**** *creator_voltaire *book_voltaire_irene *style_verse *id_ALEXIS *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_alexis Daignez souffrir ma vue, et bannissez vos craintes... Je ne viens point troubler par d'inutiles plaintes Un coeur à qui le mien se doit sacrifier, Et rappeler des temps qu'il nous faut oublier. Le destin me ravit la grandeur souveraine ; Il m'a fait plus d'outrage : il m'a privé d'Irène... Dans l'orient soumis mes services rendus M'auraient pu mériter les biens que j'ai perdus ; Mais lorsque sur le trône on plaça Nicéphore, La gloire en ma faveur ne parlait point encore ; Et n'ayant pour appui que nos communs aïeux, Je n'avais rien tenté qui pût m'approcher d'eux. Aujourd'hui Trébisonde entre nos mains remise, Les scythes repoussés, la Tauride conquise, Sont les droits qui vers vous m'ont enfin rappelé. Le prix de mes travaux était d'être exilé ! Le suis-je encor par vous ? N'osez-vous reconnaître Dans le sang dont je suis le sang qui vous fit naître ? Si je craignais pour vous je serais plus coupable ; Ma présence à César serait plus redoutable. Quoi donc ! Suis-je à Byzance ? Est-ce vous que je vois ? Est-ce un sultan jaloux qui vous tient sous ses lois ? Êtes-vous dans la Grèce une esclave d'Asie, Qu'un despote, un barbare achète en Circassie, Qu'on rejette en prison sous des monstres cruels, À jamais invisible au reste des mortels ? César a-t-il changé, dans sa sombre rudesse, L'esprit de l'occident et les moeurs de la Grèce ? Hors mon coeur ; le destin le forma pour Irène : Il brave des césars la puissance et la haine. Il ne craindrait que vous ! Quoi ! Vos derniers sujets Vers leur impératrice auront un libre accès ! Tout mortel jouira du bonheur de sa vue ! Nicéphore à moi seul l'aurait-il défendue ? Et suis-je un criminel à ses regards jaloux Dès qu'on l'a fait césar, et qu'il est votre époux ? Enorgueilli surtout de cet hymen auguste, L'excès de son bonheur le rend-il plus injuste ? Non : il n'était pas né Pour me ravir le bien qui m'était destiné : Il n'en était pas digne ; et le sang des Comnènes Ne vous fut point transmis pour servir dans ses chaînes. Qu'il gouverne, s'il peut, de ses sévères mains Cet empire, autrefois l'empire des romains ; Qu'aux campagnes de Thrace, aux mers de Trébisonde, Transporta Constantin pour le malheur du monde, Et que j'ai défendu moins pour lui que pour vous. Qu'il règne, s'il le faut ; je n'en suis point jaloux : Je le suis de vous seule, et jamais mon courage Ne lui pardonnera votre indigne esclavage. Vous cachez des malheurs dont vos pleurs sont garants ; Et les usurpateurs sont toujours des tyrans. Mais si le ciel est juste, il se souvient peut-être Qu'il devait à l'empire un moins barbare maître. Ah ! Vous me la deviez. Il me verra : sortez. Il me verra, madame ; une telle entrevue Ne doit point alarmer votre âme combattue. Ne craignez rien pour lui, ne craignez rien de moi ; À son rang comme au mien je sais ce que je doi. Rentrez dans vos foyers tranquille et rassurée. Le remords... il faut bien que mon coeur te l'avoue. Quelques exploits heureux dont l'Europe me loue, Ma naissance, mon rang, la faveur du sénat, Tout me criait : venez, montrez-vous à l'état. Cette voix m'excitait. Le dépit qui me presse, Ma passion fatale, entraînaient ma jeunesse ; Je venais opposer la gloire à la grandeur, Partager les esprits et braver l'empereur... J'arrive, et j'entrevois ma carrière nouvelle. Me faut-il arborer l'étendard d'un rebelle ? La honte est attachée à ce nom dangereux. Me verrai-je emporté plus loin que je ne veux ? J'ose être son rival : je crains le nom de traître. Crois-tu que le Bosphore, et la superbe Thrace, Et ces grecs inconstants serviraient tant d'audace ? Je sais que les états sont pleins de sénateurs Attachés à ma race, et dont j'aurais les coeurs : Ils pourraient soutenir ma sanglante querelle : Mais le peuple ? Ami, tu me connais : j'ose tout pour Irène : Seule elle m'a banni, seule elle me ramène ; Seule sur mon esprit encore irrésolu Irène a conservé son pouvoir absolu. Rien ne me retient plus : on la menace, et j'aime. Oui, je lui répondrai. Je ne le croyais pas... les états de l'empire Connaissent peu ces lois que vous voulez prescrire ; Et j'ai pu, sans faillir, remplir la volonté D'un corps auguste et saint, et par vous respecté. Les grands de qui la voix vous a donné l'empire, Qui m'ont fait de l'état le premier après vous, Seigneur, pourront fléchir ce violent courroux. Ils connaissent mon nom, mon rang, et mon service, Et vous-même avec eux vous me rendrez justice. Vous me laisserez vivre entre ces murs sacrés Que de vos ennemis mon bras a délivrés ; Vous ne m'ôterez point un droit inviolable Que la loi de l'état ne ravit qu'au coupable. Un simple citoyen L'oserait, le devrait ; et mon droit est le sien, Celui de tout mortel, dont le sort qui m'outrage N'a point marqué le front du sceau de l'esclavage : C'est le droit d'Alexis ; et je crois qu'il est dû Au sang qu'il a pour vous tant de fois répandu, Au sang dont sa valeur a payé votre gloire, Et qui peut égaler (sans trop m'en faire accroire) Le sang de Nicéphore autrefois inconnu, Au rang de mes aïeux aujourd'hui parvenu. Non, seigneur. Il faut d'abord m'apprendre Ce que dit ce billet que l'on vient de te rendre. Dans son conseil l'arrêt était porté ! Et j'aurais dû m'attendre à cette atrocité ! Il se flattait qu'en maître il condamnait Comnène. Il a signé ma mort. Plus que je ne pensais ce despote est coupable : Irène prisonnière ! Est-il bien vrai, Memnon ? Ô ciel !... de tes projets Irène est-elle instruite ? Gardons de l'affliger, Et surtout, cher ami, cachons-lui son danger. L'entreprise bientôt doit être découverte ; Mais c'est quand on saura ma victoire ou ma perte. Sont-ils prêts à marcher ? Nous n'avons qu'un moment ; je règne, ou je péris : Le sort en est jeté. Prévenons Nicéphore. Venez, braves amis, dont mon destin m'honore ; Sous Memnon et sous moi vous avez combattu ; Combattez pour Irène, et vengez sa vertu. Irène m'appartient ; je ne puis la reprendre Que dans des flots de sang et sous des murs en cendre : Marchons sans balancer. Irène, il n'est plus temps : La querelle est trop grande : elle est trop engagée. Je les écouterai quand vous serez vengée. Je mets à vos pieds, en ce jour de terreur, Tout ce que je vous dois, un empire et mon coeur. Je n'ai point disputé cet empire funeste ; Il n'était rien sans vous : la justice céleste N'en devait dépouiller d'indignes souverains Que pour le rétablir par vos augustes mains. Régnez, puisque je règne, et que ce jour commence Mon bonheur et le vôtre, et celui de Byzance. Oui ! Je veux de la terre effacer sa mémoire ; Que son nom soit perdu dans l'éclat de ma gloire ; Que l'empire romain, dans sa félicité, Ignore s'il régna, s'il a jamais été. Je sais que ces grands coups, la première journée, Font murmurer la Grèce et l'Asie étonnée : Il s'élève soudain des censeurs, des rivaux : Bientôt on s'accoutume à ses maîtres nouveaux ; On finit par aimer leur puissance établie : Qu'on sache gouverner, madame, et tout s'oublie. Après quelques moments d'une juste rigueur, Que l'intérêt public exige d'un vainqueur, Ramenez les beaux jours où l'heureuse Livie Fit adorer Auguste à la terre asservie. Ce sang sauvait le vôtre, et vous m'en punissez ! Qui ? Moi ? Je suis coupable à vos yeux offensés ! Un despote jaloux, un maître impitoyable, Grâce au seul nom d'époux, est pour vous respectable ! Ses jours vous sont sacrés ! Et votre défenseur N'était donc qu'un rebelle, et n'est qu'un ravisseur ! Contre votre tyran quand j'osais vous défendre, À votre ingratitude aurais-je dû m'attendre ? Quoi ! Vous pleurez, Irène ! Et vous m'abandonnez ! Eh ! Qui donc nous condamne ? Une loi fanatique ! Un respect insensé pour un usage antique, Embrassé par un peuple amoureux des erreurs, Méprisé des césars, et surtout des vainqueurs ! Chère et fatale Irène, arbitre de mon sort, Vous vengez Nicéphore et me donnez la mort. Et vous daignez parler avec tant de bonté ! Et vous vous obstinez à tant de cruauté ! Que m'offriraient de pis la haine et la colère ? Serez-vous à vous-même à tout moment contraire ? Un père, je le vois, vous contraint de me fuir : À quel autre auriez-vous promis de vous trahir ? Non, je ne le puis croire, Vous n'avez point cherché cette affreuse victoire ; Vous ne renoncez point au sang dont vous sortez, À vos sujets soumis, à vos prospérités, Pour aller enfermer cette tête adorée Dans le réduit obscur d'une prison sacrée. Votre père vous trompe : une imprudente erreur, Après l'avoir séduit, a séduit votre coeur. C'est un nouveau tyran dont la main vous opprime : Il s'immola lui-même et vous fit sa victime. N'a-t-il fui les humains que pour les tourmenter ? Sort-il de son tombeau pour nous persécuter ? Plus cruel envers vous que Nicéphore même, Veut-il assassiner une fille qu'il aime ? Je cours à lui, madame, et je ne prétends pas Qu'il donne contre moi des lois dans mes états. S'il méprise la cour, et si son coeur l'abhorre, Je ne souffrirai pas qu'il la gouverne encore, Et que de son esprit l'imprudente rigueur Persécute son sang, son maître, et son vengeur. Et moi, je vous devance ; Je vais de ces ingrats réprimer l'insolence, M'assurer à leurs yeux du prix de mes travaux, Et deux fois en un jour vaincre tous mes rivaux. C'en est trop ; arrêtez : Pour la dernière fois, père injuste, écoutez ; Écoutez votre maître à qui le sang vous lie, Et qui pour votre fille a prodigué sa vie, Celui qui d'un tyran vous a tous délivrés, Ce vainqueur malheureux que vous désespérez. Le souverain sacré des autels de Sophie, Dont la cabale altière à la vôtre est unie, Contre moi vous seconde, et croit impunément Ravir, au nom du ciel, Irène à son amant. Je vous ai tous servis, vous, Irène et Byzance ; Votre fille en était la juste récompense, Le seul prix qu'on devait à mon bras, à ma foi, Le seul objet enfin qui soit digne de moi. Mon coeur vous est ouvert, et vous savez si j'aime. Vous venez m'enlever la moitié de moi-même, Vous qui, dès le berceau nous unissant tous deux, D'une main paternelle aviez formé nos noeuds ; Vous, par qui tant de fois elle me fut promise, Vous me la ravissez lorsque je l'ai conquise, Lorsque je l'ai sauvée, et vous, et tout l'état ! Mortel trop vertueux, vous n'êtes qu'un ingrat. Vous m'osez proposer que mon coeur s'en détache ! Rendez-la-moi, cruel, ou que je vous l'arrache : Embrassez un fils tendre, et né pour vous chérir, Ou craignez un vengeur armé pour vous punir. Je ne le puis... et, malgré mon courroux, Ce coeur que vous percez s'est attendri sur vous. La dureté du vôtre est-elle inaltérable ? Ne verrez-vous dans moi qu'un ennemi coupable ? Et regretterez-vous votre persécuteur Pour élever la voix contre un libérateur ? Tendre père d'Irène, hélas ! Soyez mon père ; D'un juge sans pitié quittez le caractère ; Ne sacrifiez point et votre fille et moi Aux superstitions qui vous servent de loi ; N'en faites point une arme odieuse et cruelle, Et ne l'enfoncez point d'une main paternelle Dans ce coeur malheureux qui veut vous révérer, Et que votre vertu se plaît à déchirer. Tant de sévérité n'est point dans la nature ; D'un affreux préjugé laissez là l'imposture ; Cessez... Vous disputez, Léonce, et moi je suis sensible. Vous le faites parler : vous me forcez, cruel, À combattre à la fois et mon père et le ciel. Plus de sang va couler pour cette injuste Irène, Que n'en a répandu l'ambition romaine : La main qui vous sauva n'a plus qu'à se venger. Je détruirai ce temple où l'on m'ose outrager ; Je briserai l'autel défendu par vous-même, Cet autel en tout temps rival du diadème, Ce fatal instrument de tant de passions, Chargé par nos aïeux de l'or des nations, Cimenté de leur sang, entouré de rapines. Vous me verrez, ingrat, sur ces vastes ruines, De l'hymen qu'on réprouve allumer les flambeaux Au milieu des débris, du sang, et des tombeaux. Je me suis emporté : Je le sens, j'en rougis ; mais votre cruauté, Tranquille en me frappant, barbare avec étude, Insulte avec plus d'art, et porte un coup plus rude. Retirez-vous ; fuyez. Non, vous n'attendrez point : décidez tout à l'heure S'il faut que je me venge, ou s'il faut que je meure. Que son sort est heureux ! Assis sur le rivage, Il regarde en pitié ce turbulent orage Qui de mon triste règne a commencé le cours. Irène a fait le charme et l'horreur de mes jours : Sa faiblesse m'immole aux erreurs de son père, Aux discours insensés d'un aveugle vulgaire. Ceux en qui j'espérais sont tous mes ennemis. J'aime, je suis césar, et rien ne m'est soumis ! Quoi ! Je puis sans rougir, dans les champs du carnage, Lorsqu'un scythe, un germain succombe à mon courage, Sur son corps tout sanglant qu'on apporte à mes yeux, Enlever son épouse à l'aspect de ses dieux, Sans qu'un prêtre, un soldat, ose lever la tête ! Aucun n'ose douter du droit de ma conquête ; Et mes concitoyens me défendront d'aimer La veuve d'un tyran qui voulut l'opprimer ! Entrons. Eh bien ! Zoé, que venez-vous m'apprendre ? Des maîtres où je suis ! ... j'ai cru n'en avoir plus. À moi, gardes, venez. Mes ordres absolus Sont que de cette enceinte aucun mortel ne sorte : Qu'on soit armé partout ; qu'on veille à cette porte. Allez. On apprendra qui doit donner la loi, Qui de nous est césar, ou le pontife, ou moi. Chère Zoé, rentrez : avertissez Irène Qu'on lui doit obéir, et qu'elle s'en souvienne. Ami, c'est avec toi qu'aujourd'hui j'entreprends De briser en un jour tous les fers des tyrans : Nicéphore est tombé ; chassons ceux qui nous restent, Ces tyrans des esprits que mes chagrins détestent. Que le père d'Irène, au palais arrêté, Ait enfin moins d'audace et moins d'autorité ; Qu'éloigné de sa fille, et réduit au silence, Il ne soulève plus les peuples de Byzance ; Que cet ardent pontife au palais soit gardé ; Un autre plus soumis par mon ordre est mandé, Qui sera plus docile à ma voix souveraine. Constantin, Théodose, en ont trouvé sans peine : Plus criminels que moi dans ce triste séjour, Les cruels n'avaient pas l'excuse de l'amour. Non ; j'y suis résolu... je vous dois ma grandeur, Et mon trône, et ma gloire... il manque le bonheur. Je succombe, en régnant, au destin qui m'outrage : Secondez mes transports ; achevez votre ouvrage. Mais quoi ! Laisser près d'elle un maître impérieux Qui lui reprochera le pouvoir de ses yeux ; Qui, lui faisant surtout un crime de me plaire, Et tournant à son gré ce coeur souple et sincère, Gouvernant sa faiblesse, et trompant sa candeur, Va changer par degrés sa tendresse en horreur ! Je veux régner sur elle ainsi que sur Byzance, La couvrir des rayons de ma toute-puissance ; Et que ce maître altier, qui veut donner la loi, Soit aux pieds de sa fille, et la serve avec moi. Tu m'as donc obéi ? Ah ! Cher et sage ami, que tes yeux éclairés Ont bien prévu l'effet de mes voeux égarés ! Que tu connais ce coeur si contraire à soi-même, Esclave révolté qui perd tout ce qu'il aime, Aveugle en son courroux, prompt à se démentir, Né pour les passions, et pour le repentir ! Venez, venez, Zoé, vous que chérit Irène ; Jugez si mon amour a mérité sa haine, Si je voulais en maître, en vainqueur, en césar, Montrer l'auguste Irène enchaînée à mon char. Je n'ordonnerai point qu'une odieuse fête Au temple du Bosphore avec éclat s'apprête ; Je n'insulterai point à ces préventions Que le temps enracine au coeur des nations : Je prétends préparer cet hymen où j'aspire Loin d'un peuple importun qu'un vain spectacle attire. Vous connaissez l'autel qu'éleva dans ces lieux Avec simplicité la main de nos aïeux : N'admettant pour garants de la foi qu'on se donne Que deux amis, un prêtre, et le ciel qui pardonne, C'est là que devant Dieu je promettrai mon coeur. Est-il indigne d'elle ? Inspire-t-il l'horreur ? Dites-moi par pitié si son âme agitée Aux offres que je fais recule épouvantée ; Si mon profond respect ne peut que l'indigner ; Enfin si je l'offense en la faisant régner. Hélas ! Elle vous aime, et sans doute me craint. Si dans mon désespoir votre amitié me plaint, Si vous pouvez beaucoup sur ce coeur noble et tendre, Résolvez-la du moins à me voir, à m'entendre, À ne point rejeter les voeux humiliés D'un empereur soumis et tremblant à ses pieds. Le vainqueur de César est l'esclave d'Irène ; Elle étend à son choix, ou resserre sa chaîne : Qu'elle dise un seul mot. C'est elle-même, ô ciel ! Irène, est-ce bien vous ? Quoi ! Loin de me répondre, À peine d'un regard elle veut me confondre ! J'y cours, sans rien examiner. Ah ! Si j'osais penser qu'on pût me pardonner, Je mourrais à vos pieds de l'excès de ma joie. Je vole aveuglément où votre ordre m'envoie ; Je vais tout réparer : oui, malgré ses rigueurs, Je veux qu'avec ma main sa main sèche vos pleurs. Irène, croyez-moi ; ma vie est destinée À vous faire oublier cette affreuse journée : Votre père adouci ne reverra dans moi Qu'un fils tendre et soumis, digne de votre foi. Si trop de sang pour vous fut versé dans la Thrace, Mes bienfaits répandus en couvriront la trace ; Si j'offensai Léonce, il verra tout l'état Expier avec moi cet indigne attentat. Vous régnerez tous deux : ma tendresse n'aspire Qu'à laisser dans ses mains les rênes de l'empire. J'en jure les héros dont nous tenons le jour, Et le ciel qui m'entend, et vous, et mon amour. Irène, en s'attendrissant et en retenant ses larmes. Allez ; ayez pitié de cette infortunée : Le ciel vous l'arracha ; pour vous elle était née. Allez, prince. Ah ! Grand dieu, témoin de ses bontés, Je serai digne enfin de mon bonheur ! Je vous ramène un père, et je me suis flatté Que nous pourrions fléchir sa dure austérité ; Que sa justice enfin, me jugeant moins coupable, Daignerait... juste dieu ! Quel spectacle effroyable ! Irène, chère Irène ! Quel démon t'inspirait ? Irène ! Irène ! Ah, dieu ! **** *creator_voltaire *book_voltaire_irene *style_verse *id_MEMNON *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_memnon Madame, j'avouerai qu'il veut à votre vue Dérober les chagrins de son âme abattue. Je ne suis point compté parmi les courtisans De ses desseins secrets superbes confidents : Du conseil de César on me ferme l'entrée. Commandant de sa garde à la porte sacrée, Militaire oublié par ses maîtres altiers, Relégué dans mon poste ainsi que mes guerriers, J'ai seulement appris que le brave Comnène A quitté dès longtemps les bords du Borysthène, Qu'il vogue vers Byzance, et que César troublé Écoute en frémissant son conseil assemblé. Il revole au Bosphore. On l'assure, et la cour S'alarme, se divise, et tremble à son retour. Il a brisé, dit-on, l'honorable esclavage Où l'empereur jaloux retenait son courage ; Il vient jouir ici des honneurs et des droits Que lui donnent son rang, sa naissance, et nos lois. C'est tout ce que j'apprends par ces rumeurs soudaines Qui font naître en ces lieux tant d'espérances vaines, Et qui, de bouche en bouche armant les factions, Vont préparer Byzance aux révolutions. Pour moi, je sais assez quel parti je dois prendre, Quel maître je dois suivre, et qui je dois défendre : Je ne consulte point nos ministres, nos grands, Leurs intérêts cachés, leurs partis différents, Leurs fausses amitiés, leurs indiscrètes haines. Attaché sans réserve au pur sang des Comnènes, Je le sers, et surtout dans ces extrémités, Memnon sera fidèle au sang dont vous sortez. Le temps ne permet pas d'en dire davantage... Souffrez que je revole où mon devoir m'engage. Oui, vous êtes mandé ; mais César délibère. Dans son inquiétude il consulte, il diffère, Avec ses vils flatteurs en secret enfermé. Le retour d'un héros l'a sans doute alarmé ; Mais nous avons le temps de nous parler encore. Ce salon qui conduit à ceux de Nicéphore Mène aussi chez Irène, et je commande ici. Sur tous vos partisans n'ayez aucun souci ; Je les ai préparés. Si cette cour inique Osait lever sur vous le glaive despotique, Comptez sur vos amis : vous verrez devant eux Fuir ce pompeux ramas d'esclaves orgueilleux. Au premier mouvement notre vaillante escorte Du rempart des sept tours ira saisir la porte ; Et les autres, armés sous un habit de paix, Inconnus à César, emplissent ce palais. Nicéphore vous craint depuis qu'il vous offense. Dans ce château funeste il met sa confiance : Là, dans un plein repos, d'un mot, ou d'un coup d'oeil, Il condamne à l'exil, aux tourments, au cercueil. Il ose me compter parmi les mercenaires, De son caprice affreux ministres sanguinaires : Il se trompe... seigneur, quel secret embarras, Quand j'ai tout disposé, semble arrêter vos pas ? La honte ! Elle est pour vous de servir sous un Maître. Soyez son ennemi dans les champs de l'honneur, Disputez-lui l'empire, et soyez son vainqueur. Il vous aime : au trône il vous appelle. Sa fougue est passagère, elle éclate à grand bruit ; Un instant la fait naître, un instant la détruit. J'enflamme cette ardeur ; et j'ose encor vous dire Que je vous répondrais des coeurs de tout l'empire. Paraissez seulement, mon prince, et vous ferez Du sénat et du peuple autant de conjurés. Dans ce palais sanglant, séjour des homicides, Les révolutions furent toujours rapides. Vingt fois il a suffi, pour changer tout l'état, De la voix d'un pontife, ou du cri d'un soldat. Ces soudains changements sont des coups de tonnerre Qui dans des jours sereins éclatent sur la terre. Plus ils sont imprévus, moins on peut échapper À ces traits dévorants dont on se sent frapper. Nous avons vu frapper ces ombres fugitives, Fantômes d'empereurs élevés sur nos rives, Tombant du haut du trône en l'éternel oubli, Où leur nom d'un moment se perd enseveli. Il est temps qu'à Byzance on reconnaisse un homme Digne des vrais césars, et des beaux jours de Rome. Byzance offre à vos mains le souverain pouvoir. Ceux que j'y vis régner n'ont eu qu'à le vouloir : Portés dans l'hippodrome, ils n'avaient qu'à paraître Décorés de la pourpre et du sceptre d'un maître ; Au temple de Sophie un prêtre les sacrait, Et Byzance à genoux soudain les adorait. Ils avaient moins que vous d'amis et de courage ; Ils avaient moins de droits : tentez le même ouvrage ; Recueillez les débris de leurs sceptres brisés ; Vous régnez aujourd'hui, seigneur, si vous l'osez. Je me trompe, seigneur, ou l'empereur lui-même Vient vous dicter ses lois dans ce lieu retiré. L'attendrez-vous encore ? Déjà paraît sa garde : elle m'est confiée. Si de votre ennemi la haine étudiée A conçu contre vous quelques secrets desseins, Nous servons sous Comnène, et nous sommes romains. Je vous laisse avec lui. Moi, servir Nicéphore ! Voyez. Il a signé la sienne. D'esclaves entouré, ce tyran ténébreux, Ce despote aveuglé m'a cru lâche comme eux : Tant ce palais funeste a produit l'habitude Et de la barbarie et de la servitude ! Tant sur leur trône affreux nos césars chancelants Pensent régner sans lois, et parler en sultans ! Mais achevez, lisez cet ordre impitoyable. Le tombeau, pour les grands, est près de la prison. Elle en peut soupçonner et la cause et la suite : Le reste est inconnu. Nos amis vont se joindre à ces braves soldats. Seigneur, n'en doutez pas : Leur troupe en ce moment va s'ouvrir un passage. Croyez que l'amitié, le zèle, et le courage, Sont d'un plus grand service, en ces périls pressants, Que tous ces bataillons payés par des tyrans. Je les vois avancer vers la porte sacrée ; L'empereur va lui-même en défendre l'entrée : Du peuple soulevé j'entends déjà les cris. Il n'est plus de tyran : c'en est fait, il est mort ; Je l'ai vu. C'est en vain qu'étouffant sa colère, Et tenant sous ses pieds ce fatal adversaire, Son vainqueur Alexis a voulu l'épargner : Les peuples dans son sang brûlaient de se baigner. Madame, Alexis règne ; à mes voeux tout conspire ; Un seul jour a changé le destin de l'empire. Tandis que la victoire en nos heureux remparts, Relève par ses mains le trône des césars, Qu'il rappelle la paix, à vos pieds il m'envoie, Interprète et témoin de la publique joie. Pardonnez si sa bouche, en ce même moment, Ne vous annonce pas ce grand événement ; Si le soin d'arrêter le sang et le carnage Loin de vos yeux encore occupe son courage ; S'il n'a pu rapporter à vos sacrés genoux Des lauriers que ses mains n'ont cueillis que pour vous. Je vole à l'hippodrome, au temple de Sophie, Aux états assemblés pour sauver la patrie. Nous allons tous nommer du saint nom d'empereur Le héros de Byzance et son libérateur. César, y pensez-vous ? Ce vieillard intraitable, Opiniâtre, altier, est pourtant respectable. Il est de ces vertus que, forcés d'estimer, Même en les détestant, nous tremblons d'opprimer. Eh ! Ne craignez-vous point, par cette violence, De faire au coeur d'Irène une mortelle offense ? Oui, quelquefois, sans doute, il est plus difficile De s'assurer chez soi d'un sort pur et tranquille Que de trouver la gloire au milieu des combats Qui dépendent de nous moins que de nos soldats. Je vous l'ai dit : Irène, en sa juste colère, Ne pardonnera point l'attentat sur son père. Vous vous trompiez, César ; j'ai prévu vos alarmes ; Vous avez contre vous tourné vos propres armes. C'en est fait ; je vous plains. C'était avec regret ; mais je vous ai servi : J'ai saisi ce vieillard ; et César qui soupire Des faiblesses d'amour m'apprend quel est l'empire. Mais, après cette injure, auriez-vous espéré De ramener à vous un esprit ulcéré ? Eh ! Pourquoi consulter, dans de telles alarmes, Un vieux soldat blanchi dans les horreurs des armes ?