--- identifier: duryer_lisandrecaliste creator: Du Ryer, Pierre ; Georges Forestier. date: 1632 title: Lisandre et Caliste. Tragi-comédie. --- Lisandre et Caliste Tragi-comédie Par le Sieur Du Ryer A PARIS, CHEZ PIERRE DAVID, au Palais sur le petit Perron de la grand ' Salle du costé des Consultations. M. DC. XXXII. AVEC PRIVILEGE DU ROY Édition critique établie par Anne-Karine Messonnet sous la direction de Georges Forestier (1997) # Introduction générale. ## Aspects de la vie et de la carrière dramatique de Pierre Du Ryer (1605-1658). Isaac Du Ryer, père de Pierre du Ryer, appartient à la petite noblesse ; en raison de sa verve il se taille une réputation de poète réaliste et d'auteur dramatique. Il influencera son fils dans son goût pour la poésie lyrique et dramatique. Les nombreux travaux de Pierre Du Ryer, sa connaissance perçue dans ses premiers ouvrages de la culture antique révèlent, chez ce jeune écrivain, une bonne fréquentation des classiques. Secrétaire de la chambre du roi en 1621, il commence sa carrière poétique en 1624 par des vers latins dédiés à son père : *Patri suo*. En 1628, Pierre Du Ryer vit à Paris et fréquente la Cour ainsi que les milieux intellectuels dans lesquels il fut introduit par son père. Il étudie le droit et devient avocat en 1629. Ainsi le jeune Du Ryer appartient-il aux gens de lettres et de culture familiers de la cour de Gaston d'Orléans (il devient secrétaire du Duc de Vendôme en 1634). Il y est sans doute influencé par les idées nouvelles qui mûrissent dans les salons. Mais dès 1621 sa charge de secrétaire du roi lui impose de se montrer prudent sur des relations pouvant paraître suspectes au pouvoir établi. Outre les salons, la Cour, sans toutefois atteindre la perfection, se distingue dans les années 1625-1630 comme le centre de l'élégance et des belles manières. Il existe cependant des foyers de tension puisqu'« une aristocratie en révolte larvée contre le pouvoir royal » [1] se fait connaître. Du Ryer, Corneille, Mairet et bien d'autres eurent pour protecteurs les grands seigneurs de ce royaume : Vendôme, Longueville, d'Orléans… Ces nobles opposaient à l'autorité de Richelieu une politique hautaine et orgueilleuse d'indépendance dont se nourrissaient les poètes qui les fréquentaient. Cet écrivain encore inexpérimenté préside des réunions d'idéalistes dans des cabarets. Il se distingue rapidement comme le chef de file des jeunes auteurs du nouveau théâtre qui compte parmi ses membres G. Colletet, F. Ogier, Auvray, Mareschal, Rotrou et d'autres. Paris devient le centre où les esprits bouillonnent et où les plumes rendent la vie intellectuelle frénétique. Ces jeunes auteurs sont « unis par l'amitié, fortifiés par le sentiment d'entreprendre en commun une grande œuvre » (A. Adam) ; ils se soutiennent mutuellement. Grâce aux créations de quelques écrivains : *La Chryséide* de Mairet (1625), *Tyr et Sidon* (tragi-comédie de 1628) de J. de Schelandre, les pièces de Du Ryer et de Rotrou, le genre tragi-comique se développe. C'est avec la préface d'A. Mareschal à sa pièce : *La Généreuse allemande* [2] (1631), que la tragi-comédie, désormais reconnue, revendique son originalité et son indépendance par un refus des unités, un désir de modernité et d'adaptation au goût contemporain, une primauté de l'action sur le récit ainsi qu'un dénouement heureux. Tous ces traits, qui caractérisent les pièces créées pendant l'épanouissement du genre (1630-1642), se retrouvent dans les premières tragi-comédies de Du Ryer, Mairet… Devenue le genre dramatique le plus populaire, la tragi-comédie éclipse la pastorale, la tragédie et la comédie jusqu'aux environs de 1643. ## Un successeur et un adversaire de Alexandre Hardy. Bien que ces auteurs soient les plus représentatifs du genre tragi-comique, c'est Alexandre Hardy qui popularise la tragi-comédie romanesque et en fait le genre dominant que ces jeunes écrivains illustrent. Hardy a en effet donné un public au théâtre du XVII*e* siècle en composant des pièces pour la scène, c'est à dire dans le but de les faire représenter, et non pour quelques érudits, « avec une constante préoccupation de l'effet, des nécessités et des conventions du théâtre » [3]. Il a permis de dégager les lois essentielles de ce genre; aussi les auteurs qui lui succédèrent n'eurent-ils plus qu'à ajouter quelques précisions aidant à la distinction des genres et à la détermination des conditions de classement. Il a donné aux novateurs des acteurs et un public, il a fixé les traits caractéristiques du genre et a montré la voie à ses successeurs. Mais malgré toutes ces innovations, Hardy est un auteur de la vieille école et un admirateur de Ronsard. Il cherche ses sujets dans l'Antiquité, dans les histoires espagnoles ou italiennes et il ne les renouvelle guère. La suprématie incontestée de ce vieil auteur est secouée par la création d'*Arétaphile* de Du Ryer en 1628. Débute alors une querelle qui eut son importance dans l'histoire de la littérature dramatique du premier tiers de ce siècle. Le conflit entre les jeunes auteurs, représentés par Pierre Du Ryer et Jean Auvray, éclate ouvertement avec *Les Lettres à Poliarque et Damon sur les médisances de l'Autheur du théâtre* dans lesquelles les deux auteurs dénoncent le vieillissement des théories théâtrales de Hardy et déclarent que « c'est une loi générale, qu'il faut observer les loix du pays où l'on est : nous ne sommes pas Romains ni Romans, nous escrivons à Paris, on y parle assez bien, sans emprunter un idiome estranger » (Du Ryer). Ils s'opposent au vieillissement de la langue et se déclarent en faveur de Malherbe. Hardy répond à cette attaque dans une préface à son *Théâtre* … [4] où il défend sa conception du style, de la forme ou encore des sources d'une pièce. Bien que Du Ryer et Auvray se considèrent comme ses élèves, ils désirent introduire au théâtre un langage plus souple, plus moderne et plus clair c'est à dire conforme aux tendances contemporaines. En effet, Hardy n'accepte pas la réforme de Malherbe et ses pièces, même au moment de leur représentation, n'échappaient pas à une lourdeur, à une obscurité du point de vue stylistique et linguistique qui montrent son archaïsme par rapport à la langue contemporaine. Ainsi, bien que ces auteurs soient des successeurs du vieil Hardy, ils s'opposent à lui en se faisant les porte-paroles d'une évolution irréversible du goût. Cette querelle oppose deux générations, deux conceptions de l'art théâtral, contre Hardy se dressent les premiers groupes littéraires, futurs « cercles » qui jalonnent l'histoire de l'évolution des idées et du goût au XVII*e* siècle. Ces jeunes écrivains voient dans le principe moderniste un principe de liberté, et A. Mareschal, dans *La Généreuse allemande* en 1631, défend la liberté de l'art dramatique contre les théoriciens qui veulent l'asservir. Pour ces novateurs, la modernité réside dans la qualité des pensées et des sentiments incarnés par Théophile. Les héros imaginés par ces dramaturges agissent et pensent comme des hommes de 1630 c'est à dire comme des hommes modernes. De 1628 à 1633, Du Ryer et son groupe ont le sentiment de créer quelque chose de neuf, une forme dramatique nouvelle et parfaitement adaptée au goût de leur génération. La liberté qu'ils ont gagnée leur parait féconde en possibilités nouvelles. ## Une seule règle : plaire au public. Aux environs de 1640, sous l'influence du *Cid* (1637) de Corneille, les auteurs de tragi-comédies, par un plus grand respect de l'unité de temps et de lieu, se montrent davantage soucieux de régularité tout en gardant une intrigue complexe. Après avoir écrit de nombreuses tragi-comédies (*Arétaphile, Clitophon, Argénis et Poliarque, Lisandre et Caliste)*, à partir de 1639 Du Ryer ne se consacre plus qu'aux tragédies et ce pendant une dizaine d'années. Le genre tragique domine de 1643 à la Fronde, la tragi-comédie ne bénéficie que d'un faible regain d'intérêt de 1652 à 1658, elle décline puis disparaît au profit d'autres genres dramatiques vers 1672. Ce bref historique du genre tragi-comique permet de constater l'attention que porte du Ryer à l'évolution du goût du public. Le but d'un dramaturge est de charmer l'assistance et de la divertir, comme le déclare Du Ryer dans son épître à la Duchesse de Longueville, à laquelle il dédie *Lisandre et Caliste* : « j'auray subjet de croire que je vaux quelque chose si vous faites estat du dessein que j'ay de vous divertir… ». Un tel mot d'ordre implique la prise de conscience de la relativité et de l'évolution du goût du public. Aussi le dramaturge doit-il continuellement s'adapter s'il veut plaire et rester populaire. Ainsi peut-on expliquer l'évolution de Pierre Du Ryer qui passe de la tragi-comédie irrégulière ou de la comédie à la tragédie classique. Sous l'influence du *Cinna* de Corneille (jouée fin 1640- début 1641), Du Ryer écrit trois tragédies à dénouement heureux : *Esther* (1642), *Scévole* (1644) et *Thémistocle* (1647). Il ne néglige pas pour autant la tragédie pure avec *Lucrèce* (jouée en 1638) ou encore *Saül* (1642) ou la comédie avec *Les Vendanges de Suresne* (1633). Il écrit sa dernière tragi-comédie *Anaxandre* en 1653. Cet aperçu de la carrière dramatique de Du Ryer témoigne de l'attention particulière que porte l'auteur au climat de son époque en ce qui concerne la technique et la stylistique mais aussi la thématique théâtrales. Notre auteur expérimente les genres dramatiques majeurs de cette époque et montre par la même son désir de s'adapter au goût du public. Dans *Comédie et société sous Louis XIII* [5], Colette Scherer dresse une liste des différentes professions susceptibles de se rendre au théâtre dans la première moitié du XVIIème siècle. Il s'agissait pour les auteurs dramatiques de satisfaire le goût de l'auditoire pour le spectacle dramatique en exploitant particulièrement le jeu et le talent des acteurs. Ces derniers, soutenus par une déclamation ampoulée mais maîtrisée avec art, donnaient de l'éclat aux pièces les plus médiocres. Le public était composé de façon hétéroclite mais qu'il soit cultivé et sensible ou moins lettré, une même envie, un même désir animaient les spectateurs : prendre du plaisir en goûtant des sentiments raffinés ou en vibrant aux élans de l'héroïsme chevaleresque. Peu préoccupé par les règles, il cherchait des émotions fortes et du spectacle. Auteurs comme spectateurs affichent leur prédilection pour les actions complexes où les coups de théâtre se succèdent. Comme le dit F. Ogier dans sa préface à *Tyr et Sidon* (1628) : le public est « amateur de changement et de nouveauté » [6], mais se montre peu exigeant du point de vue littéraire. Les règles se sont peu à peu imposées à la tragi-comédie sans que Du Ryer et ses amis n'y montrent une quelconque résistance. Notre auteur a su adopter, face au rejet puis à l'engouement pour les règles, une sorte de voie moyenne et éclectique. Par tous ces aspects, Du Ryer mérite une place plus importante dans ce mouvement qui permit d'imposer une nouvelle façon de concevoir et de faire le théâtre dans les années 1630. Après avoir obtenu de son vivant un grand succès et des louanges presque unanimes, au point qu'il fut élu à l'Académie française en 1646, son œuvre fut délaissée après sa mort. Il faut cependant reconnaître que, par ses tentatives désordonnées, il a puisé dans tous les domaines du théâtre et a aidé à l'établissement du genre dramatique par excellence : la tragédie. Il mourut le 5 octobre 1658. # La pièce. *Lisandre et Caliste* fut composée et créée en 1630 au théâtre de l'Hôtel de Bourgogne. Publiée le 5 août 1632 à Paris par Pierre David, la pièce reçut quelques retouches de Pierre Du Ryer qui donna lieu à une nouvelle édition en 1634. Ce remaniement de l'auteur indique sans doute le succès de la pièce, toutefois aucun détail n'a été fourni sur ce point, même par H.C. Lancaster. Nous savons seulement que, d'une manière générale, Pierre Du Ryer connut dès ses premières pièces : *Arétaphile* (jouée en 1628), *Clitophon* (jouée en 1629), *Argénis et Poliarque* (1631) ou encore *Lisandre et Caliste* (1630), un succès grandissant. En témoigne l'avertissement à *Arétaphile* : *Arétaphile* et *Clitophon* sont les premières pièces de théâtre par qui Monseigneur Du Ryer s'y est fait admirer …, elles furent reçues avec un applaudissement universel du peuple et de la cour [7]. Nous supposons qu'il en fut de même pour *Lisandre et Caliste*, la réédition de sa pièce en 1634 constituant une preuve du succès relatif de la pièce. Le fait que sa tragi-comédie ait été représentée à l'Hôtel de Bourgogne montre l'estime que l'on portait à l'époque au jeune Pierre Du Ryer, dont Mahelot mentionna la pièce dans son *Mémoire* [8]. Paris accueillit dans la même période deux troupes permanentes : le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne, considéré comme le chef de file des théâtres français, et le théâtre du Marais. En effet, l'intérêt de Richelieu pour le genre relevait à la fois d'un goût personnel et d'un goût politique car il y voyait un instrument de propagande nationale et monarchique. Le statut de l'auteur dramatique évolua considérablement en un temps très court. L'exploitation des salles de théâtre de Paris fut marquée par une stabilité nouvelle. Une ordonnance de 1629 installa les comédiens du roi à l'Hôtel de Bourgogne et, pour la première fois dans l'histoire de Paris, deux troupes de théâtre se firent concurrence. Devant leur essor, une pléiade de jeunes dramaturges issus de la bonne bourgeoisie s'engagèrent dans une carrière dramatique peu avant 1630. Le théâtre et notamment la tragi-comédie, qui dominera de 1630 à 1640, s'adapte à un nouveau type de société plus délicate et respectueuse des bienséances. Au théâtre et dans les salons de cette époque, on appréciait les tragi-comédies que A. Mareschal en 1631 considérait comme « le divertissement le plus beau des Français ». Parce qu'une pièce de théâtre cherche à plaire à son public, elle reflète inévitablement et dans une large mesure ce qu'il est. L'esthétique tragi-comique correspond à une esthétique moderne adaptée à l'esprit moderne et au goût du français contemporain perçu, selon Jean Rousset dans *La Littérature de l'âge baroque en France* [9], comme un homme de mouvement, de diversité et de changement. L'esprit du premier XVII*e* siècle, des « pré-classiques » se retrouve dans la tragi-comédie romanesque comme dans l'Hôtel de Rambouillet ou encore dans les romans d'Honoré d'Urfé ou de Madeleine de Scudéry. # La source. ## *L'Histoire tragi-comique de notre temps* de Henri Vital d'Audiguier. Pierre Du Ryer s'inspire des cinq derniers livres de *L'Histoire tragi-comique de notre temps sous les noms de Lisandre et Caliste* [10] de D'Audiguier pour écrire sa tragi-comédie *Lisandre et Caliste*. Publiée en 1615, *L'Histoire tragi-comique* … témoigne de l'engouement de D'Audiguier pour le roman de mœurs modernes. L'action se déroule sous Henri IV, les personnages sont modernes et français ; pourtant c'est d'un récit de Pline le jeune à son ami Sura que D'Audiguier s'inspire pour écrire son roman. Ainsi choisit-il comme source essentielle de son récit l'Antiquité mais prend soin d'adapter ces aventures à la société contemporaine. Le roman raconte, au travers d'un foisonnement invraisemblable d'aventures, l'histoire des amours de Lisandre et de Caliste : les prémisses, les premières manifestations, les progrès, les jalousies, malentendus, coups de théâtre ou séparations auxquels les héros devront faire face avant de se marier. Après le succès de *L'Astrée* d'Honoré d'Urfé, le roman pastoral n'inspire plus guère les romanciers : le goût de l'action, l'héroïsme, l'esprit d'aventure sollicitent plus la nouvelle génération. Très populaire sous Louis XIII, le roman d'aventures, dont *L'Histoire tragi-comique* est un exemple, combine esprit chevaleresque et galanteries modernes. Les héros ressemblent aux chevaliers courtois du Moyen Âge : mêmes aventures, mêmes prouesses et vertus. Ils possèdent également, à côté de ces qualités, l'élégance et le raffinement du gentilhomme et du courtisan. Il ne s'agit plus de raconter des aventures qui se déroulent en un temps révolu mais de faire le récit de péripéties vécues par des héros modernes et français. Dans son roman, D'Audiguier revendique constamment la vérité de son récit et le place dans le monde des possibles. Ainsi au Livre VIII D'Audiguier se réfère-t-il à d'autres auteurs ayant raconté l'histoire de Lisandre et de Caliste pour dénoncer leur version qui faisait de l'héroïne une femme facile : habile procédé qui fait croire à la réalité de son histoire. Ces romans étaient essentiellement destinés aux mondains et les auteurs, dans quelque genre que ce soit, cherchent à exprimer l'idéal de cette société polie et galante, fière de la délicatesse de son esprit et heureuse de vivre. Dans une société en pleine évolution, les romans constituent un instrument éducatif de premier ordre. Henri Vital d'Audiguier, comme tous les romanciers du début du XVII*e* siècle, n'échappe pas à ces caractéristiques. Il fait partie, tout comme Du Souhait, Nervèze et Des Escuteaux, des romanciers les plus féconds et les plus notoires de cette période. Ces auteurs ont des traits communs qui expliquent leur succès, ils se rejoignent notamment dans leur application à satisfaire les goûts de leur public et par les moyens qu'ils utilisent pour y parvenir. Toutefois aucun d'entre eux n'eut assez de génie pour émerger de son cadre et de son temps. Henri Vital d'Audiguier (~ 1565 ; 1625), « seigneur de la Menor en pays de Rouergue », appartient à la petite cour de la Reine Margot dont il est un des protégés. Il écrivit quelques poèmes mais conquit essentiellement sa renommée grâce à ses romans. À la reconstruction historique et politique (*Flavie*, 1606), il préfère les aventures contemporaines. Il met son œuvre au service de la morale et fait du roman une leçon de vie, une peinture de quelques nobles âmes en qui s'incarnent toutes les belles vertus publiques et privées. Le roman joue un rôle d'éducateur dans un XVII*e* siècle où la littérature se veut utilitaire et où l'union de l'art et de la morale constitue un dogme indiscuté. En alliant plaisir et instruction, il se démarque des manuels de civilité et permet une formation aux belles manières et au beau parler. Il enseigne en ne demandant à son lecteur que de consentir au charme de la lecture et d'admirer les modèles accomplis de cette « honnêteté » tant rêvée. Comme le dit P. D. Huet : Ce sont les romans des précepteurs muets qui succèdent à ceux du collège et qui apprennent aux jeunes gens, d'une méthode bien plus instructive et bien plus persuasive, à parler et à vivre [11]. Les histoires qu'ils proposent, exposent des modèles de courtoisie et de civilité et montrent, par des exemples émouvants, la beauté des amours chastes et des fidélités respectueuses. Le roman se présente comme un genre didactique au sens large, il prétend former les mœurs et meubler les esprits des honnêtes gens : « La fin principale des romans, dit Huet, c'est l'instruction des lecteurs à qui il faut faire voir la vertu couronnée et le vice puni » [12]. Le lecteur doit sentir que ces choses rêvées auraient pu se réaliser. Au travers d'un récit qui rapporte des aventures de cœur, de voyage, de cape et d'épée, il assiste au flux d'une destinée qui pourrait être la sienne. Le roman d'aventures répond exactement au goût des contemporains pour la tragi-comédie, ces deux genres procèdent en effet de la même source. Théâtre et roman entretiennent d'étroites relations, ils utilisent les mêmes situations, les mêmes procédés sans qu'on puisse savoir si c'est le roman qui copie le théâtre ou inversement. Les valeurs qui s'expriment dans le théâtre comme dans le roman sont essentiellement celles du romanesque et de l'héroïque fixées dans la société et la sensibilité de l'époque dans le type du glorieux. Le type d'intrigue, les personnages, les thèmes se retrouvent d'un genre à l'autre puisque nombreux sont les auteurs de tragi-comédies qui puisent la source de leur pièce dans les romans d'aventures. *L'Histoire tragi-comique de notre temps* de D'Audiguier compte parmi les principaux romans de ce début de siècle. Aussi Pierre Du Ryer s'en inspire-t-il pour créer sa tragi-comédie *Lisandre et Caliste*. ## Le travail d'adaptation d'un roman au théâtre. ### L'action. Pierre Du Ryer trouve dans sa source non seulement l'idée même de son sujet, mais aussi toutes les péripéties de son action. Cependant il sélectionne considérablement la matière de sa pièce, notamment par la coupure de certains passages du roman tout en suivant de manière générale le déroulement de l'intrigue. Il ne s'est pas inspiré des cinq premiers livres du roman dans lesquels Lisandre rencontre Caliste, tombe amoureux d'elle alors qu'elle est mariée à son ami Cléandre, puis part pour tenter de l'oublier. Les mêmes événements se retrouvent de manière générale dans l'adaptation de Du Ryer qui respecte la chronologie suivie par D'Audiguier. Du Livre I au Livre V du roman, le narrateur raconte la rencontre de Lisandre et de Caliste, la passion qu'éprouve immédiatement le héros pour cette dame déjà mariée, puis son voyage pour tenter de l'oublier. Le duel de Lisandre contre Cloridan puis contre Crisante se déroule au Livre VI, la mort des deux chevaliers provoque la colère du roi qui décrète Lisandre hors-la-loi. Léon, alors qu'il venait voir Clarinde en secret, est surpris par Cléandre et le tue. Caliste et Lisandre sont accusés de meurtre après le témoignage mensonger de Clarinde. Au Livre VII, nous retrouvons Caliste en prison d'où elle réussit à s'échapper grâce à l'aide de Lisandre et du guichetier. Dans le Livre suivant, les deux amants partent dans un premier temps à l'étranger où un seigneur Frison tente d'enlever Caliste. Ils reviennent alors en Normandie où Lisandre, déguisé en messager, obtient le pardon des parents de Caliste. Pendant ce temps à Paris ont lieu les préparatifs du duel judiciaire qui permettra à Lisandre, dans un mois, de se justifier des trois meurtres dont il est accusé. Nous retrouvons le héros chez ses parents, au Livre IX. Il rencontre Hyppolite que son père projette de lui faire épouser. Il feint de l'aimer afin qu'elle l'aide à justifier aux yeux de ses parents son retour à la cour. Lisandre n'est averti ni de la possibilité qu'il a de se justifier, ni du terme d'un mois imposé par le roi, aussi part-il pour un tournoi en Angleterre. Le narrateur décrit les lieux, les armures des combattants, les joutes, les blessures et la victoire finale de Lisandre. À son retour ce dernier fait naufrage sur l'île de Gersay. À Paris, Lidian et Béronte arrivent à temps pour interrompre le combat entre Lucidan et Hyppolite dont la marque avait été tirée au sort pour défendre l'innocence de Lisandre. Dans le dernier Livre, Caliste, qui se croit trahie par Lisandre, rencontre Hyppolite et lui confie son armure. Lisandre retrouve Léon sur l'île où il a échoué et le ramène à la cour. Sur le chemin du retour, il rencontre Hyppolite et sa suivante. Hyppolite, qui a compris que Lisandre s'est joué d'elle, annonce à ce dernier la mort de Caliste et se fait passer pour son assassin. Furieux, Lisandre la blesse puis s'apprête à la tuer lorsqu'il découvre sa véritable identité et s'empresse de la faire soigner. La suivante d'Hyppolite convainc Lisandre, qui avait pris la fuite, de faire la route avec sa maîtresse. Arrivé à la cour avec Hyppolite, Lisandre prouve son innocence et celle de Caliste grâce au témoignage de Léon. Malgré tout, Caliste refuse son pardon à Lisandre. Il s'enfuit et se fait ermite, tandis que Caliste tombe gravement malade. Le héros ayant appris l'état de sa dame, il revient à Paris. Il y participe à un combat organisé par les souverains et gagne la bague de la reine, qu'il offre à Caliste. Ils se marient enfin, ainsi que tous les jeunes couples du roman. Du Ryer choisit de débuter sa pièce par le duel entre Crisante, Cloridan et Lisandre, et de la clore par le mariage des deux héros : Lisandre et Caliste. Toutefois le dramaturge choisit de concentrer plus particulièrement l'action sur le bonheur des deux protagonistes. Non seulement grâce au monologue d'ouverture mais aussi grâce à la scène 4 de l'acte I dans laquelle Lisandre et Caliste s'entretiennent de leur amour, Du Ryer focalise l'attention du spectateur sur l'amour des deux héros et en fait le centre d'intérêt de la pièce. Ces éléments n'existent pas dans la source puisque D'Audiguier raconte la naissance de leur amour dans les cinq premiers livres. Du Ryer concentre sa pièce sur le schéma : Lucidan -> Hyppolite -> Lisandre <-> Caliste et la finit sur deux mariages : celui de Lisandre et Caliste, celui d'Hyppolite et Lucidan, nous pouvons ainsi constater le lien entre tragi-comédie et pastorale. D'Audiguier disperse davantage l'intérêt du lecteur terminant son roman par cinq mariages. Toutefois Du Ryer se montre plus rigoureux que D'Audiguier quant à la concentration de l'intrigue autour d'un nœud. Du Ryer ne révèle pas l'identité du meurtrier ; le personnage de Lisandre peut donc se focaliser sur cette recherche. L'adaptation se montre, en l'occurrence, plus cohérente que la source : dans la pièce, seuls Clarinde et Léon connaissent le nom du meurtrier, alors que dans le roman Lisandre l'apprenait sans que nous sachions comment. Du Ryer simplifie ou supprime certaines péripéties du roman qui n'apportent aucun changement au déroulement de l'intrigue. Il se concentre ainsi sur les événements essentiels qui font évoluer la situation du héros : le premier duel, la mort de Cléandre, l'évasion… L'action est d'une grande complexité et la seule accumulation des événements suffirait à les rendre invraisemblables même s'ils ne l'étaient pas en eux-mêmes. Ainsi acte II, scène 1, Lisandre apparaît déjà déguisé en mendiant et raconte ses projets à Alcidon avant d'aller délivrer Caliste. Dans le roman, nous assistons au contraire à toute la préparation de l'évasion. La visite de Lisandre à sa belle captive se déroule sans heurts tandis que dans la source, il est inquiété à deux reprises par des commissaires. Du Ryer, toujours dans le but de concentrer l'intrigue, effectue également maintes coupures : il supprime la rencontre de Lisandre et Hyppolite, l'enlèvement raté de Caliste par un seigneur Frison, l'évanouissement d'Hyppolite lors de son combat avec Lisandre et le chassé-croisé qui s'ensuit entre les deux personnages, l'indifférence de Caliste au repentir de Lisandre et le désespoir de ce dernier qui se fait ermite et vit encore quelques aventures avant de se marier enfin avec Caliste. Ces coupures dans la matière de l'action, dans l'enchaînement des épisodes pose parfois un problème de cohérence. Du Ryer a sans doute voulu garder certains éléments de l'intrigue du roman mais n'a pas pris la peine de les intégrer dans le déroulement de l'action : il n'en développe pas les causes ou les motivations. Ainsi l'amour entre Lucidan et Caliste surprend-il le spectateur puisqu'à aucun moment dans la pièce ils n'ont dialogué ensemble ou n'ont montré une quelconque attirance. Au contraire D'Audiguier fait assister le lecteur à la naissance de cet amour : lors d'un dîner organisé par le roi, Lucidan, qui n'a pas encore rencontré Hyppolite, tombe sous le charme de Caliste. Ou bien Du Ryer n'en développe pas les conséquences : Caliste pardonne à Lisandre dans la scène finale alors qu'elle avait toutes les raisons de lui demander une explication sur son comportement. Tout est prétexte au spectacle au détriment d'une certaine cohérence de l'intrigue : acte IV, scène 1, Lidian et Béronte n'arrivent pas en même temps que Lucidan sur la place royale alors qu'ils avaient pris le même bateau, nous pouvons ainsi assister au début du combat avant que les deux amis de Lisandre ne l'arrêtent. Au niveau de l'action, Du Ryer allège donc la matière du roman pour faire tenir l'intrigue dans le cadre des cinq actes imposés par la pièce. Dans le roman, D'Audiguier passe d'un lieu à un autre, d'une aventure à une autre en changeant de paragraphe et reprend son récit là où il l'avait laissé. Du Ryer dispose de moins de liberté et d'un nombre de vers limité. Ainsi un personnage, une action continuent-ils d'évoluer sans que le spectateur y assiste. Une telle démarche implique bien sûr l'utilisation d'un récit pour expliquer ce que le spectateur n'a pas vu (Le naufrage, le duel entre Crisante, Cloridan et Lisandre…). La description et le récit dans un roman deviennent faits et gestes au théâtre, ils se changent en un spectacle de scènes dramatiques qui sont vécues sous les yeux du spectateur (Du Ryer représente le duel entre Hyppolite et Lucidan, le dialogue entre Hyppolite et Lisandre…). Les nombreuses interpellations du narrateur omniscient à son lecteur se retrouvent au théâtre sous la forme des apartés. Un personnage s'adresse au spectateur pour lui faire connaître des sentiments qu'il est obligé de dissimuler devant son interlocuteur et qu'il ne peut exprimer à haute voix. Du Ryer utilise la didascalie « à l'écart » pour indiquer qu'un personnage fait un effort pour dissimuler ses propos. Ainsi le valet de Lisandre, sans être entendu par Caliste, émet un jugement sur son comportement (III, 4). À la scène 1 de l'acte V Hyppolite, qui se fait passer pour Lucidan, tient un discours en aparté qui diffère de celui qu'elle tient à Lisandre. Ce genre d'aparté permet également au dramaturge de faire connaître au spectateur l'état psychologique dans lequel se trouve le personnage qui l'emploie, ou de le suggérer. Dans le roman, D'Audiguier choisit au contraire d'exploiter un narrateur omniscient chargé d'expliquer les motivations, les désirs… de ses personnages. ### Les scènes. En ce qui concerne l'agencement des différentes scènes, nous constatons que Du Ryer recherche l'allégement. Nous pouvons distinguer dans la sélection de l'auteur deux méthodes pour couper une scène: soit la couper sans en faire aucune mention, soit la couper et la remplacer par un récit. Tout ce qui a son importance pour l'action mais que Du Ryer choisit de couper, est remplacé par un récit qui permet de réduire le nombre de scènes à représenter : le projet d'évasion, la rencontre entre Hyppolite et Lisandre, le naufrage… Du Ryer choisit également de réduire la longueur d'une scène du roman en la concentrant en une discussion : contrairement à la source, Lisandre ne reste pas dîner chez les parents de Caliste, il n'apprend pas la nouvelle des amours de Caliste et Lucidan dans une taverne au cours d'une discussion avec un voyageur mais c'est un messager qui la lui apporte. Du Ryer n'hésite pas à dramatiser certaines scènes de la source : une simple description du romancier devient un long dialogue entre deux personnages. D'Audiguier écrit au Livre IX : Lisandre fut pourtant voir Yppolite, avec laquelle il discourut quelque temps de son amour en homme qui en avoit plus sur les lèvres que dans le cœur, et la cajola si bien, que luy ayant représenté la nécessité des affaires qui l'obligeoient de retourner à la Cour, il luy fit écrire cette lettre à son père Adraste. Du Ryer s'en inspire (III, 2) pour son dialogue entre Hyppolite et Lisandre. Le romancier mentionne l'embarras dans lequel se trouve Lisandre par une simple phrase : Bien qu'il se resolust plustost à souffrir toutes choses que la perte de ses amours, il cherchoit neantmoins un moyen par lequel en les conservant, il ne perdist point la bonne grâce de ses parents. (Livre IX). Du Ryer reprend ce passage sous la forme d'un dilemme (II, 2 : v. 851-v. 890). Acte I, scène 4, il choisit de confronter Hyppolite et Lisandre et de provoquer ainsi l'inquiétude du spectateur sur l'issue d'un tel affrontement. Recherchant le spectacle avant tout, il puise dans sa source les épisodes et les détails susceptibles d'alimenter cette recherche. Il garde l'effet de surprise provoqué par la révélation de l'identité d'Hyppolite (IV, 1), la représentation sur scène du duel entre Hyppolite et Lucidan malgré les bienséances et la vraisemblance (IV, 1). Dans la première scène de l'acte IV, Du Ryer garde tout le cérémonial qui entoure le duel judiciaire : présence du roi et du juge de camp, tirage au sort… Le dramaturge perçoit en effet tout le plaisir et l'intérêt du spectateur pour de telles scènes. ### Les personnages. En ce qui concerne les personnages, Du Ryer n'hésite pas à en supprimer quelques uns qui avaient leur importance dans la source. Les fiancés de Lidian, Béronte et Alcidon, la mère de Lisandre ne sont pas mentionnées. Il donne à quelques personnages un rôle moindre que celui qu'ils possèdent dans le roman au détriment souvent d'une certaine cohérence : il n'a pas davantage exploité, par exemple, le personnage du guichetier qui devient, dans le roman, un fidèle compagnon de Lisandre et préfère diviser son rôle en celui de deux personnages : le guichetier et le valet de Lisandre. Ce domestique, d'ailleurs fin psychologue, n'hésite pas à conseiller une dame sur ses sentiments…au détriment d'une certaine bienséance (III, 4 : v.1123-1176). Varasque, dont nous connaissons l'identité et le lien de parenté avec Cléandre dans le roman, apparaît et disparaît subitement dans la pièce comme s'il était connu de tous. Du Ryer ne le présente au spectateur que comme « l'ennemy de Lisandre » (v.1845). De même le courrier (V, 1 : v.1833) surgit de nulle part et apprend à Lisandre les récentes amours de Lucidan et Caliste. Ces personnages ne sont que des moyens pour le dramaturge qui ne les utilise que dans le but de resserrer l'action et de gagner du temps au détriment parfois de la logique et de la vraisemblance. Du Ryer simplifie également la psychologie d'un personnage : Clarinde n'est plus la garce sans morale du roman D'Audiguier. Le romancier avait ajouté un autre aspect au caractère de Clarinde : si elle dénonce sa maîtresse et la calomnie (elle l'accuse d'avoir ouvert la porte du jardin pour accueillir Lisandre), c'est par pure méchanceté et par vengeance. Du Ryer ne s'engage pas dans la voie de la complexité et simplifie la motivation de Clarinde : elle ne dénonce Caliste que poussée par la crainte et par son amour pour Léon. Son personnage n'apparaît que sommairement dans la pièce (I, 2 ; I, 6) sans que Du Ryer ne fournisse de détails sur les motivations qui la poussent à espionner Caliste pour le compte de Béronte. Elles sont expliquées dans la source : Béronte est au courant de l'amour coupable qui lie Léon et Clarinde et menace de tout révéler à Caliste si Clarinde ne lui rend pas service. C'est Béronte, et non Varasque (dans la source), qui se trouve sur les lieux du crime et tire des aveux de la bouche de Clarinde : Du Ryer l'a sans doute jugé plus intéressant à exploiter. Il est le frère de Cléandre et se trouve donc directement touché par sa mort ; en outre, ayant fait un pacte avec Clarinde, il est le seul capable de la faire parler. Le personnage de Varasque n'est exploité par le dramaturge que comme un pur moyen de faire rebondir l'action et d'inquiéter Lisandre. Du Ryer tempère certains aspects du comportement des personnages et notamment des femmes. Ainsi Caliste est-elle beaucoup moins passionnée, jalouse et inconsciente que dans le roman où elle n'écoute que son cœur et les mouvements qu'il lui dicte : « Sa douleur plus forte que sa raison, luy fit dire et faire des choses qui ne se devoient pas ny dire, ny faire » (Livre IX). Hyppolite joue, certes, le rôle d'une rivale mais elle ne représente à aucun moment un danger véritable pour l'héroïne. Nous remarquons également que Du Ryer fait d'Adraste un père tyrannique qui abuse facilement de son autorité paternelle pour faire obéir son fils. Dans la source, Adraste est un plus fin psychologue et dévoile des talents de subtil manipulateur : il veut d'abord laisser l'amour s'insinuer dans le cœur de Lisandre. Ce n'est que devant son échec qu'il décide de lui imposer ses volontés. Du Ryer fait d'Adraste un père de tragi-comédie c'est à dire un simple opposant au bonheur du héros. Le dramaturge se montre aussi beaucoup moins insistant que D'Audiguier sur la rivalité entre Hyppolite et Caliste sur le plan de la beauté physique (il n'en fait mention qu'une seule fois : v1835-1838). La difficulté ou la douleur du choix imposé à Lisandre disparaît de la pièce. Dans la source, l'état psychologique de certains héros : Caliste, Hyppolite, Lisandre… fait l'objet d'une description. Dans la pièce, cet état se manifeste soit dans un monologue où le personnage exprime ses sentiments, soit dans un dialogue où deux personnages échangent leur avis sur le comportement d'un troisième (IV, 1 : v.1409-1414 ; IV, 3 : v.1007-1010 ; IV, 4). Au niveau de l'agencement de l'intrigue et de la répartition des rôles dans la pièce, le spectateur ne pouvant revenir en arrière sur ce qu'il n'a pas compris, Du Ryer tente de grouper autant que faire se peut les différentes aventures vécues par un même personnage (Cf : Chapitre sur les personnages). ### Les thèmes. Du Ryer développe généralement les mêmes thèmes que D'Audiguier en ce qui concerne le sentiment amoureux : ces auteurs vantent tous deux un idéal de constance et d'honnêteté qu'ils expriment dans un langage extrêmement galant. Du Ryer rajoute quelques scènes de monologues (I, 1 : Lisandre ; III, 2 et V, 1 : Hyppolite ; IV, 2 : Caliste) dans lesquelles les personnages expriment toute la force de leur sentiment ou leur déception dans un langage imagé et raffiné. Leur conception de l'amour diffère cependant car l'amour ne produit pas que des galanteries et des tendresses, comme c'est la tendance dans la pièce. Il peut aussi engendrer des passions sensuelles et violentes, des jalousies furieuses, des vengeances sanglantes : « Qui ne confessera que l'Amour est une rage qui fait tourner les cervelles les plus sages » (Livre IX). L'amour vu comme une folie ou comme une maladie, est une conception néo-platonicienne de ce sentiment. Du Ryer soulève des débats d'actualité, que D'Audiguier n'avait pas exploités, sur le thème de l'amitié et de la confiance (III, 1 : v.825-850), du respect ou encore de la calomnie (II, 5 : v.662-701). ### Le temps. D'Audiguier fait preuve d'une grande précision quant aux indications temporelles. Il ne manque jamais de noter combien de temps a duré un voyage : Lisandre et le pilote erre « deux à trois jours » sur la mer avant d'échouer sur une île…, ou un combat : le duel qui oppose Hyppolite à Lucidan dure « deux heures »… Le romancier décrit l'évasion de Caliste heures par heures: Caliste doit être délivrée « sur les onze heures du soir », mais Lisandre est retardé et ne vient la délivrer qu'« à minuit », ils ne partent pour la Belgique qu'« à 20h00 » le lendemain. Du Ryer n'hésite pas non plus à indiquer avec précision le temps qui s'écoule dans sa pièce mais se montre moins pointilleux que D'Audiguier. Il se contente de jalonner sa pièce d'indications plus ou moins précises sur le temps qui passe. Du Ryer est beaucoup plus préoccupé par la durée de son œuvre, par le temps de la représentation que le romancier et il construit sa pièce dans le sens d'une concentration. Pour resserrer le temps de la représentation, il a donc recours au récit qui lui évite de représenter certains événements sur la scène (la scène de chasse (III, 2), le naufrage (IV, 1 et 3)…). ### Le Lieu. Les héros du roman se déplacent à travers la France et à travers l'Europe. Les aventures de Lisandre et de Caliste débutent à Paris, mais, les rigueurs d'une dame ayant exilé Lidian en Espagne, Lisandre et d'autres amis entament un long voyage dans le but de le ramener en France (Livre I à V). L'action se déroule à Paris jusqu'au Livre VIII dans lequel, après l'évasion réussie de Caliste, les deux amants partent d'abord pour la Belgique puis reviennent, après quelque temps, en Normandie où résident les parents de Caliste. Au Livre IX, Lisandre se rend dans le Sud de la France chez ses propres parents. Il remonte ensuite vers la Normandie pour revoir Caliste mais apprend à Bordeaux qu'un tournoi a lieu en Angleterre. Nous retrouvons Lisandre au Livre X sur l'île de Gersay où il a échoué après la tempête. Sur la route menant vers Paris, il rencontre Hyppolite et sa suivante à Rouen. La fin du roman se déroule essentiellement à Paris mais aussi sur le mont Valeri où Lisandre a choisi, pendant quelque temps, de vivre en ermite. D'Audiguier n'hésite pas à faire voyager ses personnages aux quatre coins de la France et de l'Europe et à donner des indications très précises sur les chemins qu'ils empruntent. Au Livre VIII, le narrateur indique précisément le chemin pris par Lisandre et Caliste pour se rendre en Belgique : ils passèrent « par la porte Saint Denis », puis « par la route des Flandres au travers de la Picardie » et s'arrêtèrent deux jours « à Cambray » avant de continuer leur route. À l'inverse, Du Ryer évite de représenter un changement de lieu important qui amènerait les personnages hors de France : c'est donc Lucidan qui nous raconte l'issue du tournoi en Angleterre (v.1334-1346) tandis que D'Audiguier consacre de nombreuses pages au récit des affrontements et des festivités qui eurent lieu là-bas. De même, il n'est pas question dans la pièce du voyage de Lisandre et Caliste en Belgique, puisque Du Ryer n'a rien conservé de cet épisode. D'une manière générale, le dramaturge se contente d'annoncer le déplacement d'un personnage à travers la France ou à l'étranger sans donner de précision sur la ville ou la région exactes où il se rend. Par exemple, nous ne savons pas avec exactitude où résident les parents de Caliste ou ceux de Lisandre, ni la ville précise où a lieu le combat en Angleterre, ni le nom de l'île où échoue Lisandre. Au théâtre le spectateur assiste au déroulement d'une action et il prend donc connaissance de chaque scène, de chaque vers même selon un ordre prédéterminé par le dramaturge. Le lieu est pour lui une réalité visible, évoquée par le décor. Aussi Du Ryer a-t-il choisi de ne pas trop promener le spectateur d'un lieu à un autre comme l'a fait D'Audiguier. Le dramaturge ne prend pas ce parti pour unifier le lieu de son action mais pour réduire le nombre des péripéties représentées sur la scène. Les indications spatio-temporelles soulignent l'effet de réel revendiqué maintes fois et recherché par le romancier mais soulignent également son penchant au délayage. L'histoire composée par le narrateur lui permet en effet de mettre en valeur la fidélité de sa mémoire (puisqu'il prétend relater des faits ayant déjà existé), son habileté à composer un récit et à soutenir la curiosité, sa finesse à démêler les sentiments et la richesse de son vocabulaire. Si Du Ryer a suivi d'une manière générale le déroulement de l'intrigue des *Histoires tragi-comiques de notre temps sous les noms de Lisandre et Caliste*, il n'a pas hésité à faire quelques coupures de scènes ou de personnages qui nous paraissent significatives. Il lui fallait faire face aux problèmes d'adaptation d'un long roman au théâtre et à la nécessité d'un changement de perspective. Il ne s'agissait plus d'un lecteur mais d'un spectateur, il ne s'agissait plus d'un livre mais d'une représentation théâtrale en d'autres termes d'un spectacle avec des acteurs, un public, un texte en alexandrins, découpé en actes et en scènes, représenté en un temps limité. Le style, l'intrigue, les thèmes, les personnages se retrouvent du roman d'aventures à la tragi-comédie. Cependant comparer une œuvre à son modèle c'est dégager le travail d'adaptation d'une pièce à une autre, mais aussi d'une pièce à un roman. En l'occurrence, Du Ryer a choisi de passer d'un genre plutôt libre parce que dénué de règles et de structure précises à un genre fonctionnant selon ses lois propres et selon un système immuable : un texte en vers, une scène, des acteurs, des spectateurs… Il a montré, dans l'ensemble, un certain souci de cohérence, de vraisemblance dans l'action et dans l'attitude des personnages. Il n'a pas souhaité faire de ses personnages des êtres complexes, mais les a parfois engagés sur la voie facile de la caricature. Du Ryer a essentiellement cherché à simplifier et à clarifier l'intrigue et les personnages. # Une tragi-comédie. ## Une pièce irrégulière. Si la tragi-comédie est un genre théâtral difficile à définir car sans véritable règle, nous pouvons cependant tenter de cerner d'une manière générale quelles sont ses particularités, quels sont les indices qui la différencient de la comédie, du mystère, de la pastorale ou de la tragédie. La tragi-comédie popularise les qualités du drame médiéval et les modernise. Selon les frères Parfaict, les critères de reconnaissance d'une tragi-comédie sont : « une action singulière qui se passe entre des personnages d'une naissance distinguée, même entre des rois et des princes … » [13]. Brunetière ajoute un complément intéressant et fondamental à cette définition en expliquant que « la liberté, c'est son domaine et aussi son moyen » [14]. Elle présente donc des caractéristiques qui lui sont propres : * – un manque de structure et d'unité dramatique, seule l'unité d'intérêt constitue le fil conducteur. Aucun respect pour la vraisemblance, la bienséance ou encore pour les trois unités. * – un traitement généralement sérieux des sujets tirés de romans plutôt que de l'histoire et que les dramaturges renouvellent peu, * – un dénouement heureux, * – des personnages principaux de rang élevé mais qui peuvent être entourés de bourgeois ou de plébéiens jouant des rôles secondaires, * – le mélange du tragique et du comique dans certaines pièces, inventé par les Italiens et revendiqué par certains dramaturges. Notamment Ogier qui recommandait « de mêler les choses graves avec les moins sérieuses » comme les dramaturges pouvaient le voir dans « la condition de la vie des hommes, de qui les jours et les heures sont bien souvent entrecoupés de ris et de larmes, de contentement et d'affliction » [15], * – la forme est classique : utilisation de l'alexandrin, division en cinq actes et subdivision en scènes. ## La position intermédiaire de Du Ryer dans la lente évolution vers les règles : l'exemple de *Lisandre et Caliste*. Le théâtre tragi-comique, par son irrégularité revendiquée, se présente comme le refuge des écrivains qui refusent la contrainte des règles et qui revendiquent une entière liberté de composition. Si nous constatons que certaines tragi-comédies du début du siècle, imaginées par Hardy, Mairet, Rotrou… regroupent toutes les caractéristiques d'un théâtre irrégulier, certains dramaturges n'en montrent pas moins un intérêt grandissant pour les règles. Les écrivains des années 1630 s'acheminent en effet vers une certaine régularité dont nous pouvons remarquer des prémisses dans *Lisandre et Caliste*. Bien que cette pièce soit fondamentalement irrégulière, Du Ryer occupe une position intermédiaire : il ne veut déplaire ni aux partisans des règles, ni aux défenseurs de l'irrégularité. Du Ryer, bien que maladroitement, cherche à respecter les bienséances internes et externes ainsi qu'une certaine vraisemblance dans sa pièce. La règle de bienséance se divise en deux concepts fondamentaux : une bienséance interne à la pièce qui concerne le caractère des personnages et qui se rapproche d'une exigence de cohérence ; et une bienséance externe qui est « un rapport … sur le plan moral entre la pièce et le public » [16]. En ne représentant jamais de duels sanglants sur la scène, Du Ryer respecte la bienséance externe. Il ne répond pas en cela aux exigences morales d'un large public familier de ce genre de scènes sanglantes, mais tente de ne choquer ni les goûts, ni les exigences morales du public féminin. Les spectateurs ne voient que les cadavres de Cloridan et Crisante, celui de Cléandre n'étant pas clairement visible dans la nuit. Les deux duels judiciaires (IV, 1 ; V, dernière) sont arrêtés avant toute effusion de sang ou ne commencent même pas. Le combat entre Hyppolite et Lisandre (V, 1) reste violent mais Hyppolite est seulement jetée à terre et non blessée. Ce désir de ne pas choquer se révèle essentiellement par comparaison avec la source dans laquelle D'Audiguier n'hésite pas à décrire crûment et avec force détails l'état pitoyable des adversaires de Lisandre. Le romancier prévient son lecteur au livre VI : « Notre scene … se va maintenant ensanglanter de combats et de meurtres épouvantables », suit quelques lignes plus loin une description détaillée et sanguinolente d'un combat entre Lisandre et ses deux adversaires. Nous avons vu que dans la composition de sa pièce et dans la cohérence de l'intrigue, Du Ryer a également manifesté son désir de se conformer à une certaine vraisemblance. Malgré quelques ratés (la présence inattendue de Varasque, le soudain amour de Lucidan pour Caliste, l'inutilité du travestissement de Caliste…), Du Ryer cherche à garder un fil logique tout au long de sa pièce. Ainsi un changement de lieu est souvent indiqué dans la scène précédente par un personnage qui exprime sa volonté de s'y rendre : J'iray chez Hyppolite afin de tesmoigner Que je n'en approchay que pour m'en esloigner. (v.891-892) Lisandre indique ainsi un changement de lieu de la première scène à la deuxième scène de l'acte III. Ou encore à la scène 4 de l'acte III, Caliste exprime son désir de se rendre sur la place royale pour participer au duel judiciaire : Ce bras sans habitude au travail des guerriers Obtiendra des cyprés s'il n'obtient des lauriers. (v.1171-1172) La première scène de l'acte IV débute par une intervention du roi qui indique que nous sommes sur les lieux du futur combat. C'est aussi l'allusion à un personnage se trouvant dans un certain lieu qui nous en fait changer. Dans la première scène de l'acte IV, le valet de Lisandre indique à Dorilas où se trouve sa fille et ce dernier ordonne à son fils : Mon fils sans differer cherchez cette insensée Qu'un furieux amour a vivement blessée. (v.1413-1414) Nous retrouvons, dès la scène suivante, Caliste qui monologue dans son refuge (IV, 2). Si les aventures continuent sans que le spectateur n'y assiste, Du Ryer prend soin de nous faire un récit (le naufrage : IV, 1) ou d'insérer un dialogue (entre le courrier et Lisandre sur le mariage de Caliste et Lucidan : V, 1) qui nous permettent de comprendre l'évolution de la situation. En ce qui concerne les bienséances internes, le dramaturge évite de donner à un personnage un caractère ou une attitude qui ne coïncident pas avec les exigences de son rang. Caliste est, par exemple, plus raisonnable que dans la source où elle agit en insensée. Les mœurs des personnages doivent être à la fois vraisemblables et bienséantes. La vraisemblance comme « exigence intellectuelle » [17] exige qu'une certaine cohérence soit assurée entre les éléments de la pièce de théâtre, que soit banni ce que le public pourrait concevoir comme absurde ou arbitraire. Du Ryer s'efforce de resserrer l'action par différents moyens, bien que le fil conducteur de la pièce soit l'intérêt porté par le spectateur au sort des deux amants. Il limite donc l'action de sa pièce aux frontières françaises. *Le Mémoire* de Mahelot nous indique qu'il a fallu pour *Lisandre et Caliste* : Au milieu du théâtre, le petit Chastelet de la rue Sainct Jacques et faire paroistre une rue ou sont les bouchers, et de la maison d'un boucher faire une fenestre qui soit vis à vis d'une autre fenestre grillée pour la prison, ou Lisandre puisse parler à Caliste. Il faut que cela soit caché durant le premier acte, et l'on ne faict paroistre cela qu'au second acte et se referme au mesme acte ; la fermeture sert de palais. À un des costez du théâtre, un hermitage sur une montaigne et un autre au dessoubs, d'où sort un hermitte. De l'autre costé du théâtre, il faut une chambre où l'on entre par derriere, eslevée de deux ou trois marches [18]. La maison du boucher, la prison de Caliste, le palais et la place royale se situent dans la même ville et relativement près les uns des autres. Seul le désert représente un lieu éloigné de la ville dans laquelle se déroule l'action. Ainsi les héros ne sortent pas de France, du moins ne les voyons-nous jamais dans un pays étranger. Dans la source, nous assistions au tournoi en Angleterre alors que Du Ryer préfère nous en faire un récit (IV, 1). Les personnages se déplacent dans les limites d'un même pays : la France. À Paris : actes I, II, III, IV, V ; en Normandie (sans doute) : acte II, scène 5 ; à Gersay : acte IV, scène 3…Nous remarquons que l'auteur reste très évasif quant aux indications de lieu et laisse ainsi un doute sur la distance parcourue par les personnages. L'unité de temps est la plus débattue dans le premier tiers de ce siècle, l'attention que Du Ryer porte à la durée de sa pièce traduit donc des préoccupations d'actualité. Il propose dès 1628 une solution originale et avant-gardiste à ce problème. Il réserve aux entractes tout le reste des événements et du temps qui devait nécessairement s'écouler. Ce sont des scènes importantes mais difficilement représentables ou inutiles à la représentation que Du Ryer fait passer dans cet intervalle de « temps à perdre » (J. Scherer). Les pièces, pour plaire au public, devaient être chargées d'événements et il n'était ni aisé, ni vraisemblable de renfermer cette effervescence et ce foisonnement dans un espace temporel de quelques heures. Face à deux conceptions opposées, l'adaptation du temps de représentation à la durée total de l'action (Chapelain) et une indifférence totale à la durée (Mairet), Du Ryer adopte une position intermédiaire : le temps totale de la pièce peut représenter des mois, des années…mais chaque acte pris séparément n'occupe pas plus de 24 heures. Dans *Lisandre et Caliste* : Acte I : une journée ; acte II : une nuit ; acte III : aucune indication de temps mais dure sans doute plus d'une journée ; IV : un jour ; V : un jour voire quelques heures. Mais entre l'acte I et l'acte II : une semaine s'est écoulée ; entre l'acte II et III : quelques jours ; entre l'acte III et IV : un mois ; entre l'acte IV et V : une journée. Ainsi l'action de la pièce s'étale sur un mois et demi environ, mais si nous additionnons le temps représenté sous les yeux du spectateur dans chaque acte, nous comptons environ : 6 jours. Si l'unité de temps n'existe pas, l'auteur affiche cependant son désir de resserrer le temps au maximum. ## *Lisandre et Caliste* : une tragi-comédie avant tout. Malgré cette évolution, Du Ryer reste avant tout un représentant de l'irrégularité. Même si le public n'assiste pas à des scènes de violence, il voit quand même trois cadavres sur la scène. Béronte (I, 3) exprime sa crainte en ces termes : Ce sang qui fait changer à l'herbe de couleur Me fait apprehender quelque insigne malheur. (v.155-156) et témoigne bien de la présence du sang de la victime (Crisante) sur la scène. L'amour qui lie Clarinde à Léon peut également choquer les bienséances puisque Léon est d'un rang élevé : Béronte l'appelle son « amy » (v.125) et que Clarinde n'est qu'une suivante. De même le caractère charnel de cet amour, dans la mesure où Léon exprime clairement son désir : Hà je te tiens, tu ne t'en peux dédire Icy ma volonté finira mon martyre. (v.313-314) peut heurter la morale. Nous avons remarqué, lors de l'étude de l'action, que certaines scènes étaient mal reliées à l'intrigue principale et que certains événements survenaient sans que le spectateur n'y ait été préparé : Du Ryer n'explique pas la façon dont Caliste apprend l'infidélité de Lisandre (III, 4) ; Béronte et Lidian arrivent étrangement après Lucidan sur les lieux du duel judiciaire (IV, 1) ; l'auteur ne mentionne à aucun moment une quelconque attirance de Lucidan pour Caliste et ne les fait même pas se rencontrer ; le personnage de Varasque apparaît sans que nous ne sachions clairement qui il est… Même si Du Ryer désirait garder une certaine cohérence tout au long de sa pièce, il ne s'est pourtant pas intéressé à la liaison des scènes. Pendant les quarante premières années du XVII*e* siècle, les théoriciens ne la considéraient que comme un ornement (Cf : Chapelain). Dans ce cas un simple changement de lieu rompt la continuité de la pièce, impression renforcée dans la majorité des cas par le fait que deux nouveaux personnages apparaissent dans la scène suivante. Dans de nombreux cas, Du Ryer ne lie pas les scènes entre elles. Ainsi nous passons d'un lieu à un autre et d'un personnage à un autre : acte III, de la scène 3 à la scène 4 ; acte IV, de la scène 1 à la scène 2 et de la scène 2 à la scène 3… Du Ryer suit en cela la voie de G. de Scudéry qui écrivait en 1631 dans sa préface à *Ligdamon et Lidias* : J'ai voulu me dispenser de ces bornes trop étroites, faisant changer aussi souvent de face à mon théâtre que les acteurs changent de lieu, chose qui, selon mon sentiment, a plus d'éclat que la vieille comédie . Du Ryer accorde aussi peu d'importance à la liaison entre les scènes qu'à la liaison entre les actes. Nous remarquons toutefois que la liaison entre l'acte I et II dans *Lisandre et Caliste* est assuré par l'utilisation d'une tapisserie qui représente un palais et qui sert de décor pour la plus grande partie de la pièce. Le fond du décor représente le Chastelet et la boutique du boucher, mais comme le dit Mahelot : Il faut que cela soit caché durant le premier acte, et l'on ne fait paroistre cela qu'au second acte et se referme au mesme acte : la fermeture sert de palais [19]. Le caractère tragi-comique de la pièce se révèle également dans le mélange des genres. Il n'hésite pas à mélanger le pathétique et le comique. Ainsi Du Ryer donne aux scènes 2 et 3 de l'acte II un ton de comédie : le déguisement de Lisandre suscite un quiproquo puisque les bouchers se méprennent sur son identité et le traitent comme un gueux. Leur attitude, pour le moins mesquine et intéressée, provoque le rire (v.461-462), ainsi que la contradiction entre leur attitude et leur parole (v.496-500) ou encore l'utilisation de proverbe ou d'expression populaires (v.478 : « Bon renom vaut bien mieux que ceinture dorée. » ; v.476…). C'est le seul écart que nous puissions trouver au ton plutôt pathétique et sérieux de cette tragi-comédie. Du Ryer ne se distingue nullement dans le choix de son sujet et de sa thématique. L'amour s'y montre avec tous les caractères de la passion, il inspire à l'amant une véritable dévotion pour sa maîtresse et un attachement que rien ne peut rompre. Les femmes sont également passionnément éprises de leur amant et se montrent prêtes à tout (Cf : chapitre sur la galanterie). L'auteur n'hésite pas à évoquer la violence provoquée par un désir de vengeance et qui entraîne duels judiciaires et meurtres. On retrouve d'une tragi-comédie à l'autre les mêmes thèmes et donc les mêmes personnages : des amants passionnés, désespérés, qui feignent et se déguisent, des rivaux, des alliés. L'étude de l'action permet également de distinguer la tragi-comédie des autres genres dramatiques et confirme son caractère foncièrement irrégulier. ### L'action. Dans le premier tiers du XVII*e* siècle, nombreux sont les auteurs de tragi-comédies qui puisent leur inspiration dans les romans. Comme la tragi-comédie représentait sur la scène les situations piquantes et les péripéties du roman, elle ne se pliait à aucune règle stricte, à aucune unité. F. Ogier, dans sa préface au *Tyr et Sidon* de J. de Schelandre en 1628, affirmait la nécessité d'une intrigue riche pour rendre le drame agréable. Le dramaturge satisfaisait ainsi un public amateur de changement et de nouveauté, avide d'émotions et de suspens. Rayssiguier témoigne de cet aspect et explique dans sa préface d'*Aminte* que : la plupart de ceux qui portent le teston à l'Hôtel de Bourgogne, veulent que l'on contente leurs yeux par la diversité et le changement de la scène du Théâtre, et que le grand nombre des accidents et aventures extraordinaires, leur ôtent la connaissance du sujet. Ainsi ceux qui veulent faire le profit et l'avantage des Messieurs qui récitent leurs vers, sont obligés d'écrire sans observer aucune règle [20]. Si la tragi-comédie du premier tiers du siècle ne s'accommode d'aucune règle stricte et précise sur l'action et son déroulement, elle s'efforce néanmoins de maintenir une unité d'intérêt qui capte l'attention du spectateur. Les conceptions des théoriciens sur ce point restent vagues et se contredisent généralement : les uns affirmant leur préférence pour une action unifiée autour d'une intrigue principale, les autres prenant parti pour une action composée et riche en péripéties. Il serait vain de vouloir comparer l'esthétique tragi-comique et l'esthétique classique sur ce point puisque toutes deux revendiquent des conceptions de l'action théâtrale opposées : foisonnement d'un côté, concentration de l'autre. Il convient de s'interroger sur le terme d'action et de le définir afin de mieux cerner les données du problème. J. Scherer définit « l'ensemble de l'intrigue comme l'action d'une pièce » et constate que « cette action se définit par les démarches des personnages mis en présence des obstacles qui forment le nœud et qui ne sont éliminés qu'au dénouement » [21]. Partant de cette définition, nous essayerons, après avoir donné une vue d'ensemble de l'action dans *Lisandre et Caliste*, de déterminer sa structure, puis de dégager les grands traits de l'exposition, du nœud et du dénouement. ### La structure. *Lisandre et Caliste* est construite autour d'une intrigue principale : l'amour de Lisandre et Caliste, constant et éternel, qui commence et termine la pièce. Autour de ce noyau central, l'amour d'Hyppolite pour Lisandre apparaît comme une intrigue secondaire rattachée au fil principal. La passion qu'elle voue à Lisandre devient le sujet de développements (III, 2) et de scènes secondaires (V, 1) sans que ce personnage menace véritablement le couple principal. La douleur de cette jeune femme, si elle touche les héros, ne les influence pas dans leur décision. L'amour de Lucidan pour Hyppolite fait également l'objet de développements secondaires (IV, 4) sans rapport avec l'intrigue principale. La soudaine passion de Lucidan pour Caliste, que Lisandre apprend à la scène 1 de l'acte V, implique un bouleversement du schéma amoureux initial : Lucidan -> Caliste <-> Lisandre <- Hyppolite Toutefois Du Ryer n'exploite ce changement de situation que le temps d'une scène (V, 1) afin de préserver le doute sur l'issue heureuse de la pièce. Tout rentre dans l'ordre dès la scène suivante, qui est d'ailleurs la scène finale (V, dernière). La pièce est animée par un mouvement rapide. Une fois les éléments de l'intrigue mis en place, les événements se précipitent pour Lisandre dès la scène 3 de l'acte I et pour Caliste dès la scène 6 de l'acte I. Les malheurs se succèdent alors sans interruption jusqu'au dénouement. Malgré cette effervescence, la pièce ne comporte pas un nombre élevé de scènes, leur nombre diminue au contraire d'acte en acte (I : 6 scènes ; II : 5 scènes ; III : 4 scènes ; IV : 4 scènes ; V : 2 scènes). Du Ryer semble en effet préférer les longues scènes dans lesquelles dialoguent un nombre plus ou moins important de personnages et dans lesquelles plusieurs événements se produisent (I, 6 ; II, 3,5 ; V, dernière). Acte IV, scène 1, par exemple, nous assistons à la préparation du duel, au combat lui-même puis à son interruption. L'entrée de nouveaux personnages ne marque pas le début d'une nouvelle scène. À côté de ces péripéties d'ordre physique, évolue une intrigue d'ordre sentimental. L'amour de Lisandre et de Caliste étant établi, Du Ryer ne s'attache pas à évoquer la progression de leurs sentiments. Ils passent au contraire du bonheur d'aimer aux douleurs du doute, l'intrigue d'ordre sentimentale n'évolue donc pas de façon continue puisque leur amour est mis à rude épreuve. L'intrigue judiciaire et l'intrigue sentimentale s'unissent pour tester Lisandre et Caliste. L'élément essentiel qui fait le bonheur des deux héros, fait aussi leur malheur. Le meurtre du mari de Caliste permettrait aux héros de faire éclater leur amour au grand jour s'ils n'en étaient pas accusés. Ce meurtre, au lieu d'être un espoir de bonheur pour les deux héros, menace au contraire leur vie et leur amour (de l'acte I, scène 6 jusqu'à la dernière scène de la pièce). Il ne s'agit pas pour les héros de faire face tout au long de la pièce à une seule et unique menace. À une situation problématique initiale, l'accusation de meurtre, s'ajoutent d'autres péripéties qui viennent successivement retarder le dénouement : Lisandre se bat en duel et doit se justifier des meurtres de Crisante et Cloridan, il fait naufrage mais ses amis témoignent de son innocence. Une fois cet obstacle surmonté, il doit faire face à la fureur d'Hyppolite et se justifier auprès d'elle de sa conduite. Enfin pardonné, il apprend que Caliste et Lucidan sont devenus amants… Ces divers rebondissements permettent de qualifier *Lisandre et Caliste* de tragi-comédie à tiroirs. Les efforts du dramaturge vont tous dans le même sens : il n'hésite pas à rajouter des péripéties pour que l'intérêt du spectateur soit maintenu mais aussi et surtout pour le divertir. Les duels, les travestissements, les meurtres, les évasions… étaient des événements auxquels le spectateur était familier mais qui ne laissaient pas de tenir sa curiosité en haleine. Le naufrage de Lisandre, son duel avec Hyppolite, l'amour de Lucidan pour Caliste surprennent le spectateur par leur caractère inattendu. G. de Scudéry, dans sa préface à *Andromire* en 1641, écrivait qu' il est bien difficile qu'une action toute nue…, sans épisodes et sans incidents imprévus, puisse avoir autant de grâce que celle qui, dans chaque scène, montre quelque chose de nouveau, qui tient toujours l'esprit suspendu, et qui, par cent moyens surprenants, arrive insensiblement à sa fin [22]. Or, bien que *Lisandre et Caliste* ait été jouée en 1630, on y retrouve cette prédilection pour une action foisonnante. Du Ryer crée une histoire romanesque, fertile en aventures et représentée *ab ovo* en une succession d'épisodes. L'auteur nous présente en effet une action *ab ovo* : le duel qui a opposé Cloridan à Lisandre a eu lieu avant que la pièce ne commence, Lisandre éprouve déjà des sentiments passionnés pour Caliste… Lisandre est déjà épris de Caliste quand la pièce commence et la réciprocité de leur amour, qui restait incertain tant que Caliste était mariée (IV, 4), éclate dès la première scène de l'acte II. Nous assistons également au coup de foudre de Lucidan pour Hyppolite (IV, 1) et à ses déclarations d'amour (IV, 4). Nous sommes loin de la crise unique de la tragédie classique. Mais peut-être ne faut-il pas chercher une véritable unité d'action dans cette tragi-comédie du début du siècle. D'après J. Scherer, l'unification de l'action possède quatre caractères : « inamovibilité, continuité et nécessité des éléments de l'intrigue ainsi qu' un certain rapport entre les intrigues accessoires et la principale » [23]. Si ces critères ne se retrouvent pas dans *Lisandre et Caliste*, cette pièce possède toutefois une unité propre qui réside dans l'intérêt qu'éprouve le public pour le sort des deux héros. Comme l'explique J. Scherer : « l'unité d'intérêt est un substitut de l'unité d'action par l'intérêt qui s'attache à un personnage ou à un couple de personnages » [24]. Dans la pièce de Du Ryer, les éléments de l'intrigue ne sont peut-être pas rigoureusement unifiés selon une technique précise mais l'intérêt humain d'une telle pièce se fait alors mieux sentir. L'attention étant concentrée sur un héros, sur un homme d'action qui éprouve des sentiments, l'unité de la pièce devient « une unité vivante » (J. Scherer). Cette forme de tragi-comédie qui se contente de dramatiser les épisodes successifs d'un roman séduit encore le public des années 1630. ### L'exposition. Le principe est de mettre en péril l'amour de deux personnages de rang princier par des obstacles qu'ils devront surmonter et qui disparaîtront heureusement au dénouement. Dès la première scène de l'acte I, Du Ryer nous présente son héros principal. Lisandre dévoile, au cours d'un monologue, son amour pour Caliste et pose leur relation comme l'intérêt central de la pièce. Nous apprenons également son projet de duel contre Cloridan et Crisante. Du Ryer prend soin, tout au long de l'acte I, de mettre en place les éléments qui aboutiront par leur enchaînement à la crise centrale à savoir le meurtre de Cléandre et l'accusation des héros. En effet, le duel de Lisandre contre les deux favoris du roi (comme nous l'apprend la source) n'a pas pour conséquence unique d'empêcher le héros de se présenter devant le roi. Lisandre laisse en effet son épée sur le champ de bataille ; celle-ci, récupérée par Léon, lui servira à tuer Cléandre et apportera une confusion quant à l'identité de l'assassin. ### Le nœud. Après une mise en situation à l'acte I, la pièce raconte les divers obstacles qui empêchent le mariage des deux héros. Ces empêchements constituent le nœud de l'action, on peut compter au nombre de ces contrariétés un « obstacle extérieur » (J. Scherer) essentiel : l'appareil judiciaire : les amants sont poursuivis à la suite d'un duel ou d'un meurtre. Ainsi dans *Lisandre et Caliste*, Lisandre est-il poursuivi non seulement pour les meurtres de Cloridan et Crisante qu'il a tués au cours d'un duel mais aussi pour le meurtre de Cléandre. L'héroïne, quant à elle, est accusée de complicité et, jetée en prison, elle risque un châtiment. Un combat judiciaire survient alors pour montrer où se trouve le bon droit et innocenter les héros. Ces scènes de duel se retrouvent fréquemment dans le théâtre des années 1630 : l'incognito d'un des champions, l'issue incertaine du combat donnent du piquant à la scène. Béronte et Lidian innocentent Lisandre au sujet de Crisante et Cloridan (IV, 2), Lisandre en retrouvant le meurtrier de Cléandre (IV, 3) peut clamer son innocence ainsi que celle de Caliste et exiger des excuses (V, dernière). Dans la pièce, les principaux rivaux sont des personnages qui réclament justice : Béronte, Lucidan, Varasque. Ils n'agissent pas par pure méchanceté, par jalousie mais pour de bons motifs : venger la mort injuste d'un parent. Nous relevons également des « obstacles extérieurs » simples mais secondaires, qui ne contrarient qu'un temps les héros et sont vite surmontés. Ils peuvent être le fait d'une tierce personne: * – le ou la rival(e) qui tente de faire oublier à l'un des deux amants l'être aimé(e). En l'occurrence, c'est Hyppolite qui joue le plus longuement ce rôle en tentant de séduire Lisandre par ses nombreux attraits. Lucidan se présente également comme un rival de Lisandre lorsqu'on apprend qu'il aime Caliste (V, 1) mais Du Ryer choisit de ne pas exploiter cette rivalité. * – le père tyrannique qui s'élève contre l'amour des amants pour des raisons d'ordre social ou matériel. Adraste, en imposant à Lisandre d'aimer Hyppolite et de ne pas retourner à la cour, s'oppose de toute son autorité paternelle au bonheur de son fils. Dorilas, père de Caliste, se montre lui aussi particulièrement hostile à leur union sans toutefois se poser en véritable obstacle à l'amour des deux héros. Il réapparaît à la scène 2 de l'acte III inquiet pour sa fille, puis à la dernière scène de l'acte V pour exprimer son soulagement et accorder la main de sa fille à Lisandre. Ces obstacles peuvent également provenir d'un empêchement physique : * – le naufrage : qui peut tenir le héros ou l'héroïne loin de l'endroit où il devrait être. Le naufrage de Lisandre pourrait, comme il le croit au début, être un obstacle inquiétant à son bonheur puisqu'il l'empêche de se rendre à la Cour où le roi l'attend. Mais sa rencontre avec Léon et l'aveu qui s'ensuit transforme ce péril en une heureuse péripétie. Les contrariétés qui assaillent les héros proviennent également d'« obstacles intérieurs » (J. Scherer) toujours secondaires parce que Du Ryer ne les exploite que partiellement : * – le dilemme : qui se présente généralement sous la forme d'un monologue et qui témoigne de l'embarras d'un personnage devant un choix difficile à faire. Lisandre se retrouve à deux reprises dans cette position : dans la première scène de la pièce, il est pris entre son amour et son amitié pour le mari de Caliste. À la scène 3 de l'acte III, Lisandre exprime sa détresse face au choix qu'il doit faire : obéir à son père et épouser Hyppolite ou n'écouter que son amour pour Caliste. Ces dilemmes aboutissent tous deux à une solution ; l'amour se révèle dans les deux cas plus fort que l'amitié : Mais en fin l'amitié n'y doit plus rien prétendre, Les charmes de Caliste en ont chassé Cléandre, (v.29-30) … L'amour beaucoup plus fort à toute heure l'efface, Et me donne des loix où je voy tant d'appas Qu'il faut y consentir ou bien ne vivre pas. (v.34-36) et plus fort que le respect et le devoir d'obéissance envers le père : Ce respect n'est pas fait pour les parfaits amans, Quiconque sçait aymer, sçait mespriser les craintes, Et d'un facheux devoir les severes contraintes. (v.880-882) … Mais pour monstrer l'exceds de mon ardeur extreme J'aymer mieux asseurer mes amours, que moy mesme. (v.889-890) * – les méprises : ces contrariétés, provoquées par la jalousie ou l'indifférence de l'être aimé, peuvent provoquer une crise entre les deux amoureux. Ainsi Caliste s'imagine que Lisandre est infidèle (III, 4), et Lisandre croit que Caliste le trompe avec Lucidan (V, 1). Il existe également deux « faux obstacles » (J. Scherer) : * – le déguisement de Lisandre en mendiant (II, 2) qui aboutit à un quiproquo digne d'une scène de farce ; * – le travestissement d'Hyppolite qui porte l'armure de Caliste (V, 1). La cause de ces deux quiproquos vient d'une erreur sur la personne, tous deux ont des conséquences plus ou moins positives. La méprise de Lisandre sur l'identité d'Hyppolite entraîne des effets pathétiques : Hyppolite désespérée, se fait passer pour le meurtrier de Caliste et manque de se faire tuer par Lisandre. Un seul obstacle provoque une crise qui met réellement en péril le bonheur des deux amants : le meurtre de Cléandre dont Lisandre et Caliste sont accusés. Face à cette contrariété principale et aux autres, les amants réagissent différemment. Lisandre se montre plutôt passif, il part vers l'Angleterre et fuit ses responsabilités ; s'il tombe sur le meurtrier de Cléandre, ce n'est que par hasard. Caliste tente par tous les moyens de venger l'honneur de Lisandre, et par conséquent le sien : c'est pourquoi elle n'hésite pas à se travestir en chevalier. Elle cherche une issue à sa situation même si, finalement, ses projets n'aboutissent pas : sa marque n'étant pas tirée au sort, elle ne combat pas contre Lucidan. Cette crise constitue le moment le plus angoissant, le plus pathétique de la pièce puisque le couple amoureux semble définitivement séparé : Caliste, désespérée, s'enfuit (IV, 2) et Lisandre est victime d'un naufrage (IV, 1). Du Ryer utilise une péripétie pour faire rebondir l'action : la rencontre de Lisandre avec Léon (IV, 3) qui ne figure ni dans l'exposition, ni dans le dénouement. Cette scène comporte en effet un événement imprévu qui crée une surprise et change la situation matérielle et psychologique de Lisandre. Il peut enfin revenir à la Cour tête haute et voit son avenir sous des jours meilleurs. Cette heureuse coïncidence est une surprise à la fois pour Lisandre et pour le spectateur, soulagé de voir le coupable démasqué. ### Le dénouement. Ces diverses contrariétés qui entravent le bonheur des deux amoureux se résolvent généralement au cinquième acte par la disparition imprévue des obstacles. La rivale s'efface par générosité : Hyppolite se retire dès qu'elle rencontre Caliste. Lucidan retourne à ses premières amours avec Hyppolite. À la suite d'un heureux naufrage, Lisandre retrouve l'assassin de Cléandre : le héros réapparaît après une justification qui le réhabilite et fait tomber les accusations non fondées. Du Ryer n'exploite pas davantage les doutes que les deux amants ont pu avoir sur la fidélité de leur partenaire : Caliste pardonne à Lisandre et Lisandre à Caliste sans explication. Les retrouvailles de Léon et Lisandre sur une île déserte relèvent quant à elles d'une heureuse coïncidence. L'intérêt du spectateur est donc maintenu jusqu'à la dernière scène de la pièce puisqu'il doute encore de l'issue heureuse du dénouement. Du Ryer soutient la curiosité du spectateur le plus longtemps possible au détriment parfois d'une certaine cohérence : Lisandre reçoit la lettre de Caliste à la scène 1 de l'acte V et craint de l'avoir perdue puis s'inquiète véritablement lorsque le courrier lui rapporte les nouvelles amours de Caliste et Lucidan. Ces nouveaux éléments semblent se rajouter à l'action principale pour laisser planer le doute sur l'issue des événements. Sans l'obstacle de Lucidan et de Varasque, la pièce pourrait se terminer dès la première scène de l'acte V puisque tout est revenu dans l'ordre : Hyppolite pardonne à Lisandre et Léon va l'innocenter. Après de nombreuses péripéties (duel, emprisonnement, naufrage…), les forces qui s'opposaient au bonheur des héros disparaissent. Dans l'ensemble, le spectateur trouve le châtiment des méchants justifié : Léon est emprisonné, les rivaux s'effacent ou se transforment en alliés (Béronte, Lucidan…). Le public pense qu'Hyppolite, délaissée, trouvera l'amour dans le mariage auquel elle se résigne et il se réjouit de ces deux unions. Qualifiée de tragi-comédie à tiroirs ou à épisodes, foisonnante d'aventures en tout genre, *Lisandre et Caliste* tire son unité de l'intérêt que le spectateur porte aux deux héros. D'une tragi-comédie à l'autre, nous retrouvons non seulement le même type d'intrigue et de traitement de l'action, mais aussi les figures récurrentes et typiques de personnages sans grande profondeur psychologique. ## Les personnages. ### Des personnages types. La sensibilité d'une époque se révèle dans la constante représentation des mêmes sentiments et des mêmes comportements, comme dans la reprise perpétuelle de certains motifs. Ainsi les personnages de ce théâtre sont généralement des « types » ou encore des « emplois » [25], auxquels les dramaturges ne donnent aucune profondeur psychologique. Les règles de la convention fixent d'avance le caractère des personnages qui ne peuvent que répondre aux clichés du genre : amant amoureux, vertueux, fidèle ; jeune fille honnête, probe, sincère, dévouée… et qui impliquent une immobilité des caractères. Du Ryer ne s'intéresse qu'à des stéréotypes, à des figures récurrentes et archétypales de la tragi-comédie, c'est à dire à des personnages sans grande motivation psychologique, sans grande ampleur mais aptes à faire évoluer l'intrigue. Lisandre et Caliste sont d'ailleurs tous deux d'un rang élevé, jeunes et beaux, ils suscitent d'emblée la sympathie du spectateur. Ils brillent tous deux par leur courage et la noblesse de leurs sentiments (Lisandre n'agit que par amour, Caliste n'hésite pas à se travestir et à combattre pour son amant…). Mais même s'il est courageux, le héros est capable de feindre des sentiments qu'il n'éprouve pas et de se montrer hypocrite et ingrat comme Lisandre avec Hyppolite. Pourtant le public saura lui pardonner puisque l'amour motive ce mensonge et l'excuse. Le rôle du rival ou de la rivale : Hyppolite, Adraste, le roi, Lucidan… que nous avons examiné au chapitre précédent n'intéresse Du Ryer que pour les effets qui résultent du comportement de cet opposant : désespoir ou révolte des héros qui s'expriment dans de longs monologues (Lisandre : II, 1 ; Caliste : III, 4 ou IV, 2 ; Hyppolite : IV, 4…). Comme le dit R. Guichemerre, le père ou le roi agisse selon « des sentiments schématiques et des motivations convenues » [26]. À côté de ces types conventionnels apparaissent dans des seconds rôles des gens du peuple qui apportent une note réaliste et comique à certaines scènes. Le boucher et sa femme sont des personnages pittoresques qui permettent de divertir plaisamment l'auditoire. La tragi-comédie de Du Ryer compte trois personnages principaux : les deux héros éponymes Lisandre et Caliste autour desquels se bâtit la pièce, et Hyppolite, amoureuse de Lisandre, qui contribue particulièrement à leur bonheur. Du Ryer tente de grouper les différentes aventures vécues par un même personnage : de l'acte III, scène 4 jusqu'à l'acte IV, scène 2, il est question du tournoi pour innocenter Lisandre et donc de Caliste et d'Hyppolite, puis ce sont ensuite sur les aventures de Lisandre (IV, 3 et jusqu'à la fin) que se concentre la pièce. Personnages principaux et secondaires se caractérisent par leur appartenance à des types, comme nous l'avons vu, et à un idéal cher à Du Ryer. ### Les personnages féminins. Nous assistons dans le premier tiers du XVII*e* siècle à un mouvement de réévaluation de la femme qui aboutit à la vogue de la femme héroïque. Elle déploie son héroïsme tout en apparaissant fragile et belle à la fois. La femme ne se définit comme une véritable héroïne que si la consécration totale de sa vie à un être aimé est la source de ses belles actions. Dans une optique féministe, nous pouvons considérer que la femme possède des vertus et des capacités que la tradition assigne à l'homme : les femmes n'en sont que plus flatter dans leur vanité. Dans ce sillage apparaît dans les tragi-comédies un nouveau type d'héroïne que Caliste ou Hyppolite incarnent dans la pièce de Du Ryer. Une jeune fille amoureuse, intelligente, courageuse et volontaire devient l'élément moteur de la pièce. Son partenaire est relégué au rang d'objet. Elle utilise comme armes le mensonge, l'artifice, la feinte et le déguisement. Travestie en homme, l'héroïne pénètre dans un monde d'hommes avec leurs propres armes et peut les battre sur leur terrain. C'est par le dynamisme, par l'action que l'héroïne de tragi-comédie compense les inconvénients dus à sa situation sociale. À aucun moment dans *Lisandre et Caliste*, Hyppolite ou Caliste ne se montrent passives face aux malheurs qui les accablent, elles passent à l'action. Ce sont elles qui défendent Lisandre lors du premier duel judiciaire (IV, 1), elles se lancent à la poursuite de leur amant lorsqu'elles apprennent sa trahison. Bien qu'elles apparaissent moins souvent que Lisandre dans la pièce et qu'elles totalisent, toutes deux réunies, moins de vers que lui (Hyppolite : 244 vers, Caliste : 227 vers, Lisandre : 584), leur rôle reste essentiel. Lorsqu'elles se posent toutes deux en accusatrices, elles monopolisent alors la parole dans des monologues (Caliste : III, 4 ; IV, 2) ou des dialogues (Hyppolite : V, 1). En effet Caliste ne s'exprime jamais autant que lorsqu'elle se croit trompée par Lisandre. Les paroles ou les lamentations seules ne leur suffisent pas aussi se caractérisent-elles comme des femmes d'action. Malgré de nombreux traits communs, Du Ryer s'applique à différencier ses deux héroïnes. Caliste est dessiné par le dramaturge comme le symbole de la féminité et de la beauté envoûtante. Même si elle est prête à se travestir et à participer à un combat, Du Ryer fait en sorte qu'elle ne puisse se battre. L'auteur veut que Caliste garde, tout au long de la pièce, toute sa délicatesse et sa féminité. Caliste exprime d'ailleurs elle-même clairement cette différence (v.1427-1438). Alors que cette dernière reste femme malgré son déguisement et agit en tant que telle (v.1433-1434), Hyppolite fait preuve de sentiments et d'une force comparables à ceux d'un homme (v.1613-1620). Elle représente toutes les valeurs que devait illustrer la conduite de Lisandre : générosité, constance, loyauté. L'aide qu'elle lui apporte pour sauver son amour, achève de la dépeindre comme le symbole de la générosité. Toutes ses actions sont en effet des actes purement généreux : le travestissement et le duel, l'aide qu'elle apporte à Lisandre pour retrouver Caliste. Hyppolite est bien plus qu'une héroïne blanche qui n'agirait que par amour, elle poursuit en effet son action généreuse en sachant son a amour impossible. Aussi fait-elle beaucoup plus pour les deux amants que Lisandre ou Caliste eux-mêmes, Caliste la remercie d'ailleurs en ces termes : Si nous avons du bien, Madame, nous devons A vos rares vertus celuy que nous avons. (v.1983-1984) Les rapports d'Hyppolite et de Caliste ne sont que vaguement emprunts de jalousie. Elles proclament des menaces certes emphatiques (v.1079-1080…), mais qui ne se changeront jamais en acte. Leur rencontre suffit à ce qu'elles n'éprouvent plus l'une envers l'autre ce sentiment dévastateur. En effet, si elles désirent se venger, ce n'est pas de leur rivale mais de leur amant. Elles montrent au contraire un grand respect mutuel : Caliste pour la gloire et l'héroïsme de sa rivale (v.1421-1432), Hyppolite pour la beauté de Caliste (v.1613-1624 ; v.1817-1820). L'ordre et la fréquence de leur apparition sur scène illustrent cette complémentarité. Caliste tient le premier rôle féminin : jusqu'à l'acte II, scène 3, il n'est question que de ses charmes et de sa douceur pendant deux actes. Ces grâces sont en effet le mieux exaltées lorsqu'elle est absente de la scène (II, 6). Le spectateur découvre Hyppolite, après la vague description qu'en a faite Adraste (III, 1), à la scène 2 de l'acte III où elle dévoile dans un long monologue ses sentiments passionnés pour Lisandre. La pièce compte alors deux héroïnes qui entrent en conflit sans le savoir. Le long monologue de Caliste à la scène 4 de l'acte III pose les bases de cette rivalité. Cependant les deux héroïnes se montrent vite vaincues par les qualités respectives de leur rivale. Bien que Caliste soit l'héroïne principale et qu'elle seule possède le cœur de Lisandre, la pièce dès l'acte III, scène 5 focalise l'intérêt du spectateur sur les actions d'Hyppolite et sur sa douleur. Dès la scène 4 de l'acte IV, Hyppolite se pose en accusatrice et monopolise la parole durant la première scène de l'acte V. Si cette dernière n'est présente que dans cinq scènes de la pièce, elle totalise un nombre de vers supérieur à celui de Caliste qui est présente, quant à elle, dans sept scènes. Du Ryer ne s'est pas contenté d'utiliser Hyppolite comme un simple moyen de réaliser le bonheur des deux amants. Il s'intéresse à ses sentiments et bouleverse ainsi l'unité de sa pièce. A la première intrigue, s'ajoute une intrigue secondaire : l'amour malheureux d'Hyppolite pour Lisandre qui fait l'objet de longs monologues et de longues discussions sans conséquences dans l'action principale. Même si Hyppolite est physiquement plus présente que Caliste dans la dernière partie de la pièce, l'image de cette dernière persiste dans les nombreuses allusions que Lisandre ou même Hyppolite font à sa beauté. Aussi pouvons-nous considérer que ces deux femmes se partagent le rôle de l'héroïne principale. Toutes deux se complètent en effet parfaitement : l'une brille par sa beauté et l'autre par sa force. Caliste surpasse Hyppolite par sa beauté physique, tandis qu'Hyppolite l'emporte par son caractère et ses qualités sur Caliste. Ses deux femmes réunies en une même personne toucheraient peut-être à l'idéal dont rêve Du Ryer. Les trois autres femmes : Orante, Clarinde et la bouchère, ne sont que des personnages secondaires qui n'apparaissent que dans un petit nombre de scène : Orante, une scène ; Clarinde, deux scènes ; la bouchère, une scène. La mère de Caliste, Orante, sert essentiellement de faire-valoir à Lisandre : elle s'émerveille de sa passion pour Caliste et de la façon dont il en parle. Le débat sur la calomnie qu'elle engage avec Lisandre permet à Du Ryer de développer les lieux communs chers à la rhétorique. Elle constitue le pivot de la scène et l'interlocutrice privilégiée de Lisandre. Bien qu'étant uniquement la suivante de Caliste et malgré sa courte présence sur la scène (I, 2 ; I, 6), Clarinde n'a pas un moindre rôle. Son mensonge est déterminant pour la suite de l'action et fait le malheur des héros. Mais Du Ryer n'exploite pas davantage ce personnage, dont il s'abstient d'expliquer les motivations, disparaît dès la fin du premier acte. La bouchère Alizon apporte une touche pittoresque et humoristique à la pièce. Son bon sens et sa franchise éclaire et souligne la bêtise de son mari. Commerçante avant tout, elle n'agit que poussée par l'intérêt et par le bon fonctionnement de sa boutique. Ces deux personnages, qui appartiennent à la couche populaire, contrastent, par leur langage et leur manière, avec les héroïnes de rang supérieur. ### Les personnages masculins. Si l'amour pouvait rendre la femme héroïque, il pouvait rendre l'homme honnête. De 1600 à 1643, dans le théâtre et le roman, l'offensive se généralise contre la grossièreté des sentiments et la vulgarité des désirs. Dans *Lisandre et Caliste*, le désir de Léon pour Clarinde ou la vision qu'a le boucher du sentiment amoureux (v.529-530) se présentent comme des conceptions vulgaires et repoussantes de l'amour. Elles ne font qu'appuyer le contraste avec une autre sorte d'amour : celui qui élève, ennoblit et rend un homme honnête. À l'époque, l'honnêteté influence la littérature, elle est la qualité de ceux qui pratiquent la civilité, l'élégance des manières, le sens des bienséances mais qui ont aussi une culture diversifiée et discrète. Les tragi-comédies sont en accord avec cet idéal et tentent de le répandre dans le public. Lisandre, Béronte, Adraste, Lucidan, Lidian ou Varasque représentent ce type d'homme qui se devait d'avoir des sentiments élevés, de belles manières, d'être brave en même temps que galant et de faire preuve d'héroïsme. Lisandre, Lucidan, Varasque ou Adraste n'hésitent pas à se battre pour défendre leur honneur, celui de leur proche ou d'un ami : parfois sans réfléchir (v.1287-1290). Leur gloire et leur honneur passent avant toute chose (Lisandre : v.815-820), ils montrent du respect envers leur roi (v.1926-1929, v.1970-1971 ; v.1980-1981) et envers les femmes. Tous les théoriciens du XVII*e* siècle s'accordent sur un idéal de maîtrise, de composition et de présentation de soi. Le courtisan sera de noble lignée, aura l'esprit vif, se présentera bien et possédera une grâce et un charme qui le feront aimer de tous ceux qui le voient. Or le personnage de Lisandre semble correspondre trait pour trait à cette définition. Les discours d'Hyppolite (v.909-915) ou de Lidian (v.1001-1004) entre autres, témoignent des qualités physiques et du courage de Lisandre. Il maîtrise suffisamment le langage pour en faire un instrument de séduction (v.247-256, v.265-270 ; v.931, v.935-936, v.939-942…). Faret demande à l'honnête homme souplesse et flexibilité, Méré exige souplesse et naturel. Mais la souplesse penche vers le théâtral, puisqu'elle est aptitude à se faire à tout et à tous, à se transformer au gré des circonstances, à jouer toutes sortes de personnages. Cet aspect rapproche d'ailleurs l'honnêteté de l'esthétique romanesque. Ainsi la feinte de Lisandre face à Hyppolite dévoile-t-elle l'une des faces de son honnêteté, Lisandre n'a pas su décourager l'amour d'Hyppolite et ses sentiments extrêmes. Il s'est instinctivement adapté à l'image qu'Hyppolite désirait avoir de lui. Toutefois l'honnêteté de Lisandre n'était qu'une stratégie, il a feint pour mieux manipuler Hyppolite. Il se dissimule derrière son mensonge pour ne pas avoir à affronter les reproches des autres. Cet aspect de sa personnalité se révèle à la scène 1 de l'acte V : face à Hyppolite qui l'accuse, Lisandre cache la vérité et accuse à son tour la violence de son amour (v.1782) ou encore la tyrannie paternelle (v.1787-1790). Mais face à cet impitoyable juge, Lisandre, acculé, se découvre enfin (v.1797-1810) et reste d'une grande honnêteté jusqu'à la fin de la scène. Les héros masculins de *Lisandre et Caliste*, Lisandre en particulier, correspondent à l'idéal d'honnêteté que répandaient la plupart des romans et tragi-comédies du XVII*e* siècle. Nous pouvons donc considérer Lisandre comme le héros principal de la pièce. Sa présence sur la scène (il apparaît dans 12 scènes et dans tous les actes de la pièce) et le nombre de vers qui lui sont attribués (584 vers) le confirment. Les deux héroïnes, et surtout Hyppolite, semblent cependant tenir le rôle principal après la scène 2 de l'acte III. Lisandre est en effet beaucoup moins présent sur la scène après son entretien avec Hyppolite, puisqu'il reste absent 4 scènes de suite (III, 3,4 ; IV, 1,2). Son action suscite moins d'intérêt que celle des deux jeunes femmes. Les deux héroïnes prennent en effet pleinement part à l'action judiciaire sur laquelle se focalise Du Ryer pendant l'acte III et IV. L'attention se porte de nouveau sur lui une fois le duel judiciaire réglé, dès la scène 3 de l'acte IV et ce jusqu'à la fin. Lisandre ne mène que deux véritables actions : son duel contre Crisante et Cloridan, puis l'évasion de Caliste. Après cet épisode, le héros reste étonnement passif et ne participe pas, du moins physiquement, aux différentes actions menées pour rétablir son honneur. Il reste cependant le héros principal de cette pièce, surtout en regard des autres personnages masculins. Ces derniers n'ont que des rôles secondaires : opposants, rivaux, adjuvants… et n'agissent que dans le sillage des héros principaux. Les pères des deux amants interviennent dans la pièce comme des obstacles plus ou moins superficiels à leur bonheur. L'un s'oppose à ce mariage et en propose un autre pour garder son fils près de lui (Adraste), l'autre s'y oppose en invoquant la morale et l'honneur. Tous deux se montrent difficiles à convaincre car leur sens de l'honneur et du devoir les empêche de cautionner l'amour de leurs enfants. Sensibles, ils pardonnent vite les écarts et ne sont que des opposants passagers à l'amour des héros principaux. Les amis de Lisandre, de Cléandre et de Caliste, participent au contraire au bonheur des amants. S'ils apparaissent dans un premier temps comme des opposants (Béronte, Lucidan, Varasque…), ils reconnaissent rapidement leur erreur et tentent de la réparer au mieux. C'est surtout Béronte (I, 2,3, 5, 6 ; IV, 1) qui œuvre pour les deux héros, cependant il disparaît de la scène à l'acte IV, scène 1 et n'assiste pas au mariage. Lucidan, parent de Cléandre, semble être la copie conforme de Lisandre puisqu'il incarne aussi la figure du chevalier généreux et courageux. Hyppolite lui adresse des reproches comme à un double de Lisandre (IV, 4) et l'inconstance dont il fait preuve achève de l'assimiler dans l'esprit d'Hyppolite à son amant volage. Le vocabulaire, les métaphores qu'il emploie pour faire sa déclaration à cette dernière ne diffèrent guère de ceux déjà utilisés par Lisandre. Il se pose en opposant mais sa cause est juste lorsqu'il réclame le duel judiciaire pour venger la mort de son parent (IV, 1). Il intente une action en justice, de façon solennelle et se plie sans discussion aux décisions du roi et du juge de camp. Cléandre, mari de Caliste, possède un rôle d'adjuvant en même temps qu'un rôle d'opposant. Il aide Lisandre à s'enfuir après son premier duel (I, 4) et se lance au secours de Caliste (I, 6). Mais il se présente comme l'opposant essentiel à l'amour de Lisandre pour Caliste. Son élimination était donc nécessaire pour rendre leur amour possible : il disparaît dès le premier acte. Alcidon, Lidian se définissent comme des adjuvants. Ils apportent leur aide de façon ponctuelle : pour obtenir la grâce de Lisandre (Lidian : III, 3 ; IV, 1) ou pour l'aider à réaliser ses projets (Alcidon : I, 5,6 ; II, 1). Ils ne se présentent à aucun moment comme des opposants contrairement à Béronte, Lucidan ou Varasque : Lidian apporte son aide à Lisandre mais aussi à Caliste (IV, 2), Alcidon tente de raisonner Béronte et prévient Lisandre du péril. Acte II, scène 1 il tente de décourager son ami dont les desseins lui semblent extravagants et permet de souligner le caractère irraisonné et passionné de l'amour de Lisandre pour sa maîtresse. Le mari de Caliste découvre avant sa mort, toutes les qualités d'un parfait ami et d'un honnête homme. Dans la source, il donne même à Caliste sa bénédiction pour aimer Lisandre. La figure du méchant et du traître s'incarne en Léon tout au long de la pièce ou du moins jusqu'à ce que Lisandre le retrouve sur l'île déserte. Son amour pour Clarinde étant illégitime et vulgaire, parce que fait de désir physique, il le rend criminel au lieu de l'ennoblir. La relation qu'il entretient avec la suivante contraste ainsi avec l'amour idéal qui unit Lisandre et Caliste ou même Hyppolite à Lisandre. Léon semble un homme de bien et non un simple valet : son langage, le fait que Béronte l'appelle son « amy » le prouvent. Ce statut rend illégitime l'amour qu'il éprouve pour Clarinde. C'est poussé par la peur et par la surprise que Léon commet ce crime. Ce geste, qui fait le malheur initial des héros, n'est pourtant pas dicté par une quelconque intention de nuire à Lisandre et à Caliste. Son aspect non-prémédité diminue aux yeux du spectateur l'ampleur de la faute de Léon. Son repentir (V, 1, dernière), la puissance du remords qui l'afflige et son courage minimisent sa faute aux yeux du spectateur. Même après un crime, il reste homme de bien. Le juge de camp et le roi représentent l'autorité et la justice. Le roi exalte volontiers son pays et ses ancêtres mais insiste particulièrement, dans ses discours, sur la notion d'équité. C'est cette foi en la justice qui le pousse à considérer Lisandre comme un hors-la-loi et à jouer, pour un temps, un rôle d'opposant. Du Ryer insiste sur l'aspect généreux de ses décisions et de son comportement. Puisque Lisandre est innocent, il n'a rien à craindre de ce symbole de l'autorité. Aussi le roi joue-t-il davantage un rôle d'adjuvant dans la pièce en permettant les duels judiciaires et la justification du héros. Les gens du peuple sont utilisés de diverses manières par Du Ryer mais se caractérisent tous par leur rôle d'adjuvant. Même si leur rôle est minime (Le boucher, deux scènes : II, 2 et II, 3 _ Le valet de Lisandre, trois scènes : III, 4 ; IV, 1 et V, 1 _ Le geôlier, une scène : II, 3), ils apparaissent tous à des moments critiques de l'action et apportent une aide efficace aux héros. Le boucher, peint d'une manière à la fois réaliste et humoristique, apporte à la pièce une touche comique voire farcesque. Sa mauvaise foi, son hypocrisie et son amour de l'argent dévoilent sa médiocrité et rehaussent les qualités de Lisandre. Le valet de Lisandre n'est qu'un moyen habile pour Du Ryer de faire parvenir des messages aux héros. Proche de son maître, il peut ainsi donner à Caliste des détails sur ses sentiments et ses vraies motivations. Personnage de confiance, l'héroïne peut compter sur lui pour rapporter le duel à Lisandre et lui remettre une lettre. Il remplace, en quelque sorte, son maître dans les scènes où il devrait être (III, 4 et IV, 1). Le geôlier n'a que quelques répliques dans la pièce mais son rôle reste important : il aide les personnages principaux à s'évader. Le courrier et le page ne sont que des moyens faciles de faire parvenir une nouvelle. Le courrier apporte à Lisandre des nouvelles de la Cour qui l'obligent à s'y rendre (V, 1), le page annonce la venue de Béronte à Clarinde et Léon (1, 2). Honnêteté et galanterie se mêlent et se présentent comme la formule permettant la réussite d'une pièce. Ces deux caractéristiques impliquent un certain type de héros et d'héroïne qui s'incarne jusque dans les personnages secondaires. Comme toute tragi-comédie du premier tiers du siècle, *Lisandre et Caliste* est indifférente à toutes règles. Cette pièce est pour Du Ryer une œuvre d'apprentissage où il s'exerce à connaître le goût du public, à réduire un roman en une pièce de cinq actes, à produire des situations dramatiques. *Lisandre et Caliste* répond donc à toutes les caractéristiques d'une tragi-comédie des années 1630 : ses personnages, ses thèmes, son irrespect pour les règles…affichent l'appartenance de Du Ryer à cette « citadelle des irréguliers » dont parlait R. Bray. Mais au-delà des aspects dramaturgiques, structurels et autres, cette pièce appartient également à un mouvement littéraire, elle reflète les goûts de son auteur pour un certain type de littérature et les tendances générales du théâtre tragi-comique dans ce premier tiers du siècle. L'appartenance de la pièce au genre tragi-comique, son irrégularité, son style, les thèmes que l'auteur a choisis d'aborder ou encore l'attitude de certains personnages permettent de situer *Lisandre et Caliste* de Du Ryer dans un mouvement romanesque et galant. # Une tragi-comédie romanesque… Un changement survient, de 1625 à 1665 selon J. Rousset, dans le monde et dans la spiritualité de cette époque et fait place à un sentiment de rupture historique et d'« ébranlement des assises de l'être » (J. Rousset). Comme le dit J. Maurens : il est difficile de faire le panorama des idées… particulièrement dans la décade 1610-1630. Selon qu'on met l'accent sur l'une ou l'autre de ses expressions, elle apparaît différente, jusqu'à s'opposer sans cesse à elle- même [27]. Et pourtant ce sont ces contradictions, ces oppositions et autres incertitudes perpétuelles qui constituent les données essentielles de l'esprit romanesque. Comme l'explique J. Rousset, il y a en France à cette époque « non seulement un goût du composite et du changement mais les éléments d'une esthétique du composite et du changement » [28]. En outre, cette esthétique du mélange, du changement et de la luxuriance, dans laquelle les jeunes auteurs de 1630-1640 voient un enrichissement et un embellissement, est à leurs yeux une esthétique moderne adaptée à l'esprit moderne, au goût du français contemporain qui n'aime rien tant que le changement, la diversité et le mouvement [29]. Par sa fécondité et son effervescence, la tragi-comédie reflète ce premier tiers du XVII*e* siècle. Cette dernière, tout comme le théâtre en général, correspond à un appel profond de ce temps qui comprend particulièrement bien le message propre au théâtre. La tragi-comédie représente quelque chose de plus puisqu'elle est à la fois tragédie et comédie, qualifiée de romanesque, elle se distingue comme un théâtre de la feinte, de l'apparence et du déguisement. Elle se fait le symbole du goût et de l'esthétique du changement. C.G. Dubois met en relief « la dualité de l'âme baroque », c'est à dire une aptitude toute particulière à feindre et un goût prononcé pour l'ostentation et la dissimulation. ## L'ostentation. Selon R. Guichemerre, la tragi-comédie est « un théâtre expressionniste », aussi les dramaturges n'hésitent-ils pas à employer les ressources de la mise en scène, de la gestuelle théâtrale afin de contenter le goût du public pour cette « griserie de l'imagination » (R. Guichemerre), pour une action mouvementée et des émotions fortes. *Lisandre et Caliste* offre un exemple de cette pompe dans la scène du duel judiciaire (IV, 1) : dix personnages sont présents pour assister au duel, la présence du roi et du juge de camp donne à cette cérémonie un aspect solennel que renforce le discours du roi. Tout ce cérémonial (les trois chevaliers, le choix d'un enfant pour tirer la marque qui combattra…) offre un spectacle grandiose qui frappe l'imagination du public. La puissance évocatoire du langage supplée à la représentation effective pour susciter admiration, horreur, compassion… Les deux récits de naufrage, et en particulier celui de Lisandre (IV, 1 : v.1334-1365; IV, 3 : v.1477-1508) donnent un exemple de ces longues tirades où les personnages donnent libre cours à leur passion et amplifient leurs discours grâce aux ressources de la rhétorique. Dans son récit, Lisandre sélectionne des informations concernant le sujet traité et ne garde que les éléments particulièrement sensibles et forts, susceptibles d'accrocher par leur évocation. Comme l'explique G. Molinié, ces expressions sont rattachées à l'enregistrement comme cinématographique du déroulement ou de la manifestation extérieurs de l'objet…, ce côté vivement plastique du texte constitue l'hypotypose qui est d'une grande rentabilité au théâtre [30]. Or Lisandre, en tant que narrateur et victime, peint sous nos yeux le tableau de son naufrage. Hyppolite possède également ce talent dans le récit de sa rencontre avec Lisandre (III, 2 : v.903-916). Peut-être Du Ryer a-t-il gagné, pour cette scène, à ne pas représenter sur les planches la partie de chasse. Cette évocation lui permet en effet de mieux souligner le fait que Lisandre chasse non seulement le gibier, mais aussi et inconsciemment le cœur d'Hyppolite, qui s'assimile d'ailleurs tout au long du récit à un animal capturé (« rets », « captive »…). Du Ryer joue en effet volontiers sur les mots (v.931 : J'en touche le sujet et je l'ay dans le sein. », v.1195-1196, v.1297-1298…) et crée parfois des associations d'idée qui lui permettent de passer habilement d'un sujet à un autre, d'un thème à l'autre (v.1078-1079…). Par des scènes de violences (les duels), par l'utilisation d'une prison dans le décor, par les cérémonies pompeuses (IV, 1 ; V, dernière), Du Ryer contente un public avide de spectacle et témoigne de l'importance de la notion de « pompe ». Elle s'obtient au théâtre « par le nombre et la majesté des acteurs, ou par un spectacle magnifique » [31] comme l'explique D'Aubignac. Cette notion de « donner à voir » correspond également à l'esthétique romanesque qui aime parler aux yeux, à l'imagination et à la sensibilité du public par l'importance qu'elle accorde au spectacle et au pouvoir suggestif des mots. Dans ses récits, Du Ryer use volontiers d'hyperboles : le naufrage (v.1485-1506), ou dans ses descriptions : rencontre de Lisandre et d'Hyppolite (v.907-910), portrait de Caliste par Lisandre (v.49, v.1687-1688…). Or l'hyperbole est par excellence la figure décorative. Le récit du naufrage par Lisandre nous en donne un exemple intéressant : hyperboles et images d'une eau déchaînée, mélange et association maléfique des contraires (Cf : note 170). Du Ryer amplifie et anime des assertions pauvres en elles-mêmes par des redondances (v.1112-1114 : « Mais pour y mettre ver, qui s'en rendra vainqueur, / Pour y mettre un remords, dont les forceneries … » ; v.669-674 et v.677-682…), des énumérations (v.1535 : « Vents, Neptune, tempeste, effroyables tourments… »…), des répétitions (v.1457 : « Frappe, frappe à ton gré ce corps abominable… », v.1547, v.1601, v.1638-1639, v.1735…), des comparaisons (v.58 : « Aimer tant de beautez comme on fait les Deesses ? » …), des apostrophes (v.247, v.253, v.323 : « … furieux, », v.363, v. 511 : « Dieux ! » …) et des personnifications (v.255-256 : « Et vous croirez qu'Amour m'ostant la liberté / Me donne avec ses feux son immortalité. », v.899-902…). Toutes ces figures témoignent du goût de Du Ryer pour l'ostentation ainsi que son talent d'orateur : son style mêle gravité et éloquence, il aime les antithèses (v.60-64 : « Sa divine douceur veut que je persevere / Et sa pudicité ne veut pas que j'espère, … » par exemple…) et les sentences, les termes abstraits (La raison, la gloire, le dessein, la vertu, le mérite…). Formé à la rhétorique, Du Ryer maîtrise bien « cet art de la parole persuasive » [32] comme en témoignent les deux scènes de procès de *Lisandre et Caliste*. Deux situations de procès dominent en effet la pièce, les personnages s'expriment devant un auditoire spécifique : le tribunal composé du juge de camp et du roi ou du roi seul. Ces scènes se caractérisent par l'emploi d'un discours judiciaire où les notions de juste et d'injuste dominent dans le but d'accuser ou de défendre un personnage. À la scène 1 de l'acte IV, l'accusé est Lisandre : Lucidan adresse un réquisitoire au roi, l'accusé ne peut se défendre puisqu'il est absent, aussi Adraste intervient-il pour plaider sa cause, Béronte et Lidian interviennent pour innocenter Lisandre puis le juge de camp et le roi rendent leur jugement. À la scène 1 de l'acte V, les accusés sont Lisandre et Caliste : Varasque entame un vague réquisitoire suivi d'une plaidoirie d'Adraste, l'intervention de Léon innocente les deux amoureux et le roi rend son jugement. Après la mort de Cloridan et Crisante, les deux héros sont l'un après l'autre victimes du système judiciaire. Face à un juge tel que le roi, les discours judiciaire et épidictique se mêlent, puisque accusateurs et défenseurs ne manquent pas de débuter leur réquisitoire ou leur plaidoirie par un éloge du prince (Lucidan : IV, 1 ; Léon : V, 1). Intéressé par cet art de la persuasion, Du Ryer l'exploite volontiers, comme à la scène 5 de l'acte II dans laquelle Lisandre plaide la cause de Caliste auprès de ses parents, Orante et Dorilas et tente d'obtenir leur pardon. Leurs propos s'organisent alors dans l'ensemble comme un discours rhétorique : * – un exorde débute la scène (v.557-584). Dorilas, par ses lamentations, suscite la bienveillance du spectateur et attire son attention sur le sujet du discours, en l'occurrence Caliste. * – une narration (v.585-622) qui permet d'exposer les faits au travers du rapide récit de Lisandre (v.585-592 ; v.599-604 ; v.611-616). Ce dernier récapitule les événements et dévoile la véritable histoire aux parents de Caliste. * – une première confirmation (v.623-712) dans laquelle Lisandre prouve ses arguments et tente de réfuter ceux d'Orante. Pour cela, il se focalise sur deux types d'arguments : l'un d'ordre affectif qui agit sur la sensibilité, l'autre d'ordre rationnel qui doit convaincre. Le héros tente de toucher la sensibilité d'Orante non seulement en jouant sur ses sentiments maternels mais aussi en s'appuyant sur des arguments rationnels, formulés dans des maximes ou des sentences. Genre épidictique et délibératif s'unissent : Lisandre appuie sa démonstration d'un éloge emphatique de sa bien-aimée. L'emphase et l'hyperbole, les sentences et les maximes se mêlent pour démontrer à Orante que ses sentiments de mère sont aussi un devoir. * – une seconde confirmation (v.713-726) dans laquelle Lisandre tente cette fois de persuader Dorilas de pardonner à sa fille. À son devoir de citoyen, qui tient à cœur à Dorilas, Lisandre lui oppose son devoir de père qu'il lui rappelle au travers de sentences morales (v.725-726…). * – une brève péroraison (v.727-732) qui conclue le discours de Lisandre dont la mission a réussi. Enfin suit une véritable péroraison (v.733-772) dans laquelle Orante et Dorilas, restés seuls, récapitulent les faits. Dorilas se montre encore soupçonneux, Orante prend alors la place de Lisandre pour convaincre Dorilas qu'il a fait le bon choix. La « passion » et « l'amplification » [33] sont utilisées dans cette péroraison pour susciter la sensibilité du public et exprimer avec force la douleur du dilemme qui tenaille le père de Caliste. Du Ryer exploite donc toutes les ressources de la rhétorique pour faire passer des émotions fortes et convaincre le spectateur que l'action des deux héros est juste. Le dramaturge se sert des moyens que lui fournit la rhétorique dans d'autres scènes de sa pièce (les dilemmes, les monologues, les dialogues enflammés, les récits…). L'éloquence se définit comme la science du bien parler et a pour objet d'instruire, de plaire et de toucher : il faut jouer sur les passions et les mœurs du public pour lui faire ressentir de vives émotions. Les parallélismes entre deux hémistiches possèdent un fort pouvoir évocateur (v.1080…). Dans les dialogues, l'utilisation de l'apostrophe et de l'impératif accompagnent la violence des propos tenus (v.1725 : « Traistre voy l'ennemy, que le sort t'abandonne, … », v.1726, v.1729…) et le tutoiement de l'adversaire suggère efficacement une perte de contrôle. La scène de la prison (II, 3) permet aussi d'exploiter une situation critique et « d'émouvoir la compassion pour les personnes captives » [34] . ## La dissimulation. Ostentation et dissimulation sont liées. Les personnages des tragi-comédies se montrent prompts à paraître ce qu'ils ne sont pas, ou à dissimuler ce qu'ils sont vraiment : il faut cacher son cœur et donner le change. Ainsi Lisandre dissimule ses véritables sentiments et ment à son père d'abord (III, 1) puis à Hyppolite ensuite (III, 2). Jean Rousset fait du changement d'identité un des grands thèmes romanesques. Le déguisement relève de cette thématique, s'intègre à une tradition venue de la comédie italienne et constitue un trait social de la vie sous Louis XIII. Mais il reste avant tout un procédé dramatique commode. La tragi-comédie se sert du travestissement, du changement d'apparence comme d'un approfondissement psychologique et d'une analyse du sentiment amoureux. Il exprime la force des sentiments qu'éprouvent Hyppolite et Caliste pour Lisandre, la passion de Lisandre pour Caliste (déguisement en mendiant, en messager). Le déguisement à une fonction dramatique, il est un auxiliaire du développement de l'histoire et permet de compliquer l'action (méprise sur identité : V, 1). Pourtant dans *Lisandre et Caliste* aucun des différents déguisements revêtus n'est déterminant pour l'action. Qu'il soit un déguisement « d'approche » (Lisandre en mendiant, en messager) ou « de délivrance » (Hyppolite et Caliste en chevalier) : tous peuvent être supprimés. Comme l'explique G. Forestier, les nombreux déguisements de *Lisandre et Caliste* « semblent tirer leur nécessité de leur multiplication » [35]. Les déguisements constituent également un élément du spectacle et un moyen pour l'auteur de produire des effets pouvant toucher le public : ils participent de ce fait au phénomène d'ostentation. Comme l'explique J. Rousset « dissimuler ce n'est pas seulement cacher ce qui est, c'est également simuler ce qui n'est pas » [36]. Le débat de l'être et du paraître touche au cœur du XVII*e* siècle ainsi que La Rochefoucauld le montre : L'intérêt… joue toutes sortes de personnages, même celui de désintéressé…. Chacun affecte une mine et un extérieur pour paraître ce qu'il veut qu'on le croie [37]. C'est en effet par intérêt que Lisandre trompe Hyppolite. Il feint le désintéressement en lui faisant croire qu'il n'agit que pour remonter dans son estime (v.945-954). Lisandre se sert en fait d'Hyppolite pour amadouer son père et parvenir à ses propres fins : nous soupçonnons la ruse de Lisandre à partir du vers 956, mais c'est le vers 961 qui confirme notre impression : Vous pouvez mon soucy me donner un remede. Mais nous remarquons que Lisandre utilise dès son monologue (III, 1) le vocabulaire de la dissimulation : Et que ce vain respect, dont j'abhorre l'usage, Se loge dans mon cœur comme sur mon visage. (v.877-878) Son dessein de cacher ses sentiments germe dans son esprit dès ce moment. Hyppolite déclare (V, 1) : Puis au siecle où nous sommes La verité se trouve aux paroles des hommes. (v.1841-1842) et dévoile à travers cette déclaration aux allures de sentence tout son ressentiment face au mensonge dont les hommes sont capables. Après Lisandre, c'est Lucidan qui se montre inconstant. Qu'ils soient dupeurs ou dupés, tous les personnages de *Lisandre et Caliste* croient à des mensonges. Tous les héros de cette pièce passent du rôle de feinteur à celui de « feinté ». Ainsi Hyppolite se joue de Lisandre en se faisant passer pour Caliste (V, 1) et lui donne une leçon qu'elle exprime en ces termes : Que l'on croid aysément tout ce que l'on desire ! (v.1713) Trahie par Lisandre, Hyppolite reproche à tous les hommes, et en particulier à son interlocuteur, leur inconstance. Hyppolite semble s'adresser à Lisandre et non à Lucidan (v.1591-1592) : le public comprend alors très bien que cette dernière a appris la supercherie dont elle est victime. Ces lois de l'ostentation et de la dissimulation posent les bases d'un phénomène plus général : l'opposition de l'être et du paraître, « de ce qu'on est et de ce qu'on montre » (J. Rousset). Lisandre aboutit ainsi à une sorte de négation de ce qu'il est, de son être intérieur au profit de son apparence : aussi est-il capable de tenir à Hyppolite des discours amoureux. Lisandre joue un rôle et peut ainsi feindre l'amour sans trahir Caliste. Nous pouvons distinguer finalement deux types de déguisement : un déguisement extérieur qui fait changer le héros ou l'héroïne de condition (Lisandre devient un mendiant puis un messager) ou encore de sexe (Hyppolite et Caliste se travestissent en chevalier) ; et un déguisement intérieur c'est à dire une dissimulation des sentiments (Lisandre face à Adraste et à Hyppolite). Nous pouvons souligner avec J. Rousset que « les opposés se rejoignent dans le travestissement » : la femme devient homme, à tel point (comme nous l'avons vu) qu'elle peut éprouver une confusion sur ses sentiments et sur son véritable sexe. Nous remarquons avec G. Forestier [38] que seuls les personnages féminins sont concernés par les relations équivoques, ce qui est le cas dans la pièce puisque seules les femmes se travestissent. En outre, l'attirance homosexuelle ne l'emporte pas sur l'attirance hétérosexuelle : le cœur d'Hyppolite est déjà pris par Lisandre. En outre, cette attirance est bannie du plan visuel. Hyppolite nous rapporte ses impressions après coup sans que le spectateur ait assisté à la scène, cette ambiguïté aurait pu choquer les dames. Le monde apparaît alors comme instable, chancelant et illusoire, s'il suffit de se déguiser pour douter de son identité. Car il est vrai que le romanesque aime à juxtaposer pour mieux les opposer les thèmes de l'apparence et de la vérité, du doute et de la confiance, de la fidélité et de l'inconstance. Dans *Lisandre et Caliste* certains de ces thèmes sont personnifiés par des personnages : Lisandre symbolise l'inconstance face à une Hyppolite représentant la fidélité. Ces personnifications permettent à l'auteur d'engager des faces à faces intéressants et porteurs de leçons (V, 1). Le foisonnement des antithèses souligne cette perpétuelle opposition : acte 3, scène 1, Adraste oppose le passé à l'avenir (v.775-780) et tente de concilier deux valeurs contradictoires, amour et raison (v.793-798). Ces figures de l'opposition permettent aux personnages d'exprimer le dilemme qui les tenaille ou leur douleur face à une violente déception (I, 1 : v.15, v.27, v.61-62 ; III, 1 : v.886; IV, 4 : v.1610-1612…). En outre, comme l'explique J. Rousset, la dissimulation se double d'un phénomène de « déguisement rhétorique » [39]. La métaphore devient alors la figure représentative par excellence de l'âme baroque. Elle est le point culminant de toute une rhétorique du bien dire qui consiste à ne pas nommer les choses par leurs noms. Elle est un déguisement dont le mérite réside dans la surprise que produit des associations de mots inhabituelles. Du Ryer utilise beaucoup de métaphores qu'il emprunte à une observation scientifique de la nature (v.669-672 : « Un astre enveloppé des voiles d'un nuage / Ne perd rien des clairtez qui sont en son visage; … » ; v.683-688 ; v.753-754 ; v.787-788) et n'hésite pas à les prolonger longuement, ce qui n'est pas sans lourdeur. La conception galante qu'a Du Ryer de l'amour ne le porte cependant pas, dans son système métaphorique, vers un monde pétrifié. Il préfère puiser ses images dans un monde mouvementé et vivant. Cependant le dramaturge utilise une rhétorique passionnelle à travers laquelle les personnages expriment leurs sentiments exaltés et cherchent à les faire partager au public. Dans les dilemmes, les longs monologues douloureux, les tirades passionnées, l'auteur n'hésite pas à employer un langage quelque peu outrancier et surchargé. Ces dilemmes appartiennent au genre délibératif. Partagé entre deux sentiments contradictoires, le personnage doit faire un choix. Il présente alors lui-même les arguments et les contre-arguments, comme s'il était à la fois lui-même et un autre. Les personnages, en passant d'une phrase à l'autre, changent brusquement d'idée (v.879-890, v.1073 : « Toutefois ne viens pas, … »), et dévoilent ainsi leur indécision et leur désarroi face à une situation inattendue. L'étendue des tirades manifeste la violence des sentiments qui animent les personnages et l'énumération, l'anaphore, le parallélisme, l'exclamation, l'interrogation oratoire… en accroissent le pathétique. Du Ryer utilise une rhétorique chargée de clichés : les flammes d'amour, les yeux, la femme divinisée, les comparaisons avec le soleil… expriment l'amour d'une manière précieuse. Comme de nombreux poètes, il éprouve le désir d'un embellissement emphatique, le besoin d'une célébration solennelle qui passe par l'utilisation outrancière de l'hyperbole et de l'emphase. Elle sert à décrire un état d'âme douloureux (v.265-270 : « Je demande à l'Amour dont j'adore les traces / Qu'il ne se lasse point de m'offrir des disgraces :… », v.557-558, v.618, v.868, v.1079-1082…), la beauté de la femme aimée et ses perfections (v.286, v.643-644, v.648 : « La parfaite union de ses plus beaux tresors »…) ou un comportement héroïque surprenant (v.1311 : « Invincible Amazonne, adorable en tous lieux, … », v.1325, v.1570-1571…). Mais ces métaphores restent banales. La comparaison de la femme aimée avec le soleil revient constamment (v.124, v.253 : « doux soleil de mon ame », v.669, v.671…). Le récit du naufrage permet à Lisandre d'aborder le thème de l'inconstance à travers l'image de l'eau (IV, 3). Les spectateurs se montrent sensibles aux surprises scéniques, à la rapidité de l'enchaînement des différentes aventures : ainsi tout dans la tragi-comédie se transforme et se met en mouvement. Le romanesque se retrouve dans les métaphores de mouvement qu'il emprunte au monde animal ou végétal, aux eaux mouvantes. Son monde d'images est à la fois animé et concret et le spectacle n'est animé que par ce mouvement. Tout est toujours en devenir, rien n'est figé dans cette stylistique : d'où l'intérêt de Du Ryer pour les dilemmes où nous voyons les sentiments, les résolutions d'un personnage évoluer sous nos yeux (Lisandre : I, 1 ; Caliste : III, 4…). ## L'homme comme jouet du destin. Perdue dans cette effervescence, la destinée humaine pleine de caprice et d'oscillation reflète la construction même de la pièce. Comme le dit J. Rousset: La destinée dans la tragi-comédie est une fée capricieuse et joueuse, méchante sans cruauté, qui marche en dansant et en ligne brisée, n'accablant l'homme que pour le relever, le jetant de péripéties en péripéties comme une balle dont elle s'amuse [40]. Lisandre, Caliste et Hyppolite font la cruelle expérience que rien n'est certain et que tout change ou du moins peut changer. Les héros sentent qu'ils ne sont plus maîtres des événements mais qu'ils sont leurs jouets. Persuadés d'être une « balle perdue entre les mains de dieux espiègles » (J. Rousset), les héros de Du Ryer se laissent porter par leur destinée si capricieuse et s'en remettent souvent au ciel. Ainsi à la scène première de l'acte V, Lisandre se plaint-il du revirement du sort (v.1851-1860). La fortune joue encore des tours à notre héros lors du naufrage qui, s'il paraît malheureux au début, s'avère vite favorable à son bonheur (II, 4 : v.1531-1532). Le roi se montre également prompt à invoquer le ciel dans ses discours (IV, 1 ; V, dernière). Caliste se plaint également à maintes reprises de sa destinée (I, 6 : v.385-388; III, 4 : v.1143-1146…). Ce comportement les rend particulièrement passifs. Lisandre n'a jamais à prendre son destin en main si ce n'est pour son premier duel, il laisse les autres (Caliste, Hyppolite, Adraste…) ou la bonne fortune (son naufrage heureux…) agir pour lui. Caliste se montre plus active, elle prend des décisions qui visent à influencer sa destinée ou celle de Lisandre (v.1099-1100). Cependant ses projets n'aboutissent jamais (IV, 1). Hyppolite semble réaliser ses désirs jusqu'à ce qu'une tierce personne (Lisandre, Béronte et Lidian…) empêchent leur aboutissement. La notion de mouvement et de changement est renforcée par le fait que Lisandre et Caliste ne sont pas les seuls à être mis en vedette par Du Ryer. Et ce à tel point que nous pourrions considérer Hyppolite comme la véritable et seule héroïne de cette pièce (Cf : Chapitre sur les personnages). Face à ces caractéristiques romanesques : la dissimulation et l'ostentation ou l'homme considéré comme un jouet du destin, la notion de temps constitue également un thème privilégié des tragi-comédies romanesques. ## Le temps. Du Ryer s'intéresse à l'écoulement du temps et au problème de la durée de l'action comme nous l'avons vu (Cf : Chapitre sur l'irrégularité). Il fait de nombreuses allusions chronologiques qui mettent en évidence cet écoulement du temps (v.110, v.290, v.294, v.313 ; v.390-391, v.404, v.442, v.451, v.522, v.702 ; v.898, v.935, v.994, v.1055 ; v.1645). Or la sensibilité romanesque est très attentive à la valeur du temps, à sa fuite qui constitue un des aspects angoissant du changement, de la transformation et de la métamorphose. Tandis qu'un artiste classique tend à éliminer le temps, à le réduire à un nombre minimum d'heures, la présence du temps est rendue comme sensible dans la tragi-comédie. La fuite du temps, le déguisement, la dissimulation des sentiments, la puissance de la destinée sur les héros sont des thèmes exploités par Du Ryer dans *Lisandre et Caliste*. Nous retrouvons dans le style, le traitement des personnages, la thématique, le choix de la tragi-comédie, une tendance certaine de Du Ryer pour une esthétique romanesque. Mais ce goût de l'artifice et du déguisement physique ou bien sentimental, pour l'ostentation, pour le jeu existent également dans les milieux mondains. Comme l'explique J. Rousset « la préciosité est la pointe mondaine du baroque » [41]. Les mondains aiment la parure et l'affectation et jouent un jeu de société. *Lisandre et Caliste* représente par certains aspects que nous avons développés le mouvement romanesque, mais nous pouvons également la définir, sans nous contredire, comme une tragi-comédie galante. # … Et galante. Nous pouvons observer dans les goûts, les manières et le langage d'une certaine élite de la société, le raffinement galant de cette époque. Il inclut un ensemble de comportements sociaux marqués par la convivialité mondaine, l'art de la conversation et l'idéalisation de la femme, mais il correspond également à une esthétique littéraire qui se distingue par un goût de l'expression recherchée. ## Une nouvelle conception du sentiment amoureux. Les mondains s'intéressent dès 1620 à un code de l'amour courtois établi par Pétrarque. Hantés par l'idée de la gloire, de l'honneur, de la vertu et de la suprématie individuelle, les Français trouvaient également dans Plutarque (*Les Vies Parallèles, Les Œuvres morales*…) les modèles auxquels ils pouvaient s'identifier ou dont ils pouvaient s'inspirer. La vie de salon en France permet la naissance d'un esprit de société et l'établissement de relations mondaines qui donnent une délicatesse nouvelle aux sentiments et rendent le langage pur. Elle façonne un goût prononcé pour l'élégance et la mesure. Parmi ces salons, nous pouvons compter l'Hôtel de Rambouillet, ouvert dès 1620, et qui jette son vif éclat de 1630 à la Fronde. Mme de Rambouillet (1588-1665) veut mettre en pratique les théories sur l'amour répandues par les romans, et tente de purifier ce sentiment afin d'en faire une passion raisonnable : projet dont nous pouvons retrouver certains aspects dans *Lisandre et Caliste* lors du discours qu'Adraste adresse à son fils (III, 1). Adraste dépeint l'amour de Lisandre et Caliste sous des jours défavorables (v.785-788 ; 797-798). Il utilise dans sa description de l'amour des termes qui donnent l'image d'un sentiment instable, déraisonnable et infernal, qui possède l'homme malgré lui. Face à ces images d'instabilité, de mensonge et de dissimulation, il oppose la constance de la raison et l'associe à l'accession au bonheur. Adraste condamne une attitude qui se rapproche de l'idéologie baroque, mais cet « amour nécessaire » (v.793), maîtrisé et régi par des lois, n'existe que comme un idéal. La passion de Lisandre s'accorde mal avec le rêve de mesure formulé par son père. Le raffinement galant se caractérise donc par la recherche d'un amour pur et platonique, il retrouve, à travers les romans de chevalerie, les Amadis, Pétrarque et les Italiens, les traditions chevaleresques de l'amour courtois et galant. Il exalte un idéal féminin : la femme héroïque, et un idéal masculin : l'honnête homme. ## Un amour raisonnable. Pierre Du Ryer témoigne dans sa pièce d'une conception galante du sentiment amoureux dont le pilier essentiel est la raison. Elle est perçue comme la seule force capable d'aider et de soutenir l'homme, même dans son amour. Elle doit être une force assez puissante pour maîtriser la passion et ses transports (III, 1 : Adraste v.793-798). Une telle conception de l'amour ne semble pas convenir à un amant qui se veut fidèle, constant et, en un mot, parfait (v.880). Car si la raison lui dicte d'épouser une autre dame, il n'écoutera que son cœur et préférera honorer sa maîtresse plutôt qu'une autre. Toutefois, l'aspect spontané et irréfléchi de l'amour de Lisandre et Caliste se transforme dès le moment où le héros, abusant d'Hyppolite (III, 2), devient calculateur et dissimulateur. Du Ryer exploite pour les héroïnes également, l'aspect passionnel que peut acquérir l'amour mais jamais d'une manière poussée. En effet, si Caliste et Hyppolite se travestissent et se battent pour Lisandre, elles ne sont cependant pas victimes d'une folie amoureuse ou d'une jalousie furieuse qui les entraîneraient à commettre des actes irraisonnés. Cet aspect se dévoile notamment en comparaison avec la source dans laquelle Caliste, passionnément éprise et jalouse, en perd presque la raison. L'amour-passion, avec tout le tumulte, le désordre, l'incohérence de ses éclats, s'est dégradé en amour raisonnable. Cet amour, éprouvé par des femmes, garde un aspect positif : il les pousse à agir et dévoile ainsi beaucoup de leur qualité. Contrairement au héros masculin, les femmes ne se laissent emporter qu'un temps par leurs sentiments et voient rapidement clair dans leur cœur. Elles ne sont aveuglées que momentanément par leurs émotions et retrouvent ensuite une lucidité qui leur permet de prendre de fermes décisions et de s'y tenir (Caliste : v.1109-1114 ; Hyppolite : v.1635-1642). Si elles songent à leur mort comme à un soulagement (v.1107-1108 ; 1167-1170 ; v.1737-1738; 1743-1748), elles désirent l'obtenir en combattant contre les ennemis de leur amant (v.1101-1110 ; 1630-1642). Face à la découverte d'une trahison, elles ne restent pas passives et cherchent à se venger, à punir avant tout. Il aura fallu toutes ces péripéties pour que l'amour de Lisandre se change enfin en un sentiment raisonnable : Mon Amour tient si fort de l'ame raisonnable Qu'il ne peut diviser sa flame incomparable (v.1801-1802) ## Une conception idéaliste du sentiment amoureux. Sentiment maîtrisé ayant la raison pour guide, l'amour n'apparaît plus, au travers de cette conception galante qui refuse les réalités charnelles, que comme le rapprochement de deux esprits. Dans les tragi-comédies, l'amour est l'affaire essentielle, aussi ce genre théâtral renoue-t-il avec les lois du roman courtois, les débordements excessifs de la passion amoureuse en moins. Les personnages se trompent et se réconcilient (Lisandre et Caliste : V, dernière ; Lisandre et Hyppolite : V, 1), s'aiment et résistent à l'amour, toujours dans l'abstraction c'est à dire dans l'uniformité d'une phraséologie galante qui revient dans chaque pièce selon des schémas répétitifs et monotones. Certains parmi les mondains recherchent un sentiment platonique et pur qui rejoint une conception intellectuelle de l'amour. Prédominante à la fin du XII*e* siècle, elle ne laissait « aux sens qu'une part secondaire » [42] Marsile Ficin ou encore Pétrarque incarnent cette conception qui pour Ficin devient une philosophie du chaste amour, « de la vraie et parfaite amitié » [43]. On recherche l'amour tout en condamnant la volupté : c'est chez Platon qu'esthétique et éthique se rejoignent pour former l'amour idéal capable d'exalter l'homme et de l'élever. La beauté du corps ne reflète qu'une beauté plus riche et plus pure : celle de l'âme. Les imaginations délicates, blessées par la réalité trop grossière, ont paré de tous les attraits la noblesse et la cour. Les esprits d'élite se complaisaient à cette évocation charmante et se reposaient, par cette élégance raffinée, des brutalités de leur vie quotidienne. La beauté extérieure a son importance car elle flatte la vue et provoque l'admiration de tous les hommes. L'amour entre en eux par les regards (Du Ryer fait d'ailleurs de nombreuses allusions aux yeux dans sa pièce) mais ce n'est que par la connaissance précise et éclairée des vertus de la dame et de ses mérites que se consolide ce sentiment. Comme un venin, la beauté de la dame pénètre par l'œil dans l'âme de l'amant; aussi aimer d'un amour réciproque c'est donner son âme en échange de celle de l'autre. Ainsi l'amant s'émerveille devant la beauté intérieure et extérieure, il la craint et la révère. Les évocations de Caliste par Lisandre témoignent parfaitement de cette idée (I, 1; II, 5 ; V). ## Une conception idéaliste de la femme. L'idéalisme de Du Ryer se découvre à la fois dans sa conception de l'amour et dans sa conception de la femme. Les théories de Platon qui donnent à la beauté une origine divine, Pétrarque avec Laure ou Ronsard avec Cassandre, ont tous contribué à faire de la femme un objet de culte. Du Ryer reprend cette conception et exalte la femme comme un être d'une essence supérieure, comme une maîtresse absolue. Nous avons d'ailleurs relevé dans les notes de nombreuses assimilations de Caliste à une déesse dans les discours de Lisandre (v.58 ; v.657 : « Caliste et ses vertus divinement escloses » ; v.664 ; v.691…) aussi bien que dans ceux d'Hyppolite (v.1820). Les femmes sont mises en valeur, elles défendent une conception de l'amour où le respect qu'on leur porte joue un rôle essentiel : elles deviennent les reines du monde, des divinités qu'on honore. L'adoration vouée à la femme est une image de celle que l'on voue à Dieu. Une femme attire, plaît et retient par ses charmes qui ne sont jamais détaillés en énumération. Ce pluriel englobe et résume tout, de façon vague et discrète. Il rime en outre avec des mots qui peuvent susciter des associations d'idées émouvantes ou frappantes : alarmes (v.885-886… ), larmes (v.1077-1078…), armes (v.1573-1574…), etc. Leur délicatesse naturelle, facile à blesser, les rend sensibles, même au menus détails : costumes, langage, manière. Elles observent et voient tout, saisissent promptement une lacune, un excès, un ridicule. Cette perspicacité s'illustre dans le personnage d'Hyppolite : elle a rapidement saisi, et ce malgré son amour, que Lisandre était un faible. Juge intransigeant, Hyppolite ne se laisse pas convaincre par la tentative de justification de son amant, faisant alors preuve d'une grande lucidité et d'une grande force de caractère (v.1791-1796). Aussi les femmes deviennent-elles à la fois les modèles et les juges du bon goût. Leur influence, dont nous avons parlé, sur les mœurs de l'époque et finalement sur les hommes s'illustre dans cette scène où Hyppolite donne à Lisandre une leçon de générosité et de sincérité que ce dernier ne manquera pas de retenir. Il était donc nécessaire de leur plaire pour réussir dans le monde. La femme se retrouve, par certains aspects, assimilée à un homme : dans les romans (Héliodore : *Théagène et Chariclée*, D'Audiguier : *Histoire tragi-comique de notre temps*…) ou dans les tragi-comédies (Rotrou : *La Belle Alphrède*, Du Ryer : *Lisandre et Caliste)*. Un type y apparaît constamment : la jeune fille qui joint à une beauté adorable une force physique insolite. Les femmes suscitent, dans les romans ou dans les tragi-comédies, l'« admiratio », la sympathie et le désir de les imiter. Elles font preuve d'une grande fidélité, du souci porté au plus haut point de leur honneur : aucun mérite ne justifierait un abandon au sens, une tache à leur gloire. Elles ne connaissent donc dans ce domaine ni concession, ni transaction. Comme l'explique P. D. Huet : En France, les dames vivent sur leur bonne foi, et n'ayant point d'autre défense que leur vertu et leur propre cœur, elles s'en sont fait un rempart plus fort et plus sûr que toutes les clefs, que toutes les grilles, et que toute la vigilance des duègnes … [44]. Cette exaltation de l'image de la femme implique que l'amant soit absolument fidèle à la maîtresse qu'il a choisie et à laquelle il doit respect et obéissance. Les hommes ont été obligés d'attaquer ce rempart par les formes, et ont employé tant de soin et d'adresse pour le réduire, qu'ils s'en sont fait un art presque inconnu aux autres peuples [45]. Ses mots d'ordre sont la discrétion et la réserve quelle que soit la force de son amour. Il ne pourra prononcer aucune parole, ni accomplir aucun acte qui compromettent l'honneur de sa dame. Comme le dit M. Magendie : « ce respect est une des premières ordonnances d'amour » [46]. Cet aspect se retrouve dans *Lisandre et Caliste* à la scène 4 de l'acte 1 dans un dialogue entre les deux héros (v.257-282). Du Ryer s'adapte à un nouveau type de société fait de délicatesse, où l'homme se montre respectueux envers la femme et utilise un langage plus châtié. ## Un langage galant. La langue est épurée, le désir de se distinguer mène souvent les poètes galants à l'abstraction. Selon G. Reynier : Les précieux et les précieuses de la grande époque n'ont fait que reprendre, avec plus d'aisance et un souci nouveau de la pureté et de la délicatesse, le langage figuré en faveur au commencement du siècle [47]. La délicatesse du goût exige des métaphores et des périphrases pour exprimer les sentiments. Images et métaphores qui sont parfois prolongées à l'excès (v.667-668, Orante est reprise par Lisandre v.669-674 et encore v.677-682). *Lisandre et Caliste* témoigne du désir qu'a Du Ryer de rendre son art utile et d'en faire, dans une moindre mesure, un exemple de morale à suivre. Cet aspect est suggéré par l'emploi fréquent des sentences et maximes : ces lieux explicites se présentent comme des arguments tout faits. Le goût pour la poésie morale et didactique persiste dans la première moitié du XVII*e* siècle durant laquelle les Français aiment encore recevoir des enseignements moraux. Aussi le public du XVII*e* siècle apprécie-t-il de trouver au théâtre des sentences, comme l'explique Hardy en 1628 : « ... le secret de l'art est un grave mélange de belles sentences qui tonnent en la bouche de l'acteur et résonnent jusqu'en l'âme du spectateur » [48]. Comme Honoré D'Urfé ou Georges de Scudéry, Hardy estime que la sentence a pour objet essentiel de plaire mais qu'elle peut aussi se montrer utile. Du Ryer suivra l'exemple de son aîné sur ce point. Corneille et D'Aubignac les justifient par leur valeur morale puisqu'elles contribuent à enseigner la vertu. Leur intérêt réside surtout dans leur adaptation à la situation particulière où elles sont employées. Expression d'une idée générale et abstraite, la sentence proclame une loi qui peut toucher le domaine de la morale (v.1189-1190 : « La mort n'est pas un mal qui ne trouve point d'ayde, / L'honneur qui fait revivre en est le vray remede. »…), de la politique (v.1877-1880…), de l'expérience commune (v.723-726…), le bon sens (v.739-742, v.757-758…) ou autre. Elle constitue un discours absolu et autonome, elle passe pour une parole de vérité, pour un discours d'un niveau universel. Elle se caractérise grammaticalement par une forme impersonnelle, sans lien avec les personnages de la pièce, au présent dit « historique » . Elle est contenue dans une phrase complète et n'est rattachée par aucun adverbe, aucune conjonction… à son contexte. Les noms, les pronoms et les compléments qui y figurent lui donnent une portée générale. Du Ryer les emploie volontiers pour exprimer ses conceptions de l'amour (v.787-788, v.871-872 : « Tous les commandements que l'on nous fait d'aymer / En esteignent l'envie au lieu de l'enflammer. », v.881-882…), de l'amitié (v.825-826, v.831-832…), de la calomnie (v.665-668…)… ## Les aspects négatifs du sentiment amoureux. Selon Charron, la passion perçue comme un tourment pour l'homme constitue un thème qui connut une grande fortune littéraire. Puisque chaque amant possède l'âme de l'autre, celui qui se sent moins aimé croit mourir (Caliste : v.1078-1080, v.1451-1458 ; Hyppolite: v.1729-1730). L'amour implique également la perte de sa liberté, de son indépendance comme le déclare Hyppolite (III, 2 : v.916-920). Même si cette disparition paraît agréable (III, 2 : v.925-926), elle crée un lien de dépendance qui entraîne souvent la douleur. Aussi découvrons-nous un paradigme d'anti-valeurs tout au long de la pièce où l'amour devient un synonyme de larmes, de souffrances, de désir de vengeance ou de mort. Ainsi dans les monologues de Caliste (III, 4 ; IV, 2) et d'Hyppolite (IV, 4), les deux héroïnes se plaignent-elles de l'hypocrisie de Lisandre. Elles projettent de désespérer le perfide par leur mort. Ces deux amoureuses, l'une en voulant mourir de la main de son amant volage (Hyppolite), l'autre désirant mourir en combattant pour lui, veulent se venger judicieusement et frapper fort. Machiavéliques, elles ne se contentent pas de désespérer leur amant par leur simple disparition. Que Lisandre soit la cause directe ou indirecte de leur mort leur semble un projet de vengeance beaucoup plus cruel et donc plus satisfaisant. Caliste recherche une mort « officielle », résultat d'une action en justice et qui dévoilerait à la face du monde l'inconstance de son amant (v.1103-1104). La douleur causée par la déception amoureuse reste présente et active. Caliste se plaint de l'infidélité de Lisandre au cours d'un monologue où éclate toute son amertume (III, 4), la déception d'Hyppolite se dévoile au cours d'un dialogue avec Lucidan (IV, 4). Ces deux héroïnes sont profondément touchées de l'inconstance de Lisandre et peu enclines à lui pardonner. Malgré les explications du valet de Lisandre, Caliste déclare : Tes raisons paraistroient plus fortes que ma flame Avant que d'arracher le soupçon de mon ame. (v.1153-1154) Hyppolite, quant à elle, reste lucide face à Lisandre et refuse d'excuser son attitude : Vostre infidelité ne se peut excuser, Vous pouviez bien me voir et non pas m'abuser… (v.1791-1792) Désespoir qui peut aller jusqu'à l'envie de mourir afin de punir l'amant infidèle: Caliste (v.1105-1114) ou Hyppolite (v.1731-1736). On observe une complaisance chez l'être qui souffre à se dire plus malheureux qu'il n'est en réalité : d'où les nombreuses hyperboles qu'utilisent Du Ryer pour peindre la douleur de Caliste (v.1437-1438 ; v.1440-1458), ou de Dorilas (v.556-567 ; v.617-618 : « … ; ô deitez supremes / Donnez quelque relàche à mes ennuis extremes » ; v.714-715). L'aspect illégitime de l'amour de Lisandre pour Caliste n'apparaît qu'au premier acte de la pièce (I, 1 : v.1-36 puis v.49-58 ; I, 6 : v.341, v.347-354). Il est vrai que la mort de Cléandre rend leur amour possible, cependant, non seulement il n'est nullement question de deuil, mais la brutalité avec laquelle Caliste change de sentiment surprend. Les deux héros s'affichent comme des amants dès l'emprisonnement de Caliste (II, 3) et la question de la légitimité de leur passion ne se pose plus. Du Ryer s'attache en effet à faire de leur amour un sentiment idéalisé et donc loin de toute amoralité (Cf : note 44). Les auteurs dramatiques se sont montrés très intéressés par les préliminaires de l'amour, par les problèmes qu'il pose aux amants, suivant en cela la tradition des romans d'aventures et de mœurs modernes de l'époque. Du Ryer nous présente dans *Lisandre et Caliste* des personnages tourmentés par un amour aux traits galants et précieux : plus raisonnable que celui de l'amour courtois, intellectuel et idéalisé plutôt que charnel. Le succès d'une telle conception du sentiment amoureux va de pair avec la nouvelle conception que le XVII*e* siècle se fait de la femme. Honnêteté et galanterie impliquent un certain type de héros et d'héroïne, une certaine conception de l'amour mais aussi un certain type de langage et de style. Romans et tragi-comédies tiraient leur succès d'une idéalisation des personnages et de leurs sentiments, et s'éloignaient ainsi de la grossièreté, du pittoresque du langage de Rabelais, de Montaigne… Les écrivains du premier tiers du XVII*e* siècle passent à un langage abstrait, métaphorique et imagé. *Lisandre et Caliste* peut être définie comme une tragi-comédie galante dans la mesure où son auteur se trouve influencé par l'idéologie qui régnait dans les salons. La galanterie de Du Ryer se révèle essentiellement dans sa conception de la femme qu'il divinise totalement, dans l'honnêteté dont font preuve tous les personnages masculins, dans sa conception de l'amour et dans certains aspects de son style. Les critères d'une œuvre baroque se définissent par les notions d'instabilité, de mobilité et de métamorphose. Le Baroque, esthétique du changement, de la luxuriance et d'une certaine liberté attire les auteurs de la nouvelle génération qui voient dans la tragi-comédie un genre libre. Ils considèrent cette liberté comme un enrichissement, comme la promesse d'expériences intéressantes. Cependant si beaucoup de critères d'appartenance au mouvement baroque se retrouvent dans *Lisandre et Caliste*, ils ne sont pas suffisamment essentiels et nombreux pour la classer comme telle. Ces caractéristiques correspondent plus au désir qu'a Du Ryer de plaire à son public et de suivre le goût de l'époque, qu'à une volonté marquée de l'auteur d'affirmer son appartenance à ce mouvement. Malgré des traits communs, Baroque et Préciosité s'opposent plus qu'ils ne se rejoignent. Le Baroque est « l'unité mouvante d'un ensemble multiforme » (J. Rousset), définition pour le moins large d'un phénomène immense encore mal dominé. Aussi avons-nous préféré nuancer et définir notre pièce non comme l'alliance du Baroque et de la Préciosité, mais comme l'alliance du romanesque et de la galanterie. # Le texte de la présente édition. ## Établissement du texte. Pour l'établissement du texte de *Lisandre et Caliste* de 1632, nous nous sommes livré aux rectifications suivantes : * – nous avons distingué i et u voyelles de j et v. consonnes, conformément à la règle adoptée par certains dès le milieu du XVII*e* ; * – nous avons décomposé les voyelles nasales surmontées d'un tilde en voyelle + consonne, les ß en ss ; * – nous avons supprimé quelques erreurs manifestes dues à l'imprimeur. Nous avons gardé la ponctuation primitive, sauf dans de rares cas où elle semble fautive, notre but étant de restituer le côté orale de la ponctuation de l'époque, employée surtout pour le rythme qu'elle pouvait conférer à la phrase. Les éditions originales de la pièce donnaient les indications scéniques en marge. Ne pouvant conserver cette disposition, nous les avons disposées, selon l'usage moderne, en italique dans le texte. Les notes de bas de page indiquant les variantes se réfèrent toutes à la réédition de Lisandre et Caliste datant de 1634 par Pierre David. ## Rectifications. Nous exposons ci-dessous une liste des erreurs et coquilles remarquées et corrigées dans les textes que nous proposons : ### I. D. Ligne 2 a ### Extraict du Privilège du Roy. Ligne 22 trene ### Argument. Lignes 13, 15, 16, 18, 36 a / 25 Lon ### Lisandre et Caliste. Vers 13 Puisje / 35 atoute heure / 73 Cest / 94 à marié / 100 maymes / 136 Destre / 142, 690, 733, 1268 quelle / 197 men / 277 sainct / 340, 752 lon / 347 apppris /381, 1526, 1610 aveques / 390 n'avoit/ 400 lor / 401 largent / 403 ma promis / 503 me la dit / 631 il la ruiné / 678 alume / 824 extrêmes / 888, 1353, 1524, 1868, 1941 extréme / 939 sont / 1012 toute a l'heure et faict / 1033 E / 1106 indicrets / 1118 ma chargé / 1120 décrit / 1128 qu'elle / 1143 ames / 1191 l'auriers / 1207 Quil / 1238 l injure / 1257 Le travailles / didascalie p87 Hipolite, 846, 890, 921 hyppolite / 1328 de leurs ames / 1417 ce peu de bien / 1551 r'asseure / 1590 empruntéz / 1601 Ma montré / 1609 ny / 1869 pl*9* / 1881 peule . Acte II, scène 4 LIDIAS . Acte III, scène 3 LIDIAN (répété après v. 1003) Nous avons introduit les accents diacritiques toutes les fois qu'ils étaient nécessaires : * – pour le a : vers 40, 57, 80, 108, 136, 138, 183, 195, 242, 250, 265, 268, 295, 338, 340, 344, 356, 374, 378, 394, 407, 410, 449, 457, 458, 465, 469, 482, 488, 489, 501, 520, 525, 531, 534, 576, 589, 618, 621, 656, 680, 685, 688, 701, 731, 735, 739, 765, 767, 786, 816, 838, 839, 840, 855, 862, 875, 878, 882, 896, 903, 922, 927, 931, 945, 963, 1029, 1045, 1073, 1110, 1121, 1150, 1151, 1158, 1175, 1180, 1206, 1211, 1234, 1249, 1306, 1317, 1319, 1321, 1337, 1341, 1351, 1364, 1383, 1386, 1401, 1440, 1447, 1455, 1456, 1469, 1492, 1535, 1578 (2), 1585, 1607, 1718, 1741, 1846, 1858, 1899, 1933. Page 36 (didascalie). * – pour le ou : vers 35, 38, 44, 45, 48, 67, 73, 110, 111, 129, 158, 174, 177, 186, 206, 306, 342, 365, 371, 382, 404, 413, 419, 444, 506, 507, 508, 530, 548, 603, 673, 783, 826, 832, 897, 976, 1027, 1028, 1040, 1089, 1176, 1191, 1265, 1335, 1366, 1442, 1448, 1451, 1459, 1465, 1472, 1498, 1520, 1566, 1569, 1608, 1624, 1637, 1664, 1666, 1684, 1809, 1831, 1840, 1926, 1945. Nous avons supprimé les accents diacritiques introduits à la suite d'une erreur d'impression : pour le à : vers 1387, 1716, 1914. ## Les éditions de *Lisandre et Caliste*. Du Ryer Pierre, *Lisandre et Caliste*, Tragi-comédie : Par le S*r* du Ryer. Paris, Pierre David, 1632. In-8, VIII f. - 137-I I I p. (I) LISANDRE / ET / CALISTE / TRAGI-COMEDIE / Par le S*r*. DU RYER. /  vignette / A PARIS, / Chez PIERRE DAVID, au palais sur / le petit Perron de la grand'Salle du / costé des Consultations. / M. DC. XXXII. / *AVEC PRIVILEGE DU ROY.* (II) verso blanc (III - IV) A MADAME, / MADAME / LA DUCHESSE DE / *LONGUEVILLE.* (épître dédicatoire). (V. - VI) A / MONSIEUR DU RYER, / SUR SON LIVRE. / STANCES. (compliment de Simon Basin sur la pièce) . (VI) A L'AUTEUR / SUR SON LIVRE. (compliment d'Isaac Du Ryer sur la pièce). (VII) *Extraict du Privilege du Roy.* (avec l'achevé d'imprimé au 5 août 1632). (VIII) verso blanc (IX - X) A SON AMY DU RYER / SUR SON LIVRE. (compliment de Colletet sur la pièce). (X) A SON AMY DU RYER / SUR SON LIVRE. (compliment de Villeneuve sur la pièce). (XI - XIII) ARGUMENT. (XIV) LES ACTEURS. _ 137 pages (le texte de la pièce). Paris, Bibliothèque Nationale : 8 Yth. 10248 (1) et Yf. 685 z ; Londres, Bibliothèque du British Museum : 86. a. 2. (3.) ; Bibliothèque de l'Arsenal : 4 BL 3433 (1) et Rf. 6084 ; Harvard University : ⁎FC 6 _ D 9398 _ 632 La. Du Ryer Pierre *Lisandre et Caliste*, Tragi-comédie : Par le S*r* du Ryer, Paris, Pierre David, 1634. In-8, VIII f. - 134 p. (I) LISANDRE ET CALISTE / TRAGI-COMEDIE / Par le S*r*. DU RYER. / vignette / Joute la copie imprimée / fin de la vignette / A PARIS. / Chez PIERRE DAVID, au Palais, / sur le petit Perron de la grand'Salle du / costé des Consultations. / M. DC. XXXIV. / Avec permission des Seigneurs. (II) verso blanc. (III - V) *A MADAME*, / *MADAME* / *LA DUCHESSE de Longueville*. (épître dédicatoire). (VI - VII) A MONSIEUR / DU RYER / STANCES. (VII) A L'AUTEUR, / sur son Livre. (VIII - IX) A SON AMY DU RYER, / sur son Livre. (IX) A SON AMY DU RYER, / sur son Livre. (X - XIII) ARGUMENT. (XIV. - XV) ACTEURS / vignette. _ 134 pages (le texte de la pièce). Grenoble, Bibliothèque Municipale : E. 29552. # LISANDRE ET CALISTE TRAGI-COMEDIE. ## EPISTRE A MADAME, MADAME LA DUCHESSE DE LONGUEVILLE [49]. MADAME, depuis que j'ay fait le dessein de vous faire voir de mes ouvrages, je l'ay cent fois quitté, & cent fois je l'ai repris ; vos vertus, qui ne vous font avoir que de haultes & serieuses pensees, m'en ostoient la hardiesse, & votre bonté, qui vous fait jetter les yeux sur les plus petites choses, me la rendoit au mesme instant. Mais en fin ayant consideré que les regles et les preceptes de la plus severe vertu ne deffendent pas les honnestes [50] divertissemens, je me suis facilement persuadé que Caliste pouvoit paraistre devant vous. C'est elle, MADAME, qui vous vient entretenir de ses traverses⁎ et qui vous demande apres toutes ses peines une place dans vostre cabinet pour y reposer seurement. Si elle tente de cette façon la derniere et la plus difficile de ses aventures, au moins elle a cette asseurance que c'est la plus glorieuse, et que si les autres luy ont fait aquerir l'estime d'un peuple entier, celle cy luy fera sans doute avoir des applaudissemens de tout le monde. L'on jugera de son merite par l'accueil que vous luy ferez, et pour moy j'auray subjet de croire que je vaux quelque chose si vous faites estat du dessein que j'ay de vous divertir⁎, et de paraistre [51]. MADAME,< vostre tres-humble et tres-obeissant serviteur. > DU RYER ## A MONSIEUR DU RYER, SUR SON LIVRE. STANCES. Veux-tu que l'amitié qui conjoint nos deux ames Te donne en ce lieu-cy des sentimens de flammes, Et que sans artifice elle t'ose parler ; Sçache que ton ouvrage est aimable en ses charmes, Qu'on y voit de beaux vers et d'aussy belles larmes, Mais qu'un objet plus saint les feroit mieux couler . Ce dieu qui voit par tout ses images tracees Ne t'a communicqué de si rares pensees, Qu'à dessein de te voir triompher quelque jour, Non point dans les combats de Caliste et Lisandre, Mais dans ces grands projets qui le firent descendre, Alors que sa justice attaquoit son amour. Hà que ton grand genie eut remporté de gloire Dans le divin recit d'une telle victoire, Où son amour enfin demeura le plus fort ; Et que cette justice eut paru dans sa fuitte, Si Du Ryer eut presté les larmes d'Hyppolite Pour luy faire pleurer sa honte en cet effort. SIMON BASIN [52] Conseiller et Ausmonier de leurs Majestés. ## A L'AUTEUR SUR SON LIVRE. Ainsy l'un par l'autre s'honnore, Ainsi l'un à l'autre est tenu ; Lisandre par toy vit encore, Et par luy ton nom est cogneu. I. D. [53] ## Extraict du Privilège du Roy. Par grace et Privilege du Roy, Il est permis à Pierre David marchand Libraire à Paris, d'imprimer ou faire imprimer un livre intitulé *Lisandre et Caliste Tragicomédie*, & ce pendant six ans à compter du jour que ledit livre sera achevé d'imprimer, & cependant deffences à tous Libraires, Imprimeurs tant de ce Royaume qu'autres estrangers, d'imprimer, vendre ny distribuer ledit livre ny partie d'iceluy, sinon de l'impression qu'auroit fait faire ledit David, ou autres ayans droit & authorité de luy, à peine de mil livres d'amande & de confiscation des exemplaires, & de tous despens, dommages & interests, comme plus à plain est porté dans ledit Privilege, à la charge que ledit exposant mettra deux exemplaires en nostre Bibliotheque. Donné à Paris le XX. jour de Juillet de l'an de grace mil six cens trente deux, et de nostre regne le vingt troisiesme. Par le Roy en son Conseil, OLIER.< Achevé d’imprimer le cinquiesme jour d’Aoust mil six cens trente deux. > ## A SON AMY DU RYER SUR SON LIVRE. Que tu vas recueillir de gloire Des belles bouches de la cour, Maintenant que tu mets au jour Ceste miraculeuse histoire ! Quoy que Lisandre creut de soy Son renom serait mort sans toy, Tu charmes l'ennuy qui le trouble Et jusques dans l'eternité Tes vers luy rendront bien au double Ce que sa Prose t'a presté. Voir la beauté de ton Theâtre Et n'en point aimer les attraits, C'est estre insensible à des traits Dont je fais vœu d'estre Idolâtre. Tu parles comme font les Dieux ; Et te voyant si prés des Cieux De qui la faveur t'est bien deuë Tu nous fait justement douter, Si ta Muse en est descenduë, Ou si c'est qu'elle y veut monter. < COLLETET Guillaume Colletet (1598-1659) : grand ami de P. Du Ryer. Ce poète était un familier de nombreux cercles littéraires et fut lié d’amitié avec les poètes les plus divers. Un des poètes les plus actifs de la jeune génération, il fut l’animateur du cercle des Illustres bergers. Il recherche sa voie dans un modernisme modéré, ainsi il accepte la réforme malherbienne en ce qui concerne la prosodie et la langue mais reste un défenseur de la vigueur et de la verdeur de l’ancienne poésie. Il fut également un des fondateurs de l’Académie française et le premier historien de la littérature française.. > ## A SON AMI DU RYER SUR SON LIVRE. Ce que Caliste avoit de beau Cedoit à la parque cruelle, Quand Du Ryer l'exemptant de l'oubly du tombeau, La rendit immortelle. < VILLENEUVEIl s’agit de J.C. de Villeneuve (d’après A. Adam, Histoire de la littérature française au XVIIème siècle, p. 428).. > ## ARGUMENT. Apres quelques accidens, qui seront peut-estre plus agreables dans la lecture des vers que dans celle d'un argument qui doit estre court, Cleandre mary de Caliste est tué de l'espee mesme de Lisandre qui aymoit Caliste. Elle est accusee d'avoir conspiré cette mort & mise prisonniere en mesme temps. Lisandre en est adverty & après l'avoir retirée de prison par le moyen du Geolier, & l'avoir rendue à ses parens, il s'en retourne chez les siens où son pere le veut marier avec Hyppolite : Mais il fait en sorte qu'il abandonne son pays, afin que le respect & l'obeissance, qu'on est obligé de rendre à ceux de qui l'on tient la vie, ne fut point cause qu'il manquast de fidelité à Caliste qui l'aymoit.Cependant Lucidan l'accuse d'avoir lâchement tué Crisante & Cloridan ; mais Lidian son amy & frere de Caliste obtient du Roi qu'il se viendra purger par un combat de cette lacheté dont on l'accuse. Il va donc chez Adraste pere de Lisandre, à qui il compte le sujet de sa venuë. Adraste ayant entendu le rapport de Lucidan se resout [56] de venir luy mesme soustenir l'innocence de son fils. Hyppolite, qui aymoit Lisandre, fait le mesme dessein sans le communiquer à personne, & Caliste à qui l'on avoit dit que Lisandre aymoit Hyppolite, desesperee de cette nouvelle se resout de se battre afin de mourir au combat ; Lisandre lui escrit mais elle n'adiouste point de croyance à ses lettres. Elle luy respond, & commande à celuy qui devoit porter la response de ne point partir sans avoir veu ce qui se feroit au combat, ou Hyppolite seulement sans estre cogneuë pour fille se battit contre Lucidan (qui en devint amoureux quelques temps apres). Caliste l'ayant veuë se retire desesperee, & cepandant l'on recognoit l'innocence de Lisandre en ce qui touchoit Crisante et Cloridan, & le Roy sçachant que la mort de Cléandre empeschoit Lisandre et Caliste de paraistre declare qu'il veut estre leur juge & leur donne la cour pour prison. L'on cherche Caliste, on la trouve, elle contracte amitié avec Hyppolite contre l'opinion de tout le monde, & pour luy tesmoigner qu'elle luy cedoit en tout elle luy fait present de ses armes. Mais Hyppolite faschee de voir Caliste plus belle qu'elle, en devient jalouse, et se retire de la cour afin de chercher Lisandre couverte des armes de Caliste, elle le rencontre accompagné du meurtrier de Cleandre ; Lisandre au rapport de son valet la prend pour Caliste & n'est pas si tost detrompé qu'il est une autre fois abusé, car il se bat contre elle pensant que ce soit Lucidan. Mais en fin il la recognoit, elle luy reproche son infidelité, Lisandre s'excuse si bien qu'elle en a pitié & luy promet de ne le point troubler en ses premieres amours, & qu'au contraire elle le servira ; Il passe en mesme temps un courrier de qui l'on apprend qu'un nommé Varasque doit vanger par un combat la mort de Cleandre dont on accuse Lisandre & Caliste. De sorte que cela oblige Lisandre & Hyppolite à se rendre promptement à la cour, ou par la deposition de celuy qui avoit tué Cleandre l'on est asseuré de l'innocence de Lisandre & Caliste, dont le Roy fait luy mesme le mariage, ainsi que celuy d'Hyppolite & de Lucidan. ## LES ACTEURS [57]. – LISANDREAmoureux de Caliste – CRISANTEAmy de Cloridan – LEONAmoureux de Clarinde – CLARINDESuivante [58] de Caliste – BERONTEFrere de Cleandre – ALCIDONAmy de Lisandre – CLEANDREMary de Caliste – CALISTE – LE BOUCHER – LA BOUCHERE – LE GEOLIER du petit Chastelet – DORILASPere de Caliste – ORANTEMere de Caliste – ADRASTEPere de Lisandre – LIDIANFrere de Caliste et amy de Lisandre – HYPPOLITEAmoureuse de Lisandre – LE ROI – LUCIDANAmy de Crisante et de Cloridan – VARASQUEAmy de Cleandre – LE VALET de Caliste – UN PAGE – UN COURRIER – ## ACTE PREMIER. ### SCENE PREMIERE. LISANDRE , CRISANTE LISANDRE [59]. Indiscrets mouvemens⁎ d'une Amour insensee Ne sortirez vous point de ma triste pensee ? Le funeste⁎ entretien de mes feux criminels Ne me doit-il donner que des maux eternels ? Estoit-il arresté [60] qu'une beauté fatale⁎ M'eschaufferoit le sang d'une flame brutale ? Et qu'en fin mon esprit infidelle à son tour Trahiroit l'amitié pour se rendre à l'amour ? Cruelles passions⁎ qui mettez dans mon ame Les froideurs du respect, et l'ardeur de la flame, Formez de vos pensers froids et chauds en effet Un foudre⁎ necessaire à punir mon forfait. Puis je aymer d'un amy la moitié legitime Sans meriter un feu qui punisse mon crime ? Amour [61] que mon destin se fait bien detester ! Je ne te puis souffrir, et ne te puis quitter : [62] Termine donc les jours du malheureux Lisandre, Laisse toy desormais estouffer dans ma cendre, Et souffre que je meure avecque ce plaisir D'avoir eu sans effet⁎ un si lasche desir. Mais helas c'est en vain que je conçoy l'envie De finir dans mes feux ma miserable vie, Ils tiennent en ce point de celuy de l'enfer Qu'ils me bruslent tousjours sans pouvoir m'estouffer. Caliste est dans mon cœur, Cleandre est avec elle En danger de perir dans ma flame immortelle, Tantost l'amour l'emporte, et tantost l'amitié, Quelques fois leur accord le [63] divise à moitié : Mais en fin l'amitié n'y doit plus rien pretendre, Les charmes de Caliste en ont chassé Cleandre, Non, non, le seul amour, et les brasiers ardans Ont bruslé son pourtrait [64] que j'avois là dedans, Et bien que tous les jours l'amitié le refasse, L'amour beaucoup plus fort à toute heure l'efface, Et me donne des loix où je voy tant d'appas Qu'il faut y consentir ou bien ne vivre pas. Pourquoy voudrois-je aussi retirer ma franchise⁎ De ces belles prisons où Caliste l'a mise ? Elle sçait mon martyre, et ses chastes discours Ne travaillent jamais qu'à me donner secours, C'est toutes fois en vain que sa voix me console, Mon mal n'est pas de ceux que guerit la parole. Qu'ay-je fait insensé de songer à guerir Où l'honneur outragé me condamne à mourir ? Où la raison [65] employe un remords legitime A me peindre par tout la grandeur de mon crime ? Mais bien qu'elle m'accuse au fort de mes ennuis⁎ Et condamne l'exceds des transports où je suis, Les attraits de Caliste à qui rien n'est semblable Autorisent mon crime, et le rendent aymable⁎. Que je sois insensé, que je sois criminel Et digne mille fois d'un tourment eternel, Si dedans mes desseins mon amour est un vice, Son feu qui fait mon crime est aussi mon supplice. Ne puis-je pas enfin sans me rendre suspect Unir à mon Amour l'honneur et le respect, Et sans m'abandonner à mes longues tristesses Aymer tant de beautez comme on fait les Deesses [66] ? Mais qu'il est mal-aisé pres d'un bien si charmant D'avoir un cœur humain sans l'aymer autrement ! Sa divine douceur veut que je persevere Et sa pudicité ne veut pas que j'espere, Sa beauté me contente et me rend malheureux ; Mais quelqu'un interromp mes pensers amoureux. CRISANTE. Cloridan outragé de la seule memoire, Qui met devant ses yeux sa honte et votre gloire⁎, Vous donne ce cartel⁎ où sa main a tracé Tous les ressentiments d'un esprit offencé. [67] LISANDRE. Cloridan se fait tort de croire la vengeance Qui promet à son mal une fausse allegeance⁎ , J'accepte toutes fois le deffit qu'il me fait, Et me voila tout prest d'en venir à l'effet⁎ , C'est parmy les combats où [68] la gloire⁎ se fonde. [69] CRISANTE. Trouvez donq un amy dont le bras vous seconde. LISANDRE. Pour avoir trop d'amis qui soutiennent mes droits La raison me deffend d'en faire icy le choix, Je ne puis employer un bras à ma deffence Que l'autre mal content aussitost ne s'offence. CRISANTE. Ce n'est pas la raison qu'estant avecques vous Je ne sois employé qu'à juger de vos coups [70] ; J'ayme mieux que mon sang colore un paysage Que la honte s'en serve à rougir mon visage. LISANDRE. Je sçais bien sans second terminer un combat ; Mais si vous desirez paraistre en cét esbat, Alors que Cloridan aura perdu la vie Je pourray contenter vostre loüable envie. CRISANTE. Je suis donc en estat d'attendre bien long temps, LISANDRE. Et vous et votre amy je vous rendray contens. [71] ### SCENE DEUXIESME. LEON, CLARINDE, PAGE, BERONTE LEON. Clarinde je sçay bien que mon ame asservie Doit à ton amitié⁎ le bonheur⁎ de ma vie, Je sçay bien que tes yeux sans feinte et sans rigueur N'ont jamais approuvé de me voir en langueur ; Mais tu sçais bien aussi, beau subjet de mes flames Que le consentement a marié nos ames, Et qu'Hymen apres luy nous permet de gouster Les plus secrets plaisirs, qu'on puisse souhaiter. Tu me les a promis, et pour moy je confesse Que tout mon bien consiste en ta seule promesse, Mille difficultéz te semblent arrester Mais si tu m'aymes bien tu les peux surmonter ; Chasse donq loing de toy tout ce qui te resiste. CLARINDE. Leon, comment cela demeurant [72] chez Caliste ? Le debuoir qui m'oblige à la suivre tousjours Est le seul ennemi qui choque nos Amours. Mais sans plus nous flatter⁎ par de vaines attentes Je puis rendre bien tost nos deux ames contentes. LEON. Que dis tu mon soucy, quand viendra ce moment Que reserve l'amour à mon contentement ? CLARINDE. Caliste doibt passer la nuit avec Cleandre, Et me laissera seule où je te veux attendre, LEON. Où mon cœur ? [73] CLARINDE.         En sa chambre, et pour y parvenir Escoute les chemins qu'il te faudra tenir. Alors que le soleil cachera la lumiere J'ouvriray du jardin la porte de derriere, Et par la cette nuit tu viendras avec moy Reconaistre en effet que Clarinde est à toy. Y pourras tu venir ? LEON.         J'y viendrois ma chere Ame [74] Me fallut-il passer les ondes et la flame, Mon amour est extreme, et tu merites bien Que pour te posseder on n'apprehende rien. CLARINDE. Ainsi je t'attendray. LEON.         Tu ne m'attendras guere ; Mais j'attendray beaucoup une faveur si chere. PAGE. Clarinde. CLARINDE.     L'on m'appelle, adieu. LEON.         N'est-il pas nuit, Puis que je voy desja mon soleil qui s'enfuit ? [75] Mais que voudroit [76] Beronte ? BERONTE.         Amy je viens d'apprendre Que quelques malcontents ont appellé Lisandre, Mais allons tesmoigner que l'honneur glorieux⁎ Ne fait pas moins d'amis qu'il fait voir d'envieux. LEON. Où se fait le combat ? BERONTE.         Derriere la montaigne Qui separe le bois d'avecques la campagne. LEON. Allons donq sans remise⁎, en pareils mouvemens⁎ Un moment differé fait de grands changemens. ### SCENE TROISIESME [77]. CRISANTE, LISANDRE, LEON, BERONTE CRISANTE. Ha Cloridan est mort ! Son corps qui se consomme [78] N'est plus rien maintenant que le reste d'un homme, Mais son sang espanché ne m'accuse-il pas D'estre si paresseux à vanger son trespas ? LISANDRE. O mal'heur ! mon espée au besoing desmontee⁎ Refuse son secours à ma force arrestee. Mais de quelque peril qui me puisse assieger Celle de Cloridan me pourra desgager. [79] Crisante ne croy pas dedans cette entreprise Pour [80] venir d'un amy quelle te favorise, Mais as tu bien pour luy tant de ressentiment Que tu vueilles en fin le suivre au monument⁎ ? CRISANTE. Lisandre [81] les discours sont des armes de femme, Aux hommes genereux⁎ l'usage en est infame⁎. LISANDRE. J'ay fait voir des effets⁎ avecques mes discours. Il se battent CRISANTE. Je te suy Cloridan, la mort finit mes jours. LISANDRE. Va dire à ton amy dans les nuits infernales, Qu'il n'avoit pris pour toy que des armes fatales Et que le mesme bras qui sceut en triompher T'a fait son compagnon au voyage d'enfer. Mais apres tant de morts ma seureté consiste A prendre un bon conseil de Cleandre et Caliste. [82] BERONTE. Ce sang qui fait changer à l'herbe de couleur Me fait apprehender quelque insigne⁎ malheur. Cherchons de tous costez ne laissons point de place Où nos pieds diligens n'impriment quelque trace. LEON. Mais n'entendez vous pas quelques tristes soupirs Qui me semblent venir d'ailleurs que des Zephirs ? CRISANTE. Passans qui visitez des lieux si deplorables En achevant mes jours soyez moy favorables. BERONTE. C'est Crisante, Bons Dieux ! amy quel attentat⁎ A reduit vostre vie en ce fascheux estat ? CRISANTE. Le bon-heur de Lisandre aydé de son courage. BERONTE. Dites nous le subjet d'un si cruel ouvrage, Si toutesfois le sang, que nous voyons couler, Vous laisse assez de force afin de nous parler. CRISANTE. Le ciel juste ennemy des desseins de l'envie N'a voulu prolonger les restes de ma vie, Que pour vous asseurer par mon sang respandu Que Lisandre attaqué s'est fort bien deffendu. LEON. L'attainte de ce coup ne peut estre mortelle, Mais faites nous sçavoir d'où vient vostre querelle. CRISANTE. Il vous souvient encor qu'en ces fameux tournois Qui resveillent souvent la vigueur des François, Où la troupe des grands et des belles s'assemblent, Lisandre et Cloridan s'esprouverent ensemble, Et vous scavez aussi que Lisandre plus fort Rencontra le laurier [83] au bout de son effort. Cloridan offencé d'une telle victoire Se resolut d'oster cette tache à sa gloire, [84] Si bien qu'à son appel Lisandre nous fait voir Que jamais le bon droit ne manque de pouvoir. BERONTE. Quel chemin a-t-il pris ? CRISANTE.         Je ne vous le puis dire. LEON. Dites nous pour le moins où Cloridan expire. CRISANTE. Cloridan icy pres hors d'espoir de guerir Se noyant dans son sang acheve de mourir. BERONTE. Je m'en vay le chercher. CRISANTE.         Et moy qui sors du monde, Je m'en vay le treuver dedans la nuit profonde. LEON. Crisante ; je luy tiens des discours superflus, Les ames qui s'en vont ne nous entendent plus. Mais n'aperçoy-je pas icy pres une espee Du sang de l'un des deux jusqu'aux gardes⁎ trempee ? Cette lame est si bonne et si belle à mes yeux Qu'elle peut contenter un guerrier curieux, Il faut que je m'en serve, et je veux faire en sorte Que l'on ne puisse pas sçavoir que je l'emporte, Une heure de travail luy peut rendre aysément Ce qu'elle vient de prdre en cét evenement. BERONTE *revient*. Amy je l'ay treuvé moins sensible qu'un arbre, Et mille fois plus froid que ne seroit un marbre. Il semble que son sang sur qui [85] nage son corps Luy serve de ruisseau pour passer chez les morts [86]. LEON. Mais leur corps nous demande apres cette advanture La derniere prison où nous met la nature. ### SCENE QUATRIESME. CLEANDRE, LISANDRE, CALISTE CLEANDRE. Puis qu'il faut obéïr à la necessité Qui borne en vous chassant nostre felicité, Et puis que la rigueur trop aveugle au merite Ne vous peut asseurer⁎ si ce n'est par la fuite, Cognoissant le danger qui vous suit maintenant Je serois criminel en vous y retenant. Mais ressouvenez vous en ce malheur extreme Que vous laissez icy la moitié de vous mesme, Si bien qu'en obtenant vostre grace du Roy Je faits esgallement et pour vous et pour moy. LISANDRE. Cleandre si vos soings travaillent à mon ayde [87] Je n'ay point de douleur qui ne treuve un remede, Et les plus grands dangers qui me sont apprestez Seront bien tost vaincus si vous les combattez. CLEANDRE. L'amitié qui nous joint par des chaisnes communes M'oblige à me roidir contre vos infortunes : Mais je vay de ce pas vous faire preparer Tout ce qu'un prompt départ permet de desirer. Cher amy cependant l'entretien de Caliste Chassera les soucis d'un visage si triste. LISANDRE. Vous me rendrez ingrat en m'obligeant⁎ ainsi. CALISTE. Vous voulez de la sorte augmenter son soucy. CLEANDRE. Je reviendray bien tost. LISANDRE.         Faut-il que je vous quitte ? Helas ! je fuy le mal, et je m'y precipite, J'abandonne ces lieux affin de m'assurer⁎, Mais vous abandonnant quel bien doy-je esperer ? CALISTE. Vous pouvez de l'absence esperer un remede Contre tous les accez du mal qui vous possede, Et de vostre mal'heur vous tirerez ce bien Que le temps deffera vostre amoureux lien. LISANDRE. Les plus puissants efforts du temps et de l'absence Contre ma passion n'auront point de puissance. Quand je m'esloigneray des beautez que je sers, J'auray tousjours au cœur la cause de mes fers. CALISTE. Ne parlez point d'amour, quelqu'un vous peut entendre, Et vous rendre suspect à l'esprit de Cleandre. LISANDRE. J'ay tant de bons desirs pour Cleandre et pour vous, Qu'il le peut bien sçavoir sans en estre jaloux. CALISTE. J'en doubte neantmoins : Mais il vaut mieux me croire Que de mettre au hazard vostre amour et ma gloire⁎. LISANDRE. Merveilleuse beauté, dont le charme vainqueur Nous peut laisser la vie en nous ostant le cœur, Lisez donq dans mes yeux un discours qui vous touche⁎ Que l'esprit n'ose pas confier à la bouche, La vous verrez un feu plus juste que suspect Qui ne sçauroit passer les bornes du respect, Vous vous estonnerez, doux Soleil de mon ame, De me voir sans mourir si long-temps dans la flame, Et vous croirez qu'Amour m'ostant la liberté Me donne avec ses feux son immortalité. CALISTE. Tant que l'honneur rendra vos passions discrettes Unissant le respect à vos flames secrettes, L'aymable souvenir de vos perfections⁎ Partagera le soing de mes affections, Et puis que mon Amour est le prix de Cleandre, Mon amitié sera le loyer de Lisandre. LISANDRE. Si jamais mon esprit entretient un penser Qui touche vostre honneur, et le puisse offencer, Je demande à l'amour dont j'adore les traces Qu'il ne se lasse point de m'offrir des disgraces : Je veux que soubs mes pas mille gouffres ouverts Donnent l'ame à l'enfer et mes membres aux vers ; Ou que jamais le ciel ne s'arme d'aucun foudre⁎ Qui ne serve au dessein de me reduire en poudre. CALISTE. Si vostre cœur s'accorde avecque ces propos Au milieu de vos feux vous serez en repos, Et bien que vostre amour n'ayt rien de legitime Et qu'en la permettant ce soit commettre un crime, J'aymeray tousjours mieux faillir⁎ en l'endurant Que d'estre criminelle en vous desesperant. [88] LISANDRE. Si la saincte amitié que vous m'avez juree Reçoit de mon respect son terme et sa duree, Et si vous ne blasmez mon dessein vertueux Que quand je cesseray d'estre respectueux, Je suis desja certain que mon ame asservie Jouïra d'un bon-heur aussi long que ma vie. [89] CALISTE. Soyez en assuré, mais que je crains pour vous Que vostre esloignement soit plus facheux que doux. LISANDRE. Puisque vous permettez à mon ame captive D'adorer aujourd'huy [90] la plus belle qui vive, J'emporte assez de force et de contentement Pour vaincre les ennuis⁎ de mon esloignement. CLEANDRE *revient*. Lisandre tout est prest, et le temps desja sombre Donne à vostre départ la faveur de son ombre. LISANDRE. Helas ! si j'ay commis un crime en combattant, J'en souffre dans l'esprit la peine en vous quittant. [91] ### SCENE CINQUIESME. BERONTE, ALCIDON BERONTE. Ou courrez vous si tard ? ALCIDON.         Je m'en vay chez Cleandre M'instruire du combat de nostre amy Lisandre, Desja le bruit commun fatal⁎ à son renom Obscurcit làchement la gloire⁎ de son nom, L'on dit que l'artifice et non pas son courage Luy donne en ce duel un honteux avantage. BERONTE. Je sçay ce qu'il a fait, et je puis au besoing Contre ses ennemis en estre le tesmoing : Tousjours le bruit commun est le fils du mensonge, Et bien souvent il est moins croyable qu'un songe. Mais allons chez Cleandre, et je vous feray voir Ce que la verité fera par tout sçavoir. ### SCENE SIXIESME. LEON, CLARINDE, CALISTE, CLEANDRE, / BERONTE, ALCIDON LEON. En fin sans estre veu me voicy sur la place Où j'esprouve qu'Amour ne manque point d'audace. Clarinde n'est pas loing ; mes veuz, et ses desirs S'accordent à chercher de semblables plaisirs. Lors qu'il fault desméler une affaire pareille Je ne sçaurois penser qu'une fille sommeille, Elle ne peut dormir avec beaucoup d'amour Et la plus sombre nuict luy plaist mieux que le jour. CLARINDE. Leon. LEON.         Hà je te tiens, tu ne t'en peux dédire Icy ma volonté finira mon martyre. [92] CLARINDE. La Fortune contraire à nos feux mutuels Nous fait servir de but à ses traits plus cruels, Léon retirez vous, evitez la poursuite Et sauvez promptement nostre Amour par la fuite. LEON. Que dites vous Clarinde ? CLARINDE.         Adieu j'entends du bruit, Caliste vient icy pour y passer la nuit. LEON. Coment puis-je sortir sans me faire cognaistre⁎ ? Choisiray-je la porte, ou plustost la fenestre ? CALISTE. Qui vous a fait entrer ? au secours. CLEANDRE.         furieux⁎ [93], Nous sçaurons le subjet qui t'ameine en ces lieux, Ou de ta propre espee : hà le traistre me tuë, Et son mauvais dessein dessus moy s'effectue. Il laisse son espee dans le corps de Cleandre CALISTE. Arrestez ce cruel, helas ! je parle en vain, L'on diroit que la nuict approuve son dessein, Et que pour en monstrer la poursuite impossible Son voile tenebreux nous le rende invisible. Cleandre ouvre ces yeux si charmans et si forts [94] Et voy qu'un mesme coup a percé nos deux corps ; Mais ce dernier souspir contraire à mon envie Emporte en mesme temps son Amour et sa vie, Dieux avecque ses jours disposez de mon sort, [95] Ne doy-je pas mourir puisque mon cœur est mort ? BERONTE. Há mon frere n'est plus ! cette funeste⁎ espee Ne fut pas sans subjet à sa mort occupee ; C'est celle de Lisandre. ALCIDON.         Hé Dieux que dites vous ? BERONTE. Que l'on seme à dessein tant de maux parmy nous. Clarinde vous direz cette tragique histoire Où le vice rencontre une lâche victoire : Ou la geyne⁎ obtiendra par une autre façon Ce que vostre silence apprend à mon soupçon. CALISTE. Joindrez vous aux douleurs d'une perte incroyable Le sanglant desplaisir de m'en croire coupable ? [96] BERONTE. Ce n'est pas d'aujourd'huy que nous avons appris Qu'une impudique Amour enflammoit vos esprits, Clarinde qui receut vos secrettes pensees Me sceut bien descouvrir vos ardeurs incensees, J'empeschay toutefois qu'on en mit rien au jour Croyant que le remords esteindroit cette Amour, Mais je ne jugeois pas que telles resveries⁎ Dans un esprit mal fait se changent en furies⁎. Ne pensez pas enfin que cet étonnement⁎ Fournisse à vostre crime un bon desguisement. Les crimes descouverts pour derniere deffense Ont tousjours emprunté le front de l'innocence. [97] Parlez parlez Clarinde, et soulagez mon mal [98] En me montrant l'auteur d'un acte si brutal, Dites, ou la rigueur . CLARINDE.         Il est vray c'est Lisandre. Elle monstre l'espee de Lisandre avec laquelle Leon venoit de tuer Cleandre. Aupres de ce tesmoing je ne le puis deffendre. [99] BERONTE. O perfide Lisandre, ô cœur formé de fer Qu'une rage anima sur les bords de l'enfer. CALISTE. Que l'innocence est foible, où preside la rage ! Mais craindrois-je la mort apres un tel outrage ? BERONTE. Ces pleurs que vous versez aveq trop de raison Ne vous peuvent sauver d'une estroite prison, Et n'empescheront pas qu'une prompte justice Ne travaille pour vous aux rigueurs d'un supplice. ALCIDON. Où courez vous Beronte, escoutez mes discours ; Mais je luy parle en vain, la fureur nous rend sourds, Et nous faisant de feu, soubs ombre*⁎* d'allegeance⁎, Elle nous rend legers à suivre la vengeance. Ne craignez rien, Madame, et croyez que les Dieux Prendront vostre party contre ce furieux⁎, Lisandre par moy mesme adverty de vos peines Coupera le chemin à ses poursuites vaines. Et bien que son duel l'engage en un danger Je sçay que sa vertu vous viendra soulager⁎, Il est avecques vous dedans un mesme gouffre, Et son renom patit où votre gloire⁎ souffre, [100] Si bien que son retour, qui vous doit contenter, Vous gardera l'honneur que l'on veut vous oster. CALISTE. Destins qui disposez la malice des Astres A verser dessus moy ce qu'ils ont de desastres, Je tireray ce bien de mes maux apparans⁎ Que je ne sçaurois pas en craindre de plus grands. [101] ## ACTE SECOND. ### SCENE PREMIERE. LISANDRE, ALCIDON [102]. LISANDRE. Depuis le triste jour que [103] tu me vins apprendre Qu'on m'avoit accusé de la mort de Cleandre, Et que pour ce subjet sans aucune raison L'on arrestoit Caliste aux fers d'une prison, J'ay tant fait par mes soings et par ma vigilance Que nous viendrons à bout de cette violence. Autrefois un mortel instruit à triompher Retira son ami d'un fabuleux enfer, [104] Mais mon effort plus juste et moins espouvantable Tirera mon amour d'un enfer veritable ; Et malgré les dangers je recognois encor Que l'on passe par tout par le moyen de l'or. J'ay gaigné le geolier, l'argent, et les pistoles [105] Pour le persuader ont esté mes paroles, Si bien qu'il m'a promis de me rendre ce soir Cet aymable⁎ subjet où j'ay mis mon espoir. ALCIDON. En rompant les prisons [106] vous confessez le crime Dont l'on ne peut avoir de preuve legitime. Parroissez à la cour, allez y de ce pas. LISANDRE. La colere du Roy ne me le permet pas. Quand j'auray mis Caliste en lieu de sauve garde, Je pourray mieux songer à ce qui nous regarde. ALCIDON. Lors qu'on veut se purger d'un crime supposé Rarement par la fuite on en est excusé. LISANDRE. Lors qu'il s'agit d'un crime où la haine et l'envie Par cent moyens divers poursuivent nostre vie, Soit que l'on soit coupable, ou qu'on soit innocent Il est toujours moins seur d'estre present qu'absent. Approuve mon dessein, Amy, je t'en conjure, M'en vouloir divertir⁎ c'est me faire une injure. ALCIDON. Puisque c'est un dessein où je vous voy porté Je ne resiste point à vostre volonté. Mais avez-vous par fois Caliste entretenuë Depuis qu'au Chastelet [107] on la voit retenuë ? LISANDRE. Quand je luy veux parler le chemin m'est ouvert. ALCIDON. Comment le pouvez-vous sans estre descouvert ? LISANDRE. Aupres de la prison demeure une bouchere Qui me fait posseder une faveur si chere. ALCIDON. Je ne puis concevoir par quelle invention Elle donne secours à vostre passion. LISANDRE. Sa fenestre est si pres de celle de Caliste Que je luy puis parler sans que l'on me resiste. [108] ALCIDON. En fin je vous entends⁎ : mais quelle extremité Vous contraint de vestir cét habit emprunté ? [109] LISANDRE. Le Geolier m'a donné le conseil de le prendre De peur d'estre cognu⁎ s'il me falloit attendre. [110] En voyant ces habits inconus parmy nous Qui s'imagineroit que Lisandre est dessous ? ALCIDON. Vous voila fort bien fait, à vous voir de la sorte Vous gaigneriés du pain allant de porte en porte. LISANDRE. Si je tire aujourd'huy Caliste de tourment Je gaigneray ma vie avec ce vestement. Mais il est desja tard, l'obscurité m'invite À donner au boucher encore une visite. ALCIDON. Allons donq. LISANDRE.         En allant je vous feray sçavoir La place destinee⁎ où je vous doy revoir. ### SCENE DEUXIESME. LE BOUCHER, LA BOUCHERE, LISANDRE. LE BOUCHER. Dy ce que tu voudras, que ton esprit s'en pique, Je ne veux plus souffrir⁎ qu'il vienne en ma boutique, Il fait beau voir entrer un gentilhomme icy, Ses visites enfin me donnent du soucy. Il dit qu'il vient parler à cette prisonniere Qu'on mit au Chastellet la semaine derniere ; Mais que sçay je aujourd'huy que le monde est sans foy Si ce jeune muguet [111] n'y viendroit point pour toy ? LA BOUCHERE. Alors qu' [112] il vous donna de si belles pistolles, Que ne [113] luy teniez vous de semblables paroles. LE BOUCHER. Si j'ay pris son argent, je l'ay fort bien servy, J'ay tousjours son vouloir entierement suivy, Lors qu'il a desiré de parler à sa dame J'ay tousjours là dessus satisfait à son ame, Cette seule faveur qu'il estime sans prix Merite bien l'argent que nous en avons pris. LA BOUCHERE. S'il pouvoit reüssir dedans son entreprise Nous pourrions quelque jour avoir sa chalandise⁎. LE BOUCHER. Je ne veux point avoir de chalans⁎ comme luy Qui me peuvent donner moins de bien que d'enuy. LA BOUCHERE. Vous rendant de la sorte à ses desirs contraire Voulez vous d'un amy vour faire un aversaire ? Quoy que vous me puissiez la dessus repartir Evitons les moyens de nous en repentir. LE BOUCHER. Alison [114], il vaut mieux à ce point se reduire Que de se conserver un amy qui peut nuire. LA BOUCHERE. Qui peut nuire, coment ? LE BOUCHER.         Si quelqu'un s'apperçoit Que nous favorisions le dessein qu'il conçoit, Je crains d'en recevoir du reproche et du blasme, Et qu'on mette au cachot gros guillaume [115] et sa femme : A ne t'en point mentir et sans en rien celer C'est la le vray moyen d'aller mourir en l'air [116], Quelque somme d'argent qui nous soit asseurée Bon renom vaut bien mieux que ceinture dorée. [117] Mais faites retirer ce pauvre que voyla. LA BOUCHERE. Mon amy Dieu vous ayde, et tirez vous de la, Il a bien la façon de quelque tirelayne⁎. [118] LISANDRE. L'on parle à mon habit, soyez moins inhumaine, Cognoissez⁎ vos amis. LA BOUCHERE.         Nous les cognoissons bien, Retirez vous d'icy vous n'y gaignerez rien. LISANDRE. Cette chayne de prix. LA BOUCHERE.         Nous en avons veu d'autres Qui nous ont bien appris ce que valent les vostres. Allez vendre aujourd'huy vos coquilles⁎ ailleurs. LISANDRE. Ayez à mon subjet des sentimens meilleurs. LE BOUCHER. Soignez à⁎ vostre bourse, et prenez y bien garde, Ce mignon d'hospital [119] fixement la regarde. LISANDRE. Recognoissez Lisandre. LE BOUCHER.         Hé monsieur excusez, On ne cognoist pas bien ceux qui sont desguisez. Nous souffririons pour vous toute sorte de geyne⁎. LISANDRE. Pour vostre chastiment recevez cette chayne. Je vay voir si Caliste est tousjours en soucy. LE BOUCHER. Disposez du logis et de son maistre aussy. [120] Cet homme a dans l'humeur je ne say quoy d'aimable⁎ Qui me charme l'esprit et me rend plus traitable. LA BOUCHERE. Mais dites qu'il avoit dans ses mains enfermé Plustost qu'en son humeur ce qui vous a charmé. [121] ### SCENE TROISIESME. LISANDRE, CALISTE, LE GEOLIER, LE BOUCHER LISANDRE *à la fenestre du Boucher.*. Caliste. CALISTE *en prison.*.     Estes vous là ? LISANDRE.         Prest à vous faire entendre Le dessein du bonheur⁎, que vous devez attendre. CALISTE. Le Geolier me l'a dit, mais helas ! son effet Nous chargera du mal que nous n'avons pas fait. LISANDRE. Mais un trop long discours enfin nous pourroit nuire. CALISTE. Quand je seray dehors, où m'irez vous conduire ? Où pourrons nous aller ? Le monde a-t-il des lieux Où mon mauvais destin ne jette point les yeux ? LISANDRE. Vous trouverez tousjours apres tant de misere Un favorable asile auprés de vostre pere. [122] CALISTE. Dieux ! que puis-je esperer d'un pere rigoureux Qui nous croit aujourd'huy justement malheureux ? LISANDRE. Si vous n'esperez rien de la rigueur d'un pere Vous pouvez esperer des douceurs d'une mere. CALISTE. Mais que deviendrez vous ? LISANDRE.         J'iray chez mes parens Nourrir aveq mon feu mille soings⁎ differens. La mille traits d'amour me peindront ma Caliste. CALISTE. Helas ! qu'ils la peindront soubs un visage triste. LE GEOLIER. Madame, descendons, il est temps de partir. LISANDRE. Trouves tu le temps propre à la faire sortir. [123] LE GEOLIER. Tout le monde est couché ; la nuict nous est propice Et je suis disposé de vous rendre service. Mais dites moy, monsieur, les vostres sont ils prests ? LISANDRE. Alcidon et les miens m'attendent icy prés. LE GEOLIER. Monsieur descendez donq, attendez à la porte Que j'ouvre le guichet, et que Madame sorte. LISANDRE. Que je suis glorieux⁎ de t'obeyr ainsy. LE BOUCHER. Le voicy qui descend, il faut l'attendre icy. Que l'amour ce me semble [124] est une chose amere ! Et que c'est un mestier où l'on ne gaigne guere ! LISANDRE. Fermez vostre boutique, adieu. LE BOUCHER.         Tout est à vous Soit de jour soit de nuit soyez libre chez nous. [125] LISANDRE. O favorable nuit redouble un peu tes voiles [126] Desrobe à l'univers la clairté des étoiles. Mais il faut retourner dessoubs le chastellet. CALISTE, *en sortant de prison donne au geolier un brasselet.*. Amy reçoy de moy ce petit brasselet. LISANDRE. Ha Madame ! LE GEOLIER.         Monsieur faisons ce qu'il faut faire, Cherchons la seureté qui nous est necessaire. Nous sommes tous perdus si quelqu'un nous entend. LISANDRE. Allons donc, le carosse icy prés nous attend. [127] ### SCENE QUATRIESME. LIDIAN accompagné d'un amy. LIDIAN. Quelques difficultez, que tout le monde fasse J'obligeray⁎ Lisandre en obtenant sa grace, Et malgré Lucidan qui poursuit contre luy Mon travail assidu finira sonennuy⁎. Ce n'est pas toutesfois pour la mort de Cleandre Que je veux obtenir la grace de Lisandre, Je poursuy seulement la grace du duel Où Lisandre parust plus juste que cruel. [128] J'espere apres cela qu'en despit de l'envie Nous serons asseurez du repos de sa vie, Et que dans peu de temps il viendra s'excuser De l'autre assacinat qu'on luy veut imposer. En mille occasions ayant veu ta prudence Je te dis mon dessein en toute confidence ; Mais afin d'en parler avec plus de loisir Allons chercher un lieu selon nostre desir. ### SCENE CINQUIESME. DORILAS, ORANTE, PAGE, LISANDRE DORILAS. O Deplorable fille ! et moy plus deplorable D'avoir produit le mal qui me rend miserable ! Helas ! que n'es-tu morte au moment que tes yeux Pour la premiere fois regarderent les Cieux. Grands Dieux, que je voy bien au travers de mes geynes⁎ Qu'en donnant des enfans vous nous donner des peynes, Et que le plus souvent pour espargner vos mains Vous punissez ainsi les fautes des humains : Vos secrets jugemens qui surpassent les nostres En font le prix des uns et la peyne des autres. J'attendois de Caliste un visible support Et c'est elle aujourd'huy qui me donne la mort. ORANTE. Quoique la passion⁎ vous suggere contre elle, Je n'ay jamais pensé qu'elle fut criminelle. DORILAS. Encore si le Ciel contraire à mon bonheur⁎ M'avoit permis de voir ce traistre suborneur⁎ , J'irois aveq son sang reparer cet outrage. ORANTE. Vous changeriez bien tost d'humeur et de courage. Au charme⁎ presenté de ses perfections⁎ Vôtre cœur s'ouvriroit à d'autres passions⁎. PAGE. Monsieur un messager qui semble estre assez triste Desire vous donner des lettres de Caliste. DORILAS. Qu'on le fasse monter, verray-je sans fureur Les marques d'un esprit, qui cause tant d'horreur ? Non, non, mais que le sang a de puissantes armes ! Ce qu'il ne peut par force il le fait par ses charmes⁎, Et la sainte amitié⁎ qu'il fait naistre en nos cœurs S'y conserve tousjours des mouvemens⁎ vainqueurs. LISANDRE, *desguisé en messager .* [129]. Caliste infortunee autant qu'elle est aymable⁎, Qui n'a que le seul bien de n'estre pas coupable, Provoque la pitié d'un pere sans esgal À voir dans ce papier l'image de son mal : Et vous aussi, Madame, à qui le nom de mere Ne permet pas d'avoir des transports de colere, Recevez cette lettre, et voyez si le Ciel Peut traiter un esprit avecques plus de fiel. DORILAS. Qu'elle n'espere rien de ma douceur extreme Tant qu'elle excusera l'homicide⁎ qu'elle ayme. LISANDRE, *en messager .*. Lisandre espouvanté d'un soupçon si puissant Fera voir quelque jour son courage innocent. DORILAS. S'il n'est pas criminel, quel dessein legitime L'empesche de venir se purger de son crime ? LISANDRE. Son düel, et la mort de ces deux cavaliers Que le Roy mit au rang de ses plus familiers. Mais j'ay sçeu le subjet, dont l'injuste apparence Fait naistre tant de bruits contre son asseurance⁎, J'ay sçeu d'où ce soupçon prit ses commencemens Et coment il trompa les meilleurs jugemens. ORANTE. Vostre discours m'estonne⁎, et mon ame confuse Par les yeux du penser descouvre quelque ruse. DORILAS. Mon amy poursuivez, achevez ce propos D'où nos cœurs affligez esperent du repos. Et puisque les discours en sont assez capables Faites deux innocens de deux esprits coupables. LISANDRE. Vous sçavez que Lisandre assez cognu de tous Fit tomber Cloridan soubs l'effort de ses coups ; Mais vous ne sçavez pas qu'il laissa son espée Dessus le mesme pré qui la vid occupée, Et que quelqu'un depuis d'une rage enflammé En a commis le mal dont Lisandre est blasmé. DORILAS. Je n'en puis que juger, ô deitez supremes Donnez quelque relàche à mes ennuis⁎ extremes. Mais de peur qu'en lisant ce pitoyable escrit Mais yeux ne fassent voir ce que j'ay dans l'esprit, Il me faut retirer ; je reviens tout à l'heure, Dieux que l'instinct est fort en voulant que je pleure ! [130] ORANTE, *apres avoir leu la lettre.*. Que cét evenement a troublé ma raison ! Quoy Lisandre a tiré Caliste de prison ! Elle est donq de ses pas la compagne fidelle ? LISANDRE. S'il n'est pas dans son cœur, il n'est plus avec elle. Mais quand elle suivroit ses pas et ses desseins, Pourroit-elle montrer des sentimens plus sains ? Puis qu'il sera tousjours en despit de l'envie L'appuy de son honneur et celuy de sa vie. ORANTE. Il ne l'appuyra pas, comme [131] il l'a ruiné [132]. [133] LISANDRE. A cela toutesfois les Cieux l'ont destiné, S'il destruit son honneur ce n'est qu'en apparence⁎, [134] Mais il est en effect sa meilleure asseurance⁎ ; Et son bras et le temps tesmoigneront un jour Que l'on peut accorder l'honneur avec l'amour. Mais si vous vous plaignez de ce qu'elle veut suivre Celuy qui la deffend, et qui la fera vivre, Montrez en luy donnant un asile chez vous Que vous estes sa mere, et son espoir plus doux : Ce sont là ses desirs, et l'effort de Lisandre La tira d'un enfer affin de vous la rendre, Voudriez vous laisser perdre un bien si pretieux Qu'il peut rendre des Rois jaloux et glorieux⁎, Et que la pieté laissast à vostre exemple Outrager les vertus⁎ et destruire leur temple ? Non, non, si la nature a fait voir en son corps La parfaite union de ses plus beaux tresors, Le Ciel qui ne veut pas, que l'injure l'offence, [135] A fait naistre icy bas Lisandre à sa deffence. ORANTE. Je croy que c'est Lisandre. [136] LISANDRE.         Ouy, Madame, c'est luy. C'est de vostre bon-heur le veritable appuy. ORANTE. Que vous me remplissez de soing⁎ et de merveille⁎ ! Qu'en cela vostre amour se montre sans pareille [137] ! LISANDRE. Ne vous estonnez⁎ pas de voir un changement Qui ne peut reussir qu'à vostre allegement, Caliste et ses vertus⁎ divinement escloses Font bien dedans les cœurs d'autres metamorphoses, Et comme ses beautez sont sans comparaison Il faut l'aymer de mesme ou perdre la raison. ORANTE. Helas ! que cette amour en misere feconde Contre elle et contre vous fera parler de monde. LISANDRE. L'innocence plus forte a tousjours des clairtez Qui descouvrent par tout ses divines beautez. [138] ORANTE. Les discours outrageux de l'humaine malice Pour perdre la vertu l'habillent comme un vice, Quelque vive clairté qui la puisse asseurer⁎ Elle trouve des nuits qui la font esgarer. LISANDRE. Un astre enveloppé des voiles d'un nuage Ne perd rien des clairtez qui sont en son visage ; Le soleil, qui se cache, est tousjours sans pareil, En despit de l'orage il est tousjours soleil, Et la vertu cachée où regne l'injustice Est encore vertu dessoubs l'habit du vice ; ORANTE. On vomit tant de maux contre sa pureté Que l'on peut aysément alterer sa beauté. LISANDRE. En vain pour obscurcir les estoiles plus claires La terre pousse en l'air ses vapeurs ordinaires , Son dessein sans pouvoir ne luy sert seulement Qu'à destruire l'honneur de son propre element Puisque de ses vapeurs le Ciel forme un tonnerre Qui retombe sur elle, et luy porte la guerre. ORANTE. La langue en produisant mille discours trompeurs A bien plus de pouvoir, que n'ont pas des vapeurs, Elle tuë, elle brusle, et son feu trop à craindre Ne rencontre point d'eaux qui le puissent esteindre, Le moindre vent l'allume, et le fait voir si fort Que des torrens entiers cedent à son effort. LISANDRE. La langue variable aussi bien que nostre ame Apres beaucoup de maux esteints ce qu'elle enflamme, Et lors qu'elle a destruit le temple des vertus⁎ [139] Elle peut restablir ses honneurs abatus, Faisant voir aux esprits qu'elle auroit pû seduire Que le mesme pouvoir sçait bastir et destruire. ORANTE. Elle destruit l'honneur, ou du moins l'affoiblit Bien plus facilement qu'elle ne l'establit. LISANDRE. Selon qu'elle est propice ou qu'elle est ennemie Elle engendre icy bas l'honneur ou l'infamie, Si bien que nos amis nous peuvent conserver Ce que nos ennemis tacheroient d'enlever. [140] Mais sans perdre le temps à parler d'avantage Songez que vostre fille est proche du naufrage, Et que vostre faveur, qui la doibt secourir, La peut facilement empescher de perir : Souvenez-vous enfin que vous estes sa mere. ORANTE. Hà que ce mot me donne une atteinte severe ! Vostre demande est juste, et pour moy je consens A terminer icy des malheurs si puissans. Gardez que Dorilas descouvre vostre ruse Que son ressentiment trouveroit sans excuse ; Le voicy qui revient, gouvernez vous si bien Que par vostre discours il n'en cognoisse rien. DORILAS. Caliste est donq sortie, et cette miserable A rompu les prisons*⁎* pour estre plus coupable. Que le ciel ennemy de mes contentemens A la fin de mes jours reservoit de tourmens ! Qu'avez vous resolu ? ORANTE.         Qu'apres tant de contraintes Elle arreste chez nous et ses pas et ses plaintes. DORILAS. Mais le moyen de [141] suivre un dessein si fatal⁎ Sans se rendre aujourd'huy complice [142] de son mal. LISANDRE. Le devoir paternel vous servira d'excuse Si quelque médisant vous blasme et vous accuse. DORILAS. Le devoir paternel, qui doibt suivre les loix, Ne nous excuse pas du mespris de leurs droits. LISANDRE. Mais les plus saintes loix n'apprenent pas au monde Qu'un pere doibt laisser sa fille vagabonde. DORILAS. Faites que de ce pas ses veuz soient satisfaits, Et que tous ces désirs se changent en effets⁎ [143]. LISANDRE. Que je suis glorieux⁎ d'obtenir la licence De ramener chez vous la grace et l'innocence ; Un pere fait mieux voir les soings de son amour A conserver l'enfant qu'à luy donner le jour, Lisandre sort DORILAS. Que cette malheureuse a reçeu de traverses⁎ ! Qu'elle remplit mon cœur de passions⁎ diverses ! Elle devoit mourir, et se percer le sein⁎ Plustost que de songer à ce làche dessein. ORANTE. Les fers d'une prison et la crainte des flames A d'estranges effets⁎ font resoudre nos ames, Le desir de la vie est si doux et si fort Qu'il resiste tousjours à celuy de la mort, Et quelque vanité qui nous en fasse à croire Il est plus naturel que l'honneur et la gloire⁎. DORILAS. Non pas aux vertueux, mais aux lâches esprits Qui pour un jour de vie ont l'honneur à mespris, Apprenez que sans luy c'est peu que nostre vie, Sans luy c'est une mort de mille autres suivie, Quelque possession que l'on ayt du bonheur⁎ C'est estre plus que mort que vivre sans honneur. [144] ORANTE. Qui ne sort pas des maux, voyant la porte ouverte, A tousjours merité son malheur et sa perte. DORILAS. Il vaut mieux expirer au milieu du tourment Que de suivre un moyen d'en sortir lâchement. ORANTE. Quand l'on void le plaisir que le beau temps appreste Pourroit on se resoudre à suivre la tempeste ? Et lors qu'on void la vie aveq tous ses attraits. Et le trespas armé de ses plus rudes traits, Quelque dessein d'honneur, que l'ame veuille faire, Il est bien malaisé que la mort puisse plaire : Ceux qui l'ont preferée aux celestes clairtez Ne pouvoient plus sortir de leurs aversitez. DORILAS. N'estoit ce pas assez qu'un espoir veritable Luy parlast de la fin d'un sort si lamentable ? Et que ma diligence en l'asseurant⁎ du port Eust desja desarmé la justice et la mort ? ORANTE. Elle vid des faveurs presentes et certaines⁎ Que l'espoir incertain n'offroit pas à ses peynes. DORILAS. Mais d'un crime douteux, son esprit esgaré En forme à son malheur un forfait asseuré⁎, Quand l'on verroit parler l'innocence pour elle Cette fuitte l'accuse et la rend criminelle. [145] Caliste entre. La voicy, suivez moy ; qu'elle vienne aveq vous, Que l'amour des enfans a de pouvoir sur nous ! ## ACTE TROIS. ### SCENE PREMIERE. ADRASTE, LISANDRE ADRASTE. Mon fils, unique appuy du bonheur⁎ de ma vie, Que vostre longue absence a mille fois ravie [146] , Apres tant de tourmens et d'outrages soufferts Qui vous ont en vivant descouvert les enfers, Il est temps de finir mes peynes sans pareilles, Pour avoir du repos j'ay fait assez de veilles ; Vous avez trop bruslé dans des feux dissolus, Ils ont esté sur vous trop long temps absolus, Il faut enfin souffrir⁎ que la raison vous range Aux termes desirez d'un favorable change, Et que ce doux soleil qui luit sur les esprits Vous descouvre les fers où l'amour vous a pris : Alors que ce tirant conçoit nostre ruine Il nous monstre la rose, et nous cache l'espine, Et la flame est semblable à l'esclair, qui ne luit, Que pour nous annoncer le foudre⁎ qui le suit. Ne pensez pas pourtant que ma froide vieillesse M'oblige à condamner ce Dieu de la jeunesse, Ou que mon impuissance autorise un discours A qui ceux de vostre aage ont tousjours fait les sourds, Non, non, il faut aymer d'un amour necessaire [147] Qui reçoive des loix et n'en puisse pas faire, Il faut que la raison luy serve de flambeau, Qu'elle le fasse naistre, et le mette au tombeau ; Alors que nous croyons sa deffaite impossible, C'est nostre lâcheté qui le rend invincible. Quittez donq ces transports, et ce honteux dessein Que les yeux de Caliste ont mis dans vostre sein⁎, Et puisque nous devons de l'amour au merite, Rendez vous sans contrainte aux vertus⁎ d'Hyppolite, Son cœur que la nature avait fait d'un Rocher [148] A vostre seul aspect est devenu de chair, De tant de cavaliers qui l'avoient entreprise [149] Vous avez sans travail⁎ desrobé sa franchise⁎ ; Et vous me mespriseriez de captiver vos jours Soubs les plus beaux liens que fassent les Amours ! LISANDRE. Si les attraits vainqueurs de tant de belles ames Ne pouvoient rien sur moy par leurs divines flames, Vos seules volontez qui me peuvent charmer Auroient assez d'appas pour me la faire aymer. ADRASTE. Pourquoy donq au mespris d'une beauté parfaite Vous monstrez vous si froid au bien qu'on vous souhaite ? LISANDRE. Mon honneur offencé des discours qui se font Vous fait voir malgré moy ces froideurs sur mon front, Et mon renom blessé deffend à mon courage De sentir d'autre mal que celuy qui l'outrage ; Souffrez⁎ donq que je voye une autre fois la Cour Et que je monstre ainsi mon innocence au jour. ADRASTE. Brisez [150] là ce discours ; voulez vous que je souffre⁎ Que vous alliez encor vous jetter dans un gouffre ? Nous avons des amis, dont les soings assidus Vous rendront les plaisirs que vous avez perdus. LISANDRE. Quelquefois l'on s'y trompe, et les amis extremes Ont affaire souvent d'eux mesmes pour eux mesmes. Nous vivons en un temps où l'amitié s'endort Quand la moindre disgrace a changé nostre sort, Et ne s'éveille point des liens qui la tiennent Qu'au bruit delicieux des faveurs qui reviennent. ADRASTE. La terre, qui porta des amis si parfaits, En peut produire encor les merveilleux effets⁎. LISANDRE. Pour les revoir encor dans le siecle où nous sommes, Il faudroit que son dos portast les mesmes hommes [151]. ADRASTE. Ne me contestez plus, et suivez mes conseils Qui sont de vostre mal les meilleurs appareils, Tous les amis que j'ay, le temps les a fait naistre Et l'un et l'autre sort me les a fait cognaistre. LISANDRE. Pour craindre touteffois qu'ils changent à leur tour C'est assez de sçavoir qu'ils sont nez à la cour. [152] ADRASTE. Gardez que ce discours n'ajouste à vostre peine Le honteux desplaisir de tomber dans ma haine. LISANDRE. Le respect, que je doibs au nom que vous portez, M'exemptera des maux dont vous m'espouvantez ; Et pour vous asseurer que mon obeissance Ne fléchira jamais soubs une autre puissance, J'iray voir Hyppolite avecques des discours Dont l'ardeur fera voir celle de mes Amours. ADRASTE. Tenez vous donq ainsi dans le soing⁎ de me plaire, Et mon affection en sera le salaire. LISANDRE, *seul* . O pere sans pitié [153], tu n'as jamais appris Ce que peut un bel œil sur les jeunes esprits, Quelques vives raisons, qui nous donnent des armes, [154] On ne peut eviter la force ny ses charmes : Si tu voyois Caliste, ou ses moindres attraits, Tes beaux enseignemens cederoient à ses traits ; L'amour te feroit dire en te venant contraindre [155] Qu'il n'est pas dans ses yeux comme tu le veux peindre, Et sans prendre le soing de cognoistre mon mal Tu serois malgré toy mon pere et mon rival. Mais porte contre moy l'horreur et la menace, Emprunte des fureurs l'imperieuse audace, Et que le Ciel propice à tes veuz inhumains Te preste son tonnerre, et le mette en tes mains, Pour abatre aysement tout ce qui me resiste Je ne veux qu'opposer les attraits de Caliste, Ou si tu veux enfin en paroistre vainqueur, Pour m'arracher l'amour, arrache moy le cœur. En vain pour m'affoiblir le feu que j'ay dans l'ame Tu me viens commander d'aymer une autre Dame, Tous les commandemens que l'on nous fait d'aymer En esteignent l'envie au lieu de l'enflammer. [156] Há frivoles desseins des cruautez d'un pere, Qui s'aveugle luy mesme, et qui me desespere ! Il veut que son pouvoir, que le ciel a borné, Passe jusqu'a l'esprit qu'il ne m'a pas donné, Et que ce vain respect, dont j'abhorre l'usage, Se loge dans mon cœur comme sur mon visage ; Non, non, je veux ceder à mes ressentimens, Ce respect n'est pas fait pour les parfaits amans, Quiconque sçait aymer, sçait mespriser les craintes, Et d'un fàcheux devoir les severes contraintes. Qu'ay-je enfin resolu ? La nature à son tour Me parle de respect, et Caliste d'amour : Dieux ! quelle seureté finira mes allarmes ? Un pere a des conseils, et Caliste a des charmes. Le Ciel asseure⁎ ici le repos de mes jours, Et le cruel y met en danger mes amours, Mais pour monstrer l'exceds de mon ardeur extreme J'ayme mieux asseurer⁎ mes amours, que moy mesme. J'iray chez Hyppolite afin de tesmoigner Que je n'en approchay que pour m'en esloigner. [157] ### SCENE DEUXIESME. HIPPOLITE, LISANDRE HIPPOLITE. *Seule.*. Ne dis plus que ton cœur a triomphé des charmes⁎ Qui font vivre l'amour, et luy donne des armes, Ne dis plus que les traits, dont il blesse les Dieux, Ont vainement touché ton esprit glorieux [158] : Je cede à ses efforts, et j'ayme le servage Où depuis peu de jours sa puissance m'engage; Ce Dieu s'estant instruit que sa forme d'enfant N'obtiendroit pas sur moy le nom de triomphant, Apres avoir usé ses liens pour me prendre Prit pour me surmonter la forme de Lisandre. Helas ! ce fut un jour, que le Ciel plus riant Ouvrit à la clairté les portes d'orient, Et que les champs couverts d'une nouvelle grace Nous avoient invitez au plaisir de la chasse, Comme si le soleil en donnant un beau jour Eust voulu s'accorder au dessein de l'amour. Lisandre s'y fit voir plus parfait que les graces, Je suivois en tous lieux ses amoureuses traces, L'estonnement⁎ de tous fut alors sans pareil De voir mars sur son front plus beau que le Soleil, Ses yeux tousjours charmans, et tousjours redoutables Me tendirent par tout des rets⁎ inévitables, Je chassay quelque temps avecques ce vainqueur Mais je cognus bien tost, qu'on ne prit que mon cœur : Je voulus millefois éviter cette prise     Ma raison s'efforçoit de garder ma franchise⁎, [159] Et mesme tous les jours un reste de ses droits S'oppose dans mon ame aux amoureuses loix, Elle me dit encor alors que je l'irrite Que je porte le nom du premier Hyppolite [160] ; Mais à tant de discours je réponds à mon tour, Que je n'ay pas son cœur pour surmonter l'amour, Et que pour demeurer dans des prisons si belles La mesme liberté se couperoit les ayles. Mais voicy mon Lisandre. Hé Dieux que de plaisir En le voyant icy succede à mon desir ! D'où vient que la tristesse a peint vostre visage Des plus pasles couleurs qu'elle met en usage, LISANDRE. J'en touche le subjet, et je l'ay dans le sein⁎. [161] Il prend Hyppolite par la main. HYPPOLITE. Que vous estes sçavant à cacher un dessein. Vous me voulez montrer que si je me sçay plaindre Vous sçavez en Amour encores mieux vous feindre. LISANDRE. C'est assez que vos yeux me blessent tous les jours Sans me blesser encor aveques vos discours. [162] HYPPOLITE. Mon discours sans dessein est tesmoing de la crainte Qui n'abandonne point l'amitié⁎ la plus sainte. LISANDRE. Un amant⁎ souffre en l'ame un tourment sans esgal Alors qu'on ne croid pas ce qu'il dit de son mal . Croyez que dans l'exceds de l'ennuy qui me dompte, Je ne vous sçaurois voir sans amour et sans honte. HYPPOLITE. Et sans honte ! il est vray, vous pourriez faire un choix Ou vous eussiez vescu soubs de plus belles loix, Mais. LISANDRE.         Vous m'expliquez mal, ma honte ne procede Que d'un injuste outrage à qui ma gloire⁎ cede. L'on m'accuse à la cour de tant de làchetez Que les moins genereux⁎ en seroient irritez : Les envieux discours d'une rage ennemie Pour tacher mon renom, me chargent d'infamie, Vous en sçavez la cause ; estant donq odieux Pourrois-je bien sans honte approcher de vos yeux ? Helas ! ce desplaisir m'auroit l'ame ravie [163], Si vos attraits plus forts ne conservoient ma vie. HYPPOLITE. Ce bruit injurieux ne peut il s'etouffer ? LISANDRE. Ma presence suffit affin d'en triompher. Mon pere, qui le sçait, est sourd à mon envie, Il veut que la paresse asseure⁎ icy ma vie, Et que j'attende enfin du soing de ses amis La gloire⁎ et le repos que je m'estois promis. Vous pouvez mon soucy me donner un remede [164] , Vous pouvez me tirer du mal qui me possede, Et bien que mon Amour soit certain de vos feuz Vous pouvez en donner cette preuve à mes veuz. HYPPOLITE. Il n'est rien que pour vous je ne voulusse faire. LISANDRE. Feignez donq d'avoir à la Cour quelque affaire, Et mandez à celuy qui me donna le jour Que vostre occasion⁎ y presse mon retour. HYPPOLITE. L'apparence, qu'il souffre⁎ apres tant de tristesse Que je mette au hazard sa plus grande richesse [165]. LISANDRE. Vos seules volontez, qui lui servent de loy, Luy rendront mon départ moins sensible qu'à moy. HYPPOLITE. Quand il le souffriroit⁎, j'aurois tousjours le blasme De ravir de son sein la moitié de son ame. LISANDRE. J'endure assez pour vous, pour en avoir ce bien. HYPPOLITE. Enfin vostre desir l'emporte sur le mien. Mais quoy ! pourray-je vivre où mon ame me quitte ? LISANDRE. Je vous laisse la mienne, adorable Hyppolite, Et pour la retrouver dedans un si beau lieu Je veux que mon retour soit plus prompt que l'adieu. HYPPOLITE. Que le mal qui surprend a de puissantes armes, Et que vos volontez sont fertiles en charmes⁎ ! Adieu donq, cher objet de mes contentemens. LISANDRE. Há que ce triste mot a pour moy de tourmens ! La crainte d'augmenter la douleur qui me touche M'empesche de tirer un adieu de ma bouche. [166] ### SCENE TROISIESME. LIDIAN, ADRASTE, PAGE LIDIAN. En fin malgré les soings de tous les envieux Vostre fils satisfait paroistra glorieux⁎. ADRASTE. Cher amy Lidian, que venez vous m'apprendre ? LIDIAN. Nous avons obtenu la grace de Lisandre. ADRASTE. Há que cette nouvelle est selon mes desirs, Et que vostre discours fait naistre de plaisirs ! LIDIAN. A la charge pourtant qu'apres sa longue absence Il viendra dans un mois prouver son innocence. ADRASTE. Coment ? LIDIAN.         Par un combat, qu'un nommé Lucidan Vint demander au Roy pour vanger Cloridan. ADRASTE. L'accuse-t-on encor de la mort de Cleandre ? LIDIAN. Personne la dessus ne le sçauroit deffendre, Mais apres ce combat il s'en pourra purger, Et delivrer ma sœur de peine et de danger. Pour moy j'ay tousjours dit qu'il estoit incapable De cette lácheté dont on le croid coupable, Ses belles actions, que tout le monde sçait, Ont esté les tesmoings qui m'en ont satisfait Ne le verray je point ? ADRASTE.         Il est chez Hyppolite, LIDIAN. Desja passionné d'avoir veu son merite. ADRASTE. Ce n'est pas tant l'amour, que la civilité, Qui le fait visiter cette jeune beauté, Vous sçavez mieux que moy le subjet qui l'engage. Mais sans doubte Hyppolite envoye icy ce page. PAGE. Je vous viens apporter la lettre que voicy De la part d'Hyppolite, et de Lisandre aussy. ADRASTE. Que faict Lisandre ? PAGE.         Il vient de partir tout à l'heure [167]. ADRASTE. Pour aller ? PAGE.     Je ne sçay. ADRASTE.         Veut il donq que je meure ? Permettez moy de voir cet escrit seulement. LIDIAN. Lidian est à vous, usez en librement. ADRASTE, *ayant leu la lettre*. Cette lettre m'apprend qu'une petite affaire A rendu de mon fils le départ necessaire, Il s'en retourne en cour, on me le mande ainsi. LIDIAN. Cela vous doibt oster de peine et de soucy, ADRASTE. Je ne plaindrois jamais sa mauvaise fortune Si je ne cognoissois qu'elle vous importune. LIDIAN. J'irois pour un amy jusque dans les enfers Au mespris de la mort le retirer des fers. Mais puisqu'il est party je ne puis d'avantage Differer le dessein d'un assez beau voyage : Si vous ne m'arrestez pour vous servir de moy J'iray voir l'Angleterre où se fait un tournoy, Où de tous les costez on verra la noblesse Exercer à l'envy [168] sa force et son adresse. ADRASTE. Si vous n'aviez pas pris ce genereux⁎ dessein Moy mesme je voudrois le mettre en vostre sein, Allez et que le ciel seconde vostre envie. [169] LIDIAN. Et qu'il prene tousjours le soing de vostre vie. ADRASTE. Page va retrouver ta maistresse et luy dis Qu'elle a pû [170] disposer et du pere, et du fils. Adraste demeure seul Si je doibs m'asseurer⁎ aux lettres d'Hyppolite, C'est pour aller en cour que Lisandre me quitte ; Que sçay-je toutesfois si son premier amour Ne l'empeschera point de retourner en cour ? Et si l'aveugle erreur où son ame persiste Ne l'arrestera point dans les bras de Caliste ? Car enfin j'ay cognu⁎ sur son visage feint Que ce premier amour n'est pas encore esteint. Que feray-je, immortels, pour finir mes allarmes ? J'iray voir à la cour ce que peuvent ses armes, Et si contre mes veuz, l'excez de son malheur Retenoit autrepart sa guerriere valeur [171] , La mienne fera voir au combat qu'on propose Que le Pere et le Fils sont une mesme chose. ### SCENE QUATRIESME. CALISTE, LE VALET de Lisandre. CALISTE *seule*. Helas ! qu'ay-je entendu qui porte dans mon sein Les premiers mouvemens⁎ d'un tragique dessein ? L'on nous vient d'asseurer⁎ que Lisandre infidelle Suit les nouveaux liens d'une amante⁎ nouvelle, L'on nous asseure⁎ encor que dedans peu de jours Un mal'heureux hymen unira leurs Amours ; Tant de temps escoulé sans flater⁎ mon martire Du moindre des discours que l'amour nous inspire, Et la triste longueur de ses retardemens Me descouvrent assez ses parjures sermens. Perfide, qui n'as rien de l'amour que ses ayles, Que ne differois tu tes desseins infidelles, Jusqu'à ce que le Ciel justement irrité M'eust rendu le renom que tu m'avois osté ? Cette infidélité, qui te rend si coupable, Estant plus paresseuse, eust esté moins blasmable, Et pour me consoler, mon honneur de retour Eust tenu dans mon cœur le lieu de ton Amour. Viens voir, traistre, viens voir sans m'offrir d'assistance, Que ta seule malice esgale ma constance ; Viens voir encor un coup si mes longues douleurs Ont espargné pour toy des soupirs et des pleurs, [172] Toutesfois ne viens pas, tu dirois que ma bouche Ne donne que du vent à l'amour, qui me touche, [173] Tu dirois que mes yeux en te [174] donnant de l'eau Te font voir l'inconstance ou du moins son tableau, Ou bien qu'ayant donné ma raison à tes charmes C'est te donner trop peu que de donner des larmes ; Mais si des pleurs sont peu je verseray du sang, Je t'ouvriray mon sein, je t'ouvriray mon flang, Je ne dis pas mon cœur, car helas ! ton image L'a des long temps ouvert au malheur qui m'outrage. Que me servent ces pleurs, dont j'arrouse mes pas ? En pleurant aujourd'huy, je ne m'allege pas, Et les maux ont pour moy de trop vives attaintes Pour guerir par des pleurs ou finir par des plaintes. Je quitteray pour toy le logis paternel, Je veux suivre tes pas et ton feu criminel, L'espoir de te trouver me rendra vagabonde Par tout où le soleil preste le jour au monde, Et lors, devant tes yeux, la rigueur de mon sort Signera de mon sang ma sentence de mort ; Ces mains si láchement par les tiennes pressées Deschireront ce cœur qui reçeut tes pensées, Ce corps qui fut jadis l'idole de tes veuz Esteindra dans son sang les restes de ses feuz : Et ma mort fera voir par ce sanglant spectacle Que tes nouveaux desseins ne trouvent plus d'obstacle. Non, non, je veux changer au mespris des hazards Les fureurs de l'amour en celles là de Mars : Je sortiray des bras et du sein d'une mere Non pas pour suivre encor ton amour trop legere, Mais pour perdre la vie à la face du Roy Dans l'injuste combat, qui se fera pour toy. Qu'on appelle imprudent le dessein que je tente, Il ne m'importe pas, pourveu qu'il me contente ; Si mon honneur est mort dans mes feuz indiscrets J'auray ce dernier bien de le suivre de prés, Et je tesmoigneray que ma force abatuë Deffendit constamment le traistre qui me tuë, Non pas pour l'obliger à me rendre son cœur Mais pour y mettre ver [175] , qui s'en rendra vainqueur, Pour y mettre un remords, dont les forceneries⁎ Augmenteront chez luy le nombre des furies⁎, Et qui convertiront en faveur de mes maux Les feuz de son amour en des feuz infernaux. [176] Mais n'appercoy-je pas le valet de Lisandre ? Il faut sçavoir de luy ce que j'en doibs attendre. Que viens tu faire icy ? LE VALET.         Mon maistre m'a chargé De vous donner ce mot.                         1120 CALISTE.         Ce traistre a donq changé ? Et par ce mot d'escrit [177] le perfide m'invite D'assister à sa noce et de voir Hyppolite. LE VALET, *à l'escart*. Que je lis de transports sur son front irrité ! CALISTE, *en lisant la lettre.*. Que tu desguises bien ton infidelité ! LE VALET, *à l'escart* . Ce murmure est tesmoing de quelque jalousie, Qui regne injustement dedans sa fantaisie. CALISTE, *ayant lu la lettre.*. Láche et perfide auteur de tous mes desplaisirs Que tu t'es bien instruit à cacher tes desirs ! LE VALET. A quelle extremité vous portez vous, Madame ? Quel injuste soupçon refroidit vostre flame ? CALISTE. Cependant qu'il m'escrit et se rit de mes veuz N'est il pas assuré⁎ qu'il brusle en d'autres feuz ? LE VALET. Il est vray. CALISTE.     Pourquoy donq ? [178] LE VALET.         Non pas ce que vous dites [179], L'amour qu'il a pour vous est un feu sans limites ; Il est vray que par tout ses parens rigoureux Le pressoient de changer ses desseins amoureux, Et que sa prompte fuite a trompé leurs attentes Au point qu' [180]ils pensoient voir leurs volontez contentes. Jugez de son amour par de si grands effets⁎. CALISTE. Que ne vient il guerir tant de maux qu'il a faits ? N'avez vous pas appris devant vostre venuë Coment tous ses amis ont sa grace obtenuë ? LE VALET. Nous ne l'avons point sceu. CALISTE.         C'est ainsi que les Dieux Ferment à mes travaux⁎ et l'oreille et les yeux, Qu'ils ne m'espargnent pas me voyla toute preste A servir de visée aux coups de la tempeste ; Mais je demande en vain qu'ils me privent du jour Je dépends moins des Dieux que des traits de l'amour. Qu'est devenu Lisandre ? LE VALET.         Il a changé de terre, Le grand bruit d'un tournoy l'appelle en Angleterre, Et je veux m'exposer à mille cruautez     Si ma bouche est ouverte à quelques faussetez. CALISTE. Tes raisons, paraitroient plus fortes que ma flame [181] Devant que d'arracher le soupçon de mon ame. S'il avoit plus d'amour pour mes feuz vehemens Il en auroit bien moins pour ses contentemens ; Et sans chercher ailleurs la gloire⁎ qui l'attire, Il deffendroit icy la sienne qu'on deschire. Je respondray pourtant à son perfide esprit, Non pas aux faussetez du discours qu'il m'escrit. Tu seras le porteur de ma triste pensée Et des ressentiments de ma gloire⁎ offensée : Mais je veux que ton œil cognoisse⁎ auparavant Que ma foy ne prend rien des qualitez du vent, Et qu'un peu de raison me force de deffendre La gloire⁎ de mes jours, et l'amour de Lisandre. LE VALET. Madame quel dessein prenez vous ? CALISTE.         Il est pris , Mes transports poursuivront ce qu'ils ont entrepris, Et le seul desespoir de mon ame confuse Me donnera la paix que l'amour me refuse. Ce bras sans habitude au travail des guerriers Obtiendra des cyprés [182] s'il n'obtient des lauriers. LE VALET. Le Ciel n'a pas formé tant de beautez en terre Pour les faire servir aux fureurs de la guerre. CALISTE. Approuve mon dessein, j'en viendray bien à bout, Et sçache que l'amour nous rend propres à tout. ## ACTE QUATRE. ### SCENE PREMIERE. LE ROI, LUCIDAN, ADRASTE, / HIPPOLITE, CALISTE, BERONTE, / LIDIAN, LE JUGE de camp , DORILAS, /LE VALET de Lisandre. LE ROY [183]. En fin voicy le jour où le Ciel equitable Nous fera voir Lisandre innocent ou coupable, Les combats sont douteux soubs l'enseigne de Mars, Mais souvent la justice en chasse les hazards. Et quelque vaine peur qui nous en fasse accroire⁎ Les dangers sont tousjours les chemins de la gloire⁎. Une ame genereuse⁎ establit son bon heur Dans la possession d'un veritable honneur, Pour garder ce tresor plus cher qu'un diadesme Elle doit se porter au mespris d'elle mesme, Et comme un autre Alcide [184] aux travaux indompté Monter par les perils dans l'immortalité . La mort n'est pas un mal qui ne trouve point d'ayde, L'honneur qui fait revivre en est le vray remede : C'est luy qui vous appelle aux combats solennels Où l'equité départ⁎ des lauriers eternels. [185] LUCIDAN *armé*. Grand Roy victorieux sur la terre et sur l'onde, Dont la gloire⁎ remplit et l'un et l'autre monde, La justice, et l'honneur vrays soleils des humains, [186] Ont armé tout ensemble et mon cœur et mes mains : Me voila disposé de tirer l'allegeance⁎ Que l'on peut esperer d'une juste vengeance, Ou je suis resolu de suivre au monument⁎ [187] Crisante et Cloridan outragez láchement. LE ROY. Mais je suis estonné⁎ de sçavoir que Lisandre Paresseux à son bien ne vient pas se deffendre. [188] L'on diroit aujourd'huy qu'il craigne [189] le malheur Et qu'un juste remords endorme sa valeur. [190] ADRASTE *armé et couvert d'un casque.*. Sire son innocence a des charmes visibles Qui conduisent icy nos armes invincibles ; Puisque pour satisfaire à la rigueur des loix Sans nous estre cognus⁎ nous paraissons tous trois, Qu'il nous soit accordé de vanger tant d'outrages Et que trois opposez [191] exercent nos courages. LUCIDAN. Crisante et Cloridan qui vivent dans mon cœur M'ayderont aysement à me rendre vainqueur, Ou si de ces seconds les offres genereuses⁎ Ne peuvent contenter vos ames valeureuses, Sans chercher autrepart de plus braves guerriers Ce bras est mon second, et ce fer est mon tiers. LE ROY. C'est ainsi que souvent au martial⁎ orage L'on perd le jugement pour garder son courage. Le sort tousjours aveugle en ses eslections Doit contenter icy toutes vos passions⁎, Que chacun de ses trois que l'honneur nous amene Apporte dans ce casque une marque⁎ certaine⁎. On prend le casque d'un des gardes qui doivent estre auprés du Roy. ADRASTE. Bien qu'un mesme dessein anime nos desirs, Sire, nos volontez cedent à vos plaisirs. LE ROY. Et celuy dont la marque⁎ en sera retirée Rendra de sa valeur la preuve desirée. Si Lucidan luy cede, et s'il fléchit dessoubs, Lisandre glorieux⁎ doibt demeurer absoubs ; Ou bien si le destin ordonne le contraire, Nous aurons de son crime une preuve assez claire. Qu'on amene un enfant, qui borne ce debat, Et tire sans soupçon la marque⁎ du combat, Ainsi pour l'innocence on verra l'innocence Disposer du combat plustost que ma puissance. CALISTE *armée, et couverte d'un casque à l'escart.*. Le Ciel est si subjet à rejetter mes veuz Qu'il n'accordera point le trespas que je veux. La crainte d'un effet⁎ contraire à mon envie Est le mal plus cruel qui traverse ma vie. LE JUGE *de camp parle à l'enfant.*. Tirez. CALISTE *voyant que l'on n'a pas tiré sa marque.*.         Hà je voy bien que l'injure du sort Pour allonger mes maux a differé ma mort. On a tiré la marque d'Hippolite. HIPPOLITE *armée et couverte d'un casque.* [192]. La fortune sans yeux quelquesfois secourable En a pris aujourd'huy pour m'estre favorable, Et le Ciel qui sçait bien ce que j'ay merité Accorde le hazard avecque l'equité. LE ROY *parlant à Hyppolite.*. Suivez donq le destin dont la force immortelle Voulut que vostre bras finît cette querelle. LUCIDAN. Cheres ombres jadis l'ornement des mortels Si l'on ne vous fait pas des veuz et des autels, Vous aurez pour le moins une juste victime Que ce guerrier apporte à mon deuil legitime. HIPPOLITE. Puisque tu cheris tant des ombres sans pouvoir Pour faire un trait d'amy [193] tu les doibs aller voir. LE ROY. Quelle fureur les porte, et quelle violence Accompagne les coups que chacun d'eux eslance. Le tonnerre fondant d'un nuage escarté Choque aveq moins d'effort le monde espouvanté. [194] LUCIDAN. Ton sang est mon espoir, et le prix de ma peine. LE JUGE *de camp.*. Le travail⁎ les contraint de reprendre l'haleine. HIPPOLITE. Ne te repose point, la force de ce bras Te fera reposer plus que tu ne voudras. LE ROY. Mais qui sont ces guerriers plains d'ardeur et d'audace, Qui d'un pas orgueilleux mesurent cette place⁎ [195]. LE JUGE *de camp.*. Cavaliers, quel dessein vous arme maintenant, Et quel des deux partis allez vous soustenant ? BERONTE. A dessein de finir une longue querelle Nous paraissons ensemble où l'honneur nous appelle, Et je me voy contraint d'opposer mon effort Aux injustes rigueurs de la hayne et du sort : La passion⁎ aveugle alors qu' [*] elle est extreme [196] Donne à ces cavaliers des mouvemens⁎ de mesme. Seul de tous vos subjets de cette affaire instruit Je restablis l'honneur qu'un soupçon a destruit, Et malgré les assauts que l'innocence souffre Je puis seul retirer la verité d'un gouffre. LUCIDAN. On ne l'en peut tirer si ce n'est par le fer. BERONTE [197]. Elle peut aysement sans armes triompher. Alors que⁎ Cloridan eust appellé Lisandre, Mille murmures sourds me le vindrent apprendre : Aussi tost l'amitié me pressa de courir Ou pour les separer ou pour les secourir, Mais j'arrivay trop tard, Cloridan sur la place⁎ N'estoit plus dans son sang qu'un homme tout de glace, Et Crisante pressé d'un semblable malheur Loüoit mesme en mourant Lisandre et sa valeur. Que si quelqu'un vouloit avancer le contraire Voicy de quoy prouver ce que je ne puis taire [198]. LE JUGE *de camp parlant à Lucidan.*. Quel indice avez vous que Lisandre ayt commis Un si láche attentat⁎ envers vos deux amis ? LUCIDAN. Quel ? je n'en sçache point [199], mais l'honneur me convie De vanger mes amis, ou de perdre la vie. LE JUGE *de camp*. Ce discours nous fait voir l'injuste passion⁎ Qui vous porte aujourd'huy dedans cette action. On ne peut conserver le tiltre d'equitable Et croire en mesme temps que Lisandre est coupable. LE ROY. Aussi comme son Roy propice à son bon-heur [200] Je luy donne sa grace, et luy rend son honneur. Apres avoir icy descouvert vos courages Genereux⁎ cavaliers descouvrez vos visages. [201] Et vous cher Lucidan embrassez ce guerrier Qui vient de disputer aveq vous le laurier. ADRASTE. Hé Dieux c'est Hyppolite [202] ! CALISTE.         Há je suis sans remede Et j'ay plus de fureurs que l'enfer n'en possede. Il me faut retirer. LE ROY.         Un tel evenement Ne met en mon esprit que de l'estonnement⁎. LUCIDAN. Est ce mars ou venus ? la force de ses armes Me descouvre le Dieu qui preside aux allarmes, Et tant d'attraits divins m'apprenent à leur tour Qu'on void en cet habit la mere de l'amour, Ou je croiray plustost que la nature assemble Dedans un mesme corps Mars et l'Amour ensemble. [203] LE ROY. Invincible Amazonne, adorable en tous lieux, Et dont la main sçait vaincre aussy bien que les yeux, Qui vous a pû contraindre à monstrer que la gloire⁎ Vous réservoit icy des palmes de victoire ? Genereuse⁎ beauté quel glorieux⁎ dessein Vous a mis aujourd'huy les armes en la main ? HIPPOLITE. Les vertus⁎ de Lisandre accusé sans offence M'obligent maintenant à sa juste deffence. Les cieux, de qui les yeux ne sont jamais fermez, Font voir à sa faveur les deux sexes armez, Et sa seule innocence est si forte et si belle Qu'ils n'ont mis qu'une fille à combattre pour elle. LE ROY. Ainsi sans y songer le monde glorieux⁎ Possede une Minerve aussi bien que les Cieux, O merveille⁎ sans pair, dont l'effet⁎ incroyable N'ayant pas esté veu sembleroit une fable ! Qui ne s'estonneroit apres tant de hazards De voir un corps de fille aveq un cœur de Mars ! LUCIDAN. Jadis les cavaliers prodïgues de leurs armes [204] Deffendoient les beautez, et la gloire⁎ des dames, [205] Mais malgré les perils aux armes familiers Les dames aujourd'huy vangent les cavaliers. [206] LE ROY. Mais qui peut empescher qu'on ne voye Lisandre ? LUCIDAN. Lors que vous eustes dit qu'il se viendroit deffendre, Le dessein de le voir me fit aller aux lieux Ou je croyois jouïr de l'aspect de ses yeux ; Mais j'appris que le soing de combattre l'outrage Ramenoit à la Cour ce genereux⁎ courage, Certain de son retour je perdis le soucy De le suivre plus loing, et de venir icy, Et ce fameux tournoy que vantoit l'Angleterre Appella mon courage à cette douce guerre, Là je trouvay Beronte, et je fus bien surpris De voir aussi Lisandre y disputer un prix, Aussi tost je luy dis qu'elle estoit l'assurance⁎ Que vostre majesté luy redonnoit en France, [207] Et dés le mesme instant [208] nous nous mismes sur mer Qu'un vent impetueux fit soudain escumer, Et toucha nos esprits d'un si triste presage Que le pilote mesme en changea de visage ; La peur luy fit quitter le soing de son vaisseau Et pousser son esquif⁎ à la mercy de l'eau, Il se jette dedans, Lisandre fait de mesme Non pas pour nous laisser en ce danger extreme, Mais affin de forcer ce pilotte insensé De reprendre le soing du vaisseau tout cassé. Cependant la tempeste augmente ses attaintes, Sa violence croist et fait croistre nos craintes, Et les flots complaisans aux vents imperieux Esloignerent Lisandre et l'esquif⁎ de nos yeux : Ce fut là que le Ciel fit tomber sur nos testes Le plus sensible coup de toutes ses tempestes, Et comme si la mer dedans son lit mouvant N'eust pas eu pour nous perdre assez d'eaux et de vent, Reduits à la mercy de si vives allarmes Nous luy donnions encor nos soupirs et nos larmes. [209] LE ROY. Où fustes vous portez ? BERONTE.         L'aveuglement du sort Nous pensant abysmer nous jetta dans le port. ADRASTE. Helas ! mon fils n'est plus ! LE ROY.         Le Ciel nostre vray pere Conserve ses enfans lors qu'on en desespere. Mais un des combattans s'est retiré de nous, C'est celuy qui parust en mesme temps que vous. Que l'on suive ses pas. LUCIDAN.         C'est Lisandre peut estre, Que la mort de Cleandre empeche de paraistre. LIDIAN. Je ne sçaurois penser qu'il soit si pres d'icy Sans nous venir oster de peine et de soucy. LE ROY. En est il donq coupable ? a-on quelques indices Qu'il ayt pû mettre au jour de si noires malices ? BERONTE. Autrefois un soupçon injustement conçeu Imprima ce penser dans mon esprit deçeu, Mais enfin je confesse en ce lieu venerable Que je suis criminel de l'avoir crû coupable. J'ay sceu qu'au mesme instant qu'un rigoureux effort Fit trouver à mon frère une subite mort, Lisandre aveq Tirsis estoit hors de la ville Et contre vos fureurs, il cherchoit un asile. LE ROY. Nous sçaurons à loisir tant d'accidens⁎ divers Que le temps a cachez, et qu'il a descouverts, Mais puis qu'on void Lisandre en un estat si triste Je veux estre son juge et celuy de Caliste, Et suivant les conseils que donne la raison Leur faire de ma cour une belle prison. Amis retirons nous apres tant de merveilles⁎ [210] Que le Ciel fit expres pour estre sans pareilles. DORILAS, LIDIAN, et *le valet* de Lisandre demeurent. DORILAS. Pauvre pere attaqué des plus sensibles coups Que la rigueur du Ciel descharge dessus nous, Mal voulu desormais des puissances divines Le bien ne me vient voir qu'avecque des espines ; Le retour de Caliste appaisa mes souspirs Mais sa fuitte a produit de nouveaux desplaisirs ; Au point qu'on veut l'ayder, helas ! elle se tuë. Dieux que reservez vous à mon ame abatuë ? LE VALET *de Lisandre.*. Sa douleur me contraint de l'ayder au besoing. LIDIAN. Amy que dites vous ? LE VALET.         Caliste n'est pas loing. DORILAS. Ne me viens point flatter, puisque la flatterie Ne peut rien sur un mal, qui se change en furie⁎. LE VALET. Vous la venez de voir en armes parmy nous, C'est elle que l'on cherche, et qui s'enfuit de vous. DORILAS. O merveilleux effet⁎ d'une desesperée ! Dis nous en quel endroit elle s'est retirée. LE VALET. Dans le bois de Boulogne un petit logement Luy fournit de⁎ retraite en son desguisement. DORILAS. Mon fils sans differer cherchez cette insensée Qu'un furieux⁎ amour a vivement blessée. LE VALET. Pour moy sans retarder selon sa volonté Je chercheray Lisandre où les eaux l'ont jetté. ### SCENE DEUXIESME. CALISTE, LIDIAN CALISTE *seule vestuë en homme.*. En fin tous mes soupçons changez en assurance⁎ M'ostent ce peu de bien que donne l'esperance, Et mon œil vray tesmoing assure mon esprit De la desloyauté que l'oreille m'apprit : J'ay veu cette rivale, et mes mains trop humaines N'ont pas mis au tombeau ce subjet de mes peines ! Je n'ay pas arraché de son sein entrouvert Et l'amour et le cœur du traistre qui me perd Mais comme si ses yeux en me venant surprendre Avoient vaincu Caliste aussi bien que Lisandre, A son premier aspect mon courage s'abat Et je quitte ma force et le lieu du combat : La honte qui me suit, et qui me sollicite, Me monstre malgré moy les vertus⁎ d'Hyppolite, Et me dit qu'un départ si peu premedité Est l'effet de sa gloire⁎, et de ma lácheté ; Cette seule action aussi láche qu'infame⁎ Monstre qu'en cet habit je suis encore femme, Dont les desseins conçeus aveq beaucoup d'ardeur Au moindre empeschement ne font rien que froideur, Ce sont des flots naissans sur les ondes ameres Dont le moindre rocher affoiblit les coleres. Que j'ay sur ce subjet des sentimens peu sains ! Ha si le moindre obstacle arrestoit nos desseins, L'honneur et la raison opposez à ma flame, Eussent vaincu l'amour qui regne dans nos ames. Je tirerois ce bien du malheur où je suis Qu'une infidelité finiroit mes ennuis⁎ ; Mais Lisandre me quitte, et pourtant je fais gloire⁎ [211] De conserver encor sa funeste⁎ memoire ! Il n'y faut plus penser, il est temps de perir, Mon honneur negligé me condamne à mourir, Aussi la seule mort est le bien où j'aspire, [212] Elle tient dans ses mains la fin de mon martire ; Creve toy donq les yeux, acheve ainsi ton sort Par où l'amour injuste a commencé ta mort, Arrache toy le cœur, qui receut une peste, Et qui ne cogneut pas sa blesseure funeste⁎ ; [213] Mais pourquoy destinay-je, ô favorable mort, Ou mes yeux, ou mon cœur à ton premier effort ? Frappe frappe à ton gré ce corps abominable, Ne choisis point d'endroits, il est partout coupable. LIDIAN. C'est sans doute en ce lieu, qu'elle vient se cacher, Voyla le logement, où je la doy chercher. CALISTE. Qu'ay-je veu [214] ! c'est mon frere. LIDIAN.         Arrestez vostre fuite, Recompensez ainsi les soings⁎ de ma poursuite. CALISTE. Laissez moy disposer du reste de mes jours, Puisque la seule mort a pour moy du secours. LIDIAN. Qui vous fait sans subjet discourir de la sorte ? CALISTE. Les malheurs eternels où le destin me porte. LIDIAN. Relevez vostre espoir, ma seur, assurez vous Que le Ciel pitoyable a perdu son courroux, Et que malgré les traits du mal qui vous offence Il vous suffit qu'un Roy soit à vostre deffence. CALISTE. Helas ! qu'avez vous dit ? LIDIAN.         Suivez moy seulement, Et j'en diray bien plus pour vostre allegement. CALISTE. Mais pourray-je paraistre, où la raison m'accuse ? LIDIAN. L'amour est vostre mal, l'amour est vostre excuse. CALISTE. L'amour est le bourreau, qui me fera mourir. LIDIAN. Si vous avez du mal, laissez vous secourir. [215] ### SCENE TROISIESME [216]. LISANDRE, LEON LISANDRE *accompagné d'un pilotte.*. Helas ! au mesme instant qu'une belle esperance Me presentoit le bien qui m'attendoit en France, Au point mesme qu'un Roy finissoit mes travaux⁎ Les fureurs de la mer recommencent mes maux, Et Neptune envieux de ma bonne fortune La contraint de changer et de m'estre importune, Ainsi quand j'ay trouvé la grace des humains La disgrace des dieux me l'arrache des mains : Alors que j'espérois le repos de la terre Les autres Elemens m'ont declaré la guerre, Et se sont rencontrez dans le mesme dessein De combattre le Dieu que j'ay dedans le sein⁎; La mer enfla les eaux, l'air se couvrit d'orages Et le foudre⁎ et le feu nasquirent des nuages, Et parmy les assauts, dont nous fusmes pressez Tant d'eau douce tomba sur les flots courroucez, Que Neptune insensible à ma longue misere Perdit son amertume et non pas sa colere, Tous les vents deschainez n'observoient plus de loy L'horreur sort aveq eux des prisons de leur Roy [217], Et les rochers esmeus⁎ au bruit de ces tempestes En baisserent de peur leurs orgueilleuses testes ; Les flots nous eslevoient où nous portions nos veuz, Et les Dieux s'estonnoient⁎ de nous voir si prés d'eux ; Transportez dedans l'air par les vents et les ondes Nous ne trouvions par tout que flames vagabondes, Si bien qu'il nous sembloit que la fureur de l'eau Dans la sphere du feu portast nostre vaisseau, Ou que pour adjouter de la crainte à nos ames Le sort nous fit voguer sur l'element des flames. Ce fut là malgré nous le chemin malheureux Qui nous fit arriver en ce desert affreux. [218] LEON. Aveq tant de soupirs et de pleurs inutiles Dont j'arrouse sans fin ces terres infertiles. Je ne perds pas le mal dont je me sens attaint. LISANDRE. N'entends-je pas la voix de quelqu'un qui se plaint ? LEON. Miserable Leon crois tu que ton courage [219] Resiste plus longtemps aux efforts d'une rage ? Et qu'il puisse eviter ces renaissantes morts Que te donne sans cesse un trop juste remords ? Helas ! depuis le jour que ma main criminelle Precipita Cleandre en la nuit eternelle. LISANDRE. Bons Dieux qu'ay-je entendu ? [220] LEON.         Mille et mille vautours Me devorent le cœur qui renaist tous les jours, Et parmy les douleurs où mon ame est portée Je suis sur ces rochers un autre Promethée [221] ; En vain j'ay fait le choix d'un si triste sejour Affin de me cacher des hommes et du jour, En vain je fuy le monde en ma misere extreme Puisque je ne puis pas me cacher à moy-mesme : [222] Tout l'enfer me poursuit aveques ses flambeaux Et mes propres pensers me servent de bourreaux. Par tout un criminel trouve qui le travaille⁎, Et porte son enfer en quelque lieu qu'il aille. LISANDRE. Puis-je croire aysement au milieu de mes fers Qu'on trouve tant de bien en des lieux si desers ? Conduits par la faveur des bonnes destinées N'aurons nous point pris terre aux isles fortunées ? Vents, Neptune, tempeste, effroyables tourmens Combien doy-je de veuz à tous vos mouvements ? Penetrons plus avant en cette solitude. Leon tu finiras ma longue inquietude, Resous toy maintenant ou de suivre mes pas Ou d'esprouver icy les rigueurs du trespas. [223] LEON. Helas ! j'avois jugé que ces lieux effroyables Estoient faits seulement pour les esprits coupables. LISANDRE. Responds moy. LEON.         Si le Ciel ne m'avoit destiné A finir le tourment que je vous ay donné, Hà Lisandre mon bras armé contre ma vie Eust desja mille fois prevenu⁎ vostre envie, J'iray j'iray par tout, où vos pas tourneront [224] Et si vous le voulez les enfers me verront. LISANDRE. Paris te reverra, ta voix et ta presence Briseront tous les fers, qui chargent l'innocence. Rentrons dedans l'esquif⁎, les ondes et les Cieux N'ont plus qu'un front riant qui rasseure nos yeux. ### SCENE QUATRIESME. LUCIDAN, HYPPOLITE LUCIDAN. Jamais tant de beautez ne forcerent mon ame A fléchir soubs les loix d'une amoureuse flame, Hyppolite sçait vaincre avecques tant d'attraits Que le vaincu se plaist à mourir de ses traits ; Mon esprit attiré par ses douces amorces A plustost ressenty que recognu ses forces, Mais je voy cette belle, et je sens que mon cœur Veut aller au devant d'un si noble vainqueur. [225] HIPPOLITE *armée et vestuë en homme.*. En fin j'ay veu Caliste, et j'ay fait aveq elle Une ferme alliance au lieu d'une querelle, Et pour vous tesmoigner coment elle me void Elle m'a fait present des armes qu'elle avoit. [226] LUCIDAN. Elle peut bien vous craindre, et vous ceder les armes, Puisque les plus parfaits les cedent à vos charmes. [227] HIPPOLITE. Par tout où nous voyons des hommes comme vous La mesme flatterie a du poison bien doux. LUCIDAN. La loüange est bien juste alors que l'on la porte, Où la force est si belle, et la beauté si forte ; Mais apres tant d'effets⁎, qui rendent en ces lieux La terre glorieuse⁎, et le ciel envieux, L'amour est estonné⁎ de vous voir sous ces armes Sçachant que pour tout vaincre il ne faut que vos charmes⁎, Et que vostre œil divin sans le secours de Mars Attire autant de cœurs qu'il jette de regards. HIPPOLITE. Si l'amour eust jugé ma puissance assez forte, Il ne m'eust pas donné les armes que je porte. LUCIDAN. Ce ne fut qu'à dessein d'apprendre à nos esprits Que de toutes façons vous remportez un prix, Et que le fer en main, et les yeux plains de flames Vous captivez les corps dont vous avez les ames. HIPPOLITE. Vos armes n'ayant pû triompher de mes jours Vous voulez faire icy triompher vos discours. LUCIDAN. Que j'aurois triomphé si mes premieres plaintes Portoient jusques à vous de legeres attaintes, Et si vos yeux vainqueurs [228] pouvoient voir dans les miens Que mon ame captive adore vos liens : Mais que sçay-je indiscret en vous donnant de larmes Si vostre cœur n'est pas aussi dur que vos armes. HIPPOLITE. Que vous empruntez bien le visage d'Amant ! Que vous vous plaignez bien sans avoir de tourment ! [229] LUCIDAN. Le temps vous fera voir, et vous fera comprendre Ce que vostre beauté vous pourroit mieux apprendre, Cependant je vous laisse, et j'espère qu'un jour On vous verra sensible au feu de mon Amour. HIPPOLITE *seule .*. Puis-je estre sans transports ou ma triste pensée Entretient les douleurs de mon ame insensée ? Puis-je estre sans fureur, où l'amour me fait voir L'astre de mon malheur et de mon desespoir ? J'ay veu j'ay veu Caliste, et mon sort redoutable [230] M'a monstré dans ses yeux ma perte inévitable. Pourquoy veux-je accuser ses attraits glorieux⁎ ? Lisandre a fait le mal dont j'accuse ses yeux, Le traistre languissant pour une feinte playe Dans mon cœur amoureux en a fait une vraye, Et ce perfide auteur de mon premier ennuy⁎ Me vint offrir un cœur qui n'estoit plus à luy, Ce n'estoit qu'un miroir où je ne pûs cognaistre⁎ Que l'amour n'y parût qu'afin de disparaistre, [231] Ou c'estoit une terre avecques ce deffaut Que le dedans est froid quand le dessus est chaud : Mais je blasme Lisandre, et je ne puis moy mesme Me deffendre des traits de la beauté qu'il ayme, Mon œil en la voyant demeuroit enchanté, Et si j'eusse eu mon cœur elle me l'eust osté. Mon ame millefois de sa grace ravie Luy consacroit desja le reste de ma vie, Et croyant cet habit que mon sexe dement J'allois sans y songer devenir son amant⁎. [232] Je cherche les attraits que j'ay pardessus elle Pour rendre à ma faveur Lisandre plus fidelle, Et je ne trouve rien dans mes soins superflus Sinon que je suis fille, et qu'elle ne l'est plus : Mais dans ceste recherche, où l'amitié⁎ me porte, Ce qui me desespere, et qui la rend plus forte, C'est que malgré mes vœux ses superbes appas Ont l'amour de Lisandre, et que je ne l'ay pas. Que fais-je donq icy toute pleine d'allarmes ? Je veux quitter ensemble et la cour et mes armes, Et prendre celles là que Caliste vestit Alors qu'elle parût, et que l'on combattit ; Qu'on blasme mon dessein, que chacun s'en offence, Je n'ay que mon caprice aujourd'huy pour deffence. Ainsi je chercheray par un chemin de pleurs L'infidelle subjet de mes longues douleurs, Conduite par l'espoir de le revoir encore J'irois où le soleil fait renaistre l'Aurore, J'irois ou la vigueur de ses quatre chevaux Precipite le jour au bout de ses travaux⁎, Et l'effet⁎ sans pareil d'une amour sans pareille S'il ne l'emplit de feu, l'emplira de merveille⁎. ## ACTE CINQ. ### SCENE PREMIERE. LISANDRE, SON VALET, /HYPPOLITE, UN COURRIER Leon doit accompagner Lisandre. LISANDRE. Apres tant de soucis, et des maux si puissans Que ta rencontre plaist à mes yeux languissans, Jamais le jour naissant n'obligea⁎ d'avantage Les desirs de celuy, que la douleur outrage, Et jamais un pilotte apres de longs souspirs Ne rencontra le port avec plus de plaisirs : Toutesfois le discours que tu me viens de faire M'estonne⁎ tout autant qu'il m'a pû satisfaire, Hyppolite et Caliste au mespris de la mort Ont fait pour mon Amour ce genereux⁎ effort ! Ha si les beaux effets⁎ de ces douces merveilles⁎ Eussent touché mes yeux plustost que mes oreilles, J'eusse crû que mes yeux eussent esté charmez⁎ Me voyant deffendu par deux anges armez, Ou plustost que Pallas [233], et Venus sans envie Eussent fait leur accord pour deffendre ma vie. Mais il faut par ce mot que Caliste m'escrit Adoucir les langueurs qui me chargent l'esprit, L'amour vray medecin du mal qui me possede En met dans ce papier le souverain remede. Apres avoir leu la lettre, il dit ce qui suit. Qu'ay-je veu ! qu'ay-je leu ! que ce triste discours Est contre mon espoir, et loing de mon secours ! [234] Où je pensois trouver des plaisirs tous celestes J'y trouve les enfers, et des maux plus funestes⁎ ; Où mon espoir trompeur me promettoit des fleurs Un veritable mal y fait naistre des pleurs ; Au lieu de rencontrer cette douce justice Qui fait la recompense, et la joint au service, J'y treuve celle là qui n'a point d'autre effet⁎ Que d'inventer la peine et la joindre au forfait : Aussi suis-je coupable, et mon crime consiste En ce que j'ay causé les soupçons de Caliste, J'ay fait autant de maux en vivant sous sa loy, Qu'Hyppolite receut de paroles de moy. LE VALET. Monsieur, voicy Caliste avec les mesmes armes Qui couvrirent pour vous ses beautez et ses charmes. [235] LISANDRE. O l'heureuse rencontre ! Amour faits voir icy Que la fidelité fut tousjours mon soucy. HYPPOLITE *sous les armes de Caliste.*. Je voy mon desloyal, il s'avance le traistre, C'est sans doute en ce lieu que je le doy cognaistre⁎, Ses esprits esgarez dans le ravissement⁎ Se laissent abuser par mon desguisement, Et ses yeux où la feinte est sans cesse occupee Le tromperont luy mesme apres m'avoir trompée. LISANDRE. Belle que la valeur, les graces, et le jour Firent la seur de Mars, et la mere d'Amour, Puisque le ciel plus doux vous fait revoir Lisandre, Ne le condamnez pas avant que de l'entendre ; Les soupçons plus puissans n'ont jamais le pouvoir De faire criminel, mais de nous decevoir, Et la fidelité que garde mon courage Peut ceder à la mort, et non pas à l'ouvrage, Les Cieux m'en sont tesmoings, et les Dieux sont jaloux D'avoir dans mon cœur moins de place que vous : Je sçay que le rapport des amours d'Hyppolite A remply vostre esprit du soupçon qui l'irrite, Et ma voix aujourd'huy ne sçauroit pas nier D'avoir feint que mon cœur estoit son prisonnier. HIPPOLITE. Há traistre. LISANDRE.         Mais jugez pour ma flame eternelle Que ce fut un effet de la voix paternelle, Et sans rendre mon cœur ou volage ou suspect Voyez ce que l'on doibt à la loy du respect : Hyppolite a des traits dont la grace apperceuë Limite son pouvoir à contenter la veuë, Mais Caliste plus forte a des attraits vainqueurs Qui contentent les yeux, et captivent les cœurs. HYPPOLITE *à l'escart.*. Apres avoir souffert de si sanglans outrages A quoy me resoudront mes fureurs et mes rages ? De qui doy-je esperer la fin de mes tourmens ? LISANDRE. Vous la devez trouver dans mes embrassemens [236]. HYPPOLITE. Que l'on croid aysément tout ce que l'on desire ! [237] Cruel ne pense plus que Caliste respire, Tu vois son homicide⁎. LISANDRE.     Helas ! HYPPOLITE.         et Lucidan Prest à sacrifier ton sang à Cloridan. Si ce bras a vaincu celle qui te surmonte, Juge combien ce fer te prepare de honte. LISANDRE. Qu'une divinité soit morte à mon secours ! HYPPOLITE. Ses armes que je porte asseurent⁎ mon discours. LISANDRE. Tu trouves son amant⁎ et son vangeur ensemble, Et pour ton chastiment le destin les assemble. Ils se battent. HYPPOLITE. Le malheur me renverse, et non pas ta valeur. LISANDRE. Ce dernier coup t'immole à ma juste douleur. HYPPOLITE *se descouvre.* [238]. Traistre voy l'ennemy, que le sort t'abandonne, Suy tous les mouvemens⁎ que la rage te donne , Et si tu veux plustost accomplir ton dessein Je quitteray ce fer qui me couvre le sein, Desloyal ne feins plus, acheve ton envie, M'ayant osté le cœur tu peux m'oster la vie, Et j'ayme autant mourir par ton bras irrité, Que par les traits sanglans de ta desloyauté. Lisandre laisse tomber son espee. Tu t'estonnes⁎ perfide, et tu quittes les armes, Lors que tu dois m'ayder et finir mes allarmes ; Tiens, tiens, reprens ce fer, et le cache en mon flanc, Mes feux le rougiront bien plustost que mon sang ; L'atteinte de ce fer me sera moins nuisible Que l'infidelité, que tu rends si visible. Insensible rocher*⁎* aux tourmens que tu vois Tu demeures encor sans effet⁎ et sans voix, Et les cris superflus de mes peines cognues⁎ Ne vont pas jusqu'à toy bien qu'ils percent les nuës. Ha traistre c'est en vain que ton bras rigoureux Me refuse la fin de mes jours malheureux, Apres avoir acquis le tiltre de perfide Tu ne peux eviter celuy là d'homicide⁎, Je m'ayderay moymesme, et j'obtiendray de moy La douceur du repos que j'attendois de toy. LISANDRE. Qu'avez vous resolu ? que faites vous Madame ? HYPPOLITE. Perfide je te rends les preuves de ma flame, Et puis que ta rigueur a refusé mes veuz, Je les donne à la mort aussi bien que mes feuz. LISANDRE. Convertissez sur moy ce dessein effroyable, Si vous voulez du sang, que ce soit d'un coupable, Ou si je suis indigne au milieu de mon dueil Qu'une si belle main me conduise au cercueil, Voyez moy recevoir sans malice et sans feinte Le libre chastiment d'une offence contrainte. [239] HYPPOLITE. Ha ! Lisandre vivez tant que voudra le sort, J'ayme bien mieux vous voir infidelle que mort, Sans rendre contre vous vostre main criminelle Contentez vous en fin du crime d'infidelle. [240] Si mon Amour se plaint, croyez que ce n'est pas De vous voir engagé dessous d'autres appas ; Caliste est trop aymable⁎, et son visage d'Ange Semble avoir esté fait pour excuser un change, Et sans autre pouvoir sa divine beauté Feroit changer de nom à l'infidélité ; Mais l'effet outrageux de vostre seule feinte Qui croiroit que l'amour estant Dieu si puissant Voulut prester son nom à tromper l'innocent ? Lisandre, la nature esgalle en ses merveilles⁎ Donne tousjours deux mains, deux yeux, et deux oreilles, Mais sçachant vostre feinte, et voyant mes langueurs Qui ne voudra juger qu'elle donne deux cœurs. LISANDRE. L'on me doit reprocher que mon ingratitude Est un triste loyer de vostre inquietude, Mais lors que la raison vous forcera de voir Que ceux qui sont liez ont bien peu de pouvoir, Tous vos ressentimens excuseront mon crime, Qu'une amour violente a rendu legitime. [241] HYPPOLITE. J'accuseray tousjours vos discours criminels Dont la feinte me plonge en des maux eternels, Et qui ne peuvent rendre à mon ame asservie La douce liberté que vous m'avez ravie. LISANDRE. Accusez les desseins d'un pere rigoureux, De qui la volonté nous a fait mal-heureux ; Accusez le respect et ses loix inhumaines, Puis qu'il a seul causé vos tourmens et mes peines. HYPPOLITE. Vostre infidelité ne se peut excuser, Vous pouviez bien me voir et non pas m'abuser ; Sans estre obeissant à mon desadvantage Vous pouviez d'un regard refroidir mon courage, Et les loix du respect ne vous obligeoient pas A feindre que l'amour accompagnoit vos pas. [242] LISANDRE. Il est vray que j'ay tort, et mon ame confuse Feroit un autre crime en cherchant une excuse, Mais croyez que vos pleurs diviseroient mes feux, Si le cœur sans mourir se divisoit en deux : Mon Amour tient si fort de l'ame raisonnable Qu'il ne peut diviser sa flame incomparable. HYPPOLITE. Et le mien tient si fort de la Divinité Qu'il ne se peut changer par l'infidelité ; La rigueur, le mespris, la fortune, et le blasme N'ont point d'empeschemens qui retiennent ma flame ; Mon Amour est un feu qui brusle dans les eaux, Mes souspirs eternels allument ses flambeaux, Et j'apprends aujourd'huy de ma perseverance Qu'il peut vivre aysément où se perd l'esperance. LISANDRE. He Dieux peut-on aymer la cause de son mal ! HYPPOLITE. C'est en quoy mon malheur ne treuve point d'esgal, C'est en quoy je cognois⁎, esclave malheureuse, Qu'il n'est point d'autre enfer que la peine amoureuse. Ne pensez pas pourtant que mon ressentiment Invite vostre esprit à quelque changement, J'ayme trop la constance, et ma franchise⁎ advouë Que vostre eslection merite qu'on la louë, Ce point seul me console et finit mes souspirs Qu'une Deesse en terre engage vos desirs ; Mais voyez mes tourmens d'un œil plus equitable Qu'autrefois vostre Amour ne parût veritable, Les grands maux ont ce bien qu'ils font naistre en tous lieux La pitié dans les cœurs, et les larmes aux yeux. LISANDRE. Si Caliste adorable autant qu'elle est fidelle Ne peut rien dans mon cœur endurer avec elle, Elle s'accordera de vous entretenir Et de vivre avec vous dedans mon souvenir, Et je promets en fin au secours de vostre ame Tout autant d'amitié que vous avez de flame. Mais un homme incognu s'avance devers nous, Il s'en faut informer, Amy d'où venez vous ? LE COURRIER. Je reviens de la Cour, LISANDRE.         Hé bien quelles nouvelles ? Qui tient le premier rang au nombre des plus belles ? COURRIER. Chacun selon l'amour qui le tient arresté Prodigue librement le prix de la beauté, L'un le donne à Caliste, un autre s'en irrite, Et le donne par force aux attraits d'Hyppolite. LISANDRE. Que dit-on de Caliste ? COURRIER.         On dit communement Que Lucidan la voit en qualité d'amant. [243] LISANDRE. En qualité d'amant ! HYPPOLITE *à l'escart .*.         Puis au siecle où nous sommes La verité se trouve aux paroles des hommes. [244] COURRIER. Et je croy que l'Hymen uniroit leurs amours Si Varasque [245] n'eut pas interrompu leurs cours. [246] LISANDRE. Comment cela ? COURRIER.         Varasque ennemy de Lisandre Vange par un combat le trespas de Cleandre : La volonté du Roy permet à son effort De monstrer que Lisandre est l'auteur de sa mort, Si bien que Lucidan et sa nouvelle amante⁎ Moderent par la peur le feu qui les tourmente. Voila ce que l'on dit. LISANDRE.         Adieu. Que les malheurs M'ont en fin réservé de cruelles douleurs ! Que je voy desormais dans le cours de mes peines Un remede incertain et des pointes certaines ! Caliste changeroit ! elle sur qui le ciel Avoit en vain versé tout ce qu'il a de fiel ; Elle dont les sermens fonderent mon attante, Et qu'Amour et le mal trouverent si constante. Si je n'avois un cœur appris à resister, Pourrois-je sans mourir tant d'ennuis⁎ supporter ? HYPPOLITE À L’ESCART . Son desplaisir me touche, et sa douleur extreme Me force maintenant à me trahir moy-mesme. LISANDRE. Ce captif ayant mis son innocence au jour. Il montre Leon . HYPPOLITE. Je veux prendre le soing d'y monstrer vostre amour, Et je tesmoigneray par ce dernier office Que pour vous secourir je m'expose au supplice. LISANDRE. Vous monstrez vostre force, et vos perfections⁎ A surmonter ce Dieu qui fait nos passions⁎. HYPPOLITE. Je tesmoigne combien mon ardeur est extreme, Et qu'amour ne peut plus en produire de mesme. Allons, Lisandre, allons, et souffrez⁎ de ce pas Que ma voix vous deffende, aussi bien que mon bras. [247] ### SCENE DERNIERE. LE ROY, VARASQUE, ADRASTE / HYPPOLITE, LEON, CALISTE / LISANDRE, DORILAS, LUCIDAN. LE ROY. Aussy tost que le Ciel eut fait naistre les princes Qui tiennent dans leurs mains le destin des Provinces⁎, Il fit naistre icy bas la Justice et les loix A dessein de garder les peuples et les Rois. Le peuple est sans justice une rage mutine, Le sceptre est sans les loix un arbre sans racine, Et s'il n'est soustenu des mains de l'equité [248] Il tombe en un instant de sa prosperité : Sa cheute nous fait voir des miseres certaines⁎, Et le prince et le peuple en partagent les peines. Jadis nos premiers Rois tousjours victorieux Ne portoient sur leur front qu'un bandeau glorieux⁎, Et c'estoit pour monstrer que leurs braves courages Estoient de l'equité les vivantes images ; [249] Aussy pour tesmoigner que les loix ont tousjours Limité ma puissance et gouverné mes jours, Mon jugement permet ce combat legitime Qui doit montrer au jour l'innocence ou le crime : Quiconque sçait regner sçait observer les loix [250] Et soustenir par tout la force de leurs droits. [251] VARASQUE. Adraste, la raison te defend d'entreprendre Ce que ton amitié⁎ te permet pour Lisandre. ADRASTE. Varasque, mon effort fera voir à son tour Que je sçay conserver ce que j'ay mis au jour. Et la justice mesme au combat occupée Pour vanger l'innocent me preste son espée ; Le tiltre d'innocent, non pas celuy de fils M'oblige à soustenir tes orgueilleux deffis. HYPPOLITE *accompagnée de* LISANDRE *et de* LEON. Cessez de prodiguer vos jours et vos courages Au point que [252] le repos triomphe des orages. LE ROY. L'on diroit que Pallas en ces habits cognus Vient disputer encor la pomme de Venus [253]. HYPPOLITE. Leon approchez vous, et finissez la peine Dont vous avez esté l'origine certaine⁎. LEON. Grand Roy, dont le renom vole en autant de lieux Que le Soleil en void sous l'espace des cieux, Ce bras seul a produit les effets deplorables Qui de deux vertueux ont fait deux miserables ; [254] Jusqu'icy le soupçon s'est rendu trop puissant, Caliste est innocente, et Lisandre innocent. Cette main criminelle au desceu de Lisandre A rempli le tombeau des cendres de Cleandre, Et si quelque coupable a le feu mérité L'on doit ce chastiment à ma meschanceté. CALISTE. Que cét evenement me trouble et me console ! DORILAS. Que je tire de bien d'une seule parole ! LE ROY. Saisissez vous de luy, cette confession Merite que l'on songe à sa punition. Mais n'apprendrons nous rien du destin de Lisandre [255]. HYPPOLITE *en descouvrant Lisandre.*. Sire ce Cavalier vous le peut bien apprendre. CALISTE *en voyant lisandre.*. Doy-je croire aujourd'huy le rapport de mes sens, Qui trompa si souvent mes esprits languissans ? LISANDRE. Prince, de qui la gloire⁎ est l'objet des Monarques Où les Dieux ont laissé leurs plus visibles marques, J'esprouve apres les maux, qui m'ont fait une loy, Que le souverain bien consiste à voir son Roy : Mais puisque le malheur n'a plus rien qui m'outrage Et que mon innocence a surmonté l'orage, Souffrez⁎ que je m'oppose à ces láches esprits Qui foulent mon renom d'un orgueilleux mespris, Et dont la violence à mon aspect captive [256] Alloit mettre au tombeau Caliste toute vive. Permettez une fois à mon cœur allegé De vanger nostre honneur mille fois outragé. LE ROY. Le honteux repentir d'une telle injustice Vous vange en mesme temps qu'il leur sert de supplice. Mais pour finir des maux [257] si cuisans et si forts Que les embrassements⁎ estouffent vos discords. VARASQUE. Adraste, Dorilas, mon imprudence extreme Cherchant un criminel le fait voir en moymesme ; Caliste, et vous Lisandre ordonnez en effet La reparation du crime que j'ay fait. ADRASTE. Ne parlons plus de crime [258] où paroist l'innocence. DORILAS. Et qu'un parfait accord prenne icy sa naissance. ADRASTE. Mon fils que je t'embrasse⁎ apres tant de soupirs Que ton heureux retour convertit en plaisirs. LISANDRE. Ma fuite m'a rendu digne de mille geynes⁎ Alors qu'elle a causé vos souspirs et vos peines. LE ROY. Lisandre voy Caliste assuré⁎ [259] de ton Roy, Et vous et Dorilas approchez-vous de moy. Le Roy parle à Adraste et à Dorilas. LISANDRE. Adorable prison des libertez des ames, Vous pour qui tant de cœurs se sont changez en flames, Et de qui les vertus⁎ et les divins appas Triomphent bien souvent que [260] vous n'y pensez pas, Arrestez d'un regard mon bonheur⁎, ou ma perte, Faites moy voir le port, ou bien la tombe ouverte, Je ne descendray pas dans l'horreur des enfers Sans sçavoir endurer des flames et des fers. [261] CALISTE. Lisandre assurez⁎ vous, qu'une jalouse flame Laisse aujourd'huy l'amour paisible dans mon ame. LE ROY. Donq apres tant de maux Hymen doit à son tour Allumer son flambeau de celuy de l'amour, Et je veux que ses loix donnent sans plus attendre Et Lisandre à Caliste, et Caliste à Lisandre. ADRASTE. De vostre volonté dépendent nos desirs, [262] DORILAS. Et de vostre vouloir nous tirons des plaisirs. LISANDRE. Grand Roy juste par tout, que sans peyne et sans guerre Le ciel charge vos mains du sceptre de la terre. LE ROY. Et pour rendre ce jour plus luisant et plus beau Il faut qu'un autre Hymen y monstre son flambeau, Lucidan dont la race est esgalle au merite Doibt joindre ses vertus⁎ à celles d'Hyppolite, Si toutesfois leurs veux d'accord avec les miens Aspirent librement à de si doux liens. LUCIDAN. Que ces liens plairont à mon ame asservie. Si la belle Hyppolite y veut joindre sa vie. HYPPOLITE. Le respect que je doibs à vostre Majesté M'a fait tousjours flechir sous vostre volonté. Et le bien qui finit les ennuis⁎ de Caliste Rend mon cœur plus content, qu'il n'avoit esté triste. CALISTE. Si nous avons du bien, Madame, nous devons A vos rares vertus⁎ celuy que nous avons. LE ROY. Rendez aux immortels les premieres loüanges Du bien-heureux succez⁎ de tant d'effets⁎ estranges, Apres avoir fait voir qu'au mespris des douleurs L'innocence et l'amour triomphent des malheurs. FIN # Lexique.AccidentÉvénement, selon Furetière ce mot « signifie hasard, coup de fortune ».V. 1387Allégeance« Soulagement d'un mal » (Furetière).V. 70, 373, 1197Amitié« Affection qu'on a pour quelqu'un » (Furetière).V. 90, 583, 938, 1625, 1893Amant, amanteCelui qui aime d'une passion violente et amoureuse.V. 939, 1054, 1620, 1721, 1848Apparans« Ce qui est visible, certain, évident dont on ne peut douter » (Furetière).V. 387, 633AsseuranceConfiance en soi.V. 602, 634, 1345, 1417Asseurer« Rendre ferme, constant, hors de péril », ou encore « mettre en lieu de sûreté ».V. 210, 667, 763, 768, 887, 890, 958, 1037, 1132, 1720, 1960Certifier, annoncer.V. 1053, 1055Assurer (s')Se référer, s'en tenir à.V. 1037Attentat« Outrage ou violence qu'on tâche de faire à quelqu'un » (Furetière).V. 163, 1288Aymable« Qui a des qualités qui attirent l'amour ou l'amitié de quelqu'un » (Furetière).V. 50, 404, 585, 1765Bonheur« Se dit des rencontres, du hasard » (Furetière).V. 90, 502, 571, 747, 773, 1956Cartel« Écrit qu'on envoie à quelqu'un pour le défier à un combat singulier, soit pour des tournois, soit pour un duel formé » (Furetière).V. 67Certain« Constant, véritable… Se dit aussi pour fixé et précis » (Furetière).V. 765, 1222, 1880, 1905Chalan« Celui qui a coutume d'acheter à une boutique chez un même marchand » (Furetière).V. 463Chalandise« Concours de personne qui vont acheter dans une même boutique » (Furetière).V. 462Charme(s)Sens fort, « se dit figurément de ce qui nous plaît extraordinairement, qui nous ravit en l'âme » (Furetière).V. 575, 582, 893, 982, 1574CharmerExercer un charme.V. 1655Cognaistre Comprendre, découvrir, reconnaître.V. 321, 434, 483, 1043, 1163, 1208, 1609, 1682, 1741, 1812Coquille« Se dit figurément de toute sorte de marchandise dont on trafique » (Furetière).V. 487DesmontéeÉnervée, déchaînée.V. 137DespartirAttribuer.V. 1192DestinéeDésignée, fixée.V. 444Divertir« Réjouir. Il n'y a rien qui divertisse plus que la comédie » (Furetière).Épître, 418Effet« Signifie pratique, exécution » (Furetière). Ce mot désigne le passage à l'acte.V. 20, 72, 147, 728, 738, 832, 1139, 1237, 1325, 1409, 1571, 1641, 1653, 1671, 1740, 1985Ennui(s)Sens fort, peine très vive, souffrance.V. 47, 288, 544, 618, 1444, 1607, 1859, 1980Entendre« Signifie comprendre, pénétrer dans le sens de celui qui parle ou qui écrit » (Furetière).V. 431Entreprise« Résolution hardie de faire quelque chose ».Esmotion« Mouvement extraordinaire qui agite le corps et l'esprit et qui en trouble le tempérament » (Furetière).Esmouvoir« Esbranler. Se dit figurément des passions » (Furetière).EsquifEmbarcation légère.V. 1352, 1360, 551EstonnementSens fort, fait d'être frapper par le tonnerre sous l'effet de la surprise, de l'admiration ou autre…V. 355, 911, 1304EstonnerVoir ci-dessus.V. 605, 655, 1201, 1500, 1573, 1650, 1733Faillir« Pécher, manquer à son devoir » (Furetière).V. 275FatalÀ la fois imposé par le destin et funeste.V. 5, 295, 719Flater« Se dit communément en choses spirituelles. Flatter la douleur c'est à dire l'adoucir » (Furetière).V. 1057« Se repaître d'espérance » (Furetière).V. 105ForceneriesMot rare au XVII*e* siècle, il signifie « folie furieuse » (*Dictionnaire du français classique* de Dubois, Lagane et Lerond).V. 1113Foudre« Ce mot est l'un de ces substantifs que l'on fait masculin ou féminin comme on veut » (Vaugelas).V. 12, 269, 788, 1490Fournir dePermettre.V. 1412Franchise« Signifie chez les poètes et les amants, la liberté » (Furetière).V. 37, 806, 918, 1816FunesteQui apporte la mort.V. 3, 337, 1446, 1454, 1666Furie(s)« Passion violente de l'âme qui la transporte, qui outre sa colère » (Furetière). Au pluriel, ce terme désigne les divinités infernales, personnifications de la vengeance divine, qui entraient dans le corps des hommes pour les tourmenter.V. 354, 1114, 1406FurieuxPersonne emporté par de « violents mouvements d'âme, par des passions qui la font agir avec un grand emportement » (Furetière).V. 323, 376, 1414GardesRebords entre la lance et la poignée qui protègent la main.V. 194Généreux « Qui a l'âme grande et noble et qui préfère l'honneur à tout autre intérêt » (Furetière). Il a pour synonyme brave, vaillant, courageux.V. 146, 948, 1031, 1183, 1213, 1298, 1315, 1338, 1652Geyne« Se dit de toute peine ou affliction du corps ou de l'esprit » (Furetière). Pour un amant les gesnes sont les tourments qu'il endure à cause de son amour.V. 343, 561, 1948Gloire« Honneur, considération, qualité flatteuse » ou encore « réputation intacte aux yeux d'autrui et de soi-même, amour-propre » (*Dictionnaire du français classique*).V. 66, 73, 246, 296, 382, 742, 946, 1157, 1162, 1182, 1313, 1330, 1432, 1924GloireRenommée, « célébrité méritée par quelques actions éclatantes » (*Dictionnaire du français classique*).V. 1194Gloire (faire… de)« Se vanter de, se faire honneur de « (Furetière).V. 1445GlorieuxConnotation religieuse, se dit de quelqu'un « qui jouit de la béatitude éternelle » (Furetière).V. 127, 527, 644, 729, 988, 1228, 1315, 1323, 1572, 1603, 1883HomicideDésigne le meurtrier.V. 594, 1715, 1746InfameDéshonorant.V. 146, 1433InsigneÉclatant, remarquable.V. 156MarqueSigne fixé, déterminé ou encore empreinte servant à reconnaître, à distinguer une chose.V. 1222, 1225MartialQui manifeste du goût pour la lutte.V. 1217MerveilleAdmiration, surprise, étonnement.V. 653, 1325, 1393, 1642, 1653, 1772Mouvemens« Se dit des différentes impulsions, passions ou affections » (*Dictionnaire de l'Académie*).V. 1, 131, 584, 1052, 1270, 1726Monument« Signifie le tombeau dans le style soutenu et particulièrement en poësie » (Furetière).V. 144, 1199Obliger« Signifie faire quelque faveur, civilité, courtoisie » (Furetière).V. 227, 542, 1645Occasion« La cause, le sujet ». À mon occasion : « pour ma considération » (Furetière).V. 968Passion(s)« En Morale se dit des différentes agitations de l'âme selon les divers objets qui se présentent à ses sens. Se dit par excellence de l'amour » (Furetière).V. 9, 569, 576, 734, 1220, 1269, 1291, 1867Perfections« Se dit au pluriel de l'assemblage de toutes sortes de bonnes qualités » (Furetière).V. 259, 575, 1866PlaceLieu du tournoi.V. 1262, 1281PrévenirDevancer.V. 1546Provinces« Les Provinces étaient originairement des Duchés, des Comtés, ou autres seigneuries considérables qui ont été réunies sous un même chef » (Furetière).V. 1873RavissementDésigne l'enlèvement par la force, le rapt. Dans l'univers amoureux, le nom marque précisément la dépossession de soi qu'éprouve l'être en proie à l'amour.V. 1683Remise (sans…)Sans retard.V. 131RetFilet. « Se dit en morale de certains engagements dont on a peine à se détacher » (Furetière).V. 914ResveriesDélires, folies, idées vaines et chimériques.V. 353Sein« Cœur » (Furetière).V. 735, 800, 931, 1488SoinsSoucis.V. 516, 653, 849, 1462Soigner à« Veiller à quelque chose, ne pas laisser ruiner quelque chose par sa négligence » (Furetière).V. 489SouffrirSupporter, permettre, tolérer.V. 446, 781, 819, 821, 969, 973, 1870, 1930SoulagerAider.V. 380Suborneur« Qui corrompt, qui débauche » (Furetière).V. 572Succez« Issue d'une affaire. Se dit en bonne et en mauvaise part » (Furetière).V. 1985Tire-laineVoleur, rôdeur de nuit.V. 481ToucherConcerner.V. 249TravailEffort, « se dit d'une douleur qu'on souffre » (Furetière).V. 806, 1144, 1258, 1479, 1640Travailler« Faire quelque chose qui donne de la peine, de l'occupation » (Furetière).V. 1529Traverses« Signifie obstacles à la réussite des affaires qu'on entreprend ou encore oppositions » (Furetière).Épître, v. 733Vertus« Forces, vigueur tant du corps que de l'âme » (Furetière). V. 646, 657, 691, 802, 1317, 1430, 1954, 1973, 1983 # Bibliographie. ## Ouvrages généraux. ### Bibliographie spécialisée.L'Air baroque en France (Répertoire chronologique des éditions de textes littéraires (1585-1643) Bibliographie de la littérature du XVII*e* siècle ### Dictionnaires.Dictionnaire de l'Académie française Le Français classique, Lexique de la langue du XVII*e* siècle Dictionnaire de la langue française classique Dictionnaire universel Dictionnaire de rhétorique Dictionnaire français ### Histoire et civilisation du XVIIème siècle.Le Siècle de Louis XIII La Jeunesse de Madame de Longueville ## Ouvrages sur la littérature, le théâtre, la langue. ### Histoire générale de la littérature française.Histoire de la langue et de la littérature française ### Histoire du théâtre français.Catalogue de la bibliothèque de Monseigneur de Soleinne*er* Bibliothèque des théâtres Histoire du théâtre françois Dicitonnaire des théâtres de Paris, contenant toutes les pièces qui ont été représentées jusqu'à présent sur les différents théâtres français ### Études sur la langue du XVII*e* siècle.Histoire de la langue française des origines à nos jours Précis de grammaire historique de la langue française Syntaxe du XVII*e* siècle*e* ## Ouvrages sur la littérature, la forme, les styles et les genres au XVII*e* siècle. ### Histoire de la littérature du XVII*e* siècle.Histoire de la littérature française du XVII*e* siècle Histoire de la littérature française classique (1515-1830) Précis de Littérature française du XVII*e* siècle ### La notion de préclassicisme.Histoire de la littérature française*e* Le Préclassicisme français ### Les notions littéraires au XVII*e* siècle. #### Études sur la notion de baroque.Figures I La Littérature de l'âge baroque en France. Circé et le Paon L'Intérieur et l'extérieur, Essais sur la poésie et sur le théâtre au XVII*e* siècle*e* #### Études sur les notions de galanterie et de préciosité.Langue et sensibilité au XVII*e* siècle : évolution du vocabulaire affectif XVIIème siècle La Politesse mondaine et les théories de l'honnêteté en France de 1600 à 1660 ### Les genres littéraires. #### Le roman au XVIIème siècle.Traité de l'origine des romans*e* Le Roman au XVII*e* siècle #### Le théâtre du XVIIème siècle. ##### Sources.Le Théâtre d'Alexandre HardyThéâtre ##### Histoire.Dictionnaire des personnages littéraires et dramatiques de tous les temps et de tous les pays, poésie, théâtre, roman, musique Le Théâtre du Marais Le Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne Le Mémoire de Mahelot, Laurent et autres décorateurs de l'Hôtel de Bourgogne Les Comédiens français du XVIIème siècle : dictionnaire bibliographique suivi d'un inventaire des troupes. 1590-1710 ##### Études.La Pratique du théâtre Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars A History of french dramatic Literature in the seventeenth century Revue d'Histoire Littéraire de la France Revue d'Histoire Littéraire de la France La Dramaturgie classique en France Mélanges pour Jacques Scherer, Dramaturgie, langages dramatiques ##### La comédie au XVIIème siècle.La Comédie classique en France Comédie et société sous Louis XIII : Corneille, Rotrou et les autres ##### La tragi-comédie au XVIIème siècle. ###### Sources.PréfaceTyr et Sidon PréfaceLa Généreuse Allemande ou Le Triomphe de l'amour ###### Études.Arétaphile The French Tragi-comedy, its Origin and Development from 1552 to 1628 Revue d'Histoire Littéraire de la France Clitophon ### Les formes. #### Études sur la rhétorique.Dictionnaire de rhétorique #### Études sur la rhétorique et la stylistique du XVIIème siècle.Introduction à l'analyse des textes classiques La Formation de la doctrine classique en France #### Études sur le théâtre et la sémiotique théâtrale.Le Langage dramatique Dictionnaire du théâtre ## Ouvrages sur l'auteur.Pierre Du Ryer dramatist Revue d'Histoire Littéraire de la France Revue d'Histoire Littéraire de la France ## Ouvrages sur la pièce.Histoire tragi-comique de notre tempsHistoire des amours de Lisandre et Caliste ------- [1] A. Adam, *Histoire de la Littérature*, Paris, Domat, 1948-1956, tome I, p.  566. [2] *La Généreuse Allemande ou Le Triomphe d'amour*, tragi-comédie, Paris, Pierre Rocolet, 1631. [3] Brunetière, *Histoire de la littérature classique*, Paris, 1912, tome II, chap. IV, p. 47. [4] *Le Théâtre d'Alexandre Hardy*, Paris, chez F. Targa, 1628, tome V. [5] *Comédie et société sous Louis XIII : Corneille, Rotrou et les autres*, Paris, Nizet, 1983. [6] Préface de F. Ogier à *Tyr et Sidon*, tragi-comédie de J. De Schelandre, Paris, Robert Estienne, 1628. [7] *Arétaphile*, tragi-comédie de Pierre Du Ryer, texte établi et présenté par R. Grazia, Zardini Lana, Slatkine, 1983. [8] *Le Mémoire de Mahelot, Laurent et autres décorateurs de l'Hôtel de Bourgogne*, éd. H.C. Lancaster, Paris, Champion, 1920. [9] *La Littérature de l'âge baroque en France*, Paris, Corti, 1965. [10] *Histoire tragi-comique de notre temps*, Paris, 1615 republié à Leyden en 1650 sous le titre *Histoire des amours de Lisandre et Caliste*. [11] Cité par P. Sage, « Le préclassicisme », dans J. Calvet, *Histoire de la littérature française*, Paris, Gigord, 1931-1936 ; III*e*, Paris, del Duca, 1962, p. 129. [12] Cité par M. Magendie dans *Le Roman au XVIIème siècle*, Paris, Droz, 1932, p. 127. [13] *Histoire du théâtre françois*, III, p. 455. [14] *Revue des deux Mondes*, 1901, VI, 143. [15] Préface à *Tyr et Sidon* de J. de Schelandre, Paris, R. Estienne, 1628. [16] *La Dramaturgie classique en France*, III, 2, p. 383. [17] J. Scherer, *op. cit.*, p. 383. [18] *Le Mémoire de Mahelot*, p. 67. [19] *Mémoire de Mahelot*, p. 67. [20] Cité par les frères Parfaict dans *L'Histoire du théâtre françois*, Paris, Morin, 1734, tome IV, p. 551. [21] *La Dramaturgie classique en France*, Paris, Nizet, 1950, I, 4, p. 91 [22] Cité par R.Guichemerre dans *La Tragi-comédie*, Paris, PUF, 1981, II, p. 50. [23] *La Dramaturgie classique en France*, I, 5, p. 98-104. [24] *Op. cit.*, I, 5, p. 104-110. [25] R. Guichemerre, *La Tragi-comédie*, III, p. 102. [26] *Op. cit.*, III, p. 108. [27] *La Tragédie sans tragique, le néo-stoïcisme dans l'œuvre de P. Corneille*, Paris, Colin, 1966, p. 163. [28] *La littérature de l'âge baroque en France*, VI, p. 76. [29] *Op. cit.*, IV, p. 77. [30] G. Molinié, *Dictionnaire de rhétorique*, Paris, Le livre de poche, 1992, p. 167. [31] *La Pratique du théâtre*, éd. Pierre Martino, Paris, Champion, 1927, III, 5, p. 233. [32] G. Forestier, *Introduction à l'analyse des textes classiques*, Paris, Nathan Université, coll. Lettres 128, 1993, p. 14. [33] G. Forestier, *op. cit.*, p. 28. [34] La Mesnardiere cité par R. Guichemerre dans *La Tragi-comédie*, V, p. 185. [35] Dans *Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars*, Paris, Droz, 1988. [36] *La Littérature de l'âge baroque en France*, p. 221. [37] Cité par J. Rousset dans *op. cit.*, p. 226. [38] *Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680)…*, Livre second, 2*e* partie, chap. II, section V, § 4, p. 373-374. [39] J. Rousset, *op. cit.*, p. 186. [40] *La Littérature de l'âge baroque en France*, III, p. 59. [41] *Op. cit.*, p. 241. [42] J. Festugière, *La Philosophie de l'amour de Marsile Ficin et son influence sur la littérature française du XVI*e* siècle*, Paris, Vrin, 1941. [43] J. Festugière, *op. cit.* [44] *Traité de l'origine des romans*, Paris, Thomas Mœtte, 1685, 6*e* édition, p. 208. [45] *Op. cit.*, p. 208. [46] *La Politesse mondaine et les théories de l'honnêteté en France au XVIIème siècle*, III, p. 162. [47] Cité par P. Sage dans « Le Préclassicisme », *Histoire de la littérature française*, p. 54-55. [48] Cité par J. Scherer dans *La Dramaturgie classique en France*, II, 6, p. 317. [49] Du Ryer dédie sa pièce à la fille de Charles de Bourbon, comte de Soissons, Louise de Bourbon qui fut l'épouse d'Henri II d'Orléans, duc de Longueville, en 1617 et qui mourra en 1637. Elle donna naissance à Marie d'Orléans, épouse du Duc de Nemours. Scudéry lui dédie également sa pièce *Orante*. [50] Variante. « les divertissements » [51] Divertir et paraistre : deux des principes fondamentaux de la tragi-comédie de l'époque. [52] Simon Basin ou Bassin : aumônier d'Anne d'Autriche connu pour ses sermons, ses odes et une tragi-comédie. [53] I. D. : Initiales d'Isaac Du Ryer poète lyrique, père de Pierre Du Ryer. [54] Guillaume Colletet (1598-1659) : grand ami de P. Du Ryer. Ce poète était un familier de nombreux cercles littéraires et fut lié d'amitié avec les poètes les plus divers. Un des poètes les plus actifs de la jeune génération, il fut l'animateur du cercle des Illustres bergers. Il recherche sa voie dans un modernisme modéré, ainsi il accepte la réforme malherbienne en ce qui concerne la prosodie et la langue mais reste un défenseur de la vigueur et de la verdeur de l'ancienne poésie. Il fut également un des fondateurs de l'Académie française et le premier historien de la littérature française. [55] Il s'agit de J.C. de Villeneuve (d'après A. Adam, *Histoire de la littérature française au XVIIème siècle*, p. 428). [56] Var. « se resolut » [57] Comme dans la majeure partie des pièces de cette période, la distribution de *Lisandre et Caliste* est abondante (vingt personnages en tout). L'Hôtel de Bourgogne se composait d'un nombre restreint d'acteurs, nous pouvons ainsi en conclure qu'un même acteur jouait deux ou peut-être même trois personnages différents. Clarinde et Hyppolite par exemple devait être interprétées par la même actrice. Clarinde apparaît dans les scènes 2 et 6 de l'acte I tandis qu'Hyppolite n'entre en action qu'à la scène 2 de l'acte III. Du Ryer n'a pas mentionné le juge de camp qui apparaît dans la pièce à la scène 4 de l'acte I. [58] Selon H.C. Lancaster (*Pierre Du Ryer Dramatist*, p. 54), c'est la première fois que le nom de suivante est donné à un personnage de théâtre. Et comme l'explique J. Scherer dans *La Dramaturgie classique en France* (p. 41) : « “La suivante” est promise à une grande fortune dramatique ». Mais il ne s'agit pas simplement d'un nom car ce sont les amours de Clarinde qui causent le meurtre de Cleandre et tous les malheurs qui en résultent. [59] Dans le premier tiers du siècle ce type d'exposition est encore assez fréquent, à cette époque le monologue occupe une place de choix. Dans son *Examen à Clitandre* (*Théâtre*, vol. I, p. 125-126), Corneille explique que « c'était une beauté en ce temps-là : les comédiens les souhaitaient, et croyaient y paraître avec plus d'avantage » et Scherer ajoute (*La Dramaturgie classique*, p. 257) : « … il est vraisembable que ce désir de briller des acteurs et des actrices a favorisé l'épanouissement du monologue, surtout à une époque où l'auteur dramatiamnque avait encore assez peu de prestige ». Outre cet aspect, il était fréquemment utilisé par les auteurs pour commencer l'acte et permettait de signaler l'entrée d'un personnage important. Du Ryer suit cette tendance en confiant à Lisandre le rôle d'ouvrir la pièce par un monologue d'exposition où il révèle ses sentiments, le dilemme qui le tourmente… On comprend alors que cet amour motivera notre héros tout au long de la pièce. [60] Var. « ordonné ». [61] Var. « Amour, que mon destin se fait bien détesté ! ». [62] Tout le dilemme de Lisandre se résume dans ce genre de phrase : brièveté, rythme, symétrie, antithèse où l'on retrouve le goût de Du Ryer pour les créations antithétiques. Cependant, malgré la tension qui en découle, l'auteur n'exploite pas suffisamment ce dilemme pour en faire un véritable ressort psychologique. [63] « Le » c'est à dire le cœur. [64] Marsile Ficin formule le thème du portrait de la sorte : « l'amant grave en son âme la figure de l'aimée. De ce fait, l'âme de l'amant devient un miroir dans lequel se reflète la figure de l'aimée ». (*Commentaire* …, cit. II, p. 158). [65] Cette opposition entre amour et raison est un des nombreux lieux communs de la poésie amoureuse. Lisandre fait ici appel à la raison et à la volonté pour combattre sa passion mais en vain. [66] C'est la première comparaison d'une longue série d'images où Caliste est assimilée à une déesse. On quitte le domaine de l'humain et du terrestre pour toucher à l'idéal. Marsile Ficin écrivait : « … cet éclat de la divinité qui brille dans les belles choses contraint les amants à l'admirer, à la craindre et à la vénérer comme une image de Dieu » (*Commentaire* …, cit., II, p. 153). [67] Du Ryer n'expliquera les raisons de ce duel qu'à la scène 3 de l'acte I. [68] « Où » c'est à dire que. [69] L'abbé d'Aubignac définit les sentences comme des « propositions générales qui renferment des vérités communes, et qui ne tiennent à l'action théâtrale que par application et conséquence » (*Pratique du théâtre*, livre IV, ch. V, p. 313). Le goût, qui reste vif jusque vers 1660, des auteurs et des spectateurs pour ces formes d'écriture théâtrale est attesté par les théoriciens. Leur but était de plaire et de profiter aux spectateurs par leur valeur morale. Du Ryer en écrivit beaucoup dans lesquelles on retrouve les caractéristiques définies par Scherer (*La Dramaturgie classique*, p. 325-327) : l'« isolement dans la phrase, la généralité des noms, des pronoms et des temps ». [70] V.79-80 : nous pourrions paraphraser par : « ce n'est pas parce que je suis avec vous que je ne suis qu'employé à juger de vos coups » sous-entendu : je peux participer et me battre contre vous. L'utilisation du subjonctif présent indique que le locuteur exclut cette idée de son univers de croyance. [71] Cet épisode soulève un problème d'actualité, la frénésie des duels entre nobles détruisait des familles entières. Elle atteignit son paroxysme de 1614 à 1624 malgré quatres actes royaux qui interdisaient les duels. La noblesse s'obstine cependant à maintenir cette pratique et les duels ont lieu secrètement. Après le début du siècle, ils perdent leur caractère sauvage et féroce et ont plus de bravoure, de loyauté et d'élégance. [72] « Demeurant » : au XVII*e* siècle, Vaugelas observe que « les gérondifs ont une marque qu'ils prennent devant eux quand ils veulent, qui est “ en ”… », « et que le plus souvent ils ne la prennent point ». Ce n'est qu'au XVIII*e* siècle que « en » est devenu obligatoire comme marque du gérondif. [73] Var. « Où, mon cœur ? … ». [74] Var. « … J'y viendrois, ma chere Ame, … ». [75] Cette comparaison avec le soleil est un des stéréotypes de la poésie amoureuse mais, dans la bouche de Léon, elle se transforme en effet comique. [76] L'emploi d'un conditionnel souligne l'étonnement de Léon. [77] Le double duel a déjà eu lieu pendant la scène 2 et si nous n'avons pas assisté au combat, nous en avons le résultat devant les yeux. Mais Du Ryer montre son souci d'une certaine bienséance en ne représentant pas le duel sur la scène et en évitant d'en faire une boucherie comme dans la source. [78] 78 « Consommer » : « achever », « détruire par le feu, consumer au propre comme au figuré (il se confondait avec ce dernier mot) » (C. G. Dubois, *Dictionnaire de la langue française classique*). [79] L'auteur prend soin de noter et de justifier cet abandon qui se révèlera être un élément essentiel de l'intrigue. [80] « Pour…que » : valeur de concession équivaut à bien que. [81] Var. « Lisandre, les discours sont des armes de femmes, … ». [82] Lisandre, ayant désobéi au roi, se retrouve dans une situation très délicate. D'Audiguier, dans la source, insiste davantage sur la situation de hors la loi de Lisandre en faisant de Cloridan et Crisante, deux favoris du Roi. [83] « Rencontrer le laurier » : remporter la victoire. [84] Les motivations du duel entre Lisandre et Cloridan nous sont exposées assez tardivement mais Du Ryer a ainsi évité un dialogue artificiel sur ce sujet entre les deux protagonistes. L'auteur devait néanmoins nous faire part de ces circonstances afin que le spectateur reste persuadé du bon droit de Lisandre. [85] « Sur qui » : *qui* reprend « le sang », or en français moderne, « qui » représente l'animé et « lequel » l'animé ou l'inanimé. Cette distinction ne s'impose cependant que lentement au XVII*e* siècle où « qui », dans cet emploi, renvoie couramment à un inanimé. [86] Référence à la mythologie grecque. Chaque mort, après avoir été convenablement enterré, arrivait au bord du Styx que Charon était chargé de lui faire traverser. [87] Var. « Cleandre, si vos soings travaillent à mon ayde … ». [88] Caliste ne doit pas montrer une trop grande indifférence aux avances de Lisandre afin que l'amour, qu'elle lui portera juste après la mort de son mari, semble vraisemblable. [89] Ce goût de l'honnêteté en amour se manifeste au théâtre comme dans le roman. M. Magendie dans *La politesse mondaine et les théories de l'honnêteté en France au XVIIème siècle* (chap. III) explique que les femmes ont « au plus haut point le souci de leur honneur et qu'aucun mérite ne justifierait à leurs yeux un abandon au sens, une tache à leur gloire … elles ne connaissent dans ce domaine ni concession ni transaction » ; et l'homme, quant à lui, « ne prononcera aucune parole, n'accomplira aucun acte qui porte atteinte à l'honneur de sa dame ». [90] Var. « ce jourd'huy ». [91] Dans notre source : *Histoire tragi-comique de notre temps sous les noms de Lisandre et Caliste* (1615) d'Henri d'Audiguier, Lisandre tombe amoureux de Caliste avant que de connaître son mari et Cléandre donne sa bénédiction à Caliste pour aimer Lisandre (livre VI). Ainsi la situation de Lisandre n'entame en rien ses qualités d'honnête homme et l'amour des deux héros ne paraît ni illégitime ni déshonorant. Du Ryer n'est pas aussi soucieux d'excuser l'amour de Lisandre et Caliste, il ne pose le problème de la légitimité de cet amour que dans le monologue d'introduction (I, 1) et n'exploite plus cet aspect dans le reste de sa pièce. Cet obstacle d'ordre moral au bonheur des deux héros se révèlerait sans doute plus difficile à surmonter que tout autre. [92] Du Ryer pose nettement la différence entre l'amour vulgaire (représenté par Léon et Clarinde) et l'amour idéal (de Lisandre et Caliste). En effet, la relation que Lisandre entretient avec Caliste est purement spirituelle, il n'est jamais question de contact physique contrairement à ce qui se déroule dans cette scène où Léon exprime clairement et plutôt violemment son désir. Magendie explique dans *La Politesse mondaine* … (chap. IX) que « Mme de Rambouillet essaya de purifier l'amour, de le dégager des jouissances matérielles, auxquelles était réduit le vulgaire, de donner au seigneurs, aux dames, aux écrivains qu'elle recevait … la conviction que homme et femme peuvent goûter ensemble des plaisirs plus élevés, plus durables que ceux du corps ». Du Ryer glorifie l'amour spirituel au détriment du charnel. L'emploi du tutoiement dans ce passage souligne la vulgarité de la conduite de Léon. [93] Dans l'édition de 1632, comme dans celle de 1634, le terme « furieux » ne comporte pas de majuscule. [94] Var. « Cleandre, ouvre ces yeux si charmans et si forts … ». [95] Var. « Dieux ! avecque ses jours disposez de mon sort, … ». [96] Caliste se sent tout de suite concernée par les accusations de Béronte par le simple fait qu'il s'adresse à sa suivante et confidente. [97] Sentence. [98] Var. « Parlez, parlez Clarinde, et soulagez mon mal … ». [99] D'Audiguier développe beaucoup plus les motivations du personnage et définit plus précisément son caractère. Du Ryer impute au seul désir de sauver son amant les raisons d'un tel mensonge sans que le déroulement de l'intrigue en souffre. [100] Les deux héros sont désormais liés : non seulement par leur amour mais aussi par un désir commun de prouver leur innocence. De l'honneur de l'un dépend maintenant celui de l'autre. [101] Dans la source, Caliste s'exprime en ces termes : dans une lettre à sa mère (Livre VIII) : « Et que la fortune décoche tous les traits de sa colere sur moy, s'il luy en reste quelqu'un qu'elle ne m'aye point fait sentir ». [102] Le principe selon lequel un acteur présent dans la dernière scène d'un acte ne peut l'être dans la première de l'acte suivant n'apparaît que vers le milieu du XVII*e* siècle. Le retour de ce personnage est justifié par le fait qu'il a assisté à l'arrestation de Caliste et qu'il est persuadé de son innocence. Aussi est-il le mieux placé pour recevoir les confidences de Lisandre. [103] « Que » pour où. On apprend plus loin que ce « triste jour » remonte déjà à une semaine. [104] Du Ryer fait allusion à l'amitié qui liait Thésée et Hercule. On raconte que Thésée descendit dans l'Hadès pour aider son ami Pirithoos à enlever Perséphone et qu'il y fût enfermer jusqu'à ce qu'Hercule vînt à son secours. [105] Var. « J'ay gaigné le geolier, l'argent et les pistoles … ». [106] « Rompre les prisons » : le verbe rompre signifie « en terme de guerre : défaire, percer, enfoncer » ou encore « détruire, abattre » selon Furetière. Alcidon parle donc de l'évasion projetée par Lisandre. Cette expression se retrouve aussi dans la source (Livre VIII). [107] Chastelet (le grand et le petit) : célèbres forteresses de Paris. Le petit Chastelet, situé à l'entrée de la rue Saint Jacques, servit de prison puis fut démoli en 1782. [108] D'Audiguier indique dans la source qu'« entre le petit Chastelet et le petit-pont, il y a une petite impasse où ne logent que des bouchers ». Dans le roman, les fenêtres sont disposées de telle sorte que Caliste ne peut voir Lisandre (Lisandre aperçoit la fenêtre de la prison mais pas l'intérieur) aussi s'envoient-ils des mots. Du Ryer modifie cette disposition, un dialogue entre les deux héros étant beaucoup moins artificiel au théâtre que la lecture à voix haute d'une lettre. [109] C'est une question purement artificielle et destinée à justifier le déguisement de Lisandre aux yeux du spectateur car c'est sans doute la première question qu'Alcidon aurait posé à Lisandre s'il l'avait seulement reconnu. [110] Malgré cette tentative de justification, l'effet de ce déguisement n'est pas déterminant pour la suite de l'action. Comme l'explique G. Forestier dans *L'esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars*, « ce déguisement est largement superfétatoire puisque le geolier est complice et s'enfuit avec les amants », tous les déguisements de *Lisandre et Caliste* « paraissent tirer leur nécessité de leur multiplication ». [111] « Muguet » : « galant, coquet qui fait l'amour aux Dames, qui est paré et bien mis pour leur plaire ». [112] « Alors que » : valeur temporelle, équivaut à pendant que. [113] Emploi de l'adverbe de négation « ne » sans forclusif de négation. Cet usage était courant au XVII*e* siècle puisque l'adverbe « ne » suffisait à construire la tournure négative. [114] Dans *Le Théâtre du Marais* (tome I), S. W. Deierkauf-Hobsbœr écrit qu'« un comédien portant le nom d'Alizon personnifiait la vieille galante. Troterel s'est servi de ce personnage dans *Lisandre et Caliste* jouée à l'hôtel de Bourgogne en 1630 : Alizon est la femme de Gros-Guillaume ». [115] Gros Guillaume : référence à une des vedettes de la troupe de l'Hôtel de Bourgogne : l'acteur Gros Guillaume, spécialiste, avec d'autres, du genre de l'hyperbole « satyrique » et du « monde sans dessus dessous ». H. C. Lancaster nous apprend, dans *La Revue d'histoire littéraire de la France* (p 309, 1913) que « le nom de Gros-Guillaume, que ce mari se donne, indique que Robert Guérin joua ce rôle ». [116] « En l'air » : « se dit en morale des choses qui n'ont pas de vérité ou de fondement solide » (Furetière). Il s'agit donc de mourir pour rien, en vain. [117] Sorte de proverbe populaire qui marque l'appartenance du boucher à la populace et qui souligne la contradiction comique des actes et des dires de ce personnage. [118] Le déguisement de Lisandre aboutit à un quiproquo qui donne à la scène un ton de comédie. [119] « Ce mignon d'hospital » : expression populaire. Le terme « mignon » désigne selon Furetière le « favori » mais réfère également au gourmand, au goinfre. « Hospital » s'appliquait autrefois à tous les lieux destinés à recevoir des pauvres malades ou non malades. Le boucher désigne ainsi un homme qui, du fait de sa pauvreté, fréquente souvent les hôpitaux. [120] On trouve dans la source (Livre VII) : « Il le boucher dit à Lysandre qu'il disposast non seulement de la chambre mais de toute la maison et de luy-mesme ». [121] Ainsi s'achève la seule scène comique de la pièce dans laquelle notre auteur donne une vision plutôt négative, parce que ridicule, du peuple dont il ne se départira jamais. (Cf : V, dernière, v. 1875-1876). [122] On apprend dans la source que les parents de Caliste vivent en Normandie. [123] « Trouves tu…sortir. » : un point d'interrogation semble manquer à la fin de la phrase. [124] « Ce me semble » : il existait au XVII*e* siècle un certain nombre d'expressions figées que Vaugelas déconseillait à l'écrit et que l'Académie finit par proscrire au XVIII*e* siècle. Ainsi « ce me semble » équivaut à la tournure impersonnelle « il me semble ». [125] Var. « Soit de jour, soit de nuit soyez libre chez nous. » [126] L'image des voiles qui s'étendent dans la nuit est assez fréquente au XVII*e* siècle. [127] Dans la source, Lisandre, déguisé en mendiant, manque de se faire arrêter par la police et Caliste, qui se croyait perdue, s'évanouit de joie en voyant le geôlier venu la délivrer. De plus d'Audiguier nous apprend que le geôlier avait saoulé les gardiens afin de faciliter son évasion. Du Ryer ne retient aucun de ces épisodes pour sa pièce et condense ainsi considérablement l'action, au détriment, sans doute, d'une certaine vraisemblance puisqu'aucun obstacle ne vient perturber cette évasion. [128] Du Ryer prend soin de distinguer les deux affaires qui entachent la gloire de Lisandre, si l'une est sur le point d'être réglée, il n'en va pas de même pour l'autre. La réhabilitation de Lisandre se poursuit étape par étape et l'intérêt du spectateur est constamment maintenu. [129] La présence de Lisandre en messager s'explique dans la source par le fait que les deux héros étaient seuls. Mais une telle scène de confrontation permet à Lisandre de montrer une nouvelle fois son dévouement et son amour extrêmes pour Caliste. [130] D'Audiguier écrit (Livre VIII) : « il sentit les extremes mouvements de douleur et de pitié dans son ame, lesquels neantmoins il dissimula ». [131] « Comme » : valeur causale, équivaut à puisque. [132] « Ruiné » : ce participe passé s'accorde avec le pronom « l' », complément d'objet direct qui reprend « l'honneur » (v.630). [133] D'Audiguier écrit (Livre VIII) : « Hélas, dit Orante, il ne l'appuyera pas si bien comme il l'a dejà perdu ». [134] Nous trouvons dans la source (Livre VIII) : « S'il Lisandre l'a perdue c'est en apparence ». [135] Var. « Le Ciel qui ne veut pas que l'injure l'offence, … ». [136] Var. « Je croy que c'est Lisandre ! … ». [137] Le genre du mot amour n'est pas encore fixé à la fin du XVII*e* siècle, il est toutefois d'usage courant, dans le premier tiers du siècle, de le faire féminin même au singulier. [138] Sentence. [139] C'est à dire Caliste. [140] Ce long plaidoyer de Lisandre et d'Orante sur les odieux méfaits de la médisance, sur les thèmes du renom et de la réputation touche une question d'actualité. La vie mondaine, c'est à dire l'opinion d'autrui, ayant acquis de plus en plus d'importance dans le monde du XVII*e* siècle. Le caractère général des propos des deux personnages autorise l'application de ces principes à toutes sortes de société et accentue la dénonciation de Du Ryer. [141] « Le moyen de » c'est à dire comment. [142] Var. « complices » : l'emploi du pluriel montre que Dorilas s'exprime au nom de sa femme et de lui. [143] Le vers 728 a été rajouté par Du Ryer dans son édition de 1634. [144] Sentence. [145] On retrouve dans la source (Livre VII) : « Sa fuite estoit un des plus grands argumens que l'on eût contre elle ». [146] « Ravie » : ce participe-passé s'accorde avec le mot « bonheur » (v.772), mais Du Ryer n'hésite pas à l'accorder au féminin pour le faire rimer avec « vie » (v.772). [147] Dans le roman d'origine, Adraste est un plus fin psychologue puisqu'il préfère laisser naître l'amour dans le cœur de Lisandre plutôt que de lui imposer quoique ce soit. [148] Cette image est très fréquente dans la moral néo-stoïcienne pour signifier l'impertubabilité du sage. Symbole, dans la sensibilité baroque, de tout élément solide et inébranlable, elle suggère l'idée de stabilité et de constance. [149] « Entreprendre une femme » : essayer de la conquérir, de lui faire des avances. [150] « Briser un discours » : achever, arrêter un propos. [151] Cette prise de position de Du Ryer s'intègre au grand développement que connaît à cette époque le motif de la corruption présente que Du Ryer oppose au thème du bon temps ancien. Les quelques justes qui survivent à cette époque ne sont pas égalés par la nouvelle génération et l'on décèle dans cet état des lieux une vision pessimiste de l'avenir qui n'a rien d'original. Du Ryer reprend des lieux communs, rebattus depuis l'Antiquité, qu'il a sans doute appris dans sa jeunesse en classe de rhétorique. [152] Ce thème anti-aulique, inspiré d'Horace et abordé par Lisandre, constitue la seule controverse de Du Ryer au système monarchique. L'esprit féodal ravivé par les rebellions a retrouvé une certaine indépendance. Devant un système de cour quia perdu la perfection atteinte pendant le règne d'Henri III, une certaine forme de raillerie peut se manifester jusque dans l'entourage du roi. Cete controverse atteint son apogée avec la poésie de D'Aubigné qui présente à l'état pur un art révolté contre la cour, contre la flatterie… Théophile de Viau suit ses traces dans sa manière d'échapper à l'orthodoxie régnante mais n'hésite cependant pas à jouir de ses avantages. Théophile apparaît comme un modèle pour Du Ryer qui est encore en 1630 un jeune auteur désireux de plaire à la fois aux nobles révoltés qu'ils fréquentent, mais aussi au roi dont il est le secrétaire depuis 1621. Aussi Du Ryer ne consacre-t-il que quelques vers à la critique de l'hypocrisie qui règne à la cour. [153] Cet aspect indiscuté et contraignant du pouvoir paternel constitue pour les auteurs un ressort dramatique intéressant puisque les volontés du père représentent souvent un obstacle aux désirs du héros. D'après les usages du XVII*e* siècle, il revenait au père de décider du mariage de ses enfants, or ce dernier faisait toujours son choix en fonction de critères tout autre que l'amour. J. Scherer remarque d'ailleurs que dans la tragi-comédie : « le père joue le même rôle de pouvoir contraignant que le roi dans la tragédie » (*La Dramaturgie classique*, p. 31). [154] Var. « Quelques vives raisons qui nous donnent des armes, … ». [155] Var. « L'amour te feroit dire, en te venant contraindre, … ». [156] Sentence. [157] Ce long monologue trouve sa synthèse chez D'Audiguier (Livre IX) : « Lisandre bien qu'il se resolust plutost à souffrir toutes autres choses que la perte de ses amours, cherchait neantmoins un moyen par lequel en les conservant, il ne perdist point la bonne grace de ses parens ». Une lutte intérieure se livre dans le cœur de Lisandre. Le dilemme est en rapport avec la dualité éternelle de l'âme baroque ; le personnage est entraîné par des exigences opposées et qui le mettent dans l'impossibilité de prendre une décision. J. Scherer (*op. cit.*, p. 63-72) montre qu'à cette époque le dilemme était à la mode dans les tragi-comédies. Du Ryer dans *Arétaphile* en 1628 est un des premiers à avoir introduit ce ressort dans la tragi-comédie. [158] « Glorieux » : ce terme est proche ici du sens d'orgueilleux. [159] Nous assistons dans la source à la rencontre de Lisandre et Hyppolite. Du Ryer choisit de nous en informer sous la forme d'un récit fait par Hyppolite. Il concentre ainsi son action et l'intrigue acquiert plus de rapidité. [160] « Du premier Hyppolite » : référence à la mythologie grecque et sans doute à la tragédie d'Euripide *Hyppolite* représentée en 429 av. J.-C. Pour avoir refusé de sacrifier au culte d'Aphrodite, Hyppolite fut poursuivi par la vengeance de la déesse. Jusqu'à présent notre héroïne a réussi à se préserver de l'amour mais, face à Lisandre, elle ne se sent pas assez forte pour lui résister contrairement au héros grec. [161] Lisandre commence dès ce moment à jouer avec les mots et à feindre. Il se décrit en être possédé corps et âme par son amour et sait suffisamment manipuler le langage pour le dire avec subtilité. Hyppolite devient « le subjet » qu'il touche, au sens propre, et qui lui ravit le cœur. [162] Thème des yeux par lesquels, selon Pétrarque, la beauté de la femme aimée pénètre dans le cœur de l'amant pour le blesser d'une blessure inguérissable. [163] Au XVII*e* siècle on peut trouver le complément d'objet direct placé entre l'auxiliaire et le participe-passé. Cette tournure est jugée archaïque après 1660. [164] Var. « Vous pouvez, mon soucy, me donner un remède, … » : « mon soucy » est une apposition à « vous » et désigne Hyppolite à laquelle Lisandre est soucieux de plaire. Ce dernier déploie tous ses talents de comédien pour persuader Hyppolite de lui venir en aide. En se révèlant calculateur et dissimulateur, il ne répond plus à l'idéal de l'honnête homme, du moins en apparence puisque Lisandre ne fait que dissimuler ce qu'il ressent vraiment afin de protéger son amour. [165] « L'apparence, … richesse » : le mot « apparence se prend aussi pour vraisemblance, probabilité » note G. Cayrou dans *Le Français classique, lexique de la langue du XVIIème siècle*, « il s'emploie souvent de façon elliptique dans des tours interrogatifs où l'on se demande si une chose est vraisemblable, probable ». Aussi pourrait-on paraphraser la phrase par : Est-il possible qu'il supporte après tant de tristesse que… [166] Pour J. Rousset (*La Littérature de l'âge baroque*, p. 222) « la dissimulation sera le vice de l'époque » et nous trouvons souvent dans les romans du XVII*e* siècle des bergers qui, pour détourner les soupçons, feignent d'aimer une autre bergère que celle qu'ils aiment vraiment. Ils ne se demandent pas quelles seront les conséquences de ce mensonge pour la malheureuse qu'ils ont choisie. [167] « Tout à l'heure » : « tout à l'instant, sur l'heure, présentement » (Cayrou, *Le Français classique*). [168] « À l'envy » : « à qui mieux mieux » (Furetière). [169] Var. « Allez, et que le ciel seconde vostre envie. » [170] « Elle a pû » : Du Ryer utilise un passé-composé là où, en français moderne, on attendait un présent. C'est que le passé-composé présente une nuance rare aujourd'hui, celle que l'action est présentement accomplie. Dans cet emploi le passé-composé équivaut à un présent. [171] Du Ryer tient à justifier la présence du père de Lisandre sur le lieu du combat et anticipe sur sa future participation. [172] Var. « … Ont espargné pour toy des soupirs et des pleurs. » [173] Var. « Ne donne que du vent à l'amour qui me touche, … ». [174] C'est à dire en versant des larmes pour toi. [175] « Mettre ver dans » : « on appelle figurément ver le remords de la conscience, parce-qu'il ressemble à un ver qui nous ronge le cœur incessamment » (Furetière). Ainsi Caliste aimerait que Lisandre soit rongé par le remords qu'elle fera tout pour lui inspirer. [176] Caliste ne s'abandonne pas à une volonté supérieure, elle prend sa vie et son destin en main. Avec Hyppolite, elle est le symbole de la responsabilité individuelle, de la volonté, de la conviction intérieure. C'est toutefois au risque de souiller davantage son honneur qu'elle se lance à la poursuite de Lisandre. Du Ryer ne respecte pas les bienséances qui imposent à une jeune fille un comportement moins fougueux. Son action est généreuse puisqu'elle intervient au profit d'un personnage auquel elle a le moins de raison de porter main-forte. [177] « Mot d'escrit » : lettre très courte. [178] Bien que les versions de 1632 et de 1634 ne comportent pas de point d'interrogation, nous en avons rajouté un. [179] On peut paraphraser par : « Non pas pour les raisons que vous dites ». [180] « Au point que » : au moment où. [181] Var. « Tes raisons paraistroient plus fortes que ma flame, … ». [182] « Obtenir des cyprés » : c'est à dire mourir , le cyprés étant un arbre funéraire, symbole de deuil. [183] Le souverain montrera à travers toute la pièce un sentiment scrupuleux de la justice et de l'équité. La foi monarchique chez Du Ryer comme chez ses contemporains se fonde sur la raison et l'expérience. L'approbation de l'auteur va à ceux qui croient que le roi doit avoir de « l'amour pour la vertu et le foudre pour le vice » (*Clitophon*, v. 413) que « Lorsqu'un peu de douceur à la rigueur s'assemble / L'on peult se faire aymer et craindre tout ensemble » (*ibid.*, v. 1465-66) [184] « Alcide » : référence à Hercule et à ses douze travaux. [185] Pierre du Ryer, comme de nombreux dramaturges, fait revivre une vieille coutume médiévale : le jugement de Dieu, et remet ainsi le sort des coupables à un combat judiciaire dont l'issue déterminera de quel côté se trouve le bon droit. [186] Var. « La justice et l'honneur, vrays soleils des humains, … ». [187] « Suivre au monument » c'est à dire suivre au tombeau. [188] Var. « Mais je suis estonné de sçavoir que Lisandre, Paresseux à son bien, ne vient pas de deffendre. » [189] « Qu'il craigne » : subjonctif présent, en effet après « on dirait » qui exprime une supposition et qui est construit sans négation dans une principale, on exige le subjonctif dit de « supposition pour exprimer l'incertitude ». Cet usage est condamné par les théoriciens dans la seconde partie du siècle. [190] C'est Lucidan qui détient la réponse à cette question et pourtant il ne prend pas la peine de justifier Lisandre aux yeux du roi. Il voit peut-être ici une bonne occasion de montrer la lâcheté de ce héros et de légitimer sa plainte. [191] « Trois opposez » : Adraste demande qu'à trois défenseurs de Lisandre soient opposés trois défenseurs de Cloridan et Crisante. [192] Il s'agit d'un déguisement de délivrance, tout comme celui de Caliste, qui permet de disculper un personnage accusé injustement en se livrant à un combat judiciaire. C'est le seul travestissement qui semble fondamental (puisque les deux autres chevaliers ne font que de la figuration) mais puisque le duel se termine avant la fin il n'aura en fait servi à rien. Si ce n'est permettre à Hyppolite d'accomplir une action positive car généreuse. [193] « Un trait d'ami » : un acte d'amitié. [194] La représentation du combat sur la scène, l'issue incertaine du duel, l'incognito qui entoure le champion de Lisandre assure le succès de ce genre de spectacle que l'on retrouve fréquemment dans les tragi-comédies des années 30. Les bienséances étaient sans doute suffisamment établies dans les milieux mondains pour pousser l'auteur à montrer un duel sur la scène sans effusion de sang. [195] « Mesurer la place » : « on dit en terme de chasse, qu'… une bête mesure la forest, pour dire qu'il la traverse d'un bout à l'autre ». Le terme de « place » désigne le lieu du combat. [*] 195 « Alors que » : quand [196] Maxime. [197] Cette intervention tardive de Béronte ne s'explique que par le désir de Du Ryer de représenter une partie du duel entre Hyppolite et Lucidan sur la scène. Béronte, Lidian et Lucidan étaient en effet sur le même bateau qui les ramenaient en France. [198] Béronte sort alors son épée. [199] « Quel » est une ellipse pour éviter la répétition du mot « indice » ; le subjonctif présent « je n'en sache point » marque la position, entre assurance et incertitude, du personnage. [200] Var. « Aussi comme son Roy, propice à son bonheur, … ». [201] Var. « Apres avoir icy descouvert vos courages, Genereux cavaliers, descouvrez vos visages. » [202] C'est à dessein que Du Ryer fait participer Hyppolite plus que tout autre au combat et qu'il nous a cachés l'intention qu'elle avait d'y participer. Le spectateur découvre ainsi en même temps que les personnages l'identité de ce valeureux chevalier et l'effet de surprise est une totale réussite. [203] Au XVII*e* siècle se dessine un large mouvement de réévaluation de la femme et la vogue de la femme forte dure de 1610 à 1650. N. Heff écrit dans *XVIIème siècle* (p. 309 *et sq*.) : « On est alors devant un double paradoxe, la femme forte étant douée de toutes les caractéristiques opposées à celles que confère à l'être féminin la tradition des moralistes et déployant son héroïsme sans cesser d'apparaître et fragile et belle, ceci ayant pour effet de rehausser cela ». Cette idée est soulignée par les propos de Lucidan qui définit essentiellement Hyppolite par cette association de deux valeurs apparemment antithétiques : le courage et la beauté. [204] Var. « Jadis les cavaliers, prodïgues de leurs armes, … ». [205] Référence au temps des chevaliers comme Lancelot, Yvain… [206] Cette réplique de Lucidan était attribuée au Roi dans la source (Livre VIII) : ce dernier dit à la Reine : « Autrefois vous avez ouÿ dire que les chevaliers combattoient pour l'honneur des Dames, mais vous voyez maintenant les Dames combattrent pour les chevaliers ». [207] Var. « Aussi tost je l'aborde, et luy dis pour nouvelle / Que vostre Majeste le r'appelloit pres d'elle. » [208] Var. « dès le mesme moment ». [209] Voir note 170. [210] Var. « Amis, retirons nous apres tant de merveilles … ». [211] « Faire gloire de » : « se vanter, se faire honneur de » (Furetière). [212] Au XVII*e* siècle, les méditations sur la mort soulignent le contraste entre les souffrances liées à la vie humaine et le serein repos promis par le tombeau. [213] Var. Du Ryer a supprimé les vers 1450 à 1453 dans son édition de 1634. Les images employées par Caliste sont peut-être d'une dureté qui ne sied pas à la délicatesse de l'héroïne. [214] Sur l'emploi du passé-composé : voir v. 1035. [215] Exemple de stychomitie que Du Ryer double d'une parfaite symétrie rythmique : 6/6 qui atteint son paroxisme au vers 1473 : sujet-verbe être-adjectif possessif à la deuxième personne du pluriel-nom/(même schéma). [216] La source indique qu'il s'agit de l'île de Gersay. Mahelot explique dans son *Mémoire* (p. 67) : « A un des costez du theatre, un hermitage sur une montaigne et un autre au dessoubs, d'où sort un hermitte ». [217] Référence au dieu des vents : Éole. Dans la mythologie grecque, Zeus avait enfermé les vents dans une grotte de la mer Tyrrhénienne, estimant qu'il était trop dangereux de les laisser en liberté. [218] On retrouve dans ce récit de naufrage tous les éléments qui émaillaient les descriptions de tempête à cette époque : la colère des dieux, la fureur et l'inconstance des éléments, des hyperboles, des personnifications, un certain lyrisme…Lisandre se décrit comme un jouet du destin et des éléments (l'eau et le feu se liguent contre lui malgré leur foncière incompatibilité). [219] Var. « Miserable Leon, crois tu que ton courage … ». [220] Var. « Bons Dieux, qu'ay je entendu ? … ». [221] « Un autre Prométhée » : dans la mythologie grecque, Prométhée se retrouve enchaîné à un rocher où un aigle vient lui lacérer et lui dévorer le foie qui chaque jour repousse. Il est puni pour avoir pris parti contre l'inexorable et contre les dieux. Cette image se retrouve dans la source (Livre X). [222] Léon se lamente en ces termes dans la source (Livre X) : « Penses-tu … que ce rivage écarté te puisse cacher à toy-mesme ? ». [223] Contrairement à la source, Lisandre ne connaît pas le nom du meurtrier de Cléandre, la surprise est totale et le retournement de fortune inattendue. Ce naufrage qui semblait un coup du sort si funeste se transforme en une heureuse coïncidence. [224] « Tourner les pas » : se diriger vers, aller. Var. « J'iray, j'iray par tout, où vos pas tourneront ». [225] Comme dans chaque évocation d'Hyppolite par Lucidan, on retrouve l'image de l'association des contraires dans une même personne : Lucidan emploie habilement le terme de « vainqueur » qui s'applique aussi bien à la force physique qu'au cœur. [226] Cet échange d'armure conduit à la méprise de Lisandre (V, 1). [227] Cette reprise du verbe « céder » est volontaire puisque ce terme est employé dans son double sens. (cf : note 177) [228] La beauté de la dame passe d'abord dans ses yeux et c'est à travers eux que l'amour touche le cœur de l'homme. Cette image des « yeux vainqueurs » se retrouve essentiellement chez Pétrarque. [229] Toutes les répliques d'hyppolite sont chargées d'une amertume mal dissimulée. Les propos d'Hyppolite trahissent sa douleur et préparent le monologue qui suit. [230] Var. « J'ay veu, j'ay veu Caliste, et mon sort redoutable … ». [231] Inspirés par *L'Astrée*, les dramaturges exploitent le jeu de l'amant et du miroir qui connaît une véritable casuistique amoureuse dans la tragi-comédie de cette époque. [232] Il était courant dans les tragi-comédies de cette époque que des femmes tombent amoureuses d'autres femmes travesties. Le cas d'Hyppolite est bien différent puisque c'est en toute connaisance de cause qu'elle se dit attirée par Caliste. Il semble qu'Hyppolite pousse le travestissement à son plus haut point et qu'elle finisse par se sentir transformer par ce dédoublement. N'oublions pas que les contemporains des précieuses étaient frappés par le caractère exclusivement féminin du mouvement et accusaient ces membres d'homosexualité. Les attraits de Caliste tiennent tant de ceux d'une divinité qu'elle peut charmer n'importe quel être humain. Var. « … J'allois, sans y songer, devenir son amant. » [233] « Pallas » : certains érudits estiment que ce nom était, à l'origine, celui d'une divinité qui fut plus tard identifiée à Athéna. La glorification de la femme, à cette époque, résultait de l'usage des personnifications féminines et de l'influence éxercée par la figure de Pallas armata. [234] Sans cette lettre qui remet en cause le bonheur de nos deux héros, la pièce n'aurait plus présentée qu'un vague intérêt pour le spectateur, le nœud de l'intrigue étant l'accomplissement de l'amour de Lisandre et de Caliste. [235] Ce personnage, bien que secondaire, permet à l'enchaînement des événements d'être vraisemblable : il a assisté au tournoi à la demande de Caliste, remet la lettre à Lisandre et aide à la méprise qui va suivre. [236] Lisandre ne se rend pas compte que c'est Hyppolite qui se cache sous cette armure car il lui semble tout à fait légitime que Caliste puisse tenir un tel discours. [237] Source (Livre X) : « Lisandre le crut que c'était Caliste aussi légérement comme l'on croit volontiers ce que l'on désire ». [238] Dans la source, Lisandre ôte le casque d'Hyppolite afin de lui trancher la tête et découvre ainsi son identité. Ce geste d'Hyppolite, dans la pièce, semble en désaccord avec le désir qu'elle avait de mourir de la main de son amant. Oter son casque, c'est éviter la mort puisque Lisandre ne voudra jamais la tuer. [239] On retrouve également dans d'autres pièces de Du Ryer cette scène où l'amant offre une épée à sa maîtresse pour qu'elle se venge de son infidélité. Ainsi dans *Argénis et Poliarque* (IV, 4) : « Si je suis criminel, tenez de quoy / Me punir d'un forfaict commis soubs vostre loy ». Ou encore dans *Clitophon* (v. 1423-1424) : « Et si je suis enfin de ta grace incapable / Prends ce fer en ta main et punis ce coupable ». [240] Hyppolite se montre particulièrement prompte à refuser l'épée que Lisandre lui tend. Mais on constate dans les répliques suivantes qu'elle n'a rien perdu de sa force et de sa détermination. [241] Ce passage rappelle *La mort du Roi Arthur* : Lancelot, blessé lors d'un combat, se fait soigner par une jeune fille qui tombe amoureuse de lui. Le chevalier repousse ses avances et s'explique en ces termes : « je jure que si vous étiez femme à daigner m'honorer de votre amour et que … je puisse disposer de moi à ma guise, je m'estimerais personnellement comblé si vous consentiez à m'aimer ». La jeune fille s'étonne : « Comment, seigneur, …, votre cœur n'est-il pas assez totalement à vous pour que vous puissiez en disposer à votre volonté ? ». Et Lancelot répond : « J'en dispose tout à fait à ma volonté, demoiselle, car il est exactement là où j'ai envie qu'il soit et je ne voudrais aucun autre lieu pour lui … ». [242] Hyppolite montre une nouvelle foi sa noblesse de caractère, sa maîtrise de soi et sa grande lucidité. L'amour ne l'aveugle qu'un temps, la raison reprend rapidement le dessus. [243] Ce rebondissement, bien que mal lié au reste de l'intrigue, maintient l'intérêt du spectateur. D'Audiguier faisait mention de l'amour de Lucidan pour Caliste et pour Hyppolite, il semble que Du Ryer ait voulu garder cet élément qui permet à l'intrigue de rebondir à nouveau et de maintenir l'intérêt du spectateur. [244] Seuls les hommes sont accusés d'infidélité, les femmes, elles, sont constantes en leur amour. [245] Ce personnage est décrit dans la source comme un vieillard, oncle de Béronte et ami de Cleandre et Caliste. [246] Cette nouvelle accusation oblige Lisandre à se rendre à la Cour. [247] Hyppolite achève par cette dernière action de nous montrer son courage et sa générosité exceptionnels. [248] Seules les lois peuvent fonder, entre le peuple et le roi, la justice et l'équité. On peut retrouver dans la figure de ce roi celle de Louis XIII que M. Magendie décrit dans*La Politesse mondaine* … (Chapitre II) : « il avait des qualités excellentes … : le courage, l'amour de la gloire, de l'État, …, le sentiment assez vif de la dignité royale ». Ses goûts belliqueux étaient satisfaits par l'obligation qu'il avait de parcourir les provinces à la tête de ses armées. [249] Du Ryer, comme de nombreux dramaturges de la première moitié du XVII*e* siècle, exalte sa foi en la grandeur de son roi et de son pays à travers de semblables discours. On trouve d'autres exemples de ces élans patriotiques dans *Argenis et Poliarque* (V, 2) : « La valeur se nourrit dans le sein de la France, / Elle a toujours faict voir que ses moindres guerriers / Arracheroient à Mars ses plus riches lauriers ». Après avoir connu une période de guerres civiles et de troubles, la France retrouve la paix et la règle. Henri IV et Richelieu, dont l'œuvre sera poursuivie par Mazarin, font d'une France couverte de gloire une puissance « prépondérante au dehors, tranquille et satisfaite au dedans » (Victor Cousin, *La Jeunesse de Mme de Longueville*, avant-propos, p. X) notamment grâce à sa force militaire. Des batailles victorieuses justifièrent les aspirations de Henri IV et de Richelieu et la France succéda à l'Espagne dans la suprématie morale et militaire du vieux continent. [250] Var. « Quiconque sçait regner, sçait observer les loix … ». [251] Sentence. [252] « Au point que » : au moment où. [253] « La pomme de Vénus » : nouvelle référence à la mythologie grecque. Vénus est la déesse tentatrice et enchanteresse de l'amour et la pomme est son fruit. Lors d'un festin l'une des invités lança sur le sol une pomme d'or où étaient gravés les mots suivants : « Pour la plus belle d'entre toutes ». Héra, Athéna et Aphrodite vinrent toutes trois la réclamer et Paris, qui avait été choisi comme juge, la remit à Aphrodite. Cf : Alciat, « In fidem uxoriam » in *Emblematum libellus.* [254] Var. « … Qui de deux vertueux ont fait deux misérables. » [255] On attend un point d'interrogation. [256] « Captive » : dissimulée, enfouie, cachée. [257] Var. « ces maux ». Du Ryer a sans doute jugé que l'article « des » donnait un caractère trop général aux propos du Roi. [258] Var. « du crime ». Même désir de singularisation des répliques. [259] Le participe-passé n'est pas accordé avec le nom auquel il se rapporte, en l'occurrence : Caliste. [260] « Que » : alors que (valeur de concession). [261] Du Ryer accélère les événements, Lisandre semble oublier l'infidélité dont était accusée Caliste puisqu'il n'en fait pas mention. [262] Var. « De vostre volonté dépendent nos desirs. »