**** *creator_voltaire *book_voltaire_nanine *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_nanine *dist2_voltaire_verse_comedy *id_LECOMTE *date_1749 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lecomte Oui, tout procès m'est fort insupportable. Qui ? Vous, madame ? Ah ! L'intérêt ! Parlez mieux. Je n'ai pas l'air d'un volage, je crois. Ah ! J'attends ma mère. Je la respecte, et je l'aime. D'où vient ce grand courroux ? Qui vous a donc dit tout cela ? Non, je ne trompe pas ; Dissimuler n'est pas mon caractère : J'étais à vous, vous aviez su me plaire, Et j'espérais avec vous retrouver Ce que le ciel a voulu m'enlever, Goûter en paix, dans cet heureux asile, Les nouveaux fruits d'un noeud doux et tranquille ; Mais vous cherchez à détruire vos lois. Je vous l'ai dit, l'amour a deux carquois : L'un est rempli de ces traits tout de flamme, Dont la douceur porte la paix dans l'âme, Qui rend plus purs nos goûts, nos sentiments, Nos soins plus vifs, nos plaisirs plus touchants ; L'autre n'est plein que de flèches cruelles Qui, répandant les soupçons, les querelles, Rebutent l'âme, y portent la tiédeur, Font succéder les dégoûts à l'ardeur : Voilà les traits que vous prenez vous-même Contre nous deux ; et vous voulez qu'on aime ! Votre humeur, N'en doutez pas : oui, la beauté, Madame, Ne plaît qu'aux yeux ; la douceur charme l'âme. Moi ? Non ; J'en ai sans doute, et pour cette raison Je veux, madame, une femme indulgente, Dont la beauté douce et compatissante, À mes défauts facile à se plier, Daigne avec moi me réconcilier, Me corriger sans prendre un ton caustique, Me gouverner sans être tyrannique, Et dans mon coeur pénétrer pas à pas, Comme un jour doux dans des yeux délicats : Qui sent le joug le porte avec murmure ; L'amour tyran est un dieu que j'abjure. Je veux aimer, et ne veux point servir ; C'est votre orgueil qui peut seul m'avilir. J'ai des défauts ; mais le ciel fit les femmes Pour corriger le levain de nos âmes, Pour adoucir nos chagrins, nos humeurs, Pour nous calmer, pour nous rendre meilleurs. C'est là leur lot ; et pour moi, je préfère Laideur affable à beauté rude et fière. Comment, madame ? Moi ! Je lui veux du bien. Eh bien ! Si je l'aimais, apprenez donc, Madame, Que hautement je publierais ma flamme. Assurément. Dites les préjugés. Je ne prends point, quoi qu'on en puisse croire, La vanité pour l'honneur et la gloire. L'éclat vous plaît ; vous mettez la grandeur Dans des blasons : je la veux dans le coeur. L'homme de bien, modeste avec courage, Et la beauté spirituelle, sage, Sans bien, sans nom, sans tous ces titres vains, Sont à mes yeux les premiers des humains. Le vertueux aurait la préférence. Être honnête homme est ce qu'on doit. Il est très haut, il brave le vulgaire. Non ; mais j'honore ainsi l'humanité. L'usage est fait pour le mépris du sage ; Je me conforme à ses ordres gênants, Pour mes habits, non pour mes sentiments. Il faut être homme, et d'une âme sensée, Avoir à soi ses goûts et sa pensée. Irai-je en sot aux autres m'informer Qui je dois fuir, chercher, louer, blâmer ? Quoi ! De mon être il faudra qu'on décide ? J'ai ma raison ; c'est ma mode et mon guide. Le singe est né pour être imitateur, Et l'homme doit agir d'après son coeur. Ah ! Juste ciel ! Que faut-il que je fasse ? Que veux-tu, toi ? Ma grandeur ! Eh bien ! Blaise, Que te faut-il ? D'accord, Très volontiers ; ce projet me plaît fort. Je t'aiderai ; j'aime qu'on se marie : Et la future, est-elle un peu jolie ? Et nous nommons cette beauté divine ?... Eh bien ? Nanine ? Ciel ! à quel point On m'avilit ! Non, je ne le puis être. Tu dis qu'on t'aime, impudent ! T'a-t-elle dit qu'elle t'aimât ? Blaise, va-t'en... quoi ! J'aurais su lui plaire ! Hem ! ... Ah ! Mon coeur est trop plein. Je me retire... Adieu, madame. Holà ! Quelqu'un ! Qu'on reste à cette porte. Des sièges, vite. Asseyons-nous ici. Oui, je le veux ainsi ; Et je vous rends ce que votre conduite, Votre beauté, votre vertu mérite. Un diamant trouvé dans un désert Est-il moins beau, moins précieux, moins cher ? Quoi ! Vos beaux yeux semblent mouillés de larmes ! Ah ! Je le vois, jalouse de vos charmes, Notre Baronne aura, par ses aigreurs, Par son courroux, fait répandre vos pleurs. Vous me charmez : je craignais son dépit. Jeune et belle Nanine, La jalousie en tous les coeurs domine : L'homme est jaloux dès qu'il peut s'enflammer ; La femme l'est, même avant que d'aimer. Un jeune objet, beau, doux, discret, sincère, À tout son sexe est bien sûr de déplaire. L'homme est plus juste ; et d'un sexe jaloux Nous nous vengeons autant qu'il est en nous. Croyez surtout que je vous rends justice. J'aime ce coeur qui n'a point d'artifice ; J'admire encore à quel point vous avez Développé vos talents cultivés. De votre esprit la naïve justesse Me rend surpris autant qu'il m'intéresse. Ah ! Croyez-moi, l'esprit ne s'apprend pas. Dans le premier vos vertus vous ont mise. Naïvement dites-moi quel effet Ce livre anglais sur votre esprit a fait ? Vous en êtes la preuve... ah çà, Nanine, Permettez-moi qu'ici l'on vous destine Un sort, un rang moins indigne de vous. Non. Désormais soyez de la famille : Ma mère arrive ; elle vous voit en fille ; Et mon estime, et sa tendre amitié Doivent ici vous mettre sur un pied Fort éloigné de cette indigne gêne Où vous tenait une femme hautaine. Quoi ! Quel devoir ? Ah ! Le vôtre est de plaire ; Il est rempli : le nôtre ne l'est guère. Il vous fallait plus d'aisance et d'éclat : Vous n'êtes pas encor dans votre état. Non, c'en est trop, je n'y résiste plus. Qui ? Vous, obscure ! Vous ! Qu'ordonnez-vous ? Parlez. Eh bien ! Pardon. J'en agis comme un père, Un père tendre à qui sa fille est chère. Je n'ai point l'art d'embellir un présent ; Et je suis juste, et ne suis point galant. De la fortune il faut venger l'injure : Elle vous traita mal : mais la nature, En récompense, a voulu vous doter De tous ses biens ; j'aurais dû l'imiter. Vous m'outragez. Eh ! Que madame attende. Quoi ! L'on ne peut un moment vous parler, Sans qu'aussitôt on vienne nous troubler ! Non, non, jamais je ne veux le savoir. Elle n'en garde aucun, je vous assure. Vous gémissez... quoi ! Votre coeur murmure ? Qu'avez-vous donc ? Elle pleurait. D'une femme orgueilleuse Depuis longtemps l'aigreur capricieuse La fait gémir sous trop de dureté ; Et de quel droit ? Par quelle autorité ? Sur ces abus ma raison se récrie. Ce monde-ci n'est qu'une loterie De biens, de rangs, de dignités, de droits, Brigués sans titre, et répandus sans choix. Hé ! Demain sur sa toilette Vous porterez cette somme complète De trois cents louis d'or ; n'y manquez pas : Puis vous irez chercher ces gens là-bas ; Ils attendront. Eh ! L'esprit lourd ! Eh non ! C'est pour Nanine, entendez-vous ? Allez, allez, laissez-moi. Ma tendresse Assurément n'est point une faiblesse. Je l'idolâtre, il est vrai ; mais mon coeur Dans ses yeux seuls n'a point pris son ardeur. Son caractère est fait pour plaire au sage ; Et sa belle âme a mon premier hommage : Mais son état ? Elle est trop au-dessus ; Fût-il plus bas, je l'en aimerais plus. Mais puis-je enfin l'épouser ? Oui, sans doute. Pour être heureux qu'est-ce donc qu'il en coûte ? D'un monde vain dois-je craindre l'écueil, Et de mon goût me priver par orgueil ? Mais la coutume ? ... eh bien ! Elle est cruelle ; Et la nature eut ses droits avant elle. Eh quoi ! Rival de Blaise ! Pourquoi non ? Blaise est un homme ; il l'aime, il a raison. Elle fera dans une paix profonde Le bien d'un seul, et les désirs du monde. Elle doit plaire aux jardiniers, aux rois ; Et mon bonheur justifiera mon choix. Ah ! Cette nuit est une année entière ! Que le sommeil est loin de ma paupière ! Tout dort ici ; Nanine dort en paix ; Un doux repos rafraîchit ses attraits : Et moi, je vais, je cours, je veux écrire, Je n'écris rien ; vainement je veux lire, Mon oeil troublé voit les mots sans les voir, Et mon esprit ne les peut concevoir ; Dans chaque mot le seul nom de Nanine Est imprimé par une main divine. Holà ! Quelqu'un ! Qu'on vienne. Quoi ! Mes gens Sont-ils pas las de dormir si longtemps ? Germon ! Marin ! Quelle paresse ! Eh ! Venez vite ; il fait jour ; le temps presse : Arrivez donc. L'amour. Je veux, mon cher Marin, Je veux avoir, au plus tard pour demain, Six chevaux neufs, un nouvel équipage, Femme de chambre adroite, bonne, et sage ; Valet de chambre avec deux grands laquais, Point libertins, qui soient jeunes, bien faits ; Des diamants, des boucles des plus belles, Des bijoux d'or, des étoffes nouvelles. Pars dans l'instant, cours en poste à Paris ; Crève tous les chevaux. Quel que soit mon projet, Vole et reviens. Quoi ! J'aurai donc cette douceur extrême De rendre heureux, d'honorer ce que j'aime ! Notre Baronne avec fureur criera ; Très volontiers, et tant qu'elle voudra. Les vains discours, le monde, la Baronne, Rien ne m'émeut, et je ne crains personne ; Aux préjugés c'est trop être soumis : Il faut les vaincre, ils sont nos ennemis ; Et ceux qui font les esprits raisonnables, Plus vertueux, sont les seuls respectables. Eh ! Mais... quel bruit entends-je dans ma cour ? C'est un carrosse. Oui... mais... au point du jour Qui peut venir ? ... c'est ma mère, peut-être. Germon... Vois ce que ce peut être. Eh qui ? Par quel hasard ? Qui vient ici ? Comment ! On part ? Oh ! Je le lui pardonne ; Que pour jamais puisse-t-elle sortir ! Ciel ! Que dis-tu ? Nanine ? Quoi donc ? Courons, volons. Mais quoi ! Que vais-je faire ? Pour leur parler je suis trop en colère : N'importe : allons. Quand je devrais... mais non : On verrait trop toute ma passion. Qu'on ferme tout, qu'on vole, qu'on l'arrête ; Répondez-moi d'elle sur votre tête : Amenez-moi Nanine. Ah ! Juste ciel ! On l'enlevait. Quel jour ! Quel coup mortel ! Qu'ai-je donc fait ? Pourquoi ? Par quel caprice ? Par quelle ingrate et cruelle injustice ? Qu'ai-je donc fait, hélas ! Que l'adorer, Sans la contraindre, et sans me déclarer, Sans alarmer sa timide innocence ? Pourquoi me fuir ? Je m'y perds, plus j'y pense. Belle Nanine, est-ce vous que je vois ? Quoi ! Vous voulez vous dérober à moi ! Ah ! Répondez, expliquez-vous, de grâce. Vous avez craint, sans doute, la menace De la Baronne ; et ces purs sentiments, Que vos vertus m'inspirent dès longtemps, Plus que jamais l'auront, sans doute, aigrie. Vous n'auriez point de vous-même eu l'envie De nous quitter, d'arracher à ces lieux Leur seul éclat que leur prêtaient vos yeux. Hier au soir, de pleurs toute trempée, De ce dessein étiez-vous occupée ? Répondez donc. Pourquoi me quittiez-vous ? Ah ! Parlez-moi. Je tremble plus encore. Eh bien ? Ce serait vous ? Qu'entends-je ! Ah, malheureux ! Elle ? à qui donc ? Le digne choix ! Vous, vous punir ! Ah ! Nanine ! Et de quoi ? Quels sentiments ! Et quelle âme ingénue ! En ma faveur est-elle prévenue ? A-t-elle craint de m'aimer ? ô vertu ! N'en parlons plus. écoutez : la Baronne Vous favorise, et noblement vous donne Un domestique, un rustre pour époux ; Moi, j'en sais un moins indigne de vous : Il est d'un rang fort au-dessus de Blaise, Jeune, honnête homme ; il est fort à son aise : Je vous réponds qu'il a des sentiments : Son caractère est loin des moeurs du temps ; Et je me trompe, ou pour vous j'envisage Un destin doux, un excellent ménage. Un tel parti flatte-t-il votre coeur ? Vaut-il pas bien le couvent ? Vous décidez mon sort. Eh bien ! Nanine, Connaissez donc celui qu'on vous destine : Vous l'estimez ; il est sous votre loi ; Il vous adore, et cet époux... c'est moi. L'étonnement, le trouble l'a saisie. Ah ! Parlez-moi ; disposez de ma vie ; Ah ! Reprenez vos sens trop agités. Ce que vous méritez. Non, vous serez ma femme. Quoi ! Tout à l'heure ici vous m'assuriez, Vous l'avez dit, que vous refuseriez Tout autre époux, fût-ce un prince. Mais me haïssez-vous ? Ah ! Ce mot seul a fait ma destinée. Notre hyménée. Je songe à tout. Tout est prévu... Je crois former le bonheur de ma vie. Il n'est rien que j'oublie. Tout sera prêt, et tout est ordonné... Oui, malgré vous, ma flamme impatiente Va tout presser pour cette heure charmante. Un seul instant je quitte vos attraits Pour que mes yeux n'en soient privés jamais. Adieu, Nanine, adieu, vous que j'adore. Ah ! Quels discours vous me tenez ? Tous vos efforts ne sont plus de saison : Mon parti pris, je suis inébranlable. Contentez-vous du tour abominable Que vous vouliez me jouer ce matin. Ai-je bien lu ? Je demeure stupide. Ô tour affreux ! Sexe ingrat, coeur perfide ! Plaît-il ? Que fait Nanine en ce moment ? Allez saisir ses papiers, allez prendre Ce qu'elle écrit ; vous viendrez me le rendre. Qu'on la renvoie à l'instant. Nanine. Obéissez, ou je vous chasse. Je n'en crois rien ; mais soit, n'en parlons plus : Réparons tout. Le plus sage, en sa vie, A quelquefois ses accès de folie : Chacun s'égare, et le moins imprudent Est celui-là qui plus tôt se repent. Pour jamais cessez de parler d'elle. Ce sujet de querelle Doit s'oublier. Fort bien, je vous entends ; Je les tiendrai. Il sera réparé. Madame, il faut... Vous savez bien... que j'attendais ma mère. Madame, j'aurais dû... Philippe Hombert ! ... Vous m'avez prévenu ; Et mon respect, mon zèle, ma tendresse... Avec cet air innocent, la traîtresse ! Ciel ! Que je suis confus ! Il ne me prendra plus. Qui l'aurait cru ? Ce trait me désespère. Eh bien, Germon ? Oh ! Qu'il attende. Donne... fort bien. Elle m'aime, dit-elle, Et, par respect, me refuse... infidèle ! Tu ne dis pas la raison du refus ! M'a-t-on bientôt délivré de Nanine ? Je le crois bien. Tranquillement ? Quoi ! Seule, à pied, sans secours, sans argent ? Dans le chagrin où mon coeur s'abandonne, Suis-je en état de parler à personne ? Ma mère, il faut aller dîner. Venez... Ô ciel ! Ai-je pu soupçonner Pareille horreur ! Eh bien ! Nanine est donc enfin partie ! J'en ai l'âme ravie. Dans le chemin Philippe Hombert lui donnait-il la main ? Où donc va-t-elle ? À Rémival, sans doute ? Va la conduire à ce couvent voisin, Où la Baronne allait dès ce matin : Mon dessein est qu'on la mette sur l'heure Dans cette utile et décente demeure ; Ces cent louis la feront recevoir. Va... garde-toi de laisser entrevoir Que c'est un don que je veux bien lui faire ; Dis-lui que c'est un présent de ma mère ; Je te défends de prononcer mon nom. Germon, À son départ tu dis que tu l'as vue ? Elle était abattue ? Elle pleurait ? A-t-elle Dit quelque mot qui marque, qui décèle Ses sentiments ? As-tu remarqué... A-t-elle enfin, Germon, parlé de moi ? Eh bien ! Dis-moi donc, traître ! Qu'a-t-elle dit ? Va... mais surtout garde qu'elle revienne. Germon ! Un mot ; qu'il te souvienne, Si par hasard, quand tu la conduiras, Certain Hombert venait suivre ses pas, De le chasser de la belle manière. Justement. Obéis promptement. Ah ! Cours, te dis-je. Hélas ! Il a raison ; Il prononçait ma condamnation ; Et moi, du coup qui m'a pénétré l'âme Je me punis ; la Baronne est ma femme ; Il le faut bien, le sort en est jeté. Je souffrirai, je l'ai bien mérité. Ce mariage est au moins convenable. Notre Baronne a l'humeur peu traitable ; Mais, quand on veut, on sait donner la loi : Un esprit ferme est le maître chez soi. Eh ! Oui. Vous retirer ! Eh ! Ma mère, pourquoi ? Ma mère, Ne soyez pas contre nous en colère ; Laissez Nanine aller dans le couvent ; Ne changez rien à notre arrangement. Moi, vous conter ? Oui... mais pour qui ! Pardon, ma mère : il a fallu vous rendre Mes premiers soins ; et je suis prêt d'entendre Cet homme-là, malgré mon embarras. Ami, relevez-vous : Je ne veux point qu'on me parle à genoux ; D'un tel orgueil je suis trop incapable. Vous avez l'air d'être un homme estimable. Dans ma maison cherchez-vous de l'emploi ? À qui parlé-je ? Vous ? Qu'a ce métier, s'il vous plaît, de honteux ? Ce préjugé fut toujours condamnable. J'estime plus un vertueux soldat, Qui de son sang sert son prince et l'état, Qu'un important, que sa lâche industrie Engraisse en paix du sang de la patrie. Eh ! Poursuivez. Ah ! De grâce, achevez. Ah ! Qu'ai-je fait ? Moi, les reprendre ! Ils ont été donnés ; Elle en a fait un respectable usage. C'est donc à vous qu'on a fait le message ? Qui l'a porté ? Quoi ! C'est à vous que le présent s'adresse ? Ô douleur ! Ô tendresse ! Des deux côtés quel excès de vertu ! Et votre nom ? ... je demeure éperdu. Ah ! Mon père ! Quel jour vient m'éclairer ! J'ai fait un crime ; il le faut réparer. Si vous saviez combien je suis coupable ! J'ai maltraité la vertu respectable. Holà, courez. Vite un carrosse. J'entends. Non, je n'hésite pas. Il est tout pris. Vous connaissez mon âme et sa franchise : Il faut parler. Ma main vous fut promise ; Mais nous n'avions voulu former ces noeuds Que pour finir un procès dangereux : Je le termine ; et, dès l'instant, je donne, Sans nul regret, sans détour j'abandonne Mes droits entiers, et les prétentions Dont il naquit tant de divisions : Que l'intérêt encor vous en revienne : Tout est à vous ; jouissez-en sans peine. Que la raison fasse du moins de nous Deux bons parents, ne pouvant être époux. Oublions tout ; que rien ne nous aigrisse. Pour n'aimer pas, faut-il qu'on se haïsse ? Non, il n'est point indigne ; non, madame, Un fol amour n'aveugla point mon âme : Cette vertu, qu'il faut récompenser, Doit m'attendrir, et ne peut m'abaisser. Dans ce vieillard, ce qu'on nomme bassesse Fait son mérite ; et voilà sa noblesse. La mienne à moi, c'est d'en payer le prix. C'est pour des coeurs par eux-mêmes ennoblis. Et distingués par ce grand caractère, Qu'il faut passer sur la règle ordinaire : Et leur naissance, avec tant de vertus, Dans ma maison n'est qu'un titre de plus. Son seul aspect devrait vous en instruire. Oui ; mais comment faut-il que je répare L'indigne affront qu'un mérite si rare Dans ma maison put de moi recevoir ? Sous quel habit revient-elle nous voir ! Il est trop vil ; mais elle le décore. Non, il n'est rien que sa vertu n'honore. Eh bien ! Parlez : auriez-vous la bonté De pardonner à tant de dureté ? Si vous avez oublié cet outrage, Donnez-m'en donc le plus sûr témoignage : Je ne veux plus commander qu'une fois ; Mais jurez-moi d'obéir à mes lois. J'ose y compter. Oui, je vous avertis Que vos devoirs ne sont pas tous remplis. Je vous ai vue aux genoux de ma mère ; Je vous ai vue embrasser votre père ; Ce qui vous reste en des moments si doux... C'est... à leurs yeux... d'embrasser... votre époux. Le daignez-vous permettre ? En la voyant, elle l'approuvera. On m'a promis d'obéir... je le veux. Ma mère, il s'agit d'être heureux. L'intérêt seul a fait cent mariages. Nous avons vu les hommes les plus sages Ne consulter que les moeurs et le bien : Elle a les moeurs, il ne lui manque rien ; Et je ferai par goût et par justice Ce qu'on a fait cent fois par avarice. Ma mère, enfin, terminez ces combats, Et consentez. **** *creator_voltaire *book_voltaire_nanine *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_nanine *dist2_voltaire_verse_comedy *id_LABARONNE *date_1749 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_labaronne Il faut parler, il faut, Monsieur le Comte, Vous expliquer nettement sur mon compte. Ni vous ni moi n'avons un coeur tout neuf ; Vous êtes libre, et depuis deux ans veuf : Devers ce temps j'eus cet honneur moi-même ; Et nos procès, dont l'embarras extrême Était si triste et si peu fait pour nous, Sont enterrés, ainsi que mon époux. Ne suis-je pas comme eux fort haïssable ? Oui, moi. Depuis deux ans, Libres tous deux, comme tous deux parents, Pour terminer nous habitons ensemble ; Le sang, le goût, l'intérêt nous rassemble. Non, Monsieur. Je parle bien, et c'est avec douleur ; Et je sais trop que votre âme inconstante Ne me voit plus que comme une parente. Vous avez l'air de me manquer de foi. Vous savez que cette longue guerre, Que mon mari vous faisait pour ma terre, A dû finir en confondant nos droits Dans un hymen dicté par notre choix : Votre promesse à ma foi vous engage ; Vous différez, et qui diffère outrage. Elle radote : bon ! Et moi, non. Mais pour me faire un affront qui m'étonne, Assurément vous n'attendez personne, Perfide ! Ingrat ! Qui ? Vous ; Vous, votre ton, votre air d'indifférence, Votre conduite, en un mot, qui m'offense, Qui me soulève, et qui choque mes yeux : Ayez moins tort, ou défendez-vous mieux. Ne vois-je pas l'indignité, la honte, L'excès, l'affront du goût qui vous surmonte ? Quoi ! Pour l'objet le plus vil, le plus bas, Vous me trompez ! Oui, j'aurai tort ! Quand vous vous détachez, C'est donc à moi que vous le reprochez. Je dois souffrir vos belles incartades, Vos procédés, vos comparaisons fades. Qu'ai-je donc fait, pour perdre votre coeur ? Que me peut-on reprocher ? Mais êtes-vous sans humeur, vous ? C'est fort bien dit, traître ! Vous prétendez, Quand vous m'outrez, m'insultez, m'excédez, Que je pardonne, en lâche complaisante, De vos amours la honte extravagante ? Et qu'à mes yeux un faux air de hauteur Excuse en vous les bassesses du coeur ? Oui, la jeune Nanine Fait tout mon tort. Un enfant vous domine, Une servante, une fille des champs, Que j'élevai par mes soins imprudents, Que par pitié votre facile mère Daigna tirer du sein de la misère. Vous rougissez ! Non, vous l'aimez, j'en suis très sûre. Vous en êtes capable. Vous oseriez trahir impudemment De votre rang toute la bienséance ; Humilier ainsi votre naissance ; Et, dans la honte où vos sens sont plongés, Braver l'honneur ? Il faut au moins être bon gentilhomme. Un vil savant, un obscur honnête homme, Serait chez vous, pour un peu de vertu, Comme un seigneur avec honneur reçu ? Peut-on souffrir cette humble extravagance ? Ne doit-on rien, s'il vous plaît, à son rang ? Mon sang Exigerait un plus haut caractère. Vous dégradez ainsi la qualité ! Vous êtes fou ; quoi ! Le public, l'usage ! ... Voilà parler en homme libre, en sage. Allez ; aimez des filles de village, Coeur noble et grand, soyez l'heureux rival Du magister et du greffier fiscal ; Soutenez bien l'honneur de votre race. Et Blaise en est aimé ? Ah ! Bon ! Je ne m'oppose point À de pareils amours. Il l'aime comme un fou, J'en suis certaine. Et comment donc, par où, Par quels attraits, par quelle heureuse adresse, A-t-elle pu me ravir sa tendresse ? Nanine ! Ô ciel ! Quel choix ! Quelle fureur ! Nanine ! Non ; j'en mourrai de douleur. Insolente ! Non. Ah ! Quels horribles coups ! Autant que toi crois que j'en serais aise ; Mon pauvre enfant, si je puis te servir, Tous deux ce soir je voudrais vous unir : Je lui paierai sa dot. Hélas ! Je crains, ami, de ne réussir pas. Va, plût au ciel qu'elle devînt ta femme ! Attends mon ordre. Va. Vit-on jamais une telle aventure ! Peut-on sentir une plus vive injure ; Plus lâchement se voir sacrifier ! Le Comte Olban rival d'un jardinier ! Holà ! Quelqu'un ! Qu'on appelle Nanine. C'est mon malheur qu'il faut que j'examine. Où pourrait-elle avoir pris l'art flatteur, L'art de séduire et de garder un coeur, L'art d'allumer un feu vif et qui dure ? Où ? Dans ses yeux, dans la simple nature. Je crois pourtant que cet indigne amour N'a point encore osé se mettre au jour. J'ai vu qu'Olban se respecte avec elle ; Ah ! C'est encore une douleur nouvelle ; J'espérerais s'il se respectait moins. D'un amour vrai le traître a tous les soins. Ah ! La voici : je me sens au supplice. Que la nature est pleine d'injustice ! À qui va-t-elle accorder la beauté ! C'est un affront fait à la qualité. Approchez-vous ; venez, Mademoiselle. Mais est-elle donc si belle ? Ces grands yeux noirs ne disent rien du tout ; Mais s'ils ont dit : j'aime... ah ! Je suis à bout. Possédons-nous. Venez. Vous vous faites attendre Un peu de temps ; avancez-vous. Comment ! Comme elle est mise ! Et quel ajustement ! Il n'est pas fait pour une créature De votre espèce. Approchez-moi ce fauteuil... ah ! J'enrage... D'où venez-vous ? Quel ouvrage ? Sur quel sujet ? Elle y croira. Quel fonds de vanité ! Que l'on m'apporte ici mon écritoire... Restez. Que l'on me donne à boire. Rien. Prenez mon éventail... sortez. Allez chercher mes gants... laissez... restez. Avancez-vous... gardez-vous, je vous prie, D'imaginer que vous soyez jolie. Où trouve-t-elle ainsi ce qu'elle dit ? Que je la hais ! Quoi ! Belle, et de l'esprit ! Écoutez-moi. J'eus bien de la tendresse Pour votre enfance. Eh bien ! Voyez si vous les méritez. Je prétends, moi, ce jour, cette heure même, Vous établir ; jugez si je vous aime. Je vous donne une dot. Votre époux Est fort bien fait, et très digne de vous ; C'est un parti de tout point fort sortable : C'est le seul même aujourd'hui convenable ; Et vous devez bien m'en remercier : C'est, en un mot, Blaise le jardinier. Oui. D'où vient ce sourire ? Hésitez-vous un moment d'y souscrire ? Mes offres sont un ordre, entendez-vous ? Obéissez, ou craignez mon courroux. Apprenez qu'un mais est une offense. Il vous sied bien d'avoir l'impertinence De refuser un mari de ma main ! Ce coeur si simple est devenu bien vain. Mais votre audace est trop prématurée ; Votre triomphe est de peu de durée. Vous abusez du caprice d'un jour, Et vous verrez quel en est le retour. Petite ingrate, objet de ma colère, Vous avez donc l'insolence de plaire ? Vous m'entendez ; je vous ferai rentrer Dans le néant dont j'ai su vous tirer. Tu pleureras ton orgueil, ta folie. Je te ferai renfermer pour ta vie Dans un couvent. Est-il possible ? Et que viens-je d'ouïr ? Est-il bien vrai ? Me trompez-vous, Nanine ? Lève-toi : Que je t'embrasse. ô jour heureux pour moi ! Ma chère amie, eh bien ! Je vais sur l'heure Préparer tout pour ta belle demeure. Ah ! Quel plaisir que de vivre en couvent ! Non ; c'est, ma fille, un séjour délectable. Le monde est haïssable, Jaloux... Fou, méchant, vain, trompeur, Changeant, ingrat ; tout cela fait horreur. La chose est manifeste ; Un bon couvent est un port assuré. Monsieur le Comte, ah ! Je vous préviendrai. Je t'aime À la fureur ; et dès ce moment même Je voudrais bien te faire le plaisir De t'enfermer pour ne jamais sortir. Mais il est tard, hélas ! Il faut attendre Le point du jour. écoute : il faut te rendre Vers le minuit dans mon appartement. Nous partirons d'ici secrètement Pour ton couvent à cinq heures sonnantes : Sois prête au moins. Eh ! Le butor ! ... arrête. L'étourdi m'a pensé casser la tête. Où vas-tu ? Que tiens-tu ? Que fait Nanine ? As-tu rien entendu ? Monsieur le Comte est-il bien en colère ? Quel billet est-ce là ? Voyons. Comment dis-tu ? Nanine ! Elle pourrait Avoir écrit, te charger d'un message ! Donne, ou je romps soudain ton mariage : Donne, te dis-je. De quoi ris-tu ? J'en veux savoir le contenu. Il m'intéresse, ou je suis bien trompée. Lisons. « Ma joie et ma tendresse Sont sans mesure, ainsi que mon bonheur. Vous arrivez : quel moment pour mon coeur ! Quoi ! Je ne puis vous voir et vous entendre ! Entre vos bras je ne puis me jeter ! Je vous conjure au moins de vouloir prendre Ces deux paquets : daignez les accepter. Sachez qu'on m'offre un sort digne d'envie, Et dont il est permis de s'éblouir : Mais il n'est rien que je ne sacrifie Au seul mortel que mon coeur doit chérir. » Ouais. Voilà donc le style de Nanine ! Comme elle écrit, l'innocente orpheline ! Comme elle fait parler la passion ! En vérité ce billet est bien bon. Tout est parfait, je ne me sens pas d'aise. Ah, ah, rusée, ainsi vous trompiez Blaise ! Vous m'enleviez en secret mon amant. Vous avez feint d'aller dans un couvent ; Et tout l'argent que le Comte vous donne, C'est pour Philippe Hombert ! Fort bien, friponne ; J'en suis charmée, et le perfide amour Du Comte Olban méritait bien ce tour. Je m'en doutais que le coeur de Nanine Était plus bas que sa basse origine. Venez, venez, homme à grands sentiments, Homme au-dessus des préjugés du temps, Sage amoureux, philosophe sensible ; Vous allez voir un trait assez risible. Vous connaissez sans doute à Rémival Monsieur Philippe Hombert, votre rival ? Peut-être Ce billet-là vous le fera connaître. Je crois qu'Hombert est un fort beau garçon. Ce nouveau tour est un peu plus malin. Tenez, lisez. Ceci pourra vous plaire ; Vous connaîtrez les moeurs, le caractère Du digne objet qui vous a subjugué. Tout en lisant, il me semble intrigué. Il a pâli ; l'affaire émeut sa bile... Eh bien ! Monsieur, que pensez-vous du style ? Il ne voit rien, ne dit rien, n'entend rien : Oh ! Le pauvre homme ! Il le méritait bien. Je le connais, il est né violent ; Il est prompt, ferme ; il va dans un moment Prendre un parti. La vieille est revenue ? Dans son courroux, Il est devenu sourd. La lettre opère. Ah ! Je respire : enfin nous l'emportons ; Vous devenez un homme raisonnable. Ah çà, voyez s'il n'est pas véritable Qu'on tient toujours de son premier état, Et que les gens dans un certain éclat Ont un coeur noble, ainsi que leur personne ? Le sang fait tout, et la naissance donne Des sentiments à Nanine inconnus. Oui. Très volontiers. Mais vous, de vos serments Souvenez-vous. Ce n'est qu'un prompt hommage Qui peut ici réparer mon outrage. Indignement notre hymen différé Est un affront. Il ne faut qu'un notaire. Elle est ici. Hom ! La vieille bégueule ! Madame, il faut vous laisser le plaisir D'entretenir monsieur tout à loisir. Je me retire. Si vous le trouvez bon : J'aurai, je crois, votre approbation. Oui, croyez-nous, madame, une famille Ne se doit point charger de telle fille. Peu de chose. Rien. Qu'est-ce ? Quel équipage ? Vous avez donc commandé tout cela ? Ce mariage a traîné bien longtemps. Quel importun ! Qu'on le fasse en aller ; Il prend trop mal son temps. Ta fille est une grande coquine. Il a raison : mais il trompe, et Nanine N'est point sa fille ; elle était orpheline. Fi ! Quelle idée ! Ouais, est-ce un songe ? Est-ce une fourberie ? Que dit-il là ? Eh ! Quel empressement ! Que tout m'impatiente ! Qu'il a l'air sombre, embarrassé, rêveur ! Quel sentiment étrange est dans son coeur ? Voyez, monsieur, ce que vous voulez faire. On peut la satisfaire Par des présents. Mais moi, jamais je ne veux la revoir ; Que du château jamais elle n'approche : Entendez-vous ? De mes soupçons évitez les éclats : Vous hésitez ? Je dois m'attendre à cette déférence ; Vous la devez à tous les deux, je pense. Quel parti prendrez-vous ? Je m'attendais à ton manque de foi. Va, je renonce à tes présents, à toi. Traître ! Je vois avec qui tu vas vivre, À quel mépris ta passion te livre. Sers noblement sous les plus viles lois ; Je t'abandonne à ton indigne choix. **** *creator_voltaire *book_voltaire_nanine *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_nanine *dist2_voltaire_verse_comedy *id_NANINE *date_1749 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_nanine Madame. Je viens me rendre À mon devoir. Il est vrai. Je vous jure, Par mon respect, qu'en secret j'ai rougi Plus d'une fois d'être vêtue ainsi ; Mais c'est l'effet de vos bontés premières, De ces bontés qui me sont toujours chères. De tant de soins vous daigniez m'honorer ! Vous vous plaisiez vous-même à me parer. Songez combien vous m'aviez protégée : Sous cet habit je ne suis point changée. Voudriez-vous, madame, humilier Un coeur soumis, qui ne peut s'oublier ? Je lisais. Un livre anglais dont on m'a fait présent. Il est intéressant : L'auteur prétend que les hommes sont frères, Nés tous égaux ; mais ce sont des chimères : Je ne puis croire à cette égalité. J'y vais. Quoi ? Vous me l'avez si souvent répété, Que si j'avais ce fonds de vanité, Si l'amour-propre avait gâté mon âme, Je vous devrais ma guérison, madame. Oui. Puisse ma jeunesse être honorée encor de vos bontés ! Moi ? Blaise, Madame ? Mais... J'embrasse vos genoux ; Renfermez-moi ; mon sort sera trop doux. Oui, des faveurs que vous vouliez me faire, Cette rigueur est pour moi la plus chère. Enfermez-moi dans un cloître à jamais : J'y bénirai mon maître et vos bienfaits ; J'y calmerai des alarmes mortelles, Des maux plus grands, des craintes plus cruelles, Des sentiments plus dangereux pour moi Que ce courroux qui me glace d'effroi. Madame, au nom de ce courroux extrême, Délivrez-moi, s'il se peut, de moi-même ; Dès cet instant je suis prête à partir. Non. Faites-moi cette faveur divine : Mon coeur en a trop besoin. C'est pour le moins un abri consolant. Le croyez-vous ? Oh ! Oui. Oui ; j'entrevois qu'il me serait funeste, Qu'il faut le fuir... Que dites-vous de monseigneur ? Quelles douleurs cuisantes ! Quel embarras ! Quel tourment ! Quel dessein ! Quels sentiments combattent dans mon sein ! Hélas ! Je fuis le plus aimable maître ! En le fuyant, je l'offense peut-être ; Mais, en restant, l'excès de ses bontés M'attirerait trop de calamités, Dans sa maison mettrait un trouble horrible. Madame croit qu'il est pour moi sensible, Que jusqu'à moi ce coeur peut s'abaisser : Je le redoute, et n'ose le penser. De quel courroux madame est animée ! Quoi ! L'on me hait, et je crains d'être aimée ? Mais, moi ! Mais moi ! Je me crains encor plus ; Mon coeur troublé de lui-même est confus. Que devenir ? De mon état tirée, Pour mon malheur je suis trop éclairée. C'est un danger, c'est peut-être un grand tort D'avoir une âme au-dessus de son sort. Il faut partir ; j'en mourrai, mais n'importe. Qui ? Moi, monsieur ? Non, monsieur, non ; sa bonté respectable Jamais pour moi ne fut si favorable ; Et j'avouerai qu'ici tout m'attendrit. Hélas ! Pourquoi ? J'en ai bien peu ; mais quoi ! Je vous ai vu, Et je vous ai tous les jours entendu : Vous avez trop relevé ma naissance ; Je vous dois trop ; c'est par vous que je pense. Je pense trop pour un état si bas ; Au dernier rang les destins m'ont comprise. Il ne m'a point du tout persuadée ; Plus que jamais, monsieur, j'ai dans l'idée Qu'il est des coeurs si grands, si généreux, Que tout le reste est bien vil auprès d'eux. Hélas ! Mon sort était trop haut, trop doux. Elle n'a fait, hélas ! Que m'avertir De mes devoirs... qu'ils sont durs à remplir ! J'en suis sortie, et c'est ce qui m'accable ; C'est un malheur peut-être irréparable. Ah ! Monseigneur ! Ah ! Mon maître ! écartez De mon esprit toutes ces vanités ; De vos bienfaits confuse, pénétrée, Laissez-moi vivre à jamais ignorée. Le ciel me fit pour un état obscur ; L'humilité n'a pour moi rien de dur. Ah ! Laissez-moi ma retraite profonde. Eh ! Que ferais-je, et que verrais-je au monde, Après avoir admiré vos vertus ? Quoi que je fasse. Puis-je de vous obtenir une grâce ? Depuis un temps Votre bonté me comble de présents. Vous en avez trop fait ; mais je me flatte Qu'il m'est permis, sans que je sois ingrate, De disposer de ces dons précieux Que votre main rend si chers à mes yeux. Avec douleur, sans doute, je vous laisse ; Mais vous savez qu'elle fut ma maîtresse. Elle conserve un reste de pouvoir. Je vous quitte à regret ; Mais il le faut... Ô ciel ! C'en est donc fait ! Vous me voyez tremblante à vos genoux. Madame... Madame, que j'honore, Pour le couvent n'a point forcé mes voeux. Je vous l'avoue ; oui, je l'ai conjurée De mettre un frein à mon âme égarée... Elle voulait, monsieur, me marier. À votre jardinier. Et moi, toute honteuse, Plus qu'on ne croit peut-être malheureuse, Moi qui repousse avec un vain effort Des sentiments au-dessus de mon sort, Que vos bontés avaient trop élevée, Pour m'en punir, j'en dois être privée. D'avoir osé soulever contre moi Votre parente, autrefois ma maîtresse. Je lui déplais ; mon seul aspect la blesse : Elle a raison ; et j'ai près d'elle, hélas ! Un tort bien grand... qui ne finira pas. J'ai craint ce tort ; il est peut-être extrême. J'ai prétendu m'arracher à moi-même, Et déchirer dans les austérités Ce coeur trop haut, trop fier de vos bontés, Venger sur lui sa faute involontaire. Mais ma douleur, hélas ! La plus amère, En perdant tout, en courant m'éclipser, En vous fuyant, fut de vous offenser. Cent fois pardon, si je vous ai déplu : Mais permettez qu'au fond d'une retraite J'aille cacher ma douleur inquiète, M'entretenir en secret à jamais De mes devoirs, de vous, de vos bienfaits. Non, monsieur... Ce nouveau bien que vous daignez me faire, Je l'avouerai, ne peut me satisfaire. Vous pénétrez mon coeur reconnaissant : Daignez y lire, et voyez ce qu'il sent ; Voyez sur quoi ma retraite se fonde. Un jardinier, un monarque du monde, Qui pour époux s'offriraient à mes voeux, Également me déplairaient tous deux. Qu'ai-je entendu ? Quoi ! Vous m'aimez ? Ah ! Gardez-vous de croire Que j'ose user d'une telle victoire. Non, monsieur, non, je ne souffrirai pas Qu'ainsi pour moi vous descendiez si bas : Un tel hymen est toujours trop funeste ; Le goût se passe, et le repentir reste. J'ose à vos pieds attester vos aïeux... Hélas ! Sur moi ne jetez point les yeux. Vous avez pris pitié de mon jeune âge ; Formé par vous, ce coeur est votre ouvrage ; Il en serait indigne désormais S'il acceptait le plus grand des bienfaits. Oui, je vous dois des refus. Oui, mon âme Doit s'immoler. Oui, sans doute ; Et ce n'est pas ce refus qui me coûte. Aurais-je fui, Craindrais-je tant, si vous étiez haï ? Eh ! Que prétendez-vous ? Songez... Mais prévoyez... Si vous m'aimez, croyez... Vous oubliez... Quoi ! Malgré moi votre amour obstiné... Ciel, est-ce un rêve ? Et puis-je croire encore Que je parvienne au comble du bonheur ? Non, ce n'est pas l'excès d'un tel honneur, Tout grand qu'il est, qui me plaît et me frappe ; À mes regards tant de grandeur échappe : Mais épouser ce mortel généreux, Lui, cet objet de mes timides voeux, Lui, que j'avais tant craint d'aimer, que j'aime, Lui, qui m'élève au-dessus de moi-même ; Je l'aime trop pour pouvoir l'avilir : Je devrais... non, je ne puis plus le fuir ; Non... mon état ne saurait se comprendre. Moi, l'épouser ! Quel parti dois-je prendre ? Le ciel pourra m'éclairer aujourd'hui ; Dans ma faiblesse il m'envoie un appui. Peut-être même... allons ; il faut écrire, Il faut... par où commencer, et que dire ? Quelle surprise ! écrivons promptement, Avant d'oser prendre un engagement. Blaise, bonjour. À chaque mot mon embarras redouble ; Toute ma lettre est pleine de mon trouble. Eh bien ? Cher Blaise, il faut me rendre un grand service. Je te fais la justice De me fier à ta discrétion, À ton bon coeur. Tu vas souvent au village prochain, À Rémival, à droite du chemin ? Pourrais-tu trouver dans ce village Philippe Hombert ? Hier au soir je crois qu'il arriva ; Informe-t'en. Tâche de lui remettre, Mais sans délai, cet argent, cette lettre. Donne aussi ce paquet ; Monte à cheval pour avoir plus tôt fait ; Pars, et sois sûr de ma reconnaissance. Elle est très avérée ; Il n'en est point, Blaise, de plus sacrée. Écoute : Hombert est peut-être inconnu ; Peut-être même il n'est pas revenu. Mon cher ami, tu me rendras ma lettre, Si tu ne peux en ses mains la remettre. Je me fie à ta foi. Va, j'attends tout de toi. J'ai tardé trop ; il est temps de partir. L'obscurité fut mon premier partage. Il est des maux mille fois plus sensibles. Je lui dois tout : il me chasse aujourd'hui ; Obéissons. Ses bienfaits sont à lui ; Il peut user du droit de les reprendre. Me retirer, longtemps me repentir. Mes maux sont grands, mais je les lui pardonne. Vous lui direz que je le remercie Qu'il m'ait rendue à ma première vie, Et qu'à jamais sensible à ses bontés Je n'oublierai... rien... que ses cruautés. On est bien loin de me suivre... ah ! Germon ! Je suis chassée... et par qui ! ... Il se marie ! ... ah ! Partons de ce lieu ; Il fut pour moi trop dangereux... adieu... Ah ! La nature a mon premier hommage. Mon père ! Que me demandez-vous ? Ah ! Je m'étonne Que vous doutiez si mon coeur vous pardonne. Je n'ai pas cru que vous pussiez jamais Avoir eu tort après tant de bienfaits. Il est bien sûr de mon obéissance. Moi ! Non, n'y consentez pas ; Opposez-vous à sa flamme... à la mienne ; Voilà de vous ce qu'il faut que j'obtienne. L'amour l'aveugle ; il le faut éclairer. Ah ! Loin de lui, laissez-moi l'adorer. Voyez mon sort, voyez ce qu'est mon père : Puis-je jamais vous appeler ma mère ? J'obéis donc à votre ordre, à l'amour ; Mon coeur ne peut résister. **** *creator_voltaire *book_voltaire_nanine *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_nanine *dist2_voltaire_verse_comedy *id_BLAISE *date_1749 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_blaise C'est votre jardinier, Qui vient, monsieur, humblement supplier Votre grandeur. Mais c'est, ne vous déplaise, Que je voudrais me marier... Ah, oui, ma foi ! C'est un morceau friand. Certainement. Mais, c'est... C'est la belle Nanine. Ce parti-là doit bien plaire à mon maître. Ah ! Pardon. Mais... non, Pas tout à fait ; elle m'a fait entendre Tant seulement qu'elle a pour nous du tendre ; D'un ton si bon, si doux, si familier, Elle m'a dit cent fois : " cher jardinier, Cher ami Blaise, aide-moi donc à faire Un beau bouquet de fleurs, qui puisse plaire À monseigneur, à ce maître charmant ; " Et puis d'un air si touché, si touchant, Elle faisait ce bouquet : et sa vue Était troublée ; elle était toute émue, Toute rêveuse, avec un certain air, Un air, là, qui... peste ! L'on y voit clair. çà, n'allez pas traînasser notre affaire. Vous verrez comme ce terrain-là Entre mes mains bientôt profitera. Répondez donc ; pourquoi ne me rien dire ? Ah ! Vous parlez de Nanine. Est-il pas vrai que Nanine est charmante ? Eh ! Si fait : parlez un peu pour nous, Protégez Blaise. J'ai des écus ; Pierre Blaise mon père M'a bien laissé trois bons journaux de terre : Tout est pour elle, écus comptants, journaux, Tout mon avoir, et tout ce que je vaux ; Mon corps, mon coeur, tout moi-même, tout Blaise. Digne Baronne, Que j'aimerai votre chère personne ! Que de plaisir ! Est-il possible ! Ah ! Par pitié, réussissez, Madame. Eh ! Puis-je attendre ? Adieu. J'aurai, ma foi, cet enfant-là. Ah ! La voici. Madame la Baronne En ma faveur vous a parlé, mignonne. Ouais, elle écrit sans me voir seulement. Bonjour est sec, vraiment. Le grand génie ! Elle écrit tout courant ; Qu'elle a d'esprit ! Et que n'en ai-je autant ! çà, je disais... Elle m'impose Par son maintien ; devant elle je n'ose M'expliquer... là... tout comme je voudrais : Je suis venu cependant tout exprès. Oh ! Deux plutôt. Oh ! Parlez sans façon : Car, vous voyez, Blaise est prêt à tout faire Pour vous servir ; vite, point de mystère. Oui. Non. Quel est ce visage ? Philippe Hombert ? Je ne connais pas ça. Oh ! De l'argent ! J'irais pour vous au fin fond de la France. Philippe Hombert est un heureux manant ; La bourse est pleine : ah ! Que d'argent comptant ! Est-ce une dette ? Mon cher ami ! Son cher ami ! D'où diable vient cet argent ? Quel message ! Il nous aurait aidé dans le ménage. Allons, elle a pour nous de l'amitié ; Et ça vaut mieux que de l'argent, morgué ! Courons, courons. Pardon, Madame. C'est un mystère. Peste ! ... Nanine gronderait. Ho, ho. Ha, ha. Ha, ha, ha, ha, qu'elle est bien attrapée ! Elle n'a là qu'un chiffon de papier ; Moi, j'ai l'argent, et je m'en vais payer Philippe Hombert : faut servir sa maîtresse. Courons. **** *creator_voltaire *book_voltaire_nanine *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_nanine *dist2_voltaire_verse_comedy *id_GERMON *date_1749 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_germon Madame vous demande, Madame attend. Monseigneur. Madame la Baronne Aura l'argent que monseigneur me donne, Sur sa toilette. Pardon. Monsieur. C'est un carrosse. L'on ne vient point ; l'on part. Madame la Baronne Sort tout à l'heure. Avec Nanine elle est prête à partir. La suivante Le dit tout haut. Votre parente Part avec elle ; elle va, ce matin, Mettre Nanine à ce couvent voisin. Voici dans l'avenue Madame Olban. Madame votre mère, entendez-vous ? Est près d'ici, monsieur. Monsieur. Madame votre mère, Monsieur. Mais... elle écrit dans son appartement. Qui, monsieur ? Non, je n'aurais pas ce coeur ; Si vous saviez à quel point sa personne Nous charme tous ; comme elle est noble, bonne ! Allons. Voici Votre notaire. Et voici le papier Qu'elle devait, monsieur, vous envoyer. Hélas ! Monsieur, elle a déjà repris Modestement ses champêtres habits, Sans dire un mot de plainte et de murmure. Elle a pris cette injure Tranquillement, lorsque nous pleurons tous. Nanine, hélas ! Madame, que l'on chasse : Tout le château pleure de sa disgrâce. Ah ! J'oubliais de dire qu'à l'instant Un vieux bonhomme à vos gens se présente : Il dit que c'est une affaire importante, Qu'il ne saurait communiquer qu'à vous ; Il veut, dit-il, se mettre à vos genoux. Nous pleurons tous en vous voyant sortir. Quoi ! Pour jamais, et dans cet équipage ? Quel changement ! Quoi ! Du matin au soir... Souffrir n'est rien ; c'est tout que de déchoir. J'admire encor des regrets si paisibles. Certes, mon maître est bien malavisé ; Notre Baronne a sans doute abusé De son pouvoir, et vous fait cet outrage : Jamais monsieur n'aurait eu ce courage. À ce trait-là qui diable eût pu s'attendre ? En cet état qu'allez-vous devenir ? Que nous allons haïr notre Baronne ! Mais que dirai-je au moins de votre part À notre maître, après votre départ ? Vous me fendez le coeur, et tout à l'heure Je quitterais pour vous cette demeure ; J'irais partout avec vous m'établir : Mais Monsieur Blaise a su nous prévenir ; Qu'il est heureux ! Avec vous il va vivre : Chacun voudrait l'imiter, et vous suivre. Le démon A mis du sien dans cette brouillerie : Nous vous perdons... et monsieur se marie. Monsieur le Comte a l'âme un peu bien dure : Comment chasser pareille créature ! Elle paraît une fille de bien : Mais il ne faut pourtant jurer de rien. Oui, c'en est fait. Votre âme est donc de fer ? Qui ? Quel Philippe Hombert ? Hélas ! Nanine, Sans écuyer, fort tristement chemine, Et de ma main ne veut pas seulement. Où ? Mais apparemment Chez ses amis. Oui, je crois bien qu'elle prend cette route. Fort bien ; je vais vous obéir. Eh ! Oui, vous dis-je. Elle faisait bien mieux, Ses pleurs coulaient à peine de ses yeux ; Elle voulait ne pas pleurer. Quoi ? Oh ! Oui, beaucoup. Que vous êtes son maître ; Que vous avez des vertus, des bontés... Qu'elle oubliera tout... hors vos cruautés. Monsieur. Oui, poliment, à grands coups d'étrivière : Comptez sur moi ; je sers fidèlement. Le jeune Hombert, dites-vous ? Bon ! Je n'ai pas l'honneur de le connaître ; Mais le premier que je verrai paraître Sera rossé de la bonne façon ; Et puis après il me dira son nom. Ce jeune Hombert est quelque amant, je gage, Un beau garçon, le coq de son village. Laissez-moi faire. Je me doutais qu'elle avait quelque amant ; Et Blaise aussi lui tient au coeur peut-être. On aime mieux son égal que son maître. **** *creator_voltaire *book_voltaire_nanine *style_verse *genre_comedy *dist1_voltaire_verse_comedy_nanine *dist2_voltaire_verse_comedy *id_MARIN *date_1749 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_marin J'accours. Eh ! Monsieur, quel lutin Vous a sans nous éveillé si matin ? Oh ! Oh ! La Baronne de L'Orme Ne permet pas qu'en ce logis on dorme. Qu'ordonnez-vous ? Vous voilà pris. J'entends, j'entends ; madame la Baronne Est la maîtresse aujourd'hui qu'on nous donne ; Vous l'épousez ? Vous serez satisfait. Enfin tout est bâclé, Tout est fini. J'ai parlé À nos marchands ; j'ai bien fait mon message ; Et vous aurez demain tout l'équipage. Oui, tout ce que pour vous A commandé votre futur époux ; Six beaux chevaux : et vous serez contente De la berline ; elle est bonne, brillante ; Tous les panneaux par Martin sont vernis ; Les diamants sont beaux, très bien choisis ; Et vous verrez des étoffes nouvelles D'un goût charmant... Oh ! Rien n'approche d'elles. Le tout arrivera Demain matin dans ce nouveau carrosse, Et sera prêt le soir pour votre noce. Vive Paris pour avoir sur-le-champ Tout ce qu'on veut, quand on a de l'argent ! En revenant, j'ai revu le notaire, Tout près d'ici, griffonnant votre affaire. Dans ce salon j'ai trouvé tout à l'heure Un bon vieillard, qui gémit et qui pleure ; Depuis longtemps il voudrait vous parler. J'y vais.