**** *creator_voltaire *book_voltaire_romesauvee *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_romesauvee *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_CICERON *date_1750 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_ciceron Suivez mon ordre, allez ; de ce perfide coeur Je prétends, sans témoin, sonder la profondeur. La crainte quelquefois peut ramener un traître. Avant que le sénat se rassemble à ma voix, Je viens, Catilina, pour la dernière fois, Apporter le flambeau sur le bord de l'abîme Où votre aveuglement vous conduit par le crime. Moi. C'est ainsi que s'explique un reste de pitié. Vos cris audacieux, votre plainte frivole, Ont assez fatigué les murs du Capitole. Vous feignez de penser que Rome et le sénat Ont avili dans moi l'honneur du consulat. Concurrent malheureux à cette place insigne, Votre orgueil l'attendait, mais en étiez-vous digne ? La valeur d'un soldat, le nom de vos aïeux, Ces prodigalités d'un jeune ambitieux, Ces jeux et ces festins qu'un vain luxe prépare, Étaient-ils un mérite assez grand, assez rare, Pour vous faire espérer de dispenser des lois Au peuple souverain qui règne sur les rois ? A vos prétentions j'aurais cédé peut-être, Si j'avais vu dans vous ce que vous deviez être. Vous pouviez de l'état être un jour le soutien : Mais pour être consul, devenez citoyen. Pensez-vous affaiblir ma gloire et ma puissance, En décriant mes soins, mon état, ma naissance ? Dans ces temps malheureux, dans nos jours corrompus, Faut-il des noms à Rome ? Il lui faut des vertus. Ma gloire (et je la dois à ces vertus sévères) Est de ne rien tenir des grandeurs de mes pères. Mon nom commence en moi : de votre honneur jaloux, Tremblez que votre nom ne finisse dans vous. Si j'en avais usé, vous seriez dans les fers, Vous, l'éternel appui des citoyens pervers ; Vous qui, de nos autels souillant les privilèges, Portez jusqu'aux lieux saints vos fureurs sacrilèges ; Qui comptez tous vos jours, et manquez tous vos pas Par des plaisirs affreux ou des assassinats ; Qui savez tout braver, tout oser, et tout feindre : Vous enfin, qui sans moi seriez peut-être à craindre. Vous avez corrompu tous les dons précieux Que, pour un autre usage, ont mis en vous les dieux ; Courage, adresse, esprit, grâce, fierté sublime, Tout, dans votre âme aveugle, est l'instrument du crime. Je détournais de vous des regards paternels, Qui veillaient au destin du reste des mortels. Ma voix, que craint l'audace, et que le faible implore, Dans le rang des Verrès ne vous mit point encore ; Mais, devenu plus fier par tant d'impunité, Jusqu'à trahir l'État vous avez attenté. Le désordre est dans Rome, il est dans l'Etrurie ; On parle de Préneste, on soulève l'Ombrie ; Les soldats de Sylla, de carnage altérés, Sortent de leur retraite aux meurtres préparés ; Mallius en Toscane arme leurs mains féroces ; Les coupables soutiens de ces complots atroces Sont tous vos partisans déclarés ou secrets ; Partout le noeud du crime unit vos intérêts. Ah ! Sans qu'un jour plus grand éclaire ma justice, Sachez que je vous crois leur chef ou leur complice ; Que j'ai partout des yeux, que j'ai partout des mains ; Que malgré vous encore il est de vrais Romains ; Que ce cortège affreux d'amis vendus au crime Sentira comme vous l'équité qui m'anime. Vous n'avez vu dans moi qu'un rival de grandeur, Voyez-y votre juge, et votre accusateur, Qui va dans un moment vous forcer de répondre Au tribunal des lois qui doivent vous confondre ; Des lois qui se taisaient sur vos crimes passés, De ces lois que je venge, et que vous renversez. Marius et Sylla, qui la mirent en cendre, Ont mieux servi l'état, et l'ont mieux défendu. Les tyrans ont toujours quelque ombre de vertu ; Ils soutiennent les lois avant de les abattre. Vous-même jugez-vous ; l'avez-vous mérité ? J'y punis les forfaits ; tremble de m'y trouver. Malgré toute ta haine, à mes yeux méprisable, Je t'y protégerai, si tu n'es point coupable : Fuis Rome, si tu l'es. Le traître pense-t-il, à force d'insolence, Par sa fausse grandeur prouver son innocence ? Tu ne peux m'imposer, perfide ; ne crois pas Éviter l'oeil vengeur attaché sur tes pas. Eh bien ! Ferme Caton, Rome est-elle en défense ? Du sénat ? Les vices des Romains ont vengé l'univers, La vertu disparaît, la liberté chancelle ; Mais Rome a des Catons, j'espère encor pour elle. Les regards de Caton seront ma récompense. Au torrent de mon siècle, à son iniquité, J'oppose ton suffrage et la postérité. Faisons notre devoir : les dieux feront le reste. Et moi, Catilina ! De brigues, de complots, de nouveautés avide, Vaste dans ses projets, impétueux, perfide, Plus que César encor je le crois dangereux, Beaucoup plus téméraire, et bien moins généreux, Je viens de lui parler ; j'ai vu sur son visage, J'ai vu dans ses discours son audace et sa rage, Et la sombre hauteur d'un esprit affermi, Qui se lasse de feindre, et parle en ennemi. De ses obscurs complots je cherche les complices. Tous ses crimes passés sont mes premiers indices. J'en préviendrai la suite. Si nous sommes unis, il suffit de nous deux. La discorde est bientôt parmi les factieux. César peut conjurer, mais je connais son âme ; Je sais quel noble orgueil le domine et l'enflamme. Son coeur ambitieux ne peut être abattu Jusqu'à servir en lâche un tyran sans vertu. Il aime Rome encore, il ne veut point de maître ; Mais je prévois trop bien qu'un jour il voudra l'être. Tous deux jaloux de plaire, et plus de commander, Ils sont montés trop haut pour jamais s'accorder. Par leur désunion Rome sera sauvée. Allons, n'attendons pas que, de sang abreuvée, Elle tende vers nous ses languissantes mains, Et qu'on donne des fers aux maîtres des humains. Arrête, audacieux coupable ; Où portes-tu tes pas ? Vous, CÉTHÉGUS, parlez... Sénateurs, affranchis, qui vous a rassemblés ? J'ose au moins demander qui sont ces téméraires. Sont-ils, ainsi que vous, des Romains consulaires, Que la loi de l'état me force à respecter, Et que le sénat seul ait le droit d'arrêter ? Qu'on les charge de fers ; allez, qu'on les entraîne. Ils sont de ton conseil, et voilà mes raisons. Vous-mêmes, frémissez. Licteurs, qu'on m'obéisse. Qu'on fasse à l'instant même interroger ces traîtres. Va, je pourrai bientôt traiter ainsi leurs maîtres. J'ai mandé Nonnius : il sait tous tes desseins. J'ai mis Rome en défense, et Préneste en mes mains. Nous verrons qui des deux emporte la balance, Ou de ton artifice, ou de ma vigilance. Je ne te parle plus ici de repentir ; Je parle de supplice, et veux t'en avertir. Avec les assassins sur qui tu te reposes, Viens t'asseoir au sénat, et suis-moi, si tu l'oses. Ah ! Dans quels vains débats perdez-vous ces instants ? Quand Rome à son secours appelle ses enfants, Qu'elle vous tend les bras, et que ses sept collines Se couvrent à vos yeux de meurtres, de ruines, Qu'on a déjà donné le signal des fureurs, Qu'on a déjà versé le sang des sénateurs ? J'avais d'un pas rapide Guidé des chevaliers la cohorte intrépide, Assuré des secours aux postes menacés, Armé les citoyens avec ordre placés. J'interrogeais chez moi ceux qu'en ce trouble extrême, Aux yeux de Cethégus j'avais surpris moi-même. Nonnius, mon ami, ce vieillard généreux, Cet homme incorruptible, en ces temps malheureux, Pour sauver Rome et vous, arrive de Preneste. Il venait m'éclairer dans ce trouble funeste, M'apprendre jusqu'aux noms de tous les conjurés, Lorsque de notre sang deux monstres altérés, A coups précipités frappent ce coeur fidèle, Et font périr en lui tout le fruit de mon zèle. Il tombe mort ; on court, on vole, on les poursuit ; Le tumulte, l'horreur, les ombres de la nuit, Le peuple, qui se presse, et qui se précipite, Leurs complices enfin favorisent leur fuite. J'ai saisi l'un des deux qui, le fer à la main, Egaré, furieux, se frayait un chemin : Je l'ai mis dans les fers, et j'ai su que ce traître Avait Catilina pour complice et pour maître. Toi, fourbe ? Toi, barbare ? Romains, où sommes-nous ? Moi, perfide ! Moi, qu'un Catilina se vante de sauver ; Moi, qui connais ton crime, et qui vais le prouver. Que ces deux affranchis viennent se faire entendre. Sénat, voici la main qui mettait Rome en cendre ; Sur un père de Rome il a porté ses coups ; Et vous souffrez qu'il parle, et qu'il s'en vante à vous ? Vous souffrez qu'il vous trompe, alors qu'il vous opprime ? Qu'il fasse insolemment des vertus de son crime ? Courez chez Nonnius, allez, et qu'à nos yeux On amène sa fille en ces augustes lieux. Tu trembles à ce nom ! Oui, je le suis, Romains, je le suis sur son crime. Qui de vous peut penser, qu'un vieillard magnanime Ait formé de si loin ce redoutable amas, Ce dépôt des forfaits et des assassinats ? Dans ta propre maison ta rage industrieuse Craignait de mes regards la lumière odieuse. De Nonnius trompé tu choisis le palais, Et ton noir artifice y cacha tes forfaits. Peut-être as-tu séduit sa malheureuse fille. Ah ! cruel, ce n'est pas la première famille Où tu portas le trouble, et le crime, et la mort. Tu traites Rome ainsi : c'est donc là notre sort ! Et tout couvert d'un sang qui demande vengeance, Tu veux qu'on t'applaudisse et qu'on te récompense ! Artisan de la guerre, affreux conspirateur, Meurtrier d'un vieillard, et calomniateur, Voilà tout ton service, et tes droits, et tes titres. Ô vous des nations jadis heureux arbitres, Attendez-vous ici, sans force et sans secours, Qu'un tyran forcené dispose de vos jours ? Fermerez-vous les yeux au bord des précipices ? Si vous ne vous vengez, vous êtes ses complices. Rome ou Catilina doit périr aujourd'hui. Vous n'avez qu'un moment : jugez entre elle et lui. Ô Rome ! Ô ma patrie ! Ô dieux du Capitole ! Ainsi d'un scélérat un héros est l'appui ! Agissez-vous pour vous, en nous parlant pour lui ? César, vous m'entendez ; et Rome trop à plaindre N'aura donc désormais que ses enfants à craindre ? Clodius, achevez : que votre main seconde La main qui prépara la ruine du monde. C'en est trop, je ne vois dans ces murs menacés Que conjurés ardents et citoyens glacés. Catilina l'emporte, et sa tranquille rage, Sans crainte et sans danger, médite le carnage. Au rang des sénateurs il est encore admis ; Il proscrit le sénat, et s'y fait des amis ; Il dévore des yeux le fruit de tous ses crimes : Il vous voit, vous menace, et marque ses victimes : Et lorsque je m'oppose à tant d'énormités, César parle de droits et de formalités ; Clodius à mes yeux de son parti se range ; Aucun ne veut souffrir que Cicéron le venge. Nonnius par ce traître est mort assassiné. N'avons-nous pas sur lui le droit qu'il s'est donné ? Le devoir le plus saint, la loi la plus chérie, Est d'oublier la loi pour sauver la patrie. Mais vous n'en avez plus. Le voici. C'est lui, lui qui l'assassina, Qui s'en ose vanter. Chez Nonnius ? Achevez... Parlez ; la vérité dans son jour doit paraître. Vous gardez le silence à l'aspect de ce traître ! Vous baissez devant lui vos yeux intimidés ! Il frémit devant vous ! Achevez, répondez. Jour trop digne en effet d'un siècle si coupable ! S'il se peut, qu'on la secoure, Aufide ; Qu'on cherche cet écrit. En est-ce assez, perfide ? Sénateurs, vous tremblez, vous ne vous joignez pas Pour venger tant de sang, et tant d'assassinats ? Il vous impose, encor ? Vous laissez impunie La mort de Nonnius, et celle d'Aurélie ? Qu'on saisisse ce traître. Eh bien ! Choisissez donc, vainqueurs de l'univers, De commander au monde, ou de porter des fers. Ô grandeur des Romains ! Ô majesté flétrie ! Sur le bord du tombeau, réveille-toi, patrie ! Lucullus, Muréna, César même, écoutez : Rome demande un chef en ces calamités ; Gardons l'égalité pour des temps plus tranquilles : Les Gaulois sont dans Rome, il vous faut des Camilles ! Il faut un dictateur, un vengeur, un appui : Qu'on nomme le plus digne, et je marche sous lui. Quoi ! D'un danger plus grand l'état est menacé ! César qui nous trahit veut enlever Préneste. Vous, César, vous trempiez dans ce complot funeste ! Lisez, mettez le comble à des malheurs si grands. César, étiez-vous fait pour servir des tyrans ? Marchons ; servons l'état contre eux et contre lui. Vous, si les derniers cris d'Aurélie expirante, Ceux du monde ébranlé, ceux de Rome sanglante, Ont réveillé dans vous l'esprit de vos aïeux, Courez au Capitole, et défendez vos dieux : Du fier Catilina soutenez les approches. Je ne vous ferai point d'inutiles reproches, D'avoir pu balancer entre ce monstre et moi. Vous, sénateurs blanchis dans l'amour de la loi, Nommez un chef enfin, pour n'avoir point de maîtres ; Amis de la vertu, séparez-vous des traîtres. Point d'esprit de parti, de sentiments jaloux : C'est par là que jadis Sylla régna sur nous. Je vole en tous les lieux où vos dangers m'appellent, Où de l'embrasement les flammes étincellent. Dieux ! Animez ma voix, mon courage, et mon bras, Et sauvez les Romains, dussent-ils être ingrats ! Romains, j'aime la gloire, et ne veux point m'en taire ; Des travaux des humains c'est le digne salaire. Sénat, en vous servant il la faut acheter : Qui n'ose la vouloir, n'ose la mériter. Si j'applique à vos maux une main salutaire, Ce que j'ai fait est peu, voyons ce qu'il faut faire. Le sang coulait dans Rome : ennemis, citoyens, Gladiateurs, soldats, chevaliers, plébéiens, Étalaient à mes yeux la déplorable image, Et d'une ville en cendre, et d'un champ de carnage : La flamme en s'élançant de cent toits dévorés, Dans l'horreur du combat guidait les conjurés : Céthégus et Sura s'avançaient à leur tête, Ma main les a saisis ; leur juste mort est prête. Mais quand j'étouffe l'hydre, il renaît en cent lieux : Il faut fendre partout les flots des factieux. Tantôt Catilina, tantôt Rome l'emporte. Il marche au Quirinal, il s'avance à la porte ; Et là, sur des amas de mourants et de morts, Ayant fait à mes yeux d'incroyables efforts, Il se fraie un passage, il vole à son armée. J'ai peine à rassurer Rome entière alarmée. Antoine, qui s'oppose au fier Catilina, A tous ces vétérans aguerris sous Sylla, Antoine, que poursuit notre mauvais génie, Par un coup imprévu voit sa force affaiblie ; Et son corps accablé, désormais sans vigueur, Sert mal en ces moments les soins de son grand coeur ; Pétréius étonné, vainement le seconde. Ainsi de tous côtés la maîtresse du monde, Assiégée au-dehors, embrasée au-dedans, Est cent fois en un jour à ses derniers moments. Il a, dans ce jour mémorable, Déployé, je l'avoue, un courage indomptable ; Mais Rome exigeait plus d'un coeur tel que le sien. Il n'est pas criminel, il n'est pas citoyen. Je l'ai vu dissiper les plus hardis rebelles ; Mais bientôt, ménageant des Romains infidèles, Il s'efforçait de plaire aux esprits égarés, Aux peuples, aux soldats, et même aux conjurés ; Dans le péril horrible où Rome était en proie, Son front laissait briller une secrète joie : Sa voix, d'un peuple entier sollicitant l'amour, Semblait inviter Rome à le servir un jour. D'un trop coupable sang sa main était avare. Les voici : que le ciel m'entende et les couronne. Vous avez mérité que Rome vous soupçonne. Je veux laver l'affront dont vous êtes chargé, Je veux qu'avec l'état votre honneur soit vengé. Au salut des Romains je vous crois nécessaire ; Je vous connais : je sais ce que vous pouvez faire. Je sais quels intérêts vous peuvent éblouir ; César veut commander, mais il ne peut trahir. Vous êtes dangereux, vous êtes magnanime. En me plaignant de vous, je vous dois mon estime. Partez ; justifiez l'honneur que je vous fais. Le monde entier sur vous a les yeux désormais. Secondez Pétréius, et délivrez l'empire. Méritez que Caton vous aime et vous admire. Dans l'art des Scipions vous n'avez qu'un rival. Nous avons des guerriers, il faut un général : Vous l'êtes, c'est sur vous que mon espoir se fonde : César, entre vos mains je mets le sort du monde. Va, c'est ainsi qu'on traite avec les grandes âmes. Je l'enchaîne à l'état en me fiant à lui ; Ma générosité le rendra notre appui. Apprends à distinguer l'ambitieux du traître. S'il n'est pas vertueux, ma voix le force à l'être. Un courage indompté, dans le coeur des mortels, Fait ou les grands héros ou les grands criminels. Qui du crime à la terre a donné les exemples, S'il eût aimé la gloire, eût mérité des temples. Catilina lui-même, à tant d'horreurs instruit, Eût été Scipion, si je l'avais conduit. Je réponds de César, il est l'appui de Rome. J'y vois plus d'un Sylla, mais j'y vois un grand homme. Eh bien ! Les conjurés ? Clodius, arrêtez ; Renfermez votre envie et vos témérités ; Ma puissance absolue est de peu de durée ; Mais tant qu'elle subsiste, elle sera sacrée. Vous aurez tout le temps de me persécuter ; Mais quand le péril dure il faut me respecter. Je connais l'inconstance aux humains ordinaire ; J'attends sans m'ébranler les retours du vulgaire. Scipion accusé sur des prétextes vains, Remercia les dieux, et quitta les Romains. Je puis en quelque chose imiter ce grand homme : Je rendrai grâce au ciel, et resterai dans Rome. à l'état malgré vous j'ai consacré mes jours ; Et, toujours envié, je servirai toujours. Caton, votre présence est ici nécessaire. Mes ordres sont donnés, César est au combat ; Caton de la vertu doit l'exemple au sénat. Il en doit soutenir la grandeur expirante. Restez... Je vois César, et Rome est triomphante. Ah ! C'est donc par vos mains que l'état soutenu... Tu n'as point démenti mes voeux et mon estime. Va, conserve à jamais cet esprit magnanime. Que Rome admire en toi son éternel soutien. Grands dieux ! Que ce héros soit toujours citoyen. Dieux ! Ne corrompez pas cette âme généreuse ; Et que tant de vertu ne soit pas dangereuse. **** *creator_voltaire *book_voltaire_romesauvee *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_romesauvee *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_CESAR *date_1750 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_cesar Oui, si dans le sénat on te fait injustice, César te défendra, compte sur mon service. Je ne peux te trahir ; n'exige rien de plus. J'ai pesé tes projets, je ne veux pas leur nuire ; Je peux leur applaudir, je n'y veux point entrer. Non, je veux des dangers plus dignes de mon coeur. Ma haine pour Caton, ma fière jalousie Des lauriers dont Pompée est couvert en Asie, Le crédit, les honneurs, l'éclat de Cicéron, Ne m'ont déterminé qu'à surpasser leur nom. Sur les rives du Rhin, de la Seine et du Tage, La victoire m'appelle ; et voilà mon partage. Ton projet est bien grand, peut-être téméraire ; Il est digne de toi ; mais, pour ne te rien taire, Plus il doit t'agrandir, moins il est fait pour moi. Je ne veux pas servir ici sous toi. On ne partage point la grandeur souveraine. Va, ne te flatte pas que jamais à son char L'heureux Catilina puisse enchaîner César. Tu m'as vu ton ami, je le suis, je veux l'être ; Mais jamais mon ami ne deviendra mon maître. Pompée en serait digne, et s'il l'ose tenter, Ce bras levé sur lui l'attend pour l'arrêter. Sylla, dont tu reçus la valeur en partage, Dont j'estime l'audace, et dont je hais la rage, Sylla nous a réduits à la captivité : Mais s'il ravit l'empire, il l'avait mérité ; Il soumit l'Hellespont, il fit trembler l'Euphrate, Il subjugua l'Asie, il vainquit Mithridate. Qu'as-tu fait ? Quels états, quels fleuves, quelles mers, Quels rois par toi vaincus ont adoré nos fers ? Tu peux, avec le temps, être un jour un grand homme ; Mais tu n'as pas acquis le droit d'asservir Rome : Et mon nom, ma grandeur, et mon autorité, N'ont point encor l'éclat et la maturité, Le poids qu'exigerait une telle entreprise. Je vois que tôt ou tard Rome sera soumise. J'ignore mon destin ; mais si j'étais un jour Forcé par les Romains de régner à mon tour, Avant que d'obtenir une telle victoire, J'étendrai, si je puis, leur empire et leur gloire ; Je serai digne d'eux, et je veux que leurs fers, D'eux-mêmes respectés, de lauriers soient couverts. Je ne veux l'un ni l'autre : il n'est pas temps de feindre. J'estime Cicéron, sans l'aimer ni le craindre. Je t'aime, je l'avoue, et je ne te crains pas. Divise le sénat, abaisse des ingrats, Tu le peux, j'y consens ; mais si ton âme aspire Jusqu'à m'oser soumettre à ton nouvel empire, Ce coeur sera fidèle à tes secrets desseins, Et ce bras combattra l'ennemi des Romains. (Il sort.) Caton, que faites-vous ? et quel affreux langage ! Toujours votre vertu s'explique avec outrage. Vous révoltez les coeurs, au lieu de les gagner. Caton, il faut agir dans les jours des combats ; Je suis tranquille ici, ne vous en plaignez pas. Quand César est pour vous ? Pompée est regretté ? Je lui dispute tout, jusqu'à l'amour de Rome. Nous pourrons le punir, mais il faut l'écouter. Un jugement trop prompt est souvent sans justice. C'est la cause de Rome ; il faut qu'on l'éclaircisse. Aux droits de nos égaux est-ce à nous d'attenter ? Toujours dans ses pareils il faut se respecter. Trop de sévérité tient de la tyrannie. Il nous faut une preuve ; on n'a que des alarmes. Si l'on trouve en effet ces parricides armes, Et si de Nonnius le crime est avéré, Catilina nous sert, et doit être honoré... Tu me connais : en tout je te tiendrai parole. J'ai lu, je suis Romain, notre perte s'annonce. Le danger croît, j'y vole, et voilà ma réponse. Eh bien ! Dans ce sénat, trop prêt à se détruire, La vertu de Caton cherche encore à me nuire ? De quoi m'accuse-t-il ? Un tel sang n'est pas fait pour teindre mes lauriers. Je parle aux citoyens ; je combats les guerriers. Des mortels méprisables. À ma voix, à mes coups ils n'ont pu résister. Qui se soumet à moi n'a rien à redouter. C'est maintenant qu'on donne un combat véritable. Des soldats de Sylla l'élite redoutable Est sous un chef habile, et qui sait se venger. Voici le vrai moment où Rome est en danger. Pétréius est blessé, Catilina s'avance. Le soldat sous les murs est à peine en défense. Les guerriers de Sylla font trembler les Romains. Qu'ordonnez-vous, consul, et quels sont vos desseins ? Cicéron à César a dû se confier ; Je vais mourir, seigneur, ou vous justifier. Je l'ai servi peut-être, et vous m'aviez connu. Pétréius est couvert d'une immortelle gloire ; Le courage et l'adresse ont fixé la victoire ; Nous n'avons combattu sous ce sacré rempart Que pour ne rien laisser au pouvoir du hasard, Que pour mieux enflammer des âmes héroïques, A l'aspect imposant de leurs dieux domestiques. Métellus, Muréna, les braves Scipions, Ont soutenu le poids de leurs augustes noms. Ils ont aux yeux de Rome étalé le courage Qui subjugua l'Asie, et détruisit Carthage. Tous sont de la patrie et l'honneur et l'appui. Permettez que César ne parle point de lui. Les soldats de Sylla, renversés sur la terre, Semblent braver la mort, et défier la guerre. De tant de nations ces tristes conquérants Menacent Rome encor de leurs yeux expirants. Si de pareils guerriers la valeur nous seconde, Nous mettrons sous nos lois ce qui reste du monde. Mais il est, grâce au ciel, encor de plus grands coeurs, Des héros plus choisis, et ce sont leurs vainqueurs. Catilina, terrible au milieu du carnage, Entouré d'ennemis immolés à sa rage, Sanglant, couvert de traits, et combattant toujours, Dans nos rangs éclaircis a terminé ses jours. Sur des morts entassés l'effroi de Rome expire. Romain je le condamne, et soldat je l'admire. J'aimai Catilina ; mais vous voyez mon coeur ; Jugez si l'amitié l'emporte sur l'honneur. **** *creator_voltaire *book_voltaire_romesauvee *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_romesauvee *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_CATILINA *date_1750 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_catilina Orateur insolent, qu'un vil peuple seconde, Assis au premier rang des souverains du monde, Tu vas tomber du faîte où Rome t'a placé. Inflexible Caton, vertueux insensé ! Ennemi de ton siècle, esprit dur et farouche, Ton terme est arrivé, ton imprudence y touche. Fier sénat de tyrans qui tiens le monde aux fers, Tes fers sont préparés, tes tombeaux sont ouverts. Que ne puis-je en ton sang, impérieux Pompée, éteindre de ton nom la splendeur usurpée ! Que ne puis-je opposer à ton pouvoir fatal Ce César si terrible, et déjà ton égal ! Quoi ! César, comme moi factieux dès l'enfance, Avec Catilina n'est pas d'intelligence ? Mais le piège est tendu ; je prétends qu'aujourd'hui Le trône qui m'attend soit préparé par lui. Il faut employer tout, jusqu'à Cicéron même, Ce César que je crains, mon épouse que j'aime : Sa docile tendresse, en cet affreux moment, De mes sanglants projets est l'aveugle instrument. Tout ce qui m'appartient doit être mon complice. Je veux que l'amour même à mon ordre obéisse. Titres chers et sacrés, et de père, et d'époux, Faiblesses des humains, évanouissez-vous. Eh bien ! cher Céthégus, tandis que la nuit sombre Cache encor nos desseins et Rome, dans son ombre, Avez-vous réuni les chefs des conjurés ? Cet esprit dangereux n'agit que pour lui-même. Ah ! je l'y veux forcer. Dans ce piège sanglant je veux l'embarrasser. Mes soldats, en son nom, vont surprendre Préneste ; Je sais qu'on le soupçonne, et je réponds du reste. Ce consul violent va bientôt l'accuser ; Pour se venger de lui, César peut tout oser. Rien n'est si dangereux que César qu'on irrite ; C'est un lion qui dort, et que ma voix excite. Je veux que Cicéron réveille son courroux, Et force ce grand homme à combattre pour nous. Je t'entends ; tu sais trop que sa fille m'est chère. Ami, j'aime Aurélie en détestant son père. Quand il sut que sa fille avait conçu pour moi Ce tendre sentiment qui la tient sous ma loi ; Quand sa haine impuissante, et sa colère vaine, Eurent tenté sans fruit de briser notre chaîne ; A cet hymen secret quand il a consenti, Sa faiblesse a tremblé d'offenser son parti. Il a craint Cicéron ; mais mon heureuse adresse Avance mes desseins par sa propre faiblesse. J'ai moi-même exigé, par un serment sacré, Que ce noeud clandestin fût encore ignoré. Céthégus et Sura sont seuls dépositaires De ce secret utile à nos sanglants mystères. Le palais d'Aurélie au temple nous conduit ; C'est là qu'en sûreté j'ai moi-même introduit Les armes, les flambeaux, l'appareil du carnage. De nos vastes succès mon hymen est le gage. Vous m'avez bien servi ; l'amour m'a servi mieux. C'est chez Nonnius même, à l'aspect de ses dieux, Sous les murs du sénat, sous sa voûte sacrée, Que de tous nos tyrans la mort est préparée. Vous, courez dans Préneste, où nos amis secrets Ont du nom de César voilé nos intérêts ; Que Nonnius surpris ne puisse se défendre. Vous, près du Capitole, allez soudain vous rendre. Songez qui vous servez, et gardez vos serments. Toi, conduis d'un coup d'oeil tous ces grands mouvements. Sachez que mon nom, ma fortune, Ma sûreté, la vôtre, et la cause commune, Exigent ces apprêts qui causent votre effroi. Si vous daignez m'aimer, si vous êtes à moi, Sur ce qu'ont vu vos yeux observez le silence. Des meilleurs citoyens j'embrasse la défense. Vous voyez le sénat, le peuple divisés, Une foule de rois l'un à l'autre opposés : On se menace, on s'arme ; et, dans ces conjonctures, Je prends un parti sage, et de justes mesures. Non, il ne viendra point ; ne craignez rien de lui. Aux murs de Rome il ne pourra se rendre Que pour y respecter et sa fille et son gendre. Je ne puis m'expliquer, mais souvenez-vous bien Qu'en tout son intérêt s'accorde avec le mien. Croyez, quand il verra qu'avec lui je partage De mes justes projets le premier avantage, Qu'il sera trop heureux d'abjurer devant moi Les superbes tyrans dont il reçut la loi. Je vous ouvre à tous deux, et vous devez m'en croire, Une source éternelle et d'honneur et de gloire. Allez, Catilina ne craint point les augures ; Et je veux du courage, et non pas des murmures, Quand je sers et l'état, et vous, et mes amis. Cicéron respecté ! Lui, mon lâche rival ! Mon épouse trembler au nom de Cicéron ! Que Nonnius séduit le craigne et le révère ; Qu'il déshonore ainsi son rang, son caractère ; Qu'il serve, il en est digne, et je plains son erreur : Mais de vos sentiments j'attends plus de grandeur. Allez, souvenez-vous que vos nobles ancêtres Choisissaient autrement leurs consuls et leurs maîtres. Quoi ! Vous femme et Romaine, et du sang d'un Néron, Vous seriez sans orgueil et sans ambition ? Il en faut aux grands coeurs. Que de chagrins divers il faut que je dévore ! Cicéron que je vois est moins à craindre encore. Quoi ! C'est ce plébéien dont Rome a fait son maître ! Qui ? Vous ? C'est ainsi que votre inimitié... Vous abusez beaucoup, magistrat d'une année, De votre autorité passagère et bornée. Je vous ai déjà dit, seigneur, que votre place Avec Catilina permet peu cette audace ; Mais je veux pardonner des soupçons si honteux, En faveur de l'état que nous servons tous deux : Je fais plus, je respecte un zèle infatigable, Aveugle, je l'avoue, et pourtant estimable. Ne me reprochez plus tous mes égarements, D'une ardente jeunesse impétueux enfants ; Le sénat m'en donna l'exemple trop funeste. Cet emportement passe, et le courage reste. Ce luxe, ces excès, ces fruits de la grandeur, Sont les vices du temps, et non ceux de mon coeur. Songez que cette main servit la république ; Que soldat en Asie, et juge dans l'Afrique, J'ai, malgré nos excès et nos divisions, Rendu Rome terrible aux yeux des nations. Moi je la trahirais ! Moi qui l'ai su défendre ! Ah ! Si vous soupçonnez ceux qui savent combattre, Accusez donc César, et Pompée, et Crassus. Pourquoi fixer sur moi vos yeux toujours déçus ? Parmi tant de guerriers, dont on craint la puissance, Pourquoi suis-je l'objet de votre défiance ? Pourquoi me choisir, moi ? par quel zèle emporté ?... Non, mais j'ai trop daigné m'abaisser à l'excuse ; Et plus je me défends, plus Cicéron m'accuse. Si vous avez voulu me parler en ami, Vous vous êtes trompé, je suis votre ennemi : Si c'est en citoyen, comme vous je crois l'être, Et si c'est en consul, ce consul n'est pas maître ; Il préside au sénat, et je peux l'y braver. C'en est trop ; arrêtez. C'est trop souffrir le zèle où vous vous emportez. De vos vagues soupçons j'ai dédaigné l'injure ; Mais après tant d'affronts que mon orgueil endure, Je veux que vous sachiez que le plus grand de tous N'est pas d'être accusé, mais protégé par vous. Je sais que d'un consul la sombre défiance Se livre à des terreurs qu'il appelle prudence ; Sur le vaisseau public ce pilote égaré Présente à tous les vents un flanc mal assuré ; Il s'agite au hasard, à l'orage il s'apprête, Sans savoir seulement d'où viendra la tempête. Ne crains rien du sénat : ce corps faible et jaloux Avec joie en secret l'abandonne à nos coups. Ce sénat divisé, ce monstre à tant de têtes, Si fier de sa noblesse, et plus de ses conquêtes, Voit avec les transports de l'indignation Les souverains des rois respecter Cicéron. César n'est point à lui, Crassus le sacrifie. J'attends tout de ma main, j'attends tout de l'envie. C'est un homme expirant qu'on voit d'un faible effort Se débattre et tomber dans les bras de la mort. Je le brave en tous lieux ; J'entends avec mépris ses cris injurieux : Qu'il déclame à son gré jusqu'à sa dernière heure ; Qu'il triomphe en parlant, qu'on l'admire, et qu'il meure. De plus cruels soucis, des chagrins plus pressants, Occupent mon courage, et règnent sur mes sens. Ce n'est pas mes nombreux ennemis ; Mon parti seul m'alarme, et je crains mes amis, De Lentulus-Sura l'ambition jalouse, Le grand coeur de César, et surtout mon épouse. Je vois qu'il peut enfin devenir dangereux. Rome, un époux, un fils, partagent trop ses voeux. Ô Rome ! Ô nom fatal ! Ô liberté chérie ! Quoi ! Dans ma maison même on parle de patrie ! Je veux qu'avant le temps fixé pour le combat, Tandis que nous allons éblouir le sénat, Ma femme, avec mon fils, de ces lieux enlevée, Abandonne une ville aux flammes réservée, Qu'elle parte, en un mot. Nos femmes, nos enfants, Ne doivent point troubler ces terribles moments. Mais César ! C'est là ce qui m'occupe, et s'il faut qu'il périsse, Je me sens étonné de ce grand sacrifice. Il semble qu'en secret, respectant son destin, Je révère dans lui l'honneur du nom romain. Mais Sura viendra-t-il ? Qu'à cet espoir trompeur il reste abandonné. Tu vois avec quel art il faut que je ménage L'orgueil présomptueux de cet esprit sauvage, Ses chagrins inquiets, ses soupçons, son courroux. Sais-tu que de César il ose être jaloux ? Enfin j'ai des amis moins aisés à conduire Que Rome et Cicéron ne coûtent à détruire. O d'un chef de parti dur et pénible emploi ! Le sang des Scipions n'est point fait pour dépendre. Ce n'est qu'au premier rang que vous devez prétendre. Je traite avec César, mais sans m'y confier ; Son crédit peut nous nuire, il peut nous appuyer : Croyez qu'en mon parti, s'il faut que je l'engage, Je me sers de son nom, mais pour votre avantage. Nous le pouvons, sans doute, et sur votre vaillance J'ai fondé dès longtemps ma plus forte espérance ; Mais César est aimé du peuple et du sénat ; Politique, guerrier, pontife, magistrat, Terrible dans la guerre, et grand dans la tribune, Par cent chemins divers il court à la fortune. Il nous est nécessaire. J'y consens ; faites plus, arrachez-moi la vie, Je m'en déclare indigne, et je la sacrifie, Si je permets jamais, de nos grandeurs jaloux, Qu'un autre ose penser à s'élever sur nous : Mais souffrez qu'à César votre intérêt me lie ; Je le flatte aujourd'hui, demain je l'humilie : Je ferai plus, peut-être ; en un mot, vous pensez Que sur nos intérêts mes yeux s'ouvrent assez. Va, prépare en secret le départ d'Aurélie ; Que des seuls conjurés sa maison soit remplie. De ces lieux cependant qu'on écarte ses pas, Craignons de son amour les funestes éclats. Par un autre chemin tu reviendras m'attendre Vers ces lieux retirés où César va m'entendre. Allez, j'espère en vous plus que dans César même. Eh bien ! César, eh bien ! Toi de qui la fortune Dès le temps de Sylla me fut toujours commune, Toi dont j'ai présagé les éclatants destins, Toi né pour être un jour le premier des Romains, N'es-tu donc aujourd'hui que le premier esclave Du fameux plébéien qui t'irrite et te brave ? Tu le hais, je le sais, et ton oeil pénétrant Voit pour s'en affranchir ce que Rome entreprend ; Et tu balancerais, et ton ardent courage Craindrait de nous aider à sortir d'esclavage ! Des destins de la terre il s'agit aujourd'hui, Et César souffrirait qu'on les changeât sas lui ! Quoi ! N'es-tu plus jaloux du nom du grand Pompée ? Ta haine pour Caton s'est-elle dissipée ? N'es-tu pas indigné de servir les autels, Quand Cicéron préside au destin des mortels, Quand l'obscur habitant des rives du Fibrène Siège au-dessus de toi sur la pourpre romaine ? Souffriras-tu longtemps tous ces rois fastueux, Cet heureux Lucullus, brigand voluptueux, Fatigué de sa gloire, énervé de mollesse ; Un Crassus étonné de sa propre richesse, Dont l'opulence avide, osant nous insulter, Asservirait l'état, s'il daignait l'acheter ? Ah ! De quelque côté que tu jettes la vue, Vois Rome turbulente, ou Rome corrompue ; Vois ces lâches vainqueurs en proie aux factions, Disputer, dévorer le sang des nations. Le monde entier t'appelle, et tu restes paisible ! Veux-tu laisser languir ce courage invincible ? De Rome qui te parle as-tu quelque pitié ? César est-il fidèle à ma tendre amitié ? Et tu bornerais là tes voeux irrésolus ? C'est à parler pour moi que tu peux te réduire ? J'entends : pour les heureux tu veux te déclarer. Des premiers mouvements spectateur immobile, Tu veux ravir les fruits de la guerre civile, Sur nos communs débris établir ta grandeur. Commence donc par Rome, et songe que demain J'y pourrais avec toi marcher en souverain. Comment ? Ah ! Crois qu'avec César on partage sans peine. Le moyen que je t'offre est plus aisé, peut-être. Qu'était donc ce Sylla qui s'est fait notre maître ? Il avait une armée, et j'en forme aujourd'hui ; Il m'a fallu créer ce qui s'offrait à lui ; Il profita des temps, et moi je les fais naître. Je ne dis plus qu'un mot : il fut roi ; veux-tu l'être ? Veux-tu de Cicéron subir ici la loi, Vivre son courtisan, ou régner avec moi ? Ah ! Qu'il serve, s'il l'ose, au dessein qui m'anime ; Et s'il n'en est l'appui, qu'il en soit la victime. Sylla voulait le perdre, il le connaissait bien. Son génie en secret est l'ennemi du mien. Je ferai ce qu'enfin Sylla craignit de faire. Sa stérile amitié nous offre un faible appui. Il faut et nous servir, et nous venger de lui. Nous avons des soutiens plus sûrs et plus fidèles. Les voici ces héros vengeurs de nos querelles. Venez, noble Pison, vaillant Autronius, Intrépide Vargonte, ardent Statilius ; Vous tous, braves guerriers de tout rang, de tout âge, Des plus grands des humains redoutable assemblage ; Venez, vainqueurs des rois, vengeurs des citoyens, Vous tous, mes vrais amis, mes égaux, mes soutiens. Encor quelques moments, un dieu qui vous seconde Va mettre entre vos mains la maîtresse du monde. De trente nations malheureux conquérants, La peine était pour vous, le fruit pour vos tyrans. Vos mains n'ont subjugué Tigrane et Mithridate, Votre sang n'a rougi les ondes de l'Euphrate, Que pour enorgueillir d'indignes sénateurs, De leurs propres appuis lâches persécuteurs, Grands par vos travaux seuls, et qui, pour récompense, Vous permettaient de loin d'adorer leur puissance. Le jour de la vengeance est arrivé pour vous. Je ne propose point à votre fier courroux Des travaux sans périls et des meurtres sans gloire : Vous pourriez dédaigner une telle victoire ; A vos coeurs généreux je promets des combats : Je vois vos ennemis expirants sous vos bras : Entrez dans leurs palais ; frappez, mettez en cendre Tout ce qui prétendra l'honneur de se défendre ; Mais surtout qu'un concert unanime et parfait De nos vastes desseins assure en tout l'effet. A l'heure où je vous parle on doit saisir Préneste ; Des soldats de Sylla le redoutable reste, Par des chemins divers et des sentiers obscurs, Du fond de la Toscane avance vers ces murs. Ils arrivent ; je sors, et je marche à leur tête. Au-dehors, au-dedans, Rome est votre conquête. Je combats Pétréius, et je m'ouvre en ces lieux, Au pied du Capitole, un chemin glorieux. C'est là que, par les droits que vous donne la guerre, Nous montons en triomphe au trône de la terre, A ce trône souillé par d'indignes Romains, Mais lavé dans leur sang, et vengé par vos mains. Curius et les siens doivent m'ouvrir les portes. Vous, des gladiateurs aurons-nous les cohortes ? Leur joignez-vous surtout ces braves vétérans, Qu'un odieux repos fatigua trop longtemps ? Vous, du mont Célius êtes-vous assuré ? Vous, au mont Aventin que tout soit mis en cendre. Dès que de Mallius vous verrez les drapeaux, De ce signal terrible allumez les flambeaux. Aux maisons des proscrits que la mort soit portée. La première victime à mes yeux présentée, Vous l'avez tous juré, doit être Cicéron : Immolez César même, oui, César et Caton ; Eux morts, le sénat tombe, et nous sert en silence. Déjà notre fortune aveugle sa prudence ; Dans ces murs, sous son temple, à ses yeux, sous ses pas, Nous disposons en paix l'appareil du trépas. Surtout avant le temps ne prenez point les armes. Que la mort des tyrans précède les alarmes ; Que Rome et Cicéron tombent du même fer ; Que la foudre en grondant les frappe avec l'éclair. Vous avez dans vos mains le destin de la terre ; Ce n'est point conspirer, c'est déclarer la guerre, C'est reprendre vos droits, et c'est vous ressaisir De l'univers dompté qu'on osait vous ravir. Vous, de ces grands desseins les auteurs magnanimes, Venez dans le sénat, venez voir vos victimes. De ce consul encor nous entendrons la voix ; Croyez qu'il va parler pour la dernière fois. Et vous, dignes Romains, jurez par cette épée, Qui du sang des tyrans sera bientôt trempée. Jurez tous de périr ou de vaincre avec moi. Allez, et cette nuit Rome entière est à vous. Tout est-il prêt ? Enfin l'année avance-t-elle ? Sitôt que du sénat vous me verrez sortir, Commencez à l'instant nos sanglants sacrifices ; Que du sang des proscrits les fatales prémices Consacrent sous vos mains ce redoutable jour. Observez, Martian, vers cet obscur détour, Si d'un consul trompé les ardents émissaires Oseraient épier nos terribles mystères. Prévient-il Mallius ? Prévient-il mon armée ? Connaît-il mes projets ? Sait-il, dans son effroi, Que Mallius n'agit, n'est armé que pour moi ? Suis-je fait pour fonder ma fortune et ma gloire Sur un vain brigandage, et non sur la victoire ? Va, mes desseins sont grands, autant que mesurés ; Les soldats de Sylla sont mes vrais conjurés. Quand des mortels obscurs, et de vils téméraires, D'un complot mal tissu forment les noeuds vulgaires, Un seul ressort qui manque à leurs pièges tendus Détruit l'ouvrage entier, et l'on n'y revient plus. Mais des mortels choisis, et tels que nous le sommes, Ces desseins si profonds, ces crimes de grands hommes, Cette élite indomptable, et ce superbe choix Des descendants de Mars et des vainqueurs des rois ; Tous ces ressorts secrets, dont la force assurée Trompe de Cicéron la prudence égarée, Un feu dont l'étendue embrase au même instant Les Alpes, l'Apennin, l'aurore et le couchant, Que Rome doit nourrir, que rien ne peut éteindre : Voilà notre destin, dis-moi s'il est à craindre. C'est là mon premier pas ; c'est un des plus grands coups Qu'au sénat incertain je porte en assurance. Tandis que Nonnius tombe sous ma puissance, Tandis qu'il est perdu, je fais semer le bruit Que tout ce grand complot par lui-même est conduit. La moitié du sénat croit Nonnius complice. Avant qu'on délibère, avant qu'on s'éclaircisse, Avant que ce sénat, si lent dans ses débats, Ait démêlé le piège où j'ai conduit ses pas, Mon armée est dans Rome, et la terre asservie. Allez ; que de ces lieux on enlève Aurélie, Et que rien ne partage un si grand intérêt. Quelle main téméraire ?... Eh bien ! je reconnais le seing de votre père. "La mort trop longtemps a respecté mes jours. Une fille que j'aime en termine le cours, Je suis trop bien puni, dans ma triste vieillesse, De cet hymen affreux qu'a permis ma faiblesse. Je sais de votre époux les complots odieux. César qui nous trahit veut enlever Préneste. Vous avez partagé leur trahison funeste ; Repentez-vous, ingrate, ou périssez comme eux..." Mais comment Nonnius aurait-il pu connaître Des secrets qu'un consul ignore encor peut-être ? Il pourra nous servir. Il faut tout vous apprendre, il faut tout éclaircir. Je vais armer le monde, et c'est pour ma défense. Vous, dans ce jour de sang marqué pour ma puissance, Voulez-vous préférer un père à votre époux ? Pour la dernière fois dois-je compter sur vous ? Partez au même instant ; Envoyez au consul ce billet important. J'ai mes raisons, je veux qu'il apprenne à connaître Que César est à craindre, et plus que moi peut-être. Je n'y suis point nommé ; César est accusé ; C'est ce que j'attendais, tout le reste est aisé. Que mon fils au berceau, mon fils né pour la guerre, Soit porté dans vos bras aux vainqueurs de la terre. Ne rentrez avec lui dans ces murs abhorrés Que quand j'en serai maître, et quand vous régnerez. Notre hymen est secret : je veux qu'on le publie Au milieu de l'armée, aux yeux de l'Italie ; Je veux que votre père, humble dans son courroux, Soit le premier sujet qui tombe à vos genoux. Partez, daignez me croire, et laissez-vous conduire ; Laissez-moi mes dangers, ils doivent me suffire, Et ce n'est pas à vous de partager mes soins : Vainqueur et couronné, cette nuit je vous joins. Oui, de nos ennemis j'y vais punir la rage. Tout est prêt ; on m'attend. Qu'au nom de nos liens votre esprit raffermi... C'est donc là ce grand coeur, et qui me fut soumis ? Ainsi vous vous rangez parmi mes ennemis ? Ainsi dans la plus juste et la plus noble guerre Qui jamais décida du destin de la terre, Quand je brave un consul, et Pompée, et Caton, Mes plus grands ennemis seront dans ma maison ? Les préjugés romains de votre faible père Arment contre moi-même une épouse si chère ? Et vous mêlez enfin la menace à l'effroi ? Cet indigne mot n'est pas fait pour mon coeur. Ne me parlez jamais de paix ni de terreur : C'est assez m'offenser. Écoutez : je vous aime ; Mais ne présumez pas que, m'oubliant moi-même, J'immole à mon amour ces amis généreux, Mon parti, mes desseins, et l'empire avec eux. Vous n'avez pas osé regarder la couronne ; Jugez de mon amour, puisque je vous pardonne : Mais sachez... Je ne m'attendais pas à ce nouveau revers. Mais... me trahiriez-vous ? Que faire, et quel danger ? Ecoutez... Le sort change, il me force à changer... Je me rends... Je vous cède... Il faut vous satisfaire... Mais... Songez qu'un époux est pour vous plus qu'un père Et que, dans le péril dont nous sommes pressés, Si je prends un parti, c'est vous qui m'y forcez. Oui, je frémis du coup que mon sort veut de moi. Je compte les moments, et j'observe les lieux. Aurélie, en flattant ce vieillard odieux, En le baignant de pleurs, en lui demandant grâce, Suspendra pour un temps sa course et sa menace. Cicéron, que j'alarme, est ailleurs arrêté ; C'en est assez, amis, tout est en sûreté. Qu'on transporte soudain les armes nécessaires ; Armez tout, affranchis, esclaves, et sicaires ; Débarrassez l'amas de ces lieux souterrains, Et qu'il en reste encore assez pour mes desseins. Vous, fidèle affranchi, brave et prudent Septime, Et vous, cher Martian, qu'un même zèle anime, Observez Aurélie, observez Nonnius : Allez ; et dans l'instant qu'ils ne se verront plus, Abordez-le en secret de la part de sa fille ; Peignez-lui son danger, celui de sa famille ; Attirez-le en parlant vers ce détour obscur, Qui conduit au chemin de Tibur et d'Anxur : Là, saisissant tous deux le moment favorable, Vous... Ciel ! Que vois-je ? Bientôt dans le sénat nous pourrons te l'apprendre. C'est donc toi qui détruis la liberté romaine ? Arrêter des Romains sur tes lâches soupçons ! Implacable ennemi, poursuis ton injustice ; Abuse de ta place, et profite du temps. Il faudra rendre compte, et c'est où je t'attends. Jusqu'au dernier moment ma fureur le défie. C'est un homme alarmé, que son trouble conduit, Qui cherche à tout apprendre, et qui n'est pas instruit : Nos amis arrêtés vont accroître ses peines ; Ils sauront l'éblouir de clartés incertaines. Dans ce billet fatal César est accusé. Le sénat en tumulte est déjà divisé. Mallius et l'armée aux portes vont paraître. Vous m'avez cru perdu ; marchez, et je suis maître. Il ne le verra pas, c'est moi qui t'en réponds. Marchez, dis-je ; au sénat parlez en assurance, Et laissez-moi le soin de remplir ma vengeance. Allons... Où vais-je ? Aurélie ! ah, grands dieux ! Qu'allez-vous ordonner de ce coeur furieux ? écartez-la, surtout. Si je la vois paraître, Tout prêt à vous servir, je tremblerai peut-être. Oui, sénat, j'ai tout fait, et vous voyez la main Qui de votre ennemi vient de percer le sein. Oui, c'est Catilina qui venge la patrie, C'est moi qui d'un perfide ai terminé la vie. Dans les temps du malheur, Dans la guerre civile, au milieu de l'horreur, Parmi l'embrasement qui menace le monde, Parmi des ennemis qu'il faut que je confonde. Les neveux de Sylla, séduits par ce grand nom, Ont osé de Sylla montrer l'ambition. J'ai vu la liberté dans les coeurs expirante, Le sénat divisé, Rome dans l'épouvante, Le désordre en tous lieux, et surtout Cicéron Semant ici la crainte, ainsi que le soupçon. Peut-être il plaint les maux dont Rome est affligée : Il vous parle pour elle ; et moi je l'ai vengée. Par un coup effrayant je lui prouve aujourd'hui Que Rome et le sénat me sont plus chers qu'à lui. Sachez que Nonnius était l'âme invisible, L'esprit qui gouvernait ce grand corps si terrible, Ce corps de conjurés qui, des monts Apennins, S'étend jusqu'où finit le pouvoir des Romains. Les moments étaient chers, et les périls extrêmes. Je l'ai su, j'ai sauvé l'état, Rome, et vous-mêmes. Ainsi, par un soldat fut puni Spurius ; Ainsi les Scipions ont immolé Gracchus. Qui m'osera punir d'un si juste homicide ? Qui de vous peut encor m'accuser ? Et vous souffrez, Romains, que mon accusateur Des meilleurs citoyens soit le persécuteur ? Apprenez des secrets que le consul ignore ; Et profitez-en tous, s'il en est temps encore. Sachez qu'en son palais, et presque sous ces lieux, Nonnius enfermait l'amas prodigieux De machines, de traits, de lances et d'épées, Que dans des flots de sang Rome doit voir trempées. Si Rome existe encore, amis, si vous vivez, C'est moi, c'est mon audace à qui vous le devez. Pour prix de mon service, approuvez mes alarmes ; Sénateurs, ordonnez qu'on saisisse ces armes. Moi, trembler ? Je méprise Cette ressource indigne où ta haine s'épuise. Sénat, le péril croît, quand vous délibérez. Eh bien ! Sur ma conduite êtes-vous éclairés ? Quel spectacle, grands dieux ! Je suis trop bien puni. Aurélie, il est vrai... qu'un horrible devoir... M'a forcé... Respectez mon coeur, mon désespoir... Songez qu'un noeud plus saint et plus inviolable... Non, vous ne l'êtes point... Où suis-je ? Malheureux ! Va, toi-même as tout fait ; c'est ton inimitié Qui me rend dans ma rage un objet de pitié : Toi, dont l'ambition, de la mienne rivale, Dont la fortune heureuse, à mes destins fatale, M'entraîna dans l'abîme où tu me vois plongé. Tu causas mes fureurs, mes fureurs t'ont vengé. J'ai haï ton génie, et Rome qui l'adore ; J'ai voulu ta ruine, et je la veux encore. Je vengerai sur toi tout ce que j'ai perdu : Ton sang paiera ce sang à tes yeux répandu : Meurs en craignant la mort, meurs de la mort d'un traître, D'un esclave échappé que fait punir son maître. Que tes membres sanglants, dans ta tribune épars, Des inconstants Romains repaissent les regards. Voilà ce qu'en partant ma douleur et ma rage Dans ces lieux abhorrés te laissent pour présage : C'est le sort qui t'attend, et qui va s'accomplir ; C'est l'espoir qui me reste, et je cours le remplir. La guerre est déclarée ; amis, suivez mes pas. C'en est fait ; le signal vous appelle aux combats. Vous, Sénat incertain, qui venez de m'entendre, Choisissez à loisir le parti qu'il faut prendre. **** *creator_voltaire *book_voltaire_romesauvee *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_romesauvee *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_AURELIE *date_1750 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_aurelie Ah ! Calmez les horreurs dont je suis poursuivie, Cher époux, essuyez les larmes d'Aurélie. Quel trouble, quel spectacle, et quel réveil affreux ! Je vous suis en tremblant sous ces murs ténébreux. Ces soldats que je vois redoublent mes alarmes. On porte en mon palais des flambeaux et des armes ! Qui peut nous menacer ? Les jours de Marius, De Carbon, de Sylla, sont-ils donc revenus ? De ce front si terrible éclaircissez les ombres. Vous détournez de moi des yeux tristes et sombres. Au nom de tant d'amour, et par ces noeuds secrets Qui joignent nos destins, nos coeurs, nos intérêts, Au nom de notre fils, dont l'enfance est si chère, (Je ne vous parle point des dangers de sa mère, Et je ne vois, hélas ! Que ceux que vous courez) : Ayez pitié du trouble où mes sens sont livrés : Expliquez-vous. Je le souhaite au moins. Mais me tromperiez-vous ? Peut-on cacher son coeur aux coeurs qui sont à nous ? En vous justifiant, vous redoublez ma crainte. Dans vos yeux égarés trop d'horreur est empreinte. Ciel ! que fera mon père, alors que dans ces lieux Ces funestes apprêts viendront frapper ses yeux ? Souvent les noms de fille, et de père, et de gendre, Lorsque Rome a parlé, n'ont pu se faire entendre. Notre hymen lui déplut, vous le savez assez : Mon bonheur est un crime à ses yeux offensés. On dit que Nonnius est mandé de Préneste. Quels effets il verra de cet hymen funeste ! Cher époux, quel usage affreux, infortuné, Du pouvoir que sur moi l'amour vous a donné ! Vous avez un parti ; mais Cicéron, mon père, Caton, Rome, les dieux, sont du parti contraire. Peut-être Nonnius vient vous perdre aujourd'hui. Comment ? La gloire est bien douteuse, et le péril certain. Que voulez-vous ? Pourquoi forcer votre destin ? Ne vous suffit-il pas, dans la paix, dans la guerre, D'être un des souverains sous qui tremble la terre ? Pour tomber de plus haut, où voulez-vous monter ? Les noirs pressentiments viennent m'épouvanter. J'ai trop chéri le joug où je me suis soumise. Voilà donc cette paix que je m'étais promise, Ce repos de l'amour que mon coeur a cherché ! Les dieux m'en ont punie, et me l'ont arraché. Dès qu'un léger sommeil vient fermer mes paupières, Je vois Rome embrasée, et des mains meurtrières, Des supplices, des morts, des fleuves teints de sang ; De mon père au sénat je vois percer le flanc ; Vous-même, environne d'une troupe en furie, Sur des monceaux de morts exhalant votre vie ; Des torrents de mon sang répandus par vos coups, Et votre épouse enfin mourante auprès de vous. Je me lève, je fuis ces images funèbres ; Je cours, je vous demande au milieu des ténèbres : Je vous retrouve, hélas ! et vous me replongez Dans l'abîme des maux qui me sont présagés. Ah ! Cruel ! Est-ce ainsi que l'on sert son pays ? J'ignore à quels desseins ta fureur s'est portée ; S'ils étaient généreux, tu m'aurais consultée : Nos communs intérêts semblaient te l'ordonner : Si tu feins avec moi, je dois tout soupçonner. Tu te perdras : déjà ta conduite est suspecte A ce consul sévère, et que Rome respecte. Catilina, je tremble A cet ordre subit, à ce funeste nom. Tu crois le mien timide ; La seule cruauté te paraît intrépide. Tu m'oses reprocher d'avoir tremblé pour toi. Le consul va paraître ; adieu, mais connais-moi : Apprends que cette épouse à tes lois trop soumise, Que tu devais aimer, que ta fierté méprise, Qui ne peut te changer, qui ne peut t'attendrir, Plus Romaine que toi, peut t'apprendre à mourir. Lis ton sort et le mien, ton crime et ton arrêt ; Voilà ce qu'on m'écrit... Lis... Tu m'avais ordonné le silence et la fuite ; Tu voulais à mes pleurs dérober ta conduite ; Eh bien ! Que prétends-tu ? Tu vas ce jour dans Rome ordonner le carnage ? Commence donc par moi, Commence par ce meurtre, il est digne de toi : Barbare, j'aime mieux, avant que tout périsse, Expirer par tes mains, que vivre ta complice. Ma perte fut certaine au moment où mon coeur Reçut de vos conseils le poison séducteur ; Quand j'acceptai sa main, quand je fus abusée, Attachée à son sort, victime méprisée. Vous pensez que mes yeux timides, consternés, Respecteront toujours vos complots forcenés. Malgré moi sur vos pas vous m'avez su conduire. J'aimais ; il fut aisé, cruel, de me séduire ! Et c'est un crime affreux dont on doit vous punir, Qu'à tant d'atrocité l'amour ait pu servir. Dans mon aveuglement, que ma raison déplore, Ce reste de raison m'éclaire au moins encore. Il fait rougir mon front de l'abus détesté Que vous avez tous fait de ma crédulité. L'amour me fit coupable, et je ne veux plus l'être ; Je ne veux point servir les attentats d'un maître ; Je renonce à mes voeux, à ton crime, à ta foi ; Mes mains, mes propres mains s'armeront contre toi. Frappe, et traîne dans Rome embrasée et fumante, Pour ton premier exploit, ton épouse expirante ; Fais périr avec moi l'enfant infortuné Que les dieux en courroux à mes voeux ont donné ; Et couvert de son sang, libre dans ta furie, Barbare, assouvis-toi du sang de ta patrie. Je menace le crime... et je tremble pour toi. Dans mes emportements vois encor ma tendresse. Frémis d'en abuser, c'est ma seule, faiblesse. Crains... La couronne où tendent tes desseins, Cet objet du mépris du reste des Romains, Va, je l'arracherais sur mon front affermie, Comme un signe insultant d'horreur et d'infamie. Quoi ! Tu m'aimes assez pour ne te pas venger ! Pour ne me punir pas de t'oser outrager, Pour ne pas ajouter ta femme à tes victimes ? Et moi je t'aime assez pour arrêter tes crimes. Et je cours... Je le devrais peut-être. Je devrais servir Rome, en la vengeant d'un traître : Nos dieux m'en avoueraient. Je ferai plus ; je veux Te rendre à ton pays, et vous sauver tous deux. Ce coeur n'a pas toujours la faiblesse en partage. Je n'ai point tes fureurs, mais j'aurai ton courage ; L'amour en donne au moins. J'ai prévu le danger ; Ce danger est venu, je veux le partager. Je vais trouver mon père ; il faudra que j'obtienne Qu'il m'arrache la vie, ou qu'il sauve la tienne. Il m'aime, il est facile, il craindra devant moi D'armer le désespoir d'un gendre tel que toi. J'irai parler de paix à Cicéron lui-même. Ce consul qui te craint, ce sénat où l'on t'aime, Où César te soutient, où ton nom est puissant, Se tiendront trop heureux de te croire innocent. On pardonne aisément à ceux qui sont à craindre. Repens-toi seulement, mais repens-toi sans feindre ; Il n'est que ce parti quand on est découvert : Il blesse ta fierté, mais tout autre te perd, Et je te donne au moins, quoi qu'on puisse entreprendre, Le temps de quitter Rome, ou d'oser t'y défendre. Plus de reproche ici sur tes complots pervers ; Coupable, je t'aimais ; malheureux, je te sers : Je mourrai pour sauver et tes jours et la gloire. Adieu : Catilina doit apprendre à me croire : Je l'avais mérité. Je me charge de tout, fût-ce encor de ta haine. Je te sers, c'est assez. Fille, épouse, et Romaine, Voilà tous mes devoirs, je les suis ; et le tien Est d'égaler un coeur aussi pur que le mien. Ô vous ! Sacrés vengeurs, Demi-dieux sur la terre, et mes seuls protecteurs, Consul, auguste appui qu'implore l'innocence, Mon père par ma voix vous demande vengeance : J'ai retiré ce fer enfoncé dans son flanc. Mes pleurs mouillent vos pieds arrosés de son sang. Secourez-moi, vengez ce sang qui fume encore, Sur l'infâme assassin que ma douleur ignore. Dieux ! Ô ciel ! Catilina ! L'ai-je bien entendu ? Quoi ! Monstre sanguinaire ! Quoi ! C'est toi, c'est ta main qui massacra mon père ? Ô comble de la rage et de la calomnie ! On lui donne la mort : on veut flétrir sa vie ! Le cruel dont la main porta sur lui les coups... Justes dieux ! Où me réduisez-vous ? Ah ! je vous ai trahis ; c'est moi qui suis coupable. Va, monstre impitoyable ; Va, ta pitié m'outrage, elle me fait horreur. Dieux ! J'ai trop tard connu ma détestable erreur. Sénat, j'ai vu le crime, et j'ai tu les complices ; Je demandais vengeance, il me faut des supplices. Ce jour menace Rome, et vous, et l'univers. Ma faiblesse a tout fait, et c'est moi qui vous perds. Traître, qui m'as conduite à travers tant d'abîmes, Tu forças ma tendresse à servir tous tes crimes. Périsse, ainsi que moi, le jour, l'horrible jour, Où ta rage a trompé mon innocent amour ! Ce jour où, malgré moi, secondant ta furie, Fidèle à mes serments, perfide à ma patrie, Conduisant Nonnius à cet affreux trépas, Et, pour mieux l'égorger, le pressant dans mes bras, J'ai présenté sa tête à ta main sanguinaire ! Murs sacrés, dieux vengeurs, sénat, mânes d'un père, Romains, voilà l'époux dont j'ai suivi la loi, Voilà votre ennemi !... Perfide, imite-moi. Je devais... un billet remis entre vos mains... Consul... de tous côtés je vois vos assassins... Je me meurs... **** *creator_voltaire *book_voltaire_romesauvee *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_romesauvee *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_CATON *date_1750 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_caton Vos ordres sont suivis. Ma prompte vigilance A disposé déjà ces braves chevaliers Qui sous vos étendards marcheront les premiers. Mais je crains tout du peuple, et du sénat lui-même. Enivré de sa grandeur suprême, Dans ses divisions il se forge des fers. Ah ! Qui sert son pays sert souvent un ingrat. Votre mérite même irrite le sénat ; Il voit d'un oeil jaloux cet éclat qui l'offense. Eh ! Comment résister à ce torrent funeste, Quand je vois dans ce temple, aux vertus élevé, L'infâme trahison marcher le front levé ? Croit-on que Mallius, cet indigne rebelle, Ce tribun des soldats, subalterne infidèle, De la guerre civile arborât l'étendard ; Qu'il osât s'avancer vers ce sacré rempart, Qu'il eût pu fomenter ces ligues menaçantes, S'il n'était soutenu par des mains plus puissantes, Si quelque rejeton de nos derniers tyrans N'allumait en secret des feux plus dévorants ? Les premiers du sénat nous trahissent peut-être ; Des cendres de Sylla les tyrans vont renaître. César fut le premier que mon coeur soupçonna. Oui, j'accuse César. Il a beaucoup d'amis ; Je crains pour les Romains des tyrans réunis. L'armée est en Asie, et le crime est dans Rome ; Mais pour sauver l'état il suffit d'un grand homme. Lucullus, je me trompe, ou ces deux confidents S'occupent en secret de soins trop importants. Le crime est sur leur front, qu'irrite ma présence. Déjà la trahison marche avec arrogance. Le sénat qui la voit cherche à dissimuler. Le démon de Sylla semble nous aveugler. L'âme de ce tyran dans le sénat respire. Que les dieux du sénat, les dieux de Scipion, Qui contre toi, peut-être, ont inspiré Caton, Permettent quelquefois les attentats des traîtres ; Qu'ils ont à des tyrans asservi nos ancêtres ; Mais qu'ils ne mettront pas en de pareilles mains La maîtresse du monde et le sort des humains. J'ose encore ajouter que son puissant génie, Qui n'a pu qu'une fois souffrir la tyrannie, Pourra dans Céthégus et dans Catilina Punir tous les forfaits qu'il permit à Sylla. Sur les coeurs corrompus vous cherchez à régner. Pour les séditieux César toujours facile Conserve en nos périls un courage tranquille. Je plains Rome, César, et je la vois trahie. Ô ciel ! Pourquoi faut-il qu'aux climats de l'Asie, Pompée, en ces périls, soit encore arrêté ? L'amour de la patrie anime ce grand homme. Que dites-vous ? Oses-tu te vanter ?... Trop d'indulgence ici tient de la perfidie. Quoi ! Rome, est d'un côté, de l'autre un assassin, C'est Cicéron qui parle, et l'on est incertain ? Ô jour épouvantable ! Sa réponse est douteuse, il est trop leur appui. La honte, Clodius, n'est que dans vos murmures. Allez de vos amis déplorer les injures ; Mais sachez que le sang de nos patriciens, Ce sang des Céthégus et des Cornéliens, Ce sang si précieux, quand il devient coupable, Devient le plus abject et le plus condamnable. Regrettez, respectez ceux qui nous ont trahis ; On les mène à la mort, et c'est par mon avis. Celui qui vous sauva les condamne au supplice. De quoi vous plaignez-vous ? Est-ce de sa justice ? Est-ce elle qui produit cet indigne courroux ? En craignez-vous la suite, et la méritez-vous ? Quand vous devez la vie aux soins de ce grand homme, Vous osez l'accuser d'avoir trop fait pour Rome ! Murmurez, mais tremblez ; la mort est sur vos pas. Il n'est pas encor temps de devenir ingrats. On a dans les périls de la reconnaissance ; Et c'est le temps du moins d'avoir de la prudence. Catilina paraît jusqu'aux pieds du rempart ; On ne sait point encor quel parti prend César, S'il veut ou conserver, ou perdre la patrie. Cicéron agit seul, et seul se sacrifie ; Et vous considérez, entourés d'ennemis, Si celui qui vous sert vous a trop bien servis ! Oui, j'ose conseiller, esprit fier et jaloux, Que l'on veille à la fois sur César et sur vous. Je conseillerais plus ; mais voici votre père. Viens, tu vois des ingrats. Mais Rome te défère Les noms, les sacrés noms de père et de vengeur ; Et l'envie à tes pieds t'admire avec terreur. Je vois avec horreur tout ce qu'il nous prépare. Je le redis encore, et veux le publier, De César en tout temps il faut se défier. D'aimer Catilina, De l'avoir protégé lorsqu'on le soupçonna, De ménager encor ceux qu'on pouvait abattre, De leur avoir parlé quand il fallait combattre. Mais tous ces conjurés, ce peuple de coupables, Que sont-ils à vos yeux ? De son ambition vous allumez les flammes. Permettez que dans Rome encor je me présente, Que j'aille intimider une foule insolente, Que je vole au rempart, que du moins mon aspect Contienne encor César, qui m'est toujours suspect. Et si dans ce grand jour la fortune contraire... **** *creator_voltaire *book_voltaire_romesauvee *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_romesauvee *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_LUCULLUS *date_1750 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_lucullus Ô ciel ! **** *creator_voltaire *book_voltaire_romesauvee *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_romesauvee *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_CRASSUS *date_1750 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_crassus Que fait César ? **** *creator_voltaire *book_voltaire_romesauvee *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_romesauvee *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_CLODIUS *date_1750 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_clodius Rome est en sûreté ; César est citoyen. Qui peut avoir ici d'autre avis que le sien ? Quoi ! Lorsque défendant cette enceinte sacrée, A peine aux factieux nous en fermons l'entrée, Quand partout le sénat s'exposant au danger, Aux ordres d'un Samnite a daigné se ranger ; Cet altier plébéien nous outrage et nous brave ! Il sert un peuple libre, et le traite en esclave ! Un pouvoir passager est à peine en ses mains, Il ose en abuser, et contre des Romains ! Contre ceux dont le sang a coulé dans la guerre ! Les cachots sont remplis des vainqueurs de la terre ; Et cet homme inconnu, ce fils heureux du sort Condamne insolemment ses maîtres à la mort ! Catilina pour nous serait moins tyrannique ; On ne le verrait point flétrir la république. Je partage avec vous les malheurs de l'état ; Mais je ne peux souffrir la honte du sénat. Caton, plus implacable encor que magnanime, Aime les châtiments plus qu'il ne hait le crime. Respectez le sénat ; ne lui reprochez rien. Vous parlez en censeur ; il nous faut un soutien. Quand la guerre s'allume, et quand Rome est en cendre, Les édits d'un consul pourront-ils nous défendre ? N'a-t-il contre une armée, et des conspirateurs, Que l'orgueil des faisceaux, et les mains des licteurs ? Vous parlez de dangers ! Pensez-vous nous instruire Que ce peuple insensé s'obstine à se détruire ? Vous redoutez César ! Eh ! qui n'est informé Combien Catilina de César fut aimé ? Dans le péril pressant qui croît et nous obsède, Vous montrez tous nos maux : montrez-vous le remède ? Vos égaux après tout, que vous deviez entendre, Par vous seul condamnés, n'ayant pu se défendre, Semblent autoriser... **** *creator_voltaire *book_voltaire_romesauvee *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_romesauvee *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_CETHEGUS *date_1750 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_cethegus Ils viendront dans ces lieux du consul ignorés, Sous ce portique même, et près du temple impie Où domine un sénat, tyran de l'Italie. Ils ont renouvelé leurs serments et leur foi. Mais tout est-il prévu ? César est-il à toi ? Seconde-t-il enfin Catilina qu'il aime ? Conspirer sans César ! Mais Nonnius enfin dans Préneste est le maître ; Il aime la patrie, et tu dois le connaître : Tes soins pour le tenter ont été superflus. Que faut-il décider du sort de Nonnius ? Tandis que tout s'apprête, et que ta main hardie Va de Rome et du monde allumer l'incendie, Tandis que ton armée approche de ces lieux, Sais-tu ce qui se passe en ces murs odieux ? Il a des envieux, mais il parle, il entraîne ; Il réveille la gloire, il subjugue la haine ; Il domine au sénat. Que dis-tu ? qui t'arrête en ta noble carrière ? Quand l'adresse et la force ont ouvert la barrière, Que crains-tu ? Ton épouse ? Tu crains une femme et des pleurs ? Laisse-lui ses remords, laisse-lui ses terreurs ; Tu l'aimes, mais en maître, et son amour docile Est de tes grands desseins un instrument utile. Que veux-tu ? Si par ton artifice Tu ne peux réussir à t'en faire un complice, Dans le rang des proscrits faut-il placer son nom ? Faut-il confondre enfin César et Cicéron ? Compte sur son audace ; Tu sais comme, ébloui des grandeurs de sa race, A partager ton règne il se croit destiné. Le soupçonneux Sura s'avance ici vers toi. Je cours exécuter ta volonté suprême, Et sous tes étendards à jamais réunir Ceux qui mettent leur gloire à savoir t'obéir. Peut-être avant le temps faudrait-il l'attaquer Au milieu du sénat qu'il vient de convoquer ; Je vois qu'il prévient tout, et que Rome alarmée... Sous le nom de César, Préneste est-elle à nous ? Ce billet peut vous perdre. Ne désespérez point un époux, un ami. Tout vous est confié ; la carrière est ouverte, Et reculer d'un pas, c'est courir à sa perte. Non, tu ne peux changer ; ton génie invincible, Animé par l'obstacle, en sera plus terrible. Sans ressource à Préneste, accusés au sénat, Nous pourrions être encor les maîtres de l'état ; Nous le ferions trembler, même dans les supplices. Nous avons trop d'amis, trop d'illustres complices, Un parti trop puissant, pour ne pas éclater. Tu te tais, et tu frémis d'effroi ? De ta poursuite vaine on saura s'y défendre. Faut-il donc succomber sous les puissants efforts D'un bras habile et prompt qui rompt tous nos ressorts ? Faut-il qu'à Cicéron le sort nous sacrifie ? Eh bien ? L'oracle des Romains, ou qui du moins croit l'être, Dans d'impuissants travaux sans relâche occupé, Interroge Septime ; et, par ses soins trompé, Il a retardé tout par ses fausses alarmes. La patrie est un nom sans force et sans effet ; On le prononce encor, mais il n'a plus d'objet. Le fanatisme usé des siècles héroïques Se conserve, il est vrai, dans des âmes stoïques ; Le reste est sans vigueur, ou fait des voeux pour nous. Cicéron, respecté, n'a fait que des jaloux ; Caton est sans crédit ; César nous favorise : Défendons-nous ici, Rome sera soumise. Sois sûr qu'à son amour il saura commander. Caton approche, écoute. Je vous entends assez, Caton ; qu'osez-vous dire ? Parle, Catilina, parle, et force au silence De tous tes ennemis l'audace et l'éloquence. À ce fatal objet quel trouble t'a saisi ? Aurélie à nos pieds vient demander vengeance : Mais si tu servis Rome, attends ta récompense. En as-tu la puissance ? **** *creator_voltaire *book_voltaire_romesauvee *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_romesauvee *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_SURA *date_1750 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_sura Ainsi, malgré mes soins et malgré ma prière, Vous prenez dans César une assurance entière ; Vous lui donnez Préneste ; il devient notre appui. Pensez-vous me forcer à dépendre de lui ? Ce nom est-il plus grand que le vôtre et le mien ? Pourquoi vous abaisser à briguer ce soutien ? On le fait trop valoir, et Rome est trop frappée D'un mérite naissant qu'on oppose à Pompée. Pourquoi le rechercher alors que je vous sers ? Ne peut-on sans César subjuguer l'univers ? Il nous sera fatal : Notre égal aujourd'hui, demain notre rival, Bientôt notre tyran, tel est son caractère ; Je le crois du parti le plus grand adversaire. Peut-être qu'à vous seul il daignera céder, Mais croyez qu'à tout autre il voudra commander. Je ne souffrirai point, puisqu'il faut vous le dire, De son fier ascendant le dangereux empire. Je vous ai prodigué mon service et ma foi, Et je renonce à vous, s'il l'emporte sur moi. Enfin donc sans César vous n'entreprenez rien ? Nous attendrons le fruit de ce grand entretien. César s'est-il montré favorable ou contraire ? Je dois les amener, sitôt que la nuit sombre Cachera sous son voile et leur marche et leur nombre ; Je les armerai tous dans ce lieu retiré. C'en est fait, et nous sommes perdus ; Nos amis sont trahis, nos projets confondus. Préneste entre nos mains n'a point été remise ; Nonnius vient dans Rome ; il sait notre entreprise. Un de nos confidents, dans Préneste arrêté, A subi les tourments, et n'a point résisté. Nous avons trop tardé ; rien ne peut nous défendre, Nonnius au sénat vient accuser son gendre. Il va chez Cicéron, qui n'est que trop instruit. Eh bien ! de tes forfaits tu vois quel est le fruit ! Voilà ces grands desseins où j'aurais dû souscrire, Ces destins de Sylla, ce trône, cet empire ! Es-tu désabusé ? tes yeux sont-ils ouverts ? Est-ce Catilina que nous venons d'entendre ? N'es-tu de Nonnius que le timide gendre ? Esclave d'une femme, et d'un seul mot troublé, Ce grand coeur s'est rendu sitôt qu'elle a parlé. Mais avant le signal on peut nous arrêter. C'est lorsque dans la nuit le sénat se sépare, Que le parti s'assemble, et que tout se déclare. Que faire ? J'attends peu d'Aurélie ; et, dans ce jour funeste, Vendre cher notre vie est tout ce qui nous reste. Nous verrons si, toujours prompt à nous outrager, Le fils de Tullius nous ose interroger. Nonnius du consul éclaircit les soupçons. Tous ces pères de Rome, au sénat appelés, Incertains de leur sort, et de soupçons troublés, Ces monarques tremblants tardent bien à paraître. Plût au ciel que déjà nous eussions pris les armes ! Je crains, je l'avouerai, cet esprit du sénat, Ces préjugés sacrés de l'amour de l'état, Cet antique respect, et cette idolâtrie, Que réveille en tout temps le nom de la patrie. Mais si Catilina, par sa femme séduit, De tant de nobles soins nous ravissait le fruit ! Tout homme a sa faiblesse, et cette âme hardie Reconnaît en secret l'ascendant d'Aurélie. Il l'aime, il la respecte, il pourra lui céder. Mais tu l'as vu frémir ; tu sais ce qu'il en coûte, Quand de tels intérêts... Oses-tu prononcer quand le sénat balance ? **** *creator_voltaire *book_voltaire_romesauvee *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_romesauvee *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_CONJURES *date_1750 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_conjures Périsse le sénat ! **** *creator_voltaire *book_voltaire_romesauvee *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_romesauvee *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_MARTIAN *date_1750 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_martian Seigneur, Cicéron vient près de ce lieu fatal ; Par son ordre bientôt le sénat se rassemble : Il vous mande en secret. Oui, nous le jurons tous par ce fer et par toi ! Périsse l'infidèle Qui pourra différer de venger ta querelle ! Si quelqu'un se repent, qu'il tombe sous nos coups ! Oui, seigneur ; Mallius, à ses serments fidèle, Vient entourer ces murs aux flammes destinés. Au-dehors, au-dedans les ordres sont donnés. Les conjurés en foule au carnage s'excitent, Et des moindres délais leurs courages s'irritent. Prescrivez le moment où Rome doit périr. **** *creator_voltaire *book_voltaire_romesauvee *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_romesauvee *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_STATILIUS *date_1750 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_statilius Les gardes sont séduits ; on peut tout entreprendre. **** *creator_voltaire *book_voltaire_romesauvee *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_romesauvee *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_LICTEURS *date_1750 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_licteurs Seigneur, on a saisi ce dépôt formidable. Chez lui. Ceux qui sont arrêtés N'accusent que lui seul de tant d'iniquités. Seigneur, en secourant la mourante Aurélie, Que nos soins vainement rappelaient à la vie, J'ai trouvé ce billet par son père adressé. Seigneur, ils sont punis ; Mais leur sang a produit de nouveaux ennemis. C'est le feu de l'Etna qui couvait sous la cendre ; Un tremblement de plus va partout le répandre ; Et si de Pétréius le succès est douteux, Ces murs sont embrasés, vous tombez avec eux. Un nouvel Annibal nous assiège et nous presse ; D'autant plus redoutable en sa cruelle adresse, Que, jusqu'au sein de Rome, et parmi ses enfants, En creusant vos tombeaux, il a des partisans. On parle en sa faveur dans Rome qu'il ruine ; Il l'attaque au-dehors, au-dedans il domine ; Tout son génie y règne, et cent coupables voix S'élèvent contre vous, et condamnent vos lois. Les plaintes des ingrats et les clameurs des traîtres Réclament contre vous les droits de nos ancêtres, Redemandent le sang répandu par vos mains : On parle de punir le vengeur des Romains.