**** *creator_voltaire *book_voltaire_scythes *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_scythes *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_HERMODAN *date_1767 *sexe_masculin *age_veteran *statut_exterieur *fonction_autres *role_hermodan Indatire, mon fils, quelle est donc cette audace ? Qui sont ces étrangers ? Quelle insolente race A franchi les sommets des rochers d'Immaüs ? Apportent-ils la guerre aux rives de l'Oxus ? Que viennent-ils chercher dans nos forêts tranquilles ? Ainsi donc, mon cher fils, jusqu'en notre contrée, La Perse est triomphante ; Obéide adorée, Par un charme invincible a subjugué tes sens ! Cet objet, tu le sais, naquit chez les Persans. Son père jusqu'ici ne s'est point fait connaître ; Depuis quatre ans entiers qu'il goûte dans ces lieux La liberté, la paix que nous donnent les Dieux, Malgré notre amitié, j'ignore quel orage Transplanta sa famille en ce désert sauvage. Mais dans ses entretiens j'ai souvent démêlé Que d'une Cour ingrate il était exilé. Il est persécuté : la vertu malheureuse Devient plus respectable, et m'est plus précieuse. Je vois avec plaisir que du sein des honneurs, Il s'est soumis sans peine à nos lois, à nos moeurs, Quoiqu'il soit dans un âge où l'âme la plus pure Peut rarement changer le pli de la nature. Oui, je la crois, mon fils, digne de tant d'amour. Mais d'où vient que son père admis dans ce séjour, Plus formé qu'elle encore aux usages des Scythes, Adorateur des lois que nos moeurs ont prescrites, Notre ami, notre frère en nos coeurs adopté, Jamais de son destin n'a rien manifesté ! Sur son rang, sur les siens pourquoi se taire encore ? Rougit-on de parler de ce qui nous honore ? Et puis-je abandonner ton coeur trop prévenu Au sang d'un étranger qui craint d'être connu ? Que je lui parle au moins. À la tendre amitié tu peux tout découvrir, Tu le dois. Tu fus donc grand en Perse ? Ton silence M'a privé trop longtemps de cette confidence. Je ne liais point les grands. J'en ai vu quelquefois Qu'un désir curieux attira dans nos bois : J'aimai de ces Persans les moeurs nobles et fières. Je sais que les humains sont nés égaux et frères ; Mais je n'ignore pas que l'on doit respecter Ceux qu'en exemple au peuple un roi veut présenter ; Et la simplicité de notre République N'est point une leçon pour l'État monarchique. Craignais-tu qu'un ami te fût moins attaché ? Crois-moi, tu t'abusais. Sèche tes pleurs, et parle. Il est bien malheureux ; Il fut libre. As-tu par son trépas repoussé cet outrage ? Ô de la servitude effets avilissants ! Quoi ! La plainte est un crime à la Cour des Persans ! Comment recherchas-tu cette basse grandeur ? Que peux-tu craindre ici ? Qu'a-t-elle à regretter ? Nous valons pour le moins ce qu'elle a su quitter ; Elle est libre avec nous, applaudie, honorée ; Jamais de tristes soins sa paix n'est altérée. La franchise qui règne en nos déserts heureux Fait mépriser la Cour et ses fers dangereux. Va, je te le promets ; mais apprends qu'on devine Dans ces rustiques lieux ton illustre origine. Tu n'en es pas moins cher à nos simples esprits. Je tairai tout le reste, et surtout à mon fils ; Il s'en alarmerait. Ô ciel ! Jusqu'en mes bras il viendrait te poursuivre ! Ses pleurs me sont suspects, ainsi que ses présents. Pardonne à mes soupçons, mais je crains les Persans. Ces esclaves brillants veulent au moins séduire. Peut-être c'est à toi qu'on cherche encore à nuire. Peut-être ton tyran, par ta fuite trompé, Demande ici ton sang à sa rage échappé. D'un prince quelquefois le malheureux ministre Pleure en obéissant à son ordre sinistre. Voici l'autel sacré, L'autel de la nature à l'amour préparé, Où je fis mes serments, où jurèrent nos pères. Nous n'avons point ici de plus pompeux mystères ; Notre culte, Obéide, est simple comme vous. Je me sens attendri d'un spectacle si rare. Viens, redoublons les noeuds qui nous ont tous unis. Viens ; ma main paternelle, Te remettra, mon fils, ton épouse fidèle. Viens, le festin t'attend. Ah ! Sozame, Cher ami, dans quel trouble il a jeté mon âme ! As-tu vu sur son front des signes de fureur ? Peut-être que mon coeur Conçoit d'un vain danger la crainte imaginaire ; Mais son trouble était grand. Sozame, je suis père : Si mes yeux par les ans ne sont point affaiblis, J'ai cru voir ce Persan qui menaçait mon fils. La faiblesse s'empare De mes esprits glacés, et mes sens éperdus Trahissent mon courage, et ne me servent plus. - Mon fils ne revient point : - j'entends un bruit horrible. Je succombe. - Va, cours, en ce moment terrible, Cours, assemble au drapeau nos braves combattants. Oui, j'ai pu me tromper ; oui, je renais. Quoi ! Barbare... Va, ravisseur coupable, Infidèle Persan, mon coeur saura venger Le détestable affront dont tu viens nous charger. Dans ce dessein, Sozame, il nous quittait sans doute. Oui, lui-même. Achève tes fureurs ; Achève. - N'oses-tu ? Quoi ! tu gémis, - Je meurs. Mon fils est mort, ami ! - Mon ami, fais au moins que j'expire Sur le corps étendu de mon fils expirant ! Que je te doive, ami, cette grâce en mourant. S'il reste quelque force à ta main languissante, Soutiens d'un malheureux la marche chancelante ; Viens, lorsque de mon fils j'aurai fermé les yeux, Dans un même sépulcre enferme-nous tous deux. Ah ! L'on venge mon fils. Je retrouve mes sens. Nos Scythes sont armés... Dieux, punissez les crimes, Dieux, combattez pour nous, et prenez vos victimes. Nous en mourrons pas seuls. Chère Obéide. - hélas ! Ah ! Si mon triste sort pouvait être adouci, Il le serait par toi. On nous apporte encor de fatales nouvelles. Déités immortelles, Mon fils serait vengé ! n'est-ce point une erreur ? De mon malheureux fils le meurtrier barbare Serait-il échappé ? De ce cruel enfin nous serons vengés tous ; Nos lois, nos justes lois seront exécutées. Les dieux les ont dictées. Ne crains rien : - Toi, jeune homme, et vous, braves guerriers, Préparez votre autel entouré de lauriers. Il faut hâter ce juste sacrifice. Mânes de mon cher fils, que ton ombre en jouisse ! Et toi qui fus l'objet de ses chastes amours, Qui fus ma fille chère, et le seras toujours, Qui de ta piété filiale et sincère N'as jamais altéré le sacré caractère, Ne t'apprendrons bientôt ce qu'une austère loi Attend de mon pays, et demande de toi. As-tu chéri mon fils ? L'inviolable loi qui régit ma patrie, Veut que de son époux une femme chérie, Ait le suprême honneur de lui sacrifier, En présence des Dieux, le sang du meurtrier ; Que l'autel de l'hymen soit l'autel des vengeances ; Que du glaive sacré qui punit les offenses, Elle arme sa main pure, et traverse le coeur, Le coeur du criminel qui ravit son bonheur. Le Ciel t'a réservé ce sacré ministère. - Oui, ma fille ! L'hymen t'a fait ma fille, et tu n'as point d'excuse ; Il n'en mourra pas moins, tu vivras sans honneur. Il vous faut de ma main cette grande victime ! La veuve de mon fils Se déclare soumise aux lois de mon pays ; Et ma douleur profonde est un peu soulagée, Si par ses nobles mains cette mort est vengée. Amis, retirons-nous. Des mânes de mon fils la victime attendue Suffit à ma vengeance autant qu'elle m'est due. De ce peuple, crois-moi, l'inflexible équité Sait joindre la clémence à la sévérité. Tous seront épargnés. Les célestes puissances N'ont jamais vu de Scythe oser trahir sa foi. Qu'on le traîne à l'autel. Obéide ! Dieux ! Vîtes-vous jamais deux plus malheureux pères ! Soumettons-nous au sort ; Soumettons-nous au ciel, arbitre de la mort. - Nous sommes trop vengés par un tel sacrifice, Scythes, que la pitié succède à la justice. **** *creator_voltaire *book_voltaire_scythes *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_scythes *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_INDATIRE *date_1767 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_indatire Mes braves compagnons, sortis de leurs asiles, Avec rapidité se sont rejoints à moi, Ainsi qu'on les voit tous s'attrouper sans effroi Contre les fiers assauts des tigres d'Hircanie. Notre troupe assemblée est faible, mais unie, Instruite à défier le péril et la mort. Elle marche aux Persans, elle avance ; et d'abord, L'olivier à la main, devant nous se présente Un jeune homme entouré d'une pompe éclatante ; L'or et les diamants brillent sur ses habits, Son turban disparaît sous les feux des rubis ; Il voudrait, nous dit-il, parler à notre maître. Nous le saluons tous, en lui faisant connaître Que ce titre de maître, aux Persans si sacré Dans l'antique Scythie est un titre ignoré. « Nous sommes tous égaux sur ces rives si chères, Sans rois et sans sujets, tous libres et tous frères. Que veux-tu dans ces lieux ? Viens-tu pour nous traiter En hommes, en amis, ou pour nous insulter ? » Alors il me répond, d'une voix douce et fière, Que, des États Persans visitant la frontière, Il veut voir à loisir ce peuple si vanté Pour ses antiques moeurs et pour sa liberté. Nous avons avec joie entendu ce langage. Mais j'observais pourtant je ne sais quel nuage, L'empreinte des ennuis ou d'un dessein profond, Et les sombres chagrins répandus sur son front. Nous offrons cependant à sa troupe brillante, Des hôtes de nos bois la dépouille sanglante, Nos utiles toisons, tout ce qu'en nos climats La nature indulgente a semé sous nos pas, Mais surtout des carquois, des flèches, des armures, Ornements des guerriers, et nos seules parures. Ils présentent alors, à nos regards surpris, Des chefs-d'oeuvre d'orgueil sans mesure et sans prix, Instruments de mollesse, où sous l'or et la soie Des inutiles arts tout l'effort se déploie. Nous avons rejeté ces présents corrupteurs, Trop étrangers pour nous, trop peu faits pour nos moeurs, Superbes ennemis de la simple nature : L'appareil des grandeurs au pauvre est une injure ; Et recevant enfin des dons moins dangereux, Dans notre pauvreté nous sommes plus grands qu'eux. Nous leur donnons le droit de poursuivre en nos plaines, Sur nos lacs, en nos bois, aux bords de nos fontaines, Les habitants des airs, de la terre et des eaux. Contents de notre accueil, ils nous traitent d'égaux. Enfin, nous nous jurons une amitié sincère. Ce jour, n'en doutez point, nous est un jour prospère. Ils pourront voir nos jeux et nos solennités, Les charmes d'Obéide, et mes félicités. On le dit ; mais qu'importe où le ciel la fit naître ! Son adorable fille est encore au-dessus. De son sexe et du nôtre elle unit les vertus. Le croiriez-vous, mon père ? Elle est belle, et l'ignore. Sans doute elle est d'un rang que chez elle on honore. Son âme est noble au moins ; car elle est sans orgueil. Jamais aucun dégoût ne glaça son accueil. Sans avilissement à tout elle s'abaisse ; D'un père infortuné soulage la vieillesse, Le console, le sert, et craint d'apercevoir Qu'elle va quelquefois par-delà son devoir. On la voit supporter la fatigue obstinée Pour laquelle on sent trop qu'elle n'était point née. Elle brille surtout dans nos champêtres jeux, Nobles amusements d'un peuple belliqueux. Elle est de nos beautés l'amour et le modèle ; Le ciel la récompense en la rendant plus belle. Quel qu'il soit, il est libre, il est juste, intrépide, Il m'aime, il est enfin le père d'Obéide. Ô vieillard généreux ! Ô cher concitoyen de nos pâtres heureux ! Les Persans en ce jour venus dans la Scythie, Seront donc les témoins du saint noeud qui nous lie ! Je tiendrai de tes mains un don plus précieux Que le trône où Cyrus se crut égal aux Dieux. J'en atteste les miens, et le jour qui m'éclaire, Mon coeur se donne à toi, comme il est à mon père ; Je te sers comme lui. Quoi, tu verses des pleurs ! J'ignore tes chagrins, ta vertu m'est connue ; Qui peut donc t'affliger ? Ma candeur ingénue Mérite que ton coeur au mien daigne s'ouvrir. J'embrasse tes genoux, et je revole aux siens. Obéide se donne ; Obéide est à moi, si ta bonté l'ordonne, Si mon père y souscrit. Lui poursuivre Sozame ! Il cesserait de vivre. Nous mourrions à tes pieds, avant qu'un téméraire Pût manquer seulement de respect à mon père. Ouvrons en paix nos coeurs à la pure allégresse. Que nous fait d'un Persan la joie ou la tristesse ? Et qui peut chez le Scythe envoyer la terreur ? Ce mot honteux de crainte a révolté mon coeur. Mon père, mes amis, daignez de vos mains pures Préparer cet autel redouté des parjures, Ces festons, ces flambeaux, ces gages de ma foi. Viens offrir cette main qui combattra pour toi, Cette main trop heureuse à ta fille promise, Terrible aux ennemis, à toi toujours soumise. Cet autel me rappelle en ces forêts si chères ; Tu conduis tous mes pas, je devance nos pères. Je viens lire en tes yeux, entendre de ta voix, Que ton heureux époux est nommé par ton choix : L'hymen est parmi nous le noeud que la nature Forme entre deux amants de sa main libre et pure. Chez les Persans, dit-on, l'intérêt odieux. Les folles vanités, l'orgueil ambitieux, De cent bizarres lois la contrainte importune, Soumettent tristement l'amour à la fortune. Ici le coeur fait tout, ici l'on vit pour soi ; D'un mercenaire hymen on ignore la loi, On fait sa destinée. Une fille guerrière De son guerrier chéri court la noble carrière, Se plaît à partager ses travaux et son sort, L'accompagne aux combats, et sait venger sa mort. Préfères-tu nos moeurs aux moeurs de ton Empire ? La sincère Obéide aime-t-elle Indatire ? Non, tu sembles parler un langage étranger ; Et même en m'approuvant, tu viens de m'affliger. Dans les murs d'Ecbatane est-ce ainsi qu'on s'explique ? Obéide, est-il vrai qu'un astre tyrannique Dans cette ville immense a pu te mettre au jour ? Est-il vrai que les yeux brillèrent à la Cour, Et que l'on t'éleva dans ce riche esclavage Dont à peine en ces lieux nous concevons l'image ? Dis-moi, chère Obéide, aurais-je le malheur Que le ciel t'eût fait naître au sein de la grandeur ? Plus ton coeur adoré En perd le souvenir, plus je m'en souviendrai. Vois-tu d'un oeil content cet appareil rustique, Le monument heureux de notre culte antique, Où nos pères bientôt recevront les serments Dont nos coeurs et nos dieux sont les sacrés garants ? Obéide, il n'a rien de la pompe inutile Qui fatigue ces Dieux dans ta superbe ville. Il n'a pour ornement que des tissus de fleurs, Présents de la nature, images de nos coeurs. Sais-tu que ces Persans venus sur ces rivages Veulent voir notre fête et nos riants bocages ? Par la main des vertus ils nous verront unis. Tu frémis ! Quelle pâleur, ô ciel ! Sur ton front répandue ! Des esclaves d'un roi peux-tu craindre la vue ? Nos parents, nos amis, tes compagnes fidèles. Viennent tous consacrer nos fêtes solennelles. Je jure à ma patrie, à mon père, à moi-même, À nos Dieux éternels, à cet objet que j'aime, De l'aimer encor plus quand cet heureux moment Aura mis Obéide aux mains de son amant ; Et, toujours plus épris, et toujours plus fidèle, De vivre, de combattre, et de mourir pour elle. Ah ! Sozame, Quelle terreur subite a donc frappé son âme ? Compagnes d'Obéide, allons à son secours. On prétend qu'une ville en toi révère un maître, Qu'on l'appelle Ecbatane, et que du mont Taurus On voit ses hauts remparts élevés par Cyrus. On dit (mais j'en crois peu la vaine renommée) Que tu peux dans la plaine assembler une armée, Une troupe aussi forte, un camp aussi nombreux De guerriers soudoyés, et d'esclaves pompeux, Que nous avons ici de citoyens paisibles. Qui borne ses désirs est toujours riche assez. Elle a pour moi des charmes. À servir sous un maître on me verrait descendre ! Tu n'en as point. Apprends que ces indignes Scythes, Voisins de ton pays, sont loin de nos limites. Si l'air de tes climats a pu les infecter, Dans nos heureux cantons il n'a pu se porter. Ces Scythes malheureux ont connu l'avarice ; La fureur d'acquérir corrompit leur justice ; Ils n'ont su que servir ; leurs infidèles mains Ont abandonné l'art qui nourrit les humains, Pour l'art qui les détruit, l'art affreux de la guerre. Ils ont vendu leur sang aux maîtres de la terre. Meilleurs citoyens qu'eux, et plus braves guerriers, Nous volons aux combats, mais c'est pour nos foyers. Nous savons tous mourir, mais c'est pour la patrie. Nul ne vend parmi nous son honneur ou sa vie. Nous serons, si tu veux, tes dignes alliés. Mais on n'a point d'amis alors qu'ils sont payés. Apprends à mieux juger de ce peuple équitable, Égal à toi, sans doute, et non moins respectable. Oui, je puis m'en flatter. À toi ! À ta superbe audace, À tes discours altiers, à cet air de menace, Je veux bien opposer la modération Que l'univers estime en notre nation. Obéide, dis-tu, de toi seul doit dépendre ; Elle était ta sujette ! Oses-tu bien prétendre Que des droits des mortels on ne jouisse pas, Dès qu'on a le malheur de naître en tes États ? Le ciel, en le créant, forma-t-il l'homme esclave ? La nature qui parle, et que ta fierté brave, Aura-t-elle à la glèbe attaché les humains Comme les vils troupeaux mugissants sous nos mains ? Que l'homme soit esclave aux champs de la Médie, Qu'il rampe, j'y consens ; il est libre en Scythie. Au moment qu'Obéide honora de ses pas Le tranquille horizon qui borde nos états, La liberté, la paix, qui sont notre apanage, L'heureuse égalité, les biens du premier âge, Ces biens que des Persans aux mortels ont ravis, Ces biens, perdus ailleurs, et par nous recueillis, De la belle Obéide ont été le partage. Imprudent étranger, ce que je viens d'entendre Excite ma pitié plutôt que mon courroux. Sa libre volonté m'a choisi pour époux ; Ma probité lui plut ; elle l'a préférée Aux recherches, aux voeux de toute ma contrée : Et tu viens de la tienne ici redemander Un coeur indépendant qu'on vient de m'accorder ! Ô toi qui te crois grand, qui l'es par l'arrogance, Sors d'un asile saint, de paix et d'innocence ; Fuis ; cesse de troubler, si loin de tes états, Des mortels tes égaux qui ne t'offensent pas. Tu n'es pas prince ici. Quoi ! Nous t'avons en paix reçu dans ma patrie, Ton accueil nous flattait, notre simplicité N'écoutait que les droits de l'hospitalité ; Et tu veux me forcer, dans la même journée De souiller par ta mort un si saint hyménée ! Ah ! c'en est trop... Bientôt je vous suivrai : Allez. - Ô cher objet ! Je te mériterai. **** *creator_voltaire *book_voltaire_scythes *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_scythes *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_ATHAMARE *date_1767 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_athamare Peuple juste, écoutez ; je m'en remets à vous. Le neveu de Cyrus vous fait juge entre nous. Apprenez que dans moi vous voyez un coupable ; Vous voyez dans Somaze un vieillard vénérable Qui soutint autrefois de ses vaillantes mains Le pouvoirs dont Cyrus effraya les humains. Quand Smerdis a régné, ma fougueuse jeunesse, A du brave Somaze affligé a vieillesse. Smerdis l'a dépouillé de ses biens, de son rang. Une sentence inique a poursuivi son sang. Ce prince est chez les morts ; et la première idée Dont après son trépas mon âme est possédée, Est de rendre justice à cet infortuné. Oui, Sozame, à tes pieds les Dieux m'ont amené Pour expier ma faute hélas trop pardonnable ; La suite en fut terrible, inhumaine, exécrable ; Elle accabla mon coeur ; il la faut réparer. Dans tes honneurs passés daigne à la fin rentrer. Je partage avec toi mes trésors, ma puissance ; Ecbatane est du moins sous mon obéissance ; C'est tout ce qui demeure aux enfants de Cyrus ; Tout le reste a subi les lois de Darius. Mais je suis assez grand, si ton coeur me pardonne. Ton amitié, Sozame, ajoute à ma couronne. Approuve mes regrets, mon repentir, mes voeux. L'objet de mes remords est de te rendre heureux. Renonce à tes déserts, et revois ta patrie ; Écoute en ta faveur ton prince qui te prie, Qui met à tes genoux sa faute et ses douleurs, Et qui s'honore encore de les baigner de pleurs. Je demeure immobile. Ô ciel ! Ô destinée ! Ô passion fatale à me perdre obstinée ! Il n'est plus temps, dit-il : il a pu sans pitié Souffrir à ses genoux maître humilié. Ami, quand nous percions cette horde assemblée, J'ai vu près de l'autel une femme voilée, Qu'on a soudain soustraite à mon oeil égaré. Quel est donc cet autel de guirlandes paré ? Quelle était cette fête en ces lieux ordonnée ? Pour qui brûlaient ici les flambeaux d'hyménée ? Ciel ! Quel temps je prenais ! À cet aspect d'horreur Mes remords douloureux se changent en fureur. Grands dieux, s'il était vrai ! Tu t'abuses, ami ; je les connais assez ; J'en ai vu dans nos camps, j'en ai vu dans nos villes, De ces Scythes altiers, à nos ordres dociles, Qui briguaient, en vantant leurs stériles climats L'honneur d'être comptés au rang de nos soldats. Ah ! C'est trop contredire Le dépit qui me ronge, et l'amour qui m'inspire. Ma passion m'emporte, et ne raisonne pas. Si j'eusse été prudent, serais-je en leurs États ! Au bout de l'univers Obéide m'entraîne ; Son esclave échappé lui rapporte sa chaîne, Pour l'enchaîner moi-même au sort qui me poursuit, Pour l'arracher des lieux où sa douleur me fuit, Pour la sauver enfin de l'indigne esclavage Qu'un malheureux vieillard impose à son jeune âge ; Pour mourir à ses pieds d'amour et de fureur, Si ce coeur déchiré ne peut fléchir son coeur. Non - je n'écoute qu'elle. Que j'attende ? Et que de la cruelle Un rival méprisable, à mes yeux possesseur, Insulte mon amour, outrage mon honneur ! Que du bien qu'il m'arrache il soit en paix le maître ! Mais trop tôt, cher ami, je m'alarme peut-être. Son père à ce vil choix pourra-t-il la forcer ? Entre un Scythe et son maître a-t-elle à balancer ? Dans son coeur autrefois j'ai vu trop de noblesse, Pour croire qu'à ce point son orgueil se rabaisse. De ce doute offensant je suis trop irrité. Allons : si mes remords n'ont pu fléchir son père, S'il méprise mes pleurs, - qu'il craigne ma colère. Je sais qu'un prince est homme, et qu'il peut s'égarer. Mais lorsqu'au repentir facile à se livrer, Reconnaissant sa faute et s'oubliant soi-même, Il va jusqu'à flétrir l'honneur du rang suprême, Quand il répare tout, il faut se souvenir Que s'il demande grâce, il la doit obtenir. Quoi ! Je ne puis la voir ! Ô tendresse ! Ô courroux ! Que d'affronts redoublés ! Me contraindre ! Qui ? Moi ! Elle était en danger ? Obéide ! Qui ! Son époux, un Scythe ! Eh ! Qui des miens, hors toi, m'ose jamais parler ? De mes honteux secrets quel autre a pu s'instruire ? Son époux, me dis-tu ? Mon coeur, à ce récit, ouvert de toutes parts, De tant d'impressions sent l'atteinte subite ; Dans ses derniers replis un tel combat s'excite, Que sur aucun parti je ne puis me fixer ; Et je démêle mal ce que je puis penser. Mais d'où vient qu'en ce temple Obéide rendue, En touchant cet autel est tombée éperdue ! Parmi tous ces pasteurs elle aura d'un coup d'oeil Reconnu des Persans le fastueux orgueil. Ma présence à ses yeux a montré tous mes crimes, Mes amours emportés, mes feux illégitimes, À l'affreuse indigence un père abandonné, Par un monarque injuste à la mort condamné, Sa fuite, son séjour en ce pays sauvage, Cette foule de maux qui sont tous mon ouvrage. Elle aura rassemblé ces objets de terreur ; Elle imite son père, et je lui fais horreur. Ah ! Lorsqu'elle m'a vu, si son âme surprise D'une ombre de pitié s'était au moins éprise, Si, lisant dans mon coeur, son coeur eût éprouvé Un tumulte secret faiblement élevé ! - Cher ami, je m'égare, et je me rends justice ; Je fais ce qu'on me doit ; il faut qu'on me haïsse. Qu'ai-je fait, malheureux ! Et quel sera mon sort ? Mon aspect en tout temps lui porta donc la mort ! Mais, dis-tu, dans le mal qui menaçait sa vie, Sa bouche a prononcé le nom de sa patrie ! Ah ! Pour me secourir C'est une arme du moins qu'elle daigne m'offrir. Elle aime sa patrie - elle épouse Indatire ! - Va, l'honneur dangereux où le barbare aspire Lui coûtera bientôt un sanglant repentir. C'est un crime trop grand pour ne le pas punir. Eh bien ! J'y périrai. Qui vois-je donc paraître en ces champs abhorrés ? Que veut le fer en main cette troupe rustique ? Grands dieux ! Vous me voulez conduire en sa présence. Cette fête du moins m'apprend que vos secours Ont dissipé l'orage élevé sur ses jours. Oui, mes yeux la verront. Va, cours, obtiens, si tu le peux, De ce père implacable un pardon généreux. - Des chaumes ! Des roseaux ! Voilà donc sa retraite ! Ah ! Peut-être elle y vit tranquille et satisfaite. Et moi... Non, demeurez, ne vous détournez pas. De vos regards du moins honorez mon trépas. Qu'à vos genoux tremblants un malheureux périsse ! Écoute un seul moment. Tu sais que mes forfaits, que tes calamités, Ta malheureuse fuite en ces bord écartés, Tout fut fait par l'amour. Cet amour qui t'offense, Alla dans ses excès jusqu'à la violence. Par un autre hyménée enchaîné malgré moi, Je ne pouvais t'offrir un rang digne de toi. J'outrageais ta vertu, quand j'adorais tes charmes. J'ai payé ce moment de quatre ans de mes larmes. Le malheurs inouïs sur ta tête amassés, Je les ai tous sentis, et tu m'en crois assez : Mon abord en ces lieux le fait assez connaître. Le ciel de tous côtés m'a fait enfin mon maître ; Smerdis et mon épouse en un même tombeau De mon fatal hymen ont éteint le flambeau. Ectabane est à moi. - Non, pardonne, Obéïde, Esctabane est à toi ; L'Euphrate, la Perside, Et la superbe Épypte, et les bords Indiens, Seraient tous à tes pieds s'ils pouvaient être aux miens. Mais mon trône, et ma vie, et toute la nature Sont d'un trop faible prix pour payer ton injure. Ton grand coeur, Obéide, ainsi que ta beauté, Est au-dessus d'un rang dont il n'est point flatté ; Que la pitié du moins le désarme et le touche. Les climats où tu vis l'ont-ils rendu farouche ? Ô coeur né pour aimer, ne peux-tu que haïr ? Image de nos dieux, ne sais-tu que punir ? Ils savent pardonner. Va, ta bonté doit plaindre Ton criminel amant que tu vois sans le craindre. Un Scythe ! Un vil mortel ! Non, c'est pousser trop loin ta haine et ton outrage. Non, les Dieux ont brisé cet infâme esclavage. Eux-mêmes ils t'ont ravi l'usage de tes sens, Lorsque tu prononçais tes malheureux serments, Qui sans doute offensaient leur majesté suprême, Et l'honneur de ta race aussi bien que moi-même : Et je jure à ces Dieux de ton honneur jaloux Qu'Indatire jamais ne sera ton époux. Ah ! Cruelle !... Je t'en viens arracher. Tes mains n'ont point encore Formé l'indigne noeud dont un Scythe s'honore. Il ne reçoit pas ; C'est pour l'anéantir qu'il a guidé mes pas. Elle était de t'aimer. Obéide à la haine a consacré ses jours ! Je t'en viens arracher. Tes mains n'ont point encore Formé l'indigne noeud dont un Scythe s'honore. Il ne le reçoit pas. C'est pour l'anéantir qu'il a guidé mes pas. Obtiendrais-tu d'un père Qu'il laissât libre au moins une fille si chère, Que son coeur envers moi ne fût point endurci, Et qu'il cessât enfin de s'exiler ici ? Dis-lui... Elle l'est dans la haine ; et lui seul est coupable. Je ne puis. Non, tous deux à l'envi donnez-moi le trépas. Juge de mon amour ; il me force au respect. J'obéis. - Allons voir quel sang je dois répandre. Penses-tu qu'Indatire osera me parler ? Qu'il vienne : - Il doit trembler. Je m'abaisse, il est vrai ; mais je veux tout tenter. Je descendrais plus bas pour la mieux mériter. Ma honte est de la perdre ; et ma gloire éternelle Serait de m'avilir pour m'élever vers elle. Penses-tu qu'Indatire en sa grossièreté Ait senti comme moi le prix, de sa beauté ? Un Scythe aveuglément suit l'instinct qui le guide ; Ainsi qu'une autre femme il épouse Obéide. L'amour, la jalousie, et ses emportements, N'ont point dans ces climats apporté leurs tourments ; De ces vils citoyens l'insensible rudesse, En connaissant l'hymen, ignore la tendresse. Tous ces grossiers humains sont indignes d'aimer. Je le défendrai donc, je saurai le garder. Que puis-je hasarder ? Ma vie ? elle n'est rien sans l'objet qu'on m'arrache Mon nom ? quoi qu'il arrive, il restera sans tache ; Mes amis ? ils ont trop de courage et d'honneur Pour ne pas immoler sous le glaive vengeur Ces agrestes guerriers dont l'audace indiscrète Pourrait inquiéter leur marche et leur retraite. Ils vaincront avec moi... Qui tourne ici ses pas ? Allez : que loin de moi ma garde se retire ; Qu'aucun n'ose approcher sans mes ordres exprès ; Mais qu'on soit prêt à tout. Habitant des forêts, Sais-tu bien devant qui ton sort te fait paraître ? Il est vrai, j'ai sous moi des troupes invincibles : Le dernier des Persans, de ma solde honoré, Est plus riche, et plus grand, et plus considéré, Que tu ne saurais l'être aux lieux de ta naissance, Où le ciel vous fit tous égaux par l'indigence. Ton coeur ne connaît point les voeux intéressés ; Mais la gloire, Indatire ? Elle habite à ma cour, à l'abri de mes armes : On ne la trouve point dans le fond des déserts ; Tu l'obtiens près de moi, tu l'as, si tu me sers. Elle est sous mes drapeaux ; viens avec moi t'y rendre. Va, l'honneur de servir un maître généreux, Qui met un digne prix aux exploits belliqueux, Vaut mieux que de ramper dans une république, Ingrate en tous les temps, et souvent tyrannique. Tu peux prétendre à tout en marchant sous ma loi : J'ai parmi mes guerriers des Scythes comme toi. Élève ta patrie, et cherche à la vanter ; C'est le recours du faible, on peut le supporter. Ma fierté, que permet la grandeur souveraine Ne daigne pas ici lutter contre la tienne. - Te crois-tu juste au moins ? Rends-moi donc le trésor que tu viens de m'ôter ? Rends à son maître une de ses sujettes Qu'un indigne destin traîna dans ces retraites ; Un bien dont nul mortel ne pourra me priver, Et que sans injustice on ne peut m'enlever. Rends sur l'heure Obéide. Il en est un plus grand, celui que mon courage À l'univers entier oserait disputer, Que tout autre qu'un roi ne saurait mériter, Dont tu n'auras jamais qu'une imparfaite idée, Et dont avec fureur mon âme est possédée ; Son amour : c'est le bien qui doit m'appartenir ; À moi seul était dû l'honneur de la servir. Oui, je descends enfin jusqu'à daigner te dire Que de ce coeur altier je lui soumis l'empire, Avant que les destins eussent pu t'accorder L'heureuse liberté d'oser la regarder. Ce trésor est à moi, barbare, il faut le rendre. Ce sacré caractère M'accompagne en tous lieux sans m'être nécessaire. Je suis homme, on m'outrage, et ce fer me suffit Pour remettre en mes mains le bien qu'on me ravit. Cède Obéide, ou meurs, ou m'arrache la vie. Meurs, te dis-je, ou me tue : - On vient, retire-toi, Et si tu n'es un lâche... Suis-moi, Je te fais cet honneur. Aux armes ! Aux armes, compagnons, suivez-moi, paraissez ! C'en est fait. Obéissez, De sa retraite indigne enlevez Obéide ; Courez, dis-je, volez : que ma garde intrépide, (Si quelque audacieux tentait de vains efforts) Se fasse un chemin prompt dans la foule des morts. - C'est toi qui l'as voulu, Sozame inexorable. Indatire ? Ton fils ? Il m'en coûte D'affliger ta vieillesse et de percer ton coeur ; Ton fils eût mérité de servir ma valeur. Mais il a dû tomber sous la main qui l'immole. Vieillard, ton fils n'est plus. Que ton coeur se console. Il est mort en brave homme. Toi, père d'Obéide, Auteur de tous mes maux, dont l'âpreté rigide, Dont le coeur inflexible à ce coup m'a forcé, Que je chéris encor quand tu m'as offensé, Il faut dans ce moment la conduire et me suivre. En ces lieux il t'est honteux de vivre : Attends mon ordre. Chère Obéide ! Prends ce fer, ne crains rien : que ton bras homicide Frappe un coeur à toi seule en tout temps réservé, On y verra ton nom c'est là qu'il est gravé. De tous mes compagnons tu conserves la vie ; Tu me donnes la mort ; c'est toute mon envie. Grâces aux immortels, tous mes voeux sont remplis ; Je meurs pour Obéide, et meurs pour mon pays. Rassure cette main qui tremble à mon approche ; Ne crains, en m'immolant que le juste reproche Que les Scythes feraient à ta timidité, S'ils voyaient ce que j'aime agir sans fermeté, Si ta main, si tes yeux, si ton coeur qui s'égare, S'effrayaient un moment en frappant Athamare. Je meurs heureux. La force m'abandonne, Mais il m'en reste assez pour me rejoindre à toi, Chère Obéide ! **** *creator_voltaire *book_voltaire_scythes *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_scythes *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_SOZAME *date_1767 *sexe_masculin *age_veteran *statut_exterieur *fonction_autres *role_sozame J'en verse de tendresse ; et si dans mes malheurs Cette heureuse alliance, où mon bonheur se fonde, Guérit d'un coeur flétri la blessure profonde, La cicatrice en reste ; et les biens les plus chers Rappellent quelquefois les maux qu'on a soufferts. Ô mon fils ! Ô mon cher Indatire ! Ma fille est, je le sais, soumise à mon empire ; Elle est l'unique bien que les dieux m'ont laissé. J'ai voulu cet hymen, je l'ai déjà pressé ; Je ne la gêne point sous la loi paternelle ; Son choix ou son refus, tout doit dépendre d'elle. Que ton père aujourd'hui pour former ce lien, Traite son digne sang comme je fais le mien ; Et que la liberté de ta sage contrée Préside à l'union que j'ai tant désirée. Avec ce digne ami laisse-moi m'expliquer : Va, ma bouche jamais ne pourra révoquer L'arrêt qu'en ta faveur aura porté ma fille. Va, cher et noble espoir de ma triste famille ; Mon fils, obtiens ses voeux ; je te réponds des miens. Ami, reposons-nous sur ce siège sauvage, Sous ce dais qu'ont formé la mousse et le feuillage, La nature nous l'offre ; et je hais dès longtemps Ceux que l'art a tissus dans les palais des grands. Il est vrai. Si je t'ai tant caché Mes honneurs, mes chagrins, ma chute, ma misère, La source de mes maux ; pardonne au coeur d'un père. J'ai tout perdu ; ma fille est ici sans appui ; Et j'ai craint que le crime, et la honte d'autrui Ne rejaillît sur elle et ne flétrît sa gloire. Apprends d'elle et de moi la malheureuse histoire. Apprends que sous Cyrus Je portais la terreur aux peuples éperdus. Ivre de cette gloire à qui l'on sacrifie, ⁎⁎⁎⁎⁎ Ce fut moi dont la main subjugua l'Hircanie, Pays libre autrefois. Ah ! Crois-moi ; tous ces lauriers affreux, Les exploits des tyrans, des peuples les misères, Ces États dévastés par des mains mercenaires, Ces honneurs, cet éclat par le meurtre achetés, Dans le fond de mon coeur je les ai détestés. Enfin, Cyrus sur moi répandant ses largesses, M'orna de dignités, me combla de richesses. À ses conseils secrets je fus associé. Mon protecteur mourut ; et je fus oublié. J'abandonnai Cambyse, illustre téméraire, Indigne successeur de son auguste père. Ecbatane, du Mède autrefois le séjour, Cacha mes cheveux blancs à sa nouvelle Cour. Mais son frère Smerdis gouvernant la Médie, Smerdis, de la vertu persécuteur impie, De mes jours honorés empoisonna la fin. Un enfant de sa soeur, un jeune homme sans frein, Généreux, il est vrai, vaillant, peut-être aimable, Mais dans ses passions caractère indomptable, Méprisant son épouse en possédant son coeur, Pour la jeune Obéide épris avec fureur, Prétendit m'arracher, en maître despotique, Ce soutien de mon âge et mon espoir unique. Athamare est son nom ; sa criminelle ardeur M'entraînait au tombeau couvert de déshonneur. J'osai l'en menacer. Ma fille eut le courage De me forcer à fuir les transports violents D'un esprit indomptable en ses emportements. De sa mère, en ce temps, les Dieux l'avaient privée. Par moi seul à ce Prince elle fut enlevée. Les dignes courtisans de l'infâme Smerdis, Monstres, par ma retraite à parler enhardis, Employèrent bientôt leurs armes ordinaires, Le grand art de tromper en paraissant sincères ; Ils feignaient de me plaindre en osant m'accuser, Et me cachaient la main qui savait m'écraser. C'est un crime en Médie, ainsi qu'à Babylone, D'oser parler en homme à l'héritier du trône... Le premier de l'État, quand il a pu déplaire, S'il est persécuté, doit souffrir et se taire. Ce souvenir honteux soulève encor mon coeur. Ami, tout ce que peut l'adroite calomnie, Pour m'arracher l'honneur, la fortune, et la vie, Tout fut tenté par eux, et tout leur réussit. Smerdis proscrit ma tête ; on partage, on ravit Mes emplois et mes biens le prix de mon service. Ma fille en fait sans peine un noble sacrifice, Ne voit plus que son père, et subissant son sort Accompagne ma fuite et s'expose à la mort. Nous partons, nous marchons de montagne en abîme, Du Taurus escarpé nous franchissons la cime. Bientôt dans vos forêts, grâce au ciel, parvenu, J'y trouvai le repos qui m'était inconnu. J'y voudrais être né. Tout mon regret, mon frère, Est d'avoir parcouru ma fatale carrière Dans les camps, dans les Cours, à la suite des Rois, Loin des seuls citoyens gouvernés par les lois. Mais je sens que ma fille aux déserts enterrée, Du faste des grandeurs autrefois entourée, Dans le secret du coeur pourrait entretenir De ses honneurs passés l'importun souvenir. J'ai peur que la raison, l'amitié filiale Combattent faiblement l'illusion fatale Dont le charme trompeur a fasciné toujours Des yeux accoutumés à la pompe des Cours. Voilà ce qui tantôt rappelant mes alarmes, À rouvert un moment la source de mes larmes. Je mourrais trop content si ma chère Obéide Haïssait comme moi cette Cour si perfide. Mais j'exige de toi que ta tendre amitié Me garde le secret que je t'ai confié. Ne révèle jamais mes grandeurs éclipsées, Ni mes soupçons présents, ni mes douleurs passées : Cache-les à ton fils ; et que de ses amours Mes chagrins inquiets n'altèrent point le cours. Nous l'approuvons tous deux. Notre bonheur, mon fils, est de te voir heureux. Cher ami, ce grand jour renouvelle ma vie, Il me fait citoyen de ta noble patrie. Oubliant tous les Rois dans ces heureux climats, Je suis oublié d'eux, et je ne les crains pas. De la main de ton père accepte ton époux. Scythes, demeurez tous... Voici donc de mes jours Le jour le plus étrange et le plus effroyable. Athamare, est-ce toi ? Quel sort impitoyable T'a conduit dans ces lieux de retraite et de paix ? Tu dois être content des maux que tu m'as faits. Ton indigne monarque avait proscrit ma tête ; Viens-tu la demander ? Malheureux, elle est prête ; Mais tremble pour la tienne. Apprends que tu te vois Chez un peuple équitable et redouté des rois. Je demeure étonné de l'audace inouïe Qui t'amène si loin pour hasarder ta vie. Tu ne me séduis point, malheureux Athamare. Si le repentir seul avait pu t'amener. Malgré tous mes affronts je saurais pardonner. Tu sais quel est mon coeur ; il n'est point inflexible. Mais je lis dans le tien ; je le connais sensible. Je vois trop les chagrins dont il est désolé : Et ce n'est pas pour moi que tes pleurs ont coulé. Il n'est plus temps ; adieu. Les champs de la Scythie Me verront achever ma languissante vie. Retourne en tes états où tu devais rester ; Abandonne un objet qui te les fit quitter. Tu m'entends, il suffit. Va, pars, et rends-moi grâce De ne pas révéler ton imprudence audace. Ami, courons chercher et ma fille et ton fils. Dieux ! Athamare encore !- et tu viens de l'entendre Ce fatal ennemi nous poursuivra toujours ! Il vient flétrir ici les derniers de mes jours. De ses faibles états dont il est maître à peine, De notre obscur asile on voit ce qui l'amène. Je reconnais en lui cet espoir indompté Que ni frein, ni raison n'ont jamais arrêté. Qu'il ne se flatte pas que le déclin de l'âge Rende un père insensible à ce nouvel outrage. Indatire est à toi. Ton suffrage, Dépendant de toi seule, a reçu son hommage. Sais-tu ce qu'Athamare à ma honte propose Par un de ces Persans dont son pouvoir dispose ? De violer ma foi, De briser tes liens, de le suivre avec toi, D'arracher ma vieillesse à ma retraite obscure, De mendier chez lui le prix de ton parjure, D'acheter par la honte une ombre de grandeur. Avec horreur. Ma fille, au repentir il n'est aucune voie. Triomphant dans nos jeux, plein d'amour et de joie, Indatire, en tes bras, par son père conduit, De l'amour le plus pur attend le digne fruit : Rien n'en doit altérer l'innocente allégresse. Les Scythes sont humains, et simples sans bassesse ; Mais leurs naïves moeurs ont de la dureté ; On ne les trompe point avec impunité : Et surtout, de leurs lois vengeurs impitoyables, Ils n'ont jamais, ma fille, épargné des coupables. Pardonne à ma tendresse un reste de frayeur. Triste et commun effet de l'âge et du malheur ? Je tremble seulement que ton coeur ne gémisse. Ô de ms derniers ans tendre consolatrice, Va, ton père est bien loin e te rien reprocher. Ton époux fut ton choix, et sans doute il t'est cher. Je vrais trouver son père, et préparer la fête. Rien ne troublera plus ton bonheur qui s'apprête. Pourquoi ne pas nous suivre ? Il diffère... Que ! en serait l'objet ? Tu me fais frissonner : - avançons ; Athamare Est capable de tout. Ranime ta vertu, dissipe tes alarmes. Ô ciel ! J'ai fait ce que j'ai dû. Moi ! Ma fille ! Tous mes malheurs et d'effroi ! Tous mes malheurs, ami, sont retombés sur toi. - Il m'entend - il me voit - Il revient - il soupire - Hermodan ! Trois amis y seront. La même sépulture. Contiendra notre cendre ; oui, ma bouche le jure. Athamare après tout, violent, emporté, A d'un coeur généreux la magnanimité. Il ne m'enviera pas cette grâce dernière. - Allons, j'entends au loin la trompette guerrière, Les tambours, les clairons, les cris des combattants. Ô ma fille, est-ce vous ? Que faisons nous ici ? Armons-nous, de notre âge oublions la faiblesse. Si les sens épuisés manquent à la vieillesse, Le courage demeure, et c'est dans un combat Qu'un vieillard comme moi doit tomber en soldat. Je l'avais prévu. - Puissances souveraines, Princes audacieux, quel exemple pour vous ! Ô comble de douleur et de nouveaux ennuis ! Dans quel abîme affreux hélas ! T'ai-je conduite ! Viens; je t'expliquerai ce mystère odieux. Je frémis comme toi, je ne puis m'en défendre. Ma fille - il faut parler - voici le même autel Que le soleil naissant vit dans cette journée, Orné de fleurs par moi pour ton saint hyménée, Et voit d'un crêpe affreux couvert à son couchant. Où sommes nous réduits ! Ah ! Grands dieux ! Il fut un temps peut-être Où le plaisir affreux de me venger d'un maître Dans le coeur d'Athamare aurait conduit ta main, De son monarque ingrat, j'aurais percé le sein, Il le méritait trop. Ma vengeance lassée Contre les malheureux ne peut être exercée, Tous mes ressentiments sont changés en regrets. Mes yeux t'ont vu pleurer sur le sang d'Indatire ; Mais je pleure sur toi dans ce moment cruel. J'abhorre tes serments. J'y veux mourir. On en parle déjà ; les esprits les plus sages Voudraient de leur patrie écarter ces orages. Je l'obtiendrai, ma fille, et j'ose t'en répondre ; Mais ce traité sanglant ne sert qu'à nous confondre. De quoi t'auront servi ta prière et mes soins ? Athamare à l'autel en périra-t-il moins ? Les Persans ne viendront que pour venger sa cendre, Ce sang de tant de rois que ta main va répandre, Ce sang que j'ai haï, mais que j'ai révéré, Qui coupable envers nous n'en est pas moins sacré. Ma fille ! Tu me glaces d'horreur. Ils ne présagent rien qui ne soit odieux : Tout est horrible ici. Ma faible voix encore Tentera d'écarter ce que mon coeur abhorre. Mais après tant de maux mon courage est vaincu. Quoi qu'il puisse arriver, ton père a trop vécu. Ma fille, hélas ! du moins nos Persans assiégés Des pièges de la mort seront tous dégagés. Ah, ma fille !... Ô mon sang ! Dieux ! De tous mes tourments tranchez l'horrible cours ; Tu dois vivre, Athamare, et j'ai payé tes jours. Auteur infortuné des maux de ma famille, Ensevelis du moins le père avec la fille, Va, règne, malheureux ! **** *creator_voltaire *book_voltaire_scythes *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_scythes *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_OBEIDE *date_1767 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_obeide Oui, j'aurai le courage D'ensevelir mes jours en ce désert sauvage. On ne me verra point, lasse d'un long effort, D'un père inébranlable attendre ici la mort, Pour aller dans les murs de l'ingrate Ecbatane Essayer d'adoucir la loi qui le condamne, Pour aller recueillir des débris dispersés Que tant d'avides mains ont en foule amassés. Quand sa fuite en ces lieux fut par lui méditée, Ma jeunesse peut-être en fut épouvantée, Mais j'eus honte bientôt de ce secret retour, Qui rappelait mon coeur à mon premier séjour. J'ai sans doute à ce coeur fait trop de violence Pour démentir jamais tant de persévérance. Je me suis fait enfin dans ces grossiers climats Un esprit et des moeurs que je n'espérais pas. Ce n'est plus Obéide à la Cour adorée, D'esclaves couronnés à toute heure entourée ; Tous ces grands de la Perse à ma porte rampants Ne viennent plus flatter l'orgueil de mes beaux ans. D'un peuple industrieux les talents mercenaires De mon goût dédaigneux ne sont plus tributaires. J'ai pris un nouvel être ; et s'il m'en a coûté Pour subir le travail avec la pauvreté, La gloire de me vaincre et d'imiter mon père, En m'en donnant la force est mon noble salaire. Si la Perse a pour toi des charmes si puissants, je te contrains pas, quitte moi, j'y consens ; J'en gémirai Sulma : dans mon palais nourrie, Tu fus en tous les temps le soutien de ma vie ; Mais je serais barbare en t'osant proposer De supporter un joug qui commence à peser. Dans les lâches parents qui m'ont abandonnée Tu trouveras peut-être une âme assez bien née, Compatissante assez pour acquitter vers toi Ce que le sort m'enlève, et ce que je te dois. D'une pitié bien juste elle sera frappée, En voyant de mes pleurs une lettre trempée. Pars, ma chère Sulma ; revois, si tu le veux, La superbe Ecbatane et ses peuples heureux. Laisse dans ces déserts ta fidèle Obéide. Après mon infortune, après l'indigne outrage Qu'a fait à ma famille, à mon âge, à mon nom, De l'immortel Cyrus un fatal rejeton ; Après la honte enfin, qu'une telle insolence Fait toujours rejaillir sur la faible innocence, Morte pour mon pays, et cachée en ces lieux, Tous les humains, Sulma, sont égaux à mes yeux ; Tout m'est indifférent ! Hélas ! Veux-tu m'ôter, en croyant m'éblouir, Ce malheureux repos dont je cherche à jouir ! Cesse de m'affliger. Mon père veut un gendre ; Il ne l'ordonne point, mais je sais trop l'entendre. Le fils de son ami doit être préféré. Tu vois l'autel sacré. Que préparent déjà mes compagnes heureuses, Ignorant de l'hymen les chaînes dangereuses, Tranquilles, sans regrets, sans cruel souvenir. Je connais tes vertus, j'estime ta valeur, Et de ton coeur ouvert la naïve candeur ; Je te l'ai déjà dit, je l'ai dit à mon père ; Et son choix et le mien doivent te satisfaire. Ce n'est point ton malheur, c'est le mien... - Ma mémoire Ne me retrace plus cette trompeuse gloire. Je l'oublie à jamais. Va, je crois que des Cieux le grand et juste maître Préfère ce saint culte, et cet autel champêtre, À nos temples fameux que l'orgueil a bâtis. Les Dieux qu'on y fait d'or y sont bien mal servis. Les Persans ! - Que dis-tu ? - Les Persans ! Ah ! Ma chère Sulma ! Allons, - je l'ai voulu. Je me soumets, grands Dieux, à vos augustes lois ; Je jure d'être à lui. - Ciel ! Qu'est-ce que je vois ! Je meurs, qu'on m'emporte. Ah ! Sulma, qu'en tes bras mon désespoir finisse ! C'en est trop. - Laisse-moi, fatal persécuteur ; Va, c'est toi qui reviens pour m'arracher le coeur. Et le dois-je, barbare ? Dans l'état où je suis que peut dire Athamare ? Que m'as-tu dit, cruel ? Et pourquoi de si loin Viens-tu de me troubler prendre le triste soin, Tenter dans ces forêts ma misère tranquille, Et chercher un pardon - qui serait inutile ? Quand tu m'osas aimer pour la première fois, Ton roi d'un autre hymen t'avait prescrit les lois. Sans un crime à mon coeur tu ne pouvais prétendre ; Sans un crime plus grand je ne saurais t'entendre. Ne fais point sur mes sens d'inutiles efforts : Je me vois aujourd'hui ce que tu fus alors. Sous la loi de l'hymen Obéide respire ; Prends pitié de mon sort, - et respecte Indatire. Pourquoi méprises-tu Un homme, un citoyen - qui te passe en vertu ? Tu ne saurais changer a loi de sa contrée : Elle seule y commande, elle est toujours sacrée. C'en est fait, - pour jamais le joug est imposé, Par aucune puissance il ne sera brisé. Il est d'autant plus saint, d'autant plus redoutable, Que mon père en tout temps à mes voeux favorables, Du pouvoir paternel oubliant tous les droits, En m'offrant un époux n'a point forcé mon choix. Arrachée au reste de la terre, J'étais morte pour toi, je vivais pour mon père. Ses malheurs, ses vieux ans avaient besoin d'appui, Il en demandait un, je le donne aujourd'hui. Mes jours étaient affreux. Si l'hymen en dispose. Si tout finit pou moi, toi seul en es la cause. Toi seul m'as condamné à vivre en ces déserts. Laisse moi dans mes fers ; Je me les suis donnés. J'ai fait serment au ciel. Ah ! - c'est pour mon malheur. - Périsse la mémoire De mes malheurs passés, de tes cruels amours ! Mes jours étaient affreux ; si l'hymen en dispose, Si tout fiait pour moi, toi seul en es la cause ; Toi seul as préparé ma mort dans ces déserts.4 Rien ne rompra mes fers ; Je me les suis donnés. J'ai fait serment au ciel. Ah ! - c'est pour mon malheur. - N'y compte pas. Le choix que j'ai dû faire Devenait un parti conforme à ma misère : Il est fait ; mon honneur ne peut le démentir, Et Sozame jamais n'y pourrait consentir : Sa vertu t'est connue ; elle est inébranlable. Tu ne le fus que trop ; tu l'es de me revoir, De m'aimer, d'attendrir un coeur au désespoir. Destructeur malheureux d'une triste famille, Laisse pleurer en paix et le père et la fille. Il vient ; sors. Sors ; ne l'irrite pas. Au nom de mes malheurs et de l'amour funeste Qui des jours d'Obéide empoisonne le reste, Fuis ; ne l'outrage plus par ton fatal aspect. Mon père - il vous respecte - il ne me verra plus : Pour jamais à le fuir mes voeux sont résolus. Je le sais. J'ai cru vous plaire au moins ; - j'ai cru que sans fierté Le fils de votre ami devait être accepté. Qu'a-t-il pu demander ? Comment recevez-vous cette offre ? Seigneur, vous vous borniez à me persuader ; Pour la première fois pourquoi m'intimider ? Vous savez si, du sort bravant les injustices, J'ai fait depuis quatre ans d'assez grands sacrifices ; S'il en fallait encor, je les ferais pour vous. Je ne craindrai jamais mon père ou mon époux. Je vois tout mon devoir - ainsi que ma misère. Allez, - Vous n'avez point de reproche à me faire. Ah dieux ! Mon destin l'a voulu - j'ai tout sacrifié. Malheureuse ! - Jamais je ne l'ai tant chérie. Hélas ! Tu n'y découvrirais que d'horribles combats ; Il craindrait trop ta vue et ta plainte importune. Il est des maux, Sulma, que nous fait la fortune ; Il en est de plus grands dont le poison cruel, Préparé par nos mains, porte un coup plus mortel.1 Mais lorsque dans l'exil, à mon âge, on rassemble, Après un sort si beau, tant de malheurs ensemble, Lorsque tous leurs assauts viennent se réunir, Un coeur, un faible coeur les peut-il soutenir ? Ah ! Fatal Athamare ! Quel démon t'a conduit dans ce séjour barbare ? Que t'a fait Obéide ? Et pourquoi découvrir Ce trait longtemps caché qui me faisait mourir ? Pourquoi, renouvelant ma honte et ton injure. De tes funestes mains déchirer ma blessure ? Non. Non, ce parti serait injuste et dangereux ; Il coûterait du sang ; le succès est douteux ; Mon père expirerait de douleur et de rage. - Enfin l'hymen est fait : - je suis dans l'esclavage. L'habitude à souffrir pourra fortifier Mon courage éperdu qui craignait de plier. Celui du désespoir. - Mon devoir. L'honneur de le remplir, le secret témoignage Que la vertu se rend, qui soutient le courage, Qui seul en est le prix, et que j'ai dans mon coeur. Me tiendra lieu de tout, et même du bonheur. Je tombe à vos genoux. Dans l'horreur du combat avec peine échappée À la pointe des dards, au tranchant de l'épée, Aux sanguinaires mains de mes fiers ravisseurs, Je viens de ces moments augmenter les horreurs. Ton fils vient d'expirer, j'en suis la cause unique. De mes calamités l'artisan tyrannique Nous a tous immolés à ses transports jaloux ; Mon malheureux amant a tué mon époux, Sous mes yeux, à ma porte, et dans la place même Où, pour le triste objet qu'il outrage et qu'il aime, Pour d'indignes appas, toujours persécutés, Des flots de sang humain coulent de tous cotés. On s'acharne, on combat sur le corps d'Indatire, Ou se dispute encor ses membres qu'on déchire. Les Scythes, les Persans, l'un par l'autre égorgés, Sont vainqueurs et vaincus, et tous meurent vengés. Où voulez-vous aller, et sans force et sans armes ? On aurait peu d'égards à votre âge, à vos larmes. J'ignore du combat quel sera le destin ; Mais je mets sans trembler mon sort en votre main. Si le Scythe sur moi veut assouvir sa rage, Il le peut, je l'attends, je demeure en otage. Lui ! Ciel !... Quelles sont ces lois ? - Mais enfin, les Persans ne sont pas tous détruits. On verrait Ecbatane en secourant son maître, Du poids de sa grandeur vous accabler peut-être. Mon père !... Où suis-je ! Qu'a-t-il dit ! Où me vois-réduite ! Je n'ose le prévoir : - je détourne les yeux. Ah ! Laissez-moi mourir, Seigneur, sans vous entendre. Vous vous taisez tous deux : craignez-vous de me dire Ce qu'à mes sens glaces votre loi doit prescrire ? Quel est cet appareil terrible et solennel ? Un vertueux penchant, Mon amitié pour toi, mon respect pour Sozame, Et mon devoir surtout, souverain de mon âme, M'ont rendu cher ton fils : - mon sort suivait son sort J'honore sa mémoire, et j'ai pleuré sa mort. Moi ! - Je dois vous venger ! Ah ! Mon père !... Peuple, écoutez ma voix. - Je pourrais ajouter, sans offenser vos lois, Que je naquis en Perse, et que ces lois sévères Sont faites pour vous seuls, et me sont étrangères. Qu'Athamare est trop grand pour être un assassin. Et que si mon époux est tombé sous sa main, Son rival opposa sans aucun avantage Le glaive seul au glaive, et l'audace au courage ; Que de deux combattants d'une égale valeur L'un tue et l'autre expire avec le même honneur. Peuples qui connaissez le prix de la vaillance, Vous aimez la justice ainsi que la vengeance : Commandez, mais jugez ; voyez si c'est à moi D'immoler un guerrier qui dut être mon Roi. Et si hais vos moeurs, et si je vous refuse ! - Je l'accepte. Je le jure, cruels. Je le jure, Hermodan. Tu demandes vengeance, Sois-en sûr, tu l'auras : - mais que de ma présence On ait soin de tenir le captif écarté, Jusqu'au moment fatal par mon ordre arrêté. Qu'on me laisse en ces lieux m'expliquer à mon père ; Et vous verrez après ce qui vous reste à faire. À ces autels sanglants Je vous rappellerai quand il en sera temps. Eh bien, qu'ordonnez-vous ? Avez-vous bien connu mes sentiments secrets ? Dans le fond de mon coeur avez-vous daigné lire ? Vous voyez cet autel, Ce glaive dont ma main doit frapper Athamare ; Vous savez quels tourments un refus lui prépare. Après ce coup terrible, - et qu'il me faut porter, Parlez : - sur son tombeau voulez-vous habiter ? Vivez, ayez-en le courage. Les Persans, croyez-moi, vengeront leur outrage. Les enfants d'Ecbatane, en ces lieux détestés Descendront du Taurus à pas précipités. Les grossiers habitants de ces climats horribles Sont cruels, il est vrai, mais non pas invincibles. À ces tigres armés voulez-vous annoncer Qu'au fond de leur repaire on pourrait les forcer ? Achevez donc, Seigneur, de les persuader. Qu'ils méritent le sang qu'ils osent demander. Et tandis que ce sang de l'offrande immolée Baignera sous vos yeux leur féroce assemblée, Que tous nos citoyens soient mis en liberté, Et repassent les monts sur la foi d'un traité. Il l'est : - Mais je suis Scythe, - et le fus pour vous plaire : Le climat quelquefois change le caractère. C'est assez, Seigneur, j'ai tout prévu. J'ai pesé mes destins ; et tout est résolu. Une invincible loi me tient sous son empire. La victime est promise au père d'Indatire ; Je tiendrai ma parole : - allez, il vous attend. Qu'il me garde la sienne ; - il sera trop content. Allez, je la partage. Seigneur, le temps est cher, achevez votre ouvrage ; Laissez-moi m'affermir ; mais surtout obtenez Un traité nécessaire à ces infortunés. Vous prétendez qu'au moins ce peuple impitoyable Sait garder une foi toujours inviolable. Je vous en crois : - le reste est dans la main des Dieux. Ah ! C'est trop étouffer la fureur qui m'agite. Tant de ménagement me déchire et m'irrite ; Mon malheur vint toujours de me trop captiver Sous d'inhumaines lois que j'aurais dû braver. Je mis un trop haut prix à l'estime, au reproche ; Je fus esclave assez : - ma liberté s'approche. Enfin je te revois. Tu verras un spectacle encor plus effroyable. Moi ! Complaire à ce peuple, aux monstres de Scythie, À ces brutes humains pétris de barbarie, À ces âmes de fer, et dont la dureté Passa longtemps chez nous pour noble fermeté, Dont on chérit de loin l'égalité paisible, Et chez qui je ne vois qu'un orgueil inflexible, Une atrocité morne, et qui, sans s'émouvoir, Croit dans le sang humain se baigner par devoir. - J'ai fui pour ces ingrats la Cour la plus auguste, Un peuple doux, poli, quelquefois trop injuste, Mais généreux, sensible, et si prompt à sortir De ses iniquités par un beau repentir ! Qui ? Moi ! Complaire au Scythe ! - Ô nations ! Ô terre ! Ô rois, qu'il outragea ! Dieux maîtres du tonnerre ! Dieux témoins de l'horreur où l'on m'ose entraîner, Unissez-vous à moi, mais pour l'exterminer ! Puisse leur liberté, préparant leur ruine, Allumant la discorde et la guerre intestine, Acharnant les époux, les pères, les enfants, L'un sur l'autre entassés, l'un par l'autre expirants, Sous des monceaux de morts avec eux disparaître ! Que le reste en tremblant rugisse aux pieds d'un maître. Que rampant dans la poudre au bord de leur cercueil, Pour être mieux punis ils gardent leur orgueil ; Et qu'en mordant le frein du plus lâche esclavage, Ils vivent dans l'opprobre, et meurent dans la rage ! - Où vais-je m'emporter ! Vains regrets ! Vains éclats ! Les imprécations ne nous secourent pas. C'est moi qui suis esclave, et qui suis asservie Aux plus durs des tyrans abhorrés dans l'Asie. Si j'avais refusé ce ministère horrible, Athamare expirait d'une mort plus terrible. Il m'a parlé toujours ; et s'il faut aujourd'hui Exposer à tes yeux l'effroyable étendue, La hauteur de l'abîme où je suis descendue, J'adorais Athamare avant de le revoir. Il ne vient que pour moi, plein d'amour et d'espoir ; Pour prix d'un seul regard il m'offre un diadème ; Il met tout à mes pieds : et tandis que moi-même J'aurais voulu, Sulma, mettre le monde aux siens ; Quand l'excès de ses feux n'égale pas les miens, Lorsque je l'idolâtre, il faudra qu'Obéide Plonge au sein d'Athamare un couteau parricide ! Non, ils la porteraient dans ce coeur adoré, Ils l'y tiendraient sanglante, et du glaive sacré Il tourneraient l'acier enfoncé dans ses veines. Telles sont leurs âmes inhumaines ; Tel est l'homme sauvage à lui-même laissé ; Il est simple, il est bon, s'il n'est point offensé. Sa vengeance est sans borne. Il fait beaucoup pour moi. J'ose même espérer, Des douleurs dont j'ai vu son coeur se déchirer, Que ses pleurs obtiendront de ce Sénat agreste Des adoucissements à leur arrêt funeste. Sulma !... - Il faut qu'il s'accomplisse. C'est assez ; je vous crois. Vous avez donc juré Que de tous les Persans le sang sera sacré, Sitôt que cette main remplira vos vengeances ? Qu'Athamare à présent paraisse devant moi. Ô Scythes inhumains ! Connaissez dans quel sang vous enfoncez mes mains. Athamare est mon prince ; il est plus, - je l'adore, Je l'aimai seul au monde, - et ce moment encore Porte au plus grand excès dans ce coeur enivré L'amour, le tendre amour dont il fut dévoré. L'hymen, cet hymen que j'abjure, Dans un sang criminel doit laver son injure. - Vous jurez d'épargner tous mes concitoyens : - Il l'est ; - sauvez ses jours, - l'amour finit les miens. Vis, mon cher Athamare, en mourant je l'ordonne. **** *creator_voltaire *book_voltaire_scythes *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_scythes *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_SULMA *date_1767 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_sulma Vous y résolvez-vous ? Votre rare vertu passe votre malheur ; Dans votre abaissement je vois votre grandeur. Je vous admire en tout ; mais le coeur est-il maître De n'aimer pas les lieux où le ciel nous fit naître ? La nature a ses droits ; ses bienfaisantes mains Ont mis ce sentiment dans les faibles humains. On souffre en sa patrie ; elle peut nous déplaire ; Mais quand on l'a perdue, alors elle est bien chère. Ah ! Que la mort plutôt frappe cette perfide, Si jamais je conçois le criminel dessein De chercher loin de vous un bonheur incertain ! J'ai vécu pour vous seule ; et votre destinée Jusques à mon tombeau tient la mienne enchaînée. Mais je vous l'avouerai, ce n'est pas sans horreur Que je vois tant d'appas, de gloire, de grandeur, D'un soldat de Scythie être ici le partage. Ah ! Contrainte inutile ! Est-ce avec des sanglots qu'on montre un coeur tranquille ? Votre choix est donc fait ! D'où vient qu'à cet aspect vous paraissez frémir ? Votre père et le sien Viennent former ici votre éternel lien ! Ah ! Madame. Quelle fête cruelle ! Ainsi dans ce séjour Vos beaux jours enterrés sont perdus sans retour ? Votre pays, la cour qui vous vit naître, Un prince généreux... qui vous plaisait peut-être, Vous les abandonnez sans crainte et sans pitié ? Haïriez-vous toujours la cour et la patrie ? Ouvrez-moi votre coeur : je le mérite. Ecbatane... un grand prince... Madame, c'en est trop ; c'est trop vous immoler À ces préjugés vains qui viennent vous troubler, À d'inhumaines lois d'une horde étrangère, Dont un père exilé chargea votre misère. Hélas ! contre les rois son trop juste courroux Ne sera donc jamais retombé que sur vous ! Quand vous le consolez, faut-il qu'il vous opprime ? Soyez sa protectrice, et non pas sa victime. Athamare est vaillant, et de braves soldats Ont jusqu'en ces déserts accompagné ses pas. Athamare, après tout, n'est-il pas votre maître ? C'est en ses États que le ciel vous fît naître. N'a-t-il donc pas le droit de briser un lien, L'opprobre de la Perse, et le vôtre, et le sien ? M'en croirez-vous ? partez, marchez sous sa conduite. Si vous avez d'un père accompagné la fuite, Il est temps à la fin qu'il vous suive à son tour ; Qu'il renonce à l'orgueil de dédaigner sa cour ; Que sa douleur farouche, à vous perdre obstinée, Cesse enfin de lutter contre sa destinée. Vous pleurez cependant, et votre oeil qui s'égare Parcourt avec horreur cette enceinte barbare, Ces chaumes, ces déserts, où des pompes des rois Je vous vis descendue aux plus humbles emplois ; Où d'un vain repentir le trait insupportable Déchire de vos jours le tissu misérable. - Quel parti prenez vous ? Dans cet état affreux, que faire ? Grands dieux ! Que j'ai tremblé Lorsque disparaissant à mon oeil désolé, Vous avez traversé cette fouie sanglante ! Vous affrontiez la mort de tous côtés présente ; Des flots de sang humain roulaient entre nous deux. Quel jour ! Quel hyménée ! Et quel sort rigoureux ! Ciel ! On m'aurait dit vrai ! - Quoi ! Votre main coupable Immolerait l'amant que vous avez aimé, Pour satisfaire un peuple à sa perte animé ! Vous n'êtes point réduite à la nécessité De servir d'instrument à leur férocité. Mais cet amour secret qui vous parle pour lui ? C'est un crime si grand, que ces Scythes cruels, Qui du sang des humains arrosent les autels, S'ils connaissaient l'amour qui vous a consumée, Eux-même arrêteraient la main qu'ils ont armée. Se peut-il !... Et ce malheureux père, Qui creusa sous vos pas ce gouffre de misère, Au père d'Indatire uni par l'amitié, Consulté des vieillards, avec eux si lié, Peut-il bien seulement supporter qu'on propose L'horrible extrémité dont lui-même est la cause ? Ah ! Vous rendez la vie à mes sens effrayés ! Je vous haïrais trop si vous obéissiez. Le ciel ne verra point ce sanglant sacrifice. Vous frémissez. Ah ! Dieux ! Ah ! Madame... **** *creator_voltaire *book_voltaire_scythes *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_scythes *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_HIRCAN *date_1767 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_hircan Dans les lieux où vous êtes Gardez-vous d'écouter ces fureurs indiscrètes. Respectez, croyez-moi, les modestes foyers D'agrestes habitants, mais de vaillants guerriers, Qui, sans ambition, comme sans avarice, Observateurs zélés de l'exacte justice, Ont mis leur seule gloire en leur égalité, De qui vos grandeurs même irritent la fierté. N'allez point alarmer leur noble indépendance ; Ils savent la défendre ; ils aiment la vengeance ; Ils ne pardonnent point quand ils sont offensés. Mais, souverains chez eux... Mais si vous écoutiez... Attendez. Mais si dans ce choix même elle eût mis sa fierté ! Seigneur contraignez vous. Ses compagnes tremblantes Rappelaient ses esprits sur ses lèvres mourantes... Oui, Seigneur ; Et, ranimant à peine un reste de chaleur, Dans ces cruels moments, d'une voix affaiblie, Sa bouche a prononcé le nom de la Médie. Un Scythe me l'a dit ; un Scythe qu'autrefois La Médie avait vu combattre sous nos lois. Son père et son époux sont encore auprès d'elle. Eh quoi, cette nouvelle À votre oreille encor, Seigneur, n'a pu voler ! Le vaillant Indatire, Jeune, et de ces cantons l'espérance et l'honneur, Lui jurait ici même une éternelle ardeur, Sous ces mêmes cyprès, à cet autel champêtre, Aux clartés des flambeaux que j'ai vus disparaître. Vous n'étiez pas encore arrivé vers l'autel, Qu'un long tressaillement suivi d'un froid mortel A fermé les beaux yeux d'Obéide oppressée. Des filles de Scythie une foule empressée La portait en pleurant sous ces rustiques toits, Asile malheureux dont son père a fait choix. Ce vieillard la suivait d'une démarche lente, Sous le fardeau des ans affaiblie et pesante, Quand vous avez sur vous attiré ses regards. Il serait bien affreux, j'ose ici vous le dire, Que vous eussiez quitté le soin de votre Empire, Chargé d'un repentir si noble et si profond, Pour venir en Scythie essuyer une affront. Elle l'aime sans doute. Pensez-vous être encor dans les murs d'Ecbatane ? Là votre voix décide, elle absout ou condamne. Ici vous péririez : vous êtes dans des lieux Que jadis arrosa le sang de vos aïeux. Quelle fatale ivresse ! Âge des passions ! Trop aveugle jeunesse ! Où conduis-tu les coeurs à leurs penchants livrés ? On m'a dit qu'en ces lieux c'est un usage antique. Ce sont de simples jeux par le temps consacrés, Dans les jours de l'hymen noblement célébrés. Tous leurs jeux sont guerriers ; la valeur les apprête. Voyez-vous Indatire ? Il s'avance à leur tête. Tout le sexe est exclu de ces solennités, Et les moeurs de ce peuple ont des sévérités Qui pourraient des Persans condamner la licence. Oui, Seigneur, Obéide Marche vers la cabane où son père réside. Je l'aperçois. Il l'osera, seigneur. Les Scythes, ci-oyez-moi, connaissent peu la crainte ; Mais d'un tel désespoir votre âme est-elle atteinte, Que vous avilissiez l'honneur de votre rang, Le sang du grand Cyrus mêlé dans votre sang, Et d'un trône si saint le droit inviolable, Jusqu'à vous compromettre avec un misérable, Qu'on verrait, si le sort l'envoyait parmi nous, À vos premiers suivants ne parler qu'à genoux ; Mais qui, sur ses foyers, peut avec insolence Braver impunément un prince et sa puissance ? L'univers vous dément ; le ciel sait animer Des mêmes passions tous les êtres du monde. Si du même limon la nature féconde, Sur un modèle égal ayant fait les humains, Varie à l'infini les traits de ses dessins, Le fond de l'homme reste, il est partout le même ; Persan, Scythe, Indien, tout défend ce qu'il aime. Vous hasardez beaucoup. Ils mourront à vos pieds, et vous n'en doutez pas. Seigneur, je le connais, c'est lui, c'est Indatire. **** *creator_voltaire *book_voltaire_scythes *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_scythes *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_SCYTHES *date_1767 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_scythes Respectables vieillards, sachez que nos hameaux Seront bientôt remplis de nos hôtes nouveaux. Leur chef est empressé de voir dans la Scythie Un guerrier qu'il connut aux champs de la Médie. Il nous demande à tous en quels lieux est caché Ce vieillard malheureux qu'il a longtemps cherché. Ce généreux Persan ne vient point défier Un peuple de pasteurs innocent et guerrier. Il paraît accablé d'une douleur profonde. Peut-être est-ce un banni qui se dérobe au monde, Un illustre exilé, qui dans nos régions Fuit une cour féconde en révolutions. Nos pères en ont vu, qui loin de ces naufrages, Rassasiés de trouble, et fatigués d'orages, Préféraient de nos moeurs la grossière âpreté Aux attentats commis avec urbanité. Celui-ci paraît fier, mais sensible, mais tendre ; Il veut cacher les pleurs que je l'ai vu répandre. S'il vient pour te trahir, va, nous l'en punirons. Si c'est un exilé, nous le protégerons. Rassure-toi, j'y vole, ils sont prêts en tout temps. Enfin nous l'emportons. Le ciel nous rend justice, et le Scythe est vainqueur. La moitié des Persans à la mort est livrée. L'autre qui se retire est partout entourée Dans la sombre épaisseur de ces profonds taillis, Où bientôt sans retour ils seront assaillis. Qui ? Ce fier Athamare ? Sur nos Scythes mourants qu'a fait tomber sa main, Épuisé, sans secours, enveloppé soudain, Il est couvert de sang, il est chargé de chaînes. Si tu n'oses frapper, si ta main trop timide Hésite à nous donner le sang de l'homicide, Il meurt dans des tourments pires que le trépas. Tu connais nos moeurs, et nous n'hésitons pas. D'un peuple qui t'aima tu deviendras l'horreur. Tremble de rejeter un droit si légitime. Devant les immortels En fais-tu le serment ? Nous y consentons tous. Et la loi des serments est une loi suprême, Aussi chère à nos coeurs que la vengeance même. Arrête, et respecte la loi. Ce fer serait souillé par des mains étrangères.