**** *creator_voltaire *book_voltaire_guebres *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_guebres *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_IRADAN *date_(non *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_iradan Ah des mêmes chagrins mes sens sont pénétrés ; Moins violent que vous, je les ai dévorés : Mais que faire ? Et qui suis-je ? Un soldat de fortune Né citoyen romain, mais de race commune, Sans soutiens, sans patrons, qui daignent m'appuyer, Sous ce joug odieux il m'a fallu plier. Des prêtres de Pluton, dans les murs d'Apamée, L'autorité fatale est trop bien confirmée : Plus l'abus est antique, et plus il est sacré ; Par nos derniers Césars on l'a vu révéré. De l'empire persan l'Oronte nous sépare ; Gallien veut punir la nation barbare Chez qui Valérien, victime des revers, Chargé d'ans et d'affronts, expira dans les fers. Venger la mort d'un père est toujours légitime. Le culte des Persans à ses yeux est un crime. Il redoute, ou du moins il feint de redouter Que ce peuple inconstant, prompt à se révolter, N'embrasse aveuglément cette secte étrangère, A nos lois, à nos dieux, à notre État, contraire ; Il dit que la Syrie a porté dans son sein De vingt cultes nouveaux le dangereux essaim, Que la paix de l'empire en peut être troublée, Et des Césars un jour la puissance ébranlée : C'est ainsi qu'il excuse un excès de rigueur. On prétend qu'à ce peuple il faut un joug de fer, Une loi de terreur, et des juges d'enfer. Je sais qu'au Capitole on a plus d'indulgence ; Mais le coeur en ces lieux se ferme à la clémence : Dans ce sénat sanglant les tribuns ont leur voix ; J'ai souvent amolli la dureté des lois ; Mais ces juges altiers contestent à ma place Le droit de pardonner, le droit de faire grâce. Cent fois, dans les chagrins dont je me sens presser, A ces honneurs honteux j'ai voulu renoncer ; Et, foulant à mes pieds la crainte et l'espérance, Vivre dans la retraite et dans l'indépendance ; Mais j'y craindrais encor les yeux des délateurs : Rien n'échappe aux soupçons de nos accusateurs. Hélas ! Vous savez trop qu'en nos courses premières On nous vit des Persans habiter les frontières ; Dans les remparts d'Émesse un lien dangereux, Un hymen clandestin nous enchaîna tous deux : Ce noeud saint par lui-même est par nos lois impie, C'est un crime d'État que la mort seule expie ; Et contre les Persans César envenimé Nous punirait tous deux d'avoir jadis aimé. Je pense comme vous, et vous me connaissez ; Mes remords par le temps ne sont point effacés. Mon métier de soldat pèse à mon coeur trop tendre ; Je pleurerai toujours sur ma famille en cendre ; J'abhorrerai ces mains qui n'ont pu les sauver ; Je chérirai ces pleurs qui viennent m'abreuver : Nous n'aurons, dans l'ennui qui tous deux nous consume, Que des nuits de douleur et des jours d'amertume. Il faut des protecteurs qui m'approchent de lui ; Percerai-je jamais cette foule empressée, D'un préfet du prétoire esclave intéressée, Ces flots de courtisans, ce monde de flatteurs, Que la fortune attache aux pas des empereurs, Et qui laisse languir la valeur ignorée, Loin des palais des grands, honteuse et retirée ? Soldat, que me veux-tu ? Quelle victime encor leur faut-il immoler ? Ministres de nos dieux, quel sujet vous attire ? Je les respecte tous, Je leur dois obéir ; mais que m'annoncez-vous ? Quoi ! la mort ! Mais ses sévérités... Une fille ! Un enfant ! Cette rigueur est grande ; il faut l'entendre au moins. Nous sommes ses soldats, nous servons notre maître. Il peut tout. Sur vous aussi peut-être. Servez-les aux autels. Je sais quels sont vos droits ; mais vous pourriez apprendre Qu'on les perd quelquefois en voulant les étendre. Les pontifes divins, justement respectés. Ont condamné l'orgueil, et plus les cruautés ; Jamais le sang humain ne coula dans leurs temples : Ils font des voeux pour nous ; imitez leurs exemples. Tant qu'en ces lieux surtout je pourrai commander, N'espérez pas me nuire, et me déposséder Des droits que Rome accorde aux tribuns militaires. Rien ne se fait ici par des lois arbitraires ; Montez au tribunal, et siégez avec moi. Vous, soldats, conduisez, mais au nom de la loi, La malheureuse enfant dont je plains la détresse ; Ne l'intimidez point, respectez sa jeunesse, Son sexe, sa disgrâce ; et, dans notre rigueur, Gardons-nous bien surtout d'insulter au malheur. Puisque César le veut, pontifes, prenez place. Approchez-vous, ma fille, et reprenez vos sens. Prêtres, votre langage a trop de dureté, Et ce n'est pas ainsi que parle l'équité : Si le juge est sévère, il n'est point tyrannique. Tout soldat que je suis je sais comme on s'explique... Ma fille, est-il bien vrai que vous ne suiviez pas Le culte antique et saint qui règne en nos climats ? Non, ce n'est point assez et si la loi punit Les sujets syriens qu'un mage pervertit, On borne la rigueur à bannir des frontières Les Persans ennemis du culte de nos pères. Sans doute elle est Persane ; on peut de ce séjour L'envoyer aux climats dont elle tient le jour. Osez, sans vous troubler, dire où vous êtes née, Quelle est votre famille et votre destinée. Ô vertu trop sincère ! ô fatale candeur ! Eh bien ! prêtres des dieux, faut-il que votre coeur Ne soit point amolli du malheur qui la presse ? De sa simplicité, de sa tendre jeunesse ? Vous ne l'oserez point ; sa candeur et son âge, Sa naïve éloquence, et surtout son courage, Adouciront en vous cette âpre austérité Qu'un faux zèle honora du nom de piété. Pour moi, je vous l'avoue, un pouvoir invincible M'a parlé par sa bouche, et m'a trouvé sensible ; Je cède à cet empire, et mon coeur combattu En plaignant ses erreurs admire sa vertu : À ses illusions si le ciel l'abandonne, Le ciel peut se venger ; mais que l'homme pardonne. Dût César me punir d'avoir trop émoussé Le fer sacré des lois entre nos mains laissé, J'absous cette coupable. Tout au nom de César, et tout au nom des dieux ! C'est en ces noms sacrés qu'on fait des misérables : Ô pouvoirs souverains, on vous en rend coupables !.. Vous, jeune malheureuse, ayez un peu d'espoir. Vous me voyez chargé d'un funeste devoir ; Ma place est rigoureuse, et mon âme indulgente. Des prêtres de Pluton la troupe intolérante Par un cruel arrêt vous condamne à périr ; Un soldat vous absout, et veut vous secourir. Mais que puis-je contre eux ? Le peuple les révère, L'empereur les soutient ; leur ordre sanguinaire A mes yeux, malgré moi, peut être exécuté. Vous pourriez désarmer leur barbare injustice, Abjurer votre culte, implorer l'empereur ; J'ose vous en prier. Vous me faites frémir, et j'ai peine à comprendre Tant d'obstination dans un âge si tendre ; Pour des préjugés vains aux nôtres opposés Vous prodiguez vos jours à peine commencés. Ainsi vous surmontez vos mortelles alarmes, Vous, si jeune et si faible ! et je verse des larmes ! Je pleure, et d'un oeil sec vous voyez le trépas ! Non, malheureuse enfant, vous ne périrez pas : Je veux, malgré vous-même, obtenir votre grâce ; De vos persécuteurs je braverai l'audace. Laissez-moi seulement parler à vos parents : Qui sont-ils ? Au bruit de vos dangers ils mourront de douleur ; Apprenez-moi leur nom. Ô ciel ! Ô dieux qui l'écoutez, Sur cette âme si belle étendez vos bontés ! Mais parlez, votre père est-il dans Apamée ? Reste de l'âge d'or et des vertus antiques, Que n'ai-je ainsi vécu ! Que tout ce que j'entends Porte au fond de mon coeur des traits intéressants ! Vivez, ô noble objet ! Ce coeur vous en conjure. J'en atteste cet astre et sa lumière pure, Lui par qui je vous vois et que vous révérez ; S'il est sacré pour vous, vos jours sont plus sacrés, Et je perdrai ma place avant qu'en sa furie La main du fanatisme attente à votre vie... Vous la suivrez, soldats ; mais c'est pour observer Si ces prêtres cruels oseraient l'enlever ; Contre leurs attentats vous prendrez sa défense. Il est beau de mourir pour sauver l'innocence. Allez. Je m'emporte trop loin : ma pitié, ma colère, Me rendront trop coupable aux yeux du souverain ; Je crains mes soldats même, et ce terrible frein, Ce frein que l'imposture a su mettre au courage ; Cet antique respect, prodigué d'âge en âge A nos persécuteurs, aux tyrans des esprits. Je verrai ces guerriers d'épouvante surpris ; Ils se croiront souillés du plus énorme crime, S'ils osent refuser le sang de la victime. Ô superstition, que tu me fais trembler ! Ministres de Pluton, qui voulez l'immoler ! Puissances des enfers, et comme eux inflexibles, Non, ce n'est pas pour moi que vous serez terribles : Un sentiment plus fort que votre affreux pouvoir Entreprend sa défense, et m'en fait un devoir ; Il étonne mon âme, il l'excite, il la presse : Mon indignation redouble ma tendresse : Vous adorez les dieux de l'inhumanité, Et je sers contre vous le Dieu de la bonté. Pour la seconde fois ils ont paru, mon frère, Au nom de l'empereur et des dieux qu'on révère ; Ils les ont fait parler avec tant de hauteur, Ils ont tant déployé l'ordre exterminateur Du prétoire, émané contre les réfractaires, Tant attesté le ciel et leurs lois sanguinaires, Que mes soldats, tremblants et vaincus par ces lois, Ont baissé leurs regards au seul son de leur voix. Je l'avais bien prévu : ces prêtres du Tartare Avancent fièrement ; et, d'une main barbare, Ils saisissent soudain la fille d'Arzémon, Cette enfant si sublime, Arzame (c'est son nom) ; Ils la traînaient déjà : quelques soldats en larmes Les priaient à genoux ; nul ne prenait les armes. Je m'élance sur eux, je l'arrache à leurs mains : « Tremblez, hommes de sang ; arrêtez, inhumains ; Tremblez ! elle est Romaine ; en ces lieux elle est née, Je la prends pour épouse. O dieux de l'hyménée ! Dieux de ces sacrés noeuds, dieux cléments, que je sers, Je triomphe avec vous des monstres des enfers ! Armez et protégez la main que je lui donne ! » Ma cohorte à ces mots se lève et m'environne ; Leur courage renaît. Les tyrans confondus Me remettent leur proie, et restent éperdus. « Vous savez, ai-je dit, que nos lois souveraines Des saints noeuds de l'hymen ont consacré les chaînes ; Que nul n'ose porter sa téméraire main Sur l'auguste moitié d'un citoyen romain : Je le suis ; respectez ce nom cher à la terre.» Ma voix les a frappés comme un coup de tonnerre : Mais, bientôt revenus de leur stupidité, Reprenant leur audace et leur atrocité, Leur bouche ose crier à la fraude, au parjure ; Cet hymen, disent-ils, n'est qu'un jeu d'imposture, Une offense à César, une insulte aux autels ; Je n'en ai point tissu les liens solennels ; Ce n'est qu'un artifice indigne et punissable... Je vais donc le former cet hymen respectable : Vous l'approuvez, mon frère, et je n'en doute pas ; Il sauve l'innocence, il arrache au trépas Un objet cher aux dieux aussi bien qu'à moi-même, Qu'ils protègent par moi, qu'ils ordonnent que j'aime, Et qui, par sa vertu, plus que par sa beauté, Est l'image, à mes yeux, de la divinité. Eh bien ! Préparez tout pour ce noeud solennel, Les témoins, le festin, les présents, et l'autel ; Je veux qu'il s'accomplisse aux yeux des tyrans même Dont la voix infernale insulte à ce que j'aime. Qu'on la fasse venir... Mon frère, demeurez, Digne et premier témoin de mes serments sacrés. La voici. Arzame, c'est à vous que mon coeur sacrifie ; Ce coeur, qui ne s'ouvrait qu'à la compassion, Repoussait loin de vous la persécution. Contre vos ennemis l'équité se soulève : Elle a tout commencé, l'amour parle et l'achève. Je suis prêt de former, en présence des dieux, En présence du vôtre, un noeud si précieux, Un noeud qui fait ma gloire, et qui vous est utile, Qui contre vos tyrans vous ouvre un prompt asile, Qui vous peut en secret donner la liberté D'exercer votre culte avec sécurité. Il n'en faut point douter, l'éternelle puissance, Qui voit tout, qui fait tout, a fait cette alliance ; Elle vous a portée aux écueils de la mort, Dans un orage affreux qui vous ramène au port ; Sa main, qu'elle étendait pour sauver votre vie, Tissut en même temps ce saint noeud qui nous lie. Je vous présente un frère ; il va tout préparer Pour cet heureux hymen dont je dois m'honorer. Belle et modeste Arzame, Versez en liberté vos secrets dans mon âme ; Ils sont à moi, parlez, tout est commun pour nous. Ne craignez rien, parlez à l'époux qui vous aime. Ah ! Que me dites-vous ? Et quelle défiance ! Tout le mien coulera plutôt qu'on vous offense ; Ces tyrans confondus sauront nous respecter. Je m'honore moi-même, et ma gloire est contente Des honneurs qu'on doit rendre à ma digne moitié. Je vous le jure. Vous semblez hésiter, Et vos regards sur moi tremblent de s'arrêter ; Vous pleurez, et j'entends votre coeur qui soupire. Barbare ! Ah ! que m'avez-vous dit ? Vous avez donc un frère ? Je demeure immobile, et mon âme éperdue Ne croit pas en effet vous avoir entendue. De cet affreux secret je suis trop offensé ; Mon coeur le gardera... mais ce coeur est percé. Allez ; je cacherai mon outrage à mon frère. Je dois me souvenir combien vous m'étiez chère : Dans l'indignation dont je suis pénétré, Malgré tout mon courroux, mon honneur vous sait gré De m'avoir dévoilé cet effrayant mystère. Votre esprit est trompé, mais votre âme est sincère. Je suis épouvanté, confus, humilié ; Mais je vous vois toujours d'un regard de pitié : Je ne vous aime plus, mais je vous sers encore. Allez, n'espérez pas, dans votre aveuglement, Arracher de mon âme un tel consentement. Par le pouvoir secret d'un charme inconcevable, Mon coeur s'attache à vous, tout ingrate et coupable : Vos noeuds me font horreur ; et dans mon désespoir, Je ne puis vous haïr, vous quitter, ni vous voir. Renvoyez nos amis, éteignez ces flambeaux. Plus d'autels, plus d'hymen. Il faut m'arracher de ces lieux ; Renonçons pour jamais à ce poste funeste, À ce rang avili qu'avec vous je déteste, À tous ces vains honneurs d'un soldat détrompé, Trop basse ambition dont j'étais occupé. Fuyons dans la retraite où vous vouliez vous rendre ; De nos enfants, mon frère, allons pleurer la cendre : Nos femmes, nos enfants, nous ont été ravis ; Vous pleurez votre fille, et je pleure mon fils. Tout est fini pour nous, sans espoir sur la terre, Que pouvons-nous prétendre à la cour, à la guerre ? Quittons tout, et fuyons. Mon esprit aveuglé Cherchait de nouveaux noeuds qui m'auraient consolé ; Ils sont rompus, le ciel en a rompu la trame. Fuyons, dis-je, à jamais et du monde et d'Arzame. Arrêtez ; peut-on croire D'un soldat, de son frère, une action si noire ? Ce que j'ai commencé je le veux achever ; Je ne la verrai plus, mais je dois la sauver : Mes serments, ma pitié, mon honneur, tout m'engage ; Et je n'ai point de vous mérité cet outrage : Vous m'offensez. Ingrats ! Tremblez, vils assassins ; Vous n'êtes plus soldats quand vous servez ces prêtres. Et vous, objet infortuné, Rentrez dans cet asile à vos malheurs donné. Ils nous perdront, sans doute ; ils n'ont qu'à le vouloir. Qu'elle est juste, mon frère, et qu'elle est impuissante ! Ils ont pour les défendre et pour nous accabler César, qu'ils ont séduit, les dieux, qu'ils font parler. Écoutez : Apamée Touche aux États persans, la ville est désarmée ; Les soldats de ce fort ne sont point contre moi, Et déjà quelques-uns m'ont engagé leur foi : Courez à nos tyrans, flattez leur violence ; Dites que votre frère, écoutant la prudence, Mieux conseillé, plus juste, à son devoir rendu, Abandonne un objet qu'il a trop défendu ; Dites que par leurs mains je consens qu'elle meure, Que je livre sa tête avant qu'il soit une heure : Trompons la cruauté qu'on ne peut désarmé. ; Enfin promettez tout, je vais tout confirmer. Dès qu'elle aura passé ces fatales frontières, Je mets entre elle et moi d'éternelles barrières ; A vos conseils rendu, je brise tous mes fers ; Loin d'un service ingrat, caché dans des déserts, Des humains avec vous je fuirai l'injustice. Cet inconnu m'alarme : est-il un satellite Que ces juges sanglants se pressent d'envoyer Pour observer ces lieux, et pour nous épier ? Ce malheureux s'égare. Parle : que cherches-tu ? Son désespoir, ses larmes, Ses regards attendris, tout furieux qu'ils sont, Les traits que la nature imprima sur son front, Tout me dit : c'est son frère. Arrête, Garde un profond silence, il y va de ta tête. Enfants infortunés ! Dans quels lieux les destins les ont-ils amenés ! Toi, le frère d'Arzame ! Ce jeune téméraire Me remplit à la fois d'horreur et de pitié ; Il peut avec sa soeur être sacrifié. Ô rigueurs tyranniques ! Ce sont vos cruautés qui font les fanatiques... Écoute, malheureux, je commande ce fort ; Mais ces lieux sont remplis de ministres de mort : Je te protégerai ; résous-toi de me suivre. Tu peux la voir et vivre ; Calme-toi. Va, ton âme est blessée Par les illusions d'une fatale erreur. Va, ne me prends jamais pour un persécuteur : Et sur elle et sur toi ma pitié doit s'étendre. Il attendrit mon coeur, mais il me fait frémir. Que mes bontés peut-être auront un sort funeste ! Viens, jeune infortuné, je t'apprendrai le reste. Suis mes pas. Ô malheureux enfants ! Quel sort les entraîna dans ces lieux qu'on déteste ! De l'une j'admirais la fermeté modeste, Sa résignation, sa grâce, sa candeur ; L'autre accroît ma pitié même par sa fureur. Un dieu veut les sauver, il les conduit sans doute ; Ce dieu parle à mon coeur, il parle, et je l'écoute. Donne, ne pleure point. Ah, Césène ! Au prétoire on veut que je paraisse ! Ce coup que je reçois m'a bien plus offensé Que le fer d'un ingrat dont tu me vois blessé. Notre ennemi l'emporte, et déjà le prétoire, Nous ôtant tous nos droits, lui donne la victoire. Le puissant est toujours des grands favorisé ; Ils se maintiennent tous ; le faible est écrasé Ils sont maîtres des lois dont ils sont interprètes ; On n'écoute plus qu'eux ; nos bouches sont muettes : On leur donne le droit de juges souverains, L'autorité réside en leurs cruelles mains ; Je perds le plus beau droit, celui de faire grâce. Ah ! Qu'il vive. Je ne sais ; mais sa mort, en augmentant mes peines, Semble glacer le sang qui reste dans mes veines. Tous deux m'ont pénétré de tendresse et d'horreur. Une grâce ! Qui ? Moi ! Mon frère, la faiblesse où mon état me jette Me permettra peut-être encor de lui parler. Le malheur dont le ciel a voulu m'accabler Ne peut être, sans doute, ignoré de personne ; Et puisque ce vieillard aux larmes s'abandonne, Puisque mon sort le touche, il vient pour me servir. Qu'on le fasse venir. Vieillard, que je te plains ! que ton fils est coupable ! Mais je ne le vois point d'un oeil inexorable. J'aimai tes deux enfants, et, dans ce jour d'horreurs, Va, je n'impute rien qu'à nos persécuteurs. Qu'on l'amène sur l'heure. Quels discours étonnants ! S'il m'en souvient, grands dieux ! Émesse fut détruite, et j'en frémis encore. Servais-tu parmi nous ? Et qui des deux respire ? Que devint cette femme ?...ö dieu de la justice ! Ainsi que ce vieillard, lui devins-tu propice ? Hélas ! Ô moments trop chers, trop douloureux ! Que me préparez-vous, ô cieux ! Que dois-je croire ? Du sang que j'ai perdu mes yeux sont affaiblis, Et ma main tremble trop ; tiens, mon frère, prends, lis. Voilà mon fils, ta fille, et tout est découvert. Quoi ! le ciel qui me perd Ne me rendrait mon sang à cette heure fatale Que pour l'abandonner à la rage infernale De mortels ennemis que rien ne peut calmer ! Non, tu n'es que mon fils. Les cruels ! Calme ton désespoir, contiens ta violence Elle a coûté trop cher. Un reste d'espérance, Mon frère, mes enfants, doit encor nous flatter. Le destin paraît las de nous persécuter ; Il m'a rendu mon fils, et tu revois ta fille ; Il n'a pas réuni cette triste famille Pour la frapper ensemble, et pour mieux l'immoler. A César que ne puis-je parler ! Je ne puis rien, je sens que ma force s'affaisse ; Tant de soins, tant de maux, de crainte, de tendresse, Accablent à la fois mon corps et mes esprits ! Soutiens-moi. Oui, mon fils... mon cher fils Non, ne m'en parlez plus ; je bénis ma blessure. Trop de biens ont suivi cette affreuse aventure : Vos pères trop heureux retrouvent leurs enfants ; Le ciel vous a rendus à nos embrassements. Vos amours offensaient et Rome et la nature ; Rome les justifie, et le ciel les épure. Cet autel que mon frère avait dressé pour moi, Sanctifié par vous, recevra votre foi ; Ce vieillard généreux, qui nourrit votre enfance, Y verra consacrer votre sainte alliance ; Les prêtres des enfers et leur zèle inhumain Respecteront le sang d'un citoyen romain. Quelles mains sacrilèges Oseraient de ce nom braver les privilèges ? Césène est au prétoire : il saura le fléchir. Des formes de nos lois on peut vous affranchir. Quels coeurs à la pitié seront inaccessibles ? Les prêtres de ces lieux sont les seuls insensibles. Le temps fera le reste et si vous persistez Dans un culte ennemi de nos solennités, En dérobant ce culte aux regards du vulgaire, Vous forcerez du moins vos tyrans à se taire. Dieu, qui me les rendez, favorisez leurs feux ! Dieu de tous les humains, daignez veiller sur eux ! Mon cher fils ! Quelle nouvelle heureuse apportez-vous enfin ? Quoi ! Tout est contre nous ! C'en est fait, je vois trop notre entière disgrâce. Qu'on est faible, mon frère ! et que le coeur se trompe ! Je détestais ma place et son indigne pompe ; Ses fonctions, ses droits, je voulais tout quitter : On m'en prive, et l'affront ne se peut supporter. Loi vaine et chimérique ! Loi favorable aux grands, et pour nous tyrannique ! Vous n'irez point sans moi. Hélas ! souffrira-t-on qu'il ose l'approcher ? Je respecte César ; mais souvent on l'abuse. Je vois que de révolte un ennemi m'accuse. J'ai pour moi la nature, ainsi que l'équité ; Tant de droits ne sont rien contre l'autorité ; Elle est sans yeux, sans coeur : le guerrier le plus brave, Quand César a parlé, n'est plus qu'un vil esclave : C'est le prix du service, et l'usage des cours. Oui, je m'y dois attendre. Oui, mon meilleur ami, commandé pour nous prendre, Nous chargerait de fers au nom de l'empereur, Nous conduirait lui-même, et s'en ferait honneur ; Telle est des courtisans la bassesse cruelle. Notre indigne pontife, à sa haine fidèle, N'attend que le moment de se rassasier Du sang des malheureux qu'on va sacrifier. Dans l'état où je suis, son triomphe est facile. Nous voici tous les deux sans force et sans asile, Nous débattant en vain, par un pénible effort, Sous le fer des tyrans, dans les bras de la mort. Vénérable vieillard, que viens-tu nous apprendre ? Explique-toi. Il a reçu le prix de tant de barbarie. Ah ! je vois qu'aujourd'hui Il n'est plus de pardon ni pour nous ni pour lui. La mort est sur nous tous, mon fils ; à ses approches Je ne te ferai point d'inutiles reproches. Ce nouveau coup nous perd ; et ce monstre expiré, Tout barbare qu'il fut, était pour nous sacré. César va nous punir. Un vieillard magnanime, Un frère, deux enfants, tout est ici victime, Tout attend son arrêt. Flétri, dépossédé, Prisonnier dans ce fort où j'avais commandé, Je finis dans l'opprobre une vie abhorrée, Au devoir, à l'honneur, vainement consacrée. La garde du prétoire, en ces murs avancée, Déjà des deux côtés avec ordre est placée. Je vois César lui-même... À genoux, mes enfants. Le respect et les craintes, Seigneur, auprès de vous interdisent les plaintes. Nous avons mérité, seigneur, votre colère ; Épargnez les enfants, et punissez le père. Rome, les nations, Vont bénir vos bontés. Je crois entendre un dieu, du haut d'un trône auguste, Qui parle au genre humain pour le rendre plus juste. **** *creator_voltaire *book_voltaire_guebres *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_guebres *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_CESENE *date_(non *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_cesene Je suis las de servir. Souffrirons-nous, mon frère, Cet avilissement du grade militaire ? N'avez-vous avec moi, dans quinze ans de hasards, Prodigué votre sang dans les camps des Césars Que pour languir ici loin des regards du maître, Commandant subalterne et lieutenant d'un prêtre ? Apamée à mes yeux est un séjour d'horreur. J'espérais près de vous montrer quelque valeur, Combattre sous vos lois, suivre en tout votre exemple ; Mais vous n'en recevez que des tyrans d'un temple ; Ces mortels inhumains, à Pluton consacrés, Dictent par votre voix leurs décrets abhorrés : Ma raison s'en indigne, et mon honneur s'irrite De vous voir en ces lieux leur premier satellite. Il se trompe ; un sujet gouverné par l'honneur Distingue en tous les temps l'État et sa croyance. Le trône avec l'autel n'est point dans la balance. Mon coeur est à mes dieux, mon bras à l'empereur. Eh quoi ! Si des Persans vous embrassiez l'erreur, Aux serments d'un tribun seriez-vous moins fidèle ? Seriez-vous moins vaillant ? Auriez-vous moins de zèle ? Que César à son gré se venge des Persans ; Mais pourquoi parmi nous punir des innocents ? Et pourquoi vous charger de l'affreux ministère Que partage avec vous un sénat sanguinaire ? Ah ! Laissons cette place et ces hommes pervers. Sachez que je vivrais dans le fond des déserts Du travail de mes mains, chez un peuple sauvage, Plutôt que de ramper dans ce dur esclavage. Nous le mériterions. Pourquoi, malgré nos chaînes, Avons-nous combattu sous les aigles romaines ? Triste sort d'un soldat ! docile meurtrier, Il détruit sa patrie et son propre foyer Sur un ordre émané d'un préfet du prétoire ; Il vend le sang humain ! c'est donc là de la gloire ! Nos homicides bras, gagés par l'empereur, Dans des lieux trop chéris ont porté leur fureur. Qui sait si, dans Émesse abandonnée aux flammes, Nous n'avons pas frappé nos enfants et nos femmes ? Nous étions commandés pour la destruction ; Le feu consuma tout ; je vis notre maison, Nos foyers enterrés dans la perte commune. Je ne regrette point une faible fortune ; Mais nos femmes, hélas nos enfants au berceau ! Ma fille, votre fils, sans vie et sans tombeau ! César nous rendra-t-il ces biens inestimables ? C'est de l'avoir servi que nous sommes coupables ; C'est d'avoir obéi quand il fallut marcher, Quand César alluma cet horrible bûcher ; C'est d'avoir asservi sous des lois sanguinaires Notre indigne valeur et nos mains mercenaires. Pourquoi donc voulez-vous de nos malheureux jours, Dans ce fatal service, empoisonner le cours ? Rejetez un fardeau que ma gloire déteste ; Demandez à César un emploi moins funeste : On dit qu'en nos remparts il revient aujourd'hui. N'importe, à ses genoux il faudra nous jeter ; S'il est digne du trône, il doit nous écouter. C'en est trop, mon frère, je vous quitte ; Je ne contiendrais pas le courroux qui m'irrite : Je n'ai point de séance au tribunal de sang Où montent les tribuns par les droits de leur rang ; Si j'y dois assister, ce n'est qu'en votre absence. De votre ministère exercez la puissance, Tempérez de vos lois les décrets rigoureux, Et, si vous le pouvez, sauvez les malheureux. Ce que vous m'apprenez de sa simple innocence, De sa grandeur modeste, et de sa patience, Me saisit de respect, et redouble l'horreur Que sent un coeur bien né pour le persécuteur. Quelle injustice, ô ciel et quelles lois sinistres Faut-il donc à nos dieux des bourreaux pour ministres ? Numa, qui leur donna des préceptes si saints, Les avait-il créés pour frapper les humains ? Alors ils consolaient la nature affligée. Que les temps sont divers ! Que la terre est changée !... Ah ! Mon frère, achevez tout ce récit affreux, Qui fait pâlir mon front, et dresser mes cheveux. Qui ? Moi ! Si je l'approuve ! Ah, mon ami, mon frère ! Je sens que cet hymen est juste et nécessaire : Après l'avoir promis, si, rétractant vos voeux, Vous n'accomplissiez pas vos destins généreux, Je vous croirais parjure, et vous seriez complice Des fureurs des tyrans armés pour son supplice. Arzame, dites-vous, a dans le plus bas rang Obscurément puisé la source de son sang ; Avons-nous des aïeux dont les fronts en rougissent ? Ses grâces, sa vertu, son péril, l'ennoblissent. Dégagez vos serments, pressez ce noeud sacré. Le fils d'un Scipion s'en croirait honoré. Ce n'est point là sans doute un hymen ordinaire, Enfant de l'intérêt et d'un amour vulgaire ; La magnanimité forme ces sacrés noeuds, Ils consolent la terre, ils sont bénis des cieux ; Le fanatisme en tremble : arrachez à sa rage L'objet, le digne objet de votre juste hommage. Son aspect déjà vous justifie. Je me retire, Arzame, et mes mains empressées Vont préparer pour vous les fêtes annoncées ; Tendre ami de mon frère, heureux de son bonheur, Je partage le vôtre, et vois en vous ma soeur. Mon frère, tout est prêt, les autels vous demandent ; Les prêtresses d'hymen, les flambeaux vous attendent ; Le peu de vos amis qui nous reste en ces murs Doit vous accompagner à ces autels obscurs, Grossièrement parés, et plus ornés par elle Que ne l'est des Césars la pompe solennelle. Comment ! quel changement ! Quels désastres nouveaux ! Sur votre front glacé l'horreur est répandue ! Ses yeux baignés de pleurs semblent craindre ma vue ! Ô ciel ! Dans quel contentement je parais cet autel ! Combien je chérissais cet heureux ministère ! Quel plaisir j'éprouvais dans le doux nom de frère ! Que dites-vous ? Vous me glacez d'effroi ; quel trouble et quels desseins ! Vous laisseriez Arzame à ses vils assassins, À ses bourreaux ? Qui ? Vous ! Troupe insolente !... Arrêtez... devant moi qu'un de vous se présente, Qu'il l'ose, au moment même il mourra de mes mains. Fuyez, vous dis-je. Ne craignez rien. Un tel excès d'audace annonce un grand pouvoir. Plus leur orgueil s'accroît, plus ma fureur augmente. Oui ; mais sauvons Arzame. Allons, je promettrai ce cruel sacrifice ; Je vais étendre un voile aux yeux de nos tyrans. Que ne puis-je plutôt enfoncer dans leurs flancs Ce glaive, cette main que l'empereur emploie A servir ces bourreaux avides de leur proie ! Oui, je vais leur parler. Qu'on le traîne à ma suite ; enchaînez, mes amis, Ce fanatique affreux, cet ingrat, ce perfide ; Préparez mille morts à ce lâche homicide ; Vengez mon frère. Femme ingrate, est-ce toi qui guidais ses fureurs ? Le monstre ! Quoi ! Plonger une main sanguinaire Dans le sein de son maître et de son bienfaiteur ! Frapper, assassiner votre libérateur ! À mes yeux ! Dans mes bras ! Un coup si détestable, Un tel excès de rage est trop inconcevable. Les dieux, les justes dieux N'ont pas livré sa vie au bras du furieux : Je l'ai vu qui tremblait ; j'ai vu sa main cruelle S'affaiblir en portant l'atteinte criminelle. Soldats qui me suivez, Déployez les tourments qui lui sont réservés. Parle ; avant d'expirer, nomme-moi ton complice. Est-ce ta soeur, ou lui ? Parle avant ton supplice. Tu ne me réponds rien... Quoi ! lorsqu'en ta faveur Nous offensions, hélas ! nos dieux, notre empereur ; Quand nos soins redoublés et l'art le plus pénible Trompaient pour te sauver ce pontife inflexible ; Quand, tout prêts à partir de ce séjour d'effroi, Nous exposions nos jours et pour elle et pour toi, De nos bontés, grands dieux ! Voilà donc le salaire ! La livrer, malheureux ! Il aurait fait couler Tout le sang des tyrans qui voulaient l'immoler. Soldats qui l'entendez, je le laisse en vos mains : Soyons justes, amis, et non pas inhumains ; Sa mort doit me suffire. Va, dans ce jour de sang, je juge que nous sommes Les plus infortunés de la race des hommes... Va, fille trop fatale à ma triste maison, Objet de tant d'horreur, de tant de trahison, Je ne me repens point de t'avoir protégée. Le traître expirera ; mais mon âme affligée N'en est pas moins sensible à ton cruel destin. Mes pleurs coulent sur toi, mais ils coulent en vain. Tu mourras ; aux tyrans rien ne peut te soustraire ; Mais je te pleure encore en punissant ton frère. Revolons près du mien, secondons les secours Qui raniment encor ses déplorables jours. Mégatise, aide-nous ; donne un siège à mon frère ; A peine il se soutient, mais il vit ; et j'espère Que, malgré sa blessure et son sang répandu, Par les bontés du ciel il nous sera rendu. Veille sur cette porte. Et prends garde surtout qu'aucun n'entre et ne sorte. Prends un peu de repos nécessaire à tes sens ; Laisse-nous ranimer tes esprits languissants ; Trop de soin te tourmente avec tant de faiblesse. Eh ! Pourrais-tu la faire à la farouche audace Du fanatique obscur qui t'ose assassiner ? À l'ingrat je ne puis pardonner. Tu vois de notre état la gêne et les entraves ; Sous le nom de guerriers nous devenons esclaves. Il n'est plus temps de fuir ce séjour malheureux, Véritable prison qui nous retient tous deux. César est arrivé ; la tête de l'armée Garde de tous côtés les chemins d'Apamée. Il ne m'est plus permis de déployer l'horreur Que ces prêtres sanglants. excitent dans mon coeur ; Et, loin de te venger de leur troupe parjure, De nager dans leur sang, d'y laver ta blessure, Avec eux malgré moi je dois me réunir. C'est ton lâche assassin que nous devons punir ; Et, puisqu'il faut le dire, indigné de son crime, Aux sacrificateurs j'ai promis la victime : Ta sûreté le veut. Si l'ingrat ne mourait, Il est Guèbre, il suffit, César te punirait. Ah ! Que veux-tu de nous par tes pleurs superflus ? Va, son funeste sort Nous fait frémir assez dans ces moments terribles. N'ulcère point nos coeurs, ils sont assez sensibles. Eh bien ! je veillerai sur tes jours innocents, C'est tout ce que je puis ; compte sur mes serments. Oui, jeune infortunée, oui, je ne puis t'entendre Sans qu'un dieu, dans mon coeur ardent à te défendre, Ne soulève mes sens, et crie en ta faveur. Vient-on nous demander le sang de ce coupable ? Son supplice équitable Pourrait de nos tyrans désarmer la fureur. Que veut-il ? qu'il attende, Qu'il respecte l'horreur de ces affreux moments : Il faut que je vous venge : allons, il en est temps. Rejetez sa prière indiscrète. Qui ?... toi, nous consoler ! toi, père malheureux ! Adoucit-on les maux par de nouveaux tourments ? En quel état, hélas ! Oui ; nos fatales mains N'accomplirent que trop ces ordres inhumains. Ô sort que je déteste ! De nos malheurs secrets qui t'a si bien instruit ? Et qui des deux vivait ? Eh quoi ! Privé de bien, tu nourris l'étranger ! Et César nous opprime, ou nous laisse égorger ! Ô destins Une faible espérance est-elle encor permise ? Ah ! si la vérité t'a dicté cette histoire, Pourrais-tu nous donner, après de tels récits, Quelque éclaircissement sur ma fille et son fils ? N'as-tu point conservé quelque heureux témoignage, Quelque indice du moins ? Oui, c'est ta tendre épouse ; ô sacré caractère ! Embrasse ton cher fils, Arzame est à ton frère. Que j'étais aveuglé ! Sans ce vieillard, mon frère, il était immolé ; Les bourreaux l'attendaient... Quel bruit se fait entendre ? Nos tyrans à nos yeux oseraient-ils se rendre ? Est-ce un arrêt de mort ? Nous tombons d'abîmes en abîmes. Ô justice ! Ô César ! Vous pouvez le souffrir ! Le trône s'humilie Jusqu'à laisser régner ce ministère impie ! Va, j'en jure les dieux ennemis des tyrans, Ces meurtriers sacrés n'y seront pas longtemps. S'il est des dieux cruels, il est des dieux propices Qui pourront nous tirer du fond des précipices Ces dieux sont la constance et l'intrépidité, Le mépris des tyrans et de l'adversité. Viens ; et pour expier le meurtre de ton père, Venge-toi, venge-nous, ou meurs avec son frère. J'apporte le malheur, et tel est mon destin. Ma fille, on nous opprime ; une indigne cabale Aux portes du palais frappe sans intervalle : Le prétoire est séduit. On a déjà nommé Un nouveau commandant pour remplir votre place. Ah ! le malheur n'est pas de perdre son emploi, De cesser de servir, de vivre enfin pour soi... Ce n'est point un affront ; ces pertes sont communes, Préparons-nous, mon frère, à d'autres infortunes : Notre hymen malheureux, formé chez les Persans, Est déclaré coupable : on ôte à nos enfants Les droits de la nature et ceux de la patrie. Ah ! Ma fille, mes pleurs arrosent ton visage ; Fille digne de moi, conserve ton courage. Nos lâches oppresseurs Dédaignent ma colère, insultent à nos pleurs, Demandent notre sang. L'empereur jusqu'ici ne s'est point expliqué : On dit qu'à d'autres soins en secret appliqué, Il laisse agir la loi. Je n'ai qu'une ressource, et je vais la tenter : À César, malgré lui, je cours me présenter ; Je lui crierai justice ; et si les pleurs d'un père Ne peuvent adoucir ce despote sévère, S'il détourne de moi des yeux indifférents, S'il garde un froid silence, ordinaire aux tyrans, Je me perce à sa vue : il frémira peut-être ; Il verra les effets du coeur d'un mauvais maître, Et, par mes derniers mots qui pourront l'étonner, Je lui dirai : Barbare, apprends à gouverner. Quelle erreur vous entraîne ? Votre corps affaibli se soutient avec peine, Votre sang coule encor... demeurez, et vivez ; Vivez, vengez ma mort un jour, si vous pouvez. Viens, Arzémon. Sans doute il n'en est point ; mais la terre est vengée. Par votre digne fils ma gloire est partagée ; C'est assez. Eh quoi ! je ne vois plus ce fidèle Arzémon ; Serait-il renfermé dans une autre prison ? A-t-on déjà puni son respectable zèle, Et les bienfaits surtout de sa main paternelle ? Au supplice, ma fille, il ne peut échapper. César de toutes parts nous fait envelopper. Oui, c'en est fait, ma fille. Pour mourir avec moi, mais plus infortunée... Ô mon cher frère et toi, son déplorable fils, Nos jours étaient affreux, ils sont du moins finis. On m'a fermé l'accès. **** *creator_voltaire *book_voltaire_guebres *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_guebres *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_JEUNEARZEMON *date_(non *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_jeunearzemon Ô mort ! Ô Dieu vengeur ! Ils me l'ont enlevée ; ils m'arrachent le coeur... Où la trouver ? Où fuir ? Quelles mains l'ont conduite ? Ah !... La connaissez-vous ? La vertu la plus rare... La vengeance, le sang, les ravisseurs cruels, Les tyrans révérés des malheureux mortels... Arzame ! Chère Arzame ?... Ah ! Donnez-moi des armes, Que je meure vengé ! Oui, je le suis. Je te l'apporte, frappe. Oui, ton regard sévère Ne m'intimide pas. Je viens ici pour l'être. Puis-je la voir enfin ? Je ne puis... Ah ! seigneur, pardonnez A mes sens éperdus, d'horreurs aliénés. Quoi ! ces lieux, dites-vous, sont en votre puissance, Et l'on y traîne ainsi la timide innocence ! Vos esclaves romains de leurs bras criminels Ont arraché ma soeur aux foyers paternels ! De la mort, dites-vous, ma soeur est menacée ; Vous la persécutez ! Hélas ! dois-je y compter ?... daignez donc me la rendre ; Daignez me rendre Arzame, ou me faire mourir. J'obéis à vos ordres pressants Mais ne me trompez pas. Je marche dans ces lieux de surprise en surprise Quoi ! C'est toi que j'embrasse, ô mon cher Mégatise ! Toi, né chez les Persans, dans notre loi nourri, Et de mes premiers ans compagnon si chéri, Toi, soldat des Romains ! Métier cruel et vil ! méprisable esclavage ! Tu pourrais être libre en suivant tes amis. Ton sort près d'Iradan deviendra plus prospère. Que dis-tu ? Le tribun qui commande en ce fort Ne t'a-t-il pas offert un généreux support ? Cher ami, rendons grâce au sort qui nous protège ; On ne commettra point ce meurtre sacrilège : Iradan la soutient de son bras protecteur, Il voit ce fier pontife avec des yeux d'horreur, Il écarte de nous la main qui nous opprime. Je n'ai plus de terreur, il n'est plus de victime ; De la Perse a nos pas il ouvre les chemins. Il le dit, il le jure ; Ma soeur ne le croit point capable d'imposture : En un mot nous partons. Je ne suis affligé Que de partir sans toi, sans m'être encor vengé, Sans punir les tyrans. Je le crois. Sans doute. Non, il n'est pas possible ; on n'est pas si cruel. Je meurs !... Que m'as-tu dit ? Ô monstres ! Ô forfaits !... Mais non, je doute encore... Ah ! Comment en douter ? Mes yeux n'ont-ils pas vu Ce perfide Iradan devant moi confondu ? Des mots entrecoupés suivis d'un froid silence, Des regards inquiets que troublait ma présence, Un air sombre et jaloux, plein d'un secret dépit ; Tout semblait en effet me dire : Il nous trahit. Détestables humains ! Quoi ! Ce même Iradan... Si fier, si généreux ! Puis-je sauver Arzame ? Peux-tu le demander ? Arzame va mourir, et tu crains pour ma vie ! C'est elle-même. Écoute, garde-toi d'oser lui faire entendre L'effroyable secret que tu viens de m'apprendre ; Non, je ne saurais croire un tel excès d'horreur. Iradan ! Il est trop vrai, ma soeur. Je vois... Qu'il peut tromper. On le dit. Quoi ! Césène, Iradan !... de grâce, répondez ; Où sont-ils ? Qu'ont-ils fait ? Près de ton meurtrier ! Ils tardent bien longtemps. Cher ami, c'en est fait, tout est donc éclairci ! Il en fait trop peut-être. Oui, pardonne, ma soeur, Pardonne ; écoute au moins : Mégatise est fidèle ; Notre culte est le sien ; je réponds de son zèle ; C'est un frère, à ses yeux nos coeurs peuvent s'ouvrir ; Dans celui d'Iradan n'as-tu pu découvrir Quels sentiments secrets ce Romain nous conserve ? Il paraissait troublé, tu t'en souviens ; observe, Rappelle en ton esprit jusqu'aux moindres discours Qu'il t'aura pu tenir, du péril où tu cours, Des prêtres ennemis, de César, de toi-même, Des lois que nous suivons, d'un malheureux qui t'aime. Ce qu'à notre amitié ton coeur doit accorder, Ce qu'il ne peut cacher à ma fatale flamme Sans verser des poisons dans le fond de mon âme. N'importe, il faut parler, te dis-je, ou me trahir ; Et puisque je t'adore, il y va de ma vie. Crois qu'un autre intérêt, un soin plus cher m'anime. Il t'aimait ! Il t'aimait ! Achève ; il a donc su ce serment qui m'engage, Qui rejoint par nos lois le frère avec la soeur ? Qu'a produit en lui ce noeud si saint ? C'est assez, je vois tout ; le barbare ! Il se venge. Ah, ma soeur !... C'en est fait. Qui ? Moi !... Ciel !... Iradan... Pardonne... en ces moments... dans un lieu si barbare... Parmi tant d'ennemis... aisément on s'égare... Du parti que l'on prend le coeur est effrayé. Ami, veille sur elle... Ô tendresse ! Ô nature ! Que vais-je faire ? Ah, Dieu vengeance, entends ma voix ! Je t'embrasse, ma soeur, pour la dernière fois. A la fin je retrouve un reste de lumière... La nuit s'est dissipée... un jour affreux m'éclaire... Avant de me punir, avant de te venger, Daigne répondre un mot : j'ose t'interroger... Ton frère envers nous deux n'était donc pas un traître ? Il n'allait pas livrer ma soeur à ce grand-prêtre ? Il suffit ; je me jette à tes pieds que j'embrasse À ton cher frère, à toi, je demande une grâce, C'est d'épuiser sur moi les plus affreux tourments Que la vengeance ajoute à la mort des méchants ; Je les ai mérités : ton courroux légitime Ne saurait égaler mes remords et mon crime. Hélas ! Après mon crime, il me faut donc paraître Aux yeux d'un homme juste à qui je dois mon être, Dont j'ai déshonoré la vieillesse et le sang ; Aux yeux d'un bienfaiteur dont j'ai percé le flanc ; Aux regards indignés de son vertueux frère ; Devant vous, ô ma soeur ! Dont la juste colère, Les charmes, la terreur, et les sens agités, Commencent les tourments que j'ai tant mérités. Et moi, je crains, ma soeur, à ces récits confus, D'être plus criminel encor que je ne fus. Du nom de père, hélas ! osé-je vous nommer ? Puis-je toucher vos mains de cette main perfide ? J'étais un meurtrier, je suis un parricide. Les monstres ont conduit ce bras qui s'est trompé J'en étais incapable ; eux seuls vous ont frappé. J'expierai dans leur sang mon crime involontaire... Déchirons ces serpents dans leur sanglant repaire, Et vengeons les humains trop longtemps abusés Par ce pouvoir affreux dont ils sont écrasés. Que l'empereur après ordonne mon supplice ; Il n'en jouira pas, et j'aurai fait justice ; Il me retrouvera, mais mort, enseveli Sous leur temple fumant par mes mains démoli. L'oserai-je ? Je ne puis vous parler, je demeure éperdu, Mon père ! Le trépas m'était dû, Vous me donnez Arzame ! Que je suis alarmé ! Je les ai tous perdus quand cette main impie, Par la rage égarée, et surtout par l'amour, A déchiré les flancs à qui je dois le jour ; Mais il me reste au moins le droit de la vengeance, On ne peut me l'ôter. J'y vole. Oui, nos mains ont puni ses fureurs Puissent périr ainsi tous les persécuteurs ! Le ciel, nous disaient-ils, leur remit son tonnerre : Que le ciel les en frappe, et délivre la terre ; Que leur sang satisfasse au sang de l'innocent : Mon père, entre vos bras je mourrai trop content. **** *creator_voltaire *book_voltaire_guebres *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_guebres *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_ARZAME *date_(non *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_arzame Oui, seigneur, il est vrai. Je rends grâce, seigneur, à tant d'humanité : Mais je ne puis jamais trahir la vérité ; Mon coeur, selon ma loi, la préfère à la vie : Je ne puis vous tromper, ces lieux sont ma patrie. Avant de me juger connaissez la justice : Votre esprit contre nous est en vain prévenu ; Vous punissez mon culte, il vous est inconnu. Sachez que ce soleil qui répand la lumière, Ni vos divinités de la nature entière, Que vous imaginez résider dans les airs, Dans les vents, dans les flots, sur la terre, aux enfers, Ne sont point les objets que mon culte envisage ; Ce n'est point au soleil à qui je rends hommage, C'est au Dieu qui le fit, au Dieu son seul auteur, Qui punit le méchant et le persécuteur, Au Dieu dont la lumière est le premier ouvrage ; Sur le front du soleil il traça son image, Il daigna de lui-même imprimer quelques traits Dans le plus éclatant de ses faibles portraits : Nous adorons en eux sa splendeur éternelle. Zoroastre, embrasé des flammes d'un saint zèle, Nous enseigna ce Dieu que vous méconnaissez. Que par des dieux sans nombre en vain vous remplacez, Et dont je crains pour vous la justice immortelle. Des grands devoirs de l'homme il donna le modèle ; Il veut qu'on soit soumis aux lois de ses parents, Fidèle envers ses rois, même envers ses tyrans, Quand on leur a prêté serment d'obéissance : Que l'on tremble surtout d'opprimer l'innocence ; Qu'on garde la justice, et qu'on soit indulgent ; Que le coeur et la main s'ouvrent à l'indigent ; De la haine à ce coeur il défendit l'entrée ; Il veut que parmi nous l'amitié soit sacrée : Ce sont là les devoirs qui nous sont imposés... Prêtres, voilà mon Dieu : frappez, si vous l'osez. Qui ? Moi ! J'exposerais mon père à vos fureurs ? Moi, pour vous obéir, je serais parricide ? Plus votre ordre est injuste, et moins il m'intimide. Dites-moi quelles lois, quels édits, quels tyrans, Ont jamais ordonné de trahir ses parents ? J'ai parlé, j'ai tout dit, et j'ai pu vous confondre ; Ne m'interrogez plus, je n'ai rien à répondre. Mon coeur est plus sensible à votre humanité Qu'il n'est glacé de crainte à l'aspect du supplice. Je ne le puis, seigneur. Hélas ! Pour adorer le Dieu de mes ancêtres Il me faut donc mourir par la main de vos prêtres ! Il me faut expirer par un supplice affreux, Pour n'avoir pas appris l'art de penser comme eux ! Pardonnez cette plainte, elle est trop excusable ; Je n'en saurai pas moins d'un front inaltérable Supporter les tourments qu'on va me préparer, Et chérir votre main qui veut m'en délivrer. Des mortels inconnus aux tyrans, Sans dignités, sans biens ; de leurs mains innocentes Ils cultivaient en paix des campagnes riantes, Fidèles à leur culte ainsi qu'à l'empereur. J'ai gardé le silence Quand de mes oppresseurs la barbare insolence Voulait que mes parents leur fussent décelés ; Mon coeur fermé pour eux s'ouvre quand vous parlez : Mon père est Arzémon : ma mère infortunée Quand j'étais au berceau finit sa destinée ; A peine je l'ai vue ; et tout ce qu'on m'a dit, C'est qu'un chagrin mortel accablait son esprit ; Le ciel permet encor que le mien s'en souvienne : Elle mouillait de pleurs et sa couche et la mienne. Je naquis pour la peine et pour l'affliction. Mon père m'éleva dans sa religion, Je n'en connus point d'autre ; elle est simple, elle est pure ; C'est un présent divin des mains de la nature. Je meurs pour elle. Non, seigneur, de César il a suivi l'armée : Il apporte en son camp les fruits de ses jardins, Qu'avec lui quelquefois j'arrosai de mes mains : Nos moeurs, vous le voyez, sont simples et rustiques Ah ! C'en est trop ; mes jours infortunés Méritent-ils, seigneur, les soins que vous prenez ? Modérez ces bontés d'un sauveur et d'un père. A votre frère, à vous, pour tant de bienfaisance, Hélas ! J'offre mon trouble et ma reconnaissance ; Puisse l'astre du jour épancher sur tous deux Ses rayons les plus purs et les plus lumineux ! Goûtez, en vous aimant, un sort toujours prospère ; Mais, ô mon bienfaiteur ! Ô mon maître ! Ô mon père ! Vous qui faites sur moi tomber ce noble choix, Daignez prêter l'oreille en secret à ma voix. Que vais-je devenir ? Mon père ! En frémissant je tombe à vos genoux. J'atteste ce soleil, image de Dieu même, Que je voudrais pour vous répandre tout le sang Dont ces prêtres de mort vont épuiser mon flanc. Juste Dieu ! Que mon coeur ne peut-il mériter Une bonté si noble, une ardeur si touchante ! C'en est trop... bornez-vous, Seigneur, à la pitié ; Mais daignez m'assurer qu'un secret qui vous touche Ne sortira jamais de votre auguste bouche. Eh bien !... Écoutez, s'il se peut, ce que je dois vous dire : Vous ne connaissez pas la loi que nous suivons ; Elle peut être horrible aux autres nations ; La créance, les moeurs, le devoir, tout diffère ; Ce qu'ici l'on proscrit, ailleurs on le révère : La nature a chez nous des droits purs et divins Qui sont un sacrilège aux regards des Romains ; Notre religion, à la vôtre contraire, Ordonne que la soeur s'unisse avec le frère, Et veut que ces liens, par un double retour, Rejoignent parmi nous la nature à l'amour ; La source de leur sang, pour eux toujours sacrée, En se réunissant n'est jamais altérée. Telle est ma loi. Je l'avais bien prévu... votre coeur en frémit. Oui, seigneur, et je l'aime Mon père à son retour dut nous unir lui-même ; Mais ma mort préviendra ces noeuds infortunés, De nos Guèbres chéris, et chez vous condamnés. Je ne suis plus pour vous qu'une vile étrangère, Indigne des bienfaits jetés sur ma misère, Et d'autant plus coupable à vos yeux alarmés, Que je vous dois la vie, et qu'enfin vous m'aimez. Seigneur, je vous l'ai dit, j'adore en vous mon père ; Mais plus je vous chéris, et moins j'ai dû me taire. Rendez ce triste coeur, qui n'a pu vous tromper, Aux homicides bras levés pour le frapper. Il faut bien, je le vois, que votre coeur m'abhorre. Tout ce que je demande à ce juste courroux, Puisque je dois mourir, c'est de mourir par vous, Non des horribles mains des tyrans d'Apamée. Le père, le héros, par qui je fus aimée, En me privant du jour, de ce jour que je hais, En déchirant ce coeur tout plein de ses bienfaits, Rendra ma mort plus douce, et ma bouche expirante Bénira jusqu'au bout cette main bienfaisante. Et moi, seigneur, et moi, plus que vous confondue, Je ne puis m'arracher d'une si chère vue, Et je crois voir en vous un père courroucé Qui me console encor quand il est offensé. J'en suis indigne. Ah ! Ne prononcez pas un nom trop odieux. Ô ciel ! ô frères généreux ! Dans quel saisissement vous me jetez tous deux ! Hélas ! vous disputez pour une malheureuse ; Laissez-moi terminer ma destinée affreuse : Vous en voulez trop faire, et trop sacrifier ; Vos bontés vont trop loin, mon sang doit les payer. Mon père ! Je meurs. Cher époux, cher espoir de mon coeur ! Le dieu de notre hymen, le dieu de la nature, A la fin nous arrache à cette terre impure... Quoi ! C'est là Mégatise !... en croirai-je mes yeux ? Un ignicole, un Guèbre, est soldat en ces lieux ! Servira-t-il du moins à cette fuite prompte ? Notre libérateur Des prêtres acharnés va tromper la fureur. Tout est prêt pour la fuite. De fidèles soldats marchent à notre suite. Mégatise en est-il ? Iradan de mon sort dispose avec son frère. Tu pâlis : quel trouble involontaire Obscurcit tes regards de larmes inondés ? Ils sont près du grand-prêtre. Ils vont bientôt paraître. Tu les verras ici. Eh quoi ! la crainte encor sur ton front se déploie, Quand l'espoir le plus doux doit nous combler de joie, Quand le noble Iradan va tout quitter pour nous, Lorsque de l'empereur il brave le courroux, Que pour sauver nos jours il hasarde sa vie, Qu'il se trahit lui-même et qu'il se sacrifie ? Ah ! calme ta douleur ; Mon frère, elle est injuste. Cher frère, tendre amant, que peux-tu demander ? J'en verserai peut-être en osant t'obéir. Je ne crains point de toi de vaine jalousie ; Tu ne la connais point ; un sentiment si bas Blesse le noeud d'hymen, et ne l'affermit pas. Tu le veux, je ne puis désobéir sans crime... J'avouerai qu'Iradan, trop prompt à s'abuser, M'a présenté sa main que j'ai dû refuser. Il l'a dit. Sa poursuite A lui tout confier malgré moi m'a réduite ; Il a su le secret de ma religion, Et de tous mes devoirs, et de ma passion. Par de profonds respects, par un aveu sincère, J'ai repoussé l'honneur qu'il prétendait me faire ; A ses empressements j'ai mis ce frein sacré : Ce secret à jamais devait être ignoré ; Tu me l'as arraché ; mais crains d'en faire usage. Oui. L'horreur. Malgré notre hyménée à ses yeux trop étrange, Malgré cette horreur même, il ose protéger Notre sainte union, bien loin de s'en venger. Nous quittons pour jamais ces sanglantes demeures. Tu frémis, et tu pleures ! Pourrais-tu soupçonner Que notre bienfaiteur pût nous abandonner ? Ah ! du mien qui t'adore il faut avoir pitié. Tu sors !... demeure, attends, ma douleur t'en conjure. Arrête !... Que veut-il ? Qu'est-ce donc qu'il prépare ? De sa tremblante soeur faut-il qu'il se sépare ? Et dans quel temps, grand Dieu ! Qu'en peux-tu soupçonner ? Contre moi le sort veut s'obstiner, Et depuis mon berceau les malheurs m'ont suivie. Je tremble ; je crains tout quand je suis loin de lui. J'avais quelque courage, il s'épuise aujourd'hui. N'aurais-tu rien appris de ces juges féroces, Rien de leurs factions, de leurs complots atroces ? Assez infortuné pour servir auprès d'eux, Tu les vois, tu connais leurs mystères affreux. Si tel est mon malheur, Si le noble Iradan cesse de me défendre, Il faut mourir... Grand Dieu, quel bruit se fait entendre ! Quels mouvements soudains ! et quels horribles cris ! Ô ciel ! Je me meurs. Comment ! Que dites-vous ? Quel crime a-t-on pu faire ? Ciel ! Iradan n'est plus ! Je respire un moment. Malheureux ! Qu'as-tu fait ? Non, tu n'es pas mon frère. Quel crime épouvantable en ton coeur s'est formé ? S'il en est un plus grand, c'est de t'avoir aimé. Eh bien ! Il la mérite : Mais joignez-y sa soeur, elle est déjà proscrite. La vie en tous les temps ne me fut qu'un fardeau, Qu'il me faut rejeter dans la nuit du tombeau ; Je suis sa soeur, sa femme, et cette mort m'est due. Dans sa juste colère il me plaint, il me pleure ! Tu vas mourir, mon frère, il est temps que je meure, Ou par l'arrêt sanglant de mes persécuteurs, Ou par mes propres mains, ou par tant de douleurs... Ô mort ! ô destinée ! ô dieu de la lumière ! Créateur incréé de la nature entière, Être immense et parfait, seul être de bonté, As-tu fait les humains pour la calamité ? Quel pouvoir exécrable infecta ton ouvrage ! La nature est ta fille, et l'homme est ton image. Arimane a-t-il pu défigurer ses traits, Et créer le malheur, ainsi que les forfaits ? Est-il ton ennemi ? Que sa puissance affreuse Arrache donc la vie à cette malheureuse. J'espére encore en toi, j'espère que la mort Ne pourra, malgré lui, détruire tout mon sort. Oui, je naquis pour toi, puisque tu m'as fait naître ; Mon coeur me l'a trop dit ; je n'ai point d'autre maître. Cet être malfaisant qui corrompit ta loi Ne m'empêchera pas d'aspirer jusqu'à toi. Par lui persécutée, avec toi réunie, J'oublierai dans ton sein les horreurs de ma vie. Il en est une heureuse, et je veux y courir : C'est pour vivre avec toi que tu me fais mourir. Dans ma honte, seigneur, et dans mon désespoir, J'ai dû vous épargner la douleur de me voir. Je le sens, ma présence, à vos yeux téméraire, Ne rappelle que trop le forfait de mon frère ; L'audace de sa soeur est un crime de plus. Seigneur, on va traîner mon cher frère au supplice ; Vous l'avez ordonné, vous lui rendez justice ; Et vous me demandez ce que je veux !... La mort, La mort ; vous le savez. Je vous les rends, seigneur, je ne veux point de grâce : Il n'en veut point lui-même ; il faut qu'on satisfasse Au sang qu'a répandu sa détestable erreur ; Il faut que devant vous il meure avec sa soeur. Vous me l'aviez promis ; votre pitié m'outrage. Si vous en aviez l'ombre, et si votre courage, Si votre bras vengeur, sur sa tête étendu, Tremblait de me donner le trépas qui m'est dû, Ma main sera plus prompte, et mon esprit plus ferme. Pourquoi de tant de maux prolongez-vous le terme ? Deux Guèbres, après tout, vil rebut des humains, Sont-ils de quelque prix aux yeux de deux Romains ? Ils seraient plus tyrans s'ils épargnaient sa soeur. Ciel ! Déjà ! Juste ciel !... Ah ! Mon père ! A mes derniers moments quel dieu vient vous offrir ? Voulez-vous qu'à vos yeux... Ô pouvoir tyrannique ! Pouvoir de la nature augmenté par l'amour ! Quels moments ! Quels témoins ! Et quel horrible jour Il n'en sera jamais après ce coup affreux. Ah ! les lois le commandent ; Oui, nons devons mourir. Je crains d'écouter trop l'espoir qui m'a surprise. Quoi ! Je naquis de vous ! Qui le sait ! Eh quoi ! De ces brigands l'exécrable cohorte De ce château, mon père, assiège encor la porte ! Hélas ! L'espérez-vous ? Ainsi ce jour horrible est un jour d'allégresse ! Je ne verse à vos pieds que des pleurs de tendresse. Et pour comble de joie, C'est Césène mon père... oui, le ciel nous l'envoie ! Celui de la naissance Est plus sacré pour moi que les droits des Romains ; Des parents généreux sont mes seuls souverains. Nous en avons besoin. J'en suis la cause unique ; J'étais le seul objet qu'un sacerdoce inique Voulait sur leurs autels immoler aujourd'hui, Pour n'avoir pu connaître un même dieu que lui. L'empereur serait-il assez peu magnanime Pour n'être pas content d'une seule victime ? Du sang de ses sujets veut il donc s'abreuver ? Le dieu qui sur ce trône a voulu l'élever Ne l'a-t-il fait si grand que pour ne rien connaître, Pour juger au hasard en despotique maître ; Pour laisser opprimer ces généreux guerriers, Nos meilleurs citoyens, ses meilleurs officiers ? Sur quoi ? sur un arrêt des ministres d'un temple ; Eux qui de la pitié devaient donner l'exemple, Eux qui n'ont jamais du pénétrer chez les rois Que pour y tempérer la dureté des lois ; Eux qui, loin de frapper l'innocent misérable, Devaient intercéder, prier pour le coupable. Que fait votre César, invisible aux humains ? De quoi lui sert un sceptre oisif entre ses mains ? Est-il, comme vos dieux, indifférent, tranquille, Des maux du monde entier spectateur inutile ? Arrêtez !... Ô mon père ! Cher frère ! Cher époux !... Ô ciel ! Que vont-ils faire ? Peut être que César se laissera toucher. Bienfaiteur adoré, que je crains pour vos jours, Pour mon fatal époux, pour mon malheureux père, Pour ce vieillard chéri, si grand dans sa misère ! Il n'a fait que du bien, ses respectables moeurs Passent pour des forfaits chez nos persécuteurs. La vertu devient crime aux yeux qui nous haïssent : C'est une impiété que dans nous ils punissent ; On me l'a toujours dit. Le nouveau gouverneur Sans doute est envoyé pour servir leur fureur On va vous arrêter. Je tremble. Ah ! Son sang odieux répandu justement Sera vengé bientôt, et payé chèrement. Qu'est devenu mon père ? J'entends déjà sonner les trompettes guerrières, Et je vois avancer les troupes meurtrières. Depuis qu'on m'a conduite en ce malheureux fort Je n'ai vu que du sang, des bourreaux, et la mort. Ah ! Pourquoi suis-je née ? Ainsi nous touchons tous à nos derniers moments ! Nous tombons tous, seigneur, à vos sacrés genoux. **** *creator_voltaire *book_voltaire_guebres *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_guebres *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_MEGATISE *date_(non *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_megatise Des prêtres d'Apamé Une horde nombreuse, inquiète, alarmée, Veut qu'on ouvre à l'instant, et prétend vous parler. Ah ! tyrans ! Pardonne à ma faiblesse ; L'ignorance et l'erreur d'une aveugle jeunesse, Un esprit inquiet, trop de facilité, L'occasion trompeuse, enfin la pauvreté, Ce qui fait les soldats égara mon courage. Le pauvre n'est point libre ; il sert en tout pays. Va, des guerriers romains il n'est rien que j'espère. Ah ! Crois-moi, les Romains tiennent peu leur promesse : Je connais Iradan ; je sais que dans Émesse, Amant d'une Persane, il en avait un fils ; Mais apprends que bientôt, désolant son pays, Sur un ordre du prince il détruisit la ville Où l'amour autrefois lui fournit un asile. Oui, les chefs, les soldats, à nuire condamnés, Font toujours tous les maux qui leur sont ordonnés : Nous en voyons ici la preuve trop sensible Dans l'arrêt émané d'un tribunal horrible ; De tous mes compagnons à peine une moitié Pour l'innocente Arzame écoute la pitié, Pitié trop faible encore, et toujours chancelante ! L'autre est prête a tremper sa main vile et sanglante Dans ce coeur si chéri, dans ce généreux flanc, A la voix d'un pontife altéré de son sang. Tu penses que, pour toi, bravant ses souverains, Il hasarde sa perte ? Tu m'arraches des larmes. Quelle erreur t'a séduit ? de quels funestes charmes, De quel prestige affreux tes yeux sont fascinés ! Tu crois qu'Arzame échappe à leurs bras forcenés ? Que du fort on doit ouvrir la porte ? On te trahit ; dans une heure elle est morte. Ils ont fait devant moi le marché criminel ; Le frère d'Iradan, ce Césène, ce traître, Trafique de sa vie, et la vend au grand-prêtre : J'ai vu, j'ai vu signer le barbare traité. L'horrible vérité. Hélas ! elle est publique, et mon ami l'ignore ! Je te dis que j'ai vu l'engagement du crime, Que j'ai tout entendu, qu'Arzame est leur victime. N'est-il pas courtisan ? Peut-être il n'en est point qui, pour plaire à son maître, Ne se chargeât des noms de barbare et de traître. En ce séjour d'effroi Je t'offre mon épée, et ma vie est à toi. Mais ces lieux sont gardés, le fer est sur sa tête, De l'horrible bûcher la flamme est toute prête ; Chez ces prêtres sanglants nul ne peut aborder... Où cours-tu, malheureux ? Crains tes emportements ; j'en connais la furie. Arrête ; je la vois. Hélas ! Elle est loin de penser qu'elle marche au trépas. Oui, j'en rougis de honte. Sans doute il le voudrait. Je vous offre mon bras, C'est tout ce que je puis... Je ne vous quitte pas. Des malheurs. Puisse le juste ciel veiller sur votre vie ! Hélas ! En tous les temps leurs complots sont à craindre : César les favorise ; ils ont su le contraindre À fléchir sous le joug qu'ils auraient dû porter. Pensez-vous qu'Iradan puisse leur résister ? Êtes-vous sûre enfin de sa persévérance ? On se lasse souvent de servir l'innocence ; Bientôt l'infortuné pèse à son protecteur ; Je l'ai trop éprouvé. Malheureux ! Permettez qu'un moment ma voix soit entendue C'est moi qui dois mourir, c'est moi qui l'ai porté, Par un avis trompeur, à tant de cruauté... Seigneur, je vous ai vu, dans ce séjour du crime, Aux tyrans assemblés promettre la victime ; Je l'ai vu, je l'ai dit : aurais-je dû penser Que vous la promettiez pour les mieux abuser ? Je suis Guèbre et grossier, j'ai trop cru l'apparence. Je l'ai trop bien instruit ; il en a pris vengeance. La faute en est à vous, vous qui la protégez. Votre frère est vivant ; pesez tout, et jugez. Hélas ! Triste et cher Arzémon, vieillard que je révére, Trop malheureux ami, trop déplorable père, Qu'exiges-tu de moi ? Au nom de la pitié, fuis ce lieu d'injustices ; Crains ce séjour de sang, de crimes, de supplices : Retourne en tes foyers, loin des yeux des tyrans ; La mort nous environne. Je te l'ai déjà dit, leur péril est extrême ; Tu ne peux les servir, tu te perdrais toi-même. C'est lui-même, il est vrai ; mais crains de t'arrêter : Hélas ! Il est bien loin de pouvoir t'écouter. Oui. À toi ? Quoi ! Tu ne sais donc pas ce fatal homicide, Ce meurtre affreux ? Va, fuis ; n'augmente point, par tes soins obstinés, La foule des mourants et des infortunés. Mon maître, Mon chef, mon protecteur, est expirant peut-être. Tremble de le voir. Ton fils, ton propre fils vient de l'assassiner. Vois quel temps tu prenais, rien ne peut le sauver. C'est moi qui l'ai perdu, j'en porterai la peine : Mais que ta mort au moins ne suive point la mienne. Écarte-toi, te dis-je. Demeure ; Respecte d'Iradan la triste et dernière heure. Hélas ! Arzame implore La mort dont nos tyrans la menacent encore. Que ton zèle empressé Respecte plus le sang que ton fils a versé ; Attends qu'on sache au moins si, malgré sa blessure, Il reste assez de force encore à la nature Pour qu'il lui soit permis d'entendre un étranger. J'entends chez Iradan des clameurs qui m'alarment. Que mes pleurs te désarment ; Mon père, éloigne-toi : peut-être il est mourant, Et son frère est témoin de son dernier moment. Cache-toi ; je viendrai te parler et t'instruire. Rien encor n'a paru. Cependant un vieillard, dans sa douleur profonde, Malgré l'ordre donné d'écarter tout le monde, Et malgré mes refus, veut embrasser vos pieds : A ses cris, à ses yeux dans les larmes noyés, Daignez-vous accorder la grâce qu'il demande ? Il me l'a dit du moins. La bonté d'Iradan se rend à ta prière. Avance... Le voici. Un ordre du prétoire au pontife est venu. Il ne m'est pas connu Mais les prêtres voulaient de nouvelles victimes. Je sais qu'ils ont proscrit ce généreux vieillard, Et le frère et la soeur. **** *creator_voltaire *book_voltaire_guebres *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_guebres *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_LEMPEREUR *date_(non *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_lempereur Enfin de la justice à mes sujets rendue Il est temps qu'en ces lieux la voix soit entendue ; Le désordre est trop grand. De tout je suis instruit ; L'intérêt de l'État m'éclaire et me conduit. Levez-vous, écoutez mes arrêts équitables. Pères, enfants, soldats, vous êtes tous coupables, Dans ce jour d'attentats et de calamités, D'avoir négligé tous d'implorer mes bontés. Vous vous trompiez ; c'est trop vous défier de moi : Vous avez outragé l'empereur et la loi ; Le meurtre d'un pontife est surtout punissable. Je sais qu'il fut cruel, injuste, inexorable : Sa soif du sang humain ne se put assouvir ; On devait l'accuser, j'aurais su le punir. Sachez qu'à la loi seule appartient la vengeance : Je vous eusse écoutés ; la voix de l'innocence Parle à mon tribunal avec sécurité, Et l'appui de mon trône est la seule équité. Je sais tous vos malheurs. Un vieillard dont la voix Jusqu'au pied de mon trône a passé quelquefois, Dont la simplicité, la candeur, m'ont dû plaire, M'a parlé, m'a touché par un récit sincère ; Il se fie à César ; vous deviez l'imiter. Approchez, Arzémon ; venez vous présenter : Dans un culte interdit par une loi sévère Vous avez élevé la soeur avec le frère ; C'est la première source où de tant de fureurs Ce jour a vu puiser ce vaste amas d'horreurs : Des prêtres, emportés par un funeste zèle, Sur une faible enfant ont mis leur main cruelle ; Ils auraient dû l'instruire, et non la condamner ; Trop jaloux de leurs droits qu'ils n'ont pas su borner, Fiers de servir le ciel, ils servaient leur vengeance. De ces affreux abus j'ai senti l'importance ; Je les viens abolir. Les persécutions Ont mal servi ma gloire, et font trop de rebelles. Quand le prince est clément, les sujets sont fidèles. On m'a trompé longtemps ; je ne veux désormais Dans les prêtres des dieux que des hommes de paix, Des ministres chéris, de bonté, de clémence, Jaloux de leurs devoirs, et non de leur puissance ; Honorés et soumis, par les lois soutenus, Et par ces mêmes lois sagement contenus ; Loin des pompes du monde enfermés dans leur temple, Donnant aux nations le précepte et l'exemple ; D'autant plus révérés qu'ils voudront l'être moins ; Dignes de vos respects, et dignes de mes soins : C'est l'intérêt du peuple, et c'est celui du maître. Je vous pardonne à tous. C'est à vous de connaître Si de l'humanité je me fais un devoir, Et si j'aime l'État plutôt que mon pouvoir... Iradan, désormais, loin des murs d'Apamée, Votre frère avec vous me suivra dans l'armée ; Je vous verrai de près combattre sous mes yeux : Vous m'avez offensé ; vous m'en servirez mieux. De vos enfants chéris j'approuve l'hyménée. Méritez ma faveur, qui vous est destinée. Et toi, qui fus leur père, et dont le noble coeur Dans une humble fortune avait tant de grandeur, J'ajoute à ta campagne un fertile héritage ; Tu mérites des biens, tu sais en faire usage. Les Guèbres désormais pourront en liberté Suivre un culte secret longtemps persécuté : Si ce culte est le tien, sans doute il ne peut nuire Je dois le tolérer plutôt que le détruire. Qu'ils jouissent en paix de leurs droits, de leurs biens ; Qu'ils adorent leur dieu, mais sans blesser les miens : Que chacun dans sa loi cherche en paix la lumière ; Mais la loi de l'État est toujours la première. Je pense en citoyen, j'agis en empereur : Je hais le fanatique et le persécuteur.