--- identifier: dornevallesage_reinedebarostan creator: Dorneval Jacques-Philippe d’ORNEVAL dit. date: 1730 title: La reine du barostan. , comédie. --- LA REINE DU BAROSTAN PIÈCE D'UN ACTE M. DCC. XXX. Par Mrs. le S⁎⁎⁎, et D'Or⁎⁎⁎. Représentée à la Foire de Saint-Germain 1730. # ACTEURS. – LA REINE, Zélica. – ALMORADDIN, Prince d'Achem. – NOUR, Favorite de la Reine. – AMINE, Suivante de la Reine, aimée d'Assan. – TROIS AUTRES SUIVANTES. – ASSAN, Capitaine des Gardes. – HANIF, Garde. – SINDBAD, Garde. – PIERROT, Confident d'Almoraddin. – PEUPLES DU BAROSTAN.La Scène est au Barostan. # . Le théâtre représente la capitale du Barostan, avec son Port de Mer. ## SCÈNE PREMIÈRE. Almoraddin, Pierrot. PIERROT. Air 65 : Bouchés, Naïades, vos fontaines. Seigneur, n'avez vous point envie De changer votre train de vie ? Voulez-vous sans cesse risquer > Vos jours sur ces Mers redoutables ? Notre vaisseau ne peut manquer D'aller enfin à tous les diables. ALMORADDIN. Air : Nos plaisirs seront peu durables. Je crains moins la Mer en colère. Que je ne redoute les noeuds, Dont tu sais que le Roi mon Père Veut lier son fils malheureux. PIERROT. Son Fils malheureux ! Ne dirait-on pas qu'il veut vous faire écorcher tout vif ? Air 172 : Nanette, je voudrais t'apprendre. Ce bon papa, grillant dans l'âme De se voir de petits-enfants, Qui réjouissent ses vieux ans , Vous sollicite à prendre femme ; Et vous, zeste, une belle nuit, D'Achem vous décampez sans bruit. ALMORADDIN. Air 107 : Faites boire à triple mesure. Blâme, si tu veux, ma conduite ; Mais, cher Pierrot, dans mon effroi, J'ai mieux aimé prendre la fuite, Que de l'hymen subir la loi. PIERROT. Hé, ventrebille ! Seigneur Almoraddin, qu'a donc l'hymen de si affreux ? Air 114. Je passe la nuit et le jour. Mon Prince, vous n'y pensez pas, Lorsque vous tenez ce langage. Moi, je ne vois que des appas Dans la chose du mariage. Loin de fuir cet engagement,. J'épouserais à tout moment, À tout moment, À tout moment, J'épouserais à tout moment. ALMORADDIN. Je n'ai jamais aimé, et je ne sais si je serais capable de m'attacher. Je te dirai même qu'une crainte délicate me tient en garde contre les charmes du beau sexe... PIERROT. Quelle crainte donc ? ALMORADDIN. Air 154 : Est-ce que ça se demande ? Mon ami, j'aurais toujours peur De ma grandeur suprême ; Et je demanderais un coeur, Qui m'aimât pour moi-même. PIERROT. Fi donc, Seigneurs ! Du point d'honneur Votre âme est trop friande, Quoi ? Dans l'amour Des gens de Cour, Est-ce que ça se demande ? Vous êtes unique en votre espèce. ALMORADDIN. Ne parlons plus de cela. Continuons de voyager. Mais avant que de nous remettre en mer, je fuis curieux de voir ce qu'il y a de remarquable dans cette capitale du Barostan. PIERROT. Et moi, de savoir si le vin y est bon. ALMORADDIN. Air, J'entends déjà le bruit des armes. De mon nom, ni de ma naissance, Garde toi bien de dire un mot. Tu sais qu'il est de conséquence De ne pas... PIERROT.         Mordi ! Suis-je un sot ? Vous prêchez toujours le silence, Ne connaissez-vous pas Pierrot ? ALMORADDIN. Ha-ha ! Que nous, veulent ces deux hommes ? ## SCÈNE II. Almoraddin, Pierrot, Hanif, Sinbad. Hanif et Sindbad dans le lointain, font de profondes révérences. PIERROT, BAS À ALMORADDIN. Air, Les Feuillantines. Comme ils s'approchent de nous D'un air doux ! Seigneur, les remarquez-vous ? Les Bourgeois de cette ville Sont des gens Bis.         d'humeur civile. HANIF, ABORDANT ALMORADDIN. Air 66. Si dans le mal qui me possède. Noble Etranger , l'on nous ordonne De venir avec grand respect:., En vous faisant Salamalec, Nous saisir de votre personne. PIERROT, TREMBLANT. Ahi, ahi, ahi ! SINDBAD, ACHEVANT L’AIR. Dans ce moment, fans résister, Seigneur, laissez-vous arrêter. PIERROT, D’UN TON PITEUX. Quel mal avons-nous fait ? ALMORADDIN. Air 62 : Réveillez-vous, belle Endormie. Nous ne faisons point résistance : Mais je serais fort curieux De savoir si c'est une offense, Que d'oser venir en ces lieux. HANIF. Air 62. Je vous avais cru belle. Que rien ne vous chagrine. Nous en usons ainsi Avec les étrangers de bonne mine, Que le sort quelquefois conduit ici. PIERROT, TOUJOURS ALARMÉ. Mais ce n'est pas nous. Vous nous prenez pour d'autres. SINDBAD, À PIERROT. On ne veut vous faire aucun mal, au contraire. HANIF. On voit bien que vous ignorez ce qui se passe dans le Barostan. PIERROT. Hélas, oui ! SINDBAD. Nous sommes les Peuples de l'Asie les plus heureux, surtout depuis que la Reine Zélica est sur le trône. HANIF. Air 173. Rien n'est si beau : Rien n'est si bon. Elle est à la fleur de son âge ; Les traits divins de son visage Sont fort au dessus du pinceau : Rien n'est si beau. SINDBAD. Elle est humaine, elle est affable, Compatissante, secourable, Penchant toujours vers le pardon : Rien n'est si bon. PIERROT. Je vous en félicite. ALMORADDIN. Vous parlez là d'une Princesse accomplie. HANIF. Air, Ah ! que la paresseuse Automne. Une Reine si débonnaire, Nous cause pourtant un chagrin : Depuis longtemps elle diffère À nous donner un Souverain. SINDBAD. Nous craignons qu'un jour la Patrie Ne devienne en proie à nos Grands Mais que la Reine se marie Voilà tous ses sujets contents. PIERROT. Air, Amis, sans regretter Paris. De vous ne pourrait-on savoir. Pourquoi cette Princesse Lambine tant à se pourvoir ? SINDBAD. C'est par délicatesse. ALMORADDIN. Comment cela ? HANIF. Air, Voulez-vous savoir qui des deux. Elle veut des coeurs généreux, De son seul mérite amoureux, Qui ne cherchent que sa personne : De passionnés soupirants, Qui ne portent sur sa couronne Que des regards indifférents. ALMORADDIN, À PIERROT. Air, Ô reguingué, ô lonlanla ! Tu vois, Pierrot, que Zélica Pense comme moi sur cela. PIERROT. Ô reguingué, ô lonlanla ! La Maîtresse de ce Royaume Est, ma foi, votre second Trône. SINDBAD. Tous les Princes voisins se sont déjà présentés, aucun n'a eu le bonheur de plaire. HANIF. Enfin, pressée par ses Peuples, et ne voulant point causer de jalousie aux Grands de son Royaume, elle a déclaré, qu'elle choisirait un époux parmi les étrangers qui arriveraient au Barostan ; et qu'elle aurait moins d'égard à sa condition qu'à son caractère. PIERROT. Ha ! Voilà donc pourquoi vous nous arrêtez ? SINDBAD. Oui. Air, Ton himeur est, Catherine. Maint étranger d'apparence. Devant Zélica conduit, N'a de sa vaine éloquence Retiré qu'un triste fruit, Notre Princesse a su lire, Dans leurs coeurs ambitieux, Qu'ils chérissaient son Empire Beaucoup plus que ses beaux yeux. ALMORADDIN. Je la trouve heureuse d'avoir si bien pénétré leurs sentiments. PIERROT. Elle aura de la peine à trouver ce qu'il lui faut. SINDBAD. Air, Tu croyais, en aimant Colette. Je tire un malheureux présage D'un hymen toujours différé : Elle hait trop le mariage, Pour trouver un homme à son gré. HANIF, À SINDBAD. Que savez-vous ? Air, Qu'on apporte boutteille. Peut-être que la Reine, En voyant ce Seigneur, Pour l'hymen n'aura plus de haine, Et laissera toucher son coeur. ALMORADDIN, SOURIANT. Vous avez trop bonne opinion de moi ! PIERROT. Vous vous adressez bien mal, mes enfants. Air, Sois complaisant, affable, débonnaire. Si votre Reine a peur du mariage, Notre Patron le craint bien davantage; Mais Achevez votre message, À sa place je me mets. Ils se mettent tous à rire. ALMORADDIN. L'Original ! PIERROT. Air 174. Quand j'irai voir Remiremont. On juge assez, en me voyant, Que je fuis né pour la tendresse ; Et, que je suis un bon vivant, Qui ne veut qu'amour et simplesse. Et quand la Reine me verra, Aussitôt elle s'écrira : Haï voilà le Drôle , Le Drôle, le Drôle ! Ha ; voilà le Drôle, Qui m'épousera. Ils redoublent leurs ris, Qn tmméne Almoraddin, que Pierrot fuit. ## SCÈNE III. Assan, Amine. Le théâtre change et représente l'appartement de la Reine. ASSAN. Air 175 : À l'ombre d'un ormeau Lisette. En vain tous les jours je vous presse De couronner ma tendre ardeur ; Votre coeur pour moi s'intéresse, Et vous différez mon bonheur. Amine, mes amours, Languirai-je toujours ? AMINE. Air, Belle Chanoinesse. Finir votre peine, Me serait bien doux ; Bis des deux vers. Mais je ne puis être à vous, Ayant que la Reine Ait pris un époux. ASSAN. Quelle excuse ! Air, L'autre nuit j'aperçus en songe. Vous savez bien que la Princesse Est favorable a notre amour. AMINE. Une Confidente de Cour Doit se régler sur sa Maîtresse. ASSAN. C'est me déclarer que jamais Vous ne comblerez mes souhaits. Non, la Reine ne trouvera point l'homme qu'elle cherche. AMINE. Air, Comme un Coucou. Elle le trouvera peut-être, Et plutôt que vous ne pensez. ASSAN. Comment pourra-t elle connaître Des soupirs désintéressés ? AMINE. Je vous réponds qu'elle a trouvé un sûr moyen de n'y être pas trompée. Air, Quand je tiens de ce jus d'Octobre. Pour vous en faire confidence, Je vous dirai qu'elle a fait choix... Mais dans ces lieux quelqu'un s'avance. Vous saurez tout une autre fois. ## SCENE IV. Assan, Amine, Hanif. HANIF. Air 176. De La Renaissance de la Foire. Mon Camarade vous amène Un jeune étranger, un garçon, Qui paraît de bonne façon. Oh ! Pour cette fois-ci, la Reine, Digue, diguedon, diguedon, don daine, Pourra bien mordre à l'hameçon. ASSAN, À AMINE. Air, Les Filles de Nanterre. Ah ! Puisse t-il ma Chère, Devenir notre Roi ! AMINE. Vous ne le pouvez guère Souhaiter plus que moi. S'en allant. Je cours annoncer à la Reine ce Nouveau-venu. ## SCÈNE V. Assan, Hanif. ASSAN. Tu crois donc, mon chér Hanif, que ce jeune-homme plaira. HANIF. Air 177. Lurelu. J'en réponds sur ma tête. Je n'en ai jamais vu, Lurelu, Depuis que j'en arrête, Qui valut celúi-là Larela Lurelu, larela, lirette... Mais, tenez, le voilà. ## SCÈNE VI. Assan, Hanif, Sinbad, amenant Almoradin et Pierrot. SINDBAD, A DLMOR A DDIN ,MONTRANT AFFAN*’. Vous voyez le Capitaine des Gardes. Almoraddin et Assan se saluent. ASSAN, A ALMORADDIN. Air, La jeune Abbesse de ce lieu. Puissiez-vous, Rose duPrintems ,, Être agréable à la Princesse , Autant que la pluie à nos Champs, Après cent jours de sécheresse : Qu'aux rayons de vos yeux pleins d'ardeur Fonde la glace de son coeur. PIERROT, SUR LE TON DU DERNIER VERS. Vous choisissez un bon fondeur. ALMORADDIN. Air 178. Ah ! Quel plaisir lorsqu'après mille alarmes. De posséder cette Reine charmante Ne pensez pas que je sois fort tenté ; Et dans ces lieux lorsque je me présente, Vos lois m'en sont une nécessité. ASSAN. Ce discours me surprend. PIERROT. Air 38. Vaudeville du Roi de Cocagne. Croyez-vous qu'il aime les femelles'? Ce n'est rien moins que cela. Apprenez que, pour voir les plus belles, Il n'irait pas d'ici là. Il ne prendra jamais du goût pour elle. ASSAN, SOURIANT, À PIERROT. Et lonlanla, Quand il sera Devant Zélica, Vous m'en direz des nouvelles. À Almoraddin. Mais cette Princesse va paraître ; Préparez-vous à l'entretenir. Il sort avec Hanif et Sindbad. ## SCÈNE VII. Almoraddin, Pierrot. PIERROT. Au bout du compte, je rirais bien ; si vous alliez devenir amoureux. ALMORADDIN. C'est ce qui n'arrivera point. Air : Croyez-vous qu'Amour m'attrape. L'Amour a fait son possible, Pour m'abattre sous ses traits ; Mais, me trouvant invincible, Enfin, il me laisse en paix. Mais etc. PIERROT. Air, Les Proverbes. Avec ce Dieu, dès ce jour, mon cher Maître, Vous pourriez bien trouver à déchanter : Quand il nous faut reculer, le bon Traître, C'est pour nous faire mieux sauter. ALMORADDIN. Paix ! Voici, la Reine. ## SCENE VIII. Almoraddin, Pierrot, La Reine sous le nom de Nour sa confidente, Nour, passant pour la Reine, Suivantes de la Reine. PIERROT F PENDANT QUE LA NOUR S’AVANCE? Air 61. À boire je fais rage. Jarni ! Qu'elle est brillante ! Bis. Quelle Dondon piquante ! Ses beaux yeux me criblent le sein. Ah ! Que n'est-elle une suivante, Ou que ne suis-je Almoraddin. N O U R , A.ALMORADDIHÌ. Air 132. À l'ombre de ce vers bocage. Ô vous, que le hasard attire Ici pour la première fois, Jeune étranger, dans mon Empire Avec plaisir je vous reçois ! Puissiez-vous, quittant ce rivage, Être assez content de ma Cour, Pour en conserver une image, Qui fasse honneur à ce séjour. PIERROT, À PART. Elle est à manger. Nour le regarde, ce qui l'oblige à baisser les yeux. ALMORADDIN, TROUBLÉ. Air, Branle de Metz. Lorsque l'on y voit la flamme... Les plus célestes attraits Un coeur... mes tendres souhaits..„. NOUR. Quel transport saisit son âme ! ALMORADDIN. Ah ! Si mon bonheur obtient... LA REINE, À NOUR. Vous l'avez troublé, Madame. ALMORADDIN, SE REPRENANT. Oui, si mon amour obtient.... PIERROT. Oh ! C'en est fait, il en tient. ALMORADDIN, À NOUR, SE REMETTANT UN PEU. Air, Quand le péril est agréable. Pardonnez-mon désordre extrême. NOUR. Vous n'avez jamais mieux parlé : Les discours d'un amant troublé Sont l'éloquence même. ALMORADDIN. Air, L'autre nuit j'aperçus en songe. Hélas ! Si j'osais me promettre !... NOUR. Oui, je vous permets d'espérer. Je crois devoir me retirer, Pour vous laisser un peu remettre. PIERROT. Son pauvre coeur en a besoin. NOUR, À LA REINE. Ma chère Nour, prenez-en soin. Nour se retire avec les autres Suivantes de la Reine. ## SCÈNE IX. La Reine, Almoraddin, Pierrot. PIERROT, À SON MAÎTRE QUI EST FORT RÊVEUR. Je vous l'avais bien dit que vous pourriez tomber dans la nasse. LA REINE, À ALMORADDIN. Air 67. Vaudeville du Nouveau Monde. Seigneur, ne soyez point surpris De l'état où sont vos esprits. À la Reine en rendant les armes, Vous avez éprouvé l'effEt Que sur tous les coeurs elle fait : On doit ce tribut à ses charmes. ALMORADDIN, SOUPIRANT. Ahi ! PIERROT. Air 179. La faridondaine, gué ! Le Dieu Cupidon Vous livre à la Reine, Bis. Rougirez-vous donc De porter sa chaîne ! Bon ! La faridondaine, Gué! La fariradondé. ALMORADDIN, À LA REINE. Air 22. Quand je vous ai donné mon coeur. Je vous l'avouerai, belle Nour. Je n'ai point été maître Du trouble subit que l'amour Dans mon coeur a fait naître : Mais votre Maîtresse n'est pas La cause de mon embarras. PIERROT, ÉTONNÉ. Ho ho ! LA REINE. Air, Du Cap de Bonne-Espérance. Eh ! Quelle autre que la Reine Peut vous avoir enchanté ? ALMORADDIN. Hélas ! Vous pouvez ; sans peines, Deviner cette Beauté ! Si ma bouche n'ose dire Pour quels appas je soupire, Nour, si vous le désirez, Dans mes yeux vous l'apprendrez. LA REINE. Je ne vous entends point. ALMORADDIN. Air 180 : Pour se plaindre de son martyre. Vous feignez de ne point m'entendre : Je vais donc parler clairement. C'est à votre air noble et charmant Que mon coeur s'est laissé surprendre. LA REINE. Ha, ha, ha ! PIERROT. En voici bien d'une autre. LA REINE. Je ne prends point le change. Air, Pour passer doucement la vie. Non, je ne fuis point assez vaine, Pour m'imaginer follement, Qu'à notre aimable souveraine Je puisse enlever un Amant. ALMORADDIN. Air, Pour faire honneur à la noce. De l'éclat qui l'environne Mon coeur n'a point été frappé ; II s'est tout entier occupé Des grâces de votre personne. De l'éclat qui l'environne Mon coeur n'a point été frappé. PIERROT, À PART. Il faut qu'il ait le Diable au corps. LA REINE. Mais cela me paraît sérieux. ALMORADDIN, SE JETANT AUX GENOUX DE LA REINE. Air, Le fameux Diogéne. Oui, c'est Nour elle-même, C'est vous feule que j'aime. LA REINE, LE RELEVANT. Quoi ? Vous à mes genoux ! Votre indigne tendresse Dément l'air de noblesse, Que l'on remarque en vous. PIERROT. Cela est vrai, rien n'est plus honteux. LA REINE. Air 84. Une faveur, Lisette. Quel Démon vous entraîne ! Voyez, dans votre amour, L'esclave de la Reine. ALMORADDIN. Je n'y vois rien que Nour. Ignorez-vous qui donne Les Sceptres ? C'est le sort. Si Nour est sans couronne, Le Destin seul a tort. PIERROT. Ah ! Pauvre Cerveau blessé ! LA REINE. Air, Quand Iris prend plaisir à boire. Vainement, par ce doit langage, Vous pensez que mon coeur peu sage Dans vos feux s'intéressera. Votre transport me paraît un caprice : Votre raison vous reviendra, Ma Maîtresse reparaîtra, Vous lui rendrez Bis.         plus de justice. Elle fait quelques pas pour s'en aller. ALMORADDIN, LA RETENANT. Air 181. L'autre jour dessous un ormeau. Demeurez, ne me fuyez pas, Belle Inhumaine ! LA REINE. Laissez moi, Coeur lâche et bas ! ALMORADDIN. Non, je suivrai vos pas. LA REINE. N'en prenez pas la peine. ALMORADDIN. Hélas ? Je vais donc m'ourir; LA REINE, SE RETIRANT. Je ne puis vous guérir. ## SCÈNE X. Almoraddin, Pierrot. ALMORADDIN. Air, Je ferai mon devoir. Vois-tu comme je suis traité ? PIERROT. Vous l'avez mérité. Bis. ALMORADDIN. Elle me met au désespoir. PIERROT. Elle fait son devoir. Bis. ALMORADDIN. Cruelle destinée ! PIERROT. Air 36. Perrette étant dessus l'herbette. Votre conduite est fort plaisante ! Vous, qui ne vouliez point d'amante, Après avoir tant barguigné, [1] Vous vous coiffez d'une suivante : Votre coeur est bien étrenné ! ALMORADDIN. Je la préfère à toutes les Princesses du Monde. PIERROT. Quoi ? Vous seriez capable de l'épouser ? ALMORADDIN. Pourquoi non ? PIERROT. Et vous l'emmèneriez à Achem ? ALMORADDIN. Sans doute. PIERROT. Vous y seriez bien reçu, ma foi. Air 35. Menuet de M. de Grandval. Le Roi, suivant les apparences, Blâmerait votre engagement. Il est raide, en fait d'alliances, Comme un grand seigneur allemand. ALMORADDIN. Air, On n'aime point dans nos forêts. Non, non. Le plaisir qu'il aurait De me voir enfin une femme, Sur fa fierté l'emporterait ; Nour même attendrirait son âme ; De tout je pourrais me flatter ; Mais Nour ne veut point m'écouter. PIERROT. Chut ! La Reine paraît. Jarnonbille ! Qu'elle ne s'aperçoive de rien. Air 181. Ce fut un Dimanche après vêpres. L'amour dont notre honneur s'offense, Se doit condamner au silence : L'amour qu'on nous peut reprocher, er, etc Ne saurait trop bien se cacher, er, etc. ## SCÈNE XI. Almoraddin, Pierrot, Nour passant pour la Reine, suivantes de la Reine. NOUR, À ALMORADDIN. Air, Un Inconnu pour vos charmes soupire. À vous revoir quand Zélica s'empresse, Jugez par là du sort qui vous attend. À la Maîtresse Du Barostan. Vous avez fait, dès le premier instant, Sentir pour vous une heureuse faiblesse. ALMORADDIN, FROIDEMENT. Ah ! Madame, puis-je croire que... NOUR. Air 183. Mon Amant me serre lu main. Oui, Seigneur, Vous avez allumé dans un coeur, Plein de rigueur, Une ardeur, Qui vous en a rendu le vainqueur. Je me donne Dès ce moment à vous ; C'est l'amour qui l'ordonne. À ce Dieu livrons-nous ; Partagez ma Couronne, Soyez, mon époux. PIERROT, À PART. Comment-va-t-il se tirer de là ? ALMORADDIN. Air, Je ne veux point troubler votre ignorance. J'espérais peu cette faveur insigne : Je fais confus de vos tendres bontés. Ah ! Laissez-moi du moins m'en rendre digne ! NOUR. Mon coeur me dis que vous les méritez. PIERROT, À PART. Le voilà bien embarrassé ! NOUR. Air, Vous qui vous moquez, par vos ris. Vous régnerez dans ces climats, C'est votre destinée. Je vais déclarer de ce pas, Que de notre hymenée On voit enfin, dans mes États, Arriver la journée. PIERROT, À PART. Comme diable elle lui ferre le bouton ! NOUR. Mais que vois-je ! Au lieu de faire éclater les transports de sa joie. Air, Y-avance, y-avance, y-avance. Il me paraît sombre et rêveur. PIERROT. C'est, ma Princesse, son humeur. Il en dit bien moins qu'il ne pense À Almoraddin, bas. ) Y avançe, y avance, y avance ! À Nour. Pardonnez lui son indolence. NOUR. Mais, quoi ? Air, Belle et charmante Brune, ou Votre époux est de glace. Peut-il être de glace En pareil cas ! PIERROT. Que ne suis-je à sa place, Madame, hélas ! Je ferais bien mieux fête à vos appas. NOUR, À PIERROT. Ouida ! À Almeraddin. Air 184. Je me plaignais d'une inhumains. Quelle froideur est donc la vôtre ! ALMORADDIN. Je ne puis vous donner ma foi : Je suis prévenu pour une autre ; Je vous suis ingrat malgré moi. PIERROT, BAS À ALMORADDIN. Ah ! Misérable, vous cassez les vitres. NOUR. Air, Des Fraises. Que viens-je d'entendre, ô Dieux ! Quelle cruelle offense ! Braver mon rang glorieux, Et le pouvoir de mes yeux ! Vengeance, vengeance, vengeance ? PIERROT, BAS À SON MAÎTRE. Courage ! Achevez de nous perdre, par votre chienne de franchise. NOUR. Mais non. Air, Je ne suis pas si diable. Éclater en murmures, De rage soupirer, Ou t'accabler d'injures, Ce serait t'honorer. Que bientôt ce rivage Soit délivré de toi : Sans tarder davantage, Fuis loin de moi. PIERROT, À PART. Nous en sommes quittes à bon marché. NOUR, À PIERROT, APRÈS LUI AVOIR FAIT SIGNE DE VENIR À ELLE. Air, Bannissons d'ici l'humeur noire. Vous dont l'humeur a su me plaire, Suivez-moi. Je vous apprendrai Ce que pour vous je prétends faire. PIERROT, À SON MAÎTRE. Au plutôt je vous rejoindrai. II donne comiquement le bras a Nour, qui se retire avec les Suivantes de la Reine. ## SCÈNE XII. ALMORADDIN. Air, Le Démon malicieux et fin. Ô Grands Dieux ! Qu'en ce malheureux jour, Je suis bien le jouet de l'Amour ! Je dédaigne une Reine puissante, Qui vient m'offrir sa couronne et son coeur ! Et j'adore une simple suivante, Qui n'a pour moi que haine et que rigueur. ## SCENE XIII. Almoraddin, Le Reine. LA REINE. Air, Le Seigneur Turc a raison. Quelle nouvelle, Seigneur, On vient de m'apprendre ! Quand pour vous de sa grandeur La Reine veut bien descendre, Vous rebutez son amour ! Est-ce donc là le retour Qu'elle en devait attendre ? ALMORADDIN. Air 130. Je passais tranquillement. Eh ! Pourquoi me blâmez-vous ? Vous savez vous-même, Qu'il ne dépend pas de nous D'aimer qui nous aime, D'aimer qui nous aime. LA REINE. Air, Ah ! mon mal ne vient que d'aimer ! Vous avez raison ; mais songez Au péril où vous vous plongez. Des attraits que vous outragez Redoutez la furie. ALMORADDIN. Ah ! Cruelle, ils sont bien vengez Par votre barbarie ! LA REINE. Air, Quand le péril est agréable. En vérité, c'est avec peine Que pour vous j'aide la rigueur ; Et c'est votre gloire, Seigneur, Qui me rend inhumaine. ALMORADDIN. Air, Ne m'entendez-vous pas. Vous me trompez, hélas ! Comment pourrais-je croire Que vous cherchez ma gloire, En cherchant mon trépas. LA REINE. Non, vous n'en mourrez pas. Air 185. Un Berger qui pour moi soupire. En vain j'ai voulu me défendre Contre un si tendre vainqueur. ALMORADDIN, TRANSPORTÉ. J'aurais touché votre coeur ! LA REINE. Vous l'avez forcé de se rendre. ALMORADDIN. Vous approuvez enfin mes feux ! Je suis au comble de mes voeux ! LA REINE. Air 186. Bergères de Maintenon. En préférant l'esclave à la Maîtresse, Vous trouverez beaucoup plus de tendresse. Mais vous perdez la main d'une Princesse, ALMORADDIN. Air, Je ne suis né, ni Roi, ni Prince. Lorsque j'unis mon fort au vôtre, En vous je trouve l'une et l'autre : Au Roi d'Achem je dois le jour. LA REINE, SURPRISE. Ciel ! ALMORADDIN.         Almoraddin je m'appelle. LA REINE. Ah ! Quel bonheur que mon amour Ait précédé cette nouvelle ! ALMORADDIN. Air 51. Branle de Metz retourné. Ce trait de délicatesse, Nour, est bien digne de vous. Mais fuyons des yeux jaloux, Et songez que le temps presse. Dans mon bord retirons-nous, Abandonnez la Princesse ; Dans mon bord retirons-nous, Venez, suivez votre époux. LA REINE. Air, Comme un Coucou. Le jour trahirait notre suite. À votre vaisseau, sur le soir ; J'irai, par mon amour conduite. Cher Prince, adieu. Jusqu'au revoir. ## SCÈNE XIV. ALMORADDIN, SEUL. Air 187. Sur les bords d'une fontaine. Amour, qu'on est téméraire, De murmurer contre vous ! Lorsque vous semblez le plus contraire Vous nous préparez le destin le plus doux. ## SCÈNE XV. Almoraddin, Pierrot. ALMORADDIN. Air, Grimaudin. Pierrot, quelle heureuse nouvelle ? Almoraddin N'adore plus une Cruelle; Nour m'aime enfin. Du Port avec elle, sans bruit, Nous devons sortir cette nuit. PIERROT, D’UN AIR SÉRIEUX:. J'en suis bien-aise pour l'amour de vous. ALMORADDIN. 'AIR, Allons gai ! Ce jour est de ma vie Le jour le plus heureux. Que mon âme est ravie ! Chantons, rions tous deux : Allons gai ! etc. Mais d'où vient ce sérieux ? Aurais-tu quelque sujet de chagrin ? PIERROT, DÉCLAMANT. Seigneur, pourvoyez-vous d'un autre confident. La Fortune aujourd'hui m'élève au plus haut rang : Je dois tâter ce soir, de la grandeur humaine. Pour vous le couper court, j'épouse... ALMORADDIN. Qui ? PIERROT.         La Reine. ALMORADDIN, RIANT. Ha, ha, ha ! Il faut avouer que tu es bien fou. PIERROT. C'est un fait constant. Elle ne vous aime plus. Air, J'offre ici mon savoir-faire. Au Trône elle me destine ; Car elle même me l'a dit : Moitié pour vous faire dépit, Et moitié pour ma bonne mine. Moitié pour etc. ALMORADDIN. Tu te moques, Pierrot. PIERROT. Air I. À deux genoux près de Sylvie. Pierrot ! Pierrot ! Ce nom m'assomme.' Il est trop bas, trop familier. Et je prétends que l'on me nomme Dès aujourd'hui Bis.         Pierre Premier. ALMORADDIN,RIANT DETOUTESSESFORCEA. Ha, ha, ha, ha , ha ! PIERROT. Oui, je prétends que l'on me nomme Dès aujourd'hui Pierre Premier. ALMORADDIN, D’UN TON GOGUENARD. Adieu donc, mon Prince. Puisque vous allez monter sur le Trône, nous ne nous verrons plus. PIERROT. Oh, que si ! Nous nous verrons par Ambassadeurs. Lui tendant la main. Adieu, Frère. Je vais retrouver Zélica, qui m'attend pour me couronner. Adieu. Bon voyage. Air 188. J'ai bien la meilleure femme. Tandis qu'avec la soubrette Vous allez, fendant les flots, Tenir à cette Poulette Mille et mille doux propos ; De sa Maîtresse charmante, Moi parfaitement content, Je vais répondre à l'attente Des Peuples du Barostan. Il s'en va fièrement. ## SCENE XVI. Almoraddin, Hanif, Assan, Sinbad. ALMORADDIN, À PART. L'extravagant personnage ! La Reine, apparemment, veut s'en divertir... Mais regagnons le Port. II fait un mouvement pour s'en Mer. Assetn Staborde. ASSAN. Air 5 Monsieur la Palisse est mort. J'obéis, avec douleur, À l'ordre que l'on me donne. Je viens m'assurer, Seigneur, De votre auguste personne. ALMORADDIN, D’UN TON FERME. De quoi l'accuse-t-on ? ASSAN. Air, Joconde. On a découvert votre amour, On sait votre naissance, Vous attendez la fin du jour Avec impatience; Nour au Port clandestinement A promis de se rendre. C'est un projet qu'en ce moment La Reine vient d'apprendre. ALMORADDIN, À PART. Ô Dieux ! Faut-il que je cause la perte de Nour ! Haut à Assan. Hé, qui sont mes Délateurs ? ASSAN. Vous n'avez qu'une accusatrice. Air, J'ai fait souvent résonner ma Musette. Je prévois bien vôtre surprise extrême, Quand vous saurez qui vous a décelé, Quand vous saurez que c'est Nour elle-même. ALMORADDIN, DANS LE DERNIER ÉTONNEMENT. Nour, juste Ciel ! ASSAN.         Elle a tout révélé. Almoraddin, accablé de cette nouvelle, laisse tomber ses bras, et n'a pas la force d'en dire davantage. ## SCÈNE XVII. Almoraddin, Assan, Hanif, Sinbad, La Reine, Nour, Suivantes de la Reine. NOUR, À ALMORADDIN. Air, Quand on a prononcé ce malheureux oui. Hé bien, Prince d'Achem , vous aviez donc envie D'enlever de ma Cour mon esclave chérie ! J'ai pardonné l'affront qu'ont reçu mes appas ; Mais pour cet attentat je ne l'excuse pas. ALMORADDIN, À NOUR. Air, Les Trembleurs. Je suis en votre puissance : Contentez votre vengeance, Punissez ma violence ; Je n'en murmurerai pas. Jetant un regard furieux à la Reine. Nour !...( Quelle supercherie !) Non, après sa perfidie Et sa trahison, la vie Pour moi n'aura plus d'appas. PIERROT, À NOUR. Ah ! Ma Mignonne, je demande grâce pour lui. Je me souviens toujours d'avoir été à son service. Bon sang ne peut mentir. LA REINE, SOURIANT. Air 189. Plus inconstant que l'Onde et le Nuage. Almoraddin, malgré votre tendresse, Vous me lancez des regards pleins d'horreur. J'ai tout dit, je le confesse : J'ai dit qu'une vive ardeur Tous deux nous presse : Mais, par bonheur, Cela n'a rien gâté. Je vous apprends que la Princesse Veut bien souffrir notre félicité. ALMORADDIN, SE JETANT AUX PIEDS DE NOUR. Air 75. Pour un doux baiser, aimable Bergère. Hé, quoi ? Triomphant d'une juste haine, Zélica veut bien favoriser mes voeux ! NOUR, LE RELEVANT. Oui : mais connaissez la Souveraine. Lui montrant la Reine. Prince, la voilà. C'est l'objet de vos feux. ALMORADDIN, SURPRIS AU DERNIER POINT. Ah ! Que dítes-vous ! LA REINE.         Je suis la Reine. Je fais mon bonheur, en vous rendant heureux. Almoraddin se jette à ses genoux, et lui baise la main avec transport. Ils s'entretiennent bas tous deux, pendant que Nour et Pierrot disent ce qui suit. PIERROT, À NOUR. Ha ! Quelle tricherie ! Vous êtes donc, vous, la véritable Nour ? NOUR. À votre service. Cela vous dégoûte-t-il du mariage ? PIERROT, LUI PRENANT LA MAIN,. Non, ma foi. NOUR. Air, N'y a pas d'mal à ça. Veux-tu t'en dédire ? PIERROT. Le marché tiendra. NOUR. Je n'ai plus d'Empire. PIERROT. Oh s'en passera : N'y a pas d'mal à ça. Bis. LA REINE, À ALMORADDIN. Air : Amis, ne parlons plus de guerre. J'ai voulu voir si ma Personne, Sans se nommer, Avait besoin de ma Couronne , Pour enflammer. ALMORADDIN. J'avais même -délicatesse Depuis longtemps ; Et vous rendez, par cette adresse, Deux coeurs contents. Air 190. Aimez, charmante Blonde. Oui, votre rang suprême Me plaît bien moins que vous. TOUS DEUX. Être aimé pour soi-même, Il n'est rien de si doux. Bis. LA REINE, À LA CANTONNADE. Air, Attendez, mois sous l'orme. Venez faire une fête, Accourez à ma voix ! Peuples, que l'on s'apprête À célébrer mon choix ? Venez tous reconnaître Les faveurs du Destin, Qui vous donne pour maître Le Prince Almoraddin. ## SCÈNE XVIII ET DERNIÈRE. Les Acteurs de la Scène pécédente, Foule de PEUPLES du Barostan, Dansants. On danse. NOUR. Air 191 de M. Gilier. L'Excès de la délicatesse, Est le poison de la tendresse : Il faut de la crédulité. Un amant nous jure Que de nous il est enchanté, Fut-ce une imposture ; Croyons qu'il dit la vérité. Il est souvent fâcheux De s'y trop bien connaître : Se croire heureux, N'est-ce pas l'être. On reprend la Danse , qui est encore coupée par le second Air. ASSAN. Air 192. de M. Gillier. Un coeur sauvage Qui fuit le Dieu des Amours, En vain tente le secours D'un long voyage : Le fruit de tous ses détours, Est l'esclavage; L'Amour se trouve toujours Sur son passage. L'on reprend la danse, qui finit la pièce. ------- [1] Coiffer : Se dit figurément en choses morales et spirituelles, et signifie s'entêter, se préoccuper en faveur de quelque choses. F