**** *creator_voltaire *book_voltaire_ducdalencon *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_ducdalencon *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_NEMOURS *date_1751 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_nemours Enfin, après trois ans, tu me revois, Dangeste ! Mais en quels lieux, ô ciel ! En quel état funeste ! Mes déplorables jours sont trop en sûreté ; Ma blessure est légère, elle m'est insensible ; Que celle de mon cour est profonde et terrible ! Qu'il est dur bien souvent d'être aux mains de son frère ! Il m'aimait autrefois, c'est ainsi qu'on commence ; Mais bientôt l'amitié s'envole avec l'enfance. Ah ! Combien le cruel s'est éloigné de moi ! Infidèle à l'État, à la nature, au roi, On dirait qu'il a pris d'une race étrangère La farouche hauteur et le dur caractère ! Il ne sait pas encor ce qu'il me fait souffrir, Et mon cour déchiré ne saurait le haïr. Non, la vengeance, ami, n'entra point dans mon cour ; Qu'un soin trop différent égara ma valeur ! Ah ! Parle : est-il bien vrai ce que la renommée Annonçait dans la France à mon âme alarmée ; Est-il vrai qu'un objet illustre, malheureux, Un cour trop digne, hélas ! De captiver ses voux, Adélaïde, enfin, le tient sous sa puissance ? Qu'a-t-on dit ? Que sais-tu de leur intelligence ? Ô honte ! Ô désespoir dont je ne suis pas maître ! Ô sort ! Ô jour funeste, Qui de ma triste vie arrachera le reste ! En quelles mains, ô ciel, mon malheur m'a remis ! M'as-tu pu méconnaître ? Ce nom jadis si cher, ce nom me désespère. Je ne le suis que trop, ce frère infortuné, Ton ennemi vaincu, ton captif enchaîné. Tu fais le malheur de ma vie ; Je voudrais qu'aujourd'hui ta main me l'eût ravie. Les troubles de mon cour sont encor plus affreux. Je te plains davantage De haïr ton pays, de trahir sans remords Et le roi qui t'aimait, et le sang dont tu sors. Toi ! tu pourrais... Ce jour est trop horrible ! Comment ? Je te crois ; on disait que d'un amour extrême, Violent, effréné (car c'est ainsi qu'on aime), Ton cour depuis trois mois s'occupait tout entier ? Cruel !... Elle vous aime ! Quels effroyables coups le cruel me prépare ! Écoute ! À ma douleur ne veux-tu qu'insulter ? Me connais-tu ? Sais-tu ce que j'osais tenter ? Dans ces funestes lieux sais-tu ce qui m'amène ? Il fait ce que je veux, et c'est pour m'accabler. Ô frère trop cruel ! Il faut parler. Le ciel met entre nous un obstacle éternel. Moi, que je tremble ! Ah ! J'ai trop dévoré L'inexprimable horreur où toi seul m'as livré ; J'ai forcé trop longtemps mes transports au silence ; Connais-moi donc, barbare, et remplis ta vengeance ! Connais un désespoir à tes fureurs égal : Frappe ! Voilà mon cour, et voilà ton rival ! Oui, depuis deux années L'amour le plus secret a joint nos destinées. C'est toi dont les fureurs ont voulu m'arracher Le seul bien sur la terre où j'ai pu m'attacher ; Tu fais depuis trois mois les horreurs de ma vie ; Les maux que j'éprouvais passaient ta jalousie. Par tes égarements, juge de mes transports. Nous puisâmes tous deux dans ce sang dont je sors L'excès des passions qui dévorent une âme ; La nature à tous deux fit un cour tout de flamme ; Mon frère est mon rival, et je l'ai combattu ; J'ai fait taire le sang, peut-être la vertu ; Furieux, aveuglé, plus jaloux que toi-même, J'ai couru, j'ai volé, pour t'ôter ce que j'aime. Rien ne m'a retenu ni tes superbes tours, Ni le peu de soldats que j'avais pour secours, Ni le lieu, ni le temps, ni surtout ton courage Je n'ai vu que ma flamme, et ton feu qui m'outrage. Je ne te dirai point que, sans ce même amour, J'aurais, pour te servir, voulu perdre le jour ; Que, si tu succombais à tes destins contraires, Tu trouverais en moi le plus tendre des frères ; Que Nemours, qui t'aimait, eût immolé pour toi Tout dans le monde entier, tout, hors elle et mon roi. Je ne veux point en lâche apaiser ta vengeance : Je suis ton ennemi, je suis en ta puissance ; L'amour fut dans mon cour plus fort que l'amitié ; Sois cruel comme moi, punis-moi sans pitié ; Aussi bien, tu ne peux t'assurer ta conquête, Tu ne peux l'épouser, qu'aux dépens de ma tête. A la face des cieux je lui donne ma foi ; Je te fais de nos voux le témoin malgré toi. Frappe, et qu'après ce coup ta cruauté jalouse Traîne au pied des autels ta sour et mon épouse ! Frappe, dis-je : oses-tu ? Non ; mais suis-je réduit à me justifier ? Coucy, ce peuple est juste, il t'apprend à connaître Que mon frère est rebelle, et que Charle est son maître. Ne vous en flattez pas : vos soins sont inutiles. Si la discorde seule avait armé mon bras, Si la guerre et la haine avaient conduit mes pas, Vous pourriez espérer de réunir deux frères L'un de l'autre écartés dans des partis contraires ; Un obstacle plus grand s'oppose à ce retour. Ah ! Reconnais l'amour ; Reconnais la fureur qui de nous deux s'empare, Qui m'a fait téméraire, et qui le rend barbare. Je vous la donne. Non, non, ce peuple en vain s'armait pour ma défense ; Mon frère, teint de sang, enivré de vengeance, Devenu plus jaloux, plus fier, et plus cruel, Va traîner à mes yeux sa victime à l'autel. Je ne suis donc venu disputer ma conquête, Que pour être témoin de cette horrible fête ? Et dans le désespoir où je me sens plonger, Par sa fuite du moins mon cour peut se venger. Juste ciel ! Prisonnier sur ma foi, dans l'horreur qui me presse, Je suis plus enchaîné par ma seule promesse Que si de cet État les tyrans inhumains Des fers les plus pesants avaient chargé mes mains. Au pouvoir de mon frère ici l'honneur me livre. Je puis mourir pour elle, et je ne peux la suivre. On la conduit déjà par des détours obscurs, Qui la rendront bientôt sous ces coupables murs : L'amour nous a rejoint, que l'amour nous sépare. Il n'oserait. Il tremblera bientôt : le roi vient et nous venge ; La moitié de ce peuple à ses drapeaux se range. Ne craignons rien, ami... Ciel ! Quel tumulte affreux ! Il ne te trahit point, mais il t'offre sa tête. Porte à tous les excès ta haine et ta fureur. Va, ne perds point de temps : le ciel arme un vengeur. Tremble ! Ton roi s'approche ; il vient, il va paraître ; Tu n'as vaincu que moi : redoute encor ton maître. Cruel, de notre sang je connais les ardeurs : Toutes les passions sont en nous des fureurs. J'attends la mort de toi ; mais, dans mon malheur même, Je suis assez vengé l'on te hait, et l'on m'aime. J'ose encor te revoir, te plaindre et t'embrasser. Tous deux auprès du roi nous voulions te servir. Quel est donc ton dessein ?... Parle. Ah ! Ton frère à tes pieds, digne de ta clémence, Égale tes bienfaits par sa reconnaissance. **** *creator_voltaire *book_voltaire_ducdalencon *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_ducdalencon *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_DANGESTE *date_1751 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_dangeste Seigneur, vous pouvez tout. Osez le nommer roi. Qu'avec étonnement, seigneur, je vous contemple ! Que vous donnez au monde un rare et grand exemple ! Quoi ! Ce cour (je le crois sans feinte et sans détour) Connaît l'amitié seule et peut braver l'amour ! Il faut vous admirer, quand on sait vous connaître ; Vous servez votre ami, vous servirez mon maître. Un cour si généreux doit penser comme moi ; Tous ceux de votre sang sont l'appui de leur roi ; Mais du duc d'Alençon la fatale poursuite... Vos jours sont en péril, et ce sang agité... Rendez grâces au ciel de ce qu'il a permis Que vous soyez tombé sous de tels ennemis, Non sous le joug affreux d'une main étrangère. Mais, ensemble élevés, dans des temps plus heureux, La plus tendre amitié vous unissait tous deux. Il ne soupçonne pas qu'il ait en sa puissance Un frère infortuné qu'animait la vengeance. Prisonnier comme vous dans ces murs odieux, Ces mystères secrets offenseraient mes yeux ; Et tout ce que j'ai su... Mais je le vois paraître. Ah ! Seigneur, où l'avez-vous conduite ? Quoi ! Vous l'abandonnez, vous ordonnez sa fuite ! Elle ne veut partir qu'en suivant son époux ; Laissez-moi seul du prince affronter le courroux. Cependant vous restez au pouvoir d'un barbare. Seigneur, de votre sang l'Anglais est altéré ; Ce sang à votre frère est-il donc si sacré ? Craindra-t-il d'accorder, dans son courroux funeste, Aux alliés qu'il aime un rival qu'il déteste ? Son cour ne connaît point de frein. Il vous a menacé : menace-t-il en vain ? Non, cruel, c'est à moi de mourir. J'ai tout fait, c'est par moi que ta garde est séduite ; J'ai gagné tes soldats, j'ai préparé sa fuite. Punis ces attentats et ces crimes si grands, De sortir d'esclavage et de fuir ses tyrans ; Mais respecte ton frère, et sa femme, et toi-même. Il ne t'a point trahi, c'est un frère qui t'aime : Il voulait te servir quand lu veux l'opprimer ; Est-ce à toi de punir quand le crime est d'aimer ? Seigneur... Ah ! Ciel ! Coucy, digne héros, qui lui donnes la vie... Oui, seigneur, avec lui j'embrasse vos genoux ; La plus tendre amitié va me rejoindre à vous : Vous nous payez trop bien de nos douleurs souffertes.