--- identifier: brosse_aveugleclairvoyant creator: Brosse ; Georges Forestier. date: 1650 title: L'Aveugle clair-voyant. Comédie --- L'AVEUGLE CLAIR-VOYANT COMÉDIE A PARIS. Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, sous la montée de la Cour des Aydes. M. DC. L. AVEC PRIVILEGE DU ROY. Édition critique établie par Sonia Naudin dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2003-2004) # Introduction. Auteur tombé assez rapidement dans l'oubli et redécouvert depuis peu [1], Brosse est surtout connu pour avoir écrit *Les Songes des hommes esveillez*. Ce dramaturge n'est cependant pas l'auteur d'une seule pièce : il compte à son actif deux autres comédies, une tragi-comédie et une tragédie, qui ont été plus délaissées par la critique. # Biographie. La liste des pièces composées par Brosse est donc la suivante : * – *La Stratonice ou le malade d'amour*, tragi-comédie jouée en 1642 et publiée en 1644. * – *Les Innocents coupables*, comédie jouée en 1643 et publiée en 1645. * – *Les Songes des hommes esveillez*, comédie jouée en 1644 et publiée en 1646. * – *Le Turne de Virgile*, tragédie jouée en 1645 et publiée en 1647. * – *L'Aveugle clair-voyant*, comédie jouée en 1648 ou 1649 et publiée en 1650. En revanche, *Les Anagrammes à la Reine* (1660), qui ont longtemps figurées parmi les œuvres de Brosse, ont en réalité été écrites par son homonyme le Révérent Bénédictin Brosse, comme l'a démontré Georges Forestier [2]. Il en va de même pour *Le Curieux impertinent ou Le Jaloux* (1645), que certains dictionnaires de théâtre du XVIII*e* siècle [3] lui attribuaient, et qui a en fait été composé, à l'âge de treize ans, par son jeune frère (parfois appelé Brosse le jeune). L'existence de ce frère cadet, mort prématurément, est d'ailleurs le seul élément biographique réellement avéré que nous possédions au sujet de cet auteur : c'est Brosse lui même qui nous l'apprend dans la préface du *Curieux Impertinent* rédigée par ses soins. L'épître de *La Stratonice ou le malade d'amour*, dans laquelle il espère que les auxerrois réserveront un bon accueil à sa pièce, laisse supposer que Brosse serait originaire d'Auxerre. D'ailleurs, les autres informations que l'on pensait détenir à propos de ce dramaturge provenaient principalement du témoignage de l'abbé Lebeuf, auteur des *Mémoires concernant l'histoire de la ville d'Auxerre*. Celui-ci nous apprenait qu'un fils de chapelier nommé N… Brosse, décédé en 1651, avait écrit une tragédie et diverses œuvres à caractère religieux. Ces maigres renseignements se sont malheureusement révélés sujets à caution [4]. Le nom même de notre auteur n'est pas établi avec certitude puisqu'il signe ses écrits tantôt Brosse, tantôt La Brosse [5]. On peut donc constater que le dramaturge n'a pas usurpé sa réputation d'« auteur énigmatique » [6]. Le mystère est d'autant plus grand qu'aucun de ses contemporains ne semble avoir parlé de lui, mis à part une brève allusion que l'abbé d'Aubignac fait dans sa *Pratique du théâtre* [7] à l'« auteur de la Stratonice » à qui il aurait conseillé de ne pas composer une pièce de théâtre à partir de ce sujet. En revanche, comme le remarque Pierre Pasquier [8], Boisrobert, dont la comédie *Les Apparences trompeuses* est une adaptation de la *comedia* de Calderón *Peor está que estaba* qui avait déjà été reprise par Brosse, une dizaine d'années plus tôt, sous le titre *Les Innocents coupables*, ne mentionne nulle part, semble-t-il, le nom de notre auteur. De même, Quinault, qui reprendra le sujet de *La Stratonice* dans sa pièce du même nom en 1660, ne fait aucune allusion à Brosse. Mais on ne peut évidemment pas affirmer qu'ils aient eu connaissance de ces pièces, dont on ignore d'ailleurs l'accueil que leur réserva le public. # Représentation de la pièce. Une seule pièce de Brosse semble ne pas être totalement tombée dans l'oubli : il s'agit de *L'Aveugle clair-voyant*. En effet, Lancaster [9] nous apprend que cette comédie a été traduite en allemand en 1663 et en 1669, avant d'être reprise par Marc-Antoine Legrand au XVIII*e* siècle. Cet auteur-comédien va réduire la pièce en un acte et la faire représenter par sa troupe en 1716. On peut donc supposer que le public n'a pas réservé un trop mauvais accueil à la dernière pièce de Brosse. ## La date de la représentation. La page de titre de *L'Aveugle clair-voyant* nous fournit également quelques précisions sur les premières représentations de la comédie. On y apprend en effet qu'elle a été « représentée sur le théâtre Royal devant leurs majestez ». Le « théâtre Royal » désignant le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne dans la première moitié du XVII*e* siècle, nous savons désormais où la pièce a été créée. Cette indication nous permettrait-elle, également, de lever les doutes concernant l'année de la première représentation de *L'Aveugle clair-voyant* ? On ignore en effet si cette pièce fut jouée en 1648 ou en 1649. Dans son livre intitulé *Le Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne*, Sophie Wilma Deïerkauf-Holsboer affirme, en se basant sur cette information, que la comédie a été représentée pour la première fois en 1648 : Ce renseignement nous permet de déterminer la date probable de la création de cette pièce à l'Hôtel de Bourgogne. La famille royale a en effet été absente de Paris pendant presque toute la durée de la Fronde et il est inconcevable qu'elle aurait tranquillement assisté au cours d'un très bref séjour dans la capitale perturbée à une représentation théâtrale à l'Hôtel de Bourgogne. La première de *L'Aveugle clairvoyant* a donc été donnée avant le début de la Fronde en 1648 [10]. Cependant, cet argument peut être retourné. On peut en effet voir une stratégie politique dans le fait d'assister à une représentation théâtrale pendant une période où l'autorité royale est remise en cause. Ce serait un moyen de montrer au peuple et aux opposants du régime que la famille royale n'est pas inquiétée par les affrontements [11] qui troublent Paris. L'hésitation concernant l'année de création de la pièce subsiste donc. ## Les acteurs. Quoi qu'il en soit, en 1648 comme en 1649, la composition de la troupe de l'Hôtel de Bourgogne reste la même. Elle comprend onze membres : Zacharie Jacob, dit Montfleury et sa femme Jehanne de la Chappe, Claude Deschamps, sieur de Villiers et sa femme Marguerite Béguin, Josias de Soulas dit Floridor, François Chastelet dit Beauchasteau et sa femme Magdeleine du Pouget, André Boiron dit Baron et sa femme Jehanne Anzoult, Nicole Gassot, et Pierre Hazard [12]. On ne sait malheureusement rien de la distribution des rôles de *L'Aveugle clair-voyant*. On peut cependant se laisser aller à quelques suppositions. L'acteur de Villiers, connu pour son talent comique, jouait habituellement les rôles de valet (il est le créateur du célèbre rôle de Philippin). On peut donc penser qu'il aurait pu jouer le rôle de Sylvestre, valet rusé et plein de verve. En outre, la scène 5 de l'acte V, dans laquelle Lidamas et Cléanthe parlent pendant une dizaine de vers de *La Suite du Menteur* de Corneille, gagnerait en intérêt si l'un des deux rôles était tenu par Floridor. Ce dernier jouait en effet le rôle principal, celui du « menteur », dans la pièce de Corneille à sa création pendant la saison 1644-1645. Le comique de la scène serait ainsi renforcé puisque les spectateurs verraient l'acteur commenter l'un de ses rôles précédents, s'il incarne le personnage de Lidamas, ou feindre l'ignorance quant au succès de la pièce dont il était le protagoniste, si Floridor joue le rôle de Cléanthe. Il est aussi fort probable que l'actrice qui jouait le rôle de Lucille, la servante de Mélice, incarnait en même temps un autre personnage (peut-être était-elle aussi Nérine, l'autre suivante de la pièce ? ). En effet, son rôle est peu fourni : elle n'est présente que dans six scènes et ne prononce que cinquante-huit vers dans toute la pièce. Mais surtout, c'est le seul personnage de la comédie qui ne revient pas au dénouement. Dans le théâtre du XVII*e* siècle, comme le dit Jacques Scherer, « la plus importante des traditions du dénouement consiste à rassembler le plus grand nombre de personnages possible pour la fin de la pièce. Il semble que la troupe veuille se montrer au grand complet » [13]. Il est vrai que les auteurs négligeaient parfois de faire reparaître sur scène les personnages qui n'avaient pas eu une grande importance dans l'intrigue. Mais peut-être était-ce aussi parce qu'il jouait en même temps un autre rôle, plus conséquent, dans la même pièce. ## Le décor. Le décor dans lequel les acteurs évoluent pose problème lui aussi. *L'Aveugle clair-voyant* se situe à une période charnière, entre l'époque pré-classique et le classicisme, où il n'« existe pas de système déterminé de décor » : le décor multiple du début du siècle, réduit à un petit nombre de compartiments, subsiste toujours, tandis que le décor unique commence à s'imposer [14]. La mise en scène de la pièce nécessite sans aucun doute un décor intérieur mais une hésitation porte sur le nombre de chambres exposées à la vue du spectateur. Lancaster [15] pense que deux pièces sont représentées. Cette affirmation supposerait la mise en place d'un décor à compartiments à moins que le décor ne change pendant un entracte, ce qui d'après Jacques Scherer était peu fréquent [16]. Cependant, nous pensons que l'action de la pièce se déroulait dans un décor unique. En effet, l'intrigue de la comédie n'impose absolument pas la présence d'un compartiment supplémentaire. En outre, si l'on observe les entrées et les sorties des personnages tout au long de la pièce, on s'aperçoit que Brosse respecte la règle classique de la liaison des scènes : la scène n'est jamais vide, les personnages qui y entrent s'ajoutent à ceux qui étaient déjà en place, il est donc certain que les acteurs restent dans la même salle d'un bout à l'autre de chaque acte. Nous pouvons néanmoins noter que, dans les deux cas évoqués ci-dessus, *L'Aveugle clair-voyant* respecte l'unité de lieu. Celle-ci était en effet, dans cette première moitié du XVII*e* siècle, entendue « au sens large » : « l'histoire de l'unité de lieu entrera dans une deuxième époque lorsque cette unité sera considérée comme excluant la représentation de lieux trop éloignés les uns des autres, mais comme comprenant celle de lieux assez voisins pour qu'on puisse passer rapidement et sans faire un véritable voyage, de l'un à l'autre » [17]. Cependant, Brosse ne se montre pas toujours aussi respectueux de toutes les règles de la dramaturgie classique. # Une comédie originale. Les rares écrits [18] consacrés à *L'Aveugle clair-voyant* n'ont pu que constater l'originalité de cette comédie [19]. En effet, la pièce n'est pas l'adaptation d'une œuvre antérieure même si, comme nous le verrons plus tard, Brosse a été influencé par deux comédies de Corneille. Ce fait est suffisamment rare dans les années 1630-1660 pour être souligné. Pendant cette période où la comédie à l'espagnole triomphe en France, la plupart des pièces étaient des adaptations, quand ce n'était pas de simples traductions, des *comedias* de Lope de Vega, Calderón et autres auteurs espagnols de la fin du XVI*e* et du début du XVII*e* siècle. Cependant l'originalité de la pièce de Brosse ne tient pas seulement au fait qu'elle ne soit pas tirée d'une autre œuvre : elle s'écarte également du schéma traditionnel de la comédie par certains côtés. ## Le non respect de l'unité d'action. Ainsi, si les unités de temps et de lieu sont respectées, *L'Aveugle clair-voyant* fait une entorse à l'unité d'action. D'après Jacques Scherer « on dit, à partir de 1640 environ, que l'action d'une pièce de théâtre est unifiée » lorsque, notamment, « on ne peut supprimer aucune des intrigues accessoires sans rendre partiellement inexplicable l'intrigue principale » [20]. Or, dans la dernière comédie de Brosse, deux intrigues, l'une concernant le couple Lidamas-Olimpe et l'autre le couple Mélice-Thélame, progressent parallèlement sans jamais interférer l'une avec l'autre. L'adaptation de Legrand prouve d'ailleurs l'indépendance de ces deux actions l'une par rapport à l'autre puisque, pour réduire sa pièce en un acte, il va simplement supprimer l'intrigue dont Mélice et Thélame sont les protagonistes, sans rendre « inexplicable » aucun point de l'action concernant Lidamas et Olimpe. Le seul point commun entre ces deux intrigues est que, dans chacune d'elle, les jeunes gens se heurtent au même personnage-obstacle : Cléanthe. Cléanthe et son valet Sylvestre sont d'ailleurs les seuls protagonistes communs aux deux actions, puisque les personnages de l'une, suivantes comprises, ne rencontrent jamais ceux de l'autre, excepté à la dernière scène de l'acte V, où la tradition veut que tous les acteurs de la pièce soient présents sur scène. Les personnages ne parlent même pas les uns des autres, mis à part deux brèves allusions : l'une faite par Olimpe sur la complicité possible de la sœur de Lidamas [21], l'autre faite par Mélice sur le fait que Lidamas a acheté le silence de Sylvestre [22]. En outre, chacune des deux intrigues dispose de sa propre exposition et de son propre dénouement. Ainsi, l'exposition de l'intrigue concernant le couple Lidamas-Olimpe occupe les scènes 1 et 2 de l'acte I, tandis que l'exposition de l'action ayant Mélice et Thélame comme protagonistes se fait à la scène 3 de l'acte I [23]. On peut d'ailleurs noter l'effort fourni par Brosse pour varier ces deux expositions et, de cette façon, éviter la monotonie. En effet, la scène 1 appartient au type banal de l'exposition entre la maîtresse, Olimpe, et sa suivante, Nérine. La scène 2 met Olimpe et Nérine en présence de Lidamas, l'amant de la jeune veuve. Dans les deux cas, malgré les inquiétudes, le ton est calme et mesuré. En revanche, la scène 3 s'ouvre sur la colère de Cléanthe contre sa fille désobéissante. Les deux héros s'opposent à propos de Thélame, l'amant de la jeune fille. Le ton est emporté de part et d'autre et la scène se termine par cette explosion de colère de Cléanthe : Taisez-vous indiscrette, insolente, effrontee Ma bonté cede enfin vous l'avez surmontee, Allez, retirez-vous, & ne me parlez plus D'un homme dont le bien consiste en ses vertus [24], De la même manière, le dénouement de chacune des deux intrigues n'intervient pas au même moment. Celle concernant Mélice et Thélame s'achève à la fin de l'acte IV par la promesse de Cléanthe de marier les deux jeunes amoureux dès le lendemain [25], alors que la deuxième action ne se dénoue qu'à la fin de l'acte V : le conflit entre le père et le fils est éclairci dès la scène 7, où Cléanthe accepte l'union d'Olimpe et de Lidamas [26]. La dernière scène de l'acte V n'apprend donc rien de plus au spectateur, si ce n'est qu'une fois réitérées les promesses de mariage des quatre jeunes gens, on annonce également l'union de Sylvestre, valet de Cléanthe et de Nérine, suivante d'Olimpe. Le dénouement n'est donc pas tout à fait conforme à la règle classique [27] puisqu'il est scindé en plusieurs parties. De plus, tout n'y est pas éclairci : Cléanthe demande à plusieurs reprises [28] comment Lidamas et Olimpe ont découvert que son aveuglement était feint, mais la pièce s'achève avant qu'il n'ait réellement découvert la trahison de Sylvestre. Les exigences de rapidité et de complétude ne sont donc pas vraiment respectées. Il apparaît, dans ces diverses remarques, que l'intrigue concernant Mélice et Thélame est moins développée que celle ayant pour héros Lidamas et Olimpe. Cependant elle a une importance non négligeable : en faisant ressortir les défauts de Cléanthe, dont le principal est l'avarice, elle permet d'empêcher que ce personnage ne devienne une victime. Grâce à elle, Cléanthe n'attire pas exclusivement toute la sympathie du public. Sans elle, Cléanthe, pauvre père trahi par son fils, aurait pu susciter la pitié du spectateur, émotion contraire au rire. En outre, le dénouement de la pièce aurait pu paraître injuste, voire immoral, puisqu'il aurait récompensé la trahison d'un fils envers un père exemplaire. ## Les personnages. La peinture que Brosse fait du personnage de Cléanthe constitue d'ailleurs un nouvel écart par rapport à la comédie traditionnelle. Le lecteur est d'emblée frappé par le caractère inhabituel de ce dernier. Cléanthe est veuf, rival de son fils en amour et avare [29] : au vertueux et noble Thélame, il préfère comme gendre, dans un premier temps, le riche « Rustique l'aisnay », personnage dont la simple évocation du nom laisse pressentir la basse extraction et le ridicule. Comme le faisait d'ailleurs remarquer Georges Forestier, Cléanthe est « un père pourvu de tous les éléments négatifs d'un barbon – les mêmes exactement que ceux d'Harpagon –  » mais qui est pourtant « rendu plus sympathique que ses enfants et qui s'incline de bonne grâce devant la victoire de la jeunesse » [30]. C'est que, s'il présente tous les traits caractéristiques du vieillard ridicule, Cléanthe est aussi pourvu de qualités qui font habituellement défaut au type du barbon : la ruse ainsi que le plaisir du jeu et la capacité à bien jouer son rôle [31]. Sa finesse d'esprit va d'ailleurs lui permettre de tromper la jeunesse pendant la majeure partie de la pièce, si bien que les personnages aveugles, ceux qui ne perçoivent pas les tours qu'on leur joue, vont être les jeunes gens, et non les vieillards comme à l'accoutumée. En outre, il est accompagné de plusieurs autres types de personnages qui ne sont pas les plus couramment représentés dans le théâtre du XVII*e* siècle. En effet, et ceci est encore révélateur de la perspective particulière donnée aux rapports entre les personnages, le valet rusé qui déclenche les rires, s'attirant ainsi la bienveillance du public, est du côté du personnage-obstacle, ce qui contribue à attirer vers Cléanthe la sympathie habituellement réservée uniquement aux jeunes amoureux. Jean Emelina remarque que l'usage de valets « efficaces » au service de l'opposant fait partie des « cas exceptionnels » : Régulièrement, un même principe préside à l'emploi des serviteurs dans l'action : à jeune maître amoureux, serviteur actif et efficace ; à vieux maître hostile ou à rival ridicule, serviteur falot qui partage leurs déconvenues, ne les aide en rien ou passe dans l'autre camp [32]. Cette spécificité mise à part, Sylvestre est doté de tous les défauts et qualités habituels du valet de comédie : il est cupide, couard, ivrogne et glouton [33], mais il a aussi la verve et la puissance comique que l'on prête à ceux de sa condition au théâtre, comme le montre sa réponse au soufflet donné par son maître : Quoy ? sans vous informer si l'on craint le Soleil Et si l'on ayme moins le temps clair que le sombre, Vostre main met ainsi les visages à l'ombre, Sans trancher du sçavant, ny sans passer pour fol Je puis d'oresnavant la nommer parasol [34]. On peut également noter qu'au dernier acte de la pièce Sylvestre se rapproche encore un peu plus du valet de comédie conventionnel puisqu'en trahissant son maître [35], il renverse le rapport de force et fait triompher la jeunesse. Un autre personnage apparaît peu souvent dans les pièces de théâtre du XVII*e* siècle : il s'agit de la veuve. Jacques Scherer en souligne d'ailleurs la rareté : Une seule situation de famille permet à l'auteur dramatique de montrer une héroïne indépendante : c'est le veuvage ; mais on s'en sert peu, car les obstacles sont nécessaires au théâtre [36]. La liberté d'action dont dispose Olimpe grâce à sa condition de veuve était indispensable à Brosse : il fallait que la jeune femme puisse, à sa guise, rompre ses engagements et venir séjourner dans la maison de son amant, choses qu'une jeune fille étroitement surveillée n'aurait jamais pu faire sans que l'intrigue ne devienne extrêmement compliquée. La seule contrainte susceptible de modérer l'indépendance de la jeune femme est celle de la société et c'est Nérine qui se fait l'écho de cette voix quand elle rappelle à sa maîtresse que sa réputation est en jeu et qu'on pourrait lui reprocher son inconstance [37]. À coté de ces personnages atypiques ou peu représentés, nous retrouvons des caractères conventionnels. En effet, Mélice correspond tout à fait au type de la jeune fille tel que le définit Roger Guichemerre : Toutefois les jeunes filles timides et obéissantes sont rares dans notre comédie. Comme dans les pièces espagnoles dont nos auteurs s'inspirent, les jeunes filles se montrent en général hardies et entreprenantes. Plus énergiques que les jeunes gens, souvent amoureux transis ou adorateurs respectueux, ce sont elles qui mènent l'intrigue et qui, par leurs stratagèmes, réussissent à conquérir de haute lutte l'homme qu'elles veulent épouser [38]. Ainsi, Mélice va-t-elle inventer toutes sortes de ruses pour pouvoir continuer à voir Thélame, son amant, sans que son père ne s'en aperçoive et éviter d'épouser « Rustique l'aisnay ». Elle ira même jusqu'à demander à Thélame de l'enlever, l'amour lui faisant perdre tout jugement [39]. Conformément aux dires de Roger Guichemerre, Thélame se montre beaucoup moins ingénieux que sa maîtresse. Dès qu'il peut parler librement, ses plaintes emplissent la scène [40] et il ne cherche ni ne trouve aucune ruse : c'est Mélice qui lui indique où se placer et comment agir pour sortir d'une pièce sans se faire remarquer du soi disant aveugle. On retrouve également chez lui « l'honneur sourcilleux » [41] des jeunes hommes, hérité des *comedias* espagnoles. Il doit en effet se retenir de se venger des coups que Cléanthe lui a donné alors même qu'il croit que le père de Mélice pensait battre son valet [42]. Cependant, le jeune homme se montre plus ferme vis-à-vis du projet d'enlèvement que lui propose Mélice : il refuse le plan proposé par la jeune fille. Thélame va ainsi se distinguer des autres jeunes gens de la pièce par sa vertu : non seulement il refuse de perdre l'honneur de sa maîtresse, mais c'est aussi le seul protagoniste de la pièce à ne pas mentir, si ce n'est par omission (Thélame cache quand même sa présence à Cléanthe à plusieurs reprises). C'est d'ailleurs la vertu de Thélame et non les ruses de Mélice qui va finalement permettre le mariage des deux jeunes gens, Cléanthe, confronté aux fourberies de ses enfants, appréciant enfin « les nobles sentimens » du jeune homme à leur juste valeur [43]. L'autre jeune premier de la pièce, Lidamas, est en quelque sorte l'opposé de Thélame. Rusé [44], il va inventer toutes sortes de stratagèmes pour pouvoir épouser Olimpe qui est pourtant promise à son père. Il est donc bien loin d'être un modèle de vertu. Il a également des traits de caractère propres aux jeunes hommes des comédies du XVII*e* siècle. Ainsi il se montre très jaloux et ne peut supporter qu'Olimpe s'entretienne longtemps avec son père, même en sa présence. C'est pourquoi à la scène 4 de l'acte II, sur l'injonction du jeune homme, Nérine va prendre la place d'Olimpe et se faire courtiser par Cléanthe. Il est aussi sujet aux traditionnels emportements de la jeunesse et va menacer de tuer Sylvestre qui avait tenté de le séparer d'Olimpe en le calomniant [45]. Les rôles des deux suivantes, Lucille et Nérine, sont les moins développés de la pièce. Leur maîtresse étant soit expérimentée (c'est le cas d'Olimpe qui est veuve) soit ingénieuse et audacieuse (pour ce qui est de Mélice), elles n'ont généralement pas besoin de leurs conseils. En outre, elles n'ont pas la verve des servantes que Molière mettra en scène. Leur rôle se trouve donc essentiellement réduit à celui de confidente et, par conséquent, les deux domestiques s'effacent dès qu'elles ne sont plus seules à seules avec leurs maîtresses. L'importance de leur rôle augmente épisodiquement pour les besoins comiques d'une scène [46]. Cependant, Brosse n'a pas cherché à tirer des effets comiques de la mise en parallèle des amours des maîtres et des valets ainsi que de leur manière respective de faire la cour à leur maîtresse, comme c'était fréquemment le cas dans les comédies du XVII*e* siècle. En effet, nous n'assistons pas aux entretiens de Sylvestre et de Nérine qui se déroulent la plupart du temps en dehors de la scène, « dans la chambre prochaine ». Au mieux, nous surprenons quelquefois une métaphore « galante » [47] de Sylvestre qui débute ou clôt un tête à tête amoureux et que le valet laisse échapper en sortant ou en retournant sur scène. On peut noter un dernier écart par rapport à la tradition sur les personnages de la pièce en général : les valets et les suivantes ne servent pas de « boucs émissaires moraux » [48] dans cette comédie. Dans sa *Pratique du théâtre*, publiée en 1657 mais dont la rédaction fut commencée bien avant cette date, l'abbé d'Aubignac écrit : (…) quand nous disons que les principaux personnages doivent toujours agir, il ne faut pas entendre le héros et l'héroïne, qui bien souvent souffrent le plus et font le moins ; car à l'égard de la continuité de l'action, les principaux acteurs sont ceux qui conduisent l'intrigue du théâtre, comme sont un esclave, une suivante ou quelque fourbe… [49] Au contraire, les personnages de condition de *L'Aveugle clair-voyant* sont actifs, comme nous l'avons vu, et prennent leur destin en main : ils sont eux-mêmes les instigateurs des différentes fourberies et, la plupart du temps, ils inventent les ruses sans l'aide de leurs domestiques [50]. On peut voir dans ce dernier point l'influence du *Menteur* et de *La Suite du Menteur* [51] de Pierre Corneille. # Influence de Corneille et de la dramaturgie espagnole. Dans l'avant-dernière comédie de Corneille, c'est Dorante, le personnage de condition qui multiplie les mensonges devant son valet, Cliton, qui ironise sur le vice de son maître et se montre parfois moins immoral que lui sur ce sujet [52]. C'est d'ailleurs ce qui fera dire à Corneille dans son Examen de *La Suite du Menteur* que l'insuccès de cette pièce est peut-être dû au fait « que ce n'est que le valet qui fait rire, au lieu qu'en l'autre les principaux agréments sont dans la bouche du maître » [53]. L'influence du *Menteur* et de la *Suite du Menteur* [54] sur la comédie de Brosse est indéniable. Comme le remarque Lancaster, en parlant de *L'Aveugle clair-voyant* : The source is unknown, but a few suggestions may have been received from the *Menteur* and its *Suite* [55]. En effet, dans ces trois pièces, on prend plaisir à mentir. Il est vrai que dans *Le Menteur*, contrairement à *L'Aveugle clair-voyant* où chacun essaie de tromper l'autre, ce défaut semble ne toucher que le héros de cette comédie. Cependant, dans un article consacré au *Menteur* de Corneille, Alain Lanavère [56] remarque que la pièce aurait pu tout aussi bien se nommer « Les Menteurs », les personnages ayant « presque tous quelque pente à l'insincérité ». Il ajoute également que Dorante est « peu différent au fond des autres personnages » mais qu'il « sait mieux et plus qu'eux mentir ». Brosse semble donc avoir poussé à l'extrême ce qui commençait à poindre chez Corneille : ses personnages sont tous, Thélame excepté, des menteurs aussi doués que Dorante et semblent tous, ou presque, avoir répondu au plaisant appel qui clôt la comédie de Corneille : Vous autres qui doutiez s'il en pourrait sortir, Par un si rare exemple apprenez à mentir [57]. En effet, si les ruses de Lidamas, Olimpe et Mélice échouent pendant les quatre premiers actes, ce n'est pas parce qu'elles sont mal construites ou parce que les jeunes gens ne dissimulent pas bien la vérité [58], mais parce qu'elles sont toutes basées sur un présupposé inexact : l'aveuglement de Cléanthe. Du *Menteur* de Corneille, *L'Aveugle clair-voyant* emprunte également le dénouement. Tout comme Dorante qui prétend ne pas avoir été dupe de la ruse de Clarice et de Lucrèce, qui se faisaient passer l'une pour l'autre [59], Lidamas et Olimpe font mine d'avoir toujours su que Cléanthe était aveugle. Quant à *La Suite du Menteur*, son influence est indubitable, puisque cette pièce est mentionnée au sein même de la dernière comédie de Brosse : Cléanthe est surpris par Lidamas en train de lire la pièce et ce dernier fait ensuite à son père l'éloge de cette « poësie » [60]. On trouve, de plus, quelques points communs entre ces pièces. Outre le fait qu'elles se déroulent toutes les deux en province, le personnage de Mélice, la fille de Cléanthe dans *L'Aveugle Clair-voyant* apparaît également dans *La Suite du Menteur*. Dans l'une et l'autre pièce, la jeune fille, rusée et peu soucieuse de son honneur, adopte le comportement typique des femmes des *comedias* espagnoles [61]. ## Le déguisement. D'autres éléments, présents à la fois dans les deux pièces de Corneille et dans celle de Brosse, se rattachent plus largement à la dramaturgie des *comedias* espagnoles. Il en va ainsi pour le déguisement, et plus particulièrement pour le déguisement verbal qui repose uniquement sur le discours du personnage. Ainsi, dans sa thèse intitulée *L'Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680) : le déguisement et ses avatars*, Georges Forestier déclare : L'examen des sources de nos pièces révèle, en effet, que si des *comedias* sont à l'origine de comédies à déguisement d'apparence (…), cette influence est beaucoup plus sensible pour les pièces à déguisement verbal. Le théâtre espagnol préfère dans l'ensemble le jeu rhétorique au jeu visuel – plutôt l'apanage des Italiens – à moins que le personnage déguisé ne soit un bouffon [62]. Soulignons toutefois le caractère particulier des déguisements de *L'Aveugle clair-voyant*. Les deux déguisements principaux, ceux sur lesquels repose l'action de la pièce, ne sont pas dus au changement d'identité, de condition ou de sexe de l'un des personnages, comme c'est fréquemment le cas dans le théâtre du XVII*e* siècle. Nous sommes plutôt confrontés à un changement d'état. En effet, Cléanthe n'a pas deux personnalités distinctes : il est toujours le père de Lidamas et de Mélice et il montre son autorité paternelle en interdisant à cette dernière d'épouser Thélame. Cependant, il diffère légèrement de la personne qu'il était avant de partir pour Dunkerque puisqu'il contrefait l'aveugle. Il apparaît donc à ses enfants plus vulnérable et plus facile à tromper. De la même manière, Olimpe est toujours la jeune veuve qui s'est engagée auprès de Cléanthe, mais elle n'est plus tout à fait la même jeune femme puisqu'un soi-disant accident l'a défigurée. L'avantage de ce type de déguisement est qu'il évite les reproches d'invraisemblance formulés par certains théoriciens du XVII*e* siècle. Ainsi, La Mesnardière [63], dans sa *Poétique*, critique l'invraisemblance de certains déguisements physiques où le personnage déguisé n'est pas reconnu par son amant(e) ou par ses parents. Toutefois, la pièce met également en scène des déguisements plus « traditionnels », faisant intervenir un changement d'identité. Ainsi, Nérine prend la place d'Olimpe, à la scène 4 de l'acte II, et se fait passer pour sa maîtresse auprès de Cléanthe. L'auteur a soin de nous préciser dans la scène précédente que ce déguisement est tout à fait plausible puisque la voix de Nérine ressemble tant à celle d'Olimpe qu'à les « ouïr parler on prend l'une pour l'autre » (v. 526). En outre, certains déguisements sont également imposés aux personnages. En effet, Thélame et Lidamas, respectivement à la scène 2 de l'acte II et à la scène 3 de l'acte IV, sont contraints par Cléanthe, leur prétendue victime, à endosser le rôle de Sylvestre : ils ne peuvent en aucun cas révéler leur présence, puisque se serait en même temps avouer qu'ils cherchent à duper l'« aveugle », et doivent endurer la colère du maître contre son valet trop insolent. Plusieurs caractéristiques rapprochent les déguisements que nous venons de mentionner. Ainsi, ils sont tous découverts, excepté bien entendu le déguisement de Cléanthe, à l'instant même où ils sont mis en œuvre. Cette particularité vient du fait que dans la dernière pièce de Brosse, les personnages se contentent d'affirmer qu'ils sont autres, se satisfont d'un simple déguisement verbal [64], alors qu'ils devraient également paraître physiquement déguisés. Par exemple, Olimpe aurait dû porter un masque pour cacher qu'elle n'était qu'illusoirement défigurée, masque qui aurait d'ailleurs été parfaitement justifié dans sa situation. Mais le fait qu'elle croit Cléanthe aveugle a pour conséquences qu'elle ne déguise que son discours. Il en va de même pour Nérine qui, à visage découvert, tente de se faire passer pour sa maîtresse. Quant à Thélame et Lidamas, ils veulent, sans se cacher, faire croire à Cléanthe qu'ils ne sont pas dans la salle où il se trouve lui-même. Georges Forestier a d'ailleurs remarqué toute l'ambiguïté que pouvaient avoir certaines scènes de *L'Aveugle clair-voyant*, du fait que les personnages ne déterminent leurs actions qu'en fonction de la feinte cécité de Cléanthe. Il prend pour exemple la scène 5 de l'acte I, où Olimpe raconte à Cléanthe la façon dont elle a été défigurée : L'originalité – et l'intérêt – de la scène, dont l'ambiguïté devait être beaucoup plus nette à la représentation, est déjà largement sensible à la lecture : deux personnages « normaux » cherchent à se persuader mutuellement qu'ils ne le sont plus, que l'intégrité de leur personne a été entamée ; rencontre de deux apparences mensongères qui, c'est là que réside le tour de force de Brosse, ne sont précisément pas apparentes. Face à face, *deux déguisements sans déguisement* [65]. ## Le jeu de rôle. Nous avons vu que tout le monde, ou presque, se déguise dans *L'Aveugle clair-voyant* au moins à un moment ou à un autre, si ce n'est tout au long de la pièce. Or, le processus de déguisement provoque un autre phénomène : le dédoublement de la personne. Chaque personnage déguisé est en effet amené à jouer un rôle. Cependant, le principe du jeu de rôle dépasse le concept de déguisement pur et simple et peut également s'appliquer aux dissimulations de pensée. En effet, Mélice, aux actes III et IV, joue le rôle de la fille obéissante [66]. De la même manière, Lidamas imite l'attitude du fils vertueux pendant toute la pièce. Sylvestre, quant à lui, affectera, pendant les quatre premiers actes, d'être un valet corrompu devant les enfants de son maître, puis jouera le rôle du valet fidèle devant Cléanthe dans le dernier acte. Diverses remarques confèrent d'ailleurs aux personnages le statut de comédiens. Par exemple, avant « d'entrer en scène », de commencer à tromper Mélice et Thélame, Cléanthe demande discrètement à Sylvestre de bien s'« acquitter du *róle* qu' il jouë » et son valet lui répond : « Si j'y manque d'un mot, couvrez-moy les deux jouës » [67]. Le dédoublement du personnage s'accompagne, en outre, d'un dédoublement du spectateur. Georges Forestier déclare ainsi : Quelle que soit la manière dont il est déguisé, le personnage concerné se voit pourvu d'un rôle qui se surajoute à son rôle de base. Tout personnage déguisé joue donc, volontairement ou non, consciemment ou non, un rôle devant un autre personnage, au moins, qui se trouve ainsi dans une position de spectateur, et qui est amené à réagir devant le jeu du comédien. Il peut être pris par le jeu et se trouver ainsi victime de l'illusion ; il peut être mis dans la confidence et devenir complice de l'illusion dont sont victimes les autres personnages. [68] Pendant les quatre premiers actes, Lidamas, Olimpe, Mélice, Thélame et Nérine sont à la fois les spectateurs et les victimes des rôles joués par Cléanthe et son complice, Sylvestre. Puis c'est au tour de Cléanthe, une fois son déguisement découvert (acte V), de devenir la victime du jeu des autres personnages, Lidamas, Olimpe et Sylvestre s'alliant pour le mettre en défaut. Les personnages, devenus véritablement les doubles des spectateurs « réels », à partir du moment où ils ont les mêmes informations qu'eux, vont même se laisser aller à commenter le jeu des autres, à souligner les passages ou ceux-ci font preuve de virtuosité. Ainsi, Cléanthe félicitera Sylvestre, à la fin d'une scène où ils ont joué un tour à Mélice et Thélame, par ces mots : « Au reste tu m'as pleu dans ta naïveté » [69]. De la même manière, Lidamas admirera l'habileté de son père, en déclarant en aparté : « Qu'il dissimule bien, & qu'il abonde en ruses » [70]. On assiste enfin à un dédoublement du rôle du dramaturge puisque les personnages, déjà acteurs et spectateurs, conçoivent également la trame de leurs ruses et recherchent l'originalité. Cette exigence est affirmée à deux reprises. Lidamas l'exprime tout d'abord en ces termes : Nerine dont la voix imite tant la vostre, Qu'à vous ouïr parler on prend l'une pour l'autre, Me fournit un moyen facile & non commun Pour esloigner de vous cet Amant importun [71]. Puis c'est au tour de Cléanthe : Mon esprit occupé dans un dessein si beau *M'en fournit un moyen agreable & nouveau* [72]. On se plaît, en outre, à mettre en évidence la part de jeu dans l'expression de tel ou tel sentiment. Par exemple, Lidamas rapporte à Olimpe ce qu'il a raconté à son père à propos de l'« accident » de la jeune veuve, en soulignant son jeu d'acteur : « Doncques *d'une voix triste*, Olimpe, mon cher pere, / N'est plus, luy dis-je lors, en estat de vous plaire » [73]. Le même procédé se retrouve dans une tirade de Cléanthe, quand il commente l'accueil que lui ont réservé ses enfants à son retour : « On accourt m'accueillir *en se moüillant* les yeux » [74] ; ou encore dans une réplique de Sylvestre lorsqu'il raconte à Cléanthe la fausse confidence qu'il a faite à Nérine au sujet de l'infidélité de Lidamas : « J'ay feint que j'en faisois un important secret » [75]. ## Le plaisir du jeu. On ne se lasse donc pas de répéter que tout ceci n'est qu'un jeu, mais on montre également que l'on prend du plaisir à jouer. En effet, même si Cléanthe utilise aussi son déguisement pour se venger et donner une leçon aux jeunes gens [76], c'est d'abord pour vérifier l'exactitude des rapports que ses amis lui ont fait sur les agissements de Mélice et de Lidamas [77] qu'il contrefait l'aveugle. Cependant, dès l'acte I, le peu de vertu de ses enfants lui est révélé : à la scène 3, Mélice finit par avouer qu'elle reçoit avec bonheur les visites de Thélame et, à la scène 4, quand Sylvestre lui rapporte ce que Lidamas lui « a tant dit à l'oreille », Cléanthe ne doute plus de la rivalité amoureuse qui l'oppose à son fils [78]. L'unique but de la feinte du vieillard devient donc de poursuivre son stratagème pour savoir jusqu'où ses enfants et leurs amants peuvent aller [79]. Cela donne au déguisement de Cléanthe l'une des finalités dégagées par Georges Forestier : la tromperie [80]. Voici la définition qu'il en donne : Comme on vient de le voir, héros et héroïnes ont presque toujours une bonne raison de tromper. Aussi reste-t-il peu de cas (…) où une motivation plus explicite ne se superpose pas à la tromperie. Non que la tromperie soit une motivation gratuite. C'est toujours une motivation qui sert à réaliser autre chose, mais on a l'impression que le plaisir de tromper est près de l'emporter sur la nécessité de se déguiser [81]. Georges Forestier ajoute également que la tromperie est liée au thème du passe-temps, du divertissement, « thème fréquent dans la comédie du deuxième tiers du XVII*e* siècle » [82]. À plusieurs reprises, la notion de plaisir du jeu est mise en avant dans *L'Aveugle clair-voyant*. Ainsi, Cléanthe, à la scène 5 de l'acte I, veut « donner *plaisamment* une fin qui réponde à ce commencement » [83]. La tirade de Sylvestre, à la scène 2 de l'acte V est également très éloquente à ce sujet. Le valet, qui a avoué à Lidamas la feinte cécité de Cléanthe, lui propose ensuite de jouer quelque tour au faux aveugle : Cependant vous & moy, prenons la hardiesse De faire à cét aveugle entre nous quelque piéce, Si vous donnez croyance aux avis d'un valet, *Vous aurez un plaisir qui ne sera pas laid* ; Joint qu'il est à propos que par quelque industrie Tout vostre procedé passe en galanterie, Il faut que vostre pere entre en un sentiment Que vous n'ignoriez pas son feint aveuglement, Et que les libertez prises en sa presence N'estoient que des essays d'user de patience [84] . Deux motivations sont exprimées ici par Sylvestre : le plaisir dans un premier temps, puis la volonté de faire passer les méfaits de Lidamas et d'Olimpe pour des « galanteries ». Aucune de ces deux finalités ne semblent avoir une plus grande importance que l'autre, la notion de plaisir étant même énoncée avant l'autre motif. Sylvestre semble vouloir joindre l'utile à l'agréable. Lidamas, Olimpe et Sylvestre vont ainsi jouer une série de petites saynètes visant à persuader Cléanthe qu'ils étaient au courant de sa ruse depuis le début. La notion de plaisir est encore réaffirmée à la dernière scène de la pièce où Cléanthe enjoint les autres personnages à « laisser la feinte à part » et « à tirer de vrais plaisirs, de véritables causes » [85]. ## Le jeu sur le réel et l'illusion. Cléanthe, dans les vers que nous venons de citer, oppose les feintes et les plaisirs illusoires qu'elles engendrent à la réalité et ses « *vrais* plaisirs ». Il met ainsi en évidence le jeu sur le réel et l'illusion, l'être et le paraître qui était présent pendant toute la pièce, notamment à travers les mensonges et les déguisements. Ce jeu est d'ailleurs accentué par l'alternance de scènes où les personnages jouent un rôle et de scènes où ils se montrent tels qu'ils sont en réalité. Par exemple, Cléanthe entre deux scènes où il joue l'aveugle devant l'un de ses enfants, laisse tomber le masque quand, seul ou avec Sylvestre, il s'indigne des fourberies de Mélice, Thélame, Lidamas et Olimpe. En outre, il faut également relever l'ambiguïté de certains couples de scènes. En effet, les personnages sont parfois conduits à jouer une scène qu'ils avaient auparavant vécue. Ainsi, à la scène 1 de l'acte V, Lidamas menace de tuer Sylvestre parce que celui-ci l'a brouillé avec sa maîtresse : Lasche & perfide autheur d'un raport qui m'offence, Tu ne te peux soustraire à ma juste vengeance Sans mettre en contrepoids ma naissance & ton rang, Pour laver ton forfait je verseray ton sang, Il réitérera ses menaces, à la scène 7 du même acte, au cours d'une des « pièces » jouées à Cléanthe, où cette fois, théâtralement, il fera mine de les mettre à exécution : Le perfide qu'il est par un motif couvert, Craint de desavoüer un rapport qui me perd. Mais puisque par l'effet d'un respect qui le touche, La verité ne peut s'apprendre de sa bouche, Puissamment transporté de mon juste dessein, Je m'en la vay chercher jusque dedans son sein. (Il feind de luy vouloir donner un coup de poignard. Cleanthe luy retient le bras.) De la même manière, le réel s'assimile presque à l'illusion, le vrai et le faux en viennent presque à se confondre, lorsque Sylvestre clame son innocence devant les accusations de Cléanthe. À l'acte I, scène 4, il est effectivement innocent quand Cléanthe lui reproche de ne pas lui avoir tout dit : CLEANTHE Lidamas t'aura dit quelqu'autre chose encor Que tu me veux celer en faveur de son Or. Mais poursuis. SYLVESTRE Si ma dague estoit bien émouluë J'ouvrirois à vos yeux ma poitrine veluë. C'est tout, ou jamais Vin n'entre dedans mon corps, Et cela c'est vouloir passer au rang des morts [86]. Mais à l'acte V, scène 4 c'est avec tout autant d'assurance qu'il clame son innocence, bien qu'il soit, cette fois, coupable : CLEANTHE Aucun d'eux ne sçait mon stratageme ? SYLVESTRE Je demeure confus à cét interrogat Il me frappe à l'honneur je vous le dis tout plat. Il semble à vous ouyr, que je sois la gazette, Mais pour vos interests j'ay la gueule muette [87]. Enfin, l'ambiguïté culmine au dernier acte puisque la pièce s'achève dans la déréalisation la plus complète : Cléanthe qui croyait avoir (et qui a effectivement) trompé tout le monde en vient à douter et finit par se demander si ce n'est pas lui, finalement, la victime de l'illusion [88]. Les divers procédés que nous venons d'étudier, ont encore une autre incidence : les déguisements, les jeux de rôle, les diverses remarques d'ordre métatextuelles, l'ambiguïté entre le vrai et le faux rompent et dénoncent l'illusion théâtrale. Le jeu devient apparent à certains moments ; ces personnages qui incarnent eux-mêmes des personnages, qui deviennent donc des acteurs, renvoient le spectateur à ce qu'il a devant les yeux, à la représentation théâtrale à laquelle il assiste. Les scènes qui mettent en évidence le jeu de rôle « se donnent à lire comme image symbolique de l'activité théâtrale » [89]. Ces divers éléments renforçant le jeu entre le réel et l'illusion participent de la « dramaturgie de l'ambiguïté » que l'on retrouve dans tout le théâtre comique de Brosse, comme le montre d'emblée les titres paradoxaux qu'il donne à ses comédies. ### « La Dramaturgie de l'oxymore ». Dans les années 1640-1650, l'engouement pour la comédie à l'espagnole va favoriser une autre mode : celle des pièces à titres paradoxaux car, comme le remarque Georges Forestier, « même si les titres des pièces espagnoles de l'époque ne sont pas particulièrement paradoxaux, les paradoxes figurent au premier rang des jeux de " conceptisme " dont sont remplies les *comedias* » [90]. Ce phénomène est très important puisqu'il se retrouve dans les trois comédies de Brosse, qui privilégient d'ailleurs une utilisation particulière du paradoxe : l'oxymore [91], c'est-à-dire une « contradiction dont les deux membres s'excluent l'un l'autre de manière absolue » [92].On ne peut pas en effet être à la fois aveugle et clairvoyant. Pour Georges Forestier toute la comédie est « une simple dramatisation de l'oxymore » : Dans *L'Aveugle clairvoyant*, l'oxymore constitue au contraire la donnée fondamentale d'où découle toute l'action de la pièce . Elle est de bout en bout *incarnée* par le même personnage, et jusqu'au dernier acte, aucune des victimes de l'illusion n'a conscience de l'être [93]. » Dans *L'Aveugle clair-voyant*, Cléanthe est le maître du jeu, et c'est lui qui crée intentionnellement l'illusion dont ses enfants et leurs amants seront les victimes. On retrouve donc l'opposition entre l'être et le paraître que nous avons déjà évoquée : si Cléanthe peut-être à la fois aveugle et clairvoyant, c'est que l'une de ces caractéristiques n'est qu'une apparence, tandis que l'autre renvoie à la réalité. On peut noter que Cléanthe exprime verbalement l'oxymore lorsqu'il dit : « Je suis Aveugle enfin, & ne vy jamais mieux » [94]. ### L'Ironie. Cependant, c'est par une autre figure de rhétorique que Brosse rappelle constamment au spectateur l'écart entre le réel et l'illusion : l'ironie. Il convient tout d'abord de distinguer « ironie dramatique » et « ironie verbale », toutes deux présentes dans *L'Aveugle clair-voyant* : Tout déguisement qui n'établit pas un mystère crée une situation d'ironie dramatique au détriment de la victime du déguisement, le spectateur étant plus informé que le personnage. Cette ironie dramatique se double d'ironie verbale quand le personnage déguisé s'exprime en jouant sur sa double identité, la vraie et la fausse [95]. Liée à l'écart de savoir qui existe entre le personnage et le spectateur, l'ironie va pendant les quatre premiers actes être principalement le fait de Cléanthe. D'ailleurs, il suffit que ce dernier soit présent sur scène pour que soit créée une situation d'ironie dramatique. Cependant, dans *L'Aveugle clair-voyant*, celle-ci est presque toujours accompagnée d'ironie verbale : le vieillard truffe son discours de paroles à double entente, que le public seul (et Sylvestre) comprend véritablement. Pour les autres personnages, les paroles de Cléanthe n'ont qu'un seul sens. Pour reprendre les termes de Georges Forestier, le destinateur de l'ironie est Cléanthe, son destinataire le public principalement, et les cibles sont les enfants de Cléanthe et leurs amants. Cet état de fait crée bien entendu une complicité entre Cléanthe et les spectateurs, ce qui n'est pas étranger à la sympathie que l'on ressent pour ce personnage [96]. Ainsi, le vieillard ne cesse d'utiliser la forme la plus courante de l'ironie : l'antiphrase. Il qualifie, par exemple, Lidamas de « bon fils » lorsqu'il est seul avec Sylvestre (I, 4, v. 311) ou s'extasie à plusieurs reprises sur la beauté des vertus d'Olimpe et de Mélice. À l'acte II, scène 4, il déclare à Olimpe qu'il l'aime pour ses vertus et non pour sa beauté [97], et à l'acte III, scène 3, il loue l'obéïssance de sa fille : Que je doy rendre au Ciel de graces & de vœux De vous trouver si soupple à tout ce que je veux [98] ! Cependant, si Cléanthe est celui qui ironise le plus de manière consciente, d'autres personnages soit font des remarques ironiques sans le savoir, soit pensent à tort que leur ironie n'est pas perçue par le personnage auquel ils font face. Ainsi, l'acte II se clôt brillamment par cette remarque d'Olimpe : Certes si je pouvois l'estimer aujourd'huy Je me declarerois plus aveugle que luy [99]. La jeune veuve se retrouve la cible de l'ironie dont elle est elle-même le destinateur : abusée par Cléanthe, elle est effectivement, à ce moment de la pièce, « plus aveugle que luy ». Le plaisir du spectateur se trouve sans aucun doute augmenté par le fait qu'aucun des personnages présents sur scène ne comprend le double sens contenu dans la phrase d'Olimpe, cette dernière étant seule avec Nérine qui est tout aussi ignorante qu'elle. À l'acte V, scène 4, Cléanthe devient aussi la victime de sa propre ironie lorsqu'il dit à Sylvestre, qui vient de le trahir (scène 2) : « Miroir des bons valets, & des vrays confidents » (v. 1447). À la scène 4 de l'acte II, Nérine emploie également ce trope, quand, se faisant passer pour Olimpe, elle dit à Cléanthe qui croit parler à sa fiancée : Vous me faites rougir par trop de complaisance, Fist le Ciel que vos yeux aussi bons qu'autrefois [100] … Cependant, le maître de maison, nullement aveugle, voit tout et sait tout. C'est pourquoi, non seulement il comprend l'ironie du discours de Nérine, mais il renchérit encore en répondant par des paroles tout aussi équivoques : Madame, c'est assez, croyez que je vous vois, [101] Le même procédé se retrouve dans la tirade de Mélice à la scène 3 de l'acte III. En effet, la jeune fille, qui vient d'écrire sous les yeux de son père le contraire de ce qu'il lui dictait, lui dit avant de partir : La pieté m'oblige, & le Ciel me convie D'obeïr à celuy duquel je tiens la vie, Tousjours de vos desirs je hasteray l'effect Avec tout le plaisir & le soing que j'ay fait, [102] L'ironie peut encore être employée consciemment de façon à ce que l'interlocuteur la remarque. Cette utilisation est visible au cinquième acte où la supercherie de Cléanthe est révélée aux autres personnages qui veulent désormais faire croire à l'aveugle qu'ils n'ont jamais été dupes de sa feinte. Olimpe en use ainsi à la scène 6 de l'acte V quand elle fait remarquer à Cléanthe qui vient de l'empêcher de tomber : Je puis apres le trait que vous venez de faire Conclure encor qu'Amour vous guide & vous esclaire. Et qu'en tous vos besoins, sensible & pourvoyant, Quand il luy plaist d'Aveugle il vous rend clair-voyant. [103] Le double sens des paroles d'Olimpe est parfaitement perceptible pour son interlocuteur puisque Cléanthe qualifie le discours de la jeune veuve de « suspect ». ### Le comique. Liée à la « dramaturgie de l'ambiguïté », l'ironie contribue également au comique dans *L'Aveugle clair-voyant*. En effet, comme le souligne Roger Guichemmerre, « la disconvenance (…) entre ce que le personnage croit dire et ce qu'il dit réellement » ou encore le contraste entre ce qu'il dit et ce qu'il pense, provoque chez le spectateur « le plaisir tout intellectuel de mieux comprendre la situation que les protagonistes » [104]. Clin d'œil adressé au spectateur, l'ironie crée une complicité avec la salle et contribue donc à créer une « esthétique du plaisant » [105] dans cette pièce exempte de personnage ridicule. ## « L'esthétique du plaisant ». Ce dernier point est assez rare dans une pièce mettant en scène un vieillard amoureux pour être mentionné. L'absence de personnage ridicule ressort particulièrement si l'on compare notre comédie à celle de Marc-Antoine Legrand. En effet, l'auteur du XVIII*e* siècle, dont la pièce se rapproche plus de la farce, a, comme nous l'avons déjà dit, adapté la comédie de Brosse en un acte en faisant disparaître Mélice et Thélame et en les remplaçant par deux personnages intrinsèquement ridicules : une vieille coquette et un médecin prétentieux nommé Lempesé. Dans la pièce de Legrand, Olimpe est rebaptisée Léonor et porte le même nom que la vieille coquette qui est, par ailleurs sa tante. Lidamas, appelé Léandre, n'est plus le fils mais le neveu de Cléanthe, nommé Damon dans la comédie du XVIII*e* siècle. Instruit de l'inconduite de sa jeune fiancée qui se laisse courtiser par Lempesé et qui témoigne une vive affection pour Léandre, lui-même censé être en Flandre, Damon décide de feindre l'aveuglement pour percer à jour les manigances des uns et des autres et surtout pour se divertir [106]. Cependant, avant son départ, Damon avait exigé que Léonor signe un dédit. Celle-ci, souhaitant désormais épouser le neveu sans avoir à payer le dédit, demande à Marin, le valet de « l'aveugle » qu'elle croit avoir réussi à corrompre, de dire à Cléanthe qu'elle a été défigurée [107]. Lisette, suivante de la jeune Léonor, a ensuite une autre idée et conseille à sa maîtresse de trouver quelqu'un qui, contrefaisant sa voix, se fasse passer pour elle et épouse Damon à sa place. Mais, seule la tante de Léonor, amoureuse de Cléanthe qui lui a jadis préféré sa nièce, se propose et insiste pour se substituer à la jeune fille de trente ans sa cadette [108]. Elle va bien entendu échouer dans son imitation de Léonor, certes parce que Damon simule la cécité, mais aussi parce qu'elle jouera très mal son rôle [109]. La ruse elle-même sera d'ailleurs présentée comme absurde : Damon s'en moquera [110]. Lempesé ne connaîtra lui aussi que des échecs. Par contre, Damon manœuvrera si bien qu'il punira les deux ridicules en les mariant l'un à l'autre, mariage que les principaux intéressés ne découvriront qu'au dénouement. Au contraire, dans la comédie de Brosse, tous les personnages sont intelligents : l'insistance avec laquelle l'auteur souligne leur adresse à tromper et leur facilité à manier l'ironie en sont des preuves certaines. Il est vrai qu'à deux reprises Brosse nous propose des scènes burlesques. Il s'agit bien entendu de la scène 2 de l'acte II et de la scène 4 de l'acte III où Cléanthe frappe respectivement Thélame et Lidamas en feignant de châtier l'insolence de Sylvestre. On rit alors effectivement des deux jeunes gens mais on ne rit pas tant des personnages en eux-mêmes que de la situation dans laquelle leurs mensonges les ont conduits. Le spectateur, loin de ressentir un véritable mépris pour Thélame et Lidamas éprouve plutôt un amusement admiratif devant l'habileté de Cléanthe et ne peut résister aux plaintes de Sylvestre qui proteste contre la rudesse des coups de son maître tandis qu'un autre les reçoit. L'outrance présente dans le jeu de Cléanthe est un autre élément du comique. « L'aveugle » et son valet exagèrent en effet parfois les problèmes provoqués par la cécité du maître. Ainsi, à la scène 5 de l'acte I, le jeu de scène accompagnant les vers 533 à 536 ne peut que susciter le rire : CLEANTHE Madame… SYLVESTRE Attendez donc que vous soyez vers elle, Vous ressemblez les chiens de chez Jean de Nivelle, Vous abbayez de loing. Avancez, Alte-là. Tournez-vous autrement, parlez, vous y voila. Le comique de ce passage est encore renforcé si l'on considère la manière dont Cléanthe fait sa cour à Olimpe après cette laborieuse arrivée : J'y suis venu, Madame, accompagné d'un Dieu, Amour qui dans mon cœur en souverain preside M'a conduit par la main & m'a servi de guide, Luy seul jusques à vous a pris soin de mes pas [111] Après avoir eu toute les peines du monde à parler à Olimpe face à face, Cléanthe lui dit galamment que seul l'Amour l'a conduit vers elle, faisant ainsi de Sylvestre l'incarnation du Dieu ! De la même manière, Cléanthe caricature l'emportement amoureux lorsqu'il embrasse avec ferveur la main de Lidamas pendant une dizaine de vers, tout en déclarant : Quels transports ? ô Ciel je n'en puis plus. Encor un peu de temps, & j'expire dessus. Chaste albastre animé, belle main que je touche, Tu peux prendre mon cœur, il est dedans ma bouche [112]. Brosse tire également un effet comique du déguisement de Cléanthe, visible dans la scène que nous venons d'évoquer. En effet, si l'on rit d'un personnage ridicule, voir un personnage déguisé jouer les ridicules peut provoquer un plaisir supérieur. Ainsi, Cléanthe en embrassant avec ferveur la main de Lidamas se ridiculiserait totalement si le spectateur ne savait pas qu'il joue la comédie. On peut également souligner la gratuité de certaines scènes qui ne font en aucun cas avancer l'action et qui ne sont réellement présentes que pour faire sourire le spectateur. Il en va ainsi pour le monologue de Lucille (IV, 4). Le seul intérêt dramatique de cette scène est que Lucille laisse échapper la lettre de Thélame. Pourtant, Brosse en profite pour placer une longue réflexion sur le bavardage des femmes, un poncif de la comédie [113], qui fait d'ailleurs échos aux vers 878, 1101 et 1128 à 1130, où Sylvestre critique l'indiscrétion féminine. Critique qui peut prêter à rire venant de sa part puisque ce sera lui, finalement, qui révèlera la ruse de son maître à la scène 2 de l'acte V, accusant dans la scène qui suit son « maudis flux de bouche » (v. 1426). Enfin, le spectateur de *L'Aveugle clair-voyant* s'amuse aussi des tours qui sont joués aux personnages. Il éprouve un plaisir indéniable à voir les autres se faire duper, plaisir encore accru dans la comédie de Brosse puisque les trompeurs y sont toujours trompés. Ainsi, Lidamas, dont le plan est exposé dès la scène 2 de l'acte I, avant que le spectateur n'ait eu connaissance de la feinte de Cléanthe, apparaît comme celui qui va berner son père. Dès la scène 4 de l'acte I, nous apprenons qu'il n'en est rien et qu'au contraire il va être la dupe. De même, à l'acte V, Cléanthe, qui maîtrisait pourtant totalement la situation pendant les quatre premiers actes, est finalement trompé par Olimpe et Lidamas. ## Le personnage de Sylvestre. Le comique repose aussi sur le personnage de Sylvestre. En effet, si l'ironie des maîtres est source de comique, la verve de Sylvestre est tout aussi efficace. Sylvestre, sur ce point, ne diffère pas du type traditionnel du valet : il utilise un langage pour le moins imagé. Les tours proverbiaux prolifèrent. On peut citer, par exemple, « Vous ressemblez les chiens de chez Jean de Nivelle » (v. 534), « En se pensant brancher le bel oyseau s'engluë » (v. 934) ou encore l'expression « friser la corde » (v. 478). Le discours de Sylvestre regorge en outre de jeux de mots et de métaphores. Il n'y a qu'à voir la manière dont le valet joue avec la métaphore usée « se passer la corde au cou » : CLEANTHE Quel secret important as-tu donc à m'apprendre ? SYLVESTRE Que depuis ce matin j'enrage de me pendre. CLEANTHE De te perdre meschant, n'és-tu pas yvre ou fou ? SYLVESTRE J'en ay jetté la pierre & lancé le caillou, Sur ce poinct desormais ma volonté s'obstine, Je veux estre pendu, mais au cou de Nerine, Ce gibet me plaist tant, je le dis sans peché, Que je seray ravy de m'y voir attaché [114]. Un style plus familier, l'utilisation de mots bas comme « drillez » ou « gueule », l'emploi de mots considérés comme comiques ou burlesques par les dictionnaires de l'époque (voir par exemple les notes concernant les mots « opilee » (v. 261), « moult » (v. 262), « phœnix » (v. 480) ou encore « estocader » (v. 1438) ) achèvent de distinguer le discours de Sylvestre de celui des autres personnages. Son langage est en outre caractérisé par une abondance de paroles et une vivacité certaine. Jean Emelina remarque, à juste titre, qu'« il faudrait aussi tenir compte du *débit* dans la parole des serviteurs. (…) Le rythme des phrases, les accumulations de termes, les exclamations (…) suffisent à indiquer que l'acteur, qui joue les valets doit, le plus souvent, parler vite » [115]. Les discours des valets ne sont généralement pas posés et en cela Sylvestre ne dépare pas de ses congénères. Il suffit de se référer à l'un des passages de son monologue (V, 3) pour en être convaincu : Ce jeu ne me plaist pas, & la main sur la pance J'enrage de bon cœur aussi tost que j'y pense. Moy n'avoir aujourd'huy rien humé que du vent ! Ma foy j'éviteray ce mal d'orénavant. Plustost que de jeusner, j'iray la teste nuë, Estocader du bras les passans dans la ruë Mon Maistre me deusse-t -il….. il vient à petits pas. [116] Il faut en outre imaginer la gestuelle qui accompagne cette tirade (il est probable qu'à la représentation, Sylvestre mimait sa façon d'« estocader » les passants) et l'on conviendra que l'acrobatie verbale accompagne l'acrobatie physique. # Note sur la présente édition. Il n'existe qu'une seule édition de *L'Aveugle clair-voyant*, publiée en 1650 par Toussainct Quinet. En voici la description : 1 vol., 4 ff. non paginé I-I bl-VI, 108 p. [117] ; in-4°. I : L'AVEUGLE / CLAIR-VOYANT, / COMEDIE. / Representée sur le Theatre Royal / devant leurs Majestez. / (Vignette) / A PARIS, / Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, sous la montée / de la Cour des Aydes. / M. DC. L. / *AVEC PRIVILEGE DU ROY*. II : verso blanc. III-VI : épître dédicatoire. VII : extrait du privilège du roi. VIII : les acteurs. 1-108 : le texte de la pièce, précédé d'un rappel du titre en haut de la première page. Nous avons consulté les exemplaires disponibles à la Bibliothèque nationale, à la bibliothèque de l'Arsenal, à la bibliothèque Mazarine, à la bibliothèque de la Sorbonne et à la bibliothèque Sainte-Geneviève [118]. À une exception près, nous avons retrouvé les mêmes coquilles dans chacun des exemplaires consultés. Ainsi nous retrouvons la même erreur de pagination. En effet, la page 79 est numérotée 63 (cahier K) et, à partir du cahier L, la numérotation des pages est décalée d'un cahier (p. 73=81, p. 74=82, etc.) et ce, jusqu'à la fin de la pièce. Toutefois, l'exemplaire de la bibliothèque Mazarine présente une erreur de pagination supplémentaire : la première page du cahier N porte le n° 79 au lieu du n° 89. Cette unique variante est vraisemblablement due à une correction sous presse effectuée au cours du tirage. En règle générale, nous avons conservé l'orthographe et la ponctuation de l'édition originale, à quelques réserves près : * – Nous avons, conformément à l'usage moderne, distingué le *u* et le *v*, le *i* et le *j*. * – Nous avons supprimé le tilde (ainsi, dans l'épître, *démẽt* est devenu *dément*. Les mots suivants ont fait l'objet de la même suppression : *surprennẽt* (épître), *mõ* (v. 198), *cherchãt* (v. 529), *appartiẽt* (v. 608), *cõtrainte* (v. 633), *prõpt* (v. 671), *Mõsieur* (v. 808), *chãbre* (v. 974) ). * – Nous avons remplacé la constrictive labiale *ß* par *ss* (ainsi au v. 21 *bleßee* est devenu *blessee*. La même substitution a été effectuée sur les mots : *languißant* (v. 95), *permißion* (v. 200), *dißipant* (v. 291), *compaßion* (v. 320), *reüßi* (v. 360, 1199), *renaißant* (v. 367), *großier* (v. 428), *naißance* (v. 449), *paßion* (v. 471, 505, 639), *außi-tost* (v. 661, 1434), *intereßee* (v. 702), *neceßité* (v. 1068), *laißé* (v. 1132), *dißipons* (v. 1153), *außi* (v. 1283, 1299, 1380, 1416, 1418, 1535, 1553), *reußy* (v. 1284), *puißions* (v. 1315), *reüßir* (v. 1405), *Aßurez* (v. 1409), *dißimule* (v. 1483), *poßible* (v. 1495), *réüßiray* (v. 1568), *dißimulez* (v. 1633) ). * – Nous avons aussi ajouté ou retranché certains accents afin de distinguer *où* relatif et *ou* conjonctif ainsi que *à* préposition et *a* auxiliaire. Ces corrections concernent les vers suivants : *où* aux vers 247, 1148, 1231, 1235, 1257, 1280, 1452, 1485, 1572, 1579 ; *à* aux vers 418, 1278, 1328, 1507 ; *a* aux vers 246, 1256, 1430. * – Nous avons corrigé certaines fautes d'orthographe, manifestement dues à des coquilles et suppléé à l'omission de certains mots : *les* (épître p. 2, l. 20), *existant un idee* (v. 150), *Cee* (v. 251), *j'eu quitté* (v. 272), *supirer* (v. 386), *dc* (v. 390), *genitenr* (v. 443), *vois* (v. 673), *quelque'affreux* (v. 693), *avec* (v. 745), *veus* (v. 1020), *ces* (v. 1044), *longueurl* (v. 1076), *imposturee* (v. 1085), *postur* (v. 1086), *part dedans* (v. 1167), *traiss* (v. 1188), *ce* (v. 1200), *qne* (v. 1213), omission du nom de *Lucille* dans la liste des personnages présents sur la scène du théâtre au commencement des scènes 8 et 9 de l'acte IV, *sa* (v. 1262), omission du mot *je : d'un moyen que treuve* (v. 1274), *avec* (v. 1303), *un invisible chaisne* (v. 1342), *un amour si secrette* (v. 1370), *meants* (v. 1382), *avec* (v. 1386), *essayes* (v. 1402), *avec* (v. 1427), *d'eust-il* (v. 1439), *ce* (v. 1441), *ses* (v. 1466), *à l'Escort* (didascalie précédant le v. 1511), *à lors* (v. 1520), *encore* (v. 1611), *c'est* (v. 1614). * – Enfin, nous avons modifié la ponctuation lorsque celle-ci nous paraissait incorrecte même pour le XVII*e* siècle : *courage, A ce mot.* (épître p. 2, l. 8-9), *tresors*, (v. 228), *sien*, : (v. 284), *cœur* (pas de ponctuation) (v. 288), *ordonne. Que* (v. 385), *force* (pas de ponctuation) (v. 502), *Mais.* (v. 553), *supportable* (pas de ponctuation) (v. 566), *peinture* (pas de ponctuation) (v. 577), *nature* (pas de ponctuation) (v. 578), *autrefois.* (v. 595), *Heureuse* (pas de ponctuation) (v. 646), *doucement*, (v. 768), *maisons* ; (v. 772), *bien.* (v. 779), *Animaux* (pas de ponctuation) (v. 1127), *outrages* (pas de ponctuation) (v. 1241), *rigueur* (pas de ponctuation) (v. 1292), *Tempestes* (pas de ponctuation) (v. 1322), *presents* ?, (v. 1344), *rival.* (v. 1360), *patience* (pas de ponctuation) (v. 1402), *ruë* (pas de ponctuation) (v. 1438), *montrer* (pas de ponctuation) (v. 1502), *tapisserie*, (v. 1528), *excez.* (v. 1553), *apprenez.m'en* (v. 1562), *dire* (pas de ponctuation) (v. 1567), *meure* (pas de ponctuation) (v. 1572), *penser*, (v. 1598), *ordinaire.* (v. 1599), *aveu*, (v. 1626). * – Nous avons également réduit systématiquement à trois le nombre de points de suspension. Les rectifications apportées sont signalées entre crochets dans le texte. Nous avons corrigé la disposition des vers 1683 et 1684 : *J'y consens* était rattaché au v. 1683 alors qu'il complétait le v. 1684. Suivant l'usage, nous avons mis les indications scéniques entre parenthèses. La comédie est entièrement écrite en alexandrins, à l'exception de deux passages en octosyllabes : une lettre de Melice [119] et une lettre de Thelame [120] lues par Cleanthe (qui comprennent cependant, respectivement, deux et quatre alexandrins). # L'AVEUGLE CLAIR-VOYANT, COMEDIE. Representée sur le Theatre Royal devant leurs Majestez. ## A MONSEIGNEUR. MONSEIGNEUR LE COMTE DU DAUGNION [121], LIEUTENANT GENERAL Pour le Roy aux Villes & Gouvernemens de Broüage, La Rochelle, Païs d'Aulnis, Isles & Citadelles d'Olleron & de Ré. Seul Lieutenant General des Armées Navales de sa Majesté, & Intendant general de la Marine, Navigation & Commerce de France. MONSEIGNEUR, Je serois plus Aveugle que celuy que je vous présente, si m'estant proposé de le faire passer pour Clair-voyant : J'empruntois d'autre que de vous de l'esclat, du jour, & des lumieres. Comme je ne croy pas que cette production soit assez puissante pour se soutenir d'elle-mesme, je n'estime pas aussi qu'elle ait si peu de force qu'elle ne puisse entreprendre un voyage de cent lieuës, pour rencontrer où vous estes un Protecteur & un Appuy. Quelques vers que je vous ay desja presentez [122] s'estans trouvez à vostre goust, je ne me persuade pas qu'une composition d'un stile de pareille nature vous doive estre desagreable. L'Illustre Comte du Daugnion fait tousjours mesme accueil aux choses qui se ressemblent & qu'on luy offre avec mesme affection ; son obligeante humeur ne se dément jamais, non plus que son courage. A ce mot,  MONSEIGNEUR, commandez moy de me taire, si vous ne voulez entendre des veritez : Vous possedez parfaitement cette grandeur d'Ame & cette heroïque vertu⁎ qui apprend aux hommes à mespriser le danger, la mort & la fortune⁎. C'est par ce glorieux oubly de vous mesme que vous avez si souvent donné de la terreur aux ennemis de cét Estat ; c'est par ce noble mespris de la Vie, qu'on vous a pris en tant de meslées pour le Dieu des combats, & qu'un mesme trouble ayant osté la conduitte aux Chefs, & la resolution aux Soldats, il n'est jamais demeuré personne qui osast tourner visage, pour s'assurer si c'estoit un homme qui les faisoit fuïr. Mais à vous figurer par d'autres traits⁎ & pour arriver par degrez au rang que vous tenez aujourd'huy : Si l'on considere vostre Naissance, vous avez avec avantage cette vertu naturelle qui suit le sang, & que nous appelons Noblesse. Si l'on regarde vostre Fortune⁎, elle est grande, & telle qu'estant moindre elle seroit au-dessous de ce que vous meritez. Si l'on veut connaistre vostre Esprit, il en éblouït beaucoup d'autres de ses lumieres ; si l'on jette les yeux sur vostre Jugement, les évenemens ne le surprenent jamais : si l'on s'informe enfin de vos Employs, ils sont importans. Le plus souverain des Monarques qui vous reconnaist pour l'un des plus Illustres sujets de sa Couronne, & peut-estre pour le plus fidelle depositaire d'une partie de sa Puissance, ne vous occupe à rien que de considerable & de glorieux, où tousjours par des actions qui vont jusqu'au prodige, vous soutenez contre toutes sortes de rebelles & de factieux l'Authorité de ce Maistre qui peut tout. Quelque chose que j'aye pû dire, MONSEIGNEUR, il m'en reste à dire davantage, mais comme la Peinture n'a point trouvé jusqu'icy de traits pour bien representer la lumiere, l'Eloquence n'a point inventé de termes pour dignement loüer la vertu⁎ ; J'achéve donc par une impuissance de poursuivre, & par la crainte de vous fascher⁎ par où je satisferois tout le monde, permettez-moy seulement encor un mot, pour vous assurer que je prise plus que toute ma vie le peu de temps que j'ay eu l'honneur d'estre auprés de vous, & pour vous supplier de croire que je suis par naturelle inclination, & par le souvenir de vos biensfaits, MONSEIGNEUR, Vostre tres-humble, tres-obeissant & tres-obligé⁎serviteur⁎, BROSSE. ## **LES ACTEURS.**. – CLEANTHEPere de Lidamas & de Melice, Amoureux d'Olimpe. – OLIMPEJeune veufve, Amoureuse de Lidamas. – LIDAMASAmoureux d'Olimpe. – MELICEAmoureuse de Thelame. – THELAMECavalier⁎, Amoureux de Melice. – NERINESuivante d'Olimpe. – LUCILLESuivante de Melice. – SYLVESTREValet de Cleanthe. La Scene est à Blois dans la maison de Cleanthe. ## Acte I. ## L'AVEUGLE CLAIR-VOYANT. COMEDIE. ### Scène première. Olimpe, Nérine. NERINE. Quoy ma discretion vous est-elle suspecte ? Ignorez-vous encor combien je vous respecte ? OLIMPE. Non, apprends d'un recit veritable & succinct La nature du mal dont mon cœur est atteint, Tu sçais que le Soleil depuis que je fus véve [123] N'avoit à ses travaux⁎ que vingt fois donné tréve, [124] Quand Cleanthe échauffé d'un feu sombre & mourant Que mes yeux n'avoient pû bien esteindre en pleurant Vint me faire visite, & d'un adroit langage Exagera les soins qu'enfante un long veuvage, Tu sçais encor comment d'un discours medité Il me galantisa⁎ sur mon peu de beauté. Et puis comme [125] achevant ce compliment frivole Un soupir preparé lui coupa la parole. NERINE. Vous pristes du plaisir à l'entendre, à le voir, Vostre esprit & vos sens vindrent [126] à s'esmouvoir, Vous l'aimates enfin ! OLIMPE.         Oüy, d'un aveu⁎ tacite J'acceptay sa recherche ainsi que sa visite. NERINE. On fit courir le bruit qu'hymen⁎ dans peu de jours Devoit de vos ardeurs authoriser le cours. OLIMPE. Cleanthe m'en pria, mais ma pudeur blessee Rejetta sa priere & blasma sa pensee. Les manes [127] d'un mary gisant dans le tombeau D'un si prompt hymenée⁎ éteindroient le flambeau, Luy, dis-je, & leur dépit joinct au courroux celeste Rendroit nostre alliance & sterile & funeste, Je veux pendant un An demeurer dans le deüil [128] Et de ma continence honorer son cercueil. Cleanthe à ce propos montra de la tristesse, Mais bien-tost sa raison se rendit la maitresse, Il loüa mon dessein, & convint avec moy Que l'honneur & l'amour m'imposoient cette loy. En ce temps cet Auguste & glorieux Monarque [129] Qu'avec estonnement⁎ tout l'Univers remarque⁎, Pour se rendre justice & rentrer dans ses droits D'un siege bien formé pressoit les Dunquerquois, [130] Cleanthe en attendant que j'essuirois [131] mes larmes Se resolut d'aller [132] paraitre sous les armes, De signaler⁎ son cœur⁎, de servir son païs, D'oster à l'Espagnol des Estats envahis Et croistre de son Roy l'illustre Renommee En ajoustant un bras au corps de son armee, Il partit sans demeure⁎, & dans [133] fort peu de temps Dunquerque le compta parmi nos combattans. Mais helas dans le camp, soit par trop de fatigue, Ou soit que [134] contre luy la fortune⁎ se ligue, Ses yeux auparavant si perçans & si clairs Sont d'un nuage obscur soudainement couverts, Ces naturels flambeaux demeurent sans lumiere, Sans rien perdre pourtant de leur beauté premiere, On diroit à les voir qu'ils lancent des rayons Qui des objets encor luy tracent les crayons⁎. NERINE. Ce malheur arrivé depuis une ou deux Lunes Peut-il causer encor vos plaintes importunes ? OLIMPE. Non, ce trait⁎ qui du sort marque la cruauté Ne m'arracha des pleurs que dans sa nouveauté, Mais en ayant depuis interrompu la course Si tu m'en vois verser ils ont une autre source. NERINE. Ce poinct est un secret qui ne m'est pas conu. OLIMPE. Je vay t'en informer d'un discours ingenu [135]. Aussi-tost que je sceu l'Accident de Cleanthe Mon amoureuse ardeur devint un peu plus lente, Et mon cœur chancelant dedans sa passion Eut un malin⁎ degoust de son affliction, Je combatis d'abord cette ingrate inconstance, J'en voulus étouffer la premiere semence : Mais sur le poinct qu'alloit triompher ma vertu L'on donna du secours à ce vice abbatu. Lidamas heureux fils d'un deplorable⁎ pere Vint pour me consoler de son destin sevère, Il me vid, je le vis, il parla, j'escoutay, Mon œil incessamment sur luy fut arresté, Sa grace me parut à nulle autre semblable, Il fit un beau recit d'un sujet lamentable⁎, Enfin en Lidamas toute chose me plut, Et se rendit chez moy ce que son pere y fut. NERINE. Cônut-il vôtre amour ? OLIMPE.         Malgré ma retenuë Dés sa conception elle [136] luy fut cônuë, Ce cavalier⁎ adroit, prudent, ingenieux, Subtil, & bien instruit dans l'entretien des yeux, Penetrant par les miens au fond de ma pensee Y vid en traits de feu son image tracee ; Cet indice assuré qu'il estoit mon vainqueur, L'obligea de s'ouvrir en me montrant son cœur, Madame (me dit-il) [137] le pouvoir de vos charmes⁎ Ne m'a pas d'aujourd'huy fait mettre bas les armes, Depuis plus de six mois je suis dedans vos fers Et vos yeux sont les Rois & les Dieux que je sers, Mais d'un pere amoureux l'imperieuse flame M'imposoit de cacher la mienne dans mon ame. Je l'ay fait par respect jusques à ce moment Que je puis profiter de son aveuglement. Il finit, & mon cœur charmé⁎ de sa parole Se fit au mesme instant l'Autel de cet idole, Un regard languissant, un soupir estouffé Luy dirent doucement qu'il avoit triomphé. Lors certain de mes feux comme de sa victoire Il me dist qu'il falloit pour achever sa gloire⁎ Que je vinsse dans Blois faire quelque sejour, Jusqu'à tant qu'on y vid son pere de retour, Je fus pour Lidamas à [138] ce poinct complaisante, J'y vins & descendis au logis de Cleanthe, Où donnant à ma flame une honneste couleur Je feignis d'arriver pour visiter sa sœur. NERINE. Jusqu'icy quel sujet avez-vous d'estre triste ? OLIMPE. Apprends de ce qui suit en quoy mon mal consiste. On attend le retour de Cleanthe aujourd'huy J'ay peur qu'il croye encor que je brûle pour luy Que ses yeux estans morts sa flame vive encore Que sa bouche me loüe, & que son cœur m'adore, Tu sçais que l'on void naistre un grand nombre de maux Quand le pere & le fils se rencontrent Rivaux. [139] Voila le seul sujet ma fidelle Nerine, Du trouble qui me rend inquiette & chagrine⁎. NERINE. Je ne puis presumer qu'en son aveuglement Cleanthe veüille encor passer pour vôtre Amant, Son fils au pis aller par de promptes adresses⁎ Vous delivrera bien de ses froides caresses. OLIMPE. Nerine, tu dis vray, l'esprit de Lidamas… Mais c'est luy que je voy qui s'avance à grand pas. ### Scène II. Lidamas, Olimpe, Nerine. LIDAMAS. Mon pere est arrivé Madame, & sa paupiere Ne void plus les beautez qu'enfante la lumiere, Ce n'est pas que ses yeux ne paraissent fort beaux, Mais c'est sans l'éclairer que brillent ces flambeaux, Par le malin⁎ effet d'une cause cachee, Leur action est morte, ou du moins empeschee, Dedans ce triste estat je ne puis concevoir Qu'il donne de l'amour ny puisse en recevoir. OLIMPE. Mais ne peut-il pas bien ayant perdu la veuë Conserver une amour [140] auparavant receuë. LIDAMAS. En vain auprez de vous je veux dissimuler, Mon pere brusle encor, & veut encor brusler, On l'avoit du carosse à peine mis à terre Qu'oubliant le malheur que luy cause la guerre, Lidamas, m'a-t'il dit, en me parlant de vous, Les Astres envers elle ont-ils esté plus doux ? N'a-t'elle point du sort senty la perfidie, Ou les aspres accez de quelque maladie ? OLIMPE. Il n'en faut plus douter, il est encor atteint, Le feu que j'allumay n'est pas prest d'estre esteint, Ce peu que j'ay d'attraits sensiblement le touche, On n'est pas loin du cœur quand on est dans la bouche. LIDAMAS. A l'instant que ses soins⁎ se declarent pour vous Je juge qu'il n'est pas bien guéry de vos coups⁎, Doncques d'une voix triste, Olimpe, mon cher pere, N'est plus, luy dis-je lors, en estat de vous plaire, De ce charmant⁎ objet⁎ les traits imperieux, S'ils furent le plaisir sont la peine des yeux, Cette rare beauté d'un chacun regardee N'est plus qu'un Estre feint, existant en idee, Un tragique accident, un rigoureux destin, A de tous ses appas⁎ fait un triste butin. Là par le prompt secours d'une adréte [141] imposture⁎ Au gré de mon desir je forme une Aventure, Et tâche ainsi d'esteindre en vous defigurant Un feu qui me perdroit s'il devenoit plus grand. OLIMPE. L'artifice⁎ est subtil, mais il n'est pas croyable Qu'il soit à nos desseins bien long-temps favorable, Vous verrez dedans peu Cleanthe detrompé Tant de vos vains discours soit-il préocupé [142] ; Je veux qu'estant aveugle il ne puisse conaître Qu'au bal, sans me masquer, je puis encor paraître, Je veux que vôtre sœur ayde à nostre projet, Je crains pourtant tousjours avec juste sujet. Le valet qui par tout marche avec vôtre pere, Luy qu'on peut appeller le flambeau qui l'esclaire, L'Ange qui le conduit, l'Argus [143] industrieux Qui veille pour sa garde, & luy preste ses yeux, N'est pas dans le renom d'estre si peu fidele Que sçachant nostre ruse il l'endure & la cele⁎, Cleanthe par ses yeux verra tout nostre jeu, Il conaitra ma flame, & sçaura vostre feu, Il se rendra certain de ma prompte inconstance, Il apprendra d'un fils le peu de reverence, Il fera nos desseins tout d'un coup eschoüer, Et peut-estre joüera⁎ qui le croira joüer⁎. LIDAMAS. Cette crainte est, Madame, une pure chimere, Je dispose à mon gré du valet de mon pere, Cet Argus est gagné, ses yeux sont ébloüys, Et j'ay sçeu l'endormir au son de mes Loüis [144]. Donc sans vous allarmer d'une crainte si vaine, Attendez une issue agréable & certaine, Et quoy que mon rival ait à venir icy N'ayez à son abord⁎ ny crainte ny soucy⁎. Ne luy pouvant long-temps cacher vostre venuë, Mon ame sur ce poinct s'est fait voir toute nuë, Mais j'ay dit pour tromper cet aveugle amoureux Que vous n'estiez icy que d'un jour ou de deux, Encor dans le dessein de rendre une visite Dont la coustume veut que vous demeuriez quitte. OLIMPE. Mais encor dites-moy, si Cleanthe abusé M'oblige à raconter mon malheur supposé⁎, Comment ne sçachant pas cet accident frivole⁎ Pourray-je avec la vostre accorder ma parole ? LIDAMAS. Je l'apperçois, passons dans cet appartement, Je vous en apprendray l'histoire en un moment. ### Scène III. Cleanthe, Melice, Sylvestre. CLEANTHE. Quoy contre mon vouloir & contre ma defense Admettre en ma maison, Thelame en mon absence ? Fomenter [145] si long-temps une inclination Qui nasquit & s'accrut sans ma permission, D'un homme dont le nom me déplaist & m'irrite, Entretenir l'espoir & souffrir la visite ? Ha Melice, est-ce là le respect qui m'est deu ? Et vostre jugement ne s'est-il pas perdu ? MELICE. Ceux qui de ce rapport⁎ m'ont vers vous desservie, Sont portez contre moy de depit ou d'envie, Depuis que pour Dunkerque on vous vid quitter Blois. Thelame n'est ceans [146] venu pas une fois, Qui peut s'emanciper⁎ de dire le contraire Fait à la verité… CLEANTHE.         Respectez vostre pere ; Ceux qui m'ont rapporté vos traits⁎ licentieux Cherissent vostre honneur, loin d'en estre envieux. MELICE. Et bien pour ne vous pas en [147] ce poinct contredire, Apres l'avoir souffert, croyez que j'en soupire, Non pas du repentir d'avoir receu ses vœux, Mais bien du doux plaisir que me causent ses feux, En suis-je pour cela moins loüable qu'une autre ? Sa maison en honneur cede-t'elle à la nostre ? Que s'il hérite peu de ses Ancestres morts, N'a-t'il pas des vertus qui sont les vrais tresors ? CLEANTHE. Taisez-vous indiscrette⁎, insolente, effrontee, Ma bonté cede enfin, vous l'avez surmontee⁎, Allez, retirez-vous, & ne me parlez plus D'un homme dont le bien consiste en ses vertus, Thelame, je l'avoüe, est de famille illustre, Mais son peu de fortune en efface le lustre. Il est tres-riche en biens de l'esprit & du corps, Mais on fait maigre chere [148] avecque ces tresors . ### Scène IV. Cleanthe, Sylvestre. CLEANTHE. Sylvestre, si pour moy ton devoir ne sommeille Dy-moy ce que mon fils t'a tant dit à l'oreille, Sans qu'il m'ait soupçonné d'un feint aveuglement J'ay veu qu'il te parloit avec empressement. SYLVESTRE. Quand je vous obeïs, je suis dedans mon centre [149], Si je ments d'un seul mot battez-moy dos & ventre, Quoy que pauvre garçon, je suis homme de bien, Et pour vous le montrer, il m'a dit, ne dy rien. CLEANTHE. Sylvestre continuë, & parle sans reserve. SYLVESTRE. S'il a rien dit de plus, jamais je ne vous serve. Toutefois… CLEANTHE.         Cher Sylvestre acheve jusqu'au bout. SYLVESTRE. M'ayant dit, ne dy rien ; il ajouste, & voy tout, Et sa langue n'a pas prononcé ces paroles Qu'il me fait dans la main couler quelques pistoles [150]. CLEANTHE. Lidamas t'aura dit quelqu'autre chose encor Que tu me veux celer⁎ en faveur de son Or. Mais poursuis. SYLVESTRE.         Si ma dague estoit bien émouluë [151] J'ouvrirois à vos yeux ma poitrine veluë. C'est tout, ou jamais Vin n'entre dedans mon corps, Et cela c'est vouloir passer au rang des morts. CLEANTHE. Sylvestre je te croy. Fils insolent & lâche Ton crime se produit quand tu veux qu'on le cache : Ne dy rien. Ces trois mots m'apprennent clairement Ce que je ne sçavois qu'assez obscurément. Tu deviens mon rival, fils ingrat & perfide, Mais tu n'iras pas loin puis qu'un enfant te guide [152], Sylvestre, s'il est vray que la sincerité Bannit de toy la fourbe⁎ & l'infidelité, Garde de declarer à ce fils temeraire Que je me plains d'un mal qui n'est qu'imaginaire. SYLVESTRE. Je veux encor un coup, si je ne suis secret Ne boire à l'avenir, ny vin blanc ny clairet. O l'horrible serment ! j'en ay l'ame opilee [153]. Me garde d'un tel mal la gresle & la gelee, Apres avoir lâché ce moult [154] grand jurement⁎ Me refuserez-vous un éclaircissement ? CLEANTHE. Touchant ? SYLVESTRE.         Chose qui n'est d'autre que de vous sçeuë, D'où vient que vous feignez d'avoir perdu la veuë ? Pourquoy depuis six mois faire croire en ces lieux Que l'huile & le cotton ont manqué dans vos yeux ? CLEANTHE. Asseuré de ta foy⁎ comme de ton silence Je te veux honorer de cette confidence. A peine le Soleil avoit produit vingt jours Depuis que pour mon Roy j'eus quitté mes amours, Quand un de mes amis m'asseura dans l'armée Que Melice vivoit à son accoustumée, Et que pleine d'amour, & Thelame d'espoir, Leur entretien duroit du matin jusqu'au soir ; Mesme que l'on craignoit, puis qu'il te faut tout dire, Qu'il se passast entr'eux quelque chose de pire. On éprouve jamais le sort rude à demy ; Deux ou trois jours apres je sceu d'un autre amy     Que depuis mon depart mon fils chaque semaine Visitoit la beauté qu'Amour a fait ma Reine, [155] Et qu'on soupçonnoit fort que dans son entretien Il ne luy parlast moins de mon feu que du sien, Je restay si surpris d'entendre cette histoire, Que quoy qu'on m'en jurast, je n'en voulus rien croire. Ma fille a trop de soin de garder son honneur, Me disois-je à moy-mesme, & mon fils trop de cœur⁎ ,  Je les croiray soumis à mon obeissance, Jusqu'à tant que mes yeux dementent ma croyance. Toutefois ma raison dissipant ce sommeil Je songe que l'amour est de mauvais conseil, Et regarde que ceux qui m'ont dépeint leur vie Ont pour eux & pour moy plus d'amour que d'envie. Mais pour mieux penetrer dans cette obscurité Et distinguer le faux d'avec la vérité. Je contrefaits l'Aveugle, on le croit dans l'Armee, Je passe ainsi par tout avec la Renommée, Chacun plaint ma disgrace, & l'ingrat Lidamas S'il ne s'en montre triste au moins n'en doute pas. Deux mois coulent pendant que cette erreur se glisse, Je reviens sans qu'aucun [156] sçache mon artifice⁎. On accourt m'accueillir en se moüillant les yeux, Je suis Aveugle enfin, & ne vy jamais mieux. Cher Sylvestre, voila l'adresse⁎ ingenieuse Par qui la vaine ardeur de ma fille Amoureuse, Et les brutaux desseins d'un fils lasche & pervers⁎ Bien-tost & sans travail⁎ me seront découverts. SYLVESTRE. Ma foy si dans le monde on trouve un plus fin homme, Je partiray demain pour l'aller dire à Rome [157]. Au Diable en ce mestier [158] vous feriez des deffis. CLEANTHE. Silence, Olimpe vient avecque ce bon fils. ### Scène V. Lidamas, Olimpe, Cleanthe, Sylvestre. LIDAMAS. La part que prend Olimpe en vostre sort funeste L'ameine ici, Monsieur. CLEANTHE.         Bonté rare & Celeste. OLIMPE. Quiconque sçait vos maux, & ne s'en peut fâcher⁎, Ne porte au lieu d'un cœur dans le sein qu'un rocher. CLEANTHE. Et qui void sans douleur vostre triste avanture Tout de roche en effect, n'est homme qu'en figure. OLIMPE. Mais qui ne la void pas, n'a nulle occasion D'estre atteint de douleur & de compassion. CLEANTHE. Un semblable discours s'addresse à moy, Madame, Mais sçachez que le corps n'agit point sur mon ame, Et que si la clarté s'est esteinte en mes yeux Il m'en reste en l'esprit qui m'éclaire bien mieux. Autrefois mes regards admiroient ce visage, Mais leurs traits⁎ aujourd'huy penetrent davantage, Ils ne s'arrestent plus à ce butin du temps, Ils contemplent des biens meilleurs & plus constans, Ils voyent les vertus dont vous estes pourveuë, Et ma felicité consiste en cette veuë. OLIMPE. Vous sçavez donc, Monsieur, par quelle aversité Mes attraits ont fait place à la difformité ? CLEANTHE. Mon fils m'a raconté ce succez⁎ lamentable⁎, Mais faites m'en vous-mesme un recit veritable, Peignez cet accident de ses vives couleurs. Et que l'ayant oüy, je sente vos douleurs. OLIMPE. J'estois à Bourges lors que par des feux de joye L'on celébroit les coups⁎ d'un bras qui tout foudroye, D'un Prince glorieux [159] dont les fameux exploits Ont sceu ranger Dunkerque au pouvoir des François. Je me sentis saisir d'un desir héroïque D'applaudir & d'enfler l'allegresse publique, Donc je monte en carrosse, & par divers retours Je voy Mars & Vulcain en tous les carrefours, L'un depite le Ciel, & fait trembler la terre Par des bouches de fonte imitans le tonnerre Il exale & vomit des flames parmy [160] l'Air ; Bref, d'une belle Ville, il fait un bel Enfer. L'autre perçant des Airs les orageux espaces Porte & loge le feu dans le sejour des glaces, S'y met en serpenteaux, puis s'y transforme encor, Tantost en fleurs de Lys, tantost en pluye d'or, Mesme il estend son vol, jusqu'aux celestes toiles D'où son orgueil tombant arrache les estoiles. Ah ! Ciel que ce qui suit est dur à raconter, C'est r'appeller mon mal que de le reciter. CLEANTHE. De ce fascheux recit soyez donc dispensee, Ne rendez point presente une peine passee, J'ay sceu de Lidamas en arrivant ici Comment un si beau jour vous a mal reüssi. Il m'a dit que de l'Air la patience usee Fit dans vostre carosse entrer une fusee, Dont la chaude vapeur aydant à son dessein Vous brusla le visage, & vous noircit le sein. LIDAMAS *bas à Olimpe.*. Avoüez. OLIMPE.         C'est ainsi qu'arriva ma disgrace, Mais, ô Dieu ! quand je croy que ma douleur se passe C'est alors que du sort le courroux renaissant Me fait sentir un mal plus aspre & plus pressant, Monsieur, je ne sçaurois plus long-temps me contraindre, Souffrez que j'aille ailleurs souspirer & me plaindre. CLEANTHE. Allez, Madame, allez, en vous seule je vis Et je vous vois encor de l'œil dont je vous veis [161]. O d'une honneste femme indigne effronterie ! O d'un fils impudent insigne fourberie ! Allons, Sylvestre, allons & donnons plaisamment Une fin qui réponde à ce commencement. < Fin du premier Acte > ## Acte II. ### Scène première. Thelame, Melice. THELAME. Mon espoir me trahit, & ma raison s'égare D'esperer de flechir [162] ce naturel avare, Jamais de mon amour le respect sans égal Ne touchera ce cœur de terre & de metal, Pour luy faire trouver des ardeurs legitimes Il luy faut apporter le Soleil des abismes. Le bien est son objet⁎, & ce riche indigent Estime & pese un homme au poids de son argent. Ah ! Madame, il le faut, mon mauvais sort l'ordonne ,  Que j'aille sou pirer loing de vostre personne. Un puissant desespoir qui combat mon amour, Me marque ailleurs un long & funeste sejour. Cessez de vous flater⁎, l'avarice d'un Pere Ne s'abstiendra jamais de nous estre contraire. Adieu, de vostre aveu⁎ felicitez [163] mes pas. MELICE. Quoy me quitter ainsi ? THELAME.         Quoy ne vous quitter pas ? MELICE. S'absenter de ces lieux ? THELAME.         On y hait ma presence. MELICE. Mourir desesperé ? THELAME.         Vivre sans esperance. MELICE. Ne pas perseverer ? THELAME.         Perseverer en vain. MELICE. Ah Thelame ! THELAME.     Ah Melice ! MELICE.         Ha charmant⁎ inhumain. Si vous bruslez pour moy d'un veritable zéle, Si vous estes constant, genereux⁎ & fidelle, Si dans mes interests vous prenez quelque part, Si mes jours vous sont chers differez ce depart ; Le Temps de qui le cours renverse toutes choses Peut-estre changera nos espines en roses. Demeurez, cher Thelame, ou pour le moins craignez Qu'un autre ait par la force un cœur où vous regnez, Thelame songez-y, songez-y bien mon Ame, En un mot demeurez, ou je meurs cher Thelame. THELAME. Puissamment esbranlé de vos ardents soupirs, Mais mieux persuadé de mes bruslans desirs, Madame, j'y consens, racourcissez mes chaisnes, De vostre prisonnier rendez les courses vaines. Deusse-je respirer sous des Astres plus durs Blois encor quelque temps me tiendra dans ses murs. ### Scène II. Cleanthe, Sylvestre, Melice, Thelame. CLEANTHE. Sylvestre acquitte-toy du róle que tu jouës⁎. SYLVESTRE. Si j'y manque d'un mot, couvrez⁎-moy les deux jouës. THELAME. Cleanthe arrive ici, Madame il m'a surpris, Son valet luy dira. MELICE.         R'assurez-vos esprits, Vous n'avez seulement qu'à garder le silence, Ce valet a sa part dans nostre confidence, Mon frére l'a si bien pratiqué sur ce poinct Que s'il void quelque chose, il ne parlera point. CLEANTHE. Estes-vous seule ici Melice ? MELICE.         J'y suis seule. Amy… [164] SYLVESTRE.         Ne craignez rien, j'auray fort bonne gueule [165]. CLEANTHE. La rencontre s'accorde avecques [166] mon souhait, Je viens pour vous parler d'un serviteur⁎ parfait Qui tient emprisonné beaucoup d'or dans ses coffres, Et qui rempli d'Amour vous addresse ses offres, C'est Rustique [167] l'Aisnay fils du vieux Parmenon. MELICE. Quoy ce noble d'un jour, grossier jusqu'à son nom ? Ah ! de grace, Monsieur, aymez plus vostre fille, Sçachez mieux maintenir vostre illustre famille, Ce seroit en tirer l'éclat dans le tombeau [168], Un peu de vilain sang tache & gaste le beau. CLEANTHE. Allez, fille indiscrette⁎ & desobeissante, Le soin de vostre honneur n'est pas ce qui vous tente, Un Demon moins splendide est vostre possesseur, Thelame vous gouverne avec plus de douceur : Mais si vous ne sortez de ce desert Empire Mon courroux deviendra quelque chose de pire, Je vous en advertis. THELAME *bas*.         Amant infortuné ! MELICE. Je ne sçaurois reprendre un cœur que j'ay donné. CLEANTHE. Ah ! c'est trop… SYLVESTRE.         Hé, Monsieur, ô vous son pere unique, Car la defuncte estoit, à ce qu'on croit, pudique, Vous son vray geniteur, avez-vous entrepris De faire plus que Dieu, de forcer les esprits ? Laissez aller Madame où son amour l'appelle, Celuy qu'elle cherit n'est-il pas digne d'elle ? Sa flamberge [169] l'a mis au nombre des plus preux, Il a l'esprit fort bon, & le corps vigoureux, Sa bonne mine enfin & sa naissance libre Mettent avec vos biens Thelame en equilibre. CLEANTHE, *Il prend Thelame.*. Impertinent valet, qui t'oses ingerer De me donner conseil & de me censurer, Tu seras satisfait de ta belle harangue, Je vais ou t'estrangler, ou t'arracher la langue, Temeraire, indiscret⁎. MELICE *bas*.         Sylvestre, justes Cieux Songe à tirer mon cœur⁎ des mains d'un furieux⁎. SYLVESTRE. Ha ah ! je n'en puis plus. CLEANTHE.         Insolent pédagogue ! SYLVESTRE. Vous m'avez fait les yeux plus gros que ceux d'un dogue. THELAME, *à l'escart.*. Je ne sçaurois souffrir⁎ ce honteux traitement. MELICE. Contraignez-vous pour moy, cher & fidelle Amant. CLEANTHE. Apprends à l'avenir, valet maussade & traitre, A ne te plus mesler de censurer ton maitre. Et vous fille rebelle à tout ce que je veux Pour un nouvel Amant ayez de nouveaux feux, Esteignez pour jamais [170] vostre ancienne flame, Et recevez des loix d'un autre que Thelame. MELICE. Pour me faire subir vostre injuste rigueur, Faites, pere cruel, que j'aye un autre cœur. CLEANTHE. C'en est trop endurer, ma patience eschape. SYLVESTRE. Allez, sortez, fuyez, drillez [171] qu'il ne vous frape. [172] CLEANTHE. Je ne sçay si je doy nommer sa passion Ou du nom de constance, ou d'obstination, Mais soit-elle constante, ou soit-elle obstinee, Ma seule volonté fera son hymenee⁎. Au reste tu m'as pleu dans ta naïveté⁎, Tu t'és de ton devoir dignement acquitté, Si tu poursuis tousjours j'augmenteray tes gages. SYLVESTRE. Je sçay friser la corde [173] en de tels personnages. Assurez-vous de moy, je paye à temps prefix [174], Et dans l'art de fourber⁎ Sylvestre est un phœnix [175]. CLEANTHE. Conduis moi vers Olimpe, & m'y fay reconnaitre Qu'aux experts en cet Art tu servirois de maitre. Tu sçauras en allant de mes ordres exprés [176] Comment il faut mener mes intrigues [177] secrets, Je t'instruiray du temps où ta naïve⁎ adresse⁎ Pourra si tu le veux répondre à ta promesse. ### Scène III. Olimpe, Lidamas, Nerine. LIDAMAS. Laissons l' [178]aller, Madame, & nous entretenons De l'intrigue [179] Amoureux que nous entreprenons. OLIMPE. L'espoir est mal fondé que soustient une ruse, Plus je pense à la vostre, & plus je suis confuse, Elle est bien inventee & satisfait d'abord, Mais j'en prevoy la fin que j'apprehende fort, Je crains que ce broüillas [180] ne fonde sur nos testes, Et que semant du vent nous cueillions des tempestes. LIDAMAS. Delivrez vostre esprit de ces fâcheux Accez, Un bon commencement attire un bon succez⁎. L'ingenieuse erreur où j'entretiens mon pere Chaque jour esteindra son feu s'il persevere, Un prompt & vray degoust naitra de cet abus⁎, L'amour dure fort peu quand son objet⁎ n'est plus, Vos yeux qu'il croit privez de leur premiere amorce⁎, N'agiront plus sur luy qu'avecques peu de force ,  Il croira justement cesser de vous aimer, Ne trouvant plus en vous ce qui pût l'enflamer. Ainsi sa passion n'ayant rien qui la tienne Deslogeant de chez vous fera place à la mienne, Mais pour conduire tout au gré de mes desirs S'il soupire d'amour rejettez ses soupirs, Et dites que vos maux qui s'augmentent sans cesse Abhorrent les soupirs, s'ils ne sont de tristesse. Au reste si jamais son feu contraire au mien Vouloit vous engager dans un long entretien, Et que mon interest vous regarde & vous touche, Rompez son entreprise, & luy fermez la bouche, Je mourrois autrement d'une jalouze peur, L'oreille trop ouverte est un passage au cœur, Le voici, témoignez dedans cette occurrence, Que tout autre que moy vous nuit par sa presence, Deffaites-vous bien-tost d'un incivil Amant Qui vous entretiendra sans vous voir seulement. OLIMPE. Mais si cet importun, quoy que je puisse dire, S'obstine à me compter [181] son amoureux martire, Quel sera le moyen de m'en débarasser ? LIDAMAS. N'en prenez pas le soin, c'est à moy d'y penser. Nerine dont la voix imite tant la vostre, Qu'à vous ouïr parler on prend l'une pour l'autre, Me fournit un moyen facile & non commun Pour esloigner de vous cet Amant importun. ### Scène IV. Cleanthe, Sylvestre, Olimpe, Lidamas, Nerine. SYLVESTRE. On trouve en bien cherchant, la chose est bien certaine Ne fust-ce qu'un ciron [182] égaré dans la plaine, Si celle dont l'absence accroist vostre souci⁎ N'est pas dedans sa chambre, on la rencontre ici. CLEANTHE. Madame… SYLVESTRE.         Attendez donc que vous soyez vers elle, Vous ressemblez [183] les chiens de chez Jean de Nivelle [184], Vous abbayez de loing. Avancez, Alte-là. Tournez-vous autrement, parlez, vous y voila. CLEANTHE. Quelque torrent d'ennuis⁎ qui roule dans mon ame J'entends tousjours parler mon devoir & ma flame, L'un & l'autre m'ont dict que je vinsse en ce lieu, J'y suis venu, Madame, accompagné d'un Dieu, Amour qui dans mon cœur en souverain preside M'a conduit par la main & m'a servi de guide, Luy seul jusques à vous a pris soin de mes pas Heureux en mon malheur s'il ne me quite pas. Mais plus heureux encor si le flambeau qu'il porte Vous faisoit voir combien ma passion est forte, Et si les traits⁎ ardents qui partent de sa main En vous frapant au cœur, vous enflammoient le sein. OLIMPE. Monsieur, si l'amour propre, ou si la vaine gloire⁎ Me rendoit orgueilleuse & facile à tout croire, Je pourrois recevoir un pareil compliment Pour le sincere aveu d'un veritable⁎ Amant. Mais … CLEANTHE.         Toubeau⁎, ce mais me tiendroit lieu d'injure, Je hay la flatterie, & je fuy l'imposture⁎, Vous ne devez jamais concevoir le soupçon Que ma bouche & mon cœur parlent d'autre façon. LIDAMAS, *à l'escart.*. Desja cet entretien me déplaist & me lasse. SYLVESTRE. Tandis qu'ils jaseront, causons nous deux de grace. [185] OLIMPE. Quoy, vous arresteriez vos Amoureux projets Au plus deffiguré d'entre tous les objets⁎ ? Quoy vous pourriez encor adorer un visage De qui le seul aspect⁎ effraye & décourage, Non, non, vous avez trop de cœur⁎ & de raison, Vous ne sçauriez souffrir qu'une belle prison, Lors qu'un peu d'embonpoint, & quelque attrait passable, Aux yeux qui me voyoient me rendoit supportable ,  Je veux m'imaginer que par fois des soupirs Formez dans vostre cœur m'addressoient vos desirs, Mais depuis le moment qu'un accident funeste, Effaça ce crayon⁎ de la beauté celeste, Depuis que j'eus perdu ces traits de majesté Qu'imprima sur mon front la premiere beauté, Je ne sçaurois souffrir l'opinion trompeuse, Qu'on brusle encor pour moy d'une flame amoureuse, Tout homme m'en feroit des sermens superflus, L'on sort bien-tost d'un temple où les Dieux ne sont plus. CLEANTHE. Vous vous figurez donc qu'une vaine peinture ,  Qu'un foible & simple trait du pinceau de nature ,  Qu'un amas concerté d'agreables couleurs, Qui redoute l'abord⁎ du froid & des chaleurs, Que des regards lascifs confondent⁎ d'ordinaire, Et qu'efface tousjours la crainte & la colere, Enfin qu'une inconstante & legere beauté Jusqu'icy dans vos fers ait mon cœur arresté, Je pourrois devenir à ce compte idolatre D'une image de pierre, ou de toile, ou de plastre, Oüy si je m'attachois à ces frivoles traits, Les femmes me plairoient bien moins que leurs portraits. Ah ! ne croyez donc pas que sur ces apparences Mon inclination fonde ses esperances, Je pese les vertus, & ces sacrez tresors Me plaisent plus cent fois que les charmes⁎ du corps. LIDAMAS *bas*. Ce compliment trop long use ma patience. (Il fait lever Olimpe & seoir Nerine en sa place.) NERINE. Vous me faites rougir par trop de complaisance, Fist le Ciel que vos yeux aussi bons qu'autrefois … CLEANTHE. Madame, c'est assez, croyez que je vous vois, Ma memoire entretient & revére l'image Et de vostre merite & de vostre visage, De tout ce qu'en naissant les Cieux mirent en vous De divin, de charmant⁎, d'agreable & de doux, J'en suis encor épris, j'en ay l'ame enflamee, De pas un des mortels vous n'estes tant aimee, C'est peu de le montrer par des soins complaisans, Je vous en veux donner pour preuve des presens, C'est à quoy je m'oblige, & dont je seray quite Si vous me permettez encor une visite. LIDAMAS *à Olimpe*. Il croit parler à vous [186], le pauvre aveugle en tient⁎. NERINE. Monsieur vous m'honorez plus qu'il ne m'appartient, Reservez vos presens pour de plus belles Dames, Je ne merite pas ny vos dons ny vos flames, Et je puis assurer que si vous me voyez Vous plaindriez [187] vos presens s'ils m'estoient envoyez. CLEANTHE. Madame, ce discours est un refus honneste, Mais encor une fois je vous fais ma requeste, Agreez que tantost je vous revienne voir, Et que vous revoyant je fasse mon devoir. Enfin si vous m'aimez que vostre amour se montre, En daignant accepter de ma main une montre, Que de ce bien encor je vous sois obligé⁎, Promettez-le, Madame, & puis je prends congé. LIDAMAS *bas*. Nerine promets-luy d'accepter pour luy plaire. NERINE. Monsieur tout mon desir tend à vous satisfaire, S'il vous plaist de m'offrir un present aujourd'huy, Ayant un cœur pour vous, j'auray des mains pour luy. CLEANTHE. Que mon bon-heur est grand ! ce discours me confirme Qu'Olimpe considere encor Cleanthe infirme. Adieu, Madame, adieu, vous m'avez satisfait, Sylvestre allons. SYLVESTRE.         Oüy, maistre, en un pas c'en est fait. Vous son unique fils, mon zele vous exhorte De venir avec moy, parce qu'il vous importe. OLIMPE. Suivez-le, Lidamas, quelquefois ses pareils A de plus sages qu'eux donnent de bons conseils. ### Scène V. Olimpe, Nerine NERINE. Maintenant que je puis m'exprimer sans contrainte, Permetez que mon cœur⁎ se montre à vous sans crainte, Madame, voulez-vous acquerir un renom Qui ternisse à jamais l'éclat de vostre nom ? Voulez-vous, negligeant l'amitié⁎ de Cleanthe, Qu'on die [188] à l'avenir, Olimpe est inconstante, Sa passion luy pleut avant son mauvais sort, Et l'œil sec maintenant, elle le verroit mort. Ah ! Madame, évitez ce reproche sensible, Laissez-vous surmonter⁎ à [189] sa flame invincible, Malgré les faux rapports que l'on luy fait de vous, Sa plus ardente envie est d'estre vostre espoux, Ce constant serviteur⁎ vous aime en toute forme, Heureuse,  infortunee, agreable ou difforme, Reconaissez, Madame, un zele⁎ si parfait, Et dans vos premiers feux persistez comme il fait. OLIMPE. Nerine, ce discours est de mauvaise grace, Tu me prescris à tort ce qu'il faut que je fasse, Je conais mon devoir, je sçay m'en acquitter, Sans te donner le soin⁎ de m'en solliciter. Cleanthe, je l'avoüe, a regné dans mon ame, Mais en l'estat qu'il est, merite-t'il ma flame, Certes si je pouvois l'estimer aujourd'huy Je me declarerois plus aveugle que luy. < Fin du second Acte > ## Acte III. ### Scène première. Melice, Lucille. LUCILLE. Ouy je l'ay rencontré cet Amant deplorable⁎ Maudissant les rigueurs d'un pere inexorable, Se plaignant du destin, de soy-mesme & de vous, Et comme un furieux⁎ se meurtrissant de coups. Lucille, m'a-t'il dit, aussi-tost qu'il m'a veuë, C'en est fait, je me rends, ma constance est vaincuë, Je ne puis plus lutter contre mon mauvais sort, Il triomphe, & l'espoir qui me reste est la mort : Va-t'en, ajouste-t'il, trouver hors de Thelame Son cœur & ses desirs, ses pensers & son ame ; J'entends le digne objet⁎ qui me tient dans ses fers, Que je vois à toute heure, & pourtant que je pers ; Ce superbe Démon qui poursuit les offences, Qui suggere & qui prend de sanglantes vengeances, L'honneur, esprit mouvant de tout cœur⁎ noble & prompt, Me crie incessamment, vange-toy d'un affront. Son empressante voix & m'émeut & me pique⁎ ; Mais afin d'éviter un accident Tragique, Je veux dés aujourd'huy m'absenter de ces lieux, Avertis-en Melice, & luy fay mes adieux. Ces tristes mots finis, le cœur plein de tristesse, Et l'œil noyé de pleurs, il s'enfuit & me laisse. MELICE. Lucille à ce surcroist de malheurs sans esgaux, Laisse-moy chercher seule un remede à mes maux, Souffre que sans secours je combatte ma peine. Cependant attends-moy dans la chambre prochaine⁎. ### Scène II. MELICE *seule.*. L'Esprit envelopé d'un nuage d'ennuis⁎ Je m'égare en moy-mesme, & ne sçais où je suis, Mon destin rigoureux m'a mis dans une route Où de tous les costez ma raison ne void goute, Ou si mon jugement y trouve quelque jour, Il ne m'est envoyé que du flambeau d'Amour. Thelame possedé d'une cruelle envie Veut aller loing d'ici finir sa triste vie, Il veut loing de ces lieux transporter ses malheurs, Mais allons soulager ses larmes par nos pleurs Dans quelque affreux desert où la douleur le meine, Faisant mesme chemin endurons mesme peine, Car mon amour enfin troublant mon jugement Me force à consentir à mon enlevement, Au lieu de m'opposer à cette violence, Je la souffre & luy cede avecques complaisance, Je me laisse emporter au cours de ce torrent, Et Thelame excepté tout m'est indifferent. Oüy, Thelame, vous seul regnez dans ma pensee, Pour vostre interest seul, je suis interessee, Et si vous en voulez un indice certain Vous allez voir mon cœur⁎ dans les traits de ma main. Lasse de supporter l'incurable caprice D'un esprit infecté d'une sale avarice, Je vay par un escrit exciter vostre amour A m'enlever bien-tost de ce fâcheux sejour, Je faciliteray cette grande entreprise Avecque la prudence & l'addresse requise, Ce papier où je vais escrire mon dessein Vous dira plus au long ce que j'ay dans le sein. Mais déplaisant abord⁎, arrivee importune, Lasche tour que me jouë⁎ encore la fortune⁎, A peine ay-je assemblé les lettres de deux mots Qu'il faut quitter la plume & changer de propos. Toutefois je m'abuse, il n'est pas necessaire, Je crains hors de saison ce valet & mon pere, Qu'importe que tous deux dressent vers moy leurs pas, Puisque l'un ne peut lire, & l'autre ne void pas. ### Scène III. Cleanthe, Melice, Sylvestre. SYLVESTRE *bas.*. Elle est seule, Monsieur, le temps vous est propice. CLEANTHE. Trouveray-je à present ma fille dans Melice ? Ne ferme-t'elle plus l'oreille à son devoir ? Reconaist-t'elle enfin mon absolu pouvoir ? MELICE *bas.*. En cette occasion recourons à la feinte. Ah ! Monsieur, ajoustez la vengeance à la plainte, Usez des droicts d'un pere, & me faites sentir Que je m'excuse mal avec un repentir, Ma desobeissance est de telle nature Qu'on ne peut m'imposer une peine assez dure, J'ay trop insolemment choqué⁎ vos volontez, Montrez-moy vos rigueurs, cachez moy vos bontez, Je dois estre de vous severement punie D'avoir de Thelame [190] souffert la tyrannie, Cette indigne souffrance est une lâcheté Qui ne se doit toucher que d'un bras irrité. CLEANTHE. Ma fille un repentir si grand & si visible Aux transports⁎ de courroux me rend inaccessible, Je ne vous demandois que ce juste dédain D'un infertile amour conceu sans mon dessein, Je prejugeois tousjours malgré vos resistances, Que Thelame formoit de vaines esperances, Et que voulant avoir de plus riches liens Son merite en oubly, vous songeriez aux biens. Le succez⁎ est d'accord avecque mon attente, Ce noble incommodé [191] n'a plus rien qui vous tente, Vous ne desirez plus d'en faire vostre espoux, Ses talens ne sont pas de bon alloy pour nous, Sa taille, sa parole, & son maintien aimable, S'ils remplissoient le lict, couvriroient mal la table. Celuy que je destine à vos pudiques⁎ vœux, A d'autre or que celuy qui jaunit les cheveux, Son pere tous les jours malgré nos longues guerres [192] A cent coutres⁎ tranchants fait déchirer ses terres, Que s'il n'est pas issu d'Ayeux fort renommez, Il tient dans son buffet des Nobles enfermez [193], Au Temps où nous vivons ces qualitez sont rares Et doivent adoucir les cœurs les plus barbares⁎ ; Le vostre pourroit-il encor deliberer De s'y laisser fléchir, & de les adorer ? MELICE. Sans regarder les biens, le rang ny la personne, Je reçois un époux que mon pere me donne, S'il l'estime il me plaist, & d'un esprit soumis Je l'ayme dés cette heure autant qu'il est permis [194]. CLEANTHE. C'est ainsi que répond une fille bien née, Allez, je vous prédis un heureux hymenée⁎, Acceptant un espoux de ma main seulement, Le pire de vos jours coulera doucement . Que le vieux Parmenon aura de joye en l'ame Aussi-tost qu'il sçaura que son fils vous enflame, Et que le Ciel propice aux vœux que nous faisons D'un sacré nœud d'hymen⁎ unira nos maisons  !  Il luy faut sans demeure⁎ addresser une lettre Qui l'assure d'un bien qu'il n'osoit se promettre, Prenez viste la plume, & couchez par escrit Une suite de mots qui me vient dans l'esprit [195]. MELICE *bas.*. Servons-nous de ce temps, afin d'achever celle Que je veux envoyer à mon Amant fidelle. CLEANTHE. Mettez, Monsieur sçachez que ma fille veut bien … MELICE. Attendez, s'il vous plaist, ma plume ne vaut rien. Elle ne marque pas, je n'escris rien qui vaille, Si je m'en veux servir il faut que je la taille. SYLVESTRE. Attendant qu'elle soit plus commode à sa main, Confabulons [196] nous deux touchant un mien dessein. CLEANTHE. Quel secret important as-tu donc à m'apprendre ? SYLVESTRE. Que depuis ce matin j'enrage de me pendre. CLEANTHE. De te perdre meschant, n'és-tu pas yvre ou fou ? SYLVESTRE. J'en ay jetté la pierre & lancé le caillou, Sur ce poinct desormais ma volonté s'obstine, Je veux estre pendu, mais au cou de Nerine, Ce gibet me plaist tant, je le dis sans peché, Que je seray ravy⁎ de m'y voir attaché. Me contredirez-vous en ce que je propose ? [197] CLEANTHE. Sylvestre de ma part espere toute chose. Mais sçachons si Melice a mis sa plume au poinct De peindre⁎ ma pensee, & de ne broüiller⁎ point. MELICE. Mon canif tranche mal, & jusqu'icy ma peine A la rendre meilleure est inutile & vaine. Je m'en vais essayer pour la derniere fois A la mettre en estat d'obeïr à mes doigts. CLEANTHE. Tellement que Nerine a ravi ta franchise [198] ? SYLVESTRE. Oüy, ses regards filoux d'aujourd'huy me l'ont prise, Mais si vostre credit se joint à mes efforts J'auray bien-tost sur elle une prise de corps. MELICE *bas.*. Ces lignes suffiront, finissons la presente Par vostre tres-acquise & tres-fidelle Amante. CLEANTHE. N'est-ce pas fait Melice ? ah Ciel quelle longueur. MELICE. Oüy, Monsieur, mon pinceau⁎ se trouve un peu meilleur, J'espere d'en former quelque bon caractere⁎ Qui maintiendra l'honneur de la fille & du pere. Dictez. CLEANTHE *dicte.* [199]. [200]         Monsieur, sçachez que ma fille veut bien Qu'un celebre⁎ hymenée⁎ à vostre fils l'unisse, Qu'il vienne promptement, & n'apprehende rien, Comme il plaist à Cleanthe, il agree à Melice. Il suffit de ces mots, pliez, & le dessus [200] Soit au vieux Parmenon, prez de Tours, & rien plus. Bon Dieu que vous serez heureuse avec cet homme, On dort sur de l'Argent d'un agreable somme, Le duvet le plus mol n'a rien de doux au prix [201], Le bien est le repos des corps & des esprits, Mais cachetez le mot que vous venez d'escrire. MELICE. Monsieur je ne sçaurois, n'ayant ny feu ny cire. CLEANTHE. Va querir un flambeau, mon fidelle valet. Vous prenez cette clef, ouvrez mon cabinet, Sans qu'il soit de besoin que je vous accompagne, Vous y rencontrerez de la cire d'Espagne. [202] L'impudente se trompe en me pensant tromper, J'ay levé par deux fois la main pour la frapper, Mais voulant éprouver sa fourbe⁎ toute entiere J'ay retenu mon bras & contraint ma colere, Sans que les siens se soient deffiez de mes yeux J'ay veu de son écrit les traits pernicieux, Lors qu'elle me croyoit repaistre d'impostures⁎ Je lisois mot à mot ses folles escritures, J'en sçay le contenu, mais pour les détester Je veux bien estant seul tout haut le réciter. Pour le vieux Parmenon, cette fille insensee A suivy son caprice, & non pas ma pensee. [204] Monsieur ce mot d'escrit est pour vous avertir Que vostre fils n'est pas un party pour ma fille, Tout mon sang se revolte, & ne peut consentir Qu'une goute du vostre entre dans ma famille. CLEANTHE. (Apres avoir leu.) La perfide ! ô Ciel qu'auroit-ce esté Si j'eusse eu tant soit peu plus de credulité ? (Il prend l'autre lettre.) Cette autre est de sa part addressee à Thelame Voyons les beaux projets que forme cette infame. [205] Seul & doux espoir de mes yeux Puis que le desespoir vous bannit de ces lieux, Apprenez que je vous veux suivre ;    54 Meditez mon enlevement, Comme sans vous je ne puis vivre J'y souscrit volontairement. Melice, vostre acquise & tres-fidelle Amante. CLEANTHE *ayant leu.*. Je rendray sans effect cette envie insolente. Mais la voicy qui vient, remettons ces escrits A l'endroit qu'ils estoient lors que je les ay pris, Et comme auparavant contrefaisant l'infirme Que sa fourbe⁎ à nos yeux jusqu'au bout se confirme. MELICE. J'apporte de la cire. SYLVESTRE.         Et Sylvestre un flambeau. CLEANTHE. Donnez à cette lettre un ply juste & nouveau, Et puis de mon cachet imprimant la figure Contre les curieux armez cette escriture. Que je doy rendre au Ciel de graces & de vœux De vous trouver si soupple à tout ce que je veux ! MELICE. La pieté m'oblige, & le Ciel me convie D'obeïr à celuy duquel je tiens la vie, Tousjours de vos desirs je hasteray l'effect Avec tout le plaisir & le soing que j'ay fait, Recevez vostre lettre. CLEANTHE.         O fille obeissante, Qu'un semblable propos me plaist & me contente, Allez, je n'ay pour l'heure aucun besoin de vous. MELICE *à l'escart.*. Forçons nostre destin à devenir plus doux, Lucille m'a promis son silence & sa peine, Allons la retrouver dans la chambre prochaine⁎, Et d'un pas aussi prompt que mon commandement, Envoyons-la porter ce mot à mon Amant. ### Scène IV. Cleanthe, Sylvestre. SYLVESTRE. Et puis fiez-vous-y, parbieu [203] ce sexe est drôle, Il a la ruse en main ainsi que la parole, Monsieur songez à vous, Melice a du dessein [204]. CLEANTHE. Il m'est conu, Sylvestre, & je le rendray vain. Parlons de Lidamas, esperes-tu qu'il vienne ? SYLVESTRE. S'il ne vient pas, il faut que le Diable le tienne, Mais il ne le tient pas, je l'apperçoy qui vient, Comportons-nous tous deux, ainsi qu'il appartient. ### Scène V. Lidamas, Cleanthe, Sylvestre. CLEANTHE *assis vers la table.*. Préparons le présent que j'ay promis de faire Au Soleil animé qui m'échauffe & m'éclaire, Et qui malgré la nuit de mon aveuglement Eslance ses rayons dans mon entendement, Je ne pouvois d'un don plus seant [205] ny modeste Honnorer un visage autrefois tout celeste. Par beaucoup de rapports, une montre est un Ciel. Reglé dedans son cours, bien qu'artificiel, Plus benin que ce globe où sont cloüez les Astres, Sans y contribuer il marque nos desastres, Et si comme ce corps il ne fait pas le Temps Il en marque du moins l'espace & les instans. SYLVESTRE *à Lidamas.*. Ne soyez pas craintif dedans cette rencontre⁎, L'occasion vous rit, escamottez la montre. CLEANTHE. Sylvestre, approche, escoute, est-il l'heure d'aller Vers les yeux que j'adore & paraitre & brusler. LIDAMAS *bas.*. Usons en ce moment de l'avis⁎ de Sylvestre. SYLVESTRE. Monsieur vostre raison est sans doute en sequestre, A quoy bon dites-moy de faire des présens A des attraits passez, à des masques présens ? CLEANTHE *frappant Lidamas.*. Reçoy, mauvais censeur, homme plein d'insolence D'un plus grand chastiment un soufflet par avance. Olimpe pour ta veuë est un objet⁎ trop haut, Ce qu'elle a d'accomply te paroist un defaut. LIDAMAS. Je n'ose dire mot, cher Sylvestre de grace Tesmoigne du despit, & te plains en ma place. CLEANTHE. Si jamais… SYLVESTRE.         Si jamais je suis vostre valet Que l'on m'estrille en asne, en cheval, en mulet [206], Que le plus froid des Vents sans cesse au nez me souffle, Qu'on me prenne par tout pour sot & pour marouffle [207]. Vostre bras à fraper n'eut jamais de pareil, Quoy ? sans vous informer si l'on craint le Soleil Et si l'on ayme moins le temps clair que le sombre, Vostre main met ainsi les visages à l'ombre, Sans trancher du sçavant, ny sans passer pour fol Je puis d'oresnavant la nommer parasol⁎. CLEANTHE. Ces façons de parler bouffonnes & fantasques T'attireront encor… SYLVESTRE.         Quoy ? d'autres demy marques [208]. LIDAMAS. Pendant leur different qui flatte mon desir Pour la seconde fois tâchons à [209] reüssir. SYLVESTRE. Adieu, je ne veux plus conduire qui m'outrage, Il vous faut un valet qui n'ait point de visage. CLEANTHE. Sylvestre qu'est-cecy [210], veux-tu m'abandonner ? SYLVESTRE. Oüy, je ne fus jamais enclin à pardonner. CLEANTHE. Voy ma condition, & regarde la tienne. LIDAMAS. Enfin j'ay pris sa montre, & supposé⁎ la mienne, Allons trouver Olimpe, & faisons aujourd'huy Un commerce⁎ amoureux des richesses d'autruy. ### Scène VI. Cleanthe, Sylvestre. SYLVESTRE. Monsieur il est sorty, la feinte est superfluë, En se pensant brancher ce bel oyseau s'engluë. CLEANTHE. Parmy [211] les mouvemens⁎ dont je me sens toucher Je ne sçay si je dois ou rire ou me fascher, Qu'en ce siecle de fer où le vice prospere L'on trouve peu d'enfans qui respectent leur pere, Et que j'espreuve [212] bien en ma juste douleur Que n'en avoir jamais est un heureux malheur. Sylvestre poursuivons l'intrigue de la montre, Prouve encor ton esprit dedans cette rencontre⁎, Ne te relâche point. SYLVESTRE.         Par Nerine & ses yeux Je me comporteray tousjours de bien en mieux. < Fin du troisiesme Acte > ## Acte IV. ### Scène première. Lidamas, Olimpe. LIDAMAS. Mon cœur⁎ refuse-t'il ce que ma main luy donne ? Qui neglige mes dons, dédaigne ma personne, Rejetter un present, c'est le visible effet Du degoust que l'on a de celuy qui le fait. OLIMPE. Pour guerir vostre esprit d'une telle croyance, Je peche expressement contre la bienseance, Le refus des présents est de nostre devoir, Mais qui donne son cœur peut bien tout recevoir. LIDAMAS. Cette montre est, Madame, une montre commune, Je ne croy pas pourtant que mon pere en ait une… OLIMPE. Il vient, n'achevez pas. LIDAMAS.         O Ciel qu'il me déplaist, Jamais homme ne fut plus importun qu'il l'est. ### Scène II. Cleanthe, Sylvestre, Olimpe, Lidamas, Nerine. CLEANTHE. Apres que j'ay promis ma memoire me presse De faire succeder l'effet à ma promesse, C'est le premier motif qui me conduit icy, L'autre est d'y soupirer mon amoureux soucy⁎. OLIMPE. Monsieur épargnez-moy, quoy mes beautez péries Meriteroient vos dons, feroient vos resveries ? Tant de présomption ne me possede pas, L'on ne peut beaucoup plaire avec si peu d'appas⁎. CLEANTHE. Ah que vous vous donnez & me causez de peine, Sur moy plus que jamais vous estes souveraine, Ce que jamais vos yeux eurent de ravissant, Ce qu'ils eurent de doux, de noble & de puissant, Tout ce qu'Amour peignit sur vostre front d'yvoire ; Au moment que je parle est peint dans ma memoire, Je vous en apprendrois & l'empire & les coups⁎ Si mes discours n'estoient écoutez que de vous. OLIMPE. Personne n'est icy que Sylvestre & Nerine. CLEANTHE. Qu'ils s'en aillent tous deux dans la chambre prochaine⁎. Madame faites-en un prompt commandement. OLIMPE. Sortez. SYLVESTRE.         Que je te vay cajoler diablement. CLEANTHE. Madame, je disois que tous les avantages Que vous eustes jamais sur les plus beaux visages, Que ces charmes⁎ divins dont je fus asservy Vivent dans mon idée, & que j'en suis ravy⁎, Encor que mon tourment surpasse toute chose J'en deviens idolastre ainsi que de sa cause, Et souhaite qu'hymen⁎ nous arreste tous deux Dans des liens tissus d'indissolubles nœuds. Si je n'avance rien dont vous soyez faschée⁎, Si mes soupirs ardents vous ont un peu touchée, Et si vous desirez de m'en rendre certain Que ce soit en prenant ce present de ma main. OLIMPE. Qu'est-il dedans l'honneur que pour vous je ne fasse [213], Je le reçoy, Monsieur, & je vous en rends grace. CLEANTHE. Ainsi vous m'obligez⁎ beaucoup plus mille fois Que si vous soumettiez tout le monde à mes lois. Je tiens cete faveur & glorieuse & chere, Que je baise la main qui me la vient de faire. (Lidamas luy presente la main.) OLIMPE. Hé ! Monsieur. CLEANTHE.         Quels transports⁎ ? ô Ciel je n'en puis plus. Encor un peu de temps, & j'expire dessus. Chaste albastre animé, belle main que je touche, Tu peux prendre mon cœur, il est dedans ma bouche. OLIMPE. Monsieur encor un coup. CLEANTHE.         Ah Madame, laissez, Je reçoy du plaisir plus que vous ne pensez. OLIMPE. Si quelqu'un nous voyoit que ne pourroit-on croire ? CLEANTHE. Rien qui ne peust beaucoup augmenter vostre gloire, Rien qui ne témoignast vostre inclination, Vostre rare merite & vostre affection. Mais je crains d'abuser de vostre patience, Et d'estre deplaisant à vostre complaisance, Remply de vos faveurs, je prends congé de vous, Adieu de mes pensers, objet⁎ cruel & doux. Sylvestre. SYLVESTRE *à Nerine*.         A te quitter faut-il donc me resoudre, Joly moulin à vent où j'ay dessein de moudre. Que vouléz-vous de moy ? CLEANTHE.         Rien qu'en estre conduit. SYLVESTRE. Allons, je suis le jour & vous estes la nuit, Suivez vostre falot.⁎ LIDAMAS.         Il en tient⁎ le bon-homme [214], Il va benir tout seul le feu qui le consomme [215], Il croit avoir baisé cette adorable main. NERINE. Deux Dames dans la sale attendent à dessein De vous faire aujourd'huy compliment & visite. OLIMPE. Je les vay recevoir. LIDAMAS.         Adieu donc je vous quitte. ### Scène III. Olimpe, Nerine. NERINE *retenant Olimpe.*. Madame, s'il vous plaist revenez sur vos pas, Ce n'est qu'un faux semblant, on ne vous attend pas. OLIMPE. Explique-donc pourquoy tu m'as dit le contraire ? NERINE. Pour tromper Lidamas, & pour vous en défaire, Pour vous prier encor de garder vostre foy⁎ A qui vit plus en vous qu'il n'est vivant en soy, A cet infortuné, mais Amant veritable⁎, Qui vous croit monstrueuse & vous tient adorable. L'amour des jeunes gens d'ordinaire est leger, Ce n'est à bien parler qu'un oyseau passager, Qui ne peut demeurer long-temps en une place Que le Printemps ameine, & qu'un jour d'hyver chasse [216]. OLIMPE. Cruelle à quel dessein me tiens-tu ce propos ? Pourquoy traverses⁎-tu ma flame & mon repos ? Quelle haine couverte⁎, & quelle noire envie Te fait en mon amour attenter sur [217] ma vie ? D'où te naissent ces soins⁎ que je n'approuve pas Et qui [218] te porte enfin à blâmer Lidamas ? NERINE. Mon zele seulement & la peur raisonnable Qu'un faux & feint amour en trompe un veritable. Celuy que vostre cœur cherit si constamment Dans d'infames liens s'engage indignement. Depuis un mois entier certaine Courtisane Est le Temple & l'Autel de cet Amant profane. Il y va tous les jours sacrifier ses vœux, Et puis vous vient offrir ses impudiques feux. Cette femme qui vit des offenses⁎ des hommes, Cet opprobre public du sexe dont nous sommes A fait de cette montre en plus de mille lieux Un criminel appas pour attirer les yeux. Cette infame avant vous s'en est souvent ornée, Mais à son bienfaicteur elle l'a redonnee, Afin de ruiner le vertueux dessein Que Cleanthe pour vous entretient dans son sein. OLIMPE. Qu'entens-je, juste Ciel, & que dis-tu Nerine ? NERINE. Ce que m'a dit Sylvestre en la chambre voisine. Ce que mal-aisément on peut s'imaginer, Mais Sylvestre n'est pas garçon pour en donner [219]. OLIMPE. Apprends-moy plus au long cette facheuse histoire. NERINE. Telle qu'il me l'a dite elle est dans ma memoire, Mais j'apperçoy quelqu'un qui pourroit écouter, Venez ailleurs qu'icy l'entendre raconter. ### Scène IV. LUCILLE *tenant une lettre.*. Je ne vay qu'en tremblant retrouver ma maitresse, Elle a juste sujet de punir ma paresse, Sans causer nulle part je devois revenir, Mais le sexe coëffé [220] ne s'en peut abstenir, Pour quelque grand dessein qu'on envoye une fille Il faut ou qu'elle meure, ou bien qu'elle babille, C'est en cet animal une imbecillité⁎ Que la suite du Temps change en necessité. J'en fais en ce moment une preuve certaine, Il semble que mes pieds soient liez d'une chaine,     Et bien que mon devoir appelle ailleurs mes pas Je parle toute seule, & ne l'escoute pas. Mais evertüons [221]-nous, & luy prestons l'oreille, Allons nous-en d'icy puis qu'il nous le conseille, Ma maitresse jamais n'eut guére de rigueur, J'espere en obtenir pardon de ma longueur Pourveu que le destin n'ait pas voulu permettre Que l'abord⁎ de Thelame ait devancé sa lettre. Mais obstacle nouveau, voici venir quelqu'un, C'est Cleanthe, évitons cet Aveugle importun, Et parce que Sylvestre avecque luy s'approche, Glissons en esquivant [222] ce papier dans ma poche. (Elle laisse tomber la lettre.) ### Scène V. Cleanthe, Sylvestre. SYLVESTRE. Aspre à vous satisfaire autant & plus qu'aux pots [223], N'ay-je pas inventé ce mensonge à propos ? CLEANTHE. Va, tu merites trop, cette adraite imposture⁎ Me remet vers Olimpe en meilleure posture ; Elle est à Lidamas un coup⁎ triste & fatal Qui doit dans peu de temps changer son bien en mal, Rien n'excita jamais le dépit d'une femme A l'égal du mespris que l'on fait de sa flame, Et son courroux éclate avec juste sujet Quand qui la sert s'applique à [224] quelqu'indigne objet⁎. Si Nerine t'a creu, je ne fay point de doute Qu'à cette heure à l'escart Olimpe ne l'escoute, Et que voyant ses feux si laschement trahis Elle ne foule aux pieds le présent de mon fils. SYLVESTRE. Si Nerine m'a creu ! Ce mot de si, me picque⁎, Elle tient mes discours reglez comme Musique, Plus qu'à pas un mortel elle se fie en [225] moy, Et mes songes luy sont des Articles de Foy. Je gage qu'à present tout son caquet s'efforce A [226] faire qu'à l'accord succede le divorce, Et qu'Olimpe abhorrant l'ardeur de Lidamas A vous seul desormais destine ses appas⁎. Ce qui peut l'obliger d'agir de cette sorte C'est que j'ay desiré que sa langue fust morte, Et que l'entretenant d'un Amant indiscret⁎ J'ay feint que j'en faisois un important secret ; D'ailleurs par le motif d'une reconnoissance Cette fille vous sert de toute sa puissance, Elle m'a declaré que son frere sans vous Eust esté le repas des corbeaux & des loups, Et que bravant la mort d'une façon hautaine Il eust dansé dans l'air jusqu'à perte d'haleine. CLEANTHE. Il est vray que sans moy, ce pauvre malheureux Auroit suby la loy d'un Arrest rigoureux, Il s'estoit declaré deserteur de Milice, Et le conseil de guerre en eust fait la Justice [227]. Mais laissons ce discours, & ne ramenons point La memoire d'un acte où tant d'opprobre est joint Suffit que par mes soins je sauvay ce coupable. Revenons à Nerine, elle te plaist ? SYLVESTRE.         Sans fable. CLEANTHE. Elle sçait donc de toy mon feint aveuglement ? SYLVESTRE. Je suis trop vieux Renard pour cet aveuglement, Quand le Ciel m'auroit mis dedans le corps cent Ames Je n'en découvrirois pas une seule aux femmes, Je ne parle qu'en crainte [228] à ces fiers Animaux ,  Se taire fut tousjours le pire de leurs maux, Et s'il faut clairement exprimer ma pensee, Pour garder un secret la femme est trop percee.    1130 CLEANTHE. Ce discours est encor un trait de ton esprit. Mais qui dans cette sale a laissé cet escrit ? Donne-le-moy, Sylvestre, il faut voir ce qu'il porte, La plume de Thelame escrit de cette sorte, L'addresse⁎ est à Melice, ó Ciel ce suborneur Tend infailliblement un piege à son honneur. [232] Madame j'ay leu vostre lettre Qui veut m'obliger à promettre De marquer mon depart par vostre enlevement, Je suis vostre sujet, mais je tiens pour maxime Que quand un Roy commande un crime On desobeit justement. Ce soir à la faveur de l'ombre Accompagné d'ennuis⁎ sans nombre, J'iray selon vostre ordre à dessein de vous voir, Mais au lieu de ceder à votre injuste envie A vos yeux je perdray la vie Ou vous suivrez vostre devoir. Thelame. CLEANTHE *Apres avoir leu.*.         Transporté de tristesse & de joye Comme entre deux chemins mon esprit se fourvoye, Deux divers mouvemens⁎ me tirent devers [229]eux, Et je doute lequel je doy suivre des deux. Mais c'est trop balancer, dissipons cette doute [230], Suivons la plus plaisante & la meilleure route, Et destournant les yeux d'une fille sans cœur⁎ Envisageons celui qui sauve son honneur. Il doit bien-tost venir, car desja les estoiles Desployent parmi [231] l'air leurs tenebreuses toiles, Je veux recompenser sa veritable amour [232], Et paraitre envers lui genereux⁎ à mon tour, Sa vertu m'a surpris, avant que le jour vienne Je le veux à l'envy [233] surprendre par la mienne, Mon esprit occupé dans un dessein si beau M'en fournit un moyen agreable & nouveau. Esperez donc, Thelame, & n'ayez plus de crainte Que je choque⁎ l'ardeur dont vostre ame est atteinte, Je vous promets ma fille, & par dedans mes biens, Vous avez des tresors qui surpassent les miens. La voici cette fille, indigne de ma grace Rejettons ce papier, & luy cedons la place. ### Scène VI. Melice, Lucille. LUCILLE *amassant⁎ la lettre.*. Madame la voici, ne vous tourmentez plus, Vostre pere & Sylvestre avoient les pieds dessus. Mais l'un estant aveugle, & de bonne aventure⁎ L'autre n'ayant jamais rien sceu dans [234] la lecture, Je ne m'estonne point s'ils n'ont pas amassé⁎ Cet escrit que Thelame a lui mesme tracé. MELICE. Donne-le-moy, Lucille, & permets qu'à mon aise J'en admire les traits, je les lise & les baise. (Elle lit tout bas, & apres avoir leu.) Ciel que viens-je d'apprendre ! & que viens-je de voir ! Donc ma seule esperance a trahi mon espoir, L'objet⁎ de mon amour neglige, fuit, & blâme, Le noble excez d'amour qu'il excite en mon ame. Ah ! Thelame, apres tout ce refus m'est suspect, La crainte vous l'inspire, & non pas le respect, Vous preferez le vostre au repos de Melice, Il n'est rien qu'en aimant un grand cœur⁎ n'accomplisse. Lucille, si l'ingrat en qui j'espere en vain Se ressouvient des traits qu'a figurez sa main, L'air que l'obscurité de la nuit environne, Me doit bien-tost ici faire voir sa personne, Va l'attendre en la ruë, & l'ameine sans bruit, Juger du triste estat où mon cœur est reduit. LUCILLE. Si vous le commandez je ne m'en puis defendre, Mais je croirois meilleur de ne le point attendre, Il a, vous le sçavez, une clef du jardin, Il peut en y passant accourcir son chemin [235], Et sçachant du logis jusqu'à la moindre addresse⁎ Il peut encor sans bruit venir voir sa maitresse⁎, Comme je l'ay preveu l'affaire a reüssi, Mes yeux se sont trompez, ou c'est lui que voici. ### Scène VII. Thelame, Melice, Lucille. THELAME *tenant la lettre de Melice.*. Non jamais vostre main n'écrivit cette lettre, Vostre rare vertu ne l'auroit pû permettre, Je crois absolument qu'un folastre demon A comme vostre main emprunté vostre nom. Si chez vous la raison a repris son Empire, Vous ne blâmerez pas ce que je viens de dire, Et prendrez mes discours pour d'assurez tesmoins Qu'on flatte⁎ davantage alors qu'on aime moins. MELICE. Vostre vertu, Thelame, a réveillé la mienne, Vous ne m'avez rien dit dont je ne me souvienne, J'ay receu des clartez de vous avoir oüy, Mon jugement les void sans en estre ébloüy, N'apprehendez donc point que je vous mes-estime, Si vous me reprenez sur le projet d'un crime, Je vous en aime mieux, & je mets mon bonheur A mourir pour celuy qui m'a sauvé l'honneur. Mourir ! ah qu'ay-je dit, gardons-nous de poursuivre, Pour qui me chérit tant ne songeons plus qu'à vivre. Et tâchons de reduire un pere sans pitié A céder aux ardeurs de sa chaste amitié⁎. THELAME. L'Amitié⁎ ne peut rien sur cet homme barbare⁎ Ce beau feu n'agist pas dessus un cœur avare Donc au lieu de nourrir un espoir superflu Permettez mon départ que le Ciel a conclu Adieu. MELICE.         Je ne sçaurois vous dire adieu Thelame On manque de parolle au poinct de perdre l'Ame Recevez un soupir au defaut de la voix. Mais qui [236] conduit icy, ce valet que je vois. ### Scène VIII. Sylvestre, Thelame, Melice, Lucille. SYLVESTRE. Madame concluez de ce que je vay dire Si vous avez sujet de pleurer ou de rire, Si vous devez bénir ou maudire le sort, Bref si ce changement vous fait plaisir ou tort : D'un plein saut [237] comme on dit, & toute à l'impourveuë [238] Mon Maistre a recouvré la moitié de la veuë Par de secrets ressorts [239], infernaux ou divins Son visage a tourné le dos aux quinze vingts [240], L'un de ses deux luisans a quitté la débauche, Bref il void clair d'un œil, & cét œil est le gauche, Il m'a dit qu'il viendroit dans peu de temps icy, Il tient ce qu'il promet Madame le voicy. THELAME. Si j'en suis apperceu, je pressens ses outrages. MELICE. Vous pouvez aisement éviter ces orages Hastez-vous de courir vous cacher dans ce coin, Du reste n'ayez peur, j'en veux prendre le soin. ### Scène IX. Cleanthe, Melice, Thelame, Sylvestre, Lucille. CLEANTHE. Ma fille prenez part à la soudaine joye Dans qui mon cœur se plonge & mon ame se noye, J'ay pour l'heure un bon œil. MELICE.         Sylvestre me l'a dit Le Ciel quand il luy plaist agit sans contredit. Puisqu'il a commencé de vous rendre la veuë Ce grand commencement doit avoir pleine issuë, Et certes si l'on peut recueillir quelque fruit Des avertissemens que nous donne la nuict Si l'on peut quelque fois s'asseurer sur les songes Et si tous leurs rapports ne sont pas des mensonges L'on vous verra bientost dans mon pressentiment Tout à fait garanty de vostre aveuglement. CLEANTHE. Quel prophetique instinct, ou quel heureux augure Entretient vostre esprit dans cette conjecture ? MELICE. Quand Sylvestre est venu m'apprendre que le Ciel Ne versoit plus sur vous tant d'absinthe [241] & de fiel Et qu'avec l'un des yeux sa colere assouvie Vous rendoit le plus pur des plaisirs de la vie, L'esprit ensevely dans un profond sommeil Vostre front m'a paru couronné d'un Soleil Dont les rayons épars dessus vostre visage Le tiroient tout brillant du milieu d'un nuage. Ce phantosme charmant⁎ auroit beaucoup duré Si Sylvestre en parlant ne l'eust point effaré. Tel est en peu de mots, mon songe & ses peintures, Tâchons s'il est menteur d'en voir les impostures⁎ Et s'il présage vray dans ses obscuritez Tâchons pareillement d'en voir les veritez. Il n'est pas mal-aisé d'en venir à l'épreuve S'il plaist de vous servir d'un moyen que je treuve [242]. CLEANTHE. Volontiers. MELICE.         Laissant donc les discours superflus Vostre œil gauche est le bon, mettez la main dessus Ainsi vous jugerez avec plus d'assurance Si des objets présens le droict a connoissance Et si de mon sommeil, les bijares [243] tableaux Estoient remplis de traits veritables ou faux. CLEANTHE. Subtile invention, industrie⁎ agreable ! MELICE, *à Thelame.*. Sortez. CLEANTHE *arrestant Thelame.*.         Vous avez fait un songe veritable Melice je vous voy, je voy Thelame aussi O Ciel ! qu'heureusement ce songe a reussy. MELICE. Que je suis estonnée⁎. SYLVESTRE.         Il faut crier miracle. THELAME. Monsieur ne croyez pas qu'en dépit de l'obstacle Qu'oppose à mes ardeurs vostre avare courroux Je vienne revolter vostre sang [244] contre vous Ce coupable dessein, n'entre pas dans mon ame J'en jure. CLEANTHE.         Brisez là [245]. Je le sçay bien Thelame Les traits de vostre main, m'ont fait voir vostre cœur⁎ Et passant jusqu'au mien ont tüé ma rigueur ,  Plus touché de respect que cette ingratte fille Vous avez conservé l'honneur de ma famille. THELAME. Moy Monsieur ! espargnez. CLEANTHE.         Vostre discretion Vous fait desavoüer cette bonne action. Mais je suis esclaircy de toute cette histoire Vos nobles sentimens sont peints dans ma memoire. (à Melice.) Vos molles lâchetez y sont peintes aussi, Mais s'il en faut parler, c'est autre part qu'icy. (à Thelame.) Cependant s'il est vray que vous l'aymiez encore Scachez que vos vertus font que je vous honore, Et qu'avecque plaisir je permets que demain Elle vous donne au Temple & le cœur & la main. THELAME. Je ne puis recevoir plus d'honneur en ma vie. CLEANTHE. Je conduiray l'affaire au gré de vostre envie, A la charge [246] pourtant, que vous ne direz point Qu'à mon Aveuglement tant d'artifice⁎ est joinct, Je veux encor joüer⁎ par cette ruse adraitte Un temeraire fils, une Amante indiscrette⁎ Sçavoir jusqu'à quel poinct leur fourbe⁎ peut aller, Et comment ils pourront enfin s'en démeller, Je commets⁎ ce secret à vostre confidence Songez à le tenir sous la clef du silence. THELAME. Que puissions-nous mourir, si nous le declarons. CLEANTHE. En jurez vous tous deux. THELAME & MELICE *ensemble.*.         Ouy nous vous en jurons. < Fin du quatriesme Acte. > ## Acte V. ### Scène première. Lidamas, Olimpe, Nerine. LIDAMAS. J'aurois fait cette injure⁎ à l'objet⁎ que j'adore ? Aprés tant de sermens, le croyez-vous encore ? Faut-il incessamment vous les reïterer ? Tout l'Element du feu me vienne devorer, Et si j'ay merité les soupçons où vous estes L'Air s'arme contre moy d'Esclairs & de Tempestes ,  La Mer me creuse un lict au profond de son Eau Et la Terre entr'ouverte en son centre un tombeau, Tout l'Univers enfin me donne des allarmes⁎ Si j'ay si mal traité vostre amour & vos charmes⁎, Et si depuis l'instant que je les admiray Pour d'autres que pour eux, mon cœur a souspiré. Lasche & perfide autheur d'un rapport⁎ qui m'offence, Tu ne te peux soustraire à ma juste vengeance Sans mettre en contrepoids ma naissance & ton rang, Pour laver ton forfait je verseray ton sang, La justice du ciel contraire à l'Imposture⁎ M'ameine cette ingrate & vile créature, Le voicy le menteur qui vous en a tant dit Remarquez à quel poinct il paroist interdit, Ma rencontre l'estonne⁎ ; & son maintien timide⁎ En me justifiant accuse ce perfide. Avance malheureux⁎, & sans aucun détour Parle & rend promptement la vie à mon Amour, Quelle autre que Madame est sur moy souveraine ? Quelle autre me retient d'une invisible chaisne [247] ? Quelle autre me remarque entre ses courtisans ? Et quelle autre a jamais receu de mes presents ? Respond, il te sied mal de craindre & de te taire Ta crainte & ton silence augmentent ma colere. ### Scène II. Sylvestre, Lidamas, Olimpe, Nerine. SYLVESTRE. Monsieur promettez moy que vos mains en courroux, Ne me chargeront pas d'une gresle de coups, Et j'ose m'engager aprés cette promesse De vous remettre bien avec vostre Maitresse⁎. LIDAMAS. Parle donc viste, & sois sans apprehension. SYLVESTRE. Madame auparavant soyez sa caution. OLIMPE. Ne crains rien, je responds qu'il te tiendra parolle. SYLVESTRE. Le discours que j'ay fait n'est qu'une pure colle [248]. Qu'une poudre à soufler dans les débiles⁎ yeux, Qu'un mensonge de ceux qu'on nomme officieux⁎ Vostre pere qui sçait que les yeux de Madame Sont depuis quelque temps les Soleils de vostre ame, Et que par un succez⁎ à son repos fatal Ces globes d'argent vif vous ont fait son rival ,  Jaloux que ce beau feu qui s'allume en vos veines Rende en le supplantant ses esperances vaines, D'un plein commandement m'a fait vous desservir Vers [249] le plus digne objet⁎ qui vous pouvoit ravir⁎. LIDAMAS. Quoy le mauvais party [250] que tu m'as voulu faire Est un trait⁎ envoyé de la part de mon pere ? Il sçait que j'ayme Olimpe ? & que cette beauté Ne m'a point jusqu'icy fait voir de cruauté ? Quel ennemy couvert⁎ ? quelle bouche indiscrette ? A pû luy découvrir une amour [251] si secrette ? SYLVESTRE. Luy seul l'a descouverte, & luy seul desormais S'il en a le dessein vous jouëra de bons traits⁎. LIDAMAS. Parle plus clairement, explique tes paroles. SYLVESTRE. Parce qu'on me fait taire à force de pistolles [252]. Vostre raisonnement vous fait-il soupçonner Que je ne parle pas, lors qu'on m'en veut donner ? LIDAMAS. Sylvestre je t'entends⁎, prends cecy par avance. SYLVESTRE. Qui donne de l'argent, preste bien du silence, Escoutez-moy parler ; je voy clair ? LIDAMAS.         Je le croy. SYLVESTRE. Vostre pére, Monsieur, voit aussi clair que moy. LIDAMAS. Tu me veux abuser d'une autre menterie⁎. SYLVESTRE. Si je ments, jettez-vous dessus ma fripperie [253]. OLIMPE. Cleante verroit clair ! depuis quand justes Cieux ? SYLVESTRE. Depuis que dans le monde il apporta des yeux, Et que debarassé du ventre de sa mére, Il vint avecque l'Air respirer la lumiere. OLIMPE. Il n'est donc pas aveugle ? SYLVESTRE.         Et jamais ne le fut. LIDAMAS. Apprens nous de sa feinte & la cause & le but. SYLVESTRE. Un semblable recit est de trop longue haleine, Vous l'entendrez pourtant n'en soyez pas en peine, Je vous diray tantost d'un langage naif⁎ De ce déguisement la fin & le motif, Cependant vous & moy, prenons la hardiesse De faire à cét aveugle entre nous quelque piéce [254], Si vous donnez croyance aux avis d'un valet, Vous aurez un plaisir qui ne sera pas laid ; Joint qu'il est à propos que par quelque industrie⁎ Tout vostre procedé passe en galanterie [255], Il faut que vostre pere entre en un sentiment Que vous n'ignoriez pas son feint aveuglement, Et que les libertez prises en sa presence N'estoient que des essays d'user de patience . LIDAMAS. Blois ny le monde entier n'eut jamais ton pareil, Charmé⁎ de ton esprit, j'approuve ton conseil, Desja pour reüssir dedans cette entreprise Je n'ay besoin de rien que de ton entremise. J'imagine un moyen facile à pratiquer Par qui sera moqué, qui pretend nous moquer. SYLVESTRE. Assurez-vous de moy, je vous donne parole D'apporter tous mes soins à bien joüer⁎ mon rôle. LIDAMAS. Il suffit, en ce lieu sans plus nous arrester Dans la chambre prochaine⁎ allons nous concerter. SYLVESTRE. Allez & trouvez bon qu'icy seul je demeure Nostre piéce [256] en sera plus secrette & meilleure. LIDAMAS. Adieu, nous te laissons la chose estant ainsi. Ton salaire est tout prest, mais sers nous bien aussi. ### Scène III. SYLVESTRE *seul*. Par quel autre moyen détourner la tempeste Qui menaçoit mon dos aussi bien que ma teste ? Lidamas irrité m'eust accablé de coups, Se plaire à se voir battre est le plaisir des fous, Pour moy quand honoré de sacrez characteres⁎ J'escouterois des cœurs⁎ les plus secrets mysteres Plustost qu'au beure noir avoir les yeux pochez, D'un chacun en public je dirois les pechez. A quelque si haut poinct qu'un affaire [257] me touche Je ne puis arrester ce maudis flux de bouche, Sur tout lors que je sçay qu'avecque mon caquet A qui me traite mal, je puis rendre un pacquet [258]. Depuis le grand matin, mon Maistre & ses caprices [259], M'ont employé sans tréve à de fascheux services Et ce qui plus encor, me paroist importun C'est qu'à l'heure qu'il est je dormirois à jeun. Ce jeu ne me plaist pas, & la main sur la pance J'enrage de bon cœur aussi tost que j'y pense. Moy n'avoir aujourd'huy rien humé que du vent ! Ma foy j'éviteray ce mal d'orénavant. Plustost que de jeusner, j'iray la teste nuë, Estocader [260] du bras les passans dans la ruë ,  Mon Maistre me deusse-t -il… il vient à petits pas. ### Scène IV. Cleanthe, Sylvestre. CLEANTHE. N'ay-je pas entendu la voix de Lidamas. SYLVESTRE. Cela se peut, il sort. CLEANTHE.         Avec celle que j'ayme ? SYLVESTRE. Justement. CLEANTHE.         Aucun d'eux ne sçait mon stratageme ? SYLVESTRE. Je demeure confus à cét interrogat⁎ Il me frappe à l'honneur je vous le dis tout plat [261]. Il semble à vous ouyr, que je sois la gazette, Mais pour vos interests j'ay la gueule [262] muette. CLEANTHE. Miroir des bons valets, & des vrays confidents. SYLVESTRE. Au reste Lidamas en tient droict la dedans. Mais du fer asseré d'une si rude fléche Que sa raison ne peut en reparer la bresche, Il faut qu'il ayt Olimpe au plus tard dans [263] demain     Ou qu'à s'oster la vie il occupe sa main Par d'horribles sermens son amoureuse rage A promis d'exercer ce criminel outrage, Monsieur avisez-vous [264], prevenez ce malheur Et donnez quelque chose à sa jeune chaleur⁎. CLEANTHE. Ton conseil en cecy ne m'est pas necessaire, J'ay desja resolu ce qu'il est bon de faire, Mais sans me défier de ta discretion, Je te tais sur ce point ma resolution. Donc sans qu'à la sçavoir tu te rompes la teste, Va t'en tenir mon lict & ma toilette preste, Ce livre cependant sera mon entretien. SYLVESTRE. Je l'estimeray bon, si vous le goustez bien. CLEANTHE *assis vers une table.*. La suitte du Menteur [265]. Lisons du premier acte. Et faisons de ces vers une censure exacte. (Il lit quelque vers de la suitte du menteur, Comedie de Monsieur Corneille.) ### Scène V. Lidamas, Cleanthe. LIDAMAS. Quoy le livre à la main ? CLEANTHE.         Ouy mon fils & j'avoüe Que le Ciel en ses soings merite qu'on le louë, Sylvestre de ma part vous est allé chercher Et sa longueur passoit au poinct de me fascher. LIDAMAS. Que desirez vous donc de mon obeissance. CLEANTHE. Rien sinon que vous faire escrire ma despense. Et dresser un memoire en qui soit contenu L'Argent à mon valet donné par le menu, Je veux m'instruire au vray jusqu'à combien il monte, Tenez, cherchez du blanc dans ce livre de compte, Puis d'une main habille & d'un trait assuré, Peignez⁎ y nettement ce que je dicteray. LIDAMAS. La rencontre⁎ est plaisante, il faut que je le die [266], Vostre livre de compte est une Comedie ! CLEANTHE. Vous me joüez⁎ mon fils, mais finissez ce jeu, Qui vous sied assez mal, & me déplaist un peu. LIDAMAS *bas.*. Qu'il dissimule bien, & qu'il abonde en ruses. Monsieur si j'avois tort , j'en ferois mes excuses. Mais que puisse le Ciel, ou l'Enfer en courroux, En ce mesme moment, m'aveugler comme vous. Si je vous en impose⁎, & si c'est fantaisie, Que ce livre de compte est une poësie [267]. On le vend dans Paris en vingt lieux au Palais [268], Cent fois ce qu'il contient s'est dit dans le Marais [269], J'ay souvent pris plaisir à l'entendre moy-mesme, Et contre les censeurs defendu ce poëme. Il est intitulé la suitte du Menteur Et sort du cabinet d'un excellent Autheur. CLEANTHE. Seroit-il bien possible ? LIDAMAS.         Il est tres véritable. CLEANTHE. Qu'avec un tel valet, un Maistre est miserable⁎, Ce coquin de Sylvestre à tous coups⁎ s'estourdit [270], Et ne fait jamais bien les choses qu'on luy dit Je veux compter à luy, puis le mettre à la porte. LIDAMAS. Moy l'accabler de coups auparavant qu'il sorte Je suis icy venu pensant l'y rencontrer, Mais le Ciel à mes yeux ne le veut pas montrer ,  Quelque endroit de la ville où je puisse l'atteindre, Je sçauray le reduire au terme de se plaindre, Il n'obtiendra de moy ny trêve ny cartier [271] Et ne luy restera pas un seul os entier. CLEANTHE. Qu'a t'il fait qui merite une telle menace ? LIDAMAS. Une action, un trait⁎ d'insuportable audace, Un rapport⁎ si perfide, un mensonge si noir Et si bien coloré [272] que l'on n'y peut rien voir. CLEANTHE *à l'Escart.*. Cét intrigue [273] incognu conduit par mon organe [274], Resulte de la montre & de la Courtisane, J'ay mieux esté servy que je ne l'esperois ; Mais ne feignons pas moins que si je l'ignorois. LIDAMAS. Monsieur que dittes vous ? vous parlez ce me semble. CLEANTHE. J'accuse & je defends mon valet tout ensemble, Tantost jusques à luy ma colere descend, Puis je me ressouviens que c'est un innocent⁎ Qui parle sans raison, sans cause, & sans mesure, Et qui croit obliger⁎ alors qu'il fait injure⁎. Ainsi vostre courroux se pourroit assouvir Du Sang d'un Animal qui pensoit vous servir. LIDAMAS. C'est donc un Animal, bien cruel & bien traitre, Qui poursuit & qui mort les enfans de son Maistre. Certes si je le puis rencontrer où je vais, Je l'empescheray bien de les mordre jamais. ### Scène VI. Olimpe, Cleanthe. OLIMPE. Hô Dieux ! je vay tomber, accourrez je vous prie. Mon pied s'est enlassé dans la tapisserie . CLEANTHE. Je suis à vous Madame, & vous craignez en vain, Qui donne bien le Cœur, peut bien prester la main. OLIMPE. Monsieur, j'estois sans vous de secours despourveuë, Donc les Cieux adoucis vous ont rendu la veüe ? CLEANTHE. N'en faites pas, Madame, un si bon jugement, Je suis plus que jamais dedans l'Aveuglement. OLIMPE. Comment doncques d'un pas aussi ferme qu'habille, M'avez-vous fait trouver vostre presence utile ? Certes nul ne pouvoit s'offrir plus à propos, Et je croy qu'il faut voir pour estre si dispos⁎. CLEANTHE. Ah ! Madame, quittez cette vaine croyance, Et pour le vray tout pur, laissez la vray-semblance. Si j'ay paru si prompt à vous rendre un devoir, Et fait ce qu'avec peine on peut faire sans voir N'en jugez rien, sinon qu'en mes ardeurs parfaites, Un naturel instinct me conduit où vous estes. De ce sincére âveu concluez que vos yeux, Sont encore des miens les Astres & les Dieux. OLIMPE. Je puis apres le trait⁎ que vous venez de faire Conclure encor qu'Amour vous guide & vous esclaire. Et qu'en tous vos besoins, sensible & pourvoyant, Quand il luy plaist d'Aveugle il vous rend clair-voyant. CLEANTHE *bas.*. Ce discours m'est suspect. Je confesse Madame, Que ce Dieu se declare en faveur de ma flame, Aussi reconaist-on quel que soit son excez ,  Que mon cœur n'en ressent que d'honnestes accez. OLIMPE. Doncques puis qu'envers moy vostre Amour [275] est si pure, Tout interest à part, vangez moy d'une injure⁎ : Un insolent m'a fait un affront signalé⁎. CLEANTHE. Quel qu'il soit autant vaut [276] qu'il vous soit immolé, Son Nom ? OLIMPE.     C'est Lidamas. CLEANTHE.     Lidamas ! OLIMPE.         Ouy luy-mesme. CLEANTHE. Vous a fait un affront, charmant⁎ objet⁎ que j'ayme, Oser se prendre à vous c'est s'attaquer à moy, Mais apprenez m'en l'heure, & comment, & pourquoy ? OLIMPE. Il m'a fait par priére accepter une montre… Juste Ciel à mes yeux permets-tu qu'il se montre, Il s'avance, le lasche, & marque son mespris En mal traitant celuy par qui j'ay tout appris. ### Scène VII. Lidamas, tenant Sylvestre, Sylvestre, Cleanthe, Olimpe. LIDAMAS. Fay bien l'espouventé. SYLVESTRE.         Vous ne cessez de dire ,  Je réüssiray mieux que vous qui sçavez lire. LIDAMAS. Ah ! Madame au plus fort de mon cuisant soucy⁎, Je me répute⁎ heureux de vous trouver icy, Voyez cét imposteur⁎. Je veux que dessus l'heure Il me fasse connoistre innocent, ou qu'il meure ,  Je veux qu'en ce lieu mesme il declare à genoux Que je n'ay jamais eu que des respects [277] pour vous. Et s'il veut tout à fait appaiser ma colére, Qu'il die [278] alors qu'il ment, quel esprit le suggére. CLEANTHE *bas*. Prends garde sur ta vie à ne me pas nommer. LIDAMAS. Veux tu par ton silence encor me diffamer, Parle donc malheureux⁎, ou ma pitié lassée… OLIMPE. Voulez-vous le contraindre à trahir sa pensée. LIDAMAS. Le perfide qu'il est par un motif couvert⁎, Craint de desavoüer un rapport⁎ qui me perd. Mais puisque par l'effet d'un respect qui le touche, La verité ne peut s'apprendre de sa bouche, Puissamment transporté de mon juste dessein, Je m'en la vay chercher jusque dedans son sein. (Il feind de luy vouloir donner un coup de poignard. Cleanthe luy retient le bras.) CLEANTHE. Arrestez, Lidamas, hé ! que pensez-vous faire ? LIDAMAS. Depuis quand dittes moy, voyez vous clair mon pére ? Qu'en cette nouveauté, je me sens resjouy,         Et que je voy mon deüil⁎ bientost esvanoüy. CLEANTHE. Tout beau⁎, tout beau⁎ mon fils, moderez vostre joye, C'est un abus⁎ à vous de croire que je voye, Je n'ay quand j'ay retint [279] vostre bras & ce fer, Qu'entre-veu seulement une lueur dans l'Air, Au reste resistez à ces chaudes Allarmes⁎ Qui vous font sans sujet avoir recours aux Armes, En quoy que ce Maraut [280] ait pû vous offencer, La meilleure vangeance est de n'y plus penser . Parler à contre temps n'est que son ordinaire ,  Comme de declarer les choses qu'il faut taire, L'innocent⁎ m'a bien dit, mais je ne le croy point, Que vostre cœur aymoit Olimpe au dernier poinct, Que vous brusliez pour elle, & qu'elle mesme encore, Avoit quelque pitié du feu qui vous devore. LIDAMAS. Sylvestre en ce rapport a dit la Verité, Je ne le cele⁎ point Olimpe m'a dompté, Et bien que cét aveu vous choque⁎ & vous irrite, Je n'ay pû sans l'aymer cognoistre son merite. Mais qu'une telle Amour [281] m'a fait souffrir de mal, J'ay mille fois rougy d'estre vostre rival, Et mille fois encor ne sçachant plus que faire, Je me suis opposé que vous estiez mon pére, Ce vertueux combat d'Amour & de respect, Entre Madame & moy s'est fait à vostre aspect⁎, N'osans par le discours vous découvrir nos Ames, Nostre geste a tasché d'en mettre au jour les flames, Vous le sçavez, Monsieur, tout s'est fait devant vous, Et vos yeux s'ils parloient, le diroient mieux que nous. CLEANTHE. Vous me venez de faire un discours bien estrange [282] ! Olimpe qui m'ayma me néglige & me change [283], Un fils que je croyois en vertu sans esgal, Son devoir en oubly, s'est rendu mon rival ? Et ce qui plus encor me surprend & m'offence, Si l'on croit vos discours, j'en ay pris connoissance. Mes yeux par plusieurs fois ont pû me rapporter, Des feux que vostre aveu n'osoit manifester. Falloit-il fils ingrat & plein de barbarie, A la brutalité joindre la Raillerie ? Et d'un discours picquant, impie [284] & concerté, Vous rire insolamment de mon infirmité ? LIDAMAS. A d'Autres desormais tenez un tel langage ; Vous mettez hors de temps les feintes en usage, Ne dissimulez plus, vostre Artifice⁎ est sçeu,     Et qui pensoit tromper, s'est luy-mesme deçeu [285]. Nos traits⁎ divertissants, nos galantes [286] addresses⁎, Prouvent que nous estions instruits de vos finesses. Et si vous desiriez [287] que je m'explique mieux, Olimpe est sans attraits, ainsi que vous sans yeux. CLEANTHE *à Sylvestre.*. Lasche, tu m'as trahy. SYLVESTRE.         Pardonnez-moy, mon Maistre. LIDAMAS. La verité de soy se fait assez connaistre. CLEANTHE. Cependant je vous puis justement accuser De promettre beaucoup, & de tout refuser. Je devois posseder vostre corps & vostre Ame, Lidamas toutesfois en joüira, Madame. Mais dittes pour excuse en Proverbe commun [288], Que le pere & le fils, ne sont reputez qu'un. OLIMPE. Je diray bien plustost dedans la bienseance, Que mon jugement seul a fait mon inconstance, Sçachant que vous feigniez d'estre aveugle vers moy, J'ay creu que mon abord⁎ vous donnoit de l'effroy. Et que vous ne faisiez cette feinte impreveuë, Qu'afin de m'advertir d'éviter vostre veuë. Donc si mon procedé vous a mal satisfait, Blasmez-vous seul d'un mal que vous vous estes fait. CLEANTHE. La response est adroitte & l'excuse plausible, Pour ce nouvel amant tesmoignez-vous sensible. Je me repute⁎ heureux qu'ayant à me quitter, Vos yeux dessus mon fils ayent daigné s'arrester, Apres ce sentiment de mon Amour esteinte [289], Apprenez-moy de qui vous avez sçeu ma feinte ? SYLVESTRE *bas.*. Ils me vont declarer, je tremble de frayeur. ### Scène dernière. Thelame, Melice, Nerine, Cleanthe, Olimpe, Lidamas, Sylvestre. MELICE. Le fils de Parménon est arrivé, Monsieur, Et le voicy qui vient vous offrir son service. CLEANTHE. Ma fille il n'est plus temps, on sçait mon artifice⁎, Mon faux aveuglement a perdu son credit Et s'explique autrement que je ne l'eusse dit, Laissons la feinte à part, & reglans mieux les choses, Tirons de vrais plaisirs, de veritables causes, Disposez-vous tous quatre à vous donner demain, Devant les saincts Autels le cœur avec la main. OLIMPE. Quoy donc l'Aversion conceuë envers Thelame ? … CLEANTHE. Ainsi que vostre amour est dehors de mon Ame. OLIMPE. Dittes-nous quel remede a pû vous en guerir. CLEANTHE. Son insigne vertu qu'on ne peut trop cherir, Mais vous, dittes comment ma feinte est reconnuë. LIDAMAS. Nous en ferons ailleurs l'histoire toute nuë, Qui vous obligera d'avouer en l'oyant, Que nous avons joüé⁎ [290], l'Aveugle Clair-voyant. CLEANTHE. Entrons. SYLVESTRE.         Toubeau⁎ Monsieur, où courrez-vous si viste Vous arriverez bien, où vous irez au giste, Avez-vous oublié mon Amour copieux ? CLEANTHE *à Olimpe.*. Vostre suivante a pris mon valet par les yeux, Madame consentez à ce beau mariage. OLIMPE. J'y consens. SYLVESTRE *à Nerine.*.         J'auray soing de la paix du Mesnage, Et sans que je t'oblige à payer ma façon [291], J'essairay dés demain à [292] te faire un garçon. < Fin > ## Extraict du Privilege du Roy. Par grace & privilege du Roy donné à Paris le 10. jour de Novembre 1649. Signé, Par le Roy en son Conseil, Le Brun. Il est permis à Toussainct Quinet Marchand Libraire à Paris, d'imprimer ou faire imprimer, vendre & distribuer une piece de Theatre intitulée, *L'Aveugle Clair-voyant, Comedie, du sieur Brosse*, pendant le temps de cinq ans entiers & accomplis. Et defenses sont faites à tous Imprimeurs, Libraires & autres, de contrefaire le dit Livre, ny le vendre ou exposer en vente d'autre impression que de celle qu'il a fait faire, à peine de trois mil livres d'amende, & de tous despens, dommages & interests, ainsi qu'il est plus amplement porté par lesdites Lettres, qui sont en vertu du present extrait tenuës pour bien & deuëment signifiees, à ce qu'aucun [293] n'en pretende cause d'ignorance. Achevé d'imprimer pour la premiere fois le 2. Mars 1650. Les exemplaires ont esté fournis. # Lexique. Pour définir le sens des mots, nous avons utilisé les trois dictionnaires de la fin du XVII*e* siècle, désignés par les lettres suivantes : * – A : Dictionnaire de l'Académie française, 1*ère* édition, 1694. * – F : Furetière, Dictionnaire universel, 1690. * – R : Richelet, Dictionnaire français, 1680. Nous nous sommes également aidés du *Lexique de la langue du XVII*e* siècle* de Gaston Cayrou pour préciser le sens de certains termes. Nous indiquons en gras les occurrences portant un astérisque dans le texte.Abord« Aproche, arrivée (…) éviter l'abord des galans. *Mol. Bour.* (…)  » (R)V. 184, 580, 713, 1078, 1650.Abus« Signifie aussi, Erreur, tromperie. » (F)V. 499, 1592.Adresse, addresse« Se dit figurément de la subtilité de l'esprit. Il faut beaucoup d'*adresse* pour conduire une piece de theatre » (F)V. 710.« Artifice, ruse, finesse. *L'avis de Laonice est sans doute une adresse* (Corn.) » (Gaston Cayrou)V. 117, 305, 485, 1197, 1635.« Se dit aussi de la suscription des lettres ordinaires, qui marque le lieu, ou la personne, où on les veut faire tenir. » (F)V. 1135.Allarmes« Se dit figurément de toutes sortes d'appréhensions bien ou mal fondées » (F)V. 1325, 1595.Amasser« Signifie aussi, Lever de terre ce qui étoit tombé. *Amassez* vostre mouchoir. … On se sert aussi en ce sens du mot de *Ramasser.* » (F)Didascalie avant le v. 1171, v. 1175.Amitié« Se dit quelquefois pour amour. » (A)V. 637, 1220, 1221.Amorce« Se dit figurément en Morale des appâts qui attirent, & persuadent l'esprit. » (F)V. 501.Appas(Appast) : « Il se prend figurement pour tout ce qui attire, qui engage à faire quelque chose. » (A)V. 1048.« Au pluriel, se dit particulièrement en Poësie … en parlant des attraits & de la beauté des femmes. » (A)V. 152, 964, 1104.Artifice« Se prend plus ordinairement pour Ruse, deguisement, fraude. » (A)V. 157, 302, 1308, 1633, 1664.Aspect« Veuë, presence de quelqu'un, de quelque chose. » (A)V. 562, 1614.Aventure, avanture« Accident, ou chose qui est arrivée » (F)V. 317.« Se dit aussi de ces accidens surprenants & extraordinaires qui arrivent quelquefois dans le monde, & qui sont souvent de pures imaginations. Il y a des gens qui sont sujets à trouver des *adventures*. » (F)V. 154, 317.« Signifie aussi, Ce qui est au pouvoir du hasard, de la fortune. Cet homme attend pour se marier quelque bonne *adventure*, qu'il trouve par hazard quelque bon parti. » (F)V. 1173.Aveu« Reconnoissance, confession. Il a été condamné de son propre *adveu*. » (F)V. 552, 1607, 1626.« Signifie aussi, Protection, ordre ou consentement donné. Il n'a rien fait que par *l'adveu* du Roy, & par son ordre. ce fils ne fait aucune action sans l'*adveu* de son père. » (F)V. 17, 391.Avis« Opinion, Sentiment. *Ce n'est pas mon advis. à mon advis. je suivray vostre advis. dire son advis.* » (A)V. 1395.« Il se prend aussi pour Conseil. *Prendre advis de quelqu'un, je trouve par advis que &c. ne rien faire que par bon advis. advis de parents.* » (A)V. 901.Barbare« Signifie aussi seulement, Cruel, impitoyable, qui n'écoute point la pitié ni la raison. Un pere est *barbare*, quand il n'a point de tendresse pour ses enfants. » (F)V. 758, 1221.Broüiller« Signifie encore, Gaster du papier en faisant des écritures inutiles, ou de meschants livres. » (F)V. 796.Caractere / Charactere« Se dit aussi de la manière d'écrire. … ce scribe a un fort bon *caractere*, fort lisible. Je connois son *caractere*, son escriture. » (F)V. 809.« Se dit encore des qualités invisibles qu'on respecte en ceux qui ont receu des ordres, des charges & des dignités. Quelque pauvre que soit un Prestre, il faut honorer son *caractere*, c'est un *caractere* indelebile. » (F)V. 1421.Cavalier« Signifie aussi, un Gentilhomme qui porte l'espée, & qui est habillé en homme de guerre. C'est un brave Cavalier, un honneste cavalier. » (F)Liste des acteurs, v. 79.Celebre« Solennel. Fête célébre. » (R)V. 812.Celer« Tenir quelque chose cachée, secrette, dissimuler. Cet accusé a *celé* la vérité dans son interrogatoire. » (F)V. 170, 244, 1606.Chagrine« Mélancolique, triste, de fascheuse, de mauvaise humeur » (A)V. 114. Chaleur« Est aussi la propre substance du feu, en tant qu'il y en a plusieurs atomes ou parties ensemble qui se répandent aux environs pour causer le sentiment de *chaleur*. … On a crû que les grandes *chaleurs* de la Zone Torride la rendoient inhabitable. » (F)V. 580.« Se dit aussi des passions passageres qui viennent par un prompt mouvement, ou qui sont attribuées à l'âge, ou au temperamment. … c'est la *chaleur* de la jeunesse qui luy a fait commettre cette faute. ce vieillard n'est pas dangereux, toutes ses *chaleurs* sont passées. » (F)V. 1456. Charmant« Qui plaist extraordinairement, qui ravit en admiration » (F). (Cet adjectif a un sens beaucoup plus fort au XVII*e* siècle que dans la langue actuelle, voir le mot *charme*).V. 147, 396, 600, 1267, 1560.Charme« Se dit figurément de ce qui nous plaist extraordinairement, qui nous ravit en admiration. La Poësie a des *charmes* qui transportent les esprits. Cette beauté a des *charmes*, des attraits qui asservissent tous les cœurs. » (F)*N.B. : Charme* a un sens beaucoup plus fort au XVII*e* siècle qu'en français moderne puisque, comme le précise Gaston Cayrou, il indique encore au sens figuré « l'idée d'un effet ensorceleur, d'une fascination » qui lui vient de son sens étymologique : « Puissance magique par laquelle avec l'aide du Demon les Sorciers font des choses merveilleuses, au dessus des forces, ou contre l'ordre de la nature » (F). Gaston Cayrou ajoute également qu'« au sens d'attraits physiques, les " charmes " se distinguent des " appas " en ce qu'ils désignent toujours, selon Ménage (*Observ. s. l. Lang. fr.*, 1672), des " beautés qui agissent par une vertu occulte et magique " ».V. 85, 592, 979, 1326.CharmerCe mot a déjà le sens de « plaire extremement, ravir » (A), mais comme l'indique Gaston Cayrou, « toujours avec l'idée d'un agrément fascinateur », idée qui lui vient de son sens propre où il signifie « Faire quelque effet merveilleux par la puissance des charmes ou du Demon. » (F)V. 93, 1404. Choquer« Aller à l'encontre de »V. 731, 1166.« Signifie figurément, Quereller, offencer. Ce soldat est un querelleur qui choque tout le monde » (F)V. 1607. Cœur« Signifie quelquefois, Vigueur, force, courage, intrepidité. Cet homme a un *cœur* de lion, n'a rien de bas dans le *cœur*, a le *cœur* haut, noble. … la naissance hausse le *cœur* » (F)V. 39, 288, 671, 1155, 1186.« Se dit figurément en choses spirituelles & morales, & signifie l'ame, & ses principales fonctions, parce que quelques Medecins, & entre autres Fernel, ont crû que les principales parties de nôtre esprit residoient au *cœur*, comme l'entendement, la volonté, la memoire. » (F), « signifie aussi Pensée. *Il me vint au cœur que cela arriveroit. Dieu sonde les cœurs.… vous lisez dans mon cœur.* » (A)V. 563, 634, 704, 1291, 1422.« Se dit aussi des passions de l'ame. … la penitence demande un *cœur* contrit …. l'endurcissement du *cœur* est une grande marque de reprobation. » (F)V. 1222, 1434.« Se dit particulierement de l'affection, de l'amitié, de l'amour, de la tendresse. … Les amants s'appellent mon *cœur*, mon amour, mon petit *cœur* gauche. » (F)V. 4, 63, 84, 93, 110, 142, 316, 380, 404, 440, 456, 468, 516, 541, 548, 556, 568, 584, 624, 666, 677, 758, 945, 952, 998, 1039, 1192, 1246, 1304, 1328, 1530, 1554, 1602, 1670.Commerce« Se dit aussi de la correspondance, de l'intelligence qui est entre les particuliers, soit pour affaires, soit pour des estudes, ou simplement pour entrenir l'amitié. … ces amis ont un *commerce* d'esprit, d'amitié ensemble. » (F)V. 932.Commettre« Signifie aussi, Confier quelque chose à la prudence, à la fidélité de quelqu'un. » (F)V. 1313.Confondre« Troubler, mettre en desordre, étonner, surprendre tout à fait, jetter dans le trouble. Toute notre joie est perduë, & notre raison confonduë. *Voi. Poe.* Voila qui me confond. *Mol.*  » (R)V. 581.Coup« Signifie aussi, Outrage, offense qui se fait à quelqu'un en le frappant. Les *coups* de baston sont des affronts qui ne se pardonnent point. … On chastie les valets à *coups* d'estrivieres, par des coups de pied au cul. » (F)V. 660, 1348, 1419, 1500, didascalie après le v. 1586.« Se dit aussi des actions heroïques, hardies & extraordinaires, soit en bien, soit en mal. Il se fit de beaux *coups* de lance en cette bataille, en ce tournoy. La prise de la Rochelle fut un *coup* d'Estat. » (F)V. 338.« Se dit figurément de ces afflictions imprevuës qui sont comme des traits qui nous percent le cœur. La nouvelle de la mort de sa femme fut un *coup* mortel pour luy. Un amant dit aussi, qu'il a receu un *coup* mortel des yeux de sa maistresse. » (F). « *Coups*. Blessure amoureuse que font de beaux yeux, blessure que fait la langue en médisant. … Atteintes des passions. Mortels déplaisirs je ne crains point vos coups. *Voi poës*. Vos regards sont mortels, leurs coups sont redoutables. *La Suze. Poës*. L'amour me fait sentir ses plus funestes coups. *Rac*. » (R)V. 144, 971, 1087.« Fois.  (…) Baiser encore un coup. *Abl.*(…)  » (R)V. 259, 999.« Tout d'un coup. adverbial. Tout à coup *i.e.* « Soudainement, tout en un moment. » , tout en une fois. *Ce mal m'a pris tout d'un coup. il gagne mille escus tout d'un coup*. » (A)V. 175.« A tous coups. adverb. A tout propos, souvent. Il vient à tous coups me quereller. il tomboit à tous coups. » (A)V. 1497.Coutre« Grosse plaque de fer tranchante attachée à un des costés de la charruë pour fendre & verser la terre. Il differe du soc, qui est une autre grosse piece de fer pointu qui commence l'ouverture de la terre. Les Poëtes Bucoliques se servent souvent de cette épithete, Les *coutres* trenchants. » (F)V. 754.Couvert(e) / Couvrir« Il se dit aussi pour signifier grande quantité de quelque chose qu'on met sur une autre. *Couvrir un habit d'or & d'argent, … couvrir une table de pistoles.* » (A)V. 750.« On dit vulgairement, *Couvrir le visage, la joüe de quelqu'un*, pour dire, Luy donner un soufflet. » (A)V. 414.« On dit que *Le ciel*, que *le temps se couvre*, pour dire, qu'il se broüille, s'obscurcit par des nuages. » (A)V. 48.« *Couvert*, sign. aussi, Dissimulé, caché. *Un homme couvert. haine couverte. ennemi couvert.* » (A)V. 1033, 1369, 1581.Crayon« Signifie aussi les portraits & desseins qu'on fait avec le crayon. Les *crayons* de du Montier, de Nanteuil sont fort estimez. » (F)V. 52.« Signifie aussi une ébauche, un portrait imparfait de quelque chose. … On dit figurément, que l'homme est un foible *crayon* de la Divinité, pour dire, qu'on en voit en luy quelques traits. » (F)V. 570.Débiles« Qui n'a pas la force qu'il doit avoir naturellement & ordinairement. » (F)V. 1355.Demeure« Retard, délai » (Lexique de Gaston Cayrou)V. 43, 773.DeplorableFuretière donne exclusivement le sens de « Qui merite d'être pleuré, qui attriste »V. 69, 657.Deüil / Duëil« Douleur qu'on sent dans le cœur pour quelque perte ou accident, ou la mort de quelque personne chere. » (F)V. 27, 1590.Dispos« Qui est agile, leger, qui se porte bien. … Les danseurs de corde, les sauteurs et les voltigeurs doivent estre fort dispos de leur corps. » (F)V. 1538.Ennuis« ENNUY. … Fascherie, chagrin, deplaisir, souci. » (A)V. 537, 683, 1144.Emanciper (s')« Signifie aussi, Prendre un peu trop de liberté en quelque chose que ce soit. Il ne faut pas *s'émanciper* à juger d'une affaire, qu'on en connoisse le fonds. Vous vous *émancipez* beaucoup, de sortir aprés avoir été si malade. » (F)V. 209.Entendre« Ouïr, escouter. » (F)Epître p. 2, v. 15, 285, 538, 667, 1053, 1060, 1390, 1440, 1491.« Se dit figurément en choses spirituelles, & signifie, Comprendre, penetrer dans le sens de celuy qui parle ou qui escrit. Cet homme *entend* l'Algebre, *entend* l'Hebreu. »V. 1377.Estonnement« Epouvante, sorte de surprise étonnante » (R), « Il signifie quelquefois, Admiration. » (A)V. 34.Estonner« Causer à l'âme de l'émotion, soit par surprise, soit par admiration, soit par crainte. On s'*estonne* de tous les accidents extraordinaires qui arrivent dans le monde. Un Philosophe Chrestien doit s'*estonner* à tout moment des merveilles de la grace & de la nature. Un criminel s'*estonne* à la veuë des Juges, des supplices, de la mort. » (F)V. 1285, 1337.« Se dit aussi des choses qui sont assez ordinaires & peu considerables. Je m'*estonne* de ce qu'on a laissé ce crime impuni. Je m'*estonne* de ce qu'il est si longtemps sans me venir voir, sans m'escrire. » (F)V. 1175.Falot« Lanterne au bout d'un bâton, ou d'un grand manche de bois. » (R)V. 1013.Fascher, fâcher« Offenser, mettre en colere, deplaire. » (A)V. 936, 1470.« Causer du deplaisir. Sa mort m'a extremement fasché. » (A)Épître p. 3, v. 315, 985.Flatter, flater« Signifie aussi, Excuser par complaisance les defauts qui sont en quelqu'un. Les vices croissent, parce qu'on les *flatte*. » (F)V. 1208.« Signifie encore Deguiser une verité qui seroit desagreable à celuy qui y est interessé, luy donner meilleure opinion d'une chose qu'il n'en doit avoir. … on *flatte* ce jeune homme de l'esperance de luy faire épouser cette fille, mais il n'y reüssira pas. » (F)V. 389.« Se dit figurément en choses spirituelles. … *Flatter* son imagination, c'est la repaistre de chimeres agreables. Je ne trouve rien qui *flatte* mon esprit en ce gros livre. » (F)V. 923.Fortune« Ce qui arrive par hasard, qui est fortuit & impreveu. Il faut estre égal dans la bonne & dans la mauvaise *fortune*. … plusieurs *Favoris* ont esté le jouët de la *fortune*. » (F)Épître p. 2, v. 46, 714.« Signifie aussi, l'establissement, le credit, les biens qu'on a acquis par son merite, ou par hasard. Cet homme fera *fortune*, poussera bien loin sa *fortune* …. heureux celuy qui ne change point de *fortune*. sa richesse est une *fortune* du jeu. » (F)Épître p. 3, v. 226.Fourbe« Tromperie, desguisement de la vérité avec adresse. Les honnestes gens sont ennemis de la *fourbe*. » (F).V. 256, 829, 858, 1311.Fourber« Tromper adroitement, finement. Ceux qui agissent avec sincérité, sont ceux qu'on *fourbe* le plus aisément. » (F)V. 480.Foy« C'est une vertu Téologale. Consentement aux véritez révélées. Religion. » (R)V. 1100.« Fidélité. Garder sa foi. Il y a peu de foi dans le monde. » (R)V. 269, 1023.Frivole« Vain, & léger, Qui n'a nulle solidité. » (A)V. 13,193, 587.FurieuxCe mot s'emploie aussi bien comme adjectif que comme substantif au XVII*e* siècle. En tant que nom commun il signifie « Celuy qui est en furie. » (A)V. 456, 660.Galantiser« Courtiser les Dames. » (F)V. 12.Genereux« Qui a l'ame grande & noble, & qui prefere l'honneur à tout autre interest. Auguste fit une action *genereuse* en pardonnant à ses ennemis. » (F)V. 398, 1160.Gloire« Honneur, loüange, estime, reputation qui procede du merite d'une personne, de l'excellence de ses actions ou de ses ouvrages. » (A)V. 1002.« Se prend souvent en mauvaise part, & signifie, Orgueil, sotte vanité. … *Vaine gloire*, Se prend particulierement pour le sentiment trop avantageux de soy-mesme que la vanité inspire. » (A)V. 549.« Signifie aussi, La beatitude dont on joüit dans le Paradis » (A)V. 98.Hymen ou Hymenée« Mariage. Il n'a d'usage qu'en Poësie » (A)V. 19, 24, 474, 766, 772, 812, 983.Imbecillité« Foiblesse, se dit du corps & de l'esprit. L'*imbecillité* de l'âge & du sexe attire la compassion des plus fiers tyrans. la bonté de Dieu a égard à *l'imbecillité* de nostre nature. » (F)V. 1067.Imposer« Signifie aussi, Charger, assujettir à quelque peine, fatigue, ou despense. Il est fascheux de nous voir *imposer* un joug que n'ont point porté nos peres. c'est au vainqueur à *imposer* des loix, des conditions. la nature nous a *imposé* la necessité de mourir. » (F)V. 32, 90, 730.« Signifie encore, Tromper, dire une fausseté. Cet Advocat *impose* souvent, & desguise la verité. » (F)V. 1487.Imposteur« Trompeur, affronteur, calomniateur. » (F)V. 1571.Impostur« Tromperie, mensonge, calomnie. Ce tiltre fait voir clairement l'*imposture* de la partie adverse, & que son Advocat n'a dit que des *impostures*. » (F)V. 153, 554, 833, 1085, 1270, 1333.Indiscret, ette« Celuy qui agit par passion, sans considérer ce qu'il dit ni ce qu'il fait. … un *indiscret* se fait souvent de grandes affaires par quelque parole qu'il a laschée mal à propos. » (F)V. 221, 433, 455, 1107, 1310.« Se dit plus particulièrement de celuy qui ne sçait pas garder un secret. » (F)V. 1369.Industrie« Adresse de faire reüssir quelque chose, quelque dessein » (F)V. 1281, 1397.Injure« Parole qu'on dit pour offenser quelqu'un, en luy reprochant quelque defaut, ou quelque vice vray ou faux. » (F)V. 553.« Se dit aussi des affronts, des torts & dommages qu'on fait à une personne par voyes de fait. On fait *injure* à un Officier, quand on ne le fait pas monter à la place vacante d'un superieur. » (F)V. 1317, 1520, 1556.Innocent« Se dit aussi relativement à quelque crime dont on est accusé. On a descouvert la calomnie, il s'est trouvé *innocent*. » (F)V. 1572.« Se dit aussi de celuy qui est simple, qui a peu de raison, & qui est aussi idiot qu'un jeune enfant. » (F)V. 1518, 1601.Interrogat« Question, demande dont on attend response. » (F)V. 1443.Jouer« On dit qu'un homme a *joué* piece à un autre, qu'il lui a *joué* quelque tour, pour dire, qu'il luy a fait quelque affront, quelque niche, quelque supercherie. … On dit aussi qu'on *jouë* quelqu'un, lorsqu'on le fait aller & venir, qu'on le trompe, qu'on l'amuse de belles paroles & promesses » (F)V. 176, 714, 1309, 1372, 1481, 1678.« Au théâtre, on dit qu'on *jouë* un Poëme Dramatique, pour dire qu'on represente une Tragedie, une Comedie, une Pastoralle. » (F)V. 1678.« Et on dit qu'un homme *jouë* la Comedie, pour dire, qu'il est Comedien de profession. On dit en ce sens, qu'il *jouë* bien son rolle, pour dire qu'il fait bien l'amant, le pere ou autre chose » (F)V. 413, 1410.Jurement« Affirmation qu'on fait d'une chose dont on prend Dieu à tesmoin. » (F)V. 263.LamentableFuretière donne exclusivement le sens de « Qui merite d'estre plaint, ou pleuré, qui excite à la compassion. »V. 74, 333.Maitresse, maistresse« Celle qui a des domestiques. » (R)V. 1061, 1075.« Se dit des filles & des femmes qui sont recherchées en mariage, ou simplement aimées de quelqu'un. » (A)V. 1198, 1350.Malheureux« Se dit aussi des miserables qui sont sur la terre, qui souffrent toutes les incommoditez, les necessitez de la vie » (F)V. 1115« Signifie aussi, Meschant, scelerat » (F)V. 1339, 1579.Malin« Se dit aussi des choses inanimées qui sont nuisibles. Cette peste, cette sterilité vient de quelque maligne influence. Saturne et Mars sont des astres malins. » (F)V. 125.« Enclin à faire le mal. … se dit aussi des passions & des mouvements du cœur. Corneille a fait dire à Sabine dans les Horaces : “Et si j'ay ressenti dans ses destins contraires / Quelque *maligne* joye en faveur de mes freres.” » (F)V. 64.Menterie« Allegation de quelque chose fausse que l'on veut faire passer pour vraye. La *menterie* est le vice des valets & du bas peuple. » (F)V. 1381.Miserable« Qui est dans la douleur, … dans l'affliction …. Il est *miserable* d'avoir perdu sa femme. Un *miserable* amant qui languit dans ses fers. » (F)V. 1496.Mouvement« Pensée, sentiment. Tout ce qui touche & meut le cœur. (…) Il n'a aucun mouvement sur cela. Il ne souhaite pas sa mort par aucun mouvement de haine. *Pas. l.7.* » (R)V. 935, 1151.Naissance« Sign. aussi, Extraction. » (A)Épître p. 3, v. 449.« Mis absolument signifie quelquefois, Noblesse. On doit cela à sa naissance. il a de la naissance par dessus vous. il a de la naissance. c'est un honneste homme, mais il n'a point de naissance. c'est un homme sans naissance. » (A)V. 1331.Naif / Naïve« Vray, sincere, ressemblant » (F), « Naturel » (R)V. 485, 1391.Naïveté« Il se prend aussi pour Cette grace & cette simplicité naturelle avec laquelle une chose est exprimée, ou représentée selon la verité & la vray-semblance. » (A)V. 475.Objet« Signifie aussi ce qu'on regarde, ou ce qu'on se représente » (F)V. 52, 1278.« Se dit quelquefois seulement de la fin. … C'est l'*objet* ou le but où tendent tous mes désirs. » (F)V. 383.« Se dit aussi poëtiquement des belles personnes qui donnent de l'amour. C'est un bel *objet*, un *objet* charmant. » (F)V. 147, 500, 560, 667, 907, 1008, 1092, 1181, 1317, 1364, 1560.Obliger« Contraindre, engager par une sorte de devoir, ou de bien-séance. Forcer à faire, ou à ne pas faire. » (R)V. 84, 192, 865, 1105, 1138, 1677, 1685.« Faire plaisir, rendre un bon ofice. (…) Il faut essaïer d'obliger les personnes de qualité. *Memoires de M. le Duc de la Roche-Foucaut*. (R)V. 991, 1520.« *S'obliger*. S'engager par une sorte de devoir, ou de nécessité. Je m'oblige à faire tout ce qu'il vous plaira. Il s'est obligé à païer pour son ami. » (R)V. 605.«  *Obligé, obligée, adj.* Qui a reçu un bon ofice qui a obligation à une personne parce qu'il en a reçu quelque plaisir. Voilà un beau commencement, les juges vous seront bien obligez. *Pasc. l.8*. (…) L'Abesse lui fait réponce qu'elle & ses filles se sentent infinîment obligées de ses bontez. *Patru 5. plaidoié* » (R)Épître p. 3, v. 619.Offense, offence« Faute, péché. Mes ofenses passées me tiennent dans une agitation continuelle, *Port-Roial, Pseaumes*. Expier ses ofenses, *Pascal, livre *x**. Mon Dieu, pardonnez-nous nos ofenses, *Port-Roial*. Mon Dieu, purifiez-moi de mes ofenses, *Port-Roial* » (R)V. 1045.« Injure, tort, sorte d'afront. Prendre vengence d'une ofense qu'on a reçuë, *Le Comte de Bussi*. » (R)V. 669.Officieux« Prompt à rendre service » (F)V. 1356.Parasol« Toile cirée, coupée en rond, & soutenuë sur de petits morceaux d'osier & sur une baguette tournée au bout de laquelle il y a un petit baton tourné pour alonger le parasol dont l'usage est de se défendre du Soleil & de la pluïe en le portant au-dessus de la tête. Il n'y a que les femmes qui portent des parasols, & même elles n'en portent qu'au printemps, l'été & en automne. » (R)V. 920.Peindre« Mesler & employer les couleurs avec un tel art, qu'elles representent un objet quel qu'il soit. » (F)V. 335, 969, 970, 1298, 1299.« Signifie aussi simplement, Escrire avec la plume. » (F)V. 796, 1478.Pervers« Meschant, corrompu. » (F)V. 307.Picquer, piquer« Ofencer, irriter par quelque action, ou quelques paroles. Son procedé me pique. » (R)V. 673, 1097.Picquant« Ofençant, choquant. » (R)V. 1629.PinceauPeut avoir, au XVII*e* siècle, le sens de « plume pour escrire » (voir « peindre » )V. 808.Prochaine« Qui n'est pas loin. Il se dit du temps et du lieu. Maison *prochaine* » (F)V. 682, 874, 974, 1412.Pudique« Chaste & modeste dans les mœurs, dans les actions & dans les discours » (A), « Chaste, pur, innocent & honnête. » (R)V. 442,751.Rapport, raport« Signifie aussi, Recit, tesmoignage. *Fidelle rapport. faux rapport*. » (A)V. 643, 1254, 1605.« Se prend quelquefois en mauvaise part, & signifie Discours malin fait à dessein de nuire à quelqu'un. On ne sçauroit vivre dans cette maison, ce ne sont que rapports, le Maistre, la Maistresse se plaisent trop aux rapports de certains flatteurs qui y sont. » (A)V. 205, 1329, 1509, 1582.« Veut dire aussi Convenance, ressemblance, conformité. *La langue Italienne a un grand rapport à la langue latine*. » (A)V. 891.Ravir« Emporter quelque chose violemment » (F)V. 801.« Se dit aussi des passions violentes qui troublent agreablement l'esprit & suspendent les fonctions des sens, particulierement de la joye, de l'estonnement et de l'admiration. … La beauté *ravit* les cœurs et la liberté. On est *ravi* de joye quand on possede ce qu'on aime. » (F)V. 792, 980, 1364.Remarquer« Observer & considérer ce qui a quelque chose de singulier, d'extraordinaire, de notable. Le Soleil & la Lune se font *remarquer* dans le ciel, les Rois sur la terre, les Sçavants dans les Escoles. On dit encore en ce sens, qu'un brave s'est fait *remarquer* en une telle occasion, pour dire, qu'il s'est fait distinguer des autres par une bravoure extraordinaire. » (F)V. 34.« Signifie aussi, Appercevoir, reconnoistre de petites choses » (F)V. 1343.« Signifie aussi, Noter & faire réflexion sur quelque chose qui nous pourra servir dans la suite » (F)V. 1336.Rencontre« Hazard, avanture, par laquelle on trouve fortuitement une personne, ou une chose. » (A)V. 423, 1337.« On l'employe quelquefois figur. Pour dire, Une pointe d'esprit, un bon mot. *Plaisante rencontre. … il n'est pas fort subtil en ses rencontres.* » (A)V. 1479.« Signifie quelquefois, Occasion. Je vous serviray dans la rencontre, en toute rencontre. » (A)V. 897, 942.Reputer, réputer« Avoir une certaine estime ou pensée de quelque chose. Les Espagnols et les Italiens sont *reputez* sages & graves ; ils *reputent* les français pour estourdis. Cette maison est *reputee* noble. » (F)V. 1646.« Signifie aussi, Croire, presumer. Les enfants nez pendant le mariage sont reputez estre du mary. » (F)V. 1570, 1657.Serviteur« On appelle parmi le peuple *serviteur*, un garçon qui recherche une fille en mariage ; & se dit même de plusieurs qui ont la même pretention. » (F)V. 424, 645.« On se sert aussi de cette formule pour clorre toutes les lettres, ou pour faire des compliments & des adieux. Je suis vôtre tres-humble, tres-affectionné, & tres-obeïssant *serviteur*. » (F)Épître p. 3.Signaler« Rendre remarquable. Il a signalé son courage, sa valeur dans cette occasion. » (A)V. 39.Signalé« Il est aussi adj. & sign. Remarquable. … *un crime, un vol signalé*. » (A)V. 1557.Soin, soings« Diligence qu'on apporte à faire reüssir une chose, à la garder & à la conserver, à la perfectionner. » (F)V. 287, 434, 524, 543, 868, 1121, 1244, 1410, 1684.« Se dit aussi des soucis, des inquietudes qui émeuvent, qui troublent l'ame. Le mauvais état de sa fortune luy donne bien des *soins* et du chagrin. Vous luy parlez de s'aller divertir, il a des *soins* plus importans qui l'agitent. » (F)V. 143, 652, 1035.« Est aussi l'attache particulière qu'on a auprés d'un maistre, ou d'une maistresse, pour les servir, ou leur plaire. Ce valet a eu grand *soin* de son maistre pendant sa maladie ; son Medecin luy a rendu beaucoup de *soins*, d'assiduitez. Soupirs, devoirs, petits *soins* en amour, tout est langage. » (F)V. 10, 603, 1468.Soucy, souci« Chagrin, inquietude d'esprit, peut-être à cause qu'il fait devenir jaune » (F)V. 184, 531, 960, 1569.Souffrir« Se dit … en parlant de ce qui desplaist, de ce qui fait quelque peine aux sens , ou à l'esprit. … En ce sens on dit par civilité, *Souffrez* que je vous advertisse, pour dire, Ayez agreable, permettez que je fasse telle chose. Je ne puis vous *souffrir* descouvert. Il n'y a pas de plaisir de *souffrir* une rebuffade. » (F)V. 459, 370, 681.« Se dit aussi en Morale, des afflictions de l'esprit, des émotions de l'ame par les passions. On *souffre* beaucoup quand on perd ce qu'on aime tendrement. » (F)V. 1609.« Signifie aussi, Ne se pas opposer à une chose, y consentir tacitement. … Il faut bien *souffrir* ce qu'on ne peut pas empescher. » (F)V. 202, 214, 564, 573, 698, 734.Succez« Issuë d'une affaire. Il se dit en bonne et en mauvaise part. Alexandre, dans toutes ses entreprises eut d'heureux *succés*. Pompée en la bataille de Pharsale eut un *succés* malheureux. … Il faut voir quel sera le *succés* de cette affaire, de cette négociation. » (F)V. 333, 496, 745, 1359.Supposer« Signifie aussi, Mettre une chose à la place d'une autre par fraude & tromperie. … J'avois fait prix avec ce Marchand d'une telle estoffe, dés que j'ay tourné les yeux, il m'en a *supposé* une autre. » (F)V. 930.« Signifie aussi, Faire une fausse allegation ou accusation » (F)V. 192.Surmonter« Son plus grand usage est au figuré ; & alors il signifie, Vaincre, dompter. Surmonter ses ennemis. se surmonter soy-mesme. surmonter sa colere, sa haine, son amour. » (A)V. 222, 642.Tenir (en)« Être pris, être dupé, être atrapé » (R)V. 607, 1013.Timide« Foible, peureux, qui craint tout. … On dit qu'un homme est *timide*, quand il est lasche & poltron ou honteux » (F)V. 1337.Toubeau (également orthographié tout beau au v. 1591)« Tout beau, tout beau, c'est à dire, Arrestez-vous, taisez vous. Tout beau, Monsieur, demeurons en là. » (F)V. 553, 1591, 1679.Traits« Fleche, dard, qui se tire avec un arc ou une arbaleste. … On dit, *Les traits de l'Amour*, Parce que les Poëtes & les peintres ont accoustumé de representer l'Amour avec un arc et des fleches. Dans ce sens on dit fig. d'Un homme qui est devenu amoureux, que *L'amour l'a percé de ses traits*. Et on dit fig. Des yeux d'une belle personne, que *Ses yeux lancent mille traits*. » (A)V. 326, 547.« Signifie aussi, Une ligne que l'on trace avec une plume, avec un pinceau, avec un craïon. … *cet Escrivain fait de beaux traits. … le Peintre a fini ce tableau, il y a mis les derniers traits*. » (A)Épître p. 3 (l. 15), v.  82, 578, 704, 832, 1178, 1188, 1280, 1291, 1477.« Se dit aussi, Des beaux endroits d'un discours, de ce qu'il y a de vif, & de brillant dans une pensée, dans une expression. *Il y a de beaux traits d'éloquence dans ce discours. un beau trait d'esprit, un trait de raillerie*. » (A)V. 1131,1547.« Se dit aussi des lineaments du visage. Ce fils a tous les traits de son pere. elle a de beaux traits » (A)V. 147, 571, 587.« Se dit aussi, d'Un bon ou mauvais office qu'on rend à quelqu'un. *On luy a joüé, on luy a fait un meschant trait, un vilain trait ce n'est pas là un trait d'ami*. Il se dit aussi en general, Des actions qui ont quelque chose de singulier. *Voilà un trait d'habile homme. voilà un trait de perfidie. voilà de vos traits. ce sont de ses traits*. » (A)Épître p. 3 (l. 4), v. 55, 211, 1366, 1372, 1508, 1635.Transport« Se dit aussi figurément en choses morales, du trouble ou de l'agitation de l'ame par la violence des passions. Un *transport* de joye a causé quelquefois la mort. Un *transport* de colere cause souvent de grands malheurs. Les amoureux ont de doux, de violents, d'agreables *transports*. » (F)V. 738, 995.Transporter« Porter une chose d'un lieu à un autre. » (F)V. 691.« Se dit aussi des violentes agitations de l'esprit. Un homme *transporté* de colere, de joye, d'amour, &c. Ceux qui rendoient des oracles étoient *transportez* de fureur. » (F)V. 1149, 1585.Travail« Labeur, peine, fatigue, soit du corps, soit de l'esprit, qu'on prend pour faire quelque chose. » (A)V. 308.« *Travaux*, signifie aussi, Les peines qu'on a prises, qu'on s'est données, à quelque entreprise glorieuse, dans l'execution de quelque chose de difficile. » (A)V. 6.Traverser« Troubler. Aporter du désordre, causer du désordre. Traverser le repos d'une personne. *La Suze, Poësies*. Il est venu traverser notre joie. *Ablancourt*. » (R)V. 1032.Veritable« Ce mot se dit des choses & des personnes, lorsqu'il se dit des choses, il signifie *vrai*. Et lorsqu'il se dit des personnes, il signifie, *qui dit la vérité, qui dit vrai*. » (R)V. 3, 334, 397, 552, 1025, 1038, 1159, 1280, 1282, 1495, 1668.Vertu« Signifie encore, Force, vigueur, tant du corps que de l'ame. … Ce Magistrat a témoigné sa *vertu*, son courage, sa fermeté en cette occasion. » (F)Épître p. 2, épître p. 3 (l. 16).« Se dit figurément en choses morales, de la disposition de l'ame, ou habitude à faire le bien, à suivre ce qu'enseignent la loy & la raison. » (F)Épître p. 3 (l. 6), v. 67, 220, 224, 229, 591, 1161, 1202, 1209, 1302, 1621.« En vertu, se dit adverbialement pour dire, Au nom ou en consequence » (F)Privilège.Zéle« Les Poëtes se servent quelquefois de *zele* pour signifier l'*amour*. Il luy a témoigné son *zele* en toutes occasions. En ce sens il vieillit. » (F)V. 647.« Il se dit aussi, De ce qui regarde les obligations de la vie civile. … *avoir beaucoup de zele pour son Prince, pour le service de son Prince.* … Il ne se dit point du superieur à ses inferieurs. » (A)V. 629, 1037. # Bibliographie. ## Sources. ### Œuvres de Brosse.La Stratonice ou le malade d'amour Les Innocents coupables Les Songes des hommes esveillez*e* Le Turne de Virgile L'Aveugle clair-voyant Toutes les œuvres de Brosse sont accessibles sur le site : http://gallica.bnf.fr ### Œuvres du XVII*e* siècle.La Pratique du théâtre Le Curieux impertinent ou Le Jaloux Le Menteur et La Suite du Menteur Œuvres complètes Gazette ### Autres sources.L'Aveugle clairvoyant, Répertoire du théâtre françois ## Instruments de travail et outils critiques. ### Instruments de travail. #### Bibliographies.Bibliographie d'histoire littéraire française Bibliographie de la littérature française du XVII*e* siècle #### Dictionnaires.Dictionnaire Accessible sur le site : http://www.lib.uchicago.edu/efts/ARTFL/projects/dicos/Le Français classique. Lexique de la langue du XVIIe siècle Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle Dictionnaire historique de la langue française Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise… avec les termes les plus connus des arts et des sciences Dictionnaire universel françois et latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux #### Grammaires.Petite grammaire de l'ancien français Remarques sur la Langue Françoise Syntaxe française du XVIIe siècle Grammaire de la langue française du XVIIe siècle, Paris ### Études. #### Ouvrages généraux.Lire la comédie Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine*e* Lire le théâtre La Comédie #### Sur le contexte historique.Dictionnaire du Grand Siècle #### Sur la littérature du XVIIe siècle.Introduction à l'analyse des textes classiques La Littérature de l'âge baroque en France #### Sur le théâtre du XVII*e* siècle.Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars Le Théâtre dans le théâtre sur la scène française du XVII*e* siècle Papers on French Seventeenth Century Literature A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century La Comedia espagnole en France de Hardy à Racine La Dramaturgie classique en France #### Sur la comédie du XVII*e* siècle.Littératures classiques Les Valets et les servantes dans le théâtre comique en France de 1610 à 1700 *e*Cahiers de littérature du XVII*e* siècle La Comédie avant Molière 1640-1660 Le MenteurL'Art du théâtre #### Sur la représentation et le décor.Le Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne 1548-1680 Le Théâtre du Marais Histoire de la mise en scène dans le théâtre français à Paris de 1600 à 1673 Le Mémoire de Mahelot, Laurent et autres décorateurs de l'Hôtel de Bourgogne #### Sur les comédiens.Dictionnaire biographique des comédiens français du XVII*e* siècle Revue mondiale ------- [1] Voir *La Littérature de l'âge baroque en France* (p. 65-68) où Jean Rousset, en 1953, tire de l'oubli l'une des pièces de Brosse : *Les Songes des hommes esveillez*, ainsi que les travaux de Georges Forestier. [2] Voir la préface des *Songes des hommes esveillez*, p. 13. [3] Les historiens du théâtre du XVIII*e* siècle, tels que Leris, Maupoint, Chamfort et Mouhy, confondent souvent les deux frères Brosse. [4] Sur les aspects douteux de ce témoignage, nous renvoyons à la préface des *Songes des hommes esveillez*, p. 13. Le doute principal réside dans le fait que les œuvres attribuées à cet homme ne correspondent pas avec celles que nous avons citées plus haut. [5] Le nom de La Brosse apparaît dans la dédicace et le privilège du *Turne de Virgile*. Les autres pièces sont toutes signées Brosse. [6] Préface des *Innocents Coupables* rédigée par Pierre Pasquier, p. 5. Dans son introduction aux *Songes des hommes esveillez*, Georges Forestier déclare, quant à lui, que « la seule énigme que soulève cette comédie (…) est celle de son auteur », p. 12. [7] Livre II, ch. 1, p. 109-110. [8] Préface des *Innocents coupables*, p. 6. [9] Voir *AHistory of French DramaticLiterature in the Seventeenth Century*, part. II, p. 735. [10] *Le Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne*, p. 65-66. [11] La Fronde se divise en deux périodes : la Fronde parlementaire d'août 1648 jusqu'à mars 1649 et la Fronde des princes d'octobre 1649 jusqu'à septembre 1653. Ce mouvement insurrectionnel contre le gouvernement d'Anne d'Autriche et de Mazarin dégénéra rapidement en véritable guerre civile. [12] *Op. cit.*, p. 60. [13] *La Dramaturgie classique*, p. 141. [14] Sophie Wilma Deïerkauf-Holsboer, *L'Histoire de la mise en scène dans le théâtre français à Paris de 1600 à 1673*, Librairie A. Nizet, Paris, 1960, p. 58. [15] *AHistory of French DramaticLiterature in the Seventeenth Century*, part. II, p. 733. [16] « Si donc il est établi que le rideau n'était employé que très rarement au XVII*e* siècle et en tout cas jamais pendant les entr'actes, les conséquences de ce fait pour la représentation des lieux sur la scène sont considérables. Elles se résument en ceci, qu'on ne pouvait que très malaisément, et au prix d'une sorte de tour de force comme dans les pièces à machines, changer de décor. », *op. cit.*, p. 174. [17] Jacques Scherer, *op. cit.*, p. 186 [18] Ils sont au nombre de deux : Lancaster consacre quelques pages à *L'Aveugle clair-voyant* dans son *History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century* (part. II, p. 733-735) et Georges Forestier a écrit un article sur les trois comédies de Brosse, « Dramaturgie de l'oxymore dans la comédie du premier XVII*e* siècle : le théâtre comique de Brosse », *Cahiers de littérature du XVII*e* siècle*, n° 5, 1983, p. 5-32. [19] *Ibid.*, Lancaster p. 733 « The source is unknown » et G. Forestier p. 8 « ses deux autres comédies *Les Songes* et *L'Aveugle clair-voyant* entièrement originales ». [20] *Op. cit.*, p. 103-104. [21] « Je veux que vôtre sœur ayde à nostre projet » (I, 2, v. 163). [22] « Mon frére l'a si bien pratiqué sur ce poinct / Que s'il void quelque chose, il ne parlera point. » (II, 2, v. 419-420). [23] L'exposition ne se termine vraiment qu'à la scène 4 de l'acte I, où l'on apprend que l'aveuglement de Cléanthe est feint. [24] Acte III, scène 2, v. 221-224. [25] Acte IV, scène 9, v. 1303-1305. [26] Voir les vers 1643-1644 et 1659-1660. [27] Pour les théoriciens du XVII*e* siècle, le dénouement doit être « nécessaire, complet et rapide ». (Jacques Scherer, *La Dramaturgie classique*, p. 128). [28] Voir les vers 1660 et 1675. [29] Voir l'insistance de Thélame sur l'avarice de Cléanthe à la scène 1 de l'acte II, v. 377 à 384. [30] « Dramaturgie de l'oxymore dans la comédie du premier XVII*e* siècle : le théâtre comique de Brosse », p. 23-24. Voir aussi, concernant la même idée, Lancaster, *A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century*, p. 733-734. [31] Les dons de Cléanthe sont d'ailleurs soulignés par Lidamas : « Qu'il dissimule bien, & qu'il abonde en ruses. » (V, 5, v. 1483). [32] *Les Valets et les servantes dans le théâtre comique en France de 1610 à 1700*, Presse universitaire de Grenoble, 1975, p. 119. [33] Sur ces différents défauts, voir par exemple les vers 259 à 261 (I, 4) au sujet de l'ivrognerie, les vers 1335 à 1337 (V, 1) à propos de la couardise, les vers 1374 à 1376 (V, 2) concernant la cupidité, et les vers 1431 à 1435 (V, 3) pour ce qui est de la gloutonnerie. [34] Acte III, scène 5, v. 916 à 920. [35] Voir acte V, scène 2. [36] *La Dramaturgie classique*, p. 32. [37] Acte II, scène 5, v. 633 à 648. [38] *La Comédie avant Molière : 1640-1660*, Paris, Armand Colin, 1972, p. 223. [39] Mélice l'avoue elle même dans un monologue : « L'Esprit envelopé d'un nuage d'ennuis / Je m'égare en moy-mesme, & ne sçais où je suis, / Mon destin rigoureux m'a mis dans une route / Où de tous les costez ma raison ne void goute, / Ou si mon jugement y trouve quelque jour, / Il ne m'est envoyé que du flambeau d'Amour. » (III, 2, v. 683 à 688). [40] Voir les vers 377 à 391 (II, 1) et les vers 1221 à 1225 (IV, 7) où le jeune homme se plaint de l'avarice de Cléanthe et tente de se résoudre à quitter Mélice définitivement. [41] Roger Guichemerre, *La Comédie avant Molière : 1640-1660*, p. 209. [42] Voir ce que dit Thélame au v. 459 (II, 2) et les v. 669 à 674 où Lucille rapporte à Mélice les dires de son amant. [43] Voir Acte IV, scène 9, v. 1290 à 1304. [44] Nérine et Olimpe proclame l'ingéniosité de Lidamas dès le début de la pièce. Voir Acte I, scène 1, v. 117 à 119. [45] Voir acte V, scène 1, v. 1329 à 1332. [46] Par exemple, à la scène 3 de l'acte II, quand Nérine se fait passer pour Olimpe et se fait courtiser par Cléanthe, ou encore à la scène 4 de l'acte IV où Lucille monologue. Sur les aspects comiques de ces deux passages, nous renvoyons à nos parties sur l'ironie et sur le comique (p. XXIV à XXXII). [47] Voir, par exemple, acte IV, scène 2, v. 1010. [48] Jean Emelina, *op. cit.*, p. 289. [49] Livre II, ch. IV, p. 146. [50] Il faut en effet apporter deux restrictions à cet énoncé : on peut supposer qu'à l'acte II, scène 4, c'est Sylvestre qui suggère à Lidamas de dérober la montre que Cléanthe veut offrir à Olimpe (voir les v. 629-630), vol qui se déroulera à l'acte III, scène 5. Cependant, si Sylvestre donne ce conseil au jeune homme, c'est évidemment sur ordre de Cléanthe. À l'acte V, scène 2, c'est encore Sylvestre qui propose à Lidamas de faire en sorte que « tout son procédé passe en galanterie » (v. 1398). [51] Comédies jouées respectivement pendant les saisons 1643-1644 et 1644-1645 au théâtre du Marais. Si le triomphe du *Menteur* fut immédiat, Corneille dit, dans l'examen de *La Suite du Menteur*, que la pièce ne s'attira pas à sa création les faveurs du public mais que « quatre ou cinq ans après la Troupe du Marais la remit sur le théâtre avec un succès plus heureux ». Cette pièce a donc pu être rejouée sur le théâtre du Marais à peu près au moment où le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne créait *L'Aveugle Clair-voyant*. [52] Ainsi, Cliton déclare : « J'enrage de me taire, et d'entendre mentir. » (I, 5, v. 260). [53] *Le Menteur et La Suite du Menteur* de Corneille, édition présentée, établie et annotée par Jean Serroy, Gallimard (coll. Folio théâtre), 2000, p. 167. [54] *Le Menteur* et sa *Suite* sont des adaptations de *comedias* espagnoles, respectivement *La Verdad sospechosa* d'Alarcón et *Amar sin saber a quien* de Lope de Vega. [55] *AHistory of French DramaticLiterature in the Seventeenth Century*, Part II, p. 733. [56] « *Le Menteur*, de Corneille : "Par un si rare exemple apprenez à mentir" », *L'Art du théâtre*, Mélanges en hommage à Robert Garapon, Paris, Presses universitaires de France, 1992. [57] Acte V, scène 7, v. 1803-1804. [58] Cléanthe reconnaîtra lui-même l'ingéniosité de certains de leurs stratagèmes (voir, par exemple, IV, 9, v. 1281). [59] Acte V, scène 6, v. 1724-1729 et 1741-1750. [60] Acte V, scène 4, didascalie après le v. 1466 et acte V, scène 5, v. 1487 à 1494. [61] Voir introduction p. X et XI. La Mélice de *L'Aveugle clair-voyant* n'hésite pas à demander à son amant de l'enlever et la Mélice de *La Suite du Menteur* offre son portrait à un inconnu et l'invite dans la demeure qu'elle partage avec son frère. [62] *L'Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680) : le déguisement et ses avatars*, Droz, 1988, p. 61. [63] Cité par Georges Forestier, *ibid.*, p. 80. [64] Nous reprenons la terminologie employée par Georges Forestier, *ibid.*. [65] « Dramaturgie de l'oxymore dans la comédie du premier XVII*e* siècle : le théâtre comique de Brosse », p. 23. [66] Voir notamment les vers 761-764. [67] Acte II, scène 2, v. 413-414. Nous soulignons. [68] *L'Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680) : le déguisement et ses avatars*, p. 223. [69] Acte II, scène 2, v. 475. [70] Acte V, scène 5, v. 1483. [71] Acte II, scène 3, v. 525-528. Nous soulignons. [72] Acte IV, scène 5, v. 1662-1663. Nous soulignons. [73] Acte I, scène 2, v. 145-146. Nous soulignons. [74] Acte I, scène 4, v. 303. Nous soulignons. [75] Acte IV, scène 5, v. 1108. [76] Voir les scènes où il bat Thélame et Lidamas en feignant de croire qu'il frappe son valet, respectivement aux vers 451-462 (II, 2) et 905-912 (III, 5). [77] Acte, I, scène 4, v. 285-297. [78] « Ne dy rien. Ces trois mots m'apprennent clairement / Ce que je ne sçavois qu'assez obscurément. / Tu deviens mon rival, fils ingrat & perfide » (I, 4, v. 251-253). [79] Voir les vers 305-308, 829, 858, 1311-1312. [80] Dans *L'Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680) : le déguisement et ses avatars*, Georges Forestier dégage huit finalités motivant les déguisements conscients : l'approche, la conquête, la reconquête, la fuite, la délivrance, le pouvoir ou héritage, la tromperie, le tour (voir p. 113 et suivantes). [81] *Ibid.*, p. 123. [82] *Ibid.*, p. 345. [83] v. 375-376. Nous soulignons. [84] v. 1393-1402. Nous soulignons. [85] v. 1667-1668. [86] v. 243-248. [87] v. 1442-1446. [88] Acte V, scène 7, v. 1655. [89] Formule de B. Magné citée par Georges Forestier dans *Le Théâtre dans le théâtre sur la scène française du XVII*e* siècle*, p. 347. [90] « Dramaturgie de l'oxymore dans la comédie du premier XVII*e* siècle : le théâtre comique de Brosse », p. 6. [91] Concernant la façon dont Brosse a mis en œuvre la figure de l'oxymore dans chacune de ses comédies, nous renvoyons à l'article de Georges Forestier cité ci-dessus. [92] *Ibid.* p. 7. [93] *Ibid*., p. 24 [94] Acte I, scène 4, v. 304. [95] Georges Forestier, *L'Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680) : le déguisement et ses avatars*, n. 4 p. 225. [96] Voir introduction p. VIII et IX. [97] v. 587 à 592. [98] v. 863-864. Voir aussi les vers 869-870. [99] v. 655-656. [100] v. 594-595. Voir aussi les vers 608 à 612 où Nérine, suivant le même procédé, dit à Cléanthe : « Monsieur vous m'honorez plus qu'il ne m'appartient, / Reservez vos presens pour de plus belles Dames, / Je ne merite pas ny vos dons ny vos flames, / Et je puis assurer que si vous me voyez / Vous plaindriez vos presens s'ils m'estoient envoyez. » [101] v. 596. [102] v. 865-868. [103] v. 1547-1550. [104] *La comédie avant Molière*, p. 279. [105] Titre d'un article de Jean Emelina publié dans la revue *Littératures classiques*, n° 27, printemps 1996. [106] *L'Aveugle clairvoyant*, comédie de Legrand, scène 3. [107] *Ibid.*, scène 4 [108] *Ibid.*, scène 5 [109] *Ibid.*, scène 11. [110] *Ibid.*, scène 10 : « DAMON : Mais comment Léonor me croit-elle si bête, / Et peut-elle me tendre un si grossier appât ? / MARIN : Elle vous croit aveugle, et vous ne l'êtes pas ; / Peut-être que l'étant, vous prendriez le change. / DAMON : Il faudroit que je fusse en un état étrange, / Et que j'eusse perdu tous les sens à la fois. ». [111] v. 540 à 543. [112] Acte IV, scène 2, v. 995-998. [113] Jean Emelina dans son livre intitulé *Les Valets et les Servantes dans le théâtre comique en France de 1610 à 1700*, donne de nombreux exemples de ces « multiples allusions qui fustigent le caquet des valets et, surtout, des servantes. (…) Les éternelles railleries sur les bavardages féminins, autre expression d'une vieille misogynie, se sont ici fixées sur les catégories féminines inférieures. » (p. 263). [114] v. 785 à 792. [115] *Ibid.*, p. 265. [116] v. 1433 à 1439. [117] Suite à une erreur de pagination, la dernière page de cette édition porte le numéro 108, mais il y a en réalité 116 p. [118] Un seul exemplaire est disponible dans chacune de ces bibliothèques. Les cotes sont, pour la BnF, Res. Yf. 674 ; pour l'Arsenal, Rf. 5679 ; pour Sainte-Geneviève, Delta 15215 FA ; pour la Sorbonne, RRA 8 = 415 ; et pour la bibliothèque Mazarine, 10918-21. À noter que les exemplaires de la bibliothèque Sainte-Geneviève et de la bibliothèque Mazarine font partie de recueils factices regroupant l'un, toutes les pièces des frères Brosse, l'autre, diverses comédies toutes éditées par Toussainct Quinet. [119] Acte III, scène 3, v. 847 à 853. [120] Acte IV, scène 5, v. 1137 à 1149. [121] Louis Foucault de Saint-Germain-Beaupré, comte du Daugnon, dit le maréchal (1616-Paris, 1659). « Issu d'une ancienne lignée noble de la Marche, Foucault fut d'abord page du cardinal de Richelieu. Ce dernier le fit entrer dans la marine, où il reçut bientôt le titre de vice-amiral ». Puis il fut nommé gouverneur de Brouage, l'un des principaux ports du royaume au XVII*e* siècle, par Mazarin. Il se révolta pendant la Fronde et ne renonça à la rebellion qu'en mars 1653 en échange notamment du bâton de maréchal et d'une promesse d'amnistie. Il ne semble toutefois pas avoir été le courageux soldat que dépeint Brosse dans son épître puisqu'en 1646, après la mort du jeune amiral Maillé-Brezé qu'il secondait au cours de la bataille d'Orbitello, « il crut opportun de ramener sans tarder la flotte à Toulon, sans se préoccuper du petit corps expéditionnaire demeuré à terre. » (Voir le *Dictionnaire du Grand Siècle*, sous la direction de François Bluche, p. 612.) [122] « -ez » est une variante graphique de « -és ». Cette graphie est souvent utilisée en langue classique pour marquer le pluriel des noms et des participes passés. [123] Il faut lire : *veuve*. Olimpe nous est en effet présentée dans la liste des acteurs comme une *jeune veufve*. [124] Il faut comprendre que seulement vingt jours se sont écoulés depuis la mort du mari d'Olimpe. [125] La langue classique emploie parfois *comme* au sens de *comment* dans les interrogations indirectes. « Ex. : … *Il importe peu de savoir* **comme** *on le diroit, puisqu'il n'y a pas lieu de le dire.* (Vaugel., *Rem.*, I, 132.) » (Haase, *Syntaxe française du XVII*e* siècle*, § 43, B, p. 90-92). [126] *Vindrent* : forme archaïque de la troisième personne du pluriel du passé simple du verbe venir. [127] *Manes* : « … Les François ne s'en servent jamais ni en prose, ni en poësie, qu'en cette derniere signification, c'est à dire pour l'*ame d'une personne*. » (Vaugelas, *Remarques*, p. 241). [128] On peut avancer un autre motif, moins louable, pour expliquer l'attente des deux amants. En effet, Furetière indique qu'« en Droit on appelle année de *deuil*, l'année de viduité, pendant laquelle si la veuve se remarie, elle perd les avantages que luy a fait son mary ». [129] Louis XIV, monté sur le trône le 19 mai 1943. [130] Au début du XVII*e* siècle, Dunkerque faisait partie des Pays-Bas espagnols. Au cours de la guerre de Trente Ans, la ville fut assiégée par les toupes françaises dirigées par le duc d'Enghien, futur Prince de Condé. Elle fut investie le 19 septembre 1646 et se rendit le 11 octobre de la même année. La prise de Dunkerque fut un événement de haute importance en France : un *Te Deum* fut chanté à cette occasion le 16 octobre 1646 et Sarrazin écrivit une *Histoire du siége de Dunkerque* ainsi qu'une ode. [131] Après *attendre*, verbe dont le sens primitif comporte une « idée de désir ou de volonté », mais qui n'exprime plus « que le simple accomplissement d'une action », la langue classique emploie parfois le conditionnel au lieu du subjonctif. « Ex. *Je ne vous écrivis point de nouvelles*, **attendant** *que ce message* **partiroit** *et vous* **porteroit** *ce qui seroit depuis survenu.* (Malh., III, 26.) » (voir Haase, § 76, A, p. 180-181). [132] « La langue actuelle, envisageant le complément de certains verbes comme un résultat à atteindre, le construit avec *à*, tandis que le XVII*e* siècle, l'envisageant comme une cause, le construisait avec *de* : ainsi … après … *se résoudre* ; Ex. … *Elle* **se résolut de** *se sauver en Espagne.* (La Rochef., *Mém.*, II, 33.) » (Haase, § 112, 2°, B, p. 287 et 292-293). [133] La langue classique emploie parfois *dans* au sens de *en*. « Ex. : Il arriva dans cinq ou six jours une infinité de lettres. (Malh., I, 351.) » (voir Haase, § 126, 3°, C, p. 347). [134] « Tout en tolérant le tour *soit que*… *ou soit que* … en poésie, Vaugelas (I, 92) le rejette pour la prose. … Th. Corneille et l'Académie le rejette aussi en poésie. » (Haase, § 143, Rem., p. 390). [135] Au XVII*e* siècle, *ingenu* peut encore signifier « Naïf, simple, franc, sans deguisement …. *il fit un discours, un aveu ingenu*. » (Académie), sans nuance péjorative. [136] Le pronom personnelle *elle* renvoie bien au mot *amour* (v. 77). Ce terme s'emploie en effet indifféremment au masculin ou au féminin au XVII*e* siècle. Néanmoins, son genre est souvent déterminé par la rime de l'épithète ou du participe passé qui s'accorde avec lui. [137] La langue classique utilisait parfois les parenthèses pour séparer les propositions incises du reste de la phrase. [138] Au XVII*e* siècle, la préposition *à* pouvait remplacer la préposition *sur*. (voir Haase, § 120, B, p. 313-314). [139] De nombreux auteurs du XVII*e* siècle ont déjà exploité le thème de la rivalité amoureuse entre un père et son fils. Brosse lui-même l'a utilisé dans sa tragi-comédie, *La Stratonice ou le malade d'amour* (jouée en 1643 et publiée en 1645), où un jeune prince tombe gravement malade parce qu'il aime la jeune fille que son père doit épouser. [140] Sur le genre du mot amour au XVII*e* siècle, voir *supra* la note du v. 78. [141] *Adréte* : dans la langue classique, la graphie de l'adjectif *adroite* n'était pas fixée. Brosse ou son imprimeur l'orthographie également *adraite* et *adraitte* aux v. 1085 et 1309. La graphie *adrète* est conforme à la prononciation de cet adjectif au XVII*e* siècle. [142] *Tant … soit-il préoccupé* : « **Tant**, remplaçant les adverbes *quelque, tout, si*, de la langue actuelle, se construisait dans l'ancienne langue avec un adjectif ou un autre adverbe, pour désigner un certain degré dans la pensée. Cette construction ne se rencontre plus guère qu'au commencement du XVII*e* siècle. … On intervertit souvent l'ordre des mots en supprimant le *que*, facultatif dans l'ancienne langue, en poésie …. Ex. : *Même ses courroux*, **tant** *soient-ils légitimes, Sont des marques de son amour.* (Malh., I, 246, 23.) » (Haase, § 45, G, p. 96). En outre, au XVII*e* siècle, *préoccuper* a exclusivement le sens de « prevenir, mettre dans l'esprit d'une personne les premieres impressions, les premieres connoissances d'une chose. La foiblesse de l'esprit de l'homme est telle, qu'il se *preoccupe* aisément, qu'il a du mal à effacer les impressions dont il est *preoccupé*, qui entrent les premieres dans son esprit …. Les passions nous *preoccupent*, nous aveuglent, nous ostent la liberté du jugement. » (Furetière). Il faut donc comprendre les vers 159-160 ainsi : « Vous verrez dedans peu Cléanthe detrompé, si aveuglé qu'il soit par vos vains discours ». [143] Argus est un monstre mythologique pourvu d'une infinité d'yeux répartis sur tout son corps. Il fut chargé par Héra de garder Io, une amante de Zeus métamorphosée en vache. Selon l'une des versions de la légende, Hermès, envoyé par Zeus, endormit le gardien en lui jouant de la flûte de Pan et réussit ainsi à délivrer Io. [144] Voir la note du v. 167. Lidamas reprend la métaphore d'Olimpe : comme le son de la flûte de pan avait endormi Argus, le son des Louis endort les valets cupides. [145] D'un emploi plus large au XVII*e* siècle, *fomenter* signifie « entretenir, faire durer » et « se dit fig. en ce sens de certaines choses qui regardent la société civile ; Et alors il se dit également en bien & en mal. *Fomenter l'amitié, la paix, la concorde, fomenter la division.* » (Académie). [146] *Ceans* : Ici dedans (où je suis). [147] La langue classique employait parfois la préposition *en* là où le français moderne lui préfère la préposition *sur*. (Voir Haase, § 126, E, p. 344). [148] *Chere* : « Se dit aussi des repas qu'on donne à ses hostes, à ses amis. … On le dit aussi de la maniere de se traitter en famille, en particulier. C'est un avare qui fait maigre *chere* chez luy, il se laisse mourir de faim » (Furetière). [149] *Centre* : « se dit figurément du lieu où on a tous ses plaisirs, ses commoditez. Quand un yvrogne est au cabaret, quand un amant est avec sa maistresse, ils sont en leur *centre*. Le poisson dans l'eau est dans son *centre*, dans son élément » (Furetière). [150] *Pistoles* : « Monnaie d'or étrangère battue en Espagne et en quelques endroits d'Italie. La pistole est maintenant de la valeur d'onze livres et du poids des louis » (Furetière). [151] *Émouluë* : « Qui est aiguisée, pointue, affilée » (Furetière). [152] Comprendre « puisque l'amour te guide ». En effet, « on représente l'Amour comme un enfant, parce qu'il n'est jamais sage ; & qu'au contraire il est toûjours badin, & indiscret » (Furetière). [153] *Opilee* : « OPPILER … Boucher les conduits du corps, & empescher le passage des humeurs necessaire à faire ses fonctions. Il ne se dit que des obstructions qui se font dans le bas ventre » (Furetière). Dans la bouche de Sylvestre, ce terme devient donc burlesque puisqu'il l'emploie en parlant de son âme. [154] *Moult* : « Vieux mot qui n'a plus d'usage que dans le burlesque, & qui signifie Beaucoup, en grande quantité » (Académie). [155] Les dires de Cléanthe sur le moment où les visites de son fils à Olimpe ont débuté ne s'accordent pas parfaitement avec les propos tenus à la scène 1 de l'acte I par la jeune veuve. En effet, Olimpe laissait entendre (v. 60 à 70) que Lidamas lui avait rendu visite pour la consoler de l'infirmité de Cléanthe. Or, ce dernier confie à Sylvestre que les entretiens d'Olimpe et de Lidamas sont une des causes de son *feint aveuglement*. [156] Voir n. 1 p. 4. [157] *Je partiray demain pour l'aller dire à Rome* : formule proverbiale, indiquant l'impossibilité de la chose. Elle figure notamment dans *Le Menteur* de Corneille où Cliton, valet de Dorante, déclare : « Si quelqu'un l'entend mieux, je l'irai dire à Rome. » (Acte V, scène 5, v. 1658). [158] *Mestier* est pris, ici, au sens de « art » (Richelet). [159] Le Prince de Condé. Voir la note du v. 36. [160] *Parmy* « a encore quelquefois un sens purement local et équivaut à *au milieu de, dans* » (Haase, § 131, A, p. 356). [161] Lidamas et Olimpe sortent de scène. [162] « *De* causal accompagne souvent au XVII*e* siècle un *infinitif* dans des constructions qui ne s'emploient plus aujourd'hui » (Haase, § 112, p. 281). [163] *Felicitez* : les dictionnaires du XVII*e* siècle donnent au verbe *féliciter* la même acception qu'aujourd'hui : « Tesmoigner à quelqu'un qu'on est bien-aise d'une bonne fortune qui luy est nouvellement arrivée » (Furetière). Nous pensons que, dans cette occurrence, Brosse l'emploie plutôt dans le sens du XVI*e* siècle : « Rendre heureux  … Mais là haut le dous fruit du bel arbre de vie Rendra pour tout jamais nostre faim assouvie, Et, nous felicitant d'un eternel repos. Nous maintiendra tousjours jeunes, frais et dispos. CHASSIGNET, *Le Mespris de sa vie*, p. 280 » (Huguet, *Dictionnaire de la langue française du seizième siècle*). Lidamas demande donc à Mélice d'alléger sa peine en consentant à son départ. [164] Mélice s'adresse évidemment à Sylvestre, sur un ton plus bas. [165] *Gueule* se disait familièrement au XVII*e* siècle mais avec une nuance moins grossière qu'aujourd'hui. [166] Si Vaugelas, dans ses *Remarques sur la langue françoise*, considère que « *avec*, & *avecque*, sont tous deux bons », il condamne cependant l'emploi de *avecques* : « *avecques* ne vaut rien, ni en prose, ni en vers, & pas un de nos bons Poëtes ne s'est donné la licence d'en user (p. 311). » [167] *Rustique* : « signifie aussi, Grossier, mal poli » (Furetière). [168] Au XVII*e* siècle, *éclat* « signifie fig. Gloire, splendeur, magnificence » (Académie) et *tombeau* « se dit aussi des choses qui font perdre la memoire d'un autre objet, & qui, pour ainsi dire, l'ensevelissent » (Furetière). Il faut donc comprendre le v. 431 de cette façon : « Ce serait ensevelir, faire tomber dans l'oubli la Gloire de la famille ». [169] *Flamberge* : « Espée. Il ne se dit qu'en raillerie » (Académie). [170] *Pour jamais* : « C'est à dire, pour toujours » (Richelet). [171] *Driller* : « Courir viste. C'est un terme bas & populaire, qui se dit des laquais, des soldats, des gueux qui s'enfuyent, ou qu'on fait courir » (Furetière). [172] Mélice et Thélame sortent de scène. [173] *Friser la corde* : « Approcher de bien prés. … se dit aussi proverbialement en ces phrases. Cette affaire a *frisé* la corde, pour dire, Cet arrest n'a passé que d'une voix. Ce criminel a *frisé* la corde, pour dire, a failli estre pendu » (Furetière). [174] *Prefix* : « Arresté, determiné. Jour prefix. temps prefix. heure préfixe. somme préfixe » (Académie). [175] *Phœnix* : « se dit figurément en Morale, lors qu'on veut loüer quelqu'un d'une qualité extraordinaire, & dire qu'il est l'unique en son espèce. On dit, c'est le *phœnix* des guerriers, des beaux esprits, le *phœnix* des amants » (Furetière). Richelet ajoute que « ce mot au figuré est comique ». [176] *Exprés* : « Qui est précis, en termes formels pour une cause ou un dessein particulier. … Il a eu un ordre *exprés* de faire telle ou telle chose » (Furetière). [177] *Intrigue* : « La pluspart font ce mot feminin, je dis la *pluspart*, parce qu'il y en a qui le font de l'autre genre ; …. C'est un nouveau mot pris de l'Italien, qui neantmoins est fort bon, & fort en usage » (Vaugelas, *Remarques sur la langue françoise*, p. 126). [178] Le pronom personnel élidé *l'* renvoie à Cléanthe. Il y a entre les scènes 2 et 3 ce que Corneille appelle une « liaison de vue ». [179] Sur le genre du mot *intrigue*, voir *supra* la note du v. 484. [180] « BROUILLARD, quelques-uns disent Brouillas » (Furetière). [181] La distinction entre *compter* et *conter* n'est pas toujours faite dans la première moitié du XVII*e* siècle. Cependant, Brosse et son imprimeur emploient correctement *compter* au v. 44. [182] *Ciron* : « Sorte de petit ver, qui s'engendre entre cuir & chair & qui est presque imperceptible. *Il n'est pas plus gros qu'un ciron* » (Académie). [183] *Ressembler* : « Beaucoup de verbes, intransitifs aujourd'hui, étaient transitifs au XVII*e* siècle, comme dans l'ancienne langue. … Ex. : *Ses pleurs…* **Ressemblent** *un torrent*. (Malh., I, 15, 304.) » (Haase, § 59, p. 126 et 137). [184] Sylvestre fait allusion au proverbe « c'est le chien de Jean de Nivelle qui s'enfuit quand on l'appelle », qui s'emploie à propos de quelqu'un de peu complaisant ou d'insaisissable, qui se dérobe quand on a besoin de lui. Sylvestre n'utilise donc pas ce proverbe dans son sens traditionnel. [185] Sylvestre s'adresse vraisemblablement à Nérine. Il aurait pu également s'entretenir avec Lidamas mais cela nous semble peu probable dans la mesure où, à la fin de la scène, il demandera à Lidamas de le suivre pour lui faire part d'une idée (voir v. 629-630). En outre, Brosse préparerait ainsi la scène 3 de l'acte III où Sylvestre demande à Cléanthe la permission d'épouser Nérine (voir v. 784 à 794 et v. 801 à 804). [186] « Selon l'ancien usage, très courant encore au XVI*e* siècle, on trouve au XVII*e* la forme tonique du pronom avec **à** au lieu du datif atone sans qu'il y ait intention de l'accentuer. Cet emploi est fréquent, surtout avec les verbes *parler* et *attacher* » (Haase, § 11, A, p. 26.) [187] Il y a une synérèse dans le mot *plaindriez* qui compte pour deux syllabes. [188] *Die* : forme archaïque du subjonctif présent du verbe dire, concurrencée dès le XIII*e* siècle par *dise*. Elle est encore acceptée par Vaugelas. [189] « Un *infinitif* passif dépendant de *laisser* ou *faire* à la voix pronominale se construisait avec *à* au XVII*e* siècle, et non pas avec *par* ou *de*, comme d'ordinaire dans la langue actuelle. Ex. : … *Mes frères… ne vous* **laissez pas séduire *à*** *Satan* (Boss., *Serm. sur les Démons* 1660, 2) » (Haase, § 125, E, Rem. II, p. 337). [190] Nous corrigeons. Le texte de l'édition originale donne le nom de *Lidamas*. Or *tyrannie* est un terme appartenant au vocabulaire galant du XVII*e* siècle et signifie « rigueur, empire amoureux » (Richelet), Mélice fait donc allusion au pouvoir exercé sur elle par son amant, et non à une quelconque emprise de son frère. [191] *Incommodé* : « Pauvre, n'être pas à son aise » (Richelet). [192] Nouvelle allusion à la guerre de Trente Ans, conflit auquel la France prit part en déclarant la guerre à l'Espagne en 1635, et qui ne se termina réellement qu'en 1659. [193] « On dit d'un homme emprisonné pour dettes, qu'il *tient* pour une telle somme. On le dit même des choses qui sont en gage. Expressions du style familier » (dictionnaire de Trévoux). Le *buffet* peut désigner « une grande armoire … où on enferme ce qu'on a de plus précieux » (Furetière). L'expression employée par Cléanthe fait donc référence à l'endettement de certains nobles qui les mettent en quelque sorte au service de riches roturiers auprès desquels ils doivent emprunter. « Quant aux dettes des particuliers elles sont quotidiennes et fort répandues …. Certes, les grands font facilement des dettes : les dépenses somptuaires y contribuent (vêtements, bijoux, perruques, carrosses, etc.), mais aussi les servitudes du rang, les servitudes du service aux armées ; le jeu » (dictionnaire du Grand Siècle, sous la dir. de François Bluche, article « dette », p. 470). [194] Nous corrigeons. La leçon est *autant qu'il en est permis*, ce qui est impossible puisque le vers comprend alors treize syllabes. [195] « La préposition *dans* s'emploie dans le sens où la langue actuelle se sert de la préposition *à*. Ex. : … *Le nom que* **dans la cour** *vous avez d'honnête homme…*(Mol., *Mis.*, I, 2, 370.) » (Haase, § 126, A, p. 346-347). [196] *Confabuler* : « S'entretenir avec quelqu'un. Ce mot est bas, & ne se dit qu'en burlesque » (Furetière). [197] Au XVII*e* siècle, les valets et les servantes doivent demander à leur maître l'autorisation de se marier. De la même manière, à la dernière scène de l'acte V (v. 1682), Cléanthe demandera à Olimpe son accord pour marier Nerine et Sylvestre (sur le mariage des serviteurs, voir *Les Valets et les servantes dans le théâtre comique en France de 1610 à 1700* de Jean Emelina, p. 412-415). [198] *Franchise* : « signifie quelquefois chez les Poëtes et les amants, Liberté. Il a perdu sa *franchise*. Il a engagé sa *franchise* » (Furetière). [199] Pendant qu'il dicte sa lettre, Cléanthe lève « par deux fois la main pour … frapper » Mélice, comme en témoigne les vers 828 à 830. [200] Lettre. [200] *Le dessus* : « On dit aussi le *dessus* d'une lettre, pour dire la suscription, l'adresse » (Furetière). Il faut donc comprendre : « et que le dessus soit adressé au vieux Parmenon… ». [201] *Au prix* : « Façon de parler adv. dont on se sert en faisant comparaison. Ce que je vous ay dit jusqu'icy n'est rien au prix de ce que vous allez entendre » (Académie). Il faut donc comprendre : « On dort sur de l'Argent d'un agréable somme, comparé à cela, le duvet le plus mol n'a rien de doux ». [202] Mélice sort de scène, Sylvestre l'a vraisemblablement précédée. [204] Lettre. [205] Lettre. [203] *Parbieu* : « On dit aussi, *Par* bleu, & *par* bieu, en faisant semblant de jurer » (Furetière). [204] L'expression *avoir du dessein* signifie « être résolu à faire quelque chose, avoir des projets en tête, avoir l'intention de faire quelque chose ». [205] *Seant* est, au XVII*e* siècle, le participe présent du verbe *seoir*, refait en *seyant* en français moderne. « Ce verbe est fort anormal en sa conjugaison. … Au participe, il a *seant* » (Vaugelas, *Remarques*, p. 539). [206] Sylvestre joue sur le double sens du verbe *estriller* qui, selon Furetière, signifie « penser un cheval avec l'estrille », mais aussi « battre bien quelqu'un ». [207] *Marouffle* : « Terme injurieux qu'on donne aux gens gros de corps, & grossiers d'esprit » (Furetière). [208] « On dit prov. qu'*Une personne fait porter ses marques à quelqu'un*, pour dire, qu'Il luy a donné quelque coup dont il est demeuré marqué » (Académie). [209] « Les verbes *tâcher, essayer, s'efforcer*, se construisent aujourd'hui généralement avec *de* devant un infinitif, tandis qu'ils s'employaient très souvent avec **à** au XVII*e* siècle. Th. Corneille (II, 151) préfère *tâcher* **de** et exige *essayer* **de** » (Haase, § 124, 1°, rem. II, p. 330). [210] *Qu'est-cecy* : cette locution signifie « quelle chose est ceci ? » (voir *Le Français classique. Lexique de la langue du XVIIe siècle* de Gaston Cayrou, p. 151). [211] *Parmy* : « Cette préposition a encore plus souvent un sens purement local et équivaut à *au milieu de, dans, avec ;* Ex. … Parmi ce bonheur suprême J'ai le malheur de ne savoir qui j'aime (Mol., Psy., IV, 3, 1498) » (Haase, § 131, A, p. 356). [212] Le verbe *esprouver* pouvait aussi s'orthographier *espreuver* au XVII*e* siècle. (cf. Vaugelas, *Remarques*, p. 134) [213] Comprendre : « Quelle chose ne ferais-je pas pour vous dans le respect de l'honneur ? » Cette insistance sur l'honneur est d'autant plus plaisante qu'Olimpe, femme « honorable », est encore en train d'essayer de tromper Cléanthe. [214] Bon-homme : « se dit d'un vray homme de bien, & aussi d'un vieillard qui ne peut faire de mal, d'un homme simple qui ne songe à aucune malice, qui n'entend point de finesse, qui croit de leger » (Furetière). Lidamas emploie le mot dans sa deuxième acception. [215] La confusion entre les verbes *consommer* et *consumer* était très répandue au XVII*e* siècle, bien que Vaugelas et les dictionnaires de la fin du siècle leur reconnaissent des acceptions très différentes. Vaugelas remarque également « que la faute ordinaire … est de dire *consomme*, pour *consumer*, ne disant jamais *consumer* pour quoy que ce soit, & disant tousjours l'autre » (*Remarques*, p. 301). [216] Lancaster remarque que cette comparaison pourrait avoir été inspirée par ces quelques vers du *Cléomédon* de Du Ryer (IV, 3) : « Ce sont de ces oyseaux, qu'amene le Printemps, / Et que loing de nos yeux chasse le mauvais temps » (*A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century*, part II, n. 8, p. 733). [217] « **Sur** s'emploie dans des phrases que la langue actuelle construit ou préfère construire avec la préposition … *à* : Ex. … *Vous vous* **arrêtez sur** *celle (la doctrine) de F. (Pasc., Prov., XII*) » (Haase, § 128, B, p. 351). [218] Qu'est-ce-qui. En langue classique le pronom sujet *qui* peut référer à de l'animé ou à du non animé. [219] *En donner* : « *En donner à garder*, C'est en faire accroire c'est-à-dire « tromper » . On dit aussi dans le mesme sens, *En donner d'une* » (Académie). [220] *Le sexe coëffé* : cette expression désigne les femmes, *sexe* ayant au XVII*e* siècle l' acception de « Femmes & filles  (…) Le *sexe* aime à jouir d'un peu de liberté (…) *Moliere* » et *coeffer* (*coiffer*) pouvant signifier « Accomoder les cheveux d'une femme d'une certaine manière sur la tête » (Richelet). [221] *Evertüons-nous* : en emploi absolu *s'évertüer* peut signifier « se démener, se remuer ». [222] *Esquiver* : « L'ancien français omettait avec une entière liberté le pronom régime des verbes réfléchis. Cet usage n'a pas encore disparu au XVII*e* siècle. … Quelques verbes réfléchis parmi lesquels le verbe (s') esquiver, employés au XVII*e* siècle tantôt avec le pronom, tantôt sans pronom, en gardant le même sens dans les deux cas, sont réfléchis dans la langue actuelle. » (Haase, *Syntaxe*, § 61, p. 143-144, 146). [223] *Aspre à vous satisfaire autant & plus qu'aux pots* : « Aspre, se dit aussi de celuy qui est fort avide dans ses desirs & ses passions » (Furetière). Il faut donc comprendre : « Rempli du désir de vous satisfaire autant et même plus que de celui de boire ». [224] *S'appliquer à* avec un complément de personne signifie « attacher, absorber » (Gaston Cayrou, *Le Français classique. Lexique de la langue du XVIIe siècle*). [225] *Se fier en* : « … plusieurs croyent que sa vraye construction est en l'ablatif avec la preposition *en*, & qu'encore que l'on die fort bien, *on ne sçait à qui se fier*, neantmoins la vraye et ancienne construction est de dire *on ne sçait en qui se fier* » (Vaugelas, *Remarques*, p. 534). [226] *S'efforcer à* : voir *supra* la note du v. 924. [227] « On appelle, Faire *justice*, executer publiquement un condamné à une peine corporelle » (Furetière). [228] Comprendre : « avec crainte ». En effet, au XVII*e* siècle, « *en* figure dans beaucoup de tournures que la langue actuelle, se mettant à un autre point de vue, construit ou préfère construire avec d'autres prépositions comme … *avec* … ; Ex. : *En quoi seroit estimable celui qui fait plaisir s'il ne le fait qu'en intention de le prêter* ? (Malh., II, 57) » (Haase, § 126, 2°, E, p. 344-345). [232] Lettre. [229] « **Devers**, dans le sens de *vers*, archaïque aujourd'hui, était d'un usage général au XVII*e* siècle » (Haase, *Syntaxe*, § 127, A, p. 349). [230] « … *doute* qui estoit il y a quinze ou vint ans de ce nombre, jusques-là, que M. Coeffeteau, & M. de Malherbe, l'ont presque tousjours fait feminin …, n'est plus aujourd'hui que masculin » (Vaugelas, *Remarques*, p. 300). [231] Voir *supra*, v. 347, n. 1. [232] Sur le genre du mot amour au XVII*e* siècle, voir *supra* la note du v. 78. [233] *À l'envy* (à l'envi) : « Par émulation & pour voir qui fera, ou réüssira le mieux. Ils étudient à l'envi. Ils travaillent à l'envi. » (Richelet), « A qui mieux mieux » (Furetière). [234] Au XVII*e* siècle, la préposition *dans* s'emploie dans le sens où le français moderne se sert de la préposition *de*. « Ex. : … *Et ce que le soldat*, **dans** *son devoir* **instruit**, *Montre d'obéissance au chef qui le conduit* (Mol., *Ec. d. f.*, III, 2, 705) » (Haase, § 126, 3°, C, p. 347). [235] « On dit aussi, *Accourcir* son chemin, quand on prend quelque faux fuyant qui abrege le chemin, qui le rend plus court » (Furetière). [236] Qu'est-ce-qui. Voir *supra* la note du v. 1036. [237] *D'un plein saut* : locution qui signifie « tout à coup ». [238] *À l'impourveuë* : « Avec surprise. Les ennemis sont venus *à l'imporveu*, & ont surpris la ville » (Furetière). [239] Jeu de mot. En effet, *ressort* se dit « des causes inconnües par lesquelles la nature agit … et figurément en choses spirituelles & morales. Personne ne doit penetrer dans les *ressorts* de la Providence » (Furetière), mais s'emploie également pour désigner le « Moyen dont on se sert pour faire reüssir quelque dessein, quelque affaire. *Il fait joüer toutes sortes de ressorts pour venir à ses fins* » (Académie). [240] « On appelle à Paris, *Les Quinze-vingts*, L'Hospital fondé par saint Loüis pour trois cens aveugles » (Académie). [241] *Absinthe* : « plante si amere, qu'on a de la peine à boire une liqueur dans laquelle elle aura trempé. » (Furetière). [242] *Treuve* : au XVII*e* siècle le verbe *trouver* pouvait également s'orthographier *treuver*, comme en atteste Vaugelas : « *Trouver*, & *treuver*, sont tous deux bons, mais *trouver* avec, *o*, est sans comparaison meilleur, que *treuver* avec *e*. Nos Poëtes neantmoins se servent de l'un & de l'autre à la fin des vers pour la commodité de la rime » (Vaugelas, *Remarques*, p. 133-134). [243] *Bijares* : Vaugelas dit que « bigearre » et « bizarre » sont « tous deux … bons » (*Remarques*, p. 330). [244] *Vostre sang* : signifie dans ce vers « vostre fille », comme le montre cet exemple de Furetière « Il ne veut pas avoir pitié de son *sang*, de son fils ». [245] *Briser*, en emploi absolu, signifie « Rompre un discours commencé. (…) *Brisons là dessus.* C'est-à-dire, ne continuons pas davantage notre discours. » (Richelet). [246] *A la charge* : « A condition » (Furetière). [247] L'édition originale donne *d'un invisible chaisne*. Cependant aucun des trois dictionnaires du XVII*e* siècle (Furetière, Richelet, Académie de 1694) ni aucune des grammaires que nous avons consultées (voir bibliographie) n'indique que *chaisne* fait partie des mots dont le genre a changé. [248] *Colle* : « signifie, parmi le peuple, une bourde, une menterie. Ce laquais luy a fiché la *colle*, pour dire, luy a dit une deffaite, une chose fausse » (Furetière). [249] « **Vers** avait, comme dans l'ancienne langue, l'acception de *envers* ; cet emploi se rencontre encore après le XVII*e* siècle. Ex. : *Et les Maures défaits… Ne sont point des exploits qui laissent à ton roi Le moyen ni l'espoir de* **s'acquitter vers** *toi*. (Corn., *Cid*, IV, 3, 1220) » (Haase, § 127, B, p. 349). [250] « On dit aussi qu'on a joué un mauvais *parti* à quelqu'un, lors qu'on l'a attrapé, qu'on luy a fait quelque vilain tour » (Furetière). [251] Sur le genre du mot amour au XVII*e* siècle, voir *supra* la note du v. 78. [252] *Pistolles* : voir *supra* la note du v. 242. [253] « On dit proverbialement, Se jetter sur la *fripperie* de quelqu'un, pour dire, le battre, le tirailler, luy deschirer ses habits » (Furetière). [254] Jeu de mot, le mot *piéce* désignant, au XVII*e* siècle, aussi bien les pièces de théâtre que les tours joués à quelqu'un : « On dit aussi, Joüer *piece* à quelqu'un, luy faire *piece*, pour dire, luy faire quelque supercherie, quelque affront, luy causer quelque dommage ou raillerie » (Furetière). [255] *Galanterie* : « maniere civile & agréable de dire, ou de faire les choses » (Richelet). Dans son lexique, Gaston Cayrou donne également à ce mot le sens de « divertissement ». [256] *Piéce* : voir *supra* la note du v. 1394. [257] *Affaire* : « Ce mot est tousjours feminin à la Cour & dans les bons Autheurs, je ne dis pas seulement modernes, mais anciens, Amyot mesme ne l'ayant jamais fait que feminin. … Il est certain qu'au Palais on l'a tousjours fait masculin jusqu'icy ; mais les jeunes Advocats commencent maintenant à le faire feminin » (Vaugelas, *Remarques*, p. 246-247). [258] *Pacquet* : « se dit aussi de certaines accusations dont on charge quelqu'un » (Furetière). [259] Au XVII*e* siècle, on pouvait remarquer un jeu de mot dans ce vers puisque *caprice* « se disait aussi des pieces de Poësie, de Musique, & de Peinture, qui reüssissent plûtost par la force du genie, que par l'observation des regles de l'art, & qui n'ont aucun nom certain » (Furetière). [260] *Estocader* : « Ce mot au figuré est burlesque. Il signifie *demander*. Importuner à force de demander quelquechose » (Richelet). La définition du mot *estocade* apporte des précisions sur la nature de cette demande : « Demande qu'on fait à quelqu'un pour en obtenir quelque argent » (Richelet). [261] « À PLAT, TOUT À PLAT. adv. Absolument, nettement. Je luy ai dit *tout à plat* & à son nez qu'il avoit tort » (Furetière). [262] *Gueule* : voir *supra* la note du v. 422. [263] Au XVII*e* siècle, *dans* a parfois l'acception de *dès* (voir Haase, § 126, 3°, C, p. 348). [264] *Avisez-vous* : « s'Adviser. … s'Imaginer, concevoir, inventer un moyen pour quelque fin. … *il n'y a sottise, il n'y a malice dont il ne s'advise. il s'advisa d'un bon expedient* » (Académie). « *S'aviser*, … Penser, songer, se mettre une chose dans l'esprit. S'aviser d'un stratagême. *Vau. Quin. l.4*. On ne s'avise plus de se tuër soi-même. *Mol. Geo.* » (Richelet). [265] Sur les emprunts de Brosse à Corneille, cf. introduction p. XIII à XV. [266] *Die* : voir *supra* la note du v. 638. [267] Les mots *poësie* et *poëme* (voir v. 1492) pouvaient désigner des pièces de théâtre au XVII*e* siècle. [268] Au XVII*e* siècle, le Palais était aussi un lieu de commerce, où l'on pouvait notamment trouver des libraires. [269] Il s'agit du théâtre du Marais où *La Suite du Menteur* fut jouée à plusieurs reprises. Voir n. 2 p. XIII de l'introduction. [270] *S'estourdir* : « Causer une émotion ou déreglement dans le cerveau ou dans les sens, qui les empesche de faire bien leurs fonctions. Le vin prit par excès *estourdit*, fait croire que tout tourne » (Furetière). Cléanthe l'emploie vraisemblablement dans le sens particulier donné par l'exemple de Furetière, c'est-à-dire avec la signification de « être ivre ». [271] *Cartier* (Quartier) : « signifie aussi le bon traitement qu'on promet à des trouppes qui se rendent, qui mettent les armes bas. … Les ennemis ont demandé *quartier*. On n'a point voulu donner de *quartier* à ces rebelles, on a tout passé au fil de l'épée » (Furetière). [272] *Un mensonge … coloré* : « Colorer … signifie figur. Donner une belle apparence à quelque chose de mauvais. … *colorer un mensonge* » (Académie). [273] Sur le genre du mot *intrigue*, voir *supra* la note du v. 484. [274] *Organe* : « se dit figur. … De ceux par l'entremise & par le moyen desquels on fait quelque chose » (Académie). [275] Sur le genre du mot amour au XVII*e* siècle, voir *supra* la note du v. 78. [276] *Autant vaut* : On dit « Cela est fait, autant *vaut*, pour dire, qu'une chose est presque achevée » (Furetière). [277] Employé au pluriel, le mot *respects* a le sens de « témoignages, marques de déférence ». [278] *Die* : voir *supra* la note du v. 638. [279] C'est peut-être une forme archaïque du participe passé de retenir. En ancien français, certains verbes pouvaient avoir plusieurs participes passés. [280] *Maraut* : « Terme injurieux qui se dit des gueux , des coquins qui n'ont ni bien ni honneur, qui sont capables de faire toutes sortes de laschetez » (Furetière). [281] Sur le genre du mot amour au XVII*e* siècle, voir *supra* la note du v. 78. [282] *Estrange* : Richelet donne à ce mot le sens de « Surprenant, grand, extraordinaire, fâcheux », mais aussi celui d'« Impertinent ». Les deux acceptions sont possibles au v. 1619. [283] *Me change* : « m'abandonne pour un autre ». Au XVII*e* siècle, le verbe *changer*, comme le nom *change*, « se dit aussi en Morale », et s'emploie volontiers dans le domaine amoureux pour qualifier l'inconstance : « Ce volage *change* de maîtresses comme de chemises » (Furetière). [284] *Impie* : Au XVII*e* siècle, l'impiété « se dit aussi du manque de respect & du devoir envers ses pere & mere » (Furetière). [285] *Decevoir* : Furetière donne exclusivement le sens de « Tromper adroitement ». [286] *Galantes* : « se dit aussi, Des choses. *Il a l'air galant, la façon galante, l'esprit galant, les manieres galantes*, pour dire, Agreables, polies, &c. » (Académie) ; « Eveillé, beau, agréable, enjoüé, charmant » (Richelet). [287] « Le conditionnel présent n'était pas rare autrefois dans les propositions conditionnelles subordonnées commençant par *si*, et persista jusque dans le XVII*e* siècle » (Haase, § 66, C, p. 160). [288] « En *commun* proverbe, c'est à dire, selon que parle le peuple, une façon commune et ordinaire de parler » (Furetière). [289] Sur le genre du mot amour au XVII*e* siècle, voir *supra* la note du v. 78. [290] Jeu de mot sur le double sens du verbe *jouer* (voir lexique). [291] *Payer ma façon* : « Façon, signifie aussi, le salaire de l'artisan qui a fait l'ouvrage. J'ay payé tant pour la *façon* de mon habit » (Furetière). [292] *Essayer à* : voir *supra* la note du v. 924. [293] Au XVII*e* siècle, « *aucun*, pronom substantif sans antécédent, s'emploie dans le sens de *personne* dans une proposition négative. Cf. *Que chacun se retire et qu'***aucun** *n'entre ici.* (Corn., *Cinna*, II, 1, 355.) – *Deux jours s'étoient passés sans qu'***aucun** *vînt au puits.* (La Font., *Fables*, XI, 6, 25.) » (Haase, § 50, B, Rem. II, p. 107).