--- identifier: corneillet_illustresennemis creator: Corneille, Thomas ; Georges Forestier. date: 1657 title: Les Illustres ennemis. Comédie --- Les Illustres ennemis Comédie Thomas Corneille *Imprimé à ROUEN, par L. MAURRY*, Pour AUGUSTIN COURBE Marchand Libraire, à PARIS, au Palais, dans la petite Salle des Merciers, à la Palme. M. DC. LVII. AVEC PRIVILEGE DU ROY. Édition critique établie par Nathalie Tunc sous la direction de Georges Forestier (2004-2005) # Introduction. Thomas Corneille a connu de son vivant de grands succès, mais le temps et la réputation de son frère, Pierre Corneille, l'ont fait disparaître de nos mémoires. Pourtant, plus qu'un auteur à la mode, Thomas Corneille a été un auteur talentueux, reconnu par ses pairs. Nous avons décidé de nous intéresser à son genre de prédilection, la comédie à espagnole, et plus particulièrement aux *Illustres ennemis* qui présentent une histoire peu ordinaire et une certaine originalité. Cette pièce n'est pas restée dans les mémoires, contrairement à la version de Scarron. Elle a pourtant eu du succès du vivant de Thomas Corneille et ne présente aucun des aspects farcesques de la pièce de Scarron. Malgré les critiques faites à son encontre, nous pensons que les *Illustres ennemis* sont plus aboutis que les pièces écrites par Scarron et Boisrobert sur le même sujet et nous allons essayer d'en convaincre le lecteur. Thomas Corneille naît à Rouen le 20 août 1625, son frère aîné, Pierre Corneille, a alors 19 ans. Thomas fait ses études au collège de Jésuites de Rouen comme son frère, c'est là qu'il commence à écrire : il est récompensé au concours des Palinods de Rouen en 1641 pour sa *Poésie*. Il quitte le collège vers 1642 pour faire des études de droit à Caen et devient avocat en 1649, suivant les traces de son frère auquel il voue une véritable admiration. Pierre, devenu son tuteur après la mort de leur père en 1641, prend une part active dans son éducation, le guidant dans ses choix, lui apprenant l'espagnol et l'initiant au théâtre. En 1647, Thomas écrit sa première pièce, une comédie, *Les Engagements du hasard*, qui est jouée à l'Hôtel de Bourgogne, probablement grâce à leur ami Floridor ; Thomas ne la publie que quatre ans plus tard, avec des modifications. Il se marie en 1650 avec la sœur de la femme de Pierre, Marguerite de Lampérière, avec laquelle il a trois enfants. Pierre et Thomas partagent pendant vingt-cinq ans la même maison et la même domesticité. En 1655, Thomas se détourne de la comédie pour s'essayer à la tragédie (Pierre, malade, n'écrit plus de tragédies depuis l'échec de *Pertharite* en 1653, lui laissant la place). Sa première tragédie, *Timocrate*, est le succès du siècle : tragédie romanesque, elle est jouée au Marais. Pendant plus de six mois, plus de quatre-vingts représentations successives sont données. D'après l'abbé Desfontaines, le public la redemandait toujours et ce sont les acteurs qui s'en seraient lassés les premiers. Loret rapporte dans *la Muze historique* que le roi et la Cour se sont déplacés et ont félicité l'auteur (16 décembre 1656), sans attendre que la pièce soit jouée à la cour. L'année 1662 marque un tournant dans sa vie : les deux frères s'installent à Paris ; Pendant trois ans environ, Thomas n'écrit plus pour le théâtre ; il semble qu'il se soit occupé, avec Pierre, de recouvrer son titre de noblesse : le roi avait fait supprimer les lettres de noblesse accordées depuis 1634, celles de leur père datant de 1637, ils s'en trouvaient démunis. Ils obtiennent satisfaction en 1669. Récupérant le titre d'écuyer et son fief, ainsi que ses privilèges, Thomas peut continuer à signer Corneille de l'Isle, habitude qu'il a prise dès sa jeunesse, pour se différencier de son frère. Entre 1669 et 1672, les pièces de Thomas n'ont pas toujours du succès, jusqu'à *Ariane*, l'une de ses œuvres les plus connues. Après la mort de Molière en 1673, il est sollicité par la troupe et écrit pour elle de nombreuses pièces dont *Circé* : jouée du 17 mars 1675 jusqu'au 15 octobre, cette pièce à machines a rapporté d'énormes recettes, plus que le *Misanthrope*. Parmi les succès de la troupe, nous pouvons noter *L'Inconnu* qui est repris jusqu'en 1746 et la mise en vers du *Festin de Pierre* de Molière. À partir de 1678, Thomas écrit de nouveau pour l'Hôtel de Bourgogne qui crée *le Comte d'Essex*, un succès. Il rédige alors quelques poèmes lyriques dont *Bellérophon* (qui est repris jusqu'en 1728) et, l'un de ses derniers succès, *La Devineresse*, dont l'histoire est fondée sur l'affaire des poisons, et qui est jouée au moment du procès de La Voisin. partir de 1681, il dirige le *Mercure galant* en collaboration avec Donneau de Visé, son fondateur, ajoutant le journalisme à ses activités. Il prend parti pour les Modernes lors de la querelle des Anciens et des Modernes, mais ne monte pas sur le devant de la scène, laissant la place à son neveu Fontenelle. Il est élu à l'Académie française à la mort de son frère, Pierre, en 1684 et Racine prononce le discours de réception, le 5 janvier 1685. Lui-même accueille son neveu Fontenelle à l'Académie en 1691. En 1694, il est élu à l'Académie des Inscriptions et des Belles Lettres. Obligé de se livrer à de la lexicographie, il devient progressivement aveugle et finit sa vie dans l'isolement et la gêne financière. Il se retire aux Andelys en 1708 et y meurt le 8 décembre 1709. Thomas Corneille a parfaitement su s'adapter aux goûts successifs de ses contemporains et s'est essayé avec succès à plusieurs genres : les comédies espagnoles (inspirées surtout de Pedro Calderón de la Barca et de Francisco Rojas de Zorilla) représentent l'essentiel de sa production ; dès 1656, il se met à la tragédie, s'inspirant de son frère et de Racine ; puis il crée des pièces à machines. Entre 1650 et 1682, il écrit jusqu'à deux pièces par an (mis à part les années 1662 à 1665 où il cherche à recouvrer son titre de noblesse), c'est sa période la plus féconde. Dans l'ensemble, sa carrière a été couronnée de succès, malgré quelques échecs importants. [1] Thomas Corneille n'est pas resté dans les mémoires, si ce n'est pour une adaptation en vers du *Festin de Pierre* de Molière qui a été jouée jusqu'au milieu du XIX*e* siècle tout en étant attribuée à Molière. Il a pourtant été l'un des auteurs de théâtre les plus reconnus de son époque et certaines de ses œuvres étaient encore jouées au XVIII*e* siècle. Connu pour son esprit fin, il s'adaptait facilement au goût changeant de ses contemporains. C'est l'une des raisons de ses succès et peut-être aussi la raison pour laquelle il fut oublié au profit de son frère. À une époque où les critiques à l'encontre des pièces de théâtre étaient fréquentes, Thomas Corneille n'a pas eu de détracteurs et cette absence de publicité a sûrement aussi contribué à son oubli. Notre pièce, *les Illustres ennemis*, ne semble pas avoir bénéficié d'une grande postérité : après 1662, elle ne figure plus que dans les éditions des œuvres complètes de Thomas Corneille et la pièce que Scarron écrivit sur le même sujet est aujourd'hui plus connue. En revanche, elle a été éditée à deux reprises et traduite en italien ; elle semble donc avoir eu un certain succès au XVII*e* siècle (même si la version italienne a été attribuée à son frère Pierre, plus connu en dehors de la France, le fait de changer l'auteur ayant sûrement permis de réaliser une meilleure vente). Bien que la comédie soit souvent considérée comme un genre mineur, en raison de son absence dans les écrits d'Aristote, Thomas Corneille, avec les *Illustres ennemis*, montre qu'elle peut aussi être noble, grâce aux qualités de ses personnages et de son écriture, aux valeurs abordées et au respect des bienséances. On peut y voir également un tournant dans la carrière de Corneille : en effet, deux ans plus tard, il va écrire sa première tragédie, *Timocrate*, qui fut le succès du siècle, avec plus de quatre-vingts représentations (c'est-à-dire qu'elle fut jouée plus de six mois d'affilée). Si Thomas a attendu que son frère, Pierre, se retire de la scène pour écrire des tragédies, il semble qu'il s'y soit préparé à travers l'écriture de ses comédies. # La création de la pièce. Il y a eu divergences d'opinions sur le lieu de la représentation. Plusieurs auteurs affirment que les *Illustres ennemis* ont été représentés en alternance avec la pièce de Boisrobert à l'Hôtel de Bourgogne, tandis que celle de Scarron était jouée au théâtre du Marais [2]. Toutefois, Deierkauf-Holsboer et Lancaster soutiennent que ce sont les pièces de Scarron et de Boisrobert qui ont été jouées à l'Hôtel de Bourgogne en 1654 et les *Illustres ennemis* au théâtre du Marais en 1655. Ils se fondent notamment sur les *Nouvelles nouvelles* du 9 février 1663 de Donneau de Visé, sur les dates de parution des pièces et sur l'épître de Scarron [3]. Il est fort probable que si les pièces de Scarron et de Boisrobert ont été éditées en 1655, c'est qu'elles ont été finies avant celle de Corneille, publiée en 1657. De plus, dans son épître, Scarron mentionne les pièces de ses deux rivaux, ainsi que les « obstacles à surmonter », et notamment des « Dames sans pitié » qui ont pris parti pour la pièce de Boisrobert. Tallemant des Réaux écrivit à ce sujet quelques années plus tard : Celle de Corneille n'estoit pas si avancée ; mais les deux autres estoient achevées. Les Comédiens vouloient jouer celle de Scarron la premiere : Mme de Brancas, à qui Boisrobert le dit, pria le prince d'Harcourt … de leur en parler. Le Prince menaça les Comediens de coups de baston, s'ils faisoient cet affront à l'Abbé, qui, contant cette aventure, disoit : « Ma foy, le prince d'Harcourt a pris cela héroï-comiquement » [4]. Par ailleurs, Boisrobert insiste beaucoup sur la protection dont sa pièce a bénéficié, mais ne mentionne ni Scarron, ni Corneille. Ceci est probablement dû aux dates de parution très proches pour Scarron et Boisrobert, tandis que Corneille ne publie que deux ans plus tard : il n'a plus à craindre de concurrence. Deierkauf-Holsboer nous apporte un élément déterminant dans le *Théâtre du Marais* [5] : en étudiant les minutes des notaires, elle a en effet pu reconstituer la composition de la troupe du Théâtre du Marais en 1654 et une partie de leurs activités. En 1653, la troupe ne fait plus beaucoup de recettes. L'aménagement de la salle, depuis les loges jusqu'à la machinerie, appartient aux comédiens ; s'ils quittent le Théâtre, ils devront le remettre en état et donc tout démonter ; les propriétaires récupéreraient ainsi leur jeu de Paume, mais ceux-ci ne sont plus à la mode et la location ne leur rapporterait plus autant. Les propriétaires décident donc de placer une nouvelle hypothèque sur le théâtre en empruntant directement aux comédiens. C'est la comédienne Madeleine Lemoine, dite La Beaupré, qui prête cet argent. Les propriétaires veulent également racheter aux comédiens leurs parts des décors et du théâtre, ce qui leur permettrait d'avoir un théâtre à louer si la troupe les quitte. Six des sept comédiens acceptent ; le seul à refuser est Pierre Regnault Petit Jehan, dit Laroque, le directeur de la troupe. Celle-ci hésite à renouveler son bail, ignorant si le théâtre va continuer à attirer du monde. C'est de nouveau Madeleine Lemoine qui intervient : elle le loue en janvier 1654. Toutefois, le théâtre reste inoccupé jusqu'en mars 1654. Plusieurs comédiens quittent la troupe qui ne comprend désormais plus que quatre acteurs : Pierre Regnault Petit Jehan, Germain Clérin sieur de Villabé, Madeleine Lemoine et Jeanne le Clerc. Ils quittent Paris pour la province et ferment le théâtre. Ils reforment la troupe du Marais à Nantes, en s'associant à la troupe dirigée par le mari de Madeleine Lemoine (ils sont séparés), Nicolas Lion, pour un an à compter du 1*er* avril 1654. Nous ignorons ce qu'a fait la troupe jusqu'en décembre 1654 où elle commande à Denis Buffequin des machines pour la représentation de l'*Andromède* de Pierre Corneille. Les représentations de cette pièce s'achèvent le jour de Pâques 1655 et la troupe se dissout, Nicolas Lion et ses acteurs repartent pour la province. Laroque engage immédiatement de nouveaux acteurs, la troupe se compose donc en avril 1655 de : Pierre Regnault Petit Jehan, dit Laroque (directeur), Madeleine Lemoine, dite la Beaupré, Julien Bedeau, dit Jodelet, François Bedeau, dit l'Espy, François Juvenon, dit La Fleur, Jean Simonin, dit Chevalier, Noël Le Breton, sieur de Hauteroche, Claude Jannequin, sieur de Rochefort, Madeleine Desurlis, femme de Claude Jannequin, François Serdin, Catherine Bourgeois, femme de François Serdin, Jehan Loseu, sieur de Beauchesne, Estiennette Desurlis et Catherine Desurlis. Grâce aux *Nouvelles nouvelles* de Donneau de Visé, Deierkauf-Holsboer établit que les *Illustres ennemis* sont la première pièce créée par cette troupe le 1*er* avril 1655. Nous n'avons pas trouvé de documents concernant la réception et le succès de la pièce ; toutefois, les *Illustres ennemis* ont été imprimés dans tous les recueils des œuvres complètes de Thomas Corneille, y compris les recueils non-autorisés ; deux éditeurs se sont partagés la première impression, nous donnant à penser que cette pièce s'est bien vendue ; nous avons également trouvé à l'Arsenal une impression de la pièce seule, « selon la copie imprimée à Paris en 1661 », nous pensons qu'il s'agit d'une impression illégale du recueil publié en 1661 (même présentation, mêmes erreurs d'impression). De plus, les *Illustres ennemis* ont été joués pendant environ six mois, puis ont laissé leur place au *Geôlier de soi-même*, autre pièce de Corneille, elle aussi écrite en concurrence avec Scarron (pour l'Hôtel de Bourgogne). Nous pensons donc que cette pièce a eu un succès certain à l'époque, mais qu'elle a été oubliée au profit de la pièce de Scarron, plus drôle, reprise à la Comédie française en 1692. La pièce de Boisrobert semble également avoir été éclipsée par la version de Scarron. Pourquoi ces trois auteurs ont-ils choisi la même pièce ? La raison de leur choix demeure un mystère. Cependant la rumeur prétend que Corneille et Scarron auraient eu l'idée en même temps et que Boisrobert, après avoir entendu dans un salon une lecture du travail de Scarron, lui aurait volé l'idée [6]. Cette histoire est toutefois contredite par plusieurs auteurs [7] qui se fondent sur la préface de Scarron : « L'*Escolier de Salamanque* donna dans la veuë à deux Escrivains de reputation en mesme temps qu'à moy. Ces redoutables Concurrens ne m'empescherent point de le traitter ». Lancaster [8] pense que c'est le théâtre du Marais qui aurait demandé à Corneille d'écrire cette pièce, sachant que Scarron et Boisrobert adaptaient une pièce de Rojas pour le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne. Les similitudes entre les pièces de Scarron et de Boisrobert lui font penser que Boisrobert avait lu une partie du travail de Scarron et qu'il avait commencé à écrire après lui, tandis que Corneille n'en aurait connu que le titre. Outre les ressemblances entre *L'Escolier de Salamanque* et *Les Généreux ennemis*, il se fonde sur les dates auxquelles les pièces ont été jouées, ainsi que sur leurs lieux de représentations. # Synopsis. ## État des lieux au début de la pièce. Famille des Guzmans :    Famille de Don Sanche : Enrique & Don Lope & Cassandre    Don Alvar & Jacinte (frères et sœur)                 (frère et sœur) Don Lope aime Jacinte, un amour secret dont Enrique et Alonse (un ami des deux familles) sont pourtant informés. Cassandre aime Don Alvar, mais celui-ci, ayant disparu au cours d'un naufrage deux ans auparavant, est considéré comme mort ; elle a donc accepté d'épouser Fernand, malgré le mépris de ce dernier, qui n'a accepté que par peur d'Enrique : le mariage doit avoir lieu dans deux jours. Tout le monde ignore les sentiments qui la lient à Don Alvar. La pièce s'ouvre sur un entretien d'Enrique avec Alonse. ## Résumé. **Acte I** : Enrique avoue avoir fait bastonner Don Sanche, car celui-ci se moquait du mariage de sa sœur, Cassandre, avec Fernand, affirmant qu'il n'était pas un assez bon parti. Enrique demande à Alonse de convaincre Don Sanche que le responsable de son agression est Don Lope, afin de mettre fin à son idylle avec Jacinte (personne en ville ne connaît le nom de l'agresseur) (1) [9]. Alonse accepte afin d'aider les amants (2). Don Lope se rend chez Jacinte pour lui proposer son bras afin de venger l'affront fait à son père, mais celle-ci refuse : seul l'offensé peut réparer l'offense (3 et 4). L'arrivée de Don Sanche et d'Alonse les oblige à se cacher. Ils entendent ce dernier proposer à Don Sanche de faire de l'offenseur son gendre, arguant qu'il s'agit d'un malentendu et que cet homme est trop bien placé à la cour pour que l'on puisse s'en prendre à lui (5). Jacinte sort de sa cachette pour affirmer à son père qu'il peut compter sur elle ; indécis, celui-ci part demander conseil à ses amis (6). Don Lope reproche alors à Jacinte son infidélité et elle lui reproche son incompréhension (7). **Acte II** : Don Lope se plaint à sa sœur des rigueurs de l'honneur et de la perte de sa bien-aimée, mais celle-ci admire la résolution de Jacinte (1) qui les interrompt pour leur apprendre qu'elle a renoncé à épouser l'offenseur car, d'après Alonse, il s'agirait de Don Lope. Or tous les trois savent que c'est faux et Jacinte refuse de se servir de ce stratagème pour épouser l'homme qu'elle aime : ce serait contraire à l'honneur. Don Lope décide alors de retrouver lui-même le coupable pour s'innocenter et lui permettre d'épouser Jacinte (2). Cassandre apprend à Jacinte qu'elles sont dans la même situation, obligées toutes les deux d'épouser un homme qu'elles n'aiment pas. Elle lui fait alors le récit de ses malheurs : son amour pour Don Alvar, le naufrage, le mariage prévu avec Fernand (3). Flore, la suivante de Cassandre, annonce à ce moment-là l'arrivée de cet amant naufragé (4) que Jacinte reconnaît : il s'agit de son frère, Don Alvar. Cassandre lui avoue s'être fiancée, le croyant mort. Comme l'honneur lui interdit de rompre ses fiançailles, elle refuse de revoir Don Alvar qui part, préférant continuer à passer pour mort aux yeux de son père s'il ne peut épouser Cassandre (5). **Acte III** : Don Sanche avoue à Don Ramire, l'un de ses amis, qu'il n'a jamais eu l'intention de laisser Jacinte épouser l'offenseur. Son ami lui apprend que son fils est vivant et il décide de lui écrire une lettre pour lui expliquer la situation (1). Don Sanche annonce à Jacinte de façon confuse qu'il a été désabusé et part (2). Blanche, la suivante de Jacinte, est persuadée qu'il sait que Don Lope est innocent, mais Jacinte craint qu'il ne veuille se venger au mépris de sa promesse (3). Elle part donc annoncer à Cassandre que son père a changé d'avis (4). Cassandre, malgré les conseils de Flore, ne peut se résoudre à rompre avec Fernand (5). Don Alvar essaie de la convaincre, mais échoue : l'honneur avant tout. Enrique apparaît alors et Cassandre fuit, demandant à Don Alvar d'empêcher « cet homme » de le suivre, sans lui dire de qui il s'agit (6). Les deux hommes sortent de scène pour se battre (7). Don Lope entre à ce moment là sur scène : Cassandre lui fait part de son inquiétude pour les combattants que l'on entend, sans pour autant les nommer. Elle sort, laissant son frère intervenir (8). Celui-ci aide Don Alvar qui se bat seul contre trois « braves » qui, reconnaissant Don Lope, s'enfuient (9). Enrique (qui n'est toujours pas identifié) est considéré comme mort. Don Lope cache Don Alvar, mais apprend du prévôt qu'il a tué son frère (10). Il le révèle à Don Alvar qui refuse de se faire un ennemi de l'homme qui lui a sauvé la vie et décide de le fuir plutôt que de l'affronter (11). **Acte IV** : Alonse annonce à Don Lope qu'Enrique est vivant, chez lui. Ce dernier, pris de remords, a libéré Cassandre de sa promesse de mariage. Alonse pense pouvoir le persuader d'admettre sa faute et d'innocenter son frère pendant sa convalescence (1). Don Alvar apprend à Don Lope qu'il n'est pas digne de l'affronter car son nom a été souillé. Ils deviennent amis le temps de rendre son honneur à Don Alvar (2). Blanche les interrompt : elle vient chercher Don Lope que Jacinte veut voir (3). Celui-ci résume la situation à Don Alvar, sans lui donner de nom : il a rendez-vous avec son amante, mais le père s'oppose à leur relation, il craint pour la vie de son amie. Don Alvar décide de l'accompagner pour les protéger en cas de besoin (4). Blanche conduit Don Lope à Jacinte, laissant Don Alvar dans l'entrée, (5) où son père, Don Sanche, le découvre. Il veut lui raconter son malheur mais tient à ce que ce soit Jacinte qui lui apprenne le nom de l'offenseur et part la chercher. Don Alvar comprend alors que c'est sa sœur que Don Lope aime (6). Celui-ci quitte la maison tandis que Don Alvar reste, lui assurant qu'il ne risque rien car il connaît le maître des lieux (7). Son père et Jacinte arrivent et apprennent à Don Alvar ce qui s'est passé. Jacinte est inquiète car son frère est informé du rendez-vous avec Don Lope et craint qu'il ne se méprenne. Don Sanche leur annonce alors qu'il a envoyé des assassins pour se venger. Ne pouvant supporter une telle lâcheté, Don Alvar court aider son ami (8). **Acte V** : Don Lope fait à Cassandre le récit du combat. Le mariage avec Fernand est bien annulé. Cassandre pense qu'Alonse saura convaincre Enrique d'avouer sa faute et que tout s'arrangera aussi pour son frère (1). Jacinte paraît, sachant que son frère va venir demander réparation à Don Lope, elle exige de lui le serment qu'il ne se battra pas contre son sauveur, dont Don Lope ignore toujours l'identité. Les deux femmes se retirent, laissant seuls Don Lope et Don Alvar (2). Don Alvar révèle alors à Don Lope les liens qui l'unissent à Jacinte: il sait que son ami n'est pas l'offenseur de son père mais, n'ayant pu trouver un autre coupable, il doit quand même le combattre à cause de l'opinion publique. Don Lope lui demande que ce soit à cause de son amour pour Jacinte, et non pour un crime qu'il n'a pas commis, Don Alvar lui avoue alors son amour pour Cassandre (3). Celle-ci intervient pour empêcher le duel mais Don Alvar exige le nom du coupable ou le sang de Don Lope qui préfère se battre plutôt que de dénoncer son frère (4). Don Sanche les interrompt : il sait que Don Lope est innocent, Enrique a avoué et demandé pardon. Don Alvar lui apprend alors qu'il est responsable de la blessure de ce dernier, et que par conséquent, il était vengé sans le savoir. Don Lope avoue à Don Sanche son amour pour Jacinte (5). Don Sanche accepte leur amour, d'autant plus qu'il sait ce que celle-ci a fait pour lui. Jacinte donne aussi son accord. Don Alvar avoue alors à son père son amour pour Cassandre, qui lui offre sa main. (6) # Les sources et leurs adaptations. La pièce de Zorilla Rojas, publiée en 1640, *Obligados y Ofendidos y gorrón de Salamanca* (*Obligés et offensés, ou l'Ecolier de Salamanque*) a donné lieu à trois adaptations entre 1654 et 1655 en France : celle de Scarron, *L'Escolier de Salamanque ou les Généreux ennemis* ; celle de Boisrobert, *Les Généreux ennemis* ; et celle de Thomas Corneille, *Les Illustres ennemis*. Si Scarron et Boisrobert reprennent assez fidèlement leur source, Corneille au contraire, s'en éloigne. En effet, il puise également dans deux pièces plus tardives de Calderón : *Amar después la muerte* (*Aimer par delà la mort*, on le trouve aussi traduit sous le titre *Aimer après la mort*) et *El Pintor de su deshonora* (*Le Peintre de son déshonneur*). [10] ## Les versions de Boisrobert et de Scarron. Nous garderons les noms des personnages de Corneille pour éviter les confusions. ### Chez Scarron. La pièce se passe à Tolède. Don Lope est surpris dans la chambre de Jacinte par Don Sanche et refuse de l'épouser à cause du manque de fortune de la jeune fille. Don Alvar n'a pas disparu dans un naufrage, mais il est écolier et prétend être à Salamanque ; en réalité, il est à Tolède et fait la cour à Cassandre. Il affronte Enrique lors d'une embuscade tendue par ce dernier (estimant que Don Alvar n'était pas digne de sa sœur) et le tue. Là encore, Don Lope aide Don Alvar face aux hommes qui accompagnaient Enrique; ils se lient ainsi d'amitié mais doivent s'affronter à cause de la mort d'Enrique. Ayant accompagné Don Lope chez lui, à la suite d'une convocation de Jacinte, Don Alvar apprend l'offense faite par Don Lope à sa famille et décide de l'affronter le lendemain. Toutefois, Don Alvar passe la nuit en prison, accusé du meurtre d'Enrique ; il y croise l'un des spadassins qu'Enrique avait engagés. Cet homme l'innocente, par admiration pour l'épéiste, et lui apprend que Don Lope doit mourir dans une embuscade, organisée par Don Sanche, le lendemain. C'est l'occasion pour Don Alvar de payer sa dette. Il tue l'un des agresseurs et les deux hommes mettent les assassins en fuite. Les protagonistes arrivent alors sur scène pour le dénouement : les deux hommes sont quittes, ils ne se battront pas car Enrique était dans son tort quand il a attaqué Don Alvar ; Don Lope accepte d'épouser Jacinte, ayant reconnu les qualités de sa famille et accepte également que Don Alvar épouse sa sœur. Le dénouement et l'histoire sont plus simples, il y a plus de scènes comiques et violentes, et les scènes de prison sont maintenues, alors que Corneille les a supprimées, ainsi que de nombreux épisodes secondaires. Toutefois, la mort d'Enrique rend le dénouement invraisemblable dans la mesure où Cassandre épouse le meurtrier de son frère. Il a cependant développé avec soin les personnages de ses valets, un des points forts de sa pièce, qu'il n'a pas emprunté à Rojas. ### Chez Boisrobert. La scène se passe à Lisbonne. L'histoire est semblable à celle de Scarron, mais il y a des nuances : Don Lope n'a pas le temps de faire sa demande en mariage quand Don Sanche le surprend dans la chambre de Jacinte. Don Alvar est soldat à Cascayes et non écolier, mais là encore il est en ville pour courtiser la sœur de Don Lope. Le déroulement de la pièce est identique, sauf en ce qui concerne le dénouement. Don Lope est un comte florentin, qui a dû fuir Florence pour avoir offensé un duc qui le poursuit. C'est cet homme qui lui tend l'embuscade et c'est lui que Don Alvar tue lors de l'affrontement. De plus, Enrique n'est pas mort des suites de ses blessures. La situation est donc moins tragique que chez Scarron. Le réel problème vient plutôt de la différence de statut social entre la famille de Don Lope et celle de Don Alvar. Le roi supprime l'obstacle en nommant Don Sanche président de son grand conseil des Indes. Là encore, le dénouement et l'histoire sont plus simples que chez Corneille. Les scènes comiques et de combat sont également plus présentes, et on y retrouve les scènes de prison, absentes chez Corneille. Il faut toutefois noter qu'Enrique ne meurt pas et que le personnage du duc florentin est une invention intéressante, puisqu'elle permet la création d'un obstacle et rend possible un dénouement heureux et plus vraisemblable, et qu'ainsi Cassandre n'épouse plus le meurtrier de son frère. ## La pièce de Thomas Corneille. La pièce de Thomas Corneille est la plus éloignée de Rojas, grâce aux apports des deux pièces de Calderón : *Amar después la muerte* (*Aimer par delà la mort)* et *El pintor de su deshonora* (*Le Peintre de son déshonneur*). De *Amar después la muerte*, il reprend l'essentiel de l'acte I : la nature de l'insulte faite à Don Sanche ; la proposition d'Alonse d'épouser l'offenseur ; l'obéissance de Jacinte, qui refuse de partager sa honte avec Don Lope et malgré son amour pour lui ; la volonté de l'amant d'avoir pour dot la vengeance du père. Ces données ne proviennent que de la première journée ; Corneille ne puise rien dans les deux autres journées de la pièce. De *El pintor de su deshonora*, il reprend les scènes de confrontation de Cassandre et de Don Alvar dans l'acte II et dans l'acte III (directement tirées des scènes 8, 9, 10, 22 de la 1*re* journée), l'idée du naufrage, de la mort supposée de l'amant et du nouvel engagement de Cassandre. En revanche, dans cette pièce, Cassandre est mariée. Les autres scènes dans lesquelles elle apparaît servent de raccord et d'explication. Là encore, Corneille ne se sert que de la première journée. La pièce de Rojas présente trois inconvénients : des événements mal liés, des épisodes vulgaires et familiers, ainsi qu'un contraste entre les scènes réalistes et familières et les scènes tragiques, tout cela n'a pas sa place dans la comédie au style élevé voulue par Corneille. Ce dernier va donc limiter les apports de Rojas. Grâce aux pièces de Calderón, il peut réduire à une seule embûche l'acte III (l'envoi des assassins par Don Sanche et l'aide de Don Alvar) et ôter les épisodes trop familiers (la prison et les détails de la vie estudiantine). Il modifie également la nature de l'insulte sous l'influence de Calderón : ce n'est plus le refus de Don Lope d'épouser Jacinte qui crée l'offense. L'intrigue est ainsi moins concentrée dans la pièce et elle est rendue plus décente (Jacinte reste une jeune fille pure, contrairement au personnage de Rojas qui apparaît sur scène dévêtu à deux reprises et qui se réfugie chez son amant). L'invention d'un faux offenseur rend la situation de Jacinte moins humaine et aide à relever la comédie, empreinte dès lors de ressorts tragiques. Corneille élève également le style : supprimant la préciosité des répliques, il rend ses dialogues plus naturels et plus touchants. Il se défait aussi des éléments farcesques et bouffons. Les contrastes entre les scènes disparaissent donc de sa comédie, rendue plus homogène. En revanche, il suit de très près Rojas pour les scènes 9 à 11 de l'acte III et 2 à 8 de l'acte IV. Il s'agit des scènes de confrontation entre Don Alvar et Don Lope, avec toutefois une nuance lors de la rencontre entre Jacinte et Don Lope aux scènes 5 à 8 de l'acte IV : ils croisaient Don Sanche qui reprochait à son fils sa lâcheté, car celui-ci refusait de se battre contre un homme qu'il avait promis de protéger pour la soirée. Enfin, s'il accepte un combat sur scène, Corneille s'interdit d'y faire mourir l'un de ses personnages, qu'il s'agisse d'un assassin ou d'Enrique, qui survit à son combat contre Don Alvar, alors que Rojas le faisait tuer. Corneille garde donc en vie l'offenseur, comme Boisrobert. Il change de nombreux éléments sous l'influence de Calderón et retire de la scène la violence. Il augmente le rôle d'Enrique qui est plus coléreux et irraisonnable. Don Sanche a le même sens de l'honneur mais la raison de sa colère est moins profonde. Don Lope et Don Alvar sont des nobles conventionnels, mais sans les défauts de leurs personnages respectifs chez Rojas et Scarron [11]. Corneille met en avant un esprit de sacrifice et de résignation, mais va peut-être trop loin dans cette voie. S'il a bien adapté à la société française les discours de ses personnages et l'attitude des jeunes filles, il a conservé des situations qui correspondaient à la mentalité espagnole : monter un guet-apens pour tuer un homme sur une rumeur ; vouloir combattre en duel, toujours à cause d'une rumeur, un homme à qui on doit la vie et qui vous doit la vie ; accepter d'épouser un homme qui a offensé son père ; tout cela n'était pas possible dans les mœurs françaises et allait à l'encontre de la vraisemblance. Sa pièce paraît donc être un mélange réussi des trois pièces, mais à laquelle il manquerait des qualités humaines que Rojas avait données à ses personnages principaux [12]. ## La question du genre. Les pièces de Scarron et de Boisrobert sont intitulées « tragi-comédie », pourquoi les *Illustres ennemis* font-ils exception ? Est-ce parce qu'il s'agit d'un genre passé de mode ? S'agit-il d'une « comédie héroïque », comme la nomme Pierre Corneille, ou bien réellement d'une comédie ? L'étude des personnages et des règles d'unité nous permet d'apporter une réponse à ces questions. Nous pouvons noter un traitement des personnages différents selon les auteurs. Chez Scarron comme chez Boisrobert, les personnages sont passionnés, ils se laissent facilement emporter par leurs émotions. Leur comportement n'est pas celui que l'on attendrait de jeunes gens de qualité : chez Scarron, un noble s'introduit de nuit chez une jeune fille à qui il fait la cour, mais refuse de l'épouser ; Don Alvar ment à son père (chez Scarron et chez Boisrobert), joue son argent au jeu et le perd, il est aussi présenté comme tirant facilement l'épée ; chez Scarron toujours, Jacinte fugue pour rejoindre l'amant qui la repousse ; Don Sanche s'emporte sans laisser à ses enfants le temps de s'expliquer et sans les écouter (chez Scarron et Boisrobert). Cette exagération dans leurs attitudes et l'écart entre leur rang, leurs prétentions à l'honneur et leurs comportements, en font des personnages en partie burlesques, plus conformes à la manière d'écrire de leurs auteurs et plus proches de la farce. Au contraire, Thomas Corneille a créé des personnages pour qui l'honneur est le plus important et qui agissent en accord avec leurs principes. L'honneur guide chacun de leurs actes : le refus de laisser un homme seul en affronter trois, le refus de mentir ou de dénoncer, la prise de responsabilité et la gratitude dont font preuve les personnages le montrent. Cette attitude est aussi présente chez la gente féminine : en effet, Jacinte refuse d'utiliser le mensonge d'Alonse pour pouvoir épouser l'homme qu'elle aime alors que celui-ci hésitait et aurait accepté ; Cassandre refuse de reprendre la parole donnée à Fernand, même si elle ne l'aime pas, si ce dernier la méprise, et si elle avait autrefois promis sa main à Don Alvar, malgré les supplications de celui-ci. Le traitement des personnages participe à l'originalité de la pièce de Corneille et l'éloigne un peu plus de celles de Scarron et de Boisrobert. De plus, ses personnages sont plus proches des types de la comédie. Aucun n'est prince, ni membre d'une famille royale, alors que c'est le cas pour les tragi-comédies. On retrouve cette opposition dans les sources espagnoles. En effet, les sources espagnoles appartiennent au genre de la *comedia nueva* [13] dont Lope de Vega est considéré comme le père-fondateur. Elle mélange le comique et le tragique afin de respecter la variété présente dans la vie ; le temps et le lieu, au service de l'intrigue, ne sont donc pas limités et la pièce est divisée en trois journées ; l'action principale est souvent doublée d'une action secondaire et développe essentiellement les thèmes de l'amour, de la foi, de l'histoire nationale et de l'honneur. Ce genre est très proche de la tragi-comédie où les unités de lieu et de temps ne sont pas respectées et où le comique côtoie le tragique. Dans les sources espagnoles, les personnages ont aussi parfois un comportement indigne de leur rang (notamment avec les femmes). Le ton peut être grandiloquent et comique ; certaines scènes sont du domaine de la farce (lorsque le père surprend sa fille à moitié nue dans sa chambre, alors qu'il y a un homme sur son balcon, par exemple, dans *Obligés et offensés*) ; on y trouve aussi une multitude d'événements secondaires et de péripéties associée à un dénouement heureux. Les sources espagnoles s'apparentent donc bien à des tragi-comédies et rejoignent les pièces de Scarron et de Boisrobert, intitulées par ces derniers : tragi-comédie. Cependant les auteurs français ont également dû adapter leurs pièces aux exigences théâtrales contemporaines et surtout à la règle des trois unités. Les pièces espagnoles se déroulent en effet sur trois journées et dans de multiples lieux. En ce qui concerne la pièce de Rojas, les trois journées se succèdent (les pièces de Calderón sont plus espacées dans le temps, mais nous nous intéresserons surtout aux *Obligés et offensés* de Rojas, car sa trame est à l'origine des pièces françaises) et les lieux sont très variés : les maisons des deux familles, des rues, une prison et une troisième demeure. Scarron et Boisrobert ont fait le choix de réduire l'action à vingt-quatre heures, mais ont conservé la distribution des lieux. Seule la troisième demeure n'apparaît pas dans leurs pièces. Cette dernière était le lieu de rendez-vous de Don Lope et de Jacinte après la découverte de la vérité par Don Alvar et Don Sanche. Scarron et Boisrobert ont supprimé cette scène, les deux amoureux ne se revoient qu'à la fin de la pièce. Corneille a préféré supprimer l'épisode de la prison, ce qui lui permet de représenter sur scène trois compartiments dans ou devant lesquels se joue toute la pièce. La seule indication fournie par les didascalies nous apprend en effet la présence d'une chaise chez les Guzmans, mais ne nous donne aucune indication sur les lieux. Les dialogues des personnages nous apprennent que seuls trois lieux sont nécessaires à l'action : la maison de Don Sanche, la maison des Guzmans et la rue. Tous les personnages étant présents sur scène à un moment donné dans chaque maison et un combat à cinq ayant lieu dans la rue, trois compartiments de taille identique devaient occuper la scène. Il est possible que les maisons aient été indiquées par des décors et des barrières qui s'avançaient vers le centre de la scène et que les acteurs jouaient devant le décor de la maison les scènes qui avaient lieu à l'intérieur [14]. Corneille réduit lui aussi l'action à vingt-quatre heures : les actes I à III ont lieu de jour, l'acte IV le soir et l'acte V le lendemain. Il n'y a aucune indication sur la durée exacte de la pièce, ni dans les didascalies, ni dans les dialogues. L'acte V s'ouvre sur la réplique de Don Lope : « C'estoit pour m'en donner la funeste nouvelle / Que Jacinte hier au soir m'osa mander chez elle » (vers 1601-1602). C'est la seule information temporelle dont nous disposions. Quant au traitement de l'action, nous avons vu précédemment que Corneille en a modifié un certain nombre d'éléments. Le but de sa pièce est de permettre à deux couples de jeunes gens de se réunir, ce qui est, par excellence, le principe de la comédie à l'espagnole. Limiter les péripéties, les événements secondaires, simplifier l'action à la réunion des amants, ôter les scènes de prison et les scènes grivoises, mettre en avant les bienséances, respecter la règle des trois unités, tout cela concourt à ne pas faire des *Illustres ennemis* une tragi-comédie qui s'ignore, mais bien une comédie à l'espagnole. # Les caractères. Les personnages des *Illustres ennemis* sont inspirés par la *comedia* espagnole. On y retrouve certains de ses types adaptés par Corneille au goût français. ## Les figures d'autorité. Il s'agit de Don Sanche, le père, et d'Enrique, le frère aîné. Les deux nobles présentent un caractère fort, prompt à la colère et aux remèdes expéditifs : la confrontation entre Alonse et Enrique à l'ouverture de la pièce en est un exemple : Alonse : « Mais on vous aura fait peut-estre un faux rapport / Et de vos sens fougueux croire le fier tumulte… », Enrique : « Dans ces occasions le lâche seul consulte » (I, 1, v. 20-22). Les décisions d'Enrique sont prises sur le vif, dans la colère, et ce dernier refuse de revenir dessus, ni même d'admettre qu'il a tort « Et moy, quoy qu'on murmure et quoi qu'il en puisse eftre, / Seul de mes actions je veux estre le maiftre » (I, 1, v. 69-70). Don Sanche aussi se laisse porter par sa colère et choisit de recourir à des assassins pour se venger « Pourveu qu'on se vange il n'est rien de honteux » (IV, 6, v. 1480), « Par des gens apostez il m'a fait affronter, / … Son exemple est pour moy le seul exemple à suivre » (IV, 8, v. 1584 et 1586). Tous deux s'abaissent à employer des méthodes réservées aux gens du peuple et dérogent à leur rang. Ils représentent bien le personnage type de la figure d'autorité de la *comedia* espagnole, plaçant l'honneur avant tout, prêt à accomplir des actes répréhensibles pour pouvoir se venger, quelles qu'en soient les conséquences, et prêt à sacrifier beaucoup pour cette vengeance, sur une simple rumeur (Don Sanche fait attaquer Don Lope sans avoir la moindre preuve, ni le moindre aveu, car ce qui importe, c'est « l'opinion publique » ), sans pour autant voir que leurs actions vont à l'encontre des convenances et de leur rang. ## Les jeunes filles. Soumises à leur père et à leur frère, elles placent également leur honneur avant tout et sont prêtes à renoncer à leur bonheur pour racheter l'honneur qu'elles ont mis en péril. Notons qu'épouser l'offenseur de son père pouvait être acceptable en Espagne, cela se produit également dans d'autres pièces de cette époque, toutefois, c'était très mal perçu en France. Toutes deux sont vertueuses, bien plus que leurs modèles : dans la pièce de Rojas, le personnage de Jacinte apparaît dévêtu sur scène et a failli être surpris en galante compagnie. Chez Corneille, Jacinte refuse même de se servir de l'erreur de son père, pour pouvoir épouser l'homme qu'elle aime, accusé à tort : lorsque Don Lope lui propose de « Prendre l'occasion que le Ciel lui presente / De remplir les devoirs et de fille et d'amante », elle s'offusque à l'idée « d'embrasser un projet si honteux » (II, 2, v. 569-570 et v. 575). De même, elle refuse de salir l'honneur de Don Lope : « Si j'eusse hier estimé le bonheur d'estre à vous, / Je vous dois aujourd'huy refuser pour époux, / Et ne pas m'exposer à ce reproche infame, / Que le manque d'honneur me rendit voftre femme » (I, 4, v. 235-238). Les deux jeunes filles placent leur honneur avant tout elles aussi ; Jacinte refuse d'épouser Don Lope, parce que son honneur est entaché ; Cassandre refuse de rompre ses fiançailles pour épouser Don Alvar, à qui elle avait accordé son amour autrefois : « il y va de ma gloire » dit-elle (III, 6, v. 1113). Pour l'une comme pour l'autre, il s'agit avant tout « De faire leur devoir, le Ciel fera le reste » (III, 2, v. 618). Cassandre et Jacinte sont loin des jeunes filles rusées, prêtes à tout pour obtenir le mariage auquel elles aspirent. Corneille s'est ici éloigné de son modèle et a adapté ses personnages féminins à ce qu'on aurait attendu d'elles dans le théâtre français. Le modèle féminin vertueux espagnol est celui des femmes mariées dans la *comedia* : dans le *Peintre de son déshonneur*, dont Thomas Corneille s'est inspiré, le personnage de Cassandre est marié, c'est pour cette raison qu'il est aussi vertueux. Le comportement du personnage de Jacinte dans *Obligés et offensés* montre bien le décalage entre le type de la jeune fille et celui de la femme mariée. Les Jacinte de Scarron et de Boisrobert ont, elles aussi, accepté la présence d'un homme dans leur chambre. Même s'il n'y a pas chez ces deux auteurs d'ambiguïté sur ce qui s'est passé dans la pièce, puisque le rendez-vous a lieu devant les spectateurs et les suivantes, c'est une attitude contraire aux bonnes mœurs. Cette adaptation était donc nécessaire pour le respect des vraisemblances. ## Les deux amoureux. Don Lope et Don Alvar sont loin des personnages débauchés, ou tout du moins noceurs, de Rojas, ils se comportent de façon plus conforme à leur rang, mais ils agissent quand même selon les principes de l'honneur espagnol. Comme son père, Don Alvar est prêt à tuer l'homme qui lui doit la vie et à qui il doit la vie sur une rumeur qu'il sait fausse ; moins emporté, il attend néanmoins de savoir ce qui s'est passé avant d'attaquer et ce de façon loyale. Dans la scène 9 de l'acte III, Don Lope aide Don Alvar face à trois hommes, parce que la lutte est inégale et lâche, c'est une question d'honneur. Et c'est pour la même raison que, dans la scène 8 de l'acte IV, Don Alvar intervient aux côtés de Don Lope pour repousser les assassins envoyés par son père. Il agit également pour pouvoir se venger lui-même. Toujours par honneur, Don Lope refuse de dénoncer son frère, le responsable de l'affront fait à Don Sanche, « Un frere, dont l'eftat trop digne de pitié, / Me feroit soupçonner d'un secours mandié ! » (V, 1, v. 1647-1648). La situation dans laquelle se trouve Don Lope et Don Alvar est classique dans la *comedia* : je dois la vie à celui que je dois tuer et que j'ai moi-même sauvé. Leurs personnages sont près des *caballeros*, mais n'en ont pas toutes les caractéristiques : certes, ils sont soumis face aux dames, mais ils n'ont pas leur agressivité, malgré leur facilité à tirer l'épée. ## Les suivantes. Contrairement à leurs homologues espagnols, elles n'ont pas de rôle dans l'action et ne créent pas le rire. Blanche comme Flore ne sont là que pour servir de messagère et permettre le dialogue dans les scènes de liaisons, notamment dans la cinquième scène de l'acte III, lorsque Flore démontre à Cassandre « que tout son heur dépend d'un peu moins de vertu ». Leurs attitudes accentuent d'ailleurs les sacrifices que font les deux jeunes filles, elles sont la voix du cœur. ## Le confident. Le personnage d'Alonse est proche du rôle de confident, il aide à dénouer la situation qu'il a lui-même compliquée. Du côté des amants, il permet la création d'un danger et la réalisation d'un dénouement heureux. C'est lui qui propose à Don Sanche à la scène 5 de l'acte I que l'offenseur épouse Jacinte, pensant ainsi, en accusant à tort Don Lope, permettre aux amoureux de se marier. Nous apprenons de la bouche de Don Sanche que c'est également lui qui dénoue la situation en obtenant d'Enrique la vérité et le repentir « blessé par rencontre, et craignant de mourir, / Chez Alonse à moy-mesfme il a pû se découvrir » (V, 5, v. 1911-1912). Notons que sans son intervention, Don Lope n'aurait pas été attaqué par les assassins engagés par Don Sanche, que Don Alvar n'aurait pas pu le sauver, et que les deux hommes auraient donc eu à se battre. Sans le vouloir, il a rendu les deux jeunes gens redevables l'un à l'autre. ## Les autres personnages. Corneille a diminué le rôle des assassins créés par Rojas : ceux-ci participaient à l'action dans *Obligés et offensés*, en apprenant au personnage de Don Alvar l'attaque fomentée contre le personnage de Don Lope. Dans les *Illustres ennemis*, seul le prévôt joue un rôle important : il apprend à Don Lope le nom de l'homme que Don Alvar a blessé avant leur rencontre (IV, 10). Nous retrouvons donc dans les *Illustres ennemis* des types de la *comedia* espagnole dans les figures d'autorité, obstacles aux amoureux, dans les couples, de façon partielle, et dans le confident ; toutefois, les personnages secondaires ont vu leur rôle diminué, notamment pour tout ce qui concernait l'aspect comique de la pièce. De plus, les caractères des personnages ont été adaptés à la scène française : les amants sont moins passionnés, les jeunes filles sont moins hardies, les confidentes moins entreprenantes. Ces modifications participent au passage de la tragi-comédie à la comédie [15] et à l'adaptation réussie d'une pièce espagnole aux règles de bienséance françaises, même si cette transcription n'est pas parfaite [16]. # Thématique. ## Le traitement de l'honneur. L'honneur a un rôle primordial dans cette pièce, il est le moteur de l'action, celui auquel chaque personnage fait référence pour justifier ses actes. Il est tout d'abord une justification de la violence d'Enrique et de Don Sanche : c'est l'honneur qui les pousse à la faute, créant deux étapes importantes de l'action. Enrique a offensé Don Sanche avant l'ouverture de la pièce sous la colère pour « un vain discours dont son honneur s'offence » (Alonse, I, 1, v. 29). Bien que cette action ait eu lieu en dehors de la pièce, c'est elle qui fait des Guzmans les ennemis de Don Sanche et c'est encore elle qui est à l'origine de la méprise de l'offensé. En effet, Enrique demande à Alonse de mentir à Don Sanche et d'accuser son frère, Don Lope, de l'offense : ainsi « quoy que son amour ait pû luy faire croire, / Le rendre sans espoir, c'est asseurer sa gloire » (I, 1, v. 77-78). Enrique n'estimait pas Jacinte digne de son frère, en le rendant coupable, il rend leur mariage impossible et fait de Don Lope la cible de Don Sanche. Le guet-apens monté par ce dernier est donc entièrement dû au mensonge d'Enrique, mais là encore, l'honneur sert de prétexte à des actes contraires aux règles de bienséance. « Par des gens apostez il m'a fait affronter / … Son exemple est pour moy le seul exemple à suivre » (IV, 8, v. 1584 et 1586), Don Sanche justifie ainsi cette agression, mais cette vengeance sera indigne de lui, car elle doit être faite par un membre de la famille. Les règles de l'honneur qui font agir Don Sanche sont celles que suit Don Alvar et que trahit le père en faisant appel à des assassins : « Son sang est mal versé si ce n'est par ma main » (IV, 8, v. 1592) lui répond Don Alvar, se faisant ainsi le porte-parole des valeurs des gentilshommes. Toutefois cette action de Don Sanche permet à Don Alvar de racheter sa dette envers Don Lope : il n'y a plus ni offensé, ni obligé, mais deux hommes à la fois offensés et obligés. Ainsi, les deux principaux obstacles au bonheur de Jacinte et de Don Lope ont été engendrés par la volonté de deux hommes de défendre leur honneur en employant de basses méthodes ; mais ce ne sont pas les seuls obstacles dus à l'honneur. En effet, l'honneur de Cassandre et de Jacinte les pousse à refuser d'écouter leurs cœurs et elles s'opposent aussi à leur bonheur. Jacinte s'éloigne de Don Lope pour cette raison : elle refuse de le laisser la venger car « Ce sang de l'offenseur qu'un tel affront demande / Il faut que l'offencé luy-mesme le répande » (I, 4, v. 201-202) ; et ne veut pas souiller son nom : « Je vous dois aujourd'huy refuser pour époux, / Et ne pas m'exposer à ce reproche infame, / Que le manque d'honneur me rendit vostre femme. » (I, 4, v. 236-238). C'est toujours le même prétexte qui la fait refuser le stratagème d'Alonse : « je pourray souffrir qu'on me reproche un jour / Que l'honneur me servit de pretexte à l'amour » ! (II, 2, v. 579-580). Le rapport entre l'honneur et l'amour est en effet assez complexe. Cassandre se réclame des règles de l'honneur pour repousser Don Alvar lorsqu'il réapparaît, malgré et contre son amour. Cassandre a donné sa parole et il est hors de question qu'elle remette en cause celle-ci, même si son premier amour est toujours en vie, même si son fiancé la délaisse, même si elle se rend malheureuse (II, 5, v. 762-4) : CASSANDRE La parole est donnée, Et ma main dans deux jours acheve l'hymenée. D. ALVAR Ce terme peut encor rétablir mon bonheur. CASSANDRE Ce terme est peu de chose à qui cherit l'honneur. À chaque rencontre avec Don Alvar, Cassandre lui tient le même discours : son honneur et sa vertu lui interdisent de le revoir, de le laisser espérer et de rompre ses fiançailles. « Faisons nostre devoir, le Ciel fera le reste. » (II, 2, v. 618). Cette phrase résume l'attitude des deux jeunes filles : un respect strict de leur honneur, aux dépens de leur bonheur, et très loin du comportement habituel des jeunes filles dans les *comedias*. Elles se posent comme obstacle à la réalisation de leurs propres mariages à cause de cet honneur. Cependant, c'est grâce à cela que le duel entre Enrique et Don Alvar aura lieu, là encore l'honneur est le moteur de l'action, il supplante même l'amour dans le cœur des jeunes filles et guide chacun de leurs actes dans la pièce. C'est toujours lui qui va permettre de dénouer la situation sans faillir au devoir, ni aux convenances. En effet, les deux jeunes filles n'ont jamais dévié du droit chemin, ce qui permet à Don Sanche et à Enrique d'approuver leurs mariages. De plus, Don Sanche a été vengé par son fils, mais sans le savoir, ce qui conforte l'idée d'une récompense divine (V, 5, v. 1918-22) : D. ALVAR Quoy, vostre frere ! ô Ciel, que ta justice est prompte ! D. SANCHE Il nous la montre en luy. D. ALVAR Mais vous ne sçavez pas Que le voulant punir il l'a fait par mon bras. Sans sçavoir vostre affront j'en ay tiré vangeance. D. SANCHE Quoy, mon fils auroit pû reparer mon offence ? Si nous, lecteurs, ignorons ce qu'a réellement dit Don Sanche à propos du mariage de Cassandre et de Fernand, nous pouvons néanmoins voir que chacun a été puni pour ses crimes et récompensé pour ses bonnes actions. À la fin de la pièce, tout le monde se comporte à nouveau selon les règles de la bienséance, la vérité et le respect des convenances ont permis un dénouement heureux. L'honneur a conduit l'action de sorte qu'il fait à la fois figure d'obstacle et de soutien pour les amoureux. Il sert de prétexte aux mauvaises actions du père et du frère, mais il les pousse également à reconnaître leurs torts. Il dicte la conduite des amoureux, se place au-dessus de l'amour et de l'amitié, mais récompense ces valeurs et ceux qui les respectent. C'est une originalité de cette pièce : les figures d'autorité ne sont pas les seuls, ni les principaux obstacles. Le traitement de l'honneur est aussi un moyen pour Corneille d'améliorer la pièce de Rojas et de se démarquer des pièces de Scarron et de Boisrobert. Les deux couples sont des personnages droits qui ne s'abaissent jamais à se cacher derrière leur honneur. Les personnages de Rojas, Scarron et Boisrobert peuvent paraître plus humains parce qu'ils ont des défauts, mais ils semblent aussi plus ridicules lorsqu'ils exagèrent et moins proches de ce que le public attend de jeunes gens de leur condition. Ils ne donnent pas l'impression de vouloir arranger la situation, mais ils semblent rechercher avant tout des bénéfices personnels. Il est possible de reprocher à Corneille d'avoir mis sur scène des personnages qui ne paraissent pas vrais, mais on ne peut lui reprocher d'avoir respecter les convenances et la règle classique de la vraisemblance. La force de caractère de ses personnages rend cette pièce plus agréable à lire, justement parce qu'elle édifie le lecteur comme le spectateur et leur montre que le respect de l'honneur est toujours récompensé. ## La question de l'identité. Cacher l'identité d'un personnage pendant plusieurs scènes se retrouve fréquemment au théâtre. Rojas utilise ce procédé dans *Obligés et offensés*, Scarron, Boisrobert et Corneille le reprennent dans leurs pièces. Pourtant, dans les *Illustres ennemis*, ce dernier ne se limite pas à faire de cette inconnue un moteur de l'action, il s'en sert pour rapprocher ses personnages et dévoiler leur grandeur d'âme. En effet, Don Alvar ne révèle son identité à Don Lope qu'au dernier acte ; or les deux hommes se rencontrent au troisième acte, alors que le spectateur connaît le nom de Don Alvar et ses liens avec les différents protagonistes dès son apparition au deuxième acte. L'ignorance de Don Lope va créer quelques quiproquos, notamment dans les scènes 4 à 8 de l'acte II où Don Alvar favorise un rendez-vous entre celui qui est censé être son ennemi et sa propre sœur. Cependant cette identité inconnue est avant tout un élément révélateur. Lors de leur première rencontre à l'acte III, les deux hommes se battent côte à côte face à des spadassins. Ils ignorent tout l'un de l'autre, mais ils se rendent compte à ce moment-là qu'ils sont liés par des valeurs communes. Don Lope, après avoir révélé son identité à Don Alvar, lui annonce qu'il doit le tuer pour venger son frère, même s'il sait que Don Alvar devait avoir de justes raisons car « Par soy-mesme un grand coeur juge toûjours d'un autre » (III, 11, v.1157). Don Alvar refuse ce combat et décide « De fuir un ennemy qui lui a sauvé la vie, / Et faire voir qu'au moins, si le Ciel l'eust permis, / Ils n'étaient pas peut-estre indignes d'estre amis. » (III, 11, v.1166-1168). Leurs attitudes respectives permettent aux deux hommes de devenir amis à l'acte IV lorsque Don Alvar apprend à Don Lope qu'il n'est plus digne de l'affronter, parce qu'il a été offensé. « Devenons donc amis tant que le sang d'un lâche / De ma gloire obscurcie ait effacé la tache » (IV, 2, v.1332-1334). Cette amitié serait impossible si les deux personnages ne partageaient pas les mêmes valeurs. Lors du rendez-vous entre Don Lope et Jacinte, Don Alvar découvre une partie de la vérité et comprend qu'il favorise une rencontre entre sa sœur et son offenseur à l'insu de son père. Pourtant, contrairement à ses homologues chez Rojas, Scarron et Boisrobert, le Don Alvar de Corneille ne dénonce pas sa sœur, ne lui fait pas de reproches et ne menace pas non plus de la tuer. Don Alvar estime sa sœur et reconnaît partager avec elle les mêmes qualités et les mêmes valeurs : « Et comme je cognoy qu'on peut aimer sans crime, / Jacinte estant ma soeur, j'ay lieu de presumer / Que sans blesser sa gloire elle a pû vous aimer » (V, 3, v. 1778-1780). Il sait également que les accusations prononcées à l'encontre de Don Lope sont fausses : « C'est peu pour negliger un devoir si pressant / Que mon coeur en secret vous declare innocent, / … Vous estes criminel tant que l'on vous accuse » (V, 3, v. 807-1810). Don Alvar est un homme de cœur et c'est une qualité qu'il partage avec Don Lope. Le combat qui oppose ce dernier aux assassins envoyés par Don Sanche le confirme. Don Alvar refuse de laisser un homme seul en affronter plusieurs, de ne pas se venger lui-même, et surtout il ne peut se résoudre à abandonner Don Lope, alors qu'il lui a promis sa protection pour cette soirée. Cette attitude permet à Don Lope de libérer Don Alvar de son obligation et de le considérer enfin librement comme un « ami » (V, 3, v. 1737). La question de l'identité est certes un moteur de l'action, puisqu'elle permet aux deux hommes de s'obliger mutuellement, mais Corneille a été plus loin que les autres auteurs. Il met avant tout en scène les valeurs communes à Don Lope et à Don Alvar. Le spectateur peut voir que les deux jeunes hommes font preuve d'humanité, d'intelligence, de reconnaissance et surtout de cœur. L'absence des valets permet dès lors de ne pas tourner en ridicule certaines scènes par des répliques grotesques et comiques. Les deux hommes n'ont pas besoin du contraste qui aurait ainsi été créé pour se faire valoir. Leur comportement et la façon dont Corneille le met en avant suffisent à établir leur grandeur d'âme. # Note sur la présente édition. ## Le texte de la présente édition. Nous avons établi le texte à partir de la première édition de cette pièce, datant de 1657, imprimée à Rouen par L. Maurry, pour Augustin Courbet, conservée à la bibliothèque de l'Arsenal (Rf 2.685, in°12). Cette édition a été réalisée à la demande de Guy de Luynes qui a partagé les droits avec Augustin Courbet (toutefois nous n'avons pas trouvé d'exemplaire vendu chez Guy de Luynes, ni d'autre exemplaire de cette édition). En voici la description : 1 vol., 6ff. non paginés : I – I bl – X, 96 p, in 12°. I : LES/ ILLUSTRES/ ENNEMIS, / COMEDIE./ (Vignette) / *Imprimé à ROUEN, par L. MAURRY, /* Pour/ AUGUSTIN COURBE/ Marchand Libraire, à PARIS, au/ Palais, dans la petite Salle des/ Merciers, à la Palme./ M. DC. LVII./ *AVEC PRIVILEGE DU ROY.* II : verso blanc. III – X : épître. XI : extrait du privilège du roi. XII : liste des acteurs. 1-96 : texte de la pièce, précédée d'un dessin dans un bandeau et du titre de la pièce. L'achevé d'imprimé n'est pas précisé, ni la durée du privilège. ## Les autres éditions. Différentes éditions et impressions du texte des *Illustres ennemis* de Thomas Corneille. Date | Arsenal | BNF | Gallica | BU | Editeurs 1657 (Illustres ennemis) | Rf 2.685 in°12 |  |  |  | Imprimé à Rouen par L. Haurry, vendu à Paris chez Courbet et chez de Luynes 1661 (Poèmes dramatiques, vol II) |  | Tolbiac, RDJ, magasin, YF 2563 in 8° |  |  | Imprimé à Rouen, vendu à Paris chez de Luynes et Courbet 1662 (Illustres ennemis) | Rf 2.686 in°12 |  |  |  | Suivant la copie imprimée à Paris 1665 (Tragédies et Comédies de Th C) | Rf 2.654 in°12 | Tolbiac, RDJ, magasin, SMITH LESOUEF R 3554 |  | Lunel, BM, LUK 95.18 | Suivant la copie imprimée à Paris en 1662 1669 (Poèmes dramatiques, vol II) |  | Tolbiac, RDJ, magasin, YF 2566 |  | CESR de Tours, SR 59c | Imprimé à Rouen, vendu à Paris chez de Luynes 1682 (*Poèmes dramatiques*, vol. II) |  | Il n'y a que les vol I, IV et V YF 2569 |  |  | A Paris chez de Luynes 1692 (*le Théâtre*, vol. II) | ⁎Rf 2.655 in°12 | ⁎8° GRAND 11921 (non relié) |  |  |  | Suivant la copie imprimée à Paris en 1690 | sans nom 1692 (*le Théâtre*, vol. II) |  | Tolbiac, RDJ, magasin, ⁎16 YF 1195(2) | ⁎SMITH LESOUEF R 3481 |  |  | sans nom 1692 (*Poèmes dramatiques*, vol. II) |  | Tolbiac, RDJ, magasin, YF 2574 |  |  | A Paris chez de Luynes 1692 (*Poèmes dramatiques*, vol. II) |  | Tolbiac, RDJ, magasin, ⁎YF 2579 | ⁎RES YF 3093 |  | Rennes 2, BU lettres sciences sociales, 55357 | A Paris chez Trabouillet et Besoigne 1698 (Poèmes dramatiques, vol. II) |  |  |  | Ascoli Il n'y a que les volumes III à V. | Lyon, L. Bacheton 1701 (le Théâtre) |  | Tolbiac, RDJ, magasin, YF 2548 |  |  | En Hollande, à Amsterdam, chez H. Desbordes 1706 (*Poèmes dramatiques*, vol. II) | 8 BL 12 744 in 8° | Tolbiac, RDJ, magasin, YF 2584 |  |  | A Paris chez Osmont 1709 (le Théâtre) |  | Tolbiac, RDJ, magasin, (MFICHE) 8 YF 1341 | NUMM 73811 |  | En Hollande, à Amsterdam, chez les frères Chatelain (Les exemplaires en gras n'ont pas pu être consultés, ceux soulignés sont des recueils factices) Il existe donc trois versions du texte des *Illustres ennemis* : la version originale de 1657 ; la version de 1661, un recueil, qui comporte deux rectifications (vers 146 *le > la*, et à l'acte IV, un décalage se fait à partir de la scène 6 qui devient la scène 7) ; et la version de 1692, éditée par Trabouillet et par Besoigne, qui comprend une cinquantaine de différences avec la première édition de 1657, celles-ci sont indiquées en note de bas de page dans la reproduction du texte. Les éditions autorisées suivent les modifications effectuées : les œuvres éditées chez de Luynes en 1669, 1682 et 1692 suivent le texte de 1661, déjà édité chez cet homme à Paris. Nous n'avons pas pu consulter l'édition de 1682, mais nous avons supposé que l'éditeur avait suivi l'édition de 1661, dans la mesure où l'édition postérieure conserve ces modifications. La dernière édition autorisée du vivant de l'auteur est celle d'Osmont, à Paris, en 1706 ; elle suit l'édition de Trabouillet et Besoigne de 1692. Les contrefaçons de 1662 et 1665 ont été faites à partir du texte original de 1657. Les contrefaçons de 1692 sans nom suivent le texte édité en 1661. Nous pensons que l'édition de Lyon, chez Bacheton, en 1698, et les éditions faites en Hollande sont des contrefaçons de la version de 1692 de Trabouillet et Besoigne [17]. Nous pensons en effet que certaines de ces éditions ont été réalisées illégalement : celles de 1662, 1665 (il s'agit en fait d'invendus de 1662 reliées dans un recueil avec d'autres invendus), 1692 **ss N** et les éditions hollandaises. Nous fondons cette hypothèse sur deux faits : tout d'abord l'absence d'éditeur et la mention suivante qui figure sur les pages de titre de chacune des pièces de ces recueils *« suivant la copie imprimée à Paris en »* ; ensuite la formulation de la date : au lieu d'être écrite sur le modèle classique M DC XV II ou M DC L XXXX II, elles sont écrites ainsi et . Cette formulation est typiquement hollandaise. [18] Nous ignorons pourquoi ces modifications ont eu lieu, nous supposons qu'elles ont été faites par l'auteur lui-même lors d'un remaniement du texte. Nous n'avons trouvé que deux éditions du texte seul, les autres proviennent d'œuvres complètes, parmi celles-ci, les éditions de 1665, de 1792 **ss N** et de 1709 sont des recueils factices. Nous avons également trouvé une traduction italienne de la pièce à l'Arsenal : *Illustri nemici*, comedia di Pietro Tomaso Cornelio, tradota del francese et accomodata all'uso delle scene d'Italia, in Bologna, stamp. Del Longhi, 1704, in 12° (Rf 2 687), 130p. Les recherches ont été effectuées dans les bibliothèques suivantes : BNF (et toutes celles qui sont cataloguées dans le SUDOC), Arsenal, Mazarine, Sainte-Geneviève, Ascoli. ## L'établissement du texte. Nous avons modernisé l'orthographe pour les lettres suivantes : *ſ > s ; v. > u ; j > i.* Nous avons décomposé la ligature *&* en *et*. Nous avons remplacé le tilde marquant les nasalisations par la consonne correspondante. [19] Nous avons corrigé les coquilles au vers 242, *Jene > Je ne* et au vers 474, *asçeu > a sçeu*. Nous avons rétabli le féminin au vers 1819, *tel > telle*. Nous avons rétabli l'accent diacritique au vers 974, *a > à*, au vers 1898, *ou > où*, au vers 1900, *à > a*, au vers 1929, *a > à* et au vers 1952, *à > a*. Les ⁎ renvoient au lexique. De nombreux doublets poétiques sont employés dans ce texte, ils présentent l'avantage de compter pour une syllabe de plus (ou de moins) que la forme normale, il s'agit des mots suivants : *encor/encore ; dedans/dans ; avecque/avec ; las/hélas ; lors/alors*. # LES ILLUSTRES ENNEMIS, COMEDIE. ## A MADAME LA COMTESSE DE FIESQUE. [20]. MADAME, L'Approbation dont il vous a plû vous montrer si liberale envers ce Poëme, m'est trop glorieuse pour la tenir plus long-temps secrete, et j'ose rendre public le remerciement que je vous en dois, afin d'apprendre au Public que vous me l'avez donnée. Ainsi je satisfais tout ensemble mon devoir et ma vanité, et je souhaiterois pouvoir faire cognoistre⁎ à toute la terre combien je vous suis redevable, afin que toute la terre cognust combien vous m'avez estimé. Cet effet de l'amour propre ne vous surprendra⁎ pas, vous sçavez trop qu'il est naturel à tous ceux qui se meslent d'écrire, je tâche à me purger du reste de leurs defauts, mais je ne sçaurois me défendre de celuy-cy, ny m'empescher de vous dire que j'ay toûjours dans l'esprit les douces Idées de l'heureuse représentation de cet Ouvrage qui fut faite il y a quelque temps en vostre presence, que je revoy à tous momens cette obligeante⁎ attention que vous luy prétastes, et que je prens plaisir sans cesse à me souvenir des applaudissemens dont vous daignastes⁎ l'honorer, et des témoignages avantageux que vous luy rendistes. Apres cela, MADAME, je ne puis que je n'aye quelque bonne opinion de moy-mesme ; y resister opiniastrement, ce seroit vous accuser d'injustice, et c'est ce que toute la France n'oseroit faire, puis qu'il est certain que vostre suffrage⁎ y sert de regle à celuy des plus honnestes Gens de la Cour, que c'est trouver le bel art⁎ de leur plaire que de vous avoir plû, et que l'envie n'ayant osé jusqu'icy vous disputer le Privilege de prononcer souverainement sur les plus belles choses, la moindre repugnance à s'attacher au jugement que vous en faites, passe auprès d'eux pour une marque infaillible d'une cognoissance mal éclairée. Celuy que vous avez rendu depuis peu en ma faveur, a sans doute esté au de-là de mes plus flateuses esperances ; et toutefois, MADAME, il faut que j'advoüe qu'il ne suffit point à cette insatiable soif de gloire⁎ où vous m'avez enhardy. Ce n'est pas que je n'envoye ces *ILLUSTRES ENNEMIS* vous faire hommage jusques dans vostre Cabinet, qu'afin qu'ils reçoivent de vous à la lecture, ce qu'ils en ont déjà receu durant le reçit. Je n'ose douter que je n'obtienne aisément cette demande, puisque c'est vous demander seulement que vous soyez toûjours vous-mesme. Je dois sçavoir que le faux éclat de la representation n'a point encor eu le pouvoir de vous ébloüir, et que comme parmy toute sa pompe, les veritables defauts de nos plus brillantes productions n'échapent jamais aux lumieres penetrantes de vostre discernement, leurs veritables beautez ne perdent rien auprés de vous pour estre dénuées de ce dehors fastueux dont les revestent nos Theatres. Je ne parle point de tant d'autres belles qualitez, qu'il semble que le Ciel se soit plû assembler en vostre Personne, il me suffit d'en admirer la merveilleuse union, et d'estre asseuré que l'on imputera plustost mon silence à mon respect, qu'à la crainte de me faire soupçonner de ces déguisemens artificieux, qui pour eslever trop haut ceux que l'on entreprend de loüer, les font souvent perdre de veüe, et qui les cachent si bien sous les apparences trompeuses de quelques vertus empruntées, qu'il est presque impossible de les recognoistre. Ce genre de flatterie, dont la plus vaste ambition se laisse quelquefois chatoüiller, n'aura jamais de part aux éloges que vous avez droit de pretendre ; pour rien apprehender de ses industrieux mensonges, vous donnez matiere à trop de glorieuses veritez, et il sera toûjours plus difficile d'exprimer parfaitement tout ce que vous estes, que de faire paroistre avec adresse ce que les autres ne sont pas. Aussi, MADAME, n'ay-je pas la temerité de m'engager à une entreprise où les plus delicates Plumes auroient peine à reüssir, elle vous seroit trop injurieuse, et je croirois me rendre peu digne de la protection dont je prens la liberté de vous importuner pour ce Poëme que je vous presente. Vous avez toûjours témoigné tant de bonté pour moy, que j'ose me promettre que vous ne la luy refuserez pas, et que vous souffrirez⁎ qu'en vous presentant, je prenne l'occasion de vous rendre de tres-humbles graces⁎, non seulement pour les faveurs que vous luy avez prodiguées, mais pour celles que vous avez répanduës sur ceux de ma façon qui l'ont precedé. Comme les sentimens d'estime que vous en avez laissé paroistre en ont fait tout le succez, il y auroit de l'ingratitude à ne pas confesser que je vous en dois toute la gloire⁎, et que l'ambitieuse ardeur de les meriter a plus contribüé à donner de nouvelles forces à mon foible Genie, que n'auroient fait les soins⁎ assidus de l'Estude la plus serieuse. Cette obligation⁎ que je vous ay, me paroist trop pressante pour differer davantage l'adveu⁎ public que je vous en fais. Daignez⁎ l'agréer pour recognoissance d'une partie de ce que je tiens de vous ; et puisque je ne suis pas assez considerable pour oser esperer de m'en pouvoir acquiter entierement par mes services, soyez assez genereuse pour vous contenter de la respectueuse protestation que je fais d'estre toute ma vie, Madame, Vostre tres-humble et tres- obeïssant serviteur, T. CORNEILLE. ## Extrait du Privilege du Roy. Par grâce et Privilege du Roy, donné à Paris le 3 Avril 1656, il est permis à Guillaume de Luyne Marchand Libraire à Paris, d'imprimer une Piece de Theatre, de la composition du Sieur Corneille, intitulée *Les Illustres Ennemis* : et deffences sont faites à tous autres de l'imprimer, vendre, ny debiter d'autre impression que celle dudit Exposant, à peine de deux mil livres d'amende, confiscation des Exemplaires, et de tous dépens, dommages et interests, comme il est plus amplement porté par lesdites Lettres. Et ledit de Luyne a associé audit Privilege Augustin Courbé Marchand Libraire à Paris, pour en joüir suivant l'accord fait entre eux. Achevé d'imprimer le 30 Novembre 1656, à Roüen, par LAURENS MAURRY. Les Exemplaires ont esté fournis. Registré sur le Livre de la Communauté le 15 Avril 1656, Suivant l'Arrest du Parlement du 9 Avril 1653. ## Acteurs. – D. LOPE de Guzman,Amant de Jacinte. – ENRIQUE,Frere de D. Lope. – ALONSE de Roxas,Amy de D. Lope et d'Enrique. – D. SANCHE,Pere de D. Alvar et de Jacinte. – D. ALVAR,Amant de Cassandre. – D. RAMIRE,Amy de D. Sanche. – D. LOUIS,Prevost. – CASSANDRE,Sœur de D. Lope. – JACINTE,Fille de D. Sanche. – BLANCHE,Suivante de Jacinte. – FLORE, Suivante de Cassandre. La Scene est à Madrid. ## ACTE I. ### SCENE PREMIERE. ALONSE, ENRIQUE. ALONSE. Quoy, sans aucun respect, pour un leger outrage Accabler d'infamie un homme de son âge, Et démentant par là le sang dont vous sortez, L'avoir fait mal-traiter par des gens apostez⁎ [21] ! Quel fruit esperez-vous de cette violence ? ENRIQUE. Quoy ! j'aurois plus long-temps souffert⁎ son insolence, Et qu'au sang des Guzmans on osast reprocher Qu'un murmure honteux n'auroit pû les toucher ! Il publie en tous lieux, ce Vieillard temeraire, Que l'artifice⁎ seul nous acquiert un beau-frere, Que l'hymen de Fernand est un hymen contraint, Qu'il n'épouse ma soeur que parce qu'il nous craint, Et qu'avec tant de bien il est hors d'apparence Qu'un tel choix eust enfin borné son esperance. Le Ciel ne souffre⁎ point de nœuds mal assortis, Et s'il pouvoit pretendre aux plus riches partis, Au moins de nostre sang la gloire⁎ est peu commune, Et vaut bien aujourd'huy la plus haute fortune⁎. ALONSE. Si la chose est ainsi, j'advoüeray qu'il eut tort, Mais on vous aura fait peut-estre un faux rapport, Et de vos sens fougeux croire le fier tumulte… ENRIQUE. Dans ces occasions le lâche seul consulte, Reculer sa vengeance, est trahir son honneur, Et le plus prompt remede est toûjours le meilleur. ALONSE. Mais souvent à leur gré les violens courages⁎, Pour se croire un peu trop, se forment des outrages, En vain la raison parle, ils ne l'écoutent plus, Et vangent des affronts qu'ils n'ont jamais receus. Enfin d'un vain discours dont vostre honneur s'offence, Au moins D. Lope eust dû partager la vengeance, Mais au deceu [22] d'un frere… ENRIQUE.         Ah ! ne me blâmez point, Je sçais que son honneur à mon honneur est joint, Mais quel que soit l'affront qu'en reçoit sa famille, Pour se vanger du pere, il aime trop la fille, Et quand de cet amour j'aurois lieu de douter, Quoy qu'il me plaise faire, ay-je à l'en consulter ? ALONSE. Vous emporter ainsi dans ce qui l'interesse, [23] C'est avec trop d'empire [24] user du droit d'ainesse, Jacinte est fille unique, et l'éclat de ses biens Pour arrester un coeur a de puissans liens, Deviez-vous ruïner sa plus douce esperance ? ENRIQUE. Elle est basse, elle est vaine, et c'est dont je m'offence. ALONSE. Si le nom de Guzman marque un illustre sang, D. Sanche est estimé, D. Sanche a quelque rang, Et sans se faire tort, sans trahir sa famille, D. Lope aux yeux de tous peut épouser sa fille. ENRIQUE. Quoy, les Lares déja, les Mendoces confus, De ce Vieillard avare ont souffert⁎ des refus, Et D. Lope cedant à l'ardeur qui le dompte [25], Osera s'exposer à cette mesme honte ? Non, j'imagine encor un moyen plus certain D'empescher un amour aussi lâche que vain. Un de ceux dont l'audace a servy ma colere S'ira dire à D. Sanche employé par mon frere, Afin que par luy seul se croyant affronté, Il détruise un espoir trop long-temps écouté. ALONSE. Mais il aime sa fille ? ENRIQUE.         Ouy, je sçay qu'il l'adore, Mais je l'ay déja dit, et vous le dis encore, A quoy que cet amour pûst enfin l'obliger⁎ Ce sera le servir que de l'en dégager. Un refus en seroit l'indigne recompense. ALONSE. Pesez mieux un dessein⁎ d'une telle importance,     Car comment s'asseurer sur ces lâches esprits Qui mettent et leur vie et leur honneur à prix ? Leur commerce honteux, quoy que vous veüilliez [26] croire, Déja d'un noir reproche a soüillé vostre gloire⁎, Et vos emportemens qu'on leur oyt [27] approuver, Me font craindre pour vous ce qui peut arriver. ENRIQUE. Et moy, quoy qu'on murmure et quoy qu'il en puisse estre, Seul de mes actions je veux estre le maistre, Mais puisque leur appuy vous semble hazardeux, Faites icy pour moy ce que j'obtiendrois d'eux. D. Sanche vous estime, il vous croit, et j'espere... ALONSE. Que me proposez-vous ? moy, trahir vostre frere ? ENRIQUE. Ce murmure insolent au mépris des Guzmans De ce Vieillard pour luy fait voir les sentimens, Et quoy que son amour ait pû luy faire croire, Le rendre sans espoir, c'est asseurer sa gloire⁎. Enfin vous le pouvez, c'est par vous que j'attens L'infaillible succez de ce que je pretens, Et si vostre amitié s'obstine à s'en défendre, D'autres que vous peut-estre oseront l'entreprendre. ALONSE. Non, j'ay pû balancer⁎, mais puisque je cognoy Qu'à D. Lope par là je signale ma foy⁎, Pour abuser D. Sanche employer l'artifice⁎, N'est pas, à mon advis, une grande injustice. C'est icy qu'il demeure, et je vay de ce pas Luy tendre un piege adroit qu'il n'évitera pas, Adieu, laissez-moy seul, je voy sa porte ouverte. ENRIQUE. Allez, ne perdons point l'occasion offerte, Rendez suspect mon frere, et s'il en est besoin Faites-moy de l'outrage et complice et témoin. ALONSE, *seul*. Ouy, lâche et faux amy, j'accuseray ton frere, Mais plus pour le servir, que pour te satisfaire, Et tu verras bien-tost par quel heureux détour Sur tes propres conseils j'appuyeray son amour. Feignant de t'applaudir, j'empescheray peut-estre... Mais je voy Blanche. ### SCENE II. ALONSE, BLANCHE. ALONSE.         Et bien, Blanche, que fait ton maistre ? BLANCHE. Vous l'eussiez rencontré quelques momens plustost, Tout à l'heure... ALONSE.         Il suffit, je le verray tantost. ### SCENE III. JACINTE, BLANCHE. JACINTE. Qui parloit avec vous, Blanche ? BLANCHE.         Pour quelque affaire Alonse de Roxas demandoit vostre pere. JACINTE. Je ne m'étonne point qu'en cette occasion Ses amis prennent part à sa confusion, Alonse, dont chacun estime le courage, Venoit s'offrir sans doute à vanger son outrage, Et contre un ennemy dont le coeur est si bas... BLANCHE. Madame, vous pleurez ? JACINTE.         Qui ne pleureroit pas ? Souffre⁎ à mon déplaisir⁎ dans d'inutiles larmes La funeste douceur de chercher quelques charmes⁎, Et qu'au defaut du sang qu'exigent nos malheurs, A mes tristes ennuis⁎ mes yeux donnent des pleurs. Mais si je pleure, helas ! c'est le desadvantage Que reçoit en naissant nostre sexe en partage. Il semble qu'en effet la Nature en couroux⁎, Mere par tout ailleurs, est marâtre pour nous, Les plus riches presens que nous obtenions d'elle, Sont de foibles appuis sur qui l'honneur chancelle, On flate⁎ nos beautez, nous croyons ce qu'on dit, Et nostre front alors n'est pas seul qui rougit, Nous en voyons la preuve, et tous les jours infame [28] Un pere par sa fille, un mary par sa femme. Defaut honteux pour nous, pour eux injurieux ! L'honneur de tous les biens est le plus precieux, Et par un vieil abus difficile à comprendre, Nous le pouvons oster, et ne sçaurions le rendre. BLANCHE. Tout le monde vous plaint, et blâme hautement D'un ennemy caché le vil ressentiment, On en parle par tout ; mais je voy qu'on ignore, Par ces gens apostez⁎, quel bras vous deshonore, On en cherche l'autheur, sans le pouvoir trouver. JACINTE. Et c'est moy-mesme à quoy je ne fais que resver⁎ ; Mais quoy que sur ce point mon esprit se figure, Il dément aussi-tost sa propre conjecture ; Non qu'il ne soit trop vray que mon pere en ces lieux, S'il n'a des ennemis, a beaucoup d'envieux. Ce grand amas de biens qui regarde sa fille Dont un oncle en mourant enrichit sa famille... Helas ! ce souvenir réveille mes douleurs, Au sort de D. Alvar donnons icy des pleurs. Aux Indes vers cet oncle allant faire voyage, Ce frere infortuné [29] perit par un naufrage, Et ces riches tresors à luy seul destinez Soudain à mon espoir furent abandonnez. Incommodes faveurs d'une fortune⁎ ingrate Qui m'est le plus contraire alors qu'elle me flatte⁎, [30] Et m'élevant trop haut s'oppose au plus beau feu Dont la vertu jamais authorisa l'adveu⁎ ! Tu sçais, Blanche, tu sçais si D. Lope en fut digne. BLANCHE. Ainsi que son amour son respect est insigne⁎, Et certes [31] vous devez d'autant plus l'estimer, Qu'avant tant de fortune⁎ il daigna⁎ vous aimer, Que vostre vertu seule est ce qui sçeut luy plaire. JACINTE. Helas, cette raison l'est-elle pour un pere Qui de ces nouveaux biens goûtant l'indigne appas⁎, Ne voit presque pour moy que des partis trop bas ? Ainsi d'un noble sang quel que soit l'advantage, Luy proposant D. Lope on luy feroit outrage. D'un amour si secret ne t'estonne⁎ donc plus, Il tâche à s'espargner la honte d'un refus, Et son feu que soûtient un rayon d'esperance, Attendant tout du temps se contraint au silence, Mais cessons d'y penser ; aussi bien aujourd'huy Mon coeur, ce triste coeur n'est plus digne de luy, Pour m'aimer dans la honte il aime trop la gloire⁎, Et l'affront...mais que vois-je ! ô Dieux ! le puis-je croire ? ### SCENE IV. D. LOPE, JACINTE, BLANCHE. JACINTE. Quoy D. Lope, est-ce vous dont l'abord indiscret, D'un amour si caché vient rompre le secret ? Entrer ainsi chez moy sans crainte de mon pere ! Sont-ce là ces serments d'aimer et de se taire ? Sont-ce là ces respects ? est-ce là cette foy⁎ ? Enfin D. Lope, enfin est-ce vous que je voy ? D. LOPE. Ouy, Madame, et chez vous si j'ose ainsi paroistre, Ne me soupçonnez point d'estre parjure ou traistre. Toûjours ce grand merite est l'objet de mes feux, Toûjours mesmes respects accompagnent mes voeux, Et s'il m'étoit permis lors que j'ay tout à craindre... JACINTE. Parlez, parlez, D. Lope, et sans plus vous contraindre, Aussi bien ces respects sont pour moy superflus, Et qui n'a plus d'honneur ne les merite plus. D. LOPE. Je vous entens⁎, Madame, et le sort qui m'accable Cherche dans vos malheurs à me rendre coupable, Un vif ressentiment vous fait déja penser, Que qui sçait vostre honte auroit dû l'effacer, Et ce n'est pas pour plaire à vostre ame affligée Que m'offrir à vos yeux sans vous avoir vangée. Mais sur un bruit⁎ confus qui m'apprend vos ennuis⁎, Jugez ce que j'ay pû, jugez ce que je puis, Car enfin si ce bruit⁎ [32], si ce confus murmure M'eust appris l'ennemi comme il a fait l'injure, Son trépas ou le mien vous eust déja fait voir Que D. Lope vous aime et qu'il sçait son devoir. Mais ne pouvant d'ailleurs en tirer de lumiere, C'est, Madame, de vous que j'attens grace⁎ entiere, Et qu'acceptant mon bras pour finir vos malheurs, Vous m'apprendrez [33] quel sang doit essuyer vos pleurs. JACINTE. Et ne voyez-vous pas qu'en une telle offence Vous feriez peu pour nous d'en prendre la vangeance, Et qu'oser s'y servir d'un secours⁎ estranger, C'est en punir l'autheur et non pas se vanger. Ce sang de l'offenseur qu'un tel affront demande Il faut que l'offencé luy-mesme le répande, Que le sien tout émeu d'un spectacle si doux En le voyant couler boüillonne de couroux⁎, Et qu'un tel mouvement dans sa source agitée, Purge l'indignité qu'il avoit [34] contractée. D. LOPE. Mais quand l'âge s'oppose... JACINTE.         Ah, cessez d'y songer, Pour vanger une injure il faut la partager, Et l'on voit rarement qu'un vieillard qu'on affronte Sur un autre qu'un fils puisse épandre sa honte. D. LOPE. Comme un fils la partage, un fils peut l'effacer ? JACINTE. Sans doute qu'il le peut, mais que sert s'y penser, D. Alvar n'estant plus... D. LOPE.         Ah ! permettez de grace⁎ Que de ce frere mort j'aille tenir la place, Et que m'offrant pour fils à D. Sanche outragé, Je tâche à rendre ainsi son malheur partagé. Il demande du sang, et brûlant d'en répandre J'en acquerray le droit si je deviens son gendre, Et le mien par l'hymen dans le sien confondu Devra celuy d'un lâche à son honneur perdu. Voila ce que pour vous l'amour me porte à faire, Et si jusques icy ma flame a dû se taire, Je crains peu qu'un refus fasse rougir mon front Quand je luy veux pour dot demander son affront. JACINTE. Si de ces sentimens vostre ame est prevenuë⁎, Apprenez qu'en m'aimant vous m'avez mal cognuë, Et que je porte un coeur assez fier, assez haut, Pour se dérober mesme à l'ombre d'un défaut. Je vous aime, il est vray, mais l'auriez vous pû croire, Sans croire en mesme temps que j'aime vostre gloire⁎, Et que de son éclat je suis jalouse au point De vivre sans bonheur pour n'en triompher point. Ne vous flattez⁎ donc plus d'une vaine esperance Qui blesse vostre honneur, dont ma vertu s'offence. Si j'eusse hier estimé le bonheur d'estre à vous, Je vous dois aujourd'huy refuser pour [35] époux, Et ne pas m'exposer à ce reproche infame, Que le manque d'honneur me rendit vostre femme. Non, aucun n'aura droit de publier un jour Que D. Lope à ce prix achepta mon amour, Que bien qu'elle fut deuë à son merite insigne⁎ Je ne pûs estre à luy que quand j'en fus indigne, Et qu'enfin il fallut pour meriter sa foy⁎ Qu'il trouvast quelque chose à suppléer [36] en moy. D. LOPE. Quoy, vous refuseriez un coeur qui vous adore ? JACINTE. Quoy, je pourrois souffrir⁎ ce qui me deshonore ? D. LOPE.         J'asseure vostre honneur, et c'est là vous aimer. JACINTE. Je conserve le vostre, et c'est vous estimer. D. LOPE. Helas ! que cette estime est contraire à ma flame ! JACINTE. Accusez-en le Ciel sans m'en donner le blâme. D. LOPE. Que vous secondez bien sa funeste rigueur ! JACINTE. Assez mal, et sans doute aux dépens de mon cœur, Mais ma raison s'égare, et ce coeur trop sincere... BLANCHE. Madame. JACINTE.         Qu'est-ce Blanche ? BLANCHE. Alonse et vostre pere... JACINTE. Entrons icy de grace⁎, et sur tout gardez bien Que de cette entreveuë on ne soupçonne rien. ### SCENE V. D. SANCHE, ALONSE. D. SANCHE. Quel funeste conseil vous voulez que j'embrasse⁎ ! Consentir qu'il me voye, et qu'il me satisfasse ! ALONSE. Mais enfin cent raisons vous y doivent porter, Que serviroit encor de vous les repeter ? Outre que son pouvoir égale sa noblesse... D. SANCHE. Endurer qu'il triomphe ainsi de ma foiblesse ! ALONSE. Je vous l'ay déja dit, il est au desespoir Que par de faux rapports on l'ait pû decevoir⁎. D'une indigne vangeance il dûst prévoir l'issuë, Il dûst moins s'emporter, mais l'offence est receuë. D. SANCHE. Et de grace⁎, son nom ? ALONSE.         Quand vous m'aurez promis D'accepter un accord qui vous doit rendre amis. D. SANCHE. Quoy, mon lâche ennemy lors mesme qu'il s'accuse En seroit quitte ainsi pour quelque vaine excuse,     Et tant que je vivray l'on verroit sur mon front, Les traits⁎ mal effacez d'un si sanglant affront ? ALONSE. Donc s'il pouvoit s'offrir une voye assez prompte Par où de vostre injure il partageast la honte, Et qu'attirant sur luy l'affront qu'il vous a fait, De cette violence il démentist l'effet ? D. SANCHE. Comment la démentir, si loin de s'en defendre... ALONSE. Ne le pourroit-il pas se faisant vostre gendre ? Lors avec vostre honneur dans le sien interessé, [37] Confondant l'offenceur avecque l'offencé, L'hymen ayant uny son sang avec le vostre, La pureté de l'un rendroit l'éclat à l'autre, Puisqu'on ne vit jamais dans un mesme sujet Subsister d'un affront et l'autheur et l'objet. D. SANCHE. Ah ! si par cette voye un sang impur se change, Il vaut bien mieux choisir un gendre qui me vange. ALONSE. Ne pouvant le choisir que sous de rudes loix, A moins que de descendre, estes vous seur du choix ? D'ailleurs cet ennemy que vous voulez cognoistre⁎, Est d'un rang qu'on respecte et qu'on craindra peut-estre, Et ce rang dans la Cour luy donne un tel appuy, Que peu voudront pour vous s'engager contre luy. D. SANCHE. Quoy donc, c'est seulement en luy donnant ma fille Que je puis restablir l'honneur de ma famille ? ALONSE. Y croyez-vous trouver un remede plus doux ? D. SANCHE. Il est mon ennemy, j'en ferois son époux ! Ce remede est pour moy pire que le mal mesme. ALONSE. Il le faut violent quand le mal est extrême. Mais enfin resolvez, si je n'obtiens ce point, Son nom est un secret que vous ne sçaurez point. D. SANCHE. A quelle indignité me voulez-vous contraindre ? ALONSE. Je sçay ce que je fais, cessez de vous en plaindre. Mais ne m'en croyez pas, et d'un esprit remis [38] Allez sur cet accord consulter vos amis. D. SANCHE. Je veux ⁎que leur adveu⁎ réponde à vostre attente ; Mais qui m'asseurera que ma fille y consente, Que son esprit soûmis cede sans resister ? ### SCENE VI. D. SANCHE, ALONSE, JACINTE. JACINTE. Moy-mesme, puisqu'enfin vous en pouvez douter. Si du Ciel en naissant je reçeus quelque outrage, Au dessus de mon sexe il m'enfla le courage, Et ce doit estre un charme⁎ à mes tristes ennuis⁎ De vous vanger du moins autant que je le puis. D. SANCHE. Quoy, sans cognoistre⁎ à qui cet hymen te destine... JACINTE. Ah ! jugez mieux d'une ame où la vertu domine. >M'informez de son nom ce seroit balancer⁎ Sur ce grand sacrifice où je dois me forcer, Ce seroit à mon coeur par cette cognoissance,  Mandier lâchement un peu de complaisance Et souffrir⁎ qu'on doutast si m'aimant plus que vous Je satisfais un pere, ou choisis un époux ; Non non, et quel qu'il soit, je n'en suis point en peine, Je ne puis voir en luy que l'objet de ma haine, Et de tous les tourmens le plus affreux pour moy, C'est sans doute celuy de recevoir sa foy⁎, Mais vous devant le jour et le sang qui m'anime, Je dois à vostre honneur une grande victime, Et croy ne pouvoir mieux en restablir le cours Qu'en luy sacrifiant le bonheur de mes jours. D. SANCHE. C'est trop, et je m'oppose à ce devoir severe Qui n'arreste tes yeux que sur l'affront d'un pere, Voy ce goufre de maux où tu veux t'exposer, Soûpire en le voyant, et crains de trop oser. JACINTE. Je voy tout ce que j'ose, et ma vertu se fâche Qu'en moy vous soupçonniez rien de bas ny de lâche, L'ardeur de vous vanger remplit trop mes desirs, Pour abaisser mon ame à de honteux soûpirs. Si mon sexe aujourd'huy m'avoit permis les armes, Vous auriez veu du sang où vous craignez des larmes, Mais je feray du moins tout ce qu'il peut souffrir⁎, Et ne pouvant tuer, je sçauray bien mourir. D. SANCHE. Ta vertu me ravit⁎, vien, vien, que je t'embrasse⁎. JACINTE. Croyez-vous que par là nostre honte s'efface ? Ne perdez point de temps. D. SANCHE.         Allons voir nos amis, Et sçachons quel accord me peut estre permis. ### SCENE VII. D. LOPE, JACINTE, BLANCHE. JACINTE. Prenez ce temps, D. Lope, et de peur qu'on me blâme, Si son retour trop prompt... D. LOPE.         Je le prendray, Madame, Adieu, mais prenez garde au serment que je fais, Je vous quitte aujourd'huy pour ne vous voir [39] jamais. Vous engagez ailleurs la foy⁎ qui m'est promise, On conspire ma mort, vostre adveu⁎ l'authorise, J'en viens d'oüir l'arrest, et n'ay point éclaté, Non qu'un reste d'amour m'en ait sollicité, Non que de mes respects [40] je garde la memoire, Mais parce que j'ay dû cet effort à ma gloire⁎, Et que j'eusse rougy qu'un mouvement jaloux Eust convaincu mon coeur d'avoir brûlé pour vous. JACINTE. Ah ! ne vous plaignez point où je suis seule à plaindre, L'effort est grand sans doute où j'ay sçeu me contraindre, Mais je n'ay pas jugé qu'un plus bas sentiment Meritast d'avoir eu D. Lope pour amant, Et comme vos vertus par leur éclat sublime Pour gagner mon amour s'acquirent mon estime, C'est par là seulement que j'espere à mon tour M'acquerir vostre estime, en perdant vostre amour. D. LOPE. Vous l'acquerrez, Madame, et vous le devez croire, Si l'infidelité merite quelque gloire⁎. JACINTE. Si mes feux aujourd'huy vous semblent inconstans, Suspendez vostre plainte, et laissez faire au temps. D. LOPE. Le temps n'adoucit point des malheurs de la sorte. JACINTE. Le temps vous fera voir que vostre amour s'emporte, Et qu'enfin quel que soit le dessein⁎ qu'on ait fait, Pour en blâmer la cause, il en faut voir l'effet. D. LOPE. Helas ! et quel effet dois-je attendre du vostre, Quand de ce qui m'est dû l'on enrichit un autre ? Ouy, mon rival triomphe, et mon espoir est vain, N'avez vous pas promis de luy donner la main ? JACINTE. Je le feray sans doute. D. LOPE.         Et vous serez sa femme ? JACINTE. Moy ! cette lâcheté pourroit m'entrer dans l'ame ? D. LOPE. Que m'avez vous donc dit, ou qu'est-ce que j'apprens ? Et comment accorder deux points si differents ? JACINTE. Si pour les accorder vous manquez de lumiere, Cognoissez⁎ aujourd'huy mon ame toute entiere, Et de l'heur⁎ d'un Rival cessant d'estre jaloux, Confessez que mon coeur estoit digne de vous. L'espoir de mon hymen n'est qu'une attente vaine, Sous ce trompeur adveu⁎ je le livre à ma haine, Et luy donnant la main, je séme un faux appas⁎, Qui sans aucun soupçon l'attire dans mes bras, Où ma main dans son sang, au gré de mon envie, Vange avec mon honneur le repos de ma vie. Estes-vous satisfait ? D. LOPE.         Helas ! si je le suis, Vous mesme jugez-en, jugez si je le puis. Par luy seul vostre honneur à l'outrage est en bute, Et quoy que contre luy vostre haine execute, Apres le noir effet de son lâche dessein⁎ Il mourra glorieux, s'il meurt de vostre main. Non, il faut que par moy sa mort vous satisfasse, Qu'elle soit un supplice et non pas une grace⁎. Le plus rude trépas luy deviendroit trop doux S'il avoit pû se dire un moment vostre époux : Au nom de cette amour ferme, pure, sincere... JACINTE. Brisons-là [41], je crains trop le retour de mon pere, Esloignez-vous, de grace⁎, et recevez ma foy⁎ Que je me souviendray de ce que je vous doy. D. LOPE. Ah, Madame, adjoûtez... JACINTE.         Je n'ay plus rien à dire. D. LOPE. Que mon Rival... JACINTE.         Sortez, ou bien je me retire. D. LOPE. Rigoureuse vertu que l'on doit admirer ! Helas ! à quels tourmens me viens-tu preparer ! ## ACTE II. ### SCENE PREMIERE. D. LOPE, CASSANDRE, FLORE. D. LOPE. C'estoit peu que toûjours son devoir trop fidelle Contre ma passion eust combatu pour elle, Quand pour la meriter je croy voir quelque jour [42], Un fier motif d'honneur s'oppose à mon amour, Et quoy qu'à mes soûpirs son coeur soit favorable, Cet honneur, ce devoir, tout est inexorable. Dures extrémitez ! qui le croiroit, ma soeur, Que le Ciel me traitât avec autant de rigueur, Que pouvant esperer d'avoir pour moy le pere, La vertu de la fille à mes vœux fust contraire, Et seule mist obstacle au plus charmant⁎ espoir Que jamais un amant eust droit de concevoir ? Je la perds, mais helas ! perdant tout avec elle, La façon de la perdre est pour moy si cruelle, Que toute ma constance et fremit et s'abat Aux menaces d'un coup dont elle craint l'éclat. Ce n'est point un Rival dont l'amour [43] preferée Me dérobe une foy⁎ si saintement jurée, Ce n'est point un vieillard dont l'ordre imperieux Arrache à mon espoir un bien si precieux. Sans qu'un Rival l'y porte, ou qu'un pere l'ordonne, Elle mesme s'engage, elle mesme se donne, Et par ce sacrifice, à son honneur offert, Veut estre digne au moins de l'amant qu'elle perd. Rigoureuse faveur ! tyrannique maxime ! CASSANDRE. Sa resolution merite qu'on l'estime, Et son coeur par l'amour vainement combattu M'oblige en vous plaignant d'admirer sa vertu. D. LOPE. Vous devez davantage aux troubles⁎ de mon ame. Vostre amitié, ma soeur, a fait naistre ma flame, Et je n'ay pû la voir si souvent avec vous, Sans voir, sans découvrir cet éclat vif et doux, Cette vertu modeste, et ce rare merite Dont le charme⁎ à l'amour secrettement invite, Et de tant de beautez voyant l'illustre appas⁎, Puisque j'avois un coeur, pouvois-je n'aimer pas ? Ainsi quelques ennuis⁎ où cet amour m'expose, M'ayant laissé la voir, vous en estes la cause, Et pour moy vos bontez agiroient lâchement, De pleindre en moy le frere, et negliger l'amant. Voyez-la donc, ma soeur, cette fille adorable, Montrez-luy ce respect toûjours inébranlable, Ce feu tenu secret avecque tant de soin⁎, Qu'il n'a souffert⁎ que vous jusqu'icy de témoin ; Mais c'est ce qui me perd, sans ce fâcheux⁎ silence Alonse en eust receu l'entiere confidence, Et ne m'eust pas reduit par ces cruels advis A mourir de douleur si je les voy suivis.     C'est luy, ma soeur, c'est luy qui propose à D. Sanche Cet odieux hymen où l'un et l'autre panche : Mais si mon desespoir doit enfin éclatter, Pour mon Rival peut-estre il est à redouter. CASSANDRE. Quoy que de ses advis vous ayez à vous plaindre,     Voyez-le, cet Alonse, avant que d'en rien [44] craindre, Il vous cherche par tout avec empressement. D. LOPE. C'est à vostre priere ? advoüez franchement. CASSANDRE. Vous pourrez de luy-mesme apprendre le contraire. D. LOPE. Vostre hymen prés de luy me rend injuste frere, Et les biens de Fernand n'ayant pû vous charmer⁎, C'est moy qui vous contraints, c'est moy qu'il faut blâmer ? CASSANDRE. S'il vous peint mon malheur comme un malheur extrême, C'est sur ce que Fernand en dit tout haut luy-mesme, Qui tenant et l'amour et l'hymen à mépris [45], N'eust jamais rien conclu s'il n'eust esté surpris⁎. Encor tout de nouveau j'apprens qu'il s'ose plaindre Qu'Enrique à cet hymen luy seul l'a sçeu contraindre, Et que sa violence et son emportement L'ont forcé par surprise⁎ à cet engagement. Il le fait bien paroistre, on a pris la journée Qui doit hâter ma mort par ce triste hymenée, Dans deux jours mon malheur sous ses loix me réduit, Et bien loin de me voir, il semble qu'il me fuit. Si pour une maistresse il porte un coeur sans flâme, Quel amour esperer quand je seray sa femme ? N'importe, c'en est fait, ayant receu sa foy⁎ Un lâche repentir est indigne de moy, Et de tous les malheurs, un coeur qui se possede Dans sa propre vertu voit toûjours le remede. D. LOPE. Ce sentiment, ma soeur, est bien digne de vous, Je sçay que de tout temps vous fuyez un époux, Et vostre aversion nous a trop fait paroistre Que vous craignez en luy de ne trouver qu'un maistre. J'ay parlé pour Fernand, mais sçachez aujourd'huy Que vostre interest seul m'a fait parler pour luy. Enrique est violent, et voyant qu'il vous traite, Malgré tous mes avis, moins en soeur qu'en sujette, Appuyant un hymen qu'on l'a veu rechercher, Au pouvoir d'un tyran j'ay crû vous arracher, Et qu'enfin dans le choix d'un sort toûjours contraire Vous souffririez⁎ plûtost d'un époux que d'un frere. Je vous ay donc pressée, et je vois à regret Que j'ay lieu de m'en faire un reproche secret. La froideur de Fernand me surprend⁎ et m'afflige, Mais à quoy que pour vous la Nature m'oblige⁎, Luy faire proposer de rompre cet accord Seroit porter Enrique à conspirer sa mort. Mais Dieux, vois-je Jacinte, ou si⁎ mon oeil s'abuse ? CASSANDRE. Les differens sont doux qui font naistre une excuse. ### SCENE II. D. LOPE, CASSANDRE, JACINTE, BLANCHE, FLORE. D. LOPE. Madame, quel dessein⁎ en ce lieu vous conduit ? Venez-vous voir l'estat où m'avez reduit, Et de mon desespoir joüissant sans obstacle Saouler vostre vertu d'un si triste spectacle ? CASSANDRE*à Jacinte*. Vous voyez les transports⁎ d'un coeur vrayment atteint, Il n'espere qu'en trouble⁎ [46] et croit tout ce qu'il craint. JACINTE. J'avois fait un dessein⁎ dont sans doute il soûpire, Mais il estoit injuste, et je viens m'en dédire. D. LOPE. Quoy ! se pourroit-il bien qu'apres tant de rigueur, Un reste de tendresse eust émeu vostre coeur, Que vous eussiez cognu qu'une injustice extrême Vous portoit à me perdre en vous perdant vous mesme, Et que l'amour enfin vous eust fait souvenir Qu'il faut vanger un pere, et non-pas vous punir ? JACINTE. Je sçay ce que je doix aux interests d'un pere, Pour l'oublier jamais sa gloire⁎ m'est trop chere, Mais au nom de l'époux qu'il m'avoit destiné, Contre moy tout à coup mon coeur s'est mutiné, Et soudain condamnant ma premiere entreprise, A sa rebellion ma raison s'est soûmise. D. LOPE. Elle a dû s'y soûmettre, et son aveuglement Avec trop d'injustice immoloit⁎ vostre amant, Le Ciel qui l'a cognuë y daigne⁎ mettre obstacle, Et mon amour confus attendoit ce miracle. Mais puis-je demander quel estoit cet époux ? JACINTE. Le voulez-vous sçavoir ? vous, D. Lope. D. LOPE.     Moy ? JACINTE.         Vous. D. LOPE. Helas ! à ce discours que faut-il que je pense ? JACINTE. Que mon pere vous croit l'autheur de son offence. D. LOPE. Que le perfide Alonse ait osé m'accuser    535 Du crime le plus noir qu'on me pût imposer ! JACINTE. Sur vous d'un coup si lâche il fait tomber le blâme, Et par vostre ordre seul... D. LOPE.         Le croyez-vous, Madame ? JACINTE. Vous voir et vous parler sans faire agir mon bras, C'est vous montrer assez que je ne le croy pas. Dequoy que vous accuse un indigne murmure, L'amour que j'ay pour vous en convainc [47] l'imposture, Et répond hautement à mon coeur abatu Et de vostre innocence et de vostre vertu. Cette amour dans son choix ne s'est point emportée, Ayant pû l'acquerir, vous l'avez meritée,     Et l'ayant meritée, il est à presumer Qu'une vertu sublime en vous me sçeut charmer⁎, Que la mienne jamais ne peut m'avoir trahie, Que de fausses clartez ne m'ont point ébloüie, Et qu'enfin j'ay dû voir dedans un cœur [48] constant Tout ce qu'un vray merite a de plus éclattant. Voila sur quels appuis mon amour osa naistre, Et si vous n'estiez pas ce que je vous crois estre, Si de bas sentimens vous tenoient partagé Je me voudrois punir d'en avoir mal jugé. D. LOPE. Pour bien juger de moy, jugez-en par vous mesme, Ou pour dire encor plus, par ce coeur qui vous aime, Puisqu'on ne vit jamais les belles passions Sur des courages⁎ bas former d'impressions. Mais si vostre vertu jugeant [49] mon innocence, Contre la calomnie entreprend ma deffence, Daignez⁎ ne pas laisser vostre ouvrage imparfait, Et de l'erreur d'un pere accordez-moy l'effet. Voyez de vostre hymen ce qu'on luy fait pretendre ; Pour effacer sa honte il vous demande un gendre, Et puisque son honneur vous doit seul engager, Faites tomber sur moy le droit de le vanger. Prenez l'occasion que le Ciel vous presente De remplir les devoirs et de fille et d'amante, Et ne me perdez pas quand il vous donne jour A satisfaire ensemble et l'honneur et l'amour. JACINTE. D. Lope, qu'est-ce-cy ? vous oubliez sans doute Que c'est vous qui parlez, et moy qui vous écoute ? Ou voulant que j'embrasse⁎ un projet si honteux, La gloire⁎ vous déplaist pour objet de nos feux ? Ainsi donc ma vertu doublement infidelle, Répondra lâchement à ce qu'on attend d'elle, Et je pourray souffrir⁎ qu'on me reproche un jour Que l'honneur me servit de pretexte à l'amour, Qu'abusant de l'erreur qui pût surprendre⁎ un pere, Je ne le satisfis que pour me satisfaire, Et que ma passion couvrit sa lâcheté D'un vain et faux éclat de generosité ! D. LOPE. Comme toûjours ma flame a demeuré secrette, La peur d'un tel reproche en vain vous inquiete [50], On ne soupçonne rien de cette noble ardeur Qui m'acquit vostre estime en vous donnant mon coeur, Et chacun vous croyant dans cet hymen surprise⁎, Personne ne sçaura que l'amour l'authorise, Qu'à des motifs d'honneur il mêle son appas⁎. JACINTE. Et moy, D. Lope, et moy ne le sçauray-je pas ? Quoy ! dans ce haut dessein⁎ où la vertu m'engage, Estimez-vous si peu mon propre témoignage, Et ne suffit-il pas pour m'en faire une loy Que mon coeur en secret dépose contre moy ? Quoy qu'on cherche l'estime avec des soins⁎ extrêmes, Des belles actions le prix est en nous mesmes, Ce charme⁎ interieur qui nous sçait émouvoir, Est le plus doux encens qu'on puisse recevoir. Sans que nous dépendions de ce qu'on ose croire, C'est par nous que s'acheve ou détruit nostre gloire⁎, Et l'éclat du dehors a peine à l'aggrandir Alors que [51] le dedans refuse d'applaudir. Un coeur qui d'un grand coeur aspire à l'avantage, Doit s'oser dire tel par son propre suffrage⁎, S'en répondre à soy-mesme, et sur un tel appuy S'abandonner sans crainte à ce qu'on croit de luy. D. LOPE. Où me vas-tu reduire, ô vertu trop austere ? JACINTE. Mais vous estes encor l'ennemy de mon pere, On vous accuse enfin, convainquez l'imposteur, Et de nostre disgrace allez chercher l'autheur, Montrez-vous innocent en le faisant cognoistre⁎. D. LOPE. Quoy, c'est aussi par moy que son bonheur doit naistre, Par moy, qui découvrant son crime aux yeux de tous, Luy cede mon espoir, et le fais vostre époux, Et vous m'osez charger de cet employ funeste ? JACINTE. Faisons nostre devoir, le Ciel fera le reste. D. LOPE. Il faut vous obeïr, mais souvenez-vous bien Que ce lâche cognû⁎, je ne cognois⁎ plus rien, Et qu'à quoy que pour vous le respect me convie, Son bonheur est mal seur [52] s'il me laisse la vie. Adieu. ### SCENE III. JACINTE, CASSANDRE, FLORE, BLANCHE. CASSANDRE.         C'est vous servir avec trop de rigueur Du pouvoir que l'amour vous donne sur son coeur. JACINTE. C'est montrer que l'amour n'est vertueux ou lâche, Que selon les objets où⁎ sa flame s'attache, Et que si rarement un courage abatu De cette passion se fait une vertu, Jamais une grande ame où la gloire⁎ préside, N'en prend dans ses desseins⁎ l'aveuglement pour guide. CASSANDRE. Ainsi ce grand pouvoir que vous gardez sur vous, Des plus âpres [53] malheurs vous fait braver les coups. Que vous estes heureuse, et que je suis à plaindre ! JACINTE. Pouvant tout esperer, vous n'avez rien à craindre, Mais si vostre malheur estoit égal au mien, Vous auriez tout à craindre, et n'espereriez rien. CASSANDRE. En l'estat où je suis, que faut-il que j'espere ? L'hymen rend dans deux jours mon amour necessaire, Je le dois à Fernand, et presque au desespoir, Tout mon coeur se refuse à ce triste devoir. JACINTE. Au moins ce grand malheur qui cause vostre plainte, Peut estre surmonté [54] par un peu de contrainte, Et quelque aversion qu'on ait au nom [55] d'époux, C'est n'en haïr aucun, que de les haïr tous. Mais d'un revers si dur ma disgrace est suivie, Qu'écoutant le projet où l'honneur me convie, Il me faut étouffer les plus beaux sentimens Que la gloire⁎ jamais permit aux vrais amans. Car enfin c'est en vain [56] que je le voudrois taire, D. Lope a des vertus dont l'éclat m'a sçeu plaire, Et je ne puis songer sans trouble⁎ et sans ennuy⁎ Que qui n'ose le perdre est indigne de luy. CASSANDRE. Apres un tel adveu⁎ vous oseray-je dire... Mais que ne dit-on point lors que le coeur soûpire, Et que dans ses soûpirs, interdit⁎ et confus, Il parle, il s'embarasse, et ne se comprend plus ? JACINTE. Il n'est pas mal-aisé d'entendre⁎ ce langage, Je voy contre l'hymen quel motif vous engage, Qu'on n'éteint pas sans peine un feu bien allumé, Et que vous aimeriez, si vous n'aviez aimé. CASSANDRE. Je l'advouë, et jamais une plus belle flame Pour un plus digne objet ne regna dans une ame, Mais las ! que la Fortune⁎, au moins jusqu'à ce jour, Respecte rarement un vertueux amour ! Flore et Blanche rentrent. Icy dedans Madrid, sous les loix d'une tante [57], Je menois une vie et paisible et contente [58], Et mes freres en Flandre, en de nobles emplois, Laissoient à mes desirs [59] la liberté du choix, Alors qu'un Cavalier [60] dans un peril extrême Osa m'en dégager en s'y jettant luy-mesme, Et par ce grand service engagea ma raison A souffrir⁎ de mon coeur l'aimable [61] trahison, Il me vit, je le vis, et trop recognoissante, Pensant n'estre rien plus [62], je me sentis amante. Je ne vous diray point par quels soins⁎, par quels voeux Il disposa mon ame à répondre à ses feux, Ny quel rapport d'humeurs [63] l'une à l'autre assorties, Forma de nos esprits les douces sympaties, Ce seroit retracer dedans mon souvenir Des traits⁎ mal effacez qu'il tâche de bannir, [64] Vous sçaurez seulement que quoy que je supprime, Rien de honteux pour moy ne m'acquit son estime, Et que l'ayant cognû genereux⁎ et discret, Je ne pûs refuser de le voir en secret. Mais quoy qu'il me jurast entiere obeïssance, Il sçeut avec tant d'art⁎ me cacher sa naissance, Que m'opposant toûjours quelque obligeant⁎ refus, M'ayant appris son nom, je ne sçeus rien de plus [65], Si ce n'est que pour vaincre un destin trop contraire, Un voyage d'un an se trouvoit necessaire, Et qu'alors plus heureux et plus digne de moy, Il se feroit cognoistre⁎ aussi bien que sa foy⁎. Que vous diray-je enfin ? sans sçavoir davantage Il fallut consentir à ce triste voyage, Et sur un élement le plus traistre de tous, Abandonner aux vents mon espoir le plus doux. Il partit, et le Ciel pour comble de miseres Fit suivre son depart du retour de mes freres, Ah ! JACINTE.     Si par ce recit... CASSANDRE.         Achevons, ce n'est rien. Jugez par ce retour quel malheur fut le mien. A me tyranniser leur amitié consiste, Un party se presente, ils pressent, je resiste, Ils parlent pour un autre, et par trop de rigueur Leur gloire⁎ s'interesse à garder une soeur [66]. Je recule toûjours, tandis⁎ le [67] temps se passe, Déja mon triste coeur fremit de sa disgrace, Et dans le sort douteux d'un amant qu'il attend, Met son moindre supplice à le croire inconstant, Quand sur moy la Fortune⁎ achevant son ouvrage, Par celuy d'un parent on m'apprend son naufrage [68], Ils s'estoient embarquez dans le mesme vaisseau, Et la mer de tous deux fut l'injuste tombeau. Ah Dieux ! JACINTE.         Vostre douleur semble toûjours s'accroistre. CASSANDRE. Helas ! à tous momens je croy le voir paroistre, Je l'entens⁎ qui se plaint d'avoir esté trahy, Que quoy qu'apres deux ans j'ay trop tost obeï, Que Fernand...juste Ciel ! pardonnez ma foiblesse, A ce funeste nom ma constance me laisse, Approchez-moy d'un siege, et souffrez⁎ qu'aux abois Ma flame... JACINTE.         La douleur luy suffoque la voix, Flore vient de sortir, quel conseil⁎ dois-je prendre ? ### SCENE IV. JACINTE, CASSANDRE, FLORE, BLANCHE. JACINTE. Flore, et viste. CASSANDRE*comme en pâmoyson.*.     Ah ! pardon, chere Ombre. JACINTE.         Voy, Cassandre... FLORE. Ah ! Madame. JACINTE.     Qu'as-tu ? FLORE.     Son amant... JACINTE.         Qui ? Fernand ? FLORE. Non, mais par un destin tout à fait surprenant, Celuy qu'elle croit mort... JACINTE.     Et bien ? FLORE.         Est là, qui presse... JACINTE. Que dis-tu ? FLORE.         Qu'il demande à revoir sa maistresse, Mais le voicy luy-mesme, il entre. JACINTE.         Ah, justes Dieux ! C'est mon frere. ### SCENE V. D. ALVAR, JACINTE, CASSANDRE, FLORE, BLANCHE. D. ALVAR.         Ah, ma soeur, qui vous met en ces lieux ? Vous trouver à Madrid, et vous croire à Tolede ! JACINTE. Donc apres avoir crû nos malheurs sans remede... D. ALVAR. Je cherche icy Cassandre, excusez mon transport⁎. Mais fuit-elle ma veuë, ou si⁎ c'est qu'elle dort ? Madame, c'est donc là cette innocente joye, Qu'au retour d'un amant une amante déploye ? Faut-il qu'apres deux ans et d'absence et de maux... CASSANDRE*comme en pâmoison*. Laisse-moy, D. Alvar, un moment de repos. D. ALVAR. Helas, de cet accueil que faut-il que j'augure ? JACINTE. C'est un leger accez [69], ne craignez pas qu'il dure, Il va donner relâche⁎ à ses sens assoupis. D. ALVAR. Ouvrez les yeux, Madame, et voyez que je vis. CASSANDRE*en pâmoison*. Songes-tu que deux ans m'ont trop justifiée, Et que veuve de toy je me suis mariée ? D. ALVAR. Que dit-elle, ma soeur ? JACINTE.         Elle revient à soy. CASSANDRE. Jacinte, helas ! où suis-je, et qu'est-ce que je voy ? JACINTE. Reprenez vos esprits. CASSANDRE.         Et les puis-je reprendre Si je voy ce qu'enfin je ne sçaurois comprendre ? D. Alvar vivroit-il ? D. ALVAR.         Apprenez-moy son sort, Vous le sçavez vous seule, est-il vivant ou mort ? Je sçay que sur un banc échapé du naufrage, Eschapé des rigueurs d'un étroit esclavage, Le Ciel qui l'en sauva le renvoyoit au jour, Mais vivroit il encor s'il n'a plus vostre amour ? Parlez, Madame. CASSANDRE.     Helas ! D. ALVAR.         Soûpirer et se taire ? Ah ! ma sœur. CASSANDRE.         Que dit-il ? D. Alvar vostre frere ? JACINTE. Ouy, vous voyez ce frere... D. ALVAR.         Ah ! c'est trop me géner, Dites-moy ce qu'enfin je n'ose deviner. J'eus tort de vous quitter, vous seriez-vous vangée, Un autre est-il heureux, estes vous engagée ? CASSANDRE. Vous vivant, dites-moy comment je l'advouëray ? Mais le puis-je nier s'il n'est rien de plus vray ? D. ALVAR. Quoy, plus d'espoir pour moy ? CASSANDRE.         La parole est donnée, Et ma main dans deux jours acheve l'hymenée. D. ALVAR. Ce terme peut encor rétablir mon bonheur. CASSANDRE. Ce terme est peu de chose à qui cherit l'honneur. D. ALVAR. Et vous m'avez aimé ? CASSANDRE.         Mon heur⁎ seroit extrême D'oser dire, j'aimay, sans pouvoir dire, j'aime. D. ALVAR. Ah, s'il vous reste encor... CASSANDRE.         Ne me demandez rien, Je sçay ce que se doit un coeur comme le mien. Tant que vostre retour flatta⁎ mon esperance, En vain l'on essaya d'ébransler ma constance. Le bruit⁎ de vostre mort a dégagé ma foy⁎, Il vous perd, il me perd, plaignez vous, plaignez moy, Ou plûtost pour sauver l'éclat de votre gloire⁎, Acheptez par l'absence une illustre victoire. D'un feu jadis si beau perdez le souvenir, Et fuyez un objet qui peut l'entretenir. Adieu, vous me perdez si mes freres surviennent. D. ALVAR. Que ne rompez-vous donc les noeuds qui me retiennent ? CASSANDRE. Je les croy toûjours voir, [70] tirez-moy de soucy⁎. D. ALVAR. Et bien, si vous craignez de me parlez icy, Au moins faites qu'ailleurs je puisse vous apprendre... CASSANDRE. Ne pouvant rien pour vous, je ne dois rien entendre⁎, Je ne vous verray plus. D. ALVAR.         Comment donc vous quitter ? CASSANDRE. Le peril croist toûjours, c'est trop vous écouter, Je me retire. D. ALVAR.         Helas ! ma soeur, quelle injustice ! C'est donc ainsi qu'au port il faut que je perisse. Ah, que ne suis-je mort, ou pourquoy l'a-t'on crû ? JACINTE. Ce faux bruit⁎ en deux ans ne s'est que trop accrû, Aussi me destinant le grand bien qu'il possede, Mon pere sur ce bruit⁎ voulut quitter Tolede, Esperant qu'à Madrid... D. ALVAR.         Ah, puisqu'il me croit mort, Promettez-moy, ma soeur, de luy cacher mon sort ; Car enfin si le Ciel s'obstine à me poursuivre, [71] Mon espoir estant mort je ne veux point revivre. Adieu, vous seule icy me pouvez secourir, Touchez pour moy Cassandre, ou me laissez mourir. ## ACTE III. ### SCENE PREMIERE. D. SANCHE, D. RAMIRE. D. RAMIRE. Enfin instruit d'un nom que vous brûliez d'apprendre, D'un ennemy secret vous allez faire un gendre ? D. SANCHE. Au moins suis-je ravy que contre mon espoir Vos fidelles conseils m'en donnent le pouvoir. D. RAMIRE. Le conseil est fâcheux⁎, et j'ay veu l'assemblée, Sans pouvoir que resoudre, également troublée, Mais quoy qu'avec des yeux de juges rigoureux, Ne regardant en vous qu'un vieillard malheureux, Que la fuitte de l'âge a mis dans l'impuissance D'effacer par le sang la honte d'une offence, Voyant d'ailleurs⁎ Alonse à se taire obstiné A moins qu'à cet accord on vous eust condamné, Et vous mesme sur tout témoigner de vous rendre... D. SANCHE. Je n'en usois ainsi que pour mieux le surprendre⁎, Sçachant qu'à ne me voir ébranlé qu'à demy, Il m'eust toûjours caché quel est mon ennemy. Il me l'a donc nommé devant ma fille mesme, Et pour mieux déguiser encor le stratagême, J'ay voulu devant luy ne luy donner qu'un jour A disposer son ame à ce funeste amour, Luy-mesme il l'en a veuë et surprise⁎ et confuse, Mais il est juste enfin que je la desabuse, Et qu'elle sçache au moins que mon juste couroux⁎ Dedans mon [72] ennemy ne peut voir son époux. D. RAMIRE. Quoy, vostre procedé n'estoit qu'un artifice⁎ ? D. SANCHE. J'ay fait ce que sans doute il falloit que je fisse. D. RAMIRE. Si toûjours la vangeance occupe vos esprits, Le Ciel plus à propos n'eust pû vous rendre un fils, D. Alvar est vivant. D. SANCHE.         Quoy, mon fils, D. Ramire, Mon fils seroit vivant ? D. RAMIRE.         Ouy, D. Alvar respire, A deux cens pas d'icy je viens de le quitter. D. SANCHE. Un plus foible rapport m'en laisseroit douter. Mais qui l'empesche donc à mes yeux de paroistre ? Est-ce qu'en ma disgrace il me veut mécognoistre, Que mon honneur blessé touche peu son esprit, Ou qu'il ignore encor mon sejour à Madrid ? D. RAMIRE. Il l'ignore sans doute, et j'allois l'en instruire, Quand surpris tout à coup au nom de D. Ramire, Sans me laisser parler, se tirant de mes bras : Ah ! si l'on me croit mort, on ne s'abuse pas, M'a t'il dit, et la mer ne m'a laissé la vie, Qu'afin que par l'amour elle me fust ravie⁎, Il a donné l'arrest, il faut l'executer. A ces mots s'échapant, sans vouloir m'écouter, Son pas précipité, le détour d'une ruë, L'ont sçeu presque aussi-tost dérober à ma veuë. D. SANCHE. Quoy, le croyant revoir, il m'est encor ravy ! D. RAMIRE. Ne vous alarmez point, un des miens l'a suivy, Mais l'ayant retrouvé, que luy pourray-je aprendre ? D. SANCHE. Ce malheur dont le bruit⁎ a pû si-tost [73] s'épandre. D. RAMIRE. Mais ignorant l'autheur... D. SANCHE.         Il l'apprendra de moy Quand sur un tel secret j'auray receu sa foy⁎. Car [74] enfin pour punir une action si noire, Si j'employois un fils, je trahirois sa gloire⁎, Mon mal veut un remede et violent et prompt, Et je dois mesurer la vangeance à l'affront. D. RAMIRE. Ne pouvant avec luy m'expliquer davantage, Il vaut mieux par vous seul qu'il apprenne l'outrage, Ainsi par un billet que je feray tenir, Sur un affront receu, pressez-le de venir. D. SANCHE. Et bien, sans perdre temps, allons chez moy l'écrire, Ce billet... ### SCENE II. D. SANCHE, D. RAMIRE, JACINTE, BLANCHE. D. SANCHE.         Ah ! ma fille, à la fin je respire, Et dans l'heureux succez qui flate⁎ mes desirs, Tu peux donner relâche⁎ à tes tristes soûpirs. Ta vertu s'est montrée entiere, pure, pleine, Joüis de son éclat sans en craindre la peine, Enfin ne songe plus à l'hymen proposé, Je le pressois moy-mesme, on m'avoit abusé, J'avois presté les yeux à de fausses lumieres, A des illusions sans doute trop grossieres, Mais sans qu'il soit besoin de trahir ton bon-heur, Le Ciel m'offre un moyen d'asseurer mon honneur, Il m'est plus glorieux, et pour toy moins funeste, Adieu, le temps sçaura te découvrir le reste. ### SCENE III. JACINTE, BLANCHE. JACINTE. Que veut-il dire, Blanche, et que m'imaginer De ce confus advis qu'il vient de me donner ? BLANCHE. S'il vous paroit confus, au moins j'en conjecture Qu'il ne croit plus D. Lope autheur de son injure, Il doit cognoistre⁎ au vray [75] quel est son ennemy. JACINTE. Mais par où son honneur peut-il estre affermy⁎ ? Quel sera ce moyen que le temps doit m'apprendre ? BLANCHE. C'est ce qui comme à vous me fait peine à comprendre, Si ce n'est qu'à la Cour son malheur estant sçeu, On y doive étouffer l'affront qu'il a receu, Et par son ennemy le faisant satisfaire, Forcer et sa vangeance et l'envie à se taire. JACINTE. Quelque espoir que mon coeur me presse d'en former, Une obscure frayeur vient toûjours m'alarmer. Du sort de D. Alvar ayant eu cognoissance, Peut-estre il se tient seur par luy de sa vengeance, Et que contre D. Lope animant sa fureur... BLANCHE. Pourquoy contre D. Lope ? il est sorty d'erreur, Par ce qu'il vous a dit, il vous l'a fait cognoistre⁎. JACINTE. Que n'est-ce un faux soupçon que l'amour fasse naistre ? Mais Cassandre paroit, et s'advance vers nous. ### SCENE IV. CASSANDRE, JACINTE, BLANCHE, FLORE. JACINTE. Et bien, qu'a sçeu D. Lope, et que m'apprendrez-vous ? Pourra-t'il obliger⁎ Alonse à se dédire ? CASSANDRE. Ne l'ayant pû trouver, il se plaint, il soûpire, Et croit que de luy-mesme il peut se défier Si son meilleur amy l'ose calomnier. Cependant pour luy plaire il faut que je vous voye, Il m'est aisé, dit-il, de restablir sa joye, Et de vous détourner de cet hymen fatal Qui tous deux vous immole⁎ au bon-heur d'un rival. JACINTE. Si de ce seul malheur la crainte l'inquiete, Qu'il se mette en repos, il a ce qu'il souhaite. CASSANDRE. D. Sanche à cet hymen n'a donc pû consentir ? JACINTE. Tout à l'heure en passant il m'en vient d'advertir, Et si j'ay bien compris ce qu'il m'a fait entendre⁎, Il sçait que pour D. Lope on l'a voulu surprendre⁎. CASSANDRE. J'admire en sa fortune⁎ un si prompt changement. JACINTE. J'ay sçeu cette nouvelle assez confusément. Avec luy D. Ramire estant en conference, Luy qui de ses secrets reçoit la confidence, J'ay dû me contenter de ce qu'il m'en a dit ; Mais je sçay comme il faut ménager son esprit, Et mettant le détour et l'adresse en pratique Je n'auray pas de peine à faire qu'il s'explique. CASSANDRE. Allez donc, les effets nous ont souvent fait voir Qu'un secret sçeu trop tard ruïne un bel espoir. ### SCENE V. CASSANDRE, FLORE. CASSANDRE. Ainsi tout se prepare au bonheur de mon frere. FLORE. Ainsi, si vous cessiez de vous estre contraire, Vous n'auriez pas à craindre... CASSANDRE.         Ah Flore, que dis-tu ? FLORE. Que tout vostre heur⁎ dépend d'un peu moins de vertu. Des mépris de Fernand la preuve est trop certaine, Si proche de l'hymen il ne vous voit qu'à peine, Et vous faites encor un scrupule si grand De reprendre une foy⁎ que sa froideur vous rend ? CASSANDRE. Quand de ce changement j'aurois esté capable, Sçachant ce que je sçay, seroit-il excusable ? Il l'eust esté peut-estre, et du moins bien plus beau Avant que D. Alvar fust sorty du tombeau, Mais aujourd'huy qu'il vit, donner lieu qu'on soupçonne, Qu'aux dépens de ma foy⁎ mon lâche coeur se donne, Que je romps... FLORE.         Le voicy, souffrez⁎-luy quelque espoir. CASSANDRE. Non, Flore, éloignons-nous, je ne veux point le voir. ### SCENE VI. D. ALVAR, CASSANDRE, FLORE. D. ALVAR. Me fuyez-vous, Madame, et portez-vous envie A ce foible bonheur, le dernier de ma vie ? Dans ce qu'il fait pour moy n'ayant aucune part, Pourquoy vous opposer aux faveurs du hazard ? Est-ce qu'en vostre coeur l'excez de ma disgrace Fait succeder la haine à l'amour qu'elle en chasse, Ou que ce mesme coeur pour moy trop rigoureux, Croit que s'il n'est cruel il n'est point genereux⁎ ? CASSANDRE. Mon coeur n'est point cruel, et ce n'est pas sans peine Qu'il vous entend⁎ parler et d'amour et de haine, Car enfin quelques maux [76] qu'il puisse ressentir, L'une n'y peut entrer, mais l'autre en doit sortir. D. ALVAR. C'est donc ce qu'à mes feux, apres deux ans d'absence Vous reserviez pour prix de ma perseverance ? Encor si vostre coeur moins sensible à ces feux Par quelque aversion échapoit à mes voeux, Si la haine m'ostoit ce qu'il faut que je quitte, Je n'en accuserois que mon peu de merite, Et sur mes seuls defauts jettant un oeil jaloux, Je me plaindrois du Ciel sans me plaindre de vous : Mais par une rigueur qu'on aura peine à croire, M'arracher de ce coeur fait toute vostre gloire⁎, Et ces traits⁎ que l'amour luy-mesme y sçeut tracer, C'est en les déchirant qu'il les faut effacer. CASSANDRE. Dans le triste revers dont je souffre⁎ l'atteinte, Si ma juste conduite attire vostre plainte, Songez qu'il est bien dur de la voir condamner A qui ne peut avoir d'excuse à vous donner. D. ALVAR. Quoy, vostre fier devoir jusques-là vous abuse, Que vous me refusiez la douceur d'une excuse ? CASSANDRE. C'est ce que vostre amour ne doit point exiger. Qu'auroit-elle aussi bien qui le pûst soulager, Qui pûst donner relâche⁎ au trouble⁎ qui l'agite, Puisque je n'en ay qu'une, et que je vous l'ay dite ? D. ALVAR. Ah, si cette raison vous la fait supprimer, Que vous cognoissez⁎ peu ce que c'est que d'aimer ! Jamais, jamais l'amour n'eut d'excuse frivole, Il sçait charmer⁎ cent fois par la mesme parole, On a beau la redire et beau la repeter, De nouvelles douceurs s'y font toûjours goûter, L'appas⁎ en est secret et le pouvoir extrême, Et si pour qui la dit elle est toûjours la mesme, Bien qu'elle semble l'estre, il est certain pourtant Qu'elle n'est pas la mesme à celuy qui l'entend⁎. Dites-la donc encor cette excuse charmante⁎, Qui soulage mes maux quand elle les augmente, Et meslant vos regrets à mes vives douleurs, Presse mon desespoir de finir mes malheurs. CASSANDRE. Et vous pourriez souffrir⁎ qu'aux depens de ma gloire⁎ J'écoutasse une amour que je ne dois plus croire ? Quand d'abord vostre veuë a troublé mes esprits, L'ame toute en desordre et les sens interdits⁎, J'ay pû m'abandonner dans ma surprise⁎ extrême A ce que pense un coeur quand il perd ce qu'il aime, Et que prest de [77] subir un redoutable sort Il regrette vivant ce qu'il a pleuré mort. Mais enfin à present qu'un peu mieux eclairée, Ma raison sert de guide à mon ame égarée, Et que mon coeur honteux de se voir abatu Avec plus de vigueur rappelle sa vertu, Loin de suivre l'erreur qui m'avoit abusée, Si je dois m'excuser, c'est de m'estre excusée, Et d'avoir fait paroistre avec quel desespoir L'amour que j'eus pour vous s'immole⁎ à mon devoir. D. ALVAR. Ainsi vous détrompant du bruit⁎ de mon naufrage, Confessez qu'à mes feux j'oste un grand avantage, Et qu'il vaudroit bien mieux qu'ainsi qu'auparavant, Vous m'estimassiez mort que de me voir vivant. CASSANDRE. Au moins pourrois-je encor me dispenser sans honte A pousser des soûpirs pour une mort trop prompte, Et sans examiner si dans de tel malheurs L'amour ou la pitié feroit couler mes pleurs, Pour flater⁎ mon ennuy⁎ je trouverois des charmes⁎ A me croire permis de répandre des larmes ; Mais lors [78] que vous vivez, des sentimens si doux Sont trop pour mon devoir s'ils sont trop peu pour vous, C'est à les étouffer qu'il faut que je m'applique, Et comme vostre veuë en est l'obstacle unique, Je fuis un ennemy qu'en mon ennuy⁎ secret Je combats avec peine et ne vaincs qu'à regret. D. ALVAR. Vous me quittez, Madame ? CASSANDRE.         Il y va de ma gloire⁎. D. ALVAR. Et d'un amour si pur vous perdrez la memoire ? CASSANDRE. J'y feray mon pouvoir. D. ALVAR.         Oyez donc jusqu'au bout, A quel point ... CASSANDRE.     Non, c'est trop. D. ALVAR.         Je vous suivray par tout, Et si vous me quittez, il n'est respect ny crainte Qui m'empesche chez vous d'aller porter ma plainte. CASSANDRE. Si je dois l'écouter, sçachez auparavant Ce que s'en doit promettre un espoir decevant. Quand celuy d'estre à vous authorisa ma flame Je ne vous cachay point les secrets de mon ame, Et vos feux n'ayant rien qui blessast mon devoir, Je vous aimay sans doute et vous le pûstes voir. Par un funeste bruit⁎ ma fortune⁎ changée Ayant crû vostre mort je me suis engagée, Ce bruit⁎ m'a fait ailleurs disposer de ma foy⁎, Vous sçavez qui je suis et ce que je me doy, Que l'honneur a ses lois que l'on ne peut enfraindre ; Plaignez-vous là dessus, si vous osez vous plaindre. D. ALVAR. Ouy, je l'ose, Madame, et si vous n'esperez... Mais las ! que puis-je dire alors que vous pleurez ? [79] CASSANDRE. Si mes yeux par des pleurs attentent sur ma gloire⁎, Ce sont des imposteurs que l'on doit point croire. D. ALVAR. Quoy donc, vos passions sont tellement à vous Qu'un moment peut changer la tendresse en couroux⁎ ? Est-il possible, helas ! [80] qu'avec si peu de peine Vous reduisiez l'amour aux effets de la haine, Et qu'exposée aux coups des plus rudes combats Vous puissiez soûpirer et ne soûpirer pas ? Ah, si jamais pour vous ma flame eut quelques charmes⁎, Enseignez-moy comment vous vous servez des larmes, De ces larmes toûjours si prestes d'obeïr, Qui prennent loy de vous, qui n'osent vous trahir, Et que par un pouvoir que je ne puis comprendre Je vous vois essuyer aussi-tost que répandre. CASSANDRE. Quand de ce que je fus j'ose me souvenir, Mon coeur comme en tribut s'appreste à m'en fournir, Quand par ce que je suis il cognoit⁎ qu'il s'abuse, Mon coeur ce mesme coeur soudain me les refuse, Et par ces sentimens l'un à l'autre opposez Deux partis se formants dans mes sens divisez, Sans permettre aucun calme à mon ame inquiete, La douleur les attire et l'honneur les arreste [81], Ne pouvant consentir qu'en un sort si nouveau Le plus bas sentiment triomphe du plus beau. D. ALVAR. Enfin c'est à regret qu'entre les bras d'un autre... CASSANDRE. Si l'adveu⁎ de mon mal peut adoucir le vostre, Ouy, je souffre⁎ à vous perdre, et mon coeur alarmé Ne se souvient que trop de vous avoir aimé, En vain pour l'oublier il se fait violence. D. ALVAR. Donc je puis... CASSANDRE.         N'en tirez aucune consequence. D. ALVAR. Esperer que peut-estre... CASSANDRE.         Injuste et vain espoir ! D. ALVAR. Mon amour... CASSANDRE.         Ne pourra corrompre mon devoir, Et plustost que... FLORE *montrant ENRIQUE qui paroist*.     Madame. CASSANDRE.         O disgrace impréveuë ! Empeschez qu'on me suive, ou bien je suis perduë. ### SCENE VII. ENRIQUE, D. ALVAR, CASSANDRE, FLORE. ENRIQUE. Ne vois-je pas ma soeur ? elle me fuit en vain Si... D. ALVAR *coupant chemin à ENRIQUE qu'il voit se preparer à suivre Cassandre.*.         Vous m'obligerez⁎ de changer de dessein⁎, Cette Dame me touche. ENRIQUE.         Et plus que vous peut-estre Moy-mesme elle me touche, et je la veux cognoistre⁎. D. ALVAR. J'y pourray mettre obstacle. ENRIQUE*mettant l'épée à la main.*.         Ah Dieu, me menacer ! Voicy, voicy par où je le sçauray forcer [82]. D. ALVAR. Vous reculez pourtant. CASSANDRE*paroissant apres que D. ALVAR a fait reculer ENRIQUE hors du Theatre*.         Helas ! que dois-je faire ? Quel funeste combat d'un amant et d'un frere ! FLORE. On les separera, ne craignez rien pour eux. CASSANDRE. Ce quartier est desert, D. Alvar malheureux, Et la nuit qui survient... FLORE.         Retirons nous, Madame. CASSANDRE. Que de troubles⁎ divers s'élevent dans mon ame ! Encor si nous pouvions trouver quelque secours⁎. FLORE. Nous ne les voyons plus, ils s'éloignent toûjours, Mais D. Lope… ### SCENE VIII. D. LOPE, CASSANDRE, FLORE. D. LOPE.         Ah, ma soeur, la funeste nouvelle ! CASSANDRE. Qu'est-ce, mon frere ? D. LOPE.         Alonse est un amy fidelle, Et cette trahison dont j'osois murmurer, M'asseuroit le seul bien que je puis esperer ; Mais jugez quel espoir me doit rester encore Quand Enrique me perd, quand il me deshonore, Et qu'autheur d'un affront que je croyois vanger, Malgré moy dans son crime il a sçeu m'engager. Mais qui vous trouble ainsi ? vous semblez toute émeuë. CASSANDRE. Un bruit⁎ d'armes oüy dans la prochaine ruë, D'un effroy si subit vient de saisir mon coeur... D. LOPE. Je l'entens⁎ en effet, éloignez-vous, ma soeur. Je verray ce que c'est. ### SCENE IX. D. LOPE, D. ALVAR, Trois BRAVES⁎ le poursuivant. 1. BRAVE⁎.         Ta mort suivra la sienne. D. ALVAR. Que ne l'empeschiez-vous, comme je fais [83] la mienne, Lâches ? D. LOPE.         Quoy, trois contre un ! donnons [84], je suis à vous, Mon cavalier, courage. 2. BRAVE⁎.         O Dieu, les rudes coups ! 3. BRAVE⁎. Ah ! D. Lope... D. LOPE.         Mon nom dans la bouche d'un lâche ? 3. BRAVE⁎. Sçachez... D. LOPE.         J'ay déja sçeu ce qu'il faut que je sçache. 2. BRAVE⁎. Craignant quelque disgrace, évitons sa fureur. D. ALVAR. Vous fuyez, assassins, ce secours⁎ vous fait peur. D. LOPE. Laissons-les s'échapper, quoy qu'indignes de vivre, Ils ne meritent pas qu'on daigne⁎ les poursuivre. D. ALVAR. Cependant je dois tout à ce bras genereux⁎, Sans vous ma resistance estoit vaine contre eux, Vous seul par un secours⁎... D. LOPE.         Espargnez-moy, de grace⁎, J'ay fait ce que vous mesme eussiez fait en ma place. D. ALVAR. Au moins j'aurois montré que je sçay mon devoir, Mais enfin où vous puis-je entretenir ce soir ? Il faut que je vous quitte, et ma disgrace est telle Qu'ayant tué d'abord l'autheur de la querelle, Quoy que sa mort soit juste après sa lâcheté, Je serois criminel si j'estois arresté. D. LOPE. Je ne laisseray pas mon secours⁎ inutile, Ne craignez rien, chez moy je vous offre un azile, Allons, et soyez seur qu'au besoin⁎ contre tous Je sçauray vous défendre, ou perir avec vous. Mais sans doute on vous cherche. D. ALVAR.         O malheur redoutable ! ### SCENE X. **D. LOPE, D. ALVAR, D. LOUIS**, Suitte d'Archers. D. LOUIS. Voyez nos soins⁎, D. Lope, à trouver un coupable, Enrique, helas ! D. LOPE.     Et bien ? D. LOUIS.         Vient d'estre assassiné. D. LOPE. Enrique ! D. LOUIS.         Et l'assassin par icy détourné, Tâchant de garantir sa teste par sa fuitte, Attire sur ses pas nostre juste poursuitte, On l'a veu reculer les armes à la main. D. LOPE. Par vostre diligence empeschez son dessein⁎, Je vay pourvoir au reste. ### SCENE XI. D. LOPE, D. ALVAR. D. ALVAR.         Et vous devant la vie, Ce n'estoit pas assez... D. LOPE.         Brisons-là, je vous prie. Sçavez-vous qui je suis ? D. ALVAR.         C'estoit pour le sçavoir Que je vous demandois à vous parler ce soir. D. LOPE. Sçavez-vous contre qui je viens de vous defendre ? D. ALVAR. Non. D. LOPE.         Sçavez-vous quel sang vous avez sçeu répandre ? D. ALVAR. Aussi peu, seulement vous répondray-je bien Que mon coeur sur ce point ne se reproche rien, Mais ne me cachez plus un secret qui m'importe. D. LOPE. D. Lope de Guzman est le nom que je porte. D. ALVAR. Je cognoy ce grand nom, et le malheur m'est doux Par qui je tiens le jour d'un homme tel que vous. D. LOPE. Gardez bien-tost de prendre un sentiment contraire. D. ALVAR. Pourquoy ? D. LOPE.         Si je vous dis que le mort est mon frere ? D. ALVAR. Vostre frere ! D. LOPE.         Ouy, mon frere, et vous pouvez juger Si je puis vous deffendre ayant à le vanger. D. ALVAR. Mais vous m'avez promis... D. LOPE.         La promesse est frivole, Jamais contre soy-mesme on ne donne parole. D. ALVAR. Que pretendez-vous donc ? D. LOPE.         Monstrer par vostre mort Que le devoir du sang est toûjours le plus fort. D. ALVAR. Et bien, me voicy prest à vous rendre une vie... D. LOPE. Non, je sçay mieux à quoy la gloire⁎ me convie, Et ce n'est pas icy qu'au milieu du secours⁎ [85] J'aspire sans peril à terminer vos jours. Adieu, retirez-vous, j'ay peur qu'on vous arreste, Allez en seureté chercher une retraite, J'ay soin⁎ de vostre vie et l'ose conserver, Mais sçachez qu'en effet c'est me la reserver, Et qu'il n'est point de lieu, quoy que vous puissiez faire, Où sur vous mon devoir n'aille vanger un frere. D. ALVAR. Croyez-vous que son sang qu'a répandu ma main Soit l'effet criminel d'un injuste dessein⁎ ? D. LOPE. Par soy-mesme un grand coeur juge toûjours d'un autre, Mais c'est le sang d'un frere et je luy dois le vostre. D. ALVAR. Me soupçonneriez-vous le courage assez bas Pour n'oser en tous lieux affronter le trépas ? D. LOPE. Je vous ay veu combattre, et j'advoüeray sans feindre Que je ne puis avoir d'ennemy plus à craindre. D. ALVAR. Donc sans plus balancer⁎ c'est icy que je doy Me monstrer tel pour vous que vous estes pour moy. D. LOPE. Que pensez-vous resoudre, et quelle est vostre envie ? D. ALVAR. De fuir un ennemy qui m'a sauvé la vie, Et faire voir qu'au moins, si le Ciel l'eust permis, Nous n'étions pas peut-estre indignes d'estre amis. [86] D. LOPE. C'est ce qui ne se peut apres la mort d'un frere. D. ALVAR. Aussi l'éloignement est pour moy necessaire. D. LOPE. Quoy, vous pourriez me fuir ? D. ALVAR.         Je fuis avec éclat, Quand j'évite en fuyant le peril d'estre ingrat. D. LOPE. Vous me verrez pousser ma vangeance à l'extrême, Je vous suivray par tout. D. ALVAR.         Je vous fuiray de mesme. D. LOPE. Je sçauray vous chercher. D. ALVAR.         Et moy vous éviter. D. LOPE. Quoy, je ne tâche icy que de vous irriter, Et je ne puis enfin forcer vostre cholere D'accepter un combat qui me doit satisfaire ? D. ALVAR. C'est que songeant à fuir si vous me poursuivez, Je fay ce que je doy, vous, ce que vous devez. D. LOPE. Contentez ce devoir qui presse ma vangeance. D. ALVAR. Il vous porte à combattre, et le mien m'en dispense. D. LOPE. Vous m'avez offencé, je dois vous en punir. D. ALVAR. Vous m'avez obligé⁎, je dois m'en souvenir. D. LOPE. Nous nous verrons pourtant. D. ALVAR.     Jamais. D. LOPE.         Et ma poursuitte ? D. ALVAR. Ne m'en mettray-je pas à couvert par la fuitte ? D. LOPE. Peut-estre, mais enfin si nous nous rencontrons Il faudra lors combattre. [87] D. ALVAR.         Et bien nous combattrons. ## ACTE IV. ### SCENE PREMIERE. ALONSE, D. LOPE. ALONSE. Je l'avois bien préveu, que tant de violence Pourroit enfin du Ciel lasser la patience, Et qu'à suivre toûjours son seul emportement, Enrique par ses mains creusoit son monument. Toutefois il respire, et son reste de vie Rend de quelque douceur sa disgrace suivie, Puisqu'il nous laisse lieu d'esperer qu'au besoin⁎     Luy-mesme contre luy servira de témoin. D. LOPE. Ah, sans me déguiser ce qu'on ne me peut taire, Dites qu'on doit rougir d'avoüer un tel frere, Et que sa lâcheté dans ce dernier combat N'a fait aux yeux de tous qu'un trop honteux éclat. ALONSE. Il est vray qu'on le blâme, et qu'un noble courage Du nombre contre un seul dédaigne l'avantage, Cependant chacun sçait pour ménager ses jours Qu'il a pû s'abaisser à souffrir⁎ du secours⁎. C'est au milieu de trois qui luy prestoient main forte Que ce jeune incognu l'a blessé de la sorte, Il est tombé mourant, et de sa fausse mort Tout le peuple amassé me faisoit le rapport, Quand luy voyant encor quelques signes de vie A ne le point quitter l'amitié de convie, On arreste son sang, il revient lors à soy [88], Estant déjà [89] tout proche on le porte chez moy, Où vous mesme avez veu dans l'ennuy⁎ qui l'accable Que de tout son malheur il se tient seul coupable. D. LOPE. Helas ! et plûst au Ciel qu'en déplorant le sien Je n'eusse pas sujet de l'accuser du mien, Car enfin dans [90] la loy que la fille m'impose, La promesse d'un pere est pour moy peu de chose, Et je n'ay plus sans doute à songer qu'à mourir, Puisque vostre amitie n'a pû me secourir. ALONSE. J'avois crû jusqu'icy qu'il estoit impossible Qu'avec tant de vertu l'amour fust compatible, Et vous sçachant aimé j'apprehendois fort peu Que Jacinte nous pust refuser son adveu⁎. Mais s'il faut que ma crainte avec vous s'éclaircisse, D. Sanche m'est suspect luy-mesme d'artifice⁎, Je l'ay reveu tantost, et cognu malgré luy Que l'accord accepté redouble son ennuy⁎. Luy parlant de vous voir, il n'a pû si bien faire Qu'un mouvement d'aigreur n'ait trahy sa cholere, Elle a paru couverte et m'a trop fait juger Que rien n'éteint en luy l'ardeur de se vanger. D. LOPE. Qu'il se vange ; aussi bien, quoy que j'ose entreprendre, Apres ce que je sçay je n'ay rien à pretendre, Pour paroistre innocent mon effort seroit vain ; Si c'est le mesme sang, qu'importe quelle main ? C'est ce malheur du sang dont je suis responsable, Qui me rendra toûjours également coupable, Puisqu'ayant à combatre un destin rigoureux, C'est estre criminel que d'estre malheureux. ALONSE. La vertu de la fille à nos desseins⁎ contraire, Semble avoir commencé la vangeance du pere, Et ce trouble⁎ confus qu'il m'a fait remarquer, Me fait craindre pour vous à l'oser expliquer ; Mais le meilleur remede en ce malheur extrême, C'est de porter Enrique à s'accuser luy-mesme, A demander D. Sanche, et ne luy point cacher Ce que je sçay déja qu'il s'ose reprocher. Pour peu qu'on soit sensible, il n'est rien qu'on refuse Au triste repentir d'un mourant qui s'accuse, Et quoy qu'ait resolu ce vieillard outragé, Par le malheur d'Enrique il se tiendra vangé, Il croira que le Ciel, à ses voeux favorable, Aura pris soin⁎ pour luy de punir un coupable, Et j'ose m'asseurer du succez de vos feux Quand cet hymen pour luy n'aura rien de honteux. D. LOPE. Qu'Enrique obtinst sur luy cette haute victoire ? ALONSE. Il l'obtiendra sans doute, et j'ay lieu de le croire, Puisqu'au nom de Fernand par hazard prononcé, Si Cassandre se plaint de son hymen forcé, (M'a-t'il dit d'une voix et languide et mourante, ) Je ne l'oblige⁎ à rien, qu'elle vive contente. D. LOPE. Ah, si son repentir s'étendoit jusqu'à moy. ALONSE. Vous en verrez l'effet tel que je le prévoy. Adieu, pour vous servir je vay mettre en usage Tout ce qui peut abatre un orgueilleux courage. D. LOPE. Cependant dans l'espoir de quelque mot d'advis, Je vay resver une heure autour de ce logis, Si je suis apperceu, Blanche pourra paroistre. ALONSE. Et si quelqu'autre aussi vous alloit recognoistre, Et que la force en main le vieillard adverty, Malgré tout nostre accord vous fist mauvais party ? D. LOPE. Vous parlez d'un peril que mon amour méprise. ALONSE. Ce n'est pas sans sujet que j'en crains la surprise⁎. Voyez, la Lune brille avec tant de clarté, Que la nuit n'eut jamais si peu d'obscurité. Ne vous exposez point si vous m'en voulez croire. D. LOPE. J'auray soin⁎ de ma vie, ayez soin⁎ de ma gloire⁎, Et puis qu'un fier destin s'oppose à mon bon-heur, Par l'adveu⁎ du coupable asseurez mon honneur. Seul Enfin, Fortune⁎, enfin quoy que ta rage ordonne, Mon coeur à ton caprice aujourd'huy s'abandonne, Et de son desespoir il tire au moins ce bien, Qu'il se trouve en estat de ne craindre plus rien. Mais si dans sa clarté la Lune m'est fidelle, Je voy cet incognû contre qui j'ay querelle, C'est luy-mesme, parlons, puisqu'il s'ose approcher. ### SCENE II. D. LOPE, D. ALVAR. D. LOPE. Me recognoissez-vous ? D. ALVAR.         Je vous allois chercher, Et quelque rigoureux que mon destin se montre, Je luy suis obligé⁎ d'une telle rencontre. D. LOPE. Quoy, croyez-vous ainsi pouvoir impunément Braver et ma colere, et mon ressentiment ? Il ne vous souvient plus que l'honneur vous convie De fuir un ennemy dont vous tenez la vie ? D. ALVAR. Cette obligation⁎ est dans mon souvenir, J'en ay donné parole, et sçauray la tenir. D. LOPE. Me chercher n'en est pas une preuve trop forte. D. ALVAR. C'est pour mieux l'observer que j'agis de la sorte. D. LOPE. Mais vous n'ignorez pas qu'un devoir assez fort M'oblige⁎ sans reserve à vouloir vostre mort ? D. ALVAR. Je cognoy ce devoir, mais qu'ay-je lieu d'en craindre Quand je viens le suspendre et non pas le contraindre, Et qu'à vostre couroux⁎ j'épargne en ce projet La honte d'éclater contre un indigne objet ? D. LOPE. Ce discours est obscur. D. ALVAR.         Pour vous le faire entendre⁎ Oyez par un billet ce que je viens d'apprendre. Un injuste ennemy par un noir attentat⁎, Envieux de ma gloire⁎, en a terny l'éclat, L'outrage par le sang ne s'efface qu'à peine, On m'en donne l'advis, voila ce qui m'améne. D. LOPE. Et que pensez-vous faire ? D. ALVAR.         En pouvez-vous douter, Et dans de tels malheurs a-t'on à consulter ? Je ne balance⁎ point, quelle que soit l'offence, Tout mon sang indigné m'en demande vangeance, Mais ce bien le plus grand qu'on puisse concevoir, D. Lope, c'est à vous que je le veux devoir. Quoy que mon ennemy, j'ay peu de peine à croire Que l'appuy de mes jours le sera de ma gloire⁎, Et le moyen aussi de juger d'un grand coeur Qu'il fist tout pour ma vie, et rien pour mon honneur ? J'ose donc vous revoir sans qu'un respect frivole Me fasse apprehender de manquer de parole, Puisque loin de braver vostre juste couroux⁎ J'en recule l'effet moins pour moy que pour vous. J'ay promis de vous fuir, mais je veux que ma fuite D'un si grand ennemy merite la poursuitte, Et n'auriez-vous pas lieu si je fuyois ainsi, De dédaigner un sang par un autre noircy ? On m'a fait un affront, j'ay tué vostre frere, La vangeance à tous deux aujourd'huy nous est chere, Mais quoy qu'en ce rencontre [91] elle ait pour vous d'appas⁎, Si vous la differez, vous ne la perdez pas. Devenons donc amis tant que le sang d'un lâche De ma gloire⁎ obscurcie ait effacé la tache, Et que par son trépas mon honneur affermy⁎, Je puisse meriter d'estre vostre ennemy ; Car enfin j'ay [92] pour vous une trop pure estime Pour vouloir abuser d'un coeur si magnanime, Ma vangeance est la vostre, et je n'en suis jaloux Que pour rendre mon sang moins indigne de vous. D. LOPE. Je ne sçay que répondre, et c'est par mon silence Que vous laissant juger de tout ce que je pense, Je croy mieux expliquer dans mon sort rigoureux Ce que peut la vertu sur un coeur genereux⁎. Mais où cette vertu me va-t'elle reduire ? Vous sçavez m'obliger⁎ quand je cherche à vous nuire, Et pressé d'un devoir que je n'ose trahir, Je voy que vous m'ostez le droit de vous haïr. Ce devoir toutefois que presse la Nature Se trahiroit soy-mesme à souffrir⁎ vostre injure, Il y prend interest, et dans vostre ennemy Par un dessein⁎ bizarre il vous donne un amy. Je le suis, j'en fais gloire⁎, et d'un aveugle zele En tous lieux, contre tous, je prens vostre querelle, A vanger vostre affront servez-vous de mon bras, Un amy tel que moy ne vous manquera pas ; Mais cet affront vangé, mon coeur quoy qu'avec peine Dépoüille l'amitié pour reprendre la haine, Et l'interest d'un frere est un respect trop fort, Pour oser voir en vous que l'autheur de sa mort. D. ALVAR. Au moins dans cet instant, que l'amitié receuë Tient pour moy dans ce coeur la haine suspenduë, Souffrez⁎ qu'impatient de m'acquitter vers vous, D'un amy si parfait j'embrasse⁎ les genoux. Rendrois-je un moindre hommage à qui je dois la vie ?         Mais on veut vous parler, ou bien l'on nous épie. ### SCENE III. D. LOPE, D. ALVAR, BLANCHE. D. LOPE. Ah ! Blanche. BLANCHE.         Qu'à propos je vous ay recognû ! L'on m'envoyoit chez vous. D. LOPE.         Quoy, qu'est-il survenu ? BLANCHE. Venez, on vous attend. D. LOPE.     Moy, Blanche ? BLANCHE.         Ouy, ma maitresse Veut resoudre avec vous une affaire qui presse. D. LOPE. Que je crains... BLANCHE.         Craignez tout d'un couroux⁎ déguisé. D. LOPE. Sans doute le vieillard n'est point desabusé, C'est ce qu'on veut m'apprendre ? BLANCHE.         Il est vray qu'il s'emporte. D. LOPE. C'est assez, je te suy, va m'attendre à la porte. ### SCENE IV. D. LOPE, D. ALVAR. D. LOPE. Voyez que l'amitié se croit beaucoup permis. D. ALVAR. Souffre⁎-t'on la contrainte entre les vrais amis, Vous m'avez obligé⁎, mais quel est ce message ? D'autre que d'une fille il m'auroit fait ombrage, Vous estes tout resveur. D. LOPE.         Peut-estre en ay-je lieu, Mais enfin il est temps que je vous dise adieu. D. ALVAR. Quoy, sans me découvrir ce qui vous inquiéte ? D. Lope, c'est donc là cette amitié parfaite, Je me découvre à vous, vous vous cachez de moy. D. LOPE. Avec peu de raison vous soupçonnez ma foy⁎, Et s'il faut éclaircir le sujet de ma peine J'ay receu rendez-vous, et c'est ce qui me gesne. D. ALVAR. La faveur vous déplaist ? D. LOPE.         J'aime et je suis aimé, Mais un pere fâcheux⁎ tient mon coeur alarmé, Et contre mon espoir cette faveur offerte Est moins faveur pour moy que l'arrest de ma perte : Il me hait, et la fille attendant son aveu⁎ D'une vertu si fiere accompagne son feu, Que je n'en dois prévoir qu'une atteinte mortelle Puisqu'elle se dispense⁎ à m'appeller chez elle. Ainsi de ce vieillard redoutant le couroux⁎ J'accepte avec chagrin⁎ un pareil rendez-vous, Non, parce qu'au malheur dont ma flame est suivie, Si je suis découvert, il y va de ma vie, Mais parce que surpris dedans son entretien [93] Tout mon sang exposé n'asseure pas le sien Mais je vous quitte enfin, c'est trop la faire attendre. D. ALVAR. Je vous escorteray. D. LOPE.     Vous ? D. ALVAR.         Quoy, vous en deffendre ! Craignez-vous que ce bras ne vous manque au besoin⁎ ? D. LOPE. Un amour si secret fuit un nouveau témoin, Et je dois ce respect à l'objet de ma flame, De... D. ALVAR.         Vous abandonner c'est me couvrir de blâme, Et mon coeur est pour vous injuste au dernier point S'il vous souffre⁎ un peril qu'il ne partage point. Non, non, je vous suivray. D. LOPE.         Vous ne prenez pas garde A ce qu'en ce projet vostre amitié hazarde, Et que dans ma disgrace oser vous engager, C'est vous mettre en estat de ne vous point vanger, Que devient cette ardeur d'effacer vostre injure ? D. ALVAR. Sur l'occasion seule un grand coeur se mesure. Allons, nous perdons temps. D. LOPE.     Mais... D. ALVAR.         C'est trop contester, Sçachant ce que je sçay je ne puis vous quitter. Sur tout, je suis discret. D. LOPE.         Je n'ay plus rien à dire, Mais je vous devray trop, et mon coeur en soûpire, Puisqu'apres cet accord que l'honneur rend permis, Ce mesme honneur nous force à cesser d'estre amis. D. ALVAR. Ne songeons maintenant qu'à ce qui vous importe. D. LOPE. Nous n'irons pas bien loin, voyez d'icy la porte, J'y dois estre attendu. ### SCENE V. D. LOPE, D. ALVAR, BLANCHE. D. LOPE.     Blanche. BLANCHE.         Entrez et sans bruit⁎, De peur que...mais que vois-je ? D. LOPE.         Un amy qui me suit, Ne crains rien, sa vertu dans mon sort l'interesse. BLANCHE. Vous me perdez, Monsieur, que dira ma maistresse ? D. LOPE. Va, je t'excuseray, n'en sois point en soucy [94]. Amy, j'en use [95] mal de vous laisser icy, Seul, de nuit, sans clarté, mais... D. ALVAR.         Cette excuse est vaine, Un desir curieux n'est pas ce qui m'améne, Je vous attens, allez, et ne m'oubliez pas Si vous avez besoin du secours⁎ de mon bras. BLANCHE. La chambre où je vous mene ayant double sortie, Contre toute surprise⁎ asseure la partie, D'ailleurs l'appartement est assez reculé. D. ALVAR *seul* [96]. De quel sort plus étrange a-t'on jamais parlé ? Quand un pere offencé dont j'ignore l'outrage, Au soûtien de sa gloire⁎ appelle mon courage, Pour ne me pas monstrer genereux⁎ à demy Il faut que je m'engage avec mon ennemy, Et dans cet ennemy que mon malheur me laisse Je trouve à respecter le sang d'une Maistresse. O haine, amour, vangeance, ô doux et puissans noeuds, Qui déchirez mon ame et confondez mes voeux, Finissez un combat qui me rend trop à plaindre, Ou cachez-moy les maux que vous me faites craindre. Mais j'ois marcher quelqu'un, ne sçachant où je suis, Songer à la deffence [97] est tout ce que je puis, Ne nous découvrons point si l'on ne nous découvre. Mais Dieux ! n'entens⁎-je pas une porte qui s'ouvre ? La lumiere paroist, enfin tout est perdu, Que feray-je ? ### SCENE VI. [98]. D. SANCHE, D. ALVAR. D. SANCHE.         Un bruit⁎ sourd vers la porte entendu⁎, Dans l'attente d'un fils à mes souhaits si chere... Mais ne le vois-je pas ? Ah, mon fils ! D. ALVAR.         Ah, mon pere. D. SANCHE. Je puis donc te revoir ? D. ALVAR.         C'est donc vous que je voy ? D. SANCHE. Ah, qu'avecque raison tu doutes si c'est moy ! Dans l'affront que je pleure et qui me desespere, Tu peux, tu peux, mon fils, mécognoistre ton pere. La rougeur de mon front t'empesche d'y trouver Ces traits⁎ que la Nature y sçeut jadis graver, Tu les cherches en vain, mais seur de ma vangeance, Si je dois aujourd'huy t'expliquer mon offence, J'ay l'avantage au moins qu'en ton ressentiment Tu n'auras de ma honte à rougir qu'un moment. D. ALVAR. Ce moment est trop long, hastez-vous de m'apprendre Quel sang pour l'effacer il faut aller répandre. D. SANCHE. Te diray-je, mon fils, que l'affront est si bas, Qu'il seroit trop vangé, s'il l'estoit par ton bras ? Pour un lâche ennemy capable de surprise⁎ La generosité n'est pas mesme permise, Ne t'inquiéte point de mon honneur perdu, S'il luy faut une vie, on m'en a répondu, Il perira, le traistre. D. ALVAR.         Ah, que voulez-vous faire ? D. SANCHE. Te remettre en estat de m'advouër pour pere. D. ALVAR. Me reserveriez-vous à cette lâcheté, De souffrir⁎... D. SANCHE.         Il aura ce qu'il a merité. Où l'offence est indigne et basse et lâche et noire Tout ce qui la repare est toûjours plein de gloire⁎, Fer, poison, tout est beau, quand il n'est point douteux, Et pourveu qu'on se vange il n'est rien de honteux. D. ALVAR. Expliquez-vous enfin, et sçachons cette offence. D. SANCHE. Elle est...Ah, tout mon sang en fremit quand j'y pense, Il se trouble, il s'indigne au nom de l'offenceur, Si tu le veux sçavoir, apprens-le de ta soeur. D. ALVAR. Où courez vous, mon pere ? D. SANCHE.         Il faut que je l'appelle. D. ALVAR. Pensez vous... D. SANCHE.         Ouy, mon fils, tu sçauras mieux tout d'elle. D. ALVAR. Peut-estre... D. SANCHE.         Je l'améne icy dans un moment. D. ALVAR *seul*. Puis-je encor me cognoistre⁎ en cet évenement ? D. Lope aime ma soeur, et moy-mesme à ma honte J'asseure un rendez-vous au feu qui le surmonte [99]. Ah, suivons...mais hélas ! ne précipitons rien, S'il offence mon sang, j'ay répandu le sien, Et lors qu'avecque luy ma parole m'engage, Consentir à sa perte est manquer de courage ; Et puis, si ce point seul nous rendoit ennemis, Que luy puis-je imputer que je n'ay point commis ? Il brûle pour Jacinte, et j'adore Cassandre. Mais qu'il tarde à venir ! l'auroit-on pû surprendre⁎ ? Si j'ay bien entendu⁎ d'un et d'autre costé Une porte [100] au besoin⁎ le met en seureté. Puisqu'il peut s'échapper, quel obstacle l'arreste ? [101] ### SCENE VII [102]. D. LOPE, D. ALVAR, BLANCHE. D. LOPE. Amy, nostre vieillard m'oblige⁎ à la retraite, Sortons, et vous sçaurez... D. ALVAR.         Amy, je le cognoy ; Je viens de luy parler, ne craignez rien pour moy. D. LOPE. Vous ? D. ALVAR.         M'en voyant surpris j'ay feint sur quelque affaire Qu'une lettre de luy m'étoit fort necessaire, Il est allé l'écrire, et dans cet embarras Je me rendrois suspect à ne l'attendre pas. D. LOPE. Mais... BLANCHE.         Je l'entens⁎ déjà, le rendez vous funeste ! Sortez viste. D. ALVAR.         Demain je vous diray le reste. ### SCENE VIII [103]. D. SANCHE, D. ALVAR, JACINTE, BLANCHE. JACINTE. Quoy, sans sçavoir pourquoy je dois tant me haster ? D. SANCHE. En croiras-tu tes yeux ? tu les peux consulter, Recognois-tu ce fils que le Ciel me renvoye ? JACINTE. Juste Ciel, se peut-il qu'enfin je le revoye ? Ah, mon frere, est-ce vous ? D. ALVAR.         Mon déplaisir⁎, ma soeur, Me laisse de ce nom mal goûter la douceur. Quand un pere offensé... Blanche revient. D. SANCHE.         Dy-luy, dy-luy, ma fille, Cet affront si honteux à toute ma famille, Et si dans mes ennuis⁎ tu veux me soulager, Nomme-luy l'ennemy dont je dois me vanger. Quand l'outrage est mortel, qu'il va jusqu'à l'extrême, C'est s'en faire un nouveau que l'expliquer soy-mesme. Par ces tristes soûpirs l'un par l'autre pressez, Epargne cette honte à qui rougit assez. Tu te tais ; ouy ma fille, à conter mon injure Ton sang pourroit du mien contracter la soüillure, Il est encor sans tache, et ton pere affronté N'en corrompt pas si-tost toute la pureté. Défens-toy, j'y consens, d'un recit qui t'outrage, Si ton refus me gêne, il montre ton courage, Tu ne peux t'abaisser à parler d'un affront Dont par moy l'infamie éclate sur ton front, Mais s'il faut que moy-mesme enfin je le declare, Mon fils, souffre⁎ un moment que mon coeur s'y prépare. BLANCHE. Son fils, Madame ? JACINTE.     Ouy, Blanche. BLANCHE.         O Dieu que ferons-nous ! Il escortoit D. Lope, il sçait le rendez-vous. JACINTE. Que dis-tu ? c'estoit luy qui luy servoit d'escorte ? BLANCHE. Luy mesme. D. ALVAR.         Enfin je cede au soupçon qui m'emporte, Parlez, ou je croiray... D. SANCHE.         Croy tout ce que tu peux, L'affront dont je rougis est encor plus honteux. Cognois⁎-tu les Guzmans ? D. ALVAR.         Ouy, ce nom est illustre. D. SANCHE. L'un d'eux par mon offence en a terny le lustre, D. Lope...enfin c'est fait, j'ay nommé l'offenseur. D. ALVAR. Quoy, D. Lope... D. SANCHE.         Ah ! mon fils, daigne⁎ épargner ta soeur. Voy comme trop sensible à l'outrage d'un pere, Le nom d'un ennemy l'enflame de colere. Voy de quels mouvemens son coeur est combatu, Et plaignant ma disgrace, admire sa vertu. D. ALVAR. J'en suis surpris⁎ sans doute encor plus que vous n'étes. D. Lope... D. SANCHE.         Voy son trouble⁎ au nom que tu repetes, Et juge à ces effets de haine et de couroux⁎ Si j'ay dû consentir d'en faire son époux, On me l'a fait promettre, et j'ay feint... JACINTE. Ah ! mon pere. D. SANCHE. Non, quand ce seul moyen me pourroit satisfaire, Ne croy pas, quelque éclat que mon malheur ait eu, Que j'abuse jamais de ton trop de vertu. Je sçay que tu le hais, je sçay que la vangeance T'ayant mis dans le coeur toute sa violence, Tu souffrirois⁎ bien plus à luy donner la main, Qu'à luy plonger toy-mesme un poignard dans le sein. A ces grands mouvemens abondonne ton ame, Donne-toy toute entiere à l'ardeur qui l'enflame, Et s'il faut... D. ALVAR.         Cet advis ne nous rend pas l'honneur, Mon pere, et vous gênez⁎ la vertu de ma soeur. D. SANCHE. Ah ! si tu connoissois quel noble sacrifice… D. ALVAR. Elle sçait de nous deux qui luy rend mieux justice. JACINTE. L'apparence, mon frere, est trop à soupçonner... D. ALVAR. Il n'est pas temps, ma soeur, de rien [104] examiner. D. SANCHE. Ouy, c'est trop en effet luy dérober la joye Que luy permet le Ciel au bonheur qu'il m'envoye, Estouffe ce chagrin⁎ où ton coeur s'est plongé, Encor un peu, ma fille, et ton pere est vangé. JACINTE. Vous, mon pere, et de qui ? D. SANCHE.         De cet ennemy mesme Dont pour toy le seul nom est un supplice extrême. Croy-le déja sans vie, et par un doux transport⁎ Tâche de t'advancer le plaisir de sa mort. Peins-le-toy tout sanglant, blessure sur blessure Par son dernier soûpir expier nostre injure, Repais de cette image... D. ALVAR.         Elle a beaucoup d'appas⁎, Mais il perit en vain s'il ne vous vange pas. D. SANCHE. S'il ne me vange pas ? apprens, apprens l'offence, Et sçache que luy mesme a reglé ma vangeance, Si je ne la veux perdre, il le faut imiter. Par des gens apostez⁎ il m'a fait affronter⁎, Et lors que pour ma gloire⁎ il doit cesser de vivre, Son exemple est pour moy le seul exemple à suivre. J'ai préparé le piege, et c'est dans cette nuit Que des Braves⁎… D. ALVAR.         O Ciel, où me vois-je réduit ? Et je m'arreste encor, c'est trop. D. SANCHE.         Que vas-tu faire ? D. ALVAR. Défendre un ennemy pour mieux vanger un pere. D. SANCHE. Quoy ? tu peux condamner… D. ALVAR.         Vous m'arrestez en vain, Son sang est mal versé si ce n'est par ma main. Il sort D. SANCHE. O l'indigne scrupule où son cœur s'abandonne ! JACINTE. Helas ! D. SANCHE.         Ainsi que moy sa foiblesse t'étonne⁎, Mais quoy qu'il ose enfin, cesse d'en soûpirer, Ma partie [105] est bien faite, et tu peus esperer. JACINTE. Dans un pareil malheur que veut-on que j'espere ? D. SANCHE. Que peut-estre déjà l'on a vangé ton pere. Vien, suy-moy, quelques maux que je puisse prévoir, Mon plus grand déplaisir⁎ se console à te voir. ## ACTE V. ### SCENE PREMIERE. D. LOPE, CASSANDRE. D. LOPE. C'estoit pour m'en donner la funeste nouvelle Que Jacinte hier au soir m'osa mander chez elle, Il n'en faut point douter ; son trouble⁎ à mon abord, Ce discours preparé des caprices du Sort, Ces sermens exigez d'obeïr sans murmure, Estoient de ma disgrace une marque trop seure, Et quoy que du vieillard presque aussi-tost surpris, J'eusse dû la quitter sans avoir rien appris, Au desordre confus qu'elle me fit paroistre Devinant aisément ce qui le faisoit naistre, J'eusse pû me soustraire à ce noir attentat⁎ Si pour prévoir l'orage on en fuyoit l'éclat. Mais de tant d'assassins la troupe découverte, [106] Prest de rentrer chez moy marquoit déja ma perte, Et je ne combattois, asseuré de perir, Que pour vanger ma mort avant que de mourir, Quand une voix de loin à ce bruit⁎ de nos armes Me remplissant d'espoir et nos traistes d'alarmes, Prens courage, D. Lope, à moy lâches, à moy, Nous dit-on, et ces mots redoublent leur effroy. Me voyant secondé, la victoire en balance, Ces braves⁎ attaquans demeurent sans deffence, Et leur fuitte aussi-tost dans ce manque de coeur Me laisse rendre grace⁎ à mon liberateur. CASSANDRE. Certes, je tremble encor à vous oüir redire Avec quelle fureur contre vous on conspire ; Croyant vous avancer, Alonse vous a nuy, Et sa feinte à vos feux preste un mauvais appuy. D. LOPE. C'est ainsi que le Sort par un dernier outrage, Dans un calme apparent me fait faire naufrage, Et trompant d'un amy le zele officieux N'éleve mon espoir que pour l'abattre mieux. CASSANDRE. C'est le dernier des biens dont sa rigueur nous prive. D. LOPE. Vous en jugez, ma soeur, par ce qui vous arrive, Et d'un fâcheux⁎ hymen qui faisoit vostre mort, Enrique avec Fernand ayant rompu l'accord, D'un si prompt changement le revers favorable Vous en fait pour ma flame esperer un semblable. Mais qu'en vain jusques-là je voudrois me flatter⁎ ! D. Sanche veut ma mort, je ne puis l'éviter, Et quoy qu'on fasse enfin, je n'ay point à pretendre Qu'apres l'avoir jurée il m'accepte pour gendre. CASSANDRE. Mais il vous croit coupable. D. LOPE.         Il le croira toûjours. CASSANDRE. La verité cognuë est un puissant secours⁎, Vous n'estes criminel que pour la vouloir taire. D. LOPE. Chercher mon innocence en accusant un frere, Un frere, dont l'estat trop digne de pitié, Me feroit soupçonner d'un secours⁎ mandié ! D'un si lâche dessein⁎ je me sens incapable, Et puisque son adveu⁎ ne le rend point coupable, Qu'à s'accuser soy-mesme il n'a pû consentir, Je ne publieray⁎ point ce qu'il peut démentir. CASSANDRE. Esperez tout d'Alonse, il l'observe sans cesse, Et dans la juste ardeur qui pour vous l'interesse [107], Sans doute il tentera cent moyens superflus, Ou trouvera celuy de vaincre ses refus. S'il a pû l'obliger⁎ touchant mon hymenée A reprendre pour moy la parole donnée... D. LOPE. Ah, le foible motif pour pretendre à mon tour, Qu'avec mesme succez il serve mon amour ! Que dans vos interests Enrique ait pû le croire, Cet effort ne va point jusqu'à trahir sa gloire⁎, Dégageant une soeur il oblige⁎ un amy, Mais s'advouër coupable à son propre ennemy, S'exposer à rougir du plus honteux reproche Que... CASSANDRE.         Vous ne voyez pas Jacinte qui s'approche. ### SCENE II. D. LOPE, JACINTE, CASSANDRE. D. LOPE. Apres le dur revers qui détruit mon espoir, Pouvois-je encor pretendre au bonheur de vous voir, Madame ? vos bontez par un effort insigne⁎ Semblent croistre pour moy plus on m'en croit indigne, Et j'aimeray le sort le plus injurieux, Puisqu'il peut m'acquerir un bien si precieux. JACINTE. Je hazarde [108] beaucoup, mais je n'ay pû moins faire Pour me justifier du procedé d'un pere, Qui se consultant seul, seduit par son erreur, N'écoute contre vous qu'une aveugle fureur, Mais le Ciel qui toûjours veille pour l'innocence, Pour la faire avorter prit hier vostre défence, Et monstre sa justice à qui sçait par quel bras Il sçeut vous garantir d'un attentat⁎ si bas. D. LOPE. Je sçay qu'aucun jamais ne luy fut redevable D'un secours⁎ ny plus prompt ny plus considerable, Mais si j'en tiens le jour qu'on me vouloit ravir⁎, J'ignore de quel bras il daigna⁎ s'y servir. Ce vaillant incognu, quelque effort que je fisse, Me refusa son nom apres ce grand service, Et ce n'est qu'aujourd'hui que je le dois sçavoir. JACINTE. Pouvez-vous l'ignorer si vous le pustes voir ? La nuict n'estoit pas sombre. D. LOPE.         Elle estoit assez claire Pour voir ce mesme amy qui trompa vostre pere, Qui m'escortant chez vous, n'en sortit qu'apres moy, Mais son visage seul est ce que j'en cognoy. JACINTE. Et bien, quel qu'il puisse estre, obtiendray-je une grace⁎ ? D. LOPE. Madame... JACINTE.         A l'expliquer mon esprit s'embarrasse, Mais c'est ce qui m'améne, et ce fut hier au soir Ce qui me fit encor souhaitter de vous voir. D. LOPE. Parlez, et puisqu'enfin il s'agit de vous plaire, Fallut-il me soûmettre à la fureur d'un pere, Et perdre... JACINTE.         Ah, jugez mieux d'un coeur qui tout à vous Deteste les effets d'un injuste couroux⁎. Vous voir recognoissant est toute mon envie, Un incognu pour vous a prodigué sa vie, Et ce qu'à vostre amour je demande aujourd'huy, C'est que jamais ce bras ne s'arme contre luy. Me le promettez-vous ? D. LOPE.         Je puis vous le promettre, Puisque l'honneur enfin semble me le permettre, Et que sans lâcheté je ne puis à mon tour Combattre un ennemy par qui je vois le jour. Mais qui vous peut si-tost avoir dit la nouvelle D'une si surprenante et secrette querelle, Et qu'un frere mourant, pour vanger son trépas Contre cet incognu sollicite mon bras ? JACINTE. C'est ce que j'ignorois dans le malheur d'Enrique. D. LOPE. Pourquoy donc cette alarme et vaine et chimerique, Et par quel mouvement vous croyez-vous permis De craindre quelque jour de nous voir ennemis ? JACINTE. Comme l'honneur peut tout et sur l'un et sur l'autre, Si vous n'estes le sien il peut estre le vostre, Et par ce que j'ay sçeu je prévois à regret... Mais je le voy qui vient vous dire son secret, Me tiendrez-vous parole et puis-je le prétendre [109] ? D. LOPE. Doutez-vous de mon coeur ? JACINTE.         Laissons-les seuls, Cassandre, Et quoy qu'icy pour nous tout soit à redouter, Sçachons leurs sentimens avant que d'éclatter. ### SCENE III. D. LOPE, D. ALVAR. D. ALVAR. Je me rendray suspect sans doute de foiblesse D'advouër qu'à regret je vous tiens ma promesse, Et que s'il se pouvoit il me seroit plus doux De me faire cognoistre⁎ à tout autre qu'à vous. D. LOPE. Il en est peu pourtant qu'avec plus d'asseurance Vous pûssiez honorer de cette confidence, Avant que j'en abuse on me verra perir. D. ALVAR. Enfin sommes-nous seuls, puis-je me découvrir ? Je crains d'estre écouté. D. LOPE.         Parlez sans vous contraindre, Quel que soit ce secret, vous n'avez rien à craindre. D. ALVAR. Apres les differens survenus entre nous, En quelle qualité me considerez-vous ? D. LOPE. D'amy, pour un grand coeur ce doute est un peu rude, Si mon devoir m'est cher je hay l'ingratitude, Je l'advoüeray par tout, sans vous j'estois perdu. D. ALVAR. Ce que je vous devois, vous l'ay-je assez rendu ? D. LOPE. Le Ciel vous est propice autant qu'il m'est contraire, Je meditois sur vous la vangeance d'un frere, Et de son sang versé je voy qu'il vous absout. D. ALVAR. Suis-je quitte envers vous ? D. LOPE.         C'est moy qui vous dois tout. Mais de ce procedé mon amitié s'offence, Est-ce que vous doutez de ma recognoissance ? D. ALVAR. Non, mais aucun malheur n'approcheroit du mien, Si vous ne m'advoüiez que je ne vous dois rien. D. LOPE. Qu'a cet adveu de propre à flatter⁎ vostre envie ? D. ALVAR. Tout, puisqu'il faut qu'enfin j'attaque vostre vie, Et qu'un coeur genereux⁎ doit estre au desespoir, Quand le moindre scrupule estonne⁎ son devoir. D. LOPE. Tout mon sang malgré moy se trouble à vous entendre⁎, Qui le défendit hier veut aujourd'huy l'épandre, Et m'enviant des jours [110] par luy seul conservez... D. ALVAR. Vous sçavez encor peu ce que vous me devez, Et comme un tel secret n'a plus rien qui m'importe, Chez qui croyez-vous hier que je vous fis escorte ? D. LOPE. Je n'ay pas oublié si-tost [111] qu'avec le jour Je dois à vos bontez l'appuy de mon amour, Je craignois pour Jacinte, et vostre grand courage Voulut ou dissiper ou partager l'orage. D. ALVAR. Vous trouvant attaqué quand vous fustes sorty, Sçavez-vous contre qui je pris vostre party ? D. LOPE. Contre des assassins employez par son pere. D. ALVAR. C'est ce que je voudrois qu'ils eussent pû vous taire, Puisque n'ayant plus lieu de vous déguiser rien, Je dois vous advoüer que son pere est le mien. D. LOPE. Quoy, Jacinte... D. ALVAR.         Est ma soeur, et c'est assez vous dire Quel devoir veut par moy que nostre tresve expire... D. LOPE. Ouy, c'est me dire assez qu'une injuste rigueur Fait un crime pour moy de l'amour d'une soeur, Mais j'atteste le Ciel ennemy du parjure, Que je brusle d'un feu dont l'ardeur est si pure, Que si... D. ALVAR.         Vous jugez mal de mon ressentiment D'en croire cet amour l'unique fondement. Je ne condamne point une ardeur legitime, Et comme je cognoy qu'on peut aimer sans crime, Jacinte estant ma soeur, j'ay lieu de presumer Que sans blesser sa gloire⁎ elle a pû vous aimer, Que cet amour n'a rien dont sa vertu rougisse. D. LOPE. C'est m'obliger⁎ ensemble et luy rendre justice, Mais si ma passion n'arme point vostre bras, Quelle offence incognuë expieroit mon trépas ? D. ALVAR. Ce long déguisement redouble ma colere, Ne vous ay-je pas dit que D. Sanche est mon pere, Et par ce seul adveu⁎ n'avez-vous pas appris Que je dois le vanger puisque je suis son fils ? D. LOPE. Son malheur est de ceux dont la surprise⁎ accable. D. ALVAR. Quoy, ne sçavez-vous pas qu'il vous en croit coupable ? D. LOPE. Ouy, je sçay qu'il le croit, mais aussi je sçay bien, Quoy qu'il vous en ait dit, que vous n'en croyez rien. Vostre sang cette nuit exposé pour ma vie M'a trop justifié de cette calomnie, Et sçachant son affront, loin de me secourir, Qui m'en eust crû l'autheur m'auroit laissé perir. D. ALVAR. Je l'eusse fait sans doute, et j'aurois dû le faire, Puisqu'enfin je souscris aux sentimens d'un pere, Apporter quelque obstable à ce qu'il a tenté, C'est l'accuser d'erreur et non de lâcheté. Il faut, quoy que d'abord un grand coeur s'en offense, Pour le dernier affront la derniere vangeance, L'assassinat est juste où l'outrage est sanglant, Et le meilleur remede est le plus violent. D. LOPE. Puisque vostre suffrage⁎ en ma faveur s'explique, Quel crime est donc le mien ? D. ALVAR.         L'opinion publique. C'est peu pour negliger un devoir si pressant Que mon coeur en secret vous declare innocent, A l'erreur du public c'est peu qu'il se refuse, Vous estes criminel tant que l'on vous accuse, Et mon honneur blessé sçait trop ce qu'il se doit Pour ne vous pas punir de ce que l'on en croit. D. LOPE. Quoy, sur un bruit⁎ si faux... D. ALVAR.         Vous m'en devez répondre, Avant que vous revoir j'ay voulu le confondre ; Mais en vain en tous lieux je me suis informé, On ne nomme personne, ou vous estes nommé. J'affoiblis ma vangeance à la voir differée, Sortons. D. LOPE.         Et l'amitié que vous m'aviez jurée ? D. ALVAR. Telle est de mon honneur l'impitoyable loy, Loin qu'un amy l'arreste, il n'a d'yeux que pour soy, Et dans ses interests toûjours inexorable Veut le sang le plus cher au defaut du coupable. D. LOPE. S'il faut donner le mien, changez au moins l'arrest, Qu'aimer soit tout mon crime, et le voici tout prest : Ouy, punissez en moy ce respect temeraire Qui poussé par l'amour ose paroistre et plaire, Et donnant sans regret ce qu'il faut m'arracher... D. ALVAR. Ah, que je punirois un crime qui m'est cher ! Vous l'avoüeray-je enfin ? j'aime, helas ! et nos ames Avec mesme secret brûlent des mesmes flames. Mesme objet asservit et l'un et l'autre coeur, Si vous aimez ma soeur, j'adore vostre soeur... ### SCENE IV. D. LOPE, D. ALVAR, CASSANDRE. CASSANDRE. Et bien, cruel amant, decouvre mes foiblesses, Je viens les avoüer puisque tu les confesses, Mais je demande aussi que de justes effets Montrent ton coeur d'accord de [112] l'aveu⁎ que tu fais. Ce beau feu dont l'ardeur dûst estre si certaine Ne s'explique pas bien par des marques de haine, Et poursuivre le frere avec tant de rigueur C'est prouver assez mal ton amour pour la soeur. Respecte en luy mon sang si j'ay droit d'y pretendre, Ou dy que tu me hais si tu le veux répandre, Et dans tes sentimens un peu mieux affermy⁎, Sois amant tout à fait, ou bien tout ennemy. D. ALVAR. D. Lope, c'est ainsi qu'avec toute asseurance J'ay pû de mon secret vous faire confidence ? D. LOPE. Ne me reprochez rien quand mon coeur abatu Soûpire du long temps que vous me l'avez teu. CASSANDRE. Quoy, ta haine est pour luy déja si violente Qu'elle a peine à souffrir⁎ l'obstacle d'une amante, Et quand elle s'apreste à luy ravir⁎ le jour, Pour la faire trembler c'est trop peu que l'amour ? D. ALVAR. Helas ! et plûst au Ciel qu'une si belle flame Vous éclairast assez pour lire dans mon ame. Vous m'y verriez encor preferer hautement Au tiltre d'ennemy la qualité d'amant, Detester autant l'un que je respecte l'autre, Mais enfin ma vertu se regle sur la vostre ; Malgré tout mon amour son ordre imperieux Sur mon affreux destin vous fait fermer les yeux, Et cette ombre de gloire⁎ a pour vous tant de charmes⁎ Que ma mort vous arrache à peine quelques larmes, Je n'en murmure point, et pour vostre interest Sans rien tenter pour moy j'en accepte l'arrest. Contre vous pour le mien faites la mesme chose, Et sans vous opposer à ce qu'il faut que j'ose, Souffrez⁎ à mes desirs le pitoyable espoir D'expirer sans remords sous l'horreur du devoir. CASSANDRE. Cruel, et si le mien t'a paru trop severe, Devrois-tu te vanger de la Soeur sur le frere, Et prendre avidement une fausse couleur Pour le faire garand de ton propre malheur ? Car enfin je voy trop quelle offense t'anime, [113] C'est ma seule vertu qui fait icy son crime, Tu te le peins coupable afin d'armer ton bras, Mais si j'avois pû l'estre, il ne le seroit pas. D. ALVAR. Ah, si vous pouviez voir avec quelle contrainte De mon honneur blessé j'ose écouter la plainte, Vous n'en trouveriez pas le tourment si leger, Qu'il vous dûst estre encor permis de m'outrager. Non, je ne poursuis point D. Lope en temeraire, Je me regarde amant pour le voir vostre frere, Et m'accusant pour luy de sentimens ingrats, Je luy preste mon coeur pour desarmer mon bras. Mais, helas ! c'est en vain que je le justifie Quand je viens à revoir toute nostre infamie, Contraint à cet objet de me desabuser Je voy que c'est luy seul que j'entens⁎ accuser, Et qu'en l'obscurité d'un sort si déplorable Il me doit, ou son sang, ou le nom du coupable. D. LOPE. Que je le sçache ou non, je cognoy mon devoir, Et si par moy quelqu'un avoit dû le sçavoir... Mais, ô Dieu, c'est icy que l'espoir et la crainte... ### SCENE V. D. SANCHE, D. LOPE, D. ALVAR, CASSANDRE. D. SANCHE. Ah ! mon fils. D. ALVAR.         Suspendez de grace⁎ vostre plainte, Vous venez condamner ce coeur trop partagé, Mais je mourray, mon pere, ou vous serez vangé. Nous pourrons nous revoir, adieu D. Lope. D. SANCHE.         Arreste, Et voy le precipice où ton erreur te jette, [114] D. Lope est innocent. D. ALVAR.         Pour en avoir douté Le procedé d'un traistre a trop de lâcheté. Mais enfin avec vous ayant part à l'outrage, Si je n'en sçay l'autheur... D. SANCHE.         Tu sçauras davantage, Puisque le Ciel propice à mon ressentiment, Au crime qui le cause a joint le châtiment, On m'a déja vangé. D. ALVAR.         Quel bras l'auroit pû faire ? Jamais autre qu'un fils ne vange bien un pere. D. LOPE. Non, mais quand vous sçaurez qui l'avoit outragé, Peut-estre advoüerez-vous qu'il est assez vangé. D. SANCHE. Ouy, mon coeur de vangeance assez insatiable, La trouve toute entiere au remords du coupable, Qui blessé par rencontre, et craignant de mourir, Chez Alonse à moy-mesme a pû se découvrir. Qui l'auroit jamais crû, que cette ame si fiere Eust pû jusqu'au pardon abaisser sa priere, Que l'orgueilleux Enrique... D. LOPE.         Apres l'avoir nommé, Quelque juste sujet qui vous tienne animé, Songez qu'il est mon frere et m'épargnez la honte. D. ALVAR. Quoy, vostre frere ! ô Ciel, que ta justice est prompte ! D. SANCHE. Il nous la montre en luy. D. ALVAR.         Mais vous ne sçavez pas Que le voulant punir il l'a fait par mon bras. Sans sçavoir vostre affront j'en ay tiré vangeance. D. SANCHE. Quoy, mon fils auroit pû reparer mon offence ? D. ALVAR. D. Lope en est témoin, luy dont l'heureux secours⁎ S'employa pour ma gloire⁎ et conserva mes jours. Ah, si vous cognoissiez⁎ sa vertu toute entiere ! D. LOPE. Elle offre à vostre estime une foible matiere. D. SANCHE. De ce qui s'est passé j'ay sçeu tout le secret, Et de cette vertu pleinement satisfait, Ravy qu'à ma vangeance un fils ait mis obstacle, Confus de mon erreur, surpris de ce miracle, Je venois l'asseurer qu'un regret éternel... D. LOPE. Pourquoy tant d'indulgence envers un criminel ? Puisque vous sçavez tout, il n'est plus temps de taire, Et que j'aime Jacinte, et que j'ay sçeu luy plaire, Et quoy que la vertu soûtienne un si beau feu, Il est à condamner n'ayant pas vostre adveu⁎. Ce m'est beaucoup pourtant que vous puissiez cognoistre⁎ Que sur cet appuy seul la raison le fit naistre, Et que mon coeur s'offrant à de si doux liens, N'y fût point engagé par l'éclat de vos biens, C'est à quoy rarement un grand courage cede, Le Ciel vous rend un fils, que ce fils les possede, Aussi charmé⁎ que vous de son heureux retour, Un coeur me suffira pour payer mon amour. Si je demande trop, punissez mon audace, La mort sans un tel prix me tiendra lieu de grace⁎, Et purgé d'un soupçon qui m'eust peu diffamer, Je mourray satisfait si je meurs pour aimer. D. ALVAR. C'est trop, pour couronner une flame si pure, Mon pere, attendez-vous qu'un fils vous en conjure ? D. SANCHE. Non, de ce feu secret si j'ay blâmé l'ardeur, Alonse en a déja justifié ta soeur. Surprise⁎ et par mon ordre et par son stratagême, Je sçay ce qu'elle a fait contre D. Lope mesme, Et pour ce grand effort le moins que je luy dois, C'est d'oublier sa faute et d'approuver son choix. ### SCENE VI. D. SANCHE, D. ALVAR, D. LOPE, JACINTE, CASSANDRE. JACINTE. Puisque par le succez cette faute s'efface, J'en viens benir le Ciel, et recevoir ma grace⁎. D. SANCHE. Quoy, voir icy ma fille ! JACINTE.         Avant que m'accuser, Songez à quoy pour vous j'ay pû me disposer, Ne soupçonnez point [115] ny crime ny foiblesse, Dans une passion dont je suis la maistresse. C'est vostre interest seul qui plus fort que le mien... D. SANCHE. Va, je te ferois tort si j'examinois rien [116], Ta vertu me répond de l'amour qui t'engage. D. LOPE. Dieux, que le calme est doux qui succede à l'orage ! D. ALVAR. Il est bien doux, helas ! à qui peut esperer. D. SANCHE. Quoy, chacun est content et tu peux soûpirer ? D. ALVAR. Ah, soûpirs indiscrets d'avoir osé paroistre ! D. LOPE. Puisque j'ay sçeu par vous que ma soeur les fait naistre, Pour les faire cesser, voulez-vous bien par moy Recevoir tout ensemble et son coeur et sa foy⁎ ? D. ALVAR. Une foy⁎ qu'à Fernand vous-mesme avez promise ? D. LOPE. Je ne m'engage à rien que Fernand n'authorise. D. ALVAR. O Dieux, se pourroit-il ? D. SANCHE.         Tu l'aimes donc, mon fils ? D. ALVAR. Dans mon ravissement je doute si je vis. Mon pere... D. SANCHE.         Je t'entens⁎, obtiens-là d'elle-mesme. D. ALVAR*à Cassandre*. Consentez-vous, Madame, à mon bonheur extrême ? CASSANDRE. Voir vos voeux tout à coup par un frere exaucez, Et n'y resister point, c'est m'expliquer assez. D. ALVAR. O favorable arrest ! D. SANCHE.         C'est le Ciel qui le donne, L'ordre de ses decrets n'est cognu de personne, Et souvent de ses soins⁎ l'infaillible ressort Se plaist par le naufrage à nous conduire au port. # Lexique.AdveuConsentement donné (F)V. 305, 350, 386, 1224, 1391 (aveu) et 1936.Reconnaissance, confession (F)Épître, v. 148, 653, 1058, 1280, 1650, 1787 et 1836 (aveu).AffermirRendre ferme et inébranlable ; se dit au figuré des choses spirituelles (F)V. 876, 1335 et 1843.AffronterFait référence aux cinq premiers vers dans lesquels Alonse nous apprend que Enrique a fait battre et insulter Don SancheV. 55, 209, 1526, 1584.Se dit quelquefois en bonne part, des braves qui ne craignent point de s'exposer dans les occasions honorables (F)V. 1160.(D')ailleursD'un autre côté (F)V. 807.AlarmerInquieter, effrayer (F)V. 884.AposterDisposer, préparer quelqu'un pour s'en servir dans une méchante action (A)V. 4, 130 et 1584.AppasSe dit figurément en choses morales de ce qui sert à attraper les hommes (F)V. 155, 387, 443, 591, 973, 1331 et 1579.ArtEst principalement un amas de préceptes, de règles, d'inventions et d'expériences, qui étant observées font réussir aux choses qu'on entreprend (F)Épître, v. 686.ArtificeÀ prendre au sens négatif de "fraude, déguisement, mauvaise finesse" (F)V. 10, 85, 821 et 1226.AttentatOutrage ou violence faite à quelqu'un (F)V. 1307, 1611 et 1680.BalancerSe dit figurément de l'examen qu'on fait dans son esprit des raisons qui le tiennent en suspens & qui le font incliner de part & d'autre (F)V. 83, 315, 1163 et 1313.(Au) besoinDans le besoin, si la nécessité se fait sentirV. 1195, 1402 et 1499.BraveUn bretteur, un assassin, un homme qu'on emploie à toutes sortes de méchantes actions (F)Scène IX de l'acte III, v. 1588 et 1622.BruitAmas de plusieurs sons confus (F)V. 1090, 1422, 1451 et 1617.Se dit aussi des discours du temps, des nouvelles dont on s'entretient dans le monde …, des affaires qui font l'éclat (F)V. 187, 189, 771, 788, 790, 846, 997, 1025, 1027 et 1813.ChagrinInquietude, ennuy, melancolie (F)V. 1395 et 1571.CharmantQui plaît extraordinairement, qui ravit en admiration. (F)V. 419 et 977.CharmeSe dit figurement de ce qui nous plait extraordinairement, qui nous ravit en admiration (F)V. 442, 599, 1041 et 1861.Adoucit les souffrancesV. 110, 311 et 1005.CharmerFaire quelque effet merveilleux par la puissance des charmes ou du Démon ; dire ou faire quelque chose d'agréable, de merveilleux, de surprenant (F)V. 467, 548, 970 et 1943.ConnoistreAvoir une idée empreinte dans l'esprit (F)V. 289, 620, 1070, 1487, 1540 et 1925.Savoir (F)Épître, 313, 613, 875, 889, 968, 1049 et 1937.Découvrir ou faire voir ce qu'on est (F)V. 382, 692 et 1728.ConseilRésolution (F)V. 721.CourageArdeur, vivacité, fureur de l'âme qui fait entreprendre des choses hardies, sans crainte des périls (F)V. 25.Une vertu qui élève l'âme, et qui la porte à mépriser les périls, quand il y a des occasions d'exercer la vaillance (F)V. 560.CourouxMouvement impétueux de colère (F)V. 115, 204, 819, 1036, 1303, 1323, 1370, 1394, 1550 et 1700.DaignerAvoir la bonté, vouloir bien faire quelque action pour honorer quelque un ou pour lui faire quelque honneur (F)Épître (2 occurrences), v. 152, 529, 563, 1543 et 1684.DécevantPropre à tromper (F), trompeurV. 1020.DécevoirTromper adroitement. (F)V. 264.DéplaisirChagrin, tristesse que l'on conçoit d'une chose qui choque, qui déplaît. (F)V. 109, 1514 et 1600.DesseinResolution ; vüe ; projet ; entreprise ; intention (F)V. 62, 371, 395, 507, 513, 593, 630, 1068, 1104, 1156, 1241, 1352 et 1649.(Se) dispenserSe dit aussi des permissions qu'on prend soi-même (F)V. 1393.EmbrasserSerrer, étreindre avec les deux bras (A)V. 341 et 1364.Prendre parti (F)V. 257 et 575.EntendreSe dit figurèment en choses spirituelles, et signifie concevoir, comprendre, pénétrer le sens de celui qui parle ou qui écrit (F)V. 181, 657, 905, 976, 1305, 1498, 1888 et 1977.OuïrV. 715, 782, 942, 1092, 1449, 1451, 1508 et 1753.Ennuy, ennuisChagrin, fâcherie que donne quelque discours, ou quelque accident desplaisant, ou trop long (F)V. 112, 187, 311, 445, 651, 1005, 1011, 1213, 1228 et 1518.E(s)tonnerCauser à l'ame de l'émotion, soit par surprise, soit par admiration, soit par crainte (F)V. 103, 159, 1594 et 1752.FatalFuneste, fâcheux (R)V. 899.FâcheuxQui donne de la fascherie, de la peine & de la difficulté (F)V. 453, 801, 1387 et 1645.Flat(t) erDéguiser une verité qui seroit desagrable à celuy qui y est interessé, luy donner meilleure opinion d'une chose qu'il n'en doit avoir (F)V. 119, 146, 859, 1004 et 1749 (avec un seul « t »), v. 233, 769 et 1639 (avec deux « t »).FortuneLe bonheur ou le malheur, ce qui arrive par hasard (F)V. 145 et 907.Biens qu'on a acquis (F)V. 18, 152 et 1025.Divinité aveugle, bizarre et capricieuse, qui selon les Païens présidait à tous les événements (F)V. 663, 709 et 1281.FoySerment, parole qu'on donne de faire quelque chose et qu'on promet d'executer (F)V. 84, 171, 243, 324, 349, 403, 426, 483, 692, 771, 848, 924, 930, 1027, 1383, 1972 et 1973.GénerTourmenter le corps ou l'esprit (F)V. 755 et 1564.GenereuxQui a l'âme grande & noble, & qui prefere l'honneur à tout autre interest. (...) Brave, vaillant, courageux (F)V. 683, 940, 1103, 1344, 1438 et 1751.GloireBonne opinion qu'on a de soi-même, orgueil, présomption, honneur mondain (F)Épître (2 occurrences), v. 17, 66, 78, 165, 230, 354, 366, 522, 576, 602, 629, 648, 704, 773, 850, 954, 981, 1013, 1023, 1146, 1278, 1308, 1318, 1324, 1353, 1438, 1477, 1585, 1662, 1780, 1861 et 1924.GracePlaisir, faveur (R)V. 194, 398, 1693, 1946 et 1958.Remerciement (F)Épître et v. 1624.De gracePar faveur, par pitié (F)V. 213, 255, 267, 403, 1105 et 1894.HeurCe mot signifie bonheur, mais il est bas et peu usité & se prononce sans faire sentir son « h » (R)V. 383, 765 et 920.ImmolerSacrifier (F)V. 528, 900 et 996.InsigneRemarquable, excellent, qui se fait distinguer de ses semblables (F)V. 150, 241 et 1669.InterditTroublé, déconcerté, immobile (F)V. 655 et 984.ObligationCe qui est obligatoire, qui contraint à faire quelque chose, comme le devoir, la nécessité, la loi, le précepte (F)Épître et v. 1295.ObligeantQui oblige ; officieux, honnête, civil, prêt à faire plaisir, à rendre un bon office (F)Épître et v. 687.ObligerEngager par une sorte de devoir, ou de bien-seance (R)V. 59, 502, 1068, 1184, 1346, 1376, 1663, 1782.Contraindre à faire quelque chose par nécessité (F)V. 436, 893, 1262, 1300, 1501 et 1657.Obligé deQui a reçu un bon office, qui a obligation envers une personne parce qu'il en a reçu quelque plaisir (R)V. 1290.OùComme en Ancien Français, cette locution se rapporte couramment à des personnes. Son usage s'est restreint récemment, se rapportant aux choses. Au XVII*e* siècle, elle n'équivaut pas seulement à un relatif construit avec *dans* mais aussi à un relatif construit avec *à* dans le sens d'un datif. (Haase, A., *Syntaxe française du XVIIème siècle*, Paris, Delagrave, 1935, §38.)V. 626.Ou siSe dit aussi d'une alternative qu'on offre (F), a donc le sens de *ou bien est-ce que*V. 505 et 732.PrevenirPréoccuper l'esprit, lui donner les premières impressions (F)Prevenüe : convaincue, vers 225.PublierRendre une chose publique (F)V. 1652.RavirOster (F)V. 718, 1683 et 1851.Se dit aussi des passions violentes qui charment, et troublent agréblement les esprits, et suspendent les fonctions des sens ; et particulièrement de la joie, de l'étonnement, et de l'admiration (F)V. 341 (sens de « ravissement » au vers 1976).RelâcheRepos (F)V. 739, 860 et 965.ResverAppliquer sérieusement son esprit à raisonner sur quelque chose (F)V. 132.SecoursAide, charité qu'on fait à quelqu'un; protection, assistance qu'on lui donne dans ses besoins (F)V. 199, 1079, 1100, 1105, 1113, 1147, 1204, 1431, 1644, 1648, 1682 et 1923.SoinDiligence qu'on apporte à faire reüssir une chose, à la garder & à la conserver, à la perfectionner (F)Épître, v. 451, 597, 675, 1118, 1151, 1254, 1278 (2 occurrences) et 1983.SoucyInquiétude de l'esprit (F)V. 779.SouffrirEndurer (R)Épître, v. 6, 15, 48, 109, 246, 319, 339, 452, 498, 579, 672, 719, 931, 957, 981, 1059, 1204, 1350, 1362, 1375, 1407, 1469, 1533, 1559, 1850 et 1867.SuffrageL'approbation des particuliers (F)Épître, v. 606 et 1805.SurprendreSignifie aussi tromper quelqu'un, luy faire faire une chose trop à la haste, ou en luy exposant faux. (F)V. 472, 581, 810 et 906.Étonner (F)Épître, v. 501 et 1548.Saisir, intercepter (F)V. 1497.SurpriseAction qui surprend et à quoi on ne s'attend pas (F)V. 589, 817, 985, 1433, 1789 et 1953.Une tromperie, une supercherie (F)V. 476, 1274 et 1468.TandisConjonction qui signifie cependant, lorsqu'on fait, ou qu'on va faire quelque chose (F)V. 705.TraitsDes coups, des attaques de la médisance, de la raillerie, ou de quelque acte de malignité (F)V. 272, 680, 955 et 1459.TransportSe dit aussi figurément en choses morales, du trouble ou de l'agitation de l'ame par la violence des passions (F)V. 511, 731 et 1575.TroubleDésordre de l'âme causé par les passions (F)V. 437, 512, 651, 965, 1078, 1243, 1549 et 1603.VouloirAvoir le désir de faire quelque chose (F)V. 305. **A** = Dictionnaire de l'Académie française, 1694. **F** = Dictionnaire de Furetière, réédition par le Robert, 1978. **R** = Dictionnaire français de Richelet, 1680. # Annexe 1 : liste des œuvres de Thomas Corneille. ## Ses pièces de théâtre. * - *Les Engagements du hasard* (1647, comédie), * - *Le Feint astrologue* (1648, comédie), * - *Don Bertrand de Cigarral* (1650, comédie), * - *L'Amour à la mode* (1651, comédie), * - *Le Berger extravagant* (1652, comédie), * - *Le Charme de la voix* (1653, comédie), * - *Les Illustres ennemis* (1654, comédie), * - *Le Geôlier de soi-même ou Jodelet prince* (1655, comédie), * - *Timocrate* (1656, tragédie), * - *Bérénice* (1657, tragédie), * - *La Mort de l'empereur Commode* (1658, tragédie), * - *Darius* (1659, tragédie), * - *Le Galant doublé* (1660, comédie), * - *Stilicon* (1660, comédie), * - *Camma, reine de Galatie* (1661, tragédie), * - *Pyrrhus, roi d'Épire* (1661, tragédie), * - *Maximian* (1662, tragédie), * - *Persée et Demetrius* (1662, tragédie), * - *Antiochus* (1666, tragédie), * - *Laodice* (1668, tragédie), * - *Le Baron d'Albikrac* (1668, comédie), * - *La Mort d'Annibal* (1669, tragédie), * - *La Comtesse d'Orgueil* (1670, comédie), * - *Ariane* (1672, tragédie), * - *Théodat* (1672, tragédie), * - *Le Comédien poète* (1673, comédie), avec Montfleury, * - *La Mort d'Achille* (1673, tragédie), * - *Don César d'Avalos* (1674, comédie), * - *Circé* (1675, tragédie lyrique), * - *L'Inconnu* (1675, comédie à machines), avec Donneau de Visé, * - *Le Triomphe des Dames* (1676, comédie à machines), avec Donneau de Visé, * - *Le Festin de Pierre* (1677, mise en vers de l'œuvre de Molière), * - *Le Comte d'Essex* (1678, tragédie), * - *Psyché* (1678, opéra) en collaboration avec Lully et Fontenelle (son neveu) d'après la pièce de Molière et Pierre Corneille, * - *La Devineresse ou les faux enchantements* (1679, sujet satirique, comédie à machines, en prose, écrit en collaboration avec Donneau de Visé), * - *Bellérophon* (1679, opéra) avec Lully, Fontenelle et Boileau, * - *La Pierre philosophale* (1681, comédie à machines), avec Donneau de Visé, * - *Le Deuil* (1682, comédie en un acte), avec Hauteroche, * - *La Dame invisible ou l'Esprit follet* (1684, comédie), avec Hauteroche, * - *L'Usurier* (1685, comédie en prose, non imprimée), * - *Le Baron des Fondrières* (1686, comédie, non imprimée), * - *Médée* (1693, opéra), avec Charpentier, * - *Les Dames vengées* (1695, comédie en prose), avec Donneau de Visé, * - Enfin, *Bradamante* (1695, tragédie), tiré de l'*Arioste*. ## Ses autres écrits. Il collabore à l'édition du *Dictionnaire* de l'Académie française, il en publie le supplément *Dictionnaire des sciences et des arts* (1694). Il rédige aussi un *Dictionnaire universel, géographique et historique* (1708) et traduit également les *Métamorphoses* d'Ovide (1658). # Annexe 2 : les épîtres des concurrents de Corneille. ## Épître de Boisrobert. A MADAME LA COMTESSE DE BRANCAS MADAME Puis qu'il est constant que sans la protection que vous avez donnée à cette Comoedie, elle n'auroit jamais veu le jour, il est juste qu'elle vous soit consacrée, et qu'elle vous soit consacrée, et qu'elle rende publiquement ses hommages à celle qui la mise au monde. On s'estonnera sans doute, de ce que n'ayant produit que des merveilles jusques icy, par les advantages que le Ciel a donnez à vostre beauté, vous ayez daigné donner l'estre à si peu de choses, et l'on s'estonnera plus encore de voir qu'une production si commune, vienne de la mesme source, d'où (s'il m'est permis de m'expliquer en Poete dans une Epistre) on sent naistre visiblement les grasses et les amours ; mais qui ne void pas Madame que le Soleil qui produit les fleurs, et les plus rares merveilles de la nature, produit aussi les ronces et les plantes inutiles ? et qui ne sçait pas que ces production si différentes, et dont l'inegalité paroist si visible ne laissent pas de faire admirer également la puissance de celuy qui les a crées, vous aurez autant de gloire d'avoïr relevé ce petit ouvrage, et donné prix à des choses qui n'en pouvoient recevoir que de vous, que d'avoir attiré par les charmes de vostre beauté, l'admiration de toute la France. Il n'y a plus personne aujourd'huy qui la puisse ignorer : en plusieurs rencontres, vostre esprit à souvent brillé comme elle, mais vostre generosité nous estoit encore inconnüe, et vous l'establissez plus puissament par cette protection que vous me donnez, que je n'establis celle de nos Genereux Ennemis, par tous les beaux sentimens que je leur donne, comme leurs manieres sont plus éloignées du bel usage que celle avec laquelle vous agissez, quelque éclat qu'ils tirent de mes pensées, je sçay que leur generosité paroistra moins que la vostre, aussi veus-je plustost estaller icy ma reconnoissance que ma vanité : je n'en auray que trop si vous approuvez mon zele, et si vous ne dedaignez la passion qui me porte à vous dire icy que je suis. Vostre tres-humble et tres obeyssant Serviteur, BOIS-ROBERT Abbé de Chastillon. ## Épître de Scarron. A SON ALTESSE ROYALE MADEMOISELLE, L'Escolier de Salamanque est un des plus beaux sujets Espagnols, qui ai paru fus le Theatre François depuis la belle Comedie du Cid. Il donna dans la veuë à deux Escrivains de reputation en mesme temps qu'à moy. Ces redoutables Concurrens ne m'empescherent point de le traitter ? Le dessein que j'avois il y longtemps de dédier une Comedie à V.A.R. me rendit hargy comme un Lyon, et je crûs que travaillant pour son divertissement, je pouvois mesurer ma Plume, mesme avec de celle de quelque Poëte Heroïque, fut-il du permier ordre, et de ceux qui chauffent Cothurne à tous les jours. Je doute si Apollon bien invoqué, et ma Muse bien sollicité, m'eussent esté des Divinitez plus favorables, que me l'a esté vôtre Altesse, et si plusieurs prises à pleine tasse d'eau du savré Vallon, m'euffent fait monter plus de vapeurs Poëtiques à la teste, qu'a fait l'ambition de vous plaire. Elle a eu des Obstacles à surmonter, comme les grands desseins en ont toujours. On a hay ma Comede devant que de la connoistre. De belles Dames qui sont en possession de faire la destinée des pauvres humains, ont voulu rendre mal-heureuse celle de ma pauvre Comedie. Elles ont tenu Ruelle pour l'étouffer dés sa naissance. Quelques unes des plus partiales ont porté contre elle des Factums par les Maisons comme on fait en sollicitant un Procès, et l'ont comparée d'une grace sans seconde, à de la Moutarde mélee avec de la Cresme : mais les comparaisons nobles et riches ne sont point deffenduë, et quand par plusieurs autres de mesme force, on auroit perdu de reputation ma Comedie, l'applaudissement qu'elle a eu de la Cour et de la Ville, luy en auroit plus rendu, que ne luy en auroit pû oster une conjuration de precieuses. Que si je suis assez heureux, pour avoir aussi l'approbation de V.A. je me croiray glorieusement vengé des Dames sans pitié, qui ont tant voulu faire de mal à qui ne leur avoit jamais rien fait. VOSTRE ALTESSE, clairvoyante comme elle est, aura remarqué sans doute, que mon Epistre, qui ne doit estre pleine que de ses loüanges, ne l'est jusqu'icy que des avantures de ma Comedie ; que j'en parle trop avantageusement, et enfin, qu'il semble, que la plume à la main je ne connois plus personne, et ne me connoy pas moy mesme. Il est vray que les Epistres Liminaires doivent estre des Panegyriques en Petit. Mais V.A. est trop juste pour ne considerer pas, qu'il est impossible de la loüer autant qu'elle merite d'estre louée, et que c'est tout ce que pourroient faire les Donneurs de loüanges qui durent eternellement. Les façons de parler sont deffectueuses où la matiere est trop abondante, et tout ce qu'on peut s'imaginer à la loüange d'une Princesse d'un merite extraordinaire, ne peut quasi estre que des redites. Diray-je que V.A. est du plus Illustre Sang du Monde ? Il n'y a que quelques Indiens des plus éloignez du commerce des hommes qui le puissent ignorer. Parleray-je de son Courage ? qui est, si je l'ose dire, encore plus grand que sa condition. Parleray-je de son Esprit, que les Hyperboles mesme ne peuvent assez exagerer ? De sa Beauté, de sa Taille et de sa Mine ? qui peuvent servir d'un riche patron aux meilleurs Poëtes, pour representer non seulement une Heroïne bien verifiée ; mais aussi une Divinité telle que la Mere d'Aenée est admirablement bien décrite dans l'inimitable Virgile. Ou je ne dirois pas tout ce qu'il faut dire, ou je ne dirois pas tout ce qu'il faut dire, ou je le dirois mal. Je feray donc mieux de finir, en protestant que je suis plus que personne au monde, De V.A.R. Le tres humble et tres obeissant serviteurs, SCARRON. # Annexe 3 : les résumés des sources espagnoles de Corneille. ## Obligés et offensés ou l'Écolier de Salamanque. *Journée une* : la pièce s'ouvre sur Jacinte, à demi-nue, qui s'entretient avec Don Lope ; mais l'arrivée de Don Sanche le contraint à se réfugier sur le balcon. Malgré son étonnement, Don Sanche ne peut s'expliquer avec sa fille, car ils sont interrompus par le valet de Don Alvar venu réclamer de l'argent pour son maître. Juste après son départ, Don Sanche veut le rappeler et se rend sur le balcon pour l'interpeller dans la rue, il croise alors Don Lope. Ce dernier refuse de s'identifier et d'épouser Jacinte, car son sang n'est pas digne de lui. Don Sanche lui en demande raison, mais Don Lope préfère quitter cette demeure, afin de ne pas se battre contre un vieil homme. Dans la rue, Enrique et ses hommes de main attaquent Don Alvar, accompagné de son valet, Crispin (qui part se cacher) : il précise qu'ils se sont fâchés, mais ne donne pas de détails. Don Lope intervient contre les assaillants sans savoir que c'est son propre frère qui dirigeait l'attaque et que celui-ci est mort sous les coups de Don Alvar. Crispin fait le récit de la scène à Cassandre (la sœur de Don Lope et d'Enrique) et Jacinte. Chez Don Lope, ils apprennent (hormis Jacinte qui était repartie chez elle) l'identité du mort. Don Alvar refuse de se battre contre l'homme à qui il doit la vie et décide donc de fuir Don Lope, tandis que celui-ci lui promet de le poursuivre afin de venger la mort de son frère. *Journée deux* : Don Lope fait le point sur sa situation avec sa sœur : il discute de sa bien-aimée Jacinte et de l'homme qui a tué leur frère, dont il ignore toujours l'identité. Don Alvar se rend chez lui pour expliquer qu'il ne peut accepter le duel tant qu'il n'aura pas réparé une offense faite à sa famille, dont il ne connaît pas encore la nature. Don Lope, qui a rendez-vous avec Jacinte, demande à Don Alvar de l'accompagner, afin de les protéger du père. Don Sanche arrive alors et explique à son fils la situation. Celui-ci comprend qu'il autorise au même moment une rencontre entre sa sœur et son offenseur. Il s'interdit d'en parler à son père à cause de sa promesse de les protéger ce soir-là. Cependant, Don Lope apparaît sur scène avec Jacinte, mettant fin aux doutes sur l'identité des protagonistes. Don Alvar refuse néanmoins de l'affronter, invoquant sa parole donnée, malgré les insultes de son père qui soutient que l'affront annule sa dette. Les deux hommes se battront un autre jour. *Journée trois* : Jacinte s'est réfugiée chez Don Lope pour échapper à la colère de son père et de son frère. Cassandre lui avoue alors son amour pour Don Alvar. Dans la prison, des hommes de main qui ont participé au guet-apens contre Don Alvar sont réunis et discutent de leurs contrats ; nous apprenons ainsi qu'ils prévoient d'attaquer Don Lope. Un représentant de la loi leur demande d'identifier Don Alvar comme étant le meurtrier d'Enrique ou de l'innocenter. Les hommes l'innocentent. Don Alvar est reconduit dans sa cellule en attendant sa libération. Cassandre l'y rejoint pour lui parler de ses sentiments à son égard, mais son frère les interrompt. Elle doit se cacher, alors que les deux hommes s'apprêtent à se battre ; Don Sanche les en empêche en venant chercher son fils. Don Lope repart tandis que Don Alvar se dispute avec son père sur le moyen de se venger. A l'extérieur de la prison, Don Lope se fait agresser par les hommes de main qui ont tout juste été libérés. Don Alvar intervient, annulant ainsi sa dette envers Don Lope. Ce combat a permis aux deux hommes d'apprécier mutuellement leur valeur et de comprendre l'amitié profonde qui s'était établie entre eux. Don Lope accepte alors d'épouser Jacinte, reconnaissant qu'il s'était mépris sur le sang qui coulait dans ses veines, et permet à Don Alvar d'épouser sa sœur. ## Le Peintre de son déshonneur. *Journée une* : Don Alvar et Séraphine s'aimaient en secret, mais Don Alvar disparaît lors d'un naufrage. Séraphine, le croyant mort, a accepté d'épouser Don Juan Roca. Le Prince ramène un jour au port Don Alvar, qui avait en fait été retenu prisonnier par des pirates. Le Prince est l'amant de Porcie, la sœur d'Alvar. Venu rendre visite à son amante, Porcie, et à son père, accompagné de Don Alvar, le Prince tombe amoureux de Séraphine. Celle-ci était venue voir son amie Porcie. Quand Don Alvar demande à Séraphine s'il pourra la revoir, celle-ci refuse, parce qu'elle est mariée et vertueuse (ce dialogue est très proche de celui de Corneille dans l'acte II). Don Alvar fuit alors pour ne pas se livrer à un acte repréhensible. *Journée deux* : Séraphine et son mari sont à Barcelone pour le carnaval. C'est dans cette ville que s'est réfugié Don Alvar. En la revoyant, ce dernier décide de tout faire pour la récupérer. Il profite alors d'un incendie pour l'enlever et part la cacher dans un château de son père à la campagne. *Journée trois* : le mari de Séraphine, Don Juan, s'est déguisé en peintre et parcourt le pays à la recherche de sa femme, bien qu'il n'ait aucun indice et que personne ne connaisse le nom du ravisseur. Le Prince, qui avait rendez-vous avec Porcie dans le château où est enfermée Séraphine, aperçoit cette dernière dans le jardin. Il demande alors au peintre de faire son portrait. Cependant, Don Juan la reconnaît et assiste à un dialogue entre sa femme et Don Alvar. N'admettant pas la trahison de sa femme, il les tue tous les deux. Plusieurs personnages sont présents sur scène, y compris le père de Don Alvar et de Séraphine, mais personne ne lui en tient rigueur : Don Juan a agi ainsi pour des raisons d'honneur, il n'y aura donc pas de poursuite, ni de vengeance. Le Prince, après avoir compris ses erreurs et les conséquences de sa mauvaise conduite, décide d'épouser Porcie, en réparation. ## Aimer par-delà la mort. J*ournée une* : suite à l'annonce faite au conseil des dispositions prises à l'encontre des Morisques, un seigneur d'origine morisque les défend et se fait bastonner par un autre seigneur, espagnol (il était interdit d'entrer l'épée au côté dans la salle du conseil). Il prévient ses amis pour qu'ils prennent les armes. Sa fille, Clara, se désole de ne pouvoir se venger (elle tient le même discours que la Jacinte de Corneille), et se refuse à épouser Don Alvar Tuzani, alors qu'ils s'aiment, car son honneur est souillé (là encore, Jacinte reprend ses propos chez Corneille). Alvar lui propose de l'épouser pour pouvoir les venger, mais Clara refuse pour les mêmes motifs que Jacinte dans les *Illustres ennemis*. Son père arrive, accompagné d'un homme chargé d'arranger la situation entre les deux nobles. Il propose que l'offenseur épouse Clara, qui accepte, pour pouvoir le tuer de ses mains. C'est ce qu'elle avoue à Alvar, qui avait tout entendu, caché dans la pièce voisine. En prison, l'offenseur (Mendoces) reçoit la visite de son amante, la sœur d'Alvar, Isabelle. Celui-ci s'y rend également pour obtenir de Mendoces qu'il refuse l'arragement. Les deux hommes se battent en duel, mais Isabelle les intervient, puis ce sont les négociateurs qui interrompent le duel. Il laisse partir Isabelle sans l'identifier, Alvar ignore donc tout des liens qui l'unissent à Mendoces. Mais les négociateurs se heurtent sur le même sujet que les deux nobles lors du conseil : les Morisques, descendants de roi, sont insultés par les espagnols qui les méprisent. Ils se donnent rendez-vous pour un duel et ne donnent pas suite à l'arrangement. *Journée deux* : le récit du siège d'Alpujarra est fait par Mendoces à Don Juan qui dirige les troupes espagnoles chargées de mater l'insurrection morisque : Alvar est à la tête de Gabia la Haute, sa sœur, Isabelle a été mariée au roi qui est à la tête de Berja, le père de Clara est à la tête de Galeie, où a lieu son mariage avec Alvar. Un morisque un peu simplet est fait prisonnier par les Espagnols, il réussit à s'enfuir mais guide sans le savoir son geôlier jusqu'à un passage qui mène sous les murs de la ville. Grâce à cela, les Espagnols font sauter les remparts de Galeie après le départ d'Alvar pour Gabia la Haute. L'attaque commence. *Journée trois* : l'attaque de la ville : le geôlier tue Clara et lui vole les bijoux qu'Alvar lui avait offerts. Ce dernier jure de retrouver le meurtrier et de le tuer. Pour y parvenir, il se rend dans le camp espagnol, déguisé. Il se retrouve en prison pour avoir sauvé la vie, lors d'une rixe, au meurtrier de sa femme, dont il ignore toujours l'identité. C'est là qu'il l'apprend et qu'il le tue. Sa sœur, Isabelle, a retrouvé Mendoces qui l'a libérée en tuant son époux pendant de la prise de Berja ; elle intervient auprès de Don Juan qui, mis au courant de toute l'histoire, leur laisse la vie sauve. Damas-Hinard traduisit cette pièce en 1841 dans un recueil des chefs-d'œuvre de Calderón. Il nous y apprend que cette pièce a été écrite à partir d'une histoire vraie, inspirée des chapitres XXII et XXIV de l'*Histoire des guerres civiles de Grenade* de Ginez Perez de Hita, qui prétendait lui-même tenir cette histoire de la bouche même de Tuzani. L'Espagne fut reconquise par les rois Ferdinand et Isabelle. Les Arabes qui étaient restés vivaient en bonne entente avec le peuple espagnol jusqu'à l'arrivée du roi Philippe II qui édita une Pragmatique le 1*er* janvier 1567 dans le but de supprimer les coutumes mauresques. Les pétitions restant sans effet, les Morisques (ce sont les Maures demeurés en Espagne et devenus chrétiens à la suite des persécutions subies, qui ont été bannis par Philippe III au début du XVII*ème* siècle) prirent les armes. En décembre 1568 eu lieu le soulèvement de l'Alpujarra (chaîne montagneuse). A la fin des années 70, des divisions internes ajoutées à des promesses d'amnistie achèvent de mettre fin à la rébellion. # Bibliographie. ## Œuvres de référence. Dictionnaire Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts Le grand Dictionnaire historique, ou le mélange curieux de l'histoire sacrée et profane Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise … avec les termes les plus connus des arts et des sciences Les Genereux ennemis Le Peintre de son déshonneur, El pintor de su deshonraChefs-d'oeuvre du théâtre espagnol Aimer après la mort, Amar depues la muerteChefs d'œuvre du théâtre espagnol Comedias escogidas de Francisco de Rojas Zorilla L'Escolier de Salamanque ou les genereux ennemis ## Études.Histoire de la littérature française au XVII*e* siècle La Tragicomédie de Corneille à Quinault Morales du Grand Siècle L'Actio dramatique dramatique au XVII*e* siècle L'Esprit classique et la préciosité au XVII*e* siècle Le Baroque Le Masque et le Visage. Du baroque espagnol au classicisme français La Comédie à l'âge classique (1630-1715) Lire la comédie Dictionnaire encyclopédique du théâtre Le Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne 1548-1680 Le Théâtre du Marais L'Histoire de la mise en scène dans le théâtre français de 1600-1657 Répertoire des programmes des pièces de théâtre jouées dans les Collèges en France (1601-1700) Défense du SophonisbeNouvelles nouvelles Temps de préface Dramaturgie de Thomas Corneille Introduction à l'analyse des textes classiques Essai de génétique théâtrale. Corneille à l'œuvre Les Contemporains de Molière, recueil de comédies, rares ou peu connues jouées de 1650 à 1680, avec l'histoire de chaque théâtre, des notes et notices biographiques, bibliographiques et critiques La Comédie à l'âge classique La Tragi-comédie La Comédie avant Molière : 1640-1660 Répertoire bibliographique de traduction et des adaptations françaises du théâtre étranger du XVème siècle à nos jours [117] Le Théâtre professionnel à Paris : 1600-1649 A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century Mémoire de Mahelot Laurent et autres décorateurs de l'Hôtel de Bourgogne et de la Comédie française au XVII*e* siècle Le Langage dramatique The French Stage and Playhouse in the XVIIth Century : a Study in the Advent of the Italian Order Le Théâtre en France au XVI*e* siècle Le Théâtre comique en France de Pathelin à Mélite Les Décors, les costumes et la mise en scène au XVIIème siècle (1615-1680) La Muze historique ou recueil des lettres en vers contenant les nouvelles du temps écrites à son altesse mademoiselle de Longueville, depuis duchesse de Nemours, 1650-1655 La Comedia espagnole en France de Hardy à Racine Le Théâtre et le public à Paris sous Louis XIV, 1659-1715 Répertoire analytique des documents contemporains d'information et de critique concernant le théâtre à Paris sous Louis XIV : 1659-1715 Recueil de trente planches représentant des décors de théâtre du XVII*e* et XVIII*e* siècles. La plupart gravées d'après Francesco Santurini Les Grands comédiens du XVII*e* Scarron, étude biographique et littéraire Histoire du théâtre français au XVII*e* La Mimèsis dans l'esthétique théâtrale du XVIIème siècle Paul Scarron's « Jodelet Duelliste » und seine spanischen Quellen, Erlangen Recueil de 30 planches représentant des décors de théâtre du XVII et XVIII. La plupart gravées d'après Francesco Santurini, par Melchior Küssel. Thomas Corneille, sa vie, son œuvre Le Théâtre français avant la période classique Introduction à la langue française du XVIIème siècle La Dramaturgie classique en France Théâtre du XVII*e* siècle Le Grand dictionnaire des précieuses ZFSL (Zeitschrift für französische Sprache und Litteratur) Le Cardinal de Richelieu : sa famille, son favori Bois-Robert Historiettes Als Dramaticher und Nachhmer des Spanichen Dramas Lire le théâtre Naissance de l'écrivain La Comédie Dictionnaire analytique des œuvres théâtrales françaises du XVII*e* siècle ------- [1] Nous trouverons la liste des pièces écrites par Thomas Corneille n annexe. [2] Cette théorie est présente chez : les frères Parfaict, Reynier, Morillot, Tenner. Voir la bibliographie. [3] Les épîtres de Scarron et de Boisrobert sont en annexe, il faut noter que Scarron est le seul à mentionner les trois pièces. [4] *Historiettes*, volume II, p. 410. [5] Voir le chapitre 3 du livre II. [6] Nous avons relevé cette anecdote chez les Frères Parfaict, *Histoire du théâtre français au XVII*e**, livre VIII, p. 105 ; chez Morillot, *Scarron, étude biographique et littéraire*, p. 295-297 ; et chez Reynier, *Thomas Corneille*, p. 9-10. [7] Thèse de Peters, *Paul Scarron's « Jodelet Duelliste » und seine spanischen Quellen*, p. 36-40 ; Stiefel, *ZFSL*, XVIII, p. 100-101; Tenner, *Boisrobert*, p. 141-143. [8] Lancaster, *A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century*, p. 69-70. [9] Les numéros entre parenthèses indiquent de quelle scène il s'agit. [10] Le résumé de ces trois pièces est présent dans l'annexe. [11] Ce que regrette Martinenche (voir référence note 12). [12] À ce sujet, voir l'étude plus poussée de Martinenche, dans *La Comedia espagnole en France de Hardy à Racine*, p. 359 sq. Nous trouvons sa critique sévère et ne partageons pas son point de vue. Martinenche voit dans la pièce de Corneille une mauvaise tragi-comédie à cause de ces modifications. Nous expliquons notre point de vue dans le sous-chapitre suivant. [13] *Dictionnaire encyclopédique du théâtre*, M. Corvin (voir la bibliographie). [14] Le mémoire de Mahelot fait référence à cette pratique, voir la bibliographie. [15] Voir le paragraphe « la question des genres », dans le chapitre « sources ». [16] Martinenche voit dans les personnages de Corneille une adaptation inachevée, trop proche du modèle espagnole, et surtout considère l'attitude des personnages féminins inhumaine. Voir *La Comedia espagnole en France*, p. 359-361. [17] Lorsque nous ferons référence à ces éditions dorénavant, nous emploierons les abréviations suivantes : **ss N**, pour sans nom, **B** pour Besoigne et **T** pour Trabouillet. Concernant les trois éditions de 1692 sans nom d'éditeur, il existe deux éditions différentes, la première est conservée à l'Arsenal et la seconde (dont il existe deux exemplaires) à la BNF. Toutefois, elles comportent les mêmes différences. Pour cette raison, l'abréviation **ss N** se rapportera donc à ces trois exemplaires. [18]  : est mis pour M, c'est-à-dire « mille », et : est mis pour D, c'est-à-dire « cinq cents ». [19] Les mêmes corrections ont été effectuées pour les textes présents en annexe. [20] Gillone d'Harcourt, veuve de Louis de Brouilli, marquis de Pienne, fille de Jacques d'Harcourt, marquis de Beuvron, et de Léonor Chabot-Jarnac, comtesse de Cosnac, a épousé en 1643 Charles Léon, comte de Fiesque. Elle meurt en 1649. (dictionnaire de Mémori). Dame d'atours de la reine, précieuse déclarée. [21] Le *ez* correspondait au XVII*e* siècle à *és*, de plus, il permet ici une rime visuelle, c'est un procédé fréquent sur lequel nous ne reviendrons pas. [22] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : à l'insçeu. [23] **Vous emporter ainsi dans ce qui l'interesse** : vous mêler ainsi de ce qui le concerne. [24] **Empire** : se dit figurément en Morale, de la domination, du pouvoir qu'on a sur quelque chose (F). [25] **Dompte** : le *p* ne se prononce jamais dans le texte pour permettre la rime, il en va de même pour le mot *prompt* ; la prononciation du *p* n'est pas obligatoire pour ces deux mots encore aujourd'hui. [26] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et1709 : puissiez. [27] **Oyt** : il faut ici faire une synérèse pour obtenir l'alexandrin. [28] Ce sont les « riches presens » de la « Nature » qui apporte l'infamie. [29] **Infortuné, e** : malheureux (F). [30] Éditions de 1661, 1669, 1690 et 1692 **ss N** : Qui m'est la plus contraire. Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Qui me nuit dans le temps que plus elle me flate. Comprendre : qui me nuit plus qu'elle me flate avec le temps qui passe. [31] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Madame, et. [32] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Si ce bruit repandu. [33] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Apprenez-moi. [34] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : aura. [35] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : mon. [36] **Suppléer** : combler un vide (F). [37] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Vostre honneur dans le sien alors interessé ; **intéresser** a le sens de « associer ». [38] **Remettre** : Reposer, tranquilliser, apaiser, calmer. [39] **Voir** est mis ici pour revoir. [40] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : mon respect. [41] **Brisons-là** : se dit absolument, quand on veut interrompre, ou faire taire quelqu'un qui dit des choses désagréables, ou qui peuvent faire naître quelque querelle. [42] **Jour** : se dit aussi d'une lumière, d'une ouverture qui nous vient dans l'esprit, qui nous donne bonne espérance de la réussite d'une affaire (F). [43] **Amour** : on pouvait l'employer indifféremment au masculin comme au féminin au XVII*e* siècle, le genre était souvent déterminé en accord avec les épithètes et les participes passés s'y rapportant pour permettre la rime. [44] **Rien** a ici le sens de *quelque chose*. [45] **Tenir à mépris** : *tenir* : se dit figurément des choses spirituelles et morales (F). Cette expression a le sens de *mépriser*. Nous pouvons observer ici un rejet en fin de vers qui place le complément au centre de la locution. [46] **Il n'espère qu'en trouble** : il ne s'attend à rien d'autre qu'à du chagrin. [47] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : m'en fait voir. [48] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : esprit. [49] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : , sçachant. [50] **Inquiete** : nous pouvons noter ici la diérèse (in/qui/ète). [51] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : quand pour nous. [52] **Mal** : « mal se joint aussi à plusieurs mots » (F), *mal seur* a ici le sens de *incertain*. [53] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : rudes. [54] **Surmonter** : en choses morales, vaincre, avoir l'avantage, surpasser (F). [55] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : pour un. [56] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : C'est en vain avec vous. [57] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : A Madrid, où j'estois alors chez une Tante. [58] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Je menois en repos une vie innocente. [59] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Me laissoient pour aimer. [60] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Lors qu'un jeune Inconnu. [61] **Aimable** : digne d'être aimé, il se dit et des personnes et des choses (A). [62]  **N'estre rien plus** : Cassandre fait référence au **péril** du vers 669 dont le Cavalier l'avait sauvée et dont le lecteur et le spectateur ignore tout. Pensant n'être que reconnaissante, je me rendis compte que j'étais aussi amante. [63] **Humeurs** : les quatre substances liquides ... qu'on croît être causes des divers tempéraments (F). [64] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Ce seroit dans le mien porter un souvenir Que ma triste raison s'efforce d'en bannir. [65] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : il ne dit rien de plus. [66] **Leur gloire s'interesse à garder une sœur** : leur honneur les porte à veiller sur leur sœur. [67] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : un peu de. [68] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : D'un Parent et de luy l'on m'apprend le naufrage. [69] **Accez** : se dit aussi en médecine des retours périodiques de certaines maladies (F). [70] **Je les croy toûjours voir** : je crois toujours voir mes frères arriver. [71] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Aussi bien si le Ciel s'obstine à me poursuivre. [72] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Dans mon lâche. [73] **Si-tost** signifie ici *aussitôt que* (F). [74] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Puisqu'. [75] **Au vray** : d'une manière vraie ... sans rien déguiser, sincèrement (F). [76] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Quelques maux que jamais. [77] **Et que prest de** : et que préparé à (F). [78] **Lors** mis pour dès lors. [79] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Mais que puis-je vous dire, helas ! quand vous pleurez ? [80] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Qui pourroit le penser. [81] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : rejette. [82] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Voicy par où l'obstacle est facile à forcer. [83] L'emploi du verbe *faire* pour éviter la répétition d'un verbe est courant au XVII*e* siècle. Il remplace ici le verbe *empêcher*. [84] **Donnons** : absolument, le verbe donner s'emploie pour commencer le combat, aller à l'assaut (F). [85] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : « J'aurois tort contre vous d'oser avec éclat, / Quand je voy qu'on vous cherche, entreprendre un combat / De peur qu'on vous arreste, allez en diligence / Mettre dans ce peril vos jours en asseurance. » [86] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Je pouvois meriter que nous fussions amis. [87] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Comment ne pas combattre ? [88] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : et revenant à soy. [89] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Comme il estoit. [90] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Après la triste. [91] **Rencontre** : d'après le Furetière, mot féminin, sauf dans l'héraldique où il désigne « des animaux qui se présentent de front », mais peut aussi signifier « conjoncture, occasion » et « quelques uns font *rencontre* masculin en ce dernier sens, mais mal ». Thomas Corneille a probablement utilisé un masculin dans ce sens pour permettre un alexandrin. [92] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Je dois avoir. [93] Éditions de 1709 : dans un tel entretien. **Entretien** : conversation, discours qu'on a avec quelqu'un touchant quelque matière (R). [94] **Soucy** : chagrin, inquietude de l'esprit peut-être à cause qu'il fait devenir jaune (comme la fleur) (F). [95] **User** : se dit aussi en morale, des manieres de vivre, de se comporter avec les autres (F). [96] Éditions suivantes : scène VI. [97] **Deffence** : en terme de guerre, se dit de tout ce qui sert à conserver les soldats et les places (F), il s'agirait de tenir la sortie dégagée. [98] Éditions suivantes : scène VII. [99] **Surmonter** : en choses morales, vaincre, avoir l'avantage, surpasser (F). [100] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Un passage. [101] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Puisque pour s'echaper une porte secrette… [102] Éditions suivantes : scène VIII. [103] Éditions suivantes : scène IX. [104] **Rien** a ici le sens de *quelque chose*. [105] **Partie** : ce mot est à prendre ici au sens judiciaire et signifie que Don Sanche est dans son droit, que son action est légitime. [106] **Mais de tant d'assassins la troupe découverte** : une troupe composée de nombreux assassins était sortie de l'ombre. [107] **Et dans la juste ardeur qui pour vous l'interesse** : et dans la juste ardeur qui l'associe à votre intérêt. [108] **Hazarder** : exposer au hasard, courir le risque. [109] **Prétendre** : aspirer à quelque chose (F). [110] **Et m'enviant des jours** : et désirant me reprendre des jours. [111] **Si-tost** signifie ici « aussitôt que » (F). [112] **D'accord de** : préposition acceptée à l'époque. [113] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Je ne connois que trop quelle offense t'anime. [114] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Un heureux calme enfin doit suivre la tempeste. [115] Éditions de 1692 **T/B**, 1701, 1706 et 1709 : Ainsi me soupçonnez. [116] **Rien** a ici le sens de *quelque chose*. [117] Nous avons pu constater que cet ouvrage comportait une erreur : Madeleine Horn-Monval fait de la version des *Généreux ennemis* de Boisrobert une traduction de la pièce de Rojas, alors qu'il s'agit d'une adaptation.