--- identifier: desfontaines_belisaire creator: Desfontaines, Nicolas ; Georges Forestier. date: 1641 title: Bélisaire. Tragi-comédie --- BELISAIRE TRAGI-COMÉDIE A PARIS, Chez AUGUSTIN COURBE' Imprimeur & Libraire ordinaire de Monseigneur Frere unique de sa Majesté, en la petite Salle du Palais, à la Palme. M. DC. XLI. *AVEC LE PRIVILEGE DU ROY* Édition critique établie par Claire Chaineaux dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (1997) # Belisaire de Desfontaines. Dans la ville de Constantinople, sous le règne de Justinien, Bélisaire et Amalazonthe plaident pour la liberté de Vitigés, roi des Goths. Justinien accepte de lui donner se liberté et fait de Bélisaire son second, un acte qui excite la jalousie de Théodore, qui ordonne à Narsés de tuer le fameux soldat. Sophie, la nièce de l'empereur, s'offre en mariage à Narsés s'il sauve la vie de Bélisaire dont elle est amoureuse. Apprenant qu'Iskirion, un prince danois et amant de Théodore, sera envoyé par celle-ci pour tuer Bélisaire, Narsés et deux autres attaquent Iskirion, mais Bélisaire vient au secours de ce dernier et ne reconnaissant Narsés que trop tard, il le blesse fatalement. Iskirion donne un anneau à son bienfaiteur ; envoyé par Théodore, il va ensuite assassiner Bélisaire mais quand il lève le bras droit, il reconnaît l'anneau et comprend que cet homme est son sauveur et lui demande alors pardon. Non découragée, Théodore envoie Doristel pour tenter le meurtre mais il trouve Bélisaire endormi avec un document militaire à ses côtés dans lequel il donne à Doristel un poste important. Celui-ci se retire après avoir écrit un avertissement et laissé un poignard. Bélisaire se réveille et découvre encore qu'il a bien failli être tué. Alors il expédie une lettre à Sophie dont il a refusé l'amour à cause d'Amalazonthe, où il dit qu'il est prêt à mourir pour lui être désagréable. Cette lettre est utilisée par Théodore qui l'ayant interceptée prétend à l'empereur qu'elle lui était adressée. Comme Justinien a entendu que Bélisaire demandait à quitter son service, il en conclut que le général est amoureux de Théodore et le fait arrêter. Sophie lui rend visite en prison et propose qu'il s'échappe avec ses vêtements, mais Théodore rentre et tente de poignarder Bélisaire, qui est sauvé par Iskirion. De toute façon, Bélisaire refuse de profiter de cet aide et offre à Théodore de se laisser tuer, laissant supposer qu'il a toujours sacrifié son plaisir dans le but de sauver son honneur. Elle est tellement touchée qu'elle le libère et obtient l'accord de Justinien pour son mariage avec Sophie dont le dévouement a gagné Bélisaire. Amalazonthe, ainsi oubliée, se mariera avec Vitigés qu'elle a toujours aimé. Telle est en quelques lignes l'histoire que développe Desfontaines dans sa pièce *Bélisaire* selon les règles de la tragi-comédie, comme nous allons tenter de le montrer tout au long de cette étude. Mais pour commencer, voici un aperçu du contexte de création et de publication de l'œuvre. ## L'auteur. Nous possédons peu d'informations sur la vie de Nicolas Marc Desfontaines tout comme sur la réception de ses pièces et sur ses qualités d'acteur et de dramaturge. Nous savons qu'il commença sa carrière d'auteur vers 1637 avec *Eurymédon*, suivi de quelques autres pièces dont *Les Galantes vertueuses*, imprimée en 1642. Nous pouvons penser que ses talents étaient reconnus par ses contemporains puisqu'il fréquenta la Troupe Royale qui joua *La Vraie suite du Cid* (1638), la troupe de Charles Dufresne, pour qui il créa *Bélisaire* (1641), puis celle de Molière lorsqu'il monta à Paris. D'autre part, pour l'ouverture de l'Illustre Théâtre, le 1er janvier 1644, c'est l'une de ses pièces *Alcidiane ou les quatre rivaux* que l'on représenta. Par la suite, Desfontaines reprit sa vie de comédien ambulant au cours de laquelle il écrivit encore quelques pièces dont *Perside ou la suite d'Ibrahim Bassa* (1644), *L'Illustre comédie ou le Martyre de saint Genest* (1645), *La véritable Semiramis* (1647). Il meurt à Anger en février 1652 [1]. En fait, même si Desfontaines est un auteur oublié aujourd'hui, il était un comédien et dramaturge reconnu au XVIIème siècle. Il savait en effet conquérir son public grâce à son savoir faire en matière de spectaculaire et a ainsi tiré parti du goût de l'époque pour un théâtre du mouvement. ## La réception de la pièce. En ce qui concerne *Bélisaire*, mis à part le fait qu'il a été créé pour la troupe de Charles Dufresne, nous n'avons aucun indice sur sa réception par le public et la critique. Nous pouvons néanmoins faire une hypothèse : il se pourrait que le *Bélisaire* de Desfontaines ait été repris par la troupe de Molière vers 1643 et par concurrence, l'Hôtel de Bourgogne aurait commandé à Rotrou un autre *Bélisaire*. Un élément pourrait conforter cette hypothèse : les deux troupes sont chacune spécialisée dans un genre et la différence fondamentale entre les deux pièces est précisément le genre dramatique puisque le *Bélisaire* de Desfontaines est une tragi-comédie alors que celui de Rotrou est une tragédie. ## Le contexte de création. Le XVIIème siècle est l'âge d'or du théâtre français. C'est surtout à partir de 1628-1630 que le raffermissement politique permet l'installation à Paris de deux troupes permanentes. Le nombre des dramaturges et la production annuelle des pièces s'élèvent. On voit apparaître un public cultivé, affiné par les salons. Les patronages aristocratiques protègent les comédiens, encore excommuniés, contre les attaques de l'Église. En 1630, la France s'inspirait encore étroitement de l'Espagne et de l'Italie. En 1680, son théâtre est répandu dans toute l'Europe. C'est dans ce climat très favorable au théâtre que la tragi-comédie va connaître une vogue inouïe, vers 1631-1642 [2]. La tragi-comédie est un genre neuf, issue de deux traditions qui lui apportent chacune leur caractéristique propre. Tout d'abord, elle tient des Mystères du Moyen Âge l'importance du mouvement : les obstacles que rencontrent les amoureux permettent de rompre la monotonie de l'intrigue, plaisent aux spectateurs qu'ils touchent et frappent par des coups de théâtre et des péripéties. D'autre part, le grand sujet de la tragi-comédie est l'amour, puisé directement dans le genre pastoral. Mais, ce grand théâtre ne réside pas dans la peinture de l'amour ; il doit reposer sur l'intrigue, sur la manière plus ou moins habile par laquelle l'auteur parviendra au but connu d'avance (dénouement heureux pour le héros) et redonnera à chacun son ancien amour ou celui qui lui convient, selon les lois de l'amour et de la société. Outre ces deux éléments capitaux que sont le mouvement et l'intrigue amoureuse, la tragi-comédie cherche à s'adapter au nouveau public composé d'« honnetes gens » et met donc en scène des héros aux valeurs nobles, telles que la générosité, le courage et l'honneur. La générosité est cette grandeur d'âme qui permet d'adoucir la colère, de pardonner et de reconnaître ses erreurs. Le courage, quant à lui, est mis à l'épreuve dans le duel, dont la tragi-comédie est friand. Il vérifie la conduite du gentilhomme : c'est à se battre que songe l'amoureux malheureux pour se valoriser auprès de sa maîtresse et de sa famille à qui il veut plaire et montrer sa vaillance. Le courage et l'honneur sont incontestablement des vertus nobles qui peuvent quelques fois faire pardonner certains défauts comme l'ambition et l'intérêt, ce dont se serviront les dramaturges pour construire leurs intrigues. Ce succès de la tragi-comédie s'explique donc par le fait que ce genre répond à l'attente du public. # Belisaire, une tragi-comedie. ## Les sources et leur utilisation. Comme la plupart de ses contemporains, Desfontaines va trouver sa source dans la comedia espagnole qui commence à prendre beaucoup d'ampleur en Europe. C'est la pièce *El ejemplo major de la desdicha o el capitan Belisario* (1627) de Mira de Mescua qui lui donne non seulement l'idée même du sujet mais aussi la plus grande partie des péripéties. L'auteur espagnol avait lui même puisé son sujet dans les *Anecdotes* de Procope de Césarée, secrétaire de Bélisaire. Ce célèbre Général des armées de Justinien au VIème siècle a renouvelé les exploits d'Alexandre le Grand et de César en portant les armes de Byzance en Orient et en Occident. Mais en littérature, il a été célébré moins par ses triomphes militaires que comme le symbole de l'inconstance de la fortune. Il connut en effet les plus grands honneurs : c'était un modèle de bravoure, de générosité et de dévouement. Il demeura le plus fidèle et le plus loyal sujet de Justinien. Mais il perdit, à plusieurs reprises, les bonnes grâces de l'empereur qui, jaloux de son succès, l'accusa de complot pour le faire passer du commandement suprême de l'armée aux misères de la prison. Mira de Mescua s'est basé sur cet ouvrage de Procope, y a pris les noms et caractères des personnages principaux, idéalisant Bélisaire et utilisant les mésententes entre Antonia, épouse de Bélisaire, et l'impératrice Théodore. Mais il a aussi utilisé la légende de Bélisaire aveugle. Dès le Xème siècle, il courait sur Bélisaire dans le monde byzantin des histoires qui contaient ses misères et comment le général, aveuglé par la cruauté de l'Empereur, avait été réduit à tendre la main comme un mendiant. C'est ainsi que le Bélisaire espagnol meurt sur scène le sang lui coulant par les yeux, innocent malheureux devant la colère de Justinien. Se fiant ainsi au récit de Procope, Mira de Mescua met en relief les infortunes du héros qu'il attribue à la haine de Théodore. De son côté, dans la mesure où il a voulu faire de Bélisaire un héros tragi-comique pour répondre au goût du public, Desfontaines va devoir changer le dénouement et certains éléments. Il puisera chez Procope de nouvelles données par rapport à celles de l'auteur espagnol : au lieu de prendre appui sur la légende, il va rechercher la vérité historique de la remise en grâce de Bélisaire par Justinien lui-même, corrigeant ainsi son erreur et rétablissant l'innocence de son fidèle sujet. Mais en plus de la transformation de la fin mortelle pour le héros en une issue dans laquelle il garde la vie, il faut un dénouement nuptial, simple ou double, conformément à la règle de la tragi-comédie. Desfontaines, afin d'aboutir à une telle fin, va alors rajouter un épisode amoureux entre deux personnages, historiques eux aussi, Amalazonthe et Vitigés. Si dans un premier temps il s'était montré plus fidèle à l'histoire du peuple byzantin en rétablissant la vérité sur la disgrâce de Bélisaire, il va faire lui aussi une entorse à l'histoire en inventant une relation amoureuse entre Amalazonthe et Vitigés. Il était, en effet, admis au XVIIème siècle qu'il fallait combler les « trous de l'histoire » pour adapter le sujet au goût des contemporains. Grâce à ce premier aperçu, nous pouvons repérer les transformations essentielles qu'a apportées Desfontaines. Si le sujet reste profondément le même (Théodore, jalouse de la gloire de Bélisaire veut sa perte et pour cela engage plusieurs personnes pour le tuer), l'issue est totalement renversée : Bélisaire meurt, chez l'auteur espagnol, alors qu'il se marie avec Sophie dans la pièce française. Par ailleurs, l'intrigue amoureuse est très différente entre les deux oeuvres : d'un côté les deux amants s'aiment d'un amour réciproque mis en péril par Théodore, de l'autre Sophie aime Bélisaire mais n'est pas aimée en retour, ce dernier en aimant une autre. Nous allons maintenant comparer, de façon plus systématique, les deux pièces en partant d'*El ejemplo mayor de la desdicha* [3]. ### Première journée. La première scène de l'œuvre espagnole dans laquelle Bélisaire échappe à l'attentat de Léonce déguisé en pèlerin est totalement supprimée. Desfontaines ouvre sa pièce directement sur la scène du trône que l'on trouve aussi chez Mira de Mescua à la scène 2 : Bélisaire rentre victorieux de sa campagne militaire et reçoit les félicitations de son empereur. On trouve en plus, dans la pièce française, la présentation des prisonniers (Amalazonthe et le traitre Vitigés) ainsi que la remise des insignes royaux à Bélisaire comme récompense. Par contre Desfontaines supprime le récit épique que Bélisaire fait sur ses exploits en Afrique. Dès le départ, on peut remarquer le souci de concentrer l'exposition afin de rentrer plus vite dans l'action et de répondre un peu plus aux règles dramaturgiques de l'unité de temps. Il suffit en effet d'une seule scène à Desfontaines pour présenter les différentes relations entre les personnages alors qu'il en faut trois à l'auteur espagnol (scènes 2-3 de l'acte I) : Bélisaire favori de Justinien mais cependant loyal et soumis, la relation amoureuse entre Amalazonthe et Vitigés, l'amour de Sophie pour Bélisaire et enfin la jalousie de Théodore envers le général d'armée. Notons en plus la nécessité pour Desfontaines de déplacer la scène 18 de l'acte II dans sa scène d'exposition afin de donner plus de force à son action, dès le départ. Dans la scène 4, à l'aveu de Théodore sur les raisons de sa jalousie à sa confidente correspond le « faux aveu » de l'impératrice, scène 2 de l'acte I, chez Desfontaines : Théodore se dit jalouse du succès de Bélisaire et le présente comme une menace pour la couronne. Là encore, on remarque l'effet de concentration de deux scènes espagnoles (scène 4 et 7 de l'acte I dans laquelle Théodore demande à Narsés de tuer Bélisaire). Dans la suite du premier acte, la mise en place du péril que représente Théodore pour l'amour de Bélisaire et d'Antonia est totalement différencié d'une pièce à l'autre. Chez Mira de Mescua, Antonia reçoit l'interdiction de parler à l'homme qu'elle aime (I, 5, 10), ce qui crée un malentendu entre les deux amants puisque Bélisaire pense qu'elle ne l'aime plus (I, 6, 8, 11, 14, 15). Chez Desfontaines, le problème est que Sophie est promise à l'homme qui tuera celui qu'elle aime. Dès lors, Sophie va prendre ses initiatives contre Théodore : elle détourne Narsés du projet de Théodore et lui demande son aide pour protéger Bélisaire (3, I). Narsés, une fois seul, balance sur son dessein d'aider Sophie plutôt que Théodore (4, I). Chose totalement inexistante chez Mira de Mescua. Vient ensuite dans la pièce espagnole l'attentat de Narsés contre Bélisaire endormi (12-13, I), attentat qui échoue finalement puisque le soldat voit son nom sur l'avis militaire ; Desfontaines choisit de le déplacer à l'acte IV, mais il conserve néanmoins le cheminement de l'action en trois temps (Bélisaire nomme le chef d'armée puis s'endort, Narsés vient pour accomplir son méfait et se trouve désarmé, Bélisaire se réveille et lit l'avertissement sur le parchemin). Il supprime cependant la rencontre entre Bélisaire et l'empereur avant la tentative d'attentat et fait agir non plus Narsés mais Doristel (Narsés étant mort déjà depuis deux actes). Les scènes 14 et 15 sont inexistantes chez Desfontaines : l'idée d'un nouveau conflit et d'un départ précipité de Bélisaire est supprimée, non seulement par ce même souci de rapidité et de concentration, mais aussi à cause de son inutilité. En effet, l'intérêt de ces deux scènes pour Mira de Mescua est d'accentuer une fois de plus la menace d'une séparation qui pèse sur les deux amants avec un péril de mort supplémentaire pour Bélisaire qu'Antonia interprète comme une marque de non-amour. ### Deuxième journée. Les scènes 1 et 8 dans lesquelles l'empereur réfléchit, seul puis avec Narsés, aux attentats portés contre son favori sont supprimées dans la pièce française : Justinien ignore totalement le danger que court Bélisaire. Desfontaines remplace la première scène par l'isolement de Bélisaire et son monologue en stances dans les bois (scènes 1 et 2) dans lequel il exprime sa rancune contre Vitigés qui est aimé d'Amalazonthe, ce qui renforce la dimension tragi-comique de la pièce par le lieu et la forme du discours. La donnée du guet-apens des scènes 4 à 7 est conservée aux scènes 2 à 4 de l'acte II chez Desfontaines mais les modalités en sont changées. Chez Mira de Mescua, Théodore demande à Filipo d'accomplir le forfait mais la conversation est surprise par Narsés et Léoncio qui décident de gêner Filipo dans sa mission, ce qui nous conduit à la lutte dans les bois. Chez Desfontaines, Narsés est envoyé par Sophie pour empêcher Iskirion de rencontrer Théodore et de recevoir ses ordres. Si ce qui motive le guet-apens est différent, dans les deux cas, Bélisaire vient en aide à la victime de façon imprévue et fait fuire les coupables. Il en résulte une nouvelle amitié entre Bélisaire et l'homme sauvé, Filipo dans un cas et Iskirion dans l'autre, amitié symbolisée par l'échange de l'anneau qui sera utilisé comme signe de reconnaissance par la suite. Une donnée essentielle est ajoutée dans l'œuvre française : la mort de Narsés, tué par Bélisaire qui ne savait pas qui était son adversaire, celui-ci portant un tapabort. Desfontaines met en scène alors la plainte de Bélisaire sur la mort de son ami et ses interrogations concernant les propos mystérieux qu'il a eu le temps de prononcer (scènes 5 et 6, II). La scène 9 n'existe puisqu'il s'agit du retour de Bélisaire à la cour après sa mission entre l'acte I et II et que le Bélisaire de Desfontaines ne part pas. Tout le passage des scènes 2, 10-14 concernant les répétitions de la pièce de *Pyrame et Thisbée* n'existe pas dans la pièce française dans la mesure où la problématique amoureuse n'est pas la même. Chez Mira de Mescua, ces répétitions sont l'occasion pour les deux amants Bélisaire et Antonia de discuter entre eux, sous couvert de leur rôle, sans que Théodore ne les sépare immédiatement. Les affrontements amoureux chez Desfontaines sont répartis à la scène 3 de l'acte III pour Amalazonthe et Bélisaire, à la scène 2 de l'acte IV pour Bélisaire et Sophie et à la scène 1 de l'acte IV pour Amalazonthe et Vitigés. Ce sont de véritables tête-à-tête, sans entraves ni retenues de la part des deux parties. La scène 16 qui correspond à l'attentat de Filipo sur Bélisaire trouve son parallèle chez Desfontaines à la scène 5 de l'acte III avec une préparation dans les deux scènes précédentes qui comprend la demande faite par Théodore et le monologue d'Iskirion dans lequel il se donne du courage en pensant à Sophie qui est la réconpense. Là encore, le déroulement est le même : le malfaiteur s'approche de Bélisaire pour le frapper en plein coeur, mais au dernier moment, il reconnaît l'anneau et l'homme qui lui a sauvé la vie. Ensuite, dans la pièce espagnole, Bélisaire, qui soupçonne Théodore d'être la responsable des différents attentats portés contre lui, feint de parler en rêvant et tente ainsi d'en avertir l'empereur qui discute alors sur scène avec Narsés. Desfontaines supprime complètement cet épisode puisque Bélisaire n'envisage jamais l'implication de Théodore dans les attaques contre lui. Cependant, le dramaturge français conserve l'idée d'une tentative de meurtre par Théodore elle-même mais va la déplacer au dernier acte, uniquement quand toutes les autres personnes engagées auront échoué. ### Troisième journée. Les scènes 1 et 2 sont supprimées : il s'agit d'un dialogue entre Bélisaire et ses soldats sur la possibilité qu'il a eu de se faire roi en Italie, chose qu'il a refusée par loyauté et obéissance envers l'empereur. La scène 2 correspond à l'entrée de l'impératrice qui surprend la conversation et exprime, une fois de plus, la haine qu'elle éprouve devant la vertu de son ennemi et l'amour que les autres lui portent, ce que le dramaturge français a jugé inutile et redondant. Le moment important de la pièce où Théodore tente de séduire le jeune héros avec le jeu du gant et de la bande qu'elle laisse tomber successivement n'existe pas chez Desfontaines. L'impératrice n'apparaît qu'en femme jalouse et accusatrice et perd ainsi son caractère de séductrice-tentatrice. Cette scène est remplacée par un monologue de Théodore (2, V) dans lequel elle confirme son désir profond de vengeance et avoue enfin la véritable raison de sa haine pour Bélisaire : il aurait détourné autrefois ses avances. L'enchaînement des scènes qui suivent est conservé par Desfontaines. Il réutilise l'épisode de la lettre que Bélisaire envoie à Sophie et qui est interceptée par l'impératrice, mais en détournant le message de sa fonction initiale. En effet, dans la pièce espagnole, cette lettre est un message de l'amant à la femme aimée pour réaffirmer son amour pour elle. Par contre, le Bélisaire français se sert de cette lettre pour vérifier si c'est Sophie la responsable de l'attentat de Doristel contre lui, ce qu'il dit à scène 1 de l'acte V, par l'intermédiaire de Diophante. Dès lors, la réaction de la destinataire va changée d'une pièce à l'autre : Antonia n'a pas le temps de la lire et donc ne manifeste rien, contrairement à Sophie qui exprime sa colère devant ce qu'elle considère comme une attaque. L'impératrice voit alors là l'occasion unique de se venger une bonne fois pour toute : elle suggère de façon autoritaire à Sophie de quitter Bélisaire et prévoit d'utiliser la lettre à son avantage (monologue ajouté à la scène 5, acte V). Une fois de plus, Desfontaines va transformer la rencontre entre l'empereur et Théodore : si Mira de Mescua met en scène une impératrice qui feint l'affliction devant la lettre au point qu'elle s'évanouit, l'auteur français donne l'occasion à Théodore d'accuser Bélisaire de façon intelligente et non en jouant les femmes accablées. C'est l'empereur qui se montre accablé par la nouvelle et déçu de son favori. Enfin, les dénouements apparaissent très différents dans la mesure où il faut faire vivre le héros dans la tragi-comédie et même le marier. Le motif de l'arrestation de Bélisaire est tout de même conservé mais réduit de beaucoup par Desfontaines : au développement des scènes 8-12 correspond la scène 6 dans laquelle on a simplement l'ordre de l'arrestation sans aucune défense du héros déchu. Alors que d'un côté nous assistons à la disgrâce tragique de Bélisaire, à son aveuglement et à sa mort, de l'autre nous avons d'avantage de pathétique avec le héros en prison, mais qui va pouvoir en sortir grâce à Sophie, Iskirion et finalement Théodore. En effet, s'il n'y a aucun remords de la part de l'impératrice dans la pièce espagnole et si Bélisaire n'y est innocenté qu'après sa mort par Antonia, le Bélisaire français est reconnu innocent par Théodore qui demande alors à l'empereur de lui donner son pardon et d'accepter l'union de Sophie et Bélisaire et par la même occasion celle de Vitigés et Amalazonthe. De cette comparaison entre les deux pièces ressortent de nombreuses conclusions sur les intentions de Desfontaines. Nous avons noté dès le départ un souci particulier pour la concentration et la rapidité de l'action ; l'auteur a ainsi regroupé plusieurs scènes en une, a supprimé entièrement l'idée d'un nouveau départ de Bélisaire pour l'Afrique, départ effectif entre la première journée et la seconde dans l'oeuvre espagnole. Cela n'est pas sans rapport avec le goût du public français pour la concentration et la rapidité d'action ni avec le courant de règlementation de la dramaturgie en vigueur à cette époque, même pour le genre de la tragi-comédie. L'unité la plus fondamentale est le temps et *Bélisaire* y obéit : malgré l'absence d'indices temporels, l'action peut tenir en 24 heures. On peut même se demander si cette unité n'a pas été un souci particulier pour Desfontaines puisqu'il ne reprend pas l'épisode de la source dans lequel Bélisaire est envoyé en Afrique, entre la première et la deuxième journée. Pour ce qui est du lieu, l'action occupe un espace très fragmenté, allant de la salle du trône jusqu'à l'orée des bois, en passant par la prison et autres salles du palais mais elle est tout de même confinée dans une seule ville et plus précisément au palais et à ses alentours. Enfin, l'unité d'action semble être aussi respectée ; même si l'intrigue principale reste la vengeance de Théodore contre Bélisaire et que l'amour de Bélisaire pour Amalazonthe n'apporte rien à l'action et au contraire à tendance à faire des entorses au caractère des personnages, comme nous le verrons plus tard dans l'étude, le couple Amalazonthe-Vitigés, ajouté par Desfontaines, fait partie de la chaîne amoureuse. Par ailleurs, toujours dans cette perspective de faire une tragi-comédie, Desfontaines a fait une place plus grande à l'amour ne donnant au politique que le statut de toile de fond et de prétexte à la haine de Théodore envers Bélisaire. Le fait que Justinien fasse de Bélisaire son second dès la première scène permet à Théodore de cacher la motivation réelle de sa vengeance entraînant la nécessité pour Desfontaines de déplacer la remise des insignes royaux au début. Dans la suite aussi l'enjeu politique deviendra un outil à l'impératrice pour décider les malfaiteurs de tuer Bélisaire : elle n'aura aucun scrupule à promettre une promotion à qui accomplira le forfait. Cette réduction de la dimension politique se note aussi par la grande réduction des apparitions de l'empereur sur scène par rapport à la pièce espagnole, mais nous y reviendrons plus en détail. L'intrigue amoureuse est donc beaucoup plus développée : un nouveau couple vient bouleverser le triangle initial Théodore-Bélisaire-Antonia, et Sophie devient un véritable enjeu dans l'entreprise de l'impératrice qui donne sa nièce comme salaire du meurtre de Bélisaire. Les relations entre les différents protagonistes se compliquent donc et offrent un véritable schéma de tragi-comédie ; nous aurons l'occasion d'y revenir. Une autre transformation est à noter : celle concernant l'ordre des attentats, différent d'une pièce à l'autre. La première tentative de Léonce déguisé en pèlerin est simplement supprimée. Mais l'enchaînement des deux attentats suivants est inversé : chez Mira de Mescua, on a d'abord Narsés tentant de tuer Bélisaire endormi, puis le guet-apens tendu à Filipo et son échec quand il reconnaît la bague que porte Bélisaire, alors que chez Desfontaines le guet-apens contre Iskirion et son forfait contre Bélisaire qui échoue quand il voit l'anneau viennent avant la tentative de Doristel lorsque Bélisaire dort. Cet inversement s'explique, semble-t-il, par le fait que la mort de Narsés qui survient pendant l'épisode du guet-apens est nécessaire à l'action dans la pièce française. En effet, Narsés est un rival pour Bélisaire puisqu'il aime Sophie et qu'elle s'est offert de l'épouser s'il le protégeait ; en mourant, il rend encore envisageable l'union entre Sophie et Bélisaire et se sauve ainsi, d'une certaine façon, de la colère de Théodore qu'il a trahie en acceptant d'aider Sophie. Par ailleurs, une autre inversion a été faite : dans la pièce espagnole, Filipo commence par recevoir l'ordre de Théodore puis se retrouve piégé par Narsés et Léonce et enfin tente son forfait, alors que dans l'autre, le guet-apens a lieu avant que Théodore ne rencontre Iskirion et qu'elle ne lui demande de tuer le général d'armée. Dans cette dernière pièce, l'ordre de Théodore n'a pas besoin de venir avant puisque Narsés est envoyé par Sophie et qu'il n'a donc pas besoin de surprendre la conversation entre l'impératrice et son mandataire (contrairement à ce qui se passe chez Mira de Mescua). De plus le fait de placer le guet-apens avant alors même qu'Iskirion n'est encore jamais rentré en scène et qu'il est donc inconnu de tous rend la situation plus tendue et laisse l'attention du public en éveil. Si ce remaniement de l'ordre des péripéties est principalement motivé par le goût des spectateurs, un autre changement notable a été fait pour la logique de l'action. On trouve en effet, chez l'auteur espagnol, un enchaînement un peu étrange : l'empereur, qui soupçonne sa femme, la surprend voulant tuer Bélisaire mais quelques scènes plus loin croit aveuglément à ses propos accusateurs contre Bélisaire avec pour preuve une lettre. La réaction de Justinien paraît peu vraisemblable d'autant plus qu'il a une très grande confiance en Bélisaire dont il a fait son second. Desfontaines a choisi alors d'inverser cet ordre : Théodore accuse Bélisaire d'un amour coupable grâce à la lettre, ce qui est rendu encore plus vraisemblable dans la mesure où Bélisaire a annoncé son départ, en en cachant les raisons. La colère de Justinien est donc plus crédible. Et c'est seulement après que vient la tentative de meurtre par l'impératrice elle-même contre Bélisaire, alors en prison, quand elle surprend Sophie et Iskirion auprès du prisonnier pour l'aider à fuire : de rage, elle lève le bras sur son ennemi. Telles sont les principaux remaniements relatifs à l'ordre des différents moments de l'action. Il reste un point important à noter concernant les ajouts de Desfontaines : il s'agit du rôle donné aux personnages engagés par l'impératrice. On peut noter en effet que, à l'exception de Doristel, chacun d'eux après avoir reçu l'ordre de l'attentat, s'interroge sur son dessein selon la problématique honneur-amour, dans un monologue. Contrairement à ce qui se passe dans l'oeuvre espagnole, le texte français fait appel à cette dualité traditionnelle très en vogue à l'époque et particulièrement en Espagne (le Cid n'est alors vieux que de quatre ans) et que l'on retrouve pratiquement dans toutes les tragi-comédies du moment. Desfontaines donne ainsi plus l'occasion à ses protagonistes de faire connaître leurs ressentiments et leur donne un véritable statut de personnages avec une profondeur psychologique qui ne sont alors plus de simples pantins dans les mains de l'impératrice, ce sur quoi nous reviendrons ultérieurement. ## Action et structure. « La tragi-comédie, mettant en péril la vie ou le bonheur des protagonistes, est un genre sérieux, admettant le tragique et le pathétique, mais dont le dénouement est généralement satisfaisant pour les héros. » [4] Telle est la définition que nous donne R. Guichemerre et qui s'applique très bien à *Bélisaire* d'autant plus que le modèle est une tragédie et que la création de Desfontaines tient dans le dénouement heureux. Notons aussi que la part du comique est absente ; le sujet de l'innocence malheureuse et de Bélisaire est indéniablement tragique : l'empereur disgracie son favori et le menace d'une peine plus grande alors même qu'il est innocent de cet amour coupable dont l'accuse l'impératrice. Mais si le sujet est tragique, Desfontaines en a fait une tragi-comédie et c'est là toute la gageure de la transformation, d'autant plus que *Bélisaire* répond très bien à l'esthétique de ce genre du XVIIème siècle du point de vue de l'intrigue et de ses composantes, mais aussi de l'esthétique dite « romanesque ». Tout d'abord, ce qui caractérise la tragi-comédie tout comme la tragédie, c'est que le sujet concerne des personnages de rang élevé : *Bélisaire* a pour protagonistes un grand nombre de rois et de reines, de princes et de princesses, de soldats de haut rang ; seul deux personnages sont de moins bonnes conditions, Diophante, confident de Bélisaire, et Doristel, simple soldat. Cependant, même s'il s'agit de personnages nobles et historiques, la tragi-comédie ne s'intéresse qu'à leurs passions et à leurs problèmes sentimentaux ; en d'autres termes, elle représente des « aventures privées » [5], ce qui la distingue principalement de la tragédie. On comprend pourquoi Desfontaines a réduit la question politique à sa simple expression. Nous somme, en effet, d'un point de vue de la morphologie, en présence d'une tragi-comédie de palais mélangeant le problème politique au thème traditionnel des amours contrariées : Théodore manigance la perte du favori de Justinien pour se venger de ce qu'elle appelle son mépris. Et en même temps, elle fait tout pour séparer les deux amants, Sophie et Bélisaire. L'agencement des événements est également caractéristique : le désir de vengeance engage un complot, qui aboutit au guet-apens et aux différentes tentatives de meurtre qui échouent et ouvrent sur l'emprisonnement puis sur le dénouement. De même, les quiproquos sur l'identité du commanditaire sont présents dans beaucoup de tragi-comédies. Cela vaut aussi pour la relation nécessaire entre obstacle et dénouement : vouloir la mort de Bélisaire n'a de sens que s'il est sauvé *in extremis*, remis en grâce et marié à la nièce de l'empereur. Du point de vue de sa structure, *Bélisaire* est une tragi-comédie tout à fait conforme aux autres pièces de l'époque. Déjà la répartition de 1818 vers sur 36 scènes en cinq actes est courante. Mais c'est surtout au niveau de l'action et de la relation entre les personnages que *Bélisaire* est caractéristique de l'esthétique de ce genre dramatique. L'action est centrée sur le trio Bélisaire-Sophie-Théodore autour desquels gravitent des personnages souvent seuls, excepté le couple Amalazonthe-Vitigés. Cette concentration sur ces trois personnages se retrouve au niveau de la répartition des scènes : le personnage éponyme est sans aucun doute le rôle principal puisque non seulement il occupe le plus souvent l'espace scénique (18 fois) mais aussi le temps de parole (538 vers) ; Théodore apparaît 14 fois contre 12 pour Sophie [6]. Cette répartition reste conforme à la pièce espagnole mais il y a une exception qui concerne l'empereur comme nous en avons parlé dans le début de cette étude : son nombre d'apparitions passe de 20 à 4. Nous reviendrons sur le nouveau rôle de Justinien dans la pièce française. Par ailleurs, en plus de la violence sur scène (multiplication des tentatives de meurtre, un guet apens) les relations entre les personnages sont mouvementées, ce qui transparaît jusque dans le discours. Même s'il n'y a jamais plus de trois personnages par scène (sauf pour les assemblées du début et de la fin) l'intrigue avance et le texte est le lieu de véritables conflits. En effet, le théâtre est, de façon apparemment contradictoire, essentiellement action mais est constitué presque exclusivement de discours : parler devient nécessairement agir. Les discours ne sont point générés par l'éloquence de l'auteur, mais par le besoin qu'a le personnage, dans les circonstances où il se trouve, de dire ce qu'il dit. Desfontaines a ainsi appliqué cette définition « le verbe est action » et a donc multiplié les tête-à-tête entre les personnages amoureux (Bélisaire-Amalazonthe, III, 3 ; Amalazonthe-Vitigés, IV, 1 ; Bélisaire-Sophie, IV, 2 ; Bélisaire-Sophie, V, 9). On rencontre aussi de nombreux monologues dans lesquels chaque personnage expose son état d'âme, le dilemme auquel il est confronté tout en charchant à le résoudre et fait ainsi avancer l'action. Cette forme de discours n'est d'ailleurs pas ici réservée aux personnages principaux : Bélisaire en prononce quatre dont deux en stances, Théodore trois et même Narsés et Iskirion s'interrogent seuls sur scène. D'autre part, il convient de prêter attention à la répartition des scènes. *Bélisaire* se caractérise par une structure répétitive due aux nombreuses tentatives de mettre fin aux jours de Bélisaire. On obtient alors le schéma suivant : * – Théodore demande de tuer Bélisaire : 1/ à Narsés (I, 2), 2/ à Iskirion (III, 1), 3/ à Doristel (IV, 4), 4/ Théodore décide d'agir seule (V, 7), * – le mandataire s'interroge : 1/ monologue de Narsés (I, 4), 2/ monologue d'Iskirion (III, 2), 3/ -, 4/ -, * – puis tente le forfait : 1/ guet-apens contre Iskirion pour protéger Bélisaire (II, 3), 2/ Iskirion vient dans le cabinet de Bélisaire (III, 6), 3/ Doristel s'approche quand Bélisaire dort (IV, 5), 4/ Théodore rentre dans la cellule de Bélisaire (V, 11) * – et échoue à cause de la générosité de ce général : 1/ Narsés se fait tuer car Béliaire prend la défence d'Iskirion (II, 4), 2/ Iskirion reconnaît l'homme qui lui a sauvé la vie (III, 6), 3/ Doristel lit que Bélisaire l'a nommé pour mener la campagne d'Italie (IV, 5), 4/ Théodore finit par reconnaître que Bélisaire, en refusant son amour, l'a servie et lui a rendu son honneur sauf. Sur cet enchaînement répétitif des péripéties, se répartissent les dialogues amoureux qui mettent en place les relations entre les personnages : Bélisaire-Amalazonthe (III, 3), Amalazonthe-Vitigés (IV, 1), Bélisaire-Sophie (IV, 2), Bélisaire-Sophie (V, 10, 11). On a alors deux mouvements un peu paradoxaux : l'un est itératif, l'autre est une progression linéaire qui atteint son point culminant dans la scène 2 de l'acte IV. Ce face à face entre Bélisaire et Sophie est une scène capitale puisqu'elle apporte une preuve de l'impossibilité de voir les deux amants réunis à la fin. Dès lors, on va avoir un Bélisaire réaffirmant son amour pour Amalazonthe et croyant Sophie coupable des tentatives d'assassinat et une Sophie au désespoir qui va faire part à Théodore de sa douleur devant l'accusation de Bélisaire ; grâce à quoi l'impératrice va pouvoir rendre Bélisaire coupable aux yeux de Justinien. On a alors une accélération à l'acte V avec la visite de Sophie en prison, la tentative de Théodore de tuer Bélisaire et enfin son repentir ce qui permet un retournement *in extremis* (ce qui explique aussi l'étalement de l'acte V sur 13 scènes). Si l'on regarde du côté de l'action, on constate que cette tragi-comédie reprend la structure des relations issue du genre pastoral, comme en témoigne la chaîne amoureuse : Théodore est jalouse de Sophie qui aime Bélisaire qui aime Amalazonthe qui aime Vitigés et en est aimée. Toute l'action est déterminée par cette structure : chaîne amoureuse à cinq personnages, jalousie et tentative de tuer le rival (ici Bélisaire), désir de vengeance et impossibilité pour le couple de trouver le bonheur. En plus, d'autres rivaux apparaissent au fur et à mesure, ceux-là même qui sont engagés par Théodore pour se venger et qui sont promis à Sophie s'ils accomplissent leur forfait. On est là dans une structure à opposant unique puisque Théodore s'obstine à vouloir tuer le héros. Cette solitude, renforcée par sa place en bout de chaîne, nous donne l'impression qu'elle est comme un élément extérieur, d'autant plus que c'est d'elle que dépend l'action : elle ne peut supporter que Bélisaire l'ait méprisée et, guidée par l'honneur, elle décide de mettre fin à ses jours. On n'assiste pas au schéma traditionnel qui veut que l'obstacle entre les deux amants soit l'autorité du père : la seule autorité de la pièce est celle de Justinien qui n'agit ici ni en père, ni en rival, ni en amoureux mais en juge (d'où son nombre d'apparitions très réduit et principalement dans des scènes de jugement). Cette construction ne diffère en rien d'une route parcourue et poursuivie au fur et à mesure des étapes franchies. Mais on peut noter aussi que le noyau de la pièce est négatif : c'est le refus de Bélisaire qui guide Théodore dans son dessein, le refus d'Amalazonthe plonge Bélisaire dans le désespoir, le refus de Bélisaire devant l'amour de Sophie la décourage et la déroute à tel point que le héros va la croire responsable d'une tentative de meurtre. C'est ainsi que la chaîne amoureuse ne se résoudra que si le non de Bélisaire pour Sophie devient un oui et si Théodore quitte son triste combat. D'où l'importance du dénouement *in extremis* digne d'une pastorale et de la tragi-comédie puisqu'on assiste au changement d'attitude au dernier moment de l'impératrice qui se repent et à un amour soudain de Bélisaire pour Sophie (V, 10). Dès lors, l'empereur reconnaît l'innocence de son général d'armée et lui permet ainsi d'épouser sa nièce : l'obstacle qu'était Bélisaire entre Amalazonthe et Vitigés est ainsi levé et ils peuvent aussi s'unir selon le voeu de l'empereur. Quant à Iskirion, rival le plus inquiétant au départ pour Sophie et Bélisaire, il fait preuve de générosité et organise l'union des deux amants tout en acceptant de rester seul. Ce n'est pas pour autant que le dénouement reste inachevé : ce personnage choisit cette fin et se met ainsi à leur service. ## Spectacle et mise en scène. Il existe au XVIIe siècle une véritable passion du spectacle : le public veut être étonné, émerveillé par ce qu'il voit. Pour satisfaire cette passion populaire, on écrit de nombreuses pièces dont le succès considérable est dû en partie « au superbe appareil de la scène ». Et même si l'évolution du théâtre va limiter la part de l'élément spectaculaire dans les pièces à partir de 1639-1640 pour tendre vers une action restreinte dans le temps et l'espace avec une concentration de l'intérêt sur la psychologie des personnages, Desfontaines déroge à la règle et donne une très belle place au spectacle. Ce spectacle passe d'abord par le décor. Il existe au XVIIe siècle un système de décoration complexe l'hérité du Moyen Age : le décor médiéval à compartiments, utilisé dans la représentation des Mystères, s'est adapté à la taille des salles de jeu de paume et aux scènes de théâtre comme l'Hôtel de Bourgogne. L'idée de ce décor est un décor multiple représentant, soit par des compartiments, soit par des espaces conventionnels, des lieux en réalité très éloignés les uns des autres. L'utilisation de cette technique ne fait aucun doute pour notre pièce mais nous n'avons aucun témoignage sur ce qu'a été le décor de *Bélisaire*. Nous ne pouvons pas non plus nous aider du registre de l'Hôtel de Bourgogne où a été représenté le *Bélisaire* de Rotrou : Mahelot n'y fait pas allusion, certainement par oubli [7], et si le décorateur Laurent évoque un *Bélisaire*, Lancaster émet quelques soupçons : Il s'agit de cette pièce *Bélisaire* de La Calprenède, non imprimée et louée en juillet 1659 plutôt que des tragédies plus anciennes de Desfontaines et de Rotrou, car le *Bélisaire* du premier, imprimé en 1641, demande un bois et une prison, tandis que le *Bélisaire* du dernier représenté vers 1642, désigne il est vrai, une bague, un poignard, des lettres ... mais aussi des objets dont Laurent ne parle pas. [8] Néanmoins, les lieux de l'action de notre pièce sont typiques de la tragi-comédie et il est facile d'imaginer ce que pouvait être le décor. Desfontaines, par ses didascalies, nous indique qu'il faut un palais, un bois et une prison ; nous pouvons ajouter que la salle du trône doit apparaître pour les scènes judiciaires du début et de la fin et qu'il faut ajouter deux autres pièces du palais : même si le dramaturge ne l'indique pas, l'enchaînement des scènes dans les actes III, IV et V nécessite deux salles et non une seule, pour la logique des entrées et des sorties des acteurs [9]. Ainsi, le décor serait le suivant : au fond, une toile représentant le palais en perspective avec la salle du trône (au milieu pour respecter la symétrie), puis, des deux côtés de la scène, les deux autres salles du palais. La prison serait devant à gauche caractérisée par une grande fenêtre grillée. Devant à droite, on trouverait le bois. Il est important de préciser qu'il était souvent impossible pour l'acteur de rester dans le compartiment où l'action est censée avoir lieu. L'acteur se montrait dans le lieu puis allait au milieu de la scène où l'auditoire pouvait le voir et l'entendre, tout en supposant qu'il était toujours dans le compartiment d'où il était sorti. En plus de la fonction dramatique de la mise en scène qui donne un espace concret au texte, elle apporte une dimension décorative et spectaculaire pour le plaisir des yeux. Le public attend, en effet, que les personnages évoquent une idée de richesse et de noblesse par leurs atours. Nous n'avons aucun indice sur la beauté du décor et des costumes mais nous pouvons imaginer qu'ils devaient correspondre à la grandeur et à la majesté de l'empereur Justinien. Un seul accessoire permet de se faire une idée sur cette richesse : c'est un diamant qu'Iskirion offre à Bélisaire en gage d'amitié. En plus de cette magnificence des accessoires, il y a le spectacle de la pompe royale. J. Scherer [10] insiste sur l'importance de cette notion de « pompe » dans l'esthétique du XVIIème siècle, pompe que l'on obtient au théâtre, selon d'Aubignac, « par le nombre et par le majesté des acteurs, ou par un spectacle magnifique » [11]. C'est ainsi que *Bélisaire* compte deux scènes de cérémonie où l'on retrouve tous les personnages : la première et la dernière de la pièce, deux scènes judiciaires d'une gravité majestueuse que l'on imagine bien jouée dans la salle du trône. Par ailleurs, comme le recommandait Aristote, il faut exciter la terreur et la pitié ce qui n'est pas sans déplaire au sentiment populaire. Ainsi la mise en scène va fournir plusieurs éléments de spectacle pathétique [12]. La prison est assez courante : elle offre souvent l'occasion au héros de se plaindre et permet même, ici, à Bélisaire de se rendre compte de son amour pour Sophie et de la générosité de cette dernière qui est prête à prendre sa place de captif pourvu que l'homme qu'elle aime soit libre (V, 11). Enfin il faut noter l'importance des combats que se livrent les acteurs qui sont là pour matérialiser les conflits. La forme de combat la plus répandue est le duel mais elle est absente de *Bélisaire* ; elle est remplacée par le guet-apens (II, 2). ## Esthétique romanesque. *Bélisaire* répond aux caractéristiques de l'esthétique baroque avec, en plus du spectacle, un élément nécessaire pour toucher le public : le romanesque. Il naît du caractère invraisemblable des thèmes et de leur multiplicité. Bélisaire manque de mourir pas moins de cinq fois et n'hésite pas à se mettre en péril pour sauver des étrangers. D'autre part le repentir de Théodore ainsi que la croyance aveugle de Justinien dans les dires de son épouse sur une trahison de Bélisaire paraissent un peu extrêmes et dignes du roman. Que dire encore du « duel de générosité » entre Amalazonthe et Vitigés (acte I, scène 1), et de celui entre Iskirion et Bélisaire (acte V, scène 11) où chacun accepte de perdre la vie pour sauver l'autre ? N'oublions pas non plus l'offre que fait Sophie à Bélisaire de prendre sa place en prison pour qu'il retrouve la liberté (acte V, scène 10). A ces lieux communs de la littérature romanesque, s'ajoute le déguisement. On ne trouve qu'un seul déguisement dans la pièce, le tapabort de Narsès à la scène 3 de l'acte II, mais qui est tout à fait motivé et nécessaire à l'action. En effet, Bélisaire ne doit pas voir pendant le combat le visage de son adversaire afin qu'il le frappe impunément et garde ainsi sa vertu malgré la blessure mortelle qu'il inflige à son meilleur ami (dont la mort est également nécessaire). Il y a également la référence au travestissement de Sophie et de Bélisaire pour que la première prenne la place en prison et que l'autre sorte sans éveiller les soupçons des gardes. D'autre part, c'est au langage que les dramaturges vont demander de plus en plus de frapper l'imagination et la sensibilité des spectateurs. Dans la tragi-comédie, se met en place une véritable rhétorique passionnelle qui, à travers l'expression des sentiments exaltés des personnages, cherche à toucher et émouvoir le public : ce qui contribue à faire du texte, un discours galant. Cette rhétorique emploie donc un certains nombres de figures de style (métaphore, hyperbole, antithèse) mais aussi les formes d'écriture théâtrale comme le monologue et les stances lyriques. On retrouve alors les métaphores et comparaisons hyperboliques, mises à la mode par la poésie pétrarquiste, pour désigner la femme aimée ou décrire ses beautés. La comparaison de Sophie avec un « Astre divin » revient constamment dans la bouche d'Iskirion : il tente d'attirer l'attention de Bélisaire et de lui redonner espoir ; Voy cét Astre Divin qui doit finir ta peine, Sophie est tousjours belle & jamais inhumaine (10, V). Quant aux métaphores exprimant le mal d'amour - le feu consume, trait qui blesse, lien captif -, les amants les répètent sans cesse. C'est l'occasion d'un jeu subtil entre Bélisaire et Amalazonthe : Belis. ...Amour n'est jamais mieux que dans une prison, Il hayt la liberté, fait mesme qu'on la craigne, Et la chasse d'un coeur aussi tost qu'elle y regne. Amal. Ses plumes nous font voir qu'il sçait bien en partir. Belis. Mais c'est pour y voler, & non pour en sortir, Conservons liy pourtant l'usage de ses aisles, Sortant d'une prison qu'il entre en de plus belles, ... Amour vous nuit icy, qu'Amour vous en retire. (v. 821-830) Théodore se sert aussi de la métaphore pour exprimer la haine et le terrible désir de vengeance que lui inspire la gloire de Bélisaire : Icare audacieux, cette orgueïlleuse pompe Dont le funeste esclat me déplaist & te trompe, Seront de faux ardens dont les traistres appas Attireront ta vie au chemin du trespas. (v. 153-156) L'antithèse permet aussi souvent aux personnages de faire connaître leurs sentiments avec force, soit que partagés entre deux passions contraires, soit que leur joie ou leur douleur contrastent avec la situation dans laquelle ils se trouvent. C'est ainsi que l'impératrice évoque son trouble, avec en plus un effet d'accumulation : Je desteste son nom, je le hay, je l'abhorre, Je le fuis, je le crains, & je l'aime encore, Je sens mon feu s'éteindre, & puis se rallumer, Je ne le puis hayr, je ne le puis aimer, (v. 1482-1485). D'autres figures contribuent à suggérer la violence des passions et le trouble qu'elle engendre. Ainsi les invocations et apostrophes que les héros adressent aux dieux ou forces de la nature. Bélisaire, isolé à l'orée du bois, se tourne vers les arbres qui l'entourent : Lieux charmans, solitude sombre, Séjour du silence & de l'ombre, Beaux arbres que je rends tesmoins de mon tourment, (v. 409-411). Mais dans cette pièce, c'est le dieu Amour qui est le plus souvent invoqué. Narsés lui demande de l'aide dans sa mission pour protéger Bélisaire, mais en même temps est persuadé qu'un tel dieu n se tient que du côté du crime : Et toy Dieu des beautez, & des graces, Amour, Confonds un assasin qui vient en cette Cour, ... Mais ! ô Roy du désordre et du déreglement, Ma voix en ce besoin t'invoque vainement, Tu ris dans les malheurs, tu te plais dans les larmes, A ces tristes effects tu reserves tes armes. (v. 375-382) Parfois lyrisme et rhétorique s'allient afin de plus émouvoir et prennent souvent la forme des stances. Bélisaire s'exprime deux fois en stances dans l'acte II et partage ainsi avec le public sa douleur et sa détresse : dans un cas, il s'agit de sa plainte amoureuse dans la mesure où il a un rival (2, II) et dans l'autre, de son affliction devant la cadavre de son ami qu'il vient de tuer par erreur (5, II). D'autre part, les références à Eros, fort nombreuses, se font souvent sur un mode descriptif comme s'il s'agissait de véritables tableaux, et selon les critères de représentation traditionnelle de cet enfant ailé : Et tu ne portes plus de traits dans ton carquoy, Que pour favoriser des tyrans comme toy, ... Seconde des desseins, allume ton flambeau, (v. 383-387) Tous ces éléments montrent bien le souci du dramaturge de toucher l'imagination des spectateurs aussi bien par la situation sur scène que par le discours font de *Bélisaire* une véritable tragi-comédie. Cependant, elle présente la caractéristique de ne pas comporter d'indices proprement comiques ce qui peut s'expliquer par le fait que la source est une tragédie et que les personnages sont presque tous de haute condition. ## Les personnages. Bélisaire est, comme nous l'avons vu d'après sa présence sur scène et son temps de paroles, le personnage principal et présente le caractère du héros de tragi-comédie : il brille par son courage et par la noblesse de ses sentiments. Comme tout héros tragi-comique, il est amoureux passionné : cet amour est soudain, irrésistible, inspirant une véritable dévotion pour sa maîtresse et un attachement que rien ne peut rompre, même le discours que lui tient Sophie. Il préfère mourir que d'accepter que la femme qu'il aime éprouve des sentiments pour un autre (2, IV). Mais en même temps, Bélisaire est amoureux inconstant : il a un penchant pour Amalazonthe, mais n'est cependant pas indifférent à la beauté de Sophie. Dans le face à face des deux amants, Bélisaire reconnaît qu'elle a beaucoup de charmes (« Et pour ne pas aimer il ne faut pas vous voir », v.1097) mais explique le fait qu'il se détourne d'elle par le respect qu'elle inspire, d'autant plus qu'elle est la nièce de son maître. Ce caractère inconstant va se confirmer dans le dénouement puisque devant la générosité de Sophie, il va très vite oublier Amalazonthe pour s'unir à Sophie. Même si Bélisaire est un héros inconstant, il n'en demeure pas moins digne d'être le favori de Justinien et d'être au rang de héros. C'est un brave guerrier qui multiplie les victoires, grâce à qui l'Empire s'agrandit et qui est capable d'une extraordinaire générosité. Il est, en effet, prêt à mettre sa vie en danger afin de sauver les autres comme en témoigne la façon dont il tire Iskirion du guet-apens dans lequel il est tombé (3, II). En plus de cette grandeur d'âme, Bélisaire est un être vertueux par son sens de la justice, de l'obéissance et de l'honneur. Il est entièrement dévoué à son empereur, soumis à toutes ses décisions au point de ne point chercher à se défendre lorsqu'il est fait prisonnier alors qu'il est innocent. Il accepte aussi difficilement les pouvoirs que Justinien lui offre en récompense de ses exploits militaires ne se sentant pas digne de les recevoir et d'être ainsi l'égal de l'empereur. Par ailleurs, c'est un homme qui agit au nom de la justice au point qu'il n'hésite pas à vouloir se donner la mort en punition du coup mortel qu'il a porté sur Narsés. Bélisaire obéit aussi au code de l'honneur non seulement pour lui mais aussi pour Théodore et Sophie. En effet, il évoque la question de l'honneur afin de justifier auprès de l'impératrice le fait qu'il est répondu négativement à ses avances d'autrefois (« Loin de vous mépriser, combien je vous honnore, / Puis que sans écouter mon amour suborneur, / J'ay perdu mes plaisirs pour sauver vostre honneur : » v.1658-1659). Bélisaire est donc un véritable héros de tragi-comédie, amoureux et même inconstant mais sachant répondre aux vertus nobles dignes des personnages de son rang. Cependant, certains passages font entorse à la bienséance interne. Obéir à la bienséance interne, c'est faire évoluer un personnage conformément à la manière dont il a été introduit ; cela signifie que Bélisaire présenté comme un homme vertueux et soumis doit le rester jusqu'à la fin de la pièce. Or c'est précisément ce qui pose problème, notamment dans ses tête-à-tête amoureux dans lesquels il se montre parfois odieux. Si l'on se réfère à la scène 3 de l'acte III, on peut noter combien Bélisaire est menaçant dans ses propos, voire même tyrannique dans la fin de l'entrevue contrairement au début : « Cét espoir, ma Princesse, entretient vos malheurs, / Cette espine jamais ne produira de fleurs ... / Vous reparez la vostre en mon amour offerte, / Ma premiere victoire est de vous acquerir. » (v. 832-840). Enfin, nous pouvons noter que Bélisaire, héros tragique dans la pièce d'origine, perd cette dimension tragique. Il est tout au plus pathétique, notamment dans la scène de la prison ou lorsqu'il tue son ami Narsés. Nous reviendrons ultérieurement sur cette utilisation du thème tragique de l'innocent persécuté dans une tragi-comédie et les transformations que cela implique. Le personnage féminin de Théodore a aussi un rôle capital dans l'action. C'est elle, comme nous l'avons déjà dit auparavant, qui lance l'action et la conduit jusqu'au bout dans la mesure où nous sommes dans une pièce à opposant unique. Et de façon plus précise, c'est l'honneur qui anime toute la pièce puisque c'est lui qui inspire tous les crimes de l'impératrice : elle ne peut supporter que Bélisaire l'ait méprisée et décide de se venger ; même la grandeur d'âme de sa victime ne parvient pas à la toucher. Elle met sa gloire en sa haine. Ce désir puissant de vengeance se traduit par une détermination et une précipitation particulières. On a alors le sentiment qu'elle agit davantage par instinct. La façon, par exemple, dont elle se confie à Narsés et Sophie, qui finalement ne s'avèrent pas être de véritables confidents puisqu'ils vont s'opposer à ses intentions, dans la scène qui suit immédiatement après, illustre très bien cette détermination. De même, quand elle apprend l'échec d'Iskirion, elle se tourne tout de suite vers Doristel, sans même prendre la peine de s'assurer de sa fiabilité ; elle ne prend d'ailleurs pas le temps de punir Iskirion comme elle l'avait menacé s'il échouait. Théodore est finalement une femme seule : elle n'a ni confidente, ni suivante contrairement à la pièce espagnole dans laquelle Théodore en a trois, et tous ses mandataires échouent par amitié ou reconnaissance envers Bélisaire. D'une certaine façon, elle n'a pas besoin de confident puisqu'elle nous fait connaître ses états d'esprit, seule, dans ses monologues à l'acte cinq. Mais ces monologues apparaissent davantage comme un pur ressort dramatique que comme l'indice d'une profondeur psychologique. En outre, il semblerait que Desfontaines ait choisi de l'isoler ainsi, afin de mettre en valeur le décalage entre cette femme impérieuse et orgueilleuse et le général vertueux et généreux que tout le monde soutient contre elle : la grandeur d'âme de Bélisaire est d'autant plus importante que la colère de Théodore est aveugle et démesurée. Mais il n'en demeure pas moins que l'impératrice est une femme intelligente et qui sait retourner la situation à son avantage. L'épisode de la lettre en est le meilleur témoin : c'est uniquement quand elle apprend par Justinien que Bélisaire quitte la cour et qu'il cache la raison de son départ, qu'elle pense à utiliser la lettre contre lui. Mais aussi intelligente soit-elle, on se demande pourquoi elle attend le dernier acte pour nous dévoiler les véritables enjeux de sa vengeance. L'évolution psychologique du personnage se fait en l'espace de quelques scènes seulement, ce qui semble un peu rapide pour un caractère si déterminé. À cette faiblesse de Desfontaines dans la construction de sa pièce, s'ajoute la même entorse que pour le personnage de Bélisaire. Dans la scène 3 de l'acte IV, Théodore s'adresse à Iskirion sur un ton et d'une manière qui ne correspondent pas à ceux qu'on emploie devant un Prince : « Perfide est-ce donc là l'effect de ta promesse ? / ... Tu medites en vain des excuses frivoles, » (v.1198-1209). Autour de ces deux personnages centraux de la pièce, on trouve aussi l'empereur dont la présence dans la pièce française est très réduite. On ne compte que quatre entrées dans des scènes en majorité politique dont trois dans le dernier acte. Justinien a un rôle avant tout de juge (son nom est déjà porteur de sens). La pièce s'ouvre et se ferme par une scène judiciaire dans lesquelles il prononce un jugement : dans la première il s'agit du sort de Vitigés et Amalazonthe, faits prisonniers par Bélisaire ; à la fin il est question de l'union de Bélisaire et Sophie et de Vitigés et Amalazonthe. Lors de ses deux autres apparitions, son autorité est mise en difficulté. A la scène 6 de l'acte V, Justinien entre seul, même sans garde (symbole de son pouvoir), et paraît très affligé de la décision qu'il a prise au sujet du départ de Bélisaire : il agit désormais plus en tant qu'homme et époux puisqu'il fait intervenir ses sentiments dans ses arrêtés, comme en témoigne l'ordre qu'il donne suite aux révélations de sa femme. De même, dans la scène 12 de l'acte V, l'empereur s'interroge sur le jugement qu'il va prononcer et la punition qu'il va infliger à Bélisaire. Il fait là aussi parler son cœur, ce qui est normalement interdit à un juge comme le symbolise la statue aux yeux bandés de la justice (les juge ne doivent ni connaître ni favoriser personne). Le dilemme dans lequel il est engagé se résout de lui même avec l'arrivée de Théodore et le prisonnier dont elle déclare l'innocence. Desfontaines a ainsi éliminé toutes les autres scènes espagnoles dans lesquelles Justinien prenaient plus part à la vie de ses sujets et tentaient de découvrir la responsable des attentats visant Bélisaire. Dans la pièce française, l'empereur n'est, bizarrement, pas au courant du danger que court son favori... Le deuxième personnage féminin d'importance est celui de Sophie, qui lui aussi a changé par rapport à celui que propose Mira de Mescua. Elle a acquis plus de caractère et d'assurance notamment face à Théodore. En effet, elle n'hésite pas à affirmer ce qu'elle pense des intentions meurtrières de sa rivale, ni à s'opposer à ses projets avec l'aide de Narsés, en protégeant Bélisaire. Elle ose tenir tête et de façon très habile, comme dans le premier acte. La relation Théodore-Sophie n'est plus à sens unique : la jeune fille se montre plus présente. D'autre part, elle va reprendre la charge pathétique de la pièce, chose nouvelle chez Desfontaines. Elle se retrouve être le salaire du combat mené contre celui qu'elle aime. Elle est, dans cette situation, comparable à Chimène, héroïne de Corneille d'autant plus que la rencontre entre Bélisaire et Sophie se calque bien sur le face à face Chimène-Rodrigue. Mais elle n'en demeure pas moins une héroïne tragi-comique lorsqu'elle propose généreusement à Bélisaire de prendre sa place en prison. Les autres rôles sont au départ des rivaux pour Bélisaire dans la mesure où ils incarnent l'obstacle au bonheur de ce dernier. Ils sont avant tout des opposants, des moyens pour Théodore ; mais cela, contrairement à la tendance général, ne signifie pas qu'ils n'ont aucune profondeur psychologique (à l'exception de Doristel). Narsés et Iskirion ont une conscience, un honneur a défendre et un idéal à poursuivre. C'est ainsi qu'on les voit tous deux s'interroger dans un monologue dans les termes du dilemme honneur-amour. D'autre part, ces deux personnages ont une véritable fonction auprès de Bélisaire lors de leur revirement, surtout Iskirion. En effet, c'est lui qui va pousser Sophie à se rendre dans la prison pour le libérer. # Belisaire, l'innocent persécuté. Le personnage de Bélisaire s'inscrit dans la tradition du thème de l'innocent malheureux qui a pour modèle Hippolyte victime des machinations de Phèdre. En effet, au couple Phèdre et Hippolyte se substitue celui de Théodore et Bélisaire. Cependant il existe une différence notable entre les deux : Bélisaire n'est pas le fils de Justinien. Dès lors, si le sujet d'Hippolyte est celui du fils tué par son père, chez Desfontaines il s'agit, davantage du drame de la jalousie féminine, d'autant plus que Bélisaire est finalement sauvé. Rappelons tout d'abord la légende de Phèdre et d'Hippolyte. « Phèdre, fille de Minos et épouse de Thésée, tomba amoureuse de son beau-fils Hippolyte, fils de l'Amazone Antiope, et s'efforça de le convaincre de s'unir à elle. Il se fâcha de cette offre et, saisie de peur, elle retourna l'accusation contre lui et le dénonça à Thésée comme ayant voulu la séduire.Thésée la crut et demanda la mort de son fils à Poseïdon. Tandis qu'Hippolyte s'exerçait à conduire son char, un taureau suscité par le dieu sortit de la mer et effraya les chevaux : il fut renversé, trainé et tué. Phèdre, quand elle vit sa calomnie découverte, se pendit. » [13] Cette légende, dramatisée par de nombreux auteurs, met en scène un père tuant son fils parce qu'il le pense coupable d'un amour adultère avec sa propre femme. Dans la pièce française, l'action est centrée sur les ruses de l'impératrice qui venge le refus de Bélisaire à ses avances passées. Même si Théodore n'est pas la belle-mère du héros, il existe entre le héros et le mari un rapport de subordination, impliquant respect et loyauté de la part du héros puisque Bélisaire est sujet de Justinien et chef de ses armées. En plus de ce rapport de subordination, on constate une soumission de Bélisaire devant son empereur : il approuve les décisions du juge, accepte la mort sans révolte et garde le silence devant l'injustice. Il cherche même à quitter la cour au lieu de défendre son innocence. Nous n'avons aucun face à face entre Bélisaire et Justinien, contrairement à la pièce espagnole, comme si Desfontaines avait voulu accentuer l'attitude soumise du héros afin de toucher davantage le public par le côté injuste et pathétique de l'histoire. Bélisaire attend la mort passivement, même quand Théodore vient pour le tuer en prison il dit : Laisse agir sa fureur, c'est pour moy qu'elle bute, Souffre, cruel amy, qu'elle acheve mon sort, ... Achevez, Theodore, achevez vostre ouvrage, Ce coeur ne tremble point pour un si foible orage (v.1618-1638) Sa position est rendue pathétique dans la mesure où il est cruel de se voir disgracié pour avoir repoussé un amour criminel et d'être déshonoré pour ce motif surtout si l'infamie dont on est accusé est celle qu'on a repoussée. Il existe une autre différence importante par rapport à la légende mais aussi entre les deux *Bélisaire*, différence qui reprend l'évolution littéraire de ce thème. Dès le début du XVIIème siècle, Hippolyte devient amoureux et est désormais un gentilhomme parfait comme le veut une nécessité quasi-institutionnelle dans la littérature européenne du XVIIème siècle où la solitude sentimentale d'un héros masculin est difficilement acceptable. C'est ainsi que le Bélisaire espagnol est amoureux d'Antiona, l'une des confidentes de Théodore, dont il est aimé en retour. Une nouvelle opposition se met en place : la séductrice face à la bien-aimée. Chez Desfontaines, la transformation de Bélisaire est encore plus importante puisque non seulement il aime mais en plus il est inconstant, ce qui fait de lui un personnage de tragi-comédie à part entière. Désormais, Théodore va agir sous l'emprise de la vengeance et de la jalousie : en plus de calomnier le héros, elle s'appliquera aussi à persécuter la rivale. Le grand thème qu'incarne Phèdre est celui de la tentatrice-accusatrice ; Théodore, elle, va réduire cette double logique. Chez Desfontaines, on ne voit jamais l'impératrice faire des avances à Bélisaire et son désir de vengeance ne vient que bien longtemps après le refus de ce dernier. Une des scènes majeures de Mira de Mescua est supprimée dans la pièce française : à l'acte III, Théodore attire Bélisaire et tente de le séduire par le jeu du gant et de la bande qu'elle laisse tomber volontairement ; mais le héros comprend le manège et le déjoue en demandant à Antonia de les ramasser. Cette grande scène de tentation est complètement effacée chez Desfontaines et Théodore n'a alors plus que le rôle de l'accusatrice. En même temps, *Bélisaire* devient le drame de la jalousie féminine dans la pièce espagnole comme dans la française mais avec quelques modifications. Dans la mesure où Bélisaire est amoureux d'une autre femme, Théodore va aussi s'attacher à séparer les deux amants en plus de vouloir tuer Bélisaire. C'est ainsi que dans la tragédie espagnole, Théodore interdit à Antonia d'adresser la parole à Bélisaire, ce dernier croyant alors qu'il n'est plus aimé en retour. Mais ils parviendront à se parler grâce à une répétition de théâtre à l'occasion de l'anniversaire de l'empereur, pièce de *Pyrame et Thisbée* dans laquelle Bélisaire et Sophie ont le rôle des deux amants. Cet épisode est totalement supprimé chez Desfontaines et Sophie parvient à se déjouer de sa tante en engaeant par exemple Narsés contre elle. On perd ici une dimension de la légende de Phèdre et d'Hippolyte dans laquelle nulle place n'était faite à la lutte intérieure ni au remords. Non seulement Théodore s'interroge mais en plus elle éprouve du remords devant son action et retourne alors la situation : elle s'avoue coupable de la supercherie devant l'empereur et la cour et demande pardon, alors que encore chez Mira de Mescua, Théodore disparaît de scène avant la fin et préfère s'exiler plutôt que d'affronter l'innocent devenu malheureux par sa faute. Il faut ajouter que la transformation de Théodore et de son caractère plus inconstant est la condition même du renversement final et de la possibilité de faire de la tragédie espagnole une tragi-comédie. # Établissement du texte. ## Édition. Nous ne possédons pas le manuscrit de *Bélisaire*. Il n'en existe qu'une édition : BELISAIRE. / TRAGI-COMEDIE. / (fleuron) / DEDIE'E / A MONSEIGNEUR LE COMTE / DE BURY. / A PARIS, / Chez AUGUSTIN COURBE' Impri- / meur & Libraire ordinaire de Monseigneur / Frere unique de sa Majesté, en la petite / Salle du Palais, à la Palme. / M. DC. XLI. / *AVEC PRIVILEGE DU ROY*. Petit in -4°. 120 pages. I/ Fleuron gravé par Darat avec la devise « Curvata resurgo » ; II/ Verso blanc ; III-V/ Dédicace à Messire François de Rostaing Chevalier Comte de Bury ; VI/ Sonnet au même ; VII/ Extrait du privilège ; VIII/ Verso blanc ; IX/ Liste des acteurs. P. 1-112, *Belisaire*. Privilège accordé pour sept ans à Courbé le 20 juin 1641 ; achevé d'imprimer le 6 juillet 1641. Il existe d'assez nombreux exemplaires de la même édition dans les collections publiques françaises et étrangères. Les éditions séparées sont : * – à la Bibliothèque Nationale : Yf 575 in 4°, hors d'usage, * – à la Bibliothèque de la Sorbonne : R ra 428 in 8°. * – à la Bibliothèque municipale de Lyon : 36 0741 Les éditions collectives sont : * – à la Bibliothèque de l'Arsenal : 4BL 3490 (2) in 4°,     * – à la Bibliothèque municipale de Rouen : 0. 598 (3) * – à la Bibliothèque du British Museum, Londres : 86.a.l.(5) ## Principes retenus dans la présente édition. Nous avons préféré garder l'orthographe de l'original. Il ne faudra donc pas s'étonner des nombreuses formes d'un même mot : le XVIIème siècle n'avait pas encore une orthographe fixe. Nous avons néanmoins modernisé quelques graphies : décomposition des voyelles nasales surmontées du tilde en voyelle + consonne, les ### en ss, différenciation de i et u de j et v. Nous avons également conserver la ponctuation de l'époque qui n'a pas la même valeur que la nôtre : il n'était par exemple pas rare de trouver une virgule entre le sujet et verbe si celui-ci était au vers suivant. En fait, la ponctuation était plutôt une indication pour la déclamation. Les didascalies sont conformes à celles de l'original, ainsi que le découpage des scènes. Nous avons néanmoins ajouté le numéro des vers pour faciliter la lecture. ## Corrections. Nous avons corrigé quelques erreurs et coquilles qui semblaient être de l'éditeur. En voici la liste : vers 270 faire ou rage / 274 l'audace n'offence / 309 qu'elle est / 339 prevenir / 427 s'en est fait / 452 où / 567 Enyurez / 966 lâches / 1001 qui ... mon / 1020 le sang / 1282 nostre / 1228 baniray / 1255 En son rang / 1279 & la place / 1383 à présent / 1416 & ici / 1531 Arrestez-le / 1693 autre Estat / 1699 calmans / Rubrique de la scène 8, de l'acte V : SCENE VII / même scène : SOPHIE / rubrique de la scène 10, de l'acte V : ISKIRION / didascalie scène 10, V: les fers à Belis. / didascalie scène 11, V : A Iskir. Nous avons également modifié certains signes de ponctuation dans le texte pour une meilleure compréhension ; en voici la liste, avant correction : vers 173 commandement puissant / 427 fait quitte / 448 veu posseder / 843 a ravy sa presence, / 1228 mon sort. / 1273 sommeil je luy / 1328 Prince infortuné, / 1333 si belle main, / 1383 vos yeux, à présent / 1417 ton supplice, / 1440 le perdant. / 1483 desseins differents. / 1535 expresse defense. / 1699 les flots calmans / 1747 meritoient. # BELISAIRE TRAGI-COMEDIE DEDIE'E A MONSEIGNEUR LE COMTE DE BURY. ## A HAULT ET PUISSANT SEIGNEUR MESSIRE FRANCOIS DE ROSTAING CHEVALIER COMTE DE BURY. MONSEIGNEUR, Voici le plus jeune, mais le moins defectueux de mes enfants qui vient se jetter entre vos bras, par le dessein qu'il a de se donner tout à vous, & témoigner à votre grandeur la sincérité de son zele, & la pureté de mon affection. Son aisné [14] a receu de votre bonté un traitement si favorable, que son Cadet ne pouvait sans ingratitude embrasser en sa naissance un autre autel que celuy de vostre merite. Souffrez donc que l'un & l'autre joignent ensemble leurs reconnoissances, & que cette égale inclination qui les porte à vous honnorer soit également heureuse auprez de vous. Si le premier dans la vie du Cid vous a fait voir un tableau de vostre valeur ; le second par celle de Belisaire vous mettra devant les yeux l'image de vôtre vertu, & vous verrez dans tous les deux un illustre portraict de vous-mesmes. Il reste pour prix de vostre courage que vous receviez un jour des mains de nos Roys ce que tous deux ont reçeu de celles de leurs Monarques. Ce sont les voeux, Monseigneur, & du pere & des enfants, qui appuyez de l'honneur de vostre protection se tiendront trop heureux d'estre au nombre de vos creatures, & moytres-glorieux de porter toute ma vie la qualité, MONSEIGNEUR, de     Vostres tres-humble, tres-obeïssant & tres-affectionné serviteur,         DES-FONTAINES. ## AU MESME Sonnet. Illustre & cher object qu'adore ma pensée, Mes vers pour vous loüer ont trop peu d'ornemens. Et je crains qu'en faisant de foibles complimens, Vostre rare vertu ne soit interessée. Vostre gloire ne peut estre plus rabaissée, Qu'alors que le commun en a des sentimens, Il y faut employer les plus beaux mouvemens, D'une ame que le Ciel ait tousjours caressée. C'est poutant un devoir dont je veux m'acquiter, Et faire quelque jour hautement éclater Les nobles qualitez que le Ciel vous partage. Mais les siecles passez me rendent envieux, Car pour nous enseigner comme il faut faire hommage Des hommes comme vous ils en faisoient des Dieux. ## Extraict du Privilège du Roy. PAR grace & Privilege du Roy, il est permis à AUGUSTIN COURBE', Libraire, de faire imprimer un Livre intitulé, *Bélisaire, Tragi-Comedie, Par le Sieur* DES-FONTAINES. Et deffences sont faites à toutes personnes, de quelque qualité ou condition qu'elles soient, de l'imprimer, ou de le faire imprimer, vendre, ni distribuer, sans le consentement dudit COURBE', & ce durant le temps de sept ans, sur les peines portées par ledit Privilege. DONNE' à Paris, le vingtiesme jour de Juin mil six cens quarante-un. Signé LEMOINE.< Achevé d’imprimer pour la premiere fois, le 6 Juillet mil six cens quarant-un. > ## LES ACTEURS. – JUSTINIANEmpereur de Constantinople. – VITIGEZRoy des Goths. – ISKIRIONPrince Danois. – BELISAIREGeneral d'Armée sous Justinian. – NARSE'SSon lieutenant. – PYRANDRECapitaine des Gardes. – DORISTELSoldat. – DIOPHANTESuivant de Belisaire. – THEODOREImperatrice femme de Justinian. – SOPHIENiepce de Justinian. – AMALAZONTHEPrincesse de Saxe. La scene est à Constantinople. ## ACTE PREMIER. ### SCENE PREMIERE. JUSTINIAN, THEODORE, SOPHIE, AMALAZONTHE, BELISAIRE, NARSE'S, VITIGE'S, DIOPHANTE, & Deux Gardes. JUSTINIAN [15]. Levez-vous. AMALAZONTHE.         Ah ! Seigneur vous estes trop Auguste⁎, Devant mon Empereur ce respect est bien juste, J'ay perdu mes Estats, mon rang l'est avec eux, Et cét abaissement sied bien aux malheureux. JUSTINIAN. Non, je n'écoute rien en l'estat où vous estes, Levez-vous. AMALAZONTHE.         J'obeïs aux loix que vous me faites, Et le commandement de vostre Majesté Sert de juste pretexte à ma temerité. Seigneur, quoy que le sort, nos malheurs & Bellonne [16], Pour nous mettre à vos pieds nous arrachent d'un trône L'espoir d'y remonter encore qu'il soit doux, N'est pas ce qui me fait embrasser vos genoux, Je voy sans desplaisir le cours de vos conquestes, Vous pouvez tout prétendre estant ce que vous estes, Et malgré leur orgueil les plus superbes⁎ Roys, Pourront sans deshonneur se sous-mettre à vos loix : Je ne demande pas que vos mains liberales⁎ Me rendent mes grandeurs, ny ces pompes⁎ Royales, Qui plaisoient cy-devant à mon ambition, Mon coeur n'est plus atteint de cette passion, Un plus noble desir aujourd'huy le possede, Il sera satisfait pourveu qu'il me succede⁎, Et son heureux effet est le bien le plus doux, Et toute la faveur que j'espere de vous. Donc par cette bonté qui vous rend adorable, Si mon sexe ou mon sang vous est considerable⁎, Je conjure à present le plus grand des humains, Que ces fers que je vois en de si nobles mains Passent d'un Innocent en une Criminelle, Ce prince a combattu, mais je suis la rebelle, Qui seule par l'effort de mes traistres appas⁎, Ay fait impudemment revolter ses Estats, Ouy Seigneur, il m'aimoit, & ce brave courage Eust creü me faire tort s'il vous eust fait hommage, J'avois sur son esprit un absolu pouvoir, Et son amour enfin a trahy son devoir [17]. Ne me refusez point, puis qu'icy ma priere [18] Donne à vostre clemence une illustre matiere, Et que pour l'asseurer de sa fidelité, Je m'offre pour ostage à vostre Majesté. Mais si vostre courroux demande une victime, J'y consens ; punissez son amour, & mon crime, Au lieu de mon Amant me faisant arrester, Vous ostez le sujet qui l'a fait revolter ; Il sera trop puny si je luy suis ravie, Ostez luy sa Maistresse, & laissez luy la vie, Conservez par ma mort un homme de son rang [19], Et s'il faut sa rançon, payez vous de mon sang. JUSTINIAN. Ne vous affligez pas belle & charmante Reine, Cette rigueur pour vous seroit trop inhumaine, je croirois faillir, si j'avois accepté Une offre si contraire aux Loix de ma bonté, Quel que soit mon bon-heur, j'y veux joindre la gloire, D'avoir sçeu noblement user de ma victoire, Je ne veux point passer pour insolent vainqueur, Je redonne les biens pour acquerir le coeur, Et le Ciel m'est témoin que je ne fais la guerre, Que pour mieux establir le repos sur la terre : Quand j'abaisse quelqu'un je le fais justement [20] ; Et quand je puis punir, je pardonne aysément. AMALAZONTHE. Gloire de l'Orient, & l'honneur des Monarques, En qui l'on voit des Dieux tant d'immortelles marques, Quelque ressentiment que je vous fasse voir, Je ne m'afflige point d'estre en vostre pouvoir, Et ce malheur en moy si doucement s'efface, Que je crains de pecher en l'appellant disgrace, Puisque tant de vertus qui reluisent en vous, Font mesme qu'à present mon sort me semble doux. Mais Seigneur, si jamais vos bontez adorables⁎, Vous ont rendu facile⁎ envers des miserables, Si jamais les regrets, les sanglots, & les pleurs, Vous ont fait compatir à leurs vives douleurs ; Delivrez Vitigez, accordez luy sa grace Par ces mains que j'adore, & ces pieds que j'embrasse, Je sçay que vous pouvez user de la rigueur, Que peut impunément exercer un vainqueur, Mais monstrez nous plutôt qu'en ce siecle où nous sommes, Les Dieux daignent encor se déguiser en hommes [21] ; Et qu'ayant quelques fois la foudre dans les mains Ils ont compassion des larmes des humains. VITIGES. Ce propos genereux⁎ divine Amalazonthe, Veut faire voir icy vôtre gloire & ma honte, Mais je ne suis pas lâche au point que de souffrir⁎, Que vous donniez le prix que vous venez d'offrir : Plutôt que m'ordonner que je vous abandonne, Qu'on m'ôte mes Estats, mon Spectre et ma Couronne, Je beniray mon sort, mes fers me seront doux, S'ils me laissent l'honneur de vivre auprés de vous. Madame, les prisons sont des champs Elizées [22], Quand vos divins regards les ont favorisées, Au lieu que les palais où vos yeux ne sont pas, Ne sont que des enfers où regne le trépas. Que le Ciel vous soit donc cruel ou favorable, Mon sort de vos destins doit estre inseparable, Mes jours avecque vous me seront precieux, Et sans vous je renonce à la clarté des Cieux, Mais helas ! mes desirs ne sont pas legitimes, Vos celestes beautez n'ont point part à mes crimes ; Et la mesme équité [23] me devroit enseigner Comme je dois souffrir⁎ que vous devez regner, [24] Regnez, separez-vous du mal-heur de mes armes, Mon amour quoy que grand est fatal à vos charmes, Et c'est pour reparer un si sensible tort, Que j'implore à genoux vostre grace & ma mort [25]. AMALAZONTHE. Seigneur. VITIGES.     Amalazonthe. THEODORE.         Amour incomparable. SOPHIE. Amant infortuné⁎. NARSES.         Mais amant adorable, Car c'est heureusement [26] perdre sa liberté, Que d'estre compagnon de ta captivité, BELISAIRE. Je plaindrois vostre sort illustre Amalazonthe, Si vous ne voyez [27] pas celuy qui vous surmonte, Et mes yeux ne verroient mon bras qu'avec horreur, S'il vous avoit soubs mise à quelque autre [28] Empereur ; Mais vous ne devez point envier ma victoire, Puis qu'elle n'oste rien au prix de vostre gloire, Vous donnant pour vainqueur un Prince genereux⁎, Qui détruit les malheurs, & qui fait les heureux. JUSTINIAN. Ouy Princesse esperez, donnez tréve à vos plaintes, Ma clemence aujourd'huy dissipera vos craintes, Et vous témoignera par ma facilité⁎, Combien je suis modeste en ma prosperité, Vivez Amalazonthe ; & vous Prince rebelle, Aussi fidelle Amant que Vassal infidelle, Apprenez par l'effet que je vay faire voir, Qu'il est advantageux d'estre sous mon pouvoir. Qu'on détache ses fers. VITIGES.         Ah ! Seigneur mon offence Les a trop meritez ; mais par cette clemence, Vous voulez témoigner que vostre Majesté Sçait comme par le fer vaincre par sa bonté, Ainsi vous triomphez doublement d'un rebelle, Cette chaine qu'on m'oste en fait une nouvelle, Qui s'offrant à mes sens avec moins de rigueur, Semble passer icy de mes mains à mon coeur [29] ; Ouy Seigneur desormais je sçauray reconnoistre, Estant mon Empereur, que vous estes mon maistre, Que je dois relever d'un si juste pouvoir, Et par vostre vertu j'apprendray mon devoir. JUSTINIAN *à Belisaire*. Rare honneur de ma Cour, appuy de mon Empire Que j'honnore, qu'on craint ; mais que chacun admire, Belisaire en un mot, tes belles actions, Qui me rendent vainqueur de tant de nations, Me semblent demander l'illustre recompence, Que mon affection prepare à ta vaillance, Il est juste, & je veux ayant bien combatu [30], Que ma reconnoissance égale ta vertu⁎, Approche, et de ma main prends ces augustes⁎ marques [31], Dont l'êclat te releve au dessus des Monarques, Avecque ce pouvoir tes ordres Souverains Regiront dessous moy l'Empire des humains ; Je veux que mes sujets respectent ta puissance, Qu'à tes commandemens on preste obeyssance, Et que tous les Guerriers qui combattent pour moy Dans leurs plus beaux desseins n'agissent que par toy. THEODORE *à part*. Icare audacieux, cette orgueïlleuse pompe Dont le funeste esclat me déplaist & te trompe, Seront de faux ardens dont les traistres appas⁎ Attireront ta vie au chemin du trespas [32]. BELISAIRE. Quelques nobles effects qu'ait produit ma victoire, Seigneur, je treuve assez de salaire⁎ en ma gloire, Sans que vous adjoutiez à ce rare bon-heur Ces tiltres absolus ny ce supreme honneur Qui loing de m'obliger exposeront ma vie Aux atteintes des traits⁎ que décochent l'envie : Pour ces hautes faveurs prenez d'autres objets, Permettez que je vive au rang de vos sujets, Et par le seul honneur, de franc, & de fidelle Souffrez⁎ que je vous montre & mon coeur⁎ & mon zele, Les effets⁎ en ce point vous feront accorder Que je sçais obeïr bien mieux que commander. JUSTINIAN. Icy ma volonté s'accorde à ta demande, Fay donc & l'un & l'autre, obeys & commande Dans le premier effect sur les loix du devoir, Et dedans le second celles de ton pouvoir. SOPHIE. Heureux commandement, puissant démon des armes, Acheve, ayde à l'amour, & seconde ses charmes, Conserve Belissaire au point où je le voy, Et fay que quelque jour [33] il soit digne de moy [34]. ### SCENE II. THEODORE, SOPHIE, NARSES THEODORE [35]. Hé bien chers confidens des secrets de mon ame, Dans mes ressentimens merite-je du blasme ? Et n'ay-je pas raison de hayr un ingrat, Qui par son arrogance attente sur l'Estat ? Vous voyez toutesfois que l'Empereur adore Ce que si justement je deteste & j'abhorre, Qu'il me rend le mespris de mes propres subjects Qu'un insolent me brave & rit de mes projects, Et quoy que je m'oppose au dessein qu'il conspire Qu'il ne luy faut qu'un pas pour monter à l'Empire [36]. O honte, ô desespoir ! quoy son ambition Sera donc triomphante à ma confusion ? Non, il faut qu'au besoin ma vertu se reveille, Que j'arme contre luy ma fureur qui sommeille, Et que du trosne auguste⁎ où l'ingrat veut monter, Je luy fasse un ecueil pour le precipiter Qu'il meure [37]. SOPHIE.     Justes Dieux THEODORE.         Narsés veux-tu me plaire ? Depeche de ce pas, va tuer Belissaire, A ce coeur⁎ insolent que ton bras soit fatal, M'ostant un ennemy, deffaits-toy d'un rival, Dont la haute faveur à tous deux importune, Estouffe ma grandeur & nuit à ta fortune [38], Employe à cet effet le fer ou le poison ; N'importe & ne crains rien pour cette trahison, Si tu rends par sa mort ma vangeance assouvie, Je sçauray bien sauver ton honneur, & ta vie : Va, NARSES.     Madame, THEODORE.         Va, dis-je, & sans plus discourir, Ou si tu ne le fais resous-toy de mourir. Non, arreste, ma hayne a trop de violence Pour ce coup important, il faut plus de prudence, Ne precipitons rien, escoute : tu connois Ce Guerrier redoutable entre tous les Danois. Ce brave Isquirion qui jadis dans son ame Conceut en ma faveur une si vive flame, Je l'attens, & je croy qu'il arrive aujourd'huy, Il est entreprenant, je peux beaucoup sur luy, Et si quelque raison rend son ame incertaine, Son amour le rendra partizan de ma hayne ; C'est de luy que je veux un coup si glorieux, Il prestera sa main, guide la de tes yeux, Belissaire est l'object, vostre appuy, ma puissance ; L'un aura ma faveur, l'autre mon alliance [39], Et vous sçaurez tous deux aprés ce noble effet Comme je sçais en fin m'acquiter d'un bien-fait. NARSES *bas*. Il est vray, ce dessein le fait assez paroistre : Mais je seray plutost ton ennemy que traistre. THEODORE. Ma niepce, c'est icy que vous me ferez voir Si le sang m'a sur vous donné quelque pouvoir [40]. Comme à moy desormais cette affaire vous touche, Il est temps de m'ouvrir & le coeur & la bouche, Afin de tesmoigner qu'ainsi qu'à mes secrets Vous prenez quelque part en tous mes interests, Vous devez occuper le rang de vos ancestres : Mais si vous n'estouffez l'insolence des traistres, La couronne est un droit qu'on viendra vous ravir [41], Et bien loing de regner on vous verra servir. Voulez-vous empescher ce coup qui vous menace, Employez vos beautez, employez vostre grace, Et par tous ces attraits acquerez vous de loing Un bras dont la valeur vous defende au besoing⁎ ; Le Prince que j'attens est vaillant & fidelle, Jeune, noble, charmant, la conqueste en est belle, Et puis l'occasion vous montre ses cheveux [42] : Mais si vous desirez de respondre à ses voeux, Il faut qu'Isquirion pour illustre doüaire⁎, Vous donne auparavant le sang de Belissaire ; C'est par ce beau present qu'il vous doit meriter, Et vostre ambition se doit bien contenter ; Car par ce riche don que vous devez eslire, Un Hymen⁎ si charmant vous asseure l'Empire. SOPHIE. Quand le sang, & le soing que vous avez de moy Ne m'obligeroient pas à ce que je vous doy, Mon inclination seroit assez puissante Pour rendre à vos desirs mon ame obeïssante : Mais quoy qu'un bel espoir flatte vostre projet, Voyez bien quelle teste en doit estre l'objet, Quel que soit nostre mal le remede est bien pire, Et son funeste effet nous coustera l'Empire [43]. Madame excusez moy si j'ay ce sentiment, Je croyrois vous trahir de parler autrement, Et quoy que mes advis soient peu considerables⁎, Peut-estre pourrez vous les treuver raisonnables, Si vous considerez qu'en cette occasion Mon coeur est depouïllé de toute passion [44]. Vous craignez, dites vous, que ce grand Belissaire Dont la haute valeur se rend si necessaire, N'envahisse à la fin cet Estat florissant, Où mon Oncle à vos yeux l'a rendu trop puissant ; Et c'est pour cet effet que vous avez envie De terminer le cours d'une si belle vie : Bien, suivez vos desseins ; mais à mon jugement Vous prenez pour le perdre un mauvais fondement : Car qui croira jamais qu'un si noble courage N'agissant que pour vous, puisse vous faire outrage ; Puisqu'au lieu de ravir ce qui vous appartient C'est luy qui vous defend, c'est luy qui vous maintient. THEODORE. Donc, à ce que je voy, vous prenez la defence D'un suject orgueilleux dont l'audace m'offence ? Et de ses faux appas⁎ l'esclat fallacieux Comme à Justinian vous a sillé les yeux ? Bien, bien, que vos vertus laschement estouffées A cét audacieux soient d'illustres trophées, Comme de l'Orient qu'il soit vostre vainqueur Il ne regnera pas tant que j'auray ce coeur, Quoy que le Prince & vous contre moy puissiez faire, Je le rendray bien-tost peu capable me plaire, Et le seul partizan de mon juste couroux Sera dans peu de temps son maistre et vostre espoux. SOPHIE. Si cet Isquirion dont vous vantez les charmes Est comme je le crois si redoutable aux armes Qu'il vienne en cette Cour ouverte à la vertu, Montrer les qualitez dont il est revestu : Qu'il vienne signaler sa force, & son adresse, Repousser les efforts du Persan qui nous presse, Abattre son orgueil, nous remettre en nos droits, Et marcher noblement sur la teste des Roys, Si ce Prince en un mot a dessein de me plaire, Qu'il vienne faire icy ce qu'a fait Belissaire, Et non pas demander par une lascheté Un party de mon rang & de ma qualité [45]. THEODORE. Vous y pourrez songer, Narsés approche, escoute, Sophie est un esprit qu'il faut que je redoute, Ne l'abandonne pas, observe ses desseins, Tasche de luy donner des mouvemens⁎ plus sains : Mais prends garde sur tout qu'une indiscrete⁎ flame Ne luy fasse éventer le complot que je trame, Je t'en laisse le soing. Elle sort. NARSE’S.         Reposez-vous sur moy. ### SCENE III. SOPHIE, NARSES SOPHIE [46]. Hé bien, Narsés, enfin puis-je m'ouvrir à toy [47] ? je te croirois faire un trop sensible outrage Si je me deffiois de ton noble courage, Veu que de quelque espoir dont tu sois combatu [48], Je sçais qu'on ne sçauroit corrompre ta vertu. Apprends donc aujourd'huy quelle est mon adventure⁎, Le sang combat l'amour, & l'amour la nature [49] : Mais comme tu peux voir en ce triste duel, L'amour est innocent, & le sang criminel : Ouy, Narsés, ce Danois qu'attend l'Imperatrice, Et dont elle pretend te rendre le complice, Soubs pretexte d'offrir un azile à mon sort, Vient signer avec elle & ma perte, & ma mort : Mais avant que je sois l'injuste recompence De leur assassinat, & de leur violence, J'arracheray mon coeur, & mon sang respandu Coulera sur celuy qu'un Prince aura perdu [50]. NARSE’S. Il n'est pas necessaire, adorable Sophie, Qu'icy mon innocence en vain se justifie, Puisque vous avez leu clairement dans mes yeux, Combien ces procedez me semblent odieux : Aussi certes je tiens vos refus legitimes, La vertu ne doit point s'acquerir par des crimes, Et vous avez raison de fuyr un amant, Que par un homicide on veut rendre charmant : Peut-estre que l'amour qu'on croit en Belissaire Le fait en cette Cour passer pour temeraire, Mais tant de qualitez qui le font admirer Luy doivent pour le moins permettre d'esperer. SOPHIE. Je suis ce sentiment que la vertu te donne, J'aime ses qualitez bien plus que sa personne, Et voyant que tu tiens de ses perfections Tu partages des-ja mes inclinations : C'est par ces beaux degrez que l'on monte à la gloire, Qu'on gaigne sur les coeurs une illustre victoire, Et qu'on peut parvenir à ce superbe⁎ rang, Qui supplée aux deffaux & du corps & du sang : Theodore pretend que je sois le salaire⁎, De qui luy portera le coeur de Belisaire, Et moy pour m'opposer à ce lasche courroux, De son liberateur je feray mon espoux [51]. NARSE’S. L'espoir de posseder un si grand advantage Doit aux moins genereux⁎ inspirer du courage, Et si par ce moyen l'on vous peut acquerir, Il n'est point de mortel qui ne se vienne offrir, Mais je n'ay pas dessein, Princesse genereuse⁎, D'imposer à vos voeux cette loy rigoureuse, Quelque succez que j'aye en cette occasion Vous suivrez librement vostre inclination, Je seray glorieux si j'ay l'heur⁎ de vous plaire, Sinon vous donnerez vos voeux à Belisaire [52], M'estimant trop heureux si par un prompt secours Je puis contribuer au bien de vos amours. SOPHIE. Va, suy ce mouvement⁎ que la gloire t'inspire Sauve, brave Narsés Belisaire & l'Empire, Fay par un noble coup qu'il te doive le jour, L'Empire, son salut, & mon coeur son amour, Je me promets de toy cét agreable office⁎. NARSES. Madame asseurez-vous de mon humble service, Et dans quelque danger qu'il me faille courir, Vous m'y verrez bien-tost satisfaire, ou perir. SOPHIE. Va Narsés, mais sur tout en ce pressant orage, Que ta discretion assiste ton courage, Et souffre⁎ si tu veux m'obliger tout à fait, Que mesme Belisaire ignore ce bien fait [53]. ### SCENE IV. NARSE’S [54]. Confus, triste, pensif, je ne sçay que resoudre⁎ Ayant ouy gronder l'espouvantable foudre, Qui menace aujourd'huy l'objet le plus parfait, Et le plus innocent que la nature ait fait : Empeschez immortels le cours de ce desastre, Armez vôtre courroux en faveur de cét astre, Et toy Dieu des beautez, & des graces, Amour, Confonds⁎ un assassin qui vient en cette Cour, S'opposer à tes loix, te combatre & destruire, Les plus beaux ornemens qui soient en ton Empire : Mais ! ô Roy du desordre & du déreglement, Ma voix en ce besoin t'invocque vainement, Tu ris dans les malheurs, tu te plais dans les larmes, A ces tristes effets tu reserves tes armes. Et tu ne porte plus de traits⁎ dans ton carquoy, Que pour favoriser des tyrans comme toy, Prepares les cruels, & les mets en usage, Theodore t'appelle au secours de sa rage, Seconde ses desseins, allume ton flambeau, Elle s'en veut servir pour un effet nouveau, Car ne pouvant souffrir⁎ une ardeur legitime, Ta flame esclairera le triomphe d'un crime, s'il se peut empeschons ce malheur, Le Ciel semble à ce coup destiner ma valeur, Et malgré les efforts d'une crainte importune, Dire que cét honneur vaut plus que la fortune, Suivons donc cét advis⁎, ne deliberons plus, C'est trop perdre de temps en propos superflus, Allons tout de ce pas destourner cet orage, Empescher les effets⁎ d'un visible naufrage, Et sauver s'il se peut, mais genereusement, En Amy Belisaire, & Sophie en Amant. ## ACTE II. ### SCENE I. BELISAIRE, DIOPHANTE BELISAIRE. Je ne sçaurois souffrir⁎ plus long-temps son absence, Diophante mets fin à mon impatience, Va, trouve moy Narsés, dy luy que je l'attends, Despeche, & par tes soins rends mes esprits contens⁎, On m'a dit qu'il prenoit le plaisir de la chasse, Visite tout le bois, tandis qu'en cette place Ces beaux arbres feront malgré l'astre du jour Que plus commodément j'attendray ton retour, Diophante entre dans le bois. ### SCENE II. BELISAIRE *seul*. Lieux charmans, solitude sombre, Sejour du silence & de l'ombre, Beaux arbres que je rends tesmoins de mon tourment, Ne vous estonnez⁎ pas d'entendre mon martire, Puis que c'est à vous seulement, Que ma discretion m'a permis de le dire. Amour ce petit Dieu des coeurs, Qui des plus superbes⁎ vainqueurs, Abaisse quand il veut & l'audace & la gloire, Ce tyran contre qui tous mes efforts sont vains, Ne pouvant souffrir⁎ ma victoire, A fait choir⁎ aujourd'huy mes lauriers de mes mains. Mon triomphe a produit ma peine, Et je suis captif d'une Reine [55], Dont naguere mon bras estoit victorieux, Si j'ay tiré du sang, elle a versé des larmes, Et cet objet imperieux A plus fait par ses pleurs que mon bras par ses armes. Ouy c'en est fait, quitte mon coeur [56], Quitte le tiltre de vainqueur, Et cede à ses beaux yeux cette orgueilleuse marque, Tu resiste en vain rebelle, resous toy, Puis qu'ils triomphent d'un Monarque, De souffrir⁎ desormais qu'ils te donnent la loy. Mais helas ! aveugle que dis-je, C'est cette raison qui m'afflige, Et qui m'oste l'espoir necessaire à mes voeux, Ma princesse me plaist, mais ce Roy m'importune, Et quand je les ay pris tous deux, J'ay détruit mon amour, & nuit à ma fortune. N'importe, esperons toutesfois, Mars qui favorise mes droits Ne veut pas aujourd'huy que je les abandonne, Mon rival par ce prix peut rentrer dans ses biens, Et s'il veut r'avoir sa Couronne, Il faut qu'à mon amour il laisse ses liens. Ennemy [57] de mon bien ainsi que de ma gloire, Qui mesme dans les fers partages ma victoire, Monarque malheureux resous toy de ceder, Ce prix qu'injustement on t'a veu posseder [58] ; Escoute la raison, & cesse de pretendre [59], Ce tresor amoureux que tu n'as peu deffendre, Obeïs desormais à la loy de ton sort, Sois moins ambitieux, ou montre toy plus fort, Au milieu du combat je t'ay sauvé la vie, Ingrat souffriras⁎-tu qu'elle me soit ravie ? Un procedé si lasche est indigne d'un Roy [60], Rends moy donc aujourd'huy ce que tu tiens de moy, Si non pour oster tout obstacle à ma flame, J'arracheray le coeur qui veut avoir mon ame. Mais quel estrange bruit retentit dans ce bois ? Qu'entens-je, justes Dieux ? mais qu'est-ce que je vois ? La valeur d'un guerrier par le nombre opprimée, Cede aux coups d'une bande à sa perte animée, Il le faut secourir. ### SCENE III [61]. BELISAIRE, ISKIRION, NARSES, Et trois assassins [62] ISKIRION.         Vous voulez mon trépas, Bien, mais auparavant vous connoistrez mon bras, Et cet illustre sang que vous voulez répendre, Coulera lasches coeurs, mais je le sçauray vendre, NARSE’S. Il n'importe. BELISAIRE.         Donnons, à moy traistres, à moy, Ici vostre fureur trouvera de l'employ, Tournez contre mon sein vos armes criminelles, Quoy déja la terreur vous a donné des aisles ? Vous fuyez assassins. Cavalier advancez, Les voleurs sont deffaits, mais ce n'est pas assez, Il faut que par mes mains l'artisan de ce crime, Pour tous ses compagnons vous serve de victime. ISKIRION. Ah ! Seigneur arrestez, cette punition, Appartient à mon bras comme à ma passion [63], L'outrage qu'il m'a fait m'oblige⁎ à cét office⁎. BELISAIRE. Trop d'honneur seroit joint à son juste supplice, Il ne merite pas un si noble courroux, Vous frapperiez un homme indigne de vos coups, Et cette illustre mort qui flatte son envie [64], Seroit plutost le prix que la fin de sa vie, Ouy, ouy ce châtiment appartient à mon bras, Rien ne peut malheureux te sauver du trépas, Oste ce Tapabort⁎ [65], voy la main qui s'appreste, A separer du corps une si vile teste, Que tu caches perfide avec juste raison, Pour ne point voir l'horreur joint à ta trahison. Mais que voy-je ? ô destins ! je doute si je veille [66], Quelle confusion⁎ à la mienne est pareille ? Narsés est -ce bien vous que je vois en ces lieux ? Ne suis-je point charmé⁎ ? Dois-je croire à mes yeux ? C'est bien vous si j'en crois les traits de ce visage, Mais qu'il est mal d'accord avec vostre courage [67], Un desordre si grand rend mes esprits confus, Et dans ce lasche estat je ne vous cognois plus [68], Quel qu'il soit toutesfois je demande sa grace, Seigneur en ma faveur pardonnez son audace, Il merite la mort pour ce qu'il a commis, Mais il fut autresfois au rang de mes amis, Et de ces actions c'est icy la premiere Qui trompe une amitié si parfaite & si chere ; Excusez-la, Seigneur, les Dieux n'ont point de mains Pour la premiere faute où tombent les humains, C'est assez que la foudre ait menacé sa teste, J'ay souslevé les flots, appaisez la tempeste, Et si je tiens de l'homme en voulant vous vanger, Faites comme les Dieux le sauvant du danger. ISKIRION. Quand je ne voudrois pas la raison m'y convie, Puis-je rien refuser à qui je dois la vie ? Mon Seigneur vos desirs seront tousjours les miens, Je tiens de vous le jour, qu'il vous doive les siens, J'y consens, & de peur qu'une action si noire N'efface tout à fait le reste de sa gloire, Et ne le rende infame aux siecles à venir, J'en veux perdre, Seigneur, jusques au souvenir. BELISAIRE. C'est aussi dans l'oubly des plus sanglants outrages Que se voit la grandeur des illustres courages [69], Et par ce noble effect une adroitte pitié Punit mieux quelquesfois que leur inimitié, En ces occasions quelle que soit l'offense, Le pardon est souvent une haute vengeance, Et c'est un chastiment qui tousjours fait sentir Les peines qu'aux grands coeurs donne du repentir [70]. NARSE’S. Il est vray que je souffre un remors bien sensible, Et bien tost mon trépas vous le rendra visible : Mais ce vif repentir que j'emporte en mourant N'est pas d'avoir commis un attentat si grand ; Au contraire je tiens cét acte legitime, J'appelle icy vertu ce que vous nommez crime, S'il estoit achevé je serois satisfait, Et je meurs de regret de le voir imparfait [71]. ISKIRION. Il a perdu le sens. BELISAIRE.         Narsés, quelle manie⁎ D'un esprit si solide a la raison bannie ? D'où te vient cette erreur ? Et pourquoy penses-tu Qu'un lasche assassinat soit un trait de vertu ? Quel transport⁎ a causé cette fureur extreme ? NARSE’S. La raison, la pitié, mon amour, & vous mesme. BELISAIRE. Moy, Narsés ? que dis-tu ? NARSE’S.         Je dis ce que je dois [72]. BELISAIRE. Ah ! sans doute ton coeur dement icy ta voix, Je n'eus jamais de part aux lâchetez d'un traistre. NARSE’S. Non, mais si je le suis vous m'obligez à l'estre [73], Et la seule pitié que j'ay de vostre sort Est le coup qui me perd & qui cause ma mort. Ce foible bras a fait un crime en apparence ; Mais un crime si beau meritoit recompense, Puis que sans vostre abord un facile combat Eust sauvé vostre sang, ma Princesse, & l'Estat. ISKIRION. Ce discours cache un sens que je ne puis comprendre. NARSE’S. Dedans peu [74] les effects⁎ vous le pourrons apprendre, Et mon malheur me rend bien-heureux en ce point, Que me privant du jour je ne le verray point [75]. Adieu, cruel amy, le Ciel te soit prospere, Et rende ton destin plus doux que je n'espere. ### SCENE IV. NARSE'S, BELISAIRE, ISKIRION [76] BELISAIRE. Il expire, Narsés, helas ! il ne vit plus, O Dieux ! que cette mort rend mes esprits confus, Narsés ouvre les yeux, ah ! mon attente est vaine, Il est mort, & mourant il fait naistre ma peine. Destins injurieux où m'avez-vous reduit ? Quoy donc de ma valeur est-ce là tout le fruict ? Sont-ce là vos faveurs ? Est-ce la recompense Que vos injustes loix donnent à l'innocence ? Quand un bras genereux⁎ a le vice abatu, Est-ce là le laurier qu'il a pour sa vertu ? Ah ! cruels, je vois bien que vous portez envie [77] A l'extreme bon-heur où je coulois ma vie, Enuyez [78] de me voir en un estat si doux, Vous voulez que j'espreuve [79] aussi vostre courroux. Hé bien, lancez vos traits⁎, apprestez mes supplices, Je suis prest de souffrir⁎ toutes vos injustices, Et pour ne point souler vostre haine à demy, Meslez icy mon sang au sang de mon amy. ISKIRION. Ce sang ne fut jamais digne de ce meslange, Ne le regretez point, vous gaignerez au change, Et sa mort est un coup que le Ciel a permis Pour vous donner ici de plus nobles amis. Si je ne sçavois bien qu'un coeur comme le vostre Ne pris jamais de part aux foiblesses d'un autre, Je craindrois justement de ne pas obtenir L'amitié que j'espere & qui nous doit unir ; Mais vous connoissez trop que ce qu'il vient de dire De conspiration contre vous & l'Empire, Sont des pretextes faux dont il pensoit couvrir L'horreur d'une action qui le force à mourir [80]. Je suis noble Seigneur, & le Ciel m'a fait Prince, Mais je suis, grace aux Dieux, content de ma Province [81], Et desormais l'honneur de vostre affection Sera le seul objet de mon ambition, Secondez maintenant une si juste envie, Adjoutez cette grace à celle de ma vie, Favorisez les voeux d'un Prince infortuné [82], Ou reprenez le jour que vous m'avez donné. BELISAIRE. Seigneur je viens de voir un trop clair témoignage Et de vostre naissance, & de vostre courage, Pour croire que jamais aucun mauvais dessein Puisse trouver entrée en un si noble sein : Cette vertu qu'en vous j'admire & je respecte Est trop haute pour estre ou nuisible ou suspecte, Et vostre bien-veillance a des charmes si doux Qu'on ne vous sçauroit voir & n'estre pas à vous : Prenez donc sur mon coeur une entière puissance, Il vous offre son zele & son obeïssance, Et bien que peu puissant, au moins il fera voir, Qu'il sçait & bien aimer & faire son devoir. ISKIRION. Ah ! cét abbaissement offense vos merites ; Comme ils sont hors de prix ils n'ont point de limites, Et l'admiration dont je me sens charmer Est le langage seul qui les puisse exprimer : Cependant permettez que ce premier hommage Soit de nostre amitié le symbole & le gage, il luy presente un diamant [83] Et que ce diamant aussi net que mon coeur Vous fasse souvenir de vostre serviteur. BELISAIRE. Pour vous rendre tousjours ma memoire fidele, Les dons sont superflus, il suffit de mon zele [84] ; Mais puis que vos desirs m'imposent cette loy, Plein d'aise & de respect, Seigneur, je le reçoy, Et je proteste⁎ icy que les mains de la Parque [85] Seules pourront m'oster cette adorable marque. ISKIRION. Adieu, je me retire avecque cet espoir. BELISAIRE. J'auray dans peu de temps l'honneur de vous revoir, Si vous faites en Cour tant soit peu de demeure. ISKIRION. C'est où je vous attens. BELISAIRE.         J'y seray dans une heure, Cependant trouvez bon qu'un reste d'amitié Exerce envers ce corps encor quelque pitié, Et puisque son trépas a vangé son injure, Que mon dernier present soit une sepulture. ### SCENE V. BELISAIRE [86]. Dans ces sombres deserts où rien ne peut parler, Je pensois soulager mon amoureux martyre, Mais au lieu de trouver de quoy me consoler, J'y treuve des objets qui le rendent bien pire, Il faut qu'icy le deüil couvre un triste vainqueur, Qui sent une horrible tempeste. Helas ! Destins que sert [87] un laurier sur la teste, Une palme en la main, quand le crime est au coeur ? Allons, hé quoy mes yeux vous n'obeissez pas, N'osez-vous regarder un objet si funeste ? Moy-mesme mal-gré moy j'en esloigne mes pas, Et je me sens rebelle en tout ce qui me reste, Advance main cruelle, & fais un juste effort, Puis que le devoir t'y convie, Lasche main que crains-tu ? Narsés n'a plus de vie, Il n'aura plus de voix pour reprocher sa mort [88]. Que dis-je, mal-heureux ? cét object que je vois Tient aujourd'huy mon coeur en de justes allarmes, Car bien qu'il ait perdu l'usage de la voix, Son sang me dit assez que je luy dois des larmes, Ce cadavre est mon juge, il definit mon sort, Je vois escrit sur cette face, Apres tant de bon-heur, l'arrest de ma disgrace [89], Et je trouve la foudre en la bouche d'un mort. Narsés je vais mourir, pardonne à mon erreur, Si ton sang peut parler il faut qu'il me console, Parmy tant de soupirs & de traits de fureur, Tâche de prononcer quelque douce parole, Cadavre rigoureux, de quoy m'accusez-vous [90] ? Je suis prest de vous satisfaire, Mais comment, justes Dieux, la mort peut-elle faire Un juge si cruel d'un coupable si doux ? Quitte, quitte le jour, infortuné⁎ vainqueur, Ton deüil par des regrets trop laschement s'exprime, Puny ta cruauté par une autre rigueur, C'est ton sang, non tes pleurs, qui doit laver ton crime, Prens au lieu d'un laurier un funeste bandeau [91], Et que cette fatale espée, Contre toy-mesme icy par toy-mesme occupée, Soit ton juste supplice, & ta main ton bourreau. ### SCENE VI. BELISAIRE, DIOPHANTE DIOPHANTE *empeschant qu'il ne se jette sur son espée.*. Dieux, qu'est-ce que je vois ? ah, Seigneur ! BELISAIRE.         Diophante Que fais-tu ? Laisse moy, souffre⁎ que je contente Par un coup genereux⁎ la rigueur de mon sort, Voy cét object sanglant, c'est Narsés. DIOPHANTE.         Il est mort. BELISAIRE. Ouy, Diophante, il l'est. DIOPHANTE.         Dieux ! le malheur extreme, Qui l'a tué ? BELISAIRE.     Moy. DIOPHANTE.     Vous BELISAIRE.         Moy, mais plustost luy-mesme. Car lors que j'ai commis cét innocent peché, Un tapabort⁎ tenoit son visage caché. DIOPHANTE. A quelle occasion ? BELISAIRE.         Espargne ta memoire, Tu ne sçauras que trop cette tragique histoire [92] ; Et mesme si tu veux appaiser mes transports⁎, Oste à mes tristes yeux ce deplorable corps. Fin du secon Acte ## ACTE III. ### SCENE I. THEODORE, ISKIRION THEODORE [93]. Allez ne craignez rien, achevez cette affaire, Et songez seulement quel est vostre salaire⁎, Avant que vous mander pour ce coup important, J'avois déja preveu ce que vous craignez tant, Et toutes les raisons qu'icy vous avez dites, Ma prudence déja me les avoit deduites : Mais ce que maintenant je vous ay declaré Contre ces vaines peurs vous doit rendre asseuré. Vous sçavez mon pouvoir & celuy de Sophie, Que ce n'est qu'à nous deux que l'Empereur se fie, Et que nos sentiments, nos desirs, & nos voix, Passent dans son esprit pour legitimes loix. Allez sous nostre adveu⁎, travaillez pour vous mesme, On doit tout hazarder pour avoir ce qu'on aime, Il faut tout entreprendre, & tenter jusqu'au bout, Un esprit amoureux est capable de tout. ISKIRION. Hé bien, Madame, il faut complaire à vostre envie, Un sujet vous deplaist, vous demandez sa vie, Vous avez sur mon coeur un pouvoir absolu, Il veut que j'obeisse, & j'y suis resolu. Pour l'amour de Sophie & pour vostre service, Il n'est rien que je n'ose & que je n'accomplisse, J'affronteray pour vous & l'enfer & les cieux, Le fer, le feu, la mort, les hommes & les Dieux, Pour vous je trouveray tout acte legitime, Je hazarderay tout, ma gloire, mon estime, Ma fortune, mon sang, mon pays, mon honneur, Et le tout pour Sophie, & pour vostre faveur. J'ay regret toutesfois que quelque autre asseurance, Ne preuve mon amour, & mon obeissance, Et qu'il ne m'est permis d'aspirer autrement A la possession d'un tresor si charmant, Si Belisaire est craint, c'est dans cette province, J'ay le bras d'un soldat, le courage d'un Prince. Et si vous le vouliez, vous verriez ma valeur Imprimer sur son corps ma gloire & son malheur. THEODORE. La vaillance n'est pas un poinct qu'on vous dispute, Ce que veut vostre coeur vostre bras l'execute, Et je ne doute pas qu'un duel entre vous Ne le fist succomber soubs l'effort de vos coups : Mais en cette occurrence⁎ un bras si magnanime Advanceroit sa gloire en punissant son crime ; Et vous donneriez moins en cette occasion A mes justes desirs qu'à son ambition. Non, non, il ne faut pas qu'un coup si favorable Donne à mes ennemis un sepulcre honnorable ; Belisaire est un traistre, & par cette raison Il doit perir aussi par une trahison, Si l'on peut justement appeler de la sorte Une action hardie où mesme un Dieu nous porte. Ne differez donc plus ce dessein proposé, Et pour rendre à vos mains son effect⁎ plus aisé, Taschez en l'abordant avecque courtoisie, Que sa droite par vous adroitement saisie, Soubs pretexte d'honneur & de civilité, Donne à vostre poignard plus de facilité, Ce beau coup achevé, la recompense est preste, Commencez seulement, & je feray le reste. ISKIRION. Madame s'en est fait, il va perdre le jour, Victime infortunée⁎ ! & de haine & d'amour. ### SCENE II. ISKIRION [94]. Importune raison, hé bien que dois-je faire ? Te faut-il obeir, ou bien t'estre contraire ? Sur une perfidie establir mon bon-heur ? Ou perdre mon amour, pour sauver mon honneur [95] ? Mon honneur ! ah ! c'est trop, je ne m'y puis resoudre, Lancez, lancez sur moy les quarreaux de la foudre [96] Dieux justes, Dieux vangeurs, plustost que de souffrir⁎ Qu'ingrat à vos faveurs je les laisse perir [97]: Vous avez attaché mon honneur à ma vie, Que la perte de l'un soit de l'autre suivie, Ou si chacun des deux doit perir à son tour, Laissez vivre l'honneur, & privez moy du jour : L'honneur est un tresor à tout bien preferable, Il est cher, mais, helas ! Sophie est adorable, Et se rendre rebelle à des attraits si doux, Grands Dieux, vous le sçavez, c'est s'attaquer à vous, Comme elle est des vertus le plus parfait modele [98], Un crime est innocent, quand il se fait pour elle ; Et la mesme vertu change de qualité, Quand elle a le malheur de chocquer sa beauté. Suivons donc les conseils que mon amour me donne, Obeis ma raison puis qu'un Dieu te l'ordonne, Aussi bien c'est en vain que je veux reveler [99], Le traict desja lancé ne se peut r'appeller, Il faut, il faut franchir constamment la carriere [100], Et m'acquerir Sophie ou perdre la lumiere [101]. ### SCENE III. BELISAIRE, AMALAZONTHE BELISAIRE [102]. Quoy donc, Amalazonthe, apres un traittement, Que des Princes captifs espreuvent rarement, Vous voulez aujourd'huy paroistre inexorable, A celuy dont l'amour vous est si favorable [103] ; Et parce qu'il vous aime, un insolent orgueil, Pour un trône qu'il rend luy destine un cercueil. Bien, bien continuez cette barbare envie, Ingratte, ostez le jour à qui vous rend la vie, Perdez par vos mespris un vainqueur qui vous sert [104], Donnez luy vos faveurs, ce grand coeur les merite, Et les luy disputer c'est ce qui vous irrite. AMALAZONTHE. N'en doutez nullement, bien qu'un sort rigoureux Dans ses nobles projets l'ait rendu malheureux, Le droict qu'il a sur moy n'est pas moins legitime, Et chez moy son malheur augmente son estime. Je sçay que le Demon qui preside aux combats, L'a mis dedans les fers, & ravi ses Estats, Ses biens, sa liberté, son spectre, sa couronne, Que son peuple le quitte, & que tout l'abandonne : Mais bien que vostre bras l'ait reduit à ce poinct, Croyez moy, Belisaire, il ne le perdra point, Quoy que vous puissiez faire, ou que vous puissiez dire, Moy seule je seray ses Estats, son Empire, Son espoir; sa grandeur, ses sujets, & sa Cour, Son conseil mes desirs, & ses loix mon amour. BELISAIRE. Voila dedans les fers parler en souveraine. AMALAZONTHE. Vous m'avez fait captive, & le Ciel m'a fait Reine, Le sort qui me destruit ne m'a pas tout osté, J'en conserve le coeur comme la qualité [105] : Et bien que l'ont m'ait mise en estat de me plaindre, Vous ne devez point voir mon malheur sans le craindre. L'aveugle Deité [106] qui flatte les humains Tourne aussi tost le dos qu'elle nous tend les mains, Un moment nous la rend rigoureuse & propice, Tel qui fut au sommet se voit au precipice, Et pour un mouvement⁎ qui n'est jamais égal, Le mal succede au bien, & le bon-heur au mal [107]. BELISAIRE. Helas ! que je fais bien la triste experience, Et des rigueurs du Sort, & de son inconstance, Puis que la méme main qui bastit ma grandeur, Détruit mon esperance & me refuse un coeur [108]. Ah ! Madame, quittez cette humeur obstinée, Escoutez les soupirs d'une ame infortunée⁎, Qu'Amour fait à vos pieds expirer soubs les coups, Et par les traits⁎ ardents qu'elle a receu de vous, Ne luy refusez pas la pitié qu'elle implore, Et recevez, cruelle, un coeur qui vous adore. AMALAZONTHE. Ne m'importunez plus, & quittons ce discours, J'ay l'esprit à mes maux plustost qu'à mes amours, Ce Dieu qui ne se plaist que parmy les delices Rougiroit qu'on le vist en ce lieu de supplice. BELISAIRE. Vous ne rougissez pas qu'une extreme rigueur Parmy tant de tourmens le tiennent dans mon coeur, Vous estimez ces lieux indignes de la flame, Et vous faites cruelle un enfer de mon ame, Accordez mes desirs avecque la raison, Amour n'est jamais mieux que dans une prison, Il hayt la liberté, fait mesme qu'on la craigne, Et la chasse d'un coeur aussi tost qu'elle y regne. AMALAZONTHE. Ses plumes nous font voir qu'il sçait bien en partir. BELISAIRE. Mais c'est pour y voler, & non pour en sortir, Conservons luy pourtant l'usage de ses aisles, Sortant d'une prison qu'il entre en de plus belles, Vostre coeur est tenu soubs un lâche pouvoir, Quittez le pour le mien qui vous veut recevoir, Amour vous nuit icy, qu'Amour vous en retire [109]. AMALAZONTHE. Je perdrois mon espoir, & non pas mon martyre. BELISAIRE. Cét espoir, ma Princesse, entretient vos malheurs, Cette espine jamais ne produira de fleurs : Vitigés qui nourrit cette vaine esperance, Vous promet un effect plus grand que sa puissance, L'Empereur qui m'a fait arbitre de son sort, Veut qu'il vous abandonne & qu'il cede au plus fort, En sa rebellion il a trouvé sa perte, Vous reparez la vostre en mon amour offerte, Ma premiere victoire est de vous acquerir. AMALAZONTHE. Perdant tout, il me reste une belle à mourir [110]. Elle sort. ### SCENE IV. BELISAIRE. Ah, mourir ! ah plustost si mon feu vous offense, Mais l'ingrate à mes yeux a ravy sa presence. Où m'avez vous reduit, espoir, ambition ? Que le sort répond mal à mon intention ! Puis que le seul object qui me tue, & que j'aime, Dans sa captivité triomphe de moy-mesme, Et traitte mon amour avec tant de mépris, Que je treuve un supplice où j'esperois un prix. Mais allons recevoir ce guerrier qui s'advance. ### SCENE V. ISKIRION, BELISAIRE, DORISTEL [111] DORISTEL *parlant à Iskirion*. Le voila. ISKIRION.         C'est assez, observez le silence [112], Grand Prince, justes Dieux, que je suis interdit, Luy prenant la main.Laissant tomber le poignard [113] Malheureux, ah ! Seigneur, il ne sera pas dit, Que ce bras animé d'une indiscrete⁎ envie, Ait arraché le coeur à qui je dois la vie, Va, va lâche instrument d'une aveugle fureur, Abandonne ma main, ton fer me fait horreur, Toutesfois, desloyal, tu peux encor me plaire, Vien, passe dans mon sein, & vange Belisaire [114], Tu feras par ce traict de generosité⁎ Une juste action pour une lâcheté [115]. BELISAIRE. Qu'est-ce donc ? arrestez. ISKIRION.         Ah : souffrez⁎ que mon crime Reçoive un châtiment & juste & legitime, J'ay cherché vostre sang, j'ay voulu vostre mort, Ce desir criminel demande un mesme sort, Et bien qu'il ne soit rien que ministre⁎ d'un autre, Mon sang à cet effect⁎ doit payer pour le vostre, Permettez moy Seigneur. BELISAIRE.         Non quittez ce dessein, Ce fer est seulement destiné pour mon sein, Et si vostre bon-heur dépend de mon naufrage, Ce poignard peut encor achever mon ouvrage, Bien loin d'en murmurer j'en beniray les coups, Si mon coeur les reçoit & par vous & pour vous. ISKIRION. Ah ! pour cette bonté qui paroist incroyable, Que vous m'estes cruel estant si pitoyable [116], Ce discours à mon coeur est un bourreau secret, Vous m'arrachez ce fer, mais je meurs de regret, Ou si le Ciel encor permet que je respire, C'est pour faire durer ma honte et mon martyre, Et donner un exemple à la posterité, Et de mon imprudence et de leur équité, Ouy, Seigneur, permettez, advouant mon offense, Que d'un terme plus doux je la nomme imprudence, Puis que mon jugement en cét acte odieux A suivy le conseil de deux guides sans yeux [117]. Ce monstre si fatal aux plus nobles courages, Et qui s'offre à nos sens sous mille faux visages, L'ambition d'abord avecque son poison, A troublé mon esprit, & seduit ma raison. La faveur & l'espoir ont esté ses complices, L'amour à mes efforts a joint ses artifices, Et mon aveuglement qui m'en cache l'objet, M'a fait prester la main à ce lâche projet. Mais, Seigneur, maintenant que vos vives lumieres Ont dissipé la nuict qui couvroit mes paupieres, Qu'à vostre heureux abord le bandeau m'est tombé, Et me redonne un bien qu'il m'avoit dérobé, Que mon ambition meure en vostre presence, Que ma faveur perisse avec mon esperance, Mon repos, mes plaisirs, & mesme mon amour, Plûtost que de souffrir⁎ qu'il vous coustent le jour. BELISAIRE. Ah ! c'est trop, je connois ces redoutables Astres [118] Dont le fatal éclat a causé mes desastres : Ouy, je connois ces yeux, ces tyrans inhumains, Qui vous ont mis, Seigneur, la foudre dans les mains. Déja par les éclairs j'avois preveu l'orage, Mes yeux en avoient veu le funeste presage, Et par cette raison je ne m'estonne⁎ pas, Si vostre bras avoit resolu mon trépas, Un crime paroist beau quand la cause en est belle, En vain contre l'amour mon esprit se rebelle, Tout cede à son pouvoir, & ce superbe⁎ enfant Malgré tous ces efforts est tousjours triomphant. Vous l'avez veu, Seigneur, mais souffrez⁎ que je die, Qu'il m'eust payé vos soins par une perfidie, Et que ce bel objet qui vous tient sous la loy, N'a jamais eu dessein ny sur vous ny sur moy [119]. ISKIRION. Cét amour desormais m'est bien indifferente [120], Souffrez⁎ que je vous aime, & mon ame est contente : C'est là tout mon desir, c'est là tout mon espoir, Et l'unique bon-heur que je veux recevoir. Adieu, je me retire avec cette esperance. BELISAIRE. Ouy, mon Prince, vivez avec cette asseurance, Et si cette amitié que je vous jure icy Perit, faites grands Dieux que je perisse aussy [121]. ### SCENE VI. THEODORE, SOPHIE [122] THEODORE [123]. Songez y bien, Sophie, Iskirion est Prince, Songez que c'est pour vous qu'il quitte sa province, Et qu'on ne doit jamais par d'injustes mépris Irriter le courroux des genereux⁎ esprits ; Acceptez son amour & redoutez sa haine, Favorisez ses voeux, il en vaut bien la peine, Et croyez que l'honneur qu'il vous fait aujourd'huy Vous oblige à paroistre accorte⁎ comme luy. SOPHIE. En vain pour me toucher vous parlez de ses charmes, Je méprise ses voeux, ses soûpirs & ses larmes, Et j'estime si peu ses pas & son amour, Que si mon sujet seul l'arreste en cette Cour, Il peut s'en retourner & s'épargner la peine Que donne aux importuns une recherche vaine. THEODORE. Si sa recherche est vaine auprés de vos appas⁎, Sa vengeance a des traits qui ne le seront pas, Evitez ce malheur. SOPHIE.         Je crains peu cét orage. THEODORE. Ma niepce il a du coeur. SOPHIE.         Et j'en ay d'avantage. THEODORE. J'en doute. SOPHIE.         Je me ris de son ressentiment. THEODORE. Il est pourtant à craindre en l'esprit d'un amant, Et si ce coeur altier épargne un peu le vostre, Craignez que son courroux n'éclate sur un autre [124]. SOPHIE. Bien, bien, que ce cruel acheve mon destin, De Prince genereux⁎ qu'il se rende assassin, Pour se vanger de moy qu'il fasse une injustice. Belisaire me plaist, il merite un supplice, Il faut verser son sang pour esteindre nos feux, Mais que vous estes loin du succez de vos voeux, Si vous croyez encor qu'apres ce traict perfide, Mes yeux puissent jamais souffrir⁎ cet homicide ; Non, non, n'esperez pas que je touche en la main [125], Qui, peut-estre, a signé cet Arrest inhumain, Le sang de mon amant me la rend odieuse, Qu'il m'oste quant & quant⁎ une vie ennuyeuse, Asseuré que le coup qui me le ravira, Est la seule action de luy qui me plaira. THEODORE. Ouy, ouy, puisqu'à nos voeux vous este si contraire, Vous le verrez perir, ce beau, ce temeraire, Et devant que la nuict vous dérobe le jour, Vous serez sans amant comme luy sans amour. Elle sort. SOPHIE. Allez, lâche, allez complaire à vostre envie, Allez trancher le cours d'une si belle vie ; Si mes justes douleurs ne previennent vos soins, Mes yeux mesmes cruels en seront les témoins. Mais apres mes devoirs rendus à l'innocence, Vous verrez quant & quant⁎ ma mort & ma constance, Et je vous feray voir, quoy qu'il faille endurer, Que ce qu'Amour a fait ne se peut separer [126]. Fin du troisième Acte ## ACTE IV. ### SCENE I. VITIGEZ, AMALAZONTHE [127] VITIGEZ. Ma Princesse, d'où vient cette melancolie Où vostre ame paroist si fort ensevelie ? Est-ce pour étoufer mon amoureuse ardeur Que vous me recevez avec tant de froideur ? Ah ! si j'ay le malheur d'avoir pu vous déplaire, Ordonnez de mon sort, je vay vous satisfaire Pourveu qu'en me privant & d'espoir & d'amour, Vous permettiez aussi que je perde le jour. AMALAZONTHE. Mon Prince, pardonnez à l'ennuy qui me presse, Et comme mon Amour partagez ma tristresse, Loin de me consoler en mes justes douleurs, Donnez vos sentimens à nos communs malheurs, Nous sommes menacez d'un violent orage, Mais pour y resister j'ay beaucoup de courage, Et le sort vainement deployroit son courroux, Si m'estant rigoureux il vous estoit plus doux. VITIGEZ. Ah ! Madame, en ce point sa rigueur m'est propice, Et sa triste faveur feroit une injustice, Si lors que son respect manque pour vos attraits, Le barbare pour moy manquoit aussi de traits, Non, non, je beniray mon tourment & mes peines, Si vous prestez la main à soutenir mes chaines, Et si mon sang rendoit vos destins plus heureux, Je verrois le trépas d'un visage amoureux. Mais, de grace, Madame, afin de m'y resoudre, Dites moy de quel bras doit partir cette foudre, Quel est cét ennemy qui veut m'oster le jour ? AMALAZONTHE. Vous le voyez, Seigneur. VITIGEZ.     Qui, bons Dieux ? AMALAZONTHE.         Mon Amour. VITIGEZ. Madame, c'est assés, je voy mon infortune, Et je sçay maintenant ce qui vous importune, Cét amour que vos yeux ont fait naistre en mon coeur, Cet aimable tyran dont je fais mon vainqueur, Est cause des ennuis peints sur vostre visage, Et du prochain malheur dont j'attens mon naufrage [128] : Mais, Madame, esteignez ce feu qui vous déplaist, Employez y mon sang tout fidele qu'il est, Et pour rendre à jamais mon amour étoufée [129], Donnez à vos attraits un plus noble trophée : Je croy que ce n'est pas sans un sensible effort, Que vous avez conclu cet arrest de ma mort, Et que vostre rigueur voyant mon innocence, Se fait en me tuant beaucoup de violence. Mais, Madame, étoufez cette ingrate pitié, Perdez le souvenir de ma tendre amitié, Et pour mettre en repos un object adorable, N'espargnez point le sang d'un Prince miserable. AMALAZONTHE. Ah ! que vous prenez mal le sens de mes discours, Destruirois-je le bras d'où j'attens le secours [130] ? Et croyez-vous qu'on puisse esteindre vostre vie, Sans que d'un mesme coup elle me fust ravie ? Non, non, la passion dont vous estes épris, N'aura jamais chez moy ny froideur ny mépris, J'appreuve vos devoirs, vostre grace me charme, Et je crains, mais pour vous. VITIGEZ.         Qui vous met en allarme ? Doutez vous de ma foy ? doutez vous de mon coeur ? AMALAZONTHE. Non. VITIGEZ.     Que craignez-vous donc ? AMALAZONTHE.         Un insolent vainqueur, Belisair' [131]. VITIGEZ.         Ah ! Madame un rayon d'esperance Flate encor mon amour d'une belle apparence : Ce n'est pas que l'orgueil de ce victorieux Me fasse icy douter du pouvoir de vos yeux, Je sçay que leurs regards triomphent des plus braves, Et que des plus grands Roys ils se font des esclaves ; Mais quoy que Belisaire ait pû vous témoigner, Ce n'est pas sur son coeur que vous devez regner, Je sçay bien de quel trait sa belle ame est atteinte, Et vous avez, Madame, une inutile crainte : "Mais ainsi que le bruit accompagne le jour, "Tousjours la Jalousie accompagne l'Amour, "Par tout où va ce Dieu, va ce fantosme sombre, "Qui le suit de si prés qu'on le prend pour son ombre [132]. AMALAZONTHE. Il est bien vray qu'alors qu'on possede un grand bien, C'est l'estimer bien peu que de ne craindre rien, Et par cette raison j'ay sujet de me plaindre, Car si vous m'estimez vous trouveriez à craindre. VITIGEZ. Si vostre coeur estoit moins illustre qu'il n'est, Je craindrois que mon sort ou bien vostre interest, Voyant en quel estat mon ennemy me range, Ne portast quelque jour une Princesse au change, Mais d'en avoir peur je croirois l'offenser, Si j'en avois conçeu seulement le penser. Non je ne puis commettre une si lâche faute, Mon amour est trop grand, & vostre ame est trop haute, Pour craindre que jamais on me puisse ravir Ny l'honneur d'estre aimé, ny l'heur⁎ de vous servir. Mais encor quel sujet a fait naistre ces craintes ? Et quelle occasion authorise vos plaintes , AMALAZONTHE. Ne vous figurez pas que ma presomption Soit le seul fondement de cette passion, Mon esprit qui connoit ce Prince opiniâtre, Ne forge pas un monstre afin de le combatre, J'ay veu dans ses transports⁎ des presages certains, Et de ce que je dis & de ce que je crains : Avoir incessamment de ses gens à ma suite, Veiller mes actions, épier ma conduite, Entendre tout le jour ce fâcheux compliment, Que j'ay de mon vainqueur pû faire mon amant. Dy moy ne sont-ce pas ces chants de Syreines [133] Tousjours avant-coureurs des tempestes prochaines, Où je cours le danger d'un naufrage évident, Si le Ciel ne destourne un si triste accident ? Mais le voicy qui vient, evitons sa presence. VITIGEZ. Il est avec Sophie. Amour si ta puissance A gravé dans son coeur ma Reyne & ses attraits, Permets que cét object en efface les traits⁎ [134]. ### SCENE II. BELISAIRE, SOPHIE SOPHIE [135]. Voila ce que vous couste une amitié fidele, Vous n'avez rien de sainct ni d'aimable⁎ auprés d'elle, C'est ainsi qu'un perfide a payé vos travaux [136]. BELISAIRE. Ah ! Madame espargnez sa candeur [137] & mes maux. SOPHIE. Jusques où l'amitié dans vostre ame s'imprime, Pour un ingrat, un traistre, & l'autheur de ce crime. BELISAIRE. Tous ces propos me sont plus mortels que les coups, Qui m'estoient destinez puisque c'estoit pour vous. Je croyois que son crime eust une autre origine, Mais puis qu'il adoroit vostre beauté divine, Je ne puis condamner le dessein qu'il avoit, De s'oster un Rival qui se desesperoit, "Voyez vostre miroir pour juger de son crime, "Il fournira pour luy d'excuse legitime, "Et vous découvrira par mille appas divers, "Qu'il pourroit pour complice avoir tout l'univers. "Une beauté parfaite est une tyranie, "Dont ne peut s'affranchir le plus ferme Genie [138]. Elle embraze les Dieux, tout cede à son pouvoir, Et pour ne pas aimer il ne faut pas vous voir. SOPHIE. Pourquoy donc, si vos yeux sont si remplis de charmes Estes vous insensible au pouvoir de mes armes ? Je souffre vostre abord, j'escoute vos discours, Vous pouvez me parler & me voir tous les jours, Vous resistez pourtant, & cette resistance Fait voir ou vostre orgueil, ou mon peu de puissance [139]. BELISAIRE. Dieux, qu'est-ce que j'entens ? interdict & confus, En l'estat où je suis je ne me connois plus, Avecque ce discours, adorable Princesse, Vous voulez esprouver⁎ jusqu'où va ma foiblesse, Mais que mon coeur icy ne vous soit plus suspect, Pour avoir de l'orgueil il a trop de respect, Et je vous feray voir qu'il sçait trop se connoistre, Pour esperer jamais la niepce de son maistre [140]. SOPHIE. Ah ! que ce feint respect est fatal à mon coeur, Mais quoy, ta modestie importe à ta rigueur, Et par ce faux pretexte aussi faux que visible, Tu crois perdre les noms d'ingrat & d'insensible, Mais bien loin d'effacer ces viles qualitez, Le tiltre de perfide accroist tes lâchetez, Ouy, ce tiltre t'est deu, desloyal, & sans blâme, Tu ne peux que pour moy disposer de ton ame, Puis qu'un jour les effects te seront des témoins [141]. Que si tu l'as encor, tu la dois à mes soins, Ouy, tu me dois ton coeur, ton honneur, & ta vie [142], Car loin de consentir qu'elle te fust ravie, Narsés en expirant sans doute a témoigné, Comme pour ton salut je n'ay rien espargné. La mort est toutesfois le prix de ses services, Le mépris aujourd'huy paye mes bons offices⁎, Et de deux ennemis conjurez contre toy, L'un a ton amitié, l'autre espere ta foi, Et pour dernier effect de ton ingratitude, Ce qui m'est desormais plus sensible & plus rude, C'est que tu crois encor mon dessein assez beau, Si j'ay pour mon espoux un traistre & ton bourreau. BELISAIRE. Hé, de grace, Madame, épargnez l'innocence, Ses regrets ont assez expié son offense, Et quelque sentiment que votre Altesse ait eu, Son crime mesme a fait éclater sa vertu. SOPHIE. Apres ce qu'il a fait l'excusez vous encore ? BELISAIRE. Il vous aime. SOPHIE.     L'innocent. BELISAIRE.         De plus il vous adore, Et je croirois avoir trop de temerité, De pretendre un honneur qu'il a mieux mérité, Puis que je ne sçaurois sans paroistre volage, A vos rares beautez rendre un fidele hommage. Ne me blâmez donc pas, mais blâmez seulement La malice du Sort ou son aveuglement, Qui nous trompe tous trois, ne contente personne, Il luy refuse un bien, vostre amour me le donne, Moy, je n'en puis jouïr [143]. SOPHIE.         Et luy l'espere en vain, Helas de qui vous tuë adorez-vous la main ? BELISAIRE. Cét injuste reproche offense sa franchise, Outre qu'ayant sur moy toute chose permise, J'aimerois l'attentat quand il auroit commis, Puis que la mort seroit un don de mes amis. SOPHIE. Aveugle affection ! bien, aime le perfide, Aime un lâche, un ingrat, un traistre, un homicide, Cette belle amitié te coustera le jour, Et ta mort, desloyal, vangera mon amour. BELISAIRE. Revocquez cét arrest, cruelle, inexorable, Helas ! vous me tuez m'estant trop favorable, Faveur injurieuse acheve icy tes coups, Voila le plus sensible & plus rude de tous, Me falloit-il, Destins, vivre apres mon naufrage, Pour m'exposer encore à ce dernier orage ? Quoy, mon coeur vous offense & ne peut languissant, Ou vivre en vostre grace, ou mourir innocent ? O Dieux ! SOPHIE.         Demande leur un enfer & des peines, Ingrat. BELISAIRE.     Escoutez moy. SOPHIE.         Les attentes sont vaines, Un perfide jamais. BELISAIRE.         ne fut pareil à moy, Madame. SOPHIE.     adieu. BELISAIRE.     cruelle. SOPHIE.         Importun laisse moy. BELISAIRE. Un mot, & puis mon coeur s'offre à vous satisfaire. SOPHIE. Hé bien, que diras-tu ? Mais, Dieu, que veux tu faire ? BELISAIRE. Pour la derniere fois contre moy vous servir, Et vous donner un coeur qu'un autre veut ravir, Ma vertu vous déplaist, mon respect vous outrage, Je veux pour vous vanger employer mon courage, Si je vous dois le jour, je vous le rends icy, Vous demandez ma mort, j'obeïs, la voicy, Tenez, prenez ce fer, contentez vostre envie. Frappez. SOPHIE.         Non je ferois trop d'honneur à ta vie, Ce coup mal commencé demande un autre bras, Qui mieux que ma rigueur punira des ingrats. Elle sort BELISAIRE. Hé bien, puis que je suis indigne de la vostre, Cruelle, j'attendray cette office d'un autre, Et quelque châtiment qui me soit ordonné, Je subiray l'arrest que vous aurez donné [144], Mais quoy que contre nous sa rigueur puisse faire, Jusqu'au dernier moment paroissons Belisaire [145], Et puis que l'Empereur m'en donne le pouvoir, Allons ranger ses gens sous les loix du devoir, Donner l'ordre à chacun, distribuer les armes, Mettre dans les emplois les plus braves gens d'armes, Et monstrer que mon coeur aime mieux en ce jour Perir des traits de Mars que de ceux de l'Amour. ### SCENE III. THEODORE, ISKIRION, DORISTEL THEODORE [146]. Hé bien, perfide, ingrat, ISKIRION.     Ah ! Madame. THEODORE.         Hé bien, traistre, Apres m'avoir trahie oses-tu bien paraistre ? Belisaire est vivant, il rit de mes fureurs, Malgré tous ses desseins il triomphe & je meurs ; Perfide est-ce donc là l'effect⁎ de ta promesse ? Est-ce ainsi que ton bras t'acquiert une Princesse ? Sont-ce là les dangers que tu devois courir, Et comme ta valeur me devoit secourir ? Ouy, voila les effects que j'en devois attendre, Voila tous les devoirs que tu me devois rendre, Voila comme tu vis, voila comme tu sers, Voila comme un Rival est dedans les enfers, Voila ce que tu fais pour meriter Sophie, Voila ce grand courage à qui mon coeur se fie, Voila ce noble coup que j'attendois de toy, Bref voila ton amour, ton ardeur, & ta foy. Tu medites en vain des excuses frivoles, On ne m'appaise pas avecque des paroles, Il faut pour satisfaire à celles de mon rang, Un Prince pour un Prince, & le sang pour le sang. ISKIRION. Hé bien, assouvissez cette barbare envie, J'ay trahy vos desseins, arrachez moy la vie, Tenez, me voila prest, suivez vostre courroux C'est pour ce sujet seul que je suis devant vous, Ne le differez point, vostre injuste colere, Frappant Iskirion, frappera Belisaire [147], Son ame vit en moy, mon ame vit en luy, Mesme coeur, mesme esprit nous anime aujourd'huy, De qui que le sang coule on le peut dire nostre, La fortune de l'un se communique à l'autre, Et le Ciel fait en nous de si charmants accords, Que vous frappez mon coeur si vous frappez mon corps. THEODORE. Vous faites vanité de m'avoir outragée, Mais vous serez punis, & je seray vangée, Allez, retirez-vous [148]. ISKIRION.         Je beniray mon sort, Si mon affection se preuve par ma mort. ### SCENE IV [149]. THEODORE, DORISTEL [150] THEODORE. Enfin de quel moyen faut-il que je me serve ? Doristel, c'est à toy que ce coup se reserve, Si ton coeur est hardy tu me le feras voir, Que ton bras aujourd'huy me rende ce devoir, Est-ce de mon esprit ce soin qui m'importune, Et par ce noble effect establis ta fortune. DORISTEL. Ouy, Madame, esperez de mon affection, L'effect de vos desirs en cette occasion : Je vous dois obeïr, & mon ame hardie Par la peur des dangers n'est jamais refroidie, Belisaire est vaillant, mais sans faire le vain [151], Son bras ne fut jamais plus fort que cette main, Qui preste à vous servir, vous vanger, & vous plaire, Va tenter ce qu'un Prince a refusé de faire. THEODORE. Va donc, ne laisse pas allentir cette ardeur. DORISTEL. En vain cét insolent se fie à sa grandeur, Qu'il soit tousjours armé, qu'il soit invulnerable, Qu'il fasse voir en tout une force admirable, Qu'il ait à son service & le Ciel & l'Enfer, Qu'il ait pour sa defense & la flame & le fer, Qu'il soit apprehendé comme un foudre de guerre, Que le bruit de son nom fasse trembler la terre, Qu'il soit tousjours sans crainte au milieu des hazars, Qu'il ait pour compagnon & la Fortune et Mars, Rien ne se peut sauver de l'effect de mes armes, Et son sang aujourd'huy vous payera de vos larmes. THEODORE. Va ne perds point de temps en discours superflus. DORISTEL. Croyez dés à present que l'ingrat ne vit plus. ### SCENE V. BELISAIRE [152]. Pour vaincre les Persans & dompter leur audace, Il leur faut exposer les escadrons de Trace, Et nostre corps d'armée estant assez puissant, Pour enfermer le leur le former en croissant. Mon cher Iskirion conduira l'avant-garde, Cet honneur plus que tous aujourd'huy le regarde, Veu que rien ne l'oblige à cette occasion, Que la haute valeur & son affection. Hydaspe & Doristel conduiront les deux aisles, Ils sont deux hardis, vaillants, braves, fideles, Leur émulation fera beaucoup d'effect, Et dedans le milieu de ce cercle imparfaict, Diophante tiendra quelques bandes moins fortes, Pour attirer à nous leurs premieres cohortes. Mais insensiblement mon oeil trompe ma main, Et je cede au sommeil, je luy resiste en vain. ### SCENE VI. DORISTEL, BELISAIRE endormy DORISTEL [153]. Dieux ! quel bonheur jamais fut au mien comparable, Tout rit à mes desirs, et tout m'est favorable, Le sort qui ne veut pas m'obliger à demy, M'a livré Belisaire, & de plus, endormy, Advançons & faisons un coup si necessaire, Laissons ici la soeur à la place du frere [154] ; Mais quel est ce papier, contentons nostre esprit, Et voyons les secrets que contient cét escrit, Lisons, Ordre des chefs pour conduire l'Armée, Voyons quelle valeur est la plus estimée, Et si depuis vingt ans que j'expose mon sang, Parmy les plus hardis je n'ay point quelque rang. Hydaspe & Doristel soustiendront les deux aisles, Que vois-je ? justes Dieux, ils sont tous deux fideles, Fideles, tu le vois, pauvre Prince, & jadis, En mille occasions je fus ce que tu dis : Mais l'aveugle Demon maintenant qui le guide Me rend en ton endroict, lâche, ingrat, & perfide. Perfide ! ah, ce nom me donne de l'horreur, Reconnois toy, mon coeur, desarmes ta fureur. Ayde moy, ma raison, & fay mieux ton office, Retire mon honneur des bords du precipice, Et malgré ma foiblesse en un pas si glissant, Fay moy vivre fidele & mourir innocent. Ouy, quittons un dessein qui n'est pas legitime, Ne recognoissons pas des bien-faicts par un crime, Et de la mesme main qui desseignoit [155] sa mort, Redonnons luy le jour & mesme quand il dort. ### SCENE VII. BELISAIRE *s'eveillant*. Ennemis de nos soins [156], amoureux du silence, Qui des soins plus puissans calmez la violence, Doux-charmeur, n'es-tu pas, ô sommeil gracieux, L'image du repos qu'on gouste dans les Cieux ? Si les soins & les maux sont l'enfer où nous sommes, On te doit bien nommer le paradis des hommes, Que ce relâche est doux apres tant de soucy. Mais quel est ce poignard, & qui l'a mis ainsi ? Cet object me predict quelque triste adventure⁎, Pour nous en éclaircir lisons cette escriture, Dont les traits inconnus ne sont pas de ma main : Si tu veux éviter un projet inhumain, Prens garde à ta personne on en veut à ta vie. Ah ! je sçay d'où provient cette barbare envie, Cruelle, & bien j'iray contenter ta rigueur [157], Pour ce rare present tu demandes mon coeur, Il faut que par un trait d'obeissance extreme Ma main te l'aille offrir & porter elle mesme. Il te plaist, je le veux, allons par cét effort Eviter mille morts par une seule mort. Fin du quatriéme Acte ## ACTE V. ### SCENE I. BELISAIRE, DIOPHANTE BELISAIRE. Va, que differes-tu ? va mon cher Diophante, Va trouver de ma part cette superbe⁎ Infante, Cette altiere Sophie en qui la cruauté, Paroist incomparable ainsi que la beauté, Dy luy que le trépas a pour moy tant de charmes, Que tu as veu baiser ces favorables armes, Qui doivent immoler un Prince infortuné⁎. Aussitost que ses yeux me l'auront ordonné, Dy luy qu'il n'est plus rien dont l'appas⁎ me retienne, Que j'aime ce poignard ravi d'aise qu'il vienne, D'un object si charmant ; & qui me rendra vain, S'il passe dans mon coeur d'une si belle main. Apres rends luy ce fer avecque cette lettre, Puis observe ses yeux, & tâche à reconnoistre, Si quelque mouvement⁎ ou visible ou secret, Ne témoignera point tant soit peu de regret. Amy, si tu peu voir que la pitié la touche S'il couste seulement un helas à sa bouche, Un soûpir à son coeur, une larme à ses yeux, Je tiendray mon trespas & juste & glorieux, Et mon ombre là bas heureusement ravie, N'aura point de regret d'avoir quitté la vie. DIOPHANTE. Quel desespoir, Seigneur, vous reduit en ce poinct ? BELISAIRE. Sers moy, cher Diophante, & ne t'affliges point, Imite mon respect, j'obeis, fais de mesme, On sert aveuglément les personnes qu'on aime, Ne differes donc point d'obeïr à mes voeux. DIOPHANTE. Quel office d'amour ? [158] BELISAIRE.         C'est le seul que je veux. DIOPHANTE. Et bien, j'obeïray. BELISAIRE.         Va. Belle Amalazonthe, Dont la haute vertu me captive & me dompte, Apprens par tous ces maux que je souffres pour toy, Ton pouvoir, mon amour, ta rigueur, & ma foy, Puis que ny les tourments, ny le fer, ny la flame Ne sçauroient arracher ton portraict de mon ame. ### SCENE II. THEODORE. Il vit, tout le malheur est tombé dessus nous, J'ay fait un attentat, mais j'en reçois les coups, Ma honte & mon honneur ont ma haine suivie, Sa mort me faisoit vivre & je meurs en sa vie, Je suis dedans l'orage, il est hors du danger, Et mesme par le bras qui me devoit vanger. O Dieux, tout est rebelle & traistre à mon courage, Je n'ay plus de moyens qui secondent ma rage, Elle n'oseroit plus se fier qu'à ma main, Hors de moy rien ne m'aide & tout secours est vain, Belisaire me brave, & pourtant on le souffre⁎, Je croy qu'il trouveroit du bon-heur dans un gouffre, Et que les trahisons qu'on trame contre luy, Succedent à ses voeux & luy servent d'appuy. Il ne faut pas pourtant que l'affront m'en demeure, J'y suis trop engagée, il faut, il faut qu'il meure, Et qu'il apprenne enfin par un dernier effort, Que ma haine ici bas est autant que la mort. Mais que veut Diophante, & que tient là Sophie ? ### SCENE III. SOPHIE, DIOPHANTE, THEODORE SOPHIE *tenant une lettre ouverte* [159]. Ah, quelle ingratitude & quelle perfidie ! THEODORE. Ma niepce qu'avez-vous qui vous trouble si fort ? SOPHIE. L'horreur d'une action que l'on m'impute à tort, Oyez, voyez, lisez, & juger tout ensemble. THEODORE. Dieux ! mon coeur est en feux, & pourtant ma main tremble, Dissimulez mes yeux, ne me trahissez pas, Mais lisez en riant l'arrest de mon trespas. Lettre de Belisaire à Sophie Rigoureuse Princesse à qui j'ay pû déplaire, Je renvoye à vos yeux un present de vos mains, Leurs traits sont assez inhumains, Et pour m'oster la vie, & pour vous satisfaire, Toutesfois si votre rigueur, A deliberé que mon coeur, Vous serve par ce fer de sanglante victime, Je suis prest d'obeir, le coup me semble beau : Mais comme l'amour est mon crime, Qu'une fiere beauté soit aussi mon bourreau [160]. BELISAIRE Ah, vraymant pour un Prince modeste, Son insolence icy se rend bien manifeste, Puis qu'alors que ses voeux ne sont pas satisfaits, Le dépit aussi tost le porte à ces effects⁎. Approchez, mon amy, dites à vostre maistre, Que Sophie est Princesse, & qu'il doit reconnoistre, Que celles de son sang & de sa qualité, Ont beaucoup de clemence & peu de cruauté, Puis que sans s'arrester à son extravagance, Elles peuvent souffrir⁎ ce traict⁎ qui les offense, Allez, retirez-vous. DIOPHANTE.         Ah, Madame, en ce poinct. THEODORE. Fay ce que je commande, & ne replique point. DIOPHANTE. J'obeis. ### SCENE IV. THEODORE, SOPHIE THEODORE.         Vous, Sophie, apres un tel outrage, Serez-vous sans raison ainsi que sans courage ? Voila, voila le fruict & le prix de vos voeux, O le parfaict amant ! SOPHIE.         Mais qu'il est malheureux ! O Dieux, que dois-je faire apres ce coup de foudre ? THEODORE. Le quitter. SOPHIE.     O Destins ! THEODORE.         Il vous y faut resoudre, Et pour y mieux songer retirez-vous d'icy. SOPHIE. Finissez, Dieux cruels, ma vie & mon soucy. ### SCENE V. THEODORE. Enfin c'est maintenant, superbe⁎ Belisaire, Que tu ne sçaurois plus eviter ma colere, Il faut, il faut mourir, l'arrest en est dressé, Cette lettre le porte, & je l'ay prononcé, Ta maistresse elle-mesme, est icy ma complice, Et me laissant ce fer approuve ton supplice, Acheve donc ma main un coup mal commencé, Qu'un crime vange un coeur par un crime offensé [161], Une lâche action en veut une pareille, Son desespoir l'attent, ma fureur le conseille, Et son mépris me porte à cette passion : Mais que veut l'Empeureur, & quelle occasion Le fait venir icy, confus, triste, & sans suitte [162] ? ### SCENE VI. THEODORE, JUSTINIAN, Un garde [163] JUISTINIAN *parlant au garde à la porte*. Qu'autre personne ici ne nous soit introduite. THEODORE *à part*. Je lis dedans ses yeux quelque dessein caché, Je tremble & sens au coeur un poison attaché, Ma veuë est égarée & ma voix est pesante, Rassurons-nous pourtant ; Quel soucy vous tourmente, Seigneur ? & quel sujet vous altere si fort ? JUSTINIAN. Un malheur que je crains à l'égal de la mort. THEODORE. O Dieux ! & quel malheur ? je suis toute interdite. JUSTINIAN. Helas ! THEODORE.     Quoy donc, Seigneur ? JUSTINIAN.         Belisaire nous quitte, Et toute la grandeur dont j'éclate aujourd'huy, Par ce triste accident⁎ me quitte avecque luy. THEODORE. Ah, vous vous faites tort, cette grandeur supréme, Qui maintient vos Estats subsiste par vous méme, Le Ciel pour ses faveurs n'a que vous pour objet, Et vous ne tenez point vostre éclat d'un sujet. JUSTINIAN. Non, mais en le perdant... THEODORE.         Vous perdez peu de chose, Et l'effect vous plaira quand vous sçaurez la cause, Sçavez vous le sujet qui l'a fait retirer ? [164] JUSTINIAN. C'est ce que je n'ay pû luy faire declarer, Mais pour une raison importante et secrette, Ce Prince m'a prié d'agreer sa retraite. THEODORE. Consentez y, Seigneur, & vous ferez beaucoup. JUSTINIAN. Pourquoy ? THEODORE.         C'est trop se taire, enfin c'est à ce coup, Qu'il vous faut détromper, & vous faire connoistre, Que Belisaire, JUSTINIAN.     O Dieux ! THEODORE.         Ouy, Seigneur, vous est traistre, Et c'est pour ce sujet qu'il veut quitter la Cour, Tenez, voyez son crime en voyant son amour. JUSTINIAN. Je n'en sçaurois douter, voila son escriture. THEODORE. Et voicy qui sçaura témoigner son injure, Ouy, pour vous témoigner combien j'y prens de part, Je le vay saluer de vingt coups de poignard, Ma main de cet affront justement animée Sçaura trouver son coeur au coeur de vostre armée ; Ma mort suivra de prés cette temerité, Mais le perfide aura ce qu'il a merité. JUSTINIAN. Moderez ce transport, si l'ingrat est coupable, Vous le feriez perir d'un coup trop honnorable, Les traistres n'ont jamais des supplices si doux, Un bourreau fera mieux cet office que vous. Hola, Gardes, à moy, que vostre capitaine, Vienne tost me trouver dans la chambre prochaine, Pour recevoir mon ordre & mes commandemens. Vous verrez ma justice & mes ressentimens, Mais avant que la foudre éclate sur sa teste, Il faut premierement que Pyrandre l'arreste. Justinian sort ### SCENE VII. THEODORE *seule*. Courage, tout va bien, il n'en peut échaper, Et le traict de la mort est prest à le fraper : Mais avant que la Parque [165] ait achevé sa peine, Examinons un peu la cause de ma haine, Je l'aimois autresfois, je le hais aujourd'huy, D'où vient l'aversion que mon coeur a pour luy ? Il est tousjours charmant, il est tousjours luy-méme, Et malgré ma fureur je sens bien que je l'aime, Ses belles qualitez regnent sur mes esprits Mais, helas ! je ne puis endurer ses mépris Cette seule raison me rend son adversaire, Il est mon ennemy, mais il est Belisaire. Ah, desordre confus de mes pensers errans, Où se termineront ces dessein differents ? Je deteste son nom, je le hay, je l'abhorre, Je le fuis, je le crains, & je l'aime encore, Je sens mon feu s'éteindre, & puis se rallumer [166], Je ne le puis hayr, je ne le puis aimer, La fureur me saisit, puis elle m'abandonne, Tantost je le condamne, apres je luy pardonne, Je cherche tout ensemble, & je crains son trépas, Et quand ma main le peut mon coeur ne le veut pas. Achevons toutesfois & cessons cét orage, Mettons le dans le port [167], ou faisons son naufrage, Puis qu'il est innocent espargnons sa vertu, Aimons les qualitez dont il est revestu, Mais que par ce discours mon ame est abusée, C'est par cette vertu que je suis mesprisée, Ce sont ces qualitez qui troublent mon repos, Qu'il meure donc, qu'il meure, il est plus à propos, Puis que pour estoufer le regret qui me tuë [168], Qu'il meure, & pour ne point me vanger a demy, Perdons d'un méme coup & l'amant & l'amy [169]. Ouy, perdons les tous deux, je dois estre obeïe, L'amant m'a méprisé, & l'amy m'a trahie, Tous deux également ont osé m'outrager, Faisons voir à tous deux que je me sçais vanger, Et que me negliger ou que me contredire, Est pis que de choquer ny l'Estat ny l'Empire. ### SCENE VIII. SOPHIE, ISKIRION ISKIRION. Ouy, Madame, il importe au bien de vos amours, De prester à ce Prince un utile secours, Jusqu'icy le respect a regné dans son ame, Faites y succeder une immortelle flame [170], Et tirez de son coeur par obligation, Ce qu'un autre a ravy par son affection, J'en ay dit les moyens, forcez vostre courage, Et son succez, Madame, appaisera l'orage, Qu'une injuste vengeance excite en cette Cour, Et par eux vous verrez triompher vostre amour, Ouy, Madame, ce coup fait le salut d'un Prince, D' un malheur evident sauve vostre province, Et retire des fers un miserable amant, Qui n'est point criminel que d'estre trop charmant. C'est ainsi que sans crime on peut estre infidele, Et la discretion est icy criminelle [171], Allons donc le trouver, allons le secourir, Et mesme s'il se peut le sauver, ou mourir. SOPHIE. Allons, puis que ce mal veut un remede extreme, En cette occasion je me vaincray moy-méme, Je suivray vos conseils, & par cette action, J'exciteray l'amour, ou la compassion. ### SCENE IX. SOPHIE, ISKIRION, PIRANDRE SOPHIE. Entrons PIRANDRE.     Arrestez-la, que voulez-vous ? SOPHIE.         Pirandre, Est-ce là le respect que vous me devez rendre ? Ne vous informez point, je sçay vostre devoir, Et vous ne devez pas ignorer mon pouvoir. PIRANDRE. Mais l'Empereur me fait une expresse defense... SOPHIE. Va, mon authorité de ce soin te dispense, Tu retardes icy par un fâcheux debat, La salut de mon oncle & celuy de l'Estat. Ne sois pas en soucy de ce que je vay faire, Je te suis caution de toute cette affaire, Et ma foy t'en promet d'agreables effects. PYRANDRE. Ah, Madame, en ce cas j'obeis & me tais. ### SCENE X. SOPHIE, ISKIRION, BELISAIRE dans la prison [172] ISKIRION. Amy, leve les yeux, contemple ce visage, Et croy que son abord t'est un heureux presage, Puis que le seul dessein qui nous amene icy, Est de te retirer de crainte & de soucy. Voy cét Astre Divin qui doit finir ta peine, Sophie est tousjours belle & jamais inhumaine, C'est elle qui te doit retirer de ces fers, Si tu te rens à ceux que ses yeux t'ont offerts. BELISAIRE. Il est vray, cher amy, que parmi mes desastres, Je n'eusse jamais creu qu'on veit icy des Astres, Aussi quand leur éclat a paru dans ces lieux, Saisi d'étonnement ay-je bayssé les yeux, Mais je respire à peine apres tant de merveilles, Qu'une autre illusion enchante mes oreilles, Et qu'un charme puissant que forment vos discours Flatte mon desespoir d'un frivole secours. SOPHIE. Non, non, sa voix n'a point vostre oreille abusée, Ce que fit Ariadne autresfois pour Thesée [173], Je le feray pour vous s'il se peut aujourd'huy [174], Sans pretendre de vous ce qu'on vouloit de luy. Ouy, mon Prince, je veux vous tirer des tenebres, Et donner à vos yeux des objects moins funebres, Je veux rompre vos fers, vous redonner le jour, Et me sacrifier au bien de vostre amour. BELISAIRE. Est-ce pour esprouver beaux yeux trop pitoyables, Si quelque vanité trouble les miserables, Ou bien si dans l'estat où m'a reduit le sort, Je puis encore avoir l'esperance du Port [175], Non, non, d'un front égal & d'un courage ferme J'attens de mon trespas le deplorable terme, Je ne crains pas la mort, car je meurs chaque jour, Et j'espere en mourant d'y vanger vostre amour. SOPHIE. Non, non, vivez plustost, je veux pour vostre gloire, Changer vostre échafaut en un champ de victoire, Mais nous perdons du temps, mon Prince il faut partir. BELISAIRE. Ah, ne me joüez pas, le moyen de sortir, Ce chasteau n'a-t-il plus de gardes ny de portes ? SOPHIE. Un charme tout nouveau t'ouvrira les plus fortes, Et j'en prendray le soin de conduire tes pas, Hors de ce labyrinthe où regne le trépas [176], Escoute seulement ce qu'il faut que tu fasses, Si tu veux que le Ciel finisse tes disgraces. BELISAIRE. Je suis prest d'obeir à vos commandemens. SOPHIE. Il faut vous travestir soubs mes habillemens, Et de peur de donner aux Gardes de l'ombrage, D'un voile adroitement vous couvrir le visage, Pour moy soubs un habit au vostre tout pareil Je veux rester icy. BELISAIRE.         C'est donc là le conseil, Qui me doit aujourd'huy retirer du naufrage, Ah, laissez Belisaire il a trop de courage, Pour vouloir mandier par une lâcheté, Une honteuse vie, ou bien sa liberté, Ce coupable dessein perdroit mon innocence, Et ma fuite seroit un adveu⁎ de l'offense [177]. SOPHIE. Je vous donneray lieu de vous justifier, Mais pour un peu de temps forcez ce coeur altier, A vos justes desirs monstrez-vous moins rebelle, Puis que l'occasion s'en presente si belle, Pour eviter l'affront d'un trépas rigoureux, Il sied bien quelquesfois d'estre moins genereux. Cessez donc. Justes Dieux ! Là Sophie veut oster les fers à Belisaire ### SCENE XI. THEODORE, SOPHIE, ISKIRION, BELISAIRE THEODORE [178].         Quelle est cette entreprise ? Que faites-vous, Sophie ? ISKIRION.         O fatale surprise ! SOPHIE. Malheureuse. THEODORE.         Je sçay ce qui vous mene icy, Tirez-vous à l'écart je prendray ce soucy. Pour vous demeurez-là vous m'estes necessaire, A Iskirion [179] Je vous veux enseigner ce que vous devez faire, Et puis lors que j'auray contenté mon courroux, Vous verrez ce qu'il a deliberé pour vous. Orgueilleux, voy ton sort, regarde cette lame [180], Et par ce coup apprens. ISKIRION *luy retenant le bras*.         Que faites-vous, Madame ? THEODORE. Insolent, oses-tu traverser mon dessein [181] ? ISKIRION. Ah ! quittez ce poignard, ou m'en percez le sein. BELISAIRE. Mon coeur est son object, qu'il épargne le vostre. THEODORE. Il doit à mon courroux immoler l'un & l'autre. SOPHIE. Helas ! BELISAIRE.         Prenez mon sang & épargnez le sien. ISKIRION. Il est malaisé qu'il coule sans le mien, Tenez, frappez, Madame. SOPHIE.         Honnorable dispute. BELISAIRE. Laisse agir sa fureur, c'est pour moy qu'elle bute, Souffre, cruel amy, qu'elle acheve mon sort, L'estat où tu me vois est bien pis que la mort, Et je seray content qu'elle m'oste la vie, Pour me recompenser de l'avoir bien servie [182]. THEODORE. De m'avoir bien servie ? insolent, que dis-tu ? Ouy, si l'ambition estoit une vertu, Si l'orgueil, le mépris, & tous les autres vices, Partout, comme chez toy, passoient pour bons offices. Supplice de mes yeux crois-tu bien me servir, Quand tu defens un bien que tu me veux ravir ? Crois-tu bien me servir quand par ton arrogance Tu méprises mes voeux, mes faveurs, ma puissance ? Et veux-tu que je sois redevable à tes soins, Parce que je suis celle où tu penses le moins ? Ouy, lors que tu te ris de mon ame asservie, Tu crois encor, ingrat, m'avoir trop bien servie. BELISAIRE. A quoy bon ce reproche & tout ce vain discours, Puis que vostre dessein est de finir mes jours ? Achevez, Theodore, achevez vostre ouvrage, Ce coeur ne tremble point pour un si foible orage, Vous ne l'avez pû voir amoureux ny brûlant, Il faut que desormais vous l'ayez tout sanglant. THEODORE. Ouy, mais auparavant que je t'oste la vie, Je veux sçavoir, ingrat, en quoy tu m'as servie. BELISAIRE. Ah ! ne m'obligez pas de vous entretenir     D'un si triste, si lâche, & honteux souvenir, D'un si fâcheux effect dispensez ma memoire, Si vous ne m'épargnez, épargnez vostre gloire, Et ne permettez pas que je publie icy Ce qui fait vostre honte & mon malheur aussi Puis qu'il vous plaist pourtant contentons nostre envie, Ne vous ay-je donc pas fidelement servie ? Quand voyant vostre coeur lâchement abattu, J'ay fait sur vos desirs regner vostre vertu ? N'ay-je rien fait pour vous, quand malgré tous vos charmes, La raison contre moy m'a fait rendre les armes, Et sans se prevaloir de vostre aveuglement, A fait contre vos voeux agir mon jugement ? Ah, reconnoissez-vous, & songez, Theodore, Loin de vous mépriser, combien je vous honnore, Puis que sans écouter mon amour suborneur, J'ay perdu mes plaisirs pour sauver vostre honneur [183] : Que vous ay-je donc fait qui cause vostre haine, Je fus respectueux, vous estes inhumaine, J'ay souffert tout l'orage & vous ay mise au port, Et c'est pour ce sujet que vous veulez ma mort. THEODORE. Ta mort ? ah ! la raison veut icy le contraire [184], Vis heureux, j'y consens, triomphe Belisaire, Triomphe, ta vertu qui te rend mon vainqueur, M'oste le fer des mains & la haine du coeur. Ostons luy les liens. SOPHIE.     Ah ! mon Prince. BELISAIRE.         Ah ! Madame [185], En delivrant mon corps, vous captivez⁎ mon ame, Et la méme pitié [186] dont je voy les effects, S'offense des liens que vous avez défaicts, Madame vangez-vous de mon ingratitude, Sur ce coeur insensible à vostre inquietude, Qu'il meure, cet ingrat, de honte & de regret, Tirez-le, je le sens qui se flate en secret ; R'appellant de vos feux l'agreable memoire, Il veut mourir d'amour, qu'il n'en ait pas la gloire, Son supplice seroit trop doux & trop charmant, Il doit mourir en traistre & non pas en amant, Puis que la main des Dieux vous ayant fait si belle, L'ingrat a pû vous voir & vous estre rebelle, Pardonnez luy beaux yeux si charmans & si doux, Je demande sa grace & l'attens à genoux. SOPHIE. Quelle grace ? BELISAIRE.     L'Amour SOPHIE.         A ce mot je soupire, Ses voeux sont mes souhaits ; on me porte où j'aspire : Mon Prince, levez vous parmy tant d'actions, N'adjoutez pas ma honte à vos perfections, Puis-je voir à mes pieds celuy qui me surmonte ? Faut-il que je rougisse & d'amour & de honte ? Qu'un autre estat demande & reçoive mon coeur. BELISAIRE. C'est ainsi que je dois recevoir mon vainqueur. ISKIRION. Que cét effect, Amour, éternise ta gloire. THEODORE. C'est trop se disputer l'honneur de la victoire, Il nous faut de ce pas aller vers l'Empereur, Appaiser son courroux & le tirer d'erreur, J'ay souslevé les flots, calmons en la tempeste, Suivez moy seulement, & je feray le reste. ### SCENE XII. JUSTINIAN, VITIGEZ, AMALAONTHE VITIGEZ. Avant que d'en venir à l'extreme rigueur, Grand Prince ayez égard aux traits de sa valeur [187]. JUSTINIAN. Ah ! je ne puis souffrir⁎ l'impunité d'un crime, Qui destruit mon honneur & tache mon estime, Je l'avois fait trop grand, il s'est trop oublié. VITIGEZ. La prison & ses fers l'auront humilié, Pardonnez luy, Seigneur. JUSTINIAN.         Ah ! l'ingrat, ah ! le traistre, Oser insolemment se joüer à son maistre ? Ah ! je ne puis souffrir⁎ cette temerité. AMALAZONTHE. Hé, Seigneur, consultez un peu vostre bonté, Elle parle pour luy. JUSTINIAN.         Je ne m'y puis resoudre. VITIGEZ. Que vostre Majesté retienne un peu le foudre, Qui menace son chef d'un malheur infiny, Perdant vostre faveur il est assez puny. JUSTINIAN. Ah ! je l'ay trop aimé ce jeune temeraire, En cette occasion mon coeur que dois-je faire [188], L'un émeut mon courroux, l'autre me fait pitié [189], Ses services passez m'inspirent la clemence, Et son crime present aigrit ma violence, Et je crains justement en cette extremité, De manquer de prudence ayant trop de bonté, Perdre aussi ce que j'aime & dont le grand courage A sauvé mes Estat d'un visible naufrage, Un Prince genereux, un serviteur ardent, Un sujet nompareil, noble, mais imprudent, Belisaire, en un mot, ah ! c'est une personne, Que je puis balancer avec une couronne, Que resoudray-je donc ? mais qu'est-ce que je voy [190] ? Theodore, bons Dieux ! l'ameine devant moy. Ce procedé nouveau rend mon ame confuse. ### SCENE derniere. JUSTINIAN, VITIGEZ, AMALAZONTHE, THEODORE, ISKIRION, SOPHIE, BELISAIRE, PYRANDRE THEODORE [191]. Il est temps de quitter l'erreur qui vous abuse, Seigneur, j'ay découvert par un heureux effect⁎, L'innocence & la foy de ce Prince parfait. Ouy, croyez moy, Seigneur, il fut tousjours fidele, Il ne brûla jamais d'une amour criminelle, Et cet object à qui s'adressoit son écrit, Peut ainsi que le mien éclaircir vostre esprit : C'est pour luy seulement qu'il soupire & qu'il brûle, Sa main trompe mes yeux & je fus trop credule, De me persuader que sa temerité M'adressât cét écrit qui me fut presenté. Mais ce qui l'accusoit icy le justifie, Et je connois assez qu'il estoit pour Sophie, Puis qu'elle méme enfin m'a fait un noble adveu⁎, Qu'elle avoit excité l'ardeur d'un si beau feu, Et que les qualitez d'un si brave courage, Meritoient [192]... JUSTINIAN.         C'est assez, n'en dy pas d'avantage, La vertu que je vois sur ce front genereux⁎, Monstre son innocence en l'objet de ses voeux, Et mon coeur est ravi qu'une si belle flame En faveur de Sophie ait embrasé son ame, Mais j'ay bien du regret qu'en cette occasion Je ne puisse respondre à son affection, Pour ne pas rendre vain le voyage d'un Prince [193], Que cét espoir retient dedans cette province, Et qui m'a témoigné que pour le meriter Il donneroit son sang. ISKIRION.         Il n'en faut pas douter, Ouy, Seigneur, je l'attens, & je vous la demande, JUSTINIAN. Vous l'aurez. THEODORE.     Que dit-il ? SOPHIE.         O Dieux que j'apprehende ! ISKIRION. Grand Prince souffrez donc que cet object charmant, Reçoive devant vous le coeur de son amant. JUSTINIAN. J'y consens. ISKIRION.         Ma Princesse en ce bon-heur extreme, Vous donnant ce Guerrier je me donne moy-méme [194], Il possede mon coeur, ce qui luy plaist m'est doux, Donnez-vous toute à luy je serais toute à vous, Mes services auront un illustre salaire, Si vous reconnoissez les voeux de Belisaire, Ce qui fait son bon-heur fera le mien aussy, Et c'est le seul espoir qui me retient icy ; Consentez, grand Monarque, à cette illustre envie. JUSTINIAN. S'il vous plaist, je le veux. SOPHIE.         Cet espoir est ma vie. ISKIRION *à Belisaire*. Et vous ? BELISAIRE.         En ce bon-heur où je reste confus, J'obeïray, Seigneur, ne pouvant faire plus, Mais j'advoüeray tousjours tenir cét advantage Des bontez de Sophie & de vostre courage. ISKIRION. Vostre merite seul fait vos felicitez, Seigneur. BELISAIRE.         Tréve de grace à ces civilitez, Je suis assez vacu par vostre bien-veillance, Sans que vous m'attaquiez avec vostre eloquence, Vous voulez m'attaquer à force de bien-faicts : Mais pour recompenser tant de nobles effects⁎, Mon cher Iskirion, enfin que dois-je faire ? ISKIRION. Permettre que mon coeur soit tout à Belisaire, Et par un zele ardent que je monstre en ce jour, Qu'il est des amitiez plus fortes que l'amour. VITIGEZ. Illustres sentimens d'une ame genereuse⁎ ! AMALAZONTHE. Par ce charmant accord qu'ils me rendent heureuse. JUSTINIAN. Venez, approchez-vous ; Que les deux Souverains Puissent joindre vos coeurs comme je joins vos mains. BELISAIRE. Puissent les immortels par cette grace insigne, Et cét extreme honneur dont je me sens indigne, Répandre tous les jours sur vostre Majesté Mille torrents de gloire, & de prosperité. SOPHIE. Puissent les Dieux puissans ainsi que je desire, Aux deux bouts de la terre estendre vostre Empire, Et puisse estre aux humains vostre regne aussi doux [195], Que le servage⁎ heureux que je reçois de vous. BELISAIRE. Voyez, Amalazonthe, où le sort me destine. AMALAZONTHE. A la possession d'une beauté divine, Qui prenant sur vostre ame un plus juste pouvoir, Vous oste un vain amour, & me rend mon espoir [196]. JUSTINIAN. Suivez donc cet espoir que vostre amour vous donne, Vitigés a pour vous hazardé sa couronne, Il a tout fait pour vous, vous faites tout pour luy, Et souffrez⁎ que son coeur vous possede aujourd'huy, Vous l'avez mis aux fers, qu'il y mette vostre ame, Que vostre peine soit une commune flame, Et qu'Amour & l'Hymen [197] ces aimables Tyrans, Soient les executeurs de l'Arrest que je rens. VITIGEZ. Douce punition ! agreable sentence ! AMALAZONTHE. Que j'adore les loix d'une telle ordonnance ! JUSTINIAN. Enfin cét heureux jour si long temps differé, Est venu quand mon coeur l'avoit moins esperé, Et lors que je prenois le bandeau de Justice, Je pense que l'Amour par un plaisant caprice, A dévoilé mes yeux de ce funeste atour [198], Et remis en sa place un bandeau de l'Amour. Enfin ce petit Dieu qui causoit nos tempestes, A luy méme éloigné l'orage de nos testes, Et le mesme pouvoir que je craignois si fort, Loin de nous abismer nous a mis dans le port. FIN. # Lexique.Dictionnaire universel Dictionnaire de la langue française AccidentHasard, coup du sort (bon ou mauvais)V. 1435AccorderOutre les sens courants de consentir et consilier, il signifie ici avouerAccorteCelui qui est courtois, complaisantV. 933AdorableQui mérite le plus profond respectV. 69AdventureUne chose qui est arrivée ou qui va arriverV. 309, 1310AdveuPermission, consentement donnéV. 691, 1596, 1744AdvisDélibérationV. 395AimableDigne d'être aimé(e)V. 1079AppasSe dit figurément en choses morales de ce qui sert à attraper les hommes, à les inviter à faire quelque choseV. 31, 155, 275, 940, 1330AugusteMajestueux, vénérableV. 1, 145, 191Besoin (au)Dans le besoin (dans une situation dangereuse)V. 236CaptiverRetenir prisonnier et donc soumettreV. 1672CharmerExercer une action magique par le moyen du charmeV. 492ChoirTomberV. 420CœurSens particulier du XVIIième siècle de courage, force, vigueur outre le sens courantV. 166, 195ConfondreSe remplir de confusion, s'affoler ; prendre sur le faitV. 376ConfusionHonte ; embrouillementV. 490ConsiderableQui doit être estimé(e), remarqué(e)V. 26, 257ContentQui n'est point chagrin, qui ne désire plus rienDouaïreBiens que le mari assigne à sa femme en se mariant pour en jouïr par usufruit pendant sa viduitéEffetMise en pratique, exécution, réalisationV. 167, 398, 550, 730, 867, 1198, 1395, 1732, 1781EsprouverFaire l'expérience de quelque choseV. 1107EstonnerÉmouvoir, surprendre, inquiéter, causer de la crainte, effrayerV. 412, 908FacilitéIndulgence, complaisanceV. 119GénéreuxQui a l'âme grande et noble et qui préfère l'honneur à tout intérêt ; brave, vaillantV. 81, 115, 346, 349, 563, 669, 860, 929, 949, 1748, 1786HymenMariageV. 246HeurBonheurIndiscretQui agit par passion, sans considération de ce qu'il dit ou faitV. 301, 854InfortunéMalheureuxV. 106, 659, 738, 807, 1328Libéral(e)Qui donne avec raison et jugementV. 17ManiePassion excessive qu'on a pour quelqu'unV. 533MinistreQui sert Dieu, le public, les particuliersV.MouvementSe dit figurément en choses spirituelles et morales ; "toutes les passions excitent des mouvements en notre âme"V. 300, 357, 800, 1336ObligerOutre le sens actuel, il signifie faire quelque faveur, civilité, courtoisie pour faire plaisirV. 477OccurrenceÉvénement qui se présente fortuitementV. 719OfficeSecours réciproque de la vie civile ; se dit aussi figurément pour désigner la fonction, la faculté d'agir tant en choses morales que naturellesV. 361, 477, 1127PompeDésigne ici magnifiscence, faste, appareil solennelV. 18ProtesterPromettreV. 617Quant et quantEn même tempsV. 959, 971RésoudreSens particulier ici de conclure après avoir délibéréV. 369SalaireRécompenseV. 158, 341, 680ServageAncien terme pour désigner l'esclavageV. 1797SuccederRéussirV. 22SuperbeVain, orgueilleux, qui a une trop bonne opinion de lui-même ; se dit également de ce qui marque la magnifiscence, la somptuositéV. 15, 339, 416, 912, 1323, 1412SouffrirSignifie ici consentir tacitement, tolérer, permettreV. 83, 100, 166, 367, 389, 401, 419, 432, 454, 570, 668, 745, 862, 901, 914, 919, 955, 1366, 1401, 1703, 1709, 1805TapabortBonnet à l'anglaise qui sert le jour et la nuit et dont on rabat les bords pour se garantir du vent et du hâleV. 485, 674TraitFlèche qui se tire avec un arc ordinaire ; peut désigner plus spécifiquement les regards et blessures qu'ils font dans le coeur quand ils inspirent de l'amour (traits de Cupidon)V. 162, 383, 569, 809, 1077, 1401TransportSe dit figurément en choses morales du trouble ou de l'agitation de l'âme par la violence des passionsV. 537, 677, 1064VertuForceV. 144 # Tableau 1 : tableau synoptique. | El ejemplo mayor de la desdicha |  | Bélisaire I, 1 | Léonce, déguisé en pélerin, tente de tuer Bélisaire mais il échoue devant la bonté de ce dernier. |  |  I, 2 | L'empereur félicite Bélisaire pour ses exploits guerriers dont celui-ci fait le récit | I, 2 | Bélisaire revient victorieux, avec deux prisonniers ; il reçoit les insignes royaux en récompense. I, 3 | Dispute entre deux soldats chacun prétendant que l'autre a reçu une récompense qu'il ne méritait pas |  |  I, 4 | Marcia fait dire les raisons de sa haine pour Bélisaire : il a repoussé autrefois ses avances. |  |  I, 5 | Théodore interdit à Antonia de parler à Bélisaire et veut la marier à Filipo. | V, 4 | Théodore demande à Sophie d'ignorer Bélisaire. I, 6 | Bélisaire entre avec l'empereur et s'étonne de l'attitude distante d'Antonia. |  |  I, 7 | Léonce reçoit le pardon de Justinien ; de son côté Théodore demande à Narsés de tuer le général. | IV, 4 | Théodore confie la mission à Doristel. I, 8 | Nouvelle épreuve pour les amants ; Bélisaire croit qu'elle ne l'aime plus. |  |  I, 9 | Antonia, seule, déplore l'interdit de Théodore. |  |  I, 10 | L'impératrice lance un défit à Antonia et se cache derrière le rideau. |  |  I, 11 | L'affrontement entre les deux amants a lieu : Antonia n'est pas libre de parler et Bélisaire ne comprend pas ses propos mystérieux. Resté seul, il la soupçonne même de l'attentat. |  |  I, 12 | L'empereur vient trouver son général et lui demande de désigner un chef pour la campagne d'Italie. Bélisaire, une fois seul, choisit Narsés, puis s'endort. | IV, 5 | Bélisaire choisit un chef d'armée puis s'endort. I, 13 | Narsés entre et va pour le tuer mais, guidé par sa curiosité, il lit le parchemin ; voyant son nom, il est comme désarmé et laisse alors un avertissement à Bélisaire. | IV, 6 | Doristel vient alors pour le tuer mais lisant son nom sur le papier, il renonce et laisse un avertissement. I, 14 | L'empereur informe ce dernier que l'Afrique se rebelle ; Bélisaire décide de partir. Antonia, qui a surpris la conversation, veut le retenir. | IV, 7 | Bélisaire se réveille et trouve le message. Aussitôt, il pense que sophie est coupable. I, 15 | Les deux amants s'affrontent ; Antonia pense que Bélisaire part pour lui faire de la peine. |  |  II, 1 | L'empereur s'interroge sur l'identité de la femme meurtrière. |  |  II, 2 | Théodore et ses suivantes entrent et entretiennent l'empereur la pièce qui sera jouée pour son anniversaire. Celui-ci commence à soupçonner sa femme. |  |  II, 3 | Théodore exprime sa jalousie. |  |  II, 4 | Elle demande à Filipo de commettre le meurtre. | III, 1 | Théodore demande à Iskirion de tuer Bélisaire et lui promet Sophie en mariage. II, 5 | Narsés et Léoncio entendent la conversation et décident de protéger Bélisaire. |  |  II, 6 | Bélisaire et Floro volent au secours de Filipo, pris dans le piège tendu par Narsés et Léoncio. | II, 3 | Bélisaire porte secours à Iskirion, pris dans le guet-apens de Narsés (qu'il tue par errreur). II, 7 | Filipo, reconnaissant, offre son amitié à Bélisaire et lui donne en gage un anneau. | II, 4 | Iskirion en signe de sa reconnaissance lui offre un anneau. II, 8 | L'empereur demande à Narsés qu'elle est la responsable des attentats. |  |  II, 9 | Bélisaire rentre victorieux de sa campagne d'Afrique. |  |  II, 10 | Les suivantes mettent Bélisaire au courant pour la pièce et lui donnent son rôle : il joue Pyrame et Antonia est Thisbée. |  |  II, 11 | La répétition commence et les deux amants, sous couvert de leur texte, parlent librement. | IV, 2 | Bélisaire et Sophie s'affrontent : celle-ci tente de connaître les raisons pour lesquelles il ne l'aime pas. II, 12 | Théodore entre puis ressort mais avec quelques doutes. |  |  II, 13 | La conversation entre eux continue. |  |  II, 14 | Théodore revient et cette fois-ci interrompt la répétition avec rage. |  |  II, 15 | Bélisaire, seul, se demande si son ennemi n'est pas l'impératrice. |  |  II, 16 | Filipo vient le voir afin de tenter son forfait mais au moment de frapper, il reconnaît la bague ; il avoue et sans donner de nom, laisse entendre la culpabilité de Théodore. | III, 5 | Iskirion s'approche pour commettre son forfait mais reconnaît l'anneau  ; il demande alors pardon et jure une parfaite fidélité à Bélisaire. II, 17 | Alors que Narsés et l'empereur s'entretiennent, Bélisaire feint de rêver et dénonce à haute voix l'impératrice. Celle-ci apparaît et tente de frapper Bélisaire mais elle est arrêtée par Justinien qui lui promet une sévère punition tout en défendant son général. |  |  II, 18 | L'empereur donne les insignes royaux à Bélisaire et en fait son second. | I, 1 | Bélisaire reçoit les insignes et est désormais l'égal de Justinien. III, 1 | Les soldats discutent avec Bélisaire de sa campagne d'Italie. |  |  III, 2 | Théodore entre et demande à être seule avec Bélisaire. |  |  III, 3 | L'impératrice joue sa grande scène de séduction avec son gant mais Bélisaire, qui a très bien compris son jeu, ne se laisse pas prendre. |  |  III, 4 | Antonia arrive et ramasse le gant ; Bélisaire en profite pour lui glisser une lettre dans la manche. |  |  III, 5 | Mais Théodore l'a vu et la lui confisque. | V, 3 | Sophie montre la lettre à Théodore avec laquelle Bélisaire veut la tester ; l'impératrice la garde et entend bien s'en servir. III, 6 | L'empereur cherche Bélisaire et découvre sa femme en larmes : elle lui montre la lettre, prétend que Bélisaire l'aime puis s'évanouit. | V, 6 | Justinien apparaît affligé : Bélisaire a annoncé son départ mais il n'en connaît pas la raison. Théodore lui montre la lettre en prétextant que c'est parce qu'il l'aime. III, 7 | Les suivantes de l'impératrice l'emmènent. |  |  III, 8 | L'empereur commence par éviter Bélisaire puis laisse échapper sa colère ; il lui promet une punition. Le général reste surpris. | V, 6 | L'empereur le fait arrêter et prévoit un autre châtiment. III, 9 | Filipo vient lui reprendre l'anneau. |  |  III, 10 | Narsés lui annonce sa ruine. |  |  III, 11 | Léoncio l'arrête. |  |  III, 12 | Bélisaire prononce sa plaidoirie devant l'empereur. Mais il est emmené pour la prison. |  |  III, 13 | Filipo prend connaissnce de la punition : rendre le général aveugle. |  |  III, 14 | Bélisaire reparaît sur scène, les yeux en sang et tente de crier son innocence. |  |  III, 15 | Devant Narsés, il est réduit à faire l'aumône. |  |  III, 16 | Floro annonce qu'on lui a repris sa villa. |  |  III, 17 | L'empereur se repend de son acte. |  |  III, 18 | Bélisaire s'effondre, mort ; Antonia vient l'innocenter au nom de Théodore. Justinien demande la main d'Antonia qui refuse d'aimer celui qui a tué son amant. |  |  # Tableau 2 : présence des personnages sur scènes et de leur temps de parole. | Acte I | Acte II | Acte III | 1 | 2 | 3 | 4 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 Justinien | 43 |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  Vitiges | 35 |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  Iskirion |  |  |  |  |  |  | 16 | 30 |  |  | 22 | 26 |  |  | 49 |  Bélisaire | 20 |  |  |  | 8 | 55 | 53 | 42 | 40 | 9 |  |  | 45 | 9 | 25 |  Narsés | 3 | 3 | 27 | 32 |  |  | 22 | 0 |  |  |  |  |  |  |  |  Pyrande |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  Doristel |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  | 1 |  Dio-phante | 0 |  |  |  | 0 |  |  |  |  | 3 |  |  |  |  |  |  Théodore | 5 | 86 |  |  |  |  |  |  |  |  | 38 |  |  |  |  | 18 Sophie | 4 | 38 | 38 |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  | 30 Amala-zonthe | 66 |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  | 32 |  |  |  | Acte IV | Acte V | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 Justinien |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  | 20 |  |  |  |  |  | 21 | 32 Vitiges | 67 |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  | 7 | 2 Iskirion |  |  | 14 |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  | 18 | 0 | 8 | 4 |  | 16 Bélisaire |  | 69 |  |  | 16 | 0 | 20 | 32 |  |  |  |  |  |  |  |  | 26 | 51 |  | 15 Narsés |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  Pyrande |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  | 3 |  |  |  | 0 Doristel |  |  | 0 | 20 |  | 28 |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  Dio-phante |  |  |  |  |  |  |  | 2 |  | 1 |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  Théodore |  |  | 22 | 8 |  |  |  |  | 19 | 25 | 5 | 13 | 25 | 39 |  |  |  | 33 |  | 16 Sophie |  | 46 |  |  |  |  |  |  |  | 3 | 3 |  |  |  | 4 | 9 | 27 | 9 |  | 5 Amala-zonthe | 37 |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  |  | 2 | 5 # Bibliographie. ## Ouvrages généraux. ### Sur l'histoire du théâtre, les genres et les formes.L'esthétique de la tragi-comédie en France de 1628 à 1643 Essai sur l'histoire du théâtre Le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne Histoire de la mise en scène dans le théâtre français de 1600 à 1673 La tragi-comédie Le théâtre en France The French Tragi-comedy. Its origin and development from 1552 to 1628 History of French Dramatic Literature in seventeenth centeryThe period of Corneille 1635-1651 Le mémoire de Mahelot, Laurent et autres décorateurs de l'Hôtel de Bourgogne et de la Comédie Française au XVIIe siècle La comedia espagnole en France de Hardy à Racine La comedia espagnole du XVIIe siècle La dramaturgie classique en France El teatro en el siglo XVII. El ciclo de Lope de Vega La tragédie classique en France ### Sur la période.Histoire de la littérature française au XVIIe siècle Dictionnaire des comédiens français La littérature à l'âge baroque en France Comédie et société sous Louis XIII, Corneille, Rotrou et les autres ### Sur l'esthétique et la rhétorique.Poétique ### Sur la sémiotique théâtrale.Lire le théâtre ## Ouvrages sur Bélisaire. ### Sources.El ejemplo mayor de la desdicha in Teatro de Mira de Mescua Bélisaire L'innocent malheureux ou la mort de Crispe La mort du Chrispe in Recueil des meilleures pièces de théâtre des anciens auteurs Hippolyte HippolyteLes tragédies de Garnier Hippolyte ou le garçon insensible Phèdre et Hippolyte in Les oeuvres de Mr. Pradon Bellerophon ### Études du thème.L'écrivain et ses travaux Justinien et la civilisation byzantine au VIe siècle Histoire secrète de Justinien traduit de Procope ------- [1] LYONNET, *Dictionnaire des comédiens français (ceux d'hier)*, Paris, Librairie de l'art du théâtre, 1904, rubrique DESFONTAINES. [2] JOMARON J., *Le théâtre en France*, Paris, Armand Colin, 1992, p. 163. [3] Cette comparaison sera faite avec l'aide du tableau synoptique placé en appendice. [4] GUICHEMERRE, *La tragi-comédie*, Paris, PUF, 1981, p. 12. [5] *Ibid.*, p. 13. [6] Se référer au tableau nº 2 en appendice. [7] DEIERKAUF HOLSBOER, *Le théâtre de Bourgogne*, Paris, Nizet, 1967, t. II, p. 51. [8] LANCASTER, *Le mémoire de Mahelot...*, Champion, 1920, p. 116, note 2. [9] Dans l'acte III, les scènes 1 à 5 sont dans une salle, la scène 6 dans une autre ; dans l'acte IV, les scènes 1 à 4 sont jouées dans une pièce, la cinquième dans une autre ; dans l'acte V, les scènes 1 à 9 forment trois ensembles distincts (1, 2-7, 8-9). [10] *Ibid.*, p. 161. [11] *Pratique du Théâtre*, livre III, ch. V, p. 233. [12] SCHERER, *op. cit.*, p. 167. [13] BENICHOU, *L'écrivain et ses travaux*, Corti, 1967, p. 239. [14] Il est difficile de déterminer l'oeuvre qui, avant *Bélisaire*, a été dédicacée à François de Rostaing. La référence au *Cid* nous a fait penser à la pièce *La vray suitte du Cid* (1638), mais, même si Lancaster l'affirme, l'original ne comporte aucune dédicace. [15] Dans l'édition de *Belisaire* disponible à la Bibliothèque de l'Arsenal, nous trouvons des annotations et remarques attribuées à Desfontaines lui-même que nous indiquerons au fur et à mesure du texte. Ici on peut lire : "Donne la liberté à Amalazonthe et promet (...) recompense à Belisaire" (la parenthèse remplace un mot illisible). [16] Bellone (ou Bellonne) : déesse italique de la Guerre [17] Déjà dans ces trois vers, se met en place la dualité fondamentale entre l'amour et le devoir (et sous-entendu l'honneur) qui ici tient en ces termes : la fidélité de Vitiges à son roi est incompatible avec son amour pour Amalazonthe, reine ennemie. D'autre part, ils font référence à un pacte militaire entre Justinien et Vitigés contre la reine Amalazonthe que Vitigés aurait rompu par amour pour elle ; il est donc coupable de trahison. [18] Le verbe "refuser" peut, au XVIIeme siècle, être employé avec une construction absolue et signifie alors "ne pas consentir à ce qui est demandé". [19] Les vers 45-47 sont soulignés par Desfontaines : Amalazonthe s'y sacrifie pour son amant sous prétexte de préserver un homme de qualité pour l'État. En plus de cette preuve d'amour, ces vers ont une importance dramatique et servent de justification dans la mesure où il faut que la reine reste à la cour de Justinian afin que Belisaire puisse lui déclarer sa flamme. [20] Ici "justement" est à prendre au sens premier : de façon juste. Justinian insiste sur son sens de la justice, en tant qu'homme et en tant qu'empereur. C'est un roi vertueux. [21] En arrière plan de ce portrait élogieux de Justinian, on peut entrevoir la conception de la monarchie française au XVIIe siècle : le roi a un pouvoir absolu de droit divin. Desfontaines souligne le vers 77. [22] Les Champs-Elisées désignent dans la mythologie grecque le lieu de délices dans lequel sont envoyés les justes lorsqu'ils sont jugés après la mort. [23] Et l'équité même [24] "Comme" ici équivaut à "comment, de quelle manière" ; le vers signifie donc : l'équité devrait m'enseigner que je dois accepter que vous regniez (alors que je serais en prison). [25] On peut noter la façon brillante avec laquelle Vitigès retourne les arguments à son avantage. Il ne se contente pas de dire qu'il veut se sacrifier par amour pour elle mais il démonte le raisonnement de sa reine afin de lui faire admettre que sa proposition est la bonne : je ne peux me séparer de vous donc je meurs aussi, mais votre rang et votre beauté nous séparent donc vous restez reine et je meurs seul pour vous. [26] L'adverbe est à prendre au sens propre : de façon heureuse, avec joie. [27] Comme le réclame la concordance des temps, "voyez" est un imparfait mal orthographié : il aurait fallu avoir "voyiez". Cependant, au XVIIe siècle, l'orthographe n'était pas vraiment fixée surtout pour une forme aussi étrange. [28] La forme "quelque autre" ou "quelqu'autre" sont équivalentes sur le plan de la métrique puisque le "e" devant voyelle s'élide. L'orthographe ne se justifie pas. [29] On retrouve, dans ces deux vers, la métaphore galante de l'amoureux captif de sa belle mais détournée ici de son contexte. Vitiges s'adresse à Justinian et exprime la reconnaissance qu'il a envers lui qui le tient désormais prisonnier par sa générosité. [30] L'expression "ayant bien combatu" est un ablatif absolu sur le modèle latin dont l'usage était courant au XVIIème siècle. [31] Cet épisode du partage des insignes du pouvoir est emprunté directement à la source (acte II) : « EMPEROR Mi imperio parto / con quien lo merece entero. / Por sucesor te declaro / de mi imperio. César eres ; / Res eres ya de romanos. / El baston imerial, hoy / divido en dos pedazos, / dira que un alma tenemos. » Cependant Desfontaines l'a placé beaucoup plus tôt, pour des raisons de dramaturgie et d'action : il prépare la scène suivante et justifie l'attitude de Théodore inquiète et jalouse de la nouvelle place de Bélisaire ainsi que son désir de vengeance. [32] Ces quatre vers comportent une métaphore filée basée sur le rapprochement entre Bélisaire et Icare, homme audacieux qui fut puni pour avoir voulu trop s'approcher du soleil. Théodore menace Bélisaire du même sort que cet héros légendaire s'il s'approche trop du trône et de ses fastes. Les termes relatifs au soleil ("esclat", "ardens" au sens de rayons) sont appliqués au trône. On notera que le pluriel du verbe "seront" au vers 155 pose problème dans la mesure où pour le sens il semblerait que le sujet soit l'orgueilleuse pompe. [33] Et fay qu'un jour [34] Une nouvelle donnée de l'intrigue est mise en place discrètement : Sophie est amoureuse de Belisaire. Mais elle est princesse et Bélisaire n'est pas de sang royal ; ce n'est donc que par de nouveaux actes victorieux et glorieux qu'il pourra se montrer digne d'épouser une femme de si haut lignage. [35] Desfontaines ajoute "charge Narses de tuer Belisaire, puis elle compte sur Isquirion, qui aime Sophie." [36] Théodore exprime ici sa crainte d'un coup d'Etat de la part de Bélisaire ce qui la conduit à vouloir le tuer. Mais la véritable raison de sa haine pour ce soldat est tenue secrète. [37] L'action est désormais lancée : le héros est mis en péril de mort par l'impératrice. [38] Le terme de fortune ici désigne l'avenir de Narsés que Théodore présente comme compromis à cause de Bélisaire. Elle ne fait alors référence qu'à la rivalité politique et militaire qui existe entre les deux hommes, sans aucune allusion à une quelconque rivalité amoureuse. [39] C'est Iskirion qui aura la main de Sophie et Narsés obtiendra le soutien de Théodore pour son ascension aux côtés de Justinian. [40] Desfontaines crée un lien de parenté entre Sophie et Théodore (nièce par alliance) alors que, chez Mira de Mescua, Antonia est l'une des confidentes de l'impératrice. Cet ajout permet à l'auteur dramatique de renforcer la relation entre les deux femmes et de donner à l'impératrice un droit du sang supplémentaire sur Sophie. [41] Le pronom indéfini "on" désigne directement Bélisaire contrairement à celui du vers suivant qui semble représenter la cour en général. Théodore tente de rallier Sophie à sa cause en lui évoquant la menace que représente Bélisaire pour sa succession au trône. [42] Ce vers offre un sens assez équivoque mais il semble plus probable qu'il s'agit là des cheveux d'Iskirion plutôt que la personnification de l'occasion. [43] Sophie se défend admirablement puisqu'elle garde son sang froid, ne montre pas ses émotions et parvient à retourner le raisonnement de Théodore : au lieu de voir le mariage avec Iskirion et la mort de Bélisaire comme le moyen de s'assurer le trône, elle les présente au contraire comme la perte de l'Empire non seulement pour elle mais aussi pour Théodore (il faut noter le passage du "vous" au "nous" entre les vers 246 et 254). [44] Sophie semble vouloir insister sur l'attitude de Théodore en proie à cette passion qu'est la vengeance et entend ainsi se montrer elle-même dénuée de tout soupçon quant à un quelconque sentiment particulier pour Bélisaire qu'elle vient de défendre (seul le spectateur a entendu sa réflexion sur la dignité de Bélisaire). Par ailleurs, il se dessine ici une relation tendue entre les deux femmes, d'autant plus que Sophie est très habile et ne veut pas se soumettre à l'impératrice. [45] "Parti" se dit de l'établissement par mariage. Sophie n'accepterait Iskirion qu'à l'unique condition qu'il s'illustre comme Bélisaire a su le faire afin qu'il se rende digne d'elle. [46] Note manuscrite : "Elle engage Narses à sauver Belisaire". [47] Narsés est le confident des deux femmes. Mais comme elles ont deux desseins opposés, il va être obligé de choisir l'une d'entre elles et donc nécessairement va trahir l'autre. Désormais il se trouve en péril de mort puisqu'en aidant Sophie, femme qu'il aime, il attire sur lui la colère de l'impératrice. [48] Sens des vers 307-308 : peu importe l'espoir que l'on te présente, tu es de toutes les façons incorruptible. [49] Ce vers, dont le sens peut paraître obscur, est en fait expliciter par la suite. Le sang criminel désigne Théodore qui, en voulant tuer Bélisaire, s'oppose à l'amour de sa nièce pour lui. Dans le deuxième hémistiche, l'amour de Sophie combat les liens naturelles entre elle et Théodore, sa tante, en engageant Narsés pour protéger celui qu'elle aime. Nous sommes en fait en présence d'un chiasme redondant. [50] La dimension tragique de ce personnage tient dans ces vers. Sophie est condamnée à mourir si Bélisaire meurt dans la mesure où non seulement elle n'aura plus de raison de vivre mais en plus elle sera promise à l'assassin de son amant. En plus des considérations de l'amour de Sophie pour Bélisaire, est présent le critère de la bienséance qui veut qu'une femme n'épouse pas l'assassin de son amant (ce qui n'est pas sans évoquer une certaine Chimène). [51] Desfontaines souligne les vers 342 et 343 et met ainsi en valeur leur importance : ils s'opposent en effet directement aux vers 283 et 284 prononcés par Théodore ("Et le seul partizan de mon juste couroux / Sera dans peu de temps son maistre et vostre espoux") et déclenchent ainsi un suspens nouveau pour le spectateur. [52] À travers ce trait de générosité, Narsés témoigne de son amitié pour Bélisaire. Mais en même temps, cela est nécessaire pour l'action parce qu'une union avec Sophie et un dénouement heureux pour Sophie et Bélisaire semblent encore possibles. [53] Les vers 367 et 368 sont soulignés. Desfontaines justifie ici l'ignorance de Bélisaire dans l'acte suivant sur le complot et sur son commanditaire mais aussi son geste mortel envers Narsés. [54] Note manuscrite : "Il aime Sophie". [55] Le thème de l'amant captif est une pointe galante traditionnelle du discours amoureux que l'on retrouve à la scène 3 de l'acte III. [56] "mon coeur" est en apostrophe. [57] Bélisaire s'adresse virtuellement à Vitigés et exprime sa rancoeur contre qui le prive de sa gloire totale : il a perdu sur le plan amoureux puisqu'Amalazonthe reste fidèle à Vitigés. [58] Le "prix" désigne ici Amalazonthe. [59] "Prétendre" peut au XVIIème siècle se construire transitivement et prend le sens de "exiger comme un droit, avoir le ferme intention". Il s'oppose à "prétendre à" qui signifie "aspirer à, rechercher". [60] Desfontaines souligne les vers 453-455 et semble insister sur l'attitude décevante de Vitigés alors même qu'il est roi et qu'il a une dette envers Bélisaire. Cependant, Vitigés ne sait pas qu'ils aiment la même femme et qu'ils sont donc rivaux. [61] Nous avons modifier le découpage des scènes : la scène 3, dans l'original, débute après l'intervention de Narsés ("Il n'importe") alors que de nouveaux personnages étaient entrés en scène depuis sept vers. Nous avons donc rétabli le découpage normal. [62] Note manuscrite : "Narses meurt, cru coupable d'assassiner Belisaire, et faussement cru." [63] La passion dont parle Iskirion semble être son désir de vengeance devant l'outrage. [64] Desfontaines souligne les vers 480 et 481. Ils permettent de justifier que ce soit Bélisaire qui blesse le malfaiteur, découvre son identité et demande pardon à Iskirion au nom de Narsés qui s'explique de façon obscure sur son geste. [65] Fonction dramatique importante du bonnet qui cache le visage de Narsés : il permet d'innocenter le coup fatal de Bélisaire qui garde ainsi son caractère vertueux. Il a frappé ne sachant pas qui était cet agresseur et a blessé Narsés malgré lui (cf. vers 672 : "...Moy, mais plustost luy-mesme.") [66] L'emploi de l'expression "je doute si je veille" pour traduire la surprise est typique du théâtre du XVIIème siècle. Cela rentre dans la dialectique du rêve et de la réalité. [67] Courage ici a le sens de coeur, d'amitié. [68] Je ne vous recognois plus [69] Courages a encore ici le sens de coeurs comme l'explicite le vers 524. [70] On a dans cette tirade une succession de sentences relatives à le nécessité de pardonner. Les sentences sont très importantes dans le théâtre des XVIème et XVIIème siècles : ce sont des énoncés à valeur morale destinés à enseigner la vertu. Nous aurons l'occasion d'en rencontrer d'autres dans la pièce. [71] Bélisaire commence à comprendre qu'une crise se met en place : un homme vertueux comme Narsés est capable de dire : "J'appelle icy vertu ce que vous nommez crime". D'autre part, le fait que ce crime ne soit pas totalement accompli est nécessaire pour l'action puisqu'Iskirion a désormais une dette envers Bélisaire qui lui a sauvé la vie et va se porter garant de sa protection dont va avoir besoin le général. [72] Derrière ces réponses allusives qui donnent l'apparence d'être précises et directes, Narsés cache la vérité comme il l'a promis à Sophie, d'où l'idée de devoir qu'il évoque. [73] Narsés sous-entend que s'il est traître c'est à cause de Bélisaire, si celui-ci le force à dénoncer les commanditaires. [74] Dans peu de temps [75] Ces vers sont un paradoxe en apparence mais celui-ci est nécessaire : en mourant Narsés sauve sa vie dans la mesure où il n'aura pas à affronter la colère de Théodore qu'il a trahie en acceptant d'aider Sophie. [76] Le changement de scène ici est étonnant : on ne change pas de lieu et aucun personnage ne sort ni ne rentre. Le seul changement est que Narsés est mort mais il reste cité dans la rubrique. [77] bien que vous enviez [78] Le terme dans le texte original est "Enyurez" qu'il faut lire "Enivrez". Cependant, le sens fait difficulté et nous pensons que l'éditeur a confondu "Enyurez" et Enuyez". C'est pourquoi nous avons changer le terme. [79] "Esprouver" ici à le sens particulier de "subir". [80] Par ces mots, Iskirion déplace le lieu de la crise : il nie la possibilité d'une crise politique avec un complot contre Bélisaire ou contre l'Etat ; désormais Bélisaire va chercher un coupable sur le plan amoureux. [81] Content de mon Etat. [82] Infortuné sous-entendu en amour. [83] Cet échange d'une marque d'amitié est emprunté à la pièce espagnole où l'on trouve les vers : « FILIPO Sea esta sortija , pues, / prenda de mi amor    *Dale una sortija* » Ce diamant a une fonction dramatique importante : c'est un signe de reconnaissance entre les deux hommes qui ne se sont même pas présentés l'un à l'autre, signe qui sauvera Bélisaire. [84] Vers que l'on retrouve dans la source : « BELISARIO         El bien obrar / por si mismo se ha de amar / y no porque lo agradezcan. » [85] Les Parques sont des divinités grecques, au nombre de trois, qui distribuent aux hommes dès leur naissance tout le bonheur et le malheur que la vie leur réserve. Il y a Clotho, la fileuse, dont la quenouille déroule le fil de la vie ; Lachésis, dispensatrice du Sort ; Atropos, l'inflexible, qui tranche sans pitié le fil de la vie. C'est cette dernière qui est évoquée dans le texte. [86] Note manuscrite : "regrette d'avoir tué Narses, sans l'avoir connu" [87] "Que sert" équivaut à "à quoi sert". [88] Il y a dans ces stances deux moments distincts. Dans un premier temps, la "main cruelle" au vers 639 désigne celle qui a tué Narsés et qui se détourne du cadavre tout comme ses yeux (vers 635). Ensuite Bélisaire dit son devoir de pleurer ce cadavre et son ami et veut se tuer (vers 651) pour punir son geste criminel. [89] Ce vers donne déjà un indice de la suite et semble mettre Bélisaire dans une crise inéluctable. Narsés est le reflet de sa destinée. [90] On peut noter ici la façon dont Bélisaire distancie Narsés et son cadavre : "*ton* sang" (v.652) et "Cadavre rigoureux, de quoy m'accusez-*vous* ? " (v.655). Cela confirme le mauvais pressentiment qu'il a devant ce corps, reflet de son malheur et de sa propre mort à venir. [91] Le bandeau est celui de la justice comme le confirme l'expression "juste supplice" (v.666) ; cela fait référence aux bandeaux que l'on met sur les figures qui représentent la justice pour signifier que les juges ne doivent connaître ni favoriser personne. Bélisaire veut mettre fin à ses jours non par lâcheté devant son malheur mais pour se faire justice soi-même après le meurtre qu'il a commis. On peut aussi y voir l'allusion aux bandelettes qui ornent la tête de l'animal sacrifié lors de la cérémonie du culte, d'où l'adjectif "funeste". [92] Le terme de "tragique" prend ici toute sa dimension dramatique et fait directement écho à la définition aristotélicienne de la tragédie : "c'est le surgissement des violences au sein des alliances". La situation de Bélisaire est tragique puisqu'il a tué son meilleur ami. Mais c'est malgré lui qu'il a fait ce geste (d'où l'usage de l'oxymore "innocent péché" v.673) et garde ainsi toujours la sympathie du public. [93] Note manuscrite : "luy ordonne de tuer Bélisaire". [94] Desfontaines ajoute : "Il balance sur son dessein". [95] Iskirion pose dans ces deux vers le dilemme "cornélien" entre honneur et amour : l'honneur serait de ne pas trahir Bélisaire alors que son amour pour Sophie lui demande au contraire de le tuer, ce qui, mais il l'ignore, lui vaudra la haine de Sophie. [96] Les "quarreaux de la foudre" désignent la substance solide imaginaire qu'on croyait lancée par la foudre et qui tuait ceux qu'elle frappait (arme de Zeus). [97] Le pronom pluriel complément d'objet désigne, semble-t-il, l'honneur et le vie comme l'explicite le vers 747. [98] Desfontaines souligne ce vers et met ainsi l'accent sur le fait qu'un crime peut paraître vertueux pour quelqu'un qui est l'incarnation de la vertu, ce qui rappelle les mots de Narsés (v.530). Ces propos permettent selon Iskirion de conserver son honneur et sa vertu et de gagner le coeur de Sophie. [99] "Aussi bien" signifie "d'ailleurs". Iskirion se rend compte qu'il n'a plus de pouvoir sur sa raison : il est soumis à ses sentiments qu'il éprouve pour Sophie, d'autant plus qu'ils sont commandés par Eros. [100] La carrière au XVIIème siècle est l'endroit dans lequel un cheval évolue. Franchir la carrière signifierait métaphoriquement sortir du terrain limité, dépasser les frontières, se risquer à une action héroïque. [101] Ce vers est la conclusion du dilemme et la décision d'aller tuer Bélisaire. L'expression "perdre la lumière" peut faire référence à deux choses : soit Iskirion déciderait de se tuer par déception amoureuse, soit il évoque la menace de Théodore s'il échoue dans sa mission (ce qui annonce d'une certaine façon la suite). [102] Note manuscrite : "l'aime et en est refusé, elle est fidelle à Vitiges". [103] Dans cette tirade, Bélisaire commence par se désigner à la troisième personne du singulier ("a celuy", "parce qu'il", "luy destine"). Mais à partir du vers 774, les pronoms de troisième personne sont mis pour Vitigés. [104] Ce distique est incomplet : "sert" n'a pas de rime. C'est certainement une erreur de l'éditeur. [105] Etre une reine n'est pas une fonction politique, mais un état et un caractère, dans la mesure où l'on est roi ou reine depuis la naissance selon le principe de descendance. [106] L'aveugle Déité désigne la fortune représentée traditionnellement avec un bandeau sur les yeux, ce qui explique qu'elle malmène les humains de façon impitoyable. [107] Entre les vers 794 et 801, Desfontaines a inscrit dans la marge "changements de la fortune" ce que résume Bélisaire dans le vers "Et des rigueurs du Sort, et de son inconstance". [108] Dans les vers 804 et 805, la main évoquée par Bélisaire est évidemment celle d'Amalazonthe qu'il a conquise militairement mais pas amoureusement. Mais on peut y lire la crise à venir : Justinian fait de Bélisaire son égal avec la transmission des insignes royales (acte I, scène 1) mais va le disgracier et le faire prisonnier. [109] Bélisaire oppose deux amours, celui de Vitigés qui la maintient en prison et le sien qui pourrait la libérer. Ceci fait écho au discours galant qui précède et à l'image de l'amour ailé mais en la renversant : s'il évoquait l'amour en prison au vers 821 ici il devient synonyme de liberté. [110] Dans l'expression "une belle" est sous-entendu le terme victoire, cité au vers précédent. En fait, Desfontaines a préféré la formule "il me reste" plutôt que "il m'en reste" qui aurait été plus explicite, le pronom "en" reprenant de tout évidence le nom victoire cité juste avant. [111] Note manuscrite : "Situation - Celuy qui venoit le poignarder s'arrête, et lourds de remords luy demande pardon." [112] Aucune didascalie ne l'indique mais il semble que, bien plus de garder le silence, il sorte. [113] La didascalie est à lire pour le vers précédent : l'exclamation "que je suis interdit" suppose qu'Iskirion ait déjà pris la main de Bélisaire pour pouvoir reconnaître la bague. [114] Iskirion ramasse le poignard qu'il vient de lâcher pour se l'enfoncer dans le coeur comme punition. [115] Cette scène est à rapprocher de la scène 3 de l'acte II dans laquelle Bélisaire voulait mettre fin à ses jours pour avoir tué Narsés mais Iskirion l'en empêchait. Ici le schéma s'inverse. [116] Cette réplique est à mettre en relation avec celle de Vitigés dans la scène 1 de l'acte I : "Cette chaine qu'on m'oste en fait une nouvelle, / Qui s'offrant à mes sens avec moins de rigueur, / Semble passer icy de mes mains à mon coeur;" La générosité et la pitié peuvent être les pires châtiments dans la mesure où l'on se sent inférieur et en dette vis-à-vis de la personne généreuse. [117] En face des vers 885-891, Desfontaines a tiré un trait dans la marge pour noter, semble-t-il, leur importance. Les deux guides sont deux passions aveugles : l'ambition du pouvoir et l'amour pour Sophie. En passant du terme d'offense à celui d'imprudence, Iskirion se disculpe d'une certaine façon et entend garder sa vertu : il a agit sous l'emprise de la passion aveuglante d'où la référence au bandeau au vers 896 qui n'est pas le bandeau de la justice mais celui de l'amour et des passions en général. [118] Le terme "Astres" peut s'interpréter de deux façon : soit il désignerait les deux passions guides (l'ambition et l'amour), soit il renverrait aux yeux de la femme aimée par Iskirion, dans un langage galant. Dans cette deuxième hypothèse, qui semble la plus probable, cela signifierait que Bélisaire ne retient comme responsable de l'acte du Prince que l'amour, ce qui est confirmé par la référence à Eros, "superbe enfant". Cependant, les paroles du général peuvent poser problème dans la mesure où, depuis le début de la pièce, il ne dit qu'aimer Amalazonthe ; cela suppose donc qu'il a eu des sentiments pour Sophie. Cela ne serait pas surprenant puisqu'il est capable de détourner ses sentiments d'Amalazonthe pour elle à la fin de la pièce et que cela ne ferait que renforcer son caractère de héros tragi-comique inconstant dans ses sentiments. [119] Ces deux vers viennent confirmer l'hypothèse faite précédemment : Bélisaire désigne en effet Sophie avec l'expression "ce bel objet" et se met sur le même plan qu'Iskirion quand il évoque l'indifférence de celle-ci à leurs égards. "Avoir dessein" signifie ici tenter de gagner le coeur de quelqu'un. [120] Amour, au XVIIème siècle, peut être aussi féminin au singulier. [121] Cette amitié ainsi renforcée entre les deux hommes a un intérêt dramatique particulier : Iskirion deux fois sauvé de la mort par Bélisaire va être désormais le protecteur de ce dernier et s'appliquera beaucoup à sa tâche (V, 8). D'autre part, ayant trahi Théodore, Iskirion ne pourra pas épouser Sophie qui reste donc libre de conquérir le chef des armées. [122] Desfontaines ajoute : "refuse Iskirion et aime Belisaire". [123] Note manuscrite : "la menace de la mort de Belisaire". [124] Après avoir évoqué une possible vengeance d'Iskirion sur Sophie, si celle-ci se montre distante, Théodore tente de faire peur à sa nièce la menaçant de la mort de Bélisaire. Mais Sophie ne cède pas et répond comme si elle n'avait pas compris l'allusion : elle n'évoque que sa propre mort ("...que ce cruel achève mon destin") et affirme ainsi qu'elle préfère mourir afin de rester fidèle à son amour pour Bélisaire. [125] L'expression "que je touche en la main" est mise pour "que je touche dans la main", geste qui symbolise l'amitié, l'alliance. [126] Sophie sous-entend la réunion des amants par et au-delà de la mort. [127] Desfontaines ajoute : "Ils se jurent une eternelle amitié". [128] Vitigés traduit les propos allusifs d'Amalazonthe et pense que c'est lui le responsable de sa mélancolie. Cette interprétation, qui s'avère fausse, permet de montrer au public que ce Prince est plein de générosité puisqu'il est prêt au sacrifice. [129] Ici amour est employé au féminin (contrairement à l'emploi au vers 1004). [130] Amalazonthe rétablit la vérité : ce n'est pas Vitigés, mais Bélisaire qui l'inquiète dans la mesure où elle craint un attentat contre l'homme qu'elle aime. [131] L'élision du "e" est surprenante puisqu'il est suivi d'une voyelle qui ne justifie pas cette orthographe. [132] Dans ces quatre vers, Desfontaines souligne les termes "bruit", "jour", "Amour" et "fantosme sombre". C'est la première fois que le thème de la jalousie apparaît explicitement dans le texte : Théodore ne s'est pour l'instant jamais montrée jalouse du succès de Bélisaire mais se cache derrière sa crainte d'un coup d'Etat. On peut noter aussi les guillemets qui soulignent la sentence contenue dans ces vers (se référer à la note n°57). [133] Une diérèse est nécessaire sur le terme "Syreines" ce qui expliquerait l'orthographe particulière. [134] Ce voeu de Vitigés annonce l'éventualité d'un retournement pour la suite. [135] Desfontaines ajoute : "luy declare son amour". [136] Le perfide est Iskirion qui a payé le fait que Bélisaire l'ait sauvé (désigné par "vos travaux"). [137] "Candeur" ici a le sens de "innocence"". [138] Les guillemets mettent en évidence les sentences énoncées par Bélisaire (se référer à la note n°57). [139] Elle dévoile à demi-mots son amour pour lui ainsi que sa tristesse de voir qu'il n'est pas réciproque. [140] Bélisaire énonce ici un code social du XVIIème siècle : il n'est pas digne de la Princesse étant donné son rang de sujet surtout quand il s'agit de la nièce de son maître. Cet argument et cette notion de respect seront repris plus tard face à Théodore. [141] Les effets désignent les faits de la providence. [142] Ce vers fait évidemment allusion à la demande de Sophie à Narsés de le protéger et, en le disant, elle pense que Bélisaire peut le comprendre. Mais comme celui-ci n'est pas au courant, son attitude est décalée par rapport à ce que peut attendre Sophie de lui ; elle considère que c'est du mépris et de la lâcheté ce qui n'est qu'en fait de l'ignorance. [143] Bélisaire dessine le schéma triangulaire amoureux : Narsés, Sophie et Bélisaire. Notons qu'il utilise le verbe pouvoir qui fait référence encore une fois au code et à sa position de sujet de Justinian ; il ne fait cependant aucune allusion au fait qu'il "aime ailleurs". [144] Le passage des vers 1176-1185 évoque la rencontre de Rodrigue et Chimène dans le *Cid* (scène 4 de l'acte III) qui se trouve condensée ici. Rodrigue vient demander la mort de la main de Chimène qui refuse par amour pour lui. Rodrigue alors attend son châtiment de la main d'un autre. [145] Cet usage de la troisième personne et du prénom pour parler de soi est le reflet d'une prise de distance vis-à-vis de sa fonction politique et militaire : il sépare sa vie de galant et celle de chef d'armée. [146] Desfontaines ajoute : "luy reproche de laisser vivre Belisaire". [147] En venant faire face à Théodore, Iskirion fait preuve de bravoure et de générosité : il ne craint pas la colère de l'impératrice mais en plus vient s'offrir en sacrifice pour l'apaiser et ainsi sauver Bélisaire. [148] En différant le châtiment du traître, Théodore permet au prince danois de protéger encore Bélisaire et d'agir pour un dénouement heureux : nécessité dramatique. [149] Cette scène est à rapprocher des autres organisations du complot : on retrouve le même schéma parfois les même vers. [150] Note manuscrite : "luy promet de tuer Belisaire". [151] Sans se vanter. [152] Desfontaines ajoute : "trace l'ordre de la bataille". [153] Desfontaines ajoute : "prest à le tuer le laisse en vie et l'avertit qu'il est en danger". [154] Les termes de "soeur" et de "frère" désignent métaphoriquement la mort et le sommeil. [155] Sens de "avoir" le dessein de le tuer". [156] "Nos soins" au sens de "nos soucis". [157] Bélisaire s'adresse à Sophie qu'il croit responsable de cet attentat ce que peuvent le laisser supposer les vers 1179-1181 dans lesquels elle menace de donner la mort à Bélisaire avec l'aide d'un tiers ; se déclenche alors un quiproquo basé sur une erreur d'identité qui relance l'action pour le cinquième acte. [158] Le point d'interrogation ici n'est pas un signe de ponctuation mais une marque de déclamation. [159] Desfontaines ajoute : "de Belisaire, la lettre (...) Theodore" (la parenthèse remplace un mot illisible). [160] C'est grâce à ces vers 1390 et 1391 que Théodore va pouvoir utiliser la lettre contre Bélisaire face à Justinian : en réalité "l'amour criminel" est celui de Bélisaire pour Amalazonthe et la "fière beauté" est Sophie. On peut remarquer cependant que le vers 1382 aurait pu éveiller les soupçons de Justinian concernant la destinataire. En effet, Théodore est reine et non princesse ; mais l'empereur bouleversé par la trahison de son protégé ne prête attention qu'aux derniers mots. [161] C'est la première fois que Théodore fait allusion au véritable motif de sa vengeance : Bélisaire aurait méprisé l'amour de Théodore. Jusqu'à maintenant elle cachait ses tentatives d'attentat sous sa crainte d'un coup d'Etat du chef des armées et de la perte de son pouvoir. Le plan politique permettait de taire la raison amoureuse. [162] L'empereur apparaît ici non plus comme juge et gouverneur de l'Empire, mais comme homme et époux. [163] Note manuscrite : "Theodore accuse Belisaire. L'Empereur l'envoye arrester". [164] Theodore espère de la réponse à cette question la possibilité de confondre Bélisaire grâce à la lettre qu'elle a interceptée. [165] Se référer à la note n°51. [166] Ces trois vers 1484-1486 sont soulignés par Desfontaines : c'est l'aveu explicite de Théodore sur la raison de sa haine et de sa jalousie. D'un point de vue dramatique, ce passage est essentiel dans la mesure où cela pourra justifier son retournement à la scène 11. [167] "Mettre dans le port" signifie amener dans un lieu de refuge (cette expression se retrouve au vers 1821). [168] Ce distique est incomplet : le mot "tuë" ne rime avec rien. Il s'agit certainement d'une faute de l'éditeur. [169] Elle met un terme à son alternative le laisser vivre ou le tuer, autrement dit laisser parler son amour pour lui ou sa haine, et relance ainsi l'action : elle tentera elle-même son forfait. [170] Ces deux vers font référence à la raison qu'évoquait Bélisaire pour justifier sa distance avec Sophie (v.1109-1111). [171] Iskirion sous-entend que si Sophie se tait et reste inactive, elle se montre lâche et sera même coupable de la mort de Bélisaire. Mais en même temps, c'est de sa propre culpabilité dont il est question : il lui faut sauver Bélisaire envers qui il a une dette et il en appelle à l'aide de Sophie, personnage hautement placé, en évoquant la possibilité pour elle de gagner l'amour du prisonnier. [172] Note manuscrite : "Sophie et Iskirion veulent sauver de prison Belisaire". [173] Les prénoms de Thésée et d'Ariane font référence à un épisode de la mythologie grecque. Ariane, fille de Minos et de Pasiphaé, donna à Thésée, venu en Crête pour combattre le Minotaure, le fil à l'aide duquel il put sortir du labyrinthe après avoir tué le monstre. Sophie s'identifie à Ariane en libérant Bélisaire. [174] Desfontaines souligne les vers 1560 et 1563. [175] "L'esperance du Port" désigne l'espoir de trouver le repos. [176] Reprise ici de la référence au fil d'Ariane (se référer à la note n°160). [177] La fuite est ce qui permet d'échapper aux poursuites judiciaires et donc une façon de se reconnaître comme coupable, ce que ne veut pas Bélisaire. Il se sait innocent mais est soumis aux décisions de son maître. Afin d'élider le problème et de pouvoir donner une possibilité d'action, Sophie précipite les choses car le temps manque. D'une certaine façon, Bélisaire garde sa vertu et son innocence. [178] Note manuscrite : "Les surprend. Les 2 amis veulent mourir l'un pour l'autre. Elle pardonne à Belisaire." [179] Cette didascalie est déjà valable pour le vers 1605. [180] Ici elle s'adresse à Bélisaire. [181] Le vers signifie : oses-tu te mettre en travers de mon chemin ? oses-tu m'empêcher d'accomplir mes projets ? [182] C'est ce vers qui va déclencher tout le processus du dénouement puisqu'il va engager les aveux de Théodore et son repentir. [183] Dans cette longue tirade, Bélisaire retourne le raisonnement de Théodore : en refusant ses avances, Bélisaire a fait son devoir et a permis à l'impératrice de garder son honneur et se vertu. Loin de l'avoir méprisée, il s'est sacrifié pour elle. On retrouve ici encore la grande opposition honneur et amour. D'autre part, il n'aurait pas été vraisemblable qu'un soldat vertueux, tel que Bélisaire, puisse avoir une relation coupable avec l'épouse de son maître, d'autant plus que s'agissant d'un roi, le péril de la trahison est mortel. [184] Le renversement est accompli : ce vers fait écho au monologue à la scène 7 de l'acte V dans lequel elle balançait sur son dessein et elle avait fini par obéir à sa passion vengeresse. Mais désormais c'est la raison qui prévaut et la volonté de garder un soldat si victorieux pour la sauvegarde de l'Empire. [185] Bélisaire s'adresse à Sophie. [186] la pitié méme [187] Ils débattent de Bélisaire. [188] Cette question est assez surprenante dans la bouche d'un roi : ce dernier se doit de rendre la justice mais restant libre de tout inclination alors qu'ici il fait appelle à ses sentiments. [189] Ce distique n'est pas complet : le terme "pitié" n'a pas de rime. On peut faire l'hypothèse d'une erreur de l'éditeur. [190] L'empereur ne résout pas son dilemme mais l'arrivée de Théodore avec le prisonnier permet de mettre fin à ses hésitations. [191] Note de Desfontaines : "vient justifier Belisaire, l'Empereur luy done Sophie. Compliment de son rival qui la luy cede." [192] Ces paroles de Théodore affirment la dignité de Bélisaire qui lui permet de recevoir Sophie. Elles réalisent ainsi le souhait que cette dernière exprimait au vers 177. [193] Justinian a mal interprété les paroles de Théodore et croit ainsi que le Prince en question est Iskirion. Un quiproquo se met en place et vient perturber la réalisation d'un dénouement heureux : l'empereur est prêt à offrir Sophie à Iskirion alors que Théodore voulait la marier à Bélisaire. Il y a comme un rebondissement dans l'action d'autant plus que la réponse d'Iskirion confirme l'inquiétude du public et des autres personnages : "...je vous la demande" ( le pronom désignant Sophie). [194] Le dernier obstacle est résolu : Iskirion offre Sophie à Bélisaire et se met au service de ce dernier. [195] On peut noter l'anaphore de l'expression du souhait "puisse..." entre les vers 1789-1796 qui met l'accent sur le pouvoir des Dieux et la conception d'un monde soumis à leurs décisions, ce qui rejoint d'une certaine manière les thèmes de l'innocence malheureuse et de l'inconstance de la fortune. [196] Amalazonthe fait allusion à l'amour de Bélisaire qui l'empêchait de croire à son union avec Vitigés car elle craignait un méfait de sa part. Mais la résolution de l'obstacle puisque désormais Bélisaire aime Sophie permet de lui redonner espoir et la liberté d'épouser Vitigés. [197] Hymen ici est la déesse qui présidait au mariage. [198] Desfontaines souligne les vers 1814-1816 : Justinian justifie la disgrâce de Bélisaire et impute cette erreur à la mauvaise influence du Dieu Amour.