'est, je pense, un des gens De monseigneur ; oui, c'est le vieux Champagne. Oui... Vous serez de la cérémonie. Nous marions Acanthe. Quoi ! Ce seigneur, ce bon maître que j'aime, Je puis le voir encore avant ma mort ? S'il est ainsi, je bénirai mon sort. Votre avis est sensé ; Et comme vous en secret j'ai pensé. Allez, d'Acanthe on n'aura rien à craindre ; Trop de vertu règne au fond de son coeur ; Et notre maître est tout rempli d'honneur. Quand près de vous il daignera se rendre, Quand sans témoin il pourra vous entendre, Remettez-lui ce paquet cacheté : C'est un devoir de votre piété ; N'y manquez pas... Ô fille toujours chère... Embrassez-moi. Ah ! Je le dois... de vous je me sépare, C'est pour jamais ; mais si le ciel avare, Qui m'a toujours refusé ses bienfaits, Pouvait sur vous les verser désormais, Si votre sort est digne de vos charmes, Ma chère enfant, je dois sécher mes larmes. Tout mon coeur est pour elle, C'est mon devoir ; et j'ai dû pressentir Que par votre ordre on la faisait partir. Oui. Puis-je en tremblant prendre ici la licence De vous parler ? Au transport douloureux Où votre coeur devant moi s'abandonne, Je ne reconnais plus votre personne. Vous avez lu ce qu'on vous a porté, Ce gros paquet qu'on vous a présenté ?... Vous me faites frémir. Quoi ! Ce paquet n'est pas encore ouvert ? Juste ciel ! Ce dernier coup me perd ! Hélas ! Vous deviez croire Que cet écrit était intéressant. Ah ! mon maître ! Qu'aura-t-on fait, et qu'allez-vous connaître ? Oui. Cet étrange mystère En d'autres temps aurait de quoi vous plaire ; Mais à présent il devient bien affreux. J'en avais l'ordre, et j'ai dû vous prier En sa faveur. Ô cher objet, vous n'avez plus de père. Non, je ne le suis pas. Il m'a parlé... Je ne sais quoi l'accable. Il est saisi d'un trouble inconcevable. **** *creator_voltaire *book_voltaire_droitduseigneur *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_droitduseigneur *dist2_voltaire_verse_comedy *id_ACANTE *date_1749 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_acante Hélas ! Très volontiers. Ah ! Croyez-vous qu'il le donne, mon père ? Ô ciel ! Que dois-je faire ? À qui puis-je parler ? Ah ! Croyez que mes sens Sont pénétrés de vos soins indulgents ; Croyez qu'en tout je distingue mon père. Ah ! Que je sens de trouble et de chagrin ! Me faudra-t-il épouser Mathurin ? Mon Dieu, non. Mais, vois-tu bien, je ne suis plus soufferte Dans le logis de la marâtre Berthe ; Je suis chassée ; il me faut un abri ; Et par besoin je dois prendre un mari. C'est en pleurant que je cause ta peine. D'un grand projet j'ai la cervelle pleine ; Mais je ne sais comment m'y prendre, hélas ! Que devenir ?... Dis-moi, ne sais-tu pas Si monseigneur doit venir dans ses terres ? Bientôt ? Ah ! S'il pouvait me protéger ici ! On dit qu'à Metz il a fait des merveilles, Qui dans l'armée ont très peu de pareilles ; Que Charles-Quint a loué sa valeur. Un empereur Qui nous a fait bien du mal. Comme le tien, mon coeur est plein d'ennuis. Non loin d'ici quelquefois on me mène Dans un château de la jeune Dormène... Oui, je le sais ; mais cette demoiselle Est autre chose ; elle est de qualité ; On la respecte avec sa pauvreté. Elle a chez elle une vieille personne Qu'on nomme Laure, et dont l'âme est si bonne ! Laure est aussi d'une grande maison. Les gens d'un certain nom, J'ai remarqué cela, chère Colette, En savent plus, ont l'âme autrement faite, Ont de l'esprit, des sentiments plus grands, Meilleurs que nous. Cette Dormène et cette vieille dame Semblent donner quelque chose à mon âme ; Je crois en valoir mieux quand je les vois : J'ai de l'orgueil, et je ne sais pourquoi... Et les bontés de Dormène et de Laure Me font haïr mille fois plus encore Madame Berthe et monsieur Mathurin. Je n'ose ; mais enfin J'ai quelque espoir : que ton conseil m'assiste. Dis-moi d'abord, Colette, en quoi consiste Ce fameux droit du seigneur. Ah ! J'y ferai mon possible. Que de bon coeur j'en fais le sacrifice ! Chère Colette, agissons bien à point, Toi, pour l'avoir ; moi, pour ne l'avoir point Tu gagneras assez à ce partage ; Mais en perdant je gagne davantage. Déboutée ! Hélas ! Je suis bien pis. De mes chagrins mon âme est oppressée ; Ma chaîne est prête, et je suis fiancée, Ou je vais l'être au moins dans un moment. Honnêtement. Entre nous deux, juges-tu sur ma mine Qu'il soit bien doux d'être ici Mathurine ? J'ai par malheur de trop hauts sentiments. Dis-moi, Colette, as-tu lu des romans ? Le baillif Métaprose M'en a prêté... Mon Dieu, la belle chose ! On y voit des amants Si courageux, si tendres, si galants ! Colette, Que les romans rendent l'âme inquiète ! Ils forment trop l'esprit : En les lisant le mien bientôt s'ouvrit ; À réfléchir que de nuits j'ai passées ! Que les romans font naître de pensées ! Que les héros de ces livres charmants Ressemblent peu, Colette, aux autres gens ! Cette lumière était pour moi féconde ; Je me voyais dans un tout autre monde ; J'étais au ciel !... Ah ! Qu'il m'était bien dur De retomber dans mon état obscur ; Le coeur tout plein de ce grand étalage, De me trouver au fond de mon village, Et de descendre, après ce vol divin, Des Amadis à maître Mathurin ! T'en souvient-il autant qu'il m'en souvient, Que ce marquis, ce beau seigneur, qui tient Dans le pays le rang, l'état d'un prince, De sa présence honora la province ? Il s'est passé juste un an et deux mois Depuis qu'il vint pour cette seule fois. T'en souvient-il ? Nous le vîmes à table, Il m'accueillit : ah ! Qu'il était affable ! Tous ses discours étaient des mots choisis, Que l'on n'entend jamais dans ce pays : C'était, Colette, une langue nouvelle, Supérieure et pourtant naturelle ; J'aurais voulu l'entendre tout le jour. Ce jour, Colette, occupe ta mémoire, Où monseigneur, tout rayonnant de gloire, Dans nos forêts, suivi d'un peuple entier, Le fer en main, courait le sanglier ? Je l'ai distincte et claire ; Je crois le voir avec cet air si grand, Sur ce cheval superbe et bondissant ; Près d'un gros chêne il perce de sa lance Le sanglier qui contre lui s'élance Dans ce moment j'entendis mille voix, Que répétaient les échos de nos bois ; Et de bon coeur (il faut que j'en convienne) J'aurais voulu qu'il démêlât la mienne. De son départ je fus encor témoin : On l'entourait, je n'étais pas bien loin. Il me parla... Depuis ce jour, ma chère, Tous les romans ont le don de me plaire Quand je les lis, je n'ai jamais d'ennui ; Il me paraît qu'ils me parlent de lui. C'est la peinture Du coeur humain, je crois, d'après nature. Oh ! Non, je n'ose, et je sens la distance Qu'entre nous deux met son rang, sa naissance. Crois-tu qu'on ait des sentiments si doux Pour ceux qui sont trop au-dessus de nous ? À cette erreur trop de raison s'oppose. Non, je ne l'aime point... mais il est cause Que, l'ayant vu, je ne puis à présent En aimer d'autre... et c'est un grand tourment. Un étourdi prit quelque liberté ; Il s'appelait le chevalier Germance : Son fier maintien, ses airs, son insolence, Me révoltaient, loin de m'en imposer. Il fut surpris de se voir mépriser ; Et, réprimant sa poursuite hardie, Je lui fis voir combien la modestie Était plus fière, et pouvait d'un coup d'oeil Faire trembler l'impudence et l'orgueil. Ce chevalier serait assez passable, Et d'autres moeurs l'auraient pu rendre aimable : Ah ! La douceur est l'appât qui nous prend. Que monseigneur, ô ciel, est différent ! Oh ! Mathurin : c'est sans difficulté. Hélas ! Est-il bien vrai qu'il arrive ? Penses-tu qu'il m'écoute ? Nous le verrons trop tard ; Il n'arrivera point ; on me fiance, Tout est conclu, je suis sans espérance. Berthe est terrible en sa mauvaise humeur ; Mathurin presse, et je meurs de douleur. Hélas ! Dormène, Si je lui parle, entrera dans ma peine : Je veux prier Dormène de m'aider De son appui, qu'elle daigne accorder Aux malheureux ; cette dame est si bonne ! Laure, surtout, cette vieille personne, Par le malheur sensible à la pitié, Qui m'a souvent montré tant d'amitié, Me donnera ses conseils. Oui. Pardon, mon père ; hélas ! Vous excusez Mon embarras, vous le favorisez, Et vous sentez quelle douleur amère Je dois souffrir en quittant un tel père. Comment ! Il vient ? Puisqu'il revient, permettez, mon cher père, De vous prier, devant ma belle-mère, De vouloir bien ne rien précipiter Sans son aveu, sans l'oser consulter ; C'est un devoir dont il faut qu'on s'acquitte ; C'est un respect, sans doute, qu'il mérite. Je dois d'un père, avec raison chéri, Suivre les lois ; il me donne un mari. Tous vos ordres, mon père, Seront suivis ; ils sont pour moi sacrés ; Je vous dois tout... D'où vient que vous pleurez ? Le coeur me bat... Que deviendrai-je ? Hélas ! Moi, j'obéis, et je n'ai rien à dire. J'y songe avec chagrin. Quelle sera cette étrange entrevue ? La peur me prend ; je suis tout éperdue. Il est aimable... Ah ! Je le sais, sans doute. Pourrai-je, hélas ! mériter qu'il m'écoute ? Entrera-t-il dans mes vrais intérêts, Dans mes chagrins et dans mes torts secrets ? Il me croira du moins fort imprudente De refuser le sort qu'on me présente, Un mari riche, un état assuré. Je le prévois, je ne remporterai Que des refus avec bien peu d'estime ; Je vais déplaire à ce coeur magnanime ; Et si mon âme avait osé former Quelque souhait, c'est qu'il pût m'estimer. Mais pourra-t-il me blâmer de me rendre Chez cette dame et si noble et si tendre, Qui fuit le monde, et qu'en ce triste jour J'implorerai pour le fuir à mon tour ?... Où suis-je ?... On ouvre !... À peine j'envisage Celui qui vient... Je ne vois qu'un nuage. Trop de bontés se répandent sur nous ; J'en suis confuse, et ma reconnaissance N'a pas besoin de tant de bienfaisance : Mais avant tout il est de mon devoir De vous prier de daigner recevoir Ces vieux papiers que mon père présente Très humblement. Ah ! Je le suis un moment, Monseigneur, En vous parlant, en vous ouvrant mon coeur ; Mais tant d'audace est-elle ici permise ? Qui douterait de votre probité ? Pardonnez donc à ma plainte importune. Ce mariage aurait fait ma fortune, Je le sais bien ; et j'avouerai surtout Que c'est trop tard expliquer mon dégoût ; Que, dans les champs élevée et nourrie, Je ne dois point dédaigner une vie Qui sous vos lois me retient pour jamais, Et qui m'est chère encor par vos bienfaits. Mais, après tout, Mathurin, le village, Ces paysans, leurs moeurs et leur langage, Ne m'ont jamais inspiré tant d'horreur ; De mon esprit c'est une injuste erreur ; Je la combats, mais elle a l'avantage. En frémissant je fais ce mariage. J'ose à genoux Vous demander, non pas un autre époux, Non d'autres noeuds : tous me seraient horribles ; Mais que je puisse avoir des jours paisibles. Le premier bien serait votre bonté, Et le second de tous, la liberté. Ah ! Que pour moi votre âme est indulgente ! Comme mon sort, mon esprit est borné. Moins on attend, plus on est étonné. Un peu de soins, peut-être, et de lecture Ont pu dans moi corriger la Nature C'est vous surtout, vous qui, dans ce moment, Formez en moi l'esprit, le sentiment ; Qui m'élevez, qui dans moi faites naître L'ambition d'imiter un tel maître. Pour épouser Mathurin ? Mon père quelquefois Me conduisait tout auprès de vos bois, Chez une dame aimable et révérée, .......................... Pleine d'esprit, de sentiments, d'honneur. Elle daigne m'aimer ; votre faveur, Votre bonté peut me placer près d'elle. Ma belle-mère est avare et cruelle ; Elle me hait ; et je hais malgré moi Ce Mathurin qui compte sur ma foi. Voilà mon sort ; vous en êtes le maître. Je ne serai point heureuse peut-être. Je souffrirai ; mais je souffrirai moins En devant tout à vos généreux soins. Protégez-moi ; croyez qu'en ma retraite Je resterai toujours votre sujette. Oui. J'aimerais mieux la servir, servir Laure, Laure si bonne, et qu'à jamais j'honore, Manquer de tout, goûter dans leur séjour Le seul bonheur de vous faire ma cour, Que d'accepter la richesse importune De tout mari qui ferait ma fortune. Auprès de vous ? Ah ! Ciel ! Quoi ! Vous daignez me plaindre ? Ah ! Qu'à mes yeux Mon mariage en est plus odieux ! Qu'il le devient chaque instant davantage ! Ah ! Le voudriez-vous ? Juste ciel ! si j'écoute ! Eh quoi ! Sitôt ? Ciel, prends pitié de mes secrets ennuis. À qui ? Le ciel en soit béni. Et depuis quand ? Comment cela ? Il l'est sans doute. Ma chère enfant, je suis fort satisfaite Que ta fortune ait été sitôt faite : Mon coeur ressent tout ton bonheur... Hélas ! Elle est heureuse, et je ne le suis pas. Va, ces Seigneurs qui peuvent tout oser, N'enlèvent point, crois-moi, pour épouser. Pour nous, Colette, ils ont des fantaisies, Non de l'amour : leurs demandes hardies, Leurs procédés montrent avec éclat Tout le mépris qu'ils font de notre état. C'est le dédain qui me met en colère. Mais Monseigneur le Marquis qu'a-t-il dit ? Hélas ! Du Chevalier je déteste l'amour. Allons, fuyons. Osez-vous bien paraître en ma présence ? J'aimerais mieux qu'il daignât me parler. Ah ! Reste ici : ce ravisseur m'accable. Vous devez être en horreur à vous-même. Madame, à moi ! Quel nom vous me donnez ! Je sais l'état ou mes parents sont nés. Cessez, Monsieur : ce titre est un outrage : C'est s'avilir que d'oser recevoir Un faux honneur qu'on ne doit point avoir ; Je suis Acante, et mon nom doit suffire ; Il est sans tache. Qui ? Moi Monsieur ! Je ne sais pas quel destin vous anime ; Mais commencez par avoir mon estime. Je le désire, et me plais à vous croire; Vous êtes né pour connaître la gloire : Mais ménagez la mienne et me laissez. Hélas ! Madame, une fille perdue, En rougissant, parait à votre vue ; Pourquoi faut-il, pour combler ma douleur, Que l'on me laisse avec mon ravisseur ? Et vous aussi, vous m'accablez, mon père, À ce méchant au lieu de me soustraire, Vous m'amenez vous-même dans ces lieux. Je l'y revois : mon maître fuit mes yeux. Mon père, au moins, c'est en vous que j'espère. Que dites-vous ? Moi, Madame ! Elle ?... Est-il vrai ? Ah ! Je succombe ; hélas : est-ce un bonheur ? De Laure je suis fille ! Et pourquoi donc faut-il que ma famille M'ait tant caché mon état et mon nom ? D'où peut venir ce fatal abandon ? D'où vient qu'enfin daignant me reconnaître Ma mère ici n'a point osé paraître ? Ah ! S'il est vrai que le sang nous unit, Sur ce mystère éclairez mon esprit. Parlez, Monsieur, et dissipez ma crainte. Laure, est ma mère, et je ne la vois pas ! J'admire en tout ma fortune nouvelle. Quoi ! J'ai l'honneur d'être de la Maison De Monseigneur ? Abusez-vous de mon esprit crédule, Et voulez-vous me rendre ridicule ? Moi de son sang ! Ah ! S'il était ainsi, Il me l'eût dit : je le verrais ici. Ah ! Je le vois. Quel qu'il puisse être, il passe mes souhaits. Je dépendrai de vous plus que jamais. Hé bien ! Mon Protecteur ?... Quoi ? Monsieur... Je suis reconnaissante, Je suis confuse... Ah ! C'en est trop pour moi, Mais j'ai perdu plus que je ne reçois ; Et ce n'est pas la fortune que j'aime. Mon état change, et mon âme est la même ; Elle doit être à vous... Ah ! Permettez Que, le coeur plein de vos rares bontés, J'aille oublier ma première misère, J'aille pleurer dans le sein de ma mère. Vous partez. La vérité, Madame. La vérité plaît à votre belle âme. Hélas !... Ah ! Je tombe à vos pieds... **** *creator_voltaire *book_voltaire_droitduseigneur *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_droitduseigneur *dist2_voltaire_verse_comedy *id_BERTHE *date_1749 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_berthe Qui m'a désobéi ? Qui contredit, s'il vous plaît, quand j'ordonne ? Serait-ce vous, mon mari ? Vous ? Allez, allez, épargnez-vous ce soin ; C'est de moi seule ici qu'on a besoin ; Et quand la chose une fois sera faite, Il faudra bien, ma foi, qu'il la permette. Mais il faut suivre ce que je dis. Je ne veux plus souffrir dans mon logis, À mes dépens, une fille indolente, Qui ne fait rien, de rien ne se tourmente, Qui s'imagine avoir de la beauté Pour être en droit d'avoir de la fierté. Mademoiselle, avec sa froide mine, Ne daigne pas aider à la cuisine ; Elle se mire, ajuste son chignon, Fredonne un air en brodant un jupon, Ne parle point, et le soir, en cachette, Lit des romans que le baillif lui prête. Eh bien ! Voyez, elle ne répond rien. Je me repens de lui faire du bien. Elle est muette ainsi qu'une pécore. Eh ! Finissons. Allons, qu'on se dépêche : Quels sots propos ! Suivez-moi promptement Chez le baillif. Allons, Acanthe. Quoi donc ! Sans sourciller ? Mais parlez donc. Quel chemin vous prenez ! Êtes-vous folle ? Et quand on doit se rendre À son devoir, faut-il se faire attendre ? Vous me glacez : votre mauvaise humeur Jusqu'à la fin vous sera reprochée. On vous marie, et vous êtes fâchée. Hom, l'idiote ! Allons, çà, Mathurin, Soyez le maître, et donnez-lui la main. Voyez la malhonnête ! Elle rechigne, et détourne la tête ! Et rien pour moi ? Eh ! Pourquoi tant s'effaroucher ? La chose Est bonne au fond, quoique le monde en cause, Et notre honneur ne peut s'en tourmenter. J'en fis l'épreuve ; et je puis protester Qu'à mon devoir quand je me fus rendue, On s'en alla dès l'instant qu'on m'eut vue. Cependant la raison Doit conseiller de fuir l'occasion. Hâtons la noce, et n'attendons personne. Préparez tout, mon mari, je l'ordonne. Mathurin, que crains-tu ? Eh quoi, benêt, te voilà bien à plaindre ! Marchons, marchons ; tous ces beaux compliments Sont pauvretés qui font perdre du temps. Venez, Colette. Oui, votre honneur Sera honteux de cette vilenie ; Et je n'aurais pas cru cette infamie D'un grand seigneur si bon, si libéral. Bien du mal. Il parle tout de bon ; Et l'on croirait, mon cher, à la façon Dont monseigneur regarde cette injure, Que c'est à lui qu'on a pris la future. **** *creator_voltaire *book_voltaire_droitduseigneur *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_droitduseigneur *dist2_voltaire_verse_comedy *id_COLETTE *date_1749 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_colette Je t'y prends, traître ! Tu feins de ne me pas connaître ? Mathurin ! Mathurin ! Tu causeras ici plus d'un chagrin. De tes bonjours je suis fort étonnée, Et tes bonjours valaient mieux l'autre année : C'était tantôt un bouquet de jasmin, Que tu venais me placer de ta main ; Puis des rubans pour orner ta bergère ; Tantôt des vers, que tu me faisais faire Par le baillif, qui n'y comprenait rien, Ni toi ni moi, mais tout allait fort bien : Tout est passé, lâche ! tu me délaisses. Après tant de promesses, Tant de banquets acceptés et rendus, C'en est donc fait ? Je ne te plais donc plus ? Et pourquoi, misérable ? Eh ! Va, va, ta Colette N'est plus si sotte, et sa raison s'est faite. Le diable est juste, et tu diras pourquoi Tu prends les airs de te moquer de moi. Pour avoir fait à Paris un voyage, Te voilà donc petit-maître au village ? Tu penses donc que le droit t'est acquis D'être en amour fripon comme un marquis ? C'est bien à toi d'avoir l'âme inconstante ! Toi, Mathurin, me quitter pour Acanthe ! Et quelle est la raison ? Adieu ! Non pas, traître ! je te suivrai, Et contre ton contrat je m'inscrirai. Mon père était procureur ; ma famille A du crédit, et j'en ai ; je suis fille, Et monseigneur donne protection, Quand il le faut, aux filles du canton ; Et devant lui nous ferons comparaître Un gros fermier qui fait le petit-maître, Fait l'inconstant, se mêle d'être un fat. Je te ferai rentrer dans ton état : Nous apprendrons à ta mine insolente À te moquer d'une pauvre innocente. Vous ne bâclerez rien, non ; je m'oppose À ses contrats, à ses noces, à tout. Oh ! Tu n'es pas au bout. Gardez-vous bien, s'il vous plaît, ma voisine, De vous laisser enjôler sur sa mine : Il me trompa quatorze mois entiers. Chassez cet homme. Oui, vilain. Il t'en cuira, je t'en réponds. Eh bien ! Fripon, tu crois que tu l'auras ? Moi, je te dis que tu ne l'auras pas. N'en fais rien, mon enfant, Refuse tout, laisse ta belle-mère, Viens avec moi. Ah ! N'en fais rien, crois-moi, ma chère amie. Du mariage aurais-tu tant d'envie ? Tu peux trouver beaucoup mieux... que sait-on ? Aimerais-tu ce méchant ? Nous l'attendons. Je ne sais guère Dans mon taudis les nouvelles de cour : Mais s'il revient, ce doit être un grand jour. Il met, dit-on, la paix dans les familles, Il rend justice, il a grand soin des filles. Je prétends bien qu'il me protège aussi. Qu'est-ce que Charles-Quint ? Et qu'importe ? Ne m'en faites pas, vous, et que je sorte À mon honneur du cas triste où je suis. Prés de nos bois ?... Ah le plaisant château ! De Mathurin le logis est plus beau ; Et Mathurin est bien plus riche qu'elle. Qu'importe encor ? Oui, dès leurs premiers ans, Avec grand soin leur âme est façonnée ; La nôtre, hélas languit abandonnée. Comme on apprend à chanter, à danser, Les gens du monde apprennent à penser. Quitte-les tous. Oh, ma foi ! Va consulter de plus doctes que moi. Je ne suis point mariée ; et l'affaire, À ce qu'on dit, est un très grand mystère. Seconde-moi, fais que je vienne à bout D'être épousée, et je te dirai tout. Ma mère Est très alerte, et conduit mon affaire ; Elle me fait, par un acte plaintif, Pousser mon droit par devant le baillif : J'aurai, dit-elle, un mari par justice. Vous l'avez dit, je suis Colette. Fi donc, monsieur ! J'ai vingt ans, tout au plus. L'âge, monsieur, ne fait rien à la chose ; Et, jeune ou non, sachez que je m'oppose À tout contrat qu'un Mathurin sans foi Fera jamais avec d'autres que moi. J'ai cent raisons. Oh ! Oui, monsieur. Pardon, monsieur. Oh tant ! J'aurais plus d'un mari sans lui ; Et me voilà pauvre fille aujourd'hui. Mille pour une, et pleines de tendresses. Il promettait, il jurait que dans peu Il me prendrait en légitime noeud. Je n'en ai point ; jamais il n'écrivait, Et je croyais tout ce qu'il me disait. Quand tous les jours on parle tête à tête À son amant, d'une manière honnête, Pourquoi s'écrire ? À quoi bon ? Moi ? Point du tout ; mon témoin c'est moi-même : Est-ce qu'on prend des témoins quand on s'aime ? Et puis, monsieur, pouvais-je deviner Que Mathurin osât m'abandonner ? Il me parlait d'amitié, de constance ; Je l'écoutais, et c'était en présence De mes moutons, dans son pré, dans le mien : Ils ont tout vu, mais ils ne disent rien. Mais Un Mathurin aura donc l'insolence Impunément d'abuser l'innocence ? Rayez cela ; je ne veux pas qu'on dise Dans le pays une telle sottise. Mon honneur est très intact ; et, pour peu Qu'on l'eût blessé, l'on aurait vu beau jeu. Être vengée. Écrivez donc tout ce qu'il vous plaira. Comment, produite ? Eh ! Rien ne produit rien. Traître baillif, qu'entendez-vous ? Me débouter, moi ? Maudit baillif ! Je suis déboutée ? Non, non, baillif ; vous aurez beau conclure, Instrumenter et signer, je vous jure Qu'il n'aura point son Acanthe. J'aimerais mieux le reste de ma vie Demeurer fille. Ah ! Comment faire ? Où reprendre mon bien ? J'ai protesté ; cela ne sert de rien. On va signer : que je suis tourmentée ! À mon secours ! Me voilà déboutée. Oui ; l'ingrat vous est promis. On me déboute. Ne hais-tu pas mon lâche ? Non pas pour toi ; tu portes dans ton air Je ne sais quoi de brillant et de fier : À Mathurin cela ne convient guère, Et ce maraud était mieux mon affaire. Moi ? non, jamais. En quoi si belle ? Oh ! Mathurin n'est pas comme eux. Et d'où vient donc ? Votre propos me ravit ; et je jure Que j'ai déjà du goût pour la lecture. Tu l'entendras, sans doute, à son retour. Oui, quelque idée et confuse et légère Peut m'en rester. Ah ! Qu'un roman est beau ! D'après nature !... Entre nous deux, ton coeur N'aime-t-il pas en secret monseigneur ? Mais de tous ceux qui le suivaient, ma bonne, Aucun n'a-t-il cajolé ta personne ? J'avouerai, moi, que l'on m'en a conté. Ce chevalier n'était donc guère sage ? Çà, qui des deux te déplaît davantage, De Mathurin ou de cet effronté ? Mais, monseigneur est bon il est le maître ; Pourrait-il pas te dépêtrer du traître ! Tu me parais si belle Je crois, Que tu pourras mieux réussir que moi. Sans doute, Car on le dit, J'en suis certaine, et je retiens ma part De ses bontés. Eh ! Moque-toi de Berthe. À notre âge, Il faut de bons amis, rien n'est plus sage. Tu trembles. Par ces lieux détournés Viens avec moi. Non, rien, méchant ; tu n'auras qu'un refus. Et va, va, fiançailles Assez souvent ne sont pas épousailles. Laisse-moi faire. Mon Dieu, non. Le traître, le fripon, Croit dans l'instant prendre Acanthe pour femme. Bon, tenez ferme. Je le crois bien. Non, tu ne l'auras pas, non, Mathurin. Oh ! Tu ne l'auras pas ; Je te le dis, tu me demeureras. Oui, Monseigneur, vous me rendrez justice ; Vous ne souffrirez pas qu'il me trahisse ; Il m'a promis... Ça n'y fait rien, et Monseigneur saura Qu'on force Acanthe à ce beau marché-là, Qu'on la maltraite, et qu'on la violente, Pour épouser. Et de moi donc ? Va, tu verras. Oui, fripon. Oh ! nous aimons la loi, nous. Adieu, ma chère amie. Je recommande à votre prudhommerie Mon Mathurin ; vengez-moi des ingrats. Oh ! J'accours , Monseigneur, Preste en tout temps et toujours de grand coeur. Oui, sur ma vie : N'en doutez pas, c'est ma plus forte envie. Que faut-il faire ? Oui, l'un et l'autre. Ou Mathurin, ou tout antre que lui, Qui vous voudrez, j'obéis sans réplique. Trois mille francs ! Ah ! L'homme magnifique ! Le beau présent ! Que Monseigneur est bon! Que Mathurin va bien changer de ton ! Qu'il va m'aimer ! Que je vais être fière! De ce pays je serai la première, Je meurs de joie. Et mon amie Acante Que devient elle ? On va la marier, À ce qu'on dit, à ce beau chevalier. Tout le monde est heureux : j'en suis charmée, Ma chere Acante. Ma chère Acante, on t'avait fiancée ; Moi déboutée, on me marie. À Mathurin. Eh ! Depuis tout à l'heure. Du fond de ma demeure, J'ai comparu devant mon bon Seigneur. Ah ! La belle âme ! Ah ! Qu'il est plein d'honneur ! Oui, mon aimable Acante. Il m'a promis une dot opulente, Fait ma fortune , et tout le monde dit Qu'il fait la tienne, et l'on s'en réjouît. Tu vas, dit-on, devenir chevalière : Cela te sied, car ton allure est fière. On te fera Dame de qualité, Et tu me recevras avec bonté. Que dis tu, là ? Qu'as-tu donc dans ton âme ? Peut-on souffrir quand on est grande Dame ? Bon ! Des dédains ! C'est bien tout le contraire. Rien n'est plus beau que ton enlèvement. On t'aime, Acante, on t'aime assurément. Le Chevalier va t'épouser, te dis je, Tout grand Seigneur qu'il est. Cela t'afHige? Lui ? Rien du tout. C'est un esprit Tout en dedans, secret, plein de mystère ; Mais il parait fort approuver l'affaire. Oui ! Oui ! Plains-toi de te voir, en un jour, De Mathurin pour jamais délivrée, D'un beau Seigneur poursuivie, adorée : Un mariage en un moment cassé, Par Monseigneur un autre commencé. Si cet Amant n'a pas de quoi te plaire, Tu me parais difficile, ma chère. Tiens, le vois-tu, celui qui t'enleva ? Il vient à toi ; n'est-ce rien que cela ? T'ai-je trompée ? Es-tu donc tant à plaindre ? Qu'avais-je dit ? Ce ravisseur est pourtant fort aimable. Madame !... Oh ! Oh ! Quel est donc ce langage ? C'est son remords extrême. Bon ! Double injure. Cet homme est fou ; je l'ai pensé toujours. Dormene vient, ma chère, à ton secours. Démêle toi de cette grande affaire : Ou donne grâce, ou garde ta colère ; Ton rôle est beau, tu fais ici la loi, Tu vois les Grands à genoux devant toi. Pour moi je suis condamnée au Village. On ne m'enlève point, et j'en enrage. On vient, adieu : suis ton brillant destin ; Et je retourne à mon gros Mathurin. **** *creator_voltaire *book_voltaire_droitduseigneur *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_droitduseigneur *dist2_voltaire_verse_comedy *id_CHAMPAGNE *date_1749 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_champagne Oui, nous avons terminé la campagne : Nous avons sauvé Metz, mon maître et moi ; Et nous aurons la paix. Vive le roi ! Quelle indolence ! Et quel air de froideur ! Vive mon maître !... Il a bien du courage ; Mais il est trop sérieux pour son âge ; J'en suis fâché. Je suis bien aise aussi, Mon vieux Dignant, de te trouver ici ; Tu me parais en grande compagnie. Bon ! Tant mieux ! Nous danserons, nous serons tous joyeux. Ta fille est belle... Ha ! ha ! C'est toi. Colette ; Ma chère enfant, ta fortune est donc faite ? Mathurin est ton mari ? Il fait fort mal. Il fait fort bien ; je réponds sur mon âme Que cet hymen à mon maître agréera, Et que la noce à ses frais se fera. Peut-être ce soir même. Oh ! Oh ! Nos gens viennent en diligence. Eh quoi ! Déjà le chevalier Gernance ? Vous êtes fin, monsieur le chevalier ; Très à propos vous venez le premier. Dans tous vos faits votre beau talent brille ; Vous vous doutez qu'on marie une fille ; Acanthe est belle, au moins. Oui, le projet est beau. Oui, c'est Laure, je crois. Cette vieille était jeune autrefois ; Je m'en souviens, votre étourdi de père Eut avec elle une certaine affaire, Où chacun d'eux fit un mauvais marché. Ma foi, c'était un maître débauché Tout comme vous, buvant, aimant les belles, Les enlevant, et puis se moquant d'elles. Il mangea tout, et ne vous laissa rien. Eh que ne prenez-vous cette Dormène ? Bien plus qu'Acanthe elle en vaudrait la peine ; Elle est très fraîche, elle est de qualité ; Cela convient à votre dignité : Laissez pour nous les filles du village. Mais croyez-vous que monseigneur rira ? C'est bien pensé ; mais vos déportements Sont dangereux, je crois, pour ma personne. Fort bien. On ne peut mieux ; mais votre belle Acanthe Est bien revêche. Je crois que nous sommes trahis ; C'est du secours qui vient aux ennemis : J'entends grand bruit, c'est monseigneur.