**** *creator_voltaire *book_voltaire_femmequiaraison *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_femmequiaraison *dist2_voltaire_verse_comedy *id_MONSIEURDURU *date_1759 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurduru Quelle réception ! Après douze ans d'absence. Comme tout se corrompt, comme tout change en France ! Ô Ciel ! Quoi ! Ma femme infidèle à ce point ! À quel horrible luxe elle s'est emportée ! Cette maison, je crois, du diable est habitée, Et j'y mettrais le feu sans les dépens maudits Qu'à brûler les maisons il en coûte à Paris. Je l'ai bien mérité par ma sotte imprudence. À votre femme un mois confiez votre bien, Au bout de trente jours vous ne retrouvez rien. Je m'étais noblement privé du nécessaire : M'en voilà bien payé ; que résoudre, que faire ? Je suis assassiné, confondu, ruiné. Je vous dis que j'enrage. Plus d'honneur, plus de règle, et les lois violées !... Oui. Oh ! J'ai le coeur navré d'une douleur profonde. J'apporte un million tout au plus ; le voilà. Je suis outré, perdu. Ma femme me ruine. Vous voyez quel logis et quel train. La coquine !... Je n'y manquerai pas. Je trouve en arrivant Des laquais de six pieds, tous ivres de la veille, Un portier à moustaches, armé d'une bouteille, Qui, me voyant passer, m'invite en bégayant, À venir déjeuner dans son appartement. C'est ce que je veux faire. Ils m'auront ruiné ; cela me perce l'âme. Me conseillerais-tu de surprendre ma femme ? Me conseillerais-tu D'attendre encor un peu, de rester inconnu ? Ah, le maudit ménage ! Comment a-t-on reçu l'ordre du mariage ? Passe. On n'a donc point eu de peine à satisfaire À mes ordres précis ? Du moins cela console. Nous mettrons ordre au reste. Mais, ma femme ? Fort bien. Mais ma femme ? Je voudrais voir un peu comme on me recevra, Quel air aura ma femme. Voir ... là... Si la nature est au moins assez forte Si le sang parle assez dans ma fille et mon fils, Pour reconnaître en moi le maître du logis. Les affaires vont bien ; quant à ce mariage, J'en suis fort satisfait ; mais quant à mon ménage, C'est un scandale affreux, et qui me pousse à bout. Il faut tout observer, découvrir tout, voir tout. J'entends une sonnette et du bruit ; on appelle. Oh ! Quelle est cette jeune et belle Demoiselle Qui va vers cette porte ? Elle a l'air bien coquet. Est-ce ma fille ? Mais... j'en ai peur : en effet, Elle est bien faite, au moins passablement jolie, Et cela fait plaisir. Écoutez, je vous prie ; Où courez-vous si vite, aimable et chère enfant ? Quoi ! Vous êtes suivante ; et de qui, ma mignonne ? Je veux de la friponne Tirer quelque parti, m'instruire, si je puis. Écoutez. Savez-vous qui je suis ? Je suis l'intime ami de Monsieur votre Maître Et de Monsieur Gripon. Je peux très aisément Vous faire ici du bien, même en argent comptant. Se coucher quand il est neuf heures du matin ? Quelle vie et quel horrible train ! J'avoue Que vous me surprenez ; je ne m'attendais pas Que Madame Duru fit un si beau fracas. Mignonne, ces discours me font peine à comprendre. Qu'est-ce tenir maison ? D'un peu loin. Ma foi, Tout est neuf à mes yeux. Ma petite Maîtresse, Vous tenez donc maison ? Mais de quelle espèce ? Et dans cette maison que fait-on, s'il vous plaît, J'y prends quelque intérêt. Oui, moi-même. Il faut que je hasarde Un peu d'or de ma poche avec cette égrillarde : Ce n'est pas sans regret, mais essayons enfin. Monsieur Duru vous fait ce présent par ma main. Méritez un tel effort, ma belle ; C'est à vous de montrer l'excès de votre zèle Pour le patron d'ici, le bon Monsieur Duru Que, par malheur pour vous, vous n'avez jamais vu. Quelqu'amant, entre nous, a, pendant son absence, Produit tous ces excès avec cette dépense. Eh ! Pardon. Je ne sais si je dois en croire sa colère ; Tout ici m'est suspect ; et sur ce grand mystère Les femmes ont juré de ne parler jamais ; On n'en peut rien tirer par force ou par bienfaits ; Et toutes se liguant pour nous en faire accroire, S'entendent contre nous comme larrons en foire. Non, je n'entrerai point, je veux examiner Jusqu'où du bon chemin on peut se détourner. Que vois-je ? Un beau Monsieur sortant de chez ma femme ! Ah ! Voilà comme on tient maison. Et beaucoup trop. J'en tiens. Ce soir encore ? Fort bien. Comme de la maison je vois ici deux maîtres, L'un des deux pourrait bien sortir par les fenêtres. On ne me connaît pas, gardons-nous d'éclater. Je n'en saurais douter. Volets fermés, au lit, petit jour, porte close, La suivante à mon nez complice de la chose ! Mon fait est clair. J'aurais mieux fait, ma foi, de rester à Surate Avec tout mon argent. Ah, traître ! Ah, scélérate ! Mais j'étais étonné que vous fussiez ici. Moniseur Duru, peut-être Ne serait pas content de vous y voir paraître. Des gens bien informés. Ce Monsieur Duru là, Chez qui vous avez pris des façons si commodes, Le connaissez-vous ? Mais vous connaissez fort Madame ? Je le vois... De Monsieur je suis l'homme d'affaires. J'enfermerai dans peu ma chère femme. Que l'enfer... Mais, Monsieur, qui gouvernez Madame, La chambre de sa fille est-elle près d'ici ? Cet homme est nécessaire à toute ma famille : Il sort de chez ma femme, et s'en va chez ma fille. Je n'y puis plus tenir, et je succombe enfin. Justice ! Je suis mort. Je ne peux plus rien dire ! Je suffoque. Est-ce un rêve, un délire ? Je vengerai l'affront fait avec tant d'éclat. Juste ciel ! Et comment son frère l'avocat Peut-il souffrir céans cette honte inouïe, Sans plaider ? Son mari !... J'en suis quitte encor à bon marché, C'est là votre mari ? Lui, le fils de Gripon ? Que la fièvre le serre ! Maître Isaac Gripon m'avait bien fait entendre Qu'à votre mariage on pensait en effet ; Mais il ne m'a pas dit que tout cela fût fait. Marié ? De quand ? Votre époux, je l'avoue, est un fort beau garçon ; Mais il ne m'a point l'air d'être fils de Gripon. Qui l'eût cru ? Serait-il point aussi marié lui ? Lui ? Votre soeur ? Je n'y conçois plus rien.; Le compère Gripon m'eût dit cette nouvelle. Mais jadis Il avait l'esprit net. Ce double mariage est donc fait ? Vous m'avez tous bien l'air d'aimer le fruit précoce, D'anticiper l'hymen qu'on avait projeté. Oh ! La faute est légère. Pourvu qu'on n'ait pas fait une trop forte chère, Que la noce n'ait pas horriblement coûté, On peut vous pardonner cette vivacité. Vous paraissez d'ailleurs un homme assez aimable, Votre soeur est-elle aussi passable ? Si la chose est ainsi, Monsieur Duru pourrait excuser tout ceci. Je vais enfin parler à sa mere, et pour cause... Je m'en vais donc parler à son fils. L'aventure est fort bonne. Ainsi, dans ce logis, je ne peux voir personne ? Et son contentement ! Je ne sais si ce père Doit être aussi content d'une si prompte affaire. Quelle éveillée ! Mais Gripon, le compère, S'est bien pressé, sans moi de finir cette affaire. Quelle fureur de noce a saisi tous nos gens ! Tous quatre à s'arranger sont un peu diligents. De tant d'événements j'ai la vue ébahie. J'arrive, et tout le monde à l'instant se marie. Il reste, en vérité, pour compléter ceci, Que ma femme à quelqu'un soit mariée aussi. Entrons, sans plus tarder. Ma femme ! Hola, qu'on m'ouvre. Ouvrez, vous dis-je, il faut qu'enfin tout se découvre. Oh ! Ton Maître entrera, Suivante impertinente, et l'on m'obéira. J'ai beau frapper, crier, courir dans ce logis, De ma femme à mon gendre, et du gendre à mon fils, On répond en ronflant. Les valets, les servantes Ont tout barricadé. Ces manoeuvres plaisantes Me déplaisent beaucoup. Ces quatre extravagants. Si vite mariés, sont au lit trop longtemps. Et ma femme, ma femme ! Oh ! Je perds patience. Ouvrez, morbleu. Comment signer ! Tout est assez conclu. Vous radotez. La chose est consommée. Quels discours ! Morbleu, vous vous moquez ; tout est fait. Je n'ai point vu ma femme ; elle dort, et mon fils Dort avec votre fille ; et mon gendre au logis Avec ma fille dort, et tout dort. Quelle rage Vous a fait cette nuit presser ce mariage ? Quoi ! Mon fils ne tient pas À présent dans son lit Phlipotte et ses appas ! Les noces, cette nuit, n'auraient pas été faites ? Juste ciel ! Quoi ! Ton fils n'est pas avec ma fille. Le diable est donc dans ma famille ! Ah ! Fripons ! Femme indigne du jour, Vous payerez bien cher ce détestable tour ! Lâches, vous apprendrez que c'est moi qui suis Maître. Approfondissons tout, je prétends tout connaître ; Fais descendre mon fils ; va compère, dis-lui Qu'un ami de son père, arrivé d'aujourd'hui, Vient lui parler d'affaire, et ne saurait attendre. Eh ! Cours sans tant jaser. Eh ! Va donc. Va, te dis-je. Voyage cruel ! Ô pouvoir marital et pouvoir paternel ! Ô luxe ! Maudit luxe ! Invention du diable, C'est toi qui corrompt tout, perd tout ; monstre exécrable ! Ma femme, mes enfants, de toi sont infectés, J'entrevois là-dessous un tas d'iniquités, Un amas de noirceur, et surtout de dépenses, Qui me glacent le sang et redoublent mes transes. Épouse, fille, fils, m'ont tous perdu d'honneur, Je ne sais si je dois en mourir de douleur : Et quoique de me pendre il me prenne une envie, L'argent qu'on a gagné fait qu'on aime la vie. Ah ! J'aperçois, je crois, mon traître d'avocat. Quel habit ! Pourquoi donc n'a-t-il point de rabat ? Répondez, beau garçon, Êtes-vous avocat? Ah le traître! Êtes-vous marié ? Et votre soeur ? Mariés ! À qui donc ? Je me sens percer l'âme. Quelle est-elle ? En un mot, vite, répondez-moi. Je veux savoir de vous celle qui, par surprise, Pour braver votre père, ici s'impatronise. Oui, oui. Eh bien, traître ? Allons, faites venir vite le Commissaire, Vingt Huissiers. Comment, maître fripon, Toi me chasser d'ici ? Toi scélérat, faussaire, Aigrefin, débauché, l'opprobre de ton père ? Qui n'es point avocat ! Oui, c'est moi. Voilà donc à la fin ma coquine de femme ? Oh ; comme elle est changée ! Elle n'a plus, ma foi, De quoi raccommoder ses fautes près de moi. Ce matin... Fils indigne, apostat du barreau, Malheureux marié, qui fais ici le beau, Fripon ; c'est donc ainsi que ton père lui-même S'est vu reçu de toi ? C'est ainsi que l'on m'aime. Vous n'êtes point ma femme ; elle était ménagère ; Elle cousait, filait, faisait très maigre chère ; Et n'eût point à mon bien porté le coup mortel, Par la main d'un filou, nommé maître d'hôtel ; N'eût point joué, n'eût point ruiné ma famille, Ni d'un maudit Marquis ensorcelé ma fille ; N'aurait pas à mon fils fait perdre son latin, Et fait d'un avocat un pimpant aigrefin. Perfide, voilà donc la belle récompense D'un travail de douze ans et de ma confiance ? Des soupers dans la nuit, à midi petit jour ! Auprès de votre lit un oisif de la Cour ! Et portant en public le honteux étalage Du rouge enluminé qui peint votre visage ! C'est ainsi qu'à profit vous placiez mon argent ? Allons, de cet hôtel qu'on déniche à l'instant, Et qu'on aille m'attendre à son second étage. Oui. Le beau sermon du luxe et de l'intempérance ! Gripon, je souffrirais que pendant mon absence On dispose de tout, de mes biens, de mon fils, De ma fille ? Non, je serais outré d'être heureux malgré moi. C'est être heureux en sot de souffrir que chez soi, Femme, fils, gendre, fille ainsi se réjouissent. Non, non, non, non ; il faut être maître chez soi. Gripon, m'attendrirai-je ? L'impertinente ! Eh bien, qu'en pense-tu, compère ? Çà, mes enfants, ma femme, Je n'ai pas, dans le fond, une si vilaine âme. Mes enfants sont pourvus. Et puisque de son bien, Alors que l'on est mort, on ne peut garder rien, Il faut en dépenser un peu pendant sa vie. Mais, ne mangez, pas tout, Madame, je vous prie. Dix fois cent mille francs par vous sont-ils placés ? En voici donc autant qu'avec moi je rapporte. Allons donc ; je vois bien qu'il faut, avec constance, Prendre enfin mon bonheur du moins en patience. **** *creator_voltaire *book_voltaire_femmequiaraison *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_femmequiaraison *dist2_voltaire_verse_comedy *id_MADAMEDURU *date_1759 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_madameduru Mais, mon très-cher Marquis, comment, en conscience, Puis-je accorder ma fille à votre impatience, Sans l'aveu d'un époux ? Le cas est inouï. D'accord, mais mon mari ? Quoi ! Pendant son absence ?... Je suis bonne, et vous devez connaître Que pour Monsieur Duru, mon Seigneur et mon maître, Je n'ai pas un amour aveugle et violent. Je l'aime ... comme il faut... pas trop fort... sensément ; Mais je lui dois respect et quelque obéissance. Ne plaisantez pas tant, il m'en écrit encore, Et de son plein pouvoir dans sa Lettre il m'honore. Hélas ! À vos désirs je voudrais condescendre, Ce serait mon bonheur de vous avoir pour gendre J'avais, dans cette idée, écrit plus d'une fois ; J'ai prié mon mari de laisser à mon choix Cet établissement de deux enfants que j'aime. Monsieur Gripon me cause une frayeur extrême ; Mais, tout Gripon qu'il est, il le faut ménager, Écrire encor dans l'Inde, examiner, songer. Oh, çà, vous aimez donc ma fille à la folie ? Quel rocher ! Vous voyez un homme ici, ma fille Qui veut obstinément être de la familles Il est pressant ; je crains que l'ardeur de ce feu, Le rendant importun, ne vous déplaise un peu. Je ne commande point. Je vois, mes chers enfants, qu'il est fort nécessaire De conclure au plus tôt cette importante affaire. C'est pitié de vous voir ainsi sécher tous deux, Et mon bonheur dépend du succès de vos voeux. Mais mon mari ! Écoutez donc tous trois. Vos amours sont charmants et vos goûts font mon choix : Je sens combien m'honore une telle alliance ; Mon coeur à vos plaisirs se livre par avance. Nous serons tous contents, ou bien je ne pourrai : J'ai donné ma parole et je vous la tiendrai. Mais... Sans doute. Qh ! Laissez-moi parler. Vous saurez, mes enfants, Que quand on m'épousa j'avais près de quinze ans. Je dois tout aux bons soins de votre honoré père : Sa fortune déjà commençait à se faire ; Il eut l'art d'amasser et de garder du bien En travaillant beaucoup et ne dépensant rien. Il me recommanda, quand il quitta la France, De fuir toujours le monde, et surtout la dépense. J'ai dépensé beaucoup à vous bien élever ; Malgré moi le beau monde est venu me trouver. Au fond d'un galetas il reléguait ma vie, Et plus honnêtement je me suis établie. Il voulait que son fils, en bonnet, en rabat, Traînât dans le Palais la robe d'avocat ; Au régiment du Roi je le fis Capitaine. Il prétend aujourd'hui, sous peine de sa haine, Que de Monsieur Gripon, et la fille et le fils, Par un beau mariage avec nous soient unis. Je l'empêcherai bien, j'y suis fort résolue. Je crains quelque déconvenue, Je crains de mon mari le courroux véhément. Son cher correspondant Maître Isaac Gripon, d'une âme fort rebourse, Ferme depuis un an les cordons de sa bourse. Oui, mais j'ai consulté... Sur la validité D'une telle démarche ; et l'on dit qu'à votre âge On ne peut sûrement contracter mariage Contre la volonté d'un propre père. Hélas ! Il le faut bien souffrir. Voyons quel est ce cas. Si tard, Monsieur Gripon ! Quel sujet vous attire ? Comment ? L'ordre est très net, que faire ? La proposition, mes enfants, doit vous plaire. Comment la trouvez-vous ? Sans donner le temps de consulter, De voir ma bru, mon gendre, et sans les présenter ? C'est pousser avec nous vivement votre pointe. Oui, d'accord, On s'en aime bien mieux ; mais je voudrais d'abord Moi, mère, et qui dois voir le parti qu'il faut prendre, Embrasser votre fille et voir un peu mon gendre. Les aimables enfants ! C'est une bagatelle, et mon espoir se fonde Sur les leçons d'un père, et sur leurs sentiments, Qui valent cent fois mieux que les dehors charmants. Pas le matin. Mais... Le péril est pressant, et je suis bonne mère ; Mais... à qui pourrons-nous recourir ? C'est votre avis à tous ? Fort bien. Je peux vous assurer que c'est aussi le mien. Mon carrosse est-il prêt ? D'où vient donc tout ce bruit ? Qui donc ? Que vois-je ! Quels traits ! C'est lui-même, et mon âme... Quoi ! C'est vous, mon mari, mon cher époux ?... Daignez jeter, Monsieur, un regard moins sévère Sur moi, sur mes enfants, qui sont à vos genoux. Pourquoi tant de courroux dans notre heureux destin ? Vous retrouvez ici toute votre famille ; Un gendre, un fils bien né, votre épouse, une fille. Que voulez-vous de plus ? Faut-il après douze ans Voir d'un oeil de travers sa femme et ses enfants ? Je puis avoir des torts, vous quelques préjugés. Modérez-vous de grâce, écoutez et jugez. Alors que la misère à tous deux fut commune Je me fis des vertus propres à ma fortune ; D'élever vos enfants je pris sur moi les soins ; Je me refusai tout pour leur laisser, du moins, Une éducation qui tînt lieu d'héritage. Quand vous eûtes acquis, dans votre heureux voyage, Un peu de bien ; commis à ma fidélité, J'en sus placer le fonds, il est en sûreté. Votre bien s'accrut ; il servit, en partie, À nous donner à tous une plus douce vie. Je voulus dans la robe élever votre fils, Il n'y parut pas propre, et je changeai d'avis : Il fallait cultiver, non forcer la nature ; Il est né valeureux, vif, mais plein de droiture... J'ai fait, à ses talents habile à me plier, D'un mauvais avocat, un très bon officier. Avantageusement j'ai marié ma fille ; La paix et les plaisirs règnent dans ma famille ; Nous avons des amis ; des seigneurs sans fracas Sans vanité, sans airs, et qui n'empruntent pas, Soupent chez nous gaiement et passent la soirée ; La chère est délicate et toujours modérée. Le jeu n'est pas trop fort ; et jamais nos plaisirs Ne nous ont, grâce au Ciel, causé de repentirs. De mon premier état je soutins l'indigence ; Avec le même esprit j'use de l'abondance. On doit compte au public de l'usage du bien, Et qui l'ensevelit est mauvais citoyen ; Il fait tort à l'État, il s'en fait à soi-même ; Faut-il, sur son comptoir, l'oeil trouble et le teint blême, Manquer du nécessaire, auprès d'un coffre-fort, Pour avoir de quoi vivre un jour après sa mort ? Ah ! Vivez avec nous dans une honnête aisance : Le prix de vos travaux est dans la jouissance. Faites votre bonheur en remplissant nos voeux. Être riche n'est rien : le tout est d'être heureux. Monsieur, je vous en écrivis. Cette union est sage, et doit vous le paraître. Vos enfants sont heureux, leur père devrait l'être. Ah ! Qu'à cette union tous vos voeux applaudissent ! Vous le serez toujours. Nous sommes à vos pieds. Ah ! Mon époux ! Eh bien, vous rendez-vous ? Ne craignez rien, vivez, possédez, jouissez... En contrats, en effets de la meilleure sorte. Rapportez-nous un coeur doux, tendre, généreux : Voilà les millions qui sont chers à nos voeux. **** *creator_voltaire *book_voltaire_femmequiaraison *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_femmequiaraison *dist2_voltaire_verse_comedy *id_LEMARQUIS *date_1759 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lemarquis Comment ? Avec trois mots, un bon contrat, un oui ; Rien de plus agréable et rien de plus facile. À vos commandements votre fille est docile ; Vos bontés m'ont permis de lui faire ma cour ; Elle a quelque indulgence, et moi beaucoup d'amour ; Pour votre intime ami dès longtemps je m'affiche ; Je me crois honnête homme, et je suis assez riche. Nous vivons fort gaiement, nous vivrons encor mieux, Et nos jours, croyez-moi, seront délicieux. Votre mari m'assomme. Quel besoin avons-nous de conseils d'un tel homme ? Ah ! Les absents ont tort. Absent depuis douze ans, c'est comme à-peu-près mort. Si dans le fond de l'Inde il prétend être en vie, C'est pour vous amasser, avec sa ladrerie, Un bien que vous savez dépenser noblement ; Je consens qu'à ce prix il soit encor vivant ; Mais je le tiens pour mort aussitôt qu'il s'avise De vouloir disposer de la charmante Erise. Celle qui la forma doit en prendre le soin ; Et l'on n'arrange pas les filles d'aussi loin. Pardonnez... Eh ! mon Dieu, point du tout ; vous vous moquez, je pense. Qui, vous ? Vous, du respect pour un Monsieur Duru ? Fort bien. Nous vous verrions, si nous l'en avions cru, Dans un habit de serge, en un second étage, Tenir, sans domestique, un fort plaisant ménage. Vous êtes Demoiselle ; et quand l'adversité, Malgré votre mérite et votre qualité, Avec Monsieur Duru vous fit en biens commune, Alors qu'il commençait à bâtir sa fortune. C'était à ce Monsieur faire beaucoup d'honneur ; Et vous aviez, je crois, un peu trop de douceur, De souffrir qu'il joignît avec rude manière À vos tendres appas sa personne grossière. Voulez-vous pas encore aller sacrifier Votre charmante Erise au fils d'un usurier ? De ce Monsieur Gripon, son très digne compère ? Monsieur Duru, je pense, a voulu cette affaire : Il l'avait fort à coeur, et, par respect pour lui, Vous devriez, ma foi, la conclure aujourd'hui. Eh ! De ce plein pouvoir que ne vous servez-vous Pour faire un heureux choix d'un plus honnête époux ? Oui, voilà des raisons, des mesures commodes, Envoyer publier des bancs aux Antipodes Pour avoir dans trois ans un refus clair et net. De votre cher mari je ne suis pas le fait. Du seul nom de Marquis sa grosse âme étonnée, Croirait voir sa maison au pillage donnée. Il aime fort l'argent, il connaît peu l'amour. Au nom du cher objet qui de vous tient le jour, De la vive amitié qui m'attache à sa mère, De cet amour ardent qu'elle voit sans colère, Daignez former, Madame, un si tendre lien ; Ordonnez mon bonheur, j'ose dire le sien. Qu'à jamais à vos pieds je passe ici ma vie. Si je l'adore, ô Ciel ! Pour croître mon bonheur Je compte à votre fils donner aussi ma soeur. Vous aurez quatre enfants, qui d'une âme soumise, D'un coeur toujours à vous... Ah ! Venez belle Érise, Fléchissez votre mère, et daignez la toucher, Je ne la connais plus, c'est un coeur de rocher. De me justifier elle-même prend soin. Nous sommes deux ici contre vous. Ah Madame ! Soyez sensible aux feux d'une si pure flamme ; Vous l'avez allumée, et vous ne voudrez point Voir mourir sans s'unir ce que vous avez joint. Parlez donc, aidez-moi. Qu'avez-vous à sourire? Toujours son mari ! Sa faiblesse De cet épouvantail s'inquiète sans cesse. Je réponds de ma soeur, je réponds de moi-même ; Mais Madame balance, et c'est en vain qu'on aime. Moi, je parle pour tous. Toujours des mais ? Vous allez encor dire Mais mon mari. Ne craignez rien de loin. Hélas ! Consultez-nous. Oui, c'est ce qu'il faut faire, et quand ? Dès aujourd'hui. De nos communs désirs il faut presser l'effet. Ah ! Que de cet hymen mon coeur est satisfait ! Je ne me sens pas d'aise, Mais... j'ai cette affaire à coeur. Oui, je suis serviteur De votre ami Duru, de toute la famille, De Madame sa femme, et surtout de sa fille. Cet hymen est si cher, si précieux pour moi... Je suis le bon ami du logis. Je vous jure qu'il l'est. Je leur crois bien du goût. Allez, vous nous ravissez l'âme. Contre nos ennemis formons vite un traité Qui mette pour jamais nos droits en sûreté. Madame, on vous y force, et tout vous autorise, Et c'est le sentiment de la charmante Erise, Les mais à présent deviennent superflus. Résolvez-vous, Madame, ou nous sommes perdus. Adieu, Madame. Ah ! Que je suis heureux ! Adieu, jusqu'à ce soir. Quelqu'un parle, je crois. Quel est cet homme là qui jure entre ses dents ? Il paraît hors de sens, Qu'avez vous donc, Monsieur, qui parlez seul ainsi. Et pourquoi, mon ami ? Lui mécontent de moi ? Qui vous à dit cela ? Non : il est aux Antipodes, Dans les Indes, je crois, cousu d'or et d'argent. Apparemment ! Sa bonté m'est toujours précieuse et nouvelle, Et je fais mon bonheur de vivre ici près d'elle. Si vous avez besoin de sa protection, Parlez, j'ai du crédit, je crois, dans la maison. Ma foi, de ces gens-là je ne me mêle guère. Soyez le bienvenu, prenez surtout le soin D'apporter quelqu'argent dont nous avons besoin. Bonsoir. Tout auprès, et j'y vais. Oui, l'ami, la voici. Faites donc moins de bruit, je vous ai déjà dit, Qu'après qu'on a dansé on va se mettre au lit. Jurez plus bas tout seul. Je ne sais ; il paraît qu'il est extravagant ; Votre père, dit-il, l'a pris pour son agent. Ma foi, je n'en sais rien : cet homme est si bizarre ! Ah ! Daignez condescendre ?... Eh bien, je vous en fais la confidence entière. La nuit dernière. Monsieur sait qu'en la vie il est fort ordinaire De voir beaucoup d'enfants tenir peu de leur père. Par exemple, le fils de ce Monsieur Duru En est tout différent, n'en a rien. Ma soeur dans ses bras en ce moment-ci goûte Les premières douceurs du conjugal lien. Oui, Monsieur. Il regarde cela comme une bagatelle. C'est un homme occupé toujours du denier dix, Noyé dans le calcul, fort distrait. Les grands travaux et l'age Altèrent la mémoire ainsi que le visage. Je vous en donne ici ma parole d'honneur. N'avez-vous donc pas vu les débris de la noce ? Ne nous soupçonnez pas de cette indignité, Cela serait criant. Elle vaut cent fois mieux. Il est trop occupé. Il est de certains cas où des hommes de sens Se garderont toujours d'interrompre les gens. Vous voilà bien au fait. Je vais avec Madame, Me rendre aux doux transports de la plus pure flamme. Écrivez à son père un détail si charmant. Adieu. Revenez vers le soir, Et soupez avec nous. Serviteur. Ah ! Je vois ce que c'est. Oui, ce plaisant visage, Qui semblait si surpris de notre mariage. De votre époux il dit qu'il est agent. Oh ! Pardon ; j'ignorais que vous fussiez chez vous. Excusez, j'en suis honteux dans l'âme. Quel beau-père ! **** *creator_voltaire *book_voltaire_femmequiaraison *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_femmequiaraison *dist2_voltaire_verse_comedy *id_DAMIS *date_1759 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_damis Ah ? Ah ! L'on parle donc ici D'hymenée et d'amour ? Je veux m'y joindre aussi. Votre bonté pour moi ne s'est point démentie : Ma mère me mettra, je crois, de la partie. Monsieur a la bonté de m'accorder sa soeur, Je compte absolument jouir de cet honneur. Non point par vanité, mais par tendresse pure, Je l'aime éperdument, et mon coeur vous conjure De voir avec pitié ma vive passion. Voyez-vous, je suis homme à perdre la raison ; Enfin c'est un parti qu'on ne peut plus combattre. Une noce après tout suffira pour nous quatre. Il n'est pas trop commun de savoir en un jour Rendre deux coeurs heureux par les mains de l'amour. Mais faire quatre heureux par un seul coup de plume, Par un seul mot, ma mère, et contre la coutume, C'est un plaisir divin qui n'appartient qu'à vous, Et vous serez, ma mère, heureuse autant que nous. Désespérerez-vous par tant de cruautés, Une fille toujours souple à vos volontés ? Elle aime tout de bon, et je me persuade Que le moindre refus va la rendre malade, Je parle pour ma soeur. Quel martyre ! Et nous aussi. Il vous en reste assez. Non Lorsque ce propre père, étant dans la maison, Sur son droit de présence obstinément se fonde. Mais quand ce propre père est dans un bout du monde, On peut à l'autre bout se marier sans lui. Quelque présent de l'Inde ? Oh ! Monsieur, je vous jure Qu'on ne sentit jamais une flamme plus pure. Hélas ! Pour cet objet vainqueur Qui règne sur mes sens, et m'a donné son coeur. J'aime déjà leur grâce, et simple, et naturelle. Eh ! Que faites-vous donc vers le soir ? Madame, vous voyez qu'il est indispensable, De prévenir soudain ce marché détestable. Hélas ! De vos bienfaits mon coeur s'est tout promis. Il faut que le vilain, qui tous nous inquiète, En revenant demain trouve la noce faite. Elle a grande raison ; Et je veux que demain Maître Isaac Gripon Trouve en venant ici peu de choses à faire. Non ; mon âme est émue D'un sentiment si doux, d'un si charmant plaisir, Que devant vous encor je n'en saurais rougir. Je dis que notre hymen à la famille inspire Un délire de joie, un transport inouï. À peine hier au soir sortîtes-vous d'ici, Que livrés par avance au lien qui nous presse, Après un long souper, la joie et la tendresse Préparant à l'envi le lien conjugal, Nous avons cette nuit ici donné le bal. Ah ! Si vous connaissiez cette ardeur vive et pure Ces traits, ces feux sacrés, l'âme de la nature ; Cette délicatesse et ces ravissements, Qui ne sont bien connus que des heureux amants ; Si vous saviez... Votre coeur n'est point tendre. Vous ignorez les feux dont je suis consumé. Mon cher Monsieur Gripon, vous n'avez point aimé. Comment ; vous aussi, vous ? Vous concevez donc bien l'emportement extrême, Les douceurs ?... Je le vois bien ; enfin, vous me le pardonnez ? Ma mère en ce moment se couche. Approuvant le goût qui nous conduit, Elle a dans notre bal dansé toute la nuit, Non, elle est très respectable, Magnifique, avec goût, douce, tendre, adorable. Oh ! Fort souvent. Nous suivrons sur cela vos ordres absolus. Ne craignez rien. Satisfaire Le plus doux devoirs et l'ardeur la plus chère. Après avoir dansé, Plein des traits amoureux dont mon coeur est blessé, Je vais, Monsieur je vais... me coucher... Je me flatte . Que ma passion vive, autant que délicate, Me sera, peu dormir en ce fortuné jour, Et je serai longtemps éveillé par l'amour. Quel est cet homme ? Il a l'air bien atrabilaire. Prête-t-il de l'argent ? Point du tout. J'ai le bonheur de l'être. Aussi. Nous avons cette nuit Goûté d'un double hymen le tendre et premier fruit. À ma femme. Non. Vous êtes curieux et poli, je le vois. Quelle est ma femme ? C'est la soeur de celui À qui ma propre soeur est unie aujourd'hui. Mais la chose est toute claire. Vous savez, cher Gripon, qu'un ordre de mon père Enjoignait à ma mère, en termes très précis, D'établir, au plutôt, et sa fille, et son fils. À cet ordre elle s'est asservie, Non pas absolument, mais du moins en partie. Il veut un prompt hymen, il s'est fait promptement. Il est vrai qu'on n'a pas conclu précisément Avec ceux que sa lettre a nommé par sa close ; Mais le plus fort est fait, le reste est peu de chose. Le Marquis d'Outremont, l'un de nos bons amis, Est un homme... Et qui donc êtes-vous, s'il vous plaît, Qui daignez prendre à nous un si grand intérêt ? Cher ami de mon père, apprenez que peut-être, Sans mon respect pour lui, cette large fenêtre Serait votre chemin pour vider la maison. Dénichez de chez moi. Mon père ! À vos pieds... Je ne suis pas devin. Quel père ! Tout ici doit vous plaire, Serez-vous inflexible ? **** *creator_voltaire *book_voltaire_femmequiaraison *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_femmequiaraison *dist2_voltaire_verse_comedy *id_ERISE *date_1759 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_erise Oh ! Non, ne craignez rien ; s'il n'a pu vous déplaire Croyez que contre lui je n'ai point de colère : J'aime à vous obéir. Comment ne pas vouloir Ce que vous commandez, ce qui fait mon devoir, Ce qui de mon respect est la preuve si claire ? Pardonnez-moi, ma mère Vous l'avez commandé, mon coeur en est témoin. Mais vous parlez si bien que je n'ai rien à dire ; J'aurais peur d'être trop de votre sentiment, Et j'en ai dit, me semble, assez honnêtement. Il est mon père. Ah ! vous êtes si bonne ! Auriez-vous la rigueur De maltraiter un fils si cher à votre coeur ? Son amour est si vrai, si pur, si raisonnable ! Vous l'aimez, voulez-vous le rendre misérable ? Je connais bien mon frère, et j'ai lu dans son coeur : Un refus le ferait expirer de douleur. Pour moi, j'obéirai sans réplique à ma mère, Je parle pour mon frère, Ah ! Quels coups ! Quoi, si tôt ? Je dis la même chose, et je vous promets bien De placer les devoirs, les plaisirs de ma vie À plaire au tendre amant à qui mon coeur me lie. Leur bon sens dont leur père est le parfait modèle. Je me flatte toujours d'être de votre avis. J'admire vos conseils et celui de mon frère. Eh ! Mon Dieu, quel lutin, Quand on va se coucher tempête à cette porte ? Qui peut crier ainsi de cette étrange sorte ? Quoi donc ? Quel est donc cet homme, je vous prie ? D'où vient que cet agent fait tant de tintamarre ? Est-ce que mon mari, Monsieur, vous a fâché ? Sans doute, c'est lui-même. C'est mon mari, que j'aime. À mon père, Monsieur, lorsque vous écrirez, Peignez-lui bien les noeuds dont nous sommes serrés. Oui, Monsieur. Sans doute. Oui, Monsieur. Oh ! Très fort. Ah ! Gardez-vous-en bien, Monsieur ; elle repose. Elle est trop fatiguée ; elle a pris tant de soins... Encore moins. Marquez-lui mon respect et mon contentement. Bonjour, jusqu'au revoir. Toute à vous. Eh ! Bon Dieu quel langage ! Ah ! Disposez de moi. **** *creator_voltaire *book_voltaire_femmequiaraison *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_femmequiaraison *dist2_voltaire_verse_comedy *id_MONSIEURGRIPON *date_1759 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_monsieurgripon Un bon sujet. Je m'en vais vous le dire. Oh ! vraiment oui. Voici L'ordre de votre père que je vous porte ici. Ma fille est votre bru, mon fils est votre gendre ; Ils le seront du moins, et sans beaucoup attendre. Lisez. À votre chef Obéir sans réplique et tout bâcler en bref. Il reviendra bientôt ; et même, par avance, Son commis vient régler des comptes d'importance. J'ai peu de temps à perdre ; ayez la charité De dépêcher la chose avec célérité. Que ça vous satisfasse, ou que ça vous déplaise, Ça doit importer peu. Pourquoi tant d'aise ? Vous, à coeur mon affaire ? Par ma foi, Ces amis du logis sont de mauvaise augure. Madame, sans amis, hâtons-nous de conclure. Pour se bien marier il faut que la conjointe N'ait jamais entrevu son conjoint. Vous les voyez en moi, corps pour corps, trait pour trait, Et ma fille Phlipotte est en tout mon portrait. Pour ma Phlipotte ? On ne t'a rien donné, je ne puis te comprendre ; Ma fille, ainsi que moi, n'a point l'âme si tendre. Et vous, qui souriez, vous ne me dites rien ? Il n'est point tendre amant, vous répondez fort mal. Oh ! Quel original ! L'ami de la maison, mêlez-vous, je vous prie, Un peu moins de la fête et des gens qu'on marie. Oh, çà, j'ai réussi dans ma commission. Je vois pour votre époux votre soumission ; Il ne faut à présent qu'un peu de signature, J'amènerai demain le Futur, la Future. Vous aurez des enfants, souples, respectueux, Grands ménagers, enfin on sera content d'eux. Il est vrai qu'ils n'ont pas les grands airs du beau monde. Ils n'ont rien de cela. Que diable ici fait-on de ce beau Monsieur là ? À demain donc, Madame ; une noce frugale Préparera sans bruit l'union conjugale. Il est tard, et le soir jamais nous ne sortons. Nous dormons. On se lève avant jour ; ainsi fait votre père, Imitez-le dans tout pour vivre heureux sur terre. Soyez sobre, attentif à placer votre argent ; Ne donnez jamais rien, et prêtez rarement. Demain de grand matin, je reviendrai, Madame. Cet homme me déplaît. Dès demain je prétends. Que l'ami du logis déniche de céans, Adieu. Eh quoi ? Proposez. Qui. Pas toujours. Comment ? Madame, il nous faudra chasser cette donzelle ; Et l'ami du logis ne me plaît pas plus qu'elle. Comment ! Dans ce logis est-on fou, mon garçon ? Quel tapage a-t-on fait la nuit dans la maison ? Quoi ! Deux tables encor impudemment dressées ! Des débris d'un festin, des chaises renversées, Des laquais étendus ronflants sur le plancher. Et quatre violons, qui ne pouvant marcher. S'en vont en fredonnant à tâtons dans la rue ! N'es-tu pas tout honteux ? D'un sentiment si doux ! Que diable veux-tu dire? Voilà trop de fracas avec trop de dépense. Je n'aime point qu'on ait du plaisir par avance. Cette vie à ton père à coup sûr déplaira. Et que seras-tu donc quand on te mariera ? Je sais que je ne puis comprendre Rien de ce que tu dis. Si fait, si fait. Moi-même. Et oui, oui. J'ai fait, à ma façon L'amour un jour ou deux à Madame Gripon ; Mais cela n'était pas comme ta belle flamme, Ni tes discours de fou que tu tiens sur ta femme. Oui dà, quand les contrats seront faits et signés. Allons, avec ta mère il faut que je m'abouche ; Finissons tout. Quoi ? Ta mère ? Ta mère est folle. Écoute ; il faut ici te parler clairement. Nous attendons ton père, il viendra promptement ; Et déjà son commis arrive en diligence Pour régler sa recette ainsi que la dépense. Il sera très fâché du train qu'on fait ici ; Et tu comprends fort bien que je le suis aussi. C'est dans un autre esprit que Phlipotte est nourrie ; Elle a trente-sept ans, fille honnête, accomplie, Qui, seule avec mon fils, compose ma maison ; L'été sans éventail, et l'hiver sans manchon ; Blanchit, repasse, coud, compte comme barème, Et sait manquer de tout aussi bien que moi-même. Prends exemple sur elle afin de vivre heureux. Je reviendrai ce soir vous marier tous deux. Tu parais bon enfant, et ma fille est bien née. Mais, crois-moi, ta cervelle est un peu mal tournée, Il faut que la maison soit sur un autre pied. Dis-moi. Ce grand flandrin, qui m'a tant ennuyé, Qui toujours de côté me fait la révérence, Vient-il ici souvent ? Je pense Que pour cause il est bon qu'il n'y revienne plus. C'est très bien dit. Mon gendre a du bon, et j'espère Morigéner bientôt cette tête légère ; Mais surtout plus de bal : je ne prétends plus voir Changer la nuit en jour, et le matin en soir. Eh bien, où vas-tu ? Il brûle pour Phlipotte. Les romans l'ont gâté, sa tête est attaquée ; Mais celle de son père est aussi détraquée, De prétendre chez lui se rendre incognito. Quel profit à cela ? C'est un vrai vertigo. Ce n'est qu'en fait d'argent que j'aime le mystère ; Mais je fais ce qu'il veut ; ma foi, c'est son affaire. Mari qui veut surprendre est souvent fort surpris, Et... mais voici Monsieur qui vient dans son logis. Bonjour, compère. Il ne me répond point. Il rêve. Il parle longtemps seul, c'est signe de démence. Bonjour, compère. Eh bien, vous avez terminé Assez heureusement un assez long voyage. Je vous trouve un peu vieux. Oui, je le crois, il est fort triste de vieillir ; On a bien moins de temps pour pouvoir s'enrichir. Je n'ai violé rien, les choses sont réglées. J'ai pour vous dans mes mains, en beaux et bons papiers, Trois cent deux mille francs, dix-huit sols neuf deniers. Revenez-vous bien riche ? Moquez-vous du monde. Quoi ! N'est-ce que cela ? Il faut se consoler. Sois le maître chez toi, mets-la dans un couvent. Chasse tous ces coquins. C'est un profit tout clair. Tous ces gens-là, compère, Sont nos vrais ennemis, dévorent notre bien ; Et pour vivre à son aise, il faut vivre de rien. Tout comme tu voudras. Selon ta fantaisie. Oh ! Fort bien : sur ce point nous serons tous contents ; On aime avec transport déjà mes deux enfants. De la peine, au contraire ; Ils ont avec plaisir conclu soudainement. Ton fils a pour ma fille un amour véhément, Et ta fille déjà brûle, sur ma parole. Pour mon petit Gripon. Oh ! Tout est résolu, Et cet après-midi l'hymen sera conclu, Oh ! Parbleu, ta femme est ton affaire. Je te donne une bru charmante et ménagère : J'ai toujours à ton fils destiné ce bijou ; Et nous les marierons sans leur donner un sou. L'argent corrompt la jeunesse volage. Point d'argent : c'est un point capital en ménage. Fais-en tout ce qu'il te plaira. Et pourquoi ? Que t'importe ? Quand tu te nommeras, tu te feras connaître. Est-ce que le sang parle ? Et ne dois-tu pas être Honnêtement content, quand, pour comble de biens Tes dociles enfants vont épouser les miens ? Adieu ; j'ai quelque dette active et d'importance, Qui devers le midi demande ma présence. Et je reviens, compère, après un court dîner, Moi, ma fille et mon fils, pour conclure et signer. Je viens signer notre alliance. Sans doute, et vous l'avez voulu. Il faut conclure tout. Je viens pour consommer la chose. Oh ! Oui ; je me propose De produire au grand jour ma Phlipotte et Phlipot. Ils viennent. Tout est prêt en un mot. Çà, compère Votre femme est instruite et prépare l'affaire. Es-tu devenu fou ? Ma fille a cette nuit repassé ses cornettes, Elle s'habille en hâte ; et mon fils, son cadet, Pour épargner les frais, met le contrat au net. Non, sans doute. Je le crois. Je vais te l'amener. Il faut punir mon gendre. Il faut un Commissaire, il faut verbaliser, Il faut venger Phlipotte. Cela pourra coûter quelqu'argent, mais n'importe. Il faudra faire amener main-forte. J'y cours. C'est le meilleur ami qu'ait Monsieur votre père. En aucune façon, Car il en a beaucoup. Scélérat ! À ma Phlipotte ? Quel galimatias ! Ah ! C'est-là cet ami du logis. On s'est moqué de nous ; je m'en doutais, compère. C'est la force du sang. Écoutez, entre nous Ça demande du temps. J'ai le coeur un peu dur ; mais après tout que faire ? La chose est sans remède, et ma Phlipotte aura Cent avocats pour un si-tôt qu'elle voudra. **** *creator_voltaire *book_voltaire_femmequiaraison *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_femmequiaraison *dist2_voltaire_verse_comedy *id_MARTHE *date_1759 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_marthe Voi1a Monsieur Gripon qui veut forcer la porte ; Il vient pour un grand cas, dit-il, qui vous importe. Ce sont ses propres mots, faut-il qu'il entre ? Moniseur, un mot. Sans vous déplaire, Peut-ou vous proposer une excellente affaire ? Vous donnez aux enfants du logis Phlipotte, votre fille, et Phlipot votre fils ? L'on donne une dot en pareille aventure ? Vous pourriez, et je vous en conjure Partager par moitié vos généreux présents, Payez la dot, et gardez vos enfants, Eh bien ! Vous laissez-vous tous les quatre effrayer Par le malheureux cas de ce maître usurier ? Au Notaire, À la noce, à l'hymen. Je prends sur moi le soin D'amener à l'instant le Notaire du coin, D'ordonner le souper, de mander la musique : S'il est quelqu'autre usage admis dans la pratique. Je ne m'en mêle pas. Je vais chez ma maîtresse en son appartement. De Madame Duru. Quoi ! Monsieur ? Non ; mais je vois assez ce que vous pouvez être. Vous me ferez plaisir. Mais, Monsieur, le temps presse, Et voici le moment de coucher ma maîtresse. Oui, Monsieur. C'est un train fort honnête. Après souper on joue, Après le jeu l'on danse, et puis on dort. Quoi ! Cela vous surprend... Vous bonhomme, à votre âge ? Mais rien n'est plus commun. Madame fait usage Des grands biens amassés par son ladre mari ; Et quand on tient maison, chacun en use ainsi. Faut-il tout vous apprendre ? D'où diable venez-vous.? Je le vois, Vous me paraissez neuf quoiqu'antique. Oui. De quoi vous mêlez-vous ? Vous, Monsieur ? Grand merci. Quelque amant ! Vous osez attaquer notre honneur ! Quelque amant ! À ce trait, qui blesse ma pudeur, Je ne sais qui me tient, que mes mains appliquées Ne soient sur votre face avec cinq doigts marquées. Quelque amant, dites-vous ? Apprenez Que ce n'est pas à vous à fourrer votre nez Dans ce que fait Madame. Eh ! mais... Elle est trop bonne, Trop sage, trop honnête, et trop douce personne ; Et vous êtes un sot avec vos questions. J'y vais... Un impudent, un rôdeur de maisons. Tout-à-l'heure ... Un benêt qui pense que les filles Iront lui confier des secrets de famille. Eh ! J'y cours ... Un vieux fou que la main que voilà Devrait punir cent fois... L'on y va, l'on y va. Paix, paix, l'on n'entre point. C'est mon questionneur. Cet agent paraît peu patient. Et qui vous aurait cru le mari de Madame ? Vite, attendrissez-vous. Tous ces gens-là, Monsieur, s'aiment à la folie ; Croyez-moi, mettez-vous aussi de la partie. Personne n'attendait que vous vinssiez ici. La maison va fort bien, vous voilà, restez-y. Soyez gai comme nous, ou que Dieu vous renvoie, Nous vous promettons tous de vous tenir en joie. Rien n'est plus douloureux, comme plus inhumain, Que de gronder tout seul des plaisirs du prochain.