--- identifier: hauteroche_crispinmusicien creator: Hauteroche, Noël Lebreton ; Georges Forestier. date: 1674 title: Crispin musicien. Comédie --- Crispin musicien Comédie Par le Sieur de HAUTEROCHE, Comedien de la seule Troupe Royale. A PARIS, Chez PIERRE PROMÉ, sur le Quay Des Grands Augustins, à la Charité. M. DC. LXXIV. *AVEC PERMISSION*. Édition critique établie par Cécile Gervais dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (2005). # Commentaire critique. ## Introduction. Un jeune homme inconstant n'a d'autre passion que celle de la musique jusqu'au jour où, séduit par les billets que lui envoie une mystérieuse dame masquée, il succombe peu à peu à l'amour. Son valet Crispin est alors chargé d'approcher l'inconnue, que son père destine au couvent. Seul plaisir que le vieillard consent à sa fille avant ce retrait du monde, les leçons de musique permettent à Crispin de se tirer de plusieurs faux-pas. Voilà le sujet que choisit Hauteroche à un moment où les premiers succès de Lully suscitent une véritable vogue musicale ; le retrait récent de Villiers – créateur du personnage de Philipin – permettant par ailleurs l'émergence d'une nouvelle figure de valet-vedette. ## Noël Le Breton, sieur de Hauteroche : éléments biographiques. ### La légende. Les études sur la vie de Hauteroche relèvent à la fois du récit romanesque et d'une étude des sources : on ne dispose que d'informations fragmentaires, et les documents attestant l'existence de ce comédien-poète ne remontent pas en amont de l'année 1654. Cette lacune est comblée par le développement d'une version invérifiable et quasi légendaire de la jeunesse de l'auteur, qui s'est transmise jusqu'au début du XX*e* siècle. Hauteroche, de son véritable nom Noël Le Breton, serait né aux alentours de 1617, hypothèse qui relève d'un consensus prêtant foi aux biographes du XVIII*e* siècle, lesquels affirment que notre auteur serait mort le 14 juillet 1707 « à l'âge de quatre-vingt dix ans [1] ». La légende brosse le tableau d'une jeunesse aisée, contrariée par une soif insatiable d'aventures et des aspirations militaires. Promis à l'achat d'une charge de conseiller au Châtelet et à un mariage arrangé avec la fille d'une amie de sa mère, Noël Le Breton fugue en Espagne dans l'espoir de s'engager. Ses espérances sont déçues, et après avoir dilapidé sa fortune au jeu dans les environs de Valladolid, il s'engage à Valence au sein d'une troupe de comédiens français qui jouait auprès du gouverneur de cette province. Certains biographes suggèrent qu'il devint par la suite lui-même responsable d'une troupe ambulante, dont le parcours le conduit jusqu'en Allemagne. Voilà ce que nous apprennent, sans faillir, toutes les biographies de l'auteur, qui suivent en cela la première version de la légende apparaissant dans les *Œuvres de M. de Hauteroche* publiées en 1772. Les libraires affirment dans leur *Avis* liminaire que le Chevalier de Mouhy a bien voulu leur transmettre ces informations, qui manquaient jusqu'alors [2]. La nature légendaire de ce récit est soulignée dans les versions ultérieures par des comparaisons ouvertement littéraires [3], et son caractère romanesque par la tendance largement psychologique des textes des XIX*e* et XX*e* siècles qui s'en font l'écho [4]. La date exacte du retour de notre comédien-poète à Paris, de même que de plus amples détails sur la chronologie de ce qui précède, manquent totalement. C'est lors de ce retour à Paris que Noël Le Breton aurait adopté le pseudonyme de Hauteroche pour nom de scène. ### Les sources accessibles. Les premiers éléments fiables concernant la vie de Hauteroche datent du 1*er* avril 1654, et concernent un contrat d'association d'acteurs valable un an, pour la formation d'une troupe de comédiens de campagne sous la direction de Hauteroche lui-même. Ce contrat, signé « en la maison du S*r* de Surlis rue d'orléans Maretz du Temple », laisse apparaître un lien certain entre le comédien et cette famille. Il répertorie parmi les membres de la troupe Madeleine et Estiennette, deux des filles Desurlis, avec la promesse de recevoir la troisième, Catherine, quand celle-ci le demandera. Selon S. W. Deierkauf-Holsboer, Hauteroche aurait au préalable assuré l'apprentissage des filles Desurlis dans sa troupe de comédiens de campagne, qui aurait ainsi pu exister bien avant 1654 : Madeleine et Estiennette ont en effet été formées dans une troupe de province, qu'elles intègrent respectivement en 1652 et 1653, et dont il est probable qu'elle ait été la troupe de Hauteroche. Quant à Catherine, on sait qu'elle a intégré une troupe de ce type après la faillite de L'Illustre-Théâtre (1645), et l'hypothèse selon laquelle elle aurait déjà travaillé avec Hauteroche expliquerait la promesse faite de l'engager sans condition. Il en résulte que cette troupe aurait pu être déjà formée dans la seconde moitié des années 1640. En 1654, Hauteroche joue à Fontenay-le-Comte, où l'on retrouve l'acte de baptême du fils de Madeleine Desurlis et de Claude Jannequin sur lequel figurent les noms de l'ensemble des membres de la troupe. À l'expiration du contrat de société Hauteroche et les membres de sa troupe retournent brièvement à Paris, et se joignent à Laroque pour former la nouvelle troupe du Marais. Mais les contraintes matérielles du métier de comédien à Paris les poussent à repartir en province à l'issue de la saison 1656-1657 (les propriétaires ayant refusé une baisse de loyer aux comédiens, ceux-ci avaient conservé la salle grâce à la médiation de Louis Redhon, comte de Talhouet, qui la leur sous-louait). Les indications manquent pour cette période, toutefois Hauteroche a sans doute rayonné dans le nord-ouest de la France, puisqu'on a trace d'un passage à Rouen en août 1657 [5]. Le séjour est bref, on ignore cependant la date exacte de son retour à Paris et de son entrée à l'Hôtel de Bourgogne – la première trace qu'il laisse au sein de cette nouvelle troupe est une signature apposée sur un bail signé en 1660. Floridor l'engage en rempacement de Pierre Hazard, dont la date de décès est elle aussi incertaine [6]. La plupart des versions supposent qu'au moment de l'arrivée de Molière à Paris pour la saison 1658-1659, Hauteroche a déjà rejoint la troupe de l'Hôtel de Bourgogne, qu'il intègre en même temps que Raymond Poisson (interprète du personnage de Crispin). Il y assume plusieurs fonctions : celle d'acteur, puis d'auteur, et enfin d'orateur à partir de 1671, lors de la retraite de Floridor. Son premier essai d'auteur, toutefois, n'appartient pas au domaine théâtral : il compose quinze poèmes lyriques, publiés en 1664 par Ribou dans *Les Délices de la poësie galante des plus célèbres auteurs du temps*. On peut rattacher ces poèmes au salon de Madame Le Camus, qui fera, ainsi que son mari, l'objet d'une des rares dédicace de l'auteur [7]. Hauteroche a, semble-t-il, fréquenté ce cercle, auquel appartenaient aussi Boisrobert, Pinchesne, Perrault, Nanteuil et Chapelain [8]. En tant qu'auteur dramatique, il écrit douze comédies entre 1668 et 1690, dont quatre incluent le personnage de Crispin, entre 1670 et 1675 [9]. Sa carrière d'acteur est diamétralement opposée, dans la mesure où il joue essentiellement des rôles tragiques. Il se spécialise dans les personnages de confidents, ceux de Racine notamment, à partir du moment où celui-ci s'adresse à l'Hôtel de Bourgogne : parmi les rôles créés par Hauteroche, citons ceux d'Héphestion dans *Alexandre le Grand*, de Phénix dans *Andromaque* ou de Narcisse dans *Britannicus*. Hauteroche se retire en 1684, date à laquelle il cède sa part à Raisin l'Aîné et à M*lle* Raisin contre un paiement de 300 louis d'or [10]. Il touche alors en tant qu'ancien acteur une pension de 1000 livres, qu'il semble avoir améliorée en se livrant aux activités de spéculateur immobilier et de créancier : la rente annuelle qui lui venait de ses débiteurs dépassait celle reçue pour sa carrière [11]. Même après son retrait, Hauteroche conserve occasionnellement son statut d'auteur, qu'il délaisse définitivement en 1690, sans doute en raison d'une cécité naissante. À partir de 1694 c'est en effet sa femme, Jaqueline Le Sueur, qui signe pour lui les documents avec cette précision : « … a cause de l'infirmité & perte de veüe du Sieur dautroche mon éspoux » [12]. Les *Œuvres de M. de Hauteroche* sont publiées de façon posthume en 1736, en trois volumes imprimés par Pierre Jean Ribou à Paris. Il sera réédité en 1742, puis en 1772. ## Circonstances de création et carrière de Crispin musicien. Donnée à l'Hôtel de Bourgogne, la première représentation de la pièce eut lieu le 5 juillet 1674. Hauteroche met sur scène Raymond Poisson dans son personnage de Crispin pour la troisième fois, après *Crispin médecin* (1670) et *Le Deuil* (1672). La réussite de la première de ces deux pièces avait incité la troupe à la reprendre pour l'année 1673, quelques mois après la création du *Malade imaginaire* de Molière, sur la scène concurrente du Palais-Royal. Son succès ne s'était alors pas démenti ; le compte-rendu de la gazette hebdomadaire de Robinet, le 5 août 1673, en témoigne : Apres icelle Tragedie [13], Parut, aussi, la Comédie Ayant nom *Crispin médecin*, Où *Poisson*, allant son gai train, Pensa faire crever de rire : Si que la Piéce, c'est tout dire, Parut trop courte aux Auditeurs, Qui s'en plaignirent aux Acteurs, Par une espéce de reproche, Qui ne fâcha pas Hauteroche, Autheur de cette Piéce la, Qui, seulement, trois Actes a [14]. L'anecdote des plaintes du public ressemble davantage à une complaisance envers l'auteur qu'à un fait avéré, il n'en reste pas moins que c'est sans doute la réussite de cette reprise qui a incité Hauteroche à composer un deuxième Crispin en 1674, dans des proportions plus larges — cinq actes versifiés, au lieu de trois actes en prose. Mais le succès de la première comédie n'est que l'un des deux motifs de l'écriture de notre pièce. Hauteroche avait composé pour la saison 1672-1673 *Les Apparences trompeuses*, comédie en trois actes et en vers, qui n'avait pas fait l'objet de représentations : la préface établit « qu'on ne l'a pas trouvée joüable ». D'après ce qu'écrit l'auteur, les comédiens de l'Hôtel de Bourgogne ont reproché à cette pièce son manque d'énergie comique. La comédie en question est entièrement centrée autour de la jalousie aveugle du vieillard, Sturgeon, mari de la jeune Nérine, dont il soupçonne l'infidélité. L'intrigue fait l'économie de tout ce qui ne contribue pas à définir ce personnage : dans cette histoire d' « adultère », le spectateur est à peine mieux renseigné que le barbon jusqu'au milieu de la pièce (II, 3). Les deux amants supposés, Nérine et Damis, ne font que se croiser en scène. La véritable amante de Damis, Jacinte, est enfermée dans un couvent par son frère Sturgeon, qui ne l'en laisse sortir qu'au dernier acte pour surveiller celle qu'il suppose infidèle. Le valet et la servante sont en scène, mais l'un intervient à titre de simple témoin, et l'autre, chargée de souligner l'aveuglement et le ridicule de Sturgeon, est dépeinte comme une vieille fille. Assez logiquement dans ce contexte, le dénouement insiste moins sur le mariage final de Jacinte et de Damis que sur le ridicule du vieillard, unanimement condamné. La comédie appartient au registre de celles qui ne misent pas d'emblée sur le risible (même si Hauteroche y insère quelques scènes à cet effet, à l'exemple de celles où le valet se fait souffleter). « J'avoüe que cette pièce n'est pas si plaisante que celles qu'on a vûës de ma façon », écrit Hauteroche. C'est peut-être le fait de devoir renoncer à cette pièce pour l'année 1673 qui a conduit la troupe à reprendre *Crispin médecin*. La nouvelle pièce va donc mettre l'accent sur l'écriture comique et les moyens de plaire au public : en cela, transformer le « médecin » de 1670 en « maître de musique », c'est répondre au goût pour les comédies-ballet, ou les comédies mêlées de chansons. En 1674, cela fait deux ans que Lully a obtenu le privilège des représentations en musique au théâtre. Il succède en cela à Perrin, lequel avait obtenu un premier monopole en 1661, et fondé une « l'Académie des Opéra », ayant souci de souligner l'ascendance italienne de son initiative. Malgré l'existence relativement récente de l'opéra lulliste (deux œuvres seulement ont jusqu'à présent vu le jour : *Cadmus et Hermione* en 1673 et *Alceste* en 1674), la musique sur la scène française avait déjà gagné une place importante, au point, pour Lully, d'exiger une restriction des moyens musicaux des comédiens. Lors de l'arrivée à Paris des premiers opéras italiens dans les années 1640, le statut de l'insertion musicale dans la comédie s'était déplacé d'une référence à la tragédie antique vers une réponse à l'opéra italien [15]. Par la suite, les éléments non verbaux avaient gagné en importance, dans la tragédie à machines d'abord (où la musique n'occupait cependant qu'une place secondaire), puis dans la comédie-ballet des années 1660, où elle s'alliait à la danse. En écrivant *Crispin musicien*, Hauteroche prend donc acte d'un goût répandu pour la musique, et plus généralement, pour le spectacle. D'après l'allusion que glisse Thomas Corneille dans son *Inconnu* (1675), la pièce reçut effectivement un accueil très favorable. Même si celui qui y loue les pièces de Hauteroche n'est autre que le personnage du Vicomte – qui ne prise rien de plus en matière de théâtre qu'un comique grossier et efficace – ses répliques témoignent d'un succès de public. Voici les termes dans lesquels il s'exprime à l'annonce de la pièce qui s'apprête à être représentée : LE COMEDIEN. C'est Psyché, grand & pompeux Sujet. LE VICOMTE. Tant-pis, le sérieux en moins de rien m'ennuye. Et n'y joindrez-vous point quelque Crispinerie ? J'aime tous les Crispins. LE COMEDIEN. Vous en aurez le choix. LE VICOMTE. J'ay veu le Medecin, je croy, plus de cent fois. Ce Pendu qu'on étend sur la Table, il m'enchante. LE MARQUIS. C'est avecque justice. LE VICOMTE. Et cet autre qui chante, Fa, sol, fa, sol, fa, re, mi, fa. Quand il entonne ainsi son re, mi, fa, je ris…. [16] Hauteroche revendique dans sa préface ce plébiscite du public. Son insistance sur l'absence de « brigue » s'explique par ce qui était devenu coutumier : les auteurs préparaient le succès de leurs œuvres en les lisant auprès de particuliers, ou encore en organisant des claques lors des premières représentations, avec l'appui de complices placés aux endroits stratégiques du théâtre et qui entraînaient les applaudissements. Pour connaître l'ampleur du succès de *Crispin musicien*, il faut s'en tenir à cette même préface, qui fait état de « quarante représentations dans la plus mauvaise saison de l'année » (c'est-à-dire durant l'été 1674). Le rythme usuel de trois représentations par semaine, rappelé dans l'adresse au spectateur qui clôt la pièce, atteste un nombre de ce type (si l'on tient compte du léger délai entre l'achevé d'imprimer du 21 septembre 1674 et la fin des représentations). Ce nombre signale un très gros succès, confirmé par le maintien de la pièce au répertoire de la Comédie-Française jusqu'en 1738 : elle y est jouée 145 fois entre le 29 août 1680 et cette date [17]. En 1682, on la donne à Saint-Germain et à Versailles, où elle est rejouée en 1684 [18]. On ignore quelle était la distribution exacte pour la première série de représentations [19] – à l'exception du rôle de Crispin, que l'on peut attribuer avec certitude à Raymond Poisson. Dans une lettre du 19 juillet 1711, la duchesse d'Orléans nous apprend que la pièce « a été faite spécialement pour Baron l'ancien [20], Poisson et La Thorillière le père », et elle remarque que « les autres acteurs n'ont jamais su bien jouer cette pièce » [21]. On peut ainsi supposer que ces trois acteurs tenaient les rôles principaux : ceux de Crispin (déjà identifié), du jeune amant Phélonte, et de Dorame, le père des jeunes filles (Mélante, le musicien et les deux pédants n'interviennent en effet que dans quelques scènes). La Thorillière, comte tenu de son âge avancé, est l'interprète probable du vieillard – Michel Baron, passé à l'Hôtel de Bourgogne après la mort de Molière et dont la date de naissance est incertaine, semble avoir entre 21 et 27 ans en 1674, et pourrait plus vraisemblablement jouer un jeune amoureux. Toutefois, à la suite de Lancaster, on a attribué à Hauteroche le rôle de Phélonte, en raison des aptitudes musicales de ce personnage qui doit improviser au clavecin et chanter en scène. En effet, jouant sous son propre nom dans la *Comédie sans comédie* de Quinault (1655), notre comédien-poète interprète un air avec une voix de haute-contre [22]. Mais dire que Hauteroche possédait des aptitudes musicales ne signifie pas qu'il était le seul comédien dans ce cas, et si l'on prend en compte sa date de naissance, cela voudrait dire que le jeune amoureux Phélonte aurait été joué par un acteur d'environ cinquante-sept ans : Baron semblait mieux indiqué pour tenir le rôle, d'autant plus que l'on sait qu'il avait lui aussi reçu une formation au chant au sein de la troupe de Molière [23]. *Crispin musicien* est publiée rapidement. La pièce était apparemment déjà sous presse pendant les représentations, et paraît lorsque celles-ci s'achèvent, au bout de trois mois (le permis d'imprimer est daté du 21 septembre 1674). Cette promptitude s'explique sans doute par l'indissoluble lien qui existe entre le personnage de Crispin et l'acteur qui le joue, qui rend impossible, à Paris du moins, toute tentative fructueuse de reprise par une autre troupe – ce n'est cependant pas le cas pour les troupes de province, et la pièce apparaît dans le répertoire de l'une d'elles dès janvier 1675 [24], avec le sous-titre « l'Opéra de l'Hôtel de Bourgogne ». Le paratexte de cette édition est très descriptif : soin qui vise à donner une image de la représentation la plus exacte possible au lecteur, et à s'assurer que la pièce ne sera pas altérée par ces reprises éventuelles. Ce souci de la carrière indépendante de la pièce, au fil des reprises qui en seront faites par d'autres troupes, est déjà présent chez Corneille en 1660, qui justifie par cela l'emploi des didascalies. Le succès de la pièce est également attesté par les rééditions du vivant de Hauteroche, en 1680 chez Jean Ribou, puis chez Pierre Ribou en 1705 — il est exclu que l'auteur, dont la cécité est certaine dès 1694, ait pu prendre part à cette dernière édition. *Crispin musicien* en 1735 : une carrière aussi longue de *Crispin musicien* est permise à la fois par le contexte et par le caractère dynastique de l'interprétation du personnage : à la mort de Raymond Poisson, ses descendants prolongent la carrière de Crispin, et assurent la tradition en reprenant son costume et ses attitudes caractéristiques [25]. La pièce connaît ainsi une deuxième vogue en 1735, lorsque François-Arnoult Poisson (petit-fils de Raymond Poisson) la remet au répertoire à l'occasion des succès de Jean-Philippe Rameau. Castil-Blaze établit le lien entre cet engouement et le nouveau contexte musical : Poisson (…) fit remettre cette comédie en 1735 au moment des premiers et brillants succès de Rameau. Crispin musicien eut deux fois la vogue, devient deux fois pièce de circonstance, grâce au mouvement que Cambert et Lully, Rameau plus tard en 1733, donnèrent au goût de la musique dans notre capitale [26]. En 1733, Rameau entame en effet tardivement – il est alors âgé de 50 ans – sa carrière opératique avec *Hippolyte et Aricie*, sur un livret de l'Abbé Pellegrin, représenté la même année à l'Académie royale de musique. Jusqu'en 1749, il écrira six œuvres de musique dramatique : l'année de reprise de notre pièce coïncide avec la date de création de son unique opéra-ballet *Les Indes Galantes* (23 août 1735 [27]). Du point de vue de la forme, Rameau s'inscrit dans le sillage laissé par Lully et la tragédie lyrique. Mais il se trouve placé entre deux feux dans la querelle qui débat du primat de la musique française sur la musique italienne. Cette dernière, si Lully l'avait maintenue sous sa coupe, n'avait pas pour autant disparu. Elle perdurait ainsi dans certains « foyers d'italianisme » comme Saint-André-des-Arts, dont le curé Nicolas Mathieu tenait chaque semaine un concert de musique italienne et collectionnait des partitions de ce style. Après la mort de Lully en 1687, la vogue italienne gagne en importance et, par réaction, le compositeur est élevé de façon posthume au rang de symbole du style français. Le travail de Rameau sur l'orchestration et son harmonie, qui incluait certains accords considérés comme « italiens » et que Lully n'employait pas, en fait le champion de tous ceux qui prennent parti pour une conception italianisante de la musique dramatique. Le débat est celui de la place de l'élément musical dans l'opéra : dès 1733, Rameau émancipe la musique du texte, et confère à l'orchestre un véritable statut dramatique (tempêtes, orages, etc.). La querelle des « lullistes » et des « ramistes » se manifeste par un important échange de libelles de part et d'autre. La vogue de *Crispin musicien* tient donc bien, pour une large part, à son caractère de « pièce de circonstance » : ses plus grands succès, en 1674 puis en 1735, sont liés aux passions déchaînées par l'opéra. ## Naissance des « crispineries ». Considérées comme le premier jalon de la carrière de Crispin, *Crispin médecin* et *Crispin musicien* ne sont pas les premières pièces à présenter ce personnage en scène, qui possède déjà un visage aux yeux du public : celui de Raymond Poisson. Le personnage est codifié dans son costume et ses jeux de visage : il porte un costume entièrement noir, une fraise blanche et de hautes bottes jaunes (cf. annexe p. 62). Le jeu qui l'accompagne comporte une part de convention liée au physique de Raymond Poisson, qui interprétait le personnage avec force roulements d'yeux et avec des jeux de bouche. Le simple nom de Crispin est présent dans le théâtre français depuis *L'Ecolier de Salamanque* de Scarron (1651), il est repris du Crispinillo que l'on trouve dans le théâtre espagnol dès 1641 [28]. Le valet s'émancipe très rapidement de son modèle avec le déclin de la vogue espagnole dans le théâtre français, et devient le valet le plus représenté à la fin du XVII*e* siècle : on en connaît 38 apparitions au total, 15 entre 1661 et 1673, puis 23 entre 1674 et 1700 [29]. Par sa popularité dans le dernier quart du XVII*e* siècle, le personnage de Crispin possède une figure mouvante, si tant est que, comme le note J. Emelina [30], « lorsqu'un nom se met à proliférer dans les distributions ou dans les titres, il en découle presque inévitablement un manque d'homogénéité du personnage ». Crispin possède cependant, avant Hauteroche, deux physionomies principales : celle que lui donne Du Perche dans *L'Ambassadeur d'Afrique* (1666), et qui sera développée par Régnard et Lesage, de fourbe aux intentions patibulaires poussé par l'intérêt et l'ambition ; l'autre de fourbe maladroit et poltron – A. Ross Curtis fait dériver ce trait du personnage de son origine espagnole [31]. La première est marginale, comme le note Gérard Gouvernet : Crispin, même s'il possède, du vivant de Molière, les caractéristiques qui seront les siennes chez Lesage, n'en est pas pour autant inquiétant ; il s'agit de traits isolés, répartis dans plusieurs pièces et qui ne concordent pas avec la mentalité et l'attitude générale du personnage qui demeure avant tout grossièrement comique [32]. C'est bien, en effet, sous l'angle du comique que Hauteroche aborde le personnage, lorsqu'il le met au premier plan, créant ainsi un « genre » de pièces désignées sous le nom de « crispineries ». Si Hauteroche confie au valet un rôle-titre, c'est parce que le contexte s'y prête : l'acteur Villiers vient de quitter la scène, mettant ainsi fin à la carrière du valet le plus célèbre de la période précédente, Philipin – créé à l'Hôtel de Bourgogne dès les années 1640 afin de concurrencer le théâtre du Marais où jouait Jodelet. La chronologie des événements est la suivante : Jodelet meurt en mars 1660, date à laquelle le personnage de Philipin, désormais libre de toute concurrence, devient le principal valet-vedette du théâtre français. Ce personnage disparaît de scène avec le retrait de Villiers « vers l'an 1670 [33] », moment où Hauteroche écrit sa première pièce pour Crispin. Le lien entre le départ de Villiers et le premier Crispin de Hauteroche est d'autant plus clair que, tous deux jouant dans le même théâtre, c'est pour Philipin que l'auteur écrivait jusqu'à présent ses rôles de valet [34]. Sa collaboration avec Poisson tient donc pour une part à un concours de circonstances. Le fait de mettre un valet au premier plan répond à la nécessité de faire rire, après le refus des *Apparences trompeuses* et le succès moyen des deux toutes premières comédies. Écrire un *Crispin médecin* ou un *Crispin musicien*, c'est doublement constituer le valet en type, en le situant  dans la lignée des grands valets comiques comme Jodelet ou Philipin, et en insistant sur la capacité d'usurper une identité qui est un des principaux attributs du valet fourbe des comédies à l'italienne. Hauteroche emploie pour son premier Crispin un déguisement convenu et emblématique : pour cette catégorie de personnages, l'habit de médecin est l'un des plus empruntés, après celui du maître lui-même [35]. Si le déguisement en musicien est plus original, il a déjà été employé deux fois par Molière, dans *L'Amour médecin* (1665) et *Le Sicilien, ou l'amour peintre* (1667). Nous ne nous attarderons pas ici sur la nature du déguisement dans les *Crispin*, que nous aborderons ultérieurement. En mettant le valet au premier plan, Hauteroche modifie le contexte dans lequel il apparaît. Avant 1670, Crispin intervient uniquement dans de petites comédies en un acte. Jean Emelina dénombre, entre 1652 et 1673, huit pièces où Crispin tient un rôle important, dont cinq précèdent le *Crispin médecin* de Hauteroche : toutes, sauf une, sont de petites comédies [36]. Hauteroche lui-même avait sacrifié à cette tradition en 1672 avec *Le Deuil*. Il est donc, après Poisson, le premier à confier au personnage un espace significatif dans une comédie en trois actes en 1670, puis en cinq actes versifiés en 1674. Condition préalable de ce changement, certains critères qui identifiaient le valet dans ces comédies d'avant 1670, tels que l'emploi physique du rôle, sont passés au crible des bienséances. Hauteroche allège ce qui était encore très présent dans *Les Femmes coquettes* de Poisson (1670), où l'acteur du rôle campe un valet-vicomte « manchot, borgne, une jambe de bois et en grand deuil [37] ». La différence avec le Crispin de Hauteroche s'explique ici par le fait que, chez Poisson, le valet n'occupe pas encore le premier plan. Entre les deux comédies de Hauteroche elles-mêmes, une différence s'établit lors du passage des trois actes de *Crispin médecin* au domaine de la grande comédie en cinq actes qu'est *Crispin musicien*. Le registre de langue dont témoignait le faux billet établi par le valet de la première de ces deux pièces est supprimé (I, 6), et ses allusions les plus triviales sont retirées de scène : on peut prendre pour exemple la façon dont Crispin esquive une discussion médicale avec Mirobolan, qui lui demande avis sur un de ses patients (II, 9) : MIROLBOLAN. Hom ? CRISPIN. Des pillules… MIROBOLAN. Luy donner des pillules, ce seroit ruiner les parties, qui sont déjà fort altérées par le désordre qu'ont causé ces différentes maladies. CRISPIN. Ho, je ne dis pas cela ; je dis… que des pillules que j'ay prises ce matin m'obligent à vous quitter au plus tost. Toutefois, si *Crispin musicien* est plus polissé que le *Crispin médecin*, il conserve des traces des origines en un acte du genre : il s'agit de composantes farcesques, celle de la traditionnelle menace de bastonnade dont le valet fait l'objet, et des allusions aux grimaces caractéristiques de Poisson. Ces passages contraints nécessitent cependant une adaptation. L'épisode de la bastonnade est conservé à titre de référence mais il n'est plus présenté comme tel sur scène. Dans *Crispin médecin*, l'incident se produisait sous les yeux du spectateur, Crispin esquivant le père du jeune homme et son valet de façon à ce que les coups de chaque agresseur se portent sur l'autre (III, 2). Dans *Crispin musicien*, le bâton constitue au contraire une menace qui donne une coloration farcesque à l'interrogatoire du valet par Phélonte, mais rien n'indique que cette menace soit mise à exécution (I, 10). Hauteroche garde le clin d'œil à la farce, sans pour autant faire rosser son valet devant le public, ce qui se produisait invariablement dans les pièces précédentes. Il évite ainsi les critiques que pouvait susciter le rire facile. Il est toutefois permis d'hésiter sur certains jeux de scène : la réplique dans laquelle Crispin commente le mal d'amour de Phélonte, soulignée par un geste qui doit accompagner et expliciter les paroles du valet (« Vois-tu bien, il a / Ce qui vient par icy d'ordinaire, et va là [38] ») laisse envisager la possibilité d'une allusion scabreuse – contradictoire cependant avec les bienséances de l'époque. Les grimaces caractéristiques de Poisson appartiennent à un jeu de scène traditionnel. Le personnage de Dorame y fait allusion, prenant Crispin pour un voleur : Estre un Musicien qui diable l'auroit dit, A voir sa figure, et mesme son habit ? [39] Vers qui font écho à la réplique de Mirobolan dans *Crispin médecin* : Il n'a pas mauvaise mine, mais il a pourtant quelque chose de fascheux dans le visage. Ouy, ou toutes les règles de la métoposcopie et de la physionomie sont fausses, ou il devoit estre pendu. (II, 4) L'allusion à des caractéristiques physiques singulières est consubstantielle aux personnages de valets à succès : elle attire l'attention sur ce qui fait la force comique du personnage, et les références faites ici au physique de Crispin sont de même nature que celles qui s'adressaient à Jodelet, à sa voix nasillarde et à son nez courbé. Si ces traits constituent des invariants, le personnage évolue d'une comédie de Hauteroche à l'autre. En tentant de dégager des traits fondamentaux du personnage, Jean Emelina note que Crispin est « un fourbe, mais un fourbe maladroit, agent d'exécution, mais aussi victime [40] ». Définition qui s'applique par exemple au Crispin des *Femmes coquettes*, rossé après l'échec pitoyable de son numéro d'imposteur, mais qui rend mal compte du personnage de *Crispin musicien* : maladroit, il l'est, sans être pour autant victime. Disons qu'il se situe à mi-chemin entre le personnage de la pièce de Poisson et le Crispin « cynique, spirituel, ironique » du *Deuil* de Hauteroche, que Jacques Truchet qualifie de « Crispin supérieur » [41], qui sert son maître tout en ayant soin de ses propres intérêts. Notre Crispin est bien présenté comme un « fourbe », ce qui est mis en évidence lors du dénouement par la répétition du mot : DORAME Le Maistre de Musique a bien joüé son jeu ; Et c'est, pour peu qu'il trouve à payer d'artifice, Un Fourbe aussy complet… CRISPIN Fort à vostre service : Vous n'avez seulement qu'à me donner Toinon, Je fourbe apres pour vous de la bonne façon [42]. L'invention de la ruse qui permet aux personnages de se tirer d'affaire à la fin du quatrième acte lui est en effet attribuée, mais l'initiative du déguisement en maître de musique appartient à Toinon, la servante des jeunes filles, et lorsqu'il est surpris par Dorame, Crispin ne sait que bredouiller – ce qui reste un des traits conventionnels du personnage. Il est également mauvais stratège dans ses propos, puisqu'à deux reprises ses paroles manquent de nuire à Phélonte : il fait d'abord remarquer que son maître n'est pas « de ces Martyrs d'amour, / Qui pour un rendez-vous font le guet tout un jour [43] », ce qui contraint Toinon à lui couper la parole et à le renvoyer, puis il alarme une nouvelle fois Daphnis en créant malencontreusement un quiproquo (V, 4). Le caractère maladroit du fourbe se manifeste encore lorsqu'en essayant de faire illusion le valet dévoile sa véritable condition. C'est le cas dans le passage de la vièle [44], et au moment du choix d'un nom d'emprunt — Crispin prend pour pseudonyme celui de La Verdure, valet de comédie comme lui. L'alliance de la fourberie à la maladresse de Crispin, de même que la présence convenue d'éléments issus de la farce dans le sujet amoureux, forment la base de discordances burlesques, qui pourront être exploitées de façon comique. En accordant les passages contraints qui appartiennent à la tradition du personnage et le respect des bienséances qu'implique le fait de lui confier le premier plan, Hauteroche effectue le premier travail d'acclimatation de Crispin à un rôle-titre. ### De Crispin médecin à Crispin musicien. Les deux pièces de Hauteroche possèdent une intrigue semblable, et conventionnelle : un jeune homme est amoureux d'une jeune fille qu'il ne peut approcher, et il emploie son valet comme intermédiaire afin de lui faire parvenir des billets galants. Celui-ci, tombant nez à nez avec le père de la jeune fille, doit endosser une fausse identité pour se tirer d'affaire. ### Résumé de la pièce. Acte I. Au logis de l'inconstant Phélonte, La Ronce et six autres laquais répètent une pièce de musique commandée par leur maître (1), alors que le valet Crispin rêve et se lamente sur ses amours (2), maudissant les allées et venues des domestiques qui le harcèlent de questions (3-6). Phélonte apparaît enfin et se met au clavecin (7), demandant à entendre un air, puis une pièce instrumentale (8 et 9). Resté seul en scène avec Crispin, il interroge ce dernier sur la bizarrerie de sa conduite, s'appuyant sur la menace de coups de bâton (10), mais s'interrompt à l'arrivée de Mélante. Les deux amis courtisent sans le savoir deux sœurs, Lise et Daphnis, que leur père, Dorame, compte enfermer au couvent pour faire bénéficier son fils unique de l'argent de leur dots. Mélante s'est discrédité auprès du vieillard, qui a découvert son amour pour Lise, et il vient demander à Phélonte l'autorisation d'organiser chez lui un rendez-vous avec la jeune fille (11). Après le départ de Mélante, l'interrogatoire du valet se poursuit (12) jusqu'à l'arrivée de Toinon, la servante des deux jeunes filles, à qui Daphnis a confié un billet pour Phélonte (13). Ce billet, qui signale au jeune homme une rupture définitive, résulte d'un complot ourdi par Crispin, Toinon et la jeune fille pour piquer au vif l'orgueil et la curiosité de l'inconstant (14). Le stratagème réussit et Phélonte, sur la proposition de Toinon, envoie Crispin en reconnaissance chez Dorame, le père de Daphnis (15 et 16). Acte II. Lise se prépare à aller visiter une cousine au couvent. Son père la félicite, sous les réprobations de Toinon, qui le met en garde contre les vocations forcées et lui rappelle qu'on l'accuse de vouloir cloîtrer ses filles pour favoriser l'établissement de son fils (1 et 2). Dorame sort sans écouter, laissant ainsi le champ libre à Daphnis (3) et à Crispin (4) qui viennent s'assurer de son absence. Après une brêve entrevue avec Crispin, Daphnis sort accompagnée de Toinon pour écrire un nouveau billet à Phélonte, et le valet resté seul se trouve nez à nez avec Dorame, de retour, qui le prend d'abord pour un voleur (5) Attirée par le bruit de la querelle, Toinon intervient et fait passer Crispin pour un maître de musique attendu par Lise et Daphnis (6). Mais sur ces entrefaites, le véritable maître de musique entre en scène (7). Crispin et lui se livrent à un duel de théorie musicale, qui dégénère bientôt en une véritable bagarre motivant la sortie de scène des personnages (8 à 10). Acte III. Après avoir raconté sa visite chez Dorame, Crispin délibère avec Phélonte du nouveau billet de Daphnis. Celui-ci, qui commence à être séduit par le stratagème de la jeune fille, envisage de se déplacer chez elle pour la voir en personne (1 et 2). L'arrivée du maître de musique, qui vient proposer à Phélonte d'assister à l'audition prochaine d'une de ses œuvres, interrompt la conversation. Crispin offre alors une démonstration de son talent d'imposteur dans une nouvelle confrontation avec le musicien gascon (3). Celui-ci sorti, Phélonte prépare son départ chez Daphnis, et donne ordre à Fanchon d'accueillir Mélante en son absence (4 et 5). Mais c'est au tour de Boniface, précepteur du jeune frère de Phélonte, d'intervenir pour plaider la cause de son protégé, qui s'est engagé dans l'armée sans le consentement de son aîné (6). Phélonte met fin à l'entrevue et sort précipitamment accompagné de Crispin. Restés seuls en scène, Boniface et Fanchon se livrent à un duo amoureux burlesque (7), interrompu par l'arrivée de La Ronce (8 à 10), suivie de celle du Breton, le valet ivre de Mélante, qui vient annoncer l'arrivée de son maître (11 et 12). L'acte s'achève sur l'arrivée de Mélante et Lise, que Fanchon conduit au jardin pour leur rendez-vous (13). Acte IV. Alors que Daphnis fait part à Toinon de ses doutes sur la sincérité de Phélonte (1), et hésite à recevoir ce dernier (2 et 3), Phélonte entre en scène et proteste de son amour à la jeune fille (4). Le duo tourne court : on frappe bruyamment à la porte. Toinon enferme l'amant et le valet dans un cabinet et en subtilise la clef avant d'ouvrir à Anastase (5), le précepteur du fils de Dorame qui l'a chargé d'un billet pour son père. À peine chassé, l'importun refait son entrée (6), accompagné du père des jeunes filles qu'il a rencontré sur le pas de la porte (7). Après l'échange de quelques nouvelles, Dorame se retire, imité par Anastase (8). Mais ce dernier est aussitôt rappelé (9) : le vieillard à oublié de lui remettre une écritoire, qu'il comptait offrir à son fils. L'objet se trouve dans le cabinet, dont la porte est close. S'étant muni d'une seconde clef (10-11), Dorame découvre Crispin et Phélonte (12). Ceux-ci esquivent ses questions en fredonnant un air de musique et s'échappent, laissant la colère de Dorame en butte aux explications de Toinon et aux conseils de l'intarissable Anastase (13). Acte V. Phélonte, ayant enfin abjuré sa foi d'inconstant, demande à Crispin de porter un nouveau billet à Daphnis (1). La servante Fanchon entre en scène pour signaler à son maître la présence de Mélante et de Lise (2) et se livre avec Crispin à un commentaire sur les sentiments de Phélonte (3). L'arrivée de Daphnis et Toinon rend inutile tout nouveau billet, et les deux amants prolongent l'entretien interrompu à l'acte précédent (4 et 5). Les personnages sont surpris par l'arrivée de Dorame  (6) : à la demande de son fils, qui se révèle être un ami du frère de Phélonte, celui-ci vient dans l'espoir de mettre fin à la querelle fraternelle. Crispin prétexte un concert qu'il est sur le point de donner pour justifier la présence de Daphnis aux yeux de son père. Mais l'arrivée de Mélante et de Lise provoque d'inévitables explications (scène dernière). Dorame cède et consent aux mariages de ses filles pour préserver sa réputation, et un concert final met fin à la pièce. Les situations qui se répètent d'une pièce à l'autre – le déplacement du valet, sa rencontre fortuite avec le père de la jeune fille et le déguisement – favorisaient les réécritures. La première relation qui s'établit entre les deux pièces de Hauteroche consiste en un jeu de clins d'œil : l'auteur emploie pour son deuxième Crispin les éléments qu'il n'avait pu qu'évoquer dans le premier. Une des scènes de *Crispin médecin* concentre ainsi les esquisses des deux passages-clef du déguisement de Crispin auprès de Dorame : il s'agit d'un moment où le valet et la servante Dorine, restés seuls après la sortie du vieillard, discutent de stratégie pour le cas où une nouvelle situation embarrassante se présenterait [45]. Le fait de dissimuler l'intrus en l'enfermant à clef dans une pièce adjacente (IV, 4 à 11), et de détourner un objet pour repousser le danger (IV, 4), sont ainsi avancés dans deux répliques de Dorine, la servante de *Crispin médecin* : DORINE. Si je n'avois oublié la clef de la cave, je te mettrois dedans. DORINE. Apprens que quand je suis sortie pour aller chercher ces ferremens, ç'a été dans la pensée de les cacher, de sorte qu'il ne pust les trouver ; et c'est ce que je n'ay pas manqué de faire. À défaut de cave, Crispin et Phélonte sont ici enfermés dans un cabinet, et Toinon, en retirant la clef pour retarder le moment où ils seront découverts, n'agit pas autrement que Dorine lorsqu'elle dissimule les instruments médicaux du docteur Mirobolan – évitant ainsi à Crispin, qui joue les cadavres, d'avoir à revenir à la vie sous les yeux du vieillard pour se prémunir d'une dissection en bonne et due forme. Quant à la rencontre de Crispin avec un musicien belliqueux, elle forme un contrepoint ironique à la réaction du valet lorsque Dorine propose de le transformer en médecin (nous soulignons) : CRISPIN. … Il faut payer d'effronterie : du moins sous cet habit *je ne courray point le risque d'estre taillé ou d'estre battu*. Quand je paroistray ignorant, il y a bien d'autres médecins qui le sont aussi bien que moy. D'autres éléments sont simplement transposés d'une pièce à l'autre. La scène dans laquelle le jeune amant ordonne à son valet de se rendre auprès de la jeune fille qu'il aime est composée de répliques analogues dans les deux pièces : Crispin objecte d'abord au nom des coups qu'il pourrait recevoir, puis fait allusion au métier du père de la jeune fille, et fait remarquer au jeune homme qu'il pourrait se déplacer lui-même. Ce dernier répond qu'il craint pour le succès de l'entreprise, et dans les deux cas, Crispin se résigne : | Crispin médecin (III,1) | Crispin musicien (V,1) Crispin Amant Crispin Crispin Crispin | « Parbleu, je ne veux point aller me faire bistouriser, ou bien recevoir quelques coups de baston ; vous y pouvez aller vous-mesme. » « Il est vray que je le puis ; mais je crains, en y allant, de ruiner mon amour » « Je hazarde mon dos, mes bras, mes jambes, mon corps ; car, de la manière que j'ay oüy parler Monsieur Mirobolan de Cloux, de cordes, de bistouris, un médecin n'a pas non plus de pitié d'un homme qu'un avocat d'un écu » Billet d'Alcine « Envoyez tantost Crispin : je feray mes efforts pour luy donner une lettre, qui vous instruira de tout » « Ouy, je vois bien qu'il faut y aller » « Ecoutez, faites-moy avoir une robbe de médecin…. » | « C'est bien dit ; au hazard, / Que le Vieillard mutin à m'étriller s'aplique » (1501-1502) « Mais comme la crainte est malséante aux Amans, / Vous-mesme vous pourriez faire vos compliments, / Ils seroient mieux de vous. » (1513-1515) « Si je suis veu du Pere, j'embarasse Daphnis, je ruine l'affaire » (1515-1516) « Ouÿ ; mais s'il s'avisoit, comme il est violent, / De me faire chanter sur quelque ton dolent, / Il connoist d'autres clefs que B mol & B carre » (1505-1507) non employé « Ecrivez, je voy bien qu'au péril de mon dos, il faut marcher » (1516-1517) non employé Deux éléments jouent un rôle dynamique dans la séquence de *Crispin médecin* : d'une part le billet de la jeune fille, qui exige le déplacement du valet ; de l'autre la préparation du déguisement. La scène intervient juste avant le déplacement de Crispin chez Mirobolan, père d'Alcine, à l'issue duquel aura lieu le dénouement : l'échec du déguisement provoquera les explications, et la conclusion du mariage. Il est donc logique que cette scène s'inscrive dans un mouvement dynamique. Il en va tout autrement dans *Crispin musicien*, où ces éléments sont absents. Hauteroche disposait de trois possibilités pour réemployer ce dialogue : il est en effet question d'envoyer Crispin chez Dorame à trois reprises, à la fin du premier acte d'abord (I, 16), puis au début du troisième (III, 1) et du cinquième (V, 1) – seul cas où la proposition reste sans effet. C'est précisément dans ce dernier contexte que Hauteroche réinsère la scène : il en résulte que les déplacements effectifs de Crispin ne sont pas, ou à peine, préparés (tout se règle en quelques vers), et que la préparation du déplacement intervient de façon gratuite, au moment où elle n'est plus nécessaire. Il en va de même pour la préparation du déguisement : Phélonte envisage dans cette scène de faire de Crispin un maître de musique (« S'il Dorame te voit, tu parleras Musique [46] »). Mais nous sommes déjà au cinquième acte, et ce qui pourrait être une préparation intervient trop tard : le spectateur a déjà vu Crispin jouer ce rôle deux fois (II, 6 et 8 ; et III, 2). La réplique de Phélonte n'a aucune valeur stratégique : elle ne fait qu'entériner après-coup le procédé. Hauteroche a pu profiter du succès de la reprise toute récente de *Crispin médecin* pour y glisser des allusions dans sa nouvelle pièce, misant sur la présence encore fraîche de la précédente dans l'esprit des spectateurs : l'association qui s'établit entre ces deux pièces, données dans un intervalle assez court, renforcerait alors aux yeux du public la connexion entre l'auteur et le personnage. Les liens tissés entre *Crispin médecin* et *Crispin musicien* – intrigues semblables, allusions d'une pièce à l'autre et transposition de scène – contribuent à la définition d'une typologie dont Hauteroche serait l'initiateur. On remarque essentiellement une perte de dynamisme dans la conduite du sujet, ce qui s'explique aisément par la nécessité d'adapter sur cinq actes une intrigue qui avait été conçue pour trois. Le sujet initial a de plus été allégé : la nouvelle pièce fait l'économie de la rivalité entre le jeune amant et son père, qui se disputaient la même jeune fille dans *Crispin médecin*. Ayant à composer avec la même quantité d'événements (deux déplacements de Crispin chez le père des jeunes filles), mais un cadre beaucoup plus large, Hauteroche ménage dans Crispin musicien des procédés de retardement : les espaces vacants seront alors mis au service des éléments spectaculaires de la pièce, numéros comiques, déguisement, ou musique. ## Structure de la pièce. ### Règles et retardements de l'intrigue. La première ressource utilisée par Hauteroche pour ralentir la marche des événements est l'entorse faite à l'unité de lieu. Acquise depuis les années 1640, elle n'est délaissée que dans les pièces où le spectaculaire prend le pas sur l'illusion, c'est-à-dire les tragédies à machines et l'opéra : il s'agit bien, dans le cas d'une comédie comme celle de Hauteroche, d'une rupture d'avec la règle. Hormis le fait que cette disposition permette de présenter au spectateur une variété visuelle (minime il est vrai, puisque les deux décors représentent deux antichambres), elle impose une fragmentation de la présentation des événements, tout en permettant des phénomènes de répétition, source de retardements structurels. Hauteroche joue donc sur les moyens de communiquer des informations, en redoublant l'exposition verbale d'une situation par la scène qui en est l'illustration : il en est ainsi pour l'exposition de la situation des filles de Dorame (I, 11) par Mélante, ensuite présentée en scène (II, 1). Le retardement lié à la présence de deux lieux distincts tient aussi au fait de l'étanchéité partielle de la frontière ainsi établie : jusqu'à l'acte IV, où Phélonte devient personnage agissant, les seuls personnages à établir la liaison sont Crispin et Toinon, c'est-à-dire le couple de domestiques. Le bon déroulement de l'intrigue suppose donc d'infuser le contenu de l'acte précédent dans celui qui commence, c'est ainsi la fonction du compte-rendu de Crispin au début du troisième acte. Le dédoublement spatial permet surtout d'écrire des scènes en miroir, comme les deux duos des servantes et des philosophes (III, 7 et IV, 10), donc d'employer une même scène comique deux fois, au prix de légères variations. Enfin, il est nécessaire de faire advenir des allers-retours entre les deux logis de la pièce, qui devront eux-mêmes être légitimés lors des scènes entre Phélonte et Crispin. La multiplication de ces allées et venues, qui permet de consommer en déplacements une partie de la pièce, intervient dans une pièce qui privilégie le spectacle : la relation entre le temps de la pièce et le temps du spectateur n'est pas soumise à la même contrainte de la vraisemblance que dans les pièces qui visent l'illusion dramatique. La multiplication des scènes comiques laisse de côté la question de la vraisemblance temporelle : le problème n'est pas là, et nous reprendrons l'idée de M. Corvin, que dans une comédie à types comme celle de Hauteroche, « le temps n'a pas de raison d'être » [47] : Si … le type et, par delà, le caractère de la comédie classique est fait pour souligner ce qui ne change pas dans ce qui paraît changer, il n'y a plus d'inscription temporelle possible dans ce qui, ne pouvant être qu'une confirmation du déjà donné, est le contraire d'une évolution. Les marques temporelles sont en effet presque absentes. Le début du premier acte se passe en début de matinée, si l'on se rapporte à la question de La Ronce (« Est-il jour là-dedans ? » [48]), et à celle de Fanchon qui s'enquiert du dîner (« Sais-tu si Monsieur me demande ? / S'il n'a point à traitter quelque Gaupe friande » [49]), mais les autres indices restent vagues, et tiennent à la nécessité de rappeler que l'action se déroule dans le cours d'une journée (« tantost », « dés aujourd'huy »). Une insistance trop prononcée sur la chronologie des événements risquerait en effet de rendre artificielle la multiplication des déplacements des personnages. Si la relative liberté de ce type de comédie vis-à-vis des contraintes temporelles autorise les déplacements incessants que provoque le changement de lieu systématique d'acte en acte, ce dispositif laisse d'autres contraintes à résoudre. L'intrigue de Hauteroche est celle d'une comédie à l'italienne type, centrée autour de l'approche amoureuse du jeune homme auprès de la jeune fille, dans la maison du père de celle-ci. Sur les deux lieux présentés au spectateur, l'un des deux – le « logis de Phélonte », qui n'est pas visé par l'enjeu d'approche – se trouve alors vide d'action. Il faut donc « remplir » les actes qui s'y déroulent : c'est le « caractère » de Phélonte, dont l'inconstance forme doublon avec l'obstacle que constitue le père de Daphnis, qui supplée l'événement. Le fait que ce caractère soit celui d'un inconstant tient au souci, qui intervient dans un second temps, de légitimer la marche ralentie des événements : le fil principal se trouve alors fragmenté entre la conversion progressive d'un inconstant à l'amour, et une intrigue d'approche amoureuse à l'italienne traditionnelle. Ce qui permet de réemployer dans la première partie de la pièce, hors de toute référence au contexte d'origine, des éléments appartenant traditionnellement à la comédie à l'espagnole : Hauteroche reprend le principe de la jeune fille entreprenante, puisque c'est Daphnis qui a « entrepris de fixer le vagabond Phélonte [50] », mais qui emploie ici la médiation de valets d'intrigue de la comédie à l'italienne. L'apparition masquée de Toinon, puis de Lise, renvoient également à cette tradition. Isolée de tout support espagnol, cette occurrence d'un masque féminin est marginale, et intervient dans un contexte où l'emploi de cet accessoire se raréfie [51]. Hauteroche l'insère soit par souci de vraisemblance – une femme qui se déplace va masquée – soit à titre de procédé, pour le simple plaisir visuel que son utilisation procure. La deuxième contrainte imposée par la fragmentation du lieu est celle de créer un lien entre les deux espaces : mais l'intrigue à l'italienne, et la figure imposée que constitue le déguisement d'identité dans toute « crispinerie », y répondent d'emblée. Enfin il convient de ménager un moyen de rassembler tous les personnages pour le dénouement. La solution la plus évidente du point de vue dynamique – celle qui est employée dans *Crispin médecin* – consistait à enchaîner le dénouement à la démarche d'approche amoureuse : l'échec du déguisement provoquait les explications et le consentement du père au mariage. Mais l'étirement de la trame empêche l'articulation de ces deux éléments : le déguisement fournit la matière du quatrième acte, tandis que le dénouement doit n'intervenir qu'au cinquième. Leur dissociation entraîne une situation qui pourrait être incohérente : tous les personnages principaux sont en effet disponibles, le couple des maîtres (Phélonte étant enfin devenu personnage agissant et s'étant émancipé de la contrainte spatiale), celui des serviteurs, et l'obstacle principal, Dorame. C'est la deuxième fois que Crispin est surpris chez la jeune fille, et il peut sembler anormal que la situation reste sans effet. Hauteroche prend certaines précautions pour atténuer cette anomalie. Dans un premier temps, il fait en sorte que tous les personnages nécessaires au dénouement ne puissent pas être présents en scène. L'insertion dans la pièce de l'épisode concernant Mélante et Lise est conçue de façon à le permettre : Mélante est présenté dès le début de la pièce comme s'étant discrédité auprès de Dorame, ce qui exclut d'office sa présence chez le père des jeunes filles, et impose que le dénouement soit retardé de façon à avoir lieu chez Phélonte [52]. Dans un second temps, Hauteroche fait sortir Daphnis de scène, ce qui évite le rassemblement gênant des deux amants, des deux serviteurs et du père de la jeune fille, autrement dit de tous les personnages principaux de la comédie. Quant à la nécessité de motiver le déplacement de Dorame chez Phélonte au cinquième acte, alors que les deux personnages ne sont pas supposés se connaître, c'est la fonction que joue au niveau structurel l'intrigue secondaire de la brouille entre Phélonte et son jeune frère. Mais quitte à inventer un prétexte pour les besoins du dénouement,  Hauteroche choisit de profiter de ce nouvel élément pour faire intervenir des personnages à fonction comique, qui bénéficieront de « leur » scène : ces personnages, qui interviennent pour lier les deux espaces distincts de la comédie, sont des « types » aptes à retarder l'action tout en divertissant le spectateur (Boniface et Anastase). La multiplication des personnages, qui permet de « dépenser » des scènes, participe ainsi également d'une stratégie de retardement. Mais leur liaison à l'histoire nécessite parfois le recours à un alibi extérieur : la pièce possède ainsi plusieurs personnages extra-scéniques qui n'ont pour fonction que de légitimer la présence de ces personnages secondaires. La vieille tante de Phélonte permet de justifier la présence de Fanchon, mais son profil aurait pu en faire un obstacle comparable au père des jeunes filles. Elle ne joue au contraire aucun rôle dans l'histoire, où l'accent est moins mis sur la complexité de l'intrigue que sur les prouesses de Crispin, et les numéros comiques des personnages de domestiques ou de précepteurs. Madame Angélique est également un personnage fantôme qui légitime la présence du musicien auprès des filles de Dorame, et qui représente tout un contexte social justifiant que ce personnage se présente chez Phélonte au troisième acte, quand rien dans l'histoire ne l'y appelle. ### Unification de l'intrigue ? Le problème posé par une intrigue constituée de retardements successifs est de maintenir aux yeux des spectateurs sa cohérence linéaire. C'est sur ce point que la pièce est attaquée au siècle suivant par les frères Parfaict : On peut même ajouter que l'intrigue est entièrement dans le goût des anciennes Comédies, telles qu'on les composoit avant M. Molière, que les Scenes n'ont entr'elles guére plus de liaison, que la plûpart des personnages, avec le corps de la Pièce … [53]. Le reproche vise le manque d'unité de la pièce et la multiplication des personnages secondaires ; il a peut-être été formulé dès la création, puisque Hauteroche plaidait dans sa préface en faveur de cette « duplicité d'action » et de ces personnages, arguant que « l'on voit bien que c'est par eux que le dénouement s'en fait ». L'énoncé reste dans le vague. De quelle action secondaire parle-t-il ? De celle que forme l'intrigue amoureuse de Mélante et de Lise ? Ou alors, de celle des « docteurs » et du jeune frère de Phélonte ? Jacques Scherer dégage trois conditions à l'unification de l'action d'une pièce [54]. D'une part, « le dénouement doit découler des actions de la pièce, et tout ce qu'il y a dans la pièce doit être utile pour le dénouement ». C'est l'argument allégué par Hauteroche dans la préface de sa pièce. L'histoire des deux précepteurs et du frère de Phélonte répond à ce critère, dans la mesure où elle a été inventée à propos. En revanche, l'importance du couple Mélante-Lise lors de la dernière scène est factice : la seule présence de Daphnis auprès de Phélonte aurait vraisemblablement pu suffire à Dorame, vétilleux « sur le point d'honneur », pour concevoir des soupçons puis consentir au mariage dans l'intérêt de sa réputation. De fait, le soupçon de Dorame est éveillé avant l'intervention du couple secondaire (v. 1671, 1702, 1713), l'arrivée ce dernier n'offrant qu'un effet de répétition. Ce qui se dégage de la présence de Mélante et Lise dans cette scène est davantage une nécessité de résoudre le fil secondaire, plutôt qu'un besoin qu'appelle la résolution du fil principal. La seconde condition est une absence « d'événements dus au hasard ». Scherer donne l'exemple des pièces qui comportent un personnage dont l'identité n'est révélée que lors du dénouement. Cette fois, on peut hésiter dans le cas du frère de Phélonte : il n'est révélé qu'au cinquième acte que l'ami du fils de Dorame, en faveur duquel le billet formule une requête (IV, 7), est en réalité ce fameux frère, et que cette requête concernait justement un accommodement avec Phélonte. Toutefois, ce retardement répond aussi à la nécessité de ne pas découvrir le stratagème de l'auteur trop tôt, et de ménager ainsi un effet de surprise. Enfin il est nécessaire que « les actions accessoires prennent naissance dès l'exposition, et trouvent leur conclusion dans le dénouement ». Le dénouement de *Crispin musicien*, typique du genre de la comédie, résout les trois intrigues amoureuses (si l'on compte celle de Crispin et Toinon) par un triple mariage, et réconcilie Phélonte avec son frère par l'entremise de Dorame. Tous ces problèmes avaient été posés dès l'exposition : Fanchon y informait Phélonte de la visite de son frère pour « refaire sa paix » avec lui (I, 7, vers 77), et Mélante exposait son amour pour Lise, contrarié par la volonté du père de la jeune fille (I, 11, vers 235-245). Toutefois, le problème essentiel est moins celui de la présence de ces actions annexes durant l'exposition et le dénouement, que celui de leur continuité dans la pièce. C'est lors du troisième acte que Hauteroche met à profit le vide d'action pour faire intervenir ces personnages secondaires : le musicien d'abord, qui rappelle l'incident qui vient de se produire chez Dorame au deuxième acte, puis Boniface, qui intervient en préparation du dénouement, et comme mention de rappel de l'exposition : il fonctionne comme balise du fil, presque complètement délaissé par ailleurs, de la brouille entre Phélonte et son jeune frère, pour qui Dorame intercédera au dénouement. Boniface est suivi par Mélante, que Hauteroche met en place en vue du cinquième acte, et qui est d'abord présenté par l'intermédiaire de son valet, Le Breton. Ces personnages interviennent à la faveur de l'attente de Mélante, qui a été instaurée au premier acte. La série d'entrées en scène du milieu du troisième acte répond ainsi à une stratégie déceptive : LA RONCE Une Homme est là, Monsieur, qui demande à vous voir. PHELONTE Il faut le faire entrer. C'est sans doute Mélante, Il vient au rendez-vous, mais contre mon attente, Je vois un inconnu… [55] Toutefois, ce troisième acte dans lequel Hauteroche fait réapparaître les fils secondaires de son intrigue est aussi celui qui semble avoir été le plus critiqué pour son manque de cohérence interne. L'unité de l'acte est compromise par la présence importance des personnages secondaires (dotés de six scènes sur treize), et de l'enchaînement arbitraire de leurs entrées. Si l'on se reporte à la préface de Hauteroche, les deux personnages sur lesquels il éprouve le besoin de se justifier – le musicien et Le Breton – y interviennent tous les deux. Le passage accordé au Breton est particulièrement démesuré par rapport à sa brève intervention dans la pièce. Hauteroche s'exprime en termes de vraisemblance : Le Breton qui vient au quatrième Acte pour faire un message à Phelonte de la part de Melante son Maistre, ne rompt point le fil de l'action : il estoit de la prudence de Melante en cette occasion d'envoyer avertir Phelonte de sa venuë, afin de ne pas exposer la personne qu'il aime à la veuë des Gens que le hazard pouvoit faire rencontrer au logis de Phelonte. Pour prevenir cet inconvenient, Melante y envoye son Valet, et n'en ayant point de réponse, il y vient luy-mesme : ainsi on peut conclure que la Scene du Breton n'est pas tout-à-fait inutile, et que son Personnage est en quelque façon attaché à la Piece. Il semble cependant qu'on puisse davantage justifier ce personnage en termes de stratégie technique : l'insertion de cette scène comique permet certes de « remplir » l'acte, mais elle participe également à l'établissement d'une « chaîne de types » comiques, et crée une certaine cohérence en systématisant la présence de personnages archétypaux en scène. Les éléments hétérogènes de l'acte se fondent ainsi dans une même recherche d'effet, ce qui court-circuite les exigences du vraisemblable en déplaçant le problème. Le troisième acte devient une exhibition de l'aspect théâtral et comique de la pièce, où l'effet comique semble recouvrir une fonction coercitive. Ce procédé se retrouve à un autre niveau dans la structure de *Crispin musicien*. Il s'agit de l'usage des répétitions de situation, à l'exemple du déguisement de Crispin. ### Un déguisement substitut de l'action. Parmi les changements de lieux et de personnages qui se font d'acte en acte, il existe un élément constant : le déguisement de Crispin, qui concourt en soi à l'unification de la pièce. Cette structure est favorisée par la nature même du déguisement des *crispineries*. Nous analyserons brièvement les caractéristiques de ce procédé, avant de voir par quelles variations Hauteroche a résolu le problème de sa répétition, et de quelle façon les différentes scènes concernées se répondent. Deux constatations s'imposent : d'une part, les déguisements de Crispin n'ont aucune incidence sur la suite de l'intrigue, d'autre part, l'un d'entre eux n'est absolument pas motivé sur le plan de l'histoire. Au deuxième acte, le déguisement a assuré une scène riche en mouvement, mais la situation dans laquelle les personnages se trouvent n'a en rien changé : les répliques de Phélonte, au premier comme au troisième acte, témoignent d'un commencement d'intérêt pour Daphnis, et le valet-confident doute de la sincérité de son maître dans un cas comme dans l'autre. Le déplacement de Phélonte chez la jeune fille était par ailleurs prévu dès le premier acte : DORINE … Et quand, pour le chasser on joüeroit du Baston, Il Crispin aura veu la Dame, & sçaura la Maison, Le reste vous regarde [56]. Celui du valet n'a ainsi joué qu'un rôle de préparation et de retardateur dans la marche des événements. Cette situation de relative indépendance du déguisement et de l'intrigue est soulignée au quatrième acte par la disposition du personnel dramatique : les personnages se retrouvent dans une configuration propice au dénouement, mais ce dénouement serait prématuré et ne peut intervenir en ce point de l'intrigue. Nous sommes chez la jeune fille, c'est la seconde fois que Crispin est surpris par Dorame, il est cette fois accompagné de Phélonte, ce qui fait que tous les personnages principaux se trouvent réunis dans un même lieu, et dans une situation qui pourrait mettre un terme à la pièce (nous avons vu les précautions que prend Hauteroche pour atténuer cette situation gênante). Il en résulte que le déguisement est, pour la seconde fois et malgré une situation qui pourrait s'y prêter, inefficace du point de vue de la progression de l'intrigue. Le caractère accessoire de ces déguisements est une conséquence de leur nature : nous assistons à un déguisement « de fuite » [57], dont le seul propos est de permettre le reflux du personnage, et qui procède à rebours de la marche de l'action. De fait, le déguisement vaut essentiellement pour lui-même et gagne une certaine forme d'indépendance. Ceci est mis en évidence par le déguisement de Crispin de l'acte III, qui intervient de façon arbitraire : il est conditionné par le retour du musicien, lequel intervient sans être appelé par le déroulement de l'histoire. Toutefois, d'un point de vue strictement organique, ce déguisement permet d'établir un lien avec ce qui vient de se passer chez Dorame : il illustre le compte-rendu de Crispin à Phélonte (III, 1), et permet d'infuser de façon visuelle les événements du deuxième acte dans le troisième. Remarquons que d'acte en acte, Hauteroche emploie toujours deux personnages pour faire une liaison minimale entre les deux lieux, plus ou moins hermétiques, de la pièce : Crispin et Toinon (I-II), puis Crispin et le musicien (II-III), enfin Crispin et Phélonte (III-IV). Le personnage du musicien assure donc la cohérence de l'ensemble, et avec lui le déguisement d'identité de Crispin qui est remis au premier plan. Tout se passe comme si le déguisement était en lui-même élément unificateur, indépendamment de son incidence sur l'action, à laquelle il tend d'ailleurs à se substituer. Georges Forestier montre ainsi que les déguisements de ce genre constituent à eux seuls l'action, alors même qu'ils jouent un rôle très secondaire dans l'histoire. On en oublierait d'ailleurs presque cette histoire, s'il ne s'agissait pas presque toujours de la même qui court d'une pièce à l'autre …. Au plan de l'histoire, le déguisement du personnage importe peu, au plan de l'action, il occupe une place considérable en permettant d'entasser situation comique sur situation comique, en substituant à l'histoire une action qui n'est plus finalement qu'une situation comique généralisée [58]. Le procédé constitue alors l'élément fédérateur de la pièce, écrite essentiellement pour ce spectacle comme son titre l'indique. Dès lors, le reproche des frères Parfaict que nous avions cité, à propos des situations et personnages sans rapport avec le corps de la pièce, n'a pas de raison d'être – les situations comiques *forment* le corps de la pièce. Leur répétition permet à la fois d'assurer la cohérence de l'ensemble et d'offrir au spectateur des variations dans leur mise en œuvre, qui participent d'une esthétique spectaculaire. ### Répétitions et variations des séquences de déguisement. #### II, 8 et IV,12 : une variation dynamique. Les deux scènes se présentent dans le même contexte : Crispin, seul puis accompagné de Phélonte, est surpris par le père des jeunes filles et doit se déguiser pour battre en retraite. Il n'y a donc pas de changement dans la place syntaxique du déguisement, et la variation qui s'établit tient à l'organisation interne de la scène : ces deux passages s'opposent en termes de dynamisme. Nous reprendrons ici les distinctions établies par J. Scherer pour les différents types de scènes [59]. Le déguisement de Crispin au deuxième acte appartient à celles où la tension « croît sans cesse jusqu'à une explosion » : après avoir réussi à leurrer Dorame, Crispin entre avec le musicien dans une discussion théorique qui s'échauffe et dégénère en bagarre. La scène de déguisement du quatrième acte ressortit à la deuxième catégorie de Scherer, scènes qui atteignent le maximum de tension en leur milieu avec « une montée vers ce sommet, puis une redescente qui est un apaisement ». Nous entendons ici le terme de *scène* au sens large : le problème du déguisement est amorcé à partir du moment où Crispin et Phélonte sont enfermés dans le cabinet de Dorame, le seul enjeu étant de savoir à quel moment ils seront découverts et quand le stratagème sera effectivement employé. La scène entre Dorame, Toinon et Anastase, qui commente la scène précédente après le départ des intrus, est encore un prolongement du déguisement. Le corollaire de cette distinction se situe dans les moyens employés pour l'écriture de la scène. L'échauffement du deuxième acte mobilise toutes les ressources disponibles pouvant mettre en valeur le déguisement de Crispin : la présence en scène – que ce soit une présence physique des personnages, une présence verbale ou l'emploi des objets disponibles – est à son comble. Dès l'amorce du déguisement, il s'agit d'une présence physique, qui donne lieu à un premier quiproquo, Dorame prenant logiquement Crispin pour un voleur, à la simple vue de ses « habits » et de sa « figure » [60]. Rappelons que le valet Crispin possède un costume codifié ainsi qu'une physionomie traditionnellement grimacière qui le rapprochent bien davantage du personnage de farce que du « gentilhomme » maître de musique. Le choix de cette profession pour le déguisement excluait d'emblée le recours à un costume : il n'en existe pas de musicien (lequel appartient à la catégorie des bourgeois moyens, comme le rappelle le gascon aux vers 616-620) comme il en est de médecin. Ajoutons que l'absence de préparation du déguisement l'aurait de toute façon exclu. Mais l'effet ménagé reste un effet visuel : il provient d'une incongruité, celle de la discordance entre l'habit d'un Crispin et celui d'un bourgeois. Sous son costume de valet, Crispin accuse donc par la négative le versant physique du déguisement d'identité, soulignant par contrecoup la naïveté de Dorame. La scène ménage ainsi un effet d'ironie : Dorame, en misant sur une entrée frauduleuse dans sa maison, voit plus juste que lorsqu'il se laisse convaincre par Toinon de la soi-disant vérité. La présence en scène est également assurée par la place importante que prennent les objets : la hallebarde de Dorame, les sièges dont se saisissent Crispin et le musicien dans leur querelle, et l'épée de ce dernier contribuent tous à l'échauffement de la scène. Enfin la confrontation du vrai et du faux musicien donne lieu aux morceaux de bravoure de Crispin, qui possèdent des affinités à la fois avec la fatrasie par leur incohérence, et avec l'énumération par la quantité de termes techniques que le valet y entasse [61]. Le déguisement du quatrième acte, au contraire, repose sur une série d'ellipses : celle des deux intrus (enfermés de la scène 5 à la scène 11), celle du rôle-témoin que constituait le musicien gascon, et celle que reçoivent les questions de Dorame une fois Crispin et Phélonte découverts. La prouesse du « maître de musique » réside alors dans la répétition obsessionnelle d'une ritournelle, au détriment du dialogue qui s'effondre. Alors que la scène huit de l'acte deux était régie par le principe de l'argumentation fallacieuse face à Dorame et au musicien, cette scène observe une stratégie rigoureusement opposée : les deux scènes possèdent cependant un point commun, celui d'étaler une absence complète de signification, soit dans la logorrhée théorique (II, 8), soit dans la répétition de purs morphèmes musicaux (IV, 12). Le principe du chant répondant à la parole n'est pas nouveau, il a déjà été employé dans le domaine de la farce médiévale (*Le savetier Calbain*), et plus récemment par Poison dans le *Zig-Zag*, pièce insérée dans le *Baron de la Crasse* (1661), où Hauteroche tenait un rôle. Le procédé est radicalisé, puisque le chant est ici dépourvu de paroles et ne peut donc ni répondre indirectement, ni ironiser sur la réplique précédente. Le déguisement de Crispin n'est pas ici, contrairement à l'acte deux, directement source de dynamisme : celui-ci réside dans les événements périphériques, les allées et venues qui ont lieu devant la porte du cabinet. #### II, 9 et III, 2 : un échange des rôles. Lorsque le déguisement intervient chez Phélonte, au troisième et au cinquième acte, une de ses données essentielles change : le destinataire du déguisement en est également le complice. Phélonte se rapproche en effet d'un spectateur, à qui Crispin destine la démonstration de ses facultés d'imposteur. La situation est soulignée par un renversement des rôles entre les deux « musiciens ». Au troisième acte, Crispin endosse véritablement le rôle du musicien : ne courant plus aucun danger, il reprend à son compte les injures de celui-ci (« Je vous le livre aussi plein d'ignorance / Que Chantre du Pont Neuf [62] »). La disposition des personnages permet également de mettre l'accent sur le ridicule du musicien de deux façons différentes. Au deuxième acte, le comique vient de ce que le personnage emploie l'ironie dans un contexte qui rend celle-ci parfaitement inefficace : Dorame est un ignorant en musique (« cet Art est un Art dans la commune estime / Quant à moy j'en suis peu curieux [63] »), et ne peut interpréter les paroles du musicien qu'au premier degré. Il n'identifie donc pas l'imposteur, et lorsque Toinon lui demande pourquoi Angélique enverrait deux maîtres de musique, le père des jeunes filles se borne à répondre : « c'est pour en faire choix [64] ». Inversement, le musicien démasque Crispin auprès de Phélonte, quand celui-ci est à la fois destinataire et complice du déguisement : le comique naît ainsi de la relation qui s'établit entre les deux scènes, par le renversement des rôles et la réaction à contretemps du personnage du musicien. Malgré le caractère ouvertement spectaculaire de ce déguisement de Crispin, la scène conserve une « dupe » : le musicien, même s'il a décelé l'imposture de Crispin, n'est pas conscient du spectacle qui se joue à ses dépens. Le déguisement du cinquième acte accentue le caractère gratuit du procédé. Dorame découvre très rapidement l'imposture de Crispin, comme l'indique son aparté (« Le Fourbe ! mais il faut le pousser jusqu'au bout. [65] »), et continue cependant à tenir son rôle de dupe jusqu'à la fin. Ici Crispin et Dorame jouent mutuellement à tromper l'autre, mais tous les personnages présents en scène savent qu'ils assistent à un numéro. Cette disposition est liée au concert final : à ce stade de la pièce le déguisement de Crispin, au même titre que la musique, participe au spectacle que l'on offre comme bouquet final au spectateur. L'artificialité du procédé est même soulignée par une réplique de Phélonte : CRISPIN Tout aujourd'huy je garde ma Maistrise, Monsieur. PHELONTE Mais à present elle n'est plus de mise, Et… CRISPIN Je suis obstiné ; tout-franc, j'en veux par là. PHELONTE Fay donc. CRISPIN *aux Violons.* Messieurs, allons. *Fa sol fa, la, la, la* [66]. Si la répétition d'acte en acte du déguisement de Crispin assure la cohésion de la pièce, il ne s'agit que du procédé le plus visible du principe de répétition de scènes : Hauteroche emploie dans le même ordre d'idées des scènes qui se répondent dans un jeu de miroir : dans la pièce, la plupart des éléments vont par deux. Il s'agit soi d'un prolongement – deux scènes « du billet » (I, 13 et III, 1), deux scènes de protestations amoureuses entre Phélonte et Daphnis (IV, 4 et V, 5) – soit d'une opposition (deux interventions de « docteurs », qui donnent lieu symétriquement à deux duos de séduction amoureuse avec les servantes (III, 7 et IV, 10). Les discussions sur le problème amoureux de Crispin et Phélonte se répondent également, dans un cas c'est l'amour du valet qui est soumis à caution (« Maraut, / Aimer toy ? »), dans l'autre celui du maître (« Vous aimer ! vous ! ») [67]. Ces répétitions offrent au spectateur une palette de situations comiques, qui joue le même rôle spectaculaire que l'insertion musicale. ## Les « ornemens » musicaux. ### Le personnel musical. Associée au déguisement de Crispin, la musique constitue le deuxième versant de l'esthétique spectaculaire de la pièce. En janvier 1678, le *Mercure galant* rapporte que *Crispin musicien* a été jouée « avec tous ses ornemens ». Ce terme, dans un contexte qui accorde de plus en plus d'importance au spectacle musical, recouvrait la présence au sein de la pièce d'airs et de passages instrumentaux. Toutefois, l'insertion musicale était strictement réglementée. Après 1672, et l'obtention par Lully de lettres patentes lui garantissant le monopole des représentations en musique et en vers français, les troupes de théâtre voient se restreindre les possibilités d'emploi de chanteurs ou d'instrumentistes. L'ordonnance du 30 avril 1673 n'autorise plus que le recours à deux voix et six violons. Le personnel musical de *Crispin musicien* correspond exactement à la limite fixée : l'entrée en scène des six violons dès le commencement de la pièce laisse même croire à une allusion ironique au privilège de Lully. On peut supposer que les rôles chantés sont tous tenus par les comédiens, mais que les deux chanteurs professionnels engagés dans la troupe interviennent lors du concert final, comme l'indique une réplique de Crispin : Mes Chanteurs sont là-haut, qui repétent ensemble, Je vay les amener [68]. Chanteurs qui s'ajoutent à Fanchon et Phélonte pour former le « grand chorus » qui précède la dernière scène. Parmi les comédiens, si on peut supposer que certains avaient des aptitudes pour le chant (les acteurs des rôles de Phélonte et de Fanchon), l'insertion musicale d'airs dans d'autres rôles participait sans doute d'un effet comique : c'est le cas pour le personnage du Breton, qui chante en été d'ivresse, ainsi que pour ceux de Crispin et de Daphnis, à qui il est confié des bribes de mélodie. Ces deux personnages chantent, mais on peut supposer qu'ils chantent mal : fait qui participe de l'effet comique pour le rôle de Crispin, qui se contente de marquer la mesure en solfiant la partie de basse (IV, 12). Les six violons apparaissent dès l'ouverture, effectif renforcé par le personnage de La Ronce, qui, parce qu'il est interprété par l'un des comédiens de la troupe, ne compte pas au nombre des instrumentistes engagés pour l'occasion. Au moins un des musiciens devait être polyvalent, puisqu'il intervient également sous le nom de La Fluste (I, 9) : souci d'économie qui appartient à la fois au théâtre et aux particuliers qui engageaient des musiciens à titre privé. Nécessaires pour camoufler le bruit des changements de décor – en particulier lorsqu'il s'agit de fermes peintes coulissantes comme en utilise Hauteroche dans sa pièce – les violons étaient systématiquement employés pour délimiter les actes, et leur rôle fonctionnel les maintenait donc à la lisière de l'action dramatique. Ce statut utilitaire était à l'origine parfaitement distinct de leur rôle ornemental dans une pièce. Sur cette forme de présence musicale, la plus courante, Hauteroche est explicite : le paratexte précise qu'à l'issue de chaque acte, les « six laquais de Phélonte » qui avaient pris en charge l'ouverture reviennent en scène et jouent des pièces musicales « pour discerner l'acte ». Il semble qu'il ait existé plusieurs façons de procéder lors de l'intervention des violons en fin d'acte, ce qui suppose de préciser de quelle façon les choses doivent se dérouler. On peut penser que si Hauteroche prend la peine de préciser ce détail, c'est parce qu'il tient compte des reprises éventuelles de sa pièce. Publiant son *Théatre françois* l'année où *Crispin musicien* a été représentée, Chappuzeau note que les violons : sont ordinairement au nombre de six, et on choisit les plus capables. Ci-devant on les plaçait ou derrière le théâtre, ou sur les ailes, ou dans un retranchement entre le théâtre et le parterre, comme en une forme de parquet. Depuis peu on les met dans les loges du fond d'où ils font plus de bruit que de tout autre lieu où on les pourrait placer. Il est bon qu'ils sachent par cœur les deux derniers vers de l'acte, pour reprendre promptement la symphonie, sans attendre que l'on leur crie : « Jouez ! » — ce qui arrive souvent [69].  Hauteroche insiste donc sur l'entrée en scène des violons, et leur présence visuelle pour le spectateur : ils rappellent ponctuellement le thème de la pièce, en même temps qu'ils soulignent le caractère spectaculaire de la musique. Chappuzeau affirme ici que le nombre maximal autorisé de violons était très souvent employé dans les entractes, sans doute pour tenter de mieux couvrir le bruit du changement de décor : Hauteroche ne devait donc pas être le seul à se servir de l'effectif complet des violons en cette occasion. Mais la spécificité de leur emploi réside dans le lien de cet aspect fonctionnel des violons au thème de la pièce et à ses intermèdes. Le concert de fin d'acte s'allie ainsi avec leur rôle utilitaire : les violons jouent un air avant le changement de décor, à l'issue duquel ils restent en place et remplissent le rôle qui leur est dévolu pendant qu'on pousse les fermes. Lorsqu'on passe du logis de Dorame à celui de Phélonte, c'est le contraire qui se produit : les violons, d'abord masqués par la première ferme, jouent dissimulés, jusqu'à ce que le changement de décor ait fait apparaître l'antichambre de Phélonte ; alors seulement la musique est donnée comme un spectacle. La pièce a en outre hérité de l'esthétique de la comédie-ballet le souci d'incorporer la musique des intermèdes à l'histoire (ces violons sont présentés comme les « laquais de Phélonte »). Les différentes facettes de la présence des instruments sont ainsi parfaitement homogénéisées. Il faut alors voir comme Hauteroche procède pour l'insertion de morceaux de musique à l'intérieur de la pièce : Phélonte préludant au clavecin, ou répétant une chaconne avec ses laquais. ### Place de l'insertion musicale. Depuis les années 1630, l'insertion musicale dans la comédie, devenant une composante parmi d'autres de l'histoire, doit être légitimée par la nature ou la fonction d'un personnage, ou par une situation donnée. En effet, dans la tragi-comédie puis la comédie baroque, « les formes musicales et surtout les situations musicales présentes dans les pièces s'apparentent à des formes et à des situations réelles [70] ». Dans *Crispin musicien*, le simple fait que Phélonte soit un mélomane justifie d'emblée la présence de musique à l'intérieur de la trame. La pièce, qui fait preuve d'originalité en érigeant la pratique musicale en tant que thème, conserve toutefois pour ses insertions musicales l'habitude des emplacements privilégiés que sont l'ouverture et le concert final. Ces endroits de la pièce se décloisonnent cependant, que ce soit dans le cas de l'ouverture qui se mêle au début de l'exposition, ou du concert final, qui se superpose au dénouement. Seule la première scène du premier acte est explicitement nommée « ouverture », mais il est possible de considérer que l'ouverture ne s'achève pas avec la fin de cette scène. Le début de la pièce constitue en effet un découpage relativement autonome, encadré d'une part par l'ouverture des violons (I, 1) et de l'autre par la chaconne (I, 9), à l'issue de laquelle « on range le clavessin ». Il s'agit du début de l'exposition, passablement décousu, où apparaissent essentiellement les personnages secondaires des valets, servante et laquais, et qui tient principalement, dans un jeu de question-réponse, à exposer les habitudes du maître des lieux (absent jusqu'à la scène 4). Notons que les personnages évoqués sont tous ceux qui sont destinés à rester hors scène : les « gaupes friandes » d'un déjeuner qui restera virtuel [71], la tante « malsaine » de Phélonte dont le seul rôle formel est de légitimer la présence de Fanchon et de fournir un prétexte à ses sorties de scène [72], et le frère de Phélonte, qui n'interviendra en scène que par l'entremise du personnage de Boniface [73]. Dans un jeu d'allées et venues, c'est tout ce qui appartient au contexte au sens le plus large, qui fait l'objet ici d'une exposition. L'apparition de Phélonte (I, 7) ne modifie pas la donne : il abrège les explications de Fanchon pour demander à entendre les pièces musicales que ses domestiques lui ont préparées. Présenté d'emblée comme un passionné de musique, son premier acte en scène est d'accompagner au clavecin la servante Fanchon dans un air (I, 7), à l'issue duquel un valet arrive fort à propos pour renvoyer cette dernière au chevet de la vieille tante de Phélonte (I, 8), et permettre à un intermède musical d'un autre type de commencer (I, 9). Les trois interventions musicales de l'acte sont ainsi resserrées entre la première scène et le moment où le clavecin est mis de côté : on peut alors considérer que l'ouverture de la pièce, au sens large, s'étend jusqu'à ce point. Les éléments d'information apportés au spectateur ne sont pas d'un enjeu tel qu'ils prennent le pas sur les passages musicaux. Hauteroche a distingué les éléments secondaires d'exposition des éléments principaux : l'exposition de la triple intrigue amoureuse, celle de Crispin, Phélonte et Mélante, l'attitude du père des jeunes filles, tout ce qui ressortit au développement dramaturgique à proprement parler, est encore à venir. Il ne s'agit ni d'une ouverture au sens strict du terme, ni d'une entrée de plain-pied dans l'intrigue : les premières scènes de la pièce s'apparentent à un début d'exposition tissé de musique. Il en va de même au dénouement. Le principe du concert final n'intervient pas après le dénouement à proprement parler, comme ornement final, mais se superpose à lui : le premier air intervient alors que l'imposture de Crispin n'est pas découverte, que Phélonte ne s'est pas déclaré, et que Mélante et Lise ne sont pas encore en scène (V, 7). Il s'agit à la fois d'un nouveau numéro de Crispin, qui cette fois dirige sa maîtrise devant sa dupe, et du premier air de l'ensemble plus large du concert final (qui a lieu au sens strict à la dernière scène, mais peut être étendu jusque-là). Sur le plan de l'histoire, les airs chantés n'ont pas d'autre fonction que celle d'agréments et d'illustration du propos : ils n'ont aucune incidence sur l'action. Tout au plus le premier air chanté par Fanchon (inséré au milieu du vers 91) peut-il recouvrir une tonalité légèrement ironique : dans le contexte de la comédie, Phélonte est le premier personnage ayant l'âge et le rang convenable à jouer un amant à apparaître en scène. Le spectateur connaît les conventions du genre (en premier lieu la fin nuptiale), et peut donc facilement prévoir la façon dont évoluera cette apologie du vin au détriment de l'amour. Il est possible aussi d'entendre un double sens sur les premières paroles de « L'amour cause trop de peine / Je ne veux plus m'engager [74] », que Phélonte chante au moment où il se trouve en difficulté chez le père de celle qu'il aime. Le dernier couplet du concert final ajoute à l'agrément musical celui d'une chute burlesque : on passe d'un chœur galant [75] à une allusion traditionnelle au physique ingrat de Crispin [76]. Lorsque les paroles de l'air ne sont pas modifiées par le contexte, c'est de leur attribution à un personnage ridicule que vient l'effet comique, comme pour celui que chante le musicien gascon [77]. Son registre, qui emprunte déjà davantage au vocabulaire de la tragédie qu'à celui de la comédie, est surdéterminé par l'emphase du personnage, celui-ci apparaissant donc ridicule. La plupart des airs de la pièce sont perdus : la coutume au XVII*e* siècle n'était pas de faire graver la musique de scène – simple agrément qui ne justifiait pas une pratique aussi coûteuse – à l'exception notable de la musique royale copiée par Philidor. Pour ce qui était des comédies, on pouvait utiliser des mélodies originales, mais l'habitude consistait le plus souvent à insérer dans les pièces des airs connus de tous : des timbres de vaudeville [78], sur lesquels on ajoutait de nouvelles paroles. Ces airs, qui circulaient dans Paris et en particulier sur le Pont-Neuf [79], n'étaient pas tous de même nature : il pouvait aussi bien s'agir de chansons populaires que de certains airs simples d'opéras à succès, qui venaient grossir le répertoire. Certains vaudevilles ayant survécu suffisamment pour cela ont pu être publiés dans des recueils, et réapparaissent ainsi parfois jusqu'au XVIII*e* siècle. C'est le cas de l'un des airs de *Crispin musicien*, « L'Amour cause trop de peine… [80] », qui refait surface de façon anonyme dans un *Recüeil complet de vaudevilles* publié à Paris en 1753 [81]. La publication tardive ne permet pas de savoir si l'air préexistait à la comédie de Hauteroche, ou s'il a été écrit pour la pièce (ce qui restait le plus sûr moyen d'adapter l'air au sujet) et conservé en vertu de son succès et de son maintien au répertoire. Si les autres insertions musicales de la comédie n'ont pas été conservées, cet air peut donner un indice de la nature des autres passages chantés (voir annexe p. 63) : l'écriture est particulièrement simple, et obéit à un principe syllabique. Présenté par Phélonte comme un « menüet rondeau » (v. 1760), l'air entretient une parenté rythmique avec le menuet (une écriture à trois temps avec un schéma rythmique de base qui s'étend sur deux mesures, correspondant à un pas complet de cette danse). Il possède de plus un caractère de danse grâce à une alternance rythmique de mesure à mesure. D'un point de vue expressif, la mélodie assure une illustration minimale du texte pour la partie centrale (« Un Amant souffre la gêne… ») : passage du mode majeur au mode mineur, le mot *gêne* étant plus particulièrement mis en relief puisqu'il intervient sur la note sensible. Les deux phrases mélodiques de l'air entretiennent par ailleurs une parenté qui rend l'air facilement mémorisable. On présente donc au spectateur un passage relativement bref, qu'il peut s'approprier facilement, ce qui redouble l'agrément de l'insertion musicale. ### Les références musicales. En 1674, la pression exercée par Lully sur les comédiens est telle que, comme le suggère Bénédicte Louvat-Molozay, il semble … qu'en cette période charnière, où le champ théâtral est bouleversé par la naissance et le succès immédiat de l'opéra autant que par l'ordonnance qui limite le nombre des musiciens pour les représentations à la Ville, la comédie à insertions musicales soit contrainte de passer par une thématisation de la musique et par une représentation des pratiques musicales pour continuer à exister [82]. La pièce de Hauteroche s'ordonne entièrement autour du thème de la pratique musicale. Depuis Lancaster, les critiques la structurent par le « rapport de toutes ses parties à la musique » : chaque personnage a ainsi plus ou moins rapport avec le thème. Disons plutôt les personnages principaux : Mélante n'est jamais présenté comme musicien, les deux personnages de « philosophe » que sont Anastase et Boniface n'ont rien à voir ni avec le thème musical de la pièce, ni avec le déguisement de Crispin, et même Toinon n'est rattachée à l'univers musical que par une réplique de Le Breton (« J'aime à t'ouïr chanter, car tu chantes à peindre [83] »). Restent les autres rôles, qui contiennent des références à plusieurs aspects de la vie musicale parisienne, convoquées à des titres différents : La première référence à une pratique musicale intervient pour des besoins comiques dans les duels théoriques qui opposent Crispin au musicien gascon : il s'agit de la musique présente dans les foires, auprès des opérateurs. Le musicien fait allusion à Tabarin [84], l'un des plus célèbres opérateurs du XVII*e* siècle, qui possédait une estrade place Dauphine. On y jouait une parade qui permettait d'assembler la foule, et une fois que celle-ci était suffisamment nombreuse, l'opérateur pouvait vanter les vertus de sa drogue miraculeuse, et la vendre. Une gravure célèbre montre ainsi, à l'arrière-plan sur l'estrade, un petit groupe de musiciens qui agrémentaient le spectacle. L'Orviétan [85], dont le véritable nom était Hieronymo Ferranti, et vendait une drogue du même nom avec l'appui d'un bouffon qui attirait la foule, Galinette La Galina. Il installait ses tréteaux dans la cour du Palais, puis sur le Pont-Neuf, auquel Crispin fait également allusion [86]. Autre mention de la musique populaire, celle de la vièle [87], par laquelle le musicien gascon démasque d'emblée l'imposture de Crispin (II,8). En attribuant au valet cet instrument, traditionnellement connoté comme celui des musiciens itinérants et en particulier des musiciens aveugles, le musicien relègue Crispin au rang le plus bas des instrumentistes. La réplique du musicien ne s'entend pour le spectateur que sur un mode ironique : LE MUSICIEN *riotant.* Je gage que Monsieur touche quelque Instrument. DORAME Cela peut estre vray. LE MUSICIEN Mais délicatement. Aparemment, Monsieur, vous joüez de la Vielle. CRISPIN *bas.* Que dire ! *haut.* Et nous joüons… Il fait de la main comme s'il joüoit de la Vielle. Ce passage témoigne d'un comique qui tient à la relation entre parole et geste : le musicien attaque Crispin en lui suggérant le nom d'un instrument qu'il méprise, Crispin est incapable d'identifier l'instrument en question, mais sa nature de valet le conduit précisément au choix de la vièle. Le valet montre alors doublement son imposture. L'allusion contribue toutefois également à définir le personnage du musicien : malgré sa mauvaise réputation, la vièle connaissait sous Louis XIV un retour en grâce, qui allait en faire un instrument de Cour. En continuant à la mépriser, le musicien présente des goûts archaïques, qui le renvoient à l'époque où Mersenne dénonçait la nature ignoble de l'instrument, c'est-à-dire dans les années 1630 [88]. Ces allusions à la musique populaire, qui interviennent essentiellement dans un but comique, sont ainsi un des supports de l'ironie. Ceci se manifeste de façon encore plus visible lorsque Crispin, se sachant hors de danger, emploie à son tour ces références pour ridiculiser le véritable professionnel à peu de frais (III, 2). La seconde allusion musicale renvoie à la pratique effective de la musique parmi la classe sociale qui avait les moyens de s'instruire dans ce domaine. Cette pratique privée est présentée dans une double opposition : celle de Phélonte et de Dorame d'une part, et celle de Phélonte et du musicien gascon d'autre part. L'une est une opposition sociale, qui pourrait se traduire en termes de conflit de génération, entre un jeune amateur éclairé et un vieillard bourgeois dépassé par le goût de son l'époque pour la musique. L'autre serait une opposition en matière de bon ou de mauvais goût : le choix des airs est éloquent sur ce sujet. Celui que le musicien chante au troisième acte participe de l'emphase traditionnellement associée au personnage du pédant [89], tandis que les airs que commande Phélonte à Fanchon tiennent du registre plus léger de la chanson à boire : cette dernière avait depuis les années 1630 pris le pas sur les airs de Cour, et plus généralement, c'est elle qui était à la mode dans la deuxième moitié du siècle. Les deux types d'airs, airs sérieux et chansons à boire, étaient par ailleurs publiés par Ballard dans les mêmes recueils : la chanson à boire avait acquis ses lettres de noblesse [90]. Sont donc ridiculisés dans la pièce le vieillard, incapable de s'adapter au goût de son époque pour la musique, et le professionnel trop docte pour assouplir son « art » à la tonalité en vogue. Il est enfin fait mention du terme d' « opéra », à deux reprises [91]. Cependant ce n'est pas l'opéra institutionnel, dont Lully détient le privilège depuis 1672, que Hauteroche aborde dans ces passages, mais plutôt l'habitude qui s'était installée de donner des concerts privés aux proportions grandissantes – le *Mercure galant* décrivait en effet certains concerts domestiques, tels ceux que le musicien Louis de Mollier donnait chez lui chaque jeudi, *à la manière de petits opéras* [92]. Le musicien invite ainsi Phélonte à une représentation privée d'un *opéra*, qui aura lieu « chez Madame Angélique », et lorsque Dorame fait mention du terme, il désigne le concert que Crispin s'apprête à faire chanter chez Phélonte. En fait d'opéra, les insertions musicales de la comédie de Hauteroche consistent en de simples chansons. Il est possible que le musicien gascon, suivant une habitude chère à ce type de caractère, exagère la nature de son œuvre pour la rattacher à la mode qui avait cours alors : ce qui explique que l'air de son « opéra » ne soit en réalité qu'une petite chanson. Une autre explication existe cependant, indépendante du personnage : le terme d'opéra est encore polysémique. Lorsque Perrin reçoit son privilège pour donner des « représentations en musique et en vers français», il fonde ce qui s'intitule l' « Académie des Opéras ». Or la conception de la musique dramatique de Perrin exclut à proprement parler tout ce qui est de nature dramatique : intrigue, action sont absentes, et ses « opéra » semblent bien se réduire à un collage de chansons : J'ai composé ma Pastorale toute de pathétique et d'expressions d'amour, de joye, de tristesse, de jalousie, de désespoir ; et j'en ay banny tous les raisonnemens graves et même toute l'intrigue ; ce qui fait que toutes les scènes sont si propres à chanter, qu'il n'en est point dont on ne puisse faire une chanson ou un dialogue [93] L'accent gascon du musicien contribue également à rapprocher la mention du terme d'*opéra* de la personne de Perrin. Lorsqu'il reprend des passages de *Crispin musicien* dans les *Contemporains de Molière*, Victor Fournel rappelle que ce dernier avait recruté une bonne partie de ses chanteurs et instrumentistes dans les cathédrales du sud de la France, l'essentiel des musiciens de la capitale étant déjà engagés dans la musique du roi. Il les avait regroupés et entraînés à l'Hôtel de Nevers grâce à la protection de Philippe de Mancini, qui avait pris possession de cette partie du palais de Mazarin à la mort du cardinal. Le 1*er* janvier 1670 l'un des collaborateurs de Perrin, Pierre Monier [94], reçoit ainsi l'ordre de faire un séjour en Languedoc pour y recruter un personnel musical, qu'il ramènera finalement de Béziers, Toulouse et Albi. La Gascogne constituait donc le principal réservoir de ces nouveaux musiciens, qui étaient à l'origine essentiellement des chanteurs d'église. À son retour le 30 mars 1670, Monier est accompagné de cinq chanteurs : Clédière, Beaumavielle, Bourel-Miracle, Tauclet et Rossignol [95]. Castil-Blaze, qui développe ce point dans son *Histoire des théâtres lyriques*, rappelle que ces chanteurs recrutés par Perrin seront encore employés par Lully pour ses tragédies lyriques, et que les « Gaye, Dun, Hardouin, Beaupui, Laforêt, basses, viennent se placer à côté de Rossignol et de Beaumavielle » [96]. Les chanteurs gascons servent alors de « matière première » à Lully, le temps que se forme un nombre suffisant de nouveaux musiciens dans la capitale : ses opéras ont donc dû faire cohabiter chanteurs d'origine gasconne et parisienne – ce qui explique peut-être l'allusion de Crispin aux différents accents : Vostre accent est Gascon, le mien Parisien : Apprenez mon accent, & j'apprendray le vostre, Puis on pourra juger & de l'un et de l'autre [97]. S'il fallait voir une satire de l'opéra dans *Crispin musicien*, ce serait plus certainement celle de l'opéra de Perrin que celle de l'opéra lulliste. La pièce privilégie cependant le comique à l'effet satirique, et son esthétique est tout à fait différente de celle des* Opéras* de Saint-Evremond, qui citent deux ans plus tard certains passages de *Cadmus et Hermione*. Ce n'est donc pas à proprement parler la vogue naissante de la tragédie lyrique qui est visée ici, mais plutôt les imitations manquées de l'opéra italien sous forme d'un assemblage de chansons, qui n'ont de dramatique que la référence à leur modèle. Est aussi tournée en dérision « la rage de musique » [98], qui consistait à reproduire systématiquement à échelle privée, fut-ce au prix de la qualité, des spectacles d'opéra. Cette mode est représentée par le personnage du musicien gascon qui porte en scène la vanité du « professionnel » de la musique, démarchant le chaland pour ses dernières compositions, et mettant son talent au service de la vitrine sociale de tel riche bourgeois. Le fait que la pièce insiste davantage sur la place sociale de la musique que sur une forme musicale comme l'opéra lulliste explique qu'elle ait trouvé une seconde fois les faveurs du public en 1735, dans un contexte différent de celui de sa création. Si la satire qui s'exerce contre la vogue musicale reste légère, c'est que la comédie de Hauteroche appartient encore à celles qui utilisent la musique à des fins d'agrément. Le déplacement de la musique de la fonction d'ornement à celle de thème commence tout juste : on raille « la rage de musique », mais c'est ce même engouement qui justifie encore les insertions musicales. Dans la pièce, la rupture de l'unité de lieu permet de distinguer assez nettement les espaces où la musique est source de rire (chez Dorame), de ceux où elle procure de l'agrément (chez Phélonte, l'amateur). Peut-être l'opéra de Lully est-il encore trop récent pour pouvoir générer une véritable satire, comme le suggère Bénédicte Louvat-Molozay [99]. Et rappelons que si la musique forme thème, elle n'intervient qu'en second lieu dans une comédie centrée autour de la figure de Crispin : quand le ridicule s'exerce sur le personnage du musicien, c'est avant tout sur la figure comique et typique du docte qu'il s'abat. ## L'écriture comique dans Crispin musicien. C'est pour ses aptitudes à l'écriture comique que Hauteroche a été loué, tant au XVIII*e* siècle par les frères Parfaict, que plus récemment, par Gustave Attinger dans son étude sur la *commedia dell'arte*. Dans tous les cas, Hauteroche fait l'objet de critiques pour la construction de ses pièces, et se voit en quelque sorte « rattrappé » par le caractère plaisant des insertions de scènes à effet. Attinger y trouve la véritable unité de l'œuvre de Hauteroche : « son œuvre retrouve une certaine unité que n'ont pas fait ressortir ses biographes : c'est l'unité du comique. À défaut de génie, il est comédien, il sent en comédien et n'oublie pas de faire rire [100]. » Il voit en notre auteur « un imitateur de Molière (le meilleur avant Regnard), mais du Molière farceur, du Molière italien ». Quant aux *Anecdotes dramatiques* de Clément et Laporte, elles situent le comique de l'auteur dans un registre « mitoyen, qui dégénère parfois en pure farce [101] ». Cette définition ne peut pas s'appliquer uniformément aux pièces de Hauteroche, elle répond surtout à la pièce qui a été favorisée par les critiques, et dont la carrière a le mieux perduré, c'est-à-dire *Crispin médecin*. De la farce que constitue *Crispin médecin*, Hauteroche reprend la schématisation de certains personnages et des ressources comiques. Le premier acte, nous l'avons vu, fait référence à la traditionnelle bastonnade, même si celle-ci n'est pas mise à exécution. Le deuxième acte s'achève sur une bagarre presque généralisée, où même Dorame est contraint de saisir sa hallebarde pour s'interposer entre Crispin et le musicien. Cette fin d'acte riche en mouvement rappelle une fin conventionnelle des farces, qui s'achèvent sur une indication du type « et tous se battent ». Il ne s'agit là encore que d'une menace, et que la véritable bagarre aura lieu durant l'entracte, bienséances obligent. C'est par l'utilisation systématique de « types » que le troisième acte tend à se rapprocher de la schématisation farcesque, et de *Crispin médecin* (qui délaisse largement le personnel amoureux au profit des personnages typiques  et du valet éponyme). Enfin le quatrième acte a recours au principe de la réclusion du jeune amant. Le fonctionnement même de l'intrigue, qui semble à elle seule ne pouvoir apporter qu'une répétition de son moteur principal (intrusion / déguisement / fuite), et qui nécessite l'invention du fil Boniface-Anastase pour se conclure, témoigne d'une prédominance du spectacle sur l'intrigue qui est une des caractéristiques de la farce. Mais la nouvelle pièce ne peut se maintenir entièrement dans ce registre, et nécessite quelques adaptations : les cinq actes ne permettent pas de traiter avec autant de liberté les personnages d'amant, ni de faire aussi facilement l'économie de l'intrigue amoureuse. *Crispin musicien* fait ainsi cohabiter les sources farcesques qu'elle reprend de *Crispin médecin* avec des passages issus de la comédie sentimentale, et les personnages-type avec ceux d'amant. ### Une galerie de « types ». Dans la pièce de Hauteroche, les personnages qui sont mis au premier plan sont moins ceux du quatuor amoureux que ceux que constituent les domestiques autres personnages secondaires habituels de la comédie. Nous dirons d'abord quelques mots des premiers : Les jeunes filles sont très discrètes dans la pièce. Lise n'intervient que dans trois scènes, où elle prononce à peine quelques mots. Daphnis est davantage présente puisqu'elle bénéficie de deux duos avec Phélonte, mais c'est Toinon qui explicite ses doutes sur l'amour de ce dernier [102], et lorsque Hauteroche ne la fait pas sortir de scène pour écrire un billet, ou par peur du retour de Dorame, elle assiste en simple témoin aux événements. Mélante, en tant que personnage fonctionnel, n'apparaît que ponctuellement, et ne possède d'autre caractéristique psychologique que celle de parfait amant déniée à Phélonte. Ce dernier présente un profil un peu mieux dessiné, mais son caractère d'inconstant tient essentiellement à une nécessité dramaturgique : ralentir autant que possible la marche de l'action. Quant à Dorame, sa sensibilité aux questions d'honneur [103] participe à la légitimation de son revirement dans la dernière scène (« Mon honneur souffriroit à n'y consentir point » [104]) : la coloration psychologique qui lui est donnée vise à camoufler l'arbitraire du dénouement. Hormis cela, le père des jeunes filles partage le trait répandu parmi les vieillards de comédie d'être un personnage aveuglé, « un vieux resveur » comme le définit Toinon [105] : il détourne les yeux de l'amour de ses filles, ce qui permet de confier à la servante quelques traits d'ironie (« Daphnis est plus sincére, & ne déguise rien » [106], vers qui se trouve démenti dès l'entrée de la jeune fille à la scène suivante). Phélonte et Dorame ne témoignent que des balbutiements de ce qui aurait pu être la base, dans un autre contexte, de la peinture d'un véritable caractère. Hauteroche ne laisse pas d'aborder de façon secondaire certains sujets d'actualité, comme celui de la « rage de musique » ou du couvent. Mais nous avons vu que la question de la musique n'allait pas jusqu'à la satire : l'originalité de la pièce réside davantage dans la prise en compte du nouveau rival de la comédie, que dans le traitement qu'elle lui donne. La critique du couvent, déjà abordée dans *Les Apparences trompeuses*, est ici plus étroitement reliée au personnage de Dorame, et participe de la description d'un vieillard avare. Elle semble moins délibérément satirique que dans la première pièce, dans laquelle la servante aborde le thème de l' « abbé galant », qui se surimpose à la question de la réclusion des jeunes filles. La satire s'en prenait alors véritablement à l'institution religieuse : On ne fait pas ainsi de monsieur les garçons, On en fait des abbés sans beaucoup de façons, Qui sous ce titre-là demeurant dans le monde, En content, s'il leur plaît, à la brune & à la blonde ; Ils fons les damarets, sont de tous les plaisirs, Et pensent rarement à régler leurs désirs [107]. Le thème repris des* Apparences trompeuses* apparaît affadi dans *Crispin musicien*. La pièce compte peu de réelle satire : là n'est pas le propos de Hauteroche, qui considère ce registre comme un « hors-d'œuvre » [108], allant à l'encontre de son projet dramaturgique. La question de la morale laisse, comme celle de la vraisemblance, place à l'exigence du genre comique : les questions d'actualités sont abordées pour faire rire, indépendamment d'une quelconque censure. *Crispin musicien* met en place une esthétique de l'agrément où le spectacle comique et musical tend à prendre le pas sur les autres considérations. La règle du « plaire », « qui est le but de ce grand art » selon l'argument développé par Hauteroche dans sa préface, conduit à l'utilisation privilégiée de personnages dont la fonction même est de faire rire. Les deux catégories principales de la pièce que sont les domestiques et les pédants permettent de mettre sur scène des « types » comiques. Hauteroche reprend le système traditionnel des couples de personnages, dont l'un est le négatif de l'autre. Cette façon de procéder accuse l'aspect typique des personnages, en même temps qu'il donne un échantillon des différents moyens dont le genre comique dispose. Les personnages de pédants, issus du *dottore* de la *commedia*, viennent de la comédie latine et de la comédie érudite du XVI*e* siècle. Reprenons la définition que Michel Corvin en donne : Intarissable bavard, sot, prétentieux et libidineux, il est tellement typé qu'il a peu évolué et que, assez paradoxalement au premier abord, sa fonction dramaturgique est plutôt limitée : l'excès de caractérisation – qui mérite alors le nom de caricature – nuit à l'invention de fables diversifiées … [109] La fragmentation des traits conventionnels du pédant entre trois personnages (Boniface, Anastase et le musicien) permet d'en ménager des retours sans tomber dans le problème de répétition que son utilisation entraîne. Hauteroche présente ici un couple (Boniface et Anastase), tant par leur rôle de « précepteurs » que par leur lien au même fil de l'intrigue, et un autre personnage qui ressortit lui aussi à cette catégorie (le musicien). La première caractéristique du pédant est prise en charge par Anastase : il incarne l'« intarissable bavard » et le « sot » incapable d'à-propos. Ce versant du personnage permet à Hauteroche de recourir à plusieurs formes de comique. Il s'agit en premier lieu d'un comique verbal, qui tient au langage maniéré d'Anastase. Ce personnage est un spécialiste des comparaisons, des métaphores (v. 1278, 1324, 1430), des énoncés gnomiques (vers 1378-1379), et possède un goût prononcé pour les longs adverbes (*antipatiquement*, vers 1202 ; *impérativement*, vers 1225). Ses sentences se doublent des traditionnelles références du pédant : sa description de la jeunesse (« Car la jeunesse, elle est comme cire molle… [110] ») fait appel à une comparaison rebattue, calquée par exemple sur la description qu'Horace donne de l'adolescent dans l'*Epître aux Pisons*. À la différence près que chez Horace, la comparaison ne s'applique pas à l'apprentissage intellectuel ou à celui de la vertu, mais à la facilité avec laquelle l'adolescent suit une mauvaise pente  (« comme une cire molle, il se laisse façonner au vice »). Mais le personnage, en bon docteur de comédie, emploie ses références sans aucun égard à leur contexte : son allusion à l'histoire de Diane et d'Actéon [111] (par laquelle il s'assimile à ce dernier) ne tient ainsi aucun compte de la fin tragique du personnage. L'image de la cire avait par ailleurs déjà été employée de façon ironique par Molière dans *L'École des femmes*, Arnolphe se félicitant de l'innocence d'Agnès juste avant de découvrir que celle-ci l'a trompé sous ses yeux [112]. La scène témoigne également d'un comique de répétition – Dorame essayant de faire taire Anastase qui lui coupe invariablement la parole –, et d'un effet d'ironie dans les répliques de Toinon, qui joue à renvoyer à Dorame l'image du précepteur dans un effet miroir : les arguments d'autorité derrière lesquels le pédant se réfugie sont sapés par le fait que Toinon à son tour présente Anastase comme une référence (« La mort suit de pres la colere, / Car monsieur Anastase en donne la raison [113] »). Cette attitude de la servante appuie le trait principal du personnage, tout comme l'une de ses répliques insistait au préalable sur le caractère conventionnel du personnage (« Bon : / Pensez-vous qu'un Pédant d'un seul mot se contente ? [114] »)  Boniface, au contraire, représente le docte qui n'a du savant que son allusion à Plutarque et son titre de philosophe. Comme Anastase, il a recours en matière de préambule à des énoncés généraux (« La Clemence est, Monsieur, la vertu des Héros [115] »). Hormis ces caractéristiques, Boniface joue un rôle d'intermédiaire entre le valet et le véritable pédant : l'étalage ridicule des références savantes est délaissé ici au profit du duo de séduction auquel il se livre avec la servante Fanchon. Il prend en charge le versant « libidineux » du personnage de pédant, par lequel il rejoint Le Breton (III, 11) et Crispin lorsqu'il est seul en scène avec Toinon (I, 14). Boniface conserve le goût du pédant pour les comparaisons, mais celles-ci sont d'un registre bas qui pourrait être celui d'un paysan ou d'un valet. La métaphore paysanne de la nourriture profitant à l'homme comme le gland au cochon, et de la qualité se mesurant à l'embonpoint, en est l'illustration [116]. Enfin, le musicien complète le tableau du personnage de savant par sa vantardise. L'accent gascon que Hauteroche lui attribue, s'il prend sens d'un point de vue contextuel comme une allusion aux origines de l'opéra français, n'en reste pas moins un trait comique qui fait du musicien un personnage ridicule de provincial. Le gascon est un personnage vaniteux, et c'est sur ce point que Crispin le ridiculise par des traits d'ironie [117]. La référence à la « plaine d'Ouille » est une double accusation de pleutrerie et de vanité. Il ne s'agissait pas d'un champ de bataille, mais d'un camp où les troupes étaient parquées l'été ; et les officiers s'y distinguaient non pour leur bravoure, mais pour les dépenses extraordinaires qu'ils y faisaient afin de paraître aux yeux du roi lors des revues, comme l'indiquent les lettres de Madame de Sévigné [118]. En affirmant du musicien que son père « étoit Vedette quand dans la plaine d'Oüille on vint camper [119] », Crispin le place au premier rang des fanfarons, d'où l'emploi d'un lexique de la fausse bravoure (« ferrailler », « se faire tenir à quatre »). Si Boniface tient à la fois du savant et du paysan, le musicien partage les qualités du docteur avec celles du matamore. Hormis ces caractéristiques, le musicien partage avec Anastase un langage hyperbolique, qui lui sert à se décrire (« excellent », « un merveilleux talent », « sur tout, j'y suis sçavant autant qu'on le peut estre » ) et un discours à tiroirs qui peine à se conclure : … Ainsy je ne viens point icy par intérest : Mais, si comme l'on dit, la Musique vous plaist, Car de beaucoup de gens j'apprens avecque joye, Qu'à chanter la plupart de vostre temps s'employe, Ce bruit a fait en moy naistre un ardent désir De vous voir, & je viens… PHELONTE Vous me faites plaisir [120]. Les domestiques, servantes et valets, sont de même présentées selon un principe de contraste. Toinon représente le pendant féminin du valet d'intrigue, et c'est à elle que reviennent la plupart des initiatives de la pièce : elle suggère le moyen de s'introduire chez Dorame (I, 15), elle fait Crispin maître de musique (II, 6) et s'allie à Daphnis pour enfermer Crispin et Phélonte à l'acte IV. Toinon joue le même rôle d'instigatrice que la servante du Crispin précédent, Dorine. Elle se rapproche également de la Dorine de *Tartuffe* dans les scènes où elle parle pour les filles de Dorame. Son rôle ne se prête pas aux jeux amoureux, hormis pour y glisser une pointe d'ironie : lorsque Crispin lui demande un gage d'amour, elle se réfugie derrière sa nature de servante (« Ne sais-tu pas / Qu'une servante suit sa Maistresse à grands pas ? / Ainsi le tout dépend de bien servir sa flame [121] »). À l'opposé Fanchon, lorsqu'elle ne chante pas, est principalement caractérisée par son badinage, trait qu'elle partage avec Boniface dans le duo dont on a déjà parlé, et qui se manifeste à demi-mot dans le dialogue avec La Ronce du troisième acte. Interrompue au milieu de son entrevue avec le précepteur, elle s'assure de l'excuse que lui fournira La Ronce auprès de son maître à chanter : l'enchaînement des scènes laisse penser qu'il s'agit de ne pas se trahir auprès d'un autre de ses « galants » (III, 8 et 9). Même principe d'opposition se retrouve du côté des valets. Si Crispin, même maladroit, est un « fourbe » appartenant directement aux intrigues à l'italienne, Le Breton, par son ivrognerie et sa couardise (il fuit lorsque son maître lui demande des comptes et rejette la faute sur La Ronce), emprunte au type bouffon du *gracioso*. Les deux valets s'opposent également par le langage : la syntaxe minimaliste du Breton contraste avec la « récitation » hésitante, mais prolixe, de Crispin (I, 9) et sa plainte amoureuse burlesque (I, 2). Cette utilisation de différentes facettes d'un rôle dans des miniatures destinées au plaisir du spectateur exhibe le genre comique et plus généralement la théâtralité de la pièce. Elle s'accompagne logiquement d'une écriture du second degré et de la parodie. ### Parodies et détournements de l'intrigue amoureuse. Le fait de mettre les valets et servantes au premier plan contribue à l'emploi privilégié d'un registre comique burlesque, qui tient à l'homogénéisation de l'intrigue amoureuse principale avec l'attribution des premiers rôles aux domestiques. Crispin joue deux rôles qui sont étrangers à sa condition : celui de musicien et celui d'amant. Dans ce dernier domaine, les domestiques prennent en charge les attitudes qui sont supposées appartenir à leurs maîtres. Le premier duo amoureux de Phélonte et Daphnis n'intervient en effet qu'au quatrième acte, et il est finalement assez peu question de cette histoire d'amour une fois l'exposition passée, à l'exception de la première scène du troisième acte. Le problème est que les personnages qui sont mis au premier plan sont traditionnellement le bras agissant des personnages d'amant, et n'ont pas pour prérogative d'assurer l'expression du sentiment amoureux. Celui-ci, jusqu'au quatrième acte, est alors transposé sur le plan des domestiques, par un jeu de scènes burlesques, de parodies et de reformulations. Le premier détournement est contenu dans le monologue de Crispin (I, 2). Ce passage ne recèle pas qu'une fonction comique, à lui seul, il concentre les éléments principaux d'information sur la pièce : l'attention des spectateurs est attirée non sur le maître, mais sur le valet, et ce valet est déjà présenté dans un rôle qui n'est pas le sien, celui d'amant. Le monologue parodie la plainte amoureuse tragique par son lexique (« hyménée », « sort », « destinée ») qui côtoie un registre de langue relâché et des antithèses faciles (« J'ai l'esprit bouché, moy qui l'eus toûjours ouvert ») ; il en reprend les personnifications d'entités abstraites (« Amour, ah, laisse moy respirer »), mais les prolonge dans une chute comique (« Peste de l'Importun ! »). Ce dernier procédé est repris lors de l'interrogatoire de Crispin par Phélonte (« ce chien d'amour, qui sans cesse m'entraîne, / Vers l'Objet dont mon cœur est embrasé » [122]). La parodie d'amant tragique du valet Crispin, faite de contrastes et ruptures de ton, est complétée par celle du pédant Anastase (IV, 10) qui procède par surenchère [123]. Quant à la scène de l'interrogatoire de Crispin (I, 9), elle forme un miroir de la première scène de l'acte cinq (dans  laquelle Phélonte s'étend pour la première fois sur ses sentiments) et peut être considérée à la lumière de l'autre comme un retournement de la scène de confidence amoureuse. C'est ici le valet, non le maître qui s'exprime sur son amour ; il ne s'agit pas de confidence, mais bien plutôt d'extorquer des aveux ; et l'écoute ou les conseils laissent place à la menace de coups de bâtons. Le lien entre ces deux scènes est indiqué par un rappel qu'établit Crispin (« Enfin vous voyez bien que ce n'est pas ma faute [124] », devenant « Si j'aime, hé bien, Monsieur, voyez, est-ce ma faute ? [125] »). Dans cette même scène, Crispin « récite » sa tirade d'aveu, qui constitue un pot-pourri des principaux *topoi* de la passion amoureuse, tel le poison d'amour qui s'infuse par le regard, ou l'impuissance de la raison à endiguer le flot de la passion : thèmes qui seront repris par Phélonte au cinquième acte [126]. Le catalogue s'achève lorsque Crispin est menacé d'un flagrant délit d'imposture : Et cette passion d'une ame noble… et haute… Enfin vous voyez bien que ce n'est pas ma faute [127]. L'effet parodique est souligné par la tirade de Phélonte, qui remarque que Crispin «  a pris ces grands mots dans quelque Comédie » (v. 155). Lorsque les scènes amoureuses ne parodient pas celle des personnages de qualité (et de préférence des personnages tragiques, pour un effet de décalage maximal), elles consistent en des parenthèses bouffonnes dans l'action, souvent associées aux « types » de personnages. L'aveu du Breton (III, 11) est entrecoupé de hoquets, et superpose une métonymie qui abstrait le désir amoureux (« mon ame te convoite ») à une gestuelle farcesque. Les répliques de Fanchon rendent en effet la proximité physique évidente (« parle sans t'aprocher » ; « soûtiens-toy » [128]). La bassesse du personnage est soulignée à tous niveaux : il titube, bafouille, a le hoquet, et l'haleine avinée. Le registre des métaphores de Boniface, qui fait appel au « cochon » et à la « coche », n'est guère plus élevé (III, 7). Quant au « philosophe » Anastase, il allie au vocabulaire et à la syntaxe tragique de ses protestations d'amour à Toinon (« O trop fier rejetton d'une sauvage tige… [129] ») une concupiscence de voyeur : le passage du mouchoir de Daphnis [130] rappelle celui de Dorine dans *Tartuffe* par la façon dont il révèle l'hypocrisie du personnage, à la différence majeure qu'Anastase ne cache pas son intérêt pour la scène, et se contente de trouver dans la mythologie une justification de son comportement. Lorsque les maîtres se réapproprient le domaine amoureux, les valets jouent un rôle de garde-fou visant à maintenir la pièce dans le registre comique. La scène entre Phélonte et Daphnis de l'acte IV n'a plus rien de risible, et se rapproche d'une scène de comédie sentimentale. C'est ainsi que « les trois grains de *matrimonium* » que « brouille » Toinon parmi les protestations d'amour de Phélonte permettent de maintenir la scène dans une tonalité comique, en insistant sur son caractère conventionnel : il est inutile de répéter ce qui est un discours rebattu des amants, et sera de toute façon un lieu commun (« Les Amans, quels qu'ils soient, ont tous le mesme stile [131] »). L'intervention de la servante permet d'éviter un décrochage complet et forme un rappel à l'ordre stylistique. Dans le même ordre d'idées, les paroles des maîtres font l'objet de reformulations. Lorsque Phélonte s'exprime en terme de « charme », et parle d' « un tour aisé d'esprit / qui l'enlève à lui-même [132] », Crispin se charge ainsi de l'explication auprès de Daphnis de l'état de son maître : « Il est possédé d'un Lutin, / Qui dans son Cabinet broüille fort sa cervelle [133] ». L'intervention de Fanchon (« Le beau ragoust d'avoir à gémir, à se plaindre / Vivons, rions, chantons, & point d'amour [134] ») permet également de glisser un contrepoint aux paroles de Phélonte (« Pour chanter avec eux, trop de soins m'inquiétent ; / Et quoy que la Musique ait de charmes pour moy, / Elle adoucirait peu le trouble où je me voy [135] ») La pièce fait ainsi cohabiter, d'un point de vue stylistique, deux registres opposés. Dans les duos amoureux de Phélonte et Daphnis, Hauteroche travaille sur le langage et la rhétorique amoureuse : l'enjeu pour Phélonte est en effet de convaincre Daphnis qu'il n'est plus un inconstant. Mais le cadre de la comédie se prête mal à une longue argumentation : les preuves de Phélonte sont celles qui nécessitent le moins de discours, c'est-à-dire les preuves physiques de son amour : J'ay contre cent Beautez défendu ma franchise, Et dés que je vous voy, tout mon cœur enflâmé, Est contraint de se rendre aux yeux qui l'ont charmé : Voyez-en dans les miens l'assuré témoignage, Ils parlent, c'est à vous d'entendre leur langage, Ils vous seront garants… [136] Le même argument est repris au cinquième acte : la preuve qu'apporte le regard se substitue à la fois à l'écrit et à la parole. Quatre vers qui économisent donc un long discours (là n'est pas le propos, le mariage aura lieu de toute façon), et la lecture d'un billet. Ces deux composantes s'homogénéisent dans l'emploi des parodies et détournements, qui assimilent le registre amoureux à celui des domestiques. On a vu quel rôle les interventions des domestiques jouaient lorsque le registre de la pièce s'étendait trop du côté de la comédie sentimentale. Mais les allusions plus grivoises des domestiques témoignent elles aussi d'un souci d'homogénéisation avec l'ensemble. Le vocabulaire musical, quand il n'est pas totalement dépourvu de sens, est ainsi l'instrument privilégié du sous-entendu. C'est à lui que Crispin a recours pour faire allusion aux joies du mariage (« Dans un mois, avec ma Tablature, / Elle pourra chanter, & battre la Mesure [137] »), ou à la bastonnade qui l'attend chez Dorame (« s'il s'avisoit, comme il est violent, / de me faire chanter sur quelque ton dolent ? Il connoist d'autre Clefs que B mol & B quarre [138] »). Dorame emploie le vocabulaire musical lorsqu'il surprend sa fille chez Phélonte (« Il est tant de Concerts qui se font de concert [139] »). Hauteroche a déjà utilisé ce procédé de répétition lexicale, toujours mis au service du sous-entendu, dans une réplique de Crispin (I, 12). Le comique est alors issu de l'accumulation en quelques vers du même mot, lequel oscille entre son sens propre et un sens connoté visant les possibles amours ancillaires de Phélonte : Vous êtes content d'elle, elle est de vous contente Et vos contentements m'obligent à douter Si j'aurois à mon tour de quoy me contenter [140]. Façon discrète pour Crispin de dire à Phélonte qu'un mariage avec Fanchon lui ferait craindre le cocuage. La pièce se maintient ainsi dans un registre mitoyen, qui canalise les deux extrêmes que sont les débats amoureux de la comédie sentimentale (employés de façon secondaire), et la tradition de la farce que Hauteroche reprend de *Crispin médecin*. ### Un comique verbal. S'ajoutant aux éléments que nous avons vus, il nous reste à examiner les autres emplois comiques que Hauteroche fait du langage. Il ne s'agit pas exactement ici de fantaisie verbale, telle que Robert Garapon l'a définie, même si par endroits on en repère quelques touches – comme la « lutinerie » raillée par Phélonte, seule création verbale de la pièce, et les tirades musicales de Crispin, qui procèdent à la fois par accumulation et par non-sens. Plus généralement, ce souci du verbe tient à la fois à la prédominance dans l'intrigue des personnages de domestiques, et à la nécessité d'insuffler de l'énergie à des scènes qui comportent peu d'action, celle-ci étant assurée principalement par le déguisement. Dans le premier cas, Hauteroche se livre essentiellement à un jeu avec les expressions figées, qui sont employées hors de leur contexte par des personnages dont la maîtrise du langage n'est pas la principale caractéristique. Le plus souvent, il s'agit d'une réactivation du sens littéral, comme dans cette réplique de Crispin : Ma foi, j'en pers l'esprit, Et croy que si tu n'y remédies J'auroy le cerveau creux [141]. C'est la condition de valet de Crispin qui justifie l'emploi déviant de l'expression, ou le fait de filer une métaphore qui tourne au burlesque : l'homme prisonnier du mariage que Toinon fait « oyseau en cage » devient dans la réplique de Crispin un oiseau pris à la glu [142]. Emploi inapproprié d'une expression également, le fait de l'utiliser sans aucun égard pour le support qu'elle est supposée recevoir, selon une faute logique. Celle que commet Le Breton consiste à adapter une expression visuelle à un verbe support musical, lorsqu'il complimente Fanchon sur sa voix (« J'aime à t'oüir chanter, car tu chantes à peindre [143] »). Aucun des dictionnaires de l'époque ne dissocie le complément *à peindre* d'un verbe support visuel. L'expression « se dit des choses qui sont excellentes & bien faites, qui meritent d'être peintes », et Furetière donne pour exemple : «  C'est un homme de bonne mine qui est fait *à peindre*. Cet habit vous va fort bien, il est fait *à peindre* ». L'emploi inadapté sert ici aussi à caractériser le valet, qui ne maîtrise pas le mécanisme de la langue. Ces maladresses de langage des domestiques permettent ponctuellement d'orner des scènes qui sont des moments d'attente : au cinquième acte, Daphnis et Toinon arrivent alors que Phélonte vient de sortir de scène pour écrire son billet. La scène qui s'ensuit repose alors essentiellement sur le quiproquo qui résulte d'un effet de style manqué dans le discours de Crispin : la personnification du destinataire que Crispin fait intervenir dans l'écriture de la lettre (« Est-il seul ? / S'il est seul ? non, avec une Belle [144] ») est auprès de la jeune fille une véritable bévue, lorsque le jeune amant est doté d'un caractère d'inconstant. Des scènes entières se caractérisent essentiellement par leur comique verbal, à l'exemple de la fin du quatrième acte, où Dorame se voit privé de la parole par Toinon et Anastase. La vivacité de l'échange se prête à un bref passage de nature stichomythique, à trois personnages, Dorame s'adressant tantôt à l'un, tantôt à l'autre de ses « raisonneurs » : DORAME *se fâchant.* Voyez l'effronterie ! Ce n'est rien que d'enfermer deux Hommes sans façon ? TOINON Le grand crime que c'est, d'écrire une Chanson ! DORAME Pour écrire, on n'a point sur soy la Porte close. TOINON Vous mériteriez bien que ce fut autre chose. ANASTASE Monsieur, la tempérence est entre les Vertus… DORAME Tempérez vostre langue, & ne me parlez plus [145]. Le dialogue rebondit grâce à la répétition sur un mot, ici selon une figure dérivative, (« tempérance » / « tempérez »), procédé qui se répète aux vers 1420-1421, et qui est mis en relief par le fait que Dorame coupe la parole à Anastase en reprenant ses derniers mots selon une antithèse : ANASTASE. L'Homme sage… DORAME. Homme fou, vous plaît-il me laisser en repos ? Le jeu verbal de cette scène repose également sur les répétitions des protestations de Toinon et du précepteur face à la colère du vieillard (« Eh, Monsieur… » v. 1416 et 1420), alors même que c'est ce dernier, privé de toute liberté de parole, qui avait employé ces mots en premier lieu. Hauteroche reprend ce principe de répétition dans les répliques de Dorame, selon un principe de variations : « Je brûle de courroux », « Je déteste », « j'enrage » [146] – le rythme de l'enchaînement est cependant assoupli, chaque intervention de Dorame étant coupée par plusieurs vers d'un ou des deux autres personnages. Enfin la scène fait appel au vocabulaire technique de la médecine, dont les répliques d'Anastase sont remplies (« bile », « vapeur », « cerveau », « cacochimie », « humeur », « rate », « opiler », « hypocondre », « transport au cerveau ») : le langage devient ici un charabia incompréhensible, qui le détourne de sa vocation première. L'exemple type de ce procédé dans la pièce est la tirade de Crispin maître de musique, qui allie le coq-à-l'âne musical avec le changement permanent d'interlocuteur : preuve que le langage est devenu un simple numéro de virtuose, indépendamment de sa fonction de communication. ### Les « formes spéciales » de l'écriture théâtrale. Nous examinerons brièvement pour finir l'influence de la présence d'éléments hétérogènes dans le corps d'alexandrins que constitue la pièce. Hauteroche emploie de façon répétée ce que Scherer répertorie sous le terme de « formes spéciales » de l'écriture théâtrale [147], qui s'insèrent dans une suite d'alexandrins pour leur substituer momentanément un autre rythme : il s'agit des passages chantés et des billets. Ces formes insérées altèrent et assouplissent le vers, à l'exemple de l'air inséré au milieu vers 91 : l'alexandrin est sectionné en trois fragments par l'introduction de deux passages chantés qui en rompent l'unité. Si l'on reconstitue les répliques de Phélonte en un seul et même vers, comme cela apparaît nettement à la lecture grâce au principe d'escalier qui est appliqué, il s'agit bien d'un alexandrin. Pourtant il semble évident que seul l'œil est satisfait par cette disposition, et que le rythme des douze syllabes se perd pour qui n'a pas le texte sous les yeux. Dans ce passage, c'est l'entité en heptasyllabes des deux couplets qui berce l'oreille, le texte parlé du vers ressortant alors comme une succession de trois fragments de 4, 2 et 6 syllabes respectivement. L'insertion de la musique au sein même du vers est confirmée à l'acte IV, au point d'exiger du lecteur de l'édition originale un compte attentif des syllabes afin de déterminer de quels éléments le vers est construit. En effet, lorsque Crispin et Phélonte solfient en fredonnant le prétendu rondeau noté dans le cabinet, les groupes de notes indiqués, et fonctionnent tantôt comme une sorte de didascalie chantée, tantôt entrent dans le décompte des syllabes  (systématiquement pour les répliques de Dorame, ignorant en musique, et qui se contente de dire le nom des notes, sans les chanter) : CRISPIN Sol, sol (*à Dor.*) Nous aurons fait dans un moment. PHELONTE *Fa, mi…* [148] Le double statut de ces groupes de notes semble lié à une question d'alternance ou de simultanéité : toutes les fois où la mention de notes dans le texte paraît superflue par rapport à l'alexandrin, nous pouvons imaginer que la réplique d'un autre personnage faisant, elle, partie intégrante du vers, se superpose à ce groupe de notes. Cela n'empêche pas ces syllabes ajoutées de perturber à l'occasion le rythme du vers. Reste à savoir en effet si les syllabes chantées sont réellement perçues comme partie prenante de l'alexandrin. Il s'agit d'un mode d'émission différent, sur une hauteur de voix différente, en décalage avec le texte déclamé. Même si la déclamation de l'époque ne se confond pas avec le langage parlé quotidien, elle ne correspond pas pour autant à des hauteurs de notes définies. Il ressort donc de ces passages que lorsque la musique intervient dans la pièce, elle se mêle à l'alexandrin, dont elle assouplit le rythme. Mais les moments où Hauteroche déroge le plus au rythme du vers sont ceux où Phélonte lit devant Crispin les deux billets de Daphnis, puisque l'alexandrin y est tout simplement abandonné au profit de la prose. On ne retrouve par ailleurs aucun souci rythmique ou sonore particulier dans la composition de ces billets. Il se peut que le contraste produit ait pour but de mettre en relief le changement énonciatif qui s'opère alors. Ou bien, comme le suggère Marie-Gabrielle Lallemand, « ces missives ressortissent … à l'esthétique du billet galant qui fait du naturel une de ses règles [149] », et l'utilisation de la prose tient au caractère que se doivent d'adopter les manifestations galantes de la pièce. L'effet produit est celui d'un naturel du discours, qui contraste avec l'emploi de l'alexandrin, langage de convention, dans le reste de la pièce : la particularité de la lettre est qu'elle est … une pratique d'écriture réelle et même banale. Autrement dit, la rupture que provoque son insertion dans le texte théâtral est aussi celle qu'entraîne l'insertion d'un texte « vrai » dans un texte fictionnel. Elle tend *de facto* à créer un effet de réel … [150]. Il s'agit quoi qu'il en soit d'une constante dans l'écriture de Hauteroche : toutes ses pièces versifiées qui incluent la lecture d'un billet témoignent de ce contraste entre vers et prose – effet de naturel qui répond à certains passages de fragmentation extrême de l'alexandrin, que l'on trouve par exemple aux vers 90 ou 275. ## Notes sur la présente édition. La première édition de *Crispin musicien*, établie en 1674 par le libraire Pierre Promé à Paris, Quai des Grands Augustins, a été suivie de deux rééditions du vivant de l'auteur, portant le fleuron de Jean puis Pierre Ribou, en 1680 et en 1705. L'édition de 1674 se présente comme suit : III-136 p. ; in-12. Non paginé : a. recto blanc. *b.* LISTES DES COMEDIES qui se vendent chez Pierre Promé. c. CRISPIN / MUSICIEN, / COMEDIE. / *Par le Sieur de HAUTEROCHE*, / *Comedien de la seule Troupe Royale* / fleuron du libraire / A PARIS, / Chez PIERRE PROMÉ, Sur le Quay / des Grands Augustins, à la Charité. / filet / M.DC.LXXIV. / *AVEC PERMISSION.* d. verso blanc. e. préface de Hauteroche. f. liste des acteurs. —136 pages : texte de la pièce, précédé d'un rappel du titre sous bandeau, et suivi du permis d'imprimer suivant : Fait à Paris / le 21. de septembre 1674. / DE LA REYNIE. Nous avons consulté les quatre exemplaires parisiens de l'édition de 1674. Deux d'entre eux sont conservés à la Bibliothèque nationale de France, site François Mitterrand, sous les cotes YF-7120 et 8-YTH-4248, un autre au Département des Arts du Spectacle (BnF, site Richelieu, catalogue Rondel, RF 6261), et le dernier à la Bibliothèque de l'Arsenal (dans un recueil factice portant la cote 8-BL-13512). Une édition pirate a existé dès 1674, comportant de nombreuses coquilles et opérant parfois jusqu'à des changements dans le texte : elle a vraisemblablement été établie d'après l'édition originale, sans recours à un tachygraphe, dans la mesure ou les éléments de paratexte sont dans l'ensemble respectés. Il existe deux exemplaires de cette contrefaçon : l'un est conservé au Département des Arts du Spectacle sous la cote RF-6262, il porte la mention « sur l'imprimé à Paris, chez Pierre Promé ». Le second est celui de la Bibliothèque municipale de Lyon (Res. 805530, CGA). La pièce a fait l'objet de deux autres éditions du vivant de l'auteur, chez Jean puis Pierre Ribou. La première, publiée en 1680 et qui apparaît dans deux recueils factices (chez la Veuve Gontier en 1691 et chez Thomas Gillain en 1696), tronque l'une des phrases de la préface et en modifie ainsi le sens : … qu'il est aisé de connoistre que c'est par les Personnages épisodiques que le dénouement s'en fait, et qu'ils m'ont fait la grace de passer légérement sur la conduite.  Phrase qui forme un contresens complet avec celle de l'édition de 1674, en suggérant que les critiques ont approuvé l'abondance des personnages secondaires. Compte tenu du contexte dans lequel cette phrase apparaît, cette modification semble devoir être attribuée à une lecture trop rapide du compositeur, plutôt qu'à la volonté de l'auteur. L'erreur court d'une édition à l'autre, jusqu'en 1772. Les exemplaires de 1680 portent par ailleurs de nombreuses coquilles et modifications lexicales, qui aboutissent le plus souvent à des contresens (dus à la confusion, par exemple, des lettres *f* et *s*, presque identiques au XVII*e* siècle). Nous n'avons donc pas pris en compte ces changements du texte. L'édition de 1705 de Pierre Ribou corrige toutes ces erreurs, et semble avoir été établie d'après l'édition originale. On n'y trouve cependant pas la préface de l'auteur. La première édition des œuvres « complètes » de Hauteroche a eu lieu de son vivant en 1683, à La Haye, chez Adrian Moetjens, et contient toutes les pièces écrites jusque-là par l'auteur. Probablement établie sans l'aval de Hauteroche, elle est précédée d'une épître à Messire Philipe Doublet, par laquelle le libraire tente de se mettre sous la protection du dédicataire. L'édition française des *Œuvres de M. Hauteroche* est par contre posthume, elle est publiée par Pierre Jean Ribou en 1736 et *Crispin musicien* y a vraisemblablement été établi d'après un exemplaire de 1680 (on y retrouve le même segment de phrase manquant dans la préface). Les *Œuvres de Hauteroche* sont ensuite rééditées en 1742 puis en 1772, aux dépens de la Compagnie des libraires associés. C'est dans l'*Avis* des libraires de cette dernière édition que la première version de la légende concernant notre comédien-poète apparaît. Nous avons travaillé d'après l'exemplaire de l'édition originale YF-7120, portant l'*ex-libris* de la Bibliothèque royale. Il faut cependant préciser que cet exemplaire témoigne d'une correction sous presse, puisque les trois autres exemplaires portent une coquille ayant été rectifiée dans notre copie de la pièce (vers 562 : receoir). Il est donc vraisemblablement postérieur dans l'ordre de tirage. Hormis ce détail, les quatre exemplaires ne présentent aucune différence. Lors de l'établissement de la présente édition, nous avons procédé aux corrections d'usage. Nous avons supprimé le *tilde* employé tout au long du texte pour indiquer la nasalisation des voyelles *e, o* ou *a*, et avons harmonisé les points de suspension conformément aux trois points modernes. Les passages en prose (préface et billets inclus dans la pièce) ne tenant pas compte, contrairement au corps versifié du texte, de la discrimination entre les capitales I/J d'une part et U/V d'autre part, nous avons rétabli cette distinction afin d'en faciliter la lecture. En ce qui concerne les accents, la pièce respecte généralement l'usage des accents discriminatoires permettant de distinguer entre *ou* conjonction et *où* relatif, et entre *à* préposition et *a* auxiliaire. Nous n'avons donc pas eu à effectuer de corrections sur ce point à l'exception des vers 101 et 1068, où il s'agit manifestement d'une erreur typographique. Dans les passages en italiques du texte – préface et didascalies – l'accent circonflexe se substitue à l'accent aigu sur les *e*. Nous avons respecté cette particularité. ### Liste des erreurs corrigées : coquilles. Liste des acteurs : PHELONTE MELANTE DORAME Amants. TOINON, servante de Dorame, Vers 12 : promptemeut Vers 101 : La Vers 134 : Moneur Vers 298 : Reponee Vers 301 : Ne ne me refusez point. Vers 342 : pour voir Vers 352 : j'auray (le r est renversé) Vers 376 : Si vouliez Vers 470 : bien faits- Vers 509 : (appel de personnage) DAHPNIS II, 8 : (liste des personnages en scène) DORANTE Vers 758 : d''apas Vers 950 : sut vostre face Vers 1068 : a bien tourner Vers 1123 : Madome Vers 1147 : Nn vous connoist Vers 1294 : qu'il revient IV, 13 : (la liste des personnages en scène est absente). Vers 1604 : porterpromptement Vers 1735 : de mande Vers 1838 : Cà ### Liste des erreurs corrigées : ponctuation. Nous avons respecté la ponctuation de l'édition originale en corrigeant les erreurs manifestes : Vers 121 : Baston. Vers 876 : vous jugerez..,. Vers 894 : Monsieur. encore Vers 1448 : En songeant à # CRISPIN MUSICIEN, COMEDIE. ## PREFACE. Si l'on doit juger d'une Comedie par sa rêüssite, j'ay lieu de croire que celle-cy n'est pas des plus mêchantes. Quarante Representations de suite dans la plus mauvaise saison de l'année [151], me persuadent aisêment qu'elle n'est pas sans merite ; et à parler de bonne foy, je pense qu'un autre en ma place, auroit peine à ne pas se laisser aller à cette persuasion. Le Public, qui dêcide ordinairement de ces sortes d'Ouvrages, a paru fort content de celuy-cy : mais parmy tant de beau Monde qui l'est venu voir en foule, il s'est rencontrê de ces Critiques à outrance, qui ne luy ont pas estê si favorables. Ils ont, suivant leur chagrin naturel, condamnê plusieurs endroits de cette Comedie ; mais le succés qu'elle a eu, m'a vangê pleinement de la malignité de leur humeur critiquante. J'ai le plaisir de voir malgré eux, que sans cabale & sans aucune brigue⁎, cette Piece s'est d'elle-mesme attirêe l'estime de tout Paris, et que je n'en suis obligê qu'à l'equitê du public, et au soin de mes Camarades. Ces Messieurs les Critiques ont crû donner une grande atteinte à cette Comedie, en faisant remarquer qu'il y a peu de Sujet ; mais je ne voy pas que ce soit un grand defaut, ny que cette remarque me soit desavantageuse. Je sçais comme eux, qu'on y trouvera une duplicitê d'action ; mais je sçais bien aussi que l'action episodique est moindre que la principale, que cette duplicitê n'est pas sans liaison, et qu'il est aisê de connoistre que c'est par les Personnages episodiques [152] que le dênoüement s'en fait. On dit qu'ils m'ont fait la grace de passer legerement sur la conduite [153] ; mais qu'ils ont blâmê fortement quelques Personnages, qui selon leur censure, pouvoient estre retranchez sans rien alterer du Sujet. J'avouë qu'il y en a quelques-uns que possible [154] j'aurois pû retrancher ; mais j'ose dire qu'ils ont produit un trop bon effet dans la Piece, pour croire que je me repente jamais de les y avoir laissez : outre, qu'à considerer la chose avec un peu de réflexion, on verra que ces Personnages ne sont pas si dêtachez que ces Messieurs ont voulu se l'imaginer. Le Musicien attendu par les Filles de Dorame, inspire la pensée à Toinon de faire Crispin Maistre de Musique, pour se tirer de l'embaras où ils sont ; et cette adresse dont elle se sert en cette rencontre, donne lieu à des incidens fort agreables, qui aident beaucoup au dènoüement. Le Breton qui vient au quatrième Acte pour faire un message à Phelonte de la part de Melante son Maistre, ne rompt point le fil de l'action : il estoit de la prudence de Melante en cette occasion d'envoyer avertir Phelonte de sa venuë, afin de ne pas exposer la personne qu'il aime à la veuë des Gens que le hazard pouvoit faire rencontrer au logis de Phelonte. Pour prevenir cet inconvenient, Melante y envoye son Valet, et n'en ayant point de réponse, il y vient luy-mesme : ainsi on peut conclure que la Scene du Breton n'est pas tout-à-fait inutile, et que son Personnage est en quelque façon attaché à la Piece. A la veritè, Melante y pouvoit venir d'abord ; mais en de pareilles occurrences, un Amant n'abandonne guere sa Maitresse, particulierement lors qu'il a un Valet sur lequel il peut se reposer. Sans m'arrester à répondre à toutes les chicanes des Critiques, je diray en passant que nous avons quantitè d'exemples de ces Personnages que ces Messieurs trouvent ètrangers au Sujet, qui souvent ont fait naistre au Theatre des plaisanteries fort spirituelles. Plaute et Terence n'ont point fait de difficultè de s'en servir ; et l'Illustre Moliere, ayant suivy leurs traces, ne s'en est pas mal trouvè. Ce n'est pas que je veuille dire par là que ces exemples soient toûjours bons à suivre ; au contraire, je tiens que l'Art⁎ est un chemin bien plus certain, et que ses preceptes conduisent plus seûrement à la perfection que ne font ces sortes de libertez, quoy qu'elles ayent esté fort heureuses. Il est constant qu'on ne peut jamais déplaire avec l'Art, et qu'il est dangereux de s'ècarter de ses regles ; mais je croy qu'on est pas tout-à-fait condamnable quand en le faisant on rèüssit, et qu'on trouve le moyen de plaire, qui est le but de ce grand Art⁎. ## ACTEURS. – PHELONTE,Amans. – MELANTE,Amans. – DORAME,Père de Daphnis et Lise. [155] – DAPHNIS,Filles de Dorame. – LISE,Filles de Dorame. – TOINON,Servante de Dorame. – FANCHON,Servante de Phélonte. – BONIFACE,Précepteurs. – ANASTASE,Précepteurs. – CRISPIN,Valet de Phélonte. – LE BRETON,Valet de Mélante. – LA RONCE,Laquais de Phélonte. – UN MAISTRE DE MUSIQUE. – La Scène est à Paris, dans la Maison de Phélonte, & dans celle de Dorame. Le Premier Acte se passe dans l'Antichambre de Phêlonte, où d'abord il doit y avoir un Clavessin sur le costê du devant du Theatre ; & dans le fonds, des Sieges aux deux costez : Sur les uns il faut y voir un gros Manteau de campagne ; sur les autres un Chapeau sans plumes, les plumes sur un Siege pres celuy du Chapeau [156]. ## ACTE PREMIER. ### SCENE PREMIERE. LA RONCE *à ses Camarades.*. Ses Camarades sont six Violons habillez en Laquais comme luy [157]. Eh, Messieurs, un moment concertons⁎ entre nous ; De nostre peu de soin, Monsieur est en courroux : Nous avons, sans mentir, beaucoup de nonchalance⁎. Ils joüent l'Ouverture, & après La Ronce dit le dernier Vers, & s'en vont. Allons. Cela va bien ; mais plus de negligence. ### SCENE II. CRISPIN *entre de l'autre costé, & apres avoir un peu resvê.*. Ah Crispin ! ah Crispin ! Quel destin rigoureux T'a laissé voir Toinon, pour en estre amoureux ? Que d'angoisse en aimant ! Ah Ciel, ah Destinée ! Il faut souffrir, Amour, cruel Sort, Hymenée… Je ne sçay où j'en suis, et ma raison se pert ; J'ay l'esprit bouché, moy, qui l'eus toûjours ouvert. Cette vivacité que j'avois d'ordinaire A sortir promptement d'une mauvaise affaire, Et qui de tout Paris me faisoit admirer, M'abandonne ! Amour, ah ! laisse-moy respirer. Hé ! tout doux ; dans mon cœur ne descens pas si viste. Quoy ! tu ne peux ailleurs chercher un autre giste ? Peste des Importuns ! ### SCENE III. LA RONCE, avec les six autres Laquais, tenant chacun un Violon, CRISPIN. LA RONCE.         Est-il jour là-dedans ? [158] CRISPIN *répondant chagrinement⁎.*. Oüy. LA RONCE.         Personne aujourd'huy ne mange-t-il ceans ? CRISPIN. Je ne sçay. LA RONCE.     Joüerons-nous ? CRISPIN.         Hé qui vous en empesche ? LA RONCE. Voüay ! Crispin, du matin, a l'humeur bien revesche ? CRISPIN. Je l'ay comme il me plaist. LA RONCE.         Monsieur est-il au Lit ? CRISPIN. Non, il est habillé. LA RONCE.     Bon : Que fait-il ? CRISPIN.         Il lit. LA RONCE. Nous pouvons donc joüer ? CRISPIN.         Le Diable vous emporte ; Joüez, ne joüez pas, tout cela ne m'importe. Mais tréve aux questions [159] : Si tu m'en fais jamais… LA RONCE. Hé bien ? ### SCENE IV. PHELONTE, CRISPIN, Les six Laquais. PHELONTE* ouvrant la porte de sa Chambre.*.     Quel bruit entens-je ? CRISPIN.         Hé ce sont vos Laquais. PHELONTE. Qu'on se taise. LA RONCE.         Monsieur, c'est luy qui nous querelle. CRISPIN. Je… PHELONTE.     Paix. LA RONCE.         Nous sommes prests à cette Ritournelle Que vous… PHELONTE *rentrant.*.         J'entens ; Allez, ce sera pour tantost⁎. ### SCENE V. CRISPIN, LA RONCE, Les six autres Laquais. LA RONCE, *en raillant, apres que ses Camarades ont fait une revêrence à Crispin.*. Je suis fâché… CRISPIN.     Faquin ! LA RONCE.     C'est votre honneur. CRISPIN.         Maraut⁎ [160], Si… LA RONCE.         Maraut⁎ ! Autrefois nous estions Camarades : D'où vient donc cet orgüeil & ces foles boutades⁎ ? CRISPIN. Point de comparaison, vois-tu, car… LA RONCE.         En effet, Au nom d'Homme de Chambre on doit un grand respect. CRISPIN *menaçant.*. Fat… LA RONCE *luy faisant la revérence.*.     C'est vostre honneur. CRISPIN.         Sors, avec toute ta Clique. Apres qu'ils sont sortis, il continuë. On est dans ce Logis accablé de Musique : Je n'y puis en repos resver à mon amour ; Je n'entens qu'*E mi la*, qu'*F ut fa*, tout la jour, Que *B mol, fugue, tierce*… [161] Ah, voicy la Parleuse. ### SCENE VI. FANCHON, CRISPIN qui saluë seulement Fanchon d'un signe de teste. FANCHON. Bon-jour, Crispin. Toûjours dans ton humeur grondeuse ? CRISPIN *à part.*. Ah que je hay les Gens, qui sur les moindres cas Commencent de parler, pour ne déparler⁎ pas. FANCHON. Que dis-tu ? CRISPIN.     Rien. FANCHON.         Sçais-tu si Monsieur me demande ? S'il n'a point à traitter⁎ quelque Gaupe⁎ friande, Qui viendra, sans raison, censurer⁎ chaque Mets, Et faire icy crier Servantes & Valets ? Je hay cela tout-franc, Crispin ; & sur mon ame, J'aime mieux voir icy quatre Hommes, qu'une Femme. Je sçay que tu diras, Monsieur le veut ainsi ; Ta raison est fort bonne, & je l'approuve aussy : Le servant, tu ne dois aspirer qu'à luy plaire. CRISPIN. Et ne le sers-tu pas, toy ? FANCHON.         C'est une autre affaire ; Ce que je fais pour luy, c'est par affection [162]. CRISPIN. Je ne m'oppose point à la distinction ; Entre vous le debat. FANCHON.         Laisse-là la sottise, Aupres de moy tu sçais qu'elle n'est pas de mise ; Toutes mes actions ont deû t'en informer : J'aime fort nostre Maistre, & j'ay lieu de l'aimer ; Il ne me traitte pas sur le pied de Servante. Mais dy, quelle autre aussy gouverna mieux sa Tante ? Cette Dame mal saine, au Lit depuis deux ans, M'oblige, quoy qu'on die [163], à demeurer ceans ; D'ailleurs, la Dame morte, il en vient quelque chose. CRISPIN. Je n'y demande rien ; qu'on se taise, ou qu'on cause… FANCHON. Pour un Garçon d'esprit, c'est répondre fort mal. CRISPIN. Et qu'ay-je affaire aussy… FANCHON.         Que tu deviens brutal ! CRISPIN. Je deviens… Laisse-moy. FANCHON.         Brutaliser encore ! Sçais-tu que depuis peu ton bon sens s'évapore ? CRISPIN. Qu'il s'évapore, ou non, que t'importe cela ? Va-t'en étudier [164] ton *Ré mi fa sol la*, Ou bien voir si la Tante… FANCHON.         Hom… Ta mélancolie⁎ A des égaremens⁎ qui vont à la folie ; Prens garde à toy, Crispin. CRISPIN.         Oh parle tout ton soû : Si je te dis plus rien, qu'on me rompe le coû. FANCHON *mettant le bout du doigt à son front.*. Hom… CRISPIN *faisant la mesme chose par dépit.*.     Hom… ### SCENE 7. PHELONTE, FANCHON, CRISPIN. PHELONTE *entrant*.     Bon-jour, Fanchon. FANCHON *apres avoir fait une revérence.*.         Hier, Monsieur vostre Frere Vint avec son Pédant icy. PHELONTE.         Qu'y vint-il faire ? FANCHON. Hé, pour tâcher, Monsieur, à refaire sa paix [165]. PHELONTE. Fanchon, en sa faveur, ne me parles jamais ; C'est un petit Mignon⁎ par trop incorrigible, Et ma facilité⁎ luy deviendroit nuisible : Qu'il demeure au College avec son Précepteur, Et me laisse en repos ; autrement… FANCHON.         Eh Monsieur, Songez… PHELONTE.         C'est un Esprit qu'il est bon de réduire, Et sur ce qu'il me doit je veux un peu l'instruire, Il n'en sera que mieux : Mais viença, dy, Fanchon, Sçais-tu ce Menüet [166] ? FANCHON.     Oüy, Monsieur. PHELONTE.         Tout-de-bon ? FANCHON. Oüy. PHELONTE.     Mais bien ? FANCHON.         Je le croy. Vous plaist-il de l'entendre ? PHELONTE. Ah tu l'offres trop bien, pour vouloir m'en défendre [167]. Çà, voyons. Il s'en va à son Clavessin. FANCHON.         Seulement donnez-moy vostre ton ; Puis… PHELONTE *apres avoir préludê* [168].     Le voila. FANCHON prélude, La, la, la, la, &c. PHELONTE.     Fort-bien. FANCHON.     Vous raillez ? PHELONTE.     Point. FANCHON.     Sy. PHELONTE.         Non : Allons, chante. FANCHON *chante.*. On passe en douceur la vie, Quand on aime le bon Vin : Mais quand on chérit Silvie, On a souvent du chagrin. On passe en douceur la vie, Quand on aime le bon Vin. PHELONTE.         Fort-bien. FANCHON *poursuit.*. Un Beuveur, en Homme habile, Conserve sa libertê ; Car l'Amant le plus tranquille Est toûjours inquietê. Un Beuveur, en Homme habile, Conserve sa liberté. PHELONTE.         Tu deviendras sçavante, Si… Qu'est-ce ? ### SCENE 8. PHELONTE, FANCHON, CRISPIN. LA RONCE.         C'est, Monsieur, Madame vostre Tante, Qui demande Fanchon. PHELONTE.         Je n'ose t'arrester⁎. FANCHON. Estes-vous content ? PHELONTE.     Fort. FANCHON.         Vous voulez me flater. PHELONTE. Point du tout ; J'ay, croy-moy, grand plaisir à t'entendre. FANCHON. C'est beaucoup pour moy. PHELONTE.         Va, ne te fais point attendre. Elle s'en va. La Ronce, fay venir la Fluste, & Jolycœur [169]. LA RONCE. Faut-il qu'il ait sa Basse ? PHELONTE.     Oüy : Reviens [170]. LA RONCE.         Bien, Monsieur. Il touche⁎ le Clavessin [171]. ### SCENE 9. LA FLUSTE, JOLYCOEUR, PHELONTE, LA RONCE, CRISPIN. PHELONTE *apres avoir touché⁎ quelques accords.*. Allons, cette Chaconne [172] en *Ce sol ut*. Ils joüent tous ensemble la Chaconne, & ensuite il dit.         Qu'on range Ce Clavessin : sortez. CRISPIN *à part resvant.*.         Amour, quel sort étrange ! ### SCENE 10. PHELONTE, CRISPIN. PHELONTE* sur son siege à Crispin, apres qu'on range le Clavessin dans le fonds du Théatre.*. Là, prendras-tu le soin d'ajuster mon Chapeau ? CRISPIN *luy presentant son manteau.*. Le voila. PHELONTE.         Pourquoy donc m'apporter mon Manteau ? CRISPIN. Vous me le demandez. PHELONTE.         Moy, je te le demande ? CRISPIN *le reportant.*. Oüy. PHELONTE.         Peut-on soûtenir imposture⁎ plus grande ? Quoy ! Tu continuëras à me faire enrager ? Aujourd'huy, d'avec moy, songe à déménager⁎ ; Autrement, mille coups feront ta récompense. CRISPIN. Eh Monsieur ! PHELONTE.     Quoy, Monsieur ? CRISPIN.         Un peu de patience. PHELONTE. Un peu de patience ! Eh Monsieur le Coquin, Depuis un mois & plus, qu'il faut, soir & matin, Qu'à tes égaremens⁎ ma bonté fasse grace, Qu'un autre à me servir à tous coups prend ta place, Que tu pers le bon sens sans espoir de retour, Que je vois ta folie augmenter chaque jour, Que d'instant en instant la raison t'abandonne, Que tu fais à rebours tout ce que je t'ordonne, Un peu de patience ? Ah c'en est trop souffrir, Que l'on sorte au plutost, & sans plus discourir ; Sinon… CRISPIN.     Monsieur, de grace… PHELONTE.         Hé bien, que veux-tu dire ? CRISPIN. C'est que je sens un mal… qui tous les jours empire. Si vous sçaviez… Ah, ah. PHELONTE.         Si je prens un Baston [173], Je pourray t'obliger à prendre un autre ton : Crains de pousser à bout ma patience extréme. Qu'as-tu donc ? Parle, ou bien… CRISPIN.         Eh Monsieur, c'est que j'aime : L'Amour, depuis un mois, me fait devenir fou, Nuit & jour je soûpire, & dors moins qu'un Hibou ; Enfin j'en sens, Monsieur, une peine cruelle. PHELONTE. L'Amour, me dites-vous, vous trouble la cervelle ? CRISPIN. Oüy, Monsieur, cet amour a sur moy tout pouvoir, Et c'est luy qui me fait oublier mon devoir. PHELONTE. Ah ! Puisque cet Amour est si peu raisonnable, Je veux, pour le punir, te frotter comme un Diable, A grands coups redoublez le chasser de chez toy. CRISPIN. Hé Monsieur, de ce mal faut-il se prendre à moy ? PHELONTE. A qui donc, traistre, à qui veux-tu que je m'en prenne, Dis ? CRISPIN.         A ce chien d'Amour, qui sans cesse m'entraîne, Vers l'Objet⁎ dont mon cœur est embrasé… PHELONTE.         Maraut⁎, Aimer, toy ? CRISPIN.         Mon bon sens, Monsieur, a fait le saut [174]. PHELONTE. Et pourquoy donc d'aimer as-tu l'extravagance⁎ ? CRISPIN *recite ce couplet à peu pres comme un baston rompu.*. Eh l'on aime souvent lors que moins on y pense ; L'Amour, ce petit Dieu, se glisse dans le cœur, Et sans nous consulter, il s'en rend le vainqueur. Quand par un doux regard un bel œil nous enflame, Nous sentons tout-à-coup je ne sçay quoy dans l'ame ; Sans dessein toutefois on se laisse enflâmer, On aime en ce moment, sans que l'on veüille aimer ; Cet amour qui toûjours vient nous surprendre en traistre… Dans le cœur qu'il surprend⁎, se fait chérir en Maistre ; La raison, de l'aider, se fait comme une Loy, Ce cœur avec plaisir succombe malgré soy, Et cette passion d'une ame grande… & haute… Enfin vous voyez bien que ce n'est pas ma faute. PHELONTE. Où diable a-t-il donc pris tout ce langage-là ? CRISPIN. Les Amans parlent-ils autrement que cela ? PHELONTE. Il a pris ces grands mots dans quelque Comédie [175]. CRISPIN. Il est vray, j'en ay leu plus de cent en ma vie ; Mais l'Amour, de luy-méme est un grand Précepteur, Il sçait faire parler un Fat en Orateur ; Le plus grossier par luy manque peu d'éloquence. PHELONTE. Et par luy le plus sage est plein d'extravagance⁎ ; Par luy je voy cent Fous que j'ay peine à souffrir ; Sans plus me raisonner⁎, qu'on pense à s'en guerir, Ou les coups de Baston t'iront rendre visite. CRISPIN. Eh Monsieur, d'un tel soin⁎ de grand cœur je les quitte [176], Leur visite est mal propre aux Gens qui sont Amans⁎, Morbleu, si de l'Amour vous sentiez les tourmens⁎, Pour l'Objet inconnu de vos galanteries⁎, A qui vous en contez les soirs aux Tuileries [177], Vous verriez… PHELONTE.     Que verrois-je ? CRISPIN.         Eh vous verriez, Monsieur, Quel Lutin est l'Amour, quand il est dans un cœur. PHELONTE. Je me ris des effets de sa Lutinerie [178]. CRISPIN. Tout-franc, ne tournez point la chose en raillerie : Apres que contre luy l'on a bien regimbé, Souvent on est contraint de venir à jubé [179] ; Et si je m'y connoy, cette Dame masquée, Qui sur vos doux propos ne s'est point expliquée, Peut enfin… PHELONTE.         De mon cœur je viens toûjours à bout. CRISPIN. Mais il ne faut qu'un jour, Monsieur, pour payer tout. PHELONTE. Je crains peu… CRISPIN.         Cependant vous la courrez⁎ : Peut-estre Vous y verray-je pris, car l'Amour est bien traistre ; La Dame a de l'esprit, & pourra vous toucher. PHELONTE. Mais toûjours sous un masque elle aime à se cacher ; Par là je la crois laide [180]. CRISPIN.         Et si, comme il peut estre [181], Quand sans masque à vos yeux elle voudra parestre, Vous luy trouviez autant de beauté que d'esprit, Hem ? Vous ne dites mot. Sa Suivante m'a dit Qu'elle est belle, archibelle. PHELONTE.         Et tu vois la Suivante, Quand tu luy parles ? CRISPIN.         Oüy, tous les soirs c'est ma rente : Tandis que sa maistresse, & vous, parlez tout bas, Elle leve la coëffe, & ne se cache pas. PHELONTE. Ne la connois-tu point ? CRISPIN.         Non. En vain je la presse De m'apprendre son nom, & quelle est sa Maistresse ; Vous estes si connu pour un Coquet⁎ errant, Qu'offert de tous costez, personne ne vous prend : Mais pour moy je suis pris, je sens qu'Amour m'opresse. PHELONTE. Est-ce que tu prétens extravaguer⁎ sans cesse ? CRISPIN. Monsieur, l'Amour peut-il… PHELONTE.         Ecoute, si jamais Tu me viens étourdir de ton amour… CRISPIN.         La paix [182], Monsieur, quoy que l'Amour… PHELONTE *en colere.*.     Encor ? CRISPIN.         Je vay me taire, C'est fait. ### SCENE 11. MELANTE, PHELONTE, CRISPIN. MELANTE *entrant.*.         Qu'a donc Phélonte à se mettre en colere ? PHELONTE. Ah Melante, c'est toy. MELANTE.         Tu querelles Crispin. PHELONTE. Et comment ne le pas quereller ? Le Faquin⁎ S'est mis l'amour en teste, & depuis ce caprice, Il fait tout de travers, pas le moindre service, Toûjours grondant ; Enfin ce Fou, depuis un mois, Lasse ma patience, & la met aux abois. Si je ris, de chagrin⁎ ce Maraut⁎ fait le grave ; Qu'on l'envoye au Grenier, il descend à la Cave ; On diroit qu'il se plaist à me faire enrager. Si je demande à boire, il m'apporte à manger ; Il resve incessamment ; & quoy que l'on luy die, Il semble estre toûjours dans une létargie, Enfin : si je luy parle, il ne m'écoute pas ; Et le Diable est en haut, quand on le croit en bas. MELANTE. Toûjours de ce Valet, tu vantois le service. PHELONTE. Alors qu'il faisoit bien, je luy rendois justice ; Mais depuis que l'Amour luy renverse l'esprit, Il sert mal, & souvent il ne sait ce qu'il dit. MELANTE. Je le plains, si l'Amour à ce point le possede. PHELONTE. D'un mal si chagrinant⁎, je sçay bien le remede ; Le Baston… CRISPIN.         Le Baston, Monsieur ? Quelle pitié ! Pour avoir le cœur tendre, & de bonne amitié⁎, On veut que sur mon dos la Bastonnade jouë. MELANTE. Tu le blâmes d'aimer, mais pour moy je l'en louë ; Comme je suis Amant⁎, je prens ses intérests. PHELONTE *riant.*. Amant ! MELANTE.         Tu me vois fou, toy qui n'aimas jamais. PHELONTE. Moy, j'aime comme il faut. MELANTE.     Quel amour ! PHELONTE.         Tres-commode. MELANTE. Aimer en mille endroits… PHELONTE.         C'est la bonne méthode ; Par elle je me fais un plaisir assez doux. MELANTE. Le véritable amour ne dépend point de nous. PHELONTE. Belle excuse aux Amans ! MELANTE.         Laissons cette matiere, Et me dis si je puis te faire une priere ; Ma flame en ton secours met son plus doux espoir. PHELONTE. Parle, je t'offre tout, & tu n'as qu'à vouloir. MELANTE. Je te l'ay déjà dit, aprouve, ou blâme, j'aime, Et la Beauté pour qui mon amour est extréme Vit sous les loix d'un Pere, opulent, plein d'honneur, Mais qui chérit un Fils avecque tant d'ardeur, Que pour le rendre riche, & le faire paroistre [183], Son but est d'enfermer ses Filles dans un Cloistre. Celle qui de mon cœur cause la passion, Se sent pour la Closture⁎ entiere aversion : Mais à dissimuler son adresse est extréme. Son Pere a découvert cependant que je l'aime, Et c'est ce qui nous met tous deux dans l'embarras. PHELONTE. Quelle est cette Beauté ? MELANTE.         Tu ne la connois pas. PHELONTE. Pour toy, que puis-je donc ? MELANTE.         Elle vient de m'ecrire, Qu'elle a sur nostre amour quelque chose à me dire, Que je choisisse un Lieu propre à cet entretien : Mon Logis est suspect… PHELONTE.         Eh dispose du mien, Il est à toy, pourveu qu'elle veüille s'y rendre ; A toute heure, en tout temps, tu peux venir l'attendre, Je t'en laisse le Maistre. MELANTE.         Ah c'est trop m'obliger, L'entreveuë au plutost m'importe à ménager [184] ; Et puis que tu consens que mon amour se serve… PHELONTE. Je n'ay rien qui ne soit à toy, c'est sans reserve. MELANTE. Je te devrois icy mille remercîmens ; Mais tu pardonneras à mes empressemens. Adieu, je cours en haste où leur cause m'appelle. PHELONTE. Donne ordre au rendez-vous, & compte sur mon zele⁎. MELANTE. Si le mien peut jamais trouver lieu d'éclater… PHELONTE. Je pense qu'avec moy tu veux complimenter⁎ ? L'amitié le défend, & s'en fait un outrage. Il sort. ### SCENE 12. PHELONTE, CRISPIN. PHELONTE. Hé bien, peut-on sçavoir quel objet⁎ vous engage ? Parlez, Monsieur l'Amant ? C'est, sans doute, Fanchon. CRISPIN. Quoy, la Fanchon d'icy ? PHELONTE.     Quelle donc ? oüy. CRISPIN.         Non, non. PHELONTE. Ne vaut-elle pas bien que pour elle on soûpire ? CRISPIN. Je suis son Serviteur, Monsieur, c'est tout vous dire. PHELONTE. Elle ne te plaist pas ? CRISPIN.     Eh… PHELONTE.         Tu luy fais affront, Elle est aimable⁎. CRISPIN.         Oüy ; mais j'ay grand soin de mon front. PHELONTE. Du costé de Fanchon, ton front n'a rien à craindre. CRISPIN. Vous sçavez bien que si, Monsieur, que sert de feindre ? PHELONTE. Quoy ! Tu refuserois de te voir son Epoux ? CRISPIN. Oüy. PHELONTE.     D'où vient ? CRISPIN.         Eh Monsieur, qui le sçait mieux que vous ? PHELONTE. Moy, je le sçay ? CRISPIN.     Vous. PHELONTE.     Moy ? CRISPIN.     Vous-mesme. PHELONTE.         Mais que sçay-je ? CRISPIN. Vous avez sur Fanchon un certain privilege… Privilege fâcheux pour son futur Epoux. Cela me déplairoit, je le dis entre nous. PHELONTE. Si j'estime Fanchon, c'est parce qu'elle chante. CRISPIN. Vous estes content d'elle, elle est de vous contente, Et vos contentemens m'obligent à douter, Si j'aurois à mon tour dequoy me contenter. PHELONTE. Et qui donc aimes-tu ? Quelque sotte Figure. CRISPIN. Rien moins, & je hazarde à la grosse avanture [185], Car la Beauté… Monsieur, avant qu'il en soit temps, Ne me demandez rien. PHELONTE.         Ah ma foy, je prétens, Si je souffre de toy, qu'au moins… CRISPIN.         Tournez la veuë. PHELONTE. Qu'est-ce ? CRISPIN.         On vient de la part de la dame inconnuë. PHELONTE. C'est donc là sa Suivante ? CRISPIN.     Elle-mesme. PHELONTE.         Crispin, Qu'en crois-tu ? CRISPIN.     Je ne sçay. PHELONTE.         Sçachons quelle est sa fin. ### SCENE 13. PHELONTE, CRISPIN, TOINON. PHELONTE. Qui t'améne ? & que veut ta charmante Maîtresse ? TOINON *masquée* [186]. Vous me reconnoissez ! PHELONTE.     Vrayment… TOINON.         J'ay charge expresse, De ne donner qu'à vous le Billet que voicy, Et là-dessus bon-soir. PHELONTE.         Quoy ! Me quitter ainsy, Sans avoir la Réponce ? TOINON.         On n'en demande aucune. PHELONTE. Point de Réponce ? TOINON.     Non. CRISPIN.         Ma Chere, sans rancune, Mon Maistre veut écrire, &… TOINON.         Tout seroit perdu, Si je portois Réponce, on me l'a défendu. Lisez. PHELONTE.         Auparavant, souffrez que je vous voye. TOINON. Non, Monsieur, ce n'est pas pour cela qu'on m'envoye. PHELONTE. Ne me refusez point. TOINON.         Et qu'y gagnerez-vous ? Je vous suis inconnuë. PHELONTE *voulant oster son Masque.*.     Il n'importe. TOINON.         Ah tout-doux, Il ne faut point user de tant de violence. PHELONTE. Te cacher ainsy faite ! TOINON.         Ah point de complaisance ; Je sçay bien qu'il en est de plus sotte que moy, Mais aussy… PHELONTE.         Ta Maistresse est-elle comme toy ? TOINON. Comme moy ? C'est un Ange, & rien n'aproche d'elle ; Des traits doux, achevez, l'œil beau, la bouche belle… PHELONTE. Tout-de-bon ? TOINON.         Tout-de-bon ; mais lisez promptement, Ou… PHELONTE.         Je vais satisfaire à ton empressement. PHELONTE *lit.*. Ne vous donnez plus la peine de me venir chercher aux Tuileries, car je vous assure que vous ne m'y trouverez pas davantage. C'est assez pour moy d'avoir pû meriter quinze jours durant vos assiduitez : ce m'est une gloire qui n'est pas petite, & je n'en attendois pas tant d'un Homme dont le cœur a toûjours esté sans amour. Je veux bien vous dire que tout le monde blâme vostre insensibilitê pour nostre sexe, & que cela fait dire des choses de vous qui ne sont pas à vostre avantage. Vous devez, pour vostre gloire⁎, faire reflexion sur ce que je vous écris, & profiter des avis sincéres que vous donne une Personne qui sent pour vous une forte estime⁎. Adieu pour toûjours. La résolution est assez surprenante : Un Adieu pour toûjours ! TOINON.         Elle est vostre Servante. PHELONTE. Ne me plus voir ! En quoy luy puis-je avoir déplû ? Qu'ay-je fait ? Qu'ay-je dit ?… TOINON.         C'est autant de conclu. Se fiëra-t-on à vous, quand on sçait que vous estes Le Protestant [187] banal de toutes les Coquettes⁎? Et que si par hazard un cœur se rend à vous, Aussi-tost le mépris… PHELONTE.         D'accord ; mais, entre nous, Je sens pour ta Maistresse une sincére flâme. TOINON. Quoy ! Sans voir, à l'Amour vous livreriez vostre ame ? PHELONTE. L'Esprit est un grand charme⁎ ; elle en a tant ! TOINON.         Assez Pour refuser des vœux un peu trop dispercez. PHELONTE. M'estime⁎-t-elle un peu ? TOINON.         Je n'en fais point de doute ; Je sçay que vous plaisez alors qu'on vous écoute. PHELONTE. De grace, charge-toy d'un Billet de ma part ; Mon cœur, par ce Billet, s'expliquera sans fard⁎. TOINON. J'ay l'ordre du contraire, il faut que j'obeïsse. PHELONTE. Cet obstiné refus est rempli d'injustice. TOINON. Quel plaisir auriez-vous à me faire gronder ? CRISPIN. Bon ! Est-ce de si pres qu'il y faut regarder ? TOINON. Chacun sçait ce qu'il sçait. CRISPIN.         Est-on perdu pour lire… TOINON. Mais… CRISPIN.         Je l'arresteray, Monsieur, allez écrire. PHELONTE. Deux mots ; Dans un moment je te viens retrouver. ### SCENE 14. CRISPIN, TOINON. CRISPIN. Toinon, cela va bien, il ne faut qu'achever. TOINON. Va, laisse-m'en le soin. CRISPIN.         Il ne s'attendoit guére Au brusque compliment⁎ que tu luy viens de faire ; Car il est de luy-mesme à tel point entesté… TOINON. S'il sçavoit qu'entre nous le tout est concerté, Que tu viens en secret parler à ma Maistresse… CRISPIN. Par où le deviner ? Il faut qu'avec adresse Elle luy donne enfin le moyen de la voir. TOINON. L'occasion viendra, laisse-nous y pourvoir. CRISPIN. S'il en tient une fois, j'auray bien lieu de rire ; Il me traitte de fou, quand d'amour je soûpire, Et toûjours le Baston est prest à me guérir. TOINON. Quoy ! Tu dis nos secrets, & vas nous découvrir ? CRISPIN. Moy, je le dis ? TOINON.         Tu viens de t'accuser toy-mesme. CRISPIN. Il me sçait amoureux, sans sçavoir que je t'aime : Mais, Toinon, apprens-moy jusqu'où le cœur t'en dit. TOINON. As-tu bien de l'amour ? CRISPIN.         Ma foy, j'en pers l'esprit ; Et je croy que bientost, si tu n'y remedies, J'auray le cerveau creux. TOINON.     Ah ! CRISPIN.         Quoy que tu m'en dies [188], L'Amour qui se délecte à grapiller souvent, Ne trouve point son compte à se nourrir de vent. TOINON. Ton amour est gourmand ? CRISPIN.         Si gourmand qu'il puisse estre, Tu n'as que trop dequoy fournir à le repaistre ; Mais quand il faut donner, l'avarice te tient, Friponne. TOINON.         St. Voicy ton Maistre qui revient. ### SCENE 15. PHELONTE, CRISPIN, TOINON. PHELONTE. En donnant ce Billet, assure ta Maistresse… TOINON. Moy, répondre de vous, qu'on voit changer sans cesse ? PHELONTE. Tu ne hazardes rien, agis, parles pour moy. TOINON. J'y feray de mon mieux. PHELONTE.         Je n'espere qu'en toy. Et son nom ? TOINON.         Là-dessus je n'ose vous rien dire ; Mais Crispin est adroit, & cela doit suffire : Ma Maistresse m'attend dans son Apartement⁎, Qu'il me suive, & qu'il entre apres moy brusquement ; Je feray l'étonnée, & crieray d'importance. Cependant il faudra qu'on prenne patience ; Et quand, pour le chasser, on joüeroit du Baston, Il aura veu la Dame, & sçaura la Maison, Le reste vous regarde. CRISPIN.         Et par bon privilege, J'auray vers moy les coups, peste ? PHELONTE.         Que te diray-je, Pour te faire assez voir… TOINON.         Ne me dites plus rien, On m'attend, & j'ay trop prolongé l'entretien ; J'en seray querellée. Adieu. ### SCENE 16. PHELONTE, CRISPIN. PHELONTE.         Crispin, va viste, Suy-là. CRISPIN.         Si vous vouliez [189], Monsieur, m'en tenir quitte… PHELONTE. Pourquoy ? CRISPIN.         Puis que l'amour est fadaise pour vous, A quoy bon… PHELONTE.     Suy, te dis-je, ou… CRISPIN.         Les Amans⁎ sont fous ; Vous ne voudriez pas… PHELONTE.         Redoute ma colere. Crispin sort. J'ay de l'inquiétude⁎, & ne m'en puis défaire. D'où me vient tout-à-coup un si prompt changement ? Seroit-ce qu'en effet je deviendrois Amant⁎ ? Le dessein de me fuir, que l'on me fait paroistre, Redouble en moy l'ardeur de voir & de connoistre. Ne nous rebutons point, & laissant au Destin A régler l'avanture, attendons-en la fin. < Fin du Premier Acte. > Phélonte se retirant, ses six Laquais entrent par les deux costez du fonds du Theatre, & s'y estant rangez de face sur une mesme ligne, joüent un air pour discerner⁎ l'Acte. En suite on pousse deux Chassis qui les couvrent [190] : Ces Chassis, qu'on nomme Ferme, doivent representer la Salle de Dorame, de mesme que le reste du Theatre, dans laquelle se passe tout le Second Acte. Il faut qu'à cette Ferme il y ait deux Portes qui marquent deux Cabinets [191]. ## ACTE II. ### SCENE PREMIERE. DORAME, LISE, TOINON. DORAME. Vous allez au Convent [192], pour voir vostre Cousine ? LISE. Oüy, mon Pere. DORAME.     Fort-bien. LISE.         Si cela vous chagrine⁎, Je n'iray pas. DORAME.         Non, non, allez, c'est fort bien fait, Et cette volonté répond à mon souhait. De combien d'embarras le Cloistre nous délivre ! Lise, vostre Cousine, est un modele à suivre. LISE. Il est vray ; mais il faut pour la Religion, Ressentir dans le cœur de la vocation ; Je n'en sens point encor. DORAME.         Que le Ciel te l'envoye ! Te voir dans un Convent feroit toute ma joye : Si ta Sœur & Toinon en vouloient faire autant, Je vivrois satisfait, & je mourrois content. TOINON. A suivre cet avis, je ne suis pas fort preste ; Vous n'avez plus, Monsieur, que le Convent en teste, Vous voulez tout cloistrer ; & qui vous en croiroit, Avant qu'il fut dix ans, le Monde périroit. Hé bien, mettez-vous-y, s'il vous en prend envie, Et laissez à chacun mener son train de vie. Pour moy, j'aime le monde, & sans tant discourir, Je ne suis pas d'humeur à le laisser périr ; D'avoir un bon Mary, j'ay tentation grande, Et, tout-franc, du Convent je ne suis point friande. DORAME. C'est parler sans façon. TOINON.         Vous nous en contez bien ! Parce que maintenant vous n'estes bon à rien, Et que tous les plaisirs n'ont pour vous aucun charme⁎ ; Contre nos jeunes sens vostre esprit se gendarme⁎. Si vous estes sans goust⁎, devons-nous en pâtir ? Et sans avoir mal-fait, doit on se repentir ? Dans vostre jeune temps, l'Hymen a sçeu vous plaire, On veut vous imiter, Monsieur, laissez-nous faire. DORAME *riotant⁎.*. La franchise, Toinon, regne dans tes discours. TOINON. Monsieur, comme je fus, je veux estre toujours : Je dis franc ma pensée, & je fuis la grimace⁎ ; Ce que je sens dans l'ame, on le voit sur ma face ; Et sans fourber⁎ les Gens par un discours trompeur, Je fais voir sur mon front ce que j'ay dans le cœur. DORAME. Mais il est bon d'avoir un peu de retenuë. TOINON. Eh pour ce que je suis je veux estre connuë : Tout-franc, ne parlez plus de la Religion, Et n'y fourez aucun sans inclination. LISE. La contrainte en ces lieux enfante le desordre. TOINON. Ma foy, je donnerois bien du fil à retordre Aux Gens qui m'auroient mis en ce Lieu malgré moy. DORAME. Va, cesse d'en jurer, il suffit, je te crois : Le serment en cela n'est pas fort nécessaire. TOINON. Ha vrayment, là-dessus, voila bien du mystere. Je croy qu'on peut jurer, quand on dit verité : Mais je veux vous parler avec sincérité. De tout temps, sans courroux, vous souffrez ma franchise, Et vous ne voulez pas que rien je vous déguise : Je vay m'expliquer net, en vous donnant avis, Qu'on vous blâme tout haut d'aimer trop vostre Fils ; Que pour son intérest, vos Filles non pourveuës, Pour la Religion vous font avoir des veuës ; Et que pour l'avancer, vous voulez les cloistrer. DORAME. Dans le fond de mon cœur on sçait mal penétrer ! Je presche le Convent, mais c'est dans la pensée Que l'ame, en ce Lieu saint, est bien moins traversée [193], Qu'elle n'est au milieu de cent mille embarras Dont chacun dans le monde est suivy pas à pas. Retenez ce discours, profitez en, ma Fille, Allez. ### SCENE II. DORAME, TOINON. TOINON.         Vous souhaitez qu'elle épouse une Grille, Franchement ? DORAME.     Fais-je mal ? TOINON.         Mais faut-il, pour un Fils, Cloistrer ainsi… DORAME.         Tay-toy ; C'est un Enfant soûmis, Que je sçauray tourner en sortant du College. TOINON. Cloistrer les gens par force, est un pur sacrilege : Pensez-y bien, Monsieur, souvent on se repent ; La raison le condamne, & le Ciel le défend. DORAME. Mon Fils est un Garçon que tout le Monde admire. TOINON. Sur vos Filles aussy je ne voy rien à dire ; Il leur manque un Epoux, c'est là tout leur defaut. DORAME. Il leur manque… Toinon, je sçay ce qu'il leur faut. TOINON. Il leur faut un Epoux, c'est le plus nécessaire. DORAME. Il leur faut… Je le sçay ; Ce n'est pas ton affaire. TOINON. Non ; mais c'est un Epoux dont chacune a besoin ; Déja vous dévriez estre exempt de ce soin⁎. Considérez leur âge, il est plus que nubile ; Cessez d'estre, Monsieur, l'entretien [194] de la Ville ; Et donnant à chacune un agreable Epoux, Faites taire par là ceux qui parlent de vous. DORAME. Mais encor, que dit-on ? TOINON.         Que sert de vous redire, Qu'on vous voit par ce Fils l'objet de la Satire, Qu'à vos Filles il faut des Epoux bien tournez, Jeunes, bien-faits… Enfin bien conditionnez : Car, à ne point mentir, la plus jeune est d'un âge A porter aisément le faix [195] du Mariage. Pour Monsieur vostre Fils, qui fait tant babiller, En sortant du College, on le fait Conseiller [196]. C'est là vostre dessein, au moins chacun l'assure, Et qu'un Cloistre à ses Sœurs est une chose seûre. DORAME. La Cadette se porte à la Religion. TOINON. Je luy croy, pour ce Lieu, peu d'inclination. DORAME. Mais souvent elle y va visiter sa Cousine, Tu le vois. TOINON.         D'accord ; mais je croirois à sa mine, Qu'un Mary luy plairoit autant & plus qu'à moy. DORAME. T'a-t-elle, là-dessus, parlé de bonne foy ? TOINON. En vain à le sçavoir je me suis attachée, Et je ne vis jamais une ame plus cachée, Car… Elle tient de vous, c'est tout dire. DORAME.         Fort-bien. TOINON. Daphnis est plus sincére, & ne déguise rien. DORAME. Lise a l'esprit adroit, & l'humeur défiante. Mais… TOINON.         Mais sçauroit-on rien de l'amour de Melante, Sans… DORAME.         Tout cela n'estoit que pure vision. TOINON. Mais elle avoit pour luy de l'inclination⁎. DORAME. Point. TOINON.         Je le veux bien. Mais je reviens à ma these ; Il leur faut à chacune un Mary qui leur plaise ; En élevant leur Frere, & mariant ses Sœurs, Par là vous trouverez des jours pleins de douceurs ; Il s'en va. Toute vostre Famille… Eh quoy ! Point de réponse ? Seule. A luy parler raison, il faut que je renonce ; En vain vous luy parlez, sans parler de son Fils ; Hors cela, nos conseils sont rarement suivis… ### SCENE III. DAPHNIS, TOINON. DAPHNIS. Mon Pere est donc sorty ? TOINON.         Tout-à-l'heure il me quitte [197] : Peut-estre qu'à son Fils il va rendre visite ; Ce Fils l'occupe seul, ce Fils a tout son cœur, Je luy voy pour vous deux une grande tiédeur : J'ay pour vos intérests parlé de Mariage, Mais il ne preste point l'oreille à ce langage, Et pour toute réponse il exalte son Fils. DAPHNIS. Il faut patienter. Toinon, à ton avis, Penses-tu que Phélonte ait pour moy de l'estime⁎ ? TOINON. Par son tendre Billet ardemment il s'exprime. Pour moy, je le croirois. DAPHNIS.         Il ne me connoist pas. TOINON. Mais c'est de vostre esprit dont Phélonte fait cas. Je vous ay déja dit ce qu'il m'a fait paraistre, Que Crispin me suivoit par l'ordre de son Maistre, Et que craignant Dorame, il attend pres d'icy Que j'aille l'avertir… Madame, le voicy. ### SCENE IV. DAPHNIS, CRISPIN, TOINON. CRISPIN *à la porte.*. Dorame… TOINON.     Entre. DAPHNIS.         Crispin, je n'ay rien à te dire ; De tous mes sentimens Toinon a sçeu t'instruire : Mais si tu sers ma flâme avec fidelité, Tu sçauras pour tes soins ce que j'ay projetté. CRISPIN. Je fais, de vous servir, tout mon plus grand delice, Et ne veux que Toinon pour prix de mon service. TOINON. Vrayment, Monsieur Crispin, je vous trouve fort bon ! Pour prix de son service, il ne veut que Toinon ; Il vous montre par là, qu'il me croit peu de chose. CRISPIN. Ah pour prix de mes soins, lors que je te propose, Je prouve qu'en toy seule est mon ambition. DAPHNIS. T'aime-t-elle, dy-moy ? CRISPIN.         Tantost oüy, tantost non ; Tantost elle est affable, & tantost inhumaine. DAPHNIS. De l'adoucir, pour toy je veux prendre la peine, Et dans peu, de mes soins tu connoistras l'effet. Cependant à ton Maistre il faut rendre un Billet, Sonder adroitement si pour moy sa tendresse⁎ Est vraye. CRISPIN.         A le sçavoir, pour vous je m'intéresse⁎. DAPHNIS. Mais sçait-il que Toinon est l'objet de tes vœux ? CRISPIN. Non, il sçait seulement que je suis amoureux. DAPHNIS. Ainsy de son dessein tu sçauras mieux la suite… CRISPIN. J'entens⁎ ; de vostre amour laissez-moy la conduite. DAPHNIS. Ce Billet est tout prest, je vay le cacheter ; Vien le prendre, Toinon : on va te l'apporter, Patiente un moment. CRISPIN.         Oh volontiers, Madame. Seul. Si mon Maistre a pour elle une sincére flâme, La mienne à cette fois a tout lieu d'espérer. Il resve. ### SCENE V. DORAME, CRISPIN. DORAME *entrant.*. Un Homme en mon Logis ! Qui l'y peut attirer ? CRISPIN. Mais dois-je croire… Ah Ciel ! que faire ? c'est Dorame. DORAME *à part.*. Ma présence luy cause un peu de trouble en l'ame. N'est-ce point un Voleur ? [198]Que faites-vous icy ? CRISPIN. Hé… De ce que j'y fais, qui vous met en soucy ? DORAME. Insolent, apprenez qu'icy je suis le Maistre. CRISPIN. Je n'avois pas, Monsieur, l'honneur de vous connoistre, J'ay tort d'avoir parlé… comme j'ay répondu ; J'en demande pardon. DORAME.         Mais ceans que fais-tu ? Répons. CRISPIN.         Je n'y fais rien, Monsieur, je me retire. DORAME *le prenant au collet.*. On ne sort pas ainsy. CRISPIN.     Mais… DORAME.         Non, il faut me dire Le sujet qui te porte à te rendre chez moy. CRISPIN. Monsieur… Monsieur. DORAME.     Hé bien ? CRISPIN.     Tout-franc, voyez-vous… DORAME.         Quoy ? CRISPIN. Enfin je suis… suffit. Il veut s'en aller. DORAME *l'arrestant.*.         Ce n'est pas là répondre, Ton soin à m'échaper, ne sert qu'à te confondre ; Et tes yeux me font voir les regards d'un Voleur : Mais tu seras pendu. CRISPIN.         Je suis Homme d'honneur. DORAME *le tenant.*. Hola quelqu'un, hola. ### SCENE VI. DORAME, CRISPIN, TOINON. TOINON *sortant êtonnée.*.         Que vois-je, nostre Maistre ! Tout est perdu [199]. DORAME.         Toinon, que fait icy ce Traistre ? TOINON *interdite.*. Ne vous l'a-t-il pas dit ? DORAME.         Je n'en puis rien sçavoir. TOINON *revenant à elle.*. à part. Ah bon. à Dor.         Civilement il faut le recevoir. DORAME. La raison ? TOINON.     C'est… DORAME.     Quoy, c'est ? TOINON.         Un Maistre de Musique, Envoyé de la part de Madame Angélique, Pour vos Filles. DORAME *le salüant humblement.*.         Monsieur, excusez-moy, j'ay tort : Mais pourquoy, s'il vous plaist, vous obstiner si fort A ne répondre pas ? CRISPIN *feignant de la colere.*.         Est-ce ainsy qu'on en use ? Me traitter de Voleur… TOINON.         Quelquefois on s'abuse. D'ailleurs, en pareil cas on peut bien s'abuser, Et vous n'avez pas lieu de vous scandaliser. Que ne répondiez-vous ? car il faut qu'on s'explique. CRISPIN. Je suis Homme d'honneur, & Maistre de Musique ; Voila mes qualitez. DORAME.         Ah Monsieur, je le croy. CRISPIN. Me faire un tel affront… TOINON.         Bon, voila bien dequoy. CRISPIN. Voleur ! DORAME.         Je suis, Monsieur, tout à vostre service ; à Toinon. La plûpart de ces Gens sont remplis de caprice. Estre un Musicien ! Qui diable l'auroit dit, A voir cette figure, & mesme son habit ? TOINON. Il est vray. CRISPIN *feignant de se mordre les doigts.*.     Moy, Voleur ! TOINON *à Crispin.*.         Tout-franc, c'est vostre faute, Et faire icy le fier, c'est compter sans son Hoste. à Dorame. Il faut le laisser dire, & ne pas vous fâcher. DORAME *à Toinon.*. C'est bien à ses discours que je veux m'attacher ! Il peut toûjours parler, sans que j'en sois en peine. TOINON. Ma Maistresse a, Monsieur, un reste de migraine, Qui ne luy permet pas de descendre à present. Vous plaist-il de monter ? CRISPIN *marchant fierement.*.         Montons, j'en suis content. TOINON *à Dorame.*. Monsieur, vous… DORAME.         Là-dessus à rien je ne m'oppose, Allez. Dorame seul.         Il faut un peu leur souffrir quelque chose ; La Musique est un Art qui contente l'esprit, Et qui dans le Convent donne quelque crédit. ### SCENE VII. DORAME, UN MUSICIEN. LE MUSICIEN *entrant, & parlant Gascon.*. Monsieur. DORAME.     Que vous plaist-il ? LE MUSICIEN.         De la part d'Angélique, Je viens… DORAME.     Hé bien ? LE MUSICIEN.         Je suis un Maistre de Musique ; On dit que vostre Fille en cherche un excellent, Et j'ay pour ce grand Art⁎ un merveilleux talent ; Sur tout j'y suis sçavant autant qu'on le peut estre ; Et sans trop me vanter, j'y suis assez grand Maistre. DORAME *à part.*. Que veut dire cecy ? LE MUSICIEN *parlant Gascon.*.         Monsieur, c'est un grand bien ; Quand un Maistre est habile, & qu'il n'ignore rien, C'est pour un Ecolier un fort grand avantage. DORAME *secoüant la teste.*. Ecoutons jusqu'au bout. LE MUSICIEN.         Que c'est un rare ouvrage, Qu'un grand Musicien ! DORAME.         Je le croy comme vous. LE MUSICIEN *parlant Gascon.*. Mais on en voit si peu… Je creve de courroux, De voir cent Mirmidons [200] en ce Siecle où nous sommes ; Pres les plus éclairez se croire de grands Hommes, Et ces Fats soûtenus par cabale de Gens, Dépouveus à la fois d'esprit et de bon sens. Monsieur, si j'ay l'honneur d'apprendre à vostre Fille, Vous verrez dans mes Chants un certain tour qui brille, Et qui, sans me vanter, me sçait tirer du pair [201]. Nous touchons⁎ le Theorbe [202], & nous chantons un Air, Pour le moins aussi-bien qu'aucun qui soit en France. Ce n'est pas coucher gros [203]. DORAME *à part.*.         Ah quelle suffisance ! Que tous ces Gens sont vains ! LE MUSICIEN.     Plaist-il ? DORAME.         Je ne dis mot. LE MUSICIEN. Monsieur, dans mon Mestier, je ne suis pas un sot. DORAME. Ah je vous croy, Monsieur, un grand Maistre en Musique. LE MUSICIEN. Dorame le regarde. Et de plus Gentilhomme. Oüy, Monsieur, je m'en pique ; Car la Musique enfin ne dégenere⁎ [204] pas. Si ce grand Art pour moy n'eust eu beaucoup d'apas⁎ [205], Sans doute je serois avancé dans l'Armée, Où je verrois du Roy ma valeur estimée. DORAME *à part.*. Le grand fou ! LE MUSICIEN *montrant l'endroit du cœur.*.         Grace au Ciel, nous avons cela bon, Et je sçay m'en servir de la bonne façon ; Car quand l'occasion se trouve un peu pressante, Je sangle⁎ un coup d'Epée aussi-bien que je chante. Il allonge une estocade à Dorame avec la main. DORAME *portant la main à son estomach.*. Fort-bien. LE MUSICIEN.         Je sçay qu'il est force Musiciens, Qu'avec juste raison on estime des riens : Mais si j'en estois crû, dans l'état où nous sommes, Les bons, à leur mépris, seroient faits Gentilhommes. DORAME. Quel besoin pour chanter de cette qualité ! Par là l'on n'en est pas beaucoup mieux écouté. LE MUSICIEN. Ce grand Art est un Art digne d'un rang sublime. DORAME. Et cet Art est un Art⁎ dans la commune estime. Quant à moy, franchement, j'en suis peu curieux : Apercevant Crispin. Parlez-en à Monsieur, il vous répondra mieux. Moy, j'écoute. ### SCENE VIII. DORAME, CRISPIN, LE MUSICIEN parlant toûjours Gascon. LE MUSICIEN.         Monsieur sçait-il de la Musique ? DORAME. J'ignore s'il en sçait, mais je sçay qu'il s'en pique⁎. LE MUSICIEN *riotant⁎.*. Ah Monsieur a tout l'air d'un Chantre de Lutrin ; Il est propre à chanter à quelque Tabarin, Ou bien à l'Orviétan, je le vois à sa mine [206]. J'admire son habit, & sa taille poupine [207] ; Je gage que Monsieur touche⁎ quelque Instrument. DORAME. Cela peut estre vray. LE MUSICIEN.         Mais délicatement [208]. Aparemment, Monsieur, vous joüez de la Vielle. CRISPIN. bas. Que dire ! haut.     Et nous joüons… Il fait de la main comme s'il joüoit de la Vielle [209]. LE MUSICIEN.         Je vous tiens un modelle Qu'on doit suivre par tout. CRISPIN.         Il n'en faut point douter. LE MUSICIEN. Sur un Trio nouveau peut-on vous consulter ? CRSIPIN *à part.*. Payons d'effronterie. LE MUSICIEN *luy montrant un papier.*.         Or faites-moy la grace De m'éclaircir un peu sur ce qui m'embarasse : C'est un certain endroit que j'ay peine à sauver⁎. CRISPIN. Pour en venir à bout, il falloit y resver⁎. LE MUSICIEN. Voyez, de vos avis ne soyez point avare, La Basse va devant cet *E mi la B quarre*. Hem ? CRISPIN *apres avoir regardé.*.         Voila des accords dont je suis enchanté. LE MUSICIEN. Ces accords ne font pas cette difficulté : Je sçay que ces derniers ont peu de consonnance ; Mais j'ay, pour m'en tirer, certaine intelligence⁎, Que peu de nos Sçavans possede comme moy. Là, voyez. CRISPIN *bas.*.     Je voudrois te voir au Diable. LE MUSICIEN.         Quoy ? CRISPIN. Rien. LE MUSICIEN.         C'est cet *E mi la* qui me fait de la peine, Et pour le bien sauver, il me met à la gesne [210]. Que feriez-vous, Monsieur, dans un tel embarras ? CRISPIN. A vous dire le vray… Je ne l'y mettrois pas. LE MUSICIEN. Pourquoy non ? CRISPIN.         C'est que… Non, je ne vous veux rien dire. LE MUSICIEN. Donnez-m'en la raison, & daignez m'en instruire. CRISPIN. C'est que cet *E mi la* qui vous met en soucy, Et que ce *mi B fa* que vous traittez ainsy, Sortant par la *De mode*, en fait la raisonnance, Qui rentrant en *B mol*, forme la conséquence. Il faut considérer, qu'*ut re mi fa sol la*, Rebattant par *B quarre* [211], & puis s'arrestant là, Font des accords aigus… s'il faut que je m'explique, Qui fait que dans les sons… on voit de la Musique… Comprenez-vous bien ? LE MUSICIEN.         Non, je ne vous entens⁎ pas, Ce discours n'est pour moy qu'un galimatias. CRISPIN. Tant-pis. LE MUSICIEN.     D'où vient ? CRISPIN.         Il faut manquer de connoissance, Ou posseder au moins bien peu d'intelligence⁎, Pour me répondre ainsi ; car Monsieur m'entend⁎ bien. DORAME. Il est vray que j'entens, mais je ne comprens rien. CRISPIN *à Dorame.*. Ne perdez pas cecy. La *quarte*, ou bien la *quinte*… Formant des embarras… jette en un labyrinte… au Mus. Qui fait que vous tombez dans la difficulté. à Dor. Or la *tierce*, la *fugue*… en cette extremité, Rentrant subitement, fait voir, ne vous déplaise, au Mus. La *seconde* du son, & la rend plus mauvaise ; à Dor. Car le *dessus*… la *basse*… entrant dans l'*unisson*… au M. Fait que vous rencontrez… l'intervale du son… à Dor. Me comprenez-vous mieux ? DORAME.         Ma foy, la mesme chose : J'entendois peu le texte, & j'entens moins la glose. Parlez tous deux François, sans chercher ces grands mots. CRISPIN. Ah les termes de l'Art⁎ sont là fort à propos, Demandez. LE MUSICIEN.         Vos discours confondent ma science : Mais, Monsieur, solfiez, pour plus d'intelligence, Je vous comprendray mieux. CRISPIN *luy rejettant son Trio.*.         Qui, moy ! moy, solfier ! C'est me traitter par là de petit Ecolier ; Vous estes plaisant ! DORAME *au Musicien.*.         C'est un Maistre de Musique, Envoyé de la part de Madame Angélique. LE MUSICIEN. Luy Maistre de Musique ! Ah c'est un imposteur. CRISPIN. Vous en avez menty. LE MUSICIEN *voulant mettre l'Epée à la main.*.     Quoy… DORAME *l'empeschant.*.         Tréve de fureur, Ou… LE MUSICIEN.         J'ay tort, oüy, Monsieur, car il n'a point d'Epée. DORAME. La vostre, en ce moment, seroit mal occupée [212] ; On diroit… LE MUSICIEN.         Je le sçay ; Mais souffrir un affront De ce Fat, non, non. CRISPIN.         Hom… J'ay le bras un peu prompt, Va-t-en. DORAME.         Sortez d'icy, si vous voulez vous battre. LE MUSICIEN *voulant se jetter sur Crispin.*. Il faut… DORAME *l'empeschant.*.     Tout-doux. CRISPIN.         Ce Fat se fait tenir à quatre [213]. LE MUSICIEN *prenant un siege.*. Ah ç'en est trop souffrir. CRISPIN *prenant un autre siege* [214].         Le Drôle en veut par là. DORAME *au Musicien.*. Arrestez. LE MUSICIEN.     Laissez-nous… DORAME.         Hola quelqu'un, hola. LE MUSICIEN *voulant fraper Crispin.*. Faquin⁎ ! CRISPIN *de mesme.*.     Maraut⁎ ! DORAME *entre-deux, qui voit tantost un siege prest à tomber sur luy, & tantost l'autre.*.         Ah, ah, ah, Messieurs, prenez garde ; Sinon… LE MUSICIEN *s'embarasse de son Epêe* [215].     Fourbe⁎ ! CRSIPIN.     Coquin⁎ ! DORAME *court à sa Halebarde.*.         C'est trop ; Ma Halebarde ; Qu'on arreste, ou bien… CRISPIN *menaçant le Musicien.*.     Hom… LE MUSICIEN.         Tu m'échapes en vain. ### SCENE IX. DORAME, LE MUSICIEN, CRISPIN, TOINON. TOINON. D'où vient cecy ? Monsieur les armes à la main ! DORAME. Toinon, Monsieur se dit un Maistre de Musique, Qui vient, dit-il, icy de la part d'Angélique ; Et sur des mots de l'Art⁎ ils se sont querellez. Et moy, pour mettre fin à tous leurs démeslez, J'ay pris ma Halebarde. TOINON.         Et d'où vient qu'Angélique Envoyroit tout-à-coup deux Maistres de Musique ? DORAME. C'est pour en faire choix. LE MUSICIEN.         Ce Fourbe⁎ ne l'est pas. CRISPIN. Vous en avez menty. LE MUSICIEN.     Sors. CRISPIN.         Va, je suis tes pas. LE MUSICIEN *s'en allant.*. Je t'attens. DORAME *à Crispin.*.         Vous pourrez vous battre dans la Rüe, Et… Il s'en va.     Serviteur. ### SCENE X. TOINON, CRISPIN. TOINON *bas.*.         Crispin, ah je suis toute émûë. CRISPIN. Qu'as-tu ? TOINON.     Je crains… CRISPIN.     Pour qui ? TOINON.     Pour toy. CRISPIN.         Va, ne crains rien. TOINON. Mais… DORAME *au dedans.*.     Toinon. TOINON.     J'y vais. CRISPIN *s'en allant.*.         Va, je m'en tireray bien. < Fin du Second Acte. > On tire la Ferme, & l'on voit les six Laquais de Phélonte qui discernent⁎ l'Acte, & en suite ils se retirent par les ailes du fonds. Le troisiéme Acte se passe dans l'Antichambre de Phélonte, comme le premier. ## ACTE III. ### SCENE PREMIERE. CRISPIN, PHELONTE. CRISPIN. En peu de mots, Monsieur, voila toute l'histoire. PHELONTE. D'un autre que toy, j'aurois peine à la croire : Car comment passer là pour un Musicien, Et raisonner⁎ d'un Art⁎ où tu ne connois rien ? CRISPIN. Ne vous ay-je pas dit, qu'un peu d'effronterie M'a tiré d'embarras ? Que ce Maistre en furie, D'un galimatias dont j'ay sçeu l'étourdir, La matiere un peu trop vouloit aprofondir ; Que des termes de l'Art⁎ bourant mon ignorance, Sans paroistre vaincu, j'ay payé d'impudence ; Que ce Maistre voulant me faire solfier, J'ay sçeu, pour m'en parer, le traitter d'Ecolier ; Que le Pere d'ailleurs ignorant en Musique, Est dans tous nos debats demeuré sans replique ; Qu'au sortir du Logis, quinze ou vingt coups de poing Commençoient d'attirer déja quelque Témoin ; Que craignant que quelqu'un ne vint à me connoistre, J'ay crû que promptement je devois disparoistre. Sur chaque circonstance estes-vous bien instruit ? Faut-il recommencer ? PHELONTE.         Non, Crispin, il suffit. Mais pour mieux étourdir ce Maistre de Musique, Et devant le Vieillard luy faire un peu la nique, Il falloit sçavoir là quelques termes de l'Art⁎. CRISPIN. Bon, j'en sçay. PHELONTE.     D'où ? CRSIPIN.         J'en ay retenu par hazard, Alors qu'à composer vostre Maistre vous montre, Dont j'ay sçeu, sans raison, m'aider en ce rencontre⁎ [216]. D'ailleurs, vos Violons, souvent hors de propos, Meslent dans leurs discours quantité de ces mots ; Et quoy que mal citez, pensant faire merveilles, Ils m'en ont mille fois étourdy les oreilles. PHELONTE. Fort-bien. CRISPIN.         Sur chaque point vous estes satisfait ; Mais la Dame, Monsieur… PHELONTE.         Ecoute son billet. PHELONTE *lit.*. Vostre Lettre, Phélonte, pourroit persuader une Personne qui vous connoistroit moins que moy : mais je veux bien vous dire que je suis parfaitement instruite de toutes vos manieres. Vous avez crû, sans doute, que l'occasion se presentoit favorable, & qu'il falloit la prendre aux cheveux, c'est fort bien fait à vous ; mais là-dessus je suis vostre Servante. Dites-moy, s'il vous plaist, s'il estoit vray que vous m'aimassiez autant que vous le marquez dans vostre Lettre ? Croyez-vous en bonne-foy, qu'il n'y auroit point un peu d'extravagances⁎ ? Aimer les Gens sans les connoistre, ny sans les avoir jamais veus, cela approche un peu de l'égarement⁎. Non, non, vous n'estes point capable d'une foiblesse semblable ; vous avez de l'esprit, & vous sçavez trop bien ce que vous faites : Vous voulez me payer galamment des bons avis que je vous ay donnez, mais je ne suis point interessée, & c'est assez pour moy qu'ils ne vous soient pas inutiles. Adieu, pensez à ce que je vous écris, & croyez que je parle avec sinceritê, quand je dis que j'estime⁎ Phélonte. PHELONTE. Qu'en penses-tu, Crispin ? CRISPIN.         Elle paroist sincere, Et la Dame a, Monsieur, tout ce qu'il faut pour plaire. PHELONTE. A ne te rien celer, j'aime son procedé. CRISPIN. Elle a beaucoup d'apas⁎. PHELONTE.         J'en suis persuadé ; Tu me l'as peinte aimable⁎ autant qu'on le peut estre. CRISPIN. Je n'en juge qu'autant que je puis m'y connestre ; Mais elle me plaist fort. PHELONTE.         Je brûle de la voir, Crispin. CRISPIN.         Il faut tâcher à luy faire sçavoir. PHELONTE. Allons, Crispin, allons, vien, conduis-moy chez elle. CRISPIN. Quoy ! d'un plein saut [217], Monsieur, entrer chez cette Belle ? De ce peu de respect elle pourroit gronder. PHELONTE. Oh tu m'introduiras. CRISPIN.         Dieu m'en veüille garder ; Le Pere est d'une humeur⁎ qui n'est pas fort tranquille, Je crains sa Halebarde, & plus encor sa bile ; Au moindre différent les armes à la main, Nous montre qu'il n'a pas un esprit fort humain. PHELONTE. Ne crains rien. CRISPIN.         Tout-de-bon, aimez-vous cette Dame ? PHELONTE. Oüy. CRISPIN.         Vous sentez pour elle une sincére flâme ? PHELONTE. Oüy. CRISPIN.     Point. PHELONTE.     Pourquoy non ? CRISPIN.         Bon ; Vostre amour libertin⁎ S'attache-t-il jamais que pour faire butin ? Et quand une Beauté parle de Mariage, Le Scélerat veut-il entendre ce langage ? Il sçait bien soûpirer, peindre sa passion ; Mais tout cela ne va qu'à la conclusion. S'il trouve en quelque Objet⁎ un peu de resistance, Vous sçavez l'en tirer par quelque revérence ; Et disant serviteur, bon-soir, & grand-mercy, Vous laissez cet Objet, & le quittez ainsy : Mais la Dame, Monsieur, vous montre par sa Lettre, Ce que de sa vertu vous devez vous promettre… PHELONTE. C'est du Sexe⁎ toûjours la façon de parler. CRISPIN. Je la connois fort peu ; mais je juge à son air, Qu'elle est sage, Monsieur. PHELONTE.         Eh Crispin, la Sagesse Ne s'épouvante pas pour un peu de tendresse⁎ : Cette vertu n'a plus cette austere rigueur, Qui ne pouvoit souffrir de l'amour dans un cœur ; L'une n'a plus pour l'autre aucune répugnance, Elles sont maintenant de bonne intelligence⁎ ; Et pour duper les Gens, par de communs accords, L'Amour regne au-dedans, la Sagesse au dehors. CRISPIN. A leur façon d'agir vostre amour s'accommode. Je voy bien, vous voulez, suivant vostre méthode, De la Dame, en un mot, essuyer un refus, Vous retirer apres, & n'y retourner plus. PHELONTE. Non, allons. CRISPIN.         Je ne sçay ce qu'il faut que j'en croye. PHELONTE. D'où vient ? CRISPIN.     Vous aimer ! vous ! PHELONTE.     Oüy. CRISPIN.         Que j'aurois de joye, De vous voir avec nous au nombre des Amans⁎ ! Songez-y bien, la Dame a beaucoup d'agrémens. PHELONTE. Allons ; si sa beauté répond à mon attente, Tu me verras pour elle une flâme constante. ### SCENE II. PHELONTE, LA RONCE, CRISPIN. CRISPIN. Ce changement en vous, est contre mon espoir. LA RONCE. Un Homme est là, Monsieur, qui demande à vous voir. PHELONTE. Il faut le faire entrer. C'est sans doute Mélante, Il vient au rendez-vous, mais contre mon attente, Je vois un Inconnu… CRISPIN.         C'est ce Musicien, Ne me découvrez pas. PHELONTE.         Je m'en garderay bien, Ce seroit tout gaster. Crispin se cache le plus qu'il peut. ### SCENE III. LE MUSICIEN, PHELONTE, CRISPIN. PHELONTE.     Que vous plaist-il ? LE MUSICIEN *apres plusieurs revêrences, & parlant toûjours Gascon.*.         De grace, Connoissez-moy [218], Monsieur, excusez mon audace ; J'enseigne la Musique, & cet Art⁎, Dieu mercy, Dans tous mes Ecoliers m'a si bien réüssy, Que loin d'avoir besoin de pratique nouvelle, Je puis fournir à peine aux lieux où l'on m'appelle. Ainsy je ne viens point icy par intérest : Mais, si comme l'on dit, la Musique vous plaist, Car de beaucoup de Gens j'apprens avecque joye, Qu'à chanter la plûpart de vostre temps s'employe, Ce bruit a fait en moy naistre un ardent desir De vous voir, & je viens… PHELONTE.         Vous me faites plaisir. LE MUSICIEN. J'ay fait un Opera, Monsieur, qui doit surprendre⁎, Et je viens tout exprés vous prier de l'entendre. PHELONTE. Volontiers. LE MUSICIEN.         Je m'en tais ; mais sans faire le vain… Chez Madame Angélique il paroistra demain. PHELONTE. Je ne la connoy point. LE MUSICIEN.         Ce Billet marque l'heure, Et par luy vous serez instruit de sa demeure. PHELONTE *le prenant.*. Je n'y manqueray pas. LE MUSICIEN.         Ah c'est une faveur Dont se flatte aujourd'huy vostre humble Serviteur. PHELONTE. Suffit ; Adieu. LE MUSICIEN.         Monsieur, je vous feray connoistre… Appercevant Crispin. Mais je voy, ce me semble, un… PHELONTE *luy montrant Crispin.*.         Vous voyez mon Maistre. LE MUSICIEN. Je m'étonne, Monsieur, que vous ayiez choisy L'Homme le plus ignare… CRISPIN.         Hé morbleu ! venez-y, Disputer avec moy sur la préeminence D'un Art⁎… Je vous le livre aussy plein d'ignorance, Que Chantre du Pont-neuf [219]. PHELONTE.         Hé, Messieurs ! là, tout-doux. LE MUSICIEN. Quoy ! pouvez-vous souffrir cet Ignorant chez vous ? Je vay le décrier dans tous les Lieux du Monde ; Et ne souffriray point… PHELONTE.         Permettez qu'il réponde : Comme vous l'accusez d'estre ignorant, il doit… CRISPIN. Monsieur, la verité se peut toucher au doigt : Il fait le suffisant, à cause de sa Brette [220]. LE MUSICIEN. J'ay droit de la porter. Mon Pere… CRISPIN.         Estoit Vedette⁎, Quand dans la plaine d'Oüille [221] on vint camper. Voila Ses Titres de Noblesse entez sur *E mi la.* LE MUSICIEN. Tout ce qu'il dit, fadaise. Il parle comme il chante. PHELONTE. Mais, Monsieur, il n'a point la méthode meschante⁎ : Je m'en suis bien trouvé jusqu'icy. LE MUSICIEN.         Bien trouvé ! De tous les Ignorans c'est le plus achevé, Je vous le dis encor. PHELONTE.         Sans chaleur, je vous prie. LE MUSICIEN. Il n'a que du jargon, & de l'effronterie. CRISPIN. Je viens pourtant encor de vous rendre *Mutus* Chez un certain Vieillard, là, tout-à-l'heure. LE MUSICIEN.         Abus ; C'est un extravagant ; par son seul équipage⁎ J'ay d'abord aisément jugé du Personnage : N'est-ce pas affronter [222] la Musique ? Il est fou. CRISPIN. Prenez-vous par le nez. PHELONTE.         Mais de grace, par où Avez-vous découvert qu'il est si meschant⁎ Maistre ? LE MUSICIEN. Par cent mots où luy-mesme il ne peut rien connoistre : Tout ce qu'il dit sur l'Art⁎, pur galimatias. CRISPIN. La pécore ! Monsieur, ne m'entendez⁎-vous pas ? [223] PHELONTE. Sa façon d'enseigner n'est pas trop affectée, Et je croy n'avoir point encor la voix gastée. LE MUSICIEN. Il vous la gastera, si vous ne le changez. PHELONTE. Il faudra voir. CRISPIN.         J'ay peur, si vous ne délogez… LE MUSICIEN. Pour rien, au lieu de luy, j'aime mieux vous aprendre. PHELONTE. Pour rien ? LE MUSICIEN.     Pour rien, vous dis-je. CRISPIN.         Oüy, oüy, l'on va te prendre ! Tu n'es bon qu'à montrer à des Grenouilles. LE MUSICIEN.         Moy ! Pour l'honneur du Mestier, Monsieur… PHELONTE.         De bonne-foy, Il est juste qu'apres plusieurs ans… LE MUSICIEN.         A l'épreuve, De mon sçavoir *gratis* je vous offre la preuve : Mais pour vous faire voir que c'est un Ignorant, Et que je crains fort peu ce chétif Concurrent, Je vay chanter un Air, qu'il en fasse de mesme. Par là vous jugerez… Ecoutez, chacun l'aime. CHANSON Il chante en Gascon. Beautê, qui captivez mes sens, Ma voix, par ses tristes accens, Vous peint l'excés de mon martyre. Mais Dieux ! quelle haine avez-vous ? Quand mon cœur ose vous le dire, Soudain vous entrez en courroux. CRISPIN. Ce Chanteur me fait rire, avec son chant Gascon. LE MUSICIEN. Sçachez que maintenant c'est la belle façon, Et que cette maniere est le plus à la mode. CRISPIN. Je gage que Monsieur blâme cette méthode. LE MUSICIEN. Laissons cela, chantez. CRISPIN.         Moy ? je n'en feray rien ; Vostre accent est Gascon, le mien Parisien : Apprenez mon accent, & j'apprendray le vostre, Puis on pourra juger & de l'un, & de l'autre. LE MUSICIEN. Monsieur, vous jugez bien par ce raisonnement… CRISPIN. Monsieur sçait que je parle avec grand jugement⁎. PHELONTE. Enfin, c'est sans raison… LE MUSICIEN.         Je suis las de l'entendre ; Monsieur, encor un coup, oüy, je veux vous aprendre ; Et si je ne vous fais mieux chanter mille fois… Qu'il n'a pû… PHELONTE.         Trouvez bon qu'il acheve son Mois, Nous nous verrons en suite. LE MUSICIEN.         Il faut vous laisser faire ; Mais je veux… CRISPIN.         Tu prétens qu'à moy l'on te préfere, Musicien de bale ? LE MUSICIEN.         En autre lieu qu'icy, Je t'apprendray… CRISPIN.         Va, va, n'en sois point en soucy ; Si tu sçais ferrailler, je chamaille [224] à merveilles. LE MUSICIEN *s'en allant.*. Munis-toy d'une Epée, avec armes pareilles, Seul-à-seul de pied ferme, on te peut divertir. CRISPIN. Je ne veux contre toy, qu'une Broche à rostir. Adieu, *ré mi fa sol.* ### SCENE IV. PHELONTE, CRISPIN. CRISPIN.         Ma Maistresse le pique⁎ [225]. PHELONTE *riant.*. Je te vois Gradué, peu s'en faut, en Musique. CRISPIN. Oüy, mais cette Musique attirera sur moy Quelque moment fâcheux. PHELONTE.     Le crains-tu ? CRISPIN.         Non, ma foy : Mais si le rencontrant, il faut que je chamaille [226], Et que d'un coup d'Epée il me gaste la taille, Hem ? PHELONTE *en riotant⁎.*.     J'en serois fâché. CRISPIN.         Vous en riez ! Fort-bien. PHELONTE. Je préviendray ce mal, n'en appréhendes rien ; Mais allons, sans tarder, visiter cette Belle, Je veux l'aimer, Crispin, d'une flâme immortelle. CRISPIN. Il faut que depuis peu vous soyez bien changé ! ### SCENE V. PHELONTE, FANCHON, CRISPIN. PHELONTE. Fanchon, tu sçais à quoy je me suis engagé A Mélante. FANCHON.         Oüy, Monsieur, vous m'en avez instruite. PHELONTE. Dis-luy, quand il viendra, qu'une affaire subite M'a forcé de sortir, mais qu'il peut tout icy. FANCHON. Fort-bien. PHELONTE.         J'entens quelqu'un ; Peut-estre le voicy. FANCHON. Ce n'est pas luy. PHELONTE.     Qui donc ? FANCHON *montrant Boniface.*.         C'est Monsieur Boniface, Qui vient pour vostre Frere implorer vostre grace. ### SCENE VI. PHELONTE, BONIFACE, FANCHON, CRISPIN. BONIFACE. Oüy, Monsieur. PHELONTE.         Là-dessus qu'on me laisse en repos. BONIFACE. La Clemence est, Monsieur, la vertu des Héros : Vous sçavez que Plutarque… [227]  PHELONTE.         Eh Monsieur Boniface, Plutarque, en cet endroit, n'est pas fort en sa place. FANCHON. Qu'est-il besoin aussy de citer cet Autheur ? BONIFACE. De Monsieur vostre Frere estant le Précepteur, J'ose vous demander pardon de son offence. PHELONTE. Je suis trop irrité de son impertinence. BONIFACE. Qui se repent d'un mal, mérite le pardon : Hé la Monsieur Crispin, vous Madame Fanchon, Obtenons de Monsieur, le pardon pour son Frere. CRISPIN. Eh Monsieur ! FANCHON.     Eh Monsieur ! PHELONTE.         Non, je n'en veux rien faire. BONIFACE. Monsieur… PHELONTE *s'en allant.*.     Suis-moy, Crispin. ### SCENE VII. BONIFACE, FANCHON. BONIFACE.         On ne peut le fléchir. FANCHON. Peut-estre, avec le temps, qu'on pourra l'adoucir. Pour son Frere, entre nous, il faut mieux le conduire. BONIFACE. C'est un jeune Eventé⁎, que j'ay peine à réduire. FANCHON. Souffrir qu'il s'enrolast ! BONIFACE.         C'estoit à mon insçeu ; Il m'avoit, pour le faire, adroitement déceu⁎ ; Mais tout ce différent ne m'inquiéte guére, Qu'ils s'accordent entr'eux, Fanchon, c'est leur affaire. FANCHON. En effet. BONIFACE.         Quant à moy, j'en prens peu de soucy. FANCHON. C'est fort bien fait à vous. BONIFACE.         Le Ciel m'a fait ainsy. FANCHON. Vous fuyez le chagrin⁎. BONIFACE.         Mon partage est la joye, Par elle on a des jours filez d'or & de soye. Non, non, point de chagrin, vive la gayeté, Elle nourrit l'esprit, & soûtient la santé. FANCHON. Que vostre humeur me plaist ! Ah Monsieur Boniface, Qu'un grand fond de santé reluit sur vostre face ! Quel teint ! Vous estes né d'une compléxion, Qui travaille sans cesse à l'augmentation : Vous ne mourrez jamais, si l'on ne vous assomme ; Gras, dodu, l'humeur gaye ; Ah quel embonpoint d'Homme ! Un Malade, à vous voir, pourroit estre guery : Où prenez-vous le glan dont vous estes nourry ? BONIFACE. Eh je le prens, Fanchon, où vous prenez le vostre, Et dans tous mes repas je n'en use point d'autre. FANCHON. Du moins il vous profite autant & plus qu'à moy, Cela se voit. BONIFACE.         Oüy ; mais parlons de bonne-foy ; Fanchon, vostre embonpoint assez du mien approche, Je suis un peu Cochon, vous estes un peu Coche. FANCHON. Vous, un peu ? Bon ; Je gage, au rapport de mes yeux, Que si je peze un cent, vous en pezez bien deux. BONIFACE. Tel que je sois enfin, je suis peu haïssable, Et je vous aime autant que vous estes aimable⁎. FANCHON. Ne parlons point d'aimer, & changeons de propos. ### SCENE VIII. LA RONCE, FANCHON, BONIFACE. LA RONCE. Fort-bien. Ne viens-je point icy mal à propos ? FANCHON. Non. LA RONCE.     Avez-vous tout dit ? FANCHON.         Nous n'avons rien à dire. LA RONCE. Si je suis importun, parlez, je me retire. BONIFACE. Non, demeurez, je sors. LA RONCE.     En suis-je cause ? BONIFACE.         Non. LA RONCE. Si c'est moy… BONIFACE.         Non, vous dis-je ; Adieu, belle Fanchon. FANCHON. Adieu, beau Boniface. BONIFACE *s'en allant, fait une grande revérence.*.     Ah ! ### SCENE IX. FANCHON, LA RONCE. FANCHON.     Qu'est-ce ? LA RONCE.         On vous demande. FANCHON. Et qui ? LA RONCE.     C'est vostre Maistre à chanter. FANCHON.         Qu'il attende. LA RONCE. Il est pressé, dit-il. FANCHON.         Qu'il revienne tantost⁎ : Dy-luy que je ne puis… LA RONCE *voulant s'en aller.*.         Je diray ce qu'il faut. FANCHON *haussant la voix.*. Et que luy diras-tu ? LA RONCE *revenant.*.         Qu'une affaire pressée, Pour quelque temps icy vous tient embarassée. L'excuse est-elle bonne ? FANCHON.         Oüy, va, c'est fort bien dit. LA RONCE. Est-ce que vous croyez que je manque d'esprit ? FANCHON. Non, mais par trop d'ardeur tu prestes peu silence, Et souvent tu répons, sans sçavoir ce qu'on pense. LA RONCE. Moy ? FANCHON *luy fermant la bouche.*.         Va rendre réponse à mon Maistre à chanter. LA RONCE. Mais… FANCHON.         Va, te dis-je ; apres je sçauray t'écouter. Seule. Ces Esprits turbulens me font devenir fole, Car jusques dans la bouche ils coupent la parole : Souvent, loin qu'avec eux on puisse s'expliquer, A peine parle-t-on, qu'ils veulent repliquer ; Sans entendre les Gens, leur jugement⁎ décide, Quoy qu'il n'ait le bon sens, ny la raison pour guide ; Lors qu'ils sont entestez⁎ de quelque opinion, Ils n'ont, pour l'appuyer, que l'obstination, De trop d'estime d'eux leur esprit les enyvre, Et croit que leur avis est le seul qu'il faut suivre. ### SCENE X. LA RONCE, FANCHON. FANCHON. Hé bien, reviendra-t-il ? LA RONCE.         Il n'y manquera pas. FANCHON. Qu'a-t-il dit ? LA RONCE.     Rien. FANCHON.     Tant-mieux. LA RONCE.         Le Bréton est là-bas. FANCHON. Le Bréton ! LA RONCE.         Autrement le Valet de Mélante ; Il demande Monsieur pour affaire pressante. FANCHON. Je sçay bien ce que c'est ; Dy-luy qu'il vienne icy. LA RONCE. Il a beu plus d'un coup. FANCHON.     Qu'importe. LA RONCE.         Le voicy. ### SCENE XI. FANCHON, LE BRETON, LA RONCE. FANCHON. Que veux-tu ? LE BRETON *un peu yvre.*.     Je veux… FANCHON.     Quoy ? LE BRETON.         Je veux Monsieur ton Maistre. FANCHON. Il est sorty. LE BRETON.         Tant-pis : Mais où donc peut-il estre ? FANCHON. Je ne sçay. LE BRETON *faisant un hoquet.*.     Tu ne sçais ? FANCHON.     Non. LE BRETON.         Il faut le chercher, Car mon Maistre dans peu… FANCHON.         Parle sans t'aprocher. LE BRETON. Pourquoy ? FANCHON.     Pour rien. LE BRETON.         Fanchon, mon ame… te convoite, Je t'aime. FANCHON.     Soûtiens-toy [228]. LE BRETON.         Crois-tu que je sois boite ? FANCHON. Boite ? LE BRETON.         Oüy, c'est à dire yvre, en langage Breton. FANCHON. Je m'en raporte à toy. LE BRETON.     Je n'ay pas beu. LA RONCE.         Luy ? Bon. Il est à jeun, voyez. LE BRETON *faisant un hoquet.*.         Oüy da, qu'en veux-tu dire ? FANCHON *riant.*. Courage. LA RONCE.         Il n'a pas beu, c'est d'amour qu'il soûpire. FANCHON. Mais ton Maistre, dy-moy… LE BRETON.         Dans peu tu le verras : Chantons en l'attendant. FANCHON *riant.*.     Fort-bien. LE BRETON.         Tu ne veux pas, Toy qui chantes si bien, qu'aucun n'y peut atteindre ? J'aime à t'oüir chanter, car tu chantes à peindre [229]. Vois-tu, je paye Pot [230] ; çà, chante un Passe-Pié [231]. FANCHON. Je n'en sçay point. LE BRETON.     Ecoute. Il chante & dance un Passe-Pié & il tombe. FANCHON *riant.*.         Il s'est estropié, Releve-le. LE BRETON.         Dy-moy, sçais-je pas la cadance ? LA RONCE *le relevant.*. Oüy. LE BRETON.         Prens ton Violon, tu verras si je dance [232]. LA RONCE *riotant⁎.*. On ne peut mieux dancer. LE BRETON *se relevant.*.         Ah tu fais le rieur. LA RONCE. Point. LE BRETON *prend La Ronce par la main, & chante & dance le Passe-Pié.*.     Le pied m'a glissé ; mais… ### SCENE XII. MELANTE, FANCHON, LE BRETON, LA RONCE. MELANTE *entrant, & le regardant.*.     Plaist-il ? LE BRETON.         Rien, Monsieur ; C'est La Ronce… MELANTE.         Est-ce ainsy que l'on me rend réponce ? LE BRETON. Monsieur, je m'en allois, demandez à La Ronce. MELANTE. Fort-bien. [233]Depuis une heure où s'est-il arresté ? LE BRETON. C'est… Nous allons tous deux boire à vostre santé. MELANTE *les regardant aller.*. Qu'il a beu ! FANCHON.     Point du tout. MELANTE.         Quelquefois il s'en donne ; Mais il est bon Valet. FANCHON.         Il a l'humeur boufonne. MELANTE. Phélonte est-il icy ? FANCHON.     Non. MELANTE *se chagrinant⁎.*.         Le fâcheux moment ! FANCHON. Pour affaire pressée il sort presentement : Mais soyez sans chagrin⁎, je suis de tout instruite, De sa part, avec soin, j'attens vostre visite : Je sçay que vous aimez, & qu'un Pere fâcheux S'oppose aux sentimens de l'Objet⁎ de vos vœux, Et que pour luy parler, vous avez de la peine. Icy vous pouvez tout sans que rien vous y gesne ; C'est l'ordre de Monsieur. MELANTE.         Tu m'ostes de soucy⁎ : Cette Dame est en Chaise⁎ à trente pas d'icy, Je m'en vay l'amener. FANCHON.         Moy, je vay vous attendre. seule. Ma foy, contre l'Amour, tous les soins qu'on peut prendre, Empeschent rarement qu'il ne vienne à sa fin, Il sçeut, sçait, & sçaura décevoir⁎ le plus fin : En vain oppose-t-on l'autorité d'un Pere, C'est dequoy le Fripon ne s'inquiéte guere, Il se rit des chagrins⁎ de ces Amans jaloux, Et met toute sa joye à tromper un Epoux ; Nous trouvons tout possible alors qu'il nous enflâme. J'entens parler quelqu'un ; C'est Mélante & sa Dame. ### SCENE XIII. MELANTE, LISE, FANCHON. MELANTE *entrant.*. Madame, ostez le masque, & n'apréhendez rien ; Je suis icy le Maistre, & ce Logis est mien. LISE. A vostre honnesteté je me laisse conduire ; Vous voulez que je l'oste, & cela doit suffire. MELANTE. Fanchon, tu vois l'Objet dont mon cœur est charmé⁎. FANCHON. Je vous tiens fort heureux, si vous estes aimé. MELANTE. Sur l'espoir de l'Hymen tout mon bonheur se fonde. FANCHON. Madame a des appas⁎ à charmer⁎ tout le monde. LISE. Me railler ? FANCHON.         Je sçay trop tout ce que je vous doy [234], Et quand je parle ainsy, je dis ce que je voy ; A loüer vos appas je me sens engagée. LISE. De ces bons sentimens je vous suis obligée. MELANTE. Fanchon a l'humeur franche, & de l'esprit enfin. FANCHON. Oh point. Vous plairoit-il de descendre au Jardin ? LISE. Volontiers, allons. MELANTE *prend Lise par la main.*.     Passe [235]. FANCHON.     Ah je sçay trop… MELANTE.         N'importe, Passe. FANCHON.         Puis qu'il vous plaist, je vais ouvrir la Porte. < Fin du Troisiéme Acte. > Les six Laquais sortent comme au premier Acte ; & ayant joüé un Air, on pousse la Ferme, qui les fait disparoistre. Le quatriéme Acte se passe dans la Salle de Dorame, de mesme que le second. ## ACTE IV. ### SCENE PREMIERE. TOINON, DAPHNIS. TOINON. L'embarras est leger, & n'aura point de suite⁎ ; Du faux Musicien Angélique est instruite, Elle en sçait l'avanture ; & si notre Vieillard, Etonné d'avoir veu deux Maistre de sa part, Va, de ce double envoy, luy demander la cause, Laissez faire, elle est Femme à bien tourner la chose, N'en appréhendez rien. DAPHNIS.         S'il faut t'ouvrir mon cœur, Ce n'est pas là, Toinon, le sujet de ma peur. TOINON. Qu'avez-vous donc ? DAPHNIS.         Je crains de n'avoir, qu'à ma honte, Entrepris de fixer⁎ le vagabond Phélonte ; Et que toûjours luy-mesme, il ne soit peu touché De l'avance où pour luy mon cœur s'est relâché. TOINON. J'en aurois, comme vous, un peu de défiance : Phélonte est honneste Homme, & de bonne naissance, Riche, & par son humeur en tous lieux bien venu ; Mais en faveur du Sexe⁎ il est mal prévenu⁎, Et par certains soupçons où son panchant l'incline, Sa maniere d'aimer est un peu libertine⁎. Courant de Belle en Belle étaller ses douceurs, Il ne veut en amour ny soûpirs, ni langueurs, Et d'un Amant plaintif les tristes doleances, Sont, s'il faut qu'on l'en croye, autant d'impertinences ; Son seul but est la joye, il en fait vanité, Le plus fier cependant est le plutost dompté ; Et tous ces Rodomons [236] en matiere de tendre, Ont leur instant fatal, c'est là qu'il les faut prendre. Phélonte en tient [237] déja, vostre esprit l'a charmé⁎, Pour vous, sans vous connoistre, il est tout enflâmé, Et par vostre Billet… Mais Crispin qui s'avance… ### SCENE II. CRISPIN, DAPHNIS, TOINON. CRISPIN. Mon Maistre, de vous voir, brûle d'impatience, Madame ; il attend l'ordre à quatre pas d'icy. TOINON. Cours le faire entrer. DAPHNIS.     Non. CRISPIN.         Quel scrupule est-ce-cy ? DAPHNIS. Je crains trop que mon Pere… TOINON.         Eh mon Dieu, vostre Pere Est sorty pour longtemps. Va, Crispin… DAPHNIS.         Qu'il différe, Le péril me fait peur ; Une autre fois, Toinon, Je m'offre… TOINON.         Une autre fois vous diriez encor non ; Point de remise. DAPHNIS.         Quoy ! tu veux que je hazarde… CRISPIN. Vous allez tout gaster, si vous n'y prenez garde, Car mon Maistre n'est pas de ces Martyrs d'amour, Qui pour un rendez-vous font le guet tout un jour ; La peine l'éfarouche, & dés le moindre obstacle, S'il ne dit Serviteur, il faut crier miracle : Puis que par vostre Lettre il s'est laissé charmer⁎, Prenez-le moy tandis qu'il est en train d'aimer ; Il est certains momens, pouveu qu'on le mitonne… TOINON. Quand l'occasion presse, est-il temps qu'on raisonne ? Devrois-tu pas déja l'avoir averty ? Cours, Sans plus jaser. CRISPIN *s'en allant.*.     J'ay tort. ### SCENE III. DAPHNIS, TOINON. DAPHNIS.         Où sera mon recours, Si mon Pere survient ? Tu me pers. TOINON.         A ce compte, Ce n'est donc rien pour vous, que d'acquérir Phélonte ? J'enrage de vous voir sottement barguigner⁎ ! Qu'est-ce, qu'en reculant, vous auriez pû gagner ? Prétendez-vous qu'il aime un Objet⁎ invisible ? DAPHNIS. Non ; mais le voir ailleurs, n'estoit pas impossible, Et nous eussions cherché… TOINON.         Le plutost vaut le mieux. Il vient, songez à vous. ### SCENE IV. PHELONTE, DAPHNIS, CRISPIN, TOINON. PHELONTE *à Crispin en entrant.*.         Qu'elle est aimable⁎ ! Ah Dieux ! D'amour, en la voyant, j'ay déja l'ame pleine. CRISPIN. Je vous l'avois bien dit, qu'elle en valloit la peine : Voyez comme ses yeux friponnement tournez… PHELONTE. Qu'ils sont touchans, Crispin ! CRISPIN.         Le friand petit nez ! Si j'estois vous, Monsieur, j'en tâterois. PHELONTE.         Madame, Ne vous étonnez point du trouble de mon ame ; La surprise⁎ où je suis de voir tant de beauté, Ne laisse à ma raison aucune liberté ; Et quoy que de mes sens cette raison maistresse, M'ait fait traitter l'Amour jusqu'icy de foiblesse, Je sors enfin d'erreur, & sens aupres de vous, Que vous offrir des vœux, est le sort le plus doux. Souffrez donc que les miens… DAPHNIS.         Ah ç'en est trop, Phélonte, Toute ardeur m'est suspecte alors qu'elle est si prompte, Et quoy que vous veüillez trouver en moy d'appas⁎, On aime foiblement ce qu'on ne connoist pas ; Le temps seul… PHELONTE.         Non, Madame, alors qu'il faut qu'on aime, L'Amour, en un moment, prend un pouvoir extréme ; J'en fais l'expérience, on m'a veu mille fois Soûtenir fiérement qu'on aimoit qu'à son choix ; Toûjours libre, toûjours à couvert de surprise⁎, J'ay contre cent Beautez défendu ma franchise⁎, Et dés que je vous voy, tout mon cœur enflâmé, Est contraint de se rendre aux yeux qui l'ont charmé⁎ : Voyez-en dans les miens l'assuré témoignage, Ils parlent, c'est à vous d'entendre leur langage, Ils vous seront garants… DAPHNIS.         Que diriez-vous de moy, Si j'avois pour les croire assez de bonne-foy ? On vous connoist Phélonte, aujourd'huy c'est mon regne, Il n'est cœur que pour moy le vostre ne dédaigne [238], Et demain par l'Amour vers un autre appellé, Vous ne songerez pas que vous m'avez parlé. PHELONTE. Je n'y songeray pas, Madame ? quel outrage ! De mon cœur tout à vous, vous soupçonnez l'hommage : Si ce cœur n'est toûjours ferme à vous adorer, Que le Ciel… TOINON.         Pensez-vous estre crû pour jurer ? Ce n'est pas en amour un secours fort utile ; Les Amans, quels qu'ils soient, ont tous le mesme stile ; Et si chaque serment leur tenoit lieu d'effets, Le Fourbe gagneroit sa Cause à peu de frais ; Ce sont toûjours beaux mots, mais non pas sans reserve. PHELONTE. C'est à tort… TOINON.         Voyez-vous, il n'est qu'un mot qui serve ; Quand on veut de deux cœurs assurer l'union, On y broüille trois grains de *Matrimonium* : Cela fait, on se peut aimer tout à son aise. PHELONTE. Oserois-je espérer que le Party vous plaise ? Dans la brûlante ardeur qui m'engage aux soûpirs, L'Hymen est le seul but où tendent mes desirs. Madame, prononcez ; & quand mon cœur se donne… DAPHNIS. Phélonte, en verité, ce changement m'étonne⁎ : Quoy ! vous, parler d'Hymen, c'est dequoy s'écrier… PHELONTE. Oüy, j'ay blâmé quiconque osoit se marier : Cependant, avec vous, telle est ma destinée, Que sans voir ma fortune à la vostre enchaînée, Je ne puis vivre heureux. Vostre Lettre d'abord [239] M'a fait sentir pour vous le plus ardent transport⁎ ; A ce doux charme⁎ en vain j'ay voulu mettre obstacle, Et voila que vos yeux achevent ce miracle ; Les désavoûrez-vous, ces beaux yeux que l'Amour… DAPHNIS. De peur d'en dire trop, pensez-y plus d'un jour ; Il est bon quelquefois de n'aller pas si viste. PHELONTE. Non, je suis convaincu de tout vostre mérite ; Et pour vous empescher de douter de mon feu, Je vais à vostre Pere en demander l'aveu⁎ ; S'il ne me connoist pas, il connoist ma Famille. DAPHNIS. Quelque rang où l'Hymen pût élever sa Fille, Comme il faut peu de chose à le mécontenter, Le prendre au dépouveu, ce seroit tout gaster : Ne vous déclarez point, que je ne vous revoye. PHELONTE. Et quand puis-je, Madame, espérer cette joye ? DAPHNIS. Peut-estre que chez vous j'iray dés aujourd'huy. Séparons-nous ; adieu. PHELONTE.         Vous quitter ! quel ennuy⁎ ! DAPHNIS. Je ne puis vous parler icy, que je ne tremble ; Mon Pere peut venir, & s'il nous trouve ensemble, Quoy que vous luy disiez, il n'écoutera rien. PHELONTE. Mais me priver si-tost d'un si cher entretien, Madame… DAPHNIS *entendant fraper à la Porte.*.         Je l'entens, c'est luy, que deviendray-je ? PHELONTE. Une honneste recherche⁎ a quelque privilege ; Et si je luy dis… DAPHNIS.     Non. Toinon, & viste [240]. TOINON.         Quoy, Peut-on… Comme il redouble ! DAPHNIS.         Et tost, c'est fait de moy. Que dans ce Cabinet ils entrent l'un & l'autre. CRISPIN. Monsieur, nous voila pris. TOINON.         Ma pensée est la vostre ; Coulez-vous là-dedans, & *motus*. L'on y va [241]. CRISPIN *entrant.*. Peste ! il a belle haste. DAPHNIS.         Et la Clef, tire-la. TOINON. Mon Dieu, ne craignez rien. Il heurte avec emphase. ### SCENE V. DAPHNIS, ANASTASE, TOINON. TOINON *apres avoir ouvert la Porte.*. Au Diable l'animal ! DAPHNIS.         Quoy ! Monsieur Anastase, C'est donc vous… ANASTASE *faisant une grande revêrence.*.         Oüy, Madame, excusez si j'ay tort. TOINON. Comme il frape ! ANASTASE.         J'ay crû ne fraper pas trop fort. TOINON. Justement. Il croyoit heurter à son College. ANASTASE. Il est vray qu'on s'y donne un peu de privilege, Et qu'à grand bruit toûjours chaque chose s'y fait. Avec des Ecoliers du repos ! DAPHNIS.         En effet : Mais, Monsieur Anastase, en deux mots, voyons, qu'est-ce ? Que voulez-vous ? ANASTASE.         L'Etude orne bien la Jeunesse, Et j'ay mis, grace au Ciel, vostre Frere en état De soûtenir bientost sa These avec éclat. A present qu'il est Grec, ce sont ses Galleries, Que les Universaux & les Cathégories, Sans certains Argumens sur l'étre de raison [242], Par lesquels… DAPHNIS.     Finissons, si vous le pouvez. TOINON.         Bon : Pensez-vous qu'un Pédant d'un seul mot se contente ? C'est… ANASTASE.         Madame, Toinon est toûjours mordicante⁎, Et son aversion, quoy que sans fondement, Ne m'a jamais traitté qu'antipatiquement : Quand elle auroit puisé dans le sein de la haine, Les dédains corrosifs… TOINON.         Vostre fievre-quartaine [243]: Voyez ce qu'il veut dire avec son corrosif ? Eh parlez-nous Chretien. ANASTASE.         Ah cœur vindicatif ! Elle m'en a voulu, depuis qu'un jour contr'elle… DAPHNIS. Oüy ; mais sçachons vers nous quel sujet vous appelle. ANASTASE. Je viens trouver Monsieur de la part de son Fils, Luy rendre cette Lettre. DAPHNIS.         Il n'est pas au Logis ; Je la rendray pour vous, donnez. ANASTASE *retenant la Lettre.*.         Je vay l'attendre, L'affaire le requiert. Pour vous la faire entendre, Vous sçaurez… TOINON.         On ne veut y prendre aucune part, Délogez ; car Monsieur ne reviendra que tard. ANASTASE. Tard soit, il est besoin que j'en aye audiance. TOINON. Revenez donc tantost⁎. ANASTASE.         Non, j'auray patience, Et n'incommodant pas, j'aime mieux en ce lieu… TOINON. Le Mouchoir⁎ de Madame est de travers ; Adieu, Il faut le rajuster, point de Témoins. ANASTASE.         Diane Fut jadis exposée aux regards d'un Profane ; Ses yeux gasterent-ils les celestes beautez… [244] TOINON. Quoy ! Messieurs du College aiment les nuditez ? Je ne le sçavois pas. ANASTASE.     La Nature… DAPHNIS.         Eh, de grace, Ne moralisez point, & nous quittez la place. ANASTASE. Vous avez droit d'agir impérativement, Je sors, & suis fâché… TOINON.         Trévé de compliment⁎, On vous quitte [245]. DAPHNIS.         Enfin il s'en va, je respire. ### SCENE VI. TOINON, DAPHNIS. TOINON. Qu'un Pédant à souffrir est un cruel martyre ! DAPHNIS. Ne perdons point de temps, de crainte d'avoir pis ; Congédions… ### SCENE VII. DORAME, ANASTASE, DAPHNIS, TOINON. DORAME *à Anastase.*.         J'estois en peine de mon Fils, Comment est-il ? ANASTASE.     Fort bien, Monsieur. DAPHNIS [246].         Toinon, que faire ? TOINON. Ne rien dire, & laisser raisonner vostre Pere. DORAME. Nous ne l'avons point veu depuis huit ou dix jours. ANASTASE. A raciociner⁎ comme il vaque toûjours, Il ne sort point, & c'est pour cela qu'il m'envoye Vous faire humble requeste. DORAME.         Ah j'en ay de la joye. Dequoy donc s'agit-il ? ANASTASE.         D'un accommodement. DORAME. Est-ce qu'il auroit eu querelle ? ANASTASE.         Nullement ; Il a vers la douceur, propension entiere : Mais un sien Camarade agissant par priere, Luy fait sur certain cas prendre son intérest. Cette Lettre, Monsieur, vous dira ce que c'est. DAPHNIS *à Toinon, tandis que Dorame lit bas.*. Je ne sçais où j'en suis, s'il falloit pour écrire Que dans ce Cabinet… TOINON.         Vous mettez tout au pire. Que sert de craindre ? Alors comme alors, on verra, Si l'embarras échoit, comme [247] on s'en tirera. DORAME *apres avoir leu.*. Oüy, Monsieur Anastase, avec plaisir j'espere Venir, sans trop de peine, à bout de cette affaire, Assurez-en mon Fils ; J'aime à voir que son cœur, A de semblables soins, se porte avec ardeur. ANASTASE. Au bien *Pedetentim* [248] toûjours je l'achemine, L'induis aux bonnes mœurs ; & sous ma discipline, Depuis cinq ans entiers, il est à remarquer, Qu'il n'a sçeu ce que c'est que de prévariquer⁎. DORAME. Je suis content de vous, autant qu'on le peut estre. ANASTASE. Monsieur, sans vanité… TOINON *bas.*.         Finira-t-il, le traistre ? ANASTASE. Le Ciel m'a de tout temps concedé le talent, Quand j'ay soin d'un terroir, de le rendre excellent ; Il n'est que d'estre mis d'abord en bonne Ecole ; Car la jeunesse, elle est comme une cire mole… [249] DORAME. C'est fort bien dit, allez, je sçay ce que je doy, Et l'on ne perd jamais ce que l'on fait pour moy. Demain, mon Fils sçaura ce que j'auray pû faire ; Adieu. ### SCENE VIII. TOINON, ANASTASE, DAPHNIS. TOINON *à Daphnis.*.         Bon, nous voila quittes de vostre Pere. ANASTASE *à Daphnis.*. Que m'ordonnerez-vous ? TOINON.         De décamper ; Bon-soir. DAPHNIS. A mon Frere, qu'il est trop longtemps sans me voir. ANASTASE *revenant.*. Quoy qu'il soit, sans vouloir user de privilege, Rigide observateur des Regles du College, Si c'est necessité necessitante… DAPHNIS.         Non, Quand il pourra venir, qu'il vienne. Il sort.         Enfin, Toinon, Nostre Importun… TOINON.         Maudit soit tout Pédant qui jase. ### SCENE IX. DORAME, ANASTASE, DAPHNIS, TOINON. DORAME *revenant.*. J'allois oublier. Ho, Monsieur Anastase. TOINON. Il est déja bien loin, & ne vous entend pas. DORAME. Pas si loin ; je le voy qui revient sur ses pas. ANASTASE. Monsieur. DAPHNIS *bas à Toinon.*.     Le rappeller ! TOINON.         C'est bien une autre histoire. DORAME. J'ay fait, depuis deux jours, achapt d'une Ecritoire, Que vous m'obligerez de porter à mon Fils ; Elle est toute gravée, & d'un travail exquis ; Je vous la vay donner. DAPHNIS.         Ah me voila perduë ! DORAME *ne trouvant point la Clef.*. La Clef du Cabinet, qu'est-elle devenuë ? TOINON. Moy, le dois-je sçavoir ? Elle peut estre en bas, Il faut y voir. DORAME.         Je cherche, & ne la trouve pas ; Je l'ay tantost⁎ laissée à la Porte. DAPHNIS.         Peut-estre Toinon en balayant… DORAME.         Tout sur le dos du Maistre. Les Valets sont bien nez pour nous faire enrager ! Qu'ils perdent, brisent tout… TOINON.         Le dégast est léger : Hé bien, c'est une Clef, voyez la grande perte ! DORAME. Mais si du Cabinet la Porte n'est ouverte ? L'Ecritoire est dedans. TOINON.         Le beau sujet d'ennuy⁎ ! Vous l'envoyrez demain, si ce n'est aujourd'huy. DORAME. Oyez-la raisonner. ANASTASE.         Comme je suis tout vostre, Demain, puis que la Clef… DORAME.         J'en ay là-haut une autre, Je m'en vay la chercher. DAPHNIS *bas à Toinon.*.         Fay ce que tu pourras ; Quant à moy je me sauve, & ne l'attendray pas. TOINON. Eh que pourray-je faire ? [250] Elle sort, & me laisse. ### SCENE X. ANASTASE, TOINON. ANASTASE. Donc, Madame Toinon sera toûjours tygresse, Et rien n'adoucira son naturel felon⁎ ? TOINON *à Anastase.*. Montez viste, Monsieur vous appelle. ANASTASE.         Moy ? Non, Il ne m'appelle point. TOINON.         Vous estes sourd, je pense. ANASTASE. Ma faculté d'oüir n'est point en défaillance ; Et si quelque douceur de vostre chere voix… TOINON *rêpondant comme si on l'appelloit.*. Tout-à-l'heure [251]. Avez-vous entendu cette fois ? ANASTASE. Rien moins. TOINON.         Il vous attend ; montez là-haut, vous dis-je. ANASTASE. O trop fier rejetton d'une sauvage tige [252] ! Par quelle dureté m'envier⁎ le trésor De l'heureux teste-à-teste ? Helas ! qu'au poids de l'or Je voudrois mille fois… TOINON.         Peste de la pécore⁎ ! ### SCENE XI. DORAME, ANASTASE, TOINON. DORAME. Voicy mon autre Clef, qu'on me la perde encore. TOINON *bas.*. Tout va se découvrir. DORAME *ouvrant la porte.*.         Si… Mais que vois-je là ? Crispin au dedans chante, Fa re mi fa, fa sol fa mi, fa re fa, sol fa re mi fa, bis. & ils sortent en continuant. ### SCENE XII. DORAME, ANASTASE, PHELONTE, CRISPIN, TOINON. CRISPIN *en sortant, à Phélonte, qui tient un papier.*. Suivez bien vostre Mode [253], allons, par *E mi la*.         *Le mesme, Fa re mi fa, fa sol fa mi, fa re fa, sol fa re mi fa.* bis. DORAME *à Toinon.*. Que veut dire cecy ? répons. TOINON.         Quelle demande ! DORAME. Deux Hommes ! TOINON.         La surprise en doit estre bien grande ; Est-ce une nouveauté que deux Hommes ? CRISPIN *à Phélonte.*.         *La, la*, à Dor. Monsieur, vous voulez bien nous pardonner cela. DORAME. Ne sçachant… PHELONTE *à Dorame.*.         Excusez, si j'ose avec franchise⁎, Prendre une liberté que Monsieur autorise : Comme il a commencé, c'est à luy jusqu'au bout, A vous… CRISPIN [254].         Les Gens d'honneur sont bien venus par tout, Et Monsieur, qui sçait vivre, est Homme raisonnable, Il excuse aisément… PHELONTE *à Dorame.*.         En rencontre⁎ semblable, Vous… CRISPIN.         Monsieur est tout cœur pour les honnestes Gens : L'heure me presse un peu, ne perdons point de temps. DORAME *à part.*. Deux Hommes enfermez ; point de clef ; Patience, Nous éclaircirons tout. CRISPIN *à Phélonte.*.     Chantez donc. PHELONTE.         Je commence. CRISPIN. Je l'ay fort bien noté : Là, marquez bien ce *fa*, Fa, fa. DORAME [255].         Me raille-t-on ? quel Prélude est-ce là ? Il faut voir jusqu'au bout. ANASTASE.         La Musique est touchante. DORAME *faisant signe du doigt.*. Toinon… TOINON.         Hé bien, est-il défendu qu'on ne chante ? CRISPIN. Sol, sol. A Dor.     Nous aurons fait dans un moment. PHELONTE.         *Fa, mi*… CRISPIN. Hardiment ; A quoy bon entonner à demy ? PHELONTE* chante, & Crispin bat la mesure.*. L'Amour cause trop de peine, Je ne veux plus m'engager ; Un Amant souffre la gesne⁎, Quand l'Objet⁎ vient à changer. L'Amour cause trop de peine, Je ne veux plus m'engager. CRISPIN, *apres que Phêlonte a chanté, se retourne*. devers Dorame, battant la mesure. *Fa re mi fa, fa sol fa mi, fa re fa, sol fa re mi fa.* bis. La Basse continuë, oyez. DORAME.         Je vous entens. CRISPIN *à Phélonte.*. Allons, encore un coup, marquez moy bien vos temps. PHELONTE chante, L'Amour cause trop, &c. CRISPIN *se retourne encore à Dorame, apres la fin du Couplet.*. Le mesme, Fa re mi fa, &c. C'est un petit Rondeau. DORAME.         Rondeau soit ; mais de grace… CRISPIN. N'estes-vous pas, sur tout, charmé de cette Basse ? Fa re mi fa, fa sol fa me, &c. DORAME. Mais, Monsieur… CRISPIN. Fa re mi fa, &c. bas à Phélonte.     Sortons. Phélonte sort allant apres eux. DORAME.     Mais… CRISPIN *revenant.*. Fa re mi fa, &c. DORAME.         Laissez ce *re mi fa*, Et m'apprenez, Monsieur, ce que vous faisiez là ? CRISPIN. Eh, j'y notois ce… *fa re mi fa, fa sol fa mi, &c.* TOINON *à part.*.         Bon : Il se tire d'affaire. DORAME. Mais pourquoy… CRISPIN. fa re mi fa, fa sol fa mi, &c. DORAME.         Ce *re fa* commence à me déplaire : D'où vient que ce Monsieur… CRISPIN *battant toûjours la mesure.*. Fa re mi fa, &c. Il sort en chantant, Fa re mi fa, fa sol fa mi. DORAME *à Toinon.*.         Que veut dire cecy ? ### SCENE XIII. DORAME, ANASTASE, TOINON. TOINON *riotant⁎.*. Ces Messieurs enfermez, vous mettent en soucy. DORAME. A te voir, tout cela ne t'inquiéte guére. TOINON. Ma foy, non. DORAME.     Non, ta foy. TOINON.         Voyez la grande affaire ! C'est peut-estre un Galant qui m'en veut [256], que sçait-on ? DORAME. La Coquine ! ANASTASE.     Monsieur… TOINON.         La, prenez vostre ton, Grondez jusqu'à demain. ANASTASE.         L'ire qui vous embraze, Va sans doute trop loin, car… DORAME.         Monsieur Anastase, Avecque vos Pédans meslez-vous, s'il vous plaist, D'un Argument en forme, il sçavent ce que c'est. ANASTASE. L'allucination, dans cette conjoncture, Vous oste les clartez d'une telle avanture ; C'est pourquoy vous devez penétrer⁎ à loisir. DORAME. D'accord. ANASTASE.         L'Homme prudent doit se faire un plaisir, De connoistre le vray. DORAME.         Vous plaist-il de vous taire ? ANASTASE. Oh volontiers. D'ailleurs ce n'est pas mon affaire. DORAME. Quoy ? ANASTASE.     Rien. Mais un conseil… DORAME *en colere.*.         Encor ? Eh taisez-vous. ANASTASE *à Dorame.*. Je me tairay. DORAME.     Fort-bien. à Toinon.         Cà, parlons entre nous. ANASTASE. Le silence est pourtant le propre de la Beste. DORAME. Hem ? ANASTASE.         A vous contenter, je sens que je m'apreste : Parlez. Je me tais. DORAME.     Hom… TOINON [257].         Il grille dans sa peau. DORAME *à Toinon.*. Que faisoient là ces Gens ? TOINON.         Il notoient ce Rondeau, Et c'est un pur hazard qui vous doit peu surprendre. Vostre Fille, Monsieur, ayant dessein d'apprendre, Ce Maistre entroit icy pour luy faire leçon ; Mais en entrant, il a prié qu'on trouvast bon, Qu'il pût à ce Monsieur, en ce Logis, écrire Ce Rondeau que, dit-il, chacun partout desire ; Et nous a fort pressé de luy faire apporter Du papier & de l'encre, afin de le noter. Moy, dans ce Cabinet sçachant une Ecritoire, Je les ay fait entrer, voila toute l'histoire : Les refuser, c'estoit une incivilité. DORAME. Il pouvoit estre ailleurs tout aussy bien noté. TOINON. Il est vray, mais… DORAME.         Il entre en cecy du mystere. TOINON. Comment ? DORAME.         Quand on ne fait que ce que l'on doit faire, On n'oste point la Clef d'une Porte, Toinon ; Il y va là du vostre. TOINON.         Et qui vous dit que non ? Oüy, j'ay fermé la Porte, & pris la Clef. DORAME.         La Gueuse ! Pourquoy donc, s'il vous plaist ? TOINON.         Pour vostre humeur⁎ grondeuse : Tout vous choque, & pour rien vous entrez en courroux ; Une Mouche à tout autre, est Eléphant pour vous Et quand vous vous mettez dessus la gronderie, C'en est pour quinze jours. DORAME *se fâchant.*.         Voyez l'effronterie ! Ce n'est rien d'enfermer deux Hommes sans façon [258] ? TOINON. Le grand crime que c'est, d'écrire une Chanson ! DORAME. Pour écrire, on n'a point sur soy la Porte close. TOINON. Vous mériteriez bien que ce fut [259] autre chose. ANASTASE. Monsieur, la tempérence est entre les Vertus… DORAME. Tempérez vostre langue, & ne me parlez plus. ANASTASE. Monsieur, la fâcherie est à craindre à vostre âge, Et peut causer en vous un notable dommage : Je dois, par mes avis, tâcher à vous guérir… DORAME. Je veux me fâcher, moy. ANASTASE.         Vous en pourriez mourir, Et l'on m'accuseroit d'estre cause seconde [260] De ce cruel malheur. DORAME.         Que le Ciel te confonde ! ANASTASE. Je ne souffriray point que vous vous fâchiez, non. DORAME. Eh Monsieur Anastase… TOINON.         Il a grande raison, La colere aux Vieillards est chose trop funeste. ANASTASE. De la bile enflâmée il reste certain reste, Dont la vapeur⁎ maligne attaquant leur cerveau, Le corrompt & le gaste, & les mene au tombeau. TOINON. Ecoutez ce qu'il dit, &… DORAME.         Voudrois-tu te taire ? TOINON. Oüy, Monsieur. DORAME *à Anastase.*.     Vous… TOINON.         La mort suit de pres la colere, Car Monsieur Anastase en donne la raison. ANASTASE. Elle est fort dangereuse en la vieille saison, Dorame ouvre la bouche. Dit Hipocrate ; c'est de l'Homme l'ennemie, Elle produit en luy cette cacochimie⁎, Nuisible à la santé. DORAME.         Je brûle de courroux. ANASTASE. Oh j'empescheray bien, moy, restant pres de vous, Que vous ne vous fâchiez. TOINON.     C'est bien fait. DORAME.         Que la Peste Etoufe l'un & l'autre. ANASTASE.     Eh Monsieur… DORAME.         Je déteste [261] : Eh taisez-vous tous deux, & me laissez parler. ANASTASE. Quand cette humeur⁎ en nous vient la rate opiler⁎, L'hypocondre⁎ est alors… le poursuivant. DORAME.         Quoy, sans cesse ? Ah j'enrage. ANASTASE. Eh Monsieur… TOINON *de mesme.*.     Eh Monsieur… DORAME.     Coquine… ANASTASE.         L'Homme sage… DORAME. Homme fou, vous plaist-il me laisser en repos ? ANASTASE. En ce fâcheux état, il n'est pas à propos… DORAME. Oh pour moy je te laisse [262]. TOINON.         Il a fermé la Porte, Allez-vous en, adieu. ANASTASE.         Non, j'attendray qu'il sorte. Toinon s'en va, faisant un signe de la teste. DORAME *revenant.*. Voila cette Ecritoire. ANASTASE.     Eh Monsieur… DORAME *le poussant.*.         Eh Bourreau, Laisse-moy, sors. ANASTASE *s'en allant.*.         Craignez un transport⁎ au cerveau. < Fin du Quatriéme Acte. > On retire la Ferme, & les six Laquais paroissent qui joüent comme aux autres Actes, & se retirent par les deux costez du fonds. Ce cinquiéme Acte se passe dans l'Antichambre de Phêlonte. ## ACTE V. ### SCENE PREMIERE. CRISPIN *en sortant* [263]. Fa re mi fa, fa sol fa mi, &c. Hem ? PHELONTE.     Que Crispin est fou ! CRISPIN.         Mais peut-on ne pas rire, fa re mi, &c. En songeant à… Je crois que vostre cœur soûpire. PHELONTE. Cette Dame est, Crispin, dans un grand embarras ! CRISPIN. Elle s'en tirera, ne vous chagrinez⁎ pas. A propos, tous vos Gens sont là-haut qui repétent. PHELONTE. Pour chanter avec eux, trop de soins⁎ m'inquiétent ; Et quoy que la Musique ait de charmes⁎ pour moy, Elle adouciroit peu le trouble où je me voy. J'ay veu Daphnis, Crispin ; qu'elle est aimable & belle ! CRISPIN. Quoy ! tout-de-bon, Monsieur, vous en tenez⁎ pour elle, Et des langueurs d'amour, vous l'ennemy juré, Converty tout-à-coup, vous auriez abjuré ? PHELONTE. Oüy, Crispin, ç'en est fait, par je ne sçay quel charme⁎, De toute ma fierté sa beauté me desarme ; Je m'y rends, & je trouve en tout ce qu'elle dit, Un agrément flateur, un tour aisé d'esprit, Qui m'enleve à moy-mesme, & me fait trop connoistre Qu'il est des nœuds secrets dont on n'est pas le maistre ; Son absence me tüe, & loin de ses beaux yeux, Point de repos pour moy, tout me déplaist. CRISPIN.         Tant-mieux. Car à vous parler franc, quoy qu'aupres de la Belle Vous vous soyez dépeint l'Amant⁎ le plus fidelle, Comme je vous connois sujet à caution, Je doutois que ce fut à bonne intention ; Mais enfin vostre cœur suit la route des nostres, Et vous estes pris, vous, qui vous moquiez des autres. PHELONTE. Il faut te l'avoüer, ce changement est grand ; A voir ce que je fus, moy-mesme il me surprend ; Mais j'ay beau raisonner, l'Amour parle, il m'attire, Et je me sens forcé de suivre son empire. CRISPIN. Dame, il est attirant plus que vous ne pensiez, Et ces coups de Baston dont vous me menaciez, Il m'en devoit couster tout au moins une coste ? Si j'aime, hé bien, Monsieur, voyez, est-ce ma faute ? PHELONTE. J'eus tort, de mon erreur enfin tu viens à bout. CRISPIN. L'Amour est un Oyseau qui se niche partout, Et souvent ce n'est pas, quoy qu'il aime à le taire, En Auberge d'éclat qu'il fait meilleure chere. Chacun se sent, Monsieur, selon ses facultez. PHELONTE. Ah Crispin, que Daphnis fait briller de beautez ! Je ne sçay si pour voir mon ame assujettie, Le Destin contre moy se met de la partie : Mais rien ne me paroist égaler ses attraits, Et je sens dans mon cœur ce qui n'y fut jamais. M'aimes-tu ? CRISPIN.     Moy, Monsieur ? PHELONTE.         Il s'agit de me rendre Un service qui passe… CRISPIN.         Et par où m'en défendre ? Je suis vostre Valet, et Valet tres-acquis ; Et Daphnis, dont enfin les yeux vous ont conquis, Se trouve d'abondant [264], par un bonheur extréme, Maistresse de Toinon, & c'est Toinon que j'aime. PHELONTE. Toinon ! Agis, Crispin, tu travailles pour toy. CRISPIN. Oüy, dites-vous, mais… PHELONTE.         Va, que Daphnis soit à moy, J'obtiendray de Toinon, puis qu'elle t'est si chere… CRISPIN. Voyons à cela pres, qu'est-ce ? que faut-il faire ? PHELONTE. Porter à ce que j'aime [265] un Billet de ma part, Luy demander pour moy… CRISPIN.         C'est bien dit ; au hazard, Que le Vieillard mutin⁎ à m'étriller s'aplique. PHELONTE. S'il te voit de nouveau, tu parleras Musique. CRISPIN. Oüy ; mais s'il s'avisoit, comme il est violent, De me faire chanter sur quelque ton dolent, Il connoist d'autres Clefs que *B mol* & *B quarre* [266]. PHELONTE. Quand on est amoureux, à tout on se prépare : Ah Crispin, quand on aime, & qu'on aime ardemment, Donne-t-on comme toy sur le raisonnement ?1510 Pouvant revoir Toinon, tu crains… CRISPIN.         Quel Docteur ! diantre ! Aux Gens, en dépit d'eux, il met le cœur au ventre : Mais comme la crainte est malseante aux Amans⁎, Vous-mesme vous pourriez faire vos complimens⁎, Ils seroient mieux de vous. PHELONTE.         Si je suis veu de Pere, J'embarasse Daphnis, je ruine [267] l'affaire. CRISPIN. Ecrivez, je voy bien qu'au péril de mon dos Il faut marcher. ### SCENE II. FANCHON, PHELONTE, CRISPIN. FANCHON *en entrant.*.         Quoy donc, icy dans le repos ? Et ne sçavez-vous pas, que depuis plus d'une heure Mélante est au Jardin ? CRISPIN.         Hé bien, qu'il y demeure, Nous sommes en affaire, & qui presse. PHELONTE.         Dy-moy, Est-il seul ? FANCHON.     Une Dame est avec luy. CRISPIN.         Je croy Qu'un tiers ne leur est pas tout-à-fait nécessaire. FANCHON. J'ay fait ce que pour eux vous m'aviez dit de faire, Et je les ay reçeus de mon mieux. PHELONTE.         A-t-on dit Que je suis rentré ? FANCHON.     Non. PHELONTE.         Qu'on les laisse, il suffit : J'entre en mon Cabinet un moment pour écrire ; J'iray les voir apres. FANCHON.         Il faut encor vous dire, Que là-haut vostre Maistre, accompagné du mien, Sur quelques Airs nouveaux ont un grand entretien, Et veulent sur ces Airs sçavoir vostre pensée. PHELONTE *s'en allant.*. Qu'ils attendent. ### SCENE III. CRISPIN, FANCHON. FANCHON.         Crispin, quelle affaire pressée Pourroit avoir Monsieur ? dis. CRISPIN.         Vois-tu bien, il a Ce qui vient par icy d'ordinaire, & va là [268] ; Un mal aussy malin… FANCHON.         Et quel mal, je te prie ? CRISPIN. C'est un mal qui jamais n'entendist raillerie, Qui cuit & qui chatoüille, & qui sçeut de tout temps Donner à corps perdu sur les honnestes Gens : En un mot mon Maistre est, puis qu'il te faut tout dire, Mon Confrere en amour. FANCHON.         Quoy, Phelonte soûpire, Il seroit amoureux ! CRISPIN.         Il en tient d'aujourd'huy. FANCHON. Je ne m'étonnois pas de te voir fou, mais luy ! CRISPIN. Aimer est donc folie ? FANCHON.         Et de la plus à craindre. Le beau ragoust⁎ d'avoir à gémir, à se plaindre ! Vivons, rions, chantons, & point d'amour. CRISPIN.         Fort-bien, Il faut t'entendre, avec ta Musique de Chien. FANCHON. Je suis… CRISPIN.         Tout-franc, depuis que tu t'es mis en teste *Ut re mi fa sol la*, tu n'es plus qu'une Beste⁎. FANCHON. Mais toy, qui fais le sot, je te trouve fort bon ; C'est bien à toy d'aimer ? un Pié-plat⁎ ! CRISPIN.         Pourquoy non ? Lors que de s'en mesler, le Diable a la malice, Puis-je empescher qu'en moy Nature ne pâtisse ? FANCHON. Que ne suis-je ton Maistre, afin de t'empescher ? CRISPIN. Toy ? bon. FANCHON.         Sur le bon pied je te ferois marcher, Je t'aprendrois… CRISPIN.         Va-t-en aupres de ta Malade, Ta voix la peut guerir, elle a besoin d'aubade. FANCHON. C'est à dire qu'il faut que ta folie ait cours, Et que tu veux, sans moy, resver à tes amours. CRISPIN. Ce n'est pas ton affaire, adieu. FANCHON.         Tu te courouces, Bon-soir. CRISPIN *seul apres avoir resvé.*.         Amour, amour, quelles rudes secousses ! Laisse quelque moment mon cœur en repos. Non, Tu veux qu'il aille & vienne. Ah Toinon ! ah Toinon ! ### SCENE IV. CRISPIN, TOINON, DAPHNIS. TOINON *entrant.*. Hé bien, que luy veux-tu ? voicy Toinon. CRISPIN *la caressant⁎.*.         Friponne ! Tu vois comme sans cesse avec toy je raisonne⁎. TOINON. Tout-doux, tu ne vois pas ma Maistresse ? DAPHNIS.         Crispin, Que fait ton Maistre ? CRISPIN.         Il est possedé d'un Lutin, Qui dans son Cabinet broüille fort sa cervelle. DAPHNIS. Est-il seul ? CRISPIN.         S'il est seul ? Non, avec une Belle. DAPHNIS. Une Belle ! CRISPIN.     Oüy, qu'il aime, & tendrement. DAPHNIS.         Ah Dieux ! Viens, Toinon. CRISPIN *l'arrestant.*.         Sans courroux, le plus-tard vaut le mieux. DAPHNIS. Tu m'arrestes en vain. CRISPIN.         Eh mon Dieu, patience ; Estre avec une Belle… DAPHNIS.         Ah c'est une impudence Qui doit le diffamer… CRISPIN.         Pas tant que vous croyez ; C'est avec vous qu'il est, il vous écrit. TOINON.         Voyez, Il estoit bien besoin de nous donner l'allarme ? DAPHNIS. Quoy, Crispin, tu me dis… CRISPIN.         Que vous estes son charme⁎, Et que mettant sa joye à vous le protester⁎, Il écrit un Billet que j'allois vous porter ; Mais je cours l'avertir… DAPHNIS.         Non, je le veux attendre, Nous verrons de quel air il aura sçeu s'y prendre, Si l'amour… Mais, Crispin, ne m'abuses-tu point ? CRISPIN. Non, je me donne au Diable, il vous aime à tel point, Qu'au besoin, pour vous mieux soûmettre sa fortune [269], Il vous épouseroit quinze fois au lieu d'une. TOINON. Va, Crispin, c'est assez d'épouser une fois, Encor en est-il bien qui s'en mordent les doigts ; L'Hymen est une Cage, où tout Oyseau qui chante… CRISPIN. Madame, avec mon Maistre, aura l'ame contente, C'est pour elle un coup seûr ; Quand un Coquet⁎ fieffé, D'amour, de bonne sorte, une fois s'est coëffé, Cela tient comme glu. DAPHNIS.         Si-bien donc, qu'à ton conte, Je ne dois plus douter d'avoir touché Phélonte ? CRISPIN. Vous faites de son cœur l'unique passion ; J'en répons, s'il le faut. TOINON.         La bonne Caution ! CRISPIN. Oüy, bonne, & je voudrois en avoir une telle, Qui m'asseurast de toy. TOINON.         Je te suis si fidelle ! Que crains-tu ? CRISPIN.         Que venant à parler tout de bon, Au lieu de dire oüy, tu n'ailles dire non. DAPHNIS. Phélonte y pourra tout, s'il a de la constance ; S'il m'épouse, Toinon sera ta récompense, Je t'en donne parole. CRISPIN.     Et toy ? TOINON.         Ne sçais-tu pas Qu'une Servante suit sa Maistresse à grands pas ? Ainsi le tout dépend de bien servir sa flame. ### SCENE V. PHELONTE, DAPHNIS, CRISPIN, TOINON. PHELONTE *sortant.*. Tien, Crispin, va porter promptement… Ah Madame, Vous icy ! quel bonheur pouvoit m'estre plus cher ? DAPHNIS. Voyons donc ce Billet. PHELONTE.         Il vous alloit chercher : Mais, Madame, à quoy bon perdre du temps à lire, Ce qu'on ne peut jamais que foiblement écrire ? Je vous aime, & mon cœur qui paroist dans mes yeux, Quand ma bouche le dit, vous le dit encor mieux ; Tout nourrit, tout accroist cette ardeur impréveuë Qui m'a fait estre à vous dés que je vous ay veuë ; Je vous revois, Madame, & mes vœux satisfaits… DAPHNIS. J'aurois lieu de rougir, à voir ce que je fais : Venir jusques chez vous, c'est offencer ma gloire⁎, Mais vostre amour l'emporte, & je l'ay voulu croire ; Vous le peignez sincére, & s'il l'est en effet, Quoy que j'ose pour vous, je n'auray pas trop fait. Ainsy vous estes seûr d'estre écouté, de plaire ; Mon cœur sera pour vous, mais je dépens d'un Pere, Et c'est à vous à voir, si vous pourrez souffrir Les fâcheux contretemps qui se pourront offrir : Jamais il ne veut rien de ce qu'on luy propose, Quel qu'en soit l'avantage, il resiste, il s'oppose ; Mais sur le point d'honneur il est fort délicat, Et s'il voit que vos feux s'obstinent à l'éclat, Comme il craint les sots bruits, pour s'en sauver, j'espere Qu'il croira nostre Hymen un party nécessaire. Voila ce qui m'amene, il faut déliberer… PHELONTE. Madame, c'est assez que je puisse espérer ; Cet obstacle d'un Pere est de peu d'importance, S'il peut estre levé par ma perseverance : Mais ne vous ay-je point attiré son courroux ? Qu'a-t-il dit de m'avoir trouvé tantost⁎ chez vous ? DAPHNIS. Il n'a pas fait paroistre encor qu'il me soupçonne ; Mais pour Toinon… TOINON.         Je sçay qu'il me la garde bonne [270] ; L'orage crevera, mais ma foy je l'attens : Voyez le vieux resveur ! il a passé son temps, Et ne s'informe pas, quand une Fille a l'âge, Si les jours qu'elle perd… DAPHNIS.         Toinon n'est guere sage. TOINON. Mon Dieu, Toinon vaut trop, n'en dites que du bien, Elle a gagné le cœur d'un grand Musicien ; C'est là de son mérite une preuve autentique, Crispin. CRISPIN.         Ne railles point, honneur à ma Musique ; Sans le Rondeau noté, nous estions pris sans vert [271]. PHELONTE. Tout-à-propos pour moy le Rondeau s'est offert, Mais c'est à Crispin seul qu'on doit le stratagéme : Toinon, ce trait d'esprit mérite assez qu'on l'aime, Qu'en dis-tu ? TOINON.         Moy ? Je dis que le cœur m'en diroit ; Mais j'ay martel en teste, & toute autre l'auroit : La Servante d'icy me semble un peu trop belle ; En entrant j'ay veu… CRISPIN.     Quoy ? Fanchon ? PHELONTE.         Ne crains rien d'elle ; Comme elle a de la voix, elle en est folle au point, De renoncer à tout, pour ne la perdre point : Ainsy rien ne la peut résoudre au Mariage, Les Enfans luy romproient l'estomach⁎. TOINON.         Quel dommage ! Ne plus chanter ! Pour moy, j'aimerois mieux cent fois Avoir un bon Mary, que la plus belle voix ; Car, pour vivre en repos, chanter ne sert de guére, Et je tiens qu'un Epoux est chose necessaire. PHELONTE. Toinon a le goust bon. TOINON *appercevant Dorame.*.         Pas trop méchant⁎ : mais Dieux ! DAPHNIS. C'est mon Pere ! CRISPIN *à Daphnis.*.         Vers luy ne tournez point les yeux. PHELONTE *bas.*. Ah Crispin ! DAPHNIS *à Crispin.*.     Quel malheur ! CRISPIN *à Daphnis, apres un peu de silence.*.         Secondez mon adresse. ### SCENE VI. PHELONTE, DORAME, DAPHNIS, CRISPIN, TOINON. DORAME. Que vois-je icy ? Ma Fille ! CRISPIN *à Daphnis.*.         Un peu de hardiesse ; Le ton n'est pas trop haut, croyez-moy, *Sol mi fa*. Je connois vostre voix, elle ira jusques là. DORAME [272]. Ma Fille en ce Logis ! CRISPIN *à Phélonte.*.         Ah Monsieur, quelle peine… PHELONTE. Monsieur, vous voir icy ! quel sujet vous amene ? DORAME. C'est Phélonte : Est-ce vous ? PHELONTE.     Oüy. DORAME.         Je veux vous parler : Mais je voudrois en vain vous le dissimuler ; Voir ma Fille chez vous, trouble si fort mon ame… CRISPIN. Le mal n'est pas bien grand. DORAME.         Il n'est pas grand ? L'infame ! PHELONTE. Eh Monsieur… CRISPIN.         Vostre Fille est chez moy, s'il vous plaist. DORAME. Comment, chez vous ! CRISPIN.         Sçachez la chose comme elle est. Quoy qu'en son nom Monsieur ait la Maison entiere, Il n'a que le devant, j'occupe le derriere ; Nous vivons l'un pour l'autre assez commodement : Mais cependant, cecy c'est mon Apartement⁎, J'y fais pour mes Amis Concert chaque semaine ; Madame a sçeu le jour, voila ce qui l'ameine. DAPHNIS. Mon Pere, pardonnez, si pour oüir chanter… CRISPIN. Attendant le Concert que je fais apprester, Je luy voulois apprendre un petit Air. DORAME.         De grace, Laissez vos petits Airs. CRISPIN.         Il est Dessus & Basse, Joly : Si vous voulez… DORAME.         Je n'ay rien à vouloir. CRISPIN. On court de toutes parts apres moy pour l'avoir. DORAME. Depuis les *Opera*, la rage de Musique S'est mise dans Paris, tout le monde s'en pique⁎, Je le sçay : mais ma Fille apprendra, s'il vous plaist, A chanter toute seule, ou point. TOINON.         Quel meurtre c'est ! Mais peut-on bien chanter, sans sçavoir la mesure ? DORAME. Coquine. TOINON.         Luy laisser perdre la voix ! J'en jure, Si j'estois en sa place, il ne seroit pas dit Que j'aurois de la voix pour rien. DORAME.         Il me suffit, C'est toy… TOINON.         Pour bien chanter, il faut de la pratique. DORAME. J'auray soin… TOINON.         Malgré vous, j'apprendrois la Musique. DORAME. Tay-toi ; si… TOINON.         Le grand mal, que d'oüir concerter⁎ ! DORAME. Oüy, si grand, que… CRISPIN.         Monsieur, c'est trop vous emporter ; Nous sommes Gens publics [273], chez qui chacun, sans honte, Vient comme bon luy semble. DORAME.         Et ce n'est pas mon compte ; C'est par là justement qu'une Fille se perd ; Il est tant de Concerts qui se font de concert. CRISPIN. Je suis tendre à l'honneur, & c'est me faire injure. DORAME. Comment vous nomme-t-on ? CRISPIN.         Mon nom est… La Verdure [274]. DORAME. La Verdure ! CRISPIN.     Oüy, Monsieur. DORAME.         Pour un Musicien, Ce nom, à mon avis, ne convient pas trop bien. CRISPIN. Celuy de ma Famille est, de la Garaniere, Nom que j'avois d'abord assez mis en lumiere : Mais comme tous mes Airs, du premier au dernier, Ont un je-ne-sçay-quoy de gay, de printannier, Que je les rends toûjours fleuris outre-mesure, On m'a par excellence appellé La Verdure [275]. DORAME. Le Fourbe ! Mais il faut le pousser jusqu'au bout [276]. Cà, puis que tous vos Airs sont si fleuris par tout, Entendons ce Concert. CRISPIN.     Grand honneur. DAPHNIS.         Ah je tremble ! [277] CRISPIN. Mes Chanteurs sont là-haut, qui repétent ensemble, Je vay les amener. Il va parler à l'oreille de Phélonte. DAPHNIS *à Toinon.*.         Se pourroit-il qu'il pût… TOINON. Quand on a de l'adresse, on sort de tout ; mais chut. PHELONTE *apres que Crispin est sorty.*. Tandis qu'on se prépare au Concert, puis-je apprendre Quel service je dois m'apprester à vous rendre ? Quoy que ce soit, Monsieur, commandez, j'obeïs. DORAME. Voudrez-vous accorder une grace à mon Fils ? PHELONTE. Tout. Mais pourquoy chez vous avoir voulu me taire, Ce que pour vous servir, il s'agissoit de faire ? DORAME. Quand chez moy, par hazard, tantost⁎ je vous ay veu, Vostre visage encor ne m'estoit pas connu ; Vostre nom me l'estoit ; c'est tout ce qu'à mon âge Je sçay des jeunes Gens. PHELONTE.         Ce m'est un avantage, Que ma Famille au moins vous soit connüe assez, Pour ne… DORAME.         Je la connois mieux que vous ne pensez : Vous avez un Cadet Philosophe en Navarre. PHELONTE. Oüy, remply de caprice, & d'humeur fort bizarre⁎. DORAME. Il vous a chagriné ; mais par son repentir, A luy pardonner tout vous devez consentir ; C'est la grace, par moy, que mon Fils vous demande. PHELONTE [278]. La partie est trop forte, il faut que je me rende. DORAME. Il est son Camarade, & ce qu'il m'en écrit… PHELONTE. Vous le voulez, Monsieur, & cela me suffit. Cependant, à mon tour, oserois-je prétendre… DORAME *appercevant Crispin.*. Ecoutons le Concert, j'ay promis de l'entendre. ### SCENE VII. DORAME, PHELONTE, DAPHNIS, CRISPIN, TOINON. CRISPIN *aux Musiciens* [279]*, aux Violons, & à Fanchon.*. Monsieur a le goust fin, de vostre mieux allons, *Fa sol.* Prenez le ton avec les Violons. Tout le monde est-il prest ? TOINON *à Daphnis.*.         Monsieur de la Verdure Fait merveilles. CRISPIN.         Sur tout, suivez bien la mesure. LES VIOLONS *préludent, & Crispin dit, Fa, sol, re, mi, la, sol, fa, &c. En suite on chante ce qui suit : Crispin bat la mesure, & Phêlonte accompagne du Clavessin.*. On chante. *Tu viens peindre nos Prez des plus vives couleurs*, Printemps, tu ramenes les Fleurs, Chacun en a l'ame ravie⁎ : *Mais qu'ay-je affaire helas ! de tout ce que je voy ?* Tu ne ramenes point Silvie, Ainsy tu ne fais rien pour moy. PHELONTE *à Dorame.*. Qu'en dites-vous, Monsieur ? DORAME.         Si je puis m'y connaistre, Les Ecoliers sont bons ; Je ne dis rien du Maistre. CRISPIN *Fa re fa sol, &c.*. On chante encore. Ce verd de qui l'éclat brille sur nos Costeaux, Le doux ramage des Oyseaux, *Tout rit, tout au plaisir convie* : Mais mon amour helas ! m'impose une autre loy ; Et quand je ne voy point Silvie, Il n'est point de plaisir pour moy. CRISPIN *à Dorame.*. Estes-vous content ? DORAME.     Oüy. CRISPIN.     Cet Air ?… DORAME.         Il est fort beau. CRISPIN. Vous plairoit-il encor, ce Menüet Rondeau ? Avec les Violons il est incomparable. DORAME. Volontiers. TOINON *à Daphnis.*.     Il prend goust… DAPHNIS.         Crispin est admirable. CRISPIN *avec le Prélude des Violons.*. Fa, fa, sol, fa, &c. On chante. L'Amour cause trop de peine, Je ne veux plus m'engager ; *Un Amant souffre la gesne⁎*, Quand l'Objet⁎ vient à changer. L'Amour cause trop de peine, Je ne veux plus m'engager. La Basse seule. Bacchus est le seul remede Qui peut guerir de l'amour : Quand son ardeur me possede, Je vay luy faire ma Cour. Bacchus est le seul remede Qui peut guerir de l'amour. CRISPIN. Mes Airs ont le bon tour. DORAME.         Je vous l'ay déja dit, Ils sont fort beaux. CRISPIN.         Ce sont éternûmens d'esprit ; J'ay pour les composer, une certaine aisance… Messieurs, du mouvement marquons bien la cadance ; Allons, encore un coup ce Couplet de Bacchus, Et que tous à la fois on fasse un grand *Chorus.* Tous ensemble le dernier Couplet. ### SCENE DERNIERE. DORAME, PHELONTE, MELANTE, DAPHNIS, LISE, TOINON, FANCHON, CRISPIN. MELANTE *tenant Lise.*. Nous venons prendre part au Concert. CRISPIN *à Dorame.*.         Le beau Monde Vient chez moy librement. LISE *appercevant Dorame.*.         Ma peine est sans seconde [280]. CRISPIN *à Mélante, sans regarder Lise.*. Voyez, point de scrupule. DAPHNIS *à Toinon.*.         Ah Toinon, qu'est-ce-cy ? DORAME *à part.*. C'est ma Fille. LISE.         Mon Pere & ma Sœur sont icy. DORAME. Le Concert est charmant, je l'avouë. LISE [281].         Ah mon Pere ! PHELONTE *à Crispin.*. Son Pere ! CRISPIN.     C'est bien pis. LISE.         J'ay failly ; mais j'espere… DORAME. Quoy… TOINON.         Voila ce que c'est que se faire prier : Quand une Fille a l'âge, il faut la marier, Je vous l'ay dit cent fois. DORAME.         Ecoutez l'insolente ! MELANTE. Monsieur, il ne faut point… DORAME.         Hé bien, qu'est-ce, Melante ? Vous veniez au Concert, ç'en est icy le jour. MELANTE. Non, en vain je voudrois vous cacher mon amour : Depuis un an entier j'adore vostre Fille ; Vous connoissez mon bien, vous sçavez ma Famille, Daignez laisser uny, ce que l'Amour a joint. DORAME. Mon honneur souffriroit à n'y consentir point : Mais quoy ! dois-je excuser une Fille sans honte⁎, Et qui de ma défense a fait si peu de conte [282] ? LISE. Pour obtenir pardon, j'embrasse vos genoux. Daphnis, Toinon, & Crispin, se jettent à genoux avec Lise. MELANTE. Eh Monsieur, par pitié… LISE.     Mon Pere… DORAME.         Levez-vous. LISE *larmoyant.*. Je sçay que j'ay failly, j'ay tort, je le confesse ; Mais pardonnez… DORAME.         Ses pleurs réveillent ma tendresse, Et… C'est assez, Mélante, elle est à vous. MELANTE.         Hé quoy, Se peut-il que vous… DORAME.         Oüy, j'agis de bonne foy. Phélonte, à cœur ouvert, Daphnis a sçeu vous plaire. PHELONTE. Oüy, ce seroit en vain que j'oserois le taire : Je l'aime, faites grace à ma temérité, Rien ne manquera lors à ma felicité : C'est de vous seulement que je la dois attendre. DORAME. Je n'aurois pris peut-estre aucun des deux pour Gendre : Mais puisque sur ce point, sans craindre mon courroux, Mes Filles, malgré moy, sont d'accord avec vous, L'éclat de mes refus tourneroit à ma honte : Ainsy, si c'est bonheur, soyez heureux, Phélonte. PHELONTE. Puis-je assez reconnoistre un si charmant aveu⁎ ? [283] DORAME. Le Maistre de Musique a bien joüé son jeu ; Et c'est, pour peu qu'il trouve à payer d'artifice, Un Fourbe aussy complet… CRISPIN.         Fort à vostre service : Vous n'avez seulement qu'à me donner Toinon, Je fourbe⁎ apres pour vous de la bonne façon. DORAME. Mais Toinon… CRISPIN.         Dans un mois, avec ma Tablature, Elle pourra chanter, & battre la Mesure. TOINON. Et si par de faux tons tu me gastes la voix… CRISPIN. Ne crains rien. Voulez-vous qu'on en fasse à deux fois ? Tandis qu'on est en train, mettez-moy de la Bande ; Toinon m'aime, je l'aime, & je vous la demande. DORAME. La Musique pourroit se ravaler si bas ? A Toinon ! CRISPIN.         Chacun sçait ce qu'il sçait. En tout cas, S'il faut, pour l'épouser, me faire mieux connaistre, Crispin est mon vray nom, & vous voyez mon Maistre. DORAME. Ah puis qu'il est ainsy, je dois tout accorder ; Mais en te l'accordant, on peut te demander Encore un petit Air. CRISPIN.         Si cela vous contente, On va vous en chanter, non pas un, mais cinquante. PHELONTE *à Dorame.*. Ah Monsieur ! commandez, vous pouvez tout icy. CRISPIN. Oüy, sans doute, & Monsieur n'en est point en soucy ; Répondons seulement à ce qu'il nous demande. DORAME. Il a raison. PHELONTE.     D'accord. CRISPIN *aux Musiciens.*.         Çà, quelque Air de commande ; Allons, Messieurs, allons, faites de vostre mieux. FANCHON *à Phêlonte.*. Quel Air chanterons-nous ? PHELONTE *touchant le Clavessin.*. La, la, la.         Est-il rien plus heureux ? [284] CRISPIN. Fa, fa, fa. PHELONTE. Tay-toy. CRISPIN.         Tout aujourd'huy je garde ma Maistrise [285], Monsieur. PHELONTE.         Mais à present elle n'est plus de mise, Et… CRISPIN.         Je suis obstiné ; tout-franc, j'en veux par là. PHELONTE. Fay donc. CRISPIN *aux Violons.*.         Messieurs, allons. *Fa sol fa, la, la, la.* On chante. *Est-il rien plus heureux*, Qu'un cœur amoureux, Exempt de jalousie ? Qu'avec l'Objet⁎ aimé, Que ce cœur a charmé⁎, *Il passe doucement la vie* ! AUTRE AIR Vivez, vivez heureux Amans, Que toûjours les contentemens Rendent vos flâmes mutuelles : L'Hymen couronne vos amours ; *Mais sur tout, soyez-vous fidelles*, Par là vous aurez de beaux jours. AUTRE Pour Crispin & Toinon, Que dans neuf mois un beau Garçon Soit le fruit d'un Hymen prospere. Ah ! que si ce petit Poupon Vient au jour beau comme son Pere, Ce doit estre un joly Mignon ! CRISPIN. Toinon, à cette fin tu dois me seconder. à Dor. Si vous n'estes content, vous pouvez commander : Vous plaist-il encor… DORAME.         Non, mon ame est satisfaite. PHELONTE. S'il est ainsy, Monsieur, ah ma joye est parfaite. DORAME. Allons, je suis sincére, & ne sçay point farder⁎. CRISPIN *seul.*. Messieurs, si mon Concert peut vous accommoder, On le repete icy trois fois par Semaine [286], Venez l'oüir en foule, il en vaut bien la peine. < FIN. > *Permis d'imprimer. Fait à Paris le 21. de Septembre 1674.* *DE LA REYNIE* [287]. # Annexes. ## Lexique. Abréviations utilisées : fr. : *Dictionnaire* de l'Académie française, 1694. Fur. : *Dictionnaire universel* de Furetière. Rich. : *Dictionnaire françois* de Richelet.Aimable « Qui est digne d'estre aimé » (A. fr.)V. 270, 759, 966, 1118.Amant« Celuy, celle qui aime d'amour une personne d'un autre sexe » (A. fr.)V. 165, 225, 226, 231, 378, 382, 781, 801, 1468, 1513Amitié« Affection qu'on a pour quelqu'un »« On le dit encore en matière d'amour » (Fur.)V. 222.Apartement« Portion d'un grand logis où une personne loge ou peut loger separément d'avec une autre » (Fur.)V. 365, 1678.Appas« Se dit particulierement en Poësie, & signifie charmes, attraits, agrément, ce qui plaist. … Il se dit encore plus particulierement en parlant des attraits & de la beauté des femmes. » (Fur.)V. 618, 758, 1054, 1133.Arrester« Empêcher d'avancer, d'aller plus loin »« Retenir » (Rich.)V. 93.Art« La regle & la methode de bien faire un ouvrage » (A. fr.)Technique.Préface, v. 594, 632, 690, 713, 726, 731, 745, 813, 835, 861.Aveu« Reconnaissance verbale ou par écrit, d'avoir fait ou dit quelque chose. »« Il signifie aussi l'approbation, le consentement, l'agrément qu'une personne supérieure donne à ce qu'un inférieur a fait ou a dessein de faire. » (Ac. Fr.)V. 1182, 1815.Barguigner« Marchander sous à sou quelque chose »« Se dit figurément en choses spirituelles des irrésolutions d'esprit, quand un homme a du mal à se résoudre, à donner quelque parole, à conclure une affaire, à se défaire de quelque engagement » (Fur.)V. 1113.Beste« Animal irraisonnable »« Personne stupide, & qui n'a point d'esprit » (A. fr.)V. 1548.Boutade« Caprice, transport d'esprit qui se fait sans raison & avec impetuosité » (Fur.)V. 32.Brigue« Poursuite ardente qu'on fait par le moyen de plusieurs personnes qu'on engage dans ses interests »« Party, cabale » (A. fr.)PréfaceCacochime« Mal sain, de mauvaise complexion. Cela ne se dit proprement que des corps humains pleins de mauvaises humeurs & tousjours sujets à quelque maladie » (A. fr.)V. 1432.Caresse« Témoignage extérieur d'amitié, d'amour ou de bienveillance » (Rich.)Censurer« Critiquer, reprendre » (Fur.) V. 45.Chagrin« Inquiétude, ennuy, melancolie » *(Fur.)*V. 207, 945, 1029, 1043.Mauvaise humeur. (Se) ChagrinerAttrister, rendre chagrin » (Fur.)V. 220, 388, 1450.Chaise « Un petit carosse pour deux personnes. » (A. fr.)V. 1036.Charme « Puissance magique par laquelle avec l'aide du Demon les Sorciers font des choses merveilleuses, au dessus des forces, ou contre l'ordre de la nature »« Ce qui figurément de ce qui nous plaist extraordinairement, qui nous ravit en admiration » (Fur.)V. 321, 411, 1175, 1453, 1459, 1576.Charmer« Faire quelque effet merveilleux par la puissance des charmes ou du démon »« Dire ou faire quelque chose de merveilleux, de surprenant, plaire extraordinairement ». (Fur.). Richelet le donne comme synonyme de *ravir*.V. 1051, 1054, 1089, 1105, 1142, 1849.Closture« Obligation que les Religieuses ont de ne point sortir de leur Monastere » (A. fr.)V. 242.Compliment« Civilité, ou honnesteté qu'on fait à autruy, soit en paroles, soit en actions » (Fur.)V. 336, 1246, 1514.ComplimenterFaire des compliments.V. 262.Concerter« Estudier, & repeter ensemble une piece de Musique, pour la bien executer quand il en sera temps » (A. fr.)V. 1, 1697.Coquet, coquette« Qui fait le galant, qui affecte de donner de l'amour. » (A. Fr.)V. 193, 316, 1589.Coquin« Gueux, miserable sans cœur et sans honneur » (Rich.)V. 708.Courir« Hanter ; fréquenter en certains lieux, se plaire à y aller souvent » (Fur.). Cette définition s'applique également aux êtres humains (« On *court* un prédicateur. Cet homme est si agréable, que toutes les Dames le *courent*. » Fur.)V. 179.Décevoir« Séduire, tromper par quelque chose de spécieux & d'engageant » (A.Fr.)V. 940, 1040.Dégénérer« Ne valoir pas ce que valoient ceux de qui nous descendons » (Rich.)V. 617Desmenager« Il se dit figurément pour dire, Sortir d'un lieu, d'une place où l'on est, & cela ne se dit guere que lorsqu'on en fait sortir par force. *Allons, desmenagez tout à l'heure*. » (A. Fr.) V. 106.DéparlerCesser de parler. « Il ne se dit qu'avec la négative, & n'a guere d'usage qu'en ces phrases. *Il ne déparle point. il n'a point déparlé*. » (A. Fr.)V. 42.Discerner« Séparer, distinguer » (Fur.) ; « Distinguer une chose d'une autre, ou en juger par comparaison » (A.fr.). Ici le terme désigne le fait de marquer la séparation entre un acte et le suivant.Didascalies fin du premier acte et fin du second acte.Egaremens« Mauvaise conduite, procédé peu réglé » (Rich.)V. 72, 111, lettre.S'égarer« Devenir un peu fou. Etre dans l'erreur, errer » (Rich.)Ennuy« Lassitude d'esprit »« Fascherie, chagrin, deplaisir, souci » (A. fr.)V. 1190, 1309.Entendre« Comprendre, concevoir en son esprit, avoir l'intelligence de quelque chose » (A. fr.)V. 536, 673, 677, 862.Entester« Se dit figurément, & signifie, Infatuer, préoccuper, prevenir en faveur d'une personne » (Fur.)V. 991Envier« Porter envie »« Signifie aussi en plusieurs sortes de jeux, Faire des envis, encherir sur quelqu'un » (Fur.)V. 1325.Equipage« Tout le meuble d'un particulier, état, habit » (Rich.)« Se dit du train, de la suite, mulets, chevaux, valets, hardes &c. » (A. Fr.)V. 855.Estime« Le cas, l'estat qu'on fait d'une personne, ou de son merite, ou de sa vertu » (A. fr.)Lettre, v. 507.Estimer« Priser quelque chose, en determiner la valeur »« Faire cas » de quelqu'un ou de quelque chose. (A. fr.)V. 323, lettre.Estomach« Il se prend aussi, Pour la partie extérieure du corps qui respond à la poitrine et à l'estomac » (A. fr.)V. 1656.Eventé« Qui a la teste legere, qui est emporté, evaporé, imprudent » (Fur.)V. 938.Etonner« Epouvanter, surprendre d'une certaine maniere qui touche » (Rich.)V. 1168.Extravagance« Bizarrerie, folie » (A. Fr.)V. 139, 160, lettre.Extravaguer« Penser, & dire des choses où il n'y a ny raison ny sens » (A. fr.)V. 196.Facilité« Moyen & maniere facile de faire, de dire, *&c*. »« Indulgence excessive » (A. fr.)V. 80.Faquin« Crocheteur, homme de la lie du peuple, vil & meprisable. » (Fur.)V. 202, 707.Fard« Ce qu'on met sur le visage pour l'embellir »« Toute sorte d'artifice dont on se sert pour déguiser une chose, & la faire paroistre autre et plus belle qu'elle n'est en effet » (Fur.)V. 326.Farder« Employer de l'artifice pour faire paroistre une chose plus belle qu'elle n'est » (Fur.)V. 1867.Felon« Signifiait aussi autrefois, Cruel & inhumain » (Fur.)V. 1317.Fixer« Arrester, determiner …. On dit, *Fixer un esprit*, pour dire, faire qu'il ne vacille plus » (A. fr.)V. 1072.Fourbe« Trompeur avec adresse & dissimulation » (Fur.)V. 708, 717.Fourber« Tromper adroitement, finement » (Fur.)V. 421, 1820.Franchise« Sincerité tant en paroles qu'en actions »« Liberté » (Fur.)V. 1140, 1335.Galanteries« Les devoirs, les respects, les services que l'on rend aux Dames » « Commerce amoureux »« Choses qu'on fait pour les Dames, ou qu'on leur donne par galanterie » (A. fr.)V. 167.Gaupe« Femme mal-propre & sale » (Fur.)V. 44.(Se) Gendarmer« Se tourmenter, se donner de l'inquiétude pour empescher quelque chose, ou pour l'obtenir »« Se fascher contre quelqu'un, s'en prendre à quelqu'un » (A. fr.)V. 412.Gesne« Torture » (Fur.)V. 1353, 1765.« Fatigue, peine, travail » (Rich.)GloireHonneur. « Réputation qui procède du merite d'une personne, de l'excellence de ses actions ou de ses ouvrages. » (A. Fr.)Lettre, v. 1615.Goust« L'appétit, l'envie qu'on a de boire et de manger » (Fur.), et par extension ici, l'appétit physique.V. 413GrimaceContorsion du visage« Feinte, hypocrisie. » (Fur.)V. 419.HontePeut être synonyme de pudeur. «  Passion qui excite du trouble dans l'ame par le danger de souffrir quelque confusion, quelque mépris des hommes …. La pudeur est une espèce de honte qui est loüable » (Fur.)V. 1797.Humeur« Substance fluide de quelque corps que ce soit … *Les quatre principales humeurs du corps sont* Le sang, la pituite, la bile, la mélancolie. » (A. fr.)V. 767, 1404, 1438.Hypocondre« La partie du ventre au dessous des costes, au costé droit ou au costé gauche » (A. fr.)V. 1439.Imposture« Tromperie, mensonge, calomnie » (Fur.) ; « Hypocrisie, déguisement dans ses mœurs, dans sa conduite » (A. fr.)V. 104.Inclination« Disposition & pente naturelle à quelque chose »« Affection, Amour » (A. fr.)V. 490.Inquiétude« Trouble, agitation d'esprit, inconstance d'humeur, &c. impatience causée par quelque passion, par quelque indisposition. » (A. Fr.)V. 380.Intelligence« Faculté intellective, capacité d'entendre, de comprendre »V. 676.« Connoissance, comprehension »V. 656.« Correspondance, communication entre des personnes qui s'entendent l'une avec l'autre » (A. fr.)V. 792.S'interesser pour« Entrer dans les interests de quelqu'un, en embrasser les interests » (A. fr.)V. 532.Jugement« Puissance de l'ame qui connoist, qui discerne le bon d'avec le mauvais, le vray d'avec le faux » (Fur.)V. 892, 989.Libertin« Qui ne veut pas s'assujettir aux loix, aux regles du bien vivre, à la discipline d'un Monastere. » (Fur.)V. 773, 1080.Maraud« Terme injurieux qui se dit des gueux, des coquins qui n'ont ni bien, ni honneur, qui sont capables de faire toutes sortes de laschetez » (Fur.)V. 30, 137, 207, 707.Mélancolie« Espece de delire sans fiévre, accompagné de crainte & de chagrins sans raison aparente à cause que l'imagination & le jugement sont blessés par l'abondance d'une bile noire & brûlée » (Rich.)V. 71.Meschant, ante« Mauvais, qui est dépourveu de bonnes qualitez, qui ne mérite aucune estime » (Fur.)V. 848, 859, 1661. Mignon« Terme de flaterie dont on se sert en parlant à un enfant » (A.Fr.)V. 79.Mordicant, ante« Ce qui est acide & piquant » (Fur.)V. 1220.Mouchoir« On appelle, *Mouchoir de col*, le linge dont les femmes se couvrent le col & la gorge » (A. Fr.)V. 1238.Mutin« Opiniâtre, querelleux, obstiné, testu. » (A. fr.)V. 1503.Nonchalance« Negligence, peu d'application qu'on a à quelque chose. (Fur.)V. 3.Objet« La personne qu'on aime » (A. fr.)V. 137, 264, 779, 782, 1032, 1115, 1354, 1766, 1848.OpilerObstruer. (« terme de médecin » Rich.)V. 1438.Pécore« Beste, stupide qui a du mal à concevoir quelque chose » (Fur.)V. 1327.Peine« Châtiment »« Douleur, tourment »« Soin, inquiétude d'esprit » (Fur.)Pénétrer« Approfondir une affaire, une science, la connoistre parfaitement » (Fur.)V. 1377.Pied-plat« Terme de mespris qui se dit d'un paysan, d'un gros lourdaut, d'un campagnard grossier » (A. fr.)« On appelle pied plat, un rustre, un paysan qui a des souliers tout unis. » (Fur.)V. 1550.Piquer« Ce mot se dit quelquefois des choses belles & jolies & veut dire, agréer, enflammer »« Ofencer, irriter par quelque action, par quelques paroles » (Rich.)V. 905Se piquer« Se fâcher, se mettre en colére » « C'est faire profession d'exceller en une chose, de savoir une chose en galant homme » (Rich.)V. 636, 1688.Prévenir« Estre le premier à faire la même chose, gagner les devants »« Preoccuper l'esprit, luy donner les premieres impressions » (Fur.)V. 1078.Prévariquer« Trahir la cause, l'intérest des personnes qu'on est obligé de deffendre, agir contre le devoir de sa charge, contre l'obligation de son ministere » (A. fr.)V. 1274.Protester« Faire des protestations »« Promettre, assûrer fortement quelque chose » (Fur.)V. 1577.Raciociner« Terme de Logique. User de son raisonnement, de sa faculté de raisonner, faire des arguments, des jugemens. … Ce mot n'est en usage que dans le dogmatique. » (Fur.)V. 1254.Ragoust« Ce qui est fait pour donner de l'appetit à ceux qui l'ont perdu » (Fur.)V. 1544.Raisonner« Exercer son entendement, sa faculté raisonnable »V. 1564.« Examiner, discuter une affaire, une question »V. 726.« Faire des difficultez, des objections, des repliques pour se dispenser d'obeïr » (Fur.)V. 162.Ravir« Emporter quelque chose violemment. … Se dit aussi des passions violentes qui troublent agréablement l'esprit, & suspendent les fonctions des sens, particulièrement de la joye, de l'etonnement & de l'admiration » (Fur.)V. 1747.Recherche« Poursuite que l'on fait pour avoir une fille en mariage » (A. Fr.)V. 1196.Rencontre« Hazard, avanture, par laquelle on trouve fortuitement une personne, ou une chose »« Occasion ». (A. fr.)V. 748, 1340.Resver« Signifie aussi, Mediter ; appliquer serieusement son esprit à raisonner sur quelque chose, à trouver quelque moyen, quelque invention » (Fur.)V. 650.Rioter« Diminutif de rire. Il est familier. » (A. Fr., 1762.)Locuteurs des vers 417, 637, 911, 1019, 1366.Sangler« Ceindre, serrer avec des sangles »« Appliquer, donner avec force un coup de poing, un soufflet, &c. … stile familier & bas ». (A. fr)V. 624.Sauver« Rendre sain & sauf »« Corriger ; excuser, conserver. En Musique on sauve une dissonance par une consonnance qui suit » (Fur.)V. 649.Sexe« Quand on dit, *Le beau sexe*, ou absolument, *Le sexe*, on entend tousjours parler des femmes » (A. fr.)V. 785, 1078.Soin« Souci, … inquiétudes qui émeuvent, qui troublent l'ame » (Rich.)V. 164, 462, 1452.Soucy« Sollicitude, soin accompagné d'inquietude » (A. fr.)V. 1035.Suite« Enchaisnement de causes secondes, qui font qu'une chose vient après une autre naturellement » (Fur.)Conséquence.V. 1063.Surprise« Action par laquelle on surprend »« Etonnement, trouble » (A. fr.)V. 1125, 1139.Surprendre« Prendre quelqu'un sur le fait »« Etonner » (*A. fr*.)V. 148, 823.Vapeur« Est aussi une humeur subtile qui s'eleve des parties basses des animaux, & qui occupe & blesse leur cerveau » (Fur.)V. 1425.Vedette« Cavalier mis en sentinelle dans un lieu avancé » (A. fr.)V. 844.Tantost« Dans peu de temps ; & ce temps ne s'étend pas ordinairement au-delà de la journée » (A. Fr.)V. 29, 975, 1236, 1303, 1634, 1725.Tendresse« Sensibilité du cœur et de l'âme » (Fur.)Amour.V. 531, 788.Tenir (en)« On se sert aussi du mot de *Tenir*, En parlant des maladies de corps & d'esprit, & des differentes passions de l'ame dont on est possedé & saisi » (A. fr.). En ce sens, *en tenir pour quelqu'un* signifie « être amoureux »V. 1456.Toucher« Ce mot se dit en parlant de certains instrumens & veut dire joüer de cet instrument » (Rich.)Didascalie v. 98, locuteur v. 99 et v. 610, 641.Traitter« Faire un commerce, negocier, convenir de certaines conditions »« Agir, vivre avec certaines manieres proportionnées à la condition, ou à l'humeur des gens »« Nourrir, donner à manger, soit à l'ordinaire, soit en ceremonie » (Fur.)V. 44.Transport« Ravissement, extase »V. 1174.« Symptôme causé par des vapeurs malignes qui s'élèvent au cerveau. … *transport au cerveau*. » (A. fr.)V. 1446.Tourmens« Supplice » (A. Fr.)V. 166.Zele« Affection ardente pour quelque chose » (A. Fr.)V. 260. ## Liste des comédies de Hauteroche. 1668 — *L'Amant qui ne flatte point* (5 actes, vers). 1669 — *Le Souper mal appresté* (1 acte, vers). 1670 — *Crispin médecin* (3 actes, prose). 1672 — *Le Deuil* (1 acte, prose). 1672 — *Les Apparences trompeuses* (3 actes, vers). 1674 — *Crispin musicien* (5 actes, vers). 1675 ( ?) — *Les Nobles de province* (5 actes, vers). 1678 — *Les Nouvellistes* (non publiée). 1680 — *La Bassette* (non publiée). 1684 — *L'Esprit follet, ou la dame invisible* (5 actes, vers). 1684 — *Le Cocher supposé* (1 acte, prose). 1686 — *Le Feint Polonois, ou la veuve impertinente* (3 actes, prose). 1690 — *Les Bourgeoises de qualité* (5 actes, vers). ## Bibliographie. Liste des abréviations utilisées : BnF : Bibliothèque nationale de France, site François Mitterrand. Ars. : Bibliothèque nationale de France, site de l'Arsenal. Asp. : Bibliothèque nationale de France, Département des Arts du Spectacle. ### Sources. #### Éditions de la pièce. ##### Édition originale. *Crispin musicien*, Paris, Pierre Promé, 1674. BnF : YF-7120 et 8-YTH-4248.  Asp. : RF-6261. Ars : 8-BL-13512 dans un recueil factice contenant des œuvres de Rosimond, Boyer, Le Boulanger de Chalussay et Hauteroche. ##### Autres éditions du XVII*e* siècle. *Crispin musicien*, sur l'imprimé à Paris, Pierre Promé, 1674, Asp. : RF-6262 édition pirate. *Crispin musicien*, Paris, Jean Ribou, 1680, Asp. : 8-RF-6235 dans un recueil factice des œuvres de Hauteroche. *Crispin musicien*, Paris, Pierre Ribou, 1705, Ars. : 8-RF-6236 *id*.. #### Éditions des œuvres de Hauteroche. Les Œuvres de Monsieur de Hauteroche Théâtre de Noël le Breton, sieur de Hauteroche Crispin médecin et Crispin musicienLes contemporains de Molière, recueil de comédies rares ou peu connues jouées de 1650 à 1680 avec l'histoire de chaque théâtre Le DeuilThéâtre du XVII*e* siècle ### Ouvrages des XVII*e* et XVIII*e* siècles. Le Théâtre et l'opéra vus par les gazetiers Robinet et Laurent (1670-1678) Le Théâtre français Trois discours sur le poème dramatique L'InconnuLe Théâtre La pratique du théâtre L'Ambassadeur d'Affrique Le Registre de La Grange : 1659-1685 Le Mémoire de Mahelot, Laurent et d'autres décorateurs de l'Hôtel de Bourgogne Œuvres complètes Le Baron de la Crasse Les Pipeurs, ou les femmes coquettes Les Opéra Correspondance Anthologie des nouvelles du Mercure Galant ### Instruments de travail. #### Ouvrages sur la langue. ##### Ouvrages du XVII*e* siècle. Dictionnaire Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise… avec les termes les plus connus des arts et des sciences Remarques sur la langue françoise ##### Ouvrages modernes sur la langue du XVII*e* siècle. Grammaire du français classique Syntaxe française du XVIIe siècle Dictionnaire historique de la langue française #### Bibliographies. Bibliographie de la littérature française du XVII*e* siècle Bibliographie der französischen Literaturwissenschaft #### Ouvrages de recensement systématique. Anecdotes dramatiques La Comédie française de 1680 à 1900 : dictionnaire général des pièces et des auteurs A History of Franch Dramatic Literature in the Seventeeth Century Dictionnaire portatif historique et littéraire des théâtres Galerie historique des acteurs du théâtre français depuis 1600 jusqu'à nos jours Répertoire analytique des documents contemporains d'information et de critique concernant le théâtre à Paris sous Louis XIV, 1659-1715, 1934 Dictionnaire biographique des comédiens français du XVIIe siècle, suivi d'un inventaire des troupes, 1590-1710 Tablettes dramatiques, contenant l'abrégé de l'histoire du théâtre françois, l'établissement des théâtres à Paris, un dictionnaire des pièces et l'abrégé de l'histoire des auteurs et des acteurs… par M. le chevalier de Mouhy Dictionnaire des théâtres de Paris Histoire du théâtre françois #### Dictionnaires musicaux. New Grove dictionnary of music and musicians*e* Dictionnaire de la musique ### Études. #### Études sur le théâtre, l'esthétique et l'histoire du XVII*e* siècle. Histoire de la littérature française du XVII*e* siècle La Musique en France à l'époque baroque, de Beaujoyeulx à Rameau L'esprit de la commedia dell'arte dans le théâtre français Histoire de la musique Théâtres lyriques de Paris. L'Académie impériale de musique, histoire littéraire, musicale, chorégraphique, facétieuse, politique et galante de ce théâtre, de 1645 à 1855 Molière musicien, notes sur les œuvres de cet illustre maître et sur les drames de Corneille, Racine, Quinault, Regnard, Montluc, Mailly, Hauteroche, Saint-Evremond,… etc., où se mêlent des considérations sur l'harmonie de la langue française Lire la comédie Crispin Ier, la vie et l'œuvre de Raymond Poisson, comédien-poète du XVIIe siècle Le Théâtre du Marais Le Théâtre de l'hôtel de Bourgogne 1548-1680 La Mise en scène dans le théâtre français à Paris, 1600-1673 Valets et servantes dans le théâtre comique en France de 1600 à 1710 Esthétique de l'identité dans le théâtre français, le déguisement et ses avatars, 1550-1680 La Fantaisie verbale et le comique dans le théâtre français, du Moyen-Âge à la fin du XVII*e* siècle Le Type du valet chez Molière et ses successeurs, Régnard, Dufrresny, Dancourt et Lesage, Caractères et évolution La Comédie de 1640 à 1660 La Comédie classique en France, de Jodelle à Beaumarchais Les genres insérés dans le théâtre Le Langage dramatique Théâtre et musique, dramaturgie de l'insertion musicale dans le théâtre français (1550-1680) Origines de l'opéra français : d'après les minutes des notaires, les registres de la conciergerie et les documents originaux conservés aux Archives nationales, à la Comédie française et dans diverses collections publiques et particulières Music and theatre in France, 1600-1680 La Dramaturgie classique en France La Comédie #### Études sur Hauteroche. Noël Le Breton de Hauteroche, seventeeth-century comic playwright and actor XVII*e* siècle *e*Chanteclerc Hauteroche (Noël Le Breton), 1617(?)-1707, Schauspieler und Lustspieldichter ------- [1] C'est le cas, avec plus ou moins de précision, de Léris dans son *Dictionnaire portatif des théâtres* de 1767 (« Il … mourut agé d'environ quatre-vingt dix ans le 14 juillet 1707 »), de J. M. B. Clément et de J. de Laporte dans leurs *Anecdotes dramatiques* (« Acteur & Poète dramatique, est mort à Paris en 1707, à l'âge de quatre-vingt dix ans »), et des frères Parfaict, qui restent plus vagues (« mort le 14 juillet 1707. dans un âge très-avancé. »). [2] La légende n'apparaît cependant pas dans les œuvres publiées de Mouhy. [3] « … il imita la conduite que tient *Dorame* dans *Le Menteur*, emporta tout l'argent dont il put se saisir, et passa en Espagne », Pierre-David Lemazurier, *Galerie historique des acteurs du théâtre français*, Paris, J. Chaumerot, 1810, p. 284. [4] Notamment celui de Pierre-David Lemazurier (*ibid*.) et de W. Voos (1928). [5] S. W. Deierkauf-Holsboer, *Le Théâtredu Marais*, vol. II, Paris, Nizet, 1954-1958, p. 91. [6] Deierkauf-Holsboer la situe en 1657, en tant qu'hypothèse et sans autre précision. [7] Celle du *Deuil* en 1672. André-Gérard Le Camus était devenu procureur à la Cour des aides en 1643, puis conseiller du Roi au conseil des finances et conseiller au grand conseil. Sa femme, qui tenait ce salon, était également auteur occasionnel de prose et de vers. [8] Voir. E. L. Isley, *Noël le Breton de Hauteroche, seventeenth-century comic playwright and actor*, Ohio State University, 1997, n. 34 p. 73. [9] *Crispin médecin* (3 actes en prose) en 1670, *Le Deuil* (1 acte) en 1672, *Crispin musicien* en 1674 et enfin *Les Nobles de province* en 1675 (5 actes versifiés, date incertaine). [10] *Registre* de La Grange, éd. Young, Genève, Slatkine reprints, 1977, p. 332. [11] Voir l'article de Mariel O'Neill Karch, « Etat des études sur la vie de Noël le Breton », *XVII*e* siècle*, n° 96, 1972, p. 46. [12] *Ibid*., p. 42. [13] *Crispin médecin* était donné en complément du *Mithridate* de Racine. [14] BROOKS William, éd., *Le Théâtre et l'opéra vus par les gazetiers Robinet et Laurent (1670-1678)*, Tübingen, Biblio 17, 1993, p. 146. Robinet commente plus précisément une représentation donnée à l'occasion de la visite de Monsieur et de Madame à Saint-Ouen. [15] Bénédicte Louvat-Molozay, *Théâtre et musique, dramaturgie de l'insertion musicale dans le théâtre français, 1550-1680*, Paris, Champion, 2002, p. 359. [16] Thomas Corneille, *L'Inconnu* (V, 4), dans *Le Théâtre*, vol.5, Paris, s.n., 1692. [17] A. Joannidès, *La Comédie-Française, 1680-1900*, Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1901. [18] La Grange, *Registre* : le 14 janvier 1682 à St Germain (p. 282), le 7 juillet 1682 à Versailles (p. 296), ainsi que le 15 décembre 1684 (p. 344). [19] La distribution est mieux connue lorsque la pièce est jouée à la Comédie-Française. Le *Répertoire* de 1685 donne la suivante : Raymond Poisson joue Crispin, la Beauval, Toinon ; le couple Phélonte-Daphnis est joué par Jean de Villiers et la Raisin, le couple Mélante-Lise par Le Comte et Angélique Poisson ; Brécourt est Dorame ; Champmeslé et J. B. Raisin respectivement Boniface et Anastase (H.C. Lancaster, *A History of French Literature in the Seventeeth Century*, part IV, vol. I, p. 461.) [20] Michel Baron, ici nommé Baron l'ancien par rapport à Etienne Baron, son fils, qui mourra en décembre 1711 au milieu de sa carrière. [21] Cf. P. Mélèse, *Répertoire analytique des documents concernant le théâtre à Paris sous Louis XIV (1659-1715)* 1934, Genève, Slatkine reprints, 1976, p. 159. [22] Ph. Quinault, *La Comédie sans comédie*, I, 3. [23] J. S. Powell cite le *Registre d'Hubert*, qui fait mention d'un maître de musique engagé au profit de Baron aux dates du 10 janvier et du 10 février 1673 (*Music and theatre in France, 1600-1680*, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 407). [24] H. C. Lancaster, *A History of French dramatic Literature in the Seventeenth Century*, part. IV, vol. I, p. 459. [25] Raymond Poisson (Crispin I*er*) interprète le personnage de 1653 à 1685. Paul Poisson lui succède de 1686 à 1711, suivi de son fils, Philippe Poisson, entre 1700 et 1722. François Arnoult Poisson, frère de Philippe, reprend le personnage de 1722 à 1753, et son fils à partir de cette dernière date. [26] Castil-Blaze, « Crispin musicien », *Molière musicien*, Paris, Castil-Blaze, p. 118. [27] J. R. Anthony, *La musique en France à l'époque baroque*, Paris, Flammarion, 1981 ; rééd. Flammarion harmoniques, 1992, p. 178. [28] Dans un recueil de douze comédies de Francisco de Rojas Zorilla publié à Saragosse, et qui contient *Obligados y ofendidos, y gorron de Salamanca*, voir A. Ross Curtis, *Crispin I*er*, La vie et l'œuvre de Raymond Poisson.* [29] J. Emelina,* Valets et servantes dans le théâtre comique en France de 1610 à 1700*, Presses universitaires de Grenoble, 1975, p. 185. La délimitation chronologique reprise par Emelina est celle de Lancaster dans *A History of French Dramatic Literature in the Seventeeth Century.* [30] *Ibid*. [31] A. Ross Curtis, *Crispin I*er*, la vie et l'œuvre de Raymond Poisson*, Toronto, University of Toronto Romance Serie 19, 1972, p. 84-85. [32] G. Gouvernet, *Le type du valet chez Molière et ses successeurs, Régnard, Dufresny, Dancourt et Lesage*, New York, Peter Lang, 1985, p. 144. [33] Frères Parfaict, *Dictionnaire des théâtres de Paris*, t. 6, Paris, Rozet, 1767, p. 232. [34] Philipin est le valet d'Ariste dans *L'Amant qui ne flatte point* (1668), et de Valère dans *Le souper mal apprêté* (1669). [35] Voir G. Forestier, *Esthétique de l'identité dans le théâtre français, le déguisement et ses avatars, 1550-1680*, Genève, Droz, 1988, p. 173. [36] Boursault, *Le médecin volant* (1661), Du Perche, *L'ambassadeur d'Afrique* (publiée en 1666), Nanteuil, *Le Comte de Rocquefeuilles (*1669), R. Poisson, *Les femmes coquettes* (1670, en cinq actes), et Hauteroche, *Le deuil* (1672), voir J. Emelina, *op. cit.*, p. 165-166. [37] *Les Femmes coquettes*, IV, 12. [38] Vers 1533-1534. [39] Vers 577-578. [40] J. Emelina,* op. cit.*, p. 168. [41] J. Truchet, *Théâtre du XVIIe siècle*, Paris, Gallimard « Pléiade », 1986, p. 1584. [42] Vers 1816-1820. [43] Vers 1101-1102. [44] Voir 5. 3. [45] *Crispin médecin*, II, 6. [46] Vers 1504. [47] M. Corvin, *Lire la comédie*, Paris, Dunod, 1994, p. 171. [48] Vers 17. [49] Vers 43-44. [50] Vers 1071. [51] G. Forestier, *Esthétique de l'identité dans le théâtre français, le déguisement et ses avatars, 1550-1680*, Genève, Droz, p. 65-66. [52] Vers 241-250. [53] Frères Parfaict, *Histoire du théatre françois* 1734-1749, Slatkine reprints, t. III, p. 107-108. [54] J. Scherer, *La Dramaturgie classique en France*, Paris, Nizet, s.d., 1950 ; rééd. 2001, p. 98-100. [55] Vers 806-809. [56] Vers 369-371. [57] G. Forestier, *op. cit.*, p. 163. [58] *Ibid.*, p. 356. [59] J. Scherer, *op. cit.*, p. 218-224. [60] Vers 576-577. [61] Vers 665-673 et 679-687. [62] Vers 836-837. [63] Vers 632-633. [64] Vers 717. [65] Vers 1713. [66] Vers 1841-1844. [67] Aux vers 137-138 (I,7) et au vers 800 (III,1). [68] Vers 1716-1717. [69] S. Chappuzeau, *Théâtre françois*, 1674, Paris, Éditions d'Aujourd'hui, les « introuvables », 1985, p. 119. [70] Voir B. Louvat-Molozay, *Théâtre et musique, dramaturgie de l'insertion musicale dans le théâtre français, 1550-1680*, Paris, Champion, 2002, p. 352. [71] Vers 44. [72] Vers 60 à 64. [73] Vers 75 à 85. [74] Vers 1351 à 1357. [75] Vers 1845 à 1856. [76] Vers 1857 à 1862. [77] Vers 877 à 882. [78] Voir B. Louvat, *op.cit.*, p. 176. [79] J. R. Anthony, *La Musique en France à l'époque baroque*, Paris, Fammarion ; rééd. Flammarion harmoniques, 1992, p. 201. [80] IV, 12, v. 1351-1356 et V, 7, v. 1763-1768. [81] Mis au jour par J. S. Powell, *Music and theatre in France, 1600-1680*, Oxford, Oxford university press, 2000, voir p. 88. [82] B. Louvat, *op. cit*., p. 529. [83] Vers 1014. [84] Vers 638. [85] Vers 639. [86] Vers 837. [87] Vers 644-645. [88] S. Sadie, dir., *New Grove dictionnary of music and musicians*, Londres, MacMillan, 2001, article « Hurdy-gurdy vièle à roue ». [89] Vers 877 à 882. [90] *New Grove dictionnary of music and musicians*, articles « air à boire » et « airs de Cour ». [91] Vers 803 et 1667. [92] *New Grove dictionnary of music and musicians*, article « Paris , 1600-1723, Private concerts ». [93] Pierre Perrin, à propos de la *Pastorale* d'Issy, *Œuvres de Poésie*, 1661, cité par Nuittier et Thoinan, *Origines de l'opéra français*, Paris, Plon Nourrit & C*ie*, 1886 ; rééd. Genève, Minkoff, 1972, p. 38. [94] *Ibid.* Engagé par Perrin et Cambert le 28 décembre 1669, Monier appartenait à la musique royale, où il avait figuré dans des ballets de cour. [95] Selon Nuittier et Thoinan, *ibid*., p. 119-121. [96] Castil-Blaze, *Théâtres lyriques de Paris, L'Académie impériale de musique*, Paris, Castil-Blaze, 1855, p. 42-43. [97] Vers 888-890. [98] Vers 1687. [99] B. Louvat, *op. cit.*, p. 531. [100] Gustave Attinger, *L'esprit de la commedia dell'arte dans le théâtre français*, Neufchâtel, Éditions de la Baconnière, 1950 ; Genève, Slatkine reprints, 1993, p. 222. [101] Laporte & Clément, *Anecdotes dramatiques*, Paris, Veuve Duchesne, 1775, p. 128. [102] Vers 1075 à 1091. [103] Vers 1605-1609. [104] Vers 1796. [105] Vers 1618. [106] Vers 486. [107] *Les Apparences trompeuses*, I, 2. [108] Préface de *La Dame invisible*, 1684. [109] Michel Corvin, *Lire la comédie*, Paris, Dunod, 1994, p. 57. [110] Vers 1280. [111] Vers 1218-1221. [112] Molière, *L'École des femmes*, III, 3, v. 808-811. [113] Vers 1428-1429. [114] Vers 1218-1219. [115] Vers 904. [116] Vers 935-944. [117] Vers 842-846. [118] Madame de Sévigné, *Correspondance*, éd. Roger Duchêne, Paris, Gallimard, Pléiade, 1986 (réédition de 1974). « A Bussy-Rabutin / A Paris, ce mercredi 26*e* juillet 1679 / Vous êtes bien heureux de ne point sentir la douleur des séparations. Celle de mon fils, qui s'en va camper à la plaine d'Houilles, n'est pas si triste que celle des autres années, mais il ne s'en faut guère qu'elle ne coûte autant, l'or et l'argent, les beaux chevaux et les justaucorps étant la vraie représentation des troupes du roi de Perse. (p. 660) / De Bussy-Rabutin /A Chaseu, ce mercredi 2*e* août 1679 … Il est vrai que les dépenses de la plaine d'Houilles sont excessives ; je ne les approuve point. Ce n'est pas que je condamne les particuliers quand il les font, mais je voudrais que le Roi les défendît, et je trouverais plus beau, si j'étais en sa place, d'avoir de bonnes troupes vêtues simplement que ruinées par la richesse de leurs habits et par la magnificence de leurs équipages. (p. 669) ». [119] Vers 824-825. [120] Vers 797-802. [121] Vers 1601-1603. [122] Vers 136-137. [123] Vers 1304-1307. [124] Vers 152. [125] Vers 1480. [126] Vers 1439-1446 et 1453-1456. [127] Vers 151-152. [128] Vers 1004 et 1006. [129] Vers 1324 à 1327. [130] Vers 1038 à 1044. [131] Vers 1156. [132] Vers 1459 à 1465. [133] Vers 1566-1567. [134] Vers 1544-1545. [135] Vers 1452-1454. [136] Vers 1140-1145. [137] Vers 1821-1822. [138] Vers 1505-1507. [139] Vers 1702. [140] Vers 280-282. [141] Vers 351-353. [142] Vers 1565 à 1571. [143] Vers 1014. [144] Vers 1568. [145] Vers 1388 à 1394. [146] Vers 1413 à 1419. [147] J. Scherer, *op. cit.*, p. 356-361. [148] Vers 1349. [149] M. G. Lallemand, « La lettre dans le théâtre du XVII*e* siècle », dans *Les genres insérés dans le théâtre*, Lyon, C.E.D.I.C, 1998, p. 70. [150] *Ibid*. [151] C'est à dire durant l'été 1674. La pièce a été créée le 5 juillet 1674, et a vraisemblablement été jouée jusqu'à la fin du mois de septembre de cette année. [152] « Les Modernes entendent maintenant par *Épisode*, une seconde histoire jetée comme à la traverse dans le principal sujet du Poème Dramatique, que pour cette raison quelques uns appellent *Une histoire à deux fils* » (D'Aubignac, *Pratique du théâtre*, p. 149). Hauteroche répond ici aux deux conditions que posait l'abbé D'Aubignac pour l'insertion d'une telle histoire : « ces Episodes, ou secondes histoires, doivent être tellement incorporées au principal Sujet qu'on ne les puisse séparer sans détruire tout l'Ouvrage », et « la seconde histoire ne doit pas être égale en son sujet non plus qu'en sa nécessité, à celle qui sert de fondement à tout le poème », (p. 150 et 152). [153] La conduite de l'action. [154] « Peut-être ». [155] Dans la liste des acteurs de l'édition originale, Dorame apparaît comme l'un des amants (voir la note sur la présente édition). [156] Description complétée par celle du *Mémoire* de Mahelot, p. 117 : « Theatre est deux chambre differante qui se change a tous les actes. Il faut un clavesin, une hallebarde, deux tabourest, 3 chaisse, un manteau, deux billets, 2 clef, 2 battes, une escritoire ». La hallebarde et les deux tabourets seront utilisés dans la « bataille » de Crispin, Dorame et le musicien à la fin du deuxième acte ; les deux billets sont ceux de Daphnis (I, 13 et III, 1) ; en revanche, on ne repère dans le texte que le recours à une « batte » (I, 10). [157] Ces laquais sont au XVII*e* siècle des musiciens professionnels avant tout, et, secondairement, des domestiques : afin de rentabiliser leur présence, on leur confiait des tâches quotidiennes : « intégrés à la domesticité, ils portent la livrée des laquais et demeurent souvent astreints à d'autres tâches que celles de leur charge. Ainsi verra-t-on parfois, pour alléger le budget de la maison, des cochers-trompettistes ou des cuisiniers-violonistes » (M.-C. Beltrando-Patier, *Histoire de la musique*, Paris, Bordas, 1982 ; rééd. 1995, p. 309). [158] Comprendre : est-on levé ? Furetière précise qu'on le dit « chez les Grands ». [159] Diérèse : le mot compte pour trois syllabes. [160] Ce vers comptait initialement quatorze syllabes : « Monsieur, je suis fâché… / Faquin ! / C'est vostre honneur. / Maraut, ». La faute est corrigée dans l'édition de 1772. [161] Crispin accumule un vocabulaire musical hétéroclite : nom de notes, forme musicale, nom d'intervalle… Les notes de musique sont désignées tout au long de la pièce selon un système redondant qui hérite de l'emploi des trois échelles hexacordales de la fin du Moyen-Age (ancêtres de nos gammes) : la lettre capitale indique le nom de la note dans l'absolu (A= la, E = mi, F = fa, etc. ; système conservé de nos jours dans la notation musicale anglo-saxonne), elle est suivie de la déclinaison des noms sur lesquels on la solfie dans les différents hexacordes. Ainsi *E mi la* désigne-t-il simplement la note *mi, F ut fa* la note *fa*, etc. [162] Le mot porte une diérèse, de même que tous ceux qui possèdent la même terminaison. [163] Les deux formes, *die* et *dise*, sont concurrentes au XVII*e* siècle. Vaugelas préconise l'emploi de « quoi que l'on *die* » au singulier, et de « quoi qu'ils *disent* » au pluriel (*Remarques sur la langue françoise*, 1647 ; Slatkine reprints, 2000, p. 349). [164] Les mots en *–ier* de la pièce portent une diérèse. [165] Au dix-septième siècle, l'expression nécessite l'emploi du possessif. [166] Danse à trois temps, d'origine française et de tempo plutôt lent. Sa vogue est alors récente : elle apparaît officiellement à la Cour avec Lully, qui l'introduit pour la première fois dans *Cadmus et Hermione* (1673), puis dans chacun de ses opéras à partir d'*Atys* (1676). [167] C'est-à-dire « pour que je veuille m'en défendre », l'infinitif dans une proposition dépendante n'impliquant pas au XVII*e* siècle l'emploi d'un sujet coréférentiel à celui de la régissante. [168] Préluder, donner le ton, consiste en une brêve improvisation fonctionnelle, qui a pour but d'installer l'instrumentiste ou le chanteur dans la tonalité du morceau qui va suivre, stimulant ainsi ses réflexes élémentaires. Le prélude sert d'échauffement instrumental ou vocal avant une pièce plus virtuose et plus construite : il passe en revue les principaux aspects techniques (arpèges, gammes…) de l'instrument concerné. « Le prélude est donc souvent, à maints égards, la musicalisation, l'intégration musicale de ce moment presque informel où l'interprète prend contact avec l'instrument, le prend en main pour l'accorder (luthistes, guitaristes), l'essayer, le faire résonner, se le mettre en doigts, etc.» (*Dictionnaire de la musique*, dir. Marc Vignal, Paris, Larousse, 1996, vol. 2, article « Prélude »). [169] Deux des laquais musiciens de Phélonte. [170] Le passage musical qui va être joué à la scène suivante est selon toute vraisemblance une sonate en trio, dont l'effectif se compose de deux parties mélodiques (dont une flûte ici, si l'on se réfère au nom de l'un des deux personnages), d'une partie de basse harmonique (le clavecin généralement) et souvent (mais pas nécessairement) d'un instrument de basse mélodique qui double la main gauche du clavier. C'est de cette basse que s'enquiert La Ronce, sans doute une basse de viole. Ce qui nous donne l'effectif suivant : La Fluste et Jolycoeur pour les deux voix de dessus, Phélonte au clavecin, et La Ronce à la basse de viole. C'est pour cette raison que Phélonte intime à son laquais l'ordre de revenir. [171] Cette didascalie concerne le personnage de Phélonte, qui joue (« touche ») quelques notes. [172] À l'origine, une danse de tempo modéré à trois temps, de caractère gai ou léger. La chaconne est très employée à la charnière des XVII*e* et XVIII*e* siècles, et s'imposera en particulier lors du final des tragédies lyriques. [173] Cette menace perd beaucoup de son efficacité si le personnage de Phélonte n'a pas à sa disposition un bâton pour l'appuyer. Le bâton ne fait pas partie de la liste des objets intervenant sur scène, mentionnée au seuil de l'acte (clavecin, chaises, chapeau et plumes, manteau), alors que les autres objets ont été expressément répertoriés. Toutefois, le *Mémoire* de Mahelot rajoute « deux battes » au matériel nécessaire pour la pièce (p. 117). [174] C'est-à-dire que le bon sens de Crispin a disparu, que l'amour l'a fait « sauter ». Furetière précise qu'on fait « faire le saut » à un bâtiment lorsqu'on le rase ou qu'on le démolit. [175] Au sens large : pièce de théâtre. [176] Comprendre : « je les dispense », *quitter* étant pris au sens de « donner quittance ». [177] La promenade des Tuileries était un lieu privilégié pour les rencontres galantes. [178] Le terme n'existe dans aucun des dictionnaires de l'époque : il s'agit d'un néologisme burlesque. [179] « On est contraint de se soumettre » (*Faire venir quelqu'un à jubé* ; C'est faire venir une personne au point qu'on désire » *Rich.*) [180] Dans les comédies à l'espagnole des années 1640-1660, c'est au valet que ce type de méfiance est réservée. [181] Au XVII*e* siècle, « le pronom neutre *il* … gagne de plus en plus de terrain et tient souvent la place du démonstratif *cela* et *ce* » (Haase, *Syntaxe française du XVII*e* siècle*, Paris, Delagrave, 1935, p. 2). [182] *Paix* signifie aussi « silence » (Rich.), « la paix » étant ici glosable par « je me tais ». [183] Comprendre : pour le distinguer, le faire remarquer. [184] Furetière indique que le verbe *importer* est toujours impersonnel : il semble que Hauteroche ait commis une faute ici. [185] « Entreprise hasardeuse » ou « entreprise extraordinaire » selon le dictionnaire de l'Académie Française, qui donne pour exemple type d'aventure celle des romans de chevalerie : cette référence participe de la tonalité burlesque à l'œuvre dans la pièce. [186] L'habitude voulait que lorsque des femmes avaient affaire à l'extérieur de chez elles, elles se masquent « pour se garantir du hale, ou même par modestie pour estre moins veües. » (Fur.). Richelet précise que « Les Dames n'ont commencé à porter des masques que sur la fin du dernier siècle ». [187] Celui qui proteste de son amour à quelqu'un. [188] Voir la note du vers 62. [189] « Si vouliez » dans l'édition originale : nous corrigeons d'après l'édition de 1680. [190] Les violons sont donc placés entre les deux châssis peints du décor, qui les couvrent ou les découvrent tour à tour. [191] Celui dans lequel Crispin et Phélonte seront enfermés au quatrième acte (IV,5-11), et celui dans lequel Dorame se retira pour chercher un double de la clef subtilisée (IV, 9) [192] « Il faut écrire *convent*, qui vient de *conventus*, mais il faut prononcer *couvent*, comme si l'on mettait un *u* pour l'*n*, après l'*o*. Cela se fait pour la douceur de la prononciation … » (Vaugelas, *Remarques sur la langue française*, 1647 ; Genève, Slatkine reprints, 2000, p. 502). [193] Selon Furetière, une *traverse* « se dit figurément en morale, et signifie un obstacle à la reüssite des affaires qu'on entreprend ». Compte tenu du contexte, Dorame parle ici de ce qui fait obstacle au salut de l'âme. [194] Le terme possède une connotation péjorative (voir Furetière : être « l'entretien de toute la ville, c'est à dire la fable » - « *fable* : …* on dit proverbialement qu'un homme est la fable du peuple, pour dire, qu'il est tourné en ridicule, méprisé dans toutes les compagnies où on parle de luy*. »). [195] Le terme est aujourd'hui littéraire ou vieilli, et signifie « fardeau ». [196] Le titre de conseiller, qu'on pouvait acheter comme une charge, recouvrait des fonctions très diverses et semblait quelque peu galvaudé : « Titre qu'on donne à presque tous les Officiers du Royaume. Il n'y a pas jusqu'aux Notaires qui prennent maintenant la qualité de Conseillers. » (Fur.) [197] Comprendre : il vient de me quitter. [198] À Crispin. [199] En aparté. [200] Les « petits maîtres » ici. [201] Comprendre : qui me distingue de mes pairs. [202] Instrument de la famille du luth, au manche prolongé pour pouvoir recevoir des cordes graves. Bien que l'instrument possède un répertoire de soliste, il était surtout employé pour la réalisation de la basse chiffrée, improvisant à vue l'accompagnement d'un air soliste ou complétant l'harmonie dans les ensembles instrumentaux. [203] Comprendre : ce n'est pas avoir de grandes prétentions, ce n'est pas exagérer. « *Coucher*, signifie aussi, mettre au jeu, parce qu'en effet on couche, on estend de l'argent sur une table, sur une carte. … En ce sens on le dit figurément des paroles, lors qu'on hable, ou qu'on dit quelque chose de grand, de magnifique, d'extraordinaire. Ce garçon ne demande pas moins qu'une fille de cent mille écus en mariage, il *couche* trop gros.» (Fur.) [204] Depuis la création de l'Académie Royale de Musique, la profession de musicien est ennoblie, d'autant que l'Académie se veut bâtie sur le modèle italien, qui permettaient aux nobles d'exercer le « métier » de musicien sans pour autant faire entorse à leur condition. Cette clause est comprise dans les lettres patentes de 1672 (cf. B. Louvat-Molozay, *Théâtre et musique, dramaturgie de l'insertion musicale*, Paris, Champion, 2002, p. 530). [205] Vers fautif de onze syllabes dans l'édition originale : « Si ce grand Art pour moy n'eust beaucoup d'apas ». [206] Voir l'introduction, 5. 3. [207] « Qui a le visage, & la taille mignonne, & d'une grande propreté dans l'ajustement » (Fur.), par antiphrase ici. [208] Ironie du musicien, qui joue avec les deux sens de *délicat* : 1. « délié, fin, opposé à grossier. » 2. « faible, qui peut recevoir facilement quelque altération. » (A. fr.) [209] La vièle était un instrument méprisé comme celui des musiciens itinérants. Elle reviendra toutefois en faveur au XVIII*e* siècle, où elle sera instrument de Cour. Le joueur de vielle fait tourner au moyen d'une manivelle une roue colophanée qui fait vibrer deux cordes mélodiques (« chanterelles ») et un nombre variable de cordes bourdon. De l'autre main, il produit la mélodie voulue en enfonçant les touches d'une « boîte à clavier », qui agit sur les chanterelles. Sur le comique de ce passage, voir l'introduction. [210] Comprendre : « il me torture l'esprit ». (voir Furetière : « se dit aussi de toute peine ou affliction de corps ou d'esprit … les Poëtes mettent leur esprit à la gesne, à la torture, pour trouver des anagrammes et des acrostiches »). [211] Pour les noms de notes au XVII*e* siècle, voir acte I, note du vers 39. Chanter dans un système par *B quarre* (ou bécarre), c'est se situer dans une échelle de notes où le *si* (notée *B* dans l'ancien système) ne reçoit pas d'altération : elle est donc « bécarre », au sens où le solfège actuel l'entend. Ce système s'oppose à l'hexacorde par *B mol*, où le si est baissé d'un demi-ton. [212] Vers fautif dans l'édition originale (« La vostre, en ce moment, seroit fort mal occupée »). Le duel est proscrit en scène comme à la ville, où des mesures successives ne cessent de légiférer sur ce point, jusqu'en 1679, date où la peine de mort s'applique aux duellistes. [213] Richelet : « C'est faire le furieux et le méchant et au fond ne l'être pas beaucoup. Témoigner en aparence qu'on veut se batre & au fond n'en avoir pas grande envie. » [214] Au sens propre, compte tenu de la scène qui va suivre : se munissant d'un siège. [215] C'est-à-dire qu'il n'arrive pas à la sortir de son fourreau : le fait de montrer une épée nue en scène choque les bienséances dans la seconde moitié du siècle (voir J. Scherer, *La Dramaturgie classique*, Paris, Nizet, s.d., 1950 ; rééd. 2001, p. 414). [216] *Ce* ou *cette rencontre* sont également attestés au XVII*e* siècle, selon Vaugelas qui préconise l'emploi du féminin (*Remarques sur la langue fançaise*, éd. cit., p. 19). Le compte de l'alexandrin impose ici le masculin. [217] « Tout d'abord » (Fur.), d'emblée. Furetière privilégie cette expression à *d'un prinsaut* (c'est-à-dire d'un « primesaut »), forme sous laquelle il en donne la définition. [218] « Apprenez qui je suis ». [219] *Chantre* reçoit ici la connotation péjorative de « mauvais musicien », en vertu de la dépréciation de la musique d'église. Le Pont-neuf, en raison de sa largeur, était devenu le lieu de rassemblement de tous les chanteurs de rue. Les airs qu'on pouvait y entendre étaient de simples vaudevilles, au dessin rythmique répétitif et à la tessiture très restreinte, caractéristiques du lieu au point de recevoir parfois la dénomination d' « airs du Pont-Neuf ». Tous les airs qui connaissaient un certain succès et étaient susceptibles d'être ainsi repris allaient grossir ce répertoire, y compris certains airs d'opéra simples. [220] La brette est une longue épée, associée au personnage qui la porte (le breteur), qui servait plus particulièrement en combat singulier. [221] L'allusion est bien militaire, mais il ne s'agit pas d'une bataille : la plaine du village d'Ouilles (ou Houilles), était le lieu campement d'été des troupes près de Versailles, où le roi passait ses revues. Cf. introduction, 6. 1. [222] Comprendre : « faire affront à ». [223] La question s'adresse à Phélonte. [224] Il existe une nuance entre les deux verbes : *ferrailler*, « c'est un se batant à coups d'épée ne porter que sur les lames », tandis que *chamailler* a le sens plus général de « se battre. Fraper à coups d'épée & autres armes » (Fur.). Ce vers est à rapprocher du vers 704. [225] À rapprocher de la « broche à rostir » du vers précédent (*piquer* : « terme de Cuisinier & de Rotisseur. C'est larder une viande d'un certain sens », Richelet). [226] Voir la note du vers 901. [227] Plutarque avait été introduit en France par la traduction d'Amyot des *Vies Parallèles* en 1572, encore largement en usage dans les collèges au XVII*e* siècle. [228] Sur le jeu de scène, voir l'introduction, 6.2. [229] Voir l'introduction, 6.3. [230] *Payer pot* : comprendre « se mettre en frais de quelque chose », d'un compliment ici. Mais un *pot*, en matière de boisson, est également « une mesure qui contient deux pintes » (A. fr.). [231] Danse à trois temps qui a des affinités avec le menuet, mais d'un tempo particulièrement vif. [232] Le Breton recommence à danser, et tombe une nouvelle fois. [233] À La Ronce. [234] Comprendre : « tout le respect que je vous dois », Fanchon et Lise n'ayant aucun lien particulier dans la pièce. [235] Il s'adresse à Fanchon. [236] Rodomont était le plus courageux et le plus orgueilleux des Sarrasins dans *Le Roland furieux* de l'Arioste ; le mot est devenu synonyme de bravache et de vantard ; il désigne ici ceux qui se vantent d'être invaincus en matière d'amour. [237] « *En tenir*. Etre pris, être dupé, être atrapé. » (Rich.). Furetière, parmi d'autres exemples, précise « qu'un homme en tient … quand il est devenu amoureux ». [238] Comprendre : pour moi, votre cœur dédaigne tous les autres. [239] Comprendre : dès l'abord, d'emblée. [240] Elle désigne la porte du cabinet. [241] Ces derniers mots sont adressés au personnage qui frappe à la porte. [242] Ramassis de termes de « docteur » : l'*étre de raison* est, « en termes de Logique … un Estre qui n'est point réel, & qui ne subsiste que dans l'imagination ». Richelet classe parmi les êtres de raison les universaux (« termes généraux sous lesquels sont compris plusieurs especes et individus » Fur.) et les catégories (division de tous les estres selon qu'ils sont dans la nature, & qu'on les conçoit dans son esprit, pour les ranger par ordre dans diverses classes, & en avoir une connoissance moins confuse » Fur.). On dit proverbialement d'un homme « qui a souvent voyagé dans un même lieu que ce sont ses *galeries* », et qu'il est *grec* dans un domaine « quand il en connoist tout le fonds » (Fur.). [243] Imprécation. Selon Richelet, la « fièvre quarte » est « une sorte de fiévre … qui est causêe par une humeur mélancolique & qui prend à ses accés à chaque quatriéme jour ». [244] Une des références du pédant, qui fait ici allusion à Actéon, fils d'Aristée et d'Autonoé, élevé par le centaure Chiron qui lui apprit l'art de la chasse. Une des versions de la mort d'Actéon veut qu'il ait surpris, lors d'une de ses fameuses chasses, la déesse Artémis alors qu'elle se baignait nue dans une source. Mais Anastase fait économie de la suite de la légende : par vengeance, Artémis le transforma en cerf et lança contre lui les cinquante chiens de sa propre meute, qui le dévorèrent. [245] « On vous en dispense ». [246] bas, à Toinon. [247] On emploie souvent *comme* pour *comment* au XVII*e* siècle : « en français moderne *comme* et *comment* se répartissent les emplois. … Cette opposition n'est pas stabilisée au XVII*e* siècle, et comme est très souvent employé comme adverbe interrogatif ou adverbe connecteur percontatif. » (N. Fournier, *Grammaire du français classique*, p. 125.) [248] *Pedetentim* (ou *pedetemptim*) : adverbe latin, « façon de marcher avec précaution ». [249] Vers fautif de onze syllables dans l'édition originale : « Car la jeunesse, elle est comme cire mole… ». Autre des traditionnelles références du pédant : la comparaison appartient à la description usuelle de l'adolescent (celle de Horace par exemple, voir introduction) ; Descartes a en outre employé l'image de la cire plus récemment dans ses *Règles pour la direction de l'esprit* (XII), et Molière dans une tirade d'Arnolphe dans l'*Ecole des femmes* (« Je ne puis faire mieux que d'en faire ma femme. / Ainsi que je voudrai, je tournerai cette âme ; / Comme un morceau de cire entre mes mains elle est, / Et je lui puis donner la forme qui me plaît. » III, 3, vers 808-811). [250] Toinon adresse ces derniers mots à Daphnis, qui quitte la scène. La fin du vers est en aparté. [251] « Tout de suite ». [252] *Rejetton* : « descendant », et *tige* : « lignée ». Anastase emploie une métaphore appartenant au registre de la tragédie (voir le vers d'Hippolyte dans *Phèdre* : « D'une Tige coupable il craint un rejeton », I, 1). [253] Au sens d'« échelle musicale », l'ancêtre de notre tonalité. [254] Crispin s'adresse exclusivement à Phélonte dans cette réplique et la suivante, répondant ainsi à la place de Dorame et empêchant ce dernier d'intervenir. [255] En aparté. [256] Deux sens coexistent au XVII*e* siècle : « on dit, *En vouloir à quelqu'un*, pour dire, Le haïr, estre porté à luy nuire. … Il signifie aussi, Avoir quelque désir, quelque prétention sur une personne, sur une chose » (A. Fr.). C'est ce second sens qui prévaut ici. [257] À part. [258] Vers fautif de treize syllabes dans l'édition originale  (« Ce n'est rien que d'enfermer deux Hommes sans façon ? »). [259] Sur le choix du mode dans une proposition dépendante régie par un verbe de sentiment ou d'appréciation, N. Fournier note que, même si le subjonctif est le mode normal, « l'emploi de l'indicatif reste possible tout au long du siècle, malgré les réticences croissantes des grammairiens ; il fait alors porter tout le poids de l'assertion sur la complétive » (*Grammaire du français classique*, Paris, Belin, 1998, p. 347). [260] « En Physique on appelle causes *secondes*, celles que la Providence laisse agir » (Fur.). [261] Détester : « faire de grandes imprécations, pester » (Fur.) [262] Il rentre dans son cabinet. [263] En sortant des coulisses, c'est-à-dire en entrant sur la scène. [264] Selon Vaugelas, « cet adverbe, qui signifie *de plus*, a vieilli, & l'on ne s'en sert plus dans le beau style » (*Remarques sur la langue françoise*, 1647 ; Genève, Slatkine reprints, 2000, p. 230). [265] L'emploi du pronom neutre *ce* pour désigner la personne aimée est fréquent au XVII*e* siècle. [266] Le comique vient ici de ce qu'à l'époque, les tempéraments inégaux (c'est-à-dire l'espacement inégal entre les différentes notes de la gamme) conféraient pour les théoriciens de la musique un caractère particulier à l'emploi de chaque tonalité : l'emploi de certains tons était effectivement rattaché à l'expression de la douleur. [267] Diérèse : le mot compte pour deux syllabes. [268] La réplique est ambiguë et suppose un jeu qui la souligne : le geste de Crispin peut reprendre l'image traditionnelle de l'amour-poison s'infusant dans le cœur par le regard, mais on pourrait aussi imaginer un geste plus trivial, que les bienséances interdisent cependant dans la deuxième moitié du siècle. (voir Scherer, *La dramaturgie classique en France*, Paris, Nizet, s.d. 1950 ; rééd. 2001, p. 399-410.) [269] Comprendre : « pour mieux remettre son sort entre vos mains ». [270] *la* : « sa vengeance ». [271] Comprendre : pris au dépourvu. Le jeu du vert se pratiquait au mois de mai, et consistait à toujours porter sur soi un feuillage de cette couleur. Celui qui ne s'en était pas pourvu était soumis à une amende : « Il y a longtemps que cette sorte de défi est en usage. Il engage à porter quelques feuilles de groseiller dans une boîte. On doit prendre soin de les renouveler tous les jours et on est vaincu, quand on est surpris sans avoir sa boîte. » (« Le Jeu du vert », juin 1679, *Anthologie des nouvelles du Mercure Galant*, éd. M.Vincent, Paris, STFM, 1996.) [272] À part. [273] Comprendre : « nous sommes gens chez qui l'on vient publiquement ». [274] Nom traditionnel de valet (voir Emelina, *Valets et servantes dans le théâtre comique français*, Presses universitaires de Grenoble, 1975, p. 346). [275] Jeu sur les sens propre et métaphorique du terme : le style fleuri est un style musical contrapuntique et mélismatique. [276] En aparté. [277] *Id.* [278] En aparté. [279] *Musiciens* est synonyme de « chanteurs » au XVII*e* siècle. [280] Comprendre : « sans pareille ». Cette réplique de Lise, de même que la suivante, est prononcée en aparté. [281] À Dorame. [282] Dans ce sens, les deux orthographes *conte* et *compte* sont concurrentes. [283] Comprendre : « Puis-je témoigner assez de reconnaissance à … ? » [284] Il s'agit du titre de l'air qui s'apprête à être chanté (cf. vers 1825-1830). [285] Au sens musical : un ensemble de chanteurs. [286] Il s'agit des trois jours habituels pour les représentations théâtrales, les mardi, vendredi et dimanche. [287] Gabriel-Nicolas de la Reynie (1625-1709), lieutenant général de police de Louis XIV.