**** *creator_voltaire *book_voltaire_semiramis *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_semiramis *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_SEMIRAMIS *date_1748 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_semiramis Ô voiles de la mort, quand viendrez-vous couvrir Mes yeux remplis de pleurs, et lassés de s'ouvrir ! Abîmes, fermez-vous ; fantôme horrible, arrête : Frappe, ou cesse à la fin de menacer ma tête. Arsace est-il venu ? Cette voix formidable, infernale ou céleste, Qui dans l'ombre des nuits pousse un cri si funeste, M'avertit que, le jour qu'Arzace doit venir, Mes douloureux tourments seront prêts à finir. Arsace est dans ma cour !... Ah ! je sens qu'à son nom L'horreur de mon forfait trouble moins ma raison. Nos destins, nos devoirs étaient trop différents : Plus les noeuds sont sacrés, plus les crimes sont grands. J'étais épouse, Otane, et je suis sans excuse ; Devant les dieux vengeurs mon désespoir m'accuse. J'avais cru que ces dieux, justement offensés, En m'arrachant mon fils, m'avaient punie assez ; Que tant d'heureux travaux rendaient mon diadème, Ainsi qu'au monde entier, respectable au ciel même ; Mais depuis quelques mois ce spectre furieux Vient affliger mon coeur, mon oreille, mes yeux. Je me traîne à la tombe, où je ne puis descendre ; J'y révère de loin cette fatale cendre ; Je l'invoque en tremblant : des sons, des cris affreux, De longs gémissements répondent à mes voeux. D'un grand événement je me vois avertie, Et peut-être il est temps que le crime s'expie. Je l'ai vu : ce n'est point une erreur passagère Qu'enfante du sommeil la vapeur mensongère ; Le sommeil, à mes yeux refusant ses douceurs, N'a point sur mes esprits répandu ses erreurs. Je veillais, je pensais au sort qui me menace, Lorsqu'au bord de mon lit j'entends nommer Arsace. Ce nom me rassurait : tu sais quel est mon coeur ; Assur depuis un temps l'a pénétré d'horreur. Je frémis quand il faut ménager mon complice : Rougir devant ses yeux est mon premier supplice, Et je déteste en lui cet avantage affreux, Que lui donne un forfait qui nous unit tous deux. Je voudrais... mais faut-il, dans l'état qui m'opprime, Par un crime nouveau punir sur lui mon crime ? Je demandais Arsace, afin de l'opposer Au complice odieux qui pense m'imposer ; Je m'occupais d'Arzace, et j'étais moins troublée. Dans ces moments de paix, qui m'avaient consolée, Ce ministre de mort a reparu soudain Tout dégouttant de sang, et le glaive à la main : Je crois le voir encor, je crois encor l'entendre. Vient-il pour me punir ? vient-il pour me défendre ? Arsace au moment même arrivait dans ma cour ; Le ciel à mon repos a réservé ce jour : Cependant toute en proie au trouble qui me tue, La paix ne rentre point dans mon aine abattue. Je passe à tout moment de l'espoir à l'effroi. Le fardeau de la vie est trop pesant pour moi. Mon trône m'importune, et ma gloire passée N'est qu'un nouveau tourment de ma triste pensée. J'ai nourri mes chagrins sans les manifester ; Ma peur m'a fait rougir. J'ai craint de consulter Ce mage révéré que chérit Babylone, D'avilir devant lui la majesté du trône, De montrer une fois, en présence du ciel, Sémiramis tremblante aux regards d'un mortel. Mais j'ai fait en secret, moins fière ou plus hardie, Consulter Jupiter aux sables de Libye ; Comme si, loin de nous, le dieu de l'univers N'eût mis la vérité qu'au fond de ces déserts ; Le dieu qui s'est caché dans cette sombre enceinte A reçu dès longtemps mon hommage et ma crainte ; J'ai comblé ses autels et de dons et d'encens. Répare-t-on le crime, hélas ! par des présents ? De Memphis aujourd'hui j'attends une réponse. Je verrai donc mes maux, ou combles ou finis ! Allons ; cachons surtout au reste de l'empire Le trouble humiliant dont l'horreur me déchire ; Et qu'Arzace, à l'instant à mon ordre rendu, Puisse apporter le calme à ce coeur éperdu ! Seigneur, il faut enfin que je vous ouvre un coeur Qui longtemps devant vous dévora sa douleur. J'ai gouverné l'Asie, et peut-être avec gloire ; Peut-être Babylone, honorant ma mémoire, Mettra Sémiramis à coté des grands rois. Vos mains de mon empire ont soutenu le poids. Partout victorieuse, absolue, adorée, De l'encens des humains je vivais enivrée ; Tranquille, j'oubliai, sans crainte et sans ennuis, Quel degré m'éleva dans ce rang où je suis. Des dieux, dans mon bonheur, j'oubliai la justice ; Elle parle, je cède : et ce grand édifice, Que je crus à l'abri des outrages du temps, Veut être raffermi jusqu'en ses fondements. La cendre de Ninus repose en cette enceinte, Et vous me demandez le sujet de ma crainte ! Vous ! Je viens vous en parler. Ammon et Babylone Demandent sans détour un héritier du trône. Il faut que de mon sceptre on partage le faix ; Et le peuple et les dieux vont être satisfaits. Vous le savez assez, mon superbe courage S'était fait une loi de régner sans partage : Je tins sur mon hymen l'univers en suspens ; Et quand la voix du peuple, à la fleur de mes ans, Cette voix qu'aujourd'hui le ciel même seconde, Me pressait de donner des souverains au monde ; Si quelqu'un put prétendre au nom de mon époux, Cet honneur, je le sais, n'appartenait qu'à vous ; Vous deviez l'espérer, mais vous pûtes connaître Combien Sémiramis craignait d'avoir un maître. Je vous fis, sans former un lien si fatal, Le second de la terre, et non pas mon égal. C'était assez, seigneur ; et j'ai l'orgueil de croire Que ce rang aurait pu suffire à votre gloire. Le ciel me parle enfin ; j'obéis à sa voix : Écoutez son oracle, et recevez mes lois. « Babylone doit prendre une face nouvelle, Quand, d'un second hymen allumant le flambeau, Mère trop malheureuse, épouse trop cruelle, Tu calmeras Ninus au fond de son tombeau. » C'est ainsi que des dieux l'ordre éternel s'explique. Je connais vos desseins et votre politique ; Vous voulez dans l'état vous former un parti : Vous m'opposez le sang dont vous êtes sorti. De vous et d'Azéma mon successeur peut naître ; Vous briguez cet hymen, elle y prétend peut-être. Mais moi, je ne veux pas que vos droits et les siens, Ensemble confondus, s'arment contre les miens : Telle est ma volonté, constante, irrévocable. C'est à vous déjuger si le dieu qui m'accable À laissé quelque force à mes sens interdits, Si vous reconnaissez encor Sémiramis, Si je puis soutenir la majesté du trône. Je vais donner, seigneur, un maître à Babylone. Mais soit qu'un si grand choix honore un autre ou vous, Je serai souveraine en prenant un époux. Assemblez seulement les princes et les mages ; Qu'ils viennent à ma voix joindre ici leurs suffrages ; Le don de mon empire et de ma liberté Est l'acte le plus grand de mon autorité ; Loin de le prévenir, qu'on l'attende en silence. Le ciel à ce grand jour attache sa clémence ; Tout m'annonce des dieux qui daignent se calmer ; Mais c'est le repentir qui doit les désarmer. Croyez-moi, les remords, à vos yeux méprisables, Sont la seule vertu qui reste à des coupables. Je vous parais timide et faible ; désormais Connaissez la faiblesse, elle est dans les forfaits. Cette crainte n'est pas honteuse au diadème ; Elle convient aux rois, et surtout à vous-même : Et je vous apprendrai qu'on peut, sans s'avilir, S'abaisser sous les dieux, les craindre, et les servir. Otane, qui l'eût cru, que les dieux en colère Me tendaient en effet une main salutaire, Qu'ils ne m'épouvantaient que pour se désarmer ? Ils ont ouvert l'abîme ; et l'ont daigné fermer : C'est la foudre à la main qu'ils m'ont donné ma grâce ; Ils ont changé mon sort, ils ont conduit Arsace, Ils veulent mon hymen ; ils veulent expier, Par ce lien nouveau, les crimes du premier. Non, je ne doute plus que des coeurs ils disposent : Le mien vole au-devant de la loi qu'ils m'imposent. Arsace, c'en est fait, je me rends, et je voi Que tu devais régner sur le monde et sur moi. Tu sais qu'aux plaines de Scythie, Quand je vengeais la Perse et subjuguais l'Asie, Ce héros (sous son père il combattait alors), Ce héros, entouré de captifs et de morts, M'offrit en rougissant, de ses mains triomphantes, Des ennemis vaincus les dépouilles sanglantes. À son premier aspect tout mon coeur étonné Par un pouvoir secret se sentit entraîné ; Je n'en pus affaiblir le charme inconcevable, Le reste des mortels me sembla méprisable. Assur, qui m'observait, ne fut que trop jaloux ; Dès-lors le nom d'Arzace aigrissait son courroux : Mais l'image d'Arzace occupa ma pensée, Avant que de nos dieux la main me l'eût tracée, Avant que cette voix qui commande à mon coeur Me désignât Arsace, et nommât mon vainqueur. Non, ce n'est point l'amour qui m'entraîne vers lui : Mon âme par les yeux ne peut être vaincue : Ne crois pas qu'à ce point de mon rang descendue, Écoutant dans mon trouble un charme suborneur, Je donne à la beauté le prix de la valeur ; Je crois sentir du moins de plus nobles tendresses. Malheureuse ! est-ce à moi d'éprouver des faiblesses, De connaître l'amour et ses fatales lois ! Otane, que veux-tu ? je fus mère autrefois ; Mes malheureuses mains à peine cultivèrent Ce fruit d'un triste hymen que les dieux m'enlevèrent. Seule, en proie aux chagrins qui venaient m'alarmer, N'ayant autour de moi rien que je pusse aimer, Sentant ce vide affreux de ma grandeur suprême, M'arrachant à ma cour et m'évitant moi-même, J'ai cherché le repos dans ces grands monuments, D'une âme qui se fuit trompeurs amusements. Le repos m'échappait; je sens que je le trouve, Je m'étonne en secret du charme que j'éprouve ; Arsace me tient lieu d'un époux et d'un fils, Et de tous mes travaux, et du monde soumis. Que je vous dois d'encens, ô puissance céleste, Qui, me forçant de prendre un joug jadis funeste, Me préparez au noeud que j'avais abhorré, En m'embrasant d'un feu par vous-même inspiré ! Je ne l'ai point trompé, je ne veux pas le craindre. J'ai su quinze ans entiers, quel que fût son projet, Le tenir dans le rang de mon premier sujet : À son ambition, pour moi toujours suspecte, Je prescrivis quinze ans les bornes qu'il respecte. Je régnais seule alors : et si ma faible main Mit à ses voeux hardis ce redoutable frein, Que pourront désormais sa brigue et son audace Contre Sémiramis unie avec Arsace ? Oui, je crois que Ninus, content de mes remords, Pour presser cet hymen quitte le sein des morts. Sa grande ombre en effet, déjà trop offensée, Contre Sémiramis serait trop courroucée ; Elle verrait donner, avec trop de douleur, Sa couronne et son lit à son empoisonneur. Du sein de son tombeau voilà ce qui l'appelle ; Les oracles d'Ammon s'accordent avec elle ; La vertu d'Oroès ne me fait plus trembler ; Pour entendra mes lois je l'ai fait appeler ; Je l'attends. Sa voix achèvera de rassurer mon coeur. De Zoroastre auguste successeur, Je vais nommer un roi ; vous couronnez sa tête : Tout est-il préparé pour cette auguste fête ? À ce sombre langage On dirait qu'en secret vous condamnez mes voeux. Mais vous interprétez les volontés célestes. Ces signes que j'ai vus me seraient-ils funestes Une ombre, un dieu, peut-être, à mes yeux s'est montré ; Dans le sein de la terre il est soudain rentré. Quel pouvoir a brisé l'éternelle barrière Dont le ciel sépara l'enfer et la lumière ? D'où vient que les humains, malgré l'arrêt du sort, Reviennent à mes yeux du séjour de la mort ? Les oracles d'Ammon veulent un sacrifice. Éternelle justice, Qui lisez dans mon âme avec des yeux vengeurs, Ne la remplissez plus de nouvelles horreurs ; De mon premier hymen oubliez l'infortune. Revenez. Répondez : ce matin aux pieds de vos autels Arsace a présenté des dons aux immortels ? Je le crois, et ce mot me rassure et m éclaire. Puis-je d'un sort heureux me reposer sur lui ? J'accepte avec transport ce fortuné présage ; L'espérance et la paix reviennent me calmer. Allez ; qu'un pur encens recommence à fumer. De vos mages, de vous, que la présence auguste Sur l'hymen le plus grand, sur le choix le plus juste, Attire de nos dieux les regards souverains. Puissent de cet état les éternels destins Reprendre avec les miens une splendeur nouvelle ! Hâtez de ce beau jour la pompe solennelle. Allez. Ainsi le ciel est d'accord avec moi ; Je suis son interprète en choisissant un roi. Que je vais l'étonner par le don d'un empire ! Qu'il est loin d'espérer ce moment où j'aspire ! Qu'Assur et tous les siens vont être humiliés ! Quand j'aurai dit un mot, la terre est à ses pieds. Combien à mes boutés il faudra qu'il réponde ! Je l'épouse, et pour dot je lui donne le monde. Enfin ma gloire est pure, et je puis la goûter. Quel chagrin près de moi peut occuper Arsace ! De mes chagrins lui seul a dissipé l'horreur : Qu'il vienne ; il ne sait pas ce qu'il peut sur mon coeur. Vous, dont le sang s'apaise, et dont la voix m'inspire, Ô mânes redoutés, et vous, dieux de l'empire, Dieux des Assyriens, de Ninus, de mon fils, Pour le favoriser soyez tous réunis ! Quel trouble en le voyant m'a soudain pénétrée ! Vous, m'offenser ? qui, vous ? ah ! ne le craignez pas. Ah ! que m'avez-vous dit ? Vous, fuir ! Vous, me quitter ! Vous pourriez craindre Assur ? Espérez tout ; je vous ferai connaître Qu'Assur en aucun temps ne sera votre maître. Des sujets tels que vous sont mon plus noble appui. Je sais vos sentiments ; votre aine peu commune Chérit Sémiramis, et non pas ma fortune. Sur mes vrais intérêts vos yeux sont éclairés ; Je vous en fais l'arbitre ; et vous les soutiendrez. D'Assur et d'Azéma je romps l'intelligence ; J'ai prévu les dangers d'une telle alliance, Je sais tous ses projets, ils seront confondus. Rassurez-vous, madame : Quel que soit mon époux, je vous garde en ces lieux Un sort et des honneurs dignes de vos aïeux. Destinée à mon fils, vous m'êtes toujours chère ; Et je vous vois encore avec des yeux de mère. Placez-vous l'un et l'autre avec ceux que ma voix A nommés pour témoins de mon auguste choix. Que l'appui de l'état se range auprès du trône. Il suffit ; prenez place, et vous, peuple, écoutez. Si la terre, quinze ans de ma gloire occupée, Révéra dans ma main le sceptre avec l'épée, Dans cette même main qu'un usage jaloux Destinait au fuseau sous les lois d'un époux ; Si j'ai, de mes sujets surpassant l'espérance, De cet empire heureux porté le poids immense, Je vais le partager pour le mieux maintenir, Pour étendre sa gloire aux siècles à venir, Pour obéir aux dieux dont l'ordre irrévocable Fléchit ce coeur altier si longtemps indomptable. Ils m'ont ôté mon fils ; puissent-ils m'en donner Qui, dignes de me suivre et de vous gouverner, Marchant dans les sentiers que fraya mon courage, Des grandeurs de mon règne éternisent l'ouvrage ! J'ai pu choisir, sans doute, entre des souverains ; Mais ceux dont les états entourent mes confins, Ou sont mes ennemis, ou sont mes tributaires : Mon sceptre n'est point fait pour leurs mains étrangères, Et mes premiers sujets sont plus grands à mes yeux Que tous ces rois vaincus par moi-même, ou par eux. Bélus naquit sujet ; s'il eut le diadème, Il le dut à ce peuple, il le dut à lui-même. J'ai par les mêmes droits le sceptre que je tiens. Maîtresse d'un état plus vaste que les siens, J'ai rangé sous vos lois vingt peuples de l'aurore, Qu'au siècle de Bélus on ignorait encore. Tout ce qu'il entreprit, je le sus achever. Ce qui fonde un état le peut seul conserver. Il vous faut un héros digne d'un tel empire, Digne de tels sujets, et, si j'ose le dire, Digne de cette main qui va le couronner, Et du coeur indompté que je vais lui donner. J'ai consulté les lois, les maîtres du tonnerre, L'intérêt de l'état, l'intérêt de la terre : Je fais le bien du monde en nommant un époux. Adorez le héros qui va régner sur vous ; Voyez revivre en lui les princes de ma race. Ce héros, cet époux, ce monarque est Arsace. Vous, qui sanctifiez de si pures tendresses, Venez sur les autels garantir nos promesses ; Ninus et Ninias vous sont rendus en lui. Ciel ! qu'est-ce que j'entends ? Le ciel tonne sur nous : est-ce faveur ou haine ? Grâce, dieux tout puissants ! qu'Arzace me l'obtienne. Quels funèbres accents redoublent mes terreurs ! La tombe s'est ouverte : il paraît... Ciel ! je meurs... Veux-tu me perdre ? ou veux-tu pardonner ? C'est ton sceptre et ton lit que je viens de donner ; Juge si ce héros est digne de ta place. Prononce ; j'y consens. Ombre de mon époux, Permets qu'en et tombeau j'embrasse tes genoux, Que mes regrets... Ô peuples, suivez-moi ; Venez tous dans ce temple, et calmez votre effroi. Les mânes de Ninus ne sont point implacables ; S'ils protègent Arsace, ils me sont favorables : C'est le ciel qui m'inspire et qui vous donne un roi ; Venez tous l'implorer pour Arsace et pour moi. Ou n'attend plus que vous ; venez, maître du monde : Son sort, comme le mien, sur mon hymen se fonde. Je vois avec transport ce signe révéré, Qu'a mis sur votre front un pontife inspiré ; Ce sacré diadème, assuré témoignage Que l'enfer et le ciel confirment mon suffrage. Tout le parti d'Assur, frappé d'un saint respect, Tombe à la voix des dieux, et tremble à mon aspect : Ninus veut une offrande, il en est plus propice ; Pour hâter mon bonheur, hâtez ce sacrifice. Tous les coeurs sont à nous ; tout le peuple applaudit : Vous régnez, je vous aime ; Assur en vain frémit. Qu'entends-je ? juste ciel ! Ninus ! Commencez la vengeance en recevant ma foi. Ah ! quels regards vos yeux lancent sur moi ! Arsace, est-ce donc là ce coeur soumis et tendre Qu'en vous donnant ma main j'ai cru devoir attendre ? Je ne m'étonne point que ce prodige affreux, Que les morts, déchaînés du séjour ténébreux, De la terreur en vous laissent encor la trace ; Mais j'en suis moins troublée en revoyant Arsace Ah ! ne répandez pas cette funeste nuit Sur ces premiers moments du beau jour qui me luit. Soyez tel qu'à mes pieds je vous ai vu paraître, Lorsque vous redoutiez d'avoir Assur pour maître. Ne craignez point Ninus, et son ombre en courroux. Arsace, mon appui, mon secours, mon époux ; Cher prince... À quel trouble, hélas ! il s'abandonne, Quand lui seul à la paix a pu me rappeler ! Eh bien ? Quels transports ! Quels discours ! Qui ? Moi ! Que je vous fuie ? Éclaircissez ce trouble insupportable, affreux, Qui passe dans mon âme, et fait deux malheureux. Les traits du désespoir sont sur votre visage ; De moment en moment vous glacez mon courage ; Et vos yeux alarmés me causent plus d'effroi Que le ciel et les morts soulevés contre moi. Je tremble en vous offrant ce sacré diadème ; Ma bouche en frémissant prononce, « Je vous aime ; » D'un pouvoir inconnu l'invincible ascendant M'entraîne ici vers vous, m'en repousse à l'instant, Et, par un sentiment que je ne puis comprendre, Mêle une horreur affreuse à l'amour le plus tendre. Cruel ! non, tu ne le veux pas. Mon coeur suivra ton coeur, mes pas suivront tes pas. Quel est donc ce billet que tes yeux pleins d'alarmes Lisent avec horreur, et trempent de leurs larmes ? Contient-il les raisons de tes refus affreux ? Donne. Je le veux. D'où le tiens-tu ? Qui l'écrivit ? Que me dis-tu ? Donne : apprends-moi mon sort. N'importe ; éclaircissez ce doute qui m'accable ; Ne me résistez plus, ou je vous crois coupable. Pour la dernière fois, Arsace, obéissez. Qu'ai-je lu ? Soutiens-moi, je me meurs. Eh bien ! ne tarde plus, remplis ta destinée ; Punis cette coupable et cette infortunée ; Étouffe dans mon sang mes détestables feux. La nature trompée est horrible à tous deux. Venge tous mes forfaits ; venge la mort d'un père ; Reconnais-moi, mon fils ; frappe, et punis ta mère. Ah ! je fus sans pitié ; sois barbare à ton tour ; Sois le fils de Ninus en m'arrachant le jour : Frappe. Mais quoi ! tes pleurs se mêlent à mes larmes ! Ô Ninias ! ô jour plein d'horreur et de charmes !... Avant de me donner la mort que tu me dois, De la nature encor laisse parler la voix : Souffre au moins que les pleurs de ta coupable mère Arrosent une main si fatale et si chère. Reçois, pour te venger, mon sceptre et ma couronne ; Je les ai trop souillés. Non ; mon crime est trop grand. Ninus t'a commandé de régner en ma place ; Crains ses mânes vengeurs. Ah ! le bonheur, Otane, est-il fait pour mon coeur ? Mon fils s'est attendri ; je me flatte, j'espère Qu'en ces premiers moments la douleur d'une mère Parle plus hautement à ses sens oppressés Que le sang de Ninus, et mes crimes passés. Mais peut-être bientôt, moins tendre et plus sévère, Il ne se souviendra que du meurtre d'un père. La crainte suit le crime, et c'est son châtiment. Le détestable Assur sait-il ce qui se passe ? N'a-t-on rien attenté ? sait-on quel est Arsace ? Ah ! c'est trop ménager un traître que j'abhorre ; Qu'Assur chargé de fers en vos mains soit remis : Otane, allez livrer le coupable à mon fils. Mon fils apaisera l'éternelle justice, En répandant du moins le sang de mon complice : Qu'il meure ; qu'Azéma, rendue à Ninias, Du crime de mon règne épure ces climats. Tu vois ce coeur. Ninus, il doit te satisfaire ; Tu vois du moins en moi des entrailles de mère. Ah ! qui vient dans ces lieux à pas précipités ? Que tout rend la terreur à mes sens agités ! Ah, princesse ! parlez, que me demandez-vous ? Arsace ? lui ! quel crime ? Lui, mon époux ? grands dieux ! Cet hymen est affreux, abominable, impie. Arsace ? il est... Parlez ; je frissonne ; achevez : Quels dangers ?... hâtez-vous... Eh bien ? Quels forfaits, justes dieux ! Qui ? lui ! Ô ciel ! qui vous l'a dit ? comment ? par quel détour ? Eh bien ! chère Azéma, ce ciel parle par vous : Il me suffit. Je vois ce qui me reste à faire. On peut s'en reposer sur le coeur d'une mère. Ma fille, nos destins à-la-fois sont remplis ; Défendez votre époux, je vais sauver mon fils. Prête à l'épouser, les dieux m'ont éclairée ; Ils inspirent encore une mère épi orée : Mais les moments sont chers. Laissez-moi dans ces lieux ; Ordonnez en mon nom que les prêtres des dieux, Que les chefs de l'état viennent ici se rendre. Ombre de mon époux ! je vais venger ta cendre. Voici l'instant fatal où ta voix m'a promis Que l'accès de ta tombe allait m'être permis : J'obéirai ; mes mains qui guidaient des armées, Pour secourir mon fils, à ta voix sont armées. Venez, gardes du trône, accourez à ma voix ; D'Arzace désormais reconnaissez les lois : Arsace est votre roi ; vous n'avez plus de reine ; Je dépose en ses mains la grandeur souveraine. Soyez ses défenseurs, ainsi que ses sujets. Allez. Dieux tout puissants, secondez mes projets. Viens me venger, mon fils : un monstre sanguinaire, Un traître, un sacrilège, assassine ta mère. Hélas ! j'y descendis pour défendre tes jours. Ta malheureuse mère allait à ton secours... J'ai reçu de tes mains la mort qui m'était due. Mon fils, n'achève pas : Je te pardonne tout, si, pour grâce dernière. Une si chère main ferme au moins ma paupière. Viens, je te le demande, au nom du même sang Qui t'a donné la vie, et qui sort de mon flanc. Ton coeur n'a pas sur moi conduit ta main cruelle. Quand Ninus expira, j'étais plus criminelle : J'en suis assez punie. Il est donc des forfaits Que le courroux des dieux ne pardonne jamais ! Ninias, Azéma, que votre hymen efface L'opprobre dont mon crime a souillé votre race ; D'une mère expirante approchez-vous tous deux ; Donnez-moi votre main ; vivez, régnez heureux : Cet espoir me console, il mêle quelque joie Aux horreurs de la mort où mon âme est en proie. Je la sens... elle vient... Songe à Sémiramis, Ne hais point sa mémoire : ô mon fils ! mon cher fils... C'en est fait. **** *creator_voltaire *book_voltaire_semiramis *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_semiramis *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_ARSACE *date_1748 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_arsace Oui, Mitrane, en secret l'ordre émané du trône Remet entre tes bras Arsace à Babylone. Que la reine en ces lieux, brillants de sa splendeur. De son puissant génie imprime la grandeur ! Quel art a pu former ces enceintes profondes Où l'Euphrate égaré porte en tribut ses ondes ; Ce temple, ces jardins dans les airs soutenus ; Ce vaste mausolée où repose Ninus ? Éternels monuments, moins admirables qu'elle ! C'est ici qu'à ses pieds Sémiramis m'appelle. Les rois de l'Orient, loin d'elle prosternés, N'ont point eu ces honneurs qui me sont destinés : Je vais dans son éclat voir cette reine heureuse. Comment ? Quelle est d'un tel état l'origine imprévue ? Et depuis quand les dieux l'accablent-ils ainsi ? Moi ? Azéma n'a point part à ce trouble odieux ; Un seul de ses regards adoucirait les dieux ; Azéma d'un malheur ne peut être la cause. Mais de tout, cependant, Sémiramis dispose : Son coeur en ces horreurs n'est pas toujours plonge ? Pour les faibles humains quelles hautes leçons ! Que partout le bonheur est mêlé d'amertume ! Qu'un trouble aussi cruel m'agite et me consume ! Privé de ce mortel, dont les yeux éclairés Auraient conduit mes pas à la cour égarés, Accusant le destin qui m'a ravi mon père, En proie aux passions d'un âge téméraire, À mes voeux orgueilleux sans guide abandonné, De quels écueils nouveaux je marche environné ! Je ne sais en ces lieux quels seront mes destins. Aux plaines d'Arbazan quelques succès peut-être, Quelques travaux heureux m'ont assez fait connaître ; Et quand Sémiramis, aux rives de l'Oxus, Vint imposer des lois à cent peuples vaincus, Elle laissa tomber de son char de victoire Sur mon front jeune encore un rayon de sa gloire ; Mais souvent dans les camps un soldat honoré Rampe à la cour des rois, et languit ignoré. Mon père, en expirant, me dit que ma fortune Dépendait en ces lieux de la cause commune. Il remit dans mes mains ces gages précieux, Qu'il conserva toujours loin des profanes yeux : Je dois les déposer dans les mains du grand-prêtre ; Lui seul doit en juger, lui seul doit les connaître ; Sur mon sort, en secret, je dois le consulter ; À Sémiramis même il peut me présenter. Eh ! quelle est donc sur moi la volonté des dieux ? Que me réservent-ils ? et d'où vient que mon père M'envoie, en expirant, aux pieds du sanctuaire, Moi soldat, moi nourri dans l'horreur des combats, Moi qu'enfin l'amour seul entraîne sur ses pas ? Aux dieux des Chaldéens quel service ai-je à rendre ? Mais quelle voix plaintive ici se fait entendre ? Du fond de cette tombe un cri lugubre, affreux, Sur mon front pâlissant fait dresser mes cheveux ; De Ninus, m'a-t-on dit, l'ombre en ces lieux habite... Les cris ont redoublé, mon aine est interdite. Séjour sombre et sacré, mânes de ce grand roi, Voix puissante des dieux, que voulez-vous de moi ? Du dieu des Chaldéens pontife redouté, Permettez qu'un guerrier, à vos yeux présenté, Apporte à vos genoux la volonté dernière D'un père à qui mes mains ont fermé la paupière. Vous daignâtes l'aimer. Les voici. Ciel ! que m'apprenez-vous ? Jugez de quelle horreur j'ai dû sentir l'atteinte ! Ici même, et du fond de cette auguste enceinte, D'affreux gémissements sont vers moi parvenus. Deux fois à mon oreille ils se sont fait entendre. Il a droit de l'attendre. Mais de qui ? Ah ! si ma faible main pouvait punir ces crimes ! Je ne sais ; mais l'aspect de ce fatal tombeau Dans mes sens étonnés porte un trouble nouveau. Ne puis-je y consulter ce roi qu'on y révère ? Quoi, seigneur !... De tout ce qu'il m'a dit que mon âme est émue ! Quels crimes ! quelle cour ! et quelle est peu connue ! Quoi ! Ninus, quoi ! mon maître est mort empoisonné ! Et je ne vois que trop qu'Assur est soupçonné. Devant lui ? Quel orgueil ! Mes services, seigneur, et l'ordre de la reine. Oui. Je l'ignorais, seigneur, et j'aurais pensé même Blesser, en le croyant, l'honneur du diadème. Pardonnez ; un soldat est mauvais courtisan. Nourri dans la Scythie, aux plaines d'Arbazan, J'ai pu servir la cour, et non pas la connaître. J'ose lui demander le prix de mon courage, L'honneur de la servir. Je l'adore, sans doute, et son coeur où j'aspire Est d'un prix à mes yeux au-dessus de l'empire : Et mes profonds respects, mon amour... J'y cours de ce pas même, et vous m'enhardissez : C'est l'effet que sur moi fit toujours la menace. Quels que soient en ces lieux les droits de votre place, Vous n'avez pas celui d'outrager un soldat Qui servit et la reine, et vous-même, et l'état. Je vous parais hardi ; mon feu peut vous déplaire : Mais vous me paraissez cent fois plus téméraire, Vous qui, sous votre joug prétendant m'accabler, Vous croyez assez grand pour me faire trembler. Tous deux nous l'apprendrons. Que je la plains ! Il vous aime ! qui ? lui ! Je le hais davantage ; Mais je ne le crains pas, étant aimé de vous. Conservez vos bontés, je brave son courroux. La reine entre nous deux tient au moins la balance. Je me suis vu d'abord admis en sa présence ; Elle m'a fait sentir, à ce premier accueil, Autant d'humanité qu'Assur avait d'orgueil ; Et relevant mon front, prosterné vers son trône, M'a vingt fois appelé l'appui de Babylone. Je m'entendais flatter de cette auguste voix Dont tant de souverains ont adoré les lois ; Je la voyais franchir cet immense intervalle Qu'a mis entre elle et moi la majesté royale : Que j'en étais touché ! qu'elle était à mes yeux La mortelle, après vous, la plus semblable aux dieux ! J'allais, plein d'une noble audace, Mettre à ses pieds mes voeux jusqu'à vous élevés, Qui révoltent Assur, et que vous approuvez. Un prêtre de l'Égypte approche au moment même, Des oracles d'Ammon portant l'ordre suprême. Elle ouvre le billet d'une tremblante main, Fixe les yeux sur moi, les détourne soudain, Laisse couler des pleurs, interdite, éperdue, Me regarde, soupire, et s'échappe à ma vue. On dit qu'au désespoir son grand coeur est réduit, Que la terreur l'accable, et qu'un dieu la poursuit. Je m'attendris sur elle ; et je ne puis comprendre Qu'après plus de quinze ans, soigneux de la défendre, Le ciel la persécute, et paraisse outragé. Qu'a-t-elle fait aux dieux ? d'où vient qu'ils ont changé ? J'obéis ; mais j'ignore Si je puis à son trône être introduit encore. Qui ? ce traître ? À sa vue D'une invincible horreur je sens mon âme émue. Instruit à respecter le sang qui vous fit naître, Sans redouter en vous l'autorité d'un maître, Je sais ce qu'on vous doit, surtout en ces climats, Et je m'en souviendrais, si vous n'en parliez pas. Vos aïeux, dont Bélus a fondé la noblesse, Sont votre premier droit au coeur de la princesse ; Vos intérêts présents, le soin de l'avenir, Le besoin de l'État, tout semble vous unir. Moi, contre tant de droits, qu'il me faut reconnaître, J'ose en opposer un qui les vaut tous peut-être : J'aime ; et j'ajouterais, seigneur, que mon secours A vengé ses malheurs, a défendu ses jours, A soutenu ce trône où son destin l'appelle, Si j'osais, comme vous, me vanter devant elle. Je vais remplir son ordre à mon zèle commis ; Je n'en reçois que d'elle et de Sémiramis. L'état peut quelque jour être en votre puissance ; Le ciel donne souvent des rois dans sa vengeance : Mais il vous trompe au moins dans l'un de vos projets, Si vous comptez Arsace au rang de vos sujets. Ô reine, à vous servir ma vie est consacrée : Je vous devais mon sang ; et quand je l'ai versé, Puisqu'il coula pour vous, je fus récompensé. Mon père avait joui de quelque renommée ; Mes yeux l'ont vu mourir commandant votre armée ; Il a laissé, madame, à son malheureux fils Des exemples frappants, peut-être mal suivis. Je n'ose devant vous rappeler la mémoire Des services d'un père et de sa faible gloire, Qu'afin d'obtenir grâce à vos sacrés genoux Pour un fils téméraire, et coupable envers vous, Qui, de ses voeux hardis écoutant l'imprudence, Craint, même en vous servant, de vous faire une offense. Vous donnez votre main, vous donnez vos états. Sur ces grands intérêts, sur ce choix que vous faites, Mon coeur doit renfermer ses plaintes indiscrètes : Je dois dans le silence, et le front prosterné, Attendre avec cent rois qu'un roi nous soit donné. Mais d'Assur hautement le triomphe s'apprête ; D'un pas audacieux il marche à sa conquête ; Le peuple nomme Assur ; il est de votre sang ; Puisse-t-il mériter et son nom et sou rang ! Mais enfin je me sens l'âme trop élevée Pour adorer ici la main que j'ai bravée, Pour me voir écrasé de son orgueil jaloux. Souffrez que loin de lui, malgré moi loin de vous, Je retourne aux climats où je vous ai servie. J'y suis assez puissant contre sa tyrannie, Si des bienfaits nouveaux dont j'ose me flatter... Non : ce coeur téméraire Craint dans le inonde entier votre seule colère. Peut-être avez-vous su mes désirs orgueilleux : Votre indignation peut confondre mes voeux. Je tremble. Eh bien ! je l'avouerai, mes yeux avec horreur De votre époux en lui verraient le successeur. Mais s'il ne peut prétendre à ce grand hyménée, Verra-t-on à ses lois Azéma destinée ? Pardonnez à l'excès de ma présomption ; Ne redoutez-vous point sa sourde ambition ? Jadis à Ninias Azéma fut unie ; C'est dans le même sang qu'Assur puisa la vie ; Je ne suis qu'un sujet, mais j'ose contre lui... Ah ! puisque ainsi mes voeux sont par vous entendus, Puisque vous avez lu dans le fond de mon âme... Je le jure ; et ce bras armé pour son service, Ce coeur à qui sa voix commande après les dieux, Ce sang dans les combats répandu sous ses yeux, Sont à mon nouveau maître avec le même zèle Qui sans se démentir les anima pour elle. Ah ! croyez... Eh bien ! qu'ordonnes-tu ? parle-nous, dieu terrible ! Ombre que je révère, Demi-dieu dont l'esprit anime ces climats, Ton aspect m'encourage et ne m'étonne pas. Oui, j'irai dans ta tombe au péril de ma vie. Achève ; que veux-tu que ma main sacrifie ? L'ombre retourne de son estrade à la porte du tombeau. Il s'éloigne, il nous fuit ! N'irritez point mes maux, ils m'accablent assez. Cet oracle est affreux plus que vous ne pensez. Des prodiges sans nombre étonnent la nature. Le ciel m'a tout ravi ; je vous perds. C'en est trop : mon coeur désespéré Contre ces derniers traits n'était point préparé. Vous voyez trop, cruelle, à ma douleur profonde, Si ce coeur vous préfère à l'empire du monde. Ces victoires, ce nom, dont jetais si jaloux, Vous en étiez l'objet ; j'avais tout fait pour vous ; Et mon ambition, au comble parvenue, Jusqu'à vous mériter avait porté sa vue. Sémiramis m'est chère ; oui, je dois l'avouer ; Votre bouche avec moi conspire à la louer. Nos yeux la regardaient comme un dieu tutélaire Qui de nos chastes feux protégeait le mystère. C'est avec cette ardeur, et ces voeux épurés, Que peut-être les dieux veulent être adorés. Jugez de ma surprise au choix qu'a fait la reine ; Jugez du précipice où ce choix nous entraîne ; Apprenez tout mon sort. Apprenez Que l'empire ni vous ne me sont destinés. Ce fils qu'il faut servir, ce fils de Ninus même, Cet unique héritier de la grandeur suprême... Ce Ninias, qui, presque en son berceau, De l'hymen avec vous alluma le flambeau, Qui naquit à-la-fois mon rival et mon maître... Il respire, il vient, il va paraître. Jusqu'à ce jour trompée, elle a pleuré son fils. C'est un secret encore Renfermé dans le temple, et que la reine ignore. Mais son fils est à vous ; mais son fils est mon roi ; Mais je dois le servir. Quel oracle funeste ! Arsace est à vous seule. Ah, cruelle ! arrêtez. Quel mélange d'horreurs et de félicités ! Quels étonnants destins l'un à l'autre contraires !... Ô mon père ! Tirez-moi de l'abîme où mes pas sont plongés, Levez le voile affreux dont mes yeux sont chargés ! Quel ordre ? quelle offrande ? et qu'est-ce qu'il désire ? Qui ? moi ! venger Ninus, et Ninias respire ! Qu'il vienne, il est mon roi, mon bras va le servir. Du bandeau de Ninus ! S'il demande mon sang, disposez de ce bras. Mais vous ne parlez point, seigneur, de Ninias ; Vous ne me dites point comment son père même Me donnerait sa femme avec son diadème ? Grands dieux ! Elle ! la reine ! Ce crime dans Assur n'a rien qui me surprenne ; Mais croirai-je en effet qu'une épouse, une reine, L'amour des nations, l'honneur des souverains, D'un attentat si noir ait pu souiller ses mains ? A-t-on tant de vertus après un si grand crime ? De tous ces coups mortels en un moment frappé, Dans la nuit du trépas je reste enveloppé. Moi, son fils ? moi ? Dieu ! maître des destins, suis-je assez éprouve ? Vous me rendez la mort dont vous m'avez sauvé. Eh bien ! Sémiramis !... oui, je reçus la vie Dans le sein des grandeurs et de l'ignominie. Ma mère... ô ciel ! Ninus ! ah ! quel aveu cruel ! Mais si le traître Assur était seul criminel, S'il se pouvait... Que ne le puis-je, ô dieux ! Donnez, je n'aurai plus de doute qui me flatte ; Donnez. « Ninus mourant, au fidèle Phradate. Je meurs empoisonné ; prenez soin de mon fils ; Arrachez Ninias à des bras ennemis : Ma criminelle épouse... » Ô jour trop fécond en miracles ! Enfer, qui m'as parlé, tes funestes oracles Sont plus obscurs encore à mon esprit trouble Que le sein de la tombe où je suis appelé. Au sacrificateur on cache la victime ; Je tremble sur le choix. Non, je ne reviens point de cet état horrible Sémiramis ma mère ! ô ciel ! est-il possible ? Fuyons vers Azéma. Dieux ! c'est Sémiramis qui se montre à ma vue ! Ô tombe de Ninus ! ô séjour des enfers ! Cachez son crime et moi dans vos gouffres ouverts. Assur ! allons... il faut dans le sang du perfide... Dans cet infâme sang lavons son parricide ; Allons venger Ninus... Vous m'avez dit que son bras criminel Avait... que l'insolent s'arme contre sa reine ; Eh ! n'est-ce pas assez pour mériter ma haine ? Mon père ! C'en est trop : le crime m'environne... Arrêtez. Sémiramis... Je ne puis lui parler. Fuyez-moi pour jamais, ou m'arrachez la vie. Haïssez-moi. Oui. Ah ! je ne puis... osez-vous ?... Laissez-moi cet écrit horrible et nécessaire... Des dieux. Mon père. Tremblez ! Cessez... à chaque mot vous trouveriez la mort. Dieux, qui conduisez tout, c'est vous qui m'y forcez ! Eh bien ! que ce billet soit donc le seul supplice Qu'à son crime, grand dieu, réserve ta justice ! Vous allez trop savoir, c'en est fait. Hélas ! tout est connu. Que ce glaive plutôt épuise ici mon flanc De ce sang malheureux formé de votre sang ! Qu'il perce de vos mains ce coeur qui vous révéra, Et qui porte d'un fils le sacré caractère ! Ah ! je suis votre fils ; et ce n'est pas à vous, Quoi que vous ayez fait, d'embrasser mes genoux. Ninias vous implore, il vous aime, il vous jure Les plus profonds respects, et l'amour la plus pure. C'est un nouveau sujet, plus cher et plus soumis ; Le ciel est apaisé, puisqu'il vous rend un fils : Livrez l'infâme Assur au dieu qui vous pardonne. Je veux tout ignorer ; Je veux avec l'Asie encor vous admirer. Le repentir l'efface. Ils seront attendris Des remords d'une mère et des larmes d'un fils. Otane, au nom des dieux, ayez soin de ma mère, Et cachez, comme moi, cet horrible mystère. Ah ! vous me revoyez confus de me connaître. Je suis du sang des dieux, et je frémis d'en être. Écartez ces horreurs qui mont environné, Fortifiez ce coeur au trouble abandonné, Encouragez ce bras prêt à venger un père. Je dois un sacrifice, il le faut, j'obéis. Comment ? Qui peut me retenir ? et qui peut m'effrayer ? Grands dieux ! tout est donc éclairci ! Mon coeur est rassuré, la victime est ici. Mon père, empoisonné par ce monstre perfide, Demande à haute voix le sang du parricide. Instruit par le grand-prêtre, et conduit par le ciel, Par Ninus même armé contre le criminel, Je n'aurai qu'à frapper la victime funeste Qu'amène à mon courroux la justice céleste. Je vois trop que ma main, dans ce fatal moment, D'un pouvoir invincible est l'aveugle instrument Les dieux seuls ont tout fait, et mon âme étonnée S'abandonne à la voix qui fait ma destinée. Je vois que, malgré nous, tous nos pas sont marqués ; Je vois que des enfers ces mânes évoqués Sur le chemin du trône ont semé les miracles : J'obéis sans rien craindre, et j'en crois les oracles. Ils le vengent enfin : étouffez ce murmure. Puisqu'ils nous ont unis, ils combattent pour nous. Ce sont eux qui parlaient par la voix de mon père. Ils me rendent un trône, une épouse, une mère ; Et, couvert à vos yeux du sang du criminel, Ils vont de ce tombeau me conduire à l'autel. J'obéis, c'est assez, le ciel fera le reste. Ciel ! où suis-je ? Vous me voyez couvert du sang du parricide. Au fond de ce tombeau mon père était mon guide : J'errais dans les détours de ce grand monument, Plein de respect, d'horreur, et de saisissement ; Il marchait devant moi : j'ai reconnu la place Que son ombre en courroux marquait à mon audace. Auprès d'une colonne, et loin de la clarté Qui suffisait à peine à ce lieu redouté, J'ai vu briller le fer dans la main du perfide ; J'ai cru le voir trembler : tout coupable est timide. J'ai deux fois dans son flanc plongé ce fer vengeur ; Et d'un bras tout sanglant, qu'animait ma fureur, Déjà je le traînais, roulant sur la poussière, Vers les lieux d'où partait cette faible lumière : Mais, je vous l'avouerai, ses sanglots redoublés, Ses cris plaintifs et sourds, et mal articulés, Les dieux qu'il invoquait, et le repentir même Qui semblait le saisir à son heure suprême ; La sainteté du lieu, la pitié dont la voix, Alors qu'on est vengé, fait entendre ses lois ; Un sentiment confus, qui même m'épouvante, M'ont fait abandonner la victime sanglante. Azéma, quel est donc ce trouble, cet effroi, Cette invincible horreur qui s'empare de moi ? Mon coeur est pur, ô dieux ! mes mains sont innocentes : D'un sang proscrit par vous vous les voyez fumantes ; Quoi ! j'ai servi le ciel, et je sens des remords ! Assur ? Qu'ai-je fait ? Et quelle est la victime immolée ? Oui ; mais pour te punir j'ai reçu sa puissance. Allez, délivrez-moi de ce monstre inhumain : Il ne méritait pas de tomber sous ma main. Qu'il meure dans l'opprobre, et non de mon épée ; Et qu'on rende au trépas ma victime échappée. Quelle victime, ô ciel ! a donc frappé ma rage ? Ah ! cruels ! laissez-moi le plonger dans mon coeur. Ô jour de la terreur ! ô crimes inouïs ! Ce sacrilège affreux, ce monstre, est votre fils. Au sein qui m'a nourri cette main s'est plongée ; Je vous suis dans la tombe, et vous serez vengée. Ah ! c'est le dernier trait à mon aine éperdue. J'atteste ici les dieux qui conduisaient mon bras, Ces dieux qui m'égaraient... **** *creator_voltaire *book_voltaire_semiramis *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_semiramis *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_AZEMA *date_1748 *sexe_feminin *age_mur *statut_maitre *fonction_mere *role_azema Arsace, écoutez-moi ; cet empire indompté Vous doit son nouveau lustre, et moi, ma liberté. Quand les Scythes vaincus, réparant leurs défaites, S'élancèrent sur nous de leurs vastes retraites, Quand mon père en tombant me laissa dans leurs fers, Vous seul, portant la foudre au fond de leurs déserts, Brisâtes mes liens, remplîtes ma vengeance. Je vous dois tout ; mon coeur en est la récompense : Je ne serai qu'à vous. Mais notre amour nous perd. Votre coeur généreux, trop simple et trop ouvert, A cru qu'en cette cour, ainsi qu'en votre armée, Suivi de vos exploits et de la renommée, Vous pouviez déployer, sincère impunément, La fierté d'un héros, et le coeur d'un amant. Vous outragez Assur, vous devez le connaître ; Vous ne pouvez le perdre, il menace, il est maître ; Il abuse en ces lieux de son pouvoir fatal ; Il est inexorable... il est votre rival. Ce coeur sombre et farouche, Qui hait toute vertu, qu'aucun charme ne touche, Ambitieux, esclave, et tyran tour-à-tour, S'est-il flatté de plaire, et connaît-il l'amour ? Des rois assyriens comme lui descendue, Et plus près de ce trône, où je suis attendue, Il pense, en m'immolant à ses secrets desseins, Appuyer de mes droits ses droits trop incertains. Pour moi, si Ninias, à qui, dès sa naissance, Ninus m'avait donnée aux jours de mon enfance ; Si l'héritier du sceptre à moi seule promis Voyait encor le jour près de Sémiramis ; S'il me donnait son coeur avec le rang suprême, J'en atteste l'amour, j'en jure par vous-même, Ninias me verrait préférer aujourd'hui Un exil avec vous, à ce trône avec lui. Les campagnes du Scythe, et ses climats stériles, Pleins de votre grand nom, sont d'assez doux asiles : Le sein de ces déserts, où naquit notre amour, Est pour moi Babylone, et deviendra ma cour. Peut-être l'ennemi que cet amour outrage À ce doux châtiment ne borne point sa rage. J'ai démêlé son aine, et j'en vois la noirceur ; Le crime, ou je me trompe, étonne peu son coeur. Votre gloire déjà lui fait assez d'ombrage ; Il vous craint, il vous hait. Si la reine est pour nous, Assur en vain menace, Je ne crains rien. On ne parle en effet que d'augures funestes, De mânes en courroux, de vengeances célestes. Sémiramis troublée a semblé quelques jours Des soins de son empire abandonner le cours ; Et j'ai tremblé qu'Assur, en ces jours de tristesse, Du palais effrayé n'accablât la faiblesse. Mais la reine a paru, tout s'est calmé soudain ; Tout a senti le poids du pouvoir souverain. Si déjà de la cour mes yeux ont quelque usage, La reine hait Assur, l'observe, le ménage : Ils se craignent l'un l'autre ; et, tout prêts d'éclater, Quelque intérêt secret semble les arrêter. J'ai vu Sémiramis à son nom courroucée ; La rougeur de son front trahissait sa pensée ; Son coeur paraissait plein d'un long ressentiment : Mais souvent à la cour tout change en un moment. Retournez, et parlez. Ma voix secondera mes voeux et votre espoir ; Je fais de vous aimer ma gloire et mon devoir. Que de Sémiramis on adore l'empire, Que l'Orient vaincu la respecte et l'admire, Dans mon triomphe heureux j'envierai peu les siens. Le monde est à ses pieds, mais Arsace est aux miens. Allez. Assur paraît. En est-il ? mais parlez. Reposez-vous sur moi, sans insulter Arsace, Du soin de maintenir la splendeur de ma race. Je défendrai surtout, quand il en sera temps, Les droits que m'ont transmis les rois dont je descends. Je connais vos aïeux ; mais, après tout, j'ignore Si parmi ces héros, que l'Assyrie adore, Il en est un plus grand, plus chéri des humains, Que ce même Sarmate, objet de vos dédains. Aux vertus, croyez-moi, rendez plus de justice. Pour moi, quand il faudra que l'hymen m'asservisse, C'est à Sémiramis à faire mes destins, Et j'attendrai, seigneur, un maître de ses mains. J'écoute peu ces bruits que le peuple répète, Échos tumultueux d'une voix plus secrète. J'ignore si vos chefs, aux révoltes poussés, De servir une femme en secret sont lassés ; Je les vois à ses pieds baisser leur tête altière ; Ils peuvent murmurer, mais c'est dans la poussière. Les dieux, dit-on, sur elle ont étendu leur bras : J'ignore son offense, et je ne pense pas, Si le ciel a parlé, seigneur, qu'il vous choisisse Pour annoncer son ordre, et servir sa justice. Elle règne, en un mot. Et vous qui gouvernez, Vous prenez à ses pieds les lois que vous donnez ; Je ne connais ici que son pouvoir suprême : Ma gloire est d'obéir ; obéissez de même. Reine, j'ose à vos pieds... Pontife, et vous, seigneur, on va nommer un roi : Ce grand choix, tel qu'il soit, peut n'offenser que moi. Mais je naquis sujette, et je le suis encore ; Je m'abandonne aux soins dont la reine m'honore ; Et, sans oser prévoir un sinistre avenir, Je donne à ses sujets l'exemple d'obéir. Arsace ! ô perfidie ! Ah ! parjure ! Va, cesse d'ajouter aux horreurs de ce jour L'indigne souvenir de ton perfide amour. Je ne combattrai point la main qui te couronne, Les morts qui t'ont parlé, ton coeur qui m'abandonne. Des prodiges nouveaux qui me glacent d'effroi, Ta barbare inconstance est le plus grand pour moi. Achève ; rends Ninus à ton crime propice ; Commence ici par moi ton affreux sacrifice : Frappe, ingrat ! Je le sais. Eh bien ? Ninias ! Ninias, juste ciel ! Eh quoi ! Sémiramis... Ninias est vivant ! Mais Ninus te couronne, et sa veuve est à toi. L'amour parle, il suffit : que m'importe le reste ? Ses ordres plus certains n'ont point d'obscurité ; Voilà mon seul oracle, il doit être écouté. Ninias est vivant ! Eh bien ! qu'il reparaisse ; Que sa mère à mes yeux attestant sa promesse, Que son père avec lui rappelé du tombeau, Rejoignent ces liens formés dans mon berceau ; Que Ninias, mon roi, ton rival, et ton maître, Ait pour moi tout l'amour que tu me dois peut-être Viens voir tout cet amour devant toi confondu ; Vois fouler à mes pieds le sceptre qui m'est dû. Où donc est Ninias ? quel secret ? quel mystère Le dérobe à ma vue, et le cache à sa mère ? Qu'il revienne en un mot; lui, ni Sémiramis, Ni ces mânes sacrés que l'enfer a vomis, Ni le renversement de toute la nature, Ne pourront de mon âme arracher un parjure. Arsace, c'est à toi de te bien consulter ; Vois si ton coeur m'égale, et s'il m'ose imiter. Quels sont donc ces forfaits que l'enfer en furie, Que l'ombre de Ninus ordonne qu'on expie ? Cruel, si tu trahis un si sacré lien, Je ne connais ici de crime que le tien. Je vois de tes destins le fatal interprète, Pour te dicter leurs lois, sortir de sa retraite : Le malheureux amour dont tu trahis la foi N'est point fait pour paraître entre les dieux et toi. Va recevoir l'arrêt dont Ninus nous menace ; Ton sort dépend des dieux, le mien dépend d'Arzace. Madame, pardonnez si, sans être appelée, De mortelles frayeurs trop justement troublée, Je viens avec transport embrasser vos genoux. D'arracher un héros au coup qui le menace, De prévenir le crime, et de sauver Arsace. Il devient votre époux ; Il me trahit, n'importe, il doit vivre pour vous. Quoi ! l'hymen qui vous lie... Madame, vous savez Que peut-être au moment que ma voix vous implore... Ce demi-dieu, que je redoute encore, D'un secret sacrifice en doit être honoré Au fond du labyrinthe à Ninus consacré. J'ignore quels forfaits il faut qu'Arzace expie. Cet Assur, cet impie, Va violer la tombe où nul n'est introduit. Dans les horreurs de la profonde nuit, Des souterrains secrets, où sa fureur habile À tout événement se creusait un asile, Ont servi les desseins de ce monstre odieux ; Il vient braver les morts, il vient braver les dieux : D'une main sacrilège, aux forfaits enhardie, Du généreux Arsace il va trancher la vie. Fiez-vous à mon coeur éclairé par l'amour ; J'ai vu du traître Assur la haine envenimée, Sa faction tremblante, et par lui ranimée, Ses amis rassemblés, qu'a séduits sa fureur De ses desseins secrets j'ai démêlé l'horreur ; J'ai feint de réunir nos causes mutuelles ; Je l'ai fait épier par des regards fidèles : Il ne commet qu'à lui ce meurtre détesté ; Il marche au sacrilège avec impunité. Sûr que dans ce lieu saint nul n'osera paraître, Que l'accès en est même interdit au grand-prêtre, Il y vole : et le bruit par ses soins se répand, Qu'Arzace est la victime, et que la mort l'attend ; Que Ninus dans son sang doit laver son injure. On parle au peuple, aux grands, on s'assemble, on murmure. Je crains Ninus, Assur, et le ciel en courroux. Ciel ! Que méditait la reine ? et quel dessein l'anime ? A-t-elle encor le temps de prévenir le crime ? Ô prodige, ô destin, que je ne conçois pas ! Moment cher et terrible ! Arsace, Ninias ! Arbitres des humains, puissances que j'adore, Me l'avez-vous rendu pour le ravir encore ? Ah ! cher prince, arrêtez. Ninias, est-ce vous ? Vous, le fils de Ninus, mon maître et mon époux ? Gardez-vous de remplir cet affreux ministère. Non, Ninus ne veut pas qu'on immole son fils. Vous n'irez point dans ce lieu redoutable ; Un traître y tend pour vous un piège inévitable. C'est vous que dans la tombe on va sacrifier ; Assur, l'indigne Assur a d'un pas sacrilège Violé du tombeau le divin privilège : Il vous attend. Tout ce qu'ont fait les dieux ne m'apprend qu'à frémir ; Ils ont aimé Ninus, ils l'ont laissé périr. Ils choisissent souvent une victime pure ; Le sang de l'innocence a coulé sous leurs coups. Dieux ! veillez sur ses pas dans ce tombeau funeste. Que voulez-vous ? quel sang doit aujourd'hui couler ? Impénétrables dieux, vous me faites trembler. Je crains Assur, je crains cette main sanguinaire ; Il peut percer le fils sur la cendre du père. Abîmes redoutes, dont Ninus est sorti. Dans vos antres profonds que ce monstre englouti Porte au sein des enfers la fureur qui le presse ! Cieux, tonnez ! cieux, lancez la foudre vengeresse ! Ô son père ! ô Ninus ! quoi ! tu n'as pas permis Qu'une épouse éplorée accompagnât ton fils ! Ninus, combats pour lui dans ce lieu de ténèbres ! N'entends-je pas sa voix parmi des cris funèbres ? Dût ce sacré tombeau, profané par mes pas, Ouvrir pour me punir les gouffres du trépas, J'y descendrai, j'y vole... Ah ! quels coups de tonnerre Ont enflammé le ciel et font trembler la terre ! Je crains, j'espère... Il vient. Ah ! seigneur Vous êtes teint de sang, pâle, glacé d'horreur. Vous avez satisfait la nature et les morts. Quittons ce lieu terrible, allons vers votre mère ; Calmez à ses genoux ce trouble involontaire : Et puisque Assur n'est plus... Ciel ! Assur à mes yeux ! Accourez tous, ministres de nos dieux, Ministres de nos rois, défendez votre maître. Ah ! fuyez, cher époux ! **** *creator_voltaire *book_voltaire_semiramis *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_semiramis *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_ASSUR *date_1748 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_assur Me trompé-je ? Arsace à Babylone ! Sans mon ordre ! Qui ? lui ! Tant d'audace m'étonne. Approchez : quels intérêts nouveaux Vous font abandonner vos camps et vos drapeaux ? Des rives de l'Oxus quel sujet vous amène ? Quoi ! la reine vous mande ? Mais savez-vous bien Que pour avoir son ordre on demande le mien ? L'âge, les temps, les lieux, vous l'apprendront peut-être ; Mais ici par moi seul aux pieds du trône admis, Que venez-vous chercher près de Sémiramis ? Vous osez davantage. Vous ne m'expliquez pas vos voeux présomptueux : Je sais pour Azéma vos desseins et vos feux. Arrêtez. Vous ne connaissez pas à qui vous insultez. Qui ? vous ! associer la race d'un Sarmate Au sang des demi-dieux du Tigre et de l'Euphrate ? Je veux bien par pitié vous donner un avis : Si vous osez porter jusqu'à Sémiramis L'injurieux aveu que vous osez me faire, Vous m'avez entendu, frémissez, téméraire : Mes droits impunément ne sont pas offensés. Pour vous punir peut-être ; et je vais vous apprendre Quel prix de tant d'audace un sujet doit attendre. Sortons ; et, sans plus consulter. De ce trouble inouï songeons à profiter. Un accueil que des rois ont vainement brigué, Quand vous avez paru, vous est donc prodigué ? Vous avez en secret entretenu la reine ; Mais vous a-t-elle dit que votre audace vaine Est un outrage au trône, à mon honneur, au sien ; Que le sort d'Azéma ne peut s'unir qu'au mien ; Qu'à Ninias, jadis, Azéma fut donnée ; Qu'aux seuls enfants des rois sa main est destinée ; Que du fils de Ninus le droit m'est assuré ; Qu'entre le trône et moi je ne vois qu'un degré ? La reine a-t-elle enfin du moins daigné vous dire Dans quel piège en ces lieux votre orgueil vous attire ? Et que tous vos respects ne pourront effacer Les téméraires voeux qui m'osaient offenser ? Tu combles la mesure, et tu cours à ta perte. Madame, son audace est trop longtemps soufferte. Mais puis-je en liberté m'expliquer avec vous Sur un sujet plus noble et plus digne de nous ? Bientôt l'Asie entière Sous vos pas et les miens ouvre une autre carrière : Les faibles intérêts doivent peu nous frapper ; L'univers nous appelle, et va nous occuper. Sémiramis n'est plus que l'ombre d'elle-même ; Le ciel semble abaisser cette grandeur suprême : Cet astre si brillant, si longtemps respecté, Penche vers son déclin, sans force et sans clarté. On le voit, on murmure, et déjà Babylone Demande à haute voix un héritier du trône. Ce mot en dit assez ; vous connaissez mes droits : Ce n'est point à l'amour à nous donner des rois. Non qu'à tant de beautés mon âme inaccessible Se fasse une vertu de paraître insensible ; Mais pour vous et pour moi j'aurais trop à rougir Si le sort de l'état dépendait d'un soupir ; Un sentiment plus digne et de l'un et de l'autre Doit gouverner mon sort, et commander au vôtre. Vos aïeux sont les miens, et nous les trahissons, Nous perdons l'univers, si nous nous divisons. Je puis vous étonner ; cet austère langage Effarouche aisément les grâces de votre âge ; Mais je parle aux héros, aux rois, dont vous sortez, À tous ces demi-dieux que vous représentez. Longtemps, foulant aux pieds leur grandeur et leur cendre, Usurpant un pouvoir où nous devons prétendre, Donnant aux nations ou des lois, ou des fers, Une femme imposa silence à l'univers. De sa grandeur qui tombe affermissez l'ouvrage ; Elle eut votre beauté, possédez son courage. L'amour à vos genoux ne doit se présenter Que pour vous rendre un sceptre, et non pour vous l'ôter C'est ma main qui vous l'offre, et du moins je me flatte Que vous n'immolez pas à l'amour d'un Sarmate La majesté d'un nom qu'il vous faut respecter, Et le trône du monde où vous devez monter. Obéir ! ah ! ce mot fait trop rougir mon front ; J'en ai trop dévoré l'insupportable affront. Parle, as-tu réussi ? Ces semences de haine, Que nos soins en secret cultivaient avec peine, Pourront-elles porter, au gré de ma fureur, Les fruits que j'en attends de discorde et d'horreur ? Chagrins toujours cuisants ! honte toujours nouvelle ! Quoi ! Ma gloire, mon rang, mon destin dépend d'elle ! Quoi ! J'aurais fait mourir et Ninus et son fils. Pour ramper le premier devant Sémiramis ! Pour languir, dans l'éclat d'une illustre disgrâce, Près du trône du monde, à la seconde place ! La reine se bornait à la mort d'un époux ; Mais j'étendis plus loin ma fureur et mes coups : Ninias, en secret privé de la lumière, Du trône où j'aspirais m'entr'ouvrait la barrière, Quand sa puissante main la ferma sous mes pas. C'est en vain que, flattant l'orgueil de ses appas, J'avais cru chaque jour prendre sur sa jeunesse Cet heureux ascendant que les soins, la souplesse, L'attention, le temps, savent si bien donner Sur un coeur sans dessein, facile à gouverner. Je connus mal cette âme inflexible et profonde ; Rien ne la put toucher que l'empire du monde. Elle en parut trop digne, il le faut avouer : Je suis dans mes fureurs contraint à la louer. Je la vis retenir dans ses mains assurées De l'état chancelant les rênes égarées, Apaiser le murmure, étouffer les complots, Gouverner en monarque, et combattre en héros. Je la vis captiver et le peuple et l'armée. Ce grand art d'imposer, même à la renommée, Fut l'art qui sous son joug enchaîna les esprits : L'univers à ses pieds demeure encor surpris. Que dis-je ? sa beauté, ce flatteur avantage, Fit adorer les lois qu'imposa son courage ; Et, quand dans mon dépit j'ai voulu conspirer, Mes amis consternés n'ont su que l'admirer. 1 Accablons sa faiblesse. Je ne puis m'élever qu'autant qu'elle s'abaisse. De Babylone au moins j'ai fait parler la voix : Sémiramis enfin va céder une fois. Ce premier coup porté, sa ruine est certaine. Me donner Azéma, c'est cesser d'être reine ; Oser me refuser, soulève ses états ; Et de tous les côtés le piège est sous ses pas. Mais peut-être, après tout, quand je crois la surprendre, J'ai lassé ma fortune à force de l'attendre. Pour Azéma sans doute il n'est point d'autre époux. Mais pourquoi de si loin faire venir Arsace ? Elle a favorisé son insolente audace. Tout prêt à le punir, je me vois retenu Par cette même main dont il est soutenu. Prince, mais sans sujets, ministre, et sans puissance, Environné d'honneurs, et dans la dépendance, Tout m'afflige, une amante, un jeune audacieux, Des prêtres consultés, qui font parler leurs dieux, Sémiramis enfin toujours en défiance, Qui me ménage à peine, et qui craint ma présence ! Nous verrons si l'ingrate avec impunité Ose pousser à bout un complice irrité. À ses ordres sacrés j'obéis avec soin, Otane, et j'attendrai sa volonté suprême. Eh ! d'où peut donc venir ce changement extrême ? Depuis près de trois mois je lui semble odieux ; Mon aspect importun lui fait baisser les yeux ; Toujours quelque témoin nous voit et nous écoute ; De nos froids entretiens, qui lui pèsent sans doute, Ses soudaines frayeurs interrompent le cours ; Son silence souvent répond à mes discours. Que veut-elle me dire ? ou que veut-elle apprendre ? Elle avance vers nous ; c'est elle. Va m'attendre. Madame, c'est à vous d'achever votre ouvrage, De commander au temps, de prévoir son outrage. Qui pourrait obscurcir des jours si glorieux ? Quand la terre obéit, que craignez-vous des dieux ? Je vous avouerai que je suis indigné Qu'on se souvienne encor si Ninus a régné. Craint-on après quinze ans ses mânes en colère ? Ils se seraient vengés, s'ils avaient pu le faire. D'un éternel oubli ne tirez point les morts. Je suis épouvanté, mais c'est de vos remords. Ah ! ne consultez point d'oracles inutiles : C'est par la fermeté qu'on rend les dieux faciles. Ce fantôme inouï qui paraît en ce jour, Qui naquit de la crainte, et l'enfante à son tour, Peut-il vous effrayer par tous ses vains prestiges ? Pour qui ne les craint point il n'est point de prodiges ; Ils sont l'appât grossier des peuples ignorants, L'invention du fourbe, et le mépris des grands. Mais si quelque intérêt plus noble et plus solide Éclaire votre esprit qu'un vain trouble intimide, S'il vous faut de Bélus éterniser le sang, Si la jeune Azéma prétend à ce haut rang... Quels discours étonnants ! quels projets ! quel langage ! Est-ce crainte, artifice, ou faiblesse, ou courage ? Prétend-elle, en cédant, raffermir ses destins ? Et s'unit-elle à moi pour tromper mes desseins ? À l'hymen d'Azéma je ne dois point prétendre ! C'est m'assurer du sien, que je dois seul attendre. Ce que n'ont pu mes soins et nos communs forfaits, L'hommage dont jadis je flattai ses attraits, Mes brigues, mon dépit, la crainte de sa chute, Un oracle d'Égypte, un songe l'exécute ! Quel pouvoir inconnu gouverne les humains ! Que de faibles ressorts font d'illustres destins ! Doutons encor de tout, voyons encor la reine. Sa résolution nie paraît trop soudaine ; Trop de soins à mes yeux paraissent l'occuper : Et qui change aisément est faible, ou veut tromper. Quoi qu'il puisse arriver, quoi que le ciel décide, Que le bien de l'état à ce grand jour préside. Jurons tous par ce trône, et par Sémiramis, D'être à ce choix auguste aveuglément soumis, D'obéir sans murmure au gré de sa justice. Ô vengeance ! ô fureurs ! L'ombre de Ninus même ! ô dieux ! est-il possible ? Parle. Quel horrible prodige ! Toi, Ninias ? Toi, de Sémiramis tu reçus la naissance ? Va : mon plus grand supplice est de te voir mon roi ; Mais je te laisse encor plus malheureux que moi : Regarde ce tombeau ; contemple ton ouvrage. **** *creator_voltaire *book_voltaire_semiramis *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_semiramis *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_OROES *date_1748 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_oroes Jeune et brave mortel, D'un dieu qui conduit tout le décret éternel Vous amène à mes yeux plus que l'ordre d'un père. De Phradate à jamais la mémoire m'est chère ; Son fils me l'est encor plus que vous ne croyez. Ces gages précieux, par son ordre envoyés, Où sont-ils ? C'est donc vous que je touche, Restes chers et sacrés ; je vous vois, et ma bouche Presse, avec des sanglots, ces tristes monuments Qui, m'arrachant des pleurs, attestent mes serments ! Que l'on nous laisse seuls ; allez, et vous, Mitrane, De ce secret mystère écartez tout profane. Voici ce même sceau dont Ninus autrefois Transmit aux nations l'empreinte de ses lois : Je la vois, cette lettre à jamais effrayante, Que, prête à se glacer, traça sa main mourante. Adorez ce bandeau dont il fut couronné : À venger son trépas ce fer est destiné, Ce fer qui subjugua la Perse et la Médie, Inutile instrument contre la perfidie, Contre un poison trop sûr, dont les mortels apprêts... Ces horribles secrets Sont encor demeurés dans une nuit profonde. Du sein de ce sépulcre, inaccessible au monde, Les mânes de Ninus et les dieux outragés Ont élevé leurs voix, et ne sont point vengés. Ces accents de la mort sont la voix de Ninus. Ils demandent vengeance. Les cruels dont les coupables mains Du plus juste des rois ont privé les humains, Ont de leur trahison caché la traîne impie ; Dans la nuit de la tombe elle est ensevelie. Aisément des mortels ils ont séduit les yeux : Mais on ne peut tromper l'oeil vigilant des dieux : Des plus obscurs complots il perce les abîmes. Non : le ciel le défend ; un oracle sévère Nous interdit l'accès de ce séjour de pleurs Habité par la mort et par des dieux vengeurs. Attendez avec moi le jour de la justice : Il est temps qu'il arrive, et que tout s'accomplisse. Je n'en puis dire plus ; des pervers éloigné, Je lève en paix mes mains vers le ciel indigné. Sur ce grand intérêt, qui peut-être vous touche, Ce ciel, quand il lui plaît, ouvre et ferme ma bouche. J'ai dit ce que j'ai dû ; tremblez qu'en ces remparts Une parole, un geste, un seul de vos regards, Ne trahisse un secret que mon dieu vous confie. Il y va de sa gloire, et du sort de l'Asie, Il y va de vos jours. Vous, mages, approchez ; Que ces chers monuments sous l'autel soient cachés. Déjà le palais s'ouvre ; on entre chez la reine ; Vous voyez cet Assur, dont la grandeur hautaine Traîne ici sur ses pas un peuple de flatteurs. À qui, dieu tout puissant, donnez-vous les grandeurs ? Ô monstre ! Adieu. Quand la nuit sombre Sur ces coupables murs viendra jeter son ombre, Je pourrai vous parler en présence des dieux. Redoutez-les, Arsace, ils ont sur vous les yeux. Les mages et les grands attendent votre choix ; Je remplis mon devoir, et j'obéis aux rois : Le soin de les juger n'est point notre partage ; C'est celui des dieux seuls. Je ne les connais pas ; puissent-ils être heureux ! Du ciel, quand il le faut, la justice suprême Suspend l'ordre éternel établi par lui-même ; Il permet à la mort d'interrompre ses lois, Pour l'effroi de la terre et l'exemple des rois. Il se fera, madame. Je croyais ma présence importune. Oui, ces dons leur sont chers, Arsace a su leur plaire. Arsace de l'empire est le plus digne appui ; Les dieux l'ont amené; sa gloire est leur ouvrage. Princes, mages, guerriers, soutiens de Babylone, Par l'ordre de la reine en ces lieux rassemblés, Les décrets de nos dieux vous seront révélés : Ils veillent sur l'empire ; et voici la journée Qu'à de grands changements ils avaient destinée. Quel que soit le monarque et quel que soit l'époux Que la reine ait choisi pour l'élever sur nous, C'est à nous d'obéir... J'apporte au nom des mages Ce que je dois aux rois, des voeux et des hommages, Des souhaits pour leur gloire, et surtout pour l'état. Puissent ces jours nouveaux de grandeur et d'éclat N'être jamais changés en des jours de ténèbres, Ni ces chants d'allégresse en des plaintes funèbres ! De la reine et des dieux j'attends les volontés. Juste ciel ! écartez ces horreurs ! Dieu ! soyez notre appui. Venez, retirons-nous vers ces lieux solitaires ; Je vois quel trouble affreux a dû vous pénétrer : À de plus grands assauts il faut vous préparer. Apportez ce bandeau d'un roi que je révère ; Prenez ce fer sacré, cette lettre. Le voile va tomber, mon fils ; et voici l'heure Où, dans sa redoutable et profonde demeure, Ninus attend de vous, pour apaiser ses cris, L'offrande réservée à ses mânes trahis. Son père a commandé ; ne sachez qu'obéir. Dans une heure à sa tombe, Arsace, il faut vous rendre, Armé du fer sacré que vos mains doivent prendre, Ceint du même bandeau que son front a porté, Et que vous-même ici vous m'avez présenté. Ses mânes le commandent : C'est dans cet appareil, c'est ainsi qu'ils attendent Ce sang qui devant eux doit être offert par vous. Ne songez qu'à frapper, qu'à servir leur courroux : La victime y sera ; c'est assez vous instruire. Reposez-vous sur eux du soin de la conduire. Sa femme ! vous ! la reine ! ô ciel ! Sémiramis ! Eh bien ! voici l'instant que je vous ai promis. Connaissez vos destins, et cette femme impie. De son époux elle a tranché la vie. Assur, l'opprobre de son nom, Le détestable Assur a donné le poison. Ce doute, cher Arsace, est d'un coeur magnanime ; Mais ce n'est plus le temps de rien dissimuler : Chaque instant de ce jour est fait pour révéler Les effrayants secrets dont frémit la nature : Elle vous parle ici ; vous sentez son murmure ; Votre coeur, malgré vous, gémit épouvanté. Ne soyez plus surpris si Ninus irrité Est monté de !a terre à ces voûtes impies : Il vient briser des noeuds tissus par les furies ; Il vient montrer au jour des crimes impunis ; Des horreurs de l'inceste il vient sauver son fils : Il parle, il vous attend ; Ninus est votre père ; Vous êtes Ninias ; la reine est votre mère. Vous-même : en doutez-vous encore ? Apprenez que Ninus, à sa dernière aurore, Sûr qu'un poison mortel en terminait le cours, Et que le même crime attentait sur vos jours, Qu'il attaquait en vous les sources de la vie, Vous arracha mourant à cette cour impie. Assur, comblant sur vous ses crimes inouïs, Pour épouser la mère, empoisonna le fils. Il crut que, de ses rois exterminant la race, Le trône était ouvert à sa perfide audace ; Et lorsque le palais déplorait votre mort, Le fidèle Phradate eut soin de votre sort. Ces végétaux puissants qu'en Perse on voit éclore, Bienfaits nés dans ses champs de l'astre qu'elle adore, Par les soins de Phradate avec art préparés, Firent sortir la mort de vos flancs déchirés ; De son fils qu'il perdit il vous donna la place ; Vous ne fûtes connu que sous le nom d'Arzace : Il attendait le jour d'un heureux changement. Dieu, qui juge les rois, en ordonne autrement. La vérité terrible est du ciel descendue, Et du sein des tombeaux la vengeance est venue. Voici ces sacrés caractères, Ces garants trop certains de ces cruels mystères ; Le monument du crime est ici sous vos yeux : Douterez-vous encor ? En faut-il davantage ? C'est de vous que je tiens cet affreux témoignage. Ninus n'acheva point; l'approche de la mort Glaça sa faible main qui traçait votre sort. Phradate en cet écrit vous apprend tout le reste ; Lisez : il vous confirme un secret si funeste. Il suffit, Ninus parle, il arme votre bras, De sa tombe à son trône il va guider vos pas, Il veut du sang. Tremblez, mais sur le crime. Allez ; dans les horreurs dont vous êtes troublé, Le ciel vous conduira comme il vous a parlé. Ne vous regardez plus comme un homme ordinaire ; Des éternels décrets sacré dépositaire, Marqué du sceau des dieux, séparé des humains, Avancez dans la nuit qui couvre vos destins. Mortel, faible instrument des dieux de vos ancêtres, Vous n'avez pas le droit d'interroger vos maîtres. À la mort échappé, malheureux Ninias, Adorez, rendez grâce, et ne murmurez pas. Le ciel est satisfait ; la vengeance est comblée. Peuples, de votre roi voilà l'empoisonneur. Peuples, de votre roi voilà le successeur. Je viens vous l'annoncer, je viens le reconnaître ; Revoyez Ninias, et servez votre maître. Lui-même : un dieu qui l'a conduit Le sauva de ta rage, et ce dieu te poursuit. Sortez ; Venez purifier vos bras ensanglantés ; Remettez dans mes mains ce glaive trop funeste, Cet aveugle instrument de la fureur céleste. Gardez de le laisser à sa propre fureur. La lumière à ses yeux est ravie. Secourez Ninias, prenez soin de sa vie. Par ce terrible exemple apprenez tous du moins Que les crimes secrets ont les dieux pour témoins. Plus le coupable est grand, plus grand est le supplice. Rois, tremblez sur le trône, et craignez leur justice. Que les rois dans le ciel ont un juge sévère, L'innocence un vengeur, et l'orphelin un père. **** *creator_voltaire *book_voltaire_semiramis *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_semiramis *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_OTANE *date_1748 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_otane Seigneur, quittez ces lieux. La reine en ce moment se cache à tous les yeux ; Respectez les douleurs de son âme éperdue. Dieux, retirez la main sur sa tête étendue ! Ô reine ! rappelez votre force première ; Que vos yeux, sans horreur, s'ouvrent à la lumière. Madame, en cette cour, Arsace auprès du temple a devancé le jour. Au sein de ces horreurs goûtez donc quelque joie : Espérez dans ces dieux dont le bras se déploie. Perdez-en pour jamais l'importune mémoire ; Que de Sémiramis les beaux jours pleins de gloire Effacent ce moment heureux ou malheureux Qui d'un fatal hymen brisa le joug affreux. Ninus, en vous chassant de son lit et du troue, En vous perdant, madame, eût perdu Babylone. Pour le bien des mortels vous prévîntes ses coups ; Babylone et la terre avaient besoin de vous : Et quinze ans de vertus et de travaux utiles, Les arides déserts par vous rendus fertiles, Les sauvages humains soumis au frein des lois, Les arts dans nos cités naissant à votre voix, Ces hardis monuments que l'univers admire. Les acclamations de ce puissant empire, Sont autant de témoins dont le cri glorieux A déposé pour vous au tribunal des dieux. Enfin, si leur justice emportait la balance, Si la mort de Ninus excitait leur vengeance, D'où vient qu'Assur ici brave en paix leur courroux ? Assur fut en effet plus coupable que vous ; Sa main, qui prépara le breuvage homicide, Ne tremble point pourtant, et rien ne l'intimide. Mais est-il assuré que ce spectre fatal Soit en effet sorti du séjour infernal ? Souvent de ces erreurs notre aine est obsédée ; De son ouvrage même elle est intimidée ; Croit voir ce qu'elle craint ; et, dans l'horreur des nuits, Voit enfin les objets qu'elle-même a produits. Seigneur, Sémiramis vous ordonne d'attendre ; Elle veut en secret vous voir et vous entendre, Et de cet entretien qu'aucun ne soit témoin. Arsace ! lui ? C'est beaucoup abaisser ce superbe courage Qui des maîtres du Gange a dédaigné l'hommage, Qui, n'écoutant jamais de faibles sentiments, Veut des rois pour sujets, et non pas pour amants. Vous avez méprisé jusqu'à la beauté même, Dont l'empire accroissait votre empire suprême ; Et vos yeux sur la terre exerçaient leur pouvoir, Sans que vous daignassiez vous en apercevoir. Quoi ! de l'amour enfin connaissez-vous les charmes ? Et pouvez-vous passer de ces sombres alarmes Au tendre sentiment qui vous parle aujourd'hui ? Mais vous avez prévu la douleur et la rage Dont va frémir Assur à ce nouvel outrage ; Car enfin il se flatte, et la commune voix A fait tomber sur lui l'honneur de votre choix : Il ne bornera pas son dépit à se plaindre. Son crédit, son sacré caractère, Peut appuyer le choix que vous prétendez faire. Il vient. Songez qu'un dieu propice a voulu prévenir Cet effroyable hymen, dont je vous vois frémir. La nature étonnée à ce danger funeste, En vous rendant un fils, vous arrache à l'inceste. Des oracles d'Ammon les ordres absolus, Les infernales voix, les mânes de Ninus, Vous disaient que le jour d'un nouvel hyménée Finirait les horreurs de votre destinée ; Mais ils ne disaient pas qu'il dût être accompli. L'hymen s'est préparé, votre sort est rempli ; Ninias vous révère. Un secret sacrifice Va contenter des dieux la facile justice : Ce jour si redouté fera votre bonheur. Que craignez-vous d'un fils ? quel noir pressentiment ! Non ; ce secret terrible est de tous ignoré : De l'ombre de Ninus l'oracle est adoré ; Les esprits consternés ne peuvent le comprendre. Comment servir son fils ? pourquoi venger sa cendre ? On l'ignore, on se tait. On attend ces moments Où, fermé sans réserve au reste des vivants, Ce lieu saint doit s'ouvrir pour finir tant d'alarmes. Le peuple est aux autels ; vos soldats sont en armes. Azéma, pâle, errante, et la mort dans les yeux, Veille autour du tombeau, lève les mains aux cieux. Ninias est au temple, et d'une âme éperdue Se prépare à frapper sa victime inconnue. Dans ses sombres fureurs Assur enveloppé, Rassemble les débris d'un parti dissipé : Je ne sais quels projets il peut former encore. Il n'en est pas besoin ; j'ai fait saisir le traître Lorsque dans ce lieu saint il allait pénétrer : La reine l'ordonna, je viens vous le livrer. **** *creator_voltaire *book_voltaire_semiramis *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_semiramis *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_MITRANE *date_1748 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_mitrane La renommée, Arsace, est souvent bien trompeuse ; Et peut-être avec moi bientôt vous gémirez Quand vous venez de près ce que vous admirez. Sémiramis, à ses douleurs livrée, Sème ici les chagrins dont elle est dévorée : L'horreur qui l'épouvante est dans tous les esprits. Tantôt remplissant l'air de ses lugubres cris, Tantôt morne, abattue, égarée, interdite, De quelque dieu vengeur évitant la poursuite, Elle tombe à genoux vers ces lieux, retirés, À la nuit, au silence, à la mort consacrés ; Séjour où nul mortel n'osa jamais descendre, Où de Ninus, mon maître, ou conserve la cendre. Elle approche à pas lents, l'air sombre, intimidé, Et se frappant le sein de ses pleurs inondé. À travers les horreurs d'un .silence farouche, Les noms de fils, d'époux, échappent de sa bouche : Elle invoque les dieux ; mais les dieux irrités Ont corrompu le cours de ses prospérités. L'effet en est affreux, la cause est inconnue. Depuis qu'elle ordonna que vous vinssiez ici. Vous : ce fut, seigneur, au milieu de ces fêtes, Quand Babylone en feu célébrait vos conquêtes ; Lorsqu'on vit déployer ces drapeaux suspendus. Monuments des états à vos armes rendus ; Lorsqu'avec tant d'éclat l'Euphrate vit paraître Cette jeune Azéma, la nièce de mon maître, Ce pur sang de Bélus et de nos souverains, Qu'aux Scythes ravisseurs ont arraché vos mains : Ce trône a vu flétrir sa majesté suprême, Dans des jours de triomphe au sein du bonheur même. De ces chagrins mortels son esprit dégagé Souvent reprend sa force et sa splendeur première. J'y revois tous les traits de cette aine si fière, À qui les plus grands rois, sur la terre adorés, Même par leurs flatteurs ne sont pas comparés. Mais lorsque, succombant au mal qui la déchire, Ses mains laissent flotter les rênes de l'empire, Alors le fier Assur, ce satrape insolent, Fait gémir le palais sous son joug accablant. Ce secret de l'état, cette honte du trône, N'ont point encor percé les murs de Babylone. Ailleurs on nous envie, ici nous gémissons. J'ai pleuré comme vous ce vieillard vénérable ; Phradate m'était cher, et sa perte m'accable : Hélas ! Ninus l'aimait ; il lui donna son fils ; Ninias, notre espoir, à ses mains fut remis. Un même jour ravit et le fils et le père ; Il s'imposa dès-lors un exil volontaire ; Mais enfin son exil a fait votre grandeur. Élevé près de lui dans les champs de l'honneur, Vous avez à l'empire ajouté des provinces ; Et, placé par la gloire au rang des plus grands princes, Vous êtes devenu l'ouvrage de vos mains. Rarement il l'approche ; obscur et solitaire, Renfermé dans les soins de son saint ministère, Sans vaine ambition, sans crainte, sans détour, On le voit dans son temple, et jamais à la cour. Il n'a point affecté l'orgueil du rang suprême, Ni placé sa tiare auprès du diadème ; Moins il veut être grand, plus il est révéré. Quelque accès m'est ouvert en ce séjour sacré ; Je puis même, en secret, lui parler à cette heure. Vous le verrez ici, non loin de sa demeure, Avant qu'un jour plus grand vienne éclairer nos yeux. Oui, seigneur, en vos mains Arsace ici doit rendre Ces monuments secrets que vous semblez attendre. Des rois de Babylone Assur tient sa naissance ; Sa fière autorité veut de la déférence : La reine le ménage, on craint de l'offenser ; Et l'on peut, sans rougir, devant lui s'abaisser. Aux portes du palais en secret on annonce Un prêtre de l'Égypte arrivé de Memphis. Arsace à vos genoux demande à se jeter : Daignez à ses douleurs accorder cette grâce. Babylone, seigneur, en ce commun effroi, Ne peut se rassurer qu'en revoyant son roi. Souffrez que le premier je vienne reconnaître Et l'époux de la reine, et mon auguste maître. Sémiramis vous cherche, elle vient sur mes pas ; Je bénis ce moment qui la met dans vos bras. Vous ne répondez point : un désespoir farouche Fixe vos yeux troublés, et vous ferme la bouche ; Vous pâlissez d'effroi, tout votre corps frémit. Qu'est-ce qui s'est passé ? qu'est-ce qu'on vous a dit ? Quel étonnant langage ! Seigneur, est-ce bien vous ? faites-vous cet outrage Aux bontés de la reine, à, ses feux, à son choix, À ce coeur qui pour vous dédaigna tant de rois ? Son espérance en vous est-elle confondue ? Qu'avez-vous fait ? **** *creator_voltaire *book_voltaire_semiramis *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_semiramis *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_CEDAR *date_1748 *sexe_masculin *age_mur *statut_maitre *fonction_pere *role_cedar J'ose espérer beaucoup. Le peuple enfin commence À sortir du respect, et de ce long silence Où le nom, les exploits, l'art de Sémiramis, Ont enchaîné les coeurs étonnés et soumis. On veut un successeur au trône d'Assyrie ; Et quiconque, seigneur, aime encor la patrie, Ou qui, gagné par moi, se vante de l'aimer, Dit qu'il nous faut un maître, et qu'il faut vous nommer. Ce charme se dissipe, et ce pouvoir chancelle ; Son génie égaré semble s'éloigner d'elle. Un vain remords la trouble; et sa crédulité A depuis quelque temps en secret consulté Ces oracles menteurs d'un temple méprisable, Que les fourbes d'Égypte ont rendu vénérable. Son encens et ses voeux fatiguent les autels ; Elle devient semblable au reste des mortels : 2 Elle a connu la crainte. Si la reine vous cède, et nomme un héritier, Assur de son destin peut-il se défier ? De vous et d'Azéma l'union désirée Rejoindra de nos rois la tige séparée. Tout vous porte à l'empire, et tout parie pour vous. **** *creator_voltaire *book_voltaire_semiramis *style_verse *genre_tragedy *dist1_voltaire_verse_tragedy_semiramis *dist2_voltaire_verse_tragedy *id_LOMBRE *date_1748 *sexe_masculin *age_sans-age *statut_exterieur *fonction_autres *role_lombre Tu régneras, Arsace ; Mais il est des forfaits que tu dois expier. Dans ma tombe, à ma cendre il faut sacrifier. Sers et mon fils et moi ; souviens-toi de ton père : Écoute le pontife. Arrête, et respecte ma cendre ; Quand il en sera temps, je t'y ferai descendre. Le spectre rentre, et le mausolée se referme.