--- identifier: montfleury_fillecapitaine creator: Montfleury, Antoine Jacob ; Georges Forestier. date: 1672 title: La Fille capitaine. Comédie --- La Fille capitaine Comédie Par A.I MONTFLEURY. A PARIS, Chez PIERRE LE MONNIER, vis-à-vis la Porte de l'Eglise de la Sainte Chapelle, à l'Image de S. Loüis, & au Feu Divin. M. DC. LXXII AVEC PRIVILEGE DU ROI. Édition critique établie par Marine Secchi dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2012-2013) # L'auteur et son œuvre. ## Biographie et carrière théâtrale. Antoine Jacob Montfleury est né en 1639 à Paris [1] de l'union du célèbre comédien de l'Hôtel de Bourgogne, Zacharie Jacob dit Montfleury [2], et de « l'actrice, veuve et fille de comédiens » Jeanne de la Chappe [3]. Licencié en droit, il est reçu avocat au Parlement en 1660. Mais sa carrière dans ce domaine est écourtée par son goût pour le théâtre: la même année il compose sa première pièce en un acte, *le Mariage sur rien*, qu'il signe « Antoine Jacob, advocat au parlement ». Victor Fournel indique que cette signature constitue « la seule trace qu'il ait laissée de son passage au barreau [4]». L'environnement familial rend propice son introduction dans le milieu du théâtre. En effet, grâce à son père, il naît quasiment dans la troupe de l'Hôtel de Bourgogne, de telle sorte que le 5 février 1665 il épouse la fille du célèbre comédien Flodilor [5], dirigeant de la troupe, Marie-Marguerite de Soulas, dont il eut un enfant, Mademoiselle le Plessis [6]. Partageant le même patronyme que son père, l'histoire littéraire tend à confondre les deux hommes, si bien que, Adrian Braakman dans l'édition de 1697 des *Œuvres de Montfleury*, réunit en une seule et même personne le père et le fils. Christophe David en fait de même dans l'édition de leurs œuvres en deux volumes (*Œuvres de M. Montfleury*, format in-12 Paris, 1705). Il faut attendre l'édition de 1739 du *Théâtre de Messieurs de Montfleury Père et fils* (Paris) établie par La Compagnie des Libraires pour que cet amalgame soit corrigé. Sa production théâtrale s'étend de 1660 à 1678, période pendant laquelle il écrivit en moyenne une pièce par an. On recense 17 pièces de sa production, parmi lesquelles on compte deux tragi-comédies, *Trasibule* (1663), et *L'Ambigu Comique* (1673), qui comporte des intermèdes comiques. Il coécrit avec Thomas Corneille en 1673 une comédie en 5 actes, *Le Comédien Poète*. L'échec de *Trigaudin ou Martin Braillart* en 1674 marque le déclin de sa carrière. Après 3 ans sans production théâtrale, il signe deux dernières pièces, *Crispin Gentilhomme* en 1677 et *La Dame médecin* en 1678, deux comédies en cinq actes, avant d'abandonner l'écriture pour embrasser une nouvelle carrière, dans le domaine de la finance. En 1678, il accepte la charge que Colbert lui confie, à savoir faire le recouvrement des sommes que le Parlement de Provence devait au roi. Satisfait de son travail, le Ministère le rappela à Paris en 1684 pour lui proposer un poste dans les Fermes Générale. Mais son état de santé s'aggrava et il mourut à Aix le 11 octobre 1685. ## Rivalité avec Molière. Si l'histoire littéraire ne se rappelle pas bien de Montfleury, c'est parce qu'il fut contemporain de Molière. Leurs carrières respectives se chevauchent [7], et on observe quelques similitudes quant aux thèmes traités dans leurs pièces : Lancaster prend note de cette analogie [8], mais semble donner l'ascendant à Molière [9]. La rivalité entre les deux hommes se concrétise sur la scène parisienne lorsque Molière, en novembre 1663, raille le jeu d'acteur de Montfleury père dans *l'Impromptu de Versailles* (I,1). Montfleury fils riposte un mois plus tard avec *l'Impromptu de l'Hôtel de Condé* où il parodie les déclamations tragiques de Molière. La critique lui reproche son style grossier, la crudité du langage, et les scènes à la limite de la bienséance [10]. Le thème de l'adultère est récurrent : on le retrouve dans *Le Mary sans femme* (1663), *la Femme juge et partie* (1669), *le Gentilhomme de Beauce* (1670) et *La Fille Capitaine* (1672). Si la postérité sera sévère, le public de son temps a su apprécier ses pièces à leur juste titre : *Le Mercure Galant* du mois d'août 1705 rapporte l'engouement du public pour *La Fille Capitaine* et pour *la Femme juge et partie* [11]. Les critiques du XIX*e* [12] lui reconnaissent un talent de dramaturge qui a su plaire au public par la maîtrise de la modeste comédie d'intrigue. N.-M. Bernardin justifie le jugement sévère de la communauté littéraire en disant que « ce qui a nui surtout dans l'esprit de la critique à Montfleury … c'est qu'il a eu le malheur d'être le contemporain de Molière et l'imprudence de prétendre être son rival ». [13] Montfleury n'en reste pas moins un auteur talentueux de son temps, qui mérita tout de même de susciter quelques études à son sujet, notamment celle de Walter Rohr [14]. # La Fille Capitaine. Nous avons vu jusqu'ici le paradoxe qu'il y a entre la critique, sévère à l'égard de cet auteur, et le public, dont l'engouement pour les pièces de Montfleury nuance le tableau dépeint par ses contemporains. Avant d'examiner plus en détails l'objet de notre étude, il semble préférable d'exposer le résumé, aussi détaillé fut-il, afin d'avoir une vue d'ensemble de la pièce et de mieux en comprendre l'intrigue. ## Argument de la pièce. ### Acte I. La scène se passe à Paris. Angélique, dont le père est parti pour Saint-Germain, annonce à sa cousine Lucinde qu'elle vient passer huit jours chez elle. Lucinde, quant à elle, attend le retour de son frère, Capitaine dans le Régiment du Roy. La jeune femme est amoureuse de Damon qui l'aime aussi, est tous deux attendent le retour du frère afin qu'il donne son aveu pour leur mariage. Les deux parentes, bien qu'elles soient complices, n'ont pas la même vision des hommes et de l'amour : Angélique expose une vision très libertine du mariage et s'amuse dans la raillerie, tandis que Lucinde croit en les valeurs du mariage et de l'engagement (scène 1). Damon arrive, désespéré par l'attente de ce frère qui tarde à arriver. Angélique se réjouit à l'idée d'aller danser (scène 2). Cato, la suivante de Lucinde entre à son tour, et crée une fausse joie en annonçant l'arrivée de L'Espérance, sergent du frère de Lucinde qui sert aussi dans le Régiment du Roi (scène 3). Celui-ci apporte un billet de la part du Capitaine à Lucinde. Il explique que la Compagnie revient de Flandre, et que le frère de Lucinde, ayant trop bu la veille, aura un jour de retard. L'Espérance est à Paris pour mener une Recrue, c'est-à-dire trouver vingt hommes et en faire des soldats En attendant le retour du frère, Damon décide d'aller demander l'aveu de son oncle pour son mariage (scène 4). Cato emmène L'Espérance se désaltérer, ils sortent tous les deux (scène 5). Lucinde et Angélique se retrouvent de nouveau seules. Lucinde confie son inquiétude à sa cousine à propos de l'aveu de l'oncle de Damon. Elle lui révèle que celui-ci est aussi amoureux d'elle et qu'il est marié. Elle dresse un portrait risible de ce Monsieur le Blanc et avoue qu'elle a caché à Damon cette affaire de peur de brouiller les deux hommes. Elle craint qu'il ne s'oppose à son union avec le jeune homme. Etant aussi son tuteur, elle s'inquiète quant à la fortune de Damon. Angélique, qui se rit de cette situation, envisage de berner ce galant. Monsieur le Blanc arrive et elles partent toutes deux de peur de le rencontrer (scène 6). Monsieur et Madame le Blanc font leur entrée. Le couple se dispute : Madame le Blanc, qui est une femme aimante, reproche à son époux ses nombreuses sorties. Monsieur le Blanc raille son épouse et la congédie (scène 7). Il se plaint dans un monologue de l'amour étouffant qu'elle lui porte (scène 8). Damon arrive et fait part de son projet de mariage à son oncle, lequel le met en garde sur la réalité d'une telle entreprise. Damon révèle l'identité de Lucinde, et Monsieur le Blanc, au deuxième hémistiche du même vers, fait l'aveu en aparté de son amour elle. L'oncle s'emporte et refuse cette union, mise en péril par le mode de vie léger de son neveu, et finit par le congédier (scène 9). ### Acte II. Lucinde parle avec sa suivante, Cato, qui s'étonne de cette situation, expose le plan d'Angélique pour berner le galant : celle-ci va se déguiser avec les habits du Capitaine. On comprend que tous les personnages ont un rôle à jouer dans ce stratagème, même Madame le Blanc qui arrive avec Damon. Les deux femmes se saluent et échangent des politesses. Angélique entre à son tour, déguisée en Capitaine et déjà dans son rôle. Tous la complimentent sur sa tenue, mais bientôt La Brie, le laquais de Damon, vient annoncer la venue de Monsieur le Blanc. Tous sortent à l'exception de Cato qui doit le recevoir. La suivante accueille le galant et l'informe du prétendu amour de sa maîtresse pour lui. Celui-ci, pressé de la voir, est ralenti dans ses projets lorsque Cato lui apprend que Lucinde s'entretient avec son frère, un Capitaine du Régiment du Roi. Monsieur le Blanc, prit de peur, souhaite partir, mais Cato le retient prétextant la déception de sa maîtresse. Elle lui propose alors de le cacher si le Capitaine s'approche. Il se lamente quelques instants, puis Cato revient accompagnée de Lucinde. Pendant que la suivante veille à ce que le Capitaine n'approche pas, Lucinde et Monsieur le Blanc s'entretiennent. Mais bientôt Cato revient alertant que « le Capitaine » vient, et décide de cacher Monsieur le Blanc. Angélique fait son entrée, e présence du galant caché, et interroge Cato sur la conduit de sa sœur pendant son absence. Ses menaces envers les Galants effrayent Monsieur le Blanc. Mais bientôt le Capitaine exprime son désir de revoir une ancienne maîtresse, la femme d'un bourgeois, et charge Cato de la lui amener. L'Espérance fait son entrée l'informant qu'il n'a trouvé que dix-neuf hommes bien bâtis pour la Recrue. Cato revient accompagnée de Madame le Blanc, l'ancienne maitresse du Capitaine. Monsieur le Blanc toujours caché ne peut agir et enrage. Tous partent et il peut enfin sortir de sa cachette. Cato revient et Monsieur le Blanc lui confie qu'il est à la disposition de Lucinde. Il part laissant Cato seule qui jubile de cette situation. ### Acte III. Lucinde, à la recherche de Cato, rencontre Angélique qui l'informe que Cato est partie en ville porter un billet de sa part à Monsieur le Blanc. Lucinde reproche à Angélique sa légèreté et s'inquiète à propos de Madame le Blanc, qui semble, pour son époux, être infidèle. Angélique se défend de ses reproches et garde le silence quant à la suite des évènements. Elles quittent la scène lorsque Monsieur le Blanc arrive ; il réfléchit aux moyens de punir sa femme sans en trouver aucun. Damon et Madame le Blanc entrent alors. Le mari s'emporte contre sa femme de laquelle Damon prend la défense. Tous deux reprochent au présumé cocu de ne pas s'être manifesté lors de l'entretien et l'accusent d'avoir rêvé. Madame le Blanc part ; Damon expose l'alibi de sa tante : elle était chez sa sœur avec lui. Monsieur le Blanc sur les conseils de son neveu décide alors de ne pas s'emporter davantage mais d'attendre la confirmation de cet adultère afin de se venger. Monsieur le Blanc reste seul et Cato arrive alors lui porter le billet prétendument écrit par Lucinde. Son contenu semble confirmer les sentiments de la jeune femme à l'égard du vieil homme. Il demande aussi à Cato de lui arranger un entretien avec la maîtresse du Capitaine, sa Femme. Il la paye en lui donnant sa bague. ### Acte IV. L'Espérance, seul sur scène, se réjouit de sa Recrue et vante les avantages de la vie de militaire. Cato arrive et l'informe qu'Angélique a besoin de lui pour berner une fois de Monsieur le Blanc. L'Espérance fait part à Cato de son amour pour elle. La suivante le repousse et il sort. Elle reste seule, pestant contre lui. Madame le Blanc entre, et Cato l'informe qu'un autre Galant souhaite l'entretenir. D'abord indignée, elle reconnait la bague de son mari. Elle craint que la farce ne soit allée trop loin, mais Cato la rassure. Elle quitte la scène et Monsieur le Blanc fait son apparition. Cato va chercher Lucinde. La jeune fille avoue son amour pour lui, et souhaite se marier au plus vite. Monsieur le Blanc, prudent, lui soumet l'idée d'une union non légitime mais spirituelle, à laquelle Lucinde consent. Angélique déguisée en Capitaine entre folle de rage et menace de son épée Monsieur le Blanc. Lucinde tente de le défendre en lui exposant leur amour mais « le Capitaine » reste inflexible. Alors elle évoque la fortune du galant et Angélique rengaine, au grand soulagement de Monsieur le Blanc. Elle appelle alors L'Espérance et lui ordonne d'aller chercher un notaire pour les marier sur l'heure. Monsieur le Blanc tente de repousser l'échéance par tous les moyens mais « le Capitaine » refuse, prétextant son départ imminent. Il avoue finalement être déjà marié et le Capitaine entre décide de le tuer. L'Espérance parvient à raisonner son maître en lui proposant de faire enrôler l'escroc. Monsieur le Blanc, terrifié, ne peut que se soumettre. ### Acte V. Lucinde et Damon s'entretiennent. Ils sont rassurés par l'arrivée de son frère le soir même. Angélique et Madame le Blanc les rejoignent. La dame s'inquiète pour Angélique, lorsqu'elle sera démasquée. L'Espérance entre à son tour, les informant qu'il a laissé Monsieur le Blanc avec les autres soldats. Tous se cachent lorsque celui-ci arrive, se plaignant de son sort. Cato vient alors, en pleurs, l'informant du triste sort que le Capitaine a fait à sa sœur : Lucinde est condamnée à passer sa vie au Couvent. Elle lui rapporte aussi que la maîtresse du Capitaine est ici, pour calmer la colère du soldat. Cato va la chercher, et L'Espérance fait son entrée, bousculant Monsieur le Blanc. L'homme lui demande de différer le départ et devant le refus de son supérieur, le soudoie. L'Espérance part avec l'argent et Cato entre avec Madame le Blanc. Monsieur le Blanc se fait passer pour le Capitaine pour piéger sa femme. Sûr de l'infidélité de son épouse, il dévoile son identité et se met en colère, ce qui fait fuir sa femme. Cato arrive alors, inquiète des cris qu'elle a entendus ; puis Damon la rejoint. Le jeune homme s'étonne de l'accoutrement de son oncle et décide de parler au Capitaine. Angélique entre et s'excusant de s'être emportée contre Monsieur le Blanc, oncle de Damon, décide de le laisser en paix, et consent au mariage entre les deux jeunes gens. Mais Monsieur le Blanc s'oppose toujours à ce mariage, invoquant l'infidélité de sa femme avec le Capitaine. Angélique fait alors venir Madame le Blanc et veut l'embrasser devant son époux. Celui-ci entre dans une colère noire, et tout le monde révèle alors la supercherie. Angélique se démasque, ce qui innocente Madame le Blanc. Lucinde entre enfin pour annoncer la venue de son frère. ## Une œuvre faussement éponyme ? Le titre, *la Fille Capitaine*, fait directement référence au personnage d'Angélique. En effet, la jeune femme, pour piéger Monsieur le Blanc et permettre à sa cousine Lucinde d'évincer cet obstacle à son union avec Damon, revêt les habits de son frère. Mais ce personnage n'est pas le centre de la pièce. Bien que l'action gravite autour d'elle, et que celle-ci se démarque comme metteur en scène et maître des opérations, la pièce a pour objet la mise en déroute du barbon. Angélique en se déguisant, n'est qu'un moyen pour y parvenir. Les autres personnages, notamment les serviteurs, sont tout aussi importants dans la mesure où ils prennent tous part à la duperie. De plus, Angélique, en terme de présence sur scène, n'occupe que la troisième marche du podium. [15] On peut se demander si Montfleury ne s'est pas contenté de traduire simplement le titre espagnol, déçu que l'appellation de* Cocu imaginaire* [16] fut déjà attribuée à une autre pièce. # Les origines de l'œuvre. ## *La Dama capitan* : source principale. Prosélyte de la langue de Cervantès et averti de la richesse de la production dramatique espagnole, Montfleury s'est inspiré à plusieurs reprises de pièces espagnoles pour écrire les siennes. En effet, *la Femme juge et partie* (1669) est une adaptation de *la Dama corregidor* de Villaviciosa Zabaleta ; il en est de même pour *la Fille capitaine* (1672) qui est inspirée et largement adaptée de *la Dama capitan* (1671) de Don Diego et Don Joseph de Figueroa y Cordova [17]. La proximité temporelle des deux œuvres laisse à penser que le dramaturge français a voulu s'inscrire tardivement dans le genre de la comédie à l'espagnole. Avant d'entreprendre une tentative de comparaison [18] entre les deux œuvres, il semble préférable de préciser ce qu'est la comédie à l'espagnole. ## La comédie à l'espagnole. Ce courant théâtral surgit en France à la fin des années 1630 et peut se définir comme étant l'adaptation de pièces espagnoles sur la scène française. Les relations étroites entre l'Espagne et la France au XVII*e* siècle favorise l'émergence de ce type de pièces. C. Grell et B. Pellistrandi, dans leur ouvrage* Les Cours d'Espagne et de France au XVII*e* siècle*, préfèrent parler « de passage du relais entre les deux puissances catholiques » plutôt que de la prépondérance du Grand Siècle français sur le Siècle d'Or espagnol. En effet, l'alliance entre Louis XIII et Anne d'Autriche, qui fait de l'infante d'Espagne la reine de France et de Navarre de 1615 à 1643, et la présence de courtisans espagnols à la Cour du roi, permet le développement de l'intérêt pour la culture espagnole, lequel est doublé de liens commerciaux étroits avec la péninsule ibérique. Ajoutons à cela la pratique assidue de la langue espagnole dans certaines villes de France, notamment à Rouen et à Nantes, où l'on « parle, rédige et lit l'espagnol ». [19] Cependant, les quelques représentations de *comedias* données à Paris par des troupes espagnoles rencontrèrent peu de succès. La *comedia* espagnole est véritablement importée en France par le géographe Antoine d'Ouville, lequel après avoir passé plusieurs années en Espagne, propose à son retour en France de « transformer la pièce espagnole en une comédie française faisant disparaître au passage son étiquette d'origine » [20]. La comédie à l'espagnole montre la survivance d'éléments espagnols dans leur transformation. En Espagne, pendant le Siècle d'Or, le théâtre est un pilier du divertissement : il y a véritablement une culture dramatique comme l'explique Farida Hofer y Tunon, « le théâtre se développe avec la société qu'il a pour but de divertir ». En France au XVII*e* siècle, le théâtre n'a pas cette fonction de « liant collectif », d'après l'expression de R. Muchembled. Au début du XVII*e* siècle, Paris n'abrite pas de théâtre stable, à l'exception de l'Hôtel de Bourgogne, fondé en 1548, mais qui demeure encore la propriété des Confrères de la Passion [21]. La bonne société parisienne du XVII*e* siècle se divertit dans les salons sous l'impulsion de la mode lancée par la Marquise de Rambouillet, laquelle, dès 1618, se fait connaître par ses réceptions dans sa « Chambre Bleue ». Mais l'intérêt de Richelieu et du Roi étant tout autre, un processus d'anoblissement du théâtre est entamé, via des lois réhabilitant des comédiens et la généralisation des représentations de spectacles de théâtre à la Cour et dans Paris. La popularisation dans les années 1620 des tragédies, tragi-comédies et des pastorales, ainsi que l'augmentation du prix de l'entrée pour le parterre, qui s'élevait à 5 sols en 1630 et qui triplera jusqu'en 1660, témoignent de la réussite de l'entreprise de Richelieu qui parvient à faire du théâtre un « liant collectif ». Ainsi, J. Scherer écrit que « quand s'achève le demi-siècle pré-classique, le théâtre est … devenu un phénomène social de premier plan. » Alain-René Lesage fut le premier à entreprendre un travail systématique de traduction de pièces espagnoles : en 1700, dans *le Théâtre espagnol ou les Meilleurs comédies des plus fameux auteurs espagnols traduites en François*, il réunit deux *comedias* de Don Lope de Vega et de Rajas Zorilla, qu'il traduit en prose. Cependant, quelques dramaturges français avaient déjà adapté des pièces espagnoles en fonction du goût du public et des normes esthétiques françaises. Ces adaptations ont permis la diffusion de ce théâtre espagnol accessible jusqu'alors seulement aux érudits. La première adaptation de ce type est *la Bague de l'oubly* (1629) de Rotrou, une pièce adaptée de *La sortija del olvido* de Lope de Vega, et à propos de laquelle Lancaster écrit « it was the first time that a French dramatist based a play on a Spanish play. » [22] Les années 1640 font souffler un vent espagnol sur le théâtre français, [23] notamment et paradoxalement sur la comédie qui a le plus bénéficié de l'influence espagnole, laquelle demeurait, avant *Mélite* (1629) de P. Corneille, quasi-inexistante. Le développement de la comédie va de pair avec la conception utilitaire et socialisante du théâtre qui émerge dans les années 1630. Cette évolution tardive de ce genre est due en partie au public, principalement composé de la noblesse et de la haute bourgeoisie, et de ses attentes. En effet, l'intérêt du spectateur de l'époque était plus porté sur le genre de la pastorale et de la tragi-comédie, comme en témoigne le succès de *l'Astrée* [24] (1607-1627) ; le mépris des théoriciens s'inscrivant dans l'héritage aristotélicien pour la comédie fait de ce genre le laisser-pour-compte du théâtre. Fournel mentionne même l'absence de modèles comiques antiques, contrairement à la tragédie. L'essor de la comédie s'amorce avec Corneille qui pratique un  comique sophistiqué, qu'il qualifie lui-même comme étant « la peinture de la conversion des honnêtes gens » [25]. On citera pour mémoire *La Veuve* (1631), *La Galerie du Palais* (1633), *La Suivante (*1634), ou encore *La Place Royale* (1634). Madeleine Bertaud écrit : « Corneille a donné au « genre moyen » qu'était la comédie ses lettres de noblesse. » [26]*L'Esprit Folet* de d'Ouville en 1638 signe l'arrivée en France de la comédie à l'espagnole, laquelle sera déclinée, dès 1643, par Scarron en sept comédies, par Brosse dans *Les Innocents coupables* [27] et Corneille avec *le Menteur* (1644) et *la Suite du Menteur* (1645), et dans lequel il explique que de la même façon qu'il prit Sénèque pour « appui » pour se hisser à « la dignité du tragique », il prit Lope de Vega pour « guide » dans le registre comique. [28] D'autres auteurs se sont aussi essayés à la comédie à l'espagnole comme Thomas Corneille et Boisrobert qui comptent respectivement huit et sept comédies de ce genre. À la fin des années 1650, la comédie à l'espagnole s'efface en tant que carcan de création, mais demeure présente sur le théâtre : ainsi Molière et sa troupe continuent de jouer des comédies à l'espagnole de Scarron et des frères Corneille [29]. Mais le goût pour l'adaptation subsiste : plus tard, Hauteroche et Thomas Corneille s'inspirent de *la Dama duende* de Calderon de la Barca [30] pour *l'Esprit Folet ou la dame invisible* (1684). La comédie à l'espagnole rencontre cependant des problèmes de sources. En effet, durant les années de la Fronde (1647-1650), aucune comédie à l'espagnole n'est imprimée, passant sous silence les sources des pièces aux yeux du public. Seul Corneille dans l'épître et l'avis au lecteur du *Menteur* (1644) mentionne l'origine espagnole, contrairement à d'Ouville qui en 1646 a déjà publié l'ensemble de ses pièces. [31] La mention des sources espagnoles ne se normalise que dans les années 1650, mais les marques de reconnaissance des auteurs espagnols demeurent peu nombreuses. D'un point de vue synchronique, les dramaturges du XVII*e* siècle considèrent leurs œuvres comme des « copies » [32]. Lambert nuance ce terme en explicitant l'expression « petite oeconomie » qu'emploie Corneille, afin de mettre l'accent sur les changements effectués. [33] En raison du contexte belliqueux franco-espagnol, Corneille esquive l'accusation de traîtrise de la part de la critique en qualifiant le *Menteur* de « larcin » [34] et donne ainsi l'impression de piller l'ennemi plus que de voir en lui une source d'inspiration à part entière. Les dramaturges s'essayant à la comédie à l'espagnole semblent tous suivre une politique de travestissement des sources, et veillent, selon les propos de Corneille, à « habiller à la française » le sujet espagnol. [35] Ce déguisement de l'original [36] passe par une transposition radicale de l'action de la pièce espagnole dans un environnement français ce qui a pour conséquences de gommer les liens entre les deux textes. [37] Stucture des comédies à l'espagnole : l'ouvrage de référence sur la composition des *comedias* est le traité de Lope de Vega de 1609, *Arte nuevo de hacer comedias en este tiempo* [38], dans lequel il expose sa conception du théâtre, et les procédés pour obtenir la *comedia nueva*. La structure externe se distingue nettement de la composition théâtrale française : la pièce est divisée en trois *jornadas*, que l'on traduira comme étant des actes, lesquelles ne sont pas subdivisées en scènes, contrairement au théâtre français, où les actes se partagent en scènes régies par les entrées et les sorties des personnages. Les jordanas sont cependant divisées en deux séquences appelées cuadros (tableaux) : le premier délimite une action qui se passe en un lieu et un temps déterminé et s'interrompt sensiblement par un changement de décor ou de métrique qui marque le début du deuxième tableau. La polymétrie est caractéristique de ce théâtre espagnol. Le Siècle d'Or fait varier la métrique selon le rang social des locuteurs, la situation, les sentiments exprimés, les formes de discours utilisés. Ainsi les personnages nobles et âgés s'expriment en vers longs appelés *de arte mayor* [39] ; les valets et les récits amoureux emploient des vers courts, *de arte menor* [40]. Cette polymétrie donne une musicalité au texte ce qui permet de rendre sensible au spectateur les différents moments de la pièce. La structure interne des *comedias* ne se distingue pas fondamentalement de celle des comédies françaises dans la mesure où Lope de Vega ne suit que de très loin les préceptes d'Aristote. Mais bien qu'il soit quelques fois question des trois unités, on relèvera que celles-ci sont traitées avec plus de souplesse en vue d'une adaptation avec les contraintes du genre théâtral. En effet, si l'unité d'action est présente dans l'ouvrage du dramaturge espagnol, l'unité de temps et de lieu ne sont qu'esquissées. Le changement de tableau et le séquençage d'une œuvre en journées impliquent une plus grande maniabilité des paramètres spatio-temporels. ## Argument de la Dama capitan. Avant d'exposer le sujet de la pièce de Don Diego et Don Joseph de Figueroa y Cordova, il est d'important de préciser les difficultés rencontrées au cours de notre étude. En effet, aucune traduction de cette œuvre n'ayant été établie auparavant, l'une des difficulté majeure de cette édition critique a été de lire, de comprendre et de transposer le plus fidèlement possible le propos espagnol. Avec l'aide d'une étudiante en espagnol, nous sommes parvenue à esquisser une traduction en prose [41]. *La Dama capitan* se découpe en trois journées, conformément à l'usage espagnol, et compte un peu plus de quatorze personnages [42]. ### Première jornada. Dona Elvira, une jeune femme noble, s'enfuit de chez elle avec sa suivante, Dona Lucia. Dona Elvira exprime à sa confidente son intime conviction d'être née pour de plus grandes choses que celles auxquelles la cantonnent son sexe; elle sent en son cœur une ferveur masculine qui la fait aspirer à accomplir des actions nobles et guerrières, des actions d'homme. Dona Lucia se montre compréhensive envers sa maîtresse : elle dénonce l'éducation de la tutrice de Dona Elvira, tutrice qui se trouve être sa tante -en effet, on apprend dans ce récit rétrospectif que les parents de la jeune fille sont morts. La parente est présentée comme une harpie qui n'éleva sa nièce que dans le but de la faire rentrer au couvent. Dona Elvira fait part de l'objet de sa fuite : retrouver le Comte de Fuentes à San Sebastian et se joindre à ses hommes pour partir en campagne dans les Etats de Flandres. Cependant, la suivante émet quelques inquiétudes à ce sujet : elle craint que la jeune femme ne rencontre son frère, Don Fernando de Vergara, capitaine dans l'armée, et qu'elle ne soit démasquée. Dona Elvira assure que s'ils venaient à se rencontrer, il ne la reconnaîtrait pas car il ne l'a pas revue depuis l'enfance. La conversation entre les deux jeunes femmes est interrompue par l'arrivée de deux muletiers [43]. Après l'affront sur l'honneur d'un des personnages, Dona Elvira, déguisé en homme, dégaine son épée. Une scène de combat commence alors, et les quatre personnages sont bientôt rejoins par deux brigands. Les jeunes femmes parviennent à s'enfuir après avoir poignardé leurs adversaires. Entrent alors le Sergent Palomo et l'aubergiste Juana. Le soldat déclare sa flamme à la jeune fille, indifférente à ses plaintes. Dona Elvira/Lope et Dona Lucia/Martin viennent à la rencontre de la jeune aubergiste, qui tombe sous le charme de Don Lope, et obtiennent un gîte pour la nuit. Le Sergent ayant assisté à cette scène de séduction, il se bat avec les deux jeunes gens et ils quittent la scène en croisant le fer. Don Fernando de Vergara entre avec le Baron. Le Capitaine confie son amour pour Madame Bianca. Don Lope et Don Martin reviennent sur scène, et les quatre personnages assistent à l'arrivée d'un cortège de fête. Don Fernando et Don Lope ramassent en même temps une rose tombée, et débutent une joute verbale. Don Elvira/Lope reconnaît son frère grâce au Comte de Fuentes, lequel veut faire pendre le jeune homme. Don Elvira/Lope, par un plaidoyer, parvient à faire valoir sa condition de civil, et le Comte l'enrôle dans l'armée. ### Deuxième jornada. Le deuxième tableau s'ouvren sur une scène de combat entre deux armées. Don Elvira/Lope est tombée au front, blessée, mais ramène deux drapeaux, symbole de victoire. Le Comte de Fuentes, après avoir loué les qualités guerrières de Don Fernando, fait l'éloge de la bravoure de Don Lope. Après un discours sur la bataille qui vient d'avoir lieu, entrent Madame Blanca et Julia, sa suivante. La jeune noble tombe sous le charme de Don Lope et la scène s'achève sur un quatuor amoureux. En effet, Madame Blanca est éprise de Don Elvira/Lope, alors que Don Fernando est épris d'elle. ### Troisième jornada. C'est au Comte de Fuentes de décider qui de Don Fernando ou Don Lope obtiendra la main de Madame Blanca. Après avoir défendu sa flamme, Don Fernando doit accuser la décision du Comte qui est de donner la belle à son rival. Madame Blanca s'accommode de cette décision mais ne reste pas insensible au plaidoyer du capitaine. Don Elvira/Lope décide alors de rétablir la vérité : en se démasquant elle offre la main de la jeune femme à son frère. ## L'habit français. Il s'agit maintenant de relire la pièce de Montfleury à la lueur de la source espagnole. Pour illustrer notre propos, un tableau comparatif nous a semblé plus clair et explicite qu'une diatribe. La Dama capitan (1671), Don Diego et Don Joseph de Figueroa y Cordova | La Fille Capitaine (1672), Montfleury Dona Elvira, jeune noble se déguise en homme afin d'accomplir ses aspirations : embrasser une destinée glorieuse et guerrière. | Angélique se travestit en Capitaine pour aider sa cousine Lucinde à arriver à ses fins : se marier avec Damon. Dona Lucia, sa suivante, se déguise pour accompagner sa maîtresse. | Lucinde, cousine d'Angélique, noble aussi, ne se déguise, mais joue un rôle, celui de la jeune femme séduite par Monsieur le Blanc. Le rapport hiérarchique dans la pièce espagnole est transformé en lien de parenté dans la pièce française. Il n'y a plus de rapport maîtresse/suivante mais de jeunes femmes, cousines, et de même rang social. De plus, on passe de deux personnages déguisés physiquement à un seul personnage travesti ; on peut considérer que le rôle que joue Lucinde auprès de Monsieur le Blanc est un déguisement, de l'esprit cette fois. Don Fernando de Vergara, capitaine, est présent physiquement sur scène. | Le frère de Lucinde, Capitaine dans le Régiment du Roi n'est présent que dans le hors-scène, et par contumace, sous le déguisement d'Angélique. On a d'un côté un personnage masculin, figure de l'autorité, présent effectivement ; de l'autre, un personnage absent mais représenté. La Flandre est mentionnée dans les deux œuvres. Plusieurs scènes de batailles, parfois violentes, et toujours dans des lieux différents. | Pas de scène de bataille, tout juste une scène de duel (IV, 8). Quiproquo amoureux involontaire : Don Fernando épris de Madame Blanca, elle-même éprise de Don Elvira/Lope. | Quiproquo amoureux involontaire : Monsieur le Blanc épris de Lucinde, elle-même éprise de Damon. Quiproquo amoureux fictif : Angélique/Capitaine éprise de Madame le Blanc et réciproquement. On a dans chaque pièce une situation de quiproquo amoureux découlant du travestissement. Dans la pièce espagnole, il n'est qu'une conséquence involontaire ; dans la pièce française, le premier est un moteur de l'action ; le second est un moyen d'action. Dans les deux pièces, le dénouement qui signe le retour à la norme, s'opère avec l rétablissement des identités. Bas les masques ! Montfleury ne s'est pas contenté d'adapter la pièce espagnole à la scène française mais il a récupéré les éléments principaux de la source pour les mettre au service du comique de sa pièce. Dans *la Fille Capitaine*, un seul personnage se déguise et tous sont dans la confidence du stratagème, alors que dans la pièce espagnole, deux personnages sont travestis et les autres protagonistes ignorent tout de ce changement d'identité. Aussi, le thème du travestissement est repris à des fins comiques : le déguisement d'Angélique permet de mettre à mal Monsieur le Blanc et de le confronter au ridicule de sa situation. Dans *la Dama capitan*, le ton de la pièce est plus grave : les deux jeunes femmes se déguisent pour fuir le joug tutélaire de la tante de Dona Elvira et ainsi assouvir ses aspirations héroïques. La pièce de Montfleury se démarque par son originalité quant à l'illusion de la liberté des personnages. En effet, le spectateur a l'impression, dès l'acte II, que le dramaturge a légué sa plume à Angélique, qui devient alors l'auteur d'une toute nouvelle farce. Ce qui semblait commencé comme une comédie classique devient alors un espace où les personnages expriment leur inventivité. L'illusion théâtrale s'opère par l'autonomie des personnages sur scène. Dans la pièce espagnole, les protagonistes doivent composer à partir des obstacles qu'ils rencontrent, alors que dans la pièce française, les personnages ont une totale maîtrise des événements, puisqu'ils les créent eux-mêmes. Par exemple, les scènes de combat dans *la Dama capitan* échappent au contrôle des personnages, qui risquent leur vie à chaque coup de fleuret ; a contrario, dans *la Fille Capitaine*, la fausse scène de duel est totalement orchestrée par les personnages, qui prennent toutes les précautions pour ne pas se mettre en danger. ANGELIQUE Ah que pour mon dessein j'ay mal pris mes mesures! Avecque mon épée il blessera quelqu'un. L'ESPERANCE Bon ; Son épée, et rien, Madame, c'est tout un: Vous verrez là-dessus son attente trompée; J'ay tantost fait river [44] le bout de son épée. ANGELIQUE Le brave L'Esperance entend à demy-mot. (V, 3, v. 1400-1405) De même, un quiproquo amoureux est mis en scène dans les deux œuvres, à la différence que dans *la Dama capitan* il est involontaire, alors que dans la pièce de Montfleury, le quiproquo est provoqué et, comme le déguisement, permet de confondre Monsieur le Blanc. L'originalité de Montfleury a été de donner l'illusion au public que sa pièce était le fruit de l'improvisation de ses personnages. ## Sources annexes. Outre la source espagnole, on peut déceler dans l'œuvre de Montfleury une forte intertextualité avec quelques œuvres contemporaines du XVII*e* siècle. En effet, la scène 1 de l'acte I n'est pas sans rappeler la scène d'ouverture de *La Place Royale* (1634) de Corneille [45], dans laquelle deux amies, Angélique et Phyllis s'entretiennent au sujet de l'amour. Dans *la Fille Capitaine*, Angélique se rapproche plus par son discours de Phyllis que d'Angélique. Comme le personnage de Corneille, la jeune femme n'est promise à personne et revendique cette liberté. Lucinde est dans une situation similaire à l'Angélique de Corneille : éprise d'un jeune homme, elle envisage de l'épouser. Les deux jeunes femmes sont aussi courtisées par un autre prétendant, parent d'un autre personnage : Monsieur le Blanc, l'oncle de Damon, dans la pièce de Montfleury, Doraste, le frère de Phyllis, dans *la Place Royale*. Le discours d'Angélique dans l'œuvre de Montfleury fait écho à celui de Phyllis en plusieurs points : toute deux se méfient du mariage et du joug de l'époux. Phyllis Je ne me pique point de cette vanité, Et l'exemple d'autrui m'a trop fait reconnaître Qu'au lieu d'un serviteur c'est accepter un maître. | Angélique Sous un joug que je crains, mon esprit languiroit ; Je me fais des plaisirs que l'Hymen⁎ troubleroit ; On ne sçait ce qu'on fait souvent quand on se donne ; Aussi, toutes deux aiment se jouer de leurs prétendants : Phyllis Tout le monde me plaît, et rien ne m'importune. De mille que je rends l'un de l'autre jaloux, Mon coeur n'est à pas un, et se promet à tous : Ainsi tous à l'envi s'efforcent à me plaire ; | Angélique J'aime à troubler des cœurs sans engager le mien, A tourner d'un Amant l'ardeur en ridicule, A vivre sans attache, & railler sans scrupule, A flater vingt Galans⁎ de l'espoir de ma main, Et mesme quelquefois à dauber le prochain : L'Angélique de Corneille et Lucinde se distinguent par leur caractère : alors que le personnage de *la Place Royale* se démarque par son intransigeance et son souhait d'exclusivité en amour, Lucinde apparaît comme une simple jeune femme amoureuse, défendant autant que faire se peut la réputation de son fiancé. Angélique Pour aimer comme il faut il faut aimer ainsi. Dans les deux pièces, ces premières scènes sont des scènes de confidence qui visent à exposer la situation initiale au spectateur. Aussi, chaque binôme est composé de deux jeunes femmes unies par des liens forts, qu'ils soient de parenté ou d'amitié. *La Fille Capitaine* présente quelques similitudes avec *l'Ecole des Femmes* (1668) de Molière. En effet, le thème du cocuage est présent dans les deux pièces, et notamment la peur du cocuage : dans l'œuvre de Molière, Arnolphe, victime de la doctrine cléricale qui pointe les femmes comme des êtres perfides et vicieux, préfère le célibat au mariage, qui risque de lui faire pousser des cornes. Dans l'œuvre de Montfleury, Monsieur le Blanc perçoit les femmes de la même façon, bien que celui-ci a une épouse fidèle et aimante. Je vous entens, j'ay tort de n'estre pas Cocu ; Je dois m'y préparer, ma Chere, & c'est dommage Qu'une Moitié semblable ait esté mon partage : Vostre honneur desormais ne me répond de rien, Et vous vous repentez d'estre Femme de bien. (Monsieur le Blanc, I, 7, v. 266-270) Notons que l'on peut considérer que les situations respectives des deux barbons dessinent un chiasme en négatif : alors que Arnolphe s'efforce à maintenir son « petit oiseau » à l'abri du monde, Monsieur le Blanc semble presque regretter que son épouse ne veuille pas quitter la cage du mariage. MADAME LE BLANC Quel chagrin croyez-vous que ce mépris me donne, A moy qui ne sors point, & qui ne vois personne, Qui toûjours renfermée, & seule, ne consens… MONSIEUR LE BLANC Ouvrez vostre fenestre, & voyez les passans, Je ne l'empesche pas. (I, 1, v. 255-259) Aussi, Montfleury réemploie le terme « animal » pour désigner les femmes. De pareils Animaux [46], la moitié d'une paire, Si l'on n'y tient la main, donne plus d'une affaire. (Monsieur le Blanc, I, 1, v. 283-284) Enfin, on relèvera le même schéma satisfaction /révélation /consternation dans *la Fille Capitaine*, lequel est signalé par les monologues de Monsieur le Blanc [47], notamment dans les scènes 8, 9, et 10 de l'acte un. En effet, dans *l'Ecole des Femmes*, Arnolphe, comme Monsieur le Blanc, change de discours au gré des situations. La pièce est rythmée par cette séquence ternaire : Arnolphe, heureux d'avoir trouvé en Agnès une femme sotte (I, 1), déchante lorsque Horace lui révèle son intrigue amoureuse avec la jeune femme (I, 4). Il exprime son désarroi dans un monologue qui clôture l'acte. Dans notre pièce, le même schéma est observé : Monsieur le Blanc, satisfait de s'être acquitté de ses devoirs conjugaux (I, 8), rencontre son neveu qui sollicite son aveu pour son mariage avec Lucinde (I, 9). Après avoir exposé les motifs de son refus, l'oncle exprime son trouble dans un monologue (I, 10). Cette configuration se répète à l'acte II, lorsque sa joie de pouvoir s'entretenir avec Lucinde est rapidement réfrénée par le spectacle de son épouse en train d'être courtisée par « le Capitaine ». La répétition de ce schéma doublée du motif de la cachette, où le personnage est dans l'impossibilité d'agir, crée un comique de situation : le personnage est pris à son propre piège. # Construction de la pièce. Après avoir passer en revue les différentes sources de notre pièce, nous avons entrepris de dégager son squelette que nous avons essayé de ramener aux trois unités. ## Structure de la pièce. La structure et le sujet de la pièce permettent d'éviter de tomber dans l'écueil de la langueur. Divisée en 5 actes, conformément aux conventions de la tradition classique, la composition de la pièce varie en densité et en nombre de scènes au sein de chaque acte. L'acte I est sensiblement le plus long : il s'étend sur 400 vers, lesquels sont répartis de façon inégale en 10 scènes. Les actes II, IV, et V [48] comportent entre 300 et 340 vers ; les actes II et V sont divisés en 15 scènes, et l'acte IV en 9 scènes. L'acte III est le plus court : 272 vers répartis sur 6 scènes. On peut dégager 3 grands mouvements dans la pièce : l'exposition, les stratagèmes, et le dénouement. ### L'exposition. C'est le premier acte qui prend en charge cette exigence du genre théâtral. L'exposition s'étend sur les 6 premières scènes et peut-être divisée en deux parties : l'exposition conventionnelle, et la révélation. En effet, les 4 premières scènes présentent la majorité des personnages et leurs relations entre eux, qu'elles soient de parenté, pour Lucinde et Angélique, ou amoureuse, pour Damon et Lucinde. Le binôme des serviteurs, Cato et l'Espérance, est introduit. La pièce commence assez communément : le mariage entre deux jeunes gens est retardé par un obstacle, l'absence du frère de Lucinde. Or la scène 6, scène centrale de l'acte où Lucinde avoue à Angélique la sollicitation de l'oncle de Damon à son égard, fait prendre à la pièce un nouveau tournant. « C'est que ce Parent est amoureux de moy ». Cette révélation déplace le centre d'intérêt de l'intrigue : le mariage des jeunes gens demeure la visée ultime mais il semble passé au second plan, au profit de l'entreprise de tromperie d'Angélique « Si ce Parent refuse son aveu⁎,/ Croy-moy, laisse-moy faire, & nous verrons beau jeu :/ Je me charge du soin de le rendre traittable ;/ Je sçay, pour le berner, un moyen admirable. » Les moyens priment sur la fin. Le couple Le Blanc, introduit à la scène suivante, achève la présentation des personnages principaux. ### Les stratagèmes. Nous préférons parler de stratagèmes au pluriel plutôt que de duperie en considération de l'initiative « inattendue » d'un personnage. Dans les actes II, III, et IV, la duperie imaginée par Angélique est mise en œuvre. Cette entreprise investit tous les personnages, à l'exception de Monsieur le Blanc. Les 4 premières scènes de l'acte II prennent la forme d'une distribution de rôles, dont le point culminant est l'arrivée d'Angélique, travestie en homme, à la scène 3. ANGELIQUE vestuë en Capitaine du Regiment du Roy Le monologue de Cato qui clôture l'acte est un premier constat de la réussite de la supercherie. Le succès du stratagème collectif semble être toutefois menacé par celui de Monsieur le Blanc : celui-ci, tenant pour vraie la fausse liaison de son épouse avec le Capitaine, entreprend de démasquer la coupable. L'élaboration de son plan occupe l'acte III et s'opère au cours de deux monologues délibératifs : à la scène 3 de l'acte III, Monsieur le Blanc ne parvient pas à dépasse la situation aporétique dans laquelle il se trouve. Comment diable punir un semblable Animal [49]? Le remede par tout est pire que le mal. (III, 3, v. 798-799) Suite à son entretien avec Damon, durant lequel le jeune homme par son raisonnement parvient à prendre le dessus sur son oncle, Monsieur le Blanc prend note de l'idée de vengeance souffler par son neveu. J'imagine le tour qu'elle prévoit le moins (III, 5, v. 927) Il charge donc Cato de lui arranger un entretien avec sa propre épouse, afin de la confondre. Va, ce n'est que pour rire (III, 6, v. 990) Ce retournement de situation crée un effet de surprise chez le spectateur. La question qui se pose alors est comment les autres personnages vont déjouer cette riposte. Mais la bague de Monsieur le Blanc le confond auprès de son épouse et l'alliance des autres personnages semble faire avorter cette initiative. On va, pour l'apaiser, changer de batterie Ne vous allarmez point. Dans une heure d'icy Vous en verrez l'effet. (Cato, IV, 4, v. 1108-1110) À ce stade de la pièce, les plans de chacun se rencontrent et les nœuds de l'intrigue se resserrent. ### La démystification. L'acte V amène la résolution de l'intrigue par une démystification progressive. Les masques tombent un à un dans un ordre croissant. En effet, les personnages les moins importants se dévoilent en premier. De cette façon, la servante Cato abandonne progressivement son rôle d'entremetteuse vénale pour redevenir une servante raisonnée. Son réquisitoire contre Monsieur le Blanc fait écho au discours de Lucinde dans la scène 6 de l'acte 1. Où voyez-vous qu'un Homme à qui l'on s'est fié, Cherche à tromper les Gens, quand il est marié? (Cato, V, 5, v. 1445-1446) Puis, c'est au tour de Damon d'être légitimé comme amant de Lucinde. Le jeune homme obtient l'accord du Capitaine/Angélique pour son union avec la jeune fille. Enfin, la scène 14 révèle la fausse liaison entre Angélique et Madame le Blanc, déjouant le défi lancé par Monsieur le Blanc pour sauver son honneur Mais jamais mon Neveu ne sera son Epoux, Qu'il ne se soit coupé la gorge avecque vous. C'est la condition que je mets à la chose. (V, 14, v. 1577-1579) Angélique quitte son déguisement. Le dénouement, au sens de l'évincement des obstacles, s'accomplit dans la dernière scène : l'arrivée du frère de Lucinde et le consentement de Monsieur le Blanc laisse présager le mariage des jeunes amants. ## Étude spatio-temporelle. Sur le plan de la durée, la pièce se plie à l'exigence classique de l'unité de temps. L'action se déroule sur une journée, mais le texte nous indique que le temps de l'action ne peut pas coïncider avec le temps de la représentation. En effet, à deux reprises, les personnages signalent le temps qu'il leur faut pour accomplir une action. Damon, à la scène 4 de l'acte I, prévoit le retour de chez son oncle dans une heure : Je vous quitte à regret & reviens dans une heure. (v. 172) De même, Cato se plaint d'voir errer plus d'une heure en ville à la recherche de Monsieur le Blanc : Ma foy, depuis une heure & plus je me promène (III, 6, v. 934) Notons que les entractes permettent au temps de la pièce de s'écouler sans mettre à mal l'illusion de vraisemblance. Tout laisse à penser que l'intrigue se déroule sur une place publique. Ce lieu est souvent privilégié dans les œuvres dramatiques, notamment comiques : nous prendrons comme exemples, pour ne citer qu'eux, *la Place Royale* de Corneille, pièce éponyme de sa géographie, et *l'Ecole des Femmes* de Molière, qui se déroule en extérieur. En effet, la place publique permet les allées et venues des personnages, véritable carrefours au service des rencontres fortuites ou des rendez-vous. Dans *la Fille Capitaine*, le lieu n'est pas nommé explicitement. La seule indication proprement donnée est la didascalie précédent le texte : « La Scène est à Paris. » La présence d'une entrée, dans laquelle se cachent les personnages, laisse à penser que la pièce se passe devant un immeuble, ou un hôtel particulier, probablement proche de chez Monsieur le Blanc, compte tenu des plaintes de son épouse de n'avoir pour seule compagnie que le spectacle des passants (I, 7). Les personnages semblent toutefois parcourir de plus ou moins longues distances hors scène. Ainsi, Damon, Madame le Blanc, Lucinde et Cato ont pu se rendre chez la sœur de Damon (III, 1). La scène étant à Paris, et Cato ayant du aller chercher Monsieur le Blanc « en ville », on peut supposer que l'action se déroule sur la rive gauche actuelle, qui était appelée au XVII*e* le quartier de l'Université, « la ville » se situant sur la rive droite. # Les personnages. ## Monsieur le Blanc, le dindon de la farce. Monsieur le Blanc est le personnage central de la pièce, celui autour duquel s'élabore la farce. Comme il n'apparaît qu'à la scène 7 du premier acte, son portrait est pris en charge par un autre personnage, Lucinde. En effet, lors de l'aveu à Angélique de ses inquiétudes à propos de l'accord de Monsieur le Blanc pour son mariage, la jeune femme dresse le portrait de ce personnage : Le bon sens avec luy paroist incompatible, Son abord est choquant, & sa mine risible ; Son air, quoy que Bourgeois, est fort particulier, Son entretien⁎ plaisant, & mesme familier. (I, 6, v. 187-190) Le portrait physique n'est qu'esquissé, donnant une plus large marge de manœuvre à l'imagination. Cependant, le lecteur-spectateur, par déduction, peut s'imaginer un personnage plutôt âgé en raison de sa qualité d'oncle ; corpulent aussi : Je n'ay point de repos⁎, je maigris tous les jours (I, 15, v. 393) La dimension comique de ce vers ne semble pouvoir s'accomplir que s'il y a un décalage entre les propos tenus et l'apparence du locuteur, autrement dit, il faudrait, pour faire rire, que le personnage présente un embonpoint significatif. Le manque d'esprit et de finesse du personnage est en analogie avec son apparence : Son corps fait cependant honneur à son esprit ; Il m'a par ses discours divertie & surprise ; Il ne dit pas deux mots sans dire une sottise ; Il choque en se montrant, beaucoup moins qu'en parlant (I, 6, v. 194-197) Mais ce personnage est aussi une figure d'autorité, puisque comme le rappelle Lucinde, il a du bien, et il est le tuteur de Damon. Monsieur le Blanc se distingue aussi par sa lâcheté, que l'on observe à plusieurs reprises. Tout d'abord à la scène 9 de l'acte II, où il n'hésite pas à couper court à la conversation pour se cacher du Capitaine. Tréve de compliment⁎, Où faut-il me cacher ? (II, 9, v. 583-584) Montfleury accentue ce trait de caractère en parodiant un vers de Corneille. Ainsi, le vers de Don Diègue à Don Rodrigue, « Nous n'avons qu'un honneur il est tant de maîtresses! » (III, 6 du *Cid*), perd toute sa superbe en devenant, « Il est plus d'une Femme, & l'on a qu'une vie » (II, 13, v 710). La valeur morale de cette maxime mettant l'honneur au dessus de tout est détournée au profit du comique. Sa lâcheté est doublée de son manque de courage : Me mener à la Guerre ! Ah j'aime autant périr, J'y mourray tous les jours de la peur de mourir. (IV, 9, v. 1329-1330) Le vieil homme se distingue aussi par sa grossièreté. Il multiplie les allusions grivoises : MONSIEUR LE BLANC Va, va, si le succés peut feconder mes vœux, Je vous feray bientost mieux dormir toutes deux : Je veux que par mes soins vous soyez soulagées, Et que… CATO Nous vous serons, Monsieur, bien obligées. (II, 5, v. 513-516) Mais aussi, en proposant à Lucinde « Un commerce galant d'Hymen de conscience, » (IV, 6, v. 1172), Monsieur le Blanc souhaite faire connaissance, et ce au sens biblique du terme, avec la jeune fille, loin des fers du mariage. A consommer avec périls, on se brûle les doigts ! On a ici à faire à un personnage comique traditionnel : un barbon ridicule mis en déroute par de jeunes gens ## Angélique, chevalier d'Eon. Angélique, ou la Fille Capitaine est le personnage éponyme de la pièce de Montfleury. Elle se démarque de sa cousine par son esprit et son caractère. Dans son échange avec Lucinde scène 1 de l'acte I, qui n'est pas sans rappeler la même scène entre Angélique et Phyllis dans la Place Royale de Corneille, la jeune femme apparaît plus légère que sa cousine. Elle envisage le départ de son père comme une libération et l'opportunité de s'adonner librement aux plaisirs mondains. Je suis libre à présent, & maistresse de moy (I, 1, v. 1) Elle exprime son goût pour l'amusement aux vers 10 à 16, et prévoit profiter pleinement de la période du Carnaval pour assouvir son envie de divertissement. Passer le jour au Jeu, et courir le Bal la nuit. (I, 1, v. 14) Le retour du Capitaine préoccupe aussi Angélique, mais pour des raisons différentes de celles de Lucinde et de Damon : elle voit en ce Capitaine un cavalier de choix pour la danse. Ce goût pour la bagatelle illustre son esprit jeune et insouciant. Loin de partager les mêmes préoccupations que sa cousine, Angélique ne conçoit pas le mariage comme une finalité. Elle se refuse à tout engagement définitif, qui sonne alors comme une condamnation à l'assujettissement. Sous un joug que je crains, mon esprit languiroit ; Je me fais des plaisirs que l'Hymen⁎ troubleroit. (I, 1, v. 73-74) Cette volonté de liberté n'est pas tant motivée par une aspiration moderne qu'est l'émancipation de la femme, que par un égoïsme bel et bien réel. Pour n'aimer qu'un Mary, j'aime trop ma personne. (I, 1, v. 76) En opposition à la vision idéaliste du mariage de Lucinde, Angélique se méfie de cette union et de ses fruits : le mariage pour elle, n'offre que le mirage de la pérennité de l'amour qui laisse place à des contraintes tangibles. La jeune fille à l'esprit moqueur, se plaît à se jouer des galants qui la sollicitent. Aussi, Angélique ne perd rien de son esprit libertin lorsqu'elle se travestit en capitaine. En effet, dans la scène 1 de l'acte 3, la jeune fille totalement imprégnée de son rôle, se plaît à s'imaginer homme pour de bon, et expose sa stratégie de séduction si elle l'eût été. Cette scène fait écho à la scène 1 de l'acte I. Son intelligence lui permet de tirer profit de n'importe quelle situation : femme, elle sait exploiter et jouer de ses charmes ; homme, elle envisagerait d'exploiter les codes galants -présents, discours- pour parvenir à ses fins. Encore une fois, elle se démarque par son assurance, qui frise l'insolence Je ne scay, mais enfin, Un cœur pour m'échapper m'auroit semblé bien fin. (III, 1, v. 771-772) Le discours qu'elle tient à Madame le Blanc démontre son aptitude à jouer sur le registre galant. Angélique se démarque aussi des autres personnages par son esprit railleur, qui lui est reproché par Lucinde. C'est sur de tels sujets que ton esprit s'étend ; Sur le premier venu ta bile se répand ; Tu te plais à railler sans épargner personne (I, 1, v. 57-59) En effet, elle ne manque pas de se moquer des faiblesses des autres personnages. Ainsi, dès la première scène, elle dresse un portait satirique de Damon ; elle n'hésite pas à railler le jeune homme à propos de sa verve lyrique ; puis c'est au tour de Monsieur le Blanc d'être l'objet de ses moqueries. Bien qu'égoïste et moqueuse, Angélique demeure un personnage intelligent : dans la scène 6 de l'acte 1, elle fait preuve de lucidité quant à la situation délicate dans laquelle se trouve sa cousine. Les nombreuses aposiopèses mettent en évidence que la jeune femme n'a pas besoin que sa cousine lui explique ses craintes pour les comprendre. Son intelligence est d'autant plus remarquable que c'est elle qui orchestre le stratagème contre Monsieur le Blanc. Tous les autres personnages suivent ses instructions, si bien que, dans la scène 1 de l'acte 3, Lucinde semble se vexer de ne pas être dans la confidence des plans de sa cousine. Cette dernière dirige les autres personnages, et se réclame seul maître à bord de la duperie. Son goût pour le divertissement lui permet de jouer à merveille son rôle : lorsqu'elle entre en scène vêtue en capitaine (3, II) la jeune femme est déjà dans son rôle, comme le montre son dialogue avec l'Espérance qu'elle considère dès lors comme son valet. ## La prudente Lucinde. Lucinde est l'objet du triangle amoureux de la pièce. Elle est décrite comme étant une jeune femme bien faite et de bonne vie, et de haut rang : Jamais tant de vertu jointe à tant de mérites (I, 9, v. 311) Cette Belle a du bien (I, 9, v. 357) Elle s'oppose en plusieurs points à sa cousine Angélique. Tout d'abord, Lucinde croit au mariage et considère l'amour comme une chose importante, et le cynisme de sa parente à ce sujet tend à l'agacer, si bien qu'elle lui souhaite comme mal de connaître un jour les affres de l'amour. Plût au Ciel qu'un Hymen⁎ à tes yeux plein de charmes, Pour me vanger de toy, pût te coûter des larmes ! Pour lors la raillerie agiroit foiblement. (I, 1, v. 63-65) Elle est aussi raisonnable et prudente, en opposition avec sa cousine Angélique plus téméraire. Eprise de Damon, elle souhaite se marier avec lui. Mais l'absence de son frère, de qui elle dépend, et l'opiniâtreté de Monsieur le Blanc, lequel est épris d'elle, sont autant d'obstacles à ses souhaits. En effet, si Angélique se propose, en se travestissant, d'allouer cette union par contumace, le refus de Monsieur le Blanc demeure problématique. Et consciente du lien qui unit le vieil homme et Damon, elle refuse d'exposer la vérité à son fiancé de peur de les brouiller et de mettre en péril l'héritage du jeune homme. Il doit le ménager : outre qu'il a son bien⁎, Tu sçauras que Damon doit heriter du sien : Comme il n'a point d'Enfans, tout ce bien le regarde ; Damon assurément le perd, s'il le hazarde, Et je ne prétens pas qu'il se prive pour moy… (I, 6, v. 217-221) Sa position mettant à mal ses projets, elle s'en remet à demi-mots aux bons soins de sa cousine. Mais sa nature prudente la rattrape et elle semble être bientôt dépassée par l'entreprise de duperie. Ne songeant pas qu'à rire mais aussi aux conséquences, elle reproche à Angélique d'agir sans se soucier des répercussions de ses actes, notamment en ce qui concerne Madame le Blanc. Lucinde s'inquiète des réactions de Monsieur le Blanc à son égard, inquiétude balayée d'un revers de main par Angélique qui charge Damon de protéger sa tante en cas d'excès de violence de la part du vieil homme. LUCINDE Outre qu'elle Madame le Blanc pouvoit nous estre necessaire, Son Mary pourroit bien chez luy, dans sa colere, Prenant ce qu'il a veu pour une verité, En venir avec elle à quelque extremité. (III, 1, v. 777-780) L'attitude prévoyante et raisonnée de Lucinde la met à l'écart de la direction des opérations. A plusieurs reprises Angélique lui dissimule ses projets, et ce dès la scène 6 de l'acte I, ou elle ne lui fait pas part de son plan. ANGELIQUE Si ce Parent refuse son aveu⁎, Croy-moy, laisse-moy faire, & nous verrons beau jeu: Je me charge du soin de le rendre traittable ; Je sçay, pour le berner, un moyen admirable. LUCINDE Quel**? ANGELIQUE Je te le diray. (v. 225-228) L'épisode du billet est représentatif de sa position de spectatrice : Angélique, en écrivant un mot en son nom et en prenant Cato, la servante de Lucinde, à son service, destitue sa cousine de son autorité. … je viens de l'envoyer en Ville, Et le soin que tu prens, Cousine, est inutile. (III, 1, v. 745-746) Lucinde campe un personnage féminin traditionnel : sa nature mesurée et prudente l'empêche de prendre pleinement partie au renversement des valeurs et des genres qui s'opèrent dans la pièce. Elle demeure tout au long de la pièce sous la tutelle d'un personnage, que ce soit celle de son frère au début, que celle d'Angélique. ## Damon, Chevalier désargenté. Son portait est pris en charge par d'autres personnages. Dès la première scène de la pièce, Angélique, au grand dam de Lucinde, aiguise ses sarcasmes sur le dos du jeune homme. Elle dépeint le portait peu glorieux d'un jeune homme présumé beau – « ce moderne Adonis». En effet, la jeune femme se plaît à insister sur son goût prononcé pour le Jeu. Il ne tient presque rien de son peu de naissance Il aime les plaisirs, & la grande dépense, Dans son ajustement ne veut rien de commun ; Il jouë à tous les Jeux, & ne gagne à pas-un ; De faire le Coquet ne fait aucun mystere (Angélique, I, 1, v. 51-55) Et bien que Lucinde tente de défendre son fiancé et de louer ses qualités, le réquisitoire de Monsieur le Blanc à la scène 9 du même acte ne fait qu'apporter un peu plus d'eau au moulin d'Angélique. Le tuteur du jeune homme, pour justifier son refus du mariage, n'hésite pas à faire appel au passé peu glorieux du jeune homme, invoquant sa malchance et ses vices comme potentielle cause de banqueroute de la dot de Lucinde. Il n'est amour qui tienne, Vostre facon d'agir quadre mal à la sienne ; Vos parolis frequents, & souvent mal placez, Luy feroient bientost voir ses Loüis éclipsez, (Monsieur l Blanc, I, 9, v. 375-378) Pour parfaire le topos de l'amant sans le sou, malchanceux au jeu mais heureux en amour, les deux personnages prennent soin de mentionner son inactivité, et l'opprobre qu'il jette sur son titre de chevalier. Ce moderne Adonis ne te vient voir qu'en Chaise, Du nom de Chevalier soûtient sa vanité, Contrefait à ravir l'Homme de Qualité ; Il ne tient presque rien de son peu de naissance (Angélique I, 1, v. 48-51) Car puis que vous voulez qu'enfin on vous le die, De quel air passez-vous & le temps & la vie ? Quoy que vous ne soyez que le Fils d'un Banquier, Vous vous faites nommer Monsieur le Chevalier, Et vous estes de ceux dont la Chevalerie N'eut jamais à Paris d'Ordre que l'Industrie  (Monsieur le Blanc, I, 9, v. 351-356) Damon ne joue qu'un second rôle dans l'entreprise des jeunes filles. Angélique le cantonne à protéger sa tante en cas d'éventuels excès de violence. Sa parole pèse peu, et souvent les autres personnages n'hésitent pas à lui couper la parole, notamment son oncle : DAMON Cependant sur un simple soupçon Vous… MONSIEUR LE BLANC Vous estes un fat, & vostre esprit s'érige… DAMON Mais… MONSIEUR LE BLANC Vous estes un sot avant terme, vous dis-je. On vous dit qu'on a veu. (III, 4, v. 868-871) Il ne parvient à s'imposer qu'une seule fois face à son oncle : à la scène 4 de l'acte III, le jeune profite d'un moment de confusion du vieil homme pour tenter de le ramener à la raison. Mais il ne réussit qu'à lui souffler l'idée de se venger. Damon incarne la figure traditionnelle de l'amant dans l'attente. Il contribue à l'effacement des figures masculines de la pièce, au profit de l'ascension des femmes. ## Madame le Blanc, l'épouse fidèle. Le personnage de Madame le Blanc, bien qu'il apparait dans 12 scènes, demeure secondaire. Cette épouse aimante et fidèle est désespérée par la conduite distante de son mari. Le stratagème des jeunes gens a pour but de d'incliner Monsieur le Blanc en faveur du mariage de Lucinde et Damon, mais aussi de punir ses envies d'infidélité. Madame le Blanc joue un petit rôle dans cette entreprise, celui de la prétendue maîtresse du « Capitaine ». C'est un personnage sensée et sensible, qui souffre du délaissement de son époux. Aussi, ne complimente-t-elle pas Lucinde sur sa beauté sans quelque pincement au cœur : Je ne m'étonne plus de voir dans mon Epoux, Pour moy tant de froideur, & tant d'amour pour vous (II, 2, v. 452-453) Elle met aussi un point d'honneur à préserver sa vertu et sa réputation, et s'offense de l'attitude provocatrice de Cato à son égard : MADAME LE BLANC Je commence à trouver ce discours ennuyeux : C'est porter un peu loin l'insolence à mes yeux ; Mais tu peux t'assurer que devant⁎ que je parte… (IV, 4, v. 1089-1091) Mais prenant un réel plaisir à se jouer de son mari lors de leur confrontation à l'acte III, elle apparaît comme étant une femme avertie, sachant quand il le faut donner une leçon à autrui. ## Les serviteurs : Cato et l'Espérance. Ces deux personnages jouent un rôle important dans la farce pensée par Angélique. Leur statut de serviteur leur permet de gagner la confiance de chacun des personnages : tous les deux éconduisent tour à tour Monsieur le Blanc qui, croyant se livrer à des gens de confiance, enraye ses propres plans. Ce sont aussi les deux personnages, avec Angélique, qui tirent le plus de plaisir à cette duperie. A maintes reprises ils se félicitent eux-mêmes de bien jouer leur rôle, et sont toujours les premiers à se réjouir des prestations de leurs compères. Cependant, ils se distinguent des autres personnages plus par leur malice que par leur intelligence. Cato s'amuse à se jouer de la vertu de Madame le Blanc. Notons que si elle est chargée de camper une maquerelle vénale, dès la scène 1 de l'acte II, la suivante n'hésite pas à exposer à sa maîtresse l'éventualité d'une relation avec un autre homme que Damon. De même, l'Espérance, dont la modeste condition est trahie par son langage, ne tarie pas d'éloge sur les filles à soldats. Leur peu de considération des choses morales caractérisent leur statut de serviteurs. Ces personnages sont aussi indépendants et agissent de leur propre chef : Cato veut bien se mettre au service de Monsieur le Blanc pour quelques louis, et l'Espérance prend l'initiative de faire river le bout de l'épée du barbon. Leur brève échange amoureux met en évidence le lien qui les unit, un lien plus social qu'amoureux. # Les thèmes abordés par la pièce. ## Le travestissement. Une malle remplie d'habit de militaire, le calendrier ouvert au jour du Carnaval, des jeunes gens ne songeant qu'à rire ? Montfleury a rassemblé pour sa pièce de nombreuses circonstances propices au renversement des valeurs. Et ce retournement débute avec le travestissement d'Angélique, qui est double : elle usurpe le statut de soldat et l'identité du frère de Lucinde. Le déguisement au théâtre étant le plus haut degré de changement d'identité, la jeune fille s'éloigne d'elle-même pour mieux jouer son rôle. Ainsi, on peut considérer le personnage du Capitaine comme un personnage à part entière. *Le Capitaine, entre hors scène et personnage de composition* : le Capitaine est bel et bien un personnage de la pièce, qu'il soit présent sur scène ou hors-scène. On sait de lui qu'il est Capitaine du Régiment du roi et le tuteur de Lucinde, sa sœur. Mais n'étant pas revenu de sa campagne en Flandre, Angélique endosse son identité pour prêcher la cause de sa cousine. C'est véritablement son absence qui permet l'action des jeunes gens. En effet, on peut supposer que s'il avait été présent, la pièce aurait pris une toute autre tournure, plus traditionnelle, le seul obstacle à surmonter étant le refus de Monsieur le Blanc – en supposant qu'il eut été favorable à l'union de sa sœur. Mais encore, à travers son absence, c'est l'autorité masculine qui disparaît. Car comme dans la pièce espagnole, le travestissement n'est possible que par l'absence de toute autorité – parentale en l'occurrence. En lui prêtant ses traits et son esprit, Angélique donne corps à cette figure d'autorité et usurpe son pouvoir. Cato dresse le portrait de ce soldat mystérieux à Monsieur le Blanc, ce qui donne de l'épaisseur à cette copie : CATO Un petit enragé, qui ferraille sans cesse : Jamais Homme ne fut de si méchante humeur, Car il est étourdy, mutin, fier, querelleur, Brave comme un César, mais brutal, & capable… …Quand la fougue le prend, Monsieur, pour moins d'un rien Comme on tuë un Poulet, il tuëroit un Chrestien : Mais aussi quelque jour il joüera de son reste ; Il en a tué dix depuis dix mois. (II, 4, v. 524-531) Mais on a aussi à faire à un personnage galant, sachant courtiser une dame : ANGÉLIQUE Depuis que j'eus l'honneur de vous voir en ce Lieu, Rien ne m'a tant touché que ce funeste adieu ; L'absence a fait sentir à mon ame amoureuse Tout ce qu'elle a de rude. (II, 12) Angélique s'efforce de camper un personnage plus vrai que nature, avec des excès de colère et un cœur amoureux. Le retour du frère de Lucinde à la fin de la pièce laisse présager le mariage des jeunes gens, lequel avait déjà été approuvé en amont par la jeune femme, donnant l'impression que le tuteur, par son absence, a perdu son autorité. Angélique semble profiter pleinement de ce changement d'identité pour réaliser ses aspirations – tout comme son modèle espagnol. Moderne d'esprit, elle sait tirer parti de ce renversement. Soucieuse de coller à son personnage, elle laisse la jeune fille qu'elle est en coulisse lorsqu'elle entre sur scène vêtue en capitaine. Pour preuve, l'Espérance l'appelle tout de suite monsieur (II, 4). Au-delà du simple habit, c'est l'autorité masculine qu'elle endosse : tenant Lucinde à l'écart, elle profite de ses attributs éphémères pour décider ce que sa parente dira ou, plus précisément écrira. Chef d'orchestre de la farce, Angélique s'impose comme la figure d'autorité de cette pièce, aux dépends des autres personnages notamment masculins. ## Le rhétorique de l'amour et conception du mariage. La notion de genres étant brouillée, les discours attribués traditionnellement aux personnages féminins sont récupérés par les hommes. En effet, les femmes, qu'elles soient amoureuses ou non, tiennent des discours moins lyriques que les hommes, qui ne cessent de décliner leur flamme sous toutes les coutures. Damon, tout d'abord, entretient son image de jeune chevalier désœuvré et amoureux par des discours empreints d'émotions. Dès sa première apparition sur scène, le jeune homme déclame la tourmente dans laquelle le plonge l'attente de son mariage. DAMON Depuis pres de deux mois j'attens de jour en jour Que quelque heureux moment m'annonce son retour ; Mon cœur plein d'un amour combatu par la crainte, N'a pour se soulager, que l'espoir & la plainte, Et me force à conter dans l'ennuy⁎ que je sens, Le nombre de mes maux, par celuy des momens. (I, 2, v. 97-102) Damon demeure un personnage secondaire, qui ne jouit pas de l'autorité que lui confère son sexe. Aussi, il rappelle à Lucinde le joug sous lequel elle le maintient lorsqu'il déclare : DAMON Ces discours obligeans font voir de part & d'autre Des soins que vostre Sexe usurpe sur le nostre. (II, 3, v. 459-460) L'amoureux fait remarquer aux femmes qui l'entourent que leurs charmes et leurs atouts sont des armes qui défient l'autorité et la puissance masculine. Damon se place lui-même en victime de l'amour, donnant ainsi l'ascendant aux femmes de la pièce. Monsieur le Blanc lui aussi n'a de cesse de se plaindre de ses tourments d'amour notamment dans le monologue de qui clôture le premier acte. Dans la scène 7 de l'acte IV, lorsqu'il s'entretient avec Lucinde, Monsieur le Blanc emploie un discours galant et se plie aux usages du baisemain notamment. MONSIEUR LE BLANC Je veux pour le prouver, par des baisers sans nombre, Devorer à genoux & ces mains, & ces bras.(IV, 7, v. 1224-1225) Il se met à genoux, en luy baisant la main. Enfin l'Espérance courtise avec ferveur la servante Cato, indifférente, voire exaspérée de ses diatribes. L'ESPERANCE Je te l'ay déjà dit, Mon amour est bien las de te faire crédit : Depuis plus de dix ans, tu sçais bien que je t'aime ; Pour un baiser, ou deux, veux-tu… CATO Veux-tu toy-méme Me laisser en repos⁎ ? (IV, 2, v. 1045- 1049) Les hommes de la pièce prennent les femmes, ces « animaux-là », comme source de tous leurs maux et placent de fait la figure féminine en position de force. Et si « du côté de la barbe est la toute-puissance », la raison semble avoir déserté l'esprit de ces messieurs pour motiver les discours de ces dames. Celles-ci se laissent moins emporter dans des envolées lyriques dévoilant les tréfonds de leurs cœurs. Au contraire, leurs propos se rangent du côté de la bienséance et du bon sens. Refuser un hymen clandestin, désirer un mariage serein, autant de revendications sensées et honnêtes. Madame le Blanc et Lucinde sont aux antipodes du motif de la femme/animal. Fidèles, constantes et aimantes, elles ne souhaitent qu'une union paisible et ordinaire. Dans le dialogue avec Monsieur le Blanc à la scène 7 de l'acte I, Madame le Blanc ne comprend pas l'attitude fuyante de son époux, et se plaint d'être délaissée par lui. Refusant de prendre un amant et s'en défendant auprès de son mari, elle prouve une fois de plus sa fidélité lorsque Cato lui annonce qu'un autre galant, au courant de sa prétendue liaison avec « le Capitaine », souhaite la rencontrer pour tenter sa chance. De même, Lucinde fait preuve d'intégrité en refusant « un commerce galant d'Hymen de conscience » (IV, 7). Dans la pièce, deux conceptions du mariage sont exposées. Nous avons vu que Lucinde, Damon, et Madame le Blanc partagent l'idée du mariage comme régularisation d'un amour. Les deux jeunes gens croient aux valeurs du mariage ce qui expliquent leur empressement. Mais le discours de Monsieur le Blanc et d'Angélique nuance cette vision univoque du mariage comme accomplissement du couple. Tout d'abord Angélique raille les discours lyriques de Damon en reprenant le motif de la flamme amoureuse : DAMON Mais s'il faut voir enfin mes feux⁎ sacrifiez… ANGÉLIQUE Eh mon Dieu, vous serez assez tost mariez : Quand au nom de Galant⁎ celuy d'Epoux succede, L'Hymen⁎ pour ces ardeurs devient un grand remede ; Et quelque soit l'amour dont vous brûliez tous deux, Un an de Mariage appaise bien des feux⁎. (I, 2, v. 113-118) Monsieur le Blanc aussi met en garde et Damon, et Lucinde quant aux effets du mariage. Son discours faussement prévenant a pour but, certes, de dissuader son neveu d'épouser la jeune fille qu'il courtise, et de nouer une liaison secrète avec Lucinde. Il n'empêche que, contrairement à Angélique, ce personnage semble être le porte-parole des mariés regrettant leur liberté d'antan. MONSIEUR LE BLANC Mais vous trouverez bon, mon Cadet, qu'on vous dise, Qu'il est toûjours trop tost pour faire une sottise, Et que quoy que l'Amour vous promette de doux, Le nombre des Marys n'est que trop grand sans vous ; Qu'il faut quand l'Hymen⁎ tient nostre cœur en balance, Ensevelir l'Amour dans un drap de prudence ; Que j'ay pour en juger, suffisamment vescu (I, 9, v. 315-320) Le jour qu'on se marie, on ne sçait ce qu'on fait. (Monsieur le Blanc, IV, 7, v. 1186) L'emploi du présent de vérité générale dans chacune de ces citations a pour effet de leur donner une valeur de maxime. Ainsi nous avons d'un côté des personnages amoureux qui croient au mariage, une épouse aimante qui s'est probablement accommodée de son mari, et de l'autre des personnages qui raillent l'engouement que suscite le mariage, soit par incompréhension, soit par rétrospection. Le fait qu'Angélique s'affirme comme le cerveau de la troupe n'est pas anodin : les hommes sont cantonnés à jouer des seconds rôles ou à subir les tours imaginés par la belle. *La Fille Capitaine*, outre son processus de renversement, fait pointer un rayon vert, celui de la modernité. Montfleury donne la parole aux femmes et cette parole pèse son poids de raison! Sans remettre en cause les conventions sociales comme le mariage, l'auteur, comme son contemporain Molière, caricature les *a priori* des personnages masculins sur les femmes et l'amour, pour mieux les démentir. # Le comique. *La Fille Capitaine*, nous l'avons vu, présente une structure régulière, ne dérogeant pas à la conception classique du théâtre. Composée de cinq actes plus ou moins égaux, la pièce est d'une longueur raisonnable et respecte les trois unités. De fait, l'originalité de la pièce tient au mélange des genres comiques. Les caractéristiques de la farce, de la comédie bourgeoise et de la comédie de mœurs s'entremêlent si bien qu'il est difficile de ranger la pièce sous l'une des trois catégories. Le sujet de *la Fille Capitaine* s'apparente à celui d'une comédie bourgeoise : deux jeunes gens dont le mariage est menacé par un parent. Mais les moyens mis en œuvre dans la pièce sont bien ceux d'une farce, et sa forme la rapproche d'une comédie de mœurs. Le mélange des ces trois formes de comique nous laisse envisager *la Fille Capitaine* comme étant une comédie « hybride ». ## Une trame de farce. Michel Corvin [50] élabore un schéma de farce qui s'adapte à notre pièce. En effet, il définit la trame de la farce ainsi : « un sujet désire un objet », « il rencontre des opposants » et « bénéficie parfois de quelques soutiens ». Dans *la Fille Capitaine*, le sujet désirant est Monsieur le Blanc, ses opposants sont les autres personnages, notamment Angélique, et son adjuvant Cato. Aussi, il note que « le sujet désirant est d'ordinaire en position de faiblesse : la tromperie va être son arme préférée pour arriver à ses fins. » Monsieur le Blanc est bien ici l'intrus de la pièce, l'obstacle premier aux desseins d'autres personnages. Le comique de situation remplace ici les scènes de poursuites et de rixes présentes dans les comédies à l'italienne. Montfleury reprend le motif du barbon caché, et la fausse scène de duel entre Monsieur le Blanc et le *Capitaine* crée un effet comique assuré par des coups de bâtons dans la comédie à l'italienne. De plus, si les personnages ne sont pas ceux de la farce traditionnelle, on peut voir dans le personnage de Monsieur le Blanc, l'adaptation française d'un Pantalon, vieillard épris d'une jeune fille ; de même, « le Capitaine », dépeint comme « un petit enragé ferraillant sans cesse », s'apparente à Scaramouche. La présence sur scène du couple d'amoureux et des valets ingénieux complètent le panel des personnages de la *commedia dell'arte. La Fille Capitaine*, a probablement été écrite pour le simple plaisir de faire rire, et non avec l'ambition de « corriger les mœurs ». Cette « petite comédie » se rapproche encore de la farce par sa visée. La farce est au XVII*e* siècle un courant théâtral en constante évolution. Marie-Claude Cornova [51] la considère comme annonçant la comédie de mœurs. Montfleury joue sur les mœurs de son temps, comme beaucoup de ses contemporains pour faire rire. La notion d'écart est souvent invoquée pour expliquer le rire. Bergson écrit : « Il n'y a pas de comique en dehors de ce qui est proprement humain ». Nous l'avons vu, les différentes conceptions du mariage expriment la remise en question de cette institution. Le fléau du cocuage est aussi présent sur la scène. L'adresse directe au public par Monsieur le Blanc montre que cette pièce est une pièce de son temps : Je voy plus d'un Mary rire à teste levée, A qui mesme avanture est peut-estre arrivée. (Monsieur le Blanc, IV, 6, v. 1005-1006) Le monologue délibératif de Monsieur le Blanc (III, 2) met en lumière la situation délicate des maris cocus, qui souhaitent se venger sans faire de l'éclat. Comment diable punir un semblable Animal? Le remede par tout est pire que le mal. (v. 799-800) Le vers 800 sonne comme une sentence : comment sauver son honneur déjà bafoué sans l'entacher davantage ? Le comique dans la pièce est véhiculé par le renversement des situations. Monsieur le Blanc, croyant tromper tout le monde, se retrouve dans une position de faiblesse dès l'acte II. La ruse des autres personnages, notamment à la scène 3 de l'acte III, quand ce dernier se dispute avec son épouse sur sa prétendue liaison, lui ôte l'autorité dont il jouissait au début. Toujours en position d'intrus, il est mis en position de faiblesse par l'alliance des autres personnages. ## Le jeu de rôles. Le déguisement d'Angélique permet aux personnages de duper Monsieur le Blanc. Véritable ressort comique, le déguisement permet aussi de montrer les personnages sous un aspect grotesque. « Le Capitaine » est réduit à un tueur de chrétiens, la servante Cato à une entremetteuse vénale, et Lucinde joue le rôle de la jeune ingénue qui se laisse séduire par un vieil homme fortuné. Le déguisement, qu'il soit moral ou physique, permet l'introduction de types de personnages, ce qui n'aurait pas été possible au début de la pièce. Le comique a recours au type et non à la personne, « le type se définit non par l'absence d'individualité mais par la disparition de la personnalité » [52]. De plus, ce jeu de rôles met en place une triple énonciation. Seuls les personnages participants à la supercherie et le public peuvent saisir le sens des évènements dans leur totalité. De fait, il ne peut confondre véritablement Madame le Blanc, lorsqu'il lui reproche son infidélité (III, 3) et le double sens de certains propos échappe à Monsieur le Blanc, qui n'est pas dans la confidence. CATO Avec de jeunes Gens on fait d'étranges rôles. MONSIEUR LE BLANC Oüy sans doute, & cela ne se peut autrement. (v. 718-719) Une connivence s'installe alors entre les personnages et le public. Et c'est la place réservée au spectateur qui est le propre de la comédie. Il n'y a de comédie que par et pour un spectateur : un héros tragique peut bien mourir devant un fauteuil vide ; un personnage de comédie, lui, ne peut pas se faire rire : il n'est drôle que pour autrui, que pour nous, dans nos salles. Pour qu'il y ait du comique, il faut qu'il y ait une distance, que le rieur ne soit pas engagé dans l'aventure qui le fait rire. Par ses ficelles dramatiques, ses habitudes de composition, la comédie place le spectateur dans la position d'un Dieu, le théâtre lui offre le don d'ubiquité. La comédie dépend « du climat où elle se développe ; elle peut être tragique pour qui la vit, comique pour qui la regarde. Ceci montre bien que le comique n'existe pas en soi mais seulement chez le spectateur et que l'on a tort de vouloir le chercher ailleurs » [53]. Le comique n'existe que dans l'esprit du lecteur-spectateur. Il y a un écart entre l'angoisse du personnage qui vit la scène (Monsieur le Blanc) et le rire du spectateur vient de la distance entre les deux. Le spectateur voit et sait tout parce qu'il est à distance. Le rire est l'effet du constat de notre supériorité sur autrui. Stendhal écrit : « Une pièce qui fait rire constamment est une pièce qui nous montre sans cesse notre excellence. » Le rire est possible que si le spectateur est détaché : « La comédie est le désert du cœur …. Qu'il s'agisse du vécu ou de la fiction, le rire exige donc une position de spectateur et un non-engagement. » [54] (Emelina). Le spectateur peut ici s'accomplir en tant que tel dans la mesure où il est affectivement en retrait. # Note sur la présente édition. La présente édition a été établie à partir de l'édition originale de *La Fille Capitaine* de Montfleury exécutée en 1672 par Pierre le Monnier, disponible à la Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares, RESP-YF-445(3). Il s'agit d'un volume format in 12°. Il se présente ainsi : I : LA FILLE / CAPITAINE, / COMEDIE. / *Par A.I MONTFLEURY*. / Fleuron du libraire / A PARIS, / Chez PIERRE LE MONNIER, vis-à-vis/ La Porte de l'Eglise de la Sainte Chapelle, / à l'Image S. Loüis, & au Feu Divin. / Filet / M. DC. LXXII. / *AVEC PRIVILEGE DU ROY.* II : verso blanc. III-VI : épître dédicatoire. VII : extrait du Privilège du Roy. VIII : liste des acteurs. – 100 pages : le texte de la pièce, précédé d'un rappel du titre en haut de la première page (en dessous d'un bandeau). *Corrections* : Les orthographes différentes d'un même mot ont été retranscrites par souci de respect du texte. Le tilde (~), qui indiquait les voyelles nasalisées, a été remplacé par les consonnes –m ou –n correspondantes aux occurrences suivantes : – Cõme ; dãs (v.6), pourrõs (v.11), tõ (v.42), vi~es ; dõc ; bõne (v.126), vi~et (v.131), dõne (v.283), Dõques (v.306), grãd (v. 317), quãd ; ti~et (v.318), Cõmandeurs (v.358), õ (v.362), Pr~es (v.577), hõneur ; bõ (v.785), affrõt (v.786), cõme (v.799), m'ent~edez vous (v.821), grãd (v.828), r~etrez (v.855), õ (v.869), aim~et (v.955), verrõs ; pr~es ; tõ (v.963), sõt (v.1023), bõs (v.1048), joidrõt (v.1060), mõ (v.1099), puissiõs (v.1176), dãne ; ti~edray (v.1252), quãd (v.1259), hõneur ; bõ ; mõ (v.1273), bi~e (v.1319), t~eps (v.1345), Mõsieur (v.1368), mãgé (v.1478), Flãdre (v.1545), manqõs (v. 1591). Les lettres ramistes –u et –v, ainsi que -i et –j, initialement confondues, ont été distinguées dans les occurrences suivantes : – Auant (v.1231), Vn (v.1251) – Ie (v.1, v. 72, v.930, v. 1056, v. 1221, v. 1281, v.1380) ; *Ieu* (note v. 359) ; I'en tiens (v.379) De même nous avons modernisé les -*ſ* en –s. La ponctuation initiale du texte a été respectée dans la mesure où la ponctuation de l'époque, essentiellement orale, ne répondait pas aux mêmes critères que celle d'aujourd'hui. La virgule marque un court temps d'arrêt tandis que le point virgule et le point signale une pause plus longue. Nous avons laissé intactes les majuscules qui suivent les deux points (:) et les points virgules (;) dans la mesure où cet usage était courant au XVII*e* siècle. Nous avons appliqué à l'utilisation des points de suspension, qui, au XVII*e* siècle, ne possédaient pas de nombre défini et oscillaient entre deux et six points, l'usage actuel de trois points. Des corrections ont été apportées sur des erreurs d'orthographes, de ponctuation et de personnages dues à des coquilles : – Acte I : bienqu'il (v.171), sant (v.196), Vien (v.213), discours, (v.320). – Acte II : l humeur (v.425), viendront (v.445), elle-mémeØ (v.503), S'il me voyait ceans. (v.533), railleri (v.547), feriez (v.673), d'honneur (v.691), Et les chercher…& et leur … chanter (v.708) Acte III : éfrontée ? (v.810), Taisez-vous ? (v.812), Vous pensez-vous (v.825), ma Compagnie (v.835), grace (v.933), aspect. (v.1000), suspect, (v.1001) – Acte IV : zest (v. 1018), ne vous emportez pas? (v1231) donce (v.1254), Nos aØaires (v.1270), mourrezØ (v.1315), *ØLucinde fort* (v.1336 didascalie) – Acte V : ils faisont (v.1394), mØaviser (v.1452), MADAME LE BLAiNC (après le v.1505), je vous en fait (v.1554), 2°hémistiche du v.1547 attribué à DAMON, Cato qu'on la fasse descendre? (v.1595) # LA FILLE CAPITAINE, COMEDIE. ## A SON ALTESSE MONSEIGNEUR MONSEIGNEUR LE **PRINCE EUGENE DE SAVOYE** [55], COMTE DE SOISSONS, Duc de Carignan en Luxembourg, Gouverneur & Lieutenant General pour le Roy en ses Provinces de Champagne & Brie, Colonel General des Suisses & Grisons. MONSEIGNEUR, Il y a longtemps que je devrois vous avoir donné des marques de mon respect & de ma reconnaissance ; & je n'aurois pas tant diferé, si je ne m'estois mis en teste, qu'avant que de dédier une de mes Pieces à VOSTRE ALTESSE, je devois attendre que le temps & mes soins m'eussent rendu capable d'en mettre quelqu'une au jour qui meritât l'honneur de vous estre offerte : Mais quand j'ay fait reflexion sur ce beau dessein, je l'ay trouvé plus conforme à mon zele qu'à mes forces ; & l'empressement d'offrir cette Comedie à V.A. m'a semblé plus raisonnable, que l'esperance de luy faire jamais un présent digne d'elle. Je vous presente donc un Capitaine qui ne craint ny la Paix, ny la Reforme ; Il est si fier de l'honneur qu'il a eu de vous divertir & de vous plaire, qu'il n'a plus d'ambition que celle de se honoré d'une protection aussi glorieuse que celle de V.A. Il sçait que vous sortez d'un Sang si fertile en Héros, qu'il ne s'étonne point de voir en vous tant de valeur jointe à tant de vertu, ny tant de belles lumieres jointes à toutes les qualitez avantageuses qui peuvent rendre un Prince accomply. Il sçait que le merite que toute la France admire en V.A n'est pas renfermé dans des bornes ordinaires, qu'elle connoist parfaitement tout ce que les Muses ont de grace & de delicatesse, & qu'elle fait des jugements tres-judicieux de toutes sortes d'Ouvrages ; mais il est persuadé que vous estes aussi genereux qu'éclairé, & que V.A. n'a pas moins d'indulgence pour en excuser les defauts, que de facilité à les connoistre. C'est, MONSEIGNEUR, ce qui me fait esperer que si V.A. condamne la foiblesse de mon génie, elle aura peut-estre la bonté d'aprouver mon zele, & qu'elle regardera ce que je luy offre moins comme une production d'esprit, que comme une preuve de la passion respectueuse avec laquelle je suis, MONSEIGNEUR, DE V.A. Le tres-humble & tres-obeïssant Serviteur, MONTFLEURY ## Extrait du Privilege du Roy. Par Grace & Privilege du Roy, donné à Saint Germain en Laye le 17 jour de Decembre 1671. Signé, Par le Roy en son Conseil, D'ALENCE : Il est permis au Sieur Montfleury, de faire imprimer par tel Imprimeur ou Libraire qu'il voudra choisir, une Piece de Theatre de sa composition, intitulée *LA FILLE CAPITAINE*, & ce durant cinq années, à compter du jour que ladite Piece sera achevée d'imprimer pour la premiere fois : Et defenses sont faites à tous autres Imprimeurs ou Libraires, de l'imprimer ou faire imprimer, vendre & debiter, sans le consentement de l'Exposant, ou de ceux qui auront droict de luy, à peine aux contrevenans de cinq cens livres d'amende, confiscation des Exemplaires contrefaits, & de tous despens, dommages & interests, ainsi que plus au long il est porté par ledit Privilege. Registré sur le Livre de la Communauté, suivant l'Arret de la Cour de Parlement, le 30. Dec. 1671. THIERRY, Syndic. Achevé d'imprimer pour la premiere fois le 4. Janvier 1672. ## ACTEURS. – MONSIEUR LE BLANC. – MADAME LE BLANCsa Femme. – LUCINDE. – ANGELIQUE,Cousine de Lucinde. – DAMON,Amant de Lucinde. – L'ESPERANCE,Sergent d'une Compagnie du Regiment du Roy. – CATO,Suivante de Lucinde. – LA BRIE,Laquais de Damon. La Scene est à Paris. ## ACTE PREMIER. ### SCENE PREMIERE. ANGELIQUE, LUCINDE ANGELIQUE. Je suis libre à present, & maistresse de moy, Cousine, & je m'en vais passer huit jours chez toy. LUCINDE. C'est un honneur pour moy qui passe mon attente. ANGELIQUE. Laissons-là ces honneurs; de Parente à Parente, Doit-on toûjours avoir le compliment⁎ en main ? Mon Père est ce matin party pour Saint Germain : Comme il entre en quartier [56] dans deux jours, son absence Me permet de répondre à mon impatience. LUCINDE. Et moy, j'attens mon Frere icy de jour en jour. ANGELIQUE. Il faut nous divertir jusques à leur retour : Nous pourrons jusqu'au jour qu'il faut que je te quitte [57], Ou voir la Comedie, ou bien faire visite, A voir les Violons, masquer à petit bruit [58], Passer le jour au Jeu, et courir le Bal la nuit ; La Saison le permet ; & je veux bien te dire, Que jamais je ne fus tant en humeur de rire. Mais si ton Frere arrive icy lors qu'à souhait… LUCINDE. Il n'est pas incommode, il est jeune & bien fait ; Sa preference bientost nous en rendra certaines ; Le Regiment du Roy n'a point de Capitaines Qui soient plus estimez, ny plus galans⁎ que luy. ANGELIQUE. Pour nous divertir donc, il faudroit qu'aujourd'huy Ce Frere si galans⁎, vint par Lettre de Change [59] ; Car enfin les plaisirs demandent du meslange, Et nous n'aurons Damon qu'assez mal-aisément ; Les Dez, & le grand Jeu, l'occupent tellement, Qu'il n'est hors ce plaisir, rien qui le divertisse, Et les jours sont trop courts… LUCINDE.         C'est luy faire injustice. Non, cet empressement n'est point si violent ; Damon aime le Jeu, mais Damon est galant⁎ ; Outre que la beauté dont le Ciel t'a pourveuë, Le rendra plus sensible au plaisir de ta veuë⁎. ANGELIQUE. Ne fais point avec moy la fine à contre-temps, Ce Chevalier t'en veut [60], je me connois en Gens ; Sur ce que j'en ay veu, je gagerois⁎ qu'il t'aime, Du moins c'est mon avis, & je crois qu'au tien méme Pour rendre ton bonheur à son amour égal, Le nom de ton Epoux ne luy siéroit pas mal. LUCINDE. Cousine, j'aurois tort de t'en faire un mystere. Je veux bien t'avoüer que Damon m'a sçeu plaire, Que mon Frere revient, & qu'avec tant d'amour, Damon, pour m'obtenir, n'attend que son retour : Mais quoy qu'enfin sur tout ton humeur cherche à rire, Je le crois à couvert des traits de ta Satire ; Il est jeune, bien fait, galant⁎, riche, & je crois Qu'on ne peut me blâmer d'avoir fait un tel choix. ANGELIQUE. Il est bien malaisé qu'un tel Galant⁎ ne plaise : Ce moderne Adonis [61] ne te vient voir qu'en Chaise [62], Du nom de Chevalier soûtient sa vanité, Contrefait à ravir l'Homme de Qualité [63] ; Il ne tient presque rien de son peu de naissance [64], Il aime les plaisirs, & la grande dépense, Dans son ajustement ne veut rien de commun ; Il jouë à tous les Jeux, & ne gagne à pas-un ; De faire le Coquet ne fait aucun mystere, Et c'est pour un Epoux un fort bon caractere. LUCINDE. C'est sur de tels sujets que ton esprit s'étend ; Sur le premier venu ta bile se répand ; Tu te plais à railler sans épargner personne ; Tu peux continuer sans que je m'en étonne ; Ton temps n'est pas venu, peut-estre quelque jour Tu pourras ressentir les effets de l'Amour. Plût au Ciel qu'un Hymen⁎ à tes yeux plein de charmes, Pour me vanger de toy, pût te coûter des larmes ! Pour lors la raillerie agiroit foiblement. ANGELIQUE. Tu n'auras ce plaisir qu'assez mal-aisément. LUCINDE. Quoy, tu prétens toûjours estre railleuse & fiere ? ANGELIQUE. Je veux vivre toûjours, Cousine, à ma manière ; Et mon cœur ne sera pour l'Hymen⁎ attendry, Que quand on se pourra défaire d'un Mary Comme on fait d'un Habit qui n'est plus à la mode : Des manieres d'agir, j'aime la plus commode ; Sous un joug que je crains, mon esprit languiroit ; Je me fais des plaisirs que l'Hymen⁎ troubleroit ; On ne sçait ce qu'on fait souvent quand on se donne ; Pour n'aimer qu'un Mary, j'aime trop ma personne ; J'aime le Jeu, le Bal, la Dance, l'entretien⁎, J'aime à troubler des cœurs sans engager le mien, A tourner d'un Amant l'ardeur en ridicule, A vivre sans attache, & railler sans scrupule, A flater vingt Galans⁎ de l'espoir de ma main, Et mesme quelquefois à dauber [65] le prochain : Si bien qu'à ces plaisirs donnant mon ame en proye, Des sottises d'autruy je me fais une joye, Et ne veux point troquer par de semblables nœuds Tant de plaisirs certains, contre un plaisir douteux. LUCINDE. Ce Portrait est galant ; & si [66] rien ne t'engage… ANGELIQUE. Celuy que j'aperçoy, te plaira davantage. Voicy ton Chevalier : & je lis dans ses yeux, Que si ton Frere estoit comme nous dans ces lieux, Au plaisir de te voir il seroit plus sensible. ### SCENE II. DAMON, ANGELIQUE, LUCINDE LUCINDE. Est-ce ce qui vous trouble ? & seroit-il possible… DAMON. Oüy, Madame, il est vray, ce long retardement Mettroit au desespoir le moins sensible Amant. Vostre Frere qui doit regler nostre Hymenée⁎, M'en semble pour jamais éloigner la journée : Depuis pres de deux mois j'attens de jour en jour Que quelque heureux moment m'annonce son retour ; Mon cœur plein d'un amour combatu par la crainte, N'a pour se soulager, que l'espoir & la plainte, Et me force à conter dans l'ennuy⁎ que je sens, Le nombre de mes maux, par celuy des momens. LUCINDE. Damon, ainsi que vous, vous m'en voyez surprise, Et sa derniere Lettre estoit assez précise. ANGELIQUE. Quelque accident peut-estre altere sa santé. LUCINDE. Ou quelque ordre impréveu l'a sans doute arresté. Mon Frere, si le Sort seconde son envie, Doit à la Garnison laisser sa Compagnie, Et venir à Paris passer le Carnaval [67], Et du moins en ce temps… ANGELIQUE.         Nous aurons donc le Bal ! DAMON. Pourveu que le succés mette fin à mes craintes, La joye & les plaisirs succederont aux plaintes : Mais s'il faut voir enfin mes feux⁎ sacrifiez… ANGELIQUE. Eh mon Dieu, vous serez assez tost mariez : Quand au nom de Galant⁎ celuy d'Epoux succede, L'Hymen⁎ pour ces ardeurs devient un grand remede ; Et quelque soit l'amour dont vous brûliez tous deux, Un an de Mariage appaise bien des feux⁎. DAMON. Ah, pour diminuer, mes flames⁎ sont trop belles. ### SCENE III. ANGELIQUE, LUCINDE, DAMON, CATO CATO. Ah que pour vostre amour j'ay de bonnes nouvelles ! Nous irons à la Nopce [68], & l'Hymen⁎ achevé… DAMON. Madame, vostre Frere est sans doute arrivé. LUCINDE. Mon Frere est-il venu ? Le bonheur où j'aspire… CATO. Non, ce n'est pas cela que je voulois vous dire. DAMON. Sçais-tu quand il revient ? & peux-tu là-dessus Nous aprendre… CATO.         Moy ? Non, je n'en sçay rien non plus. ANGELIQUE. Que viens-tu donc nous dire ? elle est bonne, ou je meure. CATO. Que l'Esperance vient d'arriver tout-à-l'heure⁎. DAMON. Qu'est-ce que L'Esperance ? as-tu perdu le sens ? LUCINDE. Un Valet que mon Frere avoit depuis longtemps, Et qu'il a fait Sergent dedans⁎ sa Compagnie. DAMON. Puis qu'il revient sans luy, je crains bien qu'il n'oublie… LUCINDE. Sçachons ce qui l'ameine, & puis qu'il est ainsi, Rentrons dans le Logis. CATO.         Madame, le voicy. ### SCENE IV. LUCINDE, DAMON, ANGELIQUE, CATO, L'ESPERANCE L’ESPERANCE. Madame, Serviteur à vostre Compagnie, Fussiez-vous trente. ANGELIQUE.         Bon ; j'aime cette saillie. L’ESPERANCE *donnant un Billet à Lucinde*. Vostre Frere est gaillard, & ce Billet contient… ANGELIQUE. Il se porte bien ? L’ESPERANCE.         Mieux qu'à luy n'apartient. Suivant l'ordre que j'ay d'avoir soin du Bagage, Je suis venu devant⁎ avec son Equipage⁎. Gernidié, quels chemins ! Allez, nostre Mulet A dancé sur la route un diable de Balet. Ah le maudit Païs en Hyver, que la Flandre ! Mon Capitaine vient, qui pourra vous l'apprendre. LUCINDE. J'aprehendois pour luy quelque incommodité. L’ESPERANCE. Bon ! Il beut l'autre jour tant à vostre santé, Que douze heures apres il estoit encor yvre. DAMON. Fort bien. Enfin il vient. LUCINDE.         Sa Lettre me délivre De la peine où j'estois. L'attendras-tu ? L’ESPERANCE.         Moy ? Non, Il faut que je retourne à nostre Garnison. LUCINDE. Quoy, si-tost ? L’ESPERANCE.         J'en enrage, ou la peste me tuë. LUCINDE. Mais quoy faire ? L’ESPERANCE.         Mordié, mener une Recruë⁎ : Mais avant que quitter les Fauxbourgs de Paris, Ma foy, je prétens boire avec mes bons Amis. Je veux renouveller certaine connoissance [69]… Bonjour, Cato. CATO.         Bonjour, Monsieur de L'Esperance. ANGELIQUE. Ainsi l'Hymen⁎ dans peu va flater vostre amour. LUCINDE. Il me mande [70] qu'il vient, sans en marquer le jour. Quand pourrons-nous joüir du plaisir de sa veuë⁎ ? L’ESPERANCE. Dés que le Commissaire aura fait la Revuë. On l'attendoit. Si-tost qu'il sera délogé, Ils sont vingt Officiers qui prendront leur congé. Allez, assurez-vous qu'il ne tardera guere. LUCINDE. J'auray bien du plaisir à voir icy mon Frere : Mais vostre Oncle a-t-il sçeu de vous que vostre amour, Pour se donner à moy, n'attend que ce retour ? Car vous sçavez combien son aveu⁎ nous importe. DAMON. Non ; mais enfin pour moy sa tendresse⁎ est trop forte, Pour ne pas aprouver l'éclat d'un si beau feu : Cependant comme il faut en ménager l'aveu⁎, Je vais pour l'obtenir, me rendre à sa demeure. Je vous quitte à regret, & reviens dans une heure. ### SCENE V. LUCINDE, ANGELIQUE, L'ESPERANCE, CATO L’ESPERANCE. Elles vont toutes deux jaser jusqu'à demain, Et je meurs de soif. CATO.     Viens dans le Logis. ### SCENE VI. ANGELIQUE, LUCINDE ANGELIQUE.         En vain Ton amour s'alarmoit, & toute autre en ta place… LUCINDE. Il est vray ; mais l'aveu⁎ de l'Oncle m'embarasse ; Je crains qu'il ne l'obtienne assez mal-aisément, Et qu'il ne soit surpris d'un pareil compliment⁎. ANGELIQUE. Parce qu'il a du bien [71], tu crains qu'il ne s'oppose ?... LUCINDE. Ma crainte cesseroit, si ç'en estoit la cause : Cet Oncle m'est suspect, tu veux sçavoir pour quoy ? ANGELIQUE. Oüy. LUCINDE.         C'est que ce Parent est amoureux de moy ; Il m'aime, à ce qu'il dit, d'une ardeur⁎ peu commune ; Il me suit en tous lieux, par tout il m'importune, S'obstine à m'en parler, voyant que sur ce poinct… ANGELIQUE. Quel est donc ce Parent ? ne le connois-je point ? LUCINDE. Le bon sens avec luy paroist incompatible, Son abord est choquant, & sa mine risible ; Son air, quoy que Bourgeois, est fort particulier, Son entretien⁎ plaisant, & mesme familier. ANGELIQUE. Ne me diras-tu point aussi comme on le nomme ? LUCINDE. Monsieur le Blanc. ANGELIQUE.         Ce doit estre un fort plaisant Homme ; Je ne le connois point, mais dessus [72] ton recit… LUCINDE. Son corps fait cependant honneur à son esprit ; Il m'a par ses discours divertie & surprise ; Il ne dit pas deux mots sans dire une sottise ; Il choque en se montrant, beaucoup moins qu'en parlant, Et je crois… ANGELIQUE.         Ah, grands Dieux, le douloureux Galant⁎ ! Cousin, ordonne-luy quelques grains d'Elebore [73]. LUCINDE. Ce n'est pas encore tout. ANGELIQUE.         Auroit-il pis [74] encore ? LUCINDE. Oüy sans doute, & ce Fou devroit estre lié. ANGELIQUE. Que peut-il donc avoir ? LUCINDE.         C'est qu'il est marié. ANGELIQUE. Ce Magot⁎ ? LUCINDE.         Il a mesme une Femme bien faite, Il m'en fait un mystere, & me conte fleurette [75], Comme s'il aspiroit à me donner sa foy⁎. ANGELIQUE. Et lors qu'impunément il se moque de toy, Je gage⁎ que tu fais la sotte, la honteuse. LUCINDE. Oüy, certaines raisons me rendent scrupuleuse. ANGELIQUE. Ah ! si j'en estois cruë, avant qu'il fût demain, Ce Monsieur le Galant⁎ verroit bien du chemin [76], Et je le bernerois de la belle manière. LUCINDE. A suivre cet avis je serois la premiere ; Mais il est de Damon & l'Oncle & le Tuteur, Et tu vois… ANGELIQUE.         Je voy bien ce qui te tient au cœur ; Tu crains aparemment que vangeant cet outrage, Ce Parent irrité ne nuise au Mariage. LUCINDE. Il doit le ménager : outre qu'il a son bien⁎, Tu sçauras que Damon doit heriter du sien : Comme il n'a point d'Enfans, tout ce bien le regarde [77] ; Damon assurément le perd, s'il le hazarde, Et je ne prétens pas qu'il se prive pour moy… ANGELIQUE. Sçait-il bien que son Oncle est amoureux de toy ? LUCINDE. De peur de les broüiller, j'en ay fait un mystere [78] ; Outre que c'est un feu que j'ay crû devoir taire. Le temps… ANGELIQUE.         Si ce Parent refuse son aveu⁎, Croy-moy, laisse-moy faire, & nous verrons beau jeu [79]: Je me charge du soin de le rendre traittable ; Je sçay, pour le berner, un moyen admirable. LUCINDE. Quel [80]? ANGELIQUE.     Je te le diray. LUCINDE.         S'il n'y veut consentir, Il faudra l'éprouver, & nous en divertir. Voila Monsieur le Blanc. ANGELIQUE.         Ah la bonne Figure⁎ ! Tu voudrois l'épargner ? ah c'est malice pure. Que j'auray de plaisir à rire à ses dépens ! LUCINDE. Evitons-le, il pourroit m'aborder. ANGELIQUE.         J'y consens. ### SCENE VII. MONSIEUR LE BLANC, MADAME LE BLANC MADAME LE BLANC. Où voulez-vous aller ? Je ne sçay point d'affaire… MONSIEUR LE BLANC. Ma divine Moitié, vous n'en avez que faire : Si vous voulez me plaire, il faut changer de ton. MADAME LE BLANC. Il sera bientost nuit. MONSIEUR LE BLANC.         Et m'enlevera-t-on ? MADAME LE BLANC. Si vous revenez tard ? MONSIEUR LE BLANC.         On m'ouvrira la Porte. MADAME LE BLANC. On tua l'autre nuit un Homme. MONSIEUR LE BLANC.         Que m'importe ? MADAME LE BLANC. A vingt pas du Logis, hyer on en vola deux Jusques à leurs Habits. MONSIEUR LE BLANC.         Hé bien, tant-pis pour eux. MADAME LE BLANC. Ne vaudroit-il pas mieux… MONSIEUR LE BLANC.         Il vaudroit mieux vous taire. MADAME LE BLANC. Quand on aime un Mary… MONSIEUR LE BLANC.         L'on fait ce qu'on doit faire. MADAME LE BLANC. Si l'on vous attaquoit ? MONSIEUR LE BLANC.         Il faudroit financer. MADAME LE BLANC. Et si l'on vous blessoit ? MONSIEUR LE BLANC.         Je me ferois penser [81]. MADAME LE BLANC. Cependant… MONSIEUR LE BLANC.         Cependant, en un mot, comme en mille, De vos *si* mal placez, la suite est inutile : D'un soin tout different nous voulons nous piquer [82] ; Vous de me contredire, & moy de m'en moquer. MADAME LE BLANC. Les momens, loin de vous, me semblent des années : Faut-il que sans vous voir je passe mes journées ? Et que loin d'un Epoux chery comme le mien… MONSIEUR LE BLANC. Penélope fut bien dix sans voir le sien [83]. MADAME LE BLANC. Quel chagrin croyez-vous que ce mépris me donne, A moy qui ne sors point, & qui ne vois personne, Qui toûjours renfermée, & seule, ne consens… MONSIEUR LE BLANC. Ouvrez vostre fenestre, & voyez les passans, Je ne l'empesche pas. MADAME LE BLANC.         De l'humeur dont vous estes, Il vous falloit pour Femme une de ces Coquettes Qui pres d'elle toûjours eust quelque Favory, Tout prest à reparer l'absence d'un Mary, Qui se fist, vous montrant une tendresse⁎ feinte, Un sujet de plaisir, du sujet de ma plainte, Et pour qui vostre cœur foiblement convaincu… MONSIEUR LE BLANC. Je vous entens, j'ay tort de n'estre pas Cocu ; Je dois m'y préparer, ma Chere, & c'est dommage Qu'une Moitié semblable ait esté mon partage : Vostre honneur desormais ne me répond de rien, Et vous vous repentez d'estre Femme de bien. MADAME LE BLANC. Mais enfin ? MONSIEUR LE BLANC.         Mais enfin, voila vostre Morale, Voila le but où tend vostre Mercuriale [84]. MADAME LE BLANC. Vous prenez mal la chose, & ce jaloux transport⁎ Explique à contre-sens… MONSIEUR LE BLANC.         Il est vray, j'ay grand tort ; Par ce raisonnement vous me faites connoistre Que je ne le suis pas, mais que je devrois l'estre, Et que vostre devoir consiste desormais A me faire porter… MADAME LE BLANC.     Mais je dis… MONSIEUR LE BLANC.         Point de mais : Pour faire des Galans⁎, le prétexte est honneste. MADAME LE BLANC. Vous sçavez… MONSIEUR LE BLANC.         Laissez-moy, vous me rompez la teste, Vous me feriez encor quelque autre sot discours. MADAME LE BLANC. Si… MONSIEUR LE BLANC.         Morbleu, laissez-moy, vous raisonnez toûjours. ### SCENE VIII. MONSIEUR LE BLANC *seul.*. De pareils Animaux [85], la moitié d'une paire, Si l'on n'y tient la main, donne plus d'une affaire. Où diable a-t-elle pris ce beau raisonnement ? Veut-elle, concluant ainsi directement, Insinuer en moy, par ses raisons obliques, Le tranquille sang froid des Marys pacifiques [86] ? Ou si quelque soupçon de mon nouvel amour L'a fait, pour m'imiter, servir de ce détour ? Mais voicy mon Neveu, je pense qu'il murmure. ### SCENE IX. MONSIEUR LE BLANC, DAMON. MONSIEUR LE BLANC. Qu'avez-vous, Chevalier de la triste Figure⁎ [87]? Quelque sept-&-le va [88], vous a-t-il mal traitté ? Quelque coup de cornet [89] auroit-il transplanté, Par un nouvel effet d'un malheur sans resource, Dans un Corps étranger, l'ame de vostre bourse ? DAMON. Non. MONSIEUR LE BLANC.         D'un pic & capot [90], le desordre outrageant, Vous auroit-il laissé sans joye & sans argent ? DAMON. Non. MONSIEUR LE BLANC.         Sur un trente & un, quelque indiscret quarante [91], Ne vous a-t-il point fait visite trop frequente ? Ou bien si c'est d'ailleurs quelque nouveau malheur Qui fait faire une éclipse à vostre belle humeur ? DAMON. D'une autre passion mon ame sent l'atteinte ; Le Jeu n'a point de part au sujet de ma plainte ; Et je serois enfin heureux jusqu'à ce jour. Si le Jeu dans mon cœur n'eust fait place à l'Amour. MONSIEUR LE BLANC. Voila du fruit nouveau. Donques pour quelque Belle, Mon doucereux Neveu, vous en avez dans l'aisle [92] ? DAMON. Oüy, je cede, mon Oncle, à des charmes puissans, L'Hymen⁎ est le seul but du beau feu que je sens ; Jamais tant de vertu jointe à tant de mérites, N'a fait voir… MONSIEUR LE BLANC.         J'en croy plus encor que vous n'en dites, Et je croy que l'on doit voir devant ses appas⁎ Les Roses & les Lys mettre pavillon bas. Mais vous trouverez bon, mon Cadet, qu'on vous dise, Qu'il est toûjours trop tost pour faire une sottise, Et que quoy que l'Amour vous promette de doux, Le nombre des Marys n'est que trop grand sans vous ; Qu'il faut quand l'Hymen⁎ tient nostre cœur en balance, Ensevelir l'Amour dans un drap de prudence ; Que j'ay pour en juger, suffisamment vescu, Et que dans la Famille il suffit d'un Cocu. DAMON. Vostre Femme est trop sage, & fait assez connoistre… MONSIEUR LE BLANC. Si je ne le suis pas, je suis en train de l'estre. DAMON. Loin que d'un tel soupçon mon feu soit alteré, Mon Oncle, sa vertu m'est un gage assuré : Je veux bien vous ouvrir mon ame avec franchise, Estant vostre Neveu, c'est par vostre entremise Que je dois ménager… MONSIEUR LE BLANC.         Je voy tout le secret : Estant vostre Tuteur à vostre grand regret, Vous voulez que je parle au Père de la Belle. DAMON. C'est un Frere qu'elle a, qui doit disposer d'elle ; Il arrive à Paris dans peu pour voir sa Sœur : Dés qu'il sera venu pour faire mon bonheur, Parlez luy, l'interest d'une ardeur peu commune, Joint à ceux de l'Amour celuy de ma fortune : Cette Belle a du bien ; ma vie & mon repos⁎ Dépendent du succés… MONSIEUR LE BLANC.         C'est à dire, en deux mots, Que ses biens à l'Hymen⁎ vous feront condescendre, Et que sur vostre front vous mettez, *Place à vendre*. Hé bien j'en suis d'accord ; mais sçaurons-nous son nom ? DAMON. C'est Lucinde. MONSIEUR LE BLANC.         Comment ? Parlez-vous tout de bon [93]? C'est… DAMON.     Lucinde. MONSIEUR LE BLANC *à part.*.         Morbleu, je meurs d'amour pour elle. DAMON. Vous la pouvez connoistre, elle est jeune & belle. MONSIEUR LE BLANC. Cette Belle seroit bien lasse de sa peau; Et vous estes pour elle un plaisant Etourneau⁎. DAMON. Pourquoy ne faut-il pas que ma flâme⁎ y prétende ? Si son merite est grand, la gloire en est plus grande. MONSIEUR LE BLANC. Il est vray ; mais enfin ce seroit la tromper, Et dans un tel dessein je ne veux point tremper ; Car puis que vous voulez qu'enfin on vous le die [94], De quel air [95] passez-vous & le temps & la vie ? Quoy que vous ne soyez que le Fils d'un Banquier, Vous vous faites nommer Monsieur le Chevalier, Et vous estes de ceux dont la Chevalerie N'eut jamais à Paris d'Ordre que l'Industrie [96] ; De ces Gueux faineans, de qui l'air est cocquet, Dont le sort est écrit sur les os d'un Cornet [97], Dont les Commandeurs sont les Carmes & les Sannes [98], Et qui font chez Fredoc⁎ [99] toutes leurs Caravannes [100] [101] Il faut que vous ayez toûjours dans vos Festins Des Escrocs qu'on ne voit que chez les Libertins, Des gosiers toûjours secs, puisqu'il faut qu'on s'explique, Des diseurs de bons mots, des brailleurs en Musique, De ces chanteurs oisifs, dont l'ardeur d'entonner Sur les charmes d'un Air hipoteque un Disner, Et qui payent chez vous, se trouvant dans leur centre, Aux dépens de leur voix, le tribut à leur ventre. Vous voulez faire en tout l'Homme de Qualité : Tanstot à la faveur d'un Carrosse emprunté, Bigarré [102] du fatras de vingt modes nouvelles, Vous allez au grand trot, du Brelan [103], chez les Belles ; Et l'on vous voit au Cours [104], sur le déclin du jour, Aussi fier qu'un Bourgeois qui porte un deüil de Cour. DAMON. Songez que mon amour… MONSIEUR LE BLANC.         Il n'est amour qui tienne, Vostre facon d'agir quadre [105] mal à la sienne ; Vos parolis frequents, & souvent mal placez, Luy feroient bientost voir ses Loüis éclipsez, Et vous pourriez porter, vivant à vostre guise, Un bois de Cerf [106] pour timbre [107], & *J'en tiens* [108] pour devise. C'est un petit malheur dont je veux vous parer. DAMON. Voulez-vous me reduire à ne rien esperer ? A l'amour que je sens devenez moins contraire MONSIEUR LE BLANC. Mais il n'en fera rien. & je n'en veux rien faire : Taisez-vous. DAMON.         Si mon cœur à l'aimer destiné… MONSIEUR LE BLANC. Taisez-vous, vous dit-on, pupille suranné. DAMON. Je metais [109]; & de peur de vous mettre en colere, Je m'éloigne de vous. MONSIEUR LE BLANC.         Vous ne sçauriez mieux faire. ### SCENE X. MONSIEUR LE BLANC *seul.*. Cecy n'est pas mon compte, & ce jeune Coquet A pû charmer Lucinde avecque son cacquet ; Puis qu'il l'aime à ce point, on peut l'aimer de méme. Cependant je l'adore, & depuis que je l'aime, Je n'ay point de repos⁎, je maigris tous les jours, L'Amour a mis chez moy la Raison en decours [110]; Je la suis en tous lieux ; mais quoy que l'on en die, Je veux absolument rompre cette partie. Le dessein que je fais est un peu dangereux, Mais il faut hazarder, si l'on veut estre heureux ; Je l'aime, elle le sçait, mes soins l'ont fait connoistre : Voyons-la ; Que sçait-on ? je lui plairay peut-estre. < Fin du Premier Acte. > ## ACTE II. ### SCENE PREMIERE. LUCINDE, CATO. CATO. Quoy, ce Monsieur le Blanc fait l'amoureux de vous, Comme s'il esperoit devenir vostre Epoux ? Et quoy que marié [111], ce Magot⁎ vous fait croire, Qu'à se donner à vous il met toute sa gloire [112] ? Qu'il veut vous épouser ? Le Fourbe ! LUCINDE.         Chaque jour Il me suit, il m'aborde, il me parle d'amour, Et mesme à nostre Hymen⁎ Damon dit qu'il s'opose. Je m'en estois doutée, & j'en sçavois la cause. CATO. Mais enfin ce chagrin n'est pas fort de saison ; Vostre Cousine va vous en faire raison [113] ; Le piege qu'on luy tend, flate vostre esperance, Je le trouve plaisant, & j'en ris par avance. Le hazard semble exprés pour cet Amant transy Envoyer les Habits de vostre Frere icy ; La Cousine en met un, en attendant qu'il vienne : Vous la verrez tanstot⁎ faire le Capitaine ; Elle est d'un enjoûement qu'on ne peut exprimer, Dans ce nouvel habit elle va vous charmer ; Et si Monsieur le Blanc est Homme de parole, Vous m'allez voir joüer un assez plaisant rôle. Sçait-il… LUCINDE.         Oüy, je luy dis à la Porte hyer au soir, Qu'à quelque heure aujourd'huy je prétendois le voir. Je feignis de l'aimer, je luy fis bonne mine, Et je suivis en tout l'ordre de ma Cousine. CATO. Dieu sçait s'il va venir au Rendez-vous en feu, De l'humeur dont il est, apres un tel aveu⁎. Ce Singe vous croyant fole de sa Figure⁎, Voudra venir au fait, avant que de [114] conclure, Et croira que ceans⁎ dés la premiere fois Il n'aura qu'à soufler, & remuer les doigts. Que nous pourrons donner, apres cette avanture, Aux Hommes trop coquets, de bonne tablature [115] ! On leur garde, ma foy, des Filles de quinze ans ! C'est bien à des Marys à faire les Galans! Encor si ce Magot⁎ estoit un Homme à plaire… LUCINDE. Hé bien… CATO.         Eh… L'on verroit ce que l'on pourroit faire. LUCINDE. Sa Femme doit servir au stratagéme aussy, Et Damon s'est chargé de l'emmener icy ; Et comme dans la chose elle est interessée, Elle y contribûra, du moins c'est ma pensée. CATO. Reposez-vous sur nous du succés de vos feux⁎, Nous allons le berner, en vous servant tous deux : Prenez-vous-en à moy, si vous n'estes contente. Mais Damon vient, je pense, avecque sa Parente. ### SCENE II. LUCINDE, MADAME LE BLANC, DAMON, CATO. DAMON. Voila ce qui se passe, & ce que l'on résout ; En nous divertissant, nous en viendrons à bout. J'en fus, en l'aprenant, surpris comme vous l'estes. LUCINDE *allant saluer Madame le Blanc*. Il faut la recevoir. L'honneur que vous me faites, Me reproche en secret une civilité Dont mon respect pour vous devroit s'estre acquité ; Et les soins du Mary n'ont plus rien qui m'irrite, Puis qu'à son amour seul je dois cette visite. MADAME LE BLANC. Je ne m'étonne plus de voir dans mon Epoux, Pour moy tant de froideur, & tant d'amour pour vous : Vostre beauté, Madame, à qui tout est possible, Peut forcer à se rendre une ame moins sensible : Vos appas⁎ sont si grands, & leur éclat est tel… LUCINDE. Ce qu'on en voit en vous, le rend plus criminel. DAMON. Ces discours obligeans font voir de part & d'autre Des soins que vostre Sexe usurpe sur le nostre. Je pourrois, pour l'entendre, estre assez complaisant : Mais comme un autre soin nous occupe à présent, Allons voir si tanstot⁎ vostre aimable Cousine Executera bien tout ce qu'elle imagine, Et si son enjoûement pourra bien soûtenir… LUCINDE. Il n'en est pas besoin, car je la voy venir. MADAME LE BLANC. On ne peut estre mieux, & j'aurois de la peine… ### SCENE III. LUCINDE, ANGELIQUE vestuë en Capitaine du Regiment du Roy, DAMON, CATO, L'ESPERANCE, MADAME LE BLANC. ANGELIQUE. L' Esperance ? mes Gens [116] ? L’ESPERANCE.         Plaist-il⁎, mon Capitaine ? ANGELIQUE. Bon cela. Souviens-toy… L’ESPERANCE.     Je sçay bien. ANGELIQUE.         Chevalier, Dites-moy, sentons-nous [117] un peu nostre Officier ? A Lucinde Que dites-vous de nous ? Ce port, cette manière, A vostre avis, ma Chere, est-elle Cavaliere ? Avons-nous le bon air ? Croyez-vous que le Roy Ait bien des Officiers qui soient faits comme moy ? LUCINDE. Qu'elle est bien ! L’ESPERANCE.         Elle a l'air, dedans⁎ cet équipage⁎, De ces petits Fripons qu'on fait sortir de Page [118], Pour envoyer à Malte [119] aprendre leur Mestier. ANGELIQUE. Monsieur le Blanc, de moy, n'aura pas grand quartier⁎. Aparemment, voila vostre belle Parente, Je suis son Serviteur, & mesme sa Servante : Pour peu que vous vouliez seconder nos desseins, Vostre Epoux va tomber en d'assez bonnes mains ; Et ce tour doit vous faire admirer nostre zele, Puis que c'est un moyen de le rendre fidelle. MADAME LE BLANC. J'ay promis à Damon de suivre vos avis [120]. ### SCENE IV. ANGELIQUE, LUCINDE, MADAME LE BLANC, CATO, L'ESPERANCE, LA BRIE [121]. LUCINDE. Qu'est-ce ? LA BRIE.         Monsieur le Blanc est proche du Logis ; On m'avoit commandé de voir par la fenestre, Et si-tost qu'il viendroit, d'en avertir mon Maistre. ANGELIQUE. Fort-bien. Cato, c'est toy qui dois le recevoir. CATO. Je sçay bien ma leçon, je feray mon devoir. MADAME LE BLANC. Mais si par mon Mary vous estes reconnuë… ANGELIQUE. Comment me reconnoistre ? il ne m'a jamais veuë, Ny mon Cousin non plus : Que craindroit on de luy ? Tout est bien concerté ; je prétens aujourd huy Vous donner un plaisir qui n'ait rien qui l'égale. Mais je les vois venir, entrons dans cette Salle. ### SCENE V. MONSIEUR LE BLANC, CATO. MONSIEUR LE BLANC. Oüy, Madame Cato, vous m'en voyez charmé ; Et je viens de plaisir & de joye affamé, Voir si par un bonheur qui passe mon mérite, Je puis faire ceans⁎ une heureuse visite. CATO. Vous sçavez que Lucinde a souhaité vous voir, Et qu'elle vous le dit elle-mesme hyer au soir. MONSIEUR LE BLANC. Oüy, ma Chere, dy-moi, penses-tu qu'elle m'aime ? CATO. Ah Monsieur… MONSIEUR LE BLANC.     Quoy ? poursuis. CATO.         Cent fois plus qu'elle-méme! MONSIEUR LE BLANC. Mon air luy plaist ? CATO.         Helas ! il luy semble si doux… MONSIEUR LE BLANC. Elle m'aime ? CATO.         Elle meurt, Monsieur, d'amour pour vous. MONSIEUR LE BLANC. La Friponne [122] ! Instruis-moy de toute sa tendresse⁎. CATO. Elle parle de vous, & soûpire sans cesse ; Elle passe les nuits à vous faire pitié ; Moy-mesme, de ses maux je soufre la moitié : Elle se plaint si fort, que la nuit toute entiere Je l'entens, & ne puis en clore la paupiere. MONSIEUR LE BLANC. Va, va, si le succés peut feconder mes vœux, Je vous feray bientost mieux dormir toutes deux : Je veux que par mes soins vous soyez soulagées, Et que… CATO.         Nous vous serons, Monsieur, bien obligées. MONSIEUR LE BLANC. Avec un peu de temps, je veux pourvoir à tout : Mais puis qu'à me souffrir Lucinde se résout, Ne la verray-je pas… CATO.         Dans la Chambre prochaine Je croy qu'elle entretient Monsieur le Capitaine. MONSIEUR LE BLANC. Un Capitaine ! D'où ? CATO.         Du Regiment du Roy. Son Frere ; Il est icy pour quelque temps je croy. Il vint, pour nos pechez, hyer au soir. MONSIEUR LE BLANC.         Quel Homme est-ce ? CATO. Un petit enragé, qui ferraille [123] sans cesse : Jamais Homme ne fut de si méchante humeur, Car il est étourdy, mutin, fier, querelleur, Brave comme un César, mais brutal, & capable… MONSIEUR LE BLANC. Ces pestes [124] d'Officiers sont querelleurs en diable. CATO. Quand la fougue le prend, Monsieur, pour moins d'un rien Comme on tuë un Poulet, il tuëroit un Chrestien : Mais aussi quelque jour il joüera de son reste ; Il en a tué dix depuis dix mois. MONSIEUR LE BLANC.         La peste ! Avec de tels Bréteurs [125] il faut filer bien doux. S'il me voyoit ceans⁎… CATO.         Ce seroit fait de vous, Monsieur, il vous tuëroit, & toute nostre adresse… MONSIEUR LE BLANC. Je m'en vais faire un tour, & verray ta Maistresse Quand il n'y sera plus. CATO.         Quoy, sortir sans la voir ! Ah ce seroit, Monsieur, la mettre au desespoir. Pourquoy vous éloigner ? MONSIEUR LE BLANC.         Ne t'en mets point en peine. CATO. Mais si Lucinde sçait… MONSIEUR LE BLANC.         Mais si le Capitaine Vient à voir ma Figure⁎, & se tient insulté, Je me garantis mort à *perpetuité* [126]. CATO. Si ce n'est que cela, vous la pouvez attendre ; Je me garderay bien de vous laisser surprendre : Au pis aller, Monsieur, il faudra vous cacher. Allez, rassurez-vous, je m'en vay la chercher ; Si son Frere paroist, cachez-vous, je vous prie. ### SCENE VI. MONSIEUR LE BLANC *seul.*. Hé bien va. Tout cecy passe la raillerie ; Je crains dans mon calcul de m'estre méconté [127]. Ah que mal-à-propos le Diable m'a tenté ! Si je m'y connois bien, ce maudit Capitaine Ne feroit pas façon d'ensanglanter la Scene. Ouf, je tremble de peur dés que j'entens du bruit ; Le cœur me bat, je croy que c'est luy qui me suit. Que c'est bien employé ! N'ay-je pas une Femme Honneste, s'il en est ? qui m'adore dans l'ame ? Belle, & dont la vertu ne se peut contester ? Quelle démangeaison me prend de coqueter ? Et de venir chercher, par une sotte envie, Un moment d'entretien⁎ aux dépens de ma vie ? Ah dessus⁎ ce sujet que j'ay mal raisonné ! Mais si l'on m'y retient, je veux estre berné, Car j'en auray la fievre au moins une semaine. Ah morbleu, je suis mort, voicy le Capitaine. Il cherche à se cacher, & tombe. ### SCENE VII. MONSIEUR LE BLANC, LUCINDE, CATO. LUCINDE. O Dieux ! Monsieur le Blanc, vous estes-vous blessé ? MONSIEUR LE BLANC *se relevant*. Je dançois la Bourrée [128], & le pied m'a glissé. Ce n'est rien : Mais que fait Monsieur le Capitaine ? LUCINDE. Je pense qu'il écrit. A Cato.         Prends garde qu'il ne vienne. ### SCENE VIII. MONSIEUR LE BLANC, LUCINDE. LUCINDE. Vous voyez jusqu'où va ma tendresse⁎ pour vous, Et combien le plaisir de vous revoir m'est doux : Vostre merite est tel, que quelques reprimandes… MONSIEUR LE BLANC. Mon merite est petit, mais vos bontez sont grandes. LUCINDE. Verray-je tant d'amour fecondé par vos soins ? Vous ne répondez rien. MONSIEUR LE BLANC.         Je n'en pense pas moins ; Mais je crains qu'on ne trouble un bonheur dont je doute, Et la peur quelquefois met la joy en déroute. LUCINDE. Douter de mon amour ? lors que le vostre obtient… ### SCENE IX. LUCINDE, M. LE BLANC, CATO. CATO. Ah Monsieur, cachez-vous, le Capitaine vient. MONSIEUR LE BLANC. Le facheux contretemps ! CATO.         Sur peine de la vie, Gardez de vous montrer. MONSIEUR LE BLANC.         Je n'en ay pas envie. LUCINDE. Je vous quitte à regret. MONSIEUR LE BLANC.         Tréve de compliment⁎, Où faut-il me cacher ? CATO.         Dans cet Apartement. MONSIEUR LE BLANC. Je me fie à Cato, qui me trahit peut-estre. Ecoutons-les sans bruit, je pourray le connoistre. ### SCENE X. ANGELIQUE, M. LE BLANC caché, CATO. ANGELIQUE. Cato, je te cherchois, & depuis mon retour A peine ay-je eu le temps de te dire bonjour. Il ne me souvient point de t'avoir embrassée. Il n'est pas sorty. Elle l'embrasse. CATO.     Non. [129] ANGELIQUE.         J'ay l'ame embarassée, Et je me sens reduit à te dire en deux mots. A propos. CATO.         D'où vient donc, Monsieur, cet *A propos* ? ANGELIQUE. Avant que de porter plus loin la confidence, Je veux sçavoir de toy, si pendant mon absence Ma Sœur sortoit souvent, ou bien si quelque Amant Ne la visitoit point un peu trop frequemment ? MONSIEUR LE BLANC *caché dans une Entrée*. Je tremble. CATO.     Non, Monsieur. ANGELIQUE.         Une Fille à cet âge Est ordinairement plus coquette que sage. CATO. Elle estoit toûjours seule, & jamais ne sortoit, A moins que… ANGELIQUE.         Par la mort, si quelqu'un s'y frotoit, Je lui feroit passer un fort méchant quart-d'heure. CATO. On n'a garde [130], Monsieur. ANGELIQUE.         On fait bien, ou je meure. CATO. Elle est trop vertueuse, & l'on le sçait trop bien. ANGELIQUE. Changeons donc de discours. Dy-moy, par ton moyen, Ne sçaurois-je revoir cette jeune Bourgeoise… CATO. Je vous entens, Monsieur ; Pourquoy non ? MONSIEUR LE BLANC.         La Matoise [131], Est de plus d'un Mestier. ANGELIQUE.         Cato, depuis deux ans J'ay songé mille fois à tous les doux momens Que j'ay passé pres d'elle, & de toutes les Belles… CATO. Elle m'a demandé vingt fois de vos nouvelles. ANGELIQUE. M'aimeroit-elle encor ? CATO.     En doutez-vous ? ANGELIQUE.         Hélas ! La verray-je ? CATO.         Pourquoy ne la verriez- vous pas ? Cette Belle, ma foy, seroit bien dégoûtée, Si vous ne luy plaisiez ; Car pour moy… MONSIEUR LE BLANC.         L'éfrontée ! ANGELIQUE. Mais puis-je en esperer… CATO.         Je vous répons, Monsieur, Qu'elle vous recevra du meilleur de son cœur. ANGELIQUE. Cato, va, s'il se peut, sçavoir de cette Belle, Si je la pourray voir ou ceans⁎, ou chez elle. CATO. Pour chez elle, Monsieur, neant. ANGELIQUE.         Et pourquoy non ? CATO. C'est que je ne sçay point son Logis, ny son nom ; Comme elle est mariée, elle craint le scandale. ANGELIQUE. Comment faisois-tu donc, lors que par intervalle Tu l'amenois ceans⁎ ? CATO.         La Veuve d'un Bourgeois Chez qui j'allois apprendre à coëffer autrefois, Quand je luy veux parler, va chercher cette Belle, Tandis que je l'attens, & pour raison, dit-elle, Taist son nom. Vous sçavez que par honnesteté Il faut garder en tout de la fidelité. Ce que je sçay le mieux de cette belle Brune, C'est qu'elle a pour Epoux un Chercheur de fortune, Un Pié-plat⁎ qui la fuit, & qu'on dit pour la voir, Qu'on va pour la coëffer. ANGELIQUE.         Que j'en conçois d'espoir ! Ne pers donc point de temps ; & si ton soin m'oblige⁎, Sois seûre… CATO.         Vous aurez contentement, vous dis-je ; Cele ne pourra, si je n'en viens à bout. J'y cours, & je vous viens rendre raison de tout [132]. MONSIEUR LE BLANC. L'obligeante Cato luy va chercher la Belle. Morbleu, fut-il déjà dans sa Chambre avec elle. ANGELIQUE. L'Esperance ? ### SCENE XI. ANGELIQUE, M. LE BLANC, L'ESPERANCE. L’ESPERANCE.     Monsieur ? MONSIEUR LE BLANC.         Il ne sort point d'icy. [133] ANGELIQUE. Viença. MONSIEUR LE BLANC.         Le grand Fripon que paroist celuy-ci ! ANGELIQUE. As-tu veu mon Cousin ? a-t-il fait ma Recruë⁎ ? L’ESPERANCE. Oüy, je vous en répons. ANGELIQUE.         Mais enfin l'as-tu veuë ? M'a-t-il fait vingt Soldats comme il m'avoit promis ? L’ESPERANCE. Il n'en a que dix-neuf, mais ils sont bien choisis ; Il ne faut point, Monsieur, apres eux, qu'on en cherche ; Ils sont, mordié, tretous aussi grands qu'une perche, Je les ay fait toiser moy-mesme dans sa cour, Ils ont six pieds de haut, & trois grands pieds de tour, Et des barbes, morbleu, qui les rendent plus graves… ANGELIQUE. Sont-ils braves, à voir ? L’ESPERANCE *en riant*.         Morgué, s'ils n'etoient braves, Les voudrois-je emmener ? ANGELIQUE.         C'est parler de bon sens : Mais à la Garnison il faut mener ces Gens ; Comme tu ne m'es plus à Paris necessaire, Tu partiras… L’ESPERANCE.         Demain, & j'en fais mon affaire ; Préparez de l'argent. ANGELIQUE.         C'est fort bien raisonné. L’ESPERANCE. Votre œil est aujourd'huy bien emmerillonné [134] ! Vous avez vostre conte. ANGELIQUE.         Oüy, j'ay l'ame contente ; Cato me fait revoir, pour flater mon attente, Cette jeune Beauté que tu vis une fois… L’ESPERANCE. Je sçay bien, je sçay bien, la Femme d'un Bourgeois, Qui venoit quelquefois vous tenir compagnie. ANGELIQUE. Elles-mesme, & je dois… L’ESPERANCE.         Peste, qu'elle est jolie ! Dieu sçait si le Mary… plaist-il⁎, Monsieur ? ANGELIQUE.         Tay-toy, Quelqu'un vient, laisse-nous, c'est elle que je voy. ### SCENE XII. ANGELIQUE, MADAME LE BLANC, MONSIEUR LE BLANC, CATO. CATO. A Vingt pas du Logis, j'ay rencontré Madame. ANGELIQUE *la saluant.*. Que mon bonheur est grand ! MONSIEUR LE BLANC *caché*.         La peste ! C'est ma Femme ! ANGELIQUE. Depuis que j'eus l'honneur de vous voir en ce Lieu, Rien ne m'a tant touché que ce funeste adieu ; L'absence a fait sentir à mon ame amoureuse Tout ce qu'elle a de rude. MADAME LE BLANC.     Est-il bien vray ? MONSIEUR LE BLANC.         La Gueuse ! ANGELIQUE. Mais puis que mon bonheur me fait vous retrouver, C'est en vous embrassant que je le veux prouver : Je veux, puisque pour moy vostre ardeur s'intéresse, Que mon empressement seconde ma tendresse⁎. CATO. Là-donc, comme elle fait la prude aupres de luy ! Quand vous ne nous seriez jamais veus qu'aujourd'huy. MONSIEUR LE BLANC. La Coquine ! ANGELIQUE.         Je crois en deviner la cause ; L'amour pour vostre Epoux, à mon bonheur s'opose. MADAME LE BLANC. Helas ! quelque charmant que peut estre un Epoux, Que ne souffre-t-on point d'un Homme comme vous ? Ah ! si jamais le Sort secondoit mon envie… ANGELIQUE. Hé bien ? MADAME LE BLANC.         Je vous verrois tous les jours de ma vie. MONSIEUR LE BLANC. Fort-bien. ANGELIQUE.         Pour un Amant qui meurt pour vous d'amour, C'est & trop de bontez & de joye en un jour. J'ay pour vous une ardeur qui n'a rien qui l'égale : Mais comme tout le monde aborde en cette Salle, Ce Lieu n'est pas fort propre à vous bien recevoir, Et pour y souffrir, je sçais trop mon devoir. MADAME LE BLANC. Entrons, puis que le Sort permet que je vous voye. ANGELIQUE* en rentrant.*. Cato ? CATO *rentrant aussi.*.     Monsieur ? ### SCENE XIII. MONSIEUR LE BLANC *seul.*.         Voila la Marchande de joye : L'affront que l'on me fait, ne m'est que trop connu, Et l'aveu⁎ qu'on en fait, n'est que trop ingénu. Voila de ces Serpens, de ces Pestes publiques, Qui trafiquent l'honneur par de sourdes pratiques, Et dont l'art secondant les soins d'un Favory, Feint de coëffer la Femme, & coëffe le Mary. Et vous, nostre Moitié, qui devenez commune, Vous avez donc des Gens qui vous cherchent fortune ? Pour le premier venu vous vous laisser tenter, Et souffrez sans façon qu'on vous vienne emprunter ? Eh parbleu, vous irez entre quatre murailles De vos foles amours faire les funerailles, Et vous irez aprendre en une autre Maison A mettre de niveau l'Amour & la Raison. Peut-estre qu'au moment que je tiens ce langage, Monsieur le Capitaine & ma Femme… Ah j'enrage. Ne nous contraignons plus, faisons du bruit, je veux Et les chercher & leur chanter poüille [135] à tous deux. Mais s'il alloit me tuer ? Non, perdons cette envie, Il est plus d'une Femme, & l'on a qu'une vie [136]; Il est mutin en diable, & Cato me l'a dit. Taisons-nous, attendons qu'elle… J'entens du bruit. ### SCENE XIV. MONSIEUR LE BLANC, CATO. CATO. Il faut faire sortir nostre Amoureux. MONSIEUR LE BLANC.         C'est elle, Sortons ; assez longtemps c'est estre en sentinelle. CATO. Il s'est fallu, Monsieur, contraindre jusqu'au bout : Mais vous vous estes bien ennuyé ? MONSIEUR LE BLANC.         Point du tout. Le moyen ? quand on voit des intrigues si drôles. CATO. Avec de jeunes Gens on fait d'étranges rôles. MONSIEUR LE BLANC. Oüy sans doute, & cela ne se peut autrement. CATO. N'en faites point, Monsieur, de mauvais jugement, J'ay sur le point-d'honneur trop de délicatesse : Mais vous sçavez que quand on sert de la Jeunesse, Et qu'on y fait son compte, il vaut mieux consentir… MONSIEUR LE BLANC. Bon ! ne sçay-je pas bien qu'il faut se divertir ? Monsieur le Capitaine aime fort cette Belle ? CATO. Cela n'est pas croyable. MONSIEUR LE BLANC.         Et cette Damoiselle L'aime fort ? CATO.     Oüy, Monsieur. MONSIEUR LE BLANC.         Presentement… je crois… CATO. Ils se sont embrassez déjà plus de cent fois. MONSIEUR LE BLANC. Ta Maistresse sçaura, si tu luy veux apprendre, Que je suis son Valet. CATO.         Mais, Monsieur, où vous prendre, Si l'on vous veut parler ? Où logez-vous ? MONSIEUR LE BLANC.         Trop loin. CATO. Je vous irois chercher. MONSIEUR LE BLANC.         Il n'en est pas besoin. CATO. Dites vostre Logis, ma Maistresse est capable, L'ignorant… MONSIEUR LE BLANC *à part.*.         On le sçait trop bien, de par le Diable. Que l'on me laisse aller, je la verray dans peu. CATO. Puis que vous le voulez, adieu, Monsieur. MONSIEUR LE BLANC.         Adieu. ### SCENE XV. CATO *seule*. Il meurt de jalousie, & de colere ensemble. J'ay bien joüé mon rôle ; & voila, ce me semble, Pour un commencement, assez bien débuté. Allons songer au reste, & rire en liberté. < Fin du Second Acte. > ## ACTE III. ### SCENE PREMIERE. ANGELIQUE, LUCINDE. LUCINDE. Cato ? ANGELIQUE.     Que luy veux-tu ? LUCINDE.         Qu'est-elle devenuë ? ANGELIQUE. Tu l'apelles en vain. LUCINDE.         L'auroit-on retenuë ? ANGELIQUE. Je ne crois pas. LUCINDE.     Comment, nous suivoit-elle ? ANGELIQUE.         Non. LUCINDE. Elle estoit avec nous chez la Sœur de Damon. ANGELIQUE. Il est vray ; mais je viens de l'envoyer en Ville, Et le soin que tu prens, Cousine, est inutile. LUCINDE. Et quoy faire ? ANGELIQUE.     Chercher Monsieur le Blanc. LUCINDE.         Pourquoy ? ANGELIQUE. Pour lui rendre un Poulet [137] de ta part. LUCINDE.         Mais, dy-moy, Que contient-il ? ANGELIQUE.         Il est fort galant⁎, & fort tendre. LUCINDE. Ton enjoûment, Cousine, a dequoy me surprendre. ANGELIQUE. Ecoute, laisse-moy ménager ton amour ; Je veux me divertir tout le reste du jour, J'en sçay bien le moyen. Toy, sans me contredire, Ne t'informes de rien, & ne songes qu'à rire. LUCINDE. On peut sur ton début croire qu'avec le temps… ANGELIQUE. Nostre Monsieur le Blanc a bien donné dedans ; Il croit de bonne-foy sa Femme… LUCINDE.         Je t'avouë Que ton air goguenard⁎ merite qu'on te louë : Il seroit malaisé de mieux faire l'Amant, Et tu devrois estre Homme avec tant d'enjoûment. ANGELIQUE. Si le Ciel m'avoit fait Homme, comme il le pense, Ma foy, j'aurois esté Coquet à toute outrance ; J'aurois sçeu, pour vanter ma peine & mon ardeur, Mentir en Courtisan, & jurer en Joüeur ; J'aurois, pour me pouvoir rendre maître d'une ame, Apellé les Cadeaux au secours de ma flâme⁎ ; J'aurois veu fréquemment les Belles sans témoins, J'aurois esté flateur, j'aurois rendu des soins, Et pressé de si pres les Blondes & les Brunes, Que j'aurois eu ma part des meilleures fortunes. LUCINDE. Tu pourrois te tromper. ANGELIQUE.         Je ne sçay ; mais enfin, Un cœur pour m'échaper, m'auroit semblé bien fin. LUCINDE. Mais puis que tu prétens porter plus loin la chose Avec Monsieur le Blanc, & que l'on s'y dispose, Il falloit retenir sa Femme. ANGELIQUE.         Point du tout ; Pour juger du dessein, attens jusques au bout. LUCINDE. Outre qu'elle pouvoit nous estre necessaire, Son Mary pourroit bien chez luy, dans sa colere, Prenant ce qu'il a veu pour une verité, En venir avec elle à quelque extremité. ANGELIQUE. Damon prendra ce soin : il la mene, & se flate, En la justifiant, d'empescher qu'il n'éclate ; Il n'est pas violent, il connoit son humeur, Outre que leur défaite est preste. LUCINDE.         J'aurois peur… ANGELIQUE. Tay-toy, je l'aperçois, évitons-le, & [138] pour cause. Allons dans le Logis préparer chaque chose. ### SCENE II. MONSIEUR LE BLANC, *seul.*. Ma Femme ne vient point, elle se trouve bien, Et son honneur, je croy, fait bon marché du mien : Mon affront est certain, je sçais trop qu'on m'offence, Mais je ne sçay comment j'en dois tirer vangeance. Si je fais de l'éclat, tout Paris le sçaura, Et d'un doigt, pour le moins, chacun me montrera. Si je feins d'ignorer son amour & ma honte, Demain, sur nouveaux frais, j'en auray pour mon conte. Si je la fais raser [139] de mon autorité, Elle se pourvoira contre ma cruauté : Les Juges là-dessus sont sans miséricorde. Si je la fais mourir, il y va de la corde [140]. Comment diable punir un semblable Animal [141]? Le remede par tout est pire que le mal. Chacun vit des effets dont on souffre les causes ; Car si, comme on devroit, on mettoit ordre aux choses, Pour le bien du public, n'établiroit-on pas Des Cocus consultants, comme des Avocats ? Leur conseil au besoin…Mais j'aperçoy la Belle, Et Monsieur l'Officier n'a plus que faire d'elle : Mon Neveu l'accompagne. Il faut dissimuler. ### SCENE III. MONSIEUR LE BLANC, MADAME LE BLANC, DAMON. MONSIEUR LE BLANC *à Damon, qui luy fait la reverence.*. Serviteur. A sa Femme.         Venez-vous de vous faire enrôler ? MADAME LE BLANC. Comment donc ? MONSIEUR LE BLANC.         Venez-vous de voir faire Reveuë ? Les Belles du Marais font-elles leur Recruë⁎ ? Avez-vous mis en vain ces Mouches & ce Point? Et la Coëffeuse enfin… MADAME LE BALNC.         Je ne vous entens point. MONSIEUR LE BLANC. Taisez-vous, éfrontée ! DAMON.         Eh, mon Oncle, de grace… MONSIEUR LE BLANC. Mon Dieu, mon cher Neveu, ce mystere vous passe, Vous parlez sans sçavoir : Taisez-vous ! vous ferez, Quand vous serez Cocu, comme vous l'entendrez. MADAME LE BLANC. A de pareils discours je ne puis rien comprendre. DAMON. Mais si vostre dessein est de vous faire entendre, Expliquez… MONSIEUR LE BLANC.         Je commence enfin à m'échauffer. Une Femme chez qui l'on aprend à coëffer, Ne vous ménage pas les lieux où l'on vous meine. Vous ne sortez jamais, & certain Capitaine Vous embrassant d'abord, bras dessus, bras dessous, N'a pas tanstot⁎ chez luy… Plaist-il⁎ : m'entendez vous ? MADAME LE BLANC. Pour flater son amour, j'aurois trahy le vostre ? DAMON. Qui peut vous avoir fait de tels discours ? MONSIEUR LE BLANC.         A l'autre. Vous plaist-il de vous taire ? Enfin jusques au bout Vous pensez vous tirer d'affaire, en niant tout ? Vous croyez que quelqu'un, pour se faire de feste, M'a fait recit du bois dont on charge ma teste, Et que j'en fais grand bruit, quand je le crois le moins ; Mais voila la Partie, & voila les Témoins : Montrant son front, & ses yeux. J'ay veu de ces deux yeux leur abord & ma honte : C'est par moy que je sçay que j'en ay pour mon conte. Elle faisoit la Belle, il s'en disoit charmé ; Et la Friponne enfin l'a si bien empaumé [142], Que ce beau Capitaine a sans cerémonie Commandé, moy present, chez luy, sa Compagnie. D'un endroit où j'avois pris soin de me placer, Je les ay veu tous deux se parler, s'embrasser, Et cherchant à se voir une secrette voye, Faire de cent baisers un prologue à leur joye. DAMON. Cela n'est pas possible ! Un projet si hardy Auroit pû s'estre fait… MONSIEUR LE BLANC.         Peste de l'étourdy : Cette teste à l'évent me prend pour quelque Gruë [143]. Hé bien, qu'en dites-vous ? MADAME LE BLANC.         Que si vous m'avez veuë, Sans venir faire icy cet éclaircissement, Vous pouviez me confondre assez facilement ; Qu'il faloit vous montrer, cette voye estoit seûre. Que ne paroissiez-vous ? MONSIEUR LE BLANC.         Ah voilà l'encloüeûre [144]. DAMON. Il est vray, vous deviez vous montrer, & tout haut Luy dire… MONSIEUR LE BLANC.         Mallepeste [145], il y faisoit trop chaud ; Quand on risque sa vie, il n'est Femme qui tienne, Et j'avois ma raison, comme elle avoit la sienne. MADAME LE BLANC. Il l'a resvé sans doute, & ne se souvient plus Que c'est l'effet d'un songe. MONSIEUR LE BLANC.         A d'autres là-dessus ; Je ne sçay que trop bien ce qu'il faut que j'en pense. Rentrez, morbleu, rentrez, & craignez ma vangeance, Je suis de vos amours un assez bon témoin. DAMON. Mon Oncle… MONSIEUR LE BLANC.         Mon Neveu, vous prenez trop de soin. ### SCENE IV. MONSIEUR LE BLANC, DAMON. DAMON. On doit pour une Femme avoir quelque scrupule. MONSIEUR LE BLANC. Il est vray, je devrois avaler la pilule, Et dire galamment, sans me rendre importun, Que le mal n'est plus mal, quand il est si commun ; Me rendre sur ce point traitable comme un autre. C'est vostre sentiment, mais ce n'est pas le nostre ; De ces conseils benins, l'usage est bel & bon : Cependant… DAMON.         Cependant sur un simple soupçon Vous… MONSIEUR LE BLANC.         Vous estes un fat, & vostre esprit s'érige… DAMON. Mais… MONSIEUR LE BLANC.         Vous estes un sot avant terme, vous dis-je. On vous dit qu'on a veu. DAMON.         Sur la foy de ses yeux, Croit-on que ce qu'on voit, soit ce qu'on sçait le mieux ? Il faut, pour avérer une semblable offence, D'avec la verité détacher l'aparence, Ne pas croire toûjours des sentiments si bas. MONSIEUR LE BLANC. Et que croiray-je donc, ce que je ne voy pas ? Parbleu, vostre morale est d'un admirable Homme ! Lors que je parle à vous, faut-il vous croire à Rome [146] ? Ou gager⁎ fortement, sur vostre beau discours, Que vous estes muet, quand vous jazez toûjours ? J'ay tout veu ; mon offence est-elle assez prouvée ? DAMON. L'étrange opinion ! Où l'aurois-je trouvée, Pour luy donner la main, & la conduire icy ? MONSIEUR LE BLANC. En quelque Lieu d'honneur [147] où vous estiez aussy, Ce n'est pas pour tous deux une chose nouvelle. DAMON. Je sors de chez ma Sœur, où j'estois avec elle : Elle n'a veu que nous, depuis qu'elle est dehors. MONSIEUR LE BLANC. Et vous en répondez ? DAMON.     J'en répons. MONSIEUR LE BLANC.         Corps pour corps [148] ? DAMON. Elle a trop de pudeur, & trop de retenuë, Pour souffrir… MONSIEUR LE BLANC.         Comment diable, aurois-je eu la berluë [149] ? DAMON. Outre que j'en répons, elle sçait son devoir : Vos yeux se sont trompez, vous avez crû la voir, Vous avez sans sujet blessé son innocence, Sans doute, & c'est l'effet de quelque ressemblance ; Non que si cet affront estoit bien avéré, Ce courroux⁎, à mon sens, ne fût trop modéré : Mais quand on blâme à tort des Femmes vertueuses, De semblables éclats ont des fuites fâcheuses. Des exemples du temps, faites-vous des leçons ; Les soupçons mal fondez, sont toûjours des soupçons ; Ces doutes indiscrets dont l'ame est obsédée, De l'affront qu'on se fait, laissent toûjours l'idée, Il n'est dans les esprits jamais bien effacé; Ce bruit fait son effet, quand on le croit cessé ; Sur la foy d'un Mary, le monde s'abandonne A taxer la pudeur de celle qu'il soupçonne, Et ne peut présumer, s'il a trop éclaté, Qu'elle ait de la vertu, puis qu'il en a douté. MONSIEUR LE BLANC. Comme vous dites. DAMON.         Si depuis peu sa conduite, D'un amour aparent vous fait craindre la suite, Eclaircissez-vous-en sans vous mettre en courroux⁎ ; Tâchez de la convaincre, & pour lors vangez-vous. MONSIEUR LE BLANC. Il a presque raison. DAMON.         De peur de vous détruire, Ne faites jusques-là rien qui puisse vous nuire ; D'un repentir sans fruit épargnez-vous l'ennuy. MONSIEUR LE BLANC. L'avis n'est point mauvais, & je puis aujourd'huy La convaincre de tout avec un peu d'adresse, Et je sçais un moyen… Serviteur. DAMON.         Je vous laisse. ### SCENE V. MONSIEUR LE BLANC *seul*. Il raisonne assez bien, je puis m'estre trompé, Et la peur peut enfin m'avoir préoccupé: La voyant de costé, la moindre ressemblance A pû de mes soupçons causer la violence: Je n'ay pû la bien voir ; mais je sçauray bientost Si l'amour conjugal est chez elle un defaut. Quelque précaution qu'elle mette en pratique, J'ay trouvé le secret de la voir sans replique: J'imagine le tour qu'elle prévoit le moins, Tâchons de voir Cato, j'ay besoin de ses soins, L'éclat de mes Loüis la tentera sans doute, Et je veux m'éclaircir enfin, quoy qu'il m'en couste; Cherchons-la, je prétens, en sortant de ces lieux, Que…Mais tout-à-propos [150] elle s'offre à mes yeux. ### SCENE VI. MONSIEUR LE BLANC, CATO. CATO. Je vous ay tant cherché, que j'en suis hors d'haleine : Ma foy, depuis une heure, & plus, je me proméne, Monsieur ; & graces à vostre opiniâtreté, J'ay bien esté grondée, & j'ay bien arpenté. MONSIEUR LE BLANC. Pourquoy ? CATO.         Pour n'avoir pû dire vostre demeure, Lucinde s'est d'abord emportée, & sur l'heure M'a donné ce Billet, & m'a bien defendu De rentrer au Logis, qu'il n'ait esté rendu [151]. Quoy que pour l'apaiser je ne sçeusse où vous prendre, La peur de l'irriter m'a fait tout entreprendre, Et m'a fait regarder d'icy jusques chez nous, Vingt Courtauts [152] sous le nez, que je prenois pour vous, Ce Billet vous dira si sa peine est cruelle, Et si l'on doit… MONSIEUR LE BLANC.         Voyons du style de la Belle. Il lit Depuis vostre depart je suis au desespoir, Et d'un ennuy si grand vostre absence est suivie, Que j'aime autant perdre la vie, Que l'esperance de vous voir. Venez me rassurer, si ma perte vous touche, Rétablir mon repos⁎ d'un mot de vostre bouche ; *Et vous ressouvenez* [153]*, pour ne m'alarmer plus*, Et de me faire regler mon amour sur le vostre, *Que les momens qu'on passe éloignez l'un de l'autre*, Sont autant de momens perdus. LUCINDE. Il continuë. Le Billet est pressant, & la Sœur tient du Frere ; Tous deux aiment l'intrigue, & tous deux sans mistere Cherchent secrettement à ménager leurs feux⁎, Et la bonne Cato sert d'Agente à tous deux. Bien loin de s'en fâcher, elle n'en fait que rire. CATO. Il seroit à present trop tard pour en dédire ; Ils m'ont prise chez eux, Monsieur, pour estre à tout. Mais ne viendrez-vous pas ? MONSIEUR LE BLANC.         Il faut voir jusqu'au bout. A part. Oüy, oüy, j'iray. Ma Femme y reviendra peut-estre, Et nous verrons beau jeu : Mais prens garde à ton Maistre, Il m'a tantost⁎ pensé faire mourir de peur. CATO. Ne craignez rien de luy. Jusqu'au revoir Monsieur. MONSIEUR LE BLANC. Viença, viença [154], j'ay bien autre chose à te dire. Comme tu fais plaisir à quiconque aime à rire, Et que tu sçais enfin, en faveur des galans⁎, Ce que chaque Quartier [155] a d'honneurs chancelans, Serois-tu bien d'humeur à chercher une voye De ménager pour nous un quart-d'heure de joye. CATO. Que veut dire cela ? MONSIEUR LE BLANC.         C'est à dire, en deux mots, Que la Coëffeuse peut beaucoup pour mon repos⁎ ; Que pour elle & pour toy je seray sans reserve, Si vous voulez… Enfin il n'est qu'un mot qui serve ; Voicy la question [156]. J'aime autant qu'on le peut Cette belle Bourgeoise à qui ton Maistre en veut : Oüy, sa beauté tantost⁎ m'a charmé, je l'adore, Et je meurs du desir de la revoir encore. Si tu veux établir ton bonheur & le sien, Fais que j'aye avec elle une heure d'entretien⁎ ; Tu peux, pour me servir, employer ta Compagne, Ma Chere, mets pour moy la Coëffeuse en campagne [157]. CATO. Quoy, vous aimez Lucinde, & vous voulez en conter ? Si, comme tout se sçait, elle se peut douter De vostre amour nouveau, que pourra-t-elle dire ? MONSIEUR LE BLANC. Rien, ma pauvre Cato ; Va, ce n'est que pour rire, Je ne luy veux parler qu'un moment. CATO.         Je ne puis, Cette Femme n'est pas… MONSIEUR LE BLANC.         Je donne dix Loüis, Et ma Bague. CATO.         On verra ce que l'on pourra faire. MONSIEUR LE BLANC. Que tu fais de façons pour conclure une affaire ! Songe à bien ménager… CATO.         Vous serez satisfait. MONSIEUR LE BLANC. Dy-moy, quand ce projet aura-t-il son effet ? Le plutost vaut le mieux. Quand verray-je la Belle ? Penses-tu que pour nous elle soit fort cruelle ? CATO. Je ne croy pas, Monsieur ; & si vous luy parlez… MONSIEUR LE BLANC. Où la verray-je enfin ? CATO.         Chez vous, si vous voulez. *A part* MONSIEUR LE BLANC. Elle n'y viendroit pas. Non, non, chez la Coëffeuse Je feray mieux l'aveu⁎ de ma flâme⁎ amoureuse. CATO. Je le veux. MONSIEUR LE BLANC.         Je prévoy sa honte à mon aspect, Quand je verray ma Femme en quelque Lieu suspect. Je voy plus d'un Mary rire à teste levée, A qui mesme avanture est peut-estre arrivée [158]. Cato, cela vaut fait. CATO.         Je vous répons de tout. MONSIEUR LE BLANC. J'iray tantost⁎ chez toy. Feignons jusques au bout. Je vais revoir ma Femme, & veux à l'amiable A son honneur douteux faire amande honorable, Et feindre d'un discours, & d'un air composé, Pour la mieux abuser, d'estre des-abusé. < Fin du Troisième Acte. > ## ACTE IV. ### SCENE PREMIERE. L’ESPERANCE *seul*. A la fin, Dieu mercy, j'ons [159] tout ce qui nous faut, Et je pourrons partir, si je voulons, bientost : J'ons Mousquets [160], Baudriers [161], Epées, Bandoulieres, Habits, Chapeaux, Souliers, avec dix-neuf bons Freres Qui ne cherchent qu'à rire ; & j'espere demain, Quand j'aurons bû trétous [162] six coups de chaque main, Prendre joyeusement le chemin de la Flandre. Mon Capitaine, icy, m'avoit dit de l'attendre Un jour, ou deux; mais zeste [163], il viendra justement Comme je dance ; Il fait en quelqu'endroit l'Amant, Il cajole par tout & petites, & grandes ; Dieu sçait ce qui s'ensuit. Par ma foy, ces Flamandes Sont de bonne amitié [164]. Quand je les visitons [165], Leurs Marys sont, morgué, plus doux que des Moutons : Il n'est point d'Officiers qui ne trouvent fortune ; Et jusqu'à leurs Valets, chacun à sa chacune. Le bon Païs que c'est, pour une Garnison ! Mais ce raisonnement n'est pas fort de saison, Allons tout préparer, & faisons diligence [166]. ### SCENE II. L'ESPERANCE, CATO. L’ESPERANCE. Ah, Cato, ton Valet. CATO.         Ah, bonjour, L'Esperance. On te cherche par tout, & tu dois nous aider… L’ESPERANCE. Que veut-on ? me voila. CATO.         Faut-il le demander ? C'est pour Monsieur le Blanc. Angelique elle-méme Prépare à le berner, un nouveau stratagéme : Pour en venir à bout, elle a besoin de toy. L’ESPERANCE. Je suis prest à bien faire, & tu verras… CATO.         Dy-moi, N'a-t-elle pas joüé bien plaisamment son rôle Avec nostre Galant⁎ ? L’ESPERANCE.         Elle est, morgué, trop drôle : Elle m'a bien fait rire ; & le pauvre lourdaut… CATO. Tay-toi, nous parlerons de tout cela tantost⁎. L’ESPERANCE. Je le veux, aussi-bien il faut que je t'en conte. CATO. C'est pour une autre fois ; ils sont tous là-haut ; monte Pour voir ce qu'on te veut. L’ESPERANCE.         Je te l'ay déjà dit, Mon amour est bien las de te faire crédit : Depuis plus de dix ans, tu sçais bien que je t'aime ; Pour un baiser, ou deux, veux-tu… CATO.         Veux-tu toy-méme Me laisser en repos⁎ ? ANGELIQUE *de dedans⁎ une entrée apelle.*.     L'Esperance ? L’ESPERANCE.         Monsieur ? CATO. Va. L’ESPERANCE *la baisant.*.         Tu n'en es pas quitte. On y va. Serviteur. ### SCENE III. CATO *seule.*. Peste du gros lourdaut ! voyez, qu'il prend de peine. Tu n'as qu'à revenir. M'en voilà hors d'haleine. Qu'il me tarde de voir nostre Galant⁎ icy ! Sa Femme, m'a-t-on dit, devoit s'y rendre aussy. Cependant l'heure approche, & je ne voy personne ; Il nous payera bien la peine qu'il nous donne. Le tour qu'on luy prépare est plaisant, sur ma foy ; Sa Femme devroit bien venir… Mais je la voy. ### SCENE IV. MADAME LE BLANC, CATO. CATO. Je craignois bien qu'icy vous ne pûssiez vous rendre. MADAME LE BLANC. A quoy passe le temps, Lucinde ? CATO.         A vous attendre. Et moy, j'attens aussi que Monsieur vostre Epoux Vienne, comme il l'a dit, tantost⁎ au Rendez-vous. Angelique & Damon joindront leurs soins aux vostres. MADAME LE BLANC. Que son humeur me plaist ! CATO.         Elle plaist à bien d'autres. MADAME LE BLANC. Je brûle de les voir, pour sçavoir quelle peur On luy veut faire encor. CATO *l'arrestant*.         Si vous estiez d'humeur A garder un secret… MADAME LE BLANC.         Parle, je sçais me taire. CATO. Je puis vous confier une assez bonne affaire ; L'occasion vous rit, & je sçais un moyen, Si vous me promettez que vous n'en direz rien, De ménager pour vous… MADAME LE BLANC.         Ah ce doute m'offence. CATO. Vous sçaurez donc… MADAME LE BLANC.     Hé bien ? CATO.         Qu'un Galant⁎ d'importance Est amoureux de vous, & que pour vous gagner Il est dans le dessein de ne rien épargner : Outre ce que pour vous il aura de tendresse⁎, Il a des tas d'écus dont il vous fait maistresse ; Et son cœur & son bien sont à vous aujourd'huy, Si vous voulez passer une heure avecque luy. Je me suis engagée à vous porter parole, Et crû vous obliger⁎. MADAME LE BLANC.         Depuis quand es-tu folle ? Veux-tu qu'en profitant de tes bonnes leçons, Je donne rendez-vous… CATO.         Mon Dieu, que de façons ! Pourquoy non ? MADAME LE BLANC.         Tu prétens que son argent m'oblige⁎, Malgré ce que je dois… CATO.         Oüy, ce Galant⁎, vous dis-je, Verra par des faveurs récompenser son choix, Et ce ne sera pas pour la premiere fois. MADAME LE BLANC. Pour la premiere fois ! Tu peux… CATO.         Il me le semble, Et vous avez passé de bons momens ensemble. MADAME LE BLANC. Je commence à trouver ce discours ennuyeux : C'est porter un peu loin l'insolence à mes yeux ; Mais tu peux t'assurer que devant⁎ que je parte… CATO. Nous ne jurons de rien, mais nous sçavons la Carte [167]. Cependant le Galant⁎, pour vous voir, doit venir; J'ay donné ma parole, & prétens la tenir : Il m'a fort bien payée, & m'a donné sa Bague, Et des Loüis forts bons ; voyez si j'extravague [168]. MADAME LE BLANC. Montre, je la connois… Je croy… CATO.         Cela se peut. MADAME LE BLANC. Qu'elle est à mon Mary. CATO.         C'est luy qui vous en veut. Depuis qu'il vous a veuë en ce lieu si docile, Il croit que vous allez chercher fortune en Ville, Qu'à faire des galans⁎ vous avez du panchant, Que c'est par mon moyen que vous trouvez Marchand ; Et prétend, pour régler son amour sur le vostre, Estre pour son argent, bien venu comme un autre. Hé bien, le verrez-vous tantost⁎ ? MADAME LE BLANC.         Helas ! je crains Qu'il n'ait contre mes jours fait d'étranges desseins, Et que l'on ait trop loin poussé la raillerie. CATO. On va, pour l'apaiser, changer de batterie [169], Ne vous allarmez point. Dans une heure d'icy Vous en verrez l'effet. Mais quelqu'un vient icy, Rentrez, c'est vostre Epoux. Dites à ma Maistresse Qu'elle songe à son rôle. MADAME LE BLANC.         Il suffit, je te laisse. ### SCENE V. MONSIEUR LE BLANC, CATO. MONSIEUR LE BLANC. Comment va nostre affaire ? CATO.         Eh tout ira fort bien. MONSIEUR LE BLANC. Bon : Et le Capitaine ? CATO.         Allez, n'en craignez rien. MONSIEUR LE BLANC. Ce n'est pas sans sujet que ma peur est extréme ; Et tu sçais que tantost⁎… CATO.         Oh ce n'est pas de mesme, Il est hors du Logis, & pour tout aujourd'huy Il est avec un tas de Vauriens comme luy, Pour faire la débauche, & Dieu nous en délivre : Il faudra que tantost⁎ il creve, ou qu'il s'enyvre ; Et je croy, comme enfin il n'en fait pas façon, Que quand nous le verrons, il sera beau Garçon. MONSIEUR LE BLANC. Mais comme de Bacchus Vénus aime l'aproche, As-tu pour son retour, quelque Mignonne en poche ? De l'humeur dont il est, tu dois prendre ce soin. CATO. Ma foy, je ne croy pas qu'il en ait grand besoin : C'est pour vous que je veux employer mon adresse. MONSIEUR LE BLANC. C'est bien fait : Mais, dy-moi, verray-je ta Maistresse ? Pourray-je luy parler, & veux-tu t'employer… CATO. Oüy, Monsieur, attendez, je vay vous l'envoyer. ### SCENE VI. MONSIEUR LE BLANC *seul.*. Pour finir l'embarras d'un amour qui me gesne⁎, Je veux tout hazarder [170], pour soulager ma peine : Aussi-bien, tost ou tard, Lucinde peut sçavoir Que c'est pour la tromper, que je cherche à la voir ; Et si le Capitaine en aprend quelque chose, Je suis un Homme mort ; Ainsi je me propose De voir si sur l'espoir d'estre ma Femme un jour, Lucinde me voudroit prester un peu d'amour ; Tâcher de l'engager, voir si par ma morale Sa sagesse pourroit avoir quelque intervalle ; Essayer si de nous rien ne la peut tenter, Et selon le succés, la suivre, ou la quitter. Lucinde est Fille & jeune, innocente, ingénuë, Peu de chose souvent leur donne dans la veuë ; Et quand on se prévaut de leur simplicité, On peut… Mais reprenons un peu de gravité, La voicy. ### SCENE VII. MONSIEUR LE BLANC, LUCINDE. MONSIEUR LE BLANC.         Revenu d'une frayeur mortelle, Je ramene à vos pieds un Protestant [171] fidelle, Passablement poltron : Mais nous autres Bourgeois, Qui faisons volontiers l'amour en tapinois [172], Nous n'aimons pas le bruit, & pour sauver la vie… LUCINDE. La vostre assurément vous eust esté ravie : Mon Frere est si brutal, que je bénis le Sort D'avoir par ce moyen empesché vostre mort, Et je ne puis assez loüer vostre conduite : Mais comme ce malheur peut avoir quelque suite Qui feroit de l'éclat, empeschons-en le cours ; Faites, sans diférer, l'aveu⁎ de nos amours ; De grace, proposez nostre Hymen⁎ à mon Frere. MONSIEUR LE BLANC. S'il s'opose… LUCINDE.         Et pourquoy nous seroit-il contraire ? Vous estes riche ? MONSIEUR LE BLANC.     Un peu. LUCINDE.     Bien fait ? MONSIEUR LE BLANC.         Sans vanité. Nous avons le bon air. Pour de la qualité… LUCINDE. Ah je regarde en vous vostre seule Personne. Luy proposerez-vous… Dites donc ? MONSIEUR LE BLANC.         Oüy, Mignonne. LUCINDE. S'il y veut consentir, si rien ne le retient, Quand épouserons-nous ? MONSIEUR LE BLANC.         La Semaine qui vient. LUCINDE. C'est l'unique bonheur où mon amour aspire. Quoy, je serois à vous ? MONSIEUR LE BLANC.         Cela va sans dire. Si par quelque accident qu'on ne peut pas prévoir, Cet Hymen⁎ se devoit ou remettre, ou surseoir [173], Nous pourrons établir entre nous, sous silence, Un commerce galant d'Hymen⁎ de conscience, Diférer pour un temps les Bancs & le Festin, Payer au Dieu d'Hymen⁎ un tribut clandestin, En faveur de nos feux⁎ nous rendre un peu credules, Brûler de bonne-foy d'un amour sans scrupules, Faire moins un présent qu'un troc de nostre cœur, Laisser tranquillement meurir [174] nostre bonheur, Et par quelques douceurs où nous puissions prétendre, Nous consoler souvent du déplaisir d'attendre. C'est un expedient qui peut nous rendre heureux. LUCINDE. Il est vray, c'en est un, mais il est dangereux : Un pareil Mariage… MONSIEUR LE BLANC.         Ah c'est le plus commode, Le moins embarassant, & le plus à la mode. Quand d'un Hymen⁎ en forme on avance l'effet, Le jour qu'on se marie [175], on ne sçait ce qu'on fait. Dedans⁎ l'ardeur que cause un feu qui vient de naistre, On s'engage à l'Hymen⁎, sans la sçavoir connoistre ; Et le bonheur enfin s'y trouve rarement, Quand le caprice agit sans le discernement : Autant que l'on le peut, on doit, quoy qu'il arrive, En matiere d'Hymen⁎, faire une tentative. Devant tous les Humains, je soûtiens qu'il est vray, Que qui tend à l'Hymen⁎, en doit faire l'essay, Que la joye à ce Dieu doit servir d'entremise, Et que faire autrement, c'est faire une sottise. LUCINDE. Que vous raisonnez juste ! MONSIEUR LE BLANC.         Oh, oh. Cela posé, Nous pourrons contracter un Mariage aisé ; Sans rien précipiter, nous pourrons, quoy qu'on die, Ordonner à loisir de la Cerémonie, Du Cadeau, des Habits : Quant à vos interests, Vous en déciderez, ainsi que des aprests. LUCINDE. Rien n'est plus obligeant. MONSIEUR LE BLANC.         Si vous estes contente D'un Epoux possedant deux mille écus de rente, Je suis vostre Homme, & puis vous en faire present Quand je voudray, demain, ou bien en épousant ; Et pour vous faire voir à quel poinct je vous aime, Vous ferez le Contract, si vous voulez, vous-mesme ; Et vous pourrez de plus y mettre à vostre choix, Si vous le souhaitez, la clause des six mois [176]. LUCINDE. A vous dire vray, j'entens peu les affaires : Mais comme je vous crois enfin des plus sincéres, A suivre vos avis, mon amour se résout. MONSIEUR LE BLANC. Comment…vous consentez… LUCINDE.         Oüy, je consens à tout. Dés ce mesme moment vous avez une Femme. MONSIEUR LE BLANC. A part. Elle a raison. Que c'est de gloire pour ma flâme⁎ ! LUCINDE. Vous voyez que pour vous je fais un grand effort : Mais pour m'en dispenser, mon amour est trop fort ; Vostre discretion jointe à vostre tendresse⁎, Seront, si vous m'aimez, le prix de ma foiblesse. MONSIEUR LE BLANC. Oüy, je proteste icy de n'aimer rien que vous, Et que pour mériter des sentiments si doux, Je seray moins sans vous que le corps n'est sans ombre : Angelique paroist, & l'observe. Je veux pour le prouver, par des baisers sans nombre, Devorer à genoux & ces mains, & ces bras. Il se met à genoux, en luy baisant la main ### SCENE VIII. ANGELIQUE, M. LE BLANC, LUCINDE. ANGELIQUE *luy prenant le bras.*. Alte-là, vieux Magot⁎, vous vous baissez trop bas. MONSIEUR LE BLANC. Morbleu, je suis perdu ! ANGELIQUE.         Comment ! en ma presence Vous luy baisez la main, Faquin ? Vostre insolence A mon insçeu, ceans⁎, attente à mon honneur, Et vous venez chez moy pour suborner ma Sœur ? Et ma honte, & ta mort, également certaine, Feront voir… Elle tire l'épée, & fait semblant de vouloir le fraper. MONSIEUR LE BLANC *baissant la teste.*.         Ah tout doux, Monsieur le Capitaine. LUCINDE *le retenant.*. Mon Frere… MONSIEUR LE BLANC.         Je croyois avoir la teste à bas. LUCINDE. Avant que m'écouter, ne vous emportez pas! ANGELIQUE. Que faut-il écouter ? Coquette que vous estes, Vous prestez donc ainsi l'oreille à ses sornettes ? Vous aimez ce vieux Singe ? il vous baise la main ? Par la mort… Vous sçaurez… Elle fait feinte de luy donner de l'épée. LUCINDE.         Je le niërois en vain. ANGELIQUE. On me l'avoit bien dit, que contre ma defense Vous voyiez un Pié-plat⁎ ceans⁎ en mon absence, Et que de vos amours on murmuroit tout-bas. LUCINDE. Oüy, mon Frere, il est vray, je ne m'en défens pas : De grace, à cet amour soyez plus favorable, Il m'a rendu des soins, il m'a trouvé aimable, Il m'adore, je l'aime, & vous pouvez sçavoir Ce que c'est que l'Amour, & quel est son pouvoir. ANGELIQUE. L'amour dont il s'agit, aprend-il qu'une Fille, Et de nobles Parens, & d'illustre Famille, Doit faire un tel affront à tout une Maison ? LUCINDE. L'Amour prend-il toûjours avis de la Raison ? ANGELIQUE. Ah pour vous en punir, je prendray peu des vostres : Ce galant⁎ servira d'exemple à tous les autres. Elle le menace de l'épée. MONSIEUR LE BLANC. Helas ! ANGELIQUE.         Vous aprendrez à respecter en moy Un Capitaine en pied du Regiment du Roy, Dieu me damne : Et pour vous, je vous tiendray bien fine, Si vous faites jamais l'amour à la sourdine. LUCINDE. Non, non, j'attens de vous une plus douce loy ; J'espere que le sang vous parlera pour moy ; Que malgré ce courroux⁎, vos bontez que j'implore, Donneront à mes pleurs un Amant que j'adore. Non, je ne puis penser que vous blâmiez ce choix, Sur tout quand vous sçaurez que c'est un bon bourgeois Qui m'aime d'une ardeur & sincére & constante, Qui m'offre, avec son cœur, deux mille écus de rente, Qui prétend m'épouser, & me donner la main, Si vous y consentez, mon Frere, & dés demain. ANGELIQUE. Monsieur a, dites-vous, deux mille écus de rente, Et veut vous épouser ? LUCINDE.     Oüy. ANGELIQUE.         Vous estes contente De l'avoir pour Epoux ? LUCINDE.         Mon amour affermy… ANGELIQUE. En ce cas, je rengaîne, & je suis son amy. Elle l'embrasse. Excusez le transport⁎ qu'une douleur mortelle A causé contre vous. MONSIEUR LE BLANC.         C'est une bagatelle. A part. Nos affaires vont mieux. ANGELIQUE.         Vous aimez donc ma Sœur ? MONSIEUR LE BLANC. Bas. Feignons. Haut.     Terriblement. ANGELIQUE.         Et nous faites l'honneur De la vouloir choisir pour estre vostre Femme ? MONSIEUR LE BLANC. Ah l'honneur m'en demeure. Bas.         Il est bon, sur mon ame. ANGELIQUE. Vous avez amassé de grands biens par vos soins ? MONSIEUR LE BLANC. Deux fois vingt mille écus parisis [177], pour le moins ; Et pour les augmenter, tous les jours je m'occupe. A part. Le drôle croit avoir déjà trouvé sa dûpe. ANGELIQUE. Bien loin de m'oposer à des feux⁎ si constans, Je veux contribuer à vous rendre contens : J'aime à voir tant d'amour, & déjà par avance Je vous aime en Beaufrere. MONSIEUR LE BLANC.     Ah trop d'honneur. ANGELIQUE.         Je pense Que pour l'Hymen⁎ mes soins ne vous déplairont pas. MONSIEUR LE BLANC. Tant-s'en-faut [178]. ANGELIQUE.         Je vais tout disposer de ce pas : Et pour vous faire voir combien je veux vous plaire ; L'Esperance? ### SCENE IX. L'ESPERANCE, ANGELIQUE, M. LE BLANC, LUCINDE. L’ESPERANCE.     Monsieur ? ANGELIQUE.         Va querir [179] un Notaire. Je vous fais marier dans ce mesme moment. MONSIEUR LE BLANC. Me marier ? Monsieur L'Esperance ? ANGELIQUE.         Comment ? MONSIEUR LE BLANC. Ne précipitons rien, s'il vous plaist. ANGELIQUE.         Cette voye, En nous comblant d'honneur, assure vostre joye, Et quand l'amour est fort, il est hors de raison. MONSIEUR LE BLANC. N'importe, diférons de grace, & pour raison. ANGELIQUE. Et pourquoy diferer ? Va, depesche, & l'ameine. L'Esperance part. MONSIEUR LE BLANC. Ah me voila gasté ! N'en prenez pas la peine. Demeurez. Attendez. Ah, morbleu, que d'ennuis ! ANGELIQUE. Quelle est vostre raison ? MONSIEUR LE BLANC.     Monsieur… ANGELIQUE.     Hé bien ? MONSIEUR LE BLANC.         Je suis Un Homme… qui… ANGELIQUE.         Comment ? quelles mines vous faites ! MONSIEUR LE BLANC. Je vous dis que je suis… ANGELIQUE.         Ma Sœur dit que vous estes Un honneste Bourgeois ; & m'assure de plus, Que vostre revenu monte à deux mille écus. MONSIEUR LE BLANC. Il est vray. ANGELIQUE.         Je n'en veux pas sçavoir davantage. MONSIEUR LE BLANC. Mais, Monsieur… vous sçaurez… ANGELIQUE.     Cela suffit. MONSIEUR LE BLANC.         J'enrage. ANGELIQUE. Mais pour estre assuré de ma Sœur & de vous, Je prétens qu'à l'instant vous soyez son Epoux : C'est vous parler François, si vostre amour m'oblige⁎. Ces détours à la fin… MONSIEUR LE BLANC.         Monsieur, je suis, vous dis-je… J'ay pour certaine affaire… un certain embarras… Attendons à demain. ANGELIQUE.         Cela ne se peut pas ; Demain je prens la Poste, & je retourne en Flandre. Ma Sœur, ainsi que moy, se lasseroit d'attendre, Et je veux aujourd'huy vous la voir épouser. MONSIEUR LE BLANC. Ah je voy bien qu'en vain je veux temporiser. Hé bien, si vous voulez en sçavoir davantage, Je suis… ANGELIQUE.     Quoy ? MONSIEUR LE BLANC.         Marié, Monsieur, & j'en enrage. ANGELIQUE. Vous avez une Femme, & subornez ma Sœur ? Ah ventre, vous mourrez ! Elle tire l'épée. MONSIEUR LE BLANC.     Ah la vie. L’ESPERANCE *la retenant.*.         Eh Monsieur, Quartier⁎. ANGELIQUE.         Moy l'épargner ? Non, non, il faut qu'il meure. MONSIEUR LE BLANC. Misericorde ! helas ! L’ESPERANCE.         Comme ce vieux Fou pleure. ANGELIQUE. Il mourra de ma main. L’ESPERANCE.         Eh ne le tuez pas : Morgué, vous sçavez bien qu'il nous faut vingt Soldats, Je n'en ons que dix-neuf, qu'il fasse le vingtiéme, Il portera fort bien un Mousquet. MONSIEUR LE BLANC.     Moy ? L’ESPERANCE *à part à M. le Blanc*.         Vous-mesme. MONSIEUR LE BLANC. Je suis trop pacifique, & c'est mon grand defaut. ANGELIQUE. Hé bien, j'en suis d'accord, qu'on l'enrôle au plutost, Et le conduis demain avecque la Recruë⁎ A nostre Garnison. MONSIEUR LE BLANC.         Ah cet ordre me tuë. Me mener à la Guerre ! Ah j'aime autant périr, J'y mourray tous les jours de la peur de mourir. Monsieur, de bonne-foy, je suis poltron en diable, Ayez pitié de moy, je suis inconsolable. ANGELIQUE. Tu répondras de luy. MONSIEUR LE BLANC.         J'aime autant le trépas, Que d'aller à la Guerre. ANGELIQUE.         Hé bien, tu n'iras pas, Tu seras satisfait ; & je te vais, infame, Faire à travers ton corps, un passage à ton ame. Mettant la main à son épée. MONSIEUR LE BLANC. J'iray, Monsieur, j'iray, quoy que poltron & vieux ; Et mourir pour mourir, le plus tard vaut le mieux. LUCINDE. Vous avez une Femme ? ANGELIQUE. à Lucinde fort.         Evitez ma presence,** Coquette, & redoutez l'éclat de ma vangeance. A M. le Blanc. Tu prends le bon party. A l'Esperance.         Qu'on le fasse sans bruit Partir devant⁎ le jour, ou mesme cette nuit. Fais-le équiper de tout. L’ESPERANCE. bas.         J'auray soin de l'aubade [180], Reposez-vous sur moy. Suivez-moy, Camarade. MONSIEUR LE BLANC. Camarade ? Le Gueux ! Ce Goujat, sans façon, Vit avec moy déjà de pair & compagnon. L’ESPERANCE. Je suis parbleu ravy que vous soyez des nostres. MONSIEUR LE BLANC. Fort-bien. Avec le temps nous en verrons bien d'autres. < Fin du Quatrième Acte. > ## ACTE V. ### SCENE PREMIERE. LUCINDE, DAMON. DAMON. Est-il bien vray, Madame? LUCINDE.         Oüy, je viens de sçavoir Que mon Frère, au plus-tard, arrivera ce soir. DAMON. Mon malheur désormais n'a plus rien qui m'étonne⁎; Et charmé de l'espoir que ce retour me donne, Je me flate de voir que mon cœur et mes soins, Apres un tel aveu⁎, ne vous plairont pas moins; Qu'en faveur d'un amour que vous avez fait naistre, Vous voudrez bien permettre au vostre de paraistre, Et soufrir que j'adjoûte, en me donnant à vous, Au nom de vostre Amant, celuy de vostre Epoux. LUCINDE. Si je sçay jusqu'où va pour moi vostre tendresse⁎, Vous connoissez pour vous combien je m'intéresse. Je ne puis jusques-là vous rien dire de plus: Mais sans perdre le temps en discours superflus, Voyons par quel moyen nous pourrons faire en sorte D'avoir pour cet Hymen⁎ l'aveu⁎ qui nous importe; Ma Cousine est là haut, et sans sortir d'icy, Nous en pourrons sçavoir… DAMON.         Madame, la voicy. ### SCENE II. LUCINDE, ANGELIQUE, DAMON, MADAME LE BLANC. ANGELIQUE. Vous craignez? MADAME LE BLANC.         Oüy, je crains quand vous serez connüe… ANGELIQUE. Ne vous allarmez point, je réponds de l'issuë [181]. DAMON. Vostre Cousine sent son petit Libertin. ANGELIQUE. Hé bien ay-je bon air à faire le mutin? DAMON. Oüy, sans doute. Que fait Monsieur le Blanc? Je pense… ANGELIQUE. Il est entre les mains du brave l'Espérance: Il est, quoy que grossier, assez dépaïsé; Il en rendra bon compte. DAMON.         Il sera donc aisé… ANGELIQUE. Je vous ay tanstot⁎ dit ce que vous devez faire. DAMON. Il m'en souvient, Madame, et j'en fais mon affaire. ANGELIQUE. Cato secondera vos soins. Quant à l'effet… L'Espérance paroist, sçachons ce qu'il a fait. ### SCENE III. LUCINDE, ANGELIQUE, DAMON, M. LE BLANC, L'ESPERANCE. L’ESPERANCE *en riant*. Ce que j'ons fait? Morgué, j'avons fait des merveilles: Si quelqu'un l'entend mieux, je donne mes oreilles [182]. Vostre Monsieur le Blanc est un drôle de corps! Il voudroit, pour un bras, pouvoir estre dehors; Je viens de l'enrôler et d'orner sa Figure⁎, En me divertissant, d'un bon Habit de bure [183]; De l'équiper de tout: Mais le régal estoit De voir, en l'habillant, comme il se tourmentoit; Pour en venir à bout, il falloit des machines, Et c'estoit le plaisir car il faisoit des mines Et des contorsions qui vous auroient fait peur: J'en ay ry tout mon soû [184]. Je voudrois de bon cœur Que vous l'eussiez pû voir, la peste me renie; Cela valoit morgué mieux qu'une Comédie. Il tâche à se resoudre, et croit que de pas… ANGELIQUE. Mais où l'as-tu laissé? L’ESPERANCE.         Je l'ay laissé là-bas Avec ces aigres-fins [185] que je mene à l'Armée, Qui luy souflent au nez du tabac en fumée; Plus ils faisaient les fous, plus il est sérieux. ANGELIQUE. Il est bien étonné de se voir avec eux. L’ESPERANCE. Oüy, ma foy, car ce sont d'assez bonnes Figures⁎. ANGELIQUE. Ah que pour mon dessein j'ay mal pris mes mesures! Avecque mon épée il blessera quelqu'un. L’ESPERANCE. Bon ; Son épée, et rien, Madame, c'est tout un: Vous verrez là-dessus son attente trompée; J'ay tantost fait river [186] le bout de son épée. ANGELIQUE. Le brave L'Esperance entend à demy-mot. L’ESPERANCE. Je ne nous mouchons [187] pas de la patte d'un Sot, Madame, et Dieu mercy j'y mettons bien la nostre. ANGELIQUE. Il faut que ce discours fasse place à quelqu'autre. Commençons. L’ESPERANCE.         Je l'entends, il a fait bande à part. Si vous voulez bien rire, écoutez-le à l'écart. ### SCENE IV. M. LE BLANC *seul sur le Théâtre, avec son habit de Soldat, et les autres dans une Entrée.*. Quel équipage⁎, helas! ma peine est sans seconde; Il faut aller en Flandre, ou bien en l'autre Monde, Me voir en Garnison, pour me sauver de pis, Et quitter pour jamais la vie, ou mon Païs. C'en est fait, me voilà, malgré ma résistance, Soldat de la façon de Monsieur L'Espérance; Ce Fripon m'a donné deux écus malgré moy, M'a fait boire sans soif à la santé du Roy, A paré vingt Pié-plats⁎ de semblables jaquettes, A mis en marmotant mon nom sur ses tablettes, A troqué de son chef, sans consulter mon choix, En habit de Goujat, mon habit de Bourgeois; S'est moqué du malheur où mon amour m'expose, Et s'est fait mon Parain, pour m'appeler la Roze. Si pour me consoler, et pour servir le Roy, Tous les Cocus venoient en Flandre avec moy, Je pourrois me vanter, malgré la raillerie, D'aller en Garnison en bonne compagnie. Si je trouvois moyen de sortir de ceans⁎…. Mais j'aperçoy Cato, prenons mieux nostre temps. ### SCENE V. MONSIEUR LE BLANC, CATO. Et le reste dans l'Entrée. MONSIEUR LE BLANC. Elle pleure, je croy. Qu'as-tu, ma Chere? écoute; CATO *faisant la pleureuse.*. Vous avez mis ceans⁎, Monsieur, tout en déroute; Et nostre Maitre…. MONSIEUR LE BLANC.     Hé bien? CATO.         Il est pis qu'enragé, Là-haut, en vous quittant, il a tout ravagé; Lucinde auroit sans nous essuyé sa colere, Il la vouloit tuer. Voyez la belle affaire! MONSIEUR LE BLANC. Il n'en a rien fait? CATO.         Non; mais devant⁎ qu'il soit nuit, Il la veut du Logis faire emmener sans bruit, Et veut que... La douleur m'empesche la parole. MONSIEUR LE BLANC. Hé bien, dis, que veut-il? L’ESPERANCE *dans l'Entrée*.         Elle fait bien son rôle. CATO. Qu'elle aille pour pleurer ses funestes amours, Passer dans un Couvent le reste de ses jours. MONSIEUR LE BLANC. Quel malheur! Je croyois que tu m'allois apprendre Qu'il eust fait enrôler, pour l'envoyer en Flandre. CATO. Où voyez-vous qu'un Homme à qui l'on s'est fié, Cherche à tromper les Gens, quand il est marié? MONSIEUR LE BLANC. Mais où diable vois-tu, toy qui me fais la mine [188], Qu'on enrôle les Gens, pour aimer leur Voisine? CATO. Sans vous flater, Monsieur, vous le méritez bien. Vous estes bien heureux… MONSIEUR LE BLANC.         Quittons cet entretien⁎, Et me dis, aussi bien le souvenir me blesse, S'il n'est aucun moyen de tenir ta promesse Touchant cette Beauté qui venoit visiter… CATO. Elle est là-haut, Monsieur, elle y vient de monter. MONSIEUR LE BLANC. Elle vient visiter Monsieur le Capitaine? CATO. Voyant qu'à l'adoucir nostre adresse estoit vaine, Ne sçachant plus que faire, ou dequoy m'aviser, Je la viens d'amener, afin de l'apaiser. MONSIEUR LE BLANC. Si tu veux voir mes maux meslez de quelque joye, Cato, fait, s'il se peut, qu'un moment je la voye. Tu m'as fait espérer… CATO.         Comment faire, Monsieur? MONSIEUR LE BLANC. Que fait le Capitaine? CATO.         Il est avec sa Sœur. MONSIEUR LE BLANC. Profitons de ce temps, Cato. CATO.         Comment s'y prendre? MONSIEUR LE BLANC. Comment? Va de sa part la prier de descendre; Dy-luy qu'il est icy. CATO.         Ne verra-t-elle pas… MONSIEUR LE BLANC. J'éteindray la chandelle, et luy parleray bas. Je n'attens pour partir, dedans⁎ cette occurrence, Que la commodité de Monsieur L'Espérance: Il est nuit; à mes feux⁎ cesse de t'oposer, Va… CATO.         Je n'ay pas le cœur de vous rien refuser, Je risque tout pour vous; Je vais querir la Belle; Quand vous nous entendrez, éteignez la chandelle. ### SCENE VI. MONSIEUR LE BLANC *seul*. Mieux que je n'esperois, mes soins ont reüssy, Et j'auray le plaisir de partir éclaircy. Il vaut mieux, à mon sens, quelque soin qu'il en coûte, Estre seur une fois, qu'estre toûjours en doute ; Cet éclaircissement peut-estre produira… ### SCENE VII. L'ESPERANCE, M. LE BLANC. L’ESPERANCE. Eh, la Roze? MONSIEUR LE BLANC.     Plaist-il⁎ ? L’ESPERANCE.         Que diable fais-tu là? MONSIEUR LE BLANC. Ah j'enrage, mon Corps va changer de demeure. L’ESPERANCE. Je nous en vons partir. MONSIEUR LE BLANC.     Quand partir? L’ESPERANCE.         Tout-à-l'heure⁎. As-tu ce qu'il te faut dedans⁎ ton Havre-sac [189]? T'es-tu fait acheter des Pipes, du Tabac? MONSIEUR LE BLANC. Non, & n'ay point mangé depuis que l'on me traitte… L’ESPERANCE. Va, je boirons un coup tanstot⁎ à la Villette; Marche à moy. Il fait semblant de marcher. MONSIEUR LE BLANC.         Comment donc, partir si promptement? Diférons, s'il se peut, d'une heure seulement. L’ESPERANCE. Il est morgué plaisant ! Veux-tu que pour te plaire, Avec mon Commandant je me fasse une affaire? Marche. MONSIEUR LE BLANC.     Mais… L’ESPERANCE *le tirant par le bras*.         Marche donc, ou tu seras traitté… MONSIEUR LE BLANC. Prenez ces trois Loüis pour boire à ma santé, Et ne me forcez point… L’ESPERANCE* ostant son chapeau, et lui faisant la reverence.*.         Ah Monsieur de la Roze, Deux heures plus ou moins, ne font rien à la chose; Je partirons tanstot⁎, puis que vous le voulez; Je m'en vay boire un coup en attendant. MONSIEUR LE BLANC.         Allez. ### SCENE VIII. MONSIEUR LE BLANC *seul.*. Sans argent, mille coups relançoient ma prière. J'entens venir quelqu'un, éteignons la lumière. ### SCENE IX. CATO, MONSIEUR LE BLANC, MADAME LE BLANC. CATO. Monsieur, voilà Madame. MONSIEUR LE BLANC.         Il suffit, laisse-nous : [190] Ecoutons. MADAME LE BLANC.         Vous voyez ce que je fais pour vous; Je fais tous mes plaisirs, du bonheur de vous plaire. MONSIEUR LE BLANC. C'est elle, c'est la voix. [191] Dieu me damne, ma Chère, Je brûlois de vous voir, & ce dernier aveu⁎ Va porter à l'excés ce que je sens de feu; Vos bontez me font voir qu'il n'a rien qui vous blesse. MADAME LE BLANC. Non, vous ne sçavez point jusqu'où va ma tendresse⁎, Combien de vous aimer je me fais une loy, Ny combien votre amour a de charmes pour moy. Jamais… MONSIEUR LE BLANC.         Pour le bonheur que vostre amour m'anonce, Souffrez que ce baiser me serve de réponce. A part. L'éfrontée! elle croit estre avec son Amant, Et reçoit ses baisers fort amiablement. MADAME LE BLANC. M'aimerez-vous toûjours? Helas! que j'aprehende… MONSIEUR LE BLANC. Si je vous aimeray? La plaisante demande! On dit que vous avez un singe de Mary; N'auriez-vous point pour luy le cœur trop attendry? Sur quelque empressement que mon espoir se fonde, C'est vostre Epoux. MADAME LE BLANC.         Hors vous, tous les Hommes du Monde, Quelque soin que l'on prît à me prouver leurs feux⁎, Ne peuvent rien avoir de charmant à mes yeux : Enfin vous estes seul le maistre de mon ame, Mon cœur ne sent d'amour que pour vous. MONSIEUR LE BLANC.         Ah l'infame ! Vous passerez la nuit ceans⁎; & vostre Epoux… MADAME LE BLANC. Je le veux bien pourveu que ce soit avec vous. MONSIEUR LE BLANC *bas.*. C'est parler sans enigme, & j'en ay pour mon conte. Il veut tirer son épée, & ne peut. Ton sang, ame sans foy, va reparer ma honte; Je suis suffisamment instruit de tes amours. Le voila cet Epoux. MADAME LE BLANC *s'enfuyant.*.     Au secours. ### SCENE X. MONSIEUR LE BLANC, CATO. CATO.         Au secours, A l'aide. Ces transports⁎ vous sont-ils ordinaires? Estes-vous fou, Monsieur? MONSIEUR LE BLANC.         Chacun sçait ses affaires. CATO. Vous, insulter ceans⁎ une Femme d'honneur? ### SCENE XI. M. LE BLANC, CATO, DAMON. DAMON. Qui cause un tel desordre en ce Logis? CATO.         Monsieur. DAMON. Mon Oncle? MONSIEUR LE BLANC.     Vous sçaurez… DAMON.         En un tel equipage⁎! Vous, aller à la Guerre! MONSIEUR LE BLANC.     On m'a fait… DAMON.         A vostre âge! Un notable Bourgeois, un Homme de bon sens, Quitter, à nostre insçeu, Maison, Femme, Parens! MONSIEUR LE BLANC. C'est un tour… DAMON.         Auriez-vous quelque méchante affaire? Quel desespoir vous chasse avec tant de mystere? MONSIEUR LE BLANC. C'est un affront, vous dis-je… DAMON.         Ah non, vous n'irez point. MONSIEUR LE BLANC. Peste du babillard [192]. DAMON.         Je suis ferme en ce poinct. MONSIEUR LE BLANC. Je n'ay pû m'en dédire, on m'a pris… DAMON.         Il n'importe, Vous ne sçauriez avoir raison assez forte. MONSIEUR LE BLANC. Je prétens me vanger… DAMON.         Vangez-vous autrement. MONSIEUR LE BLANC. Ah le maudit causeur! DAMON.         Et songez seulement Que vous devez… MONSIEUR LE BLANC.         Je scay tout ce que je dois faire, Avant que vous fussiez le Fils de vostre Père, Pedagogue importun, dont le zele indiscret Me fait, malgré mes dents, gardien d'un secret. On vous dit que ceans⁎ on me fait violence, Qu'on m'a fait enrôler malgré ma resistance, Qu'avec une Recruë⁎ un certain grand Pendard [193] M'alloit mener en Flandre un quart-d'heure plus tard. DAMON. Qui l'a fait enrôler? CATO.         Monsieur le Capitaine. DAMON. Je m'en vais luy parler. CATO.         N'en prenez pas la peine, Je le vais avertir. ### SCENE XII. MONSIEUR LE BLANC, DAMON. DAMON.         L'auriez-vous insulté? MONSIEUR LE BLANC. Jamais: Mais vous sçaurez que ce jeune éventé… Le voicy, vous allez en sçavoir davantage. ### SCENE XIII. DAMON, MONSIEUR LE BLANC, ANGELIQUE. [194] ANGELIQUE. Je suis faché, voulant me vanger d'un outrage, Que le sort soit tombé sur un de vos Parens; Mais je vous en viens faire l'excuse, & vous le rens: Malgré ce qu'il a fait, je vous en fais le Maistre, Et l'auroit épargné, s'il se fut fait connoistre. DAMON. Qu'a-t-il fait? quel outrage? & surquoy⁎ cette peur? ANGELIQUE. Comment! venir ceans⁎ pour suborner ma Sœur? Chez moi, morbleu, chez moi, la Sœur d'un Capitaine? Par la mort… Mais enfin je consens qu'on l'emméne Ou chez vous, ou chez luy, prest à nous allier; En faveur du Parens, je veux tout oublier; Je l'aime, sans sçavoir mesme comme on le nomme, Sa Figure⁎ me plaist, je le trouve brave Homme, Au rang de ses Amis je me mets aujourd'huy, Et veux, morbleu, casser un Verre avecque luy. A l'hymen⁎ de ma Sœur puisqu'il n'est plus contraire, Qu'on la fasse venir? MONSIEUR LE BLANC.         Il n'est pas nécessaire. ANGELIQUE. Ne consentez-vous pas à une telle union… MONSIEUR LE BLANC. Il est vray, j'y consens, mais à condition… DAMON. Faites que promptement… ANGELIQUE.         Dites-nous, qu'elle est-elle? Quelque difficulté… MONSIEUR LE BLANC.         C'est une bagatelle; Mais jamais mon Neveu ne sera son Epoux, Qu'il ne se soit coupé la gorge avecque vous [195]. C'est la condition que je mets à la chose. DAMON. D'un tel emportement, qui peut estre la cause? Mon Oncle, voulez-vous me mettre au desespoir? MONSIEUR LE BLANC. J'ay mis la Belle à prix, & c'est à vous de voir… DAMON. A vouloir son trépas, quel motif vous engage? En avez-vous reçeu quelque sensible outrage? MONSIEUR LE BLANC. Oüy. DAMON.         J'ay, pour vous vanger, le cœur assez hardy; Mais je prétens sçavoir… MONSIEUR LE BLANC.         C'est que cet étourdy, Qui fait le goguenard⁎, qui rit, & qui se cache, Me fait… DAMON.     Hé bien? MONSIEUR LE BLANC.         Cocu, puis qu'il faut qu'on le sçache. DAMON. Luy? Vostre Femme a pû… ANGELIQUE.         Je répons de sa foy, Tant qu'elle n'aura point d'autre Galant⁎ que moy. MONSIEUR LE BLANC. Cependant je le suis, & Monsieur la gouverne… ANGELIQUE. Si c'est de ma façon, je veux que l'on me berne; Vous le meriteriez, mais un certain defaut… MONSIEUR LE BLANC. Fort-bien. Vous n'avez pas une Belle là-haut, Qui vous vient visiter, qui souffre vos caresses? ANGELIQUE. Nous autres Officiers manquons-nous de Maistresses? Il est vray, j'en conviens, mais… DAMON.         Mais enfin sçachons… ANGELIQUE. Elle n'est point sa Femme, & je vous en répons. MONSIEUR LE BLANC. Non, car elle est la vostre. DAMON.         Il faut la voir, & prendre… ANGELIQUE. Je le veux bien. Cato, qu'on la fasse descendre. MONSIEUR LE BLANC. Si de la Belle en fait je me trouve l'Epoux, Hem [196]? ANGELIQUE.         Vous l'emmenerez tout doucement chez vous. MONSIEUR LE BLANC. Je serois assez sot… ANGELIQUE.         Calmez cette colere: Je veux vous faire voir combien j'ay sçeu luy plaire, Vous montrer jusqu'où vont les transports⁎ des Amans, Que vos yeux soient témoins de nos embrassements, Luy donner devant vous des marques de ma flame⁎, En avoir des faveurs : Et si c'est vostre Femme, Lors que quelque autre Objet aura sçeu me charmer, Que las de ses faveurs, ou cessant de l'aimer, Pour m'en débarasser, je voudray vous la rendre, Vous serez trop heureux encor de la reprendre. MONSIEUR LE BLANC. Hé bien, vous l'entendez? DAMON.         C'est un jeune emporté; Mais nous luy rabattrons tanstot⁎ sa vanité: Quand nous aurons de tout une entiere assurance, Vous verrez quelle part je prends dans cette offence. ANGELIQUE. Je l'entens, vous serez à l'instant satisfait. MONSIEUR LE BLANC. Qu'en dites-vous? DAMON.         Je croy que c'est elle en effet. ### SCENE XIV. ANGELIQUE, DAMON, MONSIEUR LE BLANC, MADAME LE BLANC, CATO. ANGELIQUE. Permettez qu'à leurs yeux, quelque soin qui les touche, Je prenne deux baisers sur cette belle bouche. MONSIEUR LE BLANC. La baiser à mes yeux! Ventre. Il met le pied sur la garde de son épée pour la tirer, & ne peut. DAMON.         Dans sa Maison! MONSIEUR LE BLANC. Oüy, je veux tout tuer. DAMON.         Vous n'avez pas raison. MONSIEUR LE BLANC. Qu'importe ? ame sans foy, peste de ta Famille. MADAME LE BLANC. Pouvez-vous me blâmer, de baiser une Fille? DAMON. Une Fille! ANGELIQUE.         Oüy, ma foy, c'est à mon grand regret; Aussi-bien est-il temps d'éventer ce secret. MONSIEUR LE BLANC. Quoy, c'est une Fille? DAMON.         Oüy, la chose est assurée. MONSIEUR LE BLANC. Ah si je l'avois sçeu, que je l'eusse bourée! [197] Mais pourquoy, s'il vous plaist, ce beau déguisement? ANGELIQUE. Pourquoy? pour vous montrer à faire le Galant⁎, Et vous aprendre, ayant une Femme bien faite, A n'aller point ailleurs debiter la sornette, A vous tenir content du nom de vostre Epoux, Sans chercher à tromper les Gens plus fins que vous. MONSIEUR LE BLANC. Elle a parbleu raison, & l'avanture est drôle; Elle a, pour l'en blâmer, trop bien joüé son rôle: Mais puis-je m'assurer, Parent, que cet aveu⁎ Ne soit point un moyen de mieux couvrir leur jeu? DAMON. Non, vous pouvez l'en croire, apres cette assurance. MONSIEUR LE BLANC. Il seroit bon de voir, la chose est d'importance. ANGELIQUE. Il n'en est pas besoin, voila vostre Garent. MONSIEUR LE BLANC. Songeons à son repos⁎, pour celuy qu'il me rend. ### SCENE DERNIERE. MONSIEUR LE BLANC, MADAME LE BLANC, DAMON, LUCINDE, ANGELIQUE. [198] LUCINDE. Mon Frere est arrivé, nous voila hors de peine. ANGELIQUE. Comment, le Capitaine? MONSIEUR LE BLANC.         Encore un capitaine! Je pense qu'il en pleut. Vostre Hymen⁎ se fera, Mais ce sera demain, ou quand il vous plaira; J'y consens : Cependant je vay reprendre haleine; Et saluë humblement LA FILLE CAPITAINE. < FIN > # Glossaire. *Abréviations* : A= *Dictionnaire de l'Académie Française*, 1694. F= A. Furetière, *Dictionnaire Universel*, 1690. R= P. Richelet, *Dictionnaire Français*, 1680AppasOrthographié apas et dont la définition est « Charmes puissants, grands attraits, beauté, agrément, plaisir. » (R)V. 313, 457Aveu« Protection, ordre ou consentement donné » (F).V. 167, 170, 225, 426, 690, 1000, 1156, 1352, 1362, 1499, 1635Céans« Terme démonstratif du lieu où on est. » (F)V. 429, 500, 534, 616, 621, 1227, 1238, 1427, 1430, 1519, 1527, 1545, 1560Compliment« Témoignage de joye ou de douleur qu'on rend à ses amis lorsqu'ils leur est arrivée bonne ou mauvaise fortune »V. 5, 581« Signifie parfois par antiphrase, querelle » (F)V. 178Courroux« Mouvement impétueux de colère. » (F)V. 894, 909, 1257Dedans« Adv. & préposition de lieu & de temps, qui signifie la même chose que dans. » (F)V. 131, 475, 1047 (nom de personnage), 1185, 1465, 1479Devant« Conjonction, signifie auparavant. » (F)V. 140, 1089, 1340, 1435Entretien« Se dit aussi de la conversation. » (F)V. 77, 190, 560, 982, 1448Equipage« Manière dont une personne est vêtue » (L), habit.V. 140, 475, 1409, 1529Feu(x)« Se dit poétiquement pour signifier la passion de l'amour ».V. 113, 118, 441, 957, 1173, 1279, 1467Figure« Forme extérieure d'un corps, d'un être » (A)V. 231, 292, 427, 541, 1381, 1397, 1566Galans / Galant« Celui qui aime une Dame et qui en est aimé. » (R) V. 21, 23, 81, 279, 969, 1099V. 30, 45, 47, 115, 210, 747, 1038, 1051, 1070, 1082, 1091, 1250, 1588, 1628« Se dit le plus ordinairement de celui qui fait (sa cour) à une femme mariée, ou à une fille qu'il n'a pas dessein d'épouser. » (A) Goguenard« Qui est plaisgoguant, qui a l'habitude de dire des mots pour rire. » (F)V. 756, 1585Hymen« Mariage » (A)V. 63, 69, 74, 95, 116, 121, 157, 310, 319, 339, 407, 1157, 1168, 1170, 1172, 1183, 1186, 1190, 1192, 1283, 1362, 1569, 1643MagotAu propre, « gros singe ». Au figuré, il se dit « des hommes difformes, laids comme sont les singes, des hommes mal bâtis (F). Il peut également désigner un homme « sot, ridicule ».V. 203, 403, 435, 1224Obligé de« Qui a reçu un bon office, qui a obligation envers une personne parce qu'il en a reçu quelque plaisir. »V. 631, 1078, 1081, 1305Pied-plat orthographié Pié-platRustre, paysan qui a des souliers tout unis (et non des talons hauts comme en portent l'aristocratie et les gens de Cour), homme qui ne mérite aucune considération. (F)V. 629, 1238, 1417Plaist-ilSe dit « en terme de cicilité, quand on fait répéter une chose quand on a mal entendüe. » (F)V. 468, 661, 822, 1476Recruë« Nouvelle levée de gens de guerre pour remplacer ceux qui manquent. » (A) V. 152, 639, 808, 1325, 1547Repos« Se dit aussi d'une quiétude d'esprit & de corps, qui les met hors de troubles, de craintes & de soins. » (F)V. 337, 393, 950, 973, 1047, 1640Quartier« Signifie aussi le bon traitement qu'on promet à des troupes qui se rendent, qui mettent les armes bas. » (F) V. 478, 1317TantostIl y a quelques instants ; bientôt, tout à l'heure. V. 416, 463, 822, 965, 979, 1006, 1040, 1060, 1103, 1114, 1118, 1373, 1482, 1491, 1612Tendresse« Sensibilité du cœur et de l'âme … ce mot signifie le plus souvent amour » (F)V. 168, 263, 507, 569, 672, 1073, 1217, 1357, 1502Tout à l'heureAussitôt, tout de suite, sur le champ. V. 128, 1478TransportTrouble ou agitation de l'âme par la violence des passions. V. 273, 1269, 1525, 1603Veuë« Rencontre » (F)V. 32, 159 # Annexe 1 : *La Dama Capitan*, 1671, Don Diego y Don Joseph de Figueroa y Cordova. Traduction établie avec l'aide de Mlle Elsa MARSOEP (MI Recherche Espagnol, Paris IV Sorbonne) ## Personnages. Doña Elvira de Vergara, qui est Don Lope Lucia, qui est Martin Don Fernando de Vergara Le baron de Brifac Le comte de Fuentes Madame Blanca Le sergent Palomo Deux muletiers Deux brigands Un aubergiste Juana, l'aubergiste Des soldats, des musiciens ## Première journée. Doña Elvira et Lucia entrent, habillées en hommes, que l'on devine être Don Lope et Martin. Lope – Je suis humiliée. Martin – Je touche à peine terre : même l'air véloce ne perturbe pas ma voix. Lope – Venez vous mettre derrière moi et sortons de ce lieu. Martin – Nous sommes en dehors de chez vous et j'ignore encore où nous allons. Lope – Je naquis pour braquer les armes et, aspirant à plus de prestige et de reconnaissance, je développai l'esprit d'un homme. Martin – Je le sais, tout ceci s'oppose à l'héroïque inclination qui règne dans votre poitrine, le cœur, la discipline, l'obéissance et le sermon d'une tante impertinente, une harpie (je dois le dire), qui d'un seul croc mange, tout en se fâchant, et qui a le pouvoir, madame, vos parents étant morts, de donner un port à vos malheurs. Depuis l'aube de votre vie, elle vous a élevée (ici commence votre malheur) dans l'idée de confiner votre beauté dans le Sacré d'un Couvent. Demain sera le jour où prendra effet votre condamnation d'une violence sans pareil à un enfermement éternel, votre tante voulant (rigueur impie !) par l'exemple et la raison être propriétaire de vos actions, en forçant votre volonté : vous, hautaine et sagace. Lope – Cessez, je connais également la progression de mon histoire. En effet, moi, on m'appelle Marte l'ardent belliqueux. Mon inclination se cantonne à l'éloge de la guerre, à l'ambition de la gloire, en étant héroïque, et à la valeur profonde que ma poitrine renferme. Ce n'est que peu de triomphe que celui de Bellone et une courte limite au monde. Je le dis à ma fantaisie, je sollicite cette gloire, en sachant que la mémoire s'acquiert avec l'audace : pour quelle raison la gloire éternelle et la renommée incombent seulement à l'homme et non à la femme ? Notre force de caractère n'est-elle pas capable de triomphe et de porter les armes ? Nos âmes n'inspirent-elles pas la même nature ? Si, bien sûr que si : dans mon esprit ardent, je sais que plus tard mon front pourra être digne d'être couronné de lauriers éternels (ne vous offusquez pas). Je suis une femme, car si j'écoute vos anecdotes, nombre d'entre elles détrônent celles des hommes de valeur en cette nuit obscure et froide. Je suis sortie de chez moi vêtue de cette robe, ayant dérobé à ma vieille tante les bijoux et quelques doublons (qui sont en fortune les amis les plus loyaux). Je parviendrai à mes fins, je chercherai le Comte de Fuentes, héroïque personnage espagnol, fils de Martre et du Soleil, qui avec huit mille soldats doit partir pour les Etats de Flandres (offrant à l'Espagne de grands dessins). Je pense le suivre, depuis San Sébastian, où cinquante navires affrontent dans la brume, avec énergie, la mer. Cet insigne Capitaine, dont j'ai suivi les conseils, partira très bravement avec ses hommes châtier les rebelles endurcis : je veux servir à la guerre et rendre mon nom immortel. Martin – Tout se passera mal, à être incertaine quant à la question de l'argent, puisque même si Lucia en vous suivant sans mal de mer acceptait également de se déguiser en homme, et même si, sur les ordres de ta tante, les noires nous ont élevées avec des colères franches (comme vous vous réjouissez lorsque vous m'écoutez !) pour servir les blanches avec adresse, tout cela finira en saynète dont les personnages, en comparaison de nous deux, seraient Pacheco, un maudit, et Carranza, un pauvre. Ceci de fouler les routes à cheval, sans avoir un chrétien à manger, en dehors de toute folie rare, car une faim incontrôlable fait perdre les forces et l'habileté. Lope – Ecoutez, Martin, (jusque là vous devez vous appeler de la sorte) l'esprit hautain et fort ne doit pas abandonner de la sorte la valeur qui oblige à tant de choses : avec la vigilance s'affine la discipline militaire. Martin – La vigilance ? Sans manger mes forces seront réduites à néant et avec une alimentation à base de thon, je ne prendrai pas les armes à Sahagun, si l'on ne va pas d'une traite à Esquivias. Et s'il on se fait remarquer, nos projets seront vains. Si l'on rencontre votre frère Don Fernando de Vergara, à qui l'opinion générale a accordé une éminente réputation de courageux soldat. Lope – Il ne me connaît pas réellement, il s'en alla pour faire la guerre alors que je n'étais qu'une enfant, même si je le voyais, je ne le reconnaitrais pas. Martin – Ce que je sais, c'est que sa valeur égale la pureté de son sang : c'est un biscaïen en somme. Lope – Et maintenant j'imagine qu'il sert l'Armée Royale, en Flandres j'en suis sûre, et qu'il ne peut pas me connaître. Et même si autant de mésaventures nous arrivaient, si nous venions à le rencontrer, je ne risquerais rien, car il n'a pas à savoir que c'est moi qui suis dans cet accoutrement. Martin – Je parie que dans votre lignage il y a une femme capitaine. Lope – Martin, par la gloire immortelle et par mon étoile pèlerine, je m'incline à être soldat. Martin – Eh bien, je te suis : le bon Martin doit être général, si Dieu ne m'en empêche pas. Lope – Mettons-nous en chemin, en quête d'une fin honorable. Poursuivons. Martin – J'ai remarqué que malgré tant de courage vous venez. Soyez plus habile, madame, vous tenez davantage du coq, par votre conversation, que du soldat. Partons enfin discrètement du lieu d'où nous sommes sorties, et empruntons le chemin pour ce que je crois être San Sébastian. Lope – Quel lieu délicieux et agréable ! On dirait que les oiseaux gazouillent dans le vent. Martin – Biscaye est une terre bénie, rien n'y manque, et on y trouve beaucoup de fer et peu d'incendie de cep : ici on vendange les vignes, les pommes et son cidre est une liqueur venue de l'Enfer, elle remue les entrailles, elle ressemble beaucoup à l'argent des pauvres, parce qu'elle se troque. Lope – Comme vos grâces sont froides ! Martin – Ce n'est pas si mal avec ce temps, il fait une chaleur étouffante. Lope – Attendez, nous avons atteint le mont de notre ville. Martin – Là bas il y a des chats qui griffent tout, en laissant les passagers recroquevillés sur eux-mêmes. Lope – Le port de San Sébastian est à cinq lieues d'ici, où, Martin, nous embarquerons avec le grand Comte de Fuentes. Martin – Toulouse doit être à mi-chemin, là-bas vous pourrez vous reposer et être plus tranquille, Dame Doña Elvira de Vergara, ce nom qui est vôtre, mais là vous êtes un homme. Lope – A partir de maintenant, mon présupposé nom est Don Lope de Avendaño. Martin – On entend les sonnailles des muletiers. Les sonnailles retentissent et entrent deux muletiers. 1 – (interjections) 2 – (jure) Tu vas tomber, reviens sur le chemin, je m'en fous de tes fleurs. Il chante. 1 – A Sansueña arrive le courageux Gayferos, armé d'une pointe et vêtu de blanc, pour chercher sa femme. Sur la vie de six lapins, la patience a le don d'échapper. 2 – Tu es prétentieux, et tu es toujours à la traîne, tu empruntes des chemins scabreux et t'éloignes des sentiers battus. *Ils sortent.* Lope – Bonsoir, messieurs. 2 – Soyez les bienvenus, mes chers compères. Lope – Où allez-vous ? 2 – Au port, avec un chargement d'huile. Martin – Avec une si belle marchandise, je pense que personne ne vous donnera pour honnêtes, même si ce sont de vieux chrétiens. 1 – Vous êtes bacheliers. Martin – J'ai obtenu ma maîtrise de grossièretés à Orduña. 2 – Eh bien monsieur le noble, ne gaspillez pas votre monnaie avec les muletiers. Martin – Pourquoi ? 2 – Parce qu'il y a des licenciés, des docteurs, des bacheliers et des médecins dans ce ministère. Martin – Je sais que vous êtes le poivre de la plaisanterie, foi de chevalier, et cela m'enchante : je ne pense pas troquer une telle compagnie contre celle d'Elcamilla. 1 – Eh bien, tenez le mors de la mule, elle bouge beaucoup, et mes mâles avancent aussi lentement que des bœufs. Martin – Vous êtes mariés ? 1 – Oui, mais je le suis sans risque, car ma vieille a soixante ans révolus. Martin – J'en connais plus de quatre, très appréciés pour leur discrétion, qui ont un penchant pour les femmes de plus de cinquante ans. 2 – Ca c'est avoir un pied dans la tombe ! Martin – Ceux-là disent que les femmes mûres ne leur demandent rien, ne les rendent pas jaloux, elles les comblent de présents, et elles ont plus de vertus que le romarin, elles cousent et corrigent vos fautes de langue, et en effet, si elles sont mauvaises au goût, elles sont de très bons conseils. 1 – Quels conseils ? Je parie ma ceinture qu'il n'y a pas d'animal plus féroce qu'une vieille. Lope – Il semble que les faibles lueurs annoncent le lever du jour. 1 – Oui, il fait jour. 2 – Ecoute, Matheo, tu ne vois pas nos camarades ? 2 – Ces bonnes barbes : les jeunes hommes ont l'air de venir de Villarrassa. Martin – Et vous, à voir votre épaisseur, je dirai de la Mota de Medina. 2 – Je parierai, que le barbu n'a pas vingt couteaux pour se la raser. Lope – Nous ne nourrissons pas le diable, taisez-vous et marchez. 2 – Je veux seulement savoir, pourquoi vous ne vous laissez pas pousser la barbe, les moustaches à la mode ? Lope – Qui a dit aux muletiers que l'on a besoin d'une barbe ? Le courage se cultive dans le cœur, et celui-ci se penche sur la poitrine, pas sur le visage. 1 – Par Dieu, il se fâche le petit discret, le beau petit eunuque. Martin – (parle de l'honneur) Lope – Vilains, voici comment le fer de mon épée punit le déshonneur. En sortant leurs épées, trois brigands arrivent avec de petits fusils et attrapent les bras de Don Lope et de Martin. Brigand 1 – Messeigneurs, déposez les armes, et donnez-nous l'argent, ou ce seront vos vies que l'on dépouillera par le plomb et le feu. Don Lope se débat. Lope – Vous les vilains, par cette trahison, cette fin qui sert mon courage, parviendrez-vous à vos fins les plus infâmes ? Brigand 2 – Tais-toi l'imberbe, et donne-nous ta bourse. Brigand 3 – A ces troncs là – *Les brigands approchent leurs fusils, et vont attacher les muletiers, et ne restent que Don Lope et Martin sans épées.* – attache ces hommes, ces garçons sont sans défense. Lope – Aidez-moi, Martin. Martin – Madame. Lope – Tâchez d'attraper ce bandit, pendant que je m'occupe de l'autre. Martin – Viens ! Ils leurs font perdre les épées, et les poignardent et s'enfuient, les muletiers étant toujours attachés. Lope – Maintenant vous verrez, vilains prétentieux, qui sont ceux qui doivent y laisser la vie et leur argent. Brigand 1 – J'ai fuit, il en coûte à mon lignage, vous êtes un suppôt de Satan ! Les brigands s'en vont, l'un après l'autre. Lope – Ne fuyez pas lâches traitres. Martin – Comme des lièvres qui s'en vont fuir dans les chemins inextricables des montagnes. *Ils sortent en rangeant les épées.* Dieu soit loué, vous avez sorti les griffes comme un chien. Martin – Je pense gagner cent ans de repentir. Lope – Taisez-vous idiot, et détachez ces timorés. Martin – Laissez-moi d'abord leur donner quelques paires de gifles, car tout à l'heure, astucieux dans le quolibet, ils ne nous ont pas aidés. 1 – Ah, par pitié, mon bon jeune homme, ayez de la compassion. Martin – Vinaigres que vous êtes, vous allez avec de l'huile au port, cette fois-ci – *Il leur donne des coups.* – je dois vous raser la barbe. Lope – Je suis offensé par votre manque de compassion : mes amis, vous êtes libres. 2 – A vos pieds nous vous demandons en toute humilité votre pardon, nous vous devons la vie, grâce à votre valeur. Lope – Avec une telle reconnaissance vous me laissez très obligé. 1 – Venez, et montez sur les charges gentilshommes. Lope – Martin, qu'en pensez-vous ? Martin – Acceptons, je suis fatigué. Lope – Fortune, en ton royaume la valeur a sa place, et l'on encense jusqu'au grandiose Alcazar de ton sommet, sans se méfier de tes décrets, l'audace engendre mes pensées les plus hautes. Ils s'en vont. Arrive le sergent Palomo avec hallebarde, et Juana, habillée en aubergiste. Sergent – J'ai toujours dit que vos mensonges étaient la cause mon bonheur quasi-inexistant. Juana – Comment ça ? Monsieur le sergent Palomo, allez racontez vos mensonges à qui veut l'entendre, mais moi je ne bois pas de cette eau là, vos amours me mettent en colère. Sergent – Depuis que vous me logez, mon capitaine et ses gens, Don Fernando de Vergara, dont la réputation de soldat est héroïque et rare, et dont le courage a fait la renommée, et bien cette auberge m'a touché, Juana de mon cœur, je meurs d'amour pour vous. Ces riches éparpillés de ce rouge recouverts, ces dédains éveillés et ces yeux endormis, cette bouche de corail, où l'amour souffre, ces chaussures polies, et enfin, votre élégance et votre allure, votre taille, votre maintien, votre grâce, votre beauté me rappellent l'odeur du poivre. Est-il possible que vous ne vous incliniez pas face à cet étalage de sentiments, cette ardeur ? Avez-vous un cœur de pierre ? Juana – Je suis une biscaïenne, et si vous me le permettez, une demoiselle. Sergent – Ah fortune ! Tu garderais donc ta couverture chez toi et tu ne me couvrirais pas avec elle ! Ecoutez, Juana, les plus grands exploits des soldats, lorsqu'ils ne sont pas en campagne, sont de vivre aisément. Nous arrivons à deux camarades à Quarel, et la première chose que nous demandons est s'il y a de l'argent, s'il y a une hôte dans l'auberge, s'il y a des poules, s'il y a des lits propres, et nous le demandons à grande hâte, sans apporter de chemise ni de dessous. Si la patronne n'est pas une gamine, on la travaille sans tumulte, par goût du défi, et davantage si elle est une de ces profiteuses montagnardes, qui sans déceptions, très saines, et très sensibles, ont l'habitude de servir les personnes vêtues d'un voile. Sur l'instant, sans peur de penser à une telle ardeur, qu'elles le veuillent ou non, nous leur indiquons notre intérêt, en leur racontant tant d'exploits. A leur grand dam, bien avant que la chose soit conclue, nous la tenons pour acquise, et ainsi, ne vous croyez pas exceptionnelle, moi dans tout ceci je ne veux que votre bien et ne cherche que mon confort. Juana – Je vous le dis que ça me fâche, ne parlons plus de ça. Sergent – Vous êtes terrible petite Juana. Juana – Qui a dit au camarade qu'il doit me payer ? Sergent – Parle moins fort femme. Juana – Brave idiot ! Je les préfère âgés. Sergent – Je parie que tu ferais n'importe quoi pour Alferez la Vandera ou pour le Capitaine de la Compagnie. Juana – Cessez de me fatiguer, je dis simplement que je déteste les entêtés, les misérables et les porcs. Sergent – Je suis allé trop loin avec toi, et tout me porte à croire que le propriétaire est amoureux. Juana – Je ne suis pas obligée de l'aimer, s'il me donne mon dû. Sergent – Je dis que tu es entrain de perdre ton bon sens pour moi. Être à la fois hôte et dédaigneuse implique une contradiction. D'autres personnes arrivent à l'auberge. Juana – Mon père arrive. Sergent – Mon absence est de rigueur. Juana – Ces deux là marchent avec crainte. Sergent – Adieu, à quoi bon nous revoir ? Juana – Comme vous ne m'avez pas demandé de zèle et que vous m'avez servie avec courtoisie et finesse et de façon très libérale, je ne vous traiterai pas si mal. Sergent – Eh bien adieu, à bientôt. *Il s'en va.* Juana – Je suis fatiguée d'écouter celui-là. Des gens arrivent. Don Lope et Martin entrent. Lope – Grâce à Dieu j'aperçois l'auberge Martin. Martin – Doux Jésus, je suis fatigué, je ressemble à un porc, la peau toute éraflée. Mal leur en a pris à ces deux muletiers de nous faire voyager sur des aiguilles. *Ils s'approchent de Juana.* Madame l'aubergiste ? Juana – Soyez les bienvenus, jeunes hommes. Martin – Ecoute, elle n'est pas mauvaise la donzelle – *en* aparté – pour nous donner un rafraichissement de conversation, Don Lope. Juana – Je n'ai jamais vu de garçons aussi beaux – *en aparté* – comme celui aux plumes blanches. Si le sergent s'était conduit de la sorte, je ne l'aurais pas méprisé. Martin – Attendez que l'aubergiste arrive pour parler du prix, pour ne pas commencer bâiller sans pouvoir dormir ensuite. L'aubergiste sort avec un chapelet à la main. Aubergiste – Pardonnez-nous nos fautes et libérez-nous du mal, je vous en supplie. Martin – C'est un ange, quel dévot ! Quelle attention ! Avec ce chapelet à la main et le diable au corps. Il doit être entrain de louer le Christ. Aubergiste – Soyez les bienvenus, messieurs. Martin – Y a-t-il de la place ? Aubergiste – Pour qui ? Martin – Pour nous deux. Aubergiste – Vous avez de l'argent ? Martin – Il ne manque pas un sou. Aubergiste – Vous vivez seuls ? Martin – Comme des chiens. Aubergiste – Vous voulez des lits ou des paillassons ? Martin – Nous voulons des lits, et des tendres. Aubergiste – Vous avez des parents ? Martin – Oui, et très riches. Aubergiste – Vous êtes d'où ? Martin – Tout droit sortis de l'Enfer. Aubergiste – Eh bien allez mordre ailleurs, ce lieu n'est pas une auberge de muletiers et ici nous ne recevons pas de gens qui voyagent à pied. Notre Père…. Martin – Et pour ça vous nous demandez des renseignements sur nos parents, nos grands-parents, nos vies et nos habitudes ? C'est une auberge ou un collège ? Lope – Ecoutez, nous sommes des soldats, nous marchons dans les pas du Comte de Fuentes. Aubergiste – Je vous accorde ce privilège, jeunes hommes, car tous les hommes de son Excellence, par la valeur, le zèle et la courtoisie dont il a fait preuve dans ces contrées, méritent d'être logés, et avec amour nous les servons tous. Juana, prépare la salle des deux chambres qui jouxte l'appartement du coin, pour que ces soldats, bien qu'ils soient ici par hasard, se reposent. Que Dieu te préserve Marie… Lope – Je vous suis reconnaissant pour votre empressement, patron, il est préférable que nous mangions avant de partir pour San Sébastian. Servez-moi quelques mets mais ne vous embarrassez pas pour nous, ce n'est pas une raison. Aubergiste – Je vous régalerai comme bon me semble, et avec le zèle qui convient de vous offrir chez moi. Je vous préviendrai pour l'heure du repas, nous parlerons des frais plus tard. Sainte Marie… L'aubergiste s'en va. Lope – Avez-vous déjà vu une prévenance aussi noble ? Martin – Biscaye a toujours été le centre de la valeur et de la courtoisie. Juana – Je reste seule avec eux, quels visages bouleversants ! Quel physique divin ! Lui dirai-je mon amour ? Qu'attends-je donc ? Jeune homme, j'arrive tremblante, car mes manières de demoiselle, qui sont le fruit du diable, se sont mises en travers de mon chemin. Martin – Elle ne vous regarde pas d'un mauvais œil cette nymphe là. Juana – Dès que j'ai vu ton allure… Martin – Que l'on me tue, si mon jugement est incertain. Juana – Et vos yeux moqueurs et espiègles qui, tels des danseurs de jais, me font bondir le cœur, je meurs d'amour pour vous. Martin – Vous vous êtes poignardé le cœur, quand je vous l'ai rendu. Lope – Mon cœur fût-il grossier, si en s'aventurant au bonheur, votre beauté n'atteignait pas ces affects. Martin – Par Saint Paul, qu'il la fasse tomber amoureuse. Lope – C'est un hameçon de l'âme, et je suis, bien que soldat, très tendre, et à savoir qu'elle dit la vérité… Juana – Ce sont là des doutes ? Lope – Je ne suis discret que dans la méfiance. Juana – Je suis perdue. Je vous aime de tout mon cœur et de toute mon âme. Martin – Ces propos galants vont de mal en pis. Le sergent, au pan de mur. Sergent – Je viens chercher la petite Juana, elle est entrain de parler avec un autre. Qui sont ces gringalets ? Lope – Votre finesse m'oblige, mais je doute que votre volonté soit entière. Sergent – Tout ceci est mal. Lope – En un autre lieu, peut-être. Juana – N'ayez aucun doute, je suis libre, et je n'ai pas d'autre préoccupation que de vous adorer. Il n'y a que cette brute de sergent, raccommodé comme une pie, tout blanc et teinté comme un porc, avec plus de guenilles qu'un pauvre, qui me poursuit. Sergent – Elle me traite bien. Juana – A dire vrai, je le déteste autant que le démon. Sergent – La Juana parle clairement, avec finesse et subtilité. Lope – M'assurant de tout ceci, je serai tien à jamais. Martin – Il est soul, mon Dieu je vous en supplie, mettez fin au doute de cet homme, il a oublié qu'il était une femme. Juana – Je l'accepte, ouvrez-moi vos bras en guise de signe. Ils s'enlacent, et le sergent sort. Sergent – Il y a beaucoup à faire ici. Juana – Je suis mortifiée ! Sergent – Monsieur l'imberbe, comment de façon aussi vaine et prétentieuse vous mettez vous dans mes affaires ? Vous ne savez pas que Juana touche à mon honneur ? Le fait de voir le grand sergent Palomo si irrité et féroce ne vous terrasse-t-il pas de peur, en sachant que si je vous casse un bras, je le lancerai jusqu'à ce port de Carabanchel ? Martin – Le vol ne sera pas court, mais tout ceci n'est que machinerie. Sergent – Si vous me mettez en colère, Dieu m'en soit témoin, je vous ferai pousser la moustache. Martin – Je me fâche déjà, et mon ardeur châtiera de cette force – *Ils se battent.* – votre arrogance. Martin – La poule meurt, le dindon se pavane. Juana – Vous me faites peur. Lope – Qu'est-ce que la peur ? Fuyez, lâches. Ils s'en vont en se battant, reste Juana. Juana – Que le ciel me vienne en aide ! – *Intérieurement* – Ah ! Ils m'ont tuée. Sergent, *intérieurement* – Avortons ! Don Lope et Martin sortent. Martin – Le sergent porte de l'ocre, qu'allons-nous faire ? Lope – Partir d'ici, et marcher jusqu'au port de San Sébastian. Martin – Bien dit, attention, l'aubergiste a l'air agité. Lope – Adieu, gente damoiselle. Juana – Comment pouvez-vous m'abandonner à un tel risque ? Mon père, lorsqu'il apprendra l'incident, va m'ôter la vie. Lope – Je lui ai vu un plus terrible acharnement ! – *En aparté* – Qu'essayez-vous de faire ? Juana – Quoi ? Vous suivre. Martin – Venez, cette femme est suspicieuse et folle. Juana – Ne me laissez pas en danger. Lope – Ce duel a touché à mon devoir, suivez-moi donc. Juana – Je vais essayer. Nous contournerons la cour, sans être entendus. Martin – Attendez, par le corps du Christ, messieurs, tant de complications, il n'y a que les femmes qui les apportent. Lope – Bien, j'y vais par amour et par devoir. La fortune fera le reste. Ils s'en vont. Don Fernando, le baron Brifac et des soldats entrent. Baron – Embrassez-moi encore de cette solide amitié aux liens éternels. Fernando – Ces liens solderont l'étroite union de nos cœurs unie dans la durée. Baron – Mon ami Don Fernando de Bergara, dont la réputation est immortelle, héroïque et rare, vous l'avez gravée dans le marbre, et le ciseau lui a donné vie, pour que le temps l'imprime. Vous êtes mille fois les bienvenus à Biscaye, où mon cœur reconnaissant peut vous combler de grands présents. Vous détenez mon amitié depuis que nous avons tous deux servi en Flandres, ensemble, et suivi les ordres de Marco. Vous fûtes obligés de rentrer en Espagne, en me laissant obligé pour l'éternité. Fernando – Grand Baron de Brifac le courageux, dont les exploits, de mémoire immortelle, sont commentés par les volumes d'histoire, car la réputation dans ses fidèles éloges les couronne de triomphes, une fois de plus je réalise la chance de m'être donnée agréable et opportune l'occasion de vous servir, lorsque je vois mon devoir et mon désir égaux, bien qu'en comparaison à la vôtre la volonté me manque, car en partant de Bruxelles pour l'Espagne, vous ne m'avez pas prévenu. Baron – Il était nécessaire de partir si précipitamment, car mon arrivée aurait anticipé l'avertissement, et le voyage n'aurait alors servi à rien, pour avoir rencontré vos hommes et le grand Comte de Fuentes dans ce port, et comme moi, sous son commandement j'ai servi aux côtés de nombreux capitaines (bla bla bla il continue à se la ramener). Fernando – Ce ne fut pas en vain, que l'on se le dise, de s'être rencontrés de la sorte, puisque des Compagnies de l'Armée Royale se sont jointes aux hommes du Comte, mais ce fut la mienne, Baron, la Compagnie la plus brillante, avec laquelle nous auront ensemble le passage. Baron – Mon voyage n'aura pas été vain, étant accompagné d'un tel ami. Ils disparaissent à l'intérieur. Fernando – Presque tout le monde a embarqué : ce soir du port nous apparaitrons. Dites moi, Baron (étranges extrêmes de l'amour ! Ah belle Blanca ! Qui croira que l'influence de ma bonne étoile ne put en six années, en foi de tant de cruauté et de mes illusions, m'arracher du cœur ton image souveraine ?) qu'a fait madame Blanca, cette belle Dame Baronne du Valle, que la réputation applaudit et qui à Bruxelles la publie pour noble, pour belle, honnête et riche ? Ceci est une curiosité. Baron – Ainsi je le crois : ceci semble être du désir. Ah Madame la divine, –* en aparté* – c'est en vain que ton souvenir pèlerin me donne du courage, si en offensant ta décence, tu me détestes, quand je t'adore ! Cette Dame, Fernando (chance irritée !) est bonne, belle et héritière car son père est mort. Fernando – Quelle chose rare ! Courage, donc, lâche désillusion, – *en aparté* – car parfois la fortune avec l'image conditionnelle de la Luna en dérobant de son orbite la trajectoire exaspérée, favorise, et protège le malheureux/maudit. Baron – Vous la verrez en Flandres. Fernando – Je ne le demande pas avec une fine précaution (mon Dieu je suis défunt !) car un absent passe de curieux à impertinent. Avant d'arriver à la marine, j'emmène avec moi une belle biscaïenne, à qui j'ai donné, en tant que soldat, ma protection, et elle, partagée entre dédain et persuasion, se montre à ma finesse très reconnaissante. Cette nuit à la plage, comme l'on en a coutume lors des fête à Biscaye, elle sort danser avec d'autres belles dames, sous un ciel fleuri et sur un champ étoilé, et je viens à ce port, pour voir si je peux dans son dédain honnête introduire, mes espérances, et fondre ma fermeté dans ces changements, car elle est reconnaissante sans aimer. Baron – C'est juste, mais c'est un caprice de goût fameux que d'en arriver à être un fin amant la nuit, en ayant à s'en aller cette nuit même. Fernando – L'amour de soldat. Baron – Je ne l'ignore pas. Fernando – Laissez-moi voir la déesse que j'adore, car si elle m'appelle chez elle maintenant, l'amour pardonnera, et la dame aussi. Baron – Bien parlé. Don Lope, Juana et Martin entrent. Martin – Ce fut un miracle que d'arriver à l'heure pour que vous puissiez embarquer. Lope – Voilà la plage de San Sébastian, là-bas j'irai parler au Comte de Fuentes, puisque l'Armée s'apprête à surgir, il ne faut pas perdre cette occasion. Juana – Comme la mer est belle ! Lope – On dirait que les vagues flattent le vent et que les marées se balancent tendrement. Martin – Que Dieu m'en préserve. Juana – Pourquoi ? Martin – Parce qu'un cocher n'a pas plus de chances de retour si elle se fâche : face à elle, la belle-sœur la plus revêche, la tante la plus avare, la belle-mère la plus éléphante, la mère la plus couleuvre, ne sont que des nourrissons. Lope – Tu es toujours d'humeur pour les jeux de mots. Fernando – Ecoutez, – *On entend des guitares.* – on dirait que le bal est enfin ouvert. Des hommes entrent, et des femmes biscaïennes jouent du tambour et de la viole. Homme 1 – Ici même, où la mer nous embrasse de ses ondes marines, vous pouvez commencer la danse. Fernando – Celle qui porte la rose glissée dans sa coiffe, Baron, c'est elle la belle biscaïenne dont je vous ai parlé. Baron – Don Fernando, elle n'est pas laide, mais elle n'est pas belle non plus. Juana – Nous arrivons à la ronde. Homme 2 – Que de marivaudages et de castagnettes. Les biscaïens chantent et dansent, Don Fernando et Don Lope admirent le spectacle côte à côte. Chanteur – La petite d'argent vole au dessus de la plage et le sable voit fleurir deux jasmins. Fatiguée de danser, l'aurore encourageante sèche de ses souffles ce qu'elle sue en perles. En rythme… La rose de la coiffe de la Biscaïenne tombe, Don Lope et Don Fernando vont pour la ramasser entre deux mesures. Tous deux – Tenez, madame. Fernando – Laissez la rose. Lope – Je suis arrivé en premier pour la ramasser, elle est dans ma main, et il m'est difficile de l'en retirer. Fernando – Laissez-la, la gracieuse a peur ! Lope – Je vous l'ai déjà dit que ce n'est pas chose facile : n'épuisez pas ma patience, car je gaspille peu de mots. Fernando – Par tous les cieux, quelle honte, voleur. Lope – Ce n'est pas suffisant ? Et bien ce sera comme ça et pas autrement. Ils se disputent la rose un moment, chacun se retrouve avec une moitié dans la main. Le baron, Don Fernando, Don Lope et Martin sortent leurs épées et Juana se met à ses côtés avec un poignard. Fernando – Grande valeur ! Lope – Bras courageux ! Juana – Face à cette fille, ce sont des coqs avec leurs huppes et Juana est un fanfaron. Sergent – Faites place, du balai, son Excellence est ici. Lope – Quelle confusion que celle-ci ! Comte – C'est vous, Don Fernando de Vergara ? Lope – Je suis morte ! Serait-ce dont lui mon frère ? Comte – A peine êtes vous arrivés, à peine vous vous battez ? Lope – Mon Dieu, mon doute est flagrant. Comte – Avec le tiers des espagnols, joignez vous maintenant à mes hommes. Quand avez-vous sorti les épées ? Racontez-moi l'origine de cette querelle. Fernando – Ce soldat, (je suis gêné que vous le sachiez, je me suis opposé à ce garçonnet), sur un certain malentendu a sorti son épée pour me défier, mais avec votre présence tout s'est terminé. Comte – Comment cela a-t-il fini ? Bien, circulez, car lorsque j'ai émis un arrêté, j'y ai publié de graves peines pour qui sortira l'épée, et ici un petit soldat se risque à affronter un officier ? Que le Roi m'en soit témoin, si je n'étais plus Comte de Fuentes, je condamnerais moi-même votre orgueil par l'acier. Avant que nous embarquions, veillez à ce qu'ils subissent la corde deux fois, que cela serve d'exemple aux autres. Lope – Apportez-les votre Excellence. Martin – Nom de Dieu ! Lope – Quel Capitaine souverain, dont la main fait trembler le monde, exemple de valeur et de prudence, qui ne prononce de sentence précipitée ni injuste sans écouter un homme noble, tel un juge, pour être juste. Il a dans les deux oreilles, pour écouter les différentes parties, deux amis, qui refreinent leurs passions naturelles, et la sentence est injuste, car l'oreille signe l'arrêt, elle donne à entendre avec précaution que la passion la promulgue, si la colère l'ordonne. Comte – Il est vrai, mais condamner un délit auquel s'est risqué un de mes hommes est chose très juste : emmenez-le. Fernando – Je vous supplie à genoux… Comte – Don Fernando, si un homme ne se respecte pas, la Milice en pâtira : ainsi je tâche d'en faire un exemple pour tous. Fernando – Grand seigneur, sa valeur mérite votre clémence, car je vous assure qu'il est indigne de votre courroux. Comte – Il doit en être ainsi. Lope – Mon Dieu, cela prend une tournure sérieuse – *en aparté* – regardez, monsieur… Comte – Cela est vain. Lope – N'étant pas mon juge, comment cela se peut-il être ? Comte – Comment cela non ? Lope – Comme suit, puisque je ne suis pas soldat. Comte – Voilà autre chose – *en aparté* – que dites-vous ? Lope – Je suis arrivé, monseigneur, à votre présence, en étranger, et avec l'intention de suivre vos troupes qui se dirigent vers les Flandres, et ainsi la fleur de cette belle Dame est tombée, je suis arrivé le premier pour la ramasser, et monsieur Don Fernando, voulant user de la manière forte dans cet affrontement, en réglant ce différent par le fer, qui fait triompher la raison avec plus de force. De même que nous, que le ciel me garde, se sont affrontés Achilles, Hector, Jules César, Scipion, Alexandre, Pyrrhus, et votre Excellence et la plus courageuse de tous : car lorsque la valeur s'applique à faire triompher l'honneur, elle ne fait rien de plus que de laisser bien mise l'opinion, bien qu'après arrive ce qui doit arriver. Comte – Le jeune homme est brave et il est nécessaire de le punir par la corde, mais en n'étant pas un soldat, ce châtiment n'a plus de raison d'être. – *Il s'adresse à lui.* – De sorte que vous êtes venus, en abandonnant votre patrie, pour servir le Roi en Flandres. Lope – Si votre protection me le permet, ce bras là pourra un jour resplendir dans votre ombre. Comte – Mon Dieu, vous êtes modeste et vos nobles entrains touchent mon âme. J'étais ainsi lorsque je n'étais qu'un jeune homme. Vous décrivez ce que je suis, car vous savez comment traiter un homme courageux. Lope – Mes œuvres prouveront ma noblesse : ainsi permettez-moi de la dissimuler pour le moment. Comte – Et bien dites moi comment vous appelez-vous. Martin – Il nous en coûte. Lope – Moi, Don Lope de Avendaño, dans la montagne j'ai acquis une propriété et cette maison, ornée d'une antique splendeur. Comte – De sorte que, monsieur Don Lope, la défense de votre honneur me défierait-elle ? Lope – La raison n'implique pas la force : ce qui est dit est dit, monseigneur. Comte – Vous auriez pu être dangereux, mais vous êtes bien fait et ces entrains m'engagent à vous offrir protection. Trouvez place en ma compagnie même et croyez bien qu'en moi vous aurez, que Dieu m'en soit témoin, dans cette guerre un bon parrain et un bon ami. Lope – Si ces faveurs m'encouragent, il ne sera que peu de chose que de mettre le monde à vos pieds. Comte – Serrez la main de Don Fernando, – *Ils disparaissent à l'intérieur.* – le glas nous appelle à embarquer, soldats, que personne ne reste à terre. Sergent – Le bruit parvient à nos oreilles, nous pouvons désormais entrer Votre Excellence. Comte – Don Lope, venez avec moi. Lope – Fortune, où m'emmènes-tu ? Tous, à l'intérieur – Bon voyage, bon voyage ! L'ancre est levée. Martin – Regardez, le Comte vous attend. Lope – Allons-y Martin, je m'en vais heureuse, entre la faveur et le doute, entre la flatterie et la suspicion d'un général qui me donne du courage et d'un frère qui me mène au risque. ## Deuxième Journée. On tape sur des caissons et on joue de la trompette. Il y a du bruit à l'intérieur comme lorsque l'on assaille une place. A l'intérieur, 1 – J'aperçois l'ennemi de ce côté, avertissez-les par les armes du châtiment. A l'intérieur, 2 – Soyez prêts à combattre, couvrez la muraille d'hommes. A l'intérieur, 1 – Nous défendons le fort : quel embarras ! Tous – A la muraille, aux tranchées, aux barricades. Le Comte de Fuentes entre, l'épée nue. Comte – Ecoutez, mes soldats, montrez votre courage à cette occasion, vous avez été formés pour vaincre, voici venu le triomphe de la valeur. Oyez, soldats, votre héroïque acharnement servira la Fortune, que le grand Lion d'Espagne soit son maître, que l'ennemi sache sa ruine : mes enfants, qu'attendez-vous ? Montrez vos cœurs courageux dans la colline, Santiago, encerclez l'Espagne, Lions. Je me consume de le voir, la fumée pèse ! Car lorsque le nuage dense enfume le vent, chaque exploit me retire tant de gloires, mais si je la vois mal rien ne sert alors. Ne serait-ce pas ce Don Fernando de Vergara qui prend d'assaut, intrépide et aventureux, la muraille, et cet autre Colonel ? Quel bon soldat ! A voir votre vaillance j'éprouve de l'envie. Vous risquez vos vies, et moi non ? Mais que dis-je, alors que le vent aveugle crache des flammes aux apparences de vipères de feu ? Devant tant de risque pris, j'admire sa valeur. C'est maintenant l'occasion, mais que suis-je entrain de regarder ? Qui est donc ce soldat qui, intrépide, vaillant et courageux, escalade la muraille ? Il ressemble à un éclair entouré de nuage. Jamais je ne vis autant de courage. En montant l'échelle il vainc le vent, il encercle déjà avec triomphe la muraille, il cherche alors le général, et le trouve. Ah vaillant soldat ! Il a quitté les troupes du mur : il a mis sa personne en grand danger. Soldats, allez à son secours. Mais qu'est-ce donc cela ? – *Ils disparaissent à l'intérieur.* – De son courageux et vaillant esprit, il est tombé en se précipitant dans le fossé, gravement blessé, et ils ont attenté à ses jours par méfiance. Don Lope tombe, blessé au front, et rapporte deux drapeaux à la main. Comte – Qui es-tu, malheureux jeune noble ? C'est à ta valeur que je dois cette victoire, et je la donnerais, je le jure devant Dieu, pour bel et bien perdue, Lope – Moi, grand homme, je suis celui qui du mur à tes pieds est tombé, blessé, et bien qu'étant à tes pieds, et de la sorte, je triompherai de la peur et de la mort. Comte – Quel poids si rare ! Et bien Capitaine Don Lope de Avendaño, puisque vous êtes blessé et maltraité par le coup que vous avez donné, approchez-vous, car puisque je vous estime, que mes bras vous offrent un soutien. Lope – Avec une telle faveur je me remettrai, bien que la blessure soit grave, mais elle ne me cause, monseigneur, que peu d'embarras, car bien que la balle fût celle d'un mousquet, elle n'a fait que me frôler, et ne me causa qu'une petite blessure au front. Recevez, grand seigneur, avec ces premières deux bannières, que j'ai pris du mur à Alferez dans une impulsion osée. Qu'elles servent, puisqu'elles me devancent en honneurs, de subtils tapis à tes pieds. Avec votre regard, la blessure ne fut rien. Vive Dieu, monseigneur, car la chute m'a sans aucun doute appris que le grand Comte de Fuentes m'attendais, et il aurait été un acte vain que d'arriver à vos pieds avec moins de hâte. Comte – Oh vaillant espagnol ! Venez dans mes bras, des liens éternels prouvent mon amour : la tienne n'est que gloire. A l'intérieur, 1 – Victoire pour l'Espagne. Comte – Cette victoire je ne l'attribue qu'à vous, Don Lope. Lope – Que doit dire celui qui est votre esclave ? Comte – Je vous récompenserai, je le jure devant Dieu. Lope – J'ai été votre représentant. Le Baron de Brifac entre par un côté, et Don Fernando et le Sergent Palomo entrent par l'autre. Baron – Oui, grand homme, le fort s'est rendu. Fernando – Je jure obéissance aux illustres pieds de Votre Excellence. Comte – Valeureux Colonel, vous, Don Fernando, célèbre Capitaine, comme je me réjouis de vous voir si empressés ! Jamais le Roi n'a eu de tels soldats. Je le jure devant Dieu, j'honorerai votre mémoire à tous deux. Sergent – On ne doit cette victoire qu'à moi : monseigneur à vos pieds se tient le grand Palomo, qui sans un soubresaut a accompli des miracles aujourd'hui dans l'assaut. Comte – Quels miracles, Sergent ? Sergent – Ce ne sont pas des mensonges, écoutez, monseigneur, un fameux exploit : aveuglé, j'ai escaladé le mur comme un soldat de Dieu, et à peine j'arrivai lorsque je vis un de vos soldats ici décapité, j'eus de la peine à le voir sans tête, je sortis mon épée, et enfin, avec habileté et colère, et avec une courageuse fureur, j'ai porté un coup d'épée à un chauve, et la tête du chauve, je l'ai mise sur le corps de l'autre. Comte – Et ce soldat dont vous parlez Sergent, s'en retrouva fort aise d'être à présent chauve ? Je me plaindrai de vous, mon Dieu, car je pense que vous me défierez. Sergent – Il y eut pire échange, à bien y regarder. Comte – En le laissant chauve ? Sergent – Et ce n'est pas un mensonge, car le soldat, que j'ai laissé avec une calvitie, était déjà auparavant chauve… Comte – Quoi ? Sergent – Vermeil. Comte – Prenez cette bague. Sergent – Comme cela me plaît. Donnez-la pour reçue et pour prise. Pour un orphelin ceci est un progrès immense. Rendez-vous compte, vous me jetez la pierre. Martin entre. Martin – Je regarde ma maîtresse, il y a tellement de valeur en cette Dame ! Elle est blessée, et voici mes tendres larmes. – *Il se dirige vers Don Lope.* – Madame, êtes-vous un démon venu de l'Enfer ? Entre les balles vous lâchez votre malédiction ? Êtes-vous peut-être hermaphrodite ? Car à voir vos exploits, je pense que vous êtes un homme, et que vous me trompez. Comte – Don Lope, j'ai été retenu, et je ne sais pas tout de cette faction. Ainsi j'ai tenté de la comprendre, mais plus lentement que vous. Lope – Soyez davantage attentif : les hommes de l'armée sont sortis ensemble, mon bon seigneur, ce matin, lorsque le soleil se levait tout juste, esquissant à peine l'aube. Les troupes s'en allaient dans l'ordre, leurs rangs formés, marchant au rythme du grondement belliqueux des trompes et des caisses. Sous le Zéphyr, les bannières ondoyaient, formant de subtiles ondes sous les souffles tendres de l'Aura. L'Armée était semblable à un jardin avec ces couleurs variées dont elle s'était parée, et ces somptueux uniformes, que les espagnols ne réservent qu'à cette occasion. La cavalerie allait en faisant ondoyer des bannières rouges, on eût dit une forêt de plumes noires et blanches. L'ordre que l'on reçut fut donc d'assiéger la Place de Cambrai, force importante des dessins de l'Espagne, et, selon vos ordres, cribler l'ennemi d'espions qui ne manquent jamais (sans se risquer à venir avec votre armée à la bataille). Entre de nombreuses et différentes fortifications, l'ennemi a construit un fort à peu de distance de Cambrai, pour s'y constituer un abri qu'ils appellent celui de San Jorge. Les éclaireurs, monseigneur, qui ont ratissé la campagne et les habiles cavaliers qui ont ouvert la marche y arrivèrent à temps, car vos hommes situés près de la place étaient déjà visibles par l'ennemi. Ils y firent une halte et entre les différents avis que suivirent vos Capitaines, ils attendaient des directives selon moi. Le Capitaine de la cavalerie est également venu me parler. Grâce à votre main franche, vous m'avez donné ce poste sans que je n'en aie le mérite : selon moi, monseigneur, assiéger la place, au mépris du fort laissé à la merci des épées, n'était pas sage, car l'ennemi pouvait, sans que personne ne l'en empêche, nous couper de toutes victuailles au prix de votre sécurité. Ils approuvèrent mon avis et envoyèrent deux mille infants, qui avec cinq cents cavaliers s'en allèrent prendre le fort, et le plus gros de l'armée se mit en route pour le siège. En ceci ma compagnie avait l'avantage ce jour-là, et au son du clairon, vous battîtes la campagne avec fureur. Le sang exaspéré se troublait, les cœurs s'enflammaient, les chevaux broutaient bruyamment. Qu'ils connaissent les prétentions du maître jusqu'à leurs hennissements. Les infants, monseigneur, s'en sont allés équipés d'échelles, lorsque Monseigneur de Lorena, Général de la Place, ordonna que cinq cents cavaliers sortent pour mener à bien une escarmouche. Nous nous fîmes face. Ici, grand seigneur, il me serait inutile de vous dépeindre la scène avec éloquence, bien que l'occasion y soit favorable. Bien que ce fût une petite bataille par le nombre, ce fut une grande bataille par la rigueur. En plein cœur de l'affrontement, les faisceaux commencèrent à lancer des charges, et en un florilège incessant ils se mirent en formation. Qui sortit du port glorieusement ? Qui appela son ennemi ? Qui l'arracha de son siège ? Qui chargea à son encontre et qui gagne la bataille ? Qui fuit comme un lâche ? Car au cours de cette excellente guerre, si l'on y regarde bien, la fuite du soldat n'est pas une infamie. Il est bien vu, mais uniquement au cours des escarmouches, de préserver les corps. Pendant ce temps, un de leurs soldats les précéda, ratissant les flancs de toute une montagne avec son âme, sur le dos d'un alezan noir farouche, fils adoptif de l'Aura, fruit de l'avortement d'un nuage, et andalou d'après son arrogance, à qui le vrai chiendent a donné la vanité du Bétis, il but les présomptions des eaux andalouses, si corpulent et furieux, car à le regarder dans les yeux, avec cette expression il disait à ceux qui s'attardaient à le regarder : Que regardes-tu ? Je ne suis pas une brute, je suis, si tu regardes bien, le premier cavalier du Soleil, la seconde ruine troyenne. Je remarquai, enfin, la richesse des armes de son maître, et un martinet de plumes, que l'air affolait. Et en sortant de cette rencontre, envieux de son apparat, car dans les cœurs nobles se trouvent toujours les envies élevées, il tira sur le chien au pistolet, et avec une colère pressée, mon ennemi et moi avons ouvert le feu à la mi-distance. # Annexe 2 : *La Place Royale*, 1634, Corneille. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. ANGÉLIQUE. Ton frère, je l'avoue, a beaucoup de mérite ; Mais souffre qu'envers lui cet éloge m'acquitte, Et ne m'entretiens plus des feux qu'il a pour moi. PHYLIS. C'est me vouloir prescrire une trop dure loi. Puis-je, sans étouffer la voix de la nature,5 Dénier mon secours aux tourments qu'il endure ? Quoi ! Tu m'aimes, il meurt, et tu peux le guérir, Et sans t'importuner je le verrais périr ! Ne me diras-tu point que j'ai tort de le plaindre ? ANGÉLIQUE. C'est un mal bien léger qu'un feu qu'on peut éteindre.10 PHYLIS. Je sais qu'il le devrait, mais avec tant d'appas, Le moyen qu'il te voie et ne t'adore pas ? Ses yeux ne souffrent point que son coeur soit de glace ; On ne pourrait aussi m'y résoudre en sa place ; Et tes regards, sur moi plus forts que tes mépris,15 Te sauraient conserver ce que tu m'aurais pris. ANGÉLIQUE. S'il veut garder encore cette humeur obstinée, Je puis bien m'empêcher d'en être importunée, Feindre un peu de migraine, ou me faire celer : C'est un moyen bien court de ne lui plus parler ;20 Mais ce qui m'en déplaît et qui me désespère, C'est de perdre la soeur pour éviter le frère, Et me violenter à fuir ton entretien, Puisque te voir encore c'est m'exposer au sien. Du moins, s'il faut quitter cette douce pratique,25 Ne mets point en oubli l'amitié d'Angélique, Et crois que ses effets auront leur premier cours Aussitôt que ton frère aura d'autres amours. PHYLIS. Tu vis d'un air étrange et presque insupportable. ANGÉLIQUE. Que toi-même pourtant dois trouver équitable ;30 Mais la raison sur toi ne saurait l'emporter : Dans l'intérêt d'un frère on ne peut l'écouter. PHYLIS. Et par quelle raison négliger son martyre ? ANGÉLIQUE. Vois-tu, j'aime Alidor, et c'est assez te dire. Le reste des mortels pourrait m'offrir des voeux,35 Je suis aveugle, sourde, insensible pour eux ; La pitié de leurs maux ne peut toucher mon âme Que par des sentiments dérobés à ma flamme. On ne doit point avoir des amants par quartier ; Alidor a mon coeur et l'aura tout entier ;40 En aimer deux, c'est être à tous deux infidèle. PHYLIS. Qu'Alidor seul te rende à tout autre cruelle, C'est avoir pour le reste un cœur trop endurci. ANGÉLIQUE. Pour aimer comme il faut, il faut aimer ainsi. PHYLIS. Dans l'obstination où je te vois réduite,45 J'admire ton amour et ris de ta conduite. Fasse état qui voudra de ta fidélité, Je ne me pique point de cette vanité, Et l'exemple d'autrui m'a trop fait reconnaître Qu'au lieu d'un serviteur c'est accepter un maître.50 Quand on n'en souffre qu'un, qu'on ne pense qu'à lui, Tous autres entretiens nous donnent de l'ennui ; Il nous faut de tout point vivre à sa fantaisie, Souffrir de son humeur, craindre sa jalousie, Et de peur que le temps n'emporte ses ferveurs,55 Le combler chaque jour de nouvelles faveurs ; Notre âme, s'il s'éloigne, est chagrine, abattue ; Sa mort nous désespère et son change nous tue, Et de quelque douceur que nos feux soient suivis, On dispose de nous sans prendre notre avis ;60 C'est rarement qu'un père à nos goûts s'accommode, Et lors juge quels fruits on a de ta méthode. Pour moi, j'aime un chacun, et sans rien négliger, Le premier qui m'en conte a de quoi m'engager : Ainsi tout contribue à ma bonne fortune ;65 Tout le monde me plaît, et rien ne m'importune. De mille que je rends l'un de l'autre jaloux, Mon coeur n'est à pas un, et se promet à tous : Ainsi tous à l'envi s'efforcent à me plaire ; Tous vivent d'espérance, et briguent leur salaire ;70 L'éloignement d'aucun ne saurait m'affliger, Mille encore présents m'empêchent d'y songer. Je n'en crains point la mort, je n'en crains point le change ; Un monde m'en console aussitôt ou m'en venge. Le moyen que de tant et de si différents75 Quelqu'un n'ait assez d'heur pour plaire à mes parents ? Et si quelque inconnu m'obtient d'eux pour maîtresse, Ne crois pas que j'en tombe en profonde tristesse : Il aura quelques traits de tant que je chéris, Le moyen que de tant et de si différents80 ANGÉLIQUE. Voilà fort plaisamment tailler cette matière, Et donner à ta langue une libre carrière. Ce grand flux de raisons dont tu viens m'attaquer Est bon à faire rire, et non à pratiquer. Simple, tu ne sais pas ce que c'est que tu blâmes,85 Et ce qu'a de douceurs l'union de deux âmes ; Tu n'éprouvas jamais de quels contentements Se nourrissent les feux des fidèles amants. Qui peut en avoir mille en est plus estimée, Mais qui les aime tous de pas un n'est aimée ;90 Elle voit leur amour soudain se dissiper : Qui veut tout retenir laisse tout échapper. PHYLIS. Défais-toi, défais-toi de tes fausses maximes ; Ou si ces vieux abus te semblent légitimes, Si le seul Alidor te plaît dessous les cieux,95 Conserve-lui ton coeur, mais partage tes yeux : De mon frère par là soulage un peu les plaies ; Accorde un faux remède à des douleurs si vraies ; Feins, déguise avec lui, trompe-le par pitié, Ou du moins par vengeance et par inimitié.100 ANGÉLIQUE. Le beau prix qu'il aurait de m'avoir tant chérie, Si je ne le payais que d'une tromperie ! Pour salaire des maux qu'il endure en m'aimant, Il aura qu'avec lui je vivrai franchement. PHYLIS. Franchement, c'est-à-dire avec mille rudesses,105 Le mépriser, le fuir, et par quelques adresses Qu'il tâche d'adoucir... Quoi ! Me quitter ainsi ! Et sans me dire adieu ! Le sujet ? # Annexe 3 : *L'École des Femmes* (1668), Molière, Acte I, scène 4. HORACE, ARNOLPHE. ARNOLPHE Ce n'est point par le bien qu'il faut être ébloui; Et pourvu que l'honneur soit… Que vois-je? Est-ce?… Oui. Je me trompe. Nenni. Si fait. Non, c'est lui-même. Hor… HORACE Seigneur Ar… ARNOLPHE Horace. HORACE Arnolphe. ARNOLPHE Ah! joie extrême! Et depuis quand ici? HORACE Depuis neuf jours. ARNOLPHE Vraiment. HORACE Je fus d'abord chez vous, mais inutilement. ARNOLPHE J'étais à la campagne. HORACE Oui, depuis deux journées. ARNOLPHE Oh comme les enfants croissent en peu d'années! J'admire de le voir au point où le voilà, Après que je l'ai vu pas plus grand que cela. HORACE Vous voyez. ARNOLPHE Mais, de grâce, Oronte votre père, Mon bon et cher ami, que j'estime et révère, Que fait-il? Que dit-il? est-il toujours gaillard? À tout ce qui le touche il sait que je prends part. Nous ne nous sommes vus depuis quatre ans ensemble, Ni, qui plus est, écrit l'un à l'autre, me semble. HORACE Et j'avais de sa part une lettre pour vous; Mais depuis par une autre il m'apprend sa venue, Et la raison encor ne m'en est pas connue. Savez-vous qui peut être un de vos citoyens, Qui retourne en ces lieux avec beaucoup de biens, Qu'il s'est en quatorze ans acquis dans l'Amérique? ARNOLPHE Non: vous a-t-on point dit comme on le nomme? HORACE Enrique. ARNOLPHE Non. HORACE Mon père m'en parle, et qu'il est revenu, Comme s'il devait m'être entièrement connu, Et m'écrit qu'en chemin ensemble ils se vont mettre, Pour un fait important que ne dit point sa lettre. ARNOLPHE J'aurai certainement grande joie à le voir, Et pour le régaler je ferai mon pouvoir. (Après avoir lu la lettre.) Il faut pour des amis, des lettres moins civiles, Et tous ces compliments sont choses inutiles; Sans qu'il prît le souci de m'en écrire rien, Vous pouvez librement disposer de mon bien. HORACE Je suis homme à saisir les gens par leurs paroles, Et j'ai présentement besoin de cent pistoles. ARNOLPHE Ma foi, c'est m'obliger, que d'en user ainsi, Et je me réjouis de les avoir ici. Gardez aussi la bourse. HORACE Il faut… ARNOLPHE Laissons ce style. Hé bien, comment encor trouvez-vous cette ville? HORACE Nombreuse en citoyens, superbe en bâtiments, Et j'en crois merveilleux les divertissements. ARNOLPHE Chacun a ses plaisirs, qu'il se fait à sa guise: Mais pour ceux que du nom de galans on baptise, Ils ont en ce pays de quoi se contenter, Car les femmes y sont faites à coqueter. On trouve d'humeur douce et la brune, et la blonde, Et les maris aussi les plus bénins du monde: C'est un plaisir de prince, et des tours que je voi, Je me donne souvent la comédie à moi. Peut-être en avez-vous déjà féru quelqu'une: Vous est-il point encore arrivé de fortune? Les gens faits comme vous, font plus que les écus, Et vous êtes de taille à faire des cocus. HORACE À ne vous rien cacher de la vérité pure, J'ai d'amour en ces lieux eu certaine aventure, Et l'amitié m'oblige à vous en faire part. ARNOLPHE Bon, voici de nouveau quelque conte gaillard, Et ce sera de quoi mettre sur mes tablettes. HORACE Mais, de grâce, qu'au moins ces choses soient secrètes. ARNOLPHE Oh. HORACE Vous n'ignorez pas qu'en ces occasions Un secret éventé rompt nos prétentions. Je vous avouerai donc avec pleine franchise, Qu'ici d'une beauté mon âme s'est éprise: Mes petits soins d'abord ont eu tant de succès, Que je me suis chez elle ouvert un doux accès; Et sans trop me vanter, ni lui faire une injure, Mes affaires y sont en fort bonne posture. ARNOLPHE, *riant*. Et c'est? HORACE, *lui montrant le logis d'Agnès.* Un jeune objet qui loge en ce logis, Dont vous voyez d'ici que les murs sont rougis, Simple à la vérité, par l'erreur sans seconde D'un homme qui la cache au commerce du monde, Mais qui dans l'ignorance où l'on veut l'asservir, Fait briller des attraits capables de ravir, Un air tout engageant, je ne sais quoi de tendre, Dont il n'est point de cœur qui se puisse défendre: Mais, peut-être, il n'est pas que vous n'ayez bien vu Ce jeune astre d'amour de tant d'attraits pourvu: C'est Agnès qu'on l'appelle. ARNOLPHE, *à part*. Ah! je crève. HORACE Pour l'homme, C'est, je crois, de la Zousse, ou Souche, qu'on le nomme, Je ne me suis pas fort arrêté sur le nom; Riche, à ce qu'on m'a dit, mais des plus sensés, non, Et l'on m'en a parlé comme d'un ridicule. Le connaissez-vous point? ARNOLPHE, *à part*. La fâcheuse pilule! HORACE Eh! vous ne dites mot. ARNOLPHE Eh oui, je le connois. HORACE C'est un fou, n'est-ce? ARNOLPHE Eh… HORACE Qu'en dites-vous? quoi? Eh? c'est-à-dire oui. Jaloux? à faire rire. Sot? Je vois qu'il en est ce que l'on m'a pu dire. Enfin l'aimable Agnès a su m'assujettir, C'est un joli bijou, pour ne vous point mentir, Et ce serait péché, qu'une beauté si rare Fût laissée au pouvoir de cet homme bizarre. Pour moi, tous mes efforts, tous mes vœux les plus doux, Vont à m'en rendre maître, en dépit du jaloux; Et l'argent que de vous j'emprunte avec franchise, N'est que pour mettre à bout cette juste entreprise. Vous savez mieux que moi, quels que soient nos efforts, Que l'argent est la clef de tous les grands ressorts, Et que ce doux métal qui frappe tant de têtes, En amour, comme en guerre, avance les conquêtes. Vous me semblez chagrin; serait-ce qu'en effet Vous désapprouveriez le dessein que j'ai fait? ARNOLPHE Non, c'est que je songeais… HORACE Cet entretien vous lasse; Adieu, j'irai chez vous tantôt vous rendre grâce. ARNOLPHE Ah! faut-il… HORACE, *revenant*. Derechef, veuillez être discret, Et n'allez pas, de grâce, éventer mon secret. ARNOLPHE Que je sens dans mon âme… HORACE, *revenant*. Et surtout à mon père, Qui s'en ferait peut-être un sujet de colère. ARNOLPHE, *croyant qu'il revient encore.* Oh… Oh que j'ai souffert durant cet entretien! Jamais trouble d'esprit ne fut égal au mien. Avec quelle imprudence, et quelle hâte extrême, Il m'est venu conter cette affaire à moi-même! Bien que mon autre nom le tienne dans l'erreur, Étourdi montra-t-il jamais tant de fureur? Mais ayant tant souffert, je devais me contraindre, Jusques à m'éclaircir de ce que je dois craindre, À pousser jusqu'au bout son caquet indiscret, Et savoir pleinement leur commerce secret. Tâchons à le rejoindre, il n'est pas loin je pense, Tirons-en de ce fait l'entière confidence; Je tremble du malheur qui m'en peut arriver, Et l'on cherche souvent plus qu'on ne veut trouver. # Annexe 4 : Tableau de présence des personnages. | Acte I | Acte II | Acte III | Acte IV | Acte V |  Personnages | 10 scènes | 15 scènes | 6 scènes | 9 scènes | 15 scènes | Présence totale Monsieur le Blanc | 7,8,9,10 | 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 | 2, 3, 4, 5, 6 | 5, 6, 7, 8, 9 | 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 | 36 scènes Cato | 3, 4, 5 | 1,2, 3, 4, 5, 7, 9, 10, 12, 14, 15 | 6 | 2, 3, 4, 5 | 5, 9, 10, 11, 13, 14, 15 | 24 scènes (mentionnées par les didascalies) Lucinde | 1, 2, 3, 4, 5, 6 | 1,2, 3, 4, 7, 8,9 | 1 | 7, 8, 9 | 1, 2, 3, 15 | 21 scènes Angélique | 1, 2, 3, 4, 5, 6 | 3, 4, 10, 11, 12 | 1 | 8, 9 | 2, 3, 13, 14, 15 | 19 scènes Damon | 2, 3, 4, 9 | 2, 3, 4 | 3, 4 |  | 1, 2, 3, 11, 12, 13, 14, 15 | 17 scènes Madame le Blanc | 7 | 2, 3, 4, 12 | 3 | 4 | 2, 3, 9, 14, 15 | 12 scènes L'Espérance | 4, 5 | 3, 4, 11 |  | 1, 2, 9 | 3, 7 | 10 scènes La Brie |  | 4 |  |  |  | 1 scène # Bibliographie. ## Sources. ### Œuvres de l'auteur.Les Oeuvres de Monsieur Montfleury, contenant ses pieces de theatre, Représentées par la Troupe des Comediens du Roy à Paris ### Ouvrages relatifs à Montfleury.Les Contemporains de Molière, Recueil de comédies, rares ou peu connues, jouées de 1650 à 1680, avec l'histoire de chaque théâtre, des notes et notices biographiques, bibliographiques et critiques Histoire du théâtre françois depuis son origine jusqu'à présent Dictionnaire des théâtres de Paris ### Œuvres dramatiques. la Dama capitan Théâtre complet Sganarelle ou Le Cocu imaginaire, L'École des Maris, L'École des femmes, L'Étourdi ou Les Contretemps, Le Bourgeois gentilhomme, Œuvres complètes ### Ouvrages théoriques.Œuvres complètes ## Études. ### Études générales sur le théâtre. Le Comique, Essai d'interprétation générale Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars Introduction à l'analyse des textes classiques Bibliographie d'histoire littéraire française Le Langage dramatique Lire le théâtre ### Études sur la comédie. #### Ouvrages généraux sur le genre.La Comédie de l'Âge Classique (1630-1715) Lire la Comédie La Comédie à l'âge classique La Comédie avant Molière, 1640-1660 La Comédie classique en France, De Jodelle à Beaumarchais #### Ouvrages sur la comédie espagnole.Le Masque et le visage. Du baroque espagnol au classicisme français Culture et théâtre : la comédie à l'espagnole comme exemple précoce de transculturalité en Europe au XVII*e* siècle ### Ouvrages sur le théâtre du XVII*e* siècle.Le Théâtre espagnol du Siècle d'Or (1580-1680) Valets et servantes dans le théâtre comique en France de 1610 à 1700 Le Théâtre au XVII*e* siècle A History of French dramatic Literature in the Seventeenth Century La Dramaturgie classique en France ### Études sur l'histoire matérielle des théâtres.Le Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne Le Mémoire de Mahelot, Laurent et autres décorateurs de l'Hôtel de Bourgogne ## Instruments de travail. ### Dictionnaires.Dictionnaire Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise.... avec les termes les plus connus des arts et des sciences Grand Dictionnaire Espagnol-Français Français-Espagnol ### Grammaire et ponctuation.La Ponctuation Grammaire du français classique Syntaxe française du XVII*e* siècle Introduction à la langue française du XVII*e* siècle ------- [1] « Le jeudy 22e septembre 1639 (fut baptisé) Antoine, fils de Zacharie Jacob, comédien du Roy, et de Jehanne de La Chappe, sa femme ; parrain « Anthoine Jomin, comédien du Roy, de la paroisse de St-Nicolas des Champs » ; marraine « Gabrielle Messier, femme d'Adam » (sic, pr Hardouin) « de sr Jacques, de la paroisse de St-Sauveur. » JAL, A., *Dictionnaire critique de biographie et d'histoire*, Paris, 1872, p. 889. [2] JAL, A, *op. cit.*,p. 889. [3] JAL, A* op. cit.*,p. 889. [4] Victor Fournel, *Les Contemporains de Molière*, 1967, t. I, p. 213. [5] CHAPPUZEAU, S.,* Le théâtre françois, divisé en trois livres: I. de l'Usage de la comédie ; II. des Auteurs qui soutiennent le théâtre ; III. de la Conduite des comédiens*, 1674 ; livre troisième p. 182-183. [6] Auguste Jal rapporte les dates de deux actes de naissance découverts à Saint-Sauveur : 9 juillet 1669 et 14 mars 1672. JAL, A., *op. cit.*, p. 889. L'avertissement au lecteur de 1739 révèle l'existence d'un seul enfant : Mademoiselle du Plessis [7] La production théâtrale de Molière s'étend de 1653 à 1673. [8] À propos de Montfleury : « His career as a dramatist bears a curious resemblance to Moliere's, for he made his début at Paris with a one-act farce ; he wrote two Ecole-plays ; he once attempted a tragi-comedy as Moliere did a comédie héroïque ; his Impromptu de l'Hôtel de Condé was a reply to l'Impromptu de Versailles ; the Procès de la Femme juge resembles la Critique ; le Gentilhomme de la Beauce and an intermede of l'Ambigu comique, Pourceaugnac ; while characters in l'Ecole des Jaloux and la Fille capitaine recall, respectively, Sganarelle of le Cocu imaginaire and the protagonists of le Bourgeois Gentilhomme. » LANCASTER, H. C., *A History of French dramatic Literature in the Seventeenth Century*, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942, part III, vol. 1, p. 271-272. Traduction : « Sa carrière de dramaturge ressemble étrangement à celle de Molière car il fait ses débuts à Paris en écrivant une farce en un acte; il écrivit deux pièces-École ; il tenta une seule fois une tragi-comédie tout comme Molière écrivit une comédie héroïque ; son *Impromptu de l'Hôtel de Condé* fut une réplique à *l'Impromptu de Versailles* ; *le Procès de la Femme juge* ressemble à la *Critique* ; de même *le Gentilhomme de Beauce* et l'intermède de *l'Ambigu comique*, ressemblent à *Pourceaugnac* ; tandis que les personnages de *l'Ecole des Jaloux* et de *la Fille capitaine* rappellent, respectivement, *Sganarelle du Cocu imaginaire* et les protagonistes du *Bourgeois Gentilhomme*. » [9] « Lacking Molière's genius, he had dramatic talent and he seems to have watched his rival closely in the hope of supplying the troupe of the Hôtel with comic material that might enable it to hold its own against its most successful competitor  » H. C., *op. cit.*, part III, vol. 1, p. 272. [10] V. FOURNEL, « On n'attend pas de Montfleury la sévère dignité d'un moraliste ; mais on est en droit de lui reprocher des licences et des crudités de langage, un malheureux penchant aux plaisanteries inconvenantes et d'un goût équivoque, … une raillerie systématique des sentiments et des devoirs les plus respectables cf Le Mary sans Femme . » *Les Contemporains de Molière*, 1967, t. I, p. 215-216. [11] Le succès de *La Fille capitaine* fut « au delà de tout ce que l'on peut imaginer » et *La Femme juge et partie* « eut le bonheur d'être suivie et fort applaudie, pendant que tout Paris couroit à Tartuffe ». *Le Mercure Galant*, août 1705, p. 326. [12] J-L. GEOFFROY « Montfleury avait appris ce qu'on appelle le métier, … entendait le théâtre, conduisait sagement un sujet, arrangeait et liait des scènes avec quelque adresse  ». *Cours de littérature dramatique*, 1819, t. I, p. 474. Aussi, J. LEMAITRE qualifie Montfleury de « pur Gaulois », ayant «  une tête naturellement joyeuse … ; qui n'a souci que de rire », *La Comédie après Molière et le théâtre de Dancourt*, 1882, p. 39. [13] N.-M. BERNARDIN, « Le théâtre de Montfleury. – « La Femme juge et partie » », *Revue des Cours et conférences*, 1902, p. 81. [14] W. ROHR*, Leben und dramatische Werke des Kiteren und des jüngeren Montfleury*, 1911. [15] Voir annexe 6. [16] *Sganarelle ou le Cocu imaginaire*, 1660, Molière. [17] Voir annexe 1. [18] Voir annexe 2. [19] *Culture et théâtre : la comédie à l'espagnole comme exemple précoce de transculturalité en Europe au XVII**e** siècle*, Farida Maria HÖFER Y TUÑON (2009). L'auteur de cette thèse, en prenant l'exemple des frères Corneille, originaires de Rouen, démontre l'influence de l'espagnol sur la production dramatique de ces dramaturges. [20] *Ibid.*, p. 37. [21] Les Confrères de la Passion sont une organisation de bourgeois parisiens associés pour jouer des mystères sacrés. [22] *Ibid.*, Traduction : C'est la première fois qu'un dramaturge français table sa pièce sur une pièce espagnole. I, 1, p. 362 [23] Voir le tableau « Recensement des comédies, tragi-comédies, et tragédies créées en France entre 1636 et 1660 (par année de création et par source) », fait par F.-M. HÖFER Y TUÑON, p.66 [24] *L'Astrée* est le premier roman fleuve de la littérature française: composé de 5 parties s'étendant sur 5399 pages, ce roman pastoral d'Honoré d'Urfé raconte plus de 40 histoires qui gravitent autour de l''histoire d'amour entre Astrée et Céladon, une bergère et un berger, dans le Forez du Vème siècle après J-C. [25] Examen de *Mélite.* [26] M. BERTAUD, *Le XVII*e* siècle, Littérature française*, Broché, Nancy, 1990. [27] Cette pièce représentée en 1643 n'est publiée qu'en 1645. [28] Cf l'épître du *Menteur.* [29] Les pièces le plus souvent représentées par la troupe sont *Dom Japhet d'Arménie, l'Héritier Ridicule, le Menteur, Jodelet ou le Maître Valt, le Geôlier de Soy-mesme, le Gouvernement de Sancho Pança. Cf* S. CHEVALLEY, *Molière en son temps*, 1973, p. 382-387. [30] La même pièce qui a inspiré d'Ouville pour *l'Esprit Folet* (1638). [31] Cf *Ibid.* le tableau de recensement des péritextes p. 104-105. [32] Le terme est employé par les frères Corneille, et est parfois usité par Boisrobert. [33] « Il est d'ailleurs le seul à avoir désigné sa pièce aussi comme une « petite oeconomie », ce qui laisse supposer qu'il a raccourci sensiblement le contenu de sa source. » Advertissement au lecteur, *Les Sœurs Jalouses*, 1661, Lambert. [34] « Je vous avais bien dit que le Menteur ne serait pas le dernier emprunt ou larcin que je ferai chez les Espagnols. » Epître de *la Suite du Menteur*. [35] Cf l'épître du *Menteur* (1644). [36] Advertissement au lecteur, *les Sœurs Jalouses*, 1661, Lambert. [37] Certains auteurs n'ont pas toujours refusé de montrer l'espagnolisme de leurs œuvres. F.-M. HÖFER Y TUÑON classe les comédies à l'espagnole en trois catégories : les pièces « habillées à la françaises », les pièces maintenues en Espagne, les pièces transposées à l'étranger (cf Tableaux des lieux des pièces). [38] L'art nouveau de faire des comédies en ce temps. [39] Vers de 9 syllabes et plus. [40] Vers de 9 syllabes et moins. [41] Voir annexe. [42] Doña Elvira de Vergara, qui est Don Lope, Lucia, qui est Martin, Don Fernando de Vergara, Le baron de Brifac, Le comte de Fuentes, Madame Blanca, Le sergent Palomo, Deux muletiers, Deux brigands, Un aubergiste, Juana, l'aubergiste, Des soldats, des musiciens. [43] Les deux muletiers sont nommés, dans les didascalies du texte espagnol, 1 et 2. [44]  Faire une seconde teste à un clou … pour le retenir dans le lieu où il est passé. » (F) [45] Voir annexe 3. [46] On appelle par mespris, *Animal*, Une personne stupide & sans esprit. (A) Le terme, appliqué aux femmes, renvoie à *L'Ecole des Femmes* de Molière (1662): « Tout le monde connaît leur imperfection;/ Ce n'est qu'extravagance et qu'indiscrétion;/ Leur esprit est méchant, et leur âme fragile;/ Il n'est rien de plus faible et de plus imbécile,/ Rien de plus infidèle: et, malgré tout cela,/ Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là. » Arnolphe, V, 4 (v. 1574-1579). [47] Voir annexe numéro 4. [48] Ces actes comportent respectivement 340 vers, 336 vers et 300 vers. [49] Voir note II, 7 [50] Corvin, M., *Lire la Comédie*, Paris, Dunod, 1994, p. 50. [51] Canova, M-C., *La Comédie*, Paris, Hachette, 1993, p. 36. [52] M. CORVIN, op. cit [53] Stendhal, « Du rire. Essai philosophique sur un sujet difficile et autres essais » Paris, *Rivages poche* 1816-1836 2005 [54] J. EMELINA, *Le Comique, Essai d'interprétation générale*, SEDES, 1996 [55] Homme de guerre au service de l'Autriche (Paris 1663-Vienne 1736), fils de Eugène-Maurice de Savoie-Carignan, comte de Soissons, et d'Olympe Mancini. [56] Quartier, chez les Roys et les Princes, est le service qu'on leur rend durant trois mois, chacun selon sa charge. (F) [57] « qu'il faut que je te quitte » comprendre « où il faut que je te quitte » [58] « Façon de parler adverbiale qui signifie secrettement, doucement. » (F) [59] La Lettre de Change « est une rescription que donne un Banquier ou un Marchand pour faire payer à celuy qui en sera le porteur en un lieu éloigné l'argent qu'on luy compte au lieu de sa demeure. » (F) On peut penser ici qu'il s'agit de la troisième sorte de lettre de change, comme la définit Furetière c'est-à-dire, « pour valeur de moy-même ». [60] Vouloir, en contexte, « signifie aussi, Avoir quelque desir, quelque pretention sur une personne, sur une chose. » (A) [61] Adonis est l'enfant incestueux de Cynéras, roi de Chypre, et de sa fille, Smyra. Célèbre pour sa beauté, il fut l'amant d'Aphrodite, qui le prit sous sa protection dès sa naissance, et de Perséphone, qui l'éleva aux Enfers. [62] On appelle aussi, *Chaise*, « Une espece de siege fermé & couvert, dans lequel on se fait porter par deux hommes. *Chaises de place. chaise de particulier. il se fait porter, il va en chaise. porteur de chaise*. » (A) [63] Se dit d'un homme « qui tient un rang distingué, soit par la noblesse, soit par ses emplois ou ses dignitez » (F) [64] Naissance « signifie aussi noblesse. Cet homme a de la naissance, c'est-à-dire il est noble. » (F) [65] « Railler, parler mal de quelqu'un. » (A) [66] Si adversatif : cependant [67] « Temps de réjouissance qui se compte depuis les Rois épiphanie, le 6 janvier jusqu'au Caresme. »(F) [68] Du latin nupti, mariage. « Signifie encore le festin, la danse et toutes le réjouissances qui accompagnent le mariage » (A) [69] Jeu sur le sens de connaissance, sens biblique? [70] « Envoyer dire, faire sçavoir, ou par lettres, ou par Messager »(A) [71] Les richesses (A) [72] Sur, d'après. [73] L'hellébore était considéré autrefois comme une plante médicinale qui pouvait guérir la folie. (Cf Jacques Christophe Valmont de Bomare, *Dictionnaire raisonné universel d'histoire naturelle* 4*e* édition, 1791). [74] « Pis. adj. comp. Plus desavantageux, plus fascheux, plus prejudiciable » (A). [75] Ici, sens figuré : « Cajeolerie que l'on dit à une femme » (A). [76] On dit « par menace à une personne, qu'*On le menera par un chemin où il n'y aura point de pierre*, pour dire, qu'On luy donnera bien de l'exercice, & de la peine. On dit aussi prov. & dans le mesme sens, *On luy fera voir bien du chemin*. » (A) [77] On dit fig. « qu'*Une succession, qu'une charge regarde quelqu'un*, pour dire, qu'Elle luy doit venir, ou qu'il y peut pretendre. … » (A). [78] « *Faire mystere d'une chose*, pour dire, En faire secret, en faire finesse. » (A) [79] « On dit fig. & par menace, qu'*Un homme joüera beau jeu*, qu'*on verra beau jeu*, pour dire, que Si on le fasche, il aura bien sa revanche, il fera bien de la peine. » (A) [80] En français classique, *quel* peut avoir, outre son emploi adjectival et déterminant, un emploi pronominal (glosable par *lequel*) Ex : « je viens vous annoncer la meilleure nouvelle du monde ». /-**Quelle**? (Molière, B. G., IV, 33) v. 1670 : « laquelle? » *Grammaire du français classique*, N. FOURNIER, p. 124. [81] « Penser. v. a. Accommoder une playe, lever l'appareil d'une playe, appliquer les choses necessaires à une playe » (A). En français moderne, on emploie le verbe « panser ». [82] Piquer a ici le sens figuré de « Fâcher, irriter, mettre en colère. » (A) [83] Exploitation du topos littéraire de la femme vertueuse et patiente illustrée par Pénélope, épouse d'Ulysse, qui attendit dix ans le retour de son époux de la guerre de Troie, dont l'absence dura en tout vingt ans. [84] Remontrance, réprimande sévère que l'on fait à quelqu'un. [85] « On appelle par mespris, *Animal*, Une personne stupide & sans esprit. » (A) Le terme, appliqué aux femmes, renvoie à *L'Ecole des Femmes* de Molière (1662) : « Tout le monde connaît leur imperfection;/ Ce n'est qu'extravagance et qu'indiscrétion;/ Leur esprit est méchant, et leur âme fragile;/ Il n'est rien de plus faible et de plus imbécile,/ Rien de plus infidèle: et, malgré tout cela,/ Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là. » Arnolphe, V, 4 (v. 1574-1579) [86] « Eh! mon Dieu! tu feras/ Comme les autres font, et tu t'adouciras./ Ces gens, avant l'hymen, si fâcheux et critiques,/ Dégénèrent souvent en maris pacifiques. » V, 8 (v. 1792-1795). *Le Dépit amoureux*, [87] Référence à *L'Ingénieux Noble Don Quichotte de la Manche*, (1605), Cervantès. [88] Sept-et-le-va : « Terme de jeu. Se dit au trente et quarante, et au pharaon, pour exprimer sept fois la première mise. » E. LITTRE, *Dictionnaire de la Langue Française*, 1872-77. [89] Allusion au « zanzibar, jeu avec un cornet et trois dés, jeu de dés chez les marchands de vin » [90] « Terme de jeu de piquet. Il se dit lorsqu'un des joueurs compte quatre-vingt-dix, parce qu'il est arrivé à trente en main avant de jouer, et avant que son adversaire ait pu rien compter. » Littré. [91] Terme de jeu de cartes. [92] Etre touché, amoureux. [93] « Façon de parler proverbiale, pour dire, Serieusement » (A). [94] Forme de la P3 du verbe dire au subjonctif présent [95] Manière, façon. [96] « On appelle par raillerie, *Chevaliers de l'industrie*, Ceux qui n'ayant point de bien vivent d'adresse, d'invention. » (A) [97] àchercher [98] Terme de Triquetrac qui signifie qu'on amène deux quatre en un coup de dés et deux six en dés. [99] « Fredoc tenoit une académie de Jeu très fréquentée en ce temps-là. Il logeoit dans la place du Palais Royal. Il en est fait mention dans la Fille Capitaine, de Montfleuri acte I. » Note du vers 73 de la Satire V, *Satires* (1600-1668) Nicolas Boileau-Despréaux, éd. 1823 [100] « Troupe de Marchands, ou de voyageurs qui vont de compagnie pour se garantir des voleurs. »(A) [101] Fameuse Academie de Jeu (NDA). [102] « Mettre sur un habits diverses couleurs mal assorties et qui choquent la vue. » (F) [103] « Jeu de cartes que l'on joue à trois personnes et à trois cartes, où l'on fait plusieurs enchères à l'envi les uns des autres autres. » (F) [104] Il s'agit ici du Cours la Reine, lieu publique à la mode au XVII*e* où l'on aimait se montrer. Il existe encore aujourd'hui. Il se situe entre la place de la Concorde et la place du Canada. [105] Avoir de la convenance, du rapport. (A) [106] Analogie « bois de Cerf » aux cornes des cocus. [107] « En terme de blason, se dit de tout ce qui se met sur l'Escu, qui distingue les degrés de Noblesse et de dignitez. » (F) [108] Expression récurrente dans les comédies qui signifie se faire berner. [109] Comprendre « je supposais ». [110] Déclin (A). [111] Diérèse: le phonogramme ié forme deux syllabes. [112] « Honneur, loüange, estime, reputation qui procede du merite d'une personne, de l'excellence de ses actions ou de ses ouvrages. » (A) [113] « *Se faire raison*, pour dire, Se faire rendre justice par force, par authorité. » (A) [114] « *Avant Inf* est condamné par Vaugelas et est en recul au XVII*e* siècle; les formes usuelles sont *avant que Inf* et *avant que de Inf; avant de* Inf ne se généralisera qu'au XVIII*e* siècle. » *Grammaire du français classique*, p. 283. [115] Donner de la tablature se dit proverbialement pour signifier « Susciter une affaire fort difficile dont on a de la peine à se démêler. » (F) [116] Sens de domestiques ici. (A) [117] Au sens ici de « avoir l'air, la mine de quelque chose. » (F) [118] « Enfant d'honneur qu'on met auprès des Princes et des Grands Seigneurs pour les servir avec leurs livrées et en même temps y recevoir une honnête éducation et y apprendre leur exercice. » (F) [119] Malte incarne à la fin du XVI*e* siècle la frontière par excellence de la chrétienté face à l'Islam. Au XVII*e*, son épanouissement en tant qu'île-frontière est symbolisé par l'essor de la guerre de course (piraterie). *Malte, frontière de chrétienté (1530-1670*), A. BROGINI : ici l'auteur fait référence à la violence des affrontements avec les musulmans qui s'y déroulent. [120] Conseil, délibération. [121] Damon n'est pas mentionné dans la liste des personnages mais le texte sous-entend sa présence sur scène. Les éditions ultérieures corrigent cet oubli de la part de l'auteur. [122] Employé ici au sens poétique : « les poètes disent d'une Dame … qu'elle est friponne pour dire qu'elle leur ravit le cœur, leur liberté. » (F) [123] « Vouloir se battre continuellement. » (F) [124] Se dit quelquefois par une espèce d'imprécation. [125] « Filou, batteur de pavé. » (A) [126] Diérèse: ui forme deux syllabes. [127] Voir note 888 sur conte/compte. [128] « Espèce de danse composée de trois pas joints ensemble avec deux mouvements et commence par une noire en levant. » (F) [129] Le premier hémistiche doit être dit en aparté. La didascalie n'est pas signalé par l'auteur. [130] *N'avoir garde*, pour dire, N'avoir pas la volonté, ou le pouvoir de faire une chose, en estre bien esloigné. [131] « Rusé, difficile à estre trompé, adroit à tromper les autres. » (F) [132] « *Rendre raison de quelque chose*, pour dire, En rendre compte. » (A) [133] En aparté. [134] Emerillonner : « prendre une humeur gaie et joviale. » (Litré) [135] « Injure grossière. » (A) [136] Sentence parodique du *Cid* de Corneille, scène 6 acte III « Nous n'avons qu'un honneur il est tant de maîtresses! » (Don Diègue à Don Rodrigue). [137] « Petit billet amoureux qu'on envoye aux Dames Galantes, ainsi nommé, parce que quand on le pliait on faisoit deux pointes qui représentoient les ailes d'un poulet. » (F) [138] Ellision [139] « *Cette femme a esté rasée par authorité de Justice, & mise dans un Convent*. » (A) [140] Synecdoque pour la pendaison. [141] Voir note II, 7. [142] « Il signifie fig. Se rendre maistre de l'esprit d'une personne pour luy faire faire tout ce qu'on veut. » (A) [143] « Se dit des personnes stupides ou aisées à tromper. » (F) [144] « Empêchement, obstacle, difficulté. » (A) [145] « Imprecation qu'on fait contre quelque chose. » (F) [146] Idée que Rome est une « haut-lieu ». Monsieur le Blanc insiste ici sur la prétention du discours moralisateur de Damon. [147] Appellation ironique quand on sait que Damon est un habitué du Jeu. [148] « *Répondre de quelqu'un corps pour corps, En répondre comme de soi-même* » Dictionnaire de l'Académie Française, 6*e* édition, 1835. [149] « Eblouissement de la veuë par une trop grande lumière, qui fait voir long-temps après les objets d'une autre couleur qu'ils ne sont. Se dit figurément en choses spirituelles des conceptions de l'esprit. » (F) [150] « Occasion favorable » (F) [151] *Avant* « qu'il n'ai esté rendu ». [152] « On appelle proverbialement un courtaud de boutique, un artisan, un homme du peuple qui travaille en boutique. » (F) Employé ironiquement ici. [153] Ressouvenir : « ne s'emploie qu'avec le pronom personnel » (F). Dériver exocentrique de ressouvenance : « Action par laquelle on se ressouvient. Ce mot vieillit, & on dit à la place souvenance. » (F) [154] Comprendre « viens là ». [155] « En terme de blason, signifie un Escu d'Armoirie. Il faut seize quartiers pour prouver sa noblesse de quetres races dans des Compagnies où on ne reçoit que des Nobles. » (F) [156] « Torture, gesne donnée aux criminels pour sçavoir la vérité » (A). Comprendre « souci ». [157] Expression militaire : « faire sortir les trouppes des garnisons pour les mettre en corps d'armée. » (F) [158] L'auteur, à travers les paroles de Monsieur le Blanc, installe une connivence entre le personnage et le public par cette apostrophe implicite. [159] Au XVII*e* siècle, à l'indicatif, la forme du pluriel tendit à se substituer à la P1, en raison de l'influence des patois. L'auteur, en employant cette forme, met l'accent sur la condition modeste du locuteur. Le texte même fait mention de son absence de naissance : « Un Valet que mon Frere avoit depuis longtemps,/ Et qu'il a fait Sergent dedans⁎ sa Compagnie. » (v. 129-130) [160] « Arme à feu qu'on porte sur l'épaule et qui sert à la guerre, qui prend feu avec une mèche. » (F) [161] « Echarpe de cuir … qui sert à tenir l'épée. » (F) [162] « Tous ». Dictionnaire d'argot de la langue française. [163] « Vite » [164] « Avoir le visage long » (F) [165] « Faire visite » (F). On peut aussi, dans le contexte, penser qu'il s'agit d'une allusion grivoise. [166] Faire route. [167] « Sçavoir la carte, se dit non seulement au propre …, mais le plus souvent au figuré, de ceux qui connoissent les intrigues d'une Cour, le train des affaires d'un Estat, les destours d'une maison, les connoissances, les habitudes, les secrets d'une famille, d'un quartier. » (F) [168] « Dire ou faire quelque chose mal à propos, indiscretement & contre le bon sens ou la suite d'un discours, ou la bienséance. » (F) [169] « On dit proverbialement & figurément, qu'il faut changer de batterie, lors qu'on se sert de nouveaux moyens, qu'on prend de nouvelles voyes pour faire reüssir une affaire, les premiers n'ayant pas succedé. » (F) [170] « Risquer, exposer à la fortune, exposer au péril. » (A) [171] « Amant qui fait à une Dame des offres de service et d'amour et qui luy promet fidélité. » (F) Terme passablement démodé au sens de « prétendant ». [172] « Secrettement » (F). [173] « Différer le jugement d'une affaire; l'éxecution d'une contrainte. » (F) [174] Mûrir. [175] « Le jour *où* l'on se marie ». [176] Jeu de mots sur la notion de contrat de mariage. La clause des six mois : « presque tous les baux des maisons de la ville se font avec la clause des six mois, c'est-à-dire, de résolution, en advertissant six mois devant. » (F) [177] « Se dit par opposition à tournois, du prix de la monnoye qui valoit un quart davantage à Paris, qu'à Tours. Ainsi le sou parisis vaut 15 densérs, & le sou tournois n'en vaut que 12. » [178] « Fam. S'emploie quelques fois par plaisanterie pour dire simplement, au contraire. » (A) [179] « Vieux mot qui signifioit autrefois chercher. » (F) [180] « Signifie à contre sens, quelque affront, quelque insulte qu'on fait à quelqu'un. » (F) [181] « Se dit figurément en choses morales, de la fin de l'évenement, des affaires. On n'a jamais bonne issuë d'une entreprise temeraire. » (F) [182] Jeu de mots sur la polysémie d'« entendre » qui peut signifier percevoir par l'oreille et comprendre par l'esprit. Le sens convoqué ici est le second. [183] « Etoffe grossière faite de laine. » (A) [184] « Ce dit de ce qu'on a par excès. » (F) [185] « Terme de mérpis, se dit d'un homme qui vit de l'industrie. » (A) [186] « Faire une seconde teste à un clou … pour le retenir dans le lieu où il est passé. » (F) [187] « On dit aussi prov. & fig. d'Un homme habile, & à qui il n'est pas aisé d'en faire accroire » (A) [188] « Luy témoigner qu'on est mal content de luy. » (A) [189] « Sorte de sac que les Soldats dans les marches d'armée, & les gens de métier en allant par pays portent sur leur dos, & où ils mettent leurs provisions, leurs ustensiles, leurs outils. » (A) [190] L'édition de 1739 délimite ici la scène 9, dans la mesure où Cato est congédiée et doit donc quitter la scène. [191] Cet hémistiche, pour produire son effet, doit être dit en aparté. [192] « Qui parle continuellement, & qui ne dit que des choses de néant. » (F) [193] « Vaurien, fripon, scélérat. » (A) [194] Notons que la didascalie ne mentionne pas le personnage de Cato qui cependant doit se trouver sur la scène, pour des raisons de cohérence: le vers 1600 est une apostrophe au personnage : « Cato, qu'on la fasse descendre. » [195] *Se couper la gorge avec quelqu'un*, pour dire, Se battre en duel avec luy (A) [196] Emploi d'un « régulateur » qui encourage l'interaction. [197] « Attaquer » (F). [198] On peut penser que Cato est toujours sur scène puisque sa sortie n'a pas été mentionnée.