**** *creator_voltaire *book_voltaire_enfantprodigue *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_enfantprodigue *dist2_voltaire_verse_comedy *id_FIERENFAT *date_1736 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_fierenfat Je l'avouerai, cette donation Doit augmenter la satisfaction Que vous avez d'un si beau mariage. Surcroît de biens est l'âme d'un ménage : Fortune, honneurs, et dignités, je crois, Abondamment se trouvent avec moi ; Et vous aurez dans Cognac, à la ronde, L'honneur du pas sur les gens du beau monde. C'est un plaisir bien flatteur que cela : Vous entendrez murmurer : « La voilà ! » En vérité, quand j'examine au large Mon rang, mon bien, tous les droits de ma charge, Les agréments que dans le monde j'ai, Les droits d'aînesse où je suis subrogé, Je vous en fais mon compliment, madame. Ce n'est pas vous probablement, ma mie, À qui mon père aujourd'hui me marie ; C'est à madame : ainsi donc, s'il vous plaît, Prenez à nous un peu moins d'intérêt. Le silence est votre fait... Vous, madame, Qui dans une heure ou deux serez ma femme, Avant la nuit vous aurez la bonté De me chasser ce gendarme effronté, Qui, sous le nom d'une fille suivante, Donne carrière à sa langue impudente. Je ne suis pas un président pour rien ; Et nous pourrions l'enfermer pour son bien. Eh quoi, monsieur ? Ah ! Je prétends, moi, l'aller consoler. Vous savez tous comme je le gouverne ; Et d'assez près la chose nous concerne : Je le connais ; et dès qu'il me verra Contrat en main, d'abord il signera. Le temps est cher, mon nouveau droit d'aînesse Est un objet. Détrompez-vous, beau-père, Je n'ai jamais requis cette union : Je ne promis que sous condition, Me réservant toujours an fond de l'âme Le droit de prendre une plus riche femme. De mon aîné l'exhérédation, Et tous ses biens en ma possession, À votre fille enfin m'ont fait prétendre : Argent comptant fait et beau-père et gendre. Mon frère ? Moi, je ne l'ai jamais vu ; Et du logis il était disparu Lorsque j'étais encor dans notre école, Le nez collé sur Cujas et Barthole. J'ai su depuis ses beaux déportements ; Et si jamais il reparaît céans, Consolez-vous, nous savons les affaires, Nous l'enverrons en douceur aux galères. Nos pères l'ont ordonné de la sorte ; En droit écrit leur volonté l'emporte. Lisez Cujas, chapitres cinq, six, sept : "Tout libertin de débauches infect, Qui, renonçant à l'aile paternelle, Fuit la maison, ou bien qui pille icelle, Ipso facto, de tout dépossédé, Comme un bâtard il est exhérédé." Ah ! Qu'une femme entend mal les affaires ! Oui, je donne à mon frère... Je donne... allons... Vous ne pouvez ? Quelle raison ? Quelle nouvelle A-t-il apprise ? Ah ! Monsieur, la pâleur De son visage efface la couleur. Mais après tout, mon père, voulez-vous... ? Eh ! Mais, mon père... En vérité, cela ne va pas mal : J'ai tant pressé, tant sermonné mon père, Que malgré lui nous finissons l'affaire. Où sont ces gens qui voulaient me servir ? Qui de vous deux sait lire ? Il sait sans doute écrire ? Mais il devrait savoir aussi parler. Il a pourtant la mine assez hardie ; Il me paraît qu'il sent assez son bien. Combien veux-tu gagner de gages ? À ce prix-là, viens, sois mon domestique ; C'est un marché que je veux accepter ; Viens, à ma femme il faut te présenter. Oui, oui, je me marie. Dès ce soir. Oui. Hem ! Oui. Vous semblez bien curieux, mon drôle ! Qu'est-ce qu'il dit ? Eh ! Je le crois : mon homme est téméraire. Çà, qu'on me suive, et qu'on soit diligent, Sobre, frugal, soigneux, adroit, prudent, Respectueux ; allons, La Fleur, La Brie, Venez, faquins. Ou quelque diable a troublé ma visière, Ou, si mon oeil est toujours clair et net, Je suis... j'ai vu... je le suis... j'ai mon fait. Ah ! C'est donc toi, traître, impudent, faussaire ! De la vertu ? Quoi ! Lui baiser la main ! De la vertu ? Scélérat ! Non, tout ceci m'assomme : Si c'eût été du moins un gentilhomme ! Mais un valet, un gueux contre lequel, En intentant un procès criminel, C'est de l'argent que je perdrais peut-être !... Ah ! Traître ! Je te ferai pendre ici, sur ma foi ! Tu ris, coquine ! Et pourquoi ? De quoi ris-tu ? Tu ne sais pas à quoi ceci t'expose, Ma bonne amie, et ce qu'au nom du roi On fait parfois aux filles comme toi ? Et vous semblez vous boucher les oreilles, Vous, infidèle avec votre air sucré, Qui m'avez fait ce tour prématuré ; De votre coeur l'inconstance est précoce ; Un jour d'hymen ! Une heure avant la noce ! Voilà, ma foi, de votre probité ! Quelle innocence ! Plaisant chemin pour avoir de l'estime ! Savez-vous bien que l'on perd son douaire, Son bien, sa dot, quand... Je n'y puis plus tenir. A moi, mes gens ! Allez me chercher des sergents. Je te ferai connaître Ce que l'on doit de respect à son maître, À mon état, à ma robe. Moi... moi ? Ce drôle est bien osé. C'est quelque amant en valet déguisé. Qui donc es-tu ? Réponds-moi. Il dépendra bientôt de la justice, Je t'en réponds ; va, va, je cours hâter Tous mes recors, et vite instrumenter. Allez, perfide, et craignez ma colère ; J'amènerai vos parents, votre père ; Votre innocence en son jour paraîtra, Et comme il faut on vous estimera. Ah ! Les fripons, ils sont fins et subtils. Où les trouver ? Où sont-ils ? Où sont-ils ? Où cachent-ils ma honte et leur fredaine ? J'ai... qu'on m'a fait cocu. Oui, oui, ma femme. Allez, Dieu me préserve De lui donner le nom que je lui dois ! Je suis cocu, malgré toutes les lois. Hélas ! Il est trop vrai, beau-père. Oh ! La chose est fort claire. C'est moi qu'on pousse à bout. Vous pouvez croire tout. Mon fait pourtant est facile à comprendre. Étranglez donc, car la chose est prouvée. Ah ! Le voici qui parle encore à Lise. Prenons notre homme hardiment par surprise, Montrons un coeur au-dessus du commun. Qui donc ? Vous vous moquez ! Ce fripon, mon frère ? Oh ! Oh ! Je joue un fort singulier rôle : Tudieu, quel frère ! La vilaine âme ! Il ne revient que pour m'ôter ma femme ! Je gagne en cette affaire Beaucoup, sans doute, en trouvant un mien frère : Mais cependant je perds en moins de rien Mes frais de noce, une femme, et du bien. **** *creator_voltaire *book_voltaire_enfantprodigue *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_enfantprodigue *dist2_voltaire_verse_comedy *id_RONDON *date_1736 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_rondon Mon triste ami, mon cher et vieux voisin, Que de bon coeur j'oublierai ton chagrin ! Que je rirai ! Quel plaisir ! Que ma fille Va ranimer ta dolente famille ! Mais mons ton fils, le sieur de Fierenfat, Me semble avoir un procédé bien plat. Tout fier de sa magistrature Il fait l'amour avec poids et mesure. Adolescent qui s'érige en barbon, Jeune écolier qui vous parle en Caton, Est, à mon sens, un animal bernable ; Et j'aime mieux l'air fou que l'air capable : Il est trop fat. Ah ! Je suis fait ainsi. J'aime le vrai, je me plais à l'entendre ; J'aime à le dire, à gourmander mon gendre, À bien mater cette fatuité, Et l'air pédant dont il est encrouté. Vous avez fait, beau-père, en père sage, Quand son aîné, ce joueur, ce volage, Ce débauché, ce fou, partit d'ici, De donner tout à ce sot cadet-ci ; De mettre en lui toute votre espérance, Et d'acheter pour lui la présidence De cette ville : oui, c'est un trait prudent. Mais dès qu'il fut monsieur le président Il fut, ma foi, gonflé d'impertinence : Sa gravité marche et parle en cadence, Il dit qu'il a bien plus d'esprit que moi, Qui, comme on sait, en ai bien plus que toi. Il est... Va, va, laisse, qu'importe ? Tous ces défauts, vois-tu, sont comme rien Lorsque d'ailleurs on amasse un gros bien. Il est avare ; et tout avare est sage. Oh ! C'est un vice excellent en ménage, Un très bon vice. Allons, dès aujourd'hui Il est mon gendre, et ma Lise est à lui. Il reste donc, notre triste beau-père, À faire ici donation entière De tous vos biens, contrats, acquis, conquis, Présents, futurs, à monsieur votre fils, En réservant sur votre vieille tête D'un usufruit l'entretien fort honnête ; Le tout en bref arrêté, cimenté, Pour que ce fils, bien cossu, bien doté, Joigne à nos biens une vaste opulence : Sans quoi soudain ma Lise à d'autres pense. Tant mieux ! Tant mieux ! Voilà-t-il pas de vos jérémiades, De vos regrets, de vos complaintes fades ? Voulez-vous pas que ce maître étourdi, Ce bel aîné dans le vice enhardi, Venant gâter les douceurs que j'apprête, Dans cet hymen paraisse en trouble-fête ? Voulez-vous qu'il vienne sans façon Mettre en jurant le feu dans la maison ? Qu'il vous batte, et qu'il m'enlève Lise ? Lise autrefois à cet aîné promise ; Ma Lise qui... Qu'il entre ici pour dépouiller son père ? Pour succéder ? Ah ! Sans cela point de Lise pour lui. Ah ! Vous l'aviez trop longtemps enduré. L'autre du moins agit avec prudence ; Mais cet aîné ! Quel trait d'extravagance ! Le libertin, mon Dieu, que c'était là ! Te souvient-il, vieux beau-père, ah, ah, ah ! Qu'il te vola (ce tour est bagatelle) Chevaux, habits, linge, meubles, vaisselle, Pour équiper la petite Jourdain, Qui le quitta le lendemain matin ? J'en ai bien ri, je l'avoue. Et sur un as mettant vingt rouleaux d'or... Hé, hé ! Te souvient-il encor, Quand l'étourdi dut en lace d'église Se fiancer à ma petite Lise, Dans quel endroit on le trouva caché ? Comment, pour qui ?... Peste, quel débauché ! Je me tairai, soit : j'y consens, d'accord. Pardon ; mais diable ! Aussi vous aviez tort, En connaissant le fougueux caractère De votre fils, d'en faire un mousquetaire. Pardon ; mais vous deviez... Assurément. Ma fille a de l'honneur, Elle obéit à mon pouvoir suprême ; Et quand je dis : « Allons, je veux qu'on aime, » Son coeur docile, et que j'ai su tourner, Tout aussitôt aime sans raisonner : À mon plaisir j'ai pétri sa jeune âme. Vous radotez. Lui ? Point du tout ; ce n'était qu'un vaurien. Pauvre bonhomme ! Allez, ne craignez rien ; Car à ma fille, après ce beau ménage, J'ai défendu de l'aimer davantage. Ayez le coeur sur cela réjoui ; Quand j'ai dit non, personne ne dit oui. Voyez plutôt. Approchez, venez, Lise ; Ce jour pour vous est un grand jour de crise. Que je te donne un mari jeune ou vieux, Ou laid ou beau, triste ou gai, riche ou gueux, Ne sens-tu pas des désirs de lui plaire, Du goût pour lui, de l'amour ? Comment, coquine ? Comment ! Après tout ce que j'ai pu dire, Tu n'aurais pas un peu de passion Pour ton futur époux ? Ne sais-tu pas que le devoir t'oblige À lui donner tout ton coeur ? Vous tairez-vous, radoteur complaisant, Flatteur barbon, vrai corrupteur d'enfant ? Jamais sans vous ma fille, bien apprise, N'eût devant moi lâché cette sottise. Écoute, toi : je te baille un mari Tant soit peu fat, et par trop renchéri ; Mais c'est à moi de corriger mon gendre : Toi, tel qu'il est, c'est à toi de le prendre, De vous aimer, si vous pouvez, tous deux, Et d'obéir à tout ce que je veux : C'est là ton lot ; et toi, notre beau-père, Allons signer chez notre gros notaire, Qui vous allonge en cent mots superflus Ce qu'on dirait en quatre tout au plus. Allons hâter son bavard griffonnage ; Lavons la tête à ce large visage ; Puis je reviens ; après cet entretien, Gronder ton fils, ma fille, et toi. Ma foi ! Il nous arrive une plaisante affaire. Écoute. A ton vieux père J'allais porter notre papier timbré, Quand nous l'avons ici près rencontré, Entretenant au pied de cette roche Un voyageur qui descendait du coche. Nenni vraiment, Un béquillard, un vieux ridé sans dent. Nos deux barbons, d'abord avec franchise L'un contre l'autre ont mis leur barbe grise ; Leurs dos voûtés s'élevaient, s'abaissaient Aux longs élans des soupirs qu'ils poussaient ; Et sur leur nez leur prunelle éraillée Versait les pleurs dont elle était mouillée : Puis Euphémon, d'un air tout rechigné, Dans son logis soudain s'est rencogné : Il dit qu'il sent une douleur insigne, Qu'il faut au moins qu'il pleure avant qu'il signe, Et qu'à personne il ne prétend parler. Si fait, tout presse ; et c'est ta faute aussi Que tout cela. Oui. Les contre-temps qui troublent les familles Viennent toujours par la faute des filles. Vous avez fait que vous avez tous tort. Je veux un peu voir nos deux trouble-fêtes À la raison ranger leurs lourdes têtes ; Et je prétends vous marier tantôt, Malgré leurs dents, malgré vous, s'il le faut. Oh ! Oh ! Ma fille, on nous fait des affaires Qui font dresser les cheveux aux beaux-pères ! On m'a parlé de protestation. Eh ! Vertubleu ! Qu'on en parle à Rondon : Je chasserai bien loin ces créatures. Que vous plaît-il ? Il a raison. Est-ce qu'on tient de semblables promesses ? J'en aurais fait de bon coeur tout autant. Ah ! Parlez-lui plutôt qu'à moi. Il criera moins que vous. On doit en rire. Qui, moi ? Oh ! Je vous en défie. Mais voyez la folie ! Je voudrais bien savoir aussi pourquoi Vous recevez ces visites chez moi ? Vous m'attirez toujours des algarades. Et vous, monsieur, le roi des pédants fades, Quel sot démon vous force à courtiser Une baronne afin de l'abuser ? C'est bien à vous, avec ce plat visage, De vous donner des airs d'être volage ! Il vous sied bien, grave et triste indolent, De vous mêler du métier de galant ! C'était le fait de votre fou de frère ; Mais vous, mais vous ! Il a raison, ma foi ! J'en suis d'accord. L'argent fait tout : va, c'est chose très sure. Hâtons-nous donc sur ce pied de conclure. D'écus tournois soixante pesants sacs Finiront tout, malgré les Croupillacs. Qu'Euphémon tarde, et qu'il me désespère ! Signons toujours avant lui. Conditions, toi ? Quelle impertinence ! Tu dis, tu dis ?... Tarare. Va, mon enfant, le contrat est dressé ; Sur tout cela le notaire a passé. Ah ! Laissez là vos lois et votre code, Et votre honneur, et faites à ma mode ; De cet aîné que t'embarrasses-tu ? Il faut du bien. Quoi ! Tu voudrais corriger deux notaires ? Faire changer un contrat ? Tu ne feras jamais bonne maison ; Tu perdras tout. Elle est têtue, et, pour la contenter, Allons, mon gendre, il faut s'exécuter : Çà, donne un peu. Ne lui donne donc guère. Ah ! Le voici, le bonhomme Euphémon. Viens, viens, j'ai mis ma fille à la raison. On n'attend plus rien que ta signature ; Presse-moi donc cette tardive allure : Dégourdis-toi, prends un ton réjoui, Un air de noce, un front épanoui ; Car dans neuf mois je veux, ne te déplaise, Que deux enfants... Je ne me sens pas d'aise. Allons, ris donc, chassons tous les ennuis ; Signons, signons. En voici bien d'une autre. Quelle rage est la vôtre ? Quoi ! Tout le monde est-il devenu fou ? Chacun dit non : comment ? Pourquoi ? Par où ? Serait-ce point la dame Croupillac Qui sourdement fait ce maudit micmac ? Eh bien ! Quoi donc ? Ce béquillard du coche Dérange tout, et notre affaire accroche ? Voilà, ma foi, sa pension payée. N'en sois point effrayée ; Va, que t'importe ? Elle est, ma foi, sensible : ah ! La friponne ! Puisqu'il est mort, allons, je te pardonne. Eh ! Vous n'êtes pas sage. Quoi ! Différer un hymen projeté, Pour un ingrat cent fois déshérité, Maudit de vous, de sa famille entière ! Réparons-la ; donnons-nous aujourd'hui Des petits-fils qui vaillent mieux que lui : Signons, dansons, allons. Que de faiblesse ! Mais, morbleu ! Ce procédé me blesse : De regretter même le plus grand bien, C'est fort mal fait : douleur n'est bonne à rien ; Mais regretter le fardeau qu'on vous ôte, C'est une énorme et ridicule faute. Ce fils aîné, ce fils, votre fléau, Vous mit trois fois sur le bord du tombeau. Pauvre cher homme ! Allez, sa frénésie Eût tôt ou tard abrégé votre vie. Soyez tranquille, et suivez mes avis ; C'est un grand gain que de perdre un tel fils. Va, suis ton père, et sois expéditif ; Prends ce contrat ; le mort saisit le vif. Il n'est plus temps qu'avec moi l'on barguigne Prends-lui la main, qu'il parafe et qu'il signe. Et toi, ma fille, attendons à ce soir : Tout ira bien. Eh bien ! Ma Lise, qu'est-ce ? Je te cherchais, et ton époux aussi. Où vas-tu donc ? Ce président est donc bien dangereux ! Je voudrais être incognito près d'eux ; Là... voir un peu quelle plaisante mine Font deux amants qu'à l'hymen on destine. Ta gravité me semble hors d'haleine. Que prétends-tu ? Que cherches-tu ? Qu'as-tu ? Que t'a-t-on fait ? Cocu ! Tudieu ! Prends garde, arrête, observe. Mon gendre ! Eh quoi ! La chose... Vous me poussez... Si je croyais... Mais plus j'entends, moins je comprends, mon gendre. S'il était vrai, devant tous mes voisins J'étranglerais ma Lise de mes mains. Mais en effet ici je l'ai trouvée, La voix éteinte et le regard baissé ; Elle avait l'air timide, embarrassé. Mon gendre, allons, surprenons la pendarde ; Voyons le cas, car l'honneur me poignarde. Tudieu, l'honneur ! Oh, voyez-vous, Rondon, En fait d'honneur, n'entend jamais raison. Matoise ! Mijaurée ! Fille pressée, âme dénaturée ! Ah ! Lise, Lise, allons, je veux savoir Tous les entours de ce procédé noir. Çà, depuis quand connais-tu le corsaire ? Son nom ? Son rang ? Comment t'a-t-il pu plaire ? De ses méfaits je veux savoir le fil. D'où nous vient-il ? En quel endroit est-il ? Réponds, réponds : tu ris de ma colère ? Tu ne meurs pas de honte ? Encor des non ? Toujours ce chien de ton ; Et toujours non, quand on parle à Rondon ! La négative est pour moi trop suspecte : Quand on a tort, il faut qu'on me respecte, Que l'on me craigne, et qu'on sache obéir. Ah ! C'est parler cela ; quand je menace, On est petit... Euphémon ? Bon ! Eh ! Que pourra-t-il faire ? C'est à moi seul qu'il faut parler. À sa demande encor faut-il souscrire ? À ce bonhomme elle veut s'expliquer ; On peut fort bien souffrir, sans rien risquer, Qu'en confidence elle lui parle seule ; Puis sur-le-champ je cloître ma bégueule. Soyons hardis, nous sommes six contre un. C'est lui. Quel changement ! Quoi ? C'est donc là mon drôle ? Oh ! Bon cela. Si sa cervelle est enfin moins volage... S'il t'aime, s'il est sage... Si surtout Euphémon D'une ample dot lui fait un large don, J'en suis d'accord. Ma foi, l'ami, crains sa juste colère ; Épouse-la, crois-moi, pour t'en défaire. **** *creator_voltaire *book_voltaire_enfantprodigue *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_enfantprodigue *dist2_voltaire_verse_comedy *id_LISE *date_1736 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_lise Non, mon père. Mon père, non. Non, vous dis-je. Je sais, mon père, à quoi ce noeud sacré Oblige un coeur de vertu pénétré ; Je sais qu'il faut, aimable en sa sagesse, De son époux mériter la tendresse, Et réparer du moins par la bonté Ce que le sort nous refuse en beauté ; Être au dehors discrète, raisonnable ; Dans sa maison, douce, égale, agréable : Quant à l'amour, c'est tout un autre point ; Les sentiments ne se commandent point. N'ordonnez rien ; l'amour fuit l'esclavage. De mon époux le reste est le partage ; Mais pour mon coeur, il le doit mériter : Ce coeur au moins, difficile à dompter, Ne peut aimer ni par ordre d'un père, Ni par raison, ni par devant notaire. Je suis sa fille ; et de plus son humeur N'altère point la bonté de son coeur ; Et sous les plis d'un front atrabilaire, Sous cet air brusque il a l'âme d'un père : Quelquefois même, au milieu de ses cris, Tout en grondant, il cède à mes avis. Il est bien vrai qu'en blâmant la personne Et les défauts du mari qu'il me donne, En me montrant d'une telle union Tous les dangers, il a grande raison ; Mais lorsqu'ensuite il ordonne que j'aime, Dieu ! Que je sens que son tort est extrême ! Ah ! Ton pinceau l'a peint d'après nature. Mais qu'y ferai-je ? Il faut bien que j'endure L'état forcé de cet hymen prochain. On ne fait pas comme on veut son destin : Et mes parents, ma fortune, mon âge, Tout de l'hymen me prescrit l'esclavage. Ce Fierenfat est, malgré mes dégoûts, Le seul qui puisse être ici mon époux ; Il est le fils de l'ami de mon père ; C'est un parti devenu nécessaire. Hélas ! Quel coeur, libre dans ses soupirs, Peut se donner au gré de ses désirs ? Il faut céder le temps, la patience, Sur mon époux vaincront ma répugnance ; Et je pourrai, soumise à mes liens, À ses défauts me prêter comme aux miens. Quoi ? Il ne m'aima jamais. Ne parlons plus de ce nom que je hais. Il est vrai, sa jeunesse Pour quelque temps a surpris ma tendresse. Était-il fait pour un coeur vertueux ? De corrupteurs sa jeunesse entourée, Dans les excès se plongeait égarée : Le malheureux ! Il cherchait tour à tour Tous les plaisirs ; il ignorait l'amour. S'il eût aimé, je l'aurais corrigé. Un amour vrai, sans feinte et sans caprice, Est en effet le plus grand frein du vice. Dans ses liens qui sait se retenir Est honnête homme, ou va le devenir. Mais Euphémon dédaigna sa maîtresse ; Pour la débauche il quitta la tendresse. Ses faux amis, indigents scélérats, Qui dans le piège avaient conduit ses pas, Ayant mangé tout le bien de sa mère, Ont sous son nom volé son triste père ; Pour comble enfin, ces séducteurs cruels L'ont entraîné loin des bras paternels, Loin de mes yeux, qui, noyés dans les larmes, Pleuraient encor ses vices et ses charmes. Je ne prends plus nul intérêt à lui. Ah ! Que dis-tu ? Il était né pour le bien, je l'avoue. Oui ; mais... Il faut rester ; c'est un mal nécessaire. J'augure mal déjà de tout ceci. Que puis-je, hélas ! Lui dire ? Non, des raisons valent mieux. Un voyageur jeune ?... Non, monsieur, rien ne presse. Comment ? Moi ! Ma faute ? Qu'ai-je donc fait qui vous fâche si fort ? Ah ! Plus mon coeur s'étudie et s'essaie, Plus de ce joug la pesanteur m'effraie : À mon avis, l'hymen et ses liens Sont les plus grands ou des maux ou des biens. Point de milieu ; l'état du mariage Est des humains le plus cher avantage Quand le rapport des esprits et des coeurs, Des sentiments, des goûts, et des humeurs, Serre ces noeuds tissus par la nature, Que l'amour forme et que l'honneur épure. Dieux ! Quel plaisir d'aimer publiquement, Et de porter le nom de son amant ! Votre maison, vos gens, votre livrée, Tout vous retrace une image adorée ; Et vos enfants, ces gages précieux, Nés de l'amour, en sont de nouveaux noeuds. Un tel hymen, une union si chère, Si l'on en voit, c'est le ciel sur la terre. Mais tristement vendre par un contrat Sa liberté, son nom, et son état, Aux volontés d'un maître despotique, Dont on devient le premier domestique ; Se quereller ou s'éviter le jour ; Sans joie à table, et la nuit sans amour ; Trembler toujours d'avoir une faiblesse, Y succomber, ou combattre sans cesse ; Tromper son maître, ou vivre sans espoir Dans les langueurs d'un importun devoir ; Gémir, sécher dans sa douleur profonde ; Un tel hymen est l'enfer de ce monde. Je n'en sais rien ; je ne puis et je n'ose De mes dégoûts bien démêler la cause. Comment chercher la triste vérité Au fond d'un coeur, hélas ! Trop agité ? Il faut au moins, pour se mirer dans l'onde, Laisser calmer la tempête qui gronde, Et que l'orage et les vents en repos Ne rident plus la surface des eaux. Et moi, je ne veux rien savoir : Mon oeil se ferme, et je ne veux rien voir : Je ne veux point chercher si j'aime encore Un malheureux qu'il faut bien que j'abhorre ; Je ne veux point accroître mes dégoûts Du vain regret d'un plus aimable époux. Que loin de moi cet Euphémon, ce traître, Vive content, soit heureux, s'il peut l'être ; Qu'il ne soit pas au moins déshérité : Je n'aurai pas l'affreuse dureté, Dans ce contrat où je me détermine, D'être sa soeur pour hâter sa ruine. Voilà mon coeur ; c'est trop le pénétrer : Aller plus loin serait le déchirer. Sa visite m'étonne. Hélas ! Sur quoi ? Ah ! C'est encor tout ce que je redoute. Suis-je en état d'entendre ces propos, Ces compliments, protocole des sots, Où l'on se gêne, où le bon sens expire Dans le travail de parler sans rien dire ? Que ce fardeau me pèse et me déplaît ! Oh ! Je vois trop qui c'est. Des sièges donc. Madame, pardon si... Eh ! Madame ! S'asseoir, madame. Madame ? Consolez-vous, madame. Excusez-moi si je suis interdite De vos discours et de votre visite. Quel accident afflige vos esprits ? Qui perdez-vous ? Et qui vous ai-je pris ? J'en suis fâchée, et tout est ainsi fait Mais je ne puis vous rajeunir. Mais de quel traître ici me parlez-vous ? Eh bien, madame ? Enfin, madame ? Comment ? En quoi ? Oh, oui. Quel souvenir ! Ah ! En vérité je suis toute honteuse Que mon hymen vous rende malheureuse ; Je suis peu digne, hélas ! De ce courroux. Sans être heureux on fait donc des jaloux ! Cessez, madame, avec un oeil d'envie De regarder mon état et ma vie ; On nous pourrait aisément accorder : Pour un mari je ne veux point plaider. Non : je vous l'abandonne. Je trouve peu d'attraits Dans l'hyménée, et nul dans les procès. Avoir ainsi raison, c'est un grand tort. Non, mon père ; Je fais aussi mes protestations, Et je me donne à des conditions. Je dis ce que je pense. Peut-on goûter le bonheur odieux De se nourrir des pleurs d'un malheureux ? Et vous, monsieur, dans votre sort prospère, Oubliez-vous que vous avez un frère ? C'est un projet fraternel et chrétien. En attendant, vous confisquez son bien : C'est votre avis ; mais moi, je vous déclare Que je déteste un tel projet. Je ne connais le droit ni la coutume ; Je n'ai point lu Cujas, mais je présume Que ce sont tous de malhonnêtes gens, Vrais ennemis du coeur et du bon sens, Si dans leur code ils ordonnent qu'un frère Laisse périr son frère de misère ; Et la nature et l'honneur ont leurs droits, Qui valent mieux que Cujas et vos lois. Il faut de la vertu. Qu'il soit puni, mais au moins qu'on lui laisse Un peu de bien, reste d'un droit d'aînesse. Je vous le dis, ma main ni mes faveurs Ne seront point le prix de ses malheurs. Corrigez donc l'article que j'abhorre Dans ce contrat, qui tous nous déshonore : Si l'intérêt ainsi l'a pu dresser, C'est un opprobre : il le faut effacer. Pourquoi non ? Je n'ai pas grand usage, Jusqu'à présent, du monde et du ménage ; Mais l'intérêt (mon coeur vous le maintient) Perd des maisons autant qu'il en soutient. Si j'en fais une, au moins cet édifice Sera d'abord fondé sur la justice. Qu'a-t-il donc dit, monsieur ? Il serait mort ! Ah ! Oui, monsieur, j'approuve vos douleurs ; Il m'est plus doux de partager vos pleurs Que de former les noeuds du mariage. Je suis au désespoir. J'ai beau me fuir, me chercher, m'éviter, Rentrer, sortir, goûter la solitude, Et de mon coeur faire en secret l'étude ; Plus j'y regarde, hélas ! Et plus je vois Que le bonheur n'était pas fait pour moi. Si quelque chose un moment me console, C'est Croupillac, c'est cette vieille folle, À mon hymen mettant empêchement. Mais ce qui vient redoubler mon tourment, C'est qu'en effet Fierenfat et mon père En sont plus vifs à presser ma misère : Ils ont gagné le bonhomme Euphémon. Il aime un fils unique ; Je lui pardonne : accablé du premier, Au moins sur l'autre il cherche à s'appuyer. Hélas ! Il faut (quel funeste tourment !) Le pleurer mort, ou le haïr vivant. Ah ! Sans l'aimer, on peut plaindre son sort. Ma chère enfant, ce mot me désespère. Pour Fierenfat tu connais ma froideur ; L'aversion s'est changée en horreur : C'est un breuvage affreux, plein d'amertume, Que, dans l'excès du mal qui me consume, Je me résous de prendre malgré moi, Et que ma main rejette avec effroi. Ô sort ! Pourquoi faut-il Que de mes jours tu respectes le fil, Lorsqu'un ingrat, un amant si coupable, Rendit ma vie, hélas ! Si misérable ? Qu'il attende. Quoi ! Toujours m'excéder ! Et même absent en tous lieux m'obséder ! De mon hymen que je suis déjà lasse ! Ah je vois bien qu'il faut nous en aller. Rentrons donc vite, et courons me cacher. Que voulez-vous, monsieur ? Que vois-je ? Ô ciel ! Je suis à peine en mon sens revenue. C'est vous, ô ciel ! Vous, qui cherchez ma vue ! Dans quel état ! Quel jour !... Ah, malheureux ! Que vous avez fait de tort à tous deux ! Est-il bien vrai, malheureux que vous êtes, Qu'enfin domptant vos fougues indiscrètes, Dans votre coeur en effet combattu, Tant d'infortune ait produit la vertu ? Mais répondez, Euphémon, puis-je croire Que vous avez gagné cette victoire ? Consultez-vous, ne trompez point mes voeux ; Seriez-vous bien et sage et vertueux ? Vous, Euphémon ! Vous m'aimeriez encore ? Si je vous vois constant et raisonnable, C'en est assez, je vous vois trop aimable. Ah ! Soutiens-moi, mes sens sont égarés. Moi, je serais l'épouse de son frère !... N'avez-vous point vu déjà votre père ? Eh ! Quel est donc votre projet enfin ? Ce désespoir est d'une âme bien haute, Il est d'un coeur au-dessus de sa faute ; Ces sentiments me touchent encor plus Que vos pleurs même à mes pieds répandus. Non, Euphémon, si de moi je dispose, Si je peux fuir l'hymen qu'on me propose, De votre sort si je puis prendre soin, Pour le changer vous n'irez pas si loin. Ils me touchaient : votre remords m'enflamme. Contraignez donc ces soupirs enflammés ; Dissimulez. Ah ! Redoutez mes parents, votre père ! Nous ne pouvons cacher à votre frère Que vous avez embrassé mes genoux ; Laissez-le au moins ignorer que c'est vous. Contraignez-vous, si vous m'aimez. Calmez, monsieur, votre esprit irrité : Il ne faut pas sur la simple apparence Légèrement condamner l'innocence. Oui, quand vous connaîtrez Mes sentiments, vous les estimerez. Quel courroux vous anime ? Eh ! Réprimez... Eh ! Modérez... Retirez-vous. Eh ! Cachez-vous, de grâce ; rentrons vite : De tout ceci je crains pour nous la suite. Si votre père apprenait que c'est vous, Rien ne pourrait apaiser son courroux ; Il penserait qu'une fureur nouvelle Pour l'insulter en ces lieux vous rappelle ; Que vous venez entre nos deux maisons Porter le trouble et les divisions ; Et l'on pourrait, pour ce nouvel esclandre, Vous enfermer, hélas sans vous entendre. Allez, croyez qu'il est très nécessaire Que j'adoucisse en secret votre père. De la nature il faut que le retour Soit, s'il se peut, l'ouvrage de l'amour. Cachez-vous bien... Prends soin qu'il ne paraisse. Eh ! Va donc vite. Il ne l'est pas, que je crois, Dieu merci Monsieur, la bienséance M'oblige encor d'éviter sa présence. Ah je me sauve à peine entre tes bras : Que de danger ! Quel horrible embarras ! Faut-il qu'une âme aussi tendre, aussi pure, D'un tel soupçon souffre un moment l'injure ! Cher Euphémon, cher et funeste amant, Es-tu donc né pour faire mon tourment ? À ton départ tu m'arrachas la vie, Et ton retour m'expose à l'infamie. Prends garde au moins, car on cherche partout. Eh bien ! Jasmin, qu'a-t-on fait ? On ne sait rien ? Ah ! Que du moins Fierenfat en colère N'ait pas le temps de prévenir son père : Je tremble encore, et tout accroît ma peur ; Je crains pour lui, je crains pour mon honneur. Dans mon amour j'ai mis mes espérances ; Il m'aidera... Et d'Euphémon le père respectable, Que fait-il donc dans ce trouble effroyable ? Que ce vieillard m'inspire de tendresse ! Ah ! Gardons-nous-en bien ; Mon coeur est pur : il ne doit craindre rien. Non, mon père. Oui, je suis prête à vous tout découvrir. Je ne veux qu'une grâce, C'est qu'Euphémon daignât auparavant Seul en ce lieu me parler un moment. Mon père, J'ai des secrets qu'il faut lui confier ; Pour votre honneur daignez me l'envoyer, Daignez... c'est tout ce que je puis vous dire. Digne Euphémon, pourrai-je te toucher ? Mon coeur de moi semble se détacher. J'attends ici mon trépas ou ma vie. Écoute un peu. Un siège... Hélas !... Monsieur, asseyez-vous, Et permettez que je parle à genoux. Non, mon coeur vous révère ; Je vous regarde à jamais comme un père. Oui, j'ose me flatter Que c'est un nom que j'ai su mériter. Soyez mon juge, et lisez dans mon coeur ; Mon juge enfin sera mon protecteur. Écoutez-moi ; vous allez reconnaître Mes sentiments, et les vôtres peut-être. Si votre coeur avait été lié, Par la plus tendre et plus pure amitié, À quelque objet de qui l'aimable enfance Donna d'abord la plus belle espérance, Et qui brilla dans son heureux printemps, Croissant en grâce, en mérite, en talents ; Si quelque temps sa jeunesse abusée, Des vains plaisirs suivant la pente aisée, Au feu de l'âge avait sacrifié Tous ses devoirs, et même l'amitié. Monsieur, si son expérience Eût reconnu la triste jouissance De ces faux biens, objets de ses transports, Nés de l'erreur, et suivis des remords ; Honteux enfin de sa folle conduite, Si sa raison, par le malheur instruite, De ses vertus rallument le flambeau, Le ramenait avec un coeur nouveau ; Ou que plutôt, honnête homme et fidèle, Il eût repris sa forme naturelle ; Pourriez-vous bien lui fermer aujourd'hui L'accès d'un coeur qui fut ouvert pour lui ? Hélas ! Monsieur, quand vous aurez appris Tout ce qu'il est, vous serez plus surpris. De grâce, un mot ; votre âme est noble et belle ; La cruauté n'est pas faite pour elle : N'est-il pas vrai qu'Euphémon votre fils Fut longtemps cher à vos yeux attendris ? Vous ! Vous pourriez à jamais le punir, Sentir toujours le malheur de haïr, Et repousser encore avec outrage Ce fils changé, devenu votre image, Qui de ses pleurs arroserait vos pieds ! Le pourriez-vous ? La demander ! Sans doute, il y viendra ; Vous l'entendrez ; il vous attendrira. Oui, si la mort trop prompte N'a pas fini sa douleur et sa honte, Peut-être ici vous le verrez mourir À vos genoux, d'excès de retentir. S'il respire, il vous aime. De son coeur. Sur tout ce qui le touche La vérité vous parle par ma bouche. Je le veux : Il en est temps, il faut vous satisfaire. Venez enfin. À vos genoux vous voyez vos enfants ; Oui, nous avons les mêmes sentiments, Le même coeur... Et j'ose être sa femme. J'étais à lui ; permettez qu'à vos pieds Nos premiers noeuds soient enfin renoués. Non, ce n'est pas votre bien qu'il demande, D'un coeur plus pur il vous porte l'offrande. Il ne veut rien, et, s'il est vertueux, Tout ce que j'ai suffira pour nous deux. Ouvrez les yeux, et connaissez qui j'aime. Votre frère. Oui. De tout mon coeur. Et vous, souffrez, mon père, Souffrez qu'une âme et fidèle et sincère, Qui ne pouvait se donner qu'une fois, Soit ramenée à ses premières lois. Oh ! J'en réponds. N'en doutez pas. **** *creator_voltaire *book_voltaire_enfantprodigue *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_enfantprodigue *dist2_voltaire_verse_comedy *id_MARTHE *date_1736 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_marthe Mon Dieu, qu'il joint à tous ses airs grotesques Des sentiments et des travers burlesques ! Comment aimer un monsieur Fierenfat ? J'épouserais plutôt un vieux soldat Qui jure, boit, bat sa femme, et qui l'aime, Qu'un fat en robe, enivré de lui-même, Qui, d'un ton grave et d'un air de pédant, Semble juger sa femme en lui parlant ; Qui comme un paon dans lui-même se mire, Sous son rabat se rengorge et s'admire, Et, plus avare encor que suffisant, Vous fait l'amour en comptant son argent. C'est bien parler, belle et discrète Lise : Mais votre coeur tant soit peu se déguise. Si j'osais... mais vous m'avez ordonné De ne parler jamais de cet aîné. D'Euphémon, qui, malgré tous ses vices, De votre coeur eut les tendres prémices ; Qui vous aimait. N'en parlons plus. C'était un fou, ma foi, très dangereux. Mais autrefois vous m'avez paru croire Qu'à vous aimer il avait mis sa gloire, Que dans vos fers il était engagé. Son frère enfin lui succède aujourd'hui : Il aura Lise ; et certes c'est dommage ; Car l'autre avait un bien joli visage, De blonds cheveux, la jambe faite au tour, Dansait, chantait, était né pour l'amour. Même dans ces mélanges D'égarements, de sottises étranges, On découvrait aisément dans son coeur, Sous ces défauts, un certain fonds d'honneur. Ne croyez pas que ma bouche le loue ; Mais il n'était, me semble, point flatteur, Point médisant, point escroc, point menteur. Fuyons ; car c'est monsieur son frère. Moi, je la plains : c'est une chose infâme Que vous mêliez dans tous vos entretiens Vos qualités, votre rang, et vos biens. Être à la fois et Midas et Narcisse, Enflé d'orgueil et pincé d'avarice ; Lorgner sans cesse avec un oeil content Et sa personne et son argent comptant ; Être en rabat un petit-maître avare, C'est un excès de ridicule rare : Un jeune fat passe encor ; mais, ma foi, Un jeune avare est un monstre pour moi. Défendez-moi, parlez-lui, parlez ferme : Je suis à vous, empêchez qu'on m'enferme ; Il pourrait bien vous enfermer aussi. Parlez-lui donc, laissez ces vains murmures. Des injures. Croyez-moi, Point de raisons, c'est le plus sûr. Vous frémissez en voyant de plus près Tout ce fracas, ces noces, ces apprêts. En vérité, les filles, comme on dit, Ont un démon qui leur forme l'esprit : Que de lumière en une âme si neuve ! La plus experte et la plus fine veuve, Qui sagement se console à Paris D'avoir porté le deuil de trois maris, N'en eût pas dit sur ce point davantage. Mais vos dégoûts sur ce beau mariage Auraient besoin d'un éclaircissement. L'hymen déplaît avec le président ; Vous plairait-il avec monsieur son frère ? Débrouillez-moi, de grâce, ce mystère : L'aîné fait-il bien du tort au cadet ? Haïssez-vous ? Aimez-vous ? Parlez net. Comparaison n'est pas raison, madame : On lit très bien dans le fond de son âme, On y voit clair et si les passions Portent en nous tant d'agitations, Fille de bien sait toujours dans sa tête D'où vient le vent qui cause la tempête. On sait... Sur votre hymen, sans doute. Voilà la dame. On dit qu'elle est assez grande épouseuse, Un peu plaideuse, et beaucoup radoteuse. En vérité, ce vieillard est trop bon ; Ce Fierenfat est par trop tyrannique, Il le gouverne. Mais, après tout, malgré ce qu'on publie, Il n'est pas sûr que l'autre soit sans vie. De son danger cependant la nouvelle Dans votre coeur mettait quelque étincelle. Mais n'être plus aimé, c'est être mort. Vous allez donc être enfin à son frère ? Très volontiers. C'est un des gens de votre président ; Il est à lui, dit-il, nouvellement ; Il voudrait bien vous parler. Mon cher ami, madame vous commande D'attendre un peu. Absolument il prétend vous parler. Ce quelqu'un-là veut vous voir tout à l'heure ; Il faut, dit-il, qu'il vous parle, ou qu'il meure. Quelle étrange visite ! C'est Euphémon ! Grand Dieu ! Qu'il est changé ! Ma foi ! C'est lui qu'ici le diable envoie. Je ris déjà de sa grave colère. Oui, monsieur. Mais, monsieur, de la chose... Pardonnez-moi, je le sais à merveilles. Laissez-moi donc le soin de le cacher. Soyez-en sûre, on aura beau chercher. J'ai mis, je crois, tous mes chercheurs à bout, Nous braverons le greffe et l'écritoire ; Certains recoins, chez moi, dans mon armoire, Pour mon usage en secret pratiqués, Par ces furets ne sont point remarqués ; Là, votre amant se tapit, se dérobe Aux yeux hagards des noirs pédants en robe : Je les ai tous fait courir comme il faut, Et de ces chiens la meute est en défaut. Moi, je suis dans des transes Que tout ceci ne soit cruel pour vous, Car nous avons deux pères contre nous, Un président, les bégueules, les prudes. Si vous saviez quels airs hautains et rudes, Quel ton sévère, et quel sourcil froncé, De leur vertu le faste rehaussé Prend contre vous ; avec quelle insolence Leur âcreté poursuit votre innocence : Leurs cris, leur zèle, et leur sainte fureur Vous feraient rire, ou vous feraient horreur. Madame, on voit sur son front éperdu Cette douleur qui sied à la vertu ; Il lève au ciel les yeux ; il ne peut croire Que vous ayez d'une tache si noire Souillé l'honneur de vos jours innocents ; Par des raisons il combat vos parents : Enfin, surpris des preuves qu'on lui donne, Il en gémit, et dit que sur personne Il ne faudra s'assurer désormais, Si cette tache a flétri vos attraits. Voici Rondon, vieillard d'une autre espèce. Fuyons, madame. Vous serez obéie. **** *creator_voltaire *book_voltaire_enfantprodigue *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_enfantprodigue *dist2_voltaire_verse_comedy *id_JASMIN *date_1736 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_jasmin Oui, mon ami, tu fus jadis mon maître ; Je t'ai servi deux ans sans te connaître ; Ainsi que moi réduit à l'hôpital, Ta pauvreté m'a rendu ton égal. Non, tu n'es plus ce monsieur d'Entremonde, Ce chevalier si pimpant dans le monde, Fêté, couru, de femmes entouré, Nonchalamment de plaisirs enivré : Tout est au diable. Éteins dans ta mémoire Ces vains regrets des beaux jours de ta gloire : Sur du fumier l'orgueil est un abus ; Le souvenir d'un bonheur qui n'est plus Est à nos maux un poids insupportable. Toujours Jasmin, j'en suis moins misérable : Né pour souffrir, je sais souffrir gaîment ; Manquer de tout, voilà mon élément : Ton vieux chapeau, tes guenilles de bure, Dont tu rougis, c'était là ma parure. Tu dois avoir, ma foi, bien du chagrin De n'avoir pas été toujours Jasmin. Toi, des amis ! Hélas ! Mon pauvre maître, Apprends-moi donc, de grâce, à les connaître ; Comment sont faits les gens qu'on nomme amis ! Pauvre bête ! Pauvre innocent ! Tu ne les voyais pas Te chansonner au sortir d'un repas ; Siffler, berner ta bénigne imprudence ? Aucun n'osa te consoler ? Ah, les amis ! Les amis ! Quels infâmes ! Et les femmes ? Près de Cognac, si je sais mon chemin ; Et l'on m'a dit que mon vieux premier maître, Monsieur Rondon, loge en ces lieux peut-être. Le nom d'un homme assez brusque et bourru. Je fus jadis page dans sa cuisine ; Mais, dominé d'une humeur libertine, Je voyageai : je fus depuis coureur, Laquais, commis, fantassin, déserteur ; Puis dans Bordeaux je te pris pour mon maître. De moi Rondon se souviendra peut-être ; Et nous pourrions, dans notre adversité... Depuis quinze ans. C'était un caractère Moitié plaisant, moitié triste et colère ; Au fond, bon diable : il avait un enfant, Un vrai bijou, fille unique vraiment, Oeil bleu, nez court, teint frais, bouche vermeille, Et des raisons ! C'était une merveille. Cela pouvait bien avoir de mon temps, À bien compter, entre six à sept ans ; Et cette fleur, avec l'âge embellie, Est en état, ma foi ! D'être cueillie. Mais j'ai beau te parler, Ce que je dis ne te peut consoler : Je vois toujours à travers ta visière Tomber des pleurs qui bordent ta paupière. Ton oeil contemple ces demeures ; Tu restes là tout pensif, et tu pleures. Mais connais-tu Rondon ? Serais-tu pas parent de la maison ? Par charité, mon maître, Mon cher ami, dis-moi qui tu peux être. Songe à vivre ; Mourir de faim est par trop rigoureux : Tiens, nous avons quatre mains à nous deux ; Servons-nous-en sans complainte importune. Vois-tu d'ici ces gens dont la fortune Est dans leurs bras, qui, la bêche à la main, Le dos courbé, retournent ce jardin Enrôlons-nous parmi cette canaille ; Viens avec eux, imite-les, travaille, Gagne ta vie. Mais pourquoi donc ce spectre féminin Nous poursuit-il de son regard malin ? C'est pour avoir eu d'excellents amis, C'est pour avoir été volé, madame. Par bonté d'âme. Nos voleurs sont de très honnêtes gens, Gens du beau monde, aimables fainéants, Buveurs, joueurs, et conteurs agréables, Des gens d'esprit, des femmes adorables. Quelle rage est la vôtre ! Autant lui vaut ce mari-là qu'un autre. Quel diable d'homme ! Il s'afflige de tout. Aidez-nous donc, madame, je vous prie. C'est qu'il vous craint, sans doute. Seigneur aimable, Reconnaissez, digne et noble Euphémon, Certain Jasmin élevé chez Rondon. Oui, je suis las de tourmenter ma vie, De vivre errant et damné comme un juif : Le bonheur semble un être fugitif : Le diable enfin, qui toujours me promène, Me fit partir ; le diable me ramène. Mais... c'est mon camarade, Un pauvre hère, affamé comme moi, Qui, n'ayant rien, cherche aussi de l'emploi. Il doit l'être. Je lui connais d'assez bons sentiments ; Il a, de plus, de fort jolis talents ; Il sait écrire, il sait l'arithmétique, Dessine un peu, sait un peu de musique : Ce drôle-là fut très bien élevé. Ah, l'honnête homme ! Ô ciel ! Pourrait-on croire Qu'il soit encore, en ce siècle félon, Un coeur si droit, un mortel aussi bon ? Cet air, ce port, cette âme bienfaisante Du bon vieux temps est l'image parlante. Je t'ai trouvé déjà condition, Et nous serons laquais chez Euphémon. S'il te plaît, quel excès de surprise ? Pourquoi ces yeux de gens qu'on exorcise, Et ces sanglots coup sur coup redoublés, Pressant tes mots au passage étranglés ? Qu'a-t-elle dit qui fait tant agité ? Qu'avez-vous donc ? Eh bien ? Qui ? Lui, monsieur ? Qui ? Vous, son fils ? Ah ! Pardonnez, de grâce, Ma familière et ridicule audace ; Pardon, monsieur. Vous êtes fils d'un homme qu'on admire, D'un homme unique ; et, s'il faut tout vous dire, D'Euphémon fils la réputation Ne flaire pas à beaucoup près si bon. Moi, je disais que nous étions tous deux Prêts à servir, bien élevés, très gueux ; Et lui, plaignant nos destins sympathiques, Nous recevait tous deux pour domestiques. Il doit ce soir vous placer chez ce fils, Ce président à Lise tant promis, Ce président, votre fortuné frère, De qui Rondon doit être le beau-père. Jaloux ! De qui ? Vous sentiriez un peu de convoitise Pour votre soeur ? Mais vraiment c'est un trait Digne de vous ; ce péché vous manquait. S'il est ainsi, si dans votre misère Vous la r'aimez, n'ayant pas mieux à faire, De Croupillac le conseil était bon De vous fourrer, s'il se peut, chez Rondon. Le sort maudit épuisa votre bourse ; L'amour pourrait vous servir de ressource. Voilà, je crois, ce président si sage. C'est nous, monsieur ; nous venions nous offrir Très humblement. C'est lui, monsieur. Oh ! Oui, monsieur, déchiffrer, calculer. Il est timide, et sort de maladie. Oh ! Nous avons, monsieur, l'âme héroïque. Il dit que de grand coeur Il voudrait bien vous ressembler et plaire. Vous n'êtes pas trop corrigé, mon maître ! D'autres raisons l'intimident peut-être ; Ce Fierenfat est, ma foi, notre maître ; Pour ses valets il nous retient tous deux. Je vois certains attraits S'acheminer pour prendre ici le frais ; De chez Rondon, me semble, elle est sortie. L'aimable enfant ! Comme elle est embellie ! Il faut tâcher du moins Que vous puissiez lui parler sans témoins. Retirons-nous. Puis-je en secret, ô gentille merveille ! Vous dire ici quatre mots à l'oreille ? Ma belle enfant, obtiens-nous cette grâce. Donnez la main ; venons sur son passage. C'est, monsieur, une importante affaire Qui se traitait, et que vous dérangez ; Ce sont deux coeurs en peu de temps changés ; C'est du respect, de la reconnaissance, De la vertu... Je m'y perds, quand j'y pense. Avec gloire J'ai soutenu mon interrogatoire ; Tel qu'un fripon blanchi dans le métier, J'ai répondu sans jamais m'effrayer. L'un vous traînait sa voix de pédagogue, L'autre braillait d'un ton cas, d'un air rogue ; Tandis qu'un autre, avec un ton flûté, Disait : « Mon fils, sachons la vérité. » Moi, toujours ferme, et toujours laconique, Je rembarrais la troupe scolastique. Non, rien ; mais dès demain On saura tout, car tout se sait enfin. J'ai voyagé, j'ai vu du tintamarre : Je n'ai jamais vu semblable bagarre : Tout le logis est sens dessus dessous. Ah ! Que les gens sont sots, méchants, et fous ! On vous accuse, on augmente, on murmure ; En cent façons on conte l'aventure. Les violons sont déjà renvoyés, Tout interdits, sans boire, et point payés ; Pour le festin six tables bien dressées Dans ce tumulte ont été renversées. Le peuple accourt, le laquais boit et rit, Et Rondon jure, et Fierenfat écrit. Moi, je crains donc.