--- identifier: corneillet_antiochus creator: Corneille, Thomas ; Georges Forestier. date: 1666 title: Antiochus. Tragi-comédie --- ANTIOCHUS TRAGI-COMÉDIE Par T. Corneille A Rouen, Et se vend A PARIS, Chez LOUIS BILLAINE, au Palais au second Pilier de la grand' Salle, à la Palme, & au grand Cesar M. DC. LXVI. AVEC PRIVILEGE DU ROI. Édition critique établie par Khanam Ramzan dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2000) # Introduction. Au cours du XVII*e* siècle, le théâtre français connaît des transformations considérables. Si la tragédie et la comédie constituent aux yeux de la postérité les deux genres par excellence du théâtre classique, un nouveau genre, la tragi-comédie, a fortement marqué cette période. Les dramaturges tels Hardy, Rotrou, Du Ryer, de Scudéry, Boisrobert, Quinault ou Thomas Corneille pratiquèrent longtemps ce genre. D'origine italienne, la tragi-comédie fait son apparition en France dans la seconde moitié du XVIe siècle. Destinée à un public populaire, elle se caractérise dans la première moitié du siècle par son aspect irrégulier : les coups de théâtres, les déguisements, la diversité des lieux sont très fréquents sur scène. La tragi-comédie est à son apogée dans les années 1630-1640 ; elle connaît un succès bien supérieur à la tragédie et à la comédie. Théâtre de l'action, les représentations très animées avec des combats, des duels et des affrontements réjouissent les spectateurs de l'époque. Mais à partir des années 1660, la tragi-comédie se décline petit à petit pour disparaître complètement vers 1670 et laisser place à un nouveau genre, la tragédie héroïque. *Ptolomée* de Charenton et *Faramond* de Lapoujade en 1672 sont ainsi les deux dernières tragi-comédies du siècle. Après *Antiochus*, en 1666, aucune tragi-comédie ne sera jouée à l'hôtel de Bourgognes. La tragédie et la comédie sont très prisées du public : cette même année, Racine écrit *Alexandre le Grand*, Corneille *Agésilas* et Molière le *Misanthrope* et *Le médecin malgré lui.* La tragi-comédie a connu une importante évolution tout au long du siècle : les pièces de Hardy et de Rotrou sont bien différentes de celles de Quinault et de Thomas Corneille. Avec l'établissement des bienséances et de la règle des trois unités à partir des années 1640, le genre caractérisé jusqu'à présent par son aspect irrégulier connaît un renouvellement total. Destinées à un public plus raffiné, les pièces doivent respecter les valeurs morales des spectateurs. Les scènes violentes et obscènes si fréquentes dans la première moitié du siècle tendent à disparaître. La tragi-comédie devenue régulière, présente des similitudes de plus en plus importantes avec la tragédie. Certes, les coups de théâtre et les péripéties sont toujours présents sur scène mais les dramaturges insistent davantage sur les sentiments des héros ainsi que sur leurs traits psychologiques. Les déguisements des personnages sont remplacés par les déguisements des sentiments. « La tragi-comédie nous met devant les yeux de nobles aventures entre d'illustres personnes menacées de quelque grande infortune, qui se trouve suivie d'un heureux evenement » définit Chappuzeau en 1674. Ainsi, parfois seul le dénouement heureux à la fin de la pièce permet de distinguer une tragi-comédie de la tragédie. Dans sa thèse consacrée à l'œuvre de Thomas Corneille, Gustave Reynier répertorie les pièces du dramaturge et les classe selon différentes catégories. Or *Antiochus*, tragi-comédie régulière est classée avec les tragédies et fait l'objet d'une même étude. Cette confusion montre à quel point ce genre a connu des variations tout au long du siècle. # Chapitre premier : présentation. ## Repères biographiques. La biographie de Thomas Corneille est étroitement liée à celle de son illustre frère, Pierre Corneille. Mais si ce dernier est, de l'avis général, « le Père du théâtre français », son frère dont le nom n'a pas été retenu par la postérité, est pourtant avec *Timocrate* l'auteur du plus grand succès du XVII*e* siècle. Thomas Corneille est né le 20 août 1625 à Rouen, rue de la Pie. Il est issu d'une famille de la petite bourgeoisie de robe : son grand-père était commis au greffe du parlement de Rouen. Son père, à sa naissance est maître particulier des eaux et forêts, dans la vicomté de Rouen. Marthe le Pesant, sa mère, est la fille d'un avocat. Thomas est âgé de cinq ans lorsque son frère, Pierre Corneille, fait jouer sa première comédie, *Mélite*, en 1630, par la troupe des comédiens du prince d'Orange de passage à Rouen. Son goût pour le théâtre se manifeste très tôt : il écrit déjà des pièces pour son école et participe même à un concours où il remporte le prix du miroir d'argent. Le 27 janvier 1637, à la suite du succès immense que rencontre Pierre Corneille au théâtre, notamment avec *Le Cid*, leur père est anobli. À sa mort, en 1639, Pierre Corneille devient le tuteur de son frère, alors mineur. Il se charge de compléter son éducation et décide de lui apprendre l'espagnol, la langue de Caldéron, qui lui sera fort utile pour la suite. Thomas Corneille fait des études de droit à l'université de Caen pour être avocat, mais à peine a-t-il passé sa licence qu'il se lance dans le monde du théâtre. Il fait représenter en 1647 [1] à l'Hôtel de Bourgogne sa première comédie, *Les Engagements du hasard*, traduction libre d'une pièce de Caldéron. La pièce reçoit un accueil très favorable du public. Pierre Corneille qui est alors très célèbre dans les sociétés mondaines présente son frère à l'Hôtel de Rambouillet. L'année suivante, Thomas Corneille fait jouer une seconde comédie, *Le Feint Astrologue* [2], qui a autant de succès. Le jeune dramaturge, alors âgé de 25 ans se marie et épouse en 1650, Marguerite de Lampérière, qui n'est autre que la sœur de Marie de Lampérière, épouse de Pierre Corneille ; les deux ménages vivent dans deux maisons contiguës. Cette même année, le dramaturge présente *Don Bertrand de Cigarral*, comédie imitée de l'espagnol Franscisco de Rojas. En concurrence avec Scarron et Boisrobert, il écrit ainsi une série de comédies qui auront presque toutes autant de succès. Nous pouvons citer *Le Geôlier de soi-même*, représenté en 1655 et souvent appelé Jodelet Prince car le rôle y était tenu par le célèbre acteur comique ou encore *Le Baron d'Albikrac*, en 1668. Après l'échec de sa *Pertharite* en 1651, Pierre Corneille renonce au théâtre et ne fait jouer aucune pièce nouvelle pendant sept ans. Thomas Corneille qui n'a alors écrit que des comédies va faire représenter sa première tragédie ou plutôt tragi-comédie, *Timocrate* en 1656. L'intrigue compliquée que présente la pièce a ravi tout Paris : le Roi et la Cour se déplacent au Marais au lieu d'attendre que la troupe viennent la représenter. Jouée 80 fois consécutivement, *Timocrate* est le plus grand succès du siècle. Le dramaturge jouit à présent d'une excellente réputation. En 1662, les deux frères quittent Rouen pour venir s'installer à Paris. Ils sont logés pendant deux ans par le Duc de Guise à qui Thomas Corneille avait dédié *Timocrate*. A la mort de ce dernier, les deux ménages vont habiter la rue des Deux-Portes. En plus des bénéfices tirés de ses pièces, Thomas Corneille reçoit une gratification de 1000 livres de la part du Roi de 1664 à 1666, tandis que son frère en reçoit 2000. Certaines de ses tragédies, comme *Camma* en 1661 et *Ariane* en 1672 eurent un grand succès. La première attira tant de spectateurs qu'il fallu jouer un jour supplémentaire dans la semaine, le jeudi, en plus du dimanche, mardi et vendredi. En 1675, avec la collaboration de Donneau de Visé, il met en scène deux pièces à grand spectacle, *Circé* et *L'Inconnu*, très applaudies du public : le Roi et la cour se déplacent une nouvelle fois pour la représentation de *Circé.* En 1679, *La Devineresse* est jouée plusieurs mois d'affilée : les spectateurs apprécient les « effets spéciaux » utilisés. À partir de 1681, parallèlement à sa carrière de dramaturge, Thomas Corneille est également journaliste au Mercure Galant, dont il est co-propriétaire et co-directeur avec son ami De Visé. Tous deux racontent dans le journal mondain les nouvelles de la Cour et de Paris. Cette même année, les deux frères se séparent. Pierre Corneille va s'installer rue d'Argenteuil, son frère, juste à coté, rue du Clos-Georgest. Mais la bonne entente qui avait uni les deux ménages pendant si longtemps prend fin le premier octobre 1684, avec la mort du « grand Corneille ». Le 2 janvier 1685, Thomas Corneille est reçu par Racine à l'Académie française pour occuper le fauteuil de son frère. Tous deux font dans leurs discours l'éloge du grand dramaturge. En 1687, Perrault, à la suite de la lecture de son poème « le siècle de Louis Le Grand », déclenche la fameuse querelle des anciens et modernes. Thomas Corneille participe à cette querelle en prenant le parti de Perrault et s'opposant ainsi à Racine et Boileau, partisans des Anciens. L'un des chefs de fil des modernes n'est autre que Fontenelle, le neveu du dramaturge. Thomas Corneille qui fréquente à présent de moins en moins les salons et les sociétés mondaines va renoncer presque complètement au théâtre pour se consacrer aux questions du langage. Ainsi, il publie en 1687 *Notes sur les remarques de Vaugelas*. L'auteur de *Timocrate* devient à présent un véritable érudit, à l'aide de quelques savants et artistes il écrit le *Dictionnaire des termes d'art et de Science* qui est censé concurrencer le *Dictionnaire* de Furetière, alors exclut de l'Académie française. Quelques années après, Thomas publie une édition critique des *Remarques de Vaugelas*. La même année, il achève de publier *Métamorphoses* et *Pièces choisies* d'Ovide, traduites en vers français et dédiés au Dauphin. En 1701, il fait partie de l'Académie des inscriptions. En 1709, devenu aveugle, le courageux érudit publie son dernier ouvrage, le *Dictionnaire universel géographique et historique*. Epuisé par tant d'années de travaux, il s'éteint le 8 décembre 1709. ## Création et accueil de la pièce. Antiochus, dédié au Duc de Guise est joué pour la première fois le 9 janvier 1666, chez le Duc de Créqui en l'honneur du mariage du Marquis de Roure. La pièce ensuite représentée à l'Hôtel de Bourgogne le 25 mai connaît un succès considérable. Pour en témoigner, nous pouvons citer la lettre en vers de Robinet, datant du 29 mai c'est-à-dire quelques jours après la première représentation. L'auteur fait l'éloge de la pièce et en profite aussi pour présenter le sujet ainsi que les comédiens : Je vis Mardi l'*Antiochus*, Et je veux que comme à Malchus, Quelque Pierre m'ôte une oreille, Si ce n'est pas une merveille. C'est un chef-d'œuvre assurément, Où tout se trouve également. Et depuis que dessus la Scene, Je vais voir de diverse veine, Et qu'elle a produit de nouveau, Je n'ai rien vû qui fut plus beau. Au reste, la Troupe Royale, Dans cette belle Piéce étale, Toute sa pompe, et tout son art ; Et toute flatterie à part, Chacun y soutient à merveille, La gloire du jeune Corneille, Oui ; *Floridor*, d'Antiochus, Et *Monfleury* de Séleucus, Expriment si bien les tendresses, Que les ames les plus tigresses, Voudroient prendre part aux soucis, Tant du père comme du fils, La Des- Œillets, sur ma parole, D'Arsinoé fait bien le rôle, Dedans l'intrigue du portrait, Qui certes, me plaît tout-à-fait, D'autre part aussi, Hauteroche, Pourroit toucher un cœur de roche, Quand de Tigrane son amant, Il représente le tourment ! Pour d'Ennebaut la jeune Actrice, Dans le rôle de Stratonice, Qui veut épouser Séleucus, Et que son fils Antiochus, Aime d'un amour qui l'embrase, Elle vous réduit à l'extase, Par ses appas, et ses discours : Et sçait dans de feintes amours En inspirer de véritables, Par ses charmes de plus aimables, Enfin pour ne rien oublier, De ce que je dois publier, *Poisson* et *Brécourt* confidentes, Font des mieux, et sont très-brillantes. [3] ## Plan de la pièce. ### ACTE I. Scène 1 : A l'occasion de son mariage avec Stratonice, Séleucus, roi de Syrie, offre à son fils Antiochus une partie de son royaume, la Phénicie. Par ce geste de générosité, il espère guérir le prince qui se meurt d'un mal mystérieux. Mais dans cette scène d'exposition, Antiochus qui s'entretient avec Tigrane son favori, refuse l'offre de son père. Tigrane qui évoque avec beaucoup d'enthousiasme les préparatifs du mariage du roi, prévu dans la soirée, s'étonne de voir le prince si triste et réservé. Celui-ci qui désire s'éloigner quelque temps de la cour demande à Tigrane d'aller voir son père et lui demander la permission de partir. Scène 2 : Dans un long monologue, le prince exprime toute sa douleur : partagé entre deux sentiments, l'amour pour Stratonice et le respect envers son père, Antiochus préfère mourir plutôt que de dévoiler son secret à quelqu'un. Cette tristesse est d'autant plus forte que le prince vient de perdre le portrait de la princesse qu'il admirait en cachette à l'écart de tous. Scène 3 : Stratonice vient voir Antiochus pour l'informer de l'inquiétude du roi à son sujet. Elle pense que le chagrin du prince vient du fait qu'il se sent écarté du trône. Celui-ci indigné par de tels propos jure du contraire. Scène 4 : Phénice, la confidente de Stratonice fait remarquer à sa maîtresse la confusion du prince en sa présence. La princesse après quelques hésitations finit par lui avouer son amour pour Antiochus. Elle évoque sa première rencontre avec ce dernier dans la cour de son père Démétrius. Elle jure cependant de respecter sa parole et d'honorer Séleucus. Scène 5 : Séleucus vient voir Stratonice pour lui informer des préparatifs du mariage qui doit bientôt les unir tous les deux. Il est cependant préoccupé par l'état de santé de son fils qui semble s'affaiblir de plus en plus. Aussi demande-t-il à sa fiancée d'aller voir le prince pour connaître les maux de son chagrin. ### ACTE II. Scène 1 : Arsinoé, la nièce du roi, vient de trouver la boîte contenant le portrait de Stratonice oubliée par Antiochus dans le jardin. Elle confie à Barsine, sa confidente, ses soupçons à l'égard du prince. Pour connaître la vérité elle décide de le tester en plaçant sous ses yeux la fameuse boîte. Avant son arrivée la princesse remplace le portrait de Stratonice par le sien. Scène 2 : Comme Arsinoé l'avait supposée, le prince à la vue de la boîte est tout confus et troublé. Il prie sa cousine de lui remettre le précieux objet. Celle-ci convaincue de son amour pour Stratonice lui rend son trésor. Scène 3 : Stratonice vient de nouveau voir le prince pour connaître les raisons de son départ, elle le prie de se confier à elle et de lui faire-part de ses soucis. Le prince après un long moment d'embarras finit enfin par lui avouer son secret : sans citer son nom, il lui remet la boîte qu'il vient de recevoir d'Arsinoé, en témoignage de son amour pour la princesse. Celle-ci persuadée de découvrir son portrait est fortement surprise et déçue en ouvrant la boite. Troublée, elle quitte le prince en emportant avec elle le portrait d'Arsinoé. Antiochus, lui, ignore cette confusion. Scène 4 : Tigrane à son tour veut empêcher Antiochus de partir, mais en vain. Tous deux vont voir le roi. ### ACTE III. Scène 1 : Séleucus qui ne comprend pas la décision de son fils souhaite avoir des explications. Celui-ci refuse de se confier et le prie de le laisser partir. Scène 2 : Le roi demande à Stratonice les raisons de ce départ. Celle-ci en guise d'explications lui remet le portrait qu'elle vient à l'instant de recevoir des mains d'Antiochus : le prince est malheureux car il est amoureux de la princesse Arsinoé. Séleucus qui croit enfin découvrir le secret de son fils en est tout heureux. Scène 3 : Tigrane dont le mariage était prévu avec Arsinoé est ébranlé par cette nouvelle. D'autant plus que le roi lui somme de céder Arsinoé à son fils. Antiochus qui vient de découvrir son erreur est désemparé. Scène 4 : Persuadé que le prince est amoureux d'Arsinoé. Tigrane, sur un ton pathétique, reproche à Antiochus de ne pas avoir respecté son amitié d'autant plus que le prince connaissait l'amour de son confident pour Arsinoé. Antiochus essaie de le persuader du contraire mais en vain. Celui-ci, par désespoir, veut se suicider Scène 5 : Arsinoé, qui ne comprend pas pourquoi le roi veut la marier à Antiochus, vient le voir pour éclairer la situation. Le prince finit enfin par évoquer l'échange du portrait, responsable de tous ces malentendus. Scène 6 : Tigrane qui ignore tout de la vérité se désespère. Arsinoé fidèle à son amour rassure le malheureux amant et lui promet de tout arranger. ### ACTE IV. Scène 1 : Stratonice, convaincue que son amour n'est pas partagé par Antiochus, exprime sa tristesse dans des stances. Scène 2 : Sa confidente vient lui apprendre qu'Arsinoé, fidèle à Tigrane, refuse d'épouser Antiochus. Stratonice envie la jeune princesse et admire son caractère. Scène 3 : Tigrane vient voir Stratonice pour lui faire-part de son désarroi : le roi pour obliger Arsinoé d'épouser son fils demande à Tigrane de renoncer publiquement à la princesse. Il prie Stratonice de réagir en sa faveur. Scène 4 : Antiochus seul face à Stratonice lui déclare enfin son amour. Celle-ci, si elle feint au début d'être choquée par de tels propos, finit par avouer à son tour sa passion au prince. Elle lui rappelle cependant que sa main est destinée à son père à qui elle a donné sa parole. Scène 5 : Antiochus dévoile aussi son secret à Arsinoé et lui reproche d'avoir substitué le portrait. ### ACTE V. Scène 1 : Le roi fait venir sa nièce une dernière fois pour la persuader de renoncer à Tigrane et d'épouser son fils. Après l'avoir longuement écoutée, la princesse lui apprend enfin la vérité : La femme pour qui se meurt son fils n'est autre Stratonice. Scène 2 : Dans un monologue douloureux, le roi, bouleversé par cette nouvelle, ne sait que penser : partagé entre son amour pour Stratonice et son affection pour son fils dont il admire la vertu et le respect, le roi doit faire un choix douloureux. Finalement, sa tendresse pour son fils l'emporte. Scène 3 : Le roi qui doute encore des propos d'Arsinoé préfère s'en assurer lui-même et interroge son fils sur les sentiments qu'il éprouve pour Stratonice. Celui-ci nie toute passion pour la princesse. Scène 4 : le roi apprend à Stratonice qu'elle est aimée d'Antiochus. Celui-ci pour prouver le contraire est prêt à épouser Arsinoé. Scène 5 : Le roi ému par tant d'estime de la part de son fils le félicite. Il lui cède Stratonice et le fait couronner roi de Syrie. # Chapitre II : une œuvre méconnue. ## Des sources à la pièce. ### Les sources. Thomas Corneille a tiré le sujet de sa pièce de l'histoire ancienne. Il cite dans sa préface trois auteurs anciens : Plutarque [4], Valère Maxime [5], et Appien [6]. Tous trois racontent dans leurs œuvres l'histoire d'Antiochus, amoureux de sa belle-mère, Stratonice. Séleceus, roi des hautes provinces d'Asie, a épousé la jeune et belle Stratonice, fille de Démétrius, roi de Macédoine. Mais le prince Antiochus, fils de Séleucus tombe amoureux de la reine. Par respect et honneur pour son père, il dissimule sa passion coupable et en tombe malade. Il reste ainsi étendu sur son lit et se laisse mourir «  en s'abstenant de boire et de manger, et ne faisant compte de chercher remède à son mal, feignant avoir quelque maladie intérieure et secrète dans le corps [7] ». Le roi, inquiet de voir son fils dépérir ainsi, fait appel à son médecin personnel,  Erasistrate. Celui-ci ayant remarqué qu'Antiochus ne souffrait d'aucune maladie physique, finit par conclure que son état s'expliquait par un amour refoulé. Aussi, pour savoir de qui Antiochus est amoureux, le médecin se montre très habile : il prend discrètement son bras et chaque fois qu'une personne entre dans la pièce, il vérifie son pouls. Or à l'arrivée de Stratonice le médecin remarque un vif changement, « à savoir que la parole et la voix lui faillait, le visage lui devenait rouge et enflammé, qu'il lui jetait à tous des œillades et puis lui prenait une sueur soudaine, son pouls se hantait et se haussait [8]… » Erasistrate découvre ainsi la vérité. Avec beaucoup de finesse, il en informe le roi. Celui-ci, qui a beaucoup d'affection pour son fils, décide aussitôt de divorcer de Stratonice et de la marier à son fils. Il lui cède aussi sa couronne et le fait proclamer roi de Syrie. L'habileté et la finesse du médecin Erasistrate ont rendu cette fable très célèbre. Mais les trois historiens, en particulier Valère-Maxime, insistent surtout sur l'indulgence et l'affection de Séleucus pour son fils, Antiochus. Le père, qui fait preuve de beaucoup de générosité, se sacrifie pour le bonheur de son fils. Comme la plupart des dramaturges de son époque, Thomas Corneille apporte certaines modifications aux données historiques, qui s'expliquent tant par le respect les règles de bienséances que les besoins de la structure dramatique. ### Les influences. L'histoire d'Antiochus est très célèbre à l'époque classique. De nombreux dramaturges ont traité ce sujet jusqu'au XIX*e* siècle sous forme de tragi-comédie, comédie [9], comédie héroïque [10] ou encore ballet [11] et opéra-comique [12]. Pour notre étude nous nous intéresserons uniquement aux pièces écrites avant 1666, c'est-à-dire antérieures à *Antiochus.* Nous essayerons de voir à travers un travail de comparaison, les influences que ces dernières ont pû jouer dans la structure dramatique de la pièce. Au XVII*e* siècle, c'est Gillet de la Tessonnerie qui s'intéresse le premier à cette fable en publiant en 1642, *Le Triomphe des cinq passions*. Il consacre l'acte III de sa pièce à la passion d'Antiochus pour Stratonice. Le dramaturge, qui reste fidèle à l'Histoire en attribuant aux personnages les mêmes fonctions et caractères modifie cependant la fin : à un dénouement originellement heureux, il substitue une fin tragique. Ainsi, lorsque le médecin Erasistrate découvre la vérité, Antiochus, par sentiment de culpabilité se suicide : Je succombe, et perdant la lumière du jour, Je meurs du seul regret d'avoir eu de l'amour Car comment veoir mon père après un si grand crime, Et comment appaiser le courroux qui l'anime… [13] Rappelons que Gillet de la Tessonnerie blâme dans sa pièce les passions humaines. Au nombre de cinq, l'honneur, l'ambition, la jalousie, la haine et l'amour, le dramaturge les étudie une par une et en montre les conséquences néfastes. Aussi, par souci moral, Gillet de la Tessonnerie modifie la fin en remplaçant le mariage arrangé par un suicide. En 1644, Brosse reprend le même sujet dans *La Stratonice ou le Malade d'Amour.* Mais, contrairement à son prédécesseur, qui consacrait un acte assez court à l'histoire d'Antiochus, il offre une pièce en cinq actes fort réussie. Il est le premier a apporté beaucoup de nouveauté aux données historiques. Tout d'abord, en faisant partager par Stratonice les sentiments amoureux qu'éprouve Antiochus. Celle-ci avoue ainsi à sa confidente, tout comme la Stratonice de Thomas Corneille, son amour pour le prince : Tu peux avoir raison t'offencer de ma flame, Mais respecte celuy qui l'allume en mon ame Ne me condamne pas, ou condamne les Dieux, Et la nature aussi qui m'ont donné des yeux ; [14] Le dramaturge renouvelle le sujet en ajoutant le personnage de Thamire, fille de Meesappe, roi de Theffalie. Le mariage de cette princesse est prévu avec Antiochus, mais ce dernier amoureux de Stratonice tombe malade et perd la raison. Dans sa folie, feinte ou réelle, nous ne pouvons le savoir, le prince répète sans cesse le nom de Thamire, ce qui laisse croire à tous que le prince se meurt d'amour pour elle. Stratonice qui pensait que le prince partageait son amour en est fortement déçue. Elle en informe Thamire : Quand le Roi vostre père envoya par écrit L'hymen que l'on receut aux charges qu'il offrit ; Vous savez qu' Idam on apporta votre image Afin qu'on vous connut au moins sous un ombrage ; Bien que l'on ne vous vit en ce petit tableau, Que comme le Soleil lors qu'on le voit dans l'eau ; Vous ne laissates pas d'inspirer de la flamme, Dans le cœur d'Antiochus et de charmer son ame, Mais avecques tant d'heur, que ce portrait fatal, Le força doucement d'aymer l'original, Depuis qu'il s'est montré triste, pensif, farouche [15]… Le personnage de Thamire ressemble étrangement à celui d'Arsinöé. Nous retrouvons en effet dans ce passage, le thème du portrait qui fera croire à tous qu'Antiochus est amoureux d'elle. Le jeu de quiproquos provoqué par la substitution de portrait chez Thomas Corneille rappelle un autre passage de Brosse : Stratonice et Thamire, après s'être regardées dans un miroir pour savoir qui des deux est la plus belle pour mériter l'amour d'Antiochus, vont voir ce dernier et lui demandent de choisir. Celui-ci après une longue hésitation se retourne vers Stratonice et dit : « Thamire, c'est son nom » [16]. Stratonice très surprise répond alors : Reconnoissez par là donc, je ne suis pas Thamire, Decouvrez-luy vos feux, au lieu de me les dire, C'est elle, et non pas moy, qui vous les a causez. Dans la pièce de Thomas Corneille, le prince fait la même confusion ; en croyant donner à Stratonice son portrait par preuve d'amour, il lui tend sans le savoir le portrait d'Arsinöé. Le dramaturge qui a écrit sa tragi-comédie 22 ans après, avait assurément lu la pièce de Brosse. En 1657, Du Fayot reprend le sujet avec *La Nouvelle Stratonice*. Le dramaturge revient en partie à la donnée primitive : Stratonice est la femme de Séleucus et non plus sa fiancée, contrairement à la pièce de Brosse. Amoureuse elle aussi du prince, elle fait preuve cependant de beaucoup plus de réserve. Elle suit en effet les sages conseils de sa confidente Licofronne qui l'avertit ainsi : Aimez donc Antioque, aimez-le en belle-mère Mais en aimant le fils, n'offensez pas le Pere. [17] Du Fayot reprend aussi le personnage du médecin, qui a pour nom Litrate. Ce dernier utilise le même stratagème au dernier acte pour apprendre la douloureuse vérité au roi. Quant au personnage d'Antiochus (Antioque) il joue un rôle aussi tragique que le héros de Thomas Corneille. A la scène II de l'acte II, après un long monologue douloureux, Antiochus, pour mettre fin à sa souffrance sort un poignard et décide de se suicider. Son confident, Terpandre, arrive à temps et l'en empêche. Antiochus lui confie alors pour la première fois son secret. Ce dernier lui propose de s'éloigner quelque temps de la cour et lui conseille ainsi de passer trois mois à Laodice. Thomas Corneille reprendra dans sa pièce le thème de l'éloignement mais dans l'ordre inverse : c'est Antiochus qui prend la décision de quitter la cour, à la grande surprise de Tigrane qui ignore le véritable motif. L'originalité du dramaturge consiste à ajouter un épisode, basé sur un déguisement de personnage, avec un arrière fond politique. [18] Quinault s'inspire de cette nouveauté pour écrire deux ans plus tard *Stratonice.* Il ajoute le personnage de Barsine, femme ambitieuse qui veut gagner l'amour de Seleucus dans l'espoir d'être un jour reine. Le dramaturge renouvelle la fable en une véritable pièce romanesque. En effet, Il s'écarte complètement des textes anciens : Stratonice et Antiochus s'aiment réciproquement mais n'osent pas se l'avouer. La princesse, en présence du prince, feint de le haïr, celui-ci adopte le même comportement même si en secret, il se meurt d'amour pour elle. Quinault, auteur par excellence de la tragédie galante avec Thomas Corneille, utilise le thème de la feinte, alors très à la mode dans les tragi-comédies. Ce déguisement des sentiments domine toute la pièce. Mais si Antiochus se laisse mourir ainsi ce n'est pas seulement par respect pour son père comme c'est le cas chez Thomas Corneille, mais surtout parce qu'il se croit haït de Stratonice. Quinault s'écarte ainsi complètement de la version historique. « J'ai cru devoir abandonner le sujet de Stratonice qui me plaisait fort seulement à cause que M. Quinault était plus avancé de 200 vers que moi et je n'ai rien fait en ce rencontre que ce que je m'imagine qu'un autre ferait pour moi dans une pareille occasion », écrira Thomas Corneille dans une lettre datée du premier décembre 1659. Il ne reviendra sur ce sujet que sept ans plus tard. Mais si le dramaturge est le dernier à traiter ce sujet sous forme de tragi-comédie, il fait cependant preuve d'une grande invention. ### Les règles de bienséances. En intitulant sa tragi-comédie *Antiochus*, Thomas Corneille veut rester fidèle à l'Histoire. Il reprend les mêmes personnages historiques et confère à Antiochus et à Seleceus les fonctions et les caractères originels. Le dramaturge précise dans sa préface : « Je me suis particulièrement attaché à donner à Antiochus le caractère de ce profond respect qui l'empescha de recevoir personne dans sa confidence… » Mais si les deux personnages masculins conservent les mêmes traits, il n'en est pas de même pour le personnage de Stratonice, auquel le dramaturge a apporté certaines modifications. Les textes primitifs précisent que Stratonice est mariée à Seleceus et est déjà mère d'un enfant lorsque Antiochus tombe amoureux d'elle. Thomas Corneille est obligé, par respect des bienséances externes, de modifier ces donnés. « La scène ne donne point les choses comme elles ont été mais comme elles devaient être », précise d'Aubignac dans *la pratique du théâtre.* Thomas Corneille, en représentant l'amour incestueux de Stratonice et de Seleucus, risquerait fortement de scandaliser les spectateurs. C'est pourquoi, il décide de faire de Stratonice non la femme de Seleucus, mais sa fiancée. Dans la scène d'exposition, Antiochus évoque le mariage qui doit unir son père et la princesse : Je sçai que Seleucus adore Stratonice, Qu'il ne vit que pour elle, et que jamais l'Amour Ne prit tant d'interest aux pompes d'un grand jour ; [19] Avec l'établissement des règles de bienséances, les dramaturges doivent ainsi éviter de choquer les valeurs chrétiennes du public. Marmontel fait une distinction intéressante entre les convenances et les bienséances : « Les convenances, relatives aux personnages regardent les usages les mœurs du temps et du lieu d'action, les bienséances, relatives aux spectateurs, regardent l'opinion et les mœurs du pays et du siècle où l'action est représenté [20] ». Cet amour incestueux au sein de la triade père, fils et belle-mère est présente dans *Phèdre*, tragédie écrite en 1677 par Racine. Dans cette pièce dont le sujet est puisé chez Euripide et Sénèque, le dramaturge, conscient de la situation malséante que pouvait produire la représentation de l'amour incestueux de Phèdre pour son beau-fils Hippolyte, prend le soin de préciser certains éléments. Ainsi, Phèdre, amoureuse d'Hippolyte dès le premier jour, lui avoue sa passion une fois seulement qu'elle a appris la mort de son mari. Juste après s'être confié à Oenone, sa nourrice, elle apprend par Panope le décès de son mari. Un serviteur vient lui apprendre cette nouvelle : Je voudrais vous cacher une triste nouvelle Madame. Mais il faut que je vous la révèle La mort vous a ravi votre invincible époux [21] ; Phèdre se croyant veuve déclare alors sa passion à son beau-fils. Mais lorsque Thésée, son époux est de retour, celle-ci, prit de remords après un tel crime se suicide. Il est intéressant de remarquer que Racine est l'un des seuls dramaturges de son époque à ne pas avoir modifié la donnée primitive. En effet, dans les textes antérieurs à la pièce de Racine, Phèdre n'est pas mariée mais seulement fiancée à Thésée : Gilbert dans *Hypolite ou le Garçon insensible* en 1646 et Bidar dans *Hippolyte* en 1675 modifient les textes anciens par respect des bienséances. Pradon, grand concurrent de Racine en fera de même dans *Phèdre et Hippolyte*, pièce jouée deux jours après celle de Racine [22]. En traitant un sujet historique, les dramaturges, soucieux des valeurs morales du public doivent ainsi très souvent apporter des modifications aux données historiques. A noter toutefois que les bienséances tolèrent le suicide qui est pourtant rigoureusement interdit par l'Eglise. Considéré comme un acte de courage chez les Romains et les Grecs, le suicide est très souvent représenté sur scène au XVII*e* siècle. Selon l'Abbé Morvan de Bellegarde, « il ne faut jamais y répandre le sang de personne, mais on y peut verser le sien, quand on y est porté par un beau désespoir ; c'était une action consacrée chez les Romains [23] ». Dans notre pièce, il est évoqué à deux reprises : tout d'abord par le personnage d'Antiochus, qui est prêt à mourir par amour pour Stratonice,  et par Tigrane qui songe à se donner la mort par désespoir, à l'acte IV. ### Une tragi-comédie romanesque. Les romans de la Calprenède et surtout de Mlle de Scudéry, *Artamène, le Grand Cyrus* et *Clélie*, alors très en vogue, inspirent beaucoup de dramaturges qui n'hésitent pas à représenter sur scène les intrigues et les péripéties des héros des romans. Comme Quinault, auteur de sept tragi-comédies galantes, Thomas Corneille suit la mode de son époque et réserve dans son œuvre une place primordiale à l'amour, à la préciosité et au romanesque. #### Le romanesque de l'action. Thomas Corneille transforme une anecdote ancienne en une véritable pièce romanesque. Tout en respectant ses sources, le dramaturge ajoute des éléments nouveaux à l'histoire. Notons tout d'abord la suppression du fameux médecin Erasistrate et l'introduction de deux nouveaux personnages entièrement fictifs, Arsinoé et Tigrane. Thomas Corneille a sans doute suivi les conseils d'Aubignac qui déconseille le sujet d'Antiochus en raison des difficultés que représente la situation : « Et ce fut l'advis que je donnay a celuy qui vouloit travailler sur *les Amours de Stratonice et d'Antiochus* : car le seul incident considérable, est l'adresse du Médecin qui fit passer devant les yeux de ce Prince malade depuis longtemps, toutes les Dames de la Cour, afin de juger par l'émotion de son poulx celle qu'il aimoit et qui causoit sa maladie ; Et j'estime qu'il est très difficile de faire un Poëme dramatique, dont le héros soit toujours au lict, ny de représenter cette circonstance ; car si Antiochus est encore au lict le matin, il faudra bien travailler pour le faire agir dans le même jour. De mettre aussi la Scène dans la chambre d'un malade, ou devant sa porte, cela ne seroit guère raisonnable [24]… » Ainsi Thomas Corneille juge plus sage de supprimer le personnage d'Erasistrate. L'originalité du dramaturge consiste à remplacer ce personnage par celui d'Arsinoé, une jeune et belle princesse à qui il confère la même habileté. En effet, tout comme Erasistrate qui avait pris le bras du prince pour vérifier son pouls à l'arrivée de sa belle-mère, Arsinoé, pour connaître le secret du prince, place sous ses yeux la boîte contenant le portrait de Stratonice. Le prince est bien sûr tout ému et troublé à la vue de cet objet. Arsinoé procède de la même façon que le médecin pour dévoiler la vérité au roi : Erasistrate fait croire dans un premier temps au Roi que son fils est amoureux de sa propre femme. Ce dernier, heureux de découvrir la cause de la maladie de son fils prie le médecin de céder sa femme au prince mourant. Erasistrate lui demande alors s'il était capable de faire le même sacrifice, s'il s'agissait de sa femme, Stratonice. Ce dernier jure aussitôt que pour sauver son fils il céderait non seulement sa femme mais aussi son royaume. Arsinoé utilise la même ruse au dernier acte, lorsque le roi la somme d'épouser son fils : Stratonice vous charme, et vous sentez pour elle Tout ce qu'un rare Objet attend d'un cœur fidèle Dans cét excez d'amour, prest à la posseder, Si le Prince l'aimoit, la pourriez- vous ceder ? Je répons de me vaincre, asseurez-m'en l'exemple. [25] Enfin, c'est un personnage clef de l'action puisqu'elle sera à à l'origine de la substitution du portrait qui entraînera toute une série de quiproquos chez les personnages. #### Le romanesque des sentiments. Le dramaturge introduit un deuxième personnage fictif, Tigrane, qui est l'ami et le favori du prince Antiochus. Il se sert de ce nouveau personnage pour créer une intrigue secondaire. En effet, au couple Stratonice-Antiochus, vient s'ajouter le couple Arsinöé-Tigrane. La substitution du portrait entraîne des malentendus au sein de ces quatre personnages, ce qui rend l'intrigue encore plus complexe. Enfin, Thomas Corneille apporte des changements concernant le caractère de Stratonice. En effet, alors que les textes anciens ne nous informent de rien sur les sentiments de la Reine à l'égard du prince, le dramaturge décide de lui donner un rôle beaucoup plus romanesque, celui de la princesse amoureuse. Thomas Corneille prend ainsi certaines libertés avec l'Histoire pour construire l'action de la pièce. Nous pouvons remarquer qu'*Antiochus* présente quelques analogies avec les pièces antérieures. Certes, Thomas Corneille s'est inspiré de ses prédécesseurs pour composer sa tragi-comédie, cependant il faut noter que la pièce offre quelque originalité. En effet, le dramaturge, tout en respectant les données historiques propose à son public une pièce moderne à la mode de son époque. Cette nouveauté s'explique tout d'abord par le choix des personnages. Arsinoé qui joue le rôle du médecin Erasistrate apporte une certaine fraîcheur au texte : jeune, belle et rusé, c'est elle qui doit apprendre la triste vérité au roi. De plus, les quiproquos, provoqués par la substitution de portrait permettent au dramaturge d'insister sur les sentiments. L'intérêt porté à la psychologie des protagonistes explique ainsi la modernité de la pièce. Thomas Corneille, grâce à ses talents de dramaturge renouvelle ainsi un sujet légendaire. ## Thomas Corneille et son œuvre. ### Un auteur à la mode de son époque. La galanterie qui s'épanouit après 1650 envahit les salons et les sociétés mondaines. La « Carte de Tendre » de Mlle de Scudéry est célèbre dans tout Paris. Les précieuses sont si à la mode que Somaize leur consacre un dictionnaire. Les frères Parfaict remarquent que : «  La Cour de France est devenue le modele de la galanterie. Les poetes saisirent cette circonstance pour prendre une nouvelle route ; ils crurent devoir diminuer quelque chose de la severité de la Tragédie et pour en faire un spectacle plus riant aux yeux du public, ils rendirent l'amour le maitre dominant de la société. Ils prirent la plupart de leurs sujets de leurs Poèmees dramatiques dans les romans de Mlle de Scudéry et dans ceux de M. de la Calprenede qui étaient encore à la mode. » Thomas Corneille, auteur par excellence de la tragédie galante, jouit à son époque d'une grande réputation auprès des précieuses. Il a longtemps fréquenté les sociétés mondaines, en particulier le salon de Mme de Deshoulières. Avec Quinault, le dramaturge fait partie des poètes qui bénéficient du soutien et de l'estime des « belles dames ». Il a été ainsi le protégé de la comtesse de Noailles, de la comtesse de Fiesque et, de la duchesse de Montpensier, considérées comme de véritables précieuses. Il participe même, toujours avec Quinault, à une sorte de tournoi littéraire, organisé par la comtesse de Brégy où l'on doit répondre à cinq questions d'amour. La préciosité qui est une véritable culture sociale et mondaine a fortement marqué la littérature de l'époque. L'esthétique précieuse consiste avant tout à plaire, tant par les paroles que les gestes. Ainsi, on recherche avant tout un langage raffiné et délicat utilisé autant sur scène que dans les salons. *Antiochus* est une tragi-comédie qui respecte fidèlement les normes établies par le courant galant. Thomas Corneille reprend dans sa pièce le vocabulaire alors très à la mode des romans de la Calprenede et de Mme de Scudéry. Les termes d'honnêteté, de civilité et de respect reviennent souvent dans la bouche des personnages. Les expressions comme « feux, flammes, ardeurs beautés… » sont sans cesse répétées par les amants. Quant à la célèbre formule «  ce je ne sais pourquoi » propre au langage précieux, elle est souvent employée dans notre pièce. Enfin, les soupirs, caractéristiques de l'amour précieux sont très fréquents dans notre texte : ils permettent d'exprimer les sentiments amoureux. Les amants qui ne peuvent avouer leur passion poussent de longs soupirs. Antiochus et Stratonice adoptent la même attitude lorsqu'ils se retrouvent seuls l'un face à l'autre : Antiochus : Vostre cœur soupire ? Stratonice : Ce soûpir eschapé Antiochus : Parlez, que veut-il dire ? M'apprend-il que mes vœux des vostres secondez… Stratonice : Que me demandez-vous puisque vous l'entendez ? [26] L'esthétique précieuse qui se caractérise par l'emploi d'un langage spécifique tient compte aussi des manières et des gestes. N'oublions pas que les précieuses ont favorisé l'établissement des bienséances. Les personnages doivent respecter un certain nombre de règles. Ainsi, le héros galant doit se montrer courtois et courageux, l'héroïne, elle doit faire preuve de beaucoup de réserve et de pudeur. Nous traiterons le sujet des bienséances dans le prochain chapitre. Les critiques postérieures reprochent souvent à Thomas Corneille d'avoir suivi la mode de son époque et cherché avant tout à satisfaire son public. Il est vrai que le dramaturge en écrivant *Antiochus* rend hommage aux précieuses qui l'ont tant soutenu. Mais cette pièce totalement oubliée aujourd'hui est intéressante à étudier car elle permet de voir les goûts des spectateurs du XVII*e* siècle car le dramaturge respecte parfaitement les règes établies par les précieuses. ### Un style contesté. Robinet, en faisant l'éloge de la pièce, [27] exagère sans doute le succès de la pièce car Thomas Corneille, comme tous les dramaturges de son époque, ne fut pas épargné par les critiques, notamment par Boileau. Dans le *Dialogue des héros de Roman*, le célèbre poète satirique se moque du personnage d'Antiochus : PLUTON : il semble qu'il cherche quelque chose. Aura-t'il bientost regardé par tous les coins de cette chambre ? Que cherchés-vous Antiochus ? ANTIOCHUS : Si vous l'avez trouvé, ne me le faites pas chercher davantage. PLUTON : Et Quoy ? ANTIOCHUS : Le recueil où les beautez de ma maîtresse estoient en dépôt, qui me consoloit pendant mon absence, et qui a percé l'asile obscur où je croiyois l'avoir mis en seureté. PLUTON : Que veux-tu dire ? DIOGENE : Je vois bien qu'il faut que je vous explique. Ce receuil où les beautez de sa maîtresse étoient en dépôt, c'est son portrait ; qui a percé l'asile obscur où il croyoit l'avoir mis en seureté, c'est sa poche qui est percée, par où il est sorty. DIOGENE : Voilà d'étranges façons de parler pour dire une poche percée. Ah ! Antiochus, songés aux grandes victoires que vous avez gagnées. Songés à l'occasion qui se présente d'en gagner de nouvelles. [28] Boileau, en visant la scène du portrait critique le style précieux, utilisé parfois de manière excessive par le dramaturge. Notons que le malheureux Quinault, très apprécié des dames, fut aussi victime avec Thomas Corneille de ce genre de railleries. Mais Boileau n'est pas seul à critiquer le style du dramaturge. En effet, Thomas Corneille doit faire face à de nombreuses attaques, parfois très virulentes de la part de ses contemporains : « une monotonie de tournures froidement sentencieuse, (…) une versification flasque et incorrecte, telle est la manière de Thomas Corneille » note avec dureté La Harpe. Quant aux frères Parfaict, ils emploient le terme de « galimathias [29] » pour qualifier l'énonciation du dramaturge. Il est vrai que notre texte présente parfois des passages dont la compréhension n'est pas toujours évidente : ainsi dans la première scène de l'acte II, lorsque Arsinoé remplace le portrait de Stratonice par le sien, Thomas Corneille ne consacre que trois vers assez hâtifs à l'explication de cet échange qui est pourtant la clef de voûte de l'intrigue : C'est exprés que le mien tient la place de l'autre. A moins qu'un tel échange aidast à m'éclaircir, En vain par cét effet j'y croirois reussir. Par ailleurs, les répétitions sont très nombreuses dans *Antiochus* : Eliane Fischler [30] remarque dans ses travaux consacrés au dramaturge que le mot  « amour » est beaucoup plus fréquemment utilisé par Thomas Corneille que par son frère Pierre Corneille ou Racine. En effet, le vocabulaire galant est omniprésent dans notre texte. Enfin nous pouvons noter certaines faiblesses au niveau de l'écriture ; par exemple, le pronom personnel luy est employé beaucoup trop souvent dans le texte : Luy demander pour luy ce que j'attens de vous. [31] Ces nombreuses répétitions révèlent ainsi un style trop hâtif de la part du dramaturge. Les jugements de la postérité sont très sévères à l'égard du dramaturge : face à la maîtrise et à la clarté de la langue des grands auteurs comme Racine et Corneille, Thomas Corneille est souvent considéré comme un imitateur qui ne possède pas de réel don pour la versification. Les critiques ne lui pardonnent pas les nombreux oublis, incorrections et répétitions présents dans ses pièces. : « Il a écrit trop vite, d'un style trop impersonnel et le temps n'épargne pas ce qu'on fait sans lui [32] », juge avec froideur Gustave Michaut. Mais il ne faut pas oublier que Thomas Corneille est aussi victime de son nom : les critiques comparent la pièce non par rapport à son auteur mais surtout par rapport au talent de son grand frère, Pierre Corneille, considéré comme le père du théâtre français. S'il n'avait pas été le frère de Pierre Corneille, nous verrions en lui ce qu'il a été réellement, un des esprits les plus féconds, les plus souples et les plus ingénieux de son temps (…) Un auteur dramatique très applaudi, qui appliqua au théâtre la même faculté de recherche et de renouvellement dont son frère nous a donné tant de preuves », note avec raison Gustave Larroumet [33]. ### Une dramaturgie exceptionnelle. Thomas Corneille reconnaît ses insuffisances dans le domaine stylistique et pense comme Molière que « les pièces sont faites pour être écoutées plutost que pour etre lues et même si elles doivent etre lues, elles ne doivent etre lues qu'à la chandelle ». Mais si le dramaturge accorde moins d'importance à la versification, il est cependant remarquable au niveau de la dramaturgie. Il  possède de grandes facilités pour la construction de ses intrigues. Or c'est une qualité principale pour un dramaturge de cette époque. Ni ses contemporains ni les critiques postérieurs ne peuvent nier ses talents dans ce domaine. Dans son discours de remerciement prononcé le 8 février 1710, Houdart de la Motte son successeur à l'Académie française remarque avec justesse que : « ce qui le distingue dans les deux genres, c'est qu'il possède souverainement le don de l'intrigue et des situations… » Ainsi, Le triomphe de *Timocrate*, le plus grand succès du XVII*e* siècle s'explique en grande partie par l'intrigue astucieusement menée par le dramaturge et qui avait séduit tant de spectateurs. Dans *Antiochus*, la situation pathétique des personnages compliquée par de nombreux quiproquos tient en haleine les spectateurs jusqu'à la fin. L'intrigue quoique complexe est habilement maîtrisée par le dramaturge. « C'est presque toujours la situation qui fait le succès au théâtre », affirmera Voltaire [34]. L'auteur d'*Antiochus* s'est particulièrement attaché à cet aspect. Il est fréquent de voir au XVII*e* siècle des pièces comportant une double intrigue. Nous pouvons citer la célèbre pièce de Racine, *Andromaque* : l'amour de Pyrrhus pour Andromaque constitue la trame de l'action principale, la passion d'Oreste pour Hermione en forme l'action secondaire. Dans la tragi-comédie de Thomas Corneille, nous retrouvons le même schéma : l'intrigue principale est centrée sur l'amour d'Antiochus et de Stratonice, Tigrane et Arsinoé formant l'intrigue secondaire. Cependant l'action de la pièce est jugée complexe par les critiques en raison des nombreux malentendus provoqués par la substitution du portrait. Certes, certains passages paraissent confus, les personnages étant sans cesse confrontés à de nouveaux obstacles, mais Thomas Corneille s'applique à ne rien laisser au hasard. Chaque détail est subordonné à l'action principale, aucun élément gratuit ni superflu ne vient retarder l'action. Thomas Corneille respecte ainsi l'unité de l'action. # Chapitre III : la structure interne de la pièce. ## Les personnages. Antiochus est une tragi-comédie de palais, elle met donc en scène un personnel dramatique illustre : le héros, Antiochus, est le fils de Séleucus roi de Syrie. Stratonice, fiancée à Séleucus est la fille de Démétrius, roi de Macédoine. Les protagonistes viennent donc tous d'un rang élevé. Les personnages secondaires font aussi partie de la famille royale, puisque Arsinoé nous précise-t-on est la nièce de Séleucus. Son fiancé, Tigrane, est le favori et l'ami du prince Antiochus. Stratonice et Arsinoé ont chacune une confidente, Phénice et Barsine. On décompte ainsi sept personnages, trois hommes et quatre femmes. *Antiochus* est un tragi-comédie qui respecte parfaitement les règles de la tragédie, aussi il est intéressant de noter que l'ordre hiérarchique est toujours respecté entre les personnages. Ainsi, lorsque Tigrane s'adresse à son ami Antiochus, il ne l'appelle jamais par son nom, mais par les termes de « seigneur » ou de « prince » en signe de noblesse. Antiochus cependant peut appeler Tigrane par son prénom car il lui est est supérieur. Il en est de même pour les deux princesses. Barsine et Phénice emploient toujours les termes de « madame » ou de « princesse » Thomas Corneille reprend les trois personnages que lui fournissait l'Histoire : Antiochus, Séleucus et Stratonice. Antiochus incarne le héros malheureux qui ne peut satisfaire son amour. Amoureux de sa future belle-mère, le rival du prince n'est autre que son père Séleucus. Antiochus s'oppose ainsi à deux ordres, le pouvoir royal et le pouvoir paternel. Le thème de la rivalité entre le père et le fils amoureux d'une même femme est très fréquent au XVII*e* siècle : dans *La mort d'Achille* écrite, Thomas Corneille reprendra le même sujet, tout comme Racine dans *Mithridate* en 1673. Mais à la différence de ces deux tragédies qui mettent en scène un père jaloux et tyrannique, Seleceus se distingue par sa générosité et son indulgence. Le dramaturge a en effet repris le même caractère que lui proposait l'histoire  Thomas Corneille a ajouté deux nouveaux personnages, Arsinoé et Tigrane. Comme nous l'avons vu précédemment, Arsinoe est seule à connaître le secret du prince. Elle joue donc un rôle très actif dans le déroulement de l'intrigue. Quant à Tigrane, son fiancé, qui est l'ami et le confident d'Antiochus, sa présence permet surtout au dramaturge de créer une double intrigue. Nous traiterons ce point un peu plus loin dans le chapitre portant sur la péripétie. Arsinoé et Stratonice ont chacune une confidente, Barsine et Phénice. Ces deux confidentes jouent un rôle très important et sont indispensables pour le déroulement de l'action. Rappelons que le théâtre est un espace de double énonciation, aussi le dramaturge se sert d'elles pour apporter de nouvelles informations aux spectateurs. Les conversations entre les confidentes et les princesses permettent ainsi de mieux comprendre l'intrigue. Dans la scène IV de l'acte I, Phénice informe Stratonice des sentiments du prince : Tandis qu'il vous parloit, ses timides regards, S'il rencontroit vos yeux, erroient de toutes parts, Langissant, interdit, plein d'un desordre extréme, Si j'osois m'expliquer, je dirois qu'il vous aime, [35] Dans la première scène de l'acte II, c'est au tour d'Arsinoé, qui apparaît pour la première fois, de nous apprendre par l'intermédiaire de Barsine ses doutes sur le secret du prince : S'il la fuit, ce n'est pas son chagrin qui l'en presse, Il fuit, il craint des yeux trop sçavans à charmer, Et craindre un bel objet, Barsine, c'est l'aimer. Et que par tant d'appas s'estant laissé charmer [36]… Les propos échangés avec les confidentes permettent aussi de déceler la psychologie des personnages et de connaître leurs pensées. Les princesses confient à leurs confidentes ce qu'elles ne peuvent dire aux autres personnages. La pièce est ainsi plus riche car les sentiments des personnages sont exprimés de manière très précise. Mais si les confidents sont indispensables pour le bon déroulement de l'action, leur présence s'explique aussi par le respect des bienséances. En effet, selon le bon usage, une princesse doit être toujours accompagnée de sa confidente lorsqu'elle se trouve en présence d'un homme Il est intéressant de remarquer l'absence de Phénice à l'acte IV  lorsque Stratonice et Antiochus seuls sur scène confient leur amour réciproque. Les personnages masculins, Séleucus, Antiochus et Tigrane n'ont pas de confident. Mais ceci ne les empêche pas d'exprimer leurs sentiments. À deux reprises, Antiochus et Seleucus, nous font part de leurs souffrances dans un long monologue. En absence de confident, ces personnages peuvent aussi se confier à leurs proches. Ainsi, Séleucus et Tigrane viennent tous deux se livrer à Stratonice et à Arsinoé en leurs faisant part de leurs émotions. Parmi tous ces personnages seul Antiochus refuse toute confession : Tigrane, qui est à la fois son ami et son favori, pourrait être son confident, mais le prince ne dévoile à personne son lourd secret. Ce silence constitue l'intérêt dramatique de la pièce. En effet si Antiochus parlait, la pièce n'aurait plus aucune originalité. ## Une tragi-comédie régulière. ### La règle des trois unités. Antiochus est une tragi-comédie régulière qui respecte comme la tragédie, les règles établies par la doctrine classique. Thomas Corneille se plie ainsi aux règles des trois unités et des bienséances qui s'imposèrent après 1640. #### L'unité de l'action. L'action de la pièce est jugée complexe en raison des différents quiproquos causés par la substitution du portrait, cependant, Thomas Corneille respecte parfaitement l'unité de l'action. #### L'unité de temps. Au XVII*e* siècle, la durée du spectacle pour une tragédie en cinq actes était de deux heures et demie à trois heures. L'action est supposée durer au maximum 24 heures et au minimum autant que la durée réelle de la représentation. Antiochus débute dans la matinée avec les préparatifs des festivités du mariage de Seleucus et Stratonice prévu dans la soirée. La pièce s'achève dans l'après-midi. La règle des 24 heures est donc respectée. À noter cependant certaines extensions temporelles qui renvoient les spectateurs dans le passé. Les personnages évoquent parfois des actions qui se sont déroulées antérieurement. Ainsi, Antiochus fait allusion à un exploit réalisé par Tigrane et qui lui a sauvé la vie : A vous dont l'amitié me fut toûjours si chere, Qu'il n'est rien que la mienne ait encor pû vous taire A vous à qui l'Estat par vos soins conservé Doit avec moi le jour que vous m'avez sauvé. [37] #### L'unité de lieu. La scène se passe dans le palais du roi Séleucus en Syrie. Ce dernier, un des généraux d'Alexandre le Grand est devenu à sa mort, roi des hautes provinces d'Asie. La règle de l'unité de lieu est respectée, mais comme pour l'unité de temps, certains récits élargissent le cadre établi. Les personnages se remémorent événements qui se sont produits en d'autres lieux. Stratonice rappelle ainsi à sa confidente sa première rencontre avec Antiochus, lorsque celui-ci était venu la chercher dans le royaume de son père en Macédoine. Le Prince Antiochus chez mon Pere à son tour En superbe appareil vient charmer nostre cour. … L'air galant, l'ame noble, un courage élevé, Tout ce qui marque enfin un Heros achevé, Aux Courses, aux Tournois, pour lui toute la gloire, Son adresse par tout sçait traisner la victoire, [38] Par ce récit, Stratonice décrit les festivités organisées par son père Démétrius en l'honneur des fiançailles de sa fille la princesse avec Seleucus. Le dramaturge expose sous les yeux des spectateurs un nouveau décor. ### Les bienséances. Les bienséances occupent une place importante dans la dramaturgie classique. Nous avons vu dans notre première partie que le dramaturge, pour ne pas scandaliser son public avait apporté certaines modifications aux sources historiques. Nous allons à présent étudier les bienséances par rapport à la question de l'amour et plus particulièrement de l'expression de la retenue amoureuse, c'est-à-dire les bienséances internes. Les protagonistes composés en majorité de rois princes et princesses cherchent toujours à se distinguer du reste de la société par un comportement digne des héros. *Antiochus* étant une tragi-comédie galante, les personnages aussi bien les hommes que les femmes doivent respecter les principes établis par les bienséances. En ce qui concerne la question de l'amour « Il ne faut jamais qu'une femme fasse entendre de sa propre bouche à un homme qu'elle a de l'amour pour lui [39] » insiste D'Aubignac. Dans *Don Sanche d'Aragon*, le personnage D'Isabelle rappelle ce principe  à Blanche, sa confidente en lui confiant que son cœur « fait un beau choix sans oser l'accepter Et nourrit un beau feu, sans oser l'écouter Vois par là ce que c'est Blanche que d'être Reine [40] Les héroïnes doivent ainsi toujours faire preuve de réserve et de pudeur. Dans notre pièce, Stratonice adopte la même attitude  lorsque Antiochus lui déclare son amour : Prince, n'abusez point d'une pitié trop tendre Qui m'a fait dire plus qu'on ne devoit entendre, [41] Thomas Corneille respecte aussi le concept de l'amour-estime : selon les bienséances, une princesse doit dans un premier temps estimer et louer les qualités d'un homme avant de l'aimer. Lorsque Stratonice évoque sa première rencontre avec Antiochus dans la cour de son père, elle adopte la même attitude : Ce cœur trop plein pour luy d'une estime empressé N'en crut ny mon devoir ny ma gloire blessé J'admirois sans scrupule un Prince si parfait, Je voulois estimer, et j'aimois en effet, [42] ## Une tragi-comédie à double intrigue. ### L'exposition. *Antiochus* est une tragi-comédie régulière qui respecte la structure habituelle de la tragédie. La structure interne de la pièce permet d'étudier l'exposition, le nœud, et le dénouement. L'exposition doit présenter les personnages et la situation de la pièce. Elle doit « instruire le spectateur du sujet et de ses principales circonstances, du lieu de la scène et même de l'heure où commence l'action, du nom, de l'état, du caractère et des intérêts de tous les principaux personnages [43] » Thomas Corneille nous donne toute ces informations dans le premier acte et en particulier dans la première scène de la pièce : Tigrane et Antiochus évoquent le mariage qui doit unir dans la soirée Séleucus et Stratonice. Mais Antiochus est une tragi-comédie à double intrigue aussi, l'exposition est coupée en deux morceaux. Il est très fréquent à cette époque de n'introduire certains personnages qu'au début de l'acte II. Il s'agit ici du personnage d'Arsinoé qui joue un rôle décisif puisqu'elle est à l'origine de cette double intrigue. Notons toutefois que ce nouveau personnage a déjà été cité par Tigrane : Un respect trop sévère estouffoit mes soûpirs. Niepce de Seleucus, et Fille de son Frere, Le rang d'Arsinoé les forcoit à se taire. Vous avez auprès d'elle authorisé à se taire [44]. Thomas Corneille a décidé de faire apparaître ce personnage séparément car elle apporte un nouvel élément, l'échange du portrait. ### La péripétie. Le dramaturge tout en respectant les donnés historiques a composé une pièce romanesque. Le succès de la pièce s'explique probablement par les péripéties qui provoquent un effet de surprise chez les personnages. Concernant la dramaturgie de Thomas Corneille, Eliane Fischler remarque que : « dans les pièces dont la situation de base est simple, il se permet une grande complexité au niveau des relations sentimentales [45] ». Ceci est tout à fait vrai pour notre pièce. *Antiochus* est une tragi-comédie à double intrigue, la péripétie entraîne toute une série quiproquos. Il a ainsi un renversement de situation. Scherer donne une définition très précise de la péripétie : «  Il faut en outre que l'événement imprévu soit un changement de fortune c'est-à-dire qu'il modifie non seulement la situation matérielle des héros mais leur situation psychologique ; les sentiments et même les décisions des héros devront être changés par les péripéties [46] ». Bien qu'*Antiochus* se termine par un dénouement heureux, l'épisode du portrait présente un caractère tragique. Stratonice en remettant au roi le portrait qu'elle vient de recevoir provoque un véritable moment de tension. Les événements qui suivront ne seront pas moins dramatiques. Cet incident provoque un changement radical chez les personnages : mis à part Arsinoé qui domine en quelque sorte la situation puisque c'est elle qui échange le portrait, tous les personnages de la pièce remettent en cause leur amour. La péripétie est un moyen efficace pour introduire une dimension psychologique chez les personnages. La première personne victime de cette mésaventure est bien sûr Stratonice. Se sentant désabusée, la princesse exprime sa tristesse dans une série de stances : Flatteuse illusion que j'ay trop osé croire, Doux abus de mon cœur par mes désirs trompé, [47]  … Mais si Stratonice se sent trompée dans son amour, Tigrane, quant à lui, remet en cause son amitié. Ce renversement de situation est très pénible pour lui d'autant plus que par respect pour le prince mais surtout par désespoir, il songe à se suicider. De l'ami affectueux et sage, Tigrane, bouleversé par ce malheur touche les spectateurs par son aspect pathétique. Le seul personnage qui semble être satisfait de ce revers est Séleucus qui croit en effet découvrir la cause de la désolation de son fils. Ignorant la cruelle vérité, le bonheur du roi accentue l'atmosphère tragique de la pièce. Cette ironie du sort, puisque Seleucus somme Tigrane de se sacrifier pour le bonheur de son fils alors que c'est lui-même qui devra céder Stratonice, donne à la pièce une dimension tragique. La péripétie permet au dramaturge d'intensifier l'action en introduisant un contenu psychologique. ### La psychologie des personnages. #### Des personnages tourmentés. L'action psychologique verbalisée du théâtre classique s'exprime par le monologue et les stances. Dans notre pièce, le monologue utilisé à deux reprises par le dramaturge permet de connaître les souffrances des deux protagonistes, Antiochus et Séleucus. En effet, Thomas Corneille se sert du monologue pour peindre les sentiments pathétiques de ces deux personnages. Comme nous l'avons vu précédemment, il emploie aussi les stances,  qui obéissent à des règles précises. Très utilisées à cette période, les stances, forme lyrique, remplacent très souvent le monologue. En marquant une rupture dans le discours théâtral, elles permettent de se concentrer sur l'expression des pensées et des sentiments du personnage. La Mesnardière estime que : « elles ont de la douceur pour exprimer les Passions tendres ; elles ont des entrecoupures, et des inégalités pour représenter le désordre d'une âme agitée de tempêtes, et leur sens qui recommence à la tête de chaque strophe, et qui admet facilement des pensées toutes contraires à celles qui ont précédé, peut figurer les combats et les divers mouvements d'un esprit irrésolu, qui n'a pas assez de force pour déterminer ses doutes, ni pour se remettre en l'assiette d'où la Douleur l'a fait sortir ». Aussi, le dramaturge, pour insister sur les sentiments confus de Stratonice choisit les stances qui sont très bien appropriées au personnage. #### Un héros mélancolique. Le thème de la mélancolie, très souvent appelé « la maladie d'amour » a fortement marqué la littérature du XVII*e* siècle : les héros mélancoliques sont très à la mode, aussi bien dans les romans qu'au théâtre. La mélancolie est un terme médical, mais avant même que les sciences s'intéressent à cette notion, les auteurs anciens tels que Valère Maxime, Plutarque et Appien représentent cette maladie à travers l'histoire d'Antiochus et de Stratonice. Antiochus est en effet l'un des premiers personnages de l'antiquité qui permette d'étudier le thème de la mélancolie dans la littérature : les symptômes sont parfaitement décrit par les textes anciens [48]. Antiochus est malade car il est amoureux : victime d'une passion illicite, le prince, conscient de son crime ne peut satisfaire cet amour impossible. Ce refoulement va se manifester par un malaise qui se traduit par un mal de vivre. Antiochus renonce ainsi à la vie et se laisse mourir. D'un point de vue médical, la mélancolie est provoquée par la bile noire qui résulte d'un refroidissement du sang. Selon la définition de Galien, si la bile noire « s'établit dans les conduits d'un des ventricules du cerveau, elle provoque généralement l'épilepsie ; mais si elle prédomine dans la substance du cerveau lui-même, elle engendre cette sorte de folie que nous appelons mélancolie [49]. » Cette mélancolie est manifestée par deux sentiments spécifiques qui sont la crainte et la tristesse. Les auteurs qui traitent le sujet d'Antiochus au XVII*e* siècle s'attardent longtemps sur cet aspect-là. Ainsi, Gillet de la Tessonnerie et Brosse, conformément aux textes anciens représentent Antiochus allongé sur un lit : le prince est si malade qu'il ne peut quitter sa chambre. Dans la pièce de Brosse il sombre même dans la folie. Mais comme le fait remarquer d'Aubignac [50], il est très difficile de représenter un héros dans une telle situation pendant toute la durée de la pièce. Aussi les auteurs comme Du Fayot, Quinaut et Thomas Corneille jugent sage de modifier ce point. Mais si Antiochus n'est plus allongé sur son lit, il n'est pas moins mélancolique. Les dramaturges insistent en effet beaucoup sur l'aspect psychologique du héros. Le héros de Du Fayot, désespéré, est prêt à se poignarder pour mettre fin à ses souffrances. Dans la tragi-comédie galante de Quinaut, le prince se plaint sans cesse d'une fièvre ardente ; au dernier acte, pris de faiblesse, il s'évanouit même aux pieds de Stratonice. Enfin dans notre pièce, la description pathétique que fait Séleucus de son fils renforce l'aspect dramatique de la situation : La langueur qui le tüe en est le triste effet. Tout à l'heure en mes bras pasmé, plein de foiblesse, Chacun l'a veu ceder à l'ennuy qui le presse, On craint tout pour sa vie [51]… Le vocabulaire lié à la maladie est très important. Les termes de « chagrin », « ennui », « gesne », « soins », « transports », « langueurs », « inquietude » et  « vapeurs » reviennent sans cesse dans la bouche du personnage. Le héros mélancolique endure ainsi de nombreuses souffrances qui affectent aussi bien le corps que l'esprit. Mais il semble qu'à l'amour, seul l'amour peut porter remède [52] : seul son mariage avec Stratonice permet de guérir le prince et de le sauver de la mort. # ANTIOCHUS, TRAGI-COMEDIE. ## Extrait du Privilege du Roy. Par Grace et Privilege du Roy, en datte du dixhuitiéme Février mil fix cens soixante-six, Signé par le Roy en son Conseil, BERTHAULT : Il est permis au Sieur THOMAS CORNEILLE de faire imprimer une Piece de Theatre de sa Composition, intitulée ANTIOCHUS, pendant cinq années : Et deffences sont faites à tous autres de l'imprimer, à peine de tous dépens, dommages et interest, et de trois mil livres d'amendes, et autres peines portées par lesdites Lettres. Imprimée aux dépens de l'Autheur. Et ledit Sieur de Corneille a cédé le present Privilege à Guillaume de Luyne, et Gabriel Quinet, suivant l'accord fait entr'eux. Et ledit Sieur de Luyne et quinet ont fait part dudit Privilege à Thomas Yolly et Loüis Billaine, suivant aussi l'accord fait entr'eux. Registré sur le livre de la Communauté des Libraires le 19 iour de Fevrier 1666. Signé, piget, Syndic. Les Exemplaires ont esté fournis. Achevé d'imprimer le 6. Iour de Mars 1666. A Rouen, par L. MAURRI. ## ACTEURS. – SELEUCUS,Roy de Syrie. – STRATONICE,fille de Demetrius, Roy de Macedoine. – ANTIOCHUS,fils de Seleucus. – ARSINOE,Niepce de Seleucus. – TIGRANE,Favori de Seleucus. – PHENICE,Confidente de Stratonice. – BARSINE,Confidente d'Arsinoé. – Suite. La Scéne est dans la Capitale de Syrie. ## ACTE I. ### Scene premiere. ANTIOCHUS, TIGRANE. ANTIOCHUS. En vain à cét appas⁎ [53] vous voulez que je cede, C'est redoubler mon mal que m'offrir ce remede, Et le croire l'effet d'un chagrin⁎ bien leger, Si par l'éclat d'un Trône on peut le soulager. Quoy qu'aux plus vertueux la Couronne soit chere, J'aime à la voir briller sur la teste d'un Pere, Et l'orgueil de mes vœux ne s'est jamais porté Jusqu'à ce grand partage où panche sa bonté. De quel front accepter les droits du Diadême, Si je n'ay pas appris à regner sur moy-mesme, Et par quelle aspre soif du vain tiltre de Roy Prendre un Empire ailleurs que je n'ay pas sur moy ? Non, non, l'avidité de cette independance Ne m'en a point encor laissé voir l'esperance, Et quoy qu'elle fust juste au rang où je suis né, Je puis vivre content⁎ sans estre couronné. TIGRANE. Seigneur, chacun connoit avec quel avantage Une entiere [54] vertu regle vostre courage, Et trop de grands effets l'exposent à nos yeux Pour laisser croire en vous un Prince ambitieux ; Mais le Roy, que poursuit l'impatiente envie De rendre ce grand jour le plus beau de sa vie, Languira dans ses vœux, si pour les voir remplis Espousant Stratonice il ne couronne un Fils ; L'excez de son amour pour cette belle Reyne Veut tout ce qu'a d'éclat la grandeur Souveraine, Et croit mal seconder la gloire de son choix S'il ne la place au Trône au milieu de deux Roys. Souffrez [55] donc que par là d'un auguste Hymenée Nous voyions avec pompe éclater la journée, Et que de tans d'apprests [56] qui marquent sa grandeur Vostre Couronnement augmente la splendeur. ANTIOCHUS. L'éclat qui le suivroit n'a rien qui m'ebloüisse, Je sçay que Seleucus adore⁎ Stratonice, Qu'il ne vit que pour elle, et que jamais l'Amour Ne prit tant d'interest aux pompes [57] d'un grand jour ; Mais lors qu'il luy consacre une ardeur toute pure, Sa bonté pour un Fils vers [58] elle est une injure, Puisque par ce partage il la prive des droits D'étendre jusqu'à moy la gloire de ses loix ; Ainsi, mon cher Tigrane, à quoy qu'il se prépare, Il faut que mon refus pour elle se declare, Et mette un prompt obstacle à l'injuste projet Qui pour me couronner lui dérobe un Sujet. TIGRANE. Seigneur, quand sous vos loix il met la Phenicie, Seleucus regne encor sur toute la Syrie, Et croit que plus d'éclat suit le don de sa foy S'il lui soûmet en vous les hommages d'un Roy ; Mais si de ce refus vous vous trouvez capable, C'est l'effet du chagrin⁎ dont l'excez vous accable. Déjà depuis long-temps une morne langueur⁎ Estale dans vos yeux l'ennuy⁎ de vostre cœur ; Rien n'en sçauroit forcer l'abatement funeste, La seule solitude est le bien qui vous reste, Et tout ce que jamais la Cour eut de plus doux Semble n'estre que gesne⁎, et supplice pour vous. Chacun surpris de voir ce changement extréme… ANTIOCHUS. Helas ! Tigrane, helas ! j'en suis surpris⁎ moy-mesme, Et de ce noir chagrin⁎ les accez languissants Accablent ma raison, et confondent mes sens. En vain tout mon courage à leur trouble s'oppose, Plus j'en ressents l'effet, moins j'en trouve la cause, Et pour la découvrir, rien ne s'offre à mes yeux Que [59] l'Astre qui nous force, ou le couroux des Dieux. TIGRANE. Quoy, d'un Astre ennemy la dure violence… ANTIOCHUS. Ouy, Tigrane, aujourd'huy croyez-en mon silence. Si quelque ennuy⁎ secret me faisoit soûpirer, Pourrois-je si long-temps vous le voir ignorer, A vous dont l'amitié me fut toûjours si chere, Qu'il n'est rien que la mienne ait encor pû vous taire ; A vous à qui l'Estat par vos soins⁎ conservé Doit avec moy le jour [60] que vous m'avez sauvé ? TIGRANE. C'est trop vous souvenir d'un si foible service Quand par vous la Princesse à ma flame est propice, J'aimois, et ma raison condamnant mes desirs, Un respect trop severe estouffoit mes soûpirs. Niepce de Seleucus, et Fille de son Frere, Le rang d'Arsinoé les forçoit à se taire. Vous avez auprés d'elle authorisé mes vœux, Tiré le doux adveu qui doit me rendre heureux, Et les plus grands exploits que mon zele imagine Sont au dessous du prix que le Roy me destine ; Mais, Seigneur, si j'osois dans un estat si doux, Lors que je vous dois tout, me plaindre un peu de vous, Je dirois qu'en secret cette humeur sombre et noire Suspendant mon bonheur met obstacle à ma gloire ; D'un jour grand et fameux les superbes apprests Sont pour le reculer des pretextes secrets, Et la pompe qui manque à l'Hymen d'une Reine, C'est d'un mal inconnu la guerison certaine. Le Roy qu'alarme en vous un sort trop rigoureux, Si vous n'estes content⁎, refuse d'estre heureux, Et comme un mesme jour également propice Doit m'approchant du Trône y placer Stratonice, Mes vœux les plus pressants en vain l'osent haster Quand vostre inquietude⁎ y semble resister ANTIOCHUS. Et c'est aussi par là que mon ame abatuë Se livre toute entiere au chagrin⁎ qui me tuë, J'en souffre d'autant plus que le bonheur du Roy Dépend de l'Hymen seul qu'il differe pour moy. Puisqu'enfin jusques là sa bonté l'inquiete, Voyez le pour luy faire agréer ma retraite. Peut-estre un mois ou deux dans un autre sejour Me rendront le repos que je pers à la Cour, Sa pompe m'embarasse, et mon inquietude⁎ Pour calmer ses transports⁎ veut de la solitude, C'est un bien que vos soins⁎ me [61] peuvent obtenir. TIGRANE. Moy, Seigneur, de la Cour chercher à vous bannir ? ANTIOCHUS. Ce volontaire exil que mon chagrin⁎ m'impose A droit seul de calmer la peine qu'il me cause, Icy tout m'importune, et le trouble où je suis Dans le bonheur d'autruy trouve un surcroist d'ennuis⁎; Je m'en hay, mais mon cœur, quelques soins que j'emploie, Repousse malgré moy tous les sujets de joie, Je languis, je soûpire, et je ne sçay pourquoy ; Tigrane, encor un coup [62] allez trouver le Roy, Et d'une Feste Auguste où seul je mets obstacle, Par mon éloignement pressez l'heureux spectacle. TIGRANE. Mais, Seigneur, ce dessein… ANTIOCHUS.         Rien ne peut l'ébranler, C'est me servir enfin que d'oser luy parler, D'un Roy qui vous cherit craignez-vous la colere ? TIGRANE. Mes vœux les plus ardents n'aspirent qu'à vous plaire , Et vostre seul desir servant de regle au mien, Je parleray, Seigneur, mais je n'obtiendray rien. ### SCENE II. ANTIOCHUS. Suy le juste projet où l'honneur te convie, Fuy [63] de ces tristes⁎ lieux, ou plustost de la vie, Ingrat Antiochus, et du moins par ta mort Tâche de rachepter la honte de ton sort. Aussi-bien cét exil, où ton chagrin⁎ aspire, De tes sens revoltez te rendra- t'il l'empire ? Y crois-tu de ta flame écouter moins l'ardeur, Et pour changer de lieux, changeras-tu de cœur ? Non, non, ce cœur en vain croit vaincre sa foiblesse, Son destin est d'aimer, il aimera sans cesse, Et quoy que ta raison offre à le secourir, Il cherit trop son mal pour en vouloir guerir. Ah, lâche ! à quel orgueil ta passion t'entraine ! Porter insolemment tes vœux jusqu'à la Reyne, Adorer Stratonice, et violer la foy Qu'un Fils doit à son Pere, un Sujet à son Roy ! La sienne estant déja l'heureux prix de sa flame, Par ce gage receu n'est-elle pas sa femme, Et pour bannir un feu que tu nourris en vain, Faut-il attendre, helas ! qu'elle ait donné sa main ? Songe, songe à l'horreur de ce secret murmure Qu'à tes vœux insenses oppose la Nature, Et voy de ton amour les transports odieux Blesser également les hommes et les Dieux. Par ce fatal Portrait dont la perte t'accable Ces Dieux semblent t'offrir un secours favorable, Il nourrissoit ta flame, il en flatoit l'ardeur, Ce qui charmoit tes yeux se gravoit dans ton cœur, Et lors qu'à mille soins⁎ [64] ce Portrait te convie, Tu pers en le perdant le seul bien de ta vie. Mais las [65] ! en d'autres mains que sert qu'il soit passé, Si de ce triste cœur il n'est pas effacé ? J'y vois, j'y vois toûjours une adorable⁎ Reine Augmenter mon amour, et redoubler ma peine, J'observe avec plaisir ces merveilleux⁎ accords Des charmes de l'esprit, et des graces du corps ; Et sans cesse y trouvant mille sujets d'estime, Cette mesme raison qui m'en faisoit un crime, Contrainte de ceder à des traits si puissants, Se range contre moy du party de mes sens. Aimons-donc, puisqu'enfin c'est un mal necessaire, Mais aimons seulement pour souffrir et nous taire, Et cherchons dans l'exil qui seul est mon recours, La fin de cét amour par celle de mes jours. Là mon dernier soûpir poussé pour Stratonice D'un feu si criminel bornera l'injustice, Et mon secret caché justifiant ma foy Me rendra … mais ô Dieux ! c'est elle que je voy. Dans quel trouble me jette une si chere veuë ! Ma raison se confond, mon ame en est émeuë, Fuyons, ce seul moyen m'épargne le soucy … ### SCENE III. STRATONICE, ANTIOCHUS, PHENICE. STRATONICE. Quoy, Prince, c'est donc moy qui vous chasse [66] d'ici ? ANTIOCHUS. Si vous fuir blesse en vous l'honneur du Diadême, On peut le pardonner à qui se fuit soy-mesme ; Jugez si de mes maux je puis venir à bout, Je tasche de me perdre, et me trouve par tout. STRATONICE. Si vous trouver par tout est pour vous un supplice, Prince, resolvez-vous à vous rendre justice ; Et quoy que pour vos sens le chagrin⁎ ait d'appas⁎, Vous vous consolerez de ne vous perdre pas [67]. ANTIOCHUS. C'est par où ma raison redouble ses alarmes, L'habitude au chagrin⁎ y fait trouver des charmes⁎, Et j'apprehende bien de ne guerir jamais D'un mal où malgré moy je sens que je me plais. STRATONICE. Si vous vous y plaisez, vous estes moins à plaindre Que ceux à qui pour vous sa rigueur donne à craindre, Il leur oste un repos qu'il vous laisse acquerir. ANTIOCHUS. Helas ! est-ce estre heureux que se plaire à souffrir ? Un mal n'est-il plus mal s'il flate en apparence, Et pour nous estre cher perd-il sa violence ? Non, non, ses traits pour nous sont d'autant plus perçans Que pour surprendre l'ame, il abuse les sens ; Qu'à peine il nous fait prendre un chagrin volontaire Qu'un Astre imperieux nous le rend necessaire, Et force un cœur seduit par cette trahison Au refus du secours que preste la raison. STRATONICE. Du mal pour qui le cœur à la raison s'oppose Le charme est dans l'effet beaucoup moins qu'en la cause, Et pour voir quel remede on y peut appliquer, Qui la connoist si bien la devroit expliquer. ANTIOCHUS. Triste, ⁎ confus, resveur⁎, si ce mal peut me plaire, C'est sans sçavoir pourquoy la peine m'en est chere, Et quand un pareil trouble embarasse l'esprit, Qui sçait mal ce qu'il sent sçait bien peu ce qu'il dit. STRATONICE. Le Roy trop vivement partage vostre peine, Pour ne pas faire efforts… ANTIOCHUS.         C'est-là ce qui me gesne, Son déplaisir m'accable, et comme un noir destin Par l'éclat de la Cour redoute mon chagrin, Je croy pour quelque temps qu'il luy sera moins rude De souffrir ma retraite en quelque solitude. Voilà ce qu'aujourd'huy je luy fais demander, Pour tirer son adveu daignez me seconder, Madame, et par vos soins … STRATONICE.         Quoy, Prince, dois-je croire Qu'en secret ce chagrin porte envie à ma gloire, Et que dans vostre cœur un mouvement jaloux, Lors qu'on m'appelle au Trône… ANTIOCHUS.         Ah, que me dites- vous ? Qu'à l'ardeur de mes vœux le juste Ciel réponde, Et vous estes soudain la Maistresse du Monde ; Si le Sceptre en est beau, quoy que vous presumiez, Qu'il le mette en mes mains, je le mets à vos pieds. Dans ce degré pompeux, loin que l'éclat m'en gesne, Je ne veux qu'adorer, voir, et servir ma Reine, Elle seule en est digne, et pour mieux l'élever… Mais Dieux ! STRATONICE.         Vous avez lieu [68] de ne pas achever, Et le trouble sur vous peut prendre quelque empire, Quand la civilité [69] vous engage à trop dire. ANTIOCHUS. Pourquoy de ce reproche affecter la rigueur ? Ma bouche ne dit rien sans l'adveu de mon cœur, Et ce brillant amas de vertus et de charmes⁎… Madame, et de mon mal le Roy prend trop d'alarmes, Proposez ma retraite, et de grace, obtenez… STRATONICE. Prince, je monte au Trône, et vous m'abandonnez ! Fuir d'en estre témoin [70] est-ce cherir ma gloire ? ANTIOCHUS. Ah, si vous connoissiez tout ce qu'il en faut croire… Adieu, Madame, adieu, dans le trouble où je suis, Penser, fuir, et me taire, est tout ce que je puis. ### SCENE IV. STRATONICE, PHENICE. PHENICE. Ou j'ay peu de lumiere, ou le Prince, Madame, Cherche à cacher un mal dont la source est dans l'ame. Tandis qu'il vous parloit, ses timides regards, S'il rencontroit vos yeux, erroient de toutes parts, Languissant, interdit, plein d'un desordre extréme, Si j'osois m'expliquer, je dirois qu'il vous aime, Et que par tant d'appas⁎ s'estant laissé charmer… STRATONICE. Quoy, Phenice, tu crois qu'il me pourroit aimer ? PHENICE. Je crains de dire trop, mais s'il faut ne rien taire, Je croy qu'il le pourroit, et ne pas vous déplaire ; De l'air dont vous parlez, c'est sans trop de couroux… STRATONICE. Phenice, qu'as tu dit ? PHENICE.         Mais que me dites- vous ? STRATONICE. Que te peut dire une ame estonnée⁎, abatuë, Qui dans ce qu'elle doit voit tout ce qui la tuë, Et qui de son devoir redoublant les efforts, Plustost que le trahir, souffrira mille morts ? Ouy, Seleucus, Phenice [71], aura ce qu'il espere, Il a receu ma foy dans la Cour de mon Pere, Par là je suis sa Femme, et mon malheur en vain Fait trembler ma constance à luy donner ma main. Quand le bien de l'Estat conclut cét hymenée, Pourquoy deslors, helas ! ne fut-elle donnée ? Falloit-il pour la pompe en voir le jour remis, Et me laisser le temps de connoistre son Fils ? Tandis que Seleucus de retour en Syrie Songe aux apprets d'un sort qui va m'oster la vie, Le Prince Antiochus chez mon Pere à son tour En superbe appareil [72] vient charmer⁎ nostre cour. Attendant qu'en ces lieux il doive me conduire, Mon repos à le voir commence à se destruire, L'air galant [73], l'ame noble, un courage élevé, Tout ce qui marque enfin un Heros achevé, Aux Courses, aux Tournois, pour luy toute la gloire [74], Son adresse par tout sçait traisner la victoire, Et je sens malgré moy que sans cesse vainqueur, En emportant le prix, il emporte mon cœur. PHENICE. Antiochus sans doute a tout ce qui doit plaire, Mais déjà vostre main estoit deuë à son Pere, Et lors que vostre cœur se sentit enflamer… STRATONICE. Helas ! sçait-on qu'on aime en commençant d'aimer, Et l'Amour qui d'un cœur cherche à se rendre maistre, Tant qu'on peut resister, se laisse- t'il connoistre ? Non, non, et mon malheur aujourd'huy me l'apprend, C'est en se déguisant que l'Amour nous surprend. Avant qu'aucun soupçon découvre sa naissance Dans l'ame qu'il attaque il prend intelligence, Et de son feu secret l'industrieux pouvoir S'acquiert des partisans qui l'y font recevoir. D'un tendre et doux panchant l'appas⁎ imperceptible La dispose d'abord à se rendre sensible ; Un peu d'émotion qui marque ce qu'elle est Luy rend en vain suspect un trouble qui lui plaist, D'un merite parfait les images pressantes Luy peignent aussi-tost ces douceurs innocentes, Et des sens ebloüis par ce charme trompeur La vertu qu'elle admire authorise l'erreur, Le cœur qu'en ont seduit les flateuses amorces⁎ Pour se vaincre en tout temps se répond de ses forces ; Sur l'offre du secours que luy fait la raison Il laisse agir sans crainte un si subtil poison, Il en aime l'appas⁎, il le gouste, il luy cede, C'est assez qu'au besoin il en sçait le remede ; Et quand le mal accreu presse d'y recourir, L'habitude est formée, on n'en peut plus guerir. C'est ainsi que d'abord mon imprudence extréme Me laissa consentir à me trahir moy-mesme, Dedans [75] Antiochus je ne sçay quoi de grand Exigea de mon cœur le tribut qu'il luy rend. Ce cœur trop plein pour luy d'une estime empressée N'en crut ny mon devoir ny ma gloire blessée, J'admirois sans scrupule un Prince si parfait, Je voulois estimer, et j'aimois en effet, Et mon cœur de mes sens negligeant l'artifice Pensoit fuir une erreur dont il estoit complice. PHENICE. Mais de ce triste amour quel peut estre l'espoir ? STRATONICE. Phenice, encor un coup [76], je feray mon devoir, Et quoy qu'Antiochus trouve trop à me plaire, Ma main suivra ma foy, je suis toute à son Pere ; Mais enfin je voudrois pouvoir croire aujourd'huy Qu'il ressentist pour moy ce que je sens pour luy ; Que le mesme panchant dont la force m'entraisne Par mon funeste Hymen luy donnast mesme gesne ; Que tremblant d'un devoir où je ne puis manquer, Il voulust me le dire, et n'osast s'expliquer ; Que sa fiere [77] douleur par le respect contrainte A ses confus soûpirs abandonnast sa plainte, Et l'étoufast d'un air, qui dans ces durs combats Me laissast deviner ce qu'il ne diroit pas. ### SCENE V. SELEUCUS, STRATONICE, PHENICE, Suite SELEUCUS. Madame, tout est prest, et la Syrie en peine De rendre promptement son hommage à sa Reyne, N'attend plus que demain pour voir selon ses vœux, Et Stratonice au Trône, et Seleucus heureux : Un seul trouble s'oppose au comble de ma joye, Toûjours à ses chagrins⁎ je voy le Prince en proye, Et ne pouvant les vaincre, il tasche [78] obstinement A m'arracher l'adveu de son éloignement. J'ay sans doute à rougir dans l'amour qui m'enflame, Que d'autres interests puissent trop sur mon ame ; Mais peut-estre ce Fils a-t'il des qualitez A rendre son malheur digne de vos bontez, J'implore leur secours, empeschez qu'il nous quitte, Si j'ay trop de tendresse, il a quelque merite, Et je vous devray tout, si rompant son dessein Vous obtenez qu'au Trône il vous preste la main STRATONICE. Quel que soit vostre amour, il me feroit injure, Seigneur, s'il estoufoit la voix de la Nature, Et vous avoit seduit jusqu'à vous détacher Des soins⁎ où vous oblige un interest si cher. Jamais dans un destin à nos voeux si contraire Pour un Fils plus illustre on n'a veu craindre un Pere ; Mais en vain nos souhaits hastent la guerison Des inquiets transports⁎ qui troublent sa raison. Tandis qu'aupres de vous vous voulez qu'on l'arréte [79], Il m'employe à vous faire agréer sa retraite, Et l'éclat des apprets qu'étale vostre Cour, Blesse autant son chagrin⁎ qu'il flate vostre amour. SELEUCUS. Qu'esperer donc, Madame, et quel Dieu favorable Luy rendra le repos dont la perte m'accable ? Comme sur ses pareils [80] l'ambition peut tout, Par là de ses ennuis j'ay crû venir à bout : Quand ma main vous appelle au Trône de Syrie, J'aime à luy voir remplir celuy de Phenicie, Et pense que sur luy dans un chagrin si noir La douceur de regner aura quelque pouvoir ; Mais bien loin qu'à ce charme il se montre sensible, Tigrane m'en rapporte un refus invincible, Et ne découvre rien qui puisse m'eclaircir D'un mal que tous nos soins ne peuvent adoucir. STRATONICE. C'est par là que j'en voy la suite plus à craindre, Quoy que souffre le Prince, on ne peut que le plaindre, Et l'amour paternel vous fait en vain chercher Par où guerir un mal qu'il se plaist à cacher. J'ay déja fait effort pour vaincre son silence, Mais je l'ay veu s'aigrir par cette violence, Et craignant d'oser trop… SELEUCUS.         Ah, tout vous est permis, Et vous seule avez droit de me rendre mon fils. Vos soins y peuvent tout, employez-les, de grace, A détourner un sort dont l'horreur nous menace, Et pour lire en [81] son cœur malgré son noir destin, Contraignez-vous encor à flater son chagrin⁎. Quand vous le presserez [82], peut-estre aura-t'il peine A ne pas expliquer le trouble⁎ qui le gesne⁎ ; Sur tout, arrachez-luy ce dessein de partir, Madame, c'est à quoy je ne puis consentir. Tandis que vos bontes en rompront l'injustice, J'iray presser le Ciel de nous estre propice, Et par des vœux soûmis desarmant son couroux, Luy demander pour luy ce que j'attens de vous. < FIN DU PREMIER ACTE > ## ACTE II. ### SCENE PREMIERE. ARSINOE, BARSINE. BARSINE. Quoy, lors que sa langueur va jusques à l'extréme, Le trouble⁎ qui la suit fait connoistre qu'il aime ? ARSINOE. Oüy, Barsine, et le Prince a beau se déguiser, L'amour seul à ce trouble⁎ a droit de l'exposer, Dans son cœur malgré luy mes soupçons me font lire. BARSINE. Ce [83] peut-estre pour vous qu'Antiochus soûpire, Et par là, quoy qu'il cache, il vous seroit aisé De connoistre le mal que vous auriez causé . ARSINOE. Tu crois qu'il m'aimeroit, luy dont l'ardent suffrage A des vœux de Tigrane authorisé l'hommage, Me l'a fait agréer, et sur l'adveu du Roy Asseure à son amour et mon cœur et ma foy ? BARSINE. Peu voudroient d'un Rival favoriser la flame, Mais, Madame, il n'est rien que n'ose une grande ame, Et Tigrane à son Prince ayant sauvé le jour, Tout me devient suspect quand il sert son amour. Pour triompher du sien, le forcer au silence, L'amitié s'est pû joindre à la reconnaissance, Et quoy qu'il se contraigne à soûpirer tout bas, L'excez de son chagrin ne le trahit- il pas ? Peut-il mieux expliquer qu'il cede ce qu'il aime ? ARSINOE. C'est ce cruel effort qui l'arrache à luy- mesme, Mais lors qu'il se soûmet à cette affreuse loy, La Reyne en ce qu'il souffre a plus de part que moy. BARSINE. Stratonice ? ARSINOE.     Elle mesme. BARSINE.         Et vous le pouvez croire Dans le peu d'interest qu'il montre pour sa gloire ? Quand chacun à l'envy s'y fait voir empressé Du plus foible devoir il se croit dispensé, Jamais il ne luy parle, et la fuyant sans cesse … ARSINOE. S'il l'a fuit, ce n'est pas son chagrin qui l'en presse, Il fuit, il craint des yeux trop sçavans à charmer, Et craindre un bel objet [84], Barsine, c'est l'aimer. BARSINE. Quoy, c'est-là de sa flame une preuve certaine ? ARSINOE. Non, mais enfin j'en croy ce Portrait de la Reyne, Qui trouvé sur mes pas me laisse peu douter D'un feu que son respect empesche d'éclater. Depuis que le hazard m'en fait depositaire Sa perte est un malheur dont on aime à se taire, Et pour le recouvrer [85], tout autre qu'un Amant, N'ayant rien à cacher, s'en plaindroit hautement. Elle tire une boëte de Portrait qu'elle montre à Barsine. Voy de nouveau, Barsine, avec quel avantage Ce qui doit l'enfermer estale son ouvrage, Admire tout autour quels pompeux ornements Luy fournit à l'envy l'éclat des diamants : Tant de profusion, comme elle est peu commune, Marque en qui la peut faire une haute fortune, Et la Boëte est d'un prix qui ne fait que trop voir Qu'un Prince à l'enrichir a montré son pouvoir ; Outre que je la trouve en ce lieu solitaire [86] Où l'on voit chaque jour Antiochus se plaire, Sous ces Arbres toufus dont l'agreable frais [87] Pour qui cherche à resver a [88] de si doux attraits, Croy moy, de mes soupçons la preuve est convaincante. BARSINE. S'ils ne vous trompent point, la disgrace est touchante⁎ [89], Car c'en est une enfin sous qui trembler d'effroy D'estre Rival ensemble, et d'un Pere, et d'un Roy, Mais d'un Roy qui d'ailleurs [90] adore Stratonice. ARSINOE. Il faut que cét amour aujourd'huy s'eclaircisse, Cette Boëte y peut tout, et pour m'en assurer Aux yeux d'Antiochus je n'ay qu'à m'en parer [91]. De son trouble à la voir penses-tu qu'il soit maistre ? BARSINE. Le feu qu'il tient caché par là se peut connoistre, Mais n'oubliez-vous point ce que vous avez fait, Que par [92] vous cette Boëte a changé de Portrait ? Pour celuy de la Reine elle enferme le vostre. ARSINOE. C'est exprés que le mien tient la place de l'autre. A moins qu'un tel échange aidast à m'éclaircir, En vain par cét effay j'y croirois reussir. Le Prince auroit sur soy peut-estre assez d'empire Pour ne rien laisser voir de ce qu'il n'ose dire, Et sur quelque pretexte il pourroit trouver jour A reprendre un Portrait si cher à son amour ; Au lieu que par la Boëte ayant un seul indice Que je garde en mes mains celuy de Stratonice, L'ardeur de retirer ce depost precieux Luy fera découvrir ce qu'il cache le mieux, Ou s'il peut me laisser en quelque incertitude, Du moins je joüiray de son inquietude, Il parlera par elle, et quand …Mais je le voy, Pour le contraindre moins, Barsine, éloigne-toy. ### SCENE II. ANTIOCHUS, ARSINOE. ARSINOE. Seigneur, est-il possible, et pourra-t'on le croire, Que vous mesme ayez mis obstacle à vostre gloire, Et que lors que le Roy cherche à vous couronner Vostre adveu pour un Trône ait peine à se donner ? L'éclat du nouveau rang qui d'une pompe insigne… ANTIOCHUS. Sa bonté l'a surpris quand il m'en a crû digne, Mais mon zele à ses soins⁎ auroit mal répondu Si j'avois accepté ce qui ne m'est pas deu, Je suis né son Sujet, et fais gloire de l'estre. ARSINOE. Dites que de vos sens le chagrin⁎ est le maistre, Et que tout vostre cœur s'en laissant accabler, Ce qui doit l'adoucir sert à le redoubler. ANTIOCHUS. Il est vray qu'il m'emporte, et qu'en vain mon adresse S'efforce de bannir ou cacher ma foiblesse, Malgré moy je luy cede, et son subtil poison D'une vapeur maligne [93] infecte ma raison, Sans cesse s'abysme, et son trouble …de grace, Faites … ARSINOE.         Et bien, Seigneur, que faut-il que je fasse ? Vous ne dites plus rien, et tout à coup vos yeux… ANTIOCHUS. J'examine un travail et riche et curieux, Et trouve en cette Boëte un chef-d'œuvre si rare Qu'il semble en l'admirant que mon esprit s'égare, La façon est nouvelle, et j'en estime l'art. ARSINOE. Toute riche qu'elle est, je la tiens du Hasard. ANTIOCHUS. Quoy, Madame, en vos mains le Hasard l'a remise ? ARSINOE. Oüy, Seigneur, et c'est là ce qui fait ma surprise, Que qui pour l'enrichir n'a rien fait épargner, Puisse en souffrir la perte, et n'en rien témoigner. ANTIOCHUS. J'admire comme vous qu'on la tienne secrete, Mais, Madame, attendant qu'on sçache qui l'a faite, Souffrez que j'en joüisse, et tâche à profiter De ce qu'en ce modele on peut faire imiter. Pour un travail charmant dont la garde m'est chere Un ouvrage pareil me seroit necessaire, Et je ne sçaurois mieux en regler le projet… ARSINOE. J'estimois ce depost, et j'en avois sujet, Mais je vous l'abandonne, et ne veux pour partage Que reprendre un Portrait… ANTIOCHUS.         Ah, c'est me faire outrage, En me le confiant ne craignez rien pour luy, Et souffrez que sa veuë amuse mon ennuy⁎, La Peinture eut toûjours dequoy me satisfaire. ARSINOE. Si j'en croy ce qu'on dit, celle-cy doit vous plaire, Et comme enfin, Seigneur, vous vous y connoissez, Dites-moy d'un coup d'œil ce que vous en pensez, Les traits en sont hardis, et la main… ANTIOCHUS *l'empeschant d'ouvrir la boëte.*.         Non, Madame, Déja la resverie⁎ occupe trop mon ame, Et du moins devant vous c'est à moy d'éviter Tout ce que je prévoy qui pourroit l'augmenter, Du Peintre en ce Portrait examinant l'adresse J'oublierois malgré moy… ARSINOE.         Seigneur, je vous le laisse, . Quoy que sur ce travail j'aye à vous consulter, La Reyne qui paroist m'oblige à vous quitter. ### SCENE III. STRATONICE, ANTIOCHUS. ANTIOCHUS. Et bien, Madame, enfin le Roy me fait-il grace ? Consent-il au destin dont la rigueur me chasse, Et que loin de la Cour je tâche à retrouver La douceur du repos dont je me sens priver ? STRATONICE. Seigneur, pour vous le rendre esperez tout d'un Pere, Il n'est rien qu'à son Fils sa tendresse prefere, Mais c'est trop vous flater de croire qu'aisément Il donne son adveu pour vostre éloignement. Ce dessein l'epouvante, en parler c'est un crime. ANTIOCHUS. Il faut donc qu'en mes maux sans cesse je m'abysme Que sans cesse une triste⁎ et mortelle langueur⁎… STRATONICE. Tout le monde avec vous partage sa rigueur, Mais quand pour l'adoucir vous cherchez la retraite [94], La Cour n'a-t'elle rien dont l'éclat vous arréte [95] ? N'y voyez-vous par tout qu'Objets à dédaigner ? ANTIOCHUS. Ah, ce n'est pas par là qu'il m'en faut éloigner. S'il est rien dont l'appas⁎ ou me flate, ou m'attire, C'est-là que je le vois, c'est là que je l'admire, Et l'Univers entier n'a rien d'un si haut prix Qui vaille les douceurs dont je m'y sens surpris ; Mais dans le trouble obscur de mon ame abatuë, Mon bonheur fait mon mal, ce qui me plaist, me tuë, Et mon chagrin funeste a l'art d'empoisonner Tous les biens que le Ciel cherche à m'abandonner. STRATONICE. Quoy ? toûjours ce chagrin⁎ sans m'en dire la cause ? J'avois creu que sur vous je pouvois quelque chose, Mais… ANTIOCHUS.         Si dans ce pouvoir vous trouvez quelque appas⁎, Il ne va que trop loin, ne vous en plaignez pas. STRATONICE. Vous me cachez vos maux, et je pourrois vous croire ? ANTIOCHUS. Mais, Madame, songez qu'il y va de ma gloire, Et que je la trahis si j'ose découvrir Ce qu'en vain ma raison a tasché de guerir. STRATONICE. Quoy que pour un grand cœur la raison ait d'amorces⁎, Où la passion regne elle reste sans forces, Et sur tout ses conseils font peu d'impression Quand le mal naist d'amour, ou vient d'ambition. ANTIOCHUS. Ah, pour l'ambition j'en crains peu la surprise, Plus je suis prés du Trône, et plus je le méprise, Et lors qu'on vous y place, il me seroit moins doux D'aller donner des loix [96] que d'en prendre de vous. STRATONICE. Cet illustre mépris sied bien aux grands courage, Mais chaque passion excite ses orages, Et tel qu'un plus haut rang ne peut inquieter, Aux troubles de l'amour a peine à resister. ANTIOCHUS. Helas ! STRATONICE.     Vous soûpirez ! ANTIOCHUS.         Il est vray, je soûpire, Et dis peut-estre plus que je n'ay crû vous dire ; Mais si j'explique trop ce qu'en vain je combats, Songez que c'est à vous à [97] ne m'entendre pas. STRATONICE. Quoy, Prince ? il se peut donc que l'amour… ANTIOCHUS.         Ah, Madame, Vous avez arraché ce secret de mon ame, Et quand rien sur ce point ne pouvait m'ébranler, Vous blasmiez mon silence, il a falu parler ; Mais ne pretendez point pour finir mon martyre Que j'accepte l'oubly que vous m'allez prescrire, Et que ma passion puisse prendre la loy Du pouvoir absolu que vous avez sur moy. Avec toute l'ardeur dont un cœur soit capable J'aime ce que jamais on vit de plus aimable⁎, Et trouveray toûjours un sort bien moins amer A mourir en aimant, qu'à vivre sans aimer. STRATONICE. Quoy que de mes conseils vostre amour semble craindre, J'en croy le feu trop beau pour le vouloir éteindre ; Mais je ne comprens point quel bizarre pouvoir Le forçant au silence arme son desespoir. Outre qu'en vain sans cesse on veut qu'il se contraigne, Vous n'estes pas d'un rang qu'aisément on dédaigne, Ou si rien en aimant ne vous peut secourir , Du moins on plaint un mal qu'on ne sçauroit guerir. ANTIOCHUS. Non, non, à mon destin le Ciel veut que je cede, Madame, il faut mourir, mon mal est sans remede ; Ce n'est pas qu'en effet la douceur d'estre plaint Ne soulageast les maux dont mon cœur est atteint ; Mais pour flatter le trouble où leur rigueur m'expose, Il faudroit estre plaint de celle qui les cause, Et dans l'obstacle affreux qui s'offre à respecter, C'est estre criminel que de le souhaiter. STRATONICE. J'ignore quel obstacle elle vous montre à craindre ; Mais pour vous soulager s'il ne faut que vous plaindre, Quelque austere vertu qui la force d'agir, C'est un bien qu'elle peut accorder sans rougir. Pour moy, si sur son cœur, quand elle a tout le vostre, Je puis… ANTIOCHUS.         Vous y pouvez sans doute plus qu'une autre, Et si je me souffrois l'espoir d'un bien si doux, Mon amour ne voudroit l'attendre que de vous, Mais si-tost que j'aurois…Je sçay trop que ma flame… STRATONICE. Et bien Prince, achevez. ANTIOCHUS.         N'en parlons plus, Madame, J'oubliois un devoir que mon respect soûtient, Je m'allois égarer, mais ma raison revient, Et tant qu'un coup fatal borne enfin ma misere, Je voy qu'il faut languir, soûpirer, et me taire. STRATONICE. Pour vous en pouvoir croire, il faut qu'auparavant… ANTIOCHUS. Madame, au nom des Dieux n'allez pas plus avant. Tant que j'aime en secret j'aime avec innocence, Mais enfin je la pers si j'en fais confidence, Et c'est peut-estre assez dans un sort si cruel De vivre malheureux, sans mourir criminel. STRATONICE. Aprés ce que sur vous je dois avoir d'empire, Prince, c'est m'outrager que s'en vouloir dédire, Et soupçonner qu'un zéle aussi faux qu'indiscret… ANTIOCHUS. Madame, encor un coup laissez- moy mon secret. Vous mesme qui voulez qu'un libre adveu l'exprime, S'il eschape à mon cœur, vous m'en ferez un crime, Et sans voir par quel ordre il l'ose reveler, Vous me demanderez qui m'aura fait parler ; Ne vous exposez point pour vouloir trop connoistre… STRATONICE. Vos malheurs sont au point de ne pouvoir s'accroitre, Et quand je n'agirois qu'afin de vous trahir… ANTIOCHUS. Enfin vous le voulez, il faut vous obeïr, Mais j'atteste les Dieux, si je romps le silence, Que vostre ordre à mon feu fait cette violence, Et que jusqu'au tombeau sans cette dure loy Ce seroit un secret entre mon cœur et moy. Puisqu'il faut expliquer pour qui ce cœur soûpire , Vous mesme dites-vous ce que je ne puis dire, Ce Portrait trop aimable⁎, et trop propre à charmer Vous montrera l'Objet que je n'ose nommer. Il luy donne le Portrait qu'il a receu d'Arsinoé. STRATONICE. Cet excez de respect marque une ame incapable… ANTIOCHUS. Et bien, qu'ordonnez-vous d'un Amant déplorable ? A tout son desespoir faut-il l'abondonner, Ou le plaindre d'un sort qu'il n'a pû détourner ? Mais vostre teint se change, et ce front qui s'altere… C'en est fait, je le voy, j'ay deu, j'ay deu me taire, Et l'amour dont je suis l'indispensable loy, Quand j'en nomme l'Objet, est un crime pour moy . STRATONICE. Vostre choix me surprend, et quelque haut merite Que cet amour se peigne en l'Objet qui l'excite… ANTIOCHUS. Ah ! si par le merite il pouvoit s'excuser, Qui n'approuveroit pas ce qu'il me fait oser ? A l'orgueil de mes vœux ne faites point de grace, Mais épargnez l'objet qui les force à l'audace, Jamais rien de si beau ne parut sous les Cieux, Jamais rien de si vif ne sceut charmer nos yeux, De la Divinité c'est l'image visible, Pour ne l'adorer pas il faut estre insensible, Et quand ce libre adveu presse vostre couroux, Le malheur est pour moy, mais le crime est de vous . Quoy que prest d'expirer sous l'horreur du silence, J'ay voulu de mon feu cacher la violence, J'ay voulu déguiser à quels charmes soûmis… STRATONICE. Pourquoy ce long silence à qui tout est permis ? Je dois à ce Portrait l'adveu de vostre flame , Et sur ce qu'il m'apprend … ANTIOCHUS.         Rendez- le moy, Madame, Mon Amour le demande, et dans son desespoir… STRATONICE. Ce n'est pas de ma main qu'il doit le recevoir. ANTIOCHUS. Quoy, me le refuser ! O rigueur impreveuë ! Et bien, privez mes yeux d'une si chere veuë, Vous n'empescherez point que gravé dans mon cœur Du beau feu qui m'embrase il n'augmente l'ardeur. C'est-là que malgré vous j'adoreray sans cesse Les traits d'une charmante et divine Princesse, Qu'un hommage secret luy soûmettant ma foy… STRATONICE. Prince, adieu, c'en est trop. ANTIOCHUS.         Madame, écoutez-moy . Si je ne puis forcer mon amour à se taire, J'ay du sang à répandre, il peut vous satisfaire Je vous l'offre, et mon mal deviendra plus leger… STRATONICE. Tigrane qui paroist sçaura le soulager, Comme il peut tout pour vous, vous luy pouvez tout dire. ### SCENE IV. ANTIOCHUS, TIGRANE. TIGRANE. Pour adoucir les maux dont vostre cœur soupire, Seigneur, se pourroit-il que mon zéle et mes soins⁎… ANTIOCHUS. Mon chagrin⁎ pour resver⁎ ne veut point de témoins. Accordez ce relasche à mon ame abatuë. TIGRANE. Quoy, vous me déguisez la douleur qui vous tuë ? Et l'amitié, Seigneur, vous y fait consentir ? ANTIOCHUS. Je vous l'ay déja dit, Tigrane, il faut partir, C'est tout ce que je sçay. TIGRANE.         Je n'ose vous promettre Que le Roy sur ce point vueille rien vous permettre, D'un congé si funeste il condamne l'espoir, Et plein d'impatience il demande à vous voir. *Mais si je m'en rapporte à ce qu'a dit la Reyne*, Il semble que je puis soulager vostre peine, Et qu'à me l'expliquer vous faisant quelque effort … ANTIOCHUS. Voyons le Roy, Tigrane, et laissons faire au Sort. < FIN DU SECOND ACTE > ## ACTE III. ### SCENE PREMIERE. SELEUCUS, ANTIOCHUS, Suite. SELEUCUS . Prince, n'esperez point que jamais je consente A ce cruel depart qui flate vostre attente. S'il faut de vos ennuis partager le tourment J'en prefere la peine à vostre éloignement, De vostre veuë au moins laissez-nous l'avantage ; Mais enfin se peut-il que rien ne vous soulage, Et qu'un Roi qui peut tout, et fait cent Rois jaloux, Avec ce plein pouvoir ne puisse rien pour vous ? ANTIOCHUS. Seigneur, je me condamne, et n'ai rien à vous dire, A l'exil qui m'est dû c'est par là que j'aspire, Je rougis de troubler par mon fatal chagrin Le triomphe éclatant de vostre heureux destin, Et pour vous épargner la gesne⁎ où vous expose… SELEUCUS. Vous me l'épargneriez à m'en dire la cause. ### SCENE II. SELEUCUS, STRATONICE, ANTIOCHUS, PHENICE, Suite. SELEUCUS. Qu'avez-vous fait pour moy ? Vous avez veu mon Fils, Madame, et de vos soins⁎ je me suis tout promis, Dans le trouble où l'engage un destin trop contraire A-t'il pû vous cacher ce qu'il aime à nous taire ? ANTIOCHUS. S'il estoit quelque soin qui le pust adoucir, Les bontez de la Reyne auroient dû reüssir, Mais dans mes sens confus, Seigneur, tel est ce trouble, Que plus on le combat, plus je sens qu'il redouble, Et malgré moy sans cesse interdit, estonné… STRATONICE. A d'éternels ennuis⁎ il se croit destiné, Mais quel que soit le mal à qui sa raison cede, Peut-estre est-il aisé d'en trouver le remede, Et l'on n'ignore pas où l'on doit recourir Quand on n'a dans un cœur que l'amour à guerir. SELEUCUS. Quoy, mon fils aimeroit ? ANTIOCHUS.         Qu'avez-vous dit, Madame ? STRATONICE. Ouy, Seigneur, son chagrin est l'effet de sa flame, Son cœur de son secret obstinément jaloux… ANTIOCHUS. Ah, Madame, est-ce là ce que j'ay crû de vous ? SELEUCUS. N'en rougy point, mon fils ; si l'adveu t'en fait honte, Voi qu'il n'est point de cœur que l'Amour ne surmonte, Et pour authoriser celuy qui t'a surpris, Songe que ton Pere aime avec des cheveux gris. Quelques brulants transports⁎ où cette ardeur t'entraine, Puis-je les condamner quand j'adore la Reyne, Et prefere en l'aimant la gloire de ses fers A celle de me voir Maistre de l'Univers ? Aime donc puiqu'enfin aimer n'est pas un crime, Mais aime pour te rendre un secours legitime, Quelque cœur que l'amour te force d'attaquer Pour voir finir tes maux tu n'as qu'à t'expliquer. ANTIOCHUS. Seigneur, trop de bonté pour moy vous interesse⁎, J'aime, en vain je voudrois vous cacher ma foiblesse, On vous en a trop dit, mais enfin c'est du temps Que dépend dans mes maux le secours que j'attens, Vaincre ma passion en est le seul remede. SELEUCUS. A tant d'aveuglement se peut-il qu'elle cede Que dans ce qu'authorise un absolu pouvoir, Tu n'oses luy souffrir la douceur de l'espoir ? Voy dans toute l'Asie, a-t'elle aucune [98] Reyne Qui dédaignast l'honneur d'avoir causé ta peine ? Ou s'il te plaist d'aimer dans un destin plus bas, Pour l'élever à toy choisy qui tu voudras Ma tendresse y consent, et tu n'as rien à taire. ANTIOCHUS. Je me vaincray, Seigneur, c'est tout ce qu'il faut faire. SELEUCUS. Hastez la guérison d'un Amant trop discret, Madame, vous sçavez le reste du secret ? STRATONICE. Ouy, Seigneur, et je puis… ANTIOCHUS.         Ne dites rien, Madame, Vous n'avez que trop fait d'avoir trahy ma flame, Bornez-la des malheurs qu'on ne peut reparer, Et laissez-moy mourir sans me desesperer. STRATONICE. Souffrir que sous l'amour un si grand Prince expire ! Ce Portrait vous dira ce qu'il n'ose vous dire, Seigneur, voyez pour qui son cœur est prevenu. ANTIOCHUS *pendant que Seleucus regarde le Portrait.*. Enfin, l'on sçait mon crime, et tout vous est connu, L'Astre qui m'en a fait un destin necessaire Dérobe à mon respect la gloire de me taire, Et pour comble d'horreur dans un mal si pressant Il ne m'est plus permis de mourir innocent ; C'estoit par là pourtant que je flatois [99] ma peine, Et si j'ay découvert mon secret à la Reyne, J'avois quelque sujet de croire qu'à son tour Elle voudroit m'aider à cacher mon amour. L'adveu qu'elle en a fait demande mon suplice, Ordonnez-le, Seigneur, et vous faites justice, Déja ce que pour vous j'y prenois d'interest Par l'exil que je presse avoit fait mon arrest. SELEUCUS. O vertu sans exemple ! Ô cœur trop magnanime ! Ne parle point, mon Fils, ny d'exil ny de crime, Quoi qu'oppose à ta flame un scrupuleux devoir, C'est trop, c'est trop long-temps luy deffendre l'espoir, Je répons du succez, aime sans plus rien craindre . ANTIOCHUS. Que pour moy jusques-là vous vueillez vous contraindre ! Ah, plustost qu'abuser de vos rares bontez, Puissent croistre ces maux que j'ay trop meritez, Puissent… SELEUCUS.         Je sçais à quoy ton grand cœur te convie, Tu dois tout à Tigrane, il t'a sauvé la vie, Mais le trouble où t'abysme un long et dur ennuy⁎, Quoi qu'il ait fait pour toy, te rend quite vers luy, Tu n'as que trop payé ce fidelle service. ANTIOCHUS. Je crains peu qu'en mon cœur jamais rien l'affoiblisse, Mais pourquoy m'advertir de ce que je lui doy ? Tigrane… SELEUCUS.         Le voicy, laisse parler ton Roy. ### SCENE III. SELEUCUS, ANTIOCHUS, STRATONICE, TIGRANE, PHENICE, Suite. SELEUCUS *à Tigrane.*. Pour arracher ton Prince au tourment qui l'accable, D'un grand et rare effort sens-tu ton cœur capable ? TIGRANE. Au prix de tout mon sang j'aspire à le montrer, Seigneur… SELEUCUS.         Dans ses ennuys⁎ on vient de penetrer, Il en cachoit la cause avec un soin extréme, Mais tout est éclaircy, te le diray-je ? Il aime, Et son feu qu'au silence il a toûjours contraint, A causé tous les maux dont tu le vois atteint, Puisque d'Arsinoé dépend son seul remede, Il faut qu'à son amour ton amitié la cede, Et qu'un heureux hymen commence dés demain A luy rendre un repos qu'il attend de sa main. ANTIOCHUS. Moi, Seigneur ? La Princesse ! Ah Dieux ! Qu'à l'hymenée, Tigrane… SELEUCUS.         Son malheur tient ton ame estonnée, Tu crains de luy ravir ce qui plaist à ses yeux, Mais enfin à l'Estat tes jours sont precieux. Quelque atteinte qu'il sente à ce grand coup de foudre, Pour conserver ta vie il sçaura s'y resoudre, Je répons de son zele, et connoy trop sa foy. TIGRANE. Vous le pouvez, Seigneur, je dois tout à mon Roy. ANTIOCHUS. On s'abuse, Tigrane, et c'est en vain qu'on pense… SELEUCUS. Allez et trop long-temps tu t'es fait violence, Laisse enfin éclater un amour trop discret, Va voir Arsinoé, je te rends son Portrait, D'un gage si charmant la garde est toûjours chere. ANTIOCHUS *regardant le Portrait.*. Confus, hors de moi-mesme, et contraint de me taire… SELEUCUS. Dans l'excez du bonheur les sens sont interdits, Enfin je n'ai plus rien à craindre pour mon Fils. Madame, c'est à vous que j'en dois l'avantage, Mais ne dédaignez pas d'achever vostre ouvrage, Et puisqu'à la Princesse il faut tout declarer, Par un premier advis venez-l'y preparer. ANTIOCHUS. Madame, se peut-il… STRATONICE.         Ouy, perdez vos alarmes, Vos vœux pour la Princesse auront assez de charmes, Et si pour la toucher quelque soin m'est permis, Je vous y serviray comme je l'ay promis. ### SCENE IV. ANTIOCHUS, TIGRANE. TIGRANE. Je ne demande plus d'où partoit le silence Qui de vostre secret m'ostoit la connoissance, Seigneur, il est donc vray qu'un revers trop fatal M'apprestoit la douleur de vous voir mon Rival, De voir tout ce qu'on craint dans un malheur extréme Porter sur mon amour… ANTIOCHUS.         Quoy, Tigrane, et vous-mesme Vous croyez que mon cœur pour la Princesse atteint… TIGRANE. Ah, ce n'est pas dequoy ma passion se plaint. Arsinoé sans doute a tous les advantages Dont l'éclat puisse plaire aux plus nobles courages. Et comme rien n'échape à qui peut tout charmer, Puisque vous la voyiez, vous avez dû l'aimer ; Je me plains seulement que l'adveu de ma flame Ne m'ait pas attiré le secret de vostre ame, Mon respect joint alors à ce que je vous doy Eust esté pour me vaincre une assez forte loy. Dans ces commencemens, quelque ardeur qui nous presse, Des sens encor soûmis la raison est maistresse, Et contraint en naissant d'en estouffer l'appas⁎, Si le cœur en soûpire, il soûpire tout bas ; Mais avant qu'éclater vous m'avez laissé prendre Tout l'espoir qu'un beau feu puisse jamais attendre, Vous avez consenty que ce cœur amoureux Touchast le doux moment qui m'alloit rendre heureux, Demain l'Hymen devoit couronner ma victoire, Demain je devois estre au faiste [100] de la gloire, Et par l'affreux revers d'un trop funeste sort, Le jour de mon triomphe est celuy de ma mort. ANTIOCHUS. Non, non quoi qu'il arrive, aimez en asseurrance, Les maux dont vous tremblez ne sont qu'en apparence, C'est de mon seul repos que le Sort est jaloux, Tigrane, croyez-m'en, la Princesse est à vous. TIGRANE. Elle est à moy, Seigneur ! Et le puis-je pretendre Quand c'est me l'arracher que me la vouloir rendre, Et que vostre vertu par cét illustre effort M'expliquant mon devoir fait l'arrest de ma mort ? Au peril de vos jours chercher à vous contraindre, C'est combattre mon feu, c'est m'apprendre à l'éteindre, Et croistre d'autant plus de si sensibles coups [101] Qu'il ne m'est pas permis de me plaindre de vous. Encor si vous disiez qu'à l'espoir qu'on me vole Vous voulez que pour vous ma passion s'immole, Et qu'un ordre absolu me forçast d'étoufer Un feu dont vostre cœur n'auroit pû triompher, Je vous demanderois si vous auriez dû croire Que j'obtinsse plustost cette triste victoire, Et si pour renoncer à l'espoir le plus doux J'aurois ou plus de force, ou moins d'amour que vous. Je vous demanderois par quelle grandeur d'ame Je pourrois plus sur moy que vous sur vostre flame, Et pourquoy jusqu'au jour où j'attens tout mon bien On m'auroit tout promis pour ne me donner rien ; Mais plus vous me cedez, moins ce bien me demeure, Quand vous voulez mourir, l'honneur veut que je meure, Et meure au desespoir d'estre encor vers le Roy Coupable des ennuys⁎ que vous souffrez pour moy. ANTIOCHUS. Ils sont grands, je l'advouë, et j'ay lieu de m'en plaindre, Mais s'il m'estoit permis de ne me point contraindre, Et de vous faire voir à quels rudes combats… TIGRANE. Parlez, parlez, Seigneur, ne vous contraignez pas, Dites que la princesse agrée en vain ma flame, Qu'elle a tout vostre cœur, qu'elle a toute vostre ame, Qu'avant que la ceder vous verrez tout perir, Je mourray de l'entendre, et je cherche à mourir. ANTIOCHUS. Quoy ? Vous me reduirez à vous dire sans cesse Que je ne pretens rien au cœur de la Princesse, Que loin que mon espoir combate vostre feu, Je suis prest… TIGRANE.         Ah, Seigneur, pourquoy ce desaveu ? N'avez-vous pas au Roy déclaré quel empire… ANTIOCHUS. J'ai parlé sans sçavoir ce que j'ay voulu dire, Ou plustost dans les maux dont je suis attaqué, On a crû [102] mon silence, il s'est mal expliqué. TIGRANE. Et ce Portrait, Seigneur ? ANTIOCHUS.         En vain on me l'oppose, S'il semble avoir trop dit n'en cherchez point la cause, Mon cœur dont ce mystere augmente l'embarras, Ne vous peut éclaircir ce qu'il ne conçoit pas. TIGRANE. Je le conçois, Seigneur, mon desespoir vous gesne⁎, Vous m'en montrez l'exemple, il faut ceder sans peine, S'applaudir en donnant ce qu'on a de plus cher, Et démentir l'amour qu'on ne peut s'arracher. Et bien, quoy que sur nous son pouvoir soit extréme, Si vous y renoncez, j'y renonce de mesme. Dequoy que la Princesse ait paru me flater, Vous engager son cœur c'est ne me rien oster. Si j'eus lon-temps l'espoir que le Roy vous asseure, Je le pris sans amour, je le perds sans murmure, Sa main pour mon bonheur n'avoit rien d'important, En est-ce assez, Seigneur, et vivrez-vous content ? ANTIOCHUS. Pour l'esperer jamais ma disgrace est trop forte. ### SCENE V. ANTIOCHUS, ARSINOE, TIGRANE, BARSINE. ANTIOCHUS. Madame, retenez un Amant qui s'emporte, Sa mort sera l'effet d'un ordre qu'il reçoit, Son desespoir la presse, et c'est luy qu'il en croit. [103] ARSINOE. Quoy que de Seleucus le Ciel m'ait fait dependre, Tigrane sçait de moy ce qu'il a droit d'attendre ; Mais comme enfin cét ordre a droit de l'étonner, De grace, apprenez-moy ce qui l'a fait donner. Qu'avez-vous dit, Seigneur, dont son ame abatuë… TIGRANE. Qu'il meurt d'amour pour vous, que cét amour le tuë, Et que pressé d'ennuys, la langueur qui les suit Est l'effet de l'estat où vous l'avez reduit. ARSINOE *à Antiochus.*. Sous quelque dur soupçon que Tigrane languisse, Je me connoy, Seigneur, et je vous rends justice, Ce qui le fait trembler étonne⁎ peu ma foy⁎ ; Mais encor une fois qu'avez-vous dit au Roy ? Luy deviens-je suspecte, et m'avez-vous nommée ? ANTIOCHUS. Non, Madame, et sa flame en vain s'est alarmée, Le nom d'Arsinoé ne m'est point échapé, Et si le Roy se trompe, il veut estre trompé. TIGRANE. Hélas ! Pour exprimer tout l'amour qui l'inspire, Montrer vostre Portrait n'est-ce pas assez dire, Et sur l'heureux depost d'un gage si charmant Peut-il moins advoüer que le tiltre d'Amant ? ARSINOE. M'a-t'on dit vray, Seigneur, qu'expliquant vostre peine Vous ayez laissé voir mon Portrait à la Reyne, Et souffert que le Roy… ANTIOCHUS.         Madame, vous sçavez Que plaignant les ennuys qui me sont reservez Vous-mesme… ARSINOE.     Et bien, Seigneur ? TIGRANE.         Que cherchez-vous, Madame ? Son trouble n'est-il pas le témoin de sa flame ? Vous faut-il un témoin plus fort, plus asseuré, Et Tigrane a-t'il tort s'il meurt desesperé ? ANTIOCHUS. Ses transports⁎ iront loin si vostre amour n'arreste [104] L'injuste desespoir où ce Portrait le jette, [105] Il est vray qu'on l'a veu, mais sans trop s'alarmer, Qu'il attende… ARSINOE.         Je voy ce qu'il faut presumer, Et penetre à la fin sous quel secret empire… ANTIOCHUS. Ah, Madame, sur tout gardez-vous de ne rien dire, Ou plustost du silence où je dois m'obstiner Gardez-vous malgré moy d'oser rien deviner, Loin d'adoucir mes maux ce seroit les accroitre. TIGRANE. Pour ne les guérir pas ils se font trop connoistre, Et d'un amour contraint le dur accablement, Sans qu'on devine rien, parle assez clairement. ANTIOCHUS. O devoir, ô respect dont la loy trop severe Quand je veux m'expliquer me condamne à me taire ! Je ne vous dis plus rien, mais pour m'en consoler Les effets parleront si je n'ose parler. ### SCENE VI. ARSINOE, TIGRANE, BARSINE. TIGRANE. Madame, c'est donc là… ARSINOE.         Vous n'estes pas à plaindre Autant que vostre amour vous engage à le craindre. Quelque ordre dont l'éclat menace vostre espoir, Il suffit [106] que c'est moy qui dois le recevoir. TIGRANE. Contre l'ordre du Roy que peut vostre constance ? ARSINOE. Par lui, par son adveu ma flame a pris naissance, Tigrane, et c'est assez pour m'acquerir les droits D'appuyer hautement la gloire de son choix. TIGRANE. A suivre ce projet quand le Prince vous aime, Songez-vous que déjà sa langueur est extréme, Qu'on en voit chaque jour redoubler les accez, Qu'on tremble de la suite ? ARSINOE.         Attendez le succez. TIGRANE. Il y va de sa vie, et quand le peril presse, Vous voulez… ARSINOE.         Sa vertu bannira sa foiblesse, Ou s'il essaye en vain de contraindre ses vœux, Le Roy n'a qu'à vouloir, et le Prince est heureux. TIGRANE. Et ne le veut-il pas quand son ordre m'arrache… ARSINOE. Vostre heur [107] est toûjours seur, quelque ombre qui le cache, Ne vous alarmez point. TIGRANE.         Quoy ? Garder quelque espoir ? Quand pour le rendre heureux le Roy n'a qu'à vouloir ? ARSINOE. Je vous le dis encor malgré vostre surprise, La guerison du Prince au Roy seul est remise, Mais il est dangereux en de tels embarras D'oser trop s'expliquer ce qu'on ne comprend pas. TIGRANE. C'est sans m'expliquer rien que je puis vous entendre, Qu'a [108] mon malheur d'obscur pour ne le point comprendre ? Ne vois-je pas… ARSINOE.         Adieu, gardez toûjours ma foy, Je vous en diray plus quand j'auray veu le Roi . < Fin du troisiéme Acte. > ## ACTE IV. ### SCENE PREMIERE. STRATONICE. Flateuse illusion que j'ay trop osé croire, Doux abus de mon cœur par mes desirs trompé, Cessez pour me punir d'opposer à ma gloire Le pouvoir que sur luy vous avez usurpé. D'un vray merite en vain j'eus peine à me deffendre, En vain je l'écoutay sur la foy de l'amour, S'il triompha par là de ce cœur foible et tendre, Le noble et juste orgueil qui cherche à me le rendre, En doit triompher à son tour. Ouy, pour en arracher cette estime enflamée Dont mon devoir trop tard se sentit alarmer, Il suffit de l'affront de n'estre point aimée A qui sur cét espoir s'estoit permis d'aimer. Voy donc avec mépris tout ce qu'eut d'estimable Ce prince qui sur toi prenoit trop de pouvoir ; Mais d'un pareil effort est-on si-tost capable, Et pour cesser d'aimer ce que l'on trouve aimable⁎, Helas ! N'a-t'on qu'à le vouloir ? Je sçay que le dépit qu'un autre Objet l'emporte Semble jusqu'à la hayne attirer tous nos soins⁎, Qu'à nos yeux la plus rude [109] à peine est assez forte ; Mais pour vouloir haïr on n'en aime pas moins. L'ardeur de se vanger par là de ce qu'on aime Hausse le prix d'un cœur vainement attaqué, Et sentir dans ce trouble une colere extréme C'est moins le dédaigner, que vanger sur soy-mesme La honte de l'avoir manqué. Ainsi ne prétens point avoir éteint ta flame Par ce brûlant couroux qui te defend d'aimer, Le vif ressentissement qui l'étouffe en ton ame Ne fait que l'assoupir pour mieux se rallumer . La seule indifference est la marque certaine D'un cœur que la raison ou soulage, ou guerit, Et loin que les transports⁎ de colere et de hayne De ce cœur indigné puissent calmer la peine, C'est dequoy l'amour se nourrit. Cependant quand l'Hymen étonne⁎ ta constance, Que ta lâche vertu fremit de ton devoir, T'oseras-tu vanter de cette indifference Qui fait seule acquerir ce que tu crois vouloir ? T'apprend-elle à ceder à l'oubly nessessaire De tans de vœux secrets que tu te crus permis, Et dans l'instant fatal qu'un destin trop severe T'advertit que demain tu dois ton cœur au Pere, Peux-tu ne point songer au Fils ? Dures extrémitez où l'ame partagée… ### SCENE II. STRATONICE, PHENICE. PHENICE. Madame, sçavez-vous que vous estes vangée ? En vain Antiochus se flatoit d'estre heureux, La fiere Arsinoé n'en peut souffrir les vœux, Et si le Roy pretend user de sa puissance, Elle sçait comme [110] il faut signaler sa constance, C'est assez qu'à Tigrane elle ait donné sa foy, Voilà ce qui se dit. STRATONICE.         Et que resout le Roy ? PHENICE. Pour vaincre ses refus on croit qu'il l'ait [111] mandée, Mais dans le pur amour dont elle est possedée, Les ordres violents qu'elle va recevoir N'en feront dans son cœur qu'affermir le pouvoir. STRATONICE. Qu'importe du succez à mon ame alarmée ? Pour refuser d'aimer n'est-elle point aimée, Et quoy que sa fierté brave l'ordre du Roy, En vois-je moins ailleurs ce que je crus à moy ? PHENICE. L'amour d'Antiochus n'a pû trop vous surprendre. Mais comme à son Hymen vous ne pouviez pretendre, C'est du moins quelque charme à vostre esprit jaloux De le voir dans ses vœux aussi trompé que vous. STRATONICE. Que tu penetres mal l'ennuy qui me surmonte ! Si le Prince est trompé, Phenice, il l'est sans honte, Et n'a point à rougir de s'estre répondu [112] Du succez qu'à sa flame il croyait estre deu. Il sçavoit qu'à Tigrane Arsinoé fidelle Verroit avec chagrin qu'il soûpirast pour elle, Et poursuivant un cœur pour un autre enflamé, Il aimoit asseuré de n'estre point aimé. Mais qui n'auroit point crû qu'une secrete flame M'avoit abandonné l'empire de son ame ? De ses yeux interdits la confuse langueur Sembloit de son destin m'expliquer la rigueur, A ses souhaits pour moy rien ne pouvoit suffire, Il parloit, s'égaroit, et craignoit de trop dire. S'il alloit quelquefois jusques à m'admirer, Se taisant tout à coup je l'oyois soûpirer, Et de son feu secret j'avois pour asseurrance Ses regards, ses soûpirs, sa crainte, et son silence. Cependant j'ay trop crû ce silence trompeur. Ah, si tu connoissois tout ce que souffre un cœur, Quand au gré de ses vœux se flatant d'estre aimée On croit oüir son nom, et qu'une autre est nommée ! PHENICE. C'est sans doute un chagrin qu'on ne peut concevoir, Mais dequoy peut se plaindre un amour sans espoir ? Que perd-on en perdant ce qu'on n'a pû prétendre [113] ? STRATONICE. Lagloire d'avoir pris ce qu'on avoit crû prendre, Et de pouvoir du moins ne se point reprocher Qu'on ne meritoit pas ce qu'on n'a sçeu toucher. Outre que dans le rang où le Ciel m'a fait naistre, Je rougissois d'un feu que je sentois s'accroistre, Et pour en consoler ma severe fierté Je voulois m'excuser sur la Fatalité, Voir le mesme Ascendant par une égale amorce Forcer Antiochus de mesme qu'il me force, Et pouvoir imputer mes vœux trop enflamez Au panchant invincible où nous estions formez ; Mais lors qu'à mon destin le sien est si contraire Il semble que ma flame ait esté volontaire, Et que mon cœur exprez pour mandier le sien Se soit permis des vœux dont je n'attendois rien. Peut-estre, hélas ! peut-estre à m'expliquer trop prompte, De ces vœux indiscrets j'ay découvert la honte, J'ay pû luy donner lieu de s'en apercevoir, De voir toute mon ame, et c'est mon desespoir. PHENICE. Sur ce scrupule en vain vostre fierté s'alarme, Il aime Arsinoé, cét amour seul le charme, Son cœur à cette idée entierement rendu, Quoy que vous ayez dit, n'aura rien entendu, Et loin de voir pour luy que vostre ame enflamée… STRATONICE. Ah, pour le remarquer que ne m'a-t-il aimée, Et quand à s'enhardir mon feu luy donnoit jour, Que ne l'ay-je pû voir éclairé par l'amour ? N'y pensons plus, Phenice, ou croyons qu'il s'obstine A braver l'Ascendant qui pour moy le domine, Et que pour l'en punir, les Dieux l'ont fait pancher Où d'autres vœux receus l'empeschent de toucher. Mais sans doute frapé d'une mortelle atteinte Tigrane que je voy vient m'adresser sa plainte, Tandis que sa douleur se soulage avec moy, Va sçavoir, s'il se peut, les sentimens du Roy. ### SCENE III. STRATONICE, TIGRANE. STRATONICE. Un revers trop cruel traverse vostre flame Pour pouvoir m'étonner du trouble de vôtre ame ; Mais du moins c'est beaucoup que malgré sa rigueur D'un triomphe secret vous goustiez la douceur. J'apprens que de vos feux la Princesse charmée Fait vanité d'aimer autant qu'elle est aimée, Et que sur sa constance on ne sçauroit gagner D'en immoler la gloire à celle de regner. TIGRANE. Madame, le Destin m'est d'autant plus contraire Qu'au moment qu'il m'accable il consent que j'espere, Et par de faux appas⁎ ébloüissant ma foy Me force d'appuyer ce qu'il fait contre moy. Antiochus renonce à m'oster ce que j'aime, D'Arsinoé pour moy la constance est extréme, Et quoy qu'on fasse enfin, si je les croy tous deux, Rien ne peut mettre obstacle au succez de mes feux. Du Prince cependant le déplaisir s'augmente, Son chagrin est plus noir, sa langueur plus traisnante, Et si de sa vertu j'ose me prévaloir, Sa mort presque certaine étouffe mon espoir. Jugez si mes ennuys en ont moins d'amertume. STRATONICE. Peut-estre il n'aime pas autant qu'on le presume, Et puisqu'à son bonheur il cherche à resister On peut croire… TIGRANE.         Ah, Madame, il n'en faut point douter, La Princesse le charme, il l'adore, et son ame Peut à peine suffire à l'excez de sa flame, Jamais un plus beau feu ne regna sur un cœur, Mais un foible service en arreste l'ardeur ; Il ne peut oublier qu'un sort digne d'envie M'a fait sauver ses jours au peril de ma vie, Et par reconnoissance il s'obstine à son tour A donner aujourd'hui la sienne à mon amour. STRATONICE. Je voy ce qui vous gesne⁎, une amitié si pure Vous force à refuser ce qu'elle vous asseure ; Mais au moins vostre amour dans ce revers fatal N'a point à redouter le bonheur d'un Rival, Puisqu'à vous preferer la Princesse constante Sçaura trop … TIGRANE.         C'est par là que mon malheur s'augmente. On m'apprend que le Roy de tant d'amour surpris M'impute pour son choix ce qu'elle a de mépris, Et que si jusqu'au bout il la trouve obstinée A refuser l'honneur de ce grand Hymenée, Comme il m'en croit la cause, il veut que dés demain Moy-mesme je choisisse à qui donner ma main. La Princesse par là de sa foy dégagée N'aura plus dans ses vœux à rester partagée, Et voyant mon devoir porter ma flame ailleurs, Cedera sans scrupule à des destins meilleurs. S'il est vray qu'on m'appreste un si cruel supplice J'implore vos bontez contre tant d'injustice, Par pitié de mes maux détournez-en l'effet, Il suffit de l'effort que mon devoir s'est fait, Pourquoy presser l'éclat d'un desespoir funeste ? Ma douleur le commence, elle répond du reste, Et n'aura pas besoin, pour terminer mes jours, De souffrir que mon bras luy preste du secours. STRATONICE. Si le Prince … TIGRANE.         A ses yeux il faut cacher mon trouble, Et puisque mon malheur par sa vertu redouble ; Je vous laisse empescher qu'une vaine pitié N'immole dans son cœur l'amour à l'amitié. ### SCENE IV. STRATONICE, ANTIOCHUS. STRATONICE. Prince, enfin il est temps que ce chagrin s'efface, Tigrane sans murmure accepte sa disgrace, Et pour finir vos maux renonçant à l'espoir… ANTIOCHUS. Pour les finir ? helas ! en a-t'il le pouvoir ? Non, non, ces tristes maux dont ma flame est suivie N'auront jamais de fin qu'en celle de ma vie, Et pour quitter ces lieux je me voy dispensé D'attendre le congé que vous avez pressé. Demain le Roy vous place au Trône de Syrie, J'en seray le témoin, mon devoir m'y convie, Mais ma fuite suivra la pompe de son choix, Et je vous parle icy pour la derniere fois. STRATONICE. L'hymen d'Arsinoé… ANTIOCHUS.         Je le voy bien, Madame, Vous consentez pour elle au beau feu qui m'enflame, [114] Mais l'excuseriez-vous si de ce feu charmé J'advoüois que c'est vous qui l'avez allumé ? STRATONICE. Moy, Prince ? ANTIOCHUS.         Il n'est plus temps, Madame, de vous taire Qu'Arsinoé n'a rien de ce qui peut me plaire. Ne me demandez point quel fatal contre-temps M'a fait luy donner part aux ennuys que je sens, Comme un malheur toûjours est la source d'un autre, Vous donnant son Portrait j'ay crû montrer le vôtre, Et sur le faux rapport de vos yeux abusez On l'accuse des maux que vous m'avez causez. STRATONICE. Et vous ne craignez point d'exciter ma colere ? ANTIOCHUS. Qu'elle éclate, Madame, elle m'est necessaire, Et quoy que mes ennuys doivent trancher mes jours, Pour en haster l'effet il leur faut du secours. Dure necessité de mon malheur extréme ! J'aspire à la douleur d'irriter ce que j'aime, Et pour mourir plustost, forcé de me trahir, J'ay besoin de chercher à me faire haïr. Par là mon desespoir pressant sa violence… STRATONICE. Ce transport va trop loin, et dit plus qu'il ne pense, Mais je dois excuser ce triste excez d'ennuys Qui vous fait malgré vous oublier qui je suis. ANTIOCHUS. N'excusez point mon crime, il n'a rien que j'ignore, C'est vous qui me charmez, vous que mon cœur adore, Et ce cœur qu'à vous voir un prompt amour surprit, En vous l'osant jurer, sçait trop bien ce qu'il dit. STRATONICE. Si c'est sans vostre adveu qu'il s'en est rendu maistre, Vous devriez au moins l'empescher de paroistre, Et ne me pas reduire à songer à punir Quand la pitié de moy voudroit tout obtenir. ANTIOCHUS. Pour moy dans mes malheurs la vostre seroit vaine, D'autres cherchent l'amour, je cherche vostre haine. Pour prix des plus beaux feux à qui l'on pûst ceder, Après ce que je souffre, est-ce trop demander ? STRATONICE. Quoy que vostre douleur de cette haine espere, Ne la meritez point si vous me voulez plaire, Et me cachant l'amour qui tient vos sens seduits, Laissez-moy la douceur de plaindre vos ennuis. ANTIOCHUS. Plaindre d'un malheureux la disgrace inhumaine C'est montrer quelque pente à soulager sa peine, Et pour flater la mienne au point qu'elle se voit, Si c'est moins qu'il ne faut, c'est plus qu'on ne luy doit. STRATONICE. Si le Ciel à mon choix… Mais qu'est-il necessaire… ANTIOCHUS. N'achevez point si-tost. STRATONICE.         C'est à moy de me taire, Mon destin le demande, il luy faut obeir. ANTIOCHUS. Mais enfin si le Ciel vous eust laissé choisir ? STRATONICE. Que vous estes cruel ! ah ! ANTIOCHUS.         Vostre cœur soûpire ? STRATONICE. Ce soupir eschapé… ANTIOCHUS.         Parlez, que veut-il dire ? M'apprend-il que mes vœux des vostres secondez… STRATONICE. Que me demandez-vous puisque vous l'entendez ? ANTIOCHUS. Quoy ? vostre hymen me livre au plus cruel supplice Sans que de mes malheurs vostre cœur soit complice, Et si vostre seul choix avoit reglé vos vœux, J'aurois pû par mes soins meriter d'estre heureux ? STRATONICE. Prince, n'abusez point d'une pitié trop tendre Qui m'a fait dire plus qu'on ne devoit entendre, Et sans quelque soûpirs n'a pû me laisser voir L'aspre necessité de suivre mon devoir. [115] Il pourra tout sur moy, mais en l'osant promettre J'avoüeray qu'en secret je tremble à m'y soumettre, Et que l'ordre à mon cœur auroit esté plus doux Si le Ciel m'eust souffert d'en disposer pour vous. C'est alors qu'on m'eust veuë en recevant le vostre… ANTIOCHUS. Ah, Madame, il en a disposé pour un autre, Et dequoy que pour moy vous vous sentiez presser, Vostre main est promise, il n'y faut point penser. STRATONICE. Je suis deuë à l'Estat, il me fait sa victime. ANTIOCHUS. C'est à moy cependant à payer [116] pour ce crime, A soûpirer sans cesse, et languir consumé De l'ennuy de pouvoir, et n'oser estre aimé. Pour en cacher l'excez blasmerez-vous ma fuite ? STRATONICE. Non, Prince, et dans l'estat où mon ame est reduite J'y consens d'autant plus que sa triste rigueur Sauvera ma vertu des troubles de mon cœur. La pitié de vos maux dés l'abord [117] y fit naistre Un chagrin inquiet que je n'osay connoistre ; Mais si le charme en plut à mes sens alarmez Il se rend plus sensible à voir que vous m'aimez, Malgré moy je succombe à ce qu'il a d'amorce, J'aime l'appas⁎ flateur dont le pouvoir m'y force, Et quand je vous estime, un sentiment confus M'engage à soûpirer de n'oser rien de plus. Allez, Prince, et daignez m'epargner une veuë Qui me fait oublier à qui ma main est deuë, Non qu'enfin ma raison en ait moins de pouvoir, Mais j'écoute, et c'est trop pour qui sçait son devoir. [118] ANTIOCHUS. De vos bontez pour moy ce dernier témoignage Pour ce cruel devoir est sans doute un outrage, Mais enfin par ma mort s'il peut se reparer, Consolez-vous, Madame, il n'a guere à durer. STRATONICE. Si vostre éloignement s'est rendu necessaire, Songer que vostre vie a lieu de m'estre chere, Et que l'honneur toujours permettant d'estimer… ANTIOCHUS. Helas ! Madame, helas ! je vivrois pour aimer. Pourriez- vous à ce prix consentir à ma vie ? STRATONICE. Vivez pour n'aimer plus, c'est moy qui vous en prie, Ou si ce triste effort passe vostre pouvoir, Prince, vivez du moins pour ne le plus vouloir. ANTIOCHUS. Ainsi, quelques ennuis⁎ que j'aye encor à craindre, Vous n'aurez qu'à vouloir pour cesser de m'en plaindre ? Vostre cœur aussi-tost se rendant tout à soy… STRATONICE. Prince, adieu plus j'écoute, et moins je me connoy. ANTIOCHUS. Et bien, il faut survivre à cet adieu funeste, Il faut voir vostre Hymen, j'ordonneray du reste ; Mais au moins si l'honneur apres ce triste jour N'ose plus vous souffrir [119] de plaindre mon amour, Attendant que ma mort en efface le crime, Madame, asseurez-moy de toute vostre estime, Me la promettez-vous ? STRATONICE.         Ouy, je vous la promets, Fuyez, et s'il se peut, ne me voyez jamais. ANTIOCHUS. Ah, si c'est pour jamais que le Ciel nous separe, Madame, soustenez ma raison qui s'égare, Et qu'un moment encor…elle fuit, et je voy… ### SCENE V. ANTIOCHUS, ARSINOE. ARSINOE. Seigneur, le Roy me mande, et vous sçavez pourquoy. Avant que luy parler j'ay crû devoir m'instruire [120] De ce que vous jugez que je luy doive dire, [121] J'agiray par vostre ordre, et viens le recevoir. ANTIOCHUS. Qu'ay- je à dire, ou plustost qu'avez-vous à sçavoir ? Rendez Tigrane heureux, vous l'aimez, il vous aime. ARSINOE. Je sçay ce que je dois à son amour extréme, Mais quand le Roy prétend disposer de ma main, Est-ce à moy de braver le pouvoir Souverain ? Mon refus vaincra-t'il, et puis-je, quoy que j'ose, Soûtenir un espoir où le vostre s'oppose ? ANTIOCHUS. Moy, je m'oppose au feu dont vous estes charmez ? ARSINOE. Quoy ? n'avez-vous pas dit au Roy que vous m'aimez, Que pour moy vostre cœur secretement soûpire ? ANTIOCHUS. Ah, Madame ! pourquoy me l'avez-vous fait dire ? Vostre Portrait, helas ! ARSINOE.         Seigneur, il me suffit, Je voy ce que sans vous je m'estois déja dit, Vous brûlez pour la Reyne, et l'amour… ANTIOCHUS.         Ouy, Madame, Vous avez malgré moy penetré dans mon ame, Et ce qu'obstinément j'aurois toûjours caché, De ce cœur amoureux vous l'avez arraché, J'adore Stratonice, et l'ardeur qui me presse M'est un ordre absolu de l'adorer sans cesse. Cependant par l'erreur de son Portrait changé A vivre sous vos loix on me croit engagé, Tigrane me condamne, et telle est ma contrainte Qu'il faut par mon silence authoriser sa plainte. C'est à vous qui causez le trouble où je me voy A rompre l'injustice où s'emporte le Roy, A montrer pour Tigrane un cœur assez fidelle… ARSINOE. Je sçay vos interests, vous connoistrez mon zele. Quelque excez qu'à son feu le Roy semble souffrir, Son âge… ANTIOCHUS.         Ah, gardez-vous de luy rien découvrir. Pour mettre auprés de vous mon crime en évidence Le Destin par surprise a trahy mon silence ; Mais si vous m'accusez, il n'est rien que ma foy Pour se justifier ne tente contre moy. Pour démentir l'ardeur de mon ame embrasée J'advoüeray que c'est vous qui me l'aurez causée, Et que l'honneur me force à mourir de langueur Pour ne pas à Tigrane arracher vostre cœur. ARSINOE. Mais que diray-je au Roy qui veut que j'obéïsse ? ANTIOCHUS. Obtenons que demain son Hymen s'accomplisse, Tandis qu'un peu de temps, malgré vos premiers feux, Disposera vostre ame à couronner mes vœux. Regardant ce delay comme un bonheur supréme, Promettez tout alors, je promettray de mesme, Et l'hymen achevé, quoy que vueïlle le Roy, Je vous rends à Tigrane en me rendant à moy. Mais ne refusez point, pour soulager ma peine, De remettre en mes mains le Portrait de la Reyne, Sa veuë adoucira … ARSINOE.         J'ay sujet d'en douter, Mais ce n'est point à moy, Seigneur, à resister, Ce Portrait est à vous, je sçauray vous le rendre. Tandis je vay sçavoir quel conseil je dois prendre, Voir à quoi l'on aspire, et sur l'ordre du Roy Regler et ma réponse, et ce que je vous doy. < Fin du quatriéme acte. > ## ACTE V. ### SCENE PREMIERE. SELEUCUS, ARSINOE. SELEUCUS. Princesse, enfin c'est trop vous en vouloir defendre, Il est temps de ceder, il est temps de vous rendre, Le beau feu dont pour vous mon Fils est consumé Ne le rend pas peut-etre indigne d'estre aimé. Ne dites point qu'ailleurs vostre main est promise, Pour le bien de l'Estat l'inconstance est permise, Et Tigrane à son Prince immolant son espoir Par ce trait de vertu vous en fait un devoir. ARSINOE. Tigrane de vostre ordre a beau voir l'injustice, Vous parlez, commandez, il faut qu'il obéïsse ; Mais, Seigneur, nostre Sexe [122] a souvent le malheur D'embrasser la revolte avec plus de chaleur. Comme au rang que je tiens c'est une peine extréme De pouvoir se resoudre à prononcer qu'on aime ; Quelques charmes d'ailleurs qui flatent nos souhaits, Qui l'a dit une fois ne s'en dédit jamais. Par d'invincibles nœuds, par de secretes flames, Sans nous, sans nostre adveu le Ciel unit nos ames, Et sur l'heureux rapport qui fait ce doux lien Tigrane est vostre choix, j'y puis regler le mien. SELEUCUS. Il le fut, je l'advouë, et j'avois lieu de croire Que vostre Hymen pour luy n'estoit point trop de gloire, La sienne qu'élevoient mille fameux exploits, Pour grand que fust ce prix, authorisoit mon choix ; Mais plûtost que ceder quand luy-mesme il vous cede Verrez-vous tout perir sans secours, sans remede, Et mon Trône pour vous est-il d'un si bas prix Qu'il ne merite pas que vous sauviez mon Fils ? ARSINOE. S'il est quelque remede où le mal semble extréme Vous le cherchez en moy quand il l'a dans luy-mesme, Et que de ses ennuys il voit la guerison S'il ose consentir à croire sa raison. SELEUCUS. C'est en vain qu'il l'écoute, en vain qu'il la veut suivre, Plustost que n'aimer plus il cessera de vivre, Pour étouffer sa flame il n'est rien qu'il n'ait fait, La langueur qui le tuë en est le triste effet. Tout à l'heure en mes bras pasmé, [123] plein de foiblesse, Chacun l'a veu ceder à l'ennuy⁎ qui le presse, On craint tout pour sa vie, et contre vostre Roy… ARSINOE. Mais pour donner mon cœur, ce cœur est-il à moy ? SELEUCUS. Si vostre amour se plaint d'un effort si funeste, Accordez vostre main, le Ciel fera le reste, Et le temps au devoir prendra soin de fournir La force du panchant qui n'a pû vous unir. D'un Prince infortuné prevenez la disgrace, Il y va de ses jours, son destin les menace, Sauvez-le, sauvez-moy, pour l'obtenir de vous Faudra-t'il qu'on me voye embrasser vos genoux ? ARSINOE. Ce seroit trop, Seigneur, et ce haut caractere… SELEUCUS. Si c'est trop pour un Roy, c'est trop peu pour un pere, Qui d'un Fils aux abois [124] plaignant le triste sort Abandonneroit tout pour empescher sa mort. J'en voy le coup certain dans ces dures contraintes Dont vostre ingrat refus redouble les atteintes, Ce n'est qu'abatement dans ses sens desolez, Et s'il perit enfin, c'est vous qui l'immolez. ARSINOE. Cét amour qu'à nos yeux il tâche de contraindre Merite la pitié qui vous porte à le plaindre ; Mais par quel droit, Seigneur, m'exposer aujourd'hui A l'horreur d'un tourment dont vous tremblez pour luy ? Mesme sort est à craindre où regne mesme flame, Ce qui perce son cœur doit déchirer mon ame, Et dans l'ardeur d'un feu qui n'ose attendre rien, S'il languit sans repos, qui répondra du mien ? J'aime, et quand cét amour par vostre ordre a sçeu naistre, Je n'ay point à rougir de le laisser paroistre, Tigrane a des vertus dont le secret pouvoir Par mes vœux les plus doux prevenoit mon devoir, Mon cœur sur un appuy si fort, si legitime, Se livra sans scrupule à toute son estime, Et ces je ne sçay quoy [125] dont je me vis charmer Sont des nœuds que vous mesme eustes soin de former. Pour me promettre ailleurs puis-je en rompre la chaisne ? SELEUCUS. L'effort est grand sans doute, et j'en conçois la peine, Mais lors qu'Antiochus à la mort se résout, L'Estat souffre en sa perte, et vous luy devez tout. ARSINOE. L'amour qu'on a flaté jusqu'à luy tout promettre Aux maximes d'Estat a peine à se soûmettre, Et pour sauver un Fils quoy que tout semble doux, Je n'en veux point, Seigneur, d'autre juge que vous. Stratonice vous charme, et vous sentez pour elle Tout ce qu'un rare Objet attend d'un cœur fidelle, Dans cét excez d'amour, prest à la posseder, Si le Prince l'aimoit, la pourriez-vous ceder ? Je répons de me vaincre, asseurez-m'en l'exemple. SELEUCUS. Jamais douleur n'auroit de matiere plus ample, J'oseray l'advoüer, mais le Ciel m'est témoin Que pour sauver mon Fils j'irois encor plus loin, Je ne reserverois Sceptre ny Diadême. [126] ARSINOE. C'est promettre en grand cœur le feriez-vous de mesme ? SELEUCUS. Me punissent les Dieux s'il m'en falloit presser. L'exemple vous est seur, qui [127] vous fait balancer [128] ? Songez qu'un Fils si cher sans qui je ne puis vivre… ARSINOE. Si l'exemple est certain vous n'avez qu'à le suivre, Vostre tendresse en vain me l'offre pour époux, Le Prince aime la Reyne, et tout dépend de vous. SELEUCUS. Il aime… ARSINOE.         Et quoy, Seigneur ? Vous promettez sans peine, Et quand il faut agir, l'engagement vous gesne⁎. SELEUCUS. Vostre amour prend le change, et croit m'inquieter, Mais sur l'adveu du Prince on n'a point à douter, Et de vostre Portrait l'éclatant témoignage Fait trop voir qui des deux attire son hommage. ARSINOE. Ce Portrait me convainc d'avoir touché son cœur, Mais quand vous le voudrez vous sortirez d'erreur, De tout ce que je dis j'ay la preuve certaine. SELEUCUS. Quoy ? Dans sa passion a-t'il nommé la Reyne ? ARSINOE. Non, et trop de respect captive ses souhaits Pour craindre qu'il s'échappe à la nommer jamais. Son secret étouffé n'en fera rien connoistre, Je le tairay de mesme, et vous en estes maistre. C'est à vous seulement à penser, à bien voir Ce que de cét amour il vous plaist de sçavoir, Je vous laisse en resoudre, et pour plus d'asseurance Que le Prince pour moy n'a rien de ce qu'on pense, Quoy que sur ses ennuys⁎ on vueille m'imputer, J'abandonne ma main s'il la veut accepter. Promettez-la, Seigneur, c'est sans trahir Tigrane Qu'à cét effort pour vous mon devoir me condamne ; Mais si l'offre en déplaist à son esprit confus, Gardez-vous de douter d'où partent ses refus. ### SCENE II. SELEUCUS. Ah, pour ne point douter de son indigne flame Il suffit du desordre où se plonge mon ame, Et la tremblante horreur sous qui mon cœur gemit, Sans qu'on m'explique rien, ne m'en a que trop dit. Et bien, Roy malheureux, qu'un excez de tendresse Dans le sort de ton Fils en aveugle interesse⁎, [129] La cause de ses maux te rendoit inquiet, Tu la voulois sçavoir, te voyla satisfait. Un feu pareil au tien l'attache à Stratonice, Ton bonheur fait sa mort, le sien fait ton supplice, Et quoy que sa vertu triomphe du desir, Il meurt si tu ne meurs, c'est à toy de choisir. Quoy ? Le flateur appas⁎ de ce feu temeraire Luy peut-il donner droit d'estre Rival d'un Pere, Et voyant à quel point on m'avoit sçeu charmer, N'a-t'il pas dû, l'ingrat, se defendre d'aimer, De ses vœux par respect arrester l'injustice ? Mais si son devoir cede, il cede à Stratonice, Et quelque effort qu'il fist pour se faire écouter, Qui la voit et l'admire a-t'il à consulter ? Non, non, il faut qu'il aime, et si tu tiens à crime Qu'un Fils n'ait point borné cét amour à l'estime, Songe à tant de beautez dont les charmes pressans Pour t'enflamer sur l'heure ébloüirent tes sens, Songe à ce noble amas de vertus et de graces Qui sçeut de tes vieux ans fondre soudain les glaces. Ce fils pour adorer ce qui surprit ta foy N'avoit-il pas un cœur et des yeux comme toy ? Mais pourquoy rappeller dans mon ame insensée Le penetrant appas⁎ des traits qui l'ont blessée ? Pour soustenir tes vœux par les siens traversez Crains-tu, lâche, crains-tu de n'aimer point assez ? Songe, songe plustost que sous le poids de l'âge L'amour ne peut offrir qu'un ridicule hommage, Et que sous le silence un Fils prest d'expirer T'apprend à la raison comme il faut deferer. O combat, dont le trouble oppose dans mon ame L'Objet de ma tendresse à celuy de ma flame ! De mon cœur l'un et l'autre attire tous les vœux, Et sans estre à pas un il est à tout les deux. S'il ose consentir que l'Amour s'en asseure, C'est un triomphe amer dont tremble la Nature, Et quand vers la Nature il a quelque retour, C'est un triomphe affreux qui fait trembler l'Amour. Mais d'où vient qu'à l'espoir cét amour se refuse ? Arsinoé peut-estre ou s'abuse ou t'abuse. Esclaircy-toy d'un mal qu'elle aime à découvrir ; Mais quand tu l'auras sçeu, le voudras-tu guerir ? Dure necessité d'une ame combatuë ! Je veux croire ma gloire, et ma gloire me tuë, Et mon cœur que toûjours trop de tendresse émeut Voulant tout ce qu'il doit n'ose voir ce qu'il veut, Pour conserver mon Fils il faut perdre la Reyne, Il faut … mais le voicy que son chagrin amene . Dieux, qui voyez le trouble où je suis abysmé, Ne se pourroit-il point qu'il n'eust jamais aimé ? ### SCENE III. SELEUCUS, ANTIOCHUS. SELEUCUS. Prince, ostez-moy d'un doute, il ne faut plus rien taire, Si ce que l'on m'a dit est un rapport sincere, Vous nous trahiriez tous à cacher plus long-temps… ANTIOCHUS. Seigneur. SELEUCUS.         J'en ay receu des advis importants, Et vous seul pouvez tout pour me tirer de peine. J'apprens qu'au vif éclat des beautez de la Reyne… Ne me déguisez rien, que dit-on à la Cour Des pompes que pour elle appreste mon amour ? ANTIOCHUS. Seigneur, qu'en peut-on dire ? On vous aime et respecte. SELEUCUS. L'aveugle deference [130] à ma gloire est suspecte, Elle en forme un scrupule, et me fait presumer Qu'avec des cheveux gris il m'est honteux d'aimer, A moy-mesme en secret mes vieux ans me font peine Quand j'ose soûpirer pour une jeune Reyne, J'aime à fuir le murmure, et c'est sur vos advis… ANTIOCHUS. Seigneur, oubliez-vous… SELEUCUS.         Non, non, parlez, mon Fils, Je ne demande point que vous flatiez ma flame, Ouvrez-moy vostre cœur, je vous ouvre mon ame ; Je puis avoir trop crû ce doux empressement Qui m'a fait accepter la qualité d'Amant, Mais si l'âge où je suis repugne à l'Hymenée, Quels qu'en soient les apprests, ma main n'est pas donnée, Et je veux qu'aujourd'huy vous resolviez pour moy S'il faut que j'abandonne, ou retire ma foy. ANTIOCHUS. Comme de ma raison le desordre est extréme, Vous prendrez mieux, Seigneur, ce conseil de vous-mesme, Ou plustost l'Amour seul a droit de decider Ce scrupule de gloire où je vous voy ceder, C'est luy qu'il en faut croire, il connoit seul vostre ame, Mais apres tout l'éclat qu'a cherché vostre flame, Croiray-je qu'à vos yeux la Reyne moins aimable⁎ … SELEUCUS. Douter si Stratonice est toûjours adorable ! Elle pour qui le Ciel par de rares efforts Semble avoir épuisé ses plus riches tresors ! Elle à qui tous les cœurs, gagnez sans resistance… Et croy ton Pere prest à reprendre sa foy, S'il faut ce sacrifice à la gloire d'un Roy. ANTIOCHUS. Non, non, aimez, Seigneur, je voy trop quel empire A sur vous cét amour qu'il vous plaist d'en dédire, En tout âge il est beau de brûler de ses feux, Vivez pour Stratonice, et rendez-vous heureux. Aussi bien dans l'accord qu'il vous faudroit enfraindre Demetrius [131] son Pere auroit lieu de se plaindre, Et la guerre aussi-tost… SELEUCUS.         Afin de l'empescher Il faudroit… ANTIOCHUS.         Quoy ! l'affront s'en pourroit-il cacher, Et manquer de parole où l'on voit que la sienne… SELEUCUS. Vostre main supléeroit au defaut de la mienne, Et sans rompre l'Accord… ANTIOCHUS.         Que dites-vous Seigneur ? SELEUCUS. Je sçay quel coup, mon Fils, c'est porter sur ton cœur, Un changement si dur l'arrache à la Princesse, Mais… ANTIOCHUS.         J'ay promis, Seigneur, de vaincre ma faibloisse. SELEUCUS. Non, si tu souffres trop par ce nouveau projet, Je consens que ton feu ne change point d'objet, Et pour t'en épargner le funeste supplice, Je suis prest, s'il le faut, d'épouser Stratonice. J'ay mesme à t'annoncer le bonheur le plus grand, Comme Tigrane cede, Arsinoé se rend, Pour couronner tes vœux sa main est toute preste. ANTIOCHUS. Tigrane a de son cœur merité la conqueste, Et luy voler sa main quand il garde sa foy, C'est le desesperer sans rien faire pour moy. SELEUCUS. Quoy, lors que sur tes sens l'amour prend tant d'empire… ANTIOCHUS. J'ay dit sur cét amour ce que j'avois à dire, Quelque éclat qu'il ait fait, laissons Tigrane heureux, Le temps fera pour moy, c'est tout ce que je veux ; SELEUCUS. Je sçay qu'il peut beaucoup, mais quitte l'artifice, Et m'apprens… ANTIOCHUS.     Quoy, Seigneur ? SELEUCUS.         Aimes-tu Stratonice ? ANTIOCHUS. Si j'aime Stratonice ! Ah Dieux, qu'ay-je entendu ? Mon hommage sans doute à Stratonice est dû, Je la dois reverer, Stratonice est ma Reyne, Mais que vers Stratonice un fol amour m'entraisne, Que Stratonice ait pû m'ébloüir, m'enflamer  [132] ! SELEUCUS. Tu la nommes souvent pour ne la point aimer. ANTIOCHUS. Helas ! Pour écouter un feu si temeraire Oublierois-je, Seigneur, que vous estes mon Pere ? Ah, plustost mille morts… SELEUCUS.         Va, c'en est trop, mon Fils, Je découvre l'abysme où ton respect t'a mis, Quelques charmes d'abord avoient sçeu me surprendre, Mais puisque ton amour peut dégager ma foy, Sans que j'en souffre rien, Stratonice est à toy, Aime-la j'y renonce, et me souviens à peine Que mon Hymen conclu te la donnoit pour Reyne. D'un cœur aussi content que le sort m'en est doux Je verray l'heureux jour qui t'en rendra l'Espoux, J'ay déjà sans effort banny de ma memoire… ANTIOCHUS. Gardez, Seigneur, gardez d'oser trop vous en croire, Quoy que vostre bonté s'offre à sacrifier Oublier tout si-tost c'est ne rien oublier. Mais pourquoy m'en promettre une preuve si vaine ? Vous le sçavez, Seigneur, je n'aime point la Reyne, Espousez-la, de grace, et si ce n'est assez… Mais, ô Dieux ! SELEUCUS.         A la voir, Prince, vous rougissez, Parlons-luy, cette épreuve est encor necessaire, Vous sçavez mieux apres ce que vous pourrez faire. ### SCENE IV. SELEUCUS, STRATONICE, ANTIOCHUS, TIGRANE, PHENICE, suite. STRATONICE. Seigneur, Tigrane a crû devoir encor par moy Vous donner aujourd'huy des preuves de sa foy, Et malgré les ennuys⁎ dont la rigueur le presse, Il vient vous asseurer que si de la Princesse Vos souhaits dés l'abord ne peuvent obtenir… SELEUCUS. Son zele m'est connu, qu'on la fasse venir. TIGRANE. Seigneur… SELEUCUS.         Lors qu'à Tigrane on voit tout si contraire, Madame, vous pouvez ordonner qu'il espere, Quoy que d'Arsinoé le Prince soit charmé Il sçaura l'oublier s'il est ailleurs aimé ; Mais il faut qu'il le soit d'un Objet adorable, Et cet Objet si rare, et préferable à tous, S'il faut m'expliquer mieux, ne peut estre que vous. STRATONICE. Seigneur, dans ma surprise agréez mon silence, J'ay cedé sans murmure aux loix de ma naissance, Par elles je vous dois et ma main et ma foy, L'une est à vous déja, l'autre est encore a moy, Et si mon Hymenée est pour vous une gesne, Je puis… SELEUCUS.         Dans mes Estats vous devez estre Reyne, Et je ne manque à rien si mon Fils couronné Vous asseure le rang qui vous est destiné. Mon amour s'en esmeut, mais je voy qu'à mon âge L'Hymen où j'aspirois est pour vous un outrage, Et d'ailleurs il y va d'étouffer tant d'ennuis… STRATONICE. Mon devoir a toûjours reglé ce que je puis ; Seigneur, apres cela je n'ay rien à vous dire. ANTIOCHUS. A ce que veut le Roy gardez-vous de souscrire, Pour moy de sa tendresse il croit trop les appas⁎, Madame, il vous adore. SELEUCUS.         Et ne l'aimes-tu pas ? ANTIOCHUS. Aimer la Reyne ? Ô Ciel ! SELEUCUS.         Et bien, il t'en faut croire, Mais si de son Hymen tu rejettes la gloire, Fay qu'elle-mesme au moins puisse apprendre de toy Que ses charmes sont peu pour surprendre ta foy Qu'un mépris… ANTIOCHUS.         Moy, j'aurois du mépris pour la Reyne ! Seroit-il pour ce crime une assez rude peine ? Jamais tant de beautez n'eurent droit de charmer, Mais, Seigneur, je ne dois ny ne la veux aimer, J'en atteste les Dieux, et si de ma foiblesse, Vostre ame… SELEUCUS.         Accepte donc la main de la Princesse, Je la laisse à ton choix. ### SCENE V. SELEUCUS, STRATONICE, ANTIOCHUS, ARSINOE, TIGRANE, PHENICE, BARSINE, Suite. ARSINOE.         Elle est à luy, Seigneur, S'il peut pour l'accepter faire suivre le cœur, Mais la Reyne… ANTIOCHUS.         Ah, Madame ! et vous-mesme osez dire… Mais, Seigneur, vous voyez à quoy sa flame aspire, Pour épargner Tigrane elle veut m'imputer… SELEUCUS. Il est temps de resoudre, et non de consulter, Puisqu'elle offre sa main c'est à toy de la prendre, Je n'en croy que ce gage. ANTIOCHUS.         Et bien, il me faut rendre, Ceder à mon destin. Donnez, Princesse, hélas ! Seigneur, c'est de Tigrane asseurer le trépas, Des jours qu'il m'a sauvez est-la récompense ? ARSINOE *donnant au Roy le Portrait de Stratonice.*. Ce Portrait confondra son obstiné silence, L'ayant trouvé, Seigneur, sans qu'il en ait sçeu rien. Pour lire dans son cœur j'ay supposé [133] le mien, On m'impute par là ce qu'il sent pour la Reyne. SELEUCUS. Connois-tu ce Portrait. ANTIOCHUS.         Ordonnez de ma peine, Il faut punir le crime où l'amour m'a fait choir, C'est tout ce que je puis et connoistre et sçavoir. SELEUCUS. Non, mon Fils, contre toy ne crains rien de ma flame, La Reyne, je l'advoüe, avoit touché mon ame, Mais apres les efforts que s'est fait ton amour Il est beau que du mien je triomphe à mon tour, Je t'en fais possesseur et Roy de Phenicie. ANTIOCHUS. Que tout vostre heur s'immole à celuy de ma vie ! Non, non, plustost, Seigneur, abandonner un Fils, Je vaincray ma foiblesse, et je vous l'ay promis. SELEUCUS. Cesse d'en vouloir croire un respect qui me tuë, Tu dois vaincre ta flame, et la mienne est vaincuë. Je vous l'avois bien dit, que pour sauver ses jours Je n'attendois plus rien que de vostre secours, Madame à son espoir vous rendrez-vous contraire ? STRATONICE. Ma réponse, Seigneur, dépend du Roy mon Pere, Ses seules volontez ont droit de m'engager. SELEUCUS. A donner son adveu nous sçaurons l'obliger. ANTIOCHUS. Seigneur, encor un coup… SELEUCUS.         Obey sans replique, C'est tout ce que je veux que ton devoir m'explique. ANTIOCHUS. O bonté sans égale, ô vertu dont l'éclat Loin de punir un Fils récompense un ingrat ! Madame… SELEUCUS.         Apres l'ennuy des plus rudes alarmes Tigrane de l'espoir goustera mieux les charmes, S'y rendra tout entier ; attendant l'heureux jour Qui remplissant ses vœux, couronne vostre amour. < FIN. > # Lexique.Adorer« Rendre le plus grand des respects, et la plus profonde soûmission (…) avoir beaucoup d'amour ou d'admiration pour quelqu'un ». (Fur.)V. 34, 157Aimable« Digne d'être aimé, il se dit et des personnes et des choses ». (Acad.)V. 579, 636, 1006, 1565Amorce« Charmes, apas ». (R.) V. 297, 554Appast« Se dit figurément en choses morales de ce qui sert à attrapper les hommes, à les inviter a faire quelque chose (…) Cette femme est pleine de charmes et d'appasts ». (Fur.)V. 1, 83, 247, 289, 301, 538, 548, 844, 1125, 1268, 1491, 1508, 1656Chagrin« Inquietude, ennuy, mélancolie. (…) La mort de cet enfant est capable de faire mourir la mere de chagrin ». (Fur.)V. 3, 50, 59, 98, 109, 129, 183, 186, 334, 356, 380, 479, 546, 681Charmes« Se dit figurement de ce qui nous plait extraordinairement, qui nous ravit en admiration ». (Fur.) V. 186, 233, 268Content« Qui est satisfait, qui a ce qu'il désire (…) On dit encore estre content, pour dire agréer, acquiescer, consentir, on dit aussi qu'un homme est content de luy-mesme, pour dire qu'il s'estime beaucoup. » (Acad.)V. 16, 92Ennui« Chagrin, facherie que donne quelque discours ou quelque accident déplaisant ou trop long ». (Fur.)V. 52, 67, 112, 509, 717, 784, 793, 881, 1287, 1396, 1473, 1631Etonner« Epouvanter, surprendre d'une certaine maniere qui touche ». (R.)V. 253, 928, 1026Foy« Sermont,  parole qu'on donne de faire quelque chose et qu'on promet d'executer ». (Fur.)V. 928Gesne« Torture, se dit aussi de toute peine ou affliction de corps ou d'esprit ». (Fur.)V. 56, 382, 706, 902, 1147, 1456Inquietude« Chagrin, ennuy, trouble et affliction d'esprit (...) Il est dans des inquietudes mortelles sur ce qu'on luy a dit du danger où est son frere ». (Fur.)V. 96, 105Interesser« Se dit en Morale de l'émotion des passions. Signifie aussi, porter quelque avantage ou quelque préjudice à quelqu'un ». (Fur.)V. 738, 1484Resver« Faire des songes extravagans, et particulierement quand on est malade, ou en délire. On craint dans la fiévre le transport au cerveau quand le malade commence à resver. » (Fur.)V. 205, 515, 681Soins« Se dit des soucis, des inquiétudes qui emeuvent, qui troublent l'ame ». (Fur.)V. 71, 107, 153, 348, 476, 680, 709, 1009Touchante« Sensible, afligeant (…) qui excite qui emeut. Patétique. » (R.)« C'est un spectacle fort touchant, de voir faire mourir un homme, de l'innocence de qui on est persuadé. » (Fur.)V. 443Transport« Se dit en choses morales, du trouble ou de l'agitation de l'ame par la violence des passions. Se dit aussi en Medecine, quand la fièvre est violente on apprehende le transport »V. 106, 352, 730, 946, 1023 # Bibliographie. ## Sources.Histoire romaine Les Vies des hommes illustres Faits et dits mémorables ### Pièces traitant le même sujet.La Stratonice ou le Malade d'amour La Nouvelle Stratonice Le Triomphe des cinq passions Stratonice ### Théâtre divers.Œuvres complètes Laure persécutée ### Théâtre de Thomas Corneille.Darius Maximian Laodice La mort d'Achille ### Auteurs du XVII*e* siècle.La pratique du théâtre Œuvres complètes ## Outils de travail.Dictionnaire de l'Académie française Bibliographie de la littérature française du 17*ème* siècle Dictionnaire universel Syntaxe française du 17*ème* siècle Histoire du théâtre français ## Études sur Thomas Corneille.Thomas Corneille : protean dramatist La dramaturgie de Thomas Corneille Thomas Corneille, sa vie et son théâtre ## Études sur le théâtre du XVII*e* siècle.Histoire de la littérature française au 17*ème* siècle Lire le Baroque Essai de génétique théâtrale : Corneille à l'œuvre Introduction à l'analyse des textes classiques La Tragi-Comédie La Mode des stances dans le théâtre tragique français Le Mémoire de Mahelot A history of French dramatic literature in the seventeenth century. Esquisse d'une histoire de la tragédie française Répertoire analytique des documents contemporains d'information et de critique concernant le théâtre à Paris sous Louis XIV Histoire de la littérature classique Introduction à la langue du siècle XVIIe La littérature de l'age baroque en France La Dramaturgie classique en France La Tragédie classique en France ## Ouvrages sur la galanterie et la préciosité.Amour précieux amour galant De l'air galant et autres conversations Le dictionnaire des précieuses ## Divers.Philippe Quinault. Sa vie et son œuvre Philippe Quinault, sa vie ses tragédies et ses tragi-comédies ------- [1] Selon A. Adam, il s'agit en fait de [2] 1650 selon A.Adam. [3] François Parfaict, *Histoire du théâtre français*, p. 478. [4] Plutarque, *Les vies des hommes illustres* (§sur Demetrius). [5] Valère-Maxime, *Les dix livres de Valere le Grand* (§De l'affection indulgente des pere et des meres envers leurs enfants). [6] Appien, *Des guerres des Romains* (§ De la guerre syriaque). [7] Plutarque, *op. cit.*, p. 841. [8] Ibid. [9] *Ballet des Muses*, de Danchet et Campra, en 1703 (acte IV). [10] *Les jeux olympiques ou le Prince malade*, par les comédiens italiens, le 12 novembre 1729. [11] *Les fêtes de Poymnie*, ballet héroïque, 1753. [12] *La Stratonice*, opéra-comique, Eugène Chardon et Edmond Diet, 1887. [13] Gillet de la Tessonnerie, *Le Triomphe des cinq passions*, Quinet, 1642, dernière scène. [14] Brosse, *La Stratonice ou le Malade d'amour*, A. Sommaville et A. Courbé, 1645. [15] *Ibid.*, acte III, scène III. [16] *Ibid.*, acte III, scène VI. [17] Du Fayot, *La Nouvelle Stratonice*, comédie, à Paris, chez Charles de Sercy, acte I, scène III.  [18] Après son mariage avec Séleucus, Stratonice quitte la cour de son père et emmène avec elle en Syrie Licofronne, sa dame d'honneur et Sophonisbe, fille d'honneur. Du Fayot nous apprend dans l'introduction qu'Antiochus était tombé amoureux de Sophonisbe mais le roi craignant un éventuel mariage l'avait fait empoisonné. Alceste, fils de Licofronne et serviteur de la défunte Sophonisbe ayant appris cette mort avait décidé de venger sa bien-aimée. Au moment où commence la pièce, il arrive en Syrie sous le nom de Climène et fait croire à sa mère, Licofronne, qu'il est l'ami de son fils, . À l'aide de Hermogène, ancien médecin d'Antiochus, mécontent d'avoir été chassé de la cour, il tente d'empoisonner le roi mais échoue. Pour éviter tout soupçon, il se débarrasse du pauvre médecin en le tuant de plusieurs coups de poignards. Mais ce dernier, avant de succomber a le temps de dénoncer Climène qui est aussitôt arrêté. Il révèle à Antiochus sa véritable identité et le motif de son crime. Le roi le pardonne à condition qu'il épouse la fille du médecin Listrate. [19] Thomas Corneille, *Antiochus*, Luyne et Quinet, Acte I, scène première, 1666, v. 33-35. [20] Marmontel, *Eléments de littérature*, s. v. Bienséances. [21] Racine, *Phèdre*, acte II, scène v. 318-320. [22] Paul Bénichou, *L'écrivain et ses travaux*, J. Corti, 1967, p. 282. [23] L'Abbé Morvan de Bellegarde, *Lettres curieuses de littérature et de morale*, p. 333. [24] Aubignac, *La Pratique du théâtre*, p. 66. [25] Thomas Corneille, *op. cit.*, v. 1475-1479. [26] Thomas Corneille, *op. cit.*, acte IV, scène IV, v. 1294-1298. [27] Voir p. 6. [28] Boileau, *Dialogue des héros de romans*, p. 1091. [29] « Discours embrouillé et confus qui semble dire quelque chose et ne dit rien ». (Acad.) [30] Eliane Fischler, *La dramaturgie de Thomas Corneille.* [31] Thomas Corneille, *op. cit*., acte I, scène V. [32] Laffont, Bompiani, *Le nouveau dictionnaire des auteurs*, p. 236. [33] Eliane Fischler, *op. cit*., p. 332. [34] Eliane Fischler, *op. cit.*, p. 233. [35] Thomas Corneille, *op. cit*., acte I, scène IV, v. 248-251. [36] Thomas Corneille, *op. cit.*, acte II, scène I, v. 427-429. [37] Thomas Corneille, *op. cit.*, acte I, scène I, v. 69-72. [38] *Ibid.*, acte I, scène IV, v. 273-274 et v. 277-280. [39] Aubignac, *op. cit*., livre IV, ch. VI, p. 329. [40] Pierre Corneille, *Don Sanche D'Aragon*, acte II, scène I, v. 371-373. [41] Thomas Corneille, *op. cit.*, acte IV, scène IV, v. 1274-1275. [42] Thomas Corneille, *op. cit*., acte I, scène IV, v. 315-318. [43] Selon l'auteur du manuscrit 559 de la Bibliothèque nationale. [44] Thomas Corneille, *op. cit.*, acte I, scène I, v. 74-77. [45] Eliane Fischler, *op. cit.*, p. 333. [46] Scherer, *La dramaturgie classique en France*, p. 86. [47] Thomas Corneille, *op. cit*., acte IV, scène I, v. 1029-1030. [48] Voir p. 13 et 14. [49] Galien, *De locis affectis*, III, 9 (éd. Kühn, vol. VIII, p. 176). [50] Voir note p. 15. [51] Thomas Corneille, *Antiochus*, acte V, scène première, v. 1448-1451. [52] Patrick Dandrey, *La Médecine et la Maladie dans le Théâtre de Molière*, Klincksieck, 1998, t. 1, p. 584. [53] ***Appas*** : « se dit figurement en choses morales de ce qui sert à attrapper les hommes. » (F.) [54] ***Entière*** : « Vraie, pure. » (R.) [55] ***Souffrez*** : « Terme de politesse pour dire permettez. » (F.)  [56] ***Apprests*** : « Ce qu'on prépare pour quelque ceremonie ou festin. » (F.) [57] ***Pompes*** : « Dépense magnifique qu'on fait pour rendre quelque action plus recommandable, plus solemnelle, et plus éclatante…la pompe la plus surprenante qu'on ait jamais vûë est celle d'Antiochus surnommé le Splendide, qui est décrite par Polybe, et par Athénée. (F.) [58] ***Vers*** : « Vers avait dans l'ancienne langue l'acception de envers. » (Haase §127) [59] Que de restriction qui a le sens de « si ce n'est que ». [60] ***Jour*** : « Se dit figurément de la vie … les amans disent sans cesse, qu'ils vont perdre le *jour*, pour dire, qu'ils vont mourir. (Fur.) [61] ***Me*** : « Lorsqu'un verbe à un mode personnel en précedait un autre à l'infinitif sans préposition, l'ancienne langue considérait les deux verbes comme une seule expression et plaçait le pronom devant le premier. » (Haase §154) [62] ***Encor un coup*** : « Encore une fois. » (R.) [63] ***Fui*** : « sui » dans l'édition de 1709. [64] ***Soins***: « se dit aussi des soucis, des inquietudes qui émeuvent, qui troublent l'ame. » (F.) [65] ***Las*** : « helas » (F.) [66] ***Chasser*** : « Obliger à se retirer. (F.) [67] ***De ne vous perdre pas*** :  Au XVII*e* siècle « lorsqu'un pronom personnel construit avec ne pas, pas est préposé à l'infinitif, on place les mots dans l'ordre suivant :1°ne, 2°le pronom, 3°l'infinitif, 4°pas. » (Haase §126) [68] ***Avoir lieu*** : « avoir des raisons. » (F.) [69] ***Civilité*** : « Manière honnête, douce, polie d'agir, de converser ensemble. (F.) [70] ***Fuir d'en estre témoin*** : comprendre par « fuir plutôt qu'en estre témoin. » [71] Il n'y a pas de virgule après Phenice dans l'édition originale. [72] ***Appareil*** : « Ce qu'on prepare pour faire une chose plus ou moins solomnelle : l'entrée du Roi après son mariage s'est faite avec beaucoup d'appareil et de magnificence. » (F.) [73] ***Galant*** : Adj. « homme honneste, civil, se dit aussi d'un homme qui a l'air de la Cour, les manières agréables, qui tâche à plaire particulièrement au beau sexe. » (F.) [74] Comprendre par : « pour lui est toute la gloire. » [75] ***Dedans*** : « Au commencement du 17*e* siècle, la préposition dedans est très usitée; plus tard elle ne se rencontre que rarement … Corneille la supprima de presque tous les passages où il s'en était servi ... Vaugelas, et avec lui Ménage, Thomas Corneille et l'Académie, rejettent la préposition *dedans* … » (Haase §126). Dans l'édition de 1709, Thomas Corneille remplaçera *dedans* par voyant. [76] ***Encor un coup*** : « encore une fois. » (R.) [77] ***Fière*** : « cruelle » (R.) [78] ***Tasche à*** : « Les verbes *tâcher essayer s'efforçer* se construisent aujourd'hui généralement avec *de* devant un infinitif, tandis qu'ils s'employaient très souvent avec *à* au 17*e* siècle. Thomas Corneille préfère tâcher de. » (Haase §124) Dans ce texte, l'auteur utilise tantôt *tacher à* tantôt *tacher de*. [79] Dans l'édition de 1709, nous trouvons au vers 359 : « Pour vous cacher le trouble où son malheur le jette . » [80] ***Pareils*** : « L'adjectif possessif plus le substantif pareil signifie au 17*e* siècle, les gens de même naissance ou de même caractère. » (F.) [81] ***En*** : « … en peut s'employer aussi pour dans. » (Haase §126) [82] ***Presserez*** : « poursuivre vivement en combattant, ou en disputant sur des choses d'esprit. (F.) [83] ***Ce*** : « C'est » dans l'édition de 1709. [84] ***Objet*** : « Se dit poëtiquement des belles personnes qui donnent de l'amour … peut désigner la femme. » (F.) [85] ***Recouvrer*** : « retrouver » (F.) [86] ***Solitaire*** : « Adj. Désigne un lieu peu fréquenté. » (F.) [87] ***Frais*** : « Nom. Un air doux. » (F.) [88] *à* dans l'édition originale (faute) [89] ***Touchante*** : « qui touche le cœur, qui émeut. » (Acad.) [90] ***D'ailleurs*** : « on notera qu'XVIIè siècle, le sens qu'offre le plus souvent *d'ailleurs* correspond à ce que nous exprimons dans la locution par ailleurs, dont le sens est voisin mais n'a pas la valeur logique qu'a prise de nos jours l'expression *d'ailleurs*. » [91] ***Parer*** : « s'appropier ce qui appartient à un autre pour en tirer vanité. » (F.) [92] ***Par*** : « *Par* a beaucoup plus souvent qu'aujourd'hui un sens causal et s'emploie à la place de à cause de, pour. » [93] ***Maligne*** : « nuisible » (F.) [94] « Mais quand à vos loix la solitude est chère, » dans l'édition de 1709 [95] « N'est-il rien à la Cour d'assez beau pour vous plaire ! » dans l'édition de 1709. [96] ***Loix*** : « ordres » (F.) [97] « *A* précède un infinitif dans les cas où l'emploi actuel exige de. » [98] *Aucune : « aucun* s'emploie souvent jusqu'au 16*ème* siècle, et plus rarement, au 17*ème* siècle dans son sens primitif de *quelque* et de *quelqu'un*.  » [99] *Flatois* : « se dit figurément en choses spirituelles. *Flatter* sa douleur, c'est à dire, l'adoucir par quelques reflexions morales. *Flatter* son amour, c'est-à-dire, se donner de belles esperances. » (F.) [100] *Faiste* : « Point le plus haut, comble…De choir du *faîte* de la gloire, Vaug. (R.) [101] « Et sur moy d'autant plus porter de rudes coups » dans l'édition de 1702. [102] Il s'agit ici du verbe croire et non croître. [103] Tigrane veut se suicider. [104] « Ses transports iront loin si vous luy laissez suivre » dans l'édition de 1702. [105] « L'injuste desespoir où ce Portrait le livre » dans l'édition de 1702. [106] *Il suffit* : « Jusqu'au 16*ème* siècle on met après les verbes exprimant l'approbation ou le blâme tantôt le subjonctif, tantôt l'indicatif ; ce dernier est d'usage lorqu'il s'agit de mentionner seulement l'action sur laquelle porte le jugement exprimé par le verbe de la principale. Au 17*ème* siècle, ce mode figure souvent ». [107] *Heur* : « Bonheur ; bonne fortune. Ce mot est bas et commence à estre peu en usage soit en prose, soit en vers. » (F.) [108] « à » dans l'édition originale (faute). [109] il s'agit ici de la plus rude « haine ». [110] *Comme* : « *comme* pris dans le sens de *comment*, amène, les interrogations directes et indirectes au début du 17 ème siècle comme dans l'ancienne langue, tandis qu'à la fin du 17*ème* siècle, il ne se construit plus guère qu'avec des interrogations indirectes. Vaugelas (II, 12) exige *comment* dans l'interrogation directe et après le verbe demander dans l'interrogation indirecte. Thomas Corneille veut qu'on emploie *comment* après voici, voilà, savoir. Il admet pourtant *il verra comme je le traiterai, voyez comme il fait le brave*. (…) L'Academie est de son avis. » (Haase § 43) [111] Les verbes dits de supposition comme *présumer, penser, croire*, construits sans négation dans une principale, ont exigé après eux, jusqu'au XVII*e* siècle, le subjonctif de supposition, pour exprimer l'incertitude ; cet emploi ne se rencontre guère dans la langue actuelle que dans des cas exceptionnels, après les verbes *croire, penser*, et *oublier.* [112] *Se répondre de* : « compter sur. » (Haase) [113] « La locution *est-ce que* de l'interrogation directe a passé dans l'interrogation indirecte » (Haase, §43. Rem. V). [114] « Vous souffrez que pour elle un feu secret m'enflame » dans l'édition de 1702. [115] « Ce qu'il m'en doit couster pour suivre mon devoir (édition de 1702). » [116] « *A* precede un infinitif dans des cas où l'emploi actuel exige *de* » (Haase § 124). [117] *L'abord* : « Aproche, arrivée. Avoir l'abord galand, avoir *l'abord* civil et honnête. (R.) » [118] Parfaite illustration de la bienséance qui doit guider aux yeux de P. Corneille le comportement d'une princesse. [119] *Souffrir* : « On dit par civilité, *souffrez* que je vous advertisse, pour dire, permettez que je fasse telle chose. » [120] « Avant que je luy parle il est bon que je sçache » dans l'édition de 1702. [121] « Ce que de vos secrets vous voulez qu'on luy cache, » dans l'édition de 1702. [122] *Sexe* : « absolument parlant où le *beau sexe* se dit des femmes et des filles. » (F.) [123] *Pasmé* : « v. neutre qui se dit ordinairement avec le pronom personnel. Tomber en deffaillance, perdre l'usage des sens : ce qui arrive lorsque l'agitation ; et le mouvement des esprits est arrêté par quelque cause, ou passion violente et subite. » (F.) [124] *Abois* : « se dit figurément de l'homme, et signifie l'agonie, ou la dernière extremité. Il est aux *abois*, c'est à dire il se meurt. » [125] Je ne sçay quoy : langage galant. [126] *Ny* : Les grammairiens blâmaient et blâment encore des phrases où *ni* n'est pas répété devant chacun des sujets ou des compléments coordonnés ; ainsi Vaugelas : cependant l'usage ne suit pas les exigences des grammairiens, et l'on trouve souvent au 17ème siècle, comme encore à l'époque actuelle, des phrases telles que : (...) Je ne connois Priam, Helene ni Paris. (Rac, Iph. IV. 6, 1399) (Haase §140, Remarques III.) [127] « *Qui* et *que*, pronoms neutres, qui d'ailleurs, se distinguent comme aujourd'hui, servent à amener une interrogation indirecte au lieu des relatifs *ce qui* et *ce que* du français moderne (Haase, §42) [128] *Balancer* : signifie (…) hésiter, être en suspens, pencher tantôt d'un coté tantôt de l'autre. (R.) [129] Interesse : « Se dit aussi en Morale de l'émotion des passions. (Fur.) [130] *Déférence* : « Respect, soûmission. Les grandes *déférences* et soumissions gagnent le cœur des plus superbes. » (Fur.) [131] Demetrius : roi des Macédoniens. [132] Ce jeu de répétition du nom aimé rappelle un passage d'une pièce très célèbre de Rotrou, *Laure persécutée* écrite en 1637. Le héros, Orantée, accompagné de son ami Octave s'attarde à la porte de sa bien-aimée, Laure : « Mais que du choix de Laure enfin je me repente ! / Que jamais à mes yeux Laure ne se présente ! / Que de Laure mon cœur ne m'ose entretenir ! / Que Laure ne soit plus dedans mon souvenir ! / Que pour Laure mon sein n'enferme qu'une roche ! / Que je ne touche à Laure et jamais ne l'approche ! / Que pour Laure mes vœux aient été superflus ! / Que je n'entende Laure et ne lui parle plus ! / Frappe ; je veux la voir…Non, n'en fais rien, arrête ! (acte IV, scène II) ». [133] *Supposer* : « Tenir une chose pour vraye, ou la feindre telle, pour en tirer des conséquences. Signifie aussi, mettre une chose à la place d'une autre par fraude et tromperie. (Fur.)