--- identifier: montfleury_trigaudin creator: Montfleury, Antoine Jacob ; Georges Forestier. date: 1674 title: Trigaudin ou Martin Braillart. Comédie --- Trigaudin ou Martin Braillart Comédie PAR A.J. DE MONTFLEURY. A PARIS, Chez PIERRE PROMÉ, Sur le Quay des Grands Augustins, à la Charité. M. DC. LXXIV AVEC PERMISSION Édition critique établie par Adeline Garnier dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (2000-2001) # Introduction. Fils d'un célèbre acteur, le théâtre lui plut. Pour l'enrichir de comiques peintures, Il quitta tout, et parvint à son but, En offrant, sous des couleurs sûres, De ressemblances miniatures Des ridicules de son temps. Ce Montfleury, dès la fleur de ses ans, Aurait été, s'il avait voulu l'être, Savant jurisconsulte, éloquent orateur, Habile négociateur, Intègre magistrat, comme il le fit connaître ; Mais aux richesses, aux honneurs, Il préféra, pour demeurer son maître, L'honneur, peu fructueux, de crayonner nos mœurs [1]. Même si la postérité a occulté la plupart des auteurs dramatiques comiques du dix-septième siècle au profit du seul grand Molière, il faut noter qu'un certain nombre d'entre eux, pourtant jugés médiocres par la majorité des critiques des siècles suivants, ont remporté parfois de vifs succès auprès de leurs contemporains. Montfleury-fils fait notamment partie de ces auteurs oubliés, et dénigrés, alors que ses comédies ont, dans l'ensemble, séduit le public du siècle classique. En effet, paradoxalement considéré comme le plus grand rival [2] de Molière, Montfleury, de son vrai nom Antoine Jacob, a été écarté de l'ensemble des critiques théâtrales. Certains lui reconnaissent pourtant un atout ; celui de montrer à quel point Jean-Baptiste Poquelin était supérieur à ses contemporains. En disant cela, la plupart de ces critiques cherchent à faire de lui un autre Molière, alors même qu'il a tenté par ses pièces de se démarquer de cette forme de comédie du dix-septième siècle, imprégnée du sceau de l'auteur du *Misanthrope.* On compare leurs pièces, leurs styles, leurs succès en oubliant l'indépendance des auteurs, leurs personnalités propres [3]. Fils du célèbre acteur de l'Hôtel de Bourgogne, Zacharie Jacob, sa carrière théâtrale fut d'autant plus facilitée par son attachement à cette troupe. Toutefois le pseudonyme qu'il partage avec son père a entraîné un certain nombre de confusion, allant jusqu'à attribuer à Montfleury-père des pièces écrites par Montfleury-fils. De manière plus anecdotique des propos tenus par Cyrano de Bergerac à l'encontre de Zacharie [4] ont été faussement destinés au fils, alors que celui-ci était encore bien trop jeune pour être obèse. Né à Paris en 1639 [5], Antoine Jacob suit des études de droit. Reçu avocat en 1660, il délaisse aussitôt le Barreau et écrit sa première comédie en un acte *Le Mariage de Rien*, qu'il signe de son nom de famille. L'année suivante il présente une autre comédie, cette fois en cinq actes, *Les Bêtes raisonnables* et se lance ainsi totalement dans l'écriture comique. Devenu certainement le plus grand concurrent de Molière, il devient également l'un de ses plus grands ennemis lorsqu'est joué *L'Impromptu de Versailles* en 1663, pièce où il est ouvertement fait une critique virulente des talents d'acteur de Zacharie Jacob. Montfleury [6] répond alors à l'affront en écrivant la même année *L'Impromptu de l'Hôtel de Condé*, pièce dans laquelle il ridiculise Molière. Dès lors s'installe une véritable rivalité entre les deux auteurs, d'autant que ceux-ci n'avaient rien à s'envier du point de vue de la réussite. En effet, en 1669, année où la troisième version du *Tartuffe* est enfin autorisée, *La Femme juge et partie* remporte un vif succès, même si certains relativisent celui-ci en l'attribuant non pas tant au mérite de la pièce qu'au fait que le public ait reconnu l'histoire d'un comte qui avait vendu sa femme à un pirate [7]. La plupart des sujets traités à la scène par Montfleury sont, du reste, des anecdotes de son temps ou bien des emprunts faits à de grands auteurs dramatiques espagnols – dont il connaissait parfaitement la langue – comme il le dit lui-même dans l'avis au lecteur qui précède sa tragédie mêlée d'intermèdes comiques *L'Ambigu Comique, ou les amours de Didon et Énée* [8] ; il avoue notamment s'être inspiré de dramaturges espagnols pour créer ces mêmes intermèdes. Cette influence théâtrale semble également se faire sentir dans *L'École des Filles* ainsi que dans *Crispin Gentilhomme*, dont le sujet, selon les frères Parfaict paraît « être pris de quelque Historiette Espagnole ». Sa carrière théâtrale se déroule de 1660 à 1678, années pendant lesquelles il écrit quinze comédies [9], une tragi-comédie, *Trasibule* en 1663, et la tragédie mêlée d'intermèdes comiques que nous venons de citer précédemment ; mais durant cette période il ne monta jamais lui-même sur scène. Il se cantonne à son rôle d'auteur et ainsi n'interprétera jamais les héros de ses pièces [10]. Comme la majeure partie de ses confrères, Montfleury se prêta une fois au jeu de la coécriture et créa ainsi en collaboration avec Thomas Corneille *Le Comédien Poète*, comédie en cinq actes qui remporta visiblement un important succès puisqu'elle a été reprise plusieurs fois sur scène. L'échec de *Trigaudin ou Martin Braillart* en 1674 marque le déclin de sa carrière. Ainsi entre 1674 et 1677, il ne produit rien. Il fait cependant un bref retour avec *Crispin Gentilhomme* [11] et *La Dame médecin* [12], deux comédies en cinq actes, mais abandonne l'écriture au profit d'une activité plus lucrative : la finance. Colbert lui confia alors certaines charges qui lui offrirent plus d'argent et de renommée que ne lui en conféra le théâtre, si bien qu'il mourut le 11 octobre 1685 sans avoir renoué avec sa première passion. Montfleury a été oublié pendant des siècles ; seuls ses grands succès peuvent être consultés, de nos jours, en bibliothèque. Dès ses premières pièces notre auteur semble avoir été décrié pour son style jugé grossier. Ainsi tous les commentateurs de Boileau ont vu une allusion à Montfleury dans ces quelques vers : J'aime sur le théâtre un agréable auteur Qui sans se diffamer aux yeux du spectateur, Plaît par la raison seule, et jamais ne la choque ; Mais, pour un faux plaisant, à grossière équivoque, Qui pour me divertir n'a que la saleté, Qu'il s'en aille, s'il veut, sur deux tréteaux monté, Amusant le Pont-Neuf de ses sornettes fades, Aux laquais assemblés jouer ses mascarades [13]. La plupart des ouvrages qui évoquent, en général succinctement, le dramaturge ne retient de lui qu'un style grossier. Or à la lecture de ses pièces rien ne nous permet de le juger comme tel. En effet, nous y avons retrouvé le même vocabulaire que les autres dramaturges employaient, les mêmes sortes de personnages, les mêmes décors… sans que ceux-ci ne soient décriés. Les situations mises en scènes peuvent être parfois considérées comme à la limite de la bienséance, mais cela ne justifie en rien de telles critiques, si virulentes à l'égard de cet auteur. Les théories littéraires du dix-septième siècle déprisaient la comédie au profit de la tragédie ; or notre dramaturge s'est illustré dans la comédie et il semblerait que ce soit ce point qui est entraîné cette dépréciation à son égard. De siècle en siècle les critiques lui ont reproché la bassesse de son style ; tel un leitmotiv ce point est évoqué dans une majorité d'ouvrage, sans jamais être démontré. Il existe peu de critique positive à son égard ; celle qui se trouve en exergue de cet ouvrage est la seule que nous ayons trouvé. # Montfleury, ou comment transformer un sujet tragique en comédie. Sur les dix-sept pièces qu'a écrites Montfleury, la plus célèbre est certainement *La Femme juge et partie.* Elle remporta un très grand succès, fut rejouée plusieurs fois et même remaniée au dix-neuvième siècle [14]. *Trigaudin ou Martin Braillart* a, comparativement, été un véritable échec. Le registre de l'acteur de La Grange montre qu'elle n'a été jouée que neuf fois, du vendredi 26 janvier au vendredi 16 février 1674 au théâtre Guénégaud et n'a jamais été reprise par la suite [15]. Montfleury, pour ses pièces précédentes, s'était énormément inspiré d'œuvres espagnoles, peut-être effectivement pour « souligner son indépendance vis à vis de ses compatriotes, et son indifférence à la nouvelle direction que Molière fit prendre au théâtre comique français pendant les années 1660 [16] » ou peut-être plus simplement par goût. En revanche pour l'intrigue de cette pièce, il puisa librement son inspiration dans une Nouvelle publiée dans *Le Mercure Galant*, dirigé par Donneau de Visé, sous le titre *La Femme aux deux Maris* [17]. On ne sait trop s'il s'agit d'un fait divers comme on a pu le lire [18] ou bien s'il s'agit effectivement d'une simple fiction. Walter Rohr opte plutôt pour cette seconde hypothèse puisqu'il fait remarquer qu'on n'entendra jamais parler des suites de cette histoire [19]. Il existe certaines dissemblances entre l'œuvre du dramaturge et celle de Donneau de Visé. En plusieurs points la comédie se détache de la Nouvelle, les personnages ne sont pas tous animés des mêmes motivations, et surtout l'intrigue aboutit à une fin différente. Ce n'est donc pas la simple mise en scène d'un texte mais bien une création à part entière. Les deux personnages, dont s'est inspiré notre auteur, véhiculent beaucoup plus de méchanceté et de cupidité que ne le font les héros de la pièce. En effet Licaste et Lucinde ayant crû se tromper l'un l'autre en se mariant, se tromperent tous deux ; car Licaste croyoit que Lucinde avoit beaucoup de bien, et Lucinde estoit persuadée que Licaste estoit fort riche. Cependant ils estoient tous deux gueux. Mais ils avoient en récompense un esprit d'intrigue, qui les empescha de se deseperer lors qu'ils se furent apperçeus qu'ils s'estoient trompez. Comme l'amour n'avoit pas fait leur Mariage, & qu'ils ne cherchoient que du bien, ils resolurent de mettre toutes choses en usage pour en avoir, & de passer par dessus tous les scrupules qui auroient arresté des Gens moins interressez [20] (…). Or le moyen que Licaste trouva pour gagner de l'argent fut de marier sa femme à un homme riche. Il jeta son dévolu sur Robinval, un Gentilhomme de Campagne, « parce qu'il avoit beaucoup de bien, & qu'il se trouva d'humeur à donner dans les panneaux qu'il fit dessein de lui tendre. »  Dès lors commence une véritable approche et mise en condition de l'homme à duper : « Licaste (…) luy dit plusieurs fois, mais dans des temps differens & sans trop appuyer sa proposition, qu'il devoit se marier. (…) Robinval fit plus, il pria Licaste de luy chercher une Femme, & luy dit qu'il n'en vouloit prendre une que de sa main. » Le trompeur transforme alors sa femme en veuve, la fait appeler Luciane, l'installe dans un quartier où personne ne saura qu'elle est son épouse et commence à parler d'elle à son ami Robinval. Celui-ci, dont l'intérêt est aiguisé par les descriptions faites par Licaste, n'a de cesse de la rencontrer. Après nombre de faux empêchements « Il luy dit que Luciane estoit encore sortie avec son Oncle, pour solliciter le Procez qui devoit estre jugé ce jour là ; mais qu'il luy avoit pris son Portrait, afin qu'il la put du moins voir en peinture. Robinval admira ce Portrait (…) » ; les futurs époux se rencontrèrent, et l'union se conclut très rapidement. Pour fêter ce mariage tous trois partent sur les terres du gentilhomme, mais là dès qu'ils furent arrivez, Luciane se mit au Lit par le conseil de son premier Mary. Il luy dit qu'elle devoit dire qu'elle estoit indisposée, à cause de la fatigue du voyage & du changement d'air (…). Robinval prit alors soin de sa nouvelle épouse, et celle-ci paroissant de plus en plus charmée de son dernier Mary, il goustoit son bonheur avec joye, lors que peu à peu il devint en langueur. Luciane s'en estant aperçeüe, redoubla ses caresses. Elle luy fit prendre beaucoup de remedes, qui ne retablirent point ses forces. (…) Ce pauvre Homme sentant tous les jours diminuer ses forces, & voyant la douleur de sa Femme, qu'il croyoit inconsolable, n'oublia pas de faire toutes les choses qui pouvoient accomoder ses affaires, quoy que dans son Contract de mariage il eut déjà beaucoup fait pour elle. Il se souvint aussi de Licaste, & mourut apres avoir fait un Testament, où ce Mary de sa Femme eut bonne part ; de maniere qu'ils eurent tous deux presques tout le bien de ce pauvre Homme, qui mourut sans avoir le déplaisir d'apprendre le tour qu'on luy avoit joüé. Mais leur victoire est de courte durée puisque Licaste et Lucinde sont reconnus comme mari et femme par un marchand, si bien qu'« un parent de feu Monsieur Robinval comprend la supercherie, fait fermer le Château et les fait mettre en prison. » Notre pièce met, elle, en scène un bourgeois parisien cupide ; veuf, il a eu de son mariage deux fils qui habitent à Orléans. Lors d'un séjour dans cette ville, il rencontre une jeune femme, Lucie, qui le pousse à l'épouser en prétextant que son frère veut la marier à quelqu'un qu'elle ne connaît pas. Pour que ses enfants ne réclament pas l'héritage de leur mère, Trigaudin, c'est le nom de notre héros, l'épouse en secret en soudoyant le prêtre. Rentré seul à Paris, il dîne avec son meilleur ami Géronte, veuf lui aussi. Au cours du repas Trigaudin fait tomber un portrait de sa jeune épouse. Plutôt que de dévoiler que la personne représentée est sa femme Lucie, il fait passer celle-ci pour sa cousine. Si bien que Géronte tombe amoureux de l'image et décide de doter la jeune femme de cent mille francs afin de pouvoir l'épouser. Appâté par l'argent, Trigaudin ne dément rien et décide de marier sa propre femme à son ami, puis d'empoisonner celui-ci sitôt l'union faite. En remerciement, Géronte lui promet en mariage sa nièce Julie, ce qui entraînera la colère de Valère, l'amant de celle-ci. Mise au courant par son époux, Lucie refuse tout d'abord de participer à ce dessein, puis pour lui prouver son amour elle feint d'accepter ses conditions. Mais aidée par le valet L'Industrie elle imagine un stratagème pour le tenir en échec et met au courant Géronte du vil projet de son mari. Celui-ci accepte alors de participer au plan de Lucie plutôt que de dénoncer Trigaudin aux autorités. Dès lors de trompeur, Trigaudin devient le trompé ! Tous vont tenter de le mettre en échec. Pour ce faire, les valets La Rivière et La Forêt se déguisent, l'un en frère de Lucie, l'autre en avocat nommé Martin Braillart qui joue le rôle du prétendant choisi par le frère pour la sœur. Toujours motivé par l'argent, Trigaudin s'enferme dans son plan et continue à cacher son mariage tout en cherchant à accélérer celui de Lucie et Géronte, en même tant qu'il essaie de dissuader maître Braillart d'épouser sa « cousine ». On lui fait alors croire que le frère a précipité le mariage de sa sœur, et que le seul moyen pour elle de s'en sortir est d'avouer son union avec Trigaudin. Ce n'est que lorsqu'on vient lui demander confirmation qu'il avoue son stratagème, puis tous lui révèlent que, malgré les apparences, c'est lui qui a été trompé. La pièce se termine par la promesse d'un mariage entre Valère et Julie, et sur un jeu de mot à propos de la poudre. Trigaudin est pardonné et est même invité aux réjouissances. Lucie a, elle, enfin obtenu que son mariage soit dévoilé au grand jour. Chez Montfleury il n'y a ni meurtre ni véritable escroquerie, comme c'est le cas chez Donneau de Visé. Même si ici il est clairement dit que Trigaudin veut empoisonner son ami pour récupérer son argent [21], le fait que Lucie soit totalement innocente, et qu'elle refuse de participer au projet de son mari, entraîne non seulement un dénouement différent, mais aussi un changement dans toute la trame de l'histoire. Grâce à elle, il devient possible de transformer une histoire dramatique, voire tragique, en comédie, puisque son refus permet d'introduire les différents procédés théâtraux que sont le déguisement et la farce. # Simple comédie ou Art de mélanger les genres ? Comédie classique régulière, c'est-à-dire composée de cinq actes écrits en alexandrins, *Trigaudin ou Martin Braillart* ne dérange pas par sa forme. La règle de temps est respectée puisque tout se déroule sur une journée, grâce à l'acte d'exposition qui joue parfaitement son rôle ; l'unité de lieu est à peine transgressée car les deux maisons où se déroule l'action sont situées dans la même rue. Rien de très grave somme toute, d'autant que peu d'auteurs dramatiques comiques parvenaient à respecter exactement ces quelques règles, jugées beaucoup plus importantes pour la tragédie. De fait, ce qui pose réellement problème avec cette pièce est le mélange des genres comiques. Nous passons d'un comique bourgeois à une trame de farce, tout en ayant conscience que derrière ces formes se cache une comédie de mœurs. Si bien qu'il est difficile de trouver un terme générique pour qualifier cette comédie. Par le fond du sujet, *Trigaudin* s'apparente plus à un drame, d'ailleurs le lecteur s'attend à une condamnation du héros [22] ; par sa configuration elle se rapproche d'une comédie de mœurs, et par les moyens mis en œuvre nous avons envie de la qualifier de farce. C'est en quelque sorte une forme « hybride » de la comédie, comme si Montfleury avait tenté de créer un nouveau style après la mort de Molière. ## Une farce ? Si la pièce débute sur un sujet de mœurs – Trigaudin veut empoisonner son voisin et ami Géronte pour récupérer l'héritage – elle en perd vite la trame puisque Lucie dévoile le projet de son mari à l'intéressé dès la scène 8 de l'acte 3. Dès lors la toile de fond de *Trigaudin* devient celle, banale, d'une farce. Certes il n'y a pas de coups de bâton, de cavalcades effrénées, de personnages types comme il était habituel d'en voir dans le jeu italien. Mais il n'en reste pas moins que nous assistons à un phénomène de renversement ; de trompeur Trigaudin devient trompé, comme le héros de *La Farce de Maître Pathelin* [23]. De plus, Michel Corvin fait reposer la farce sur un schéma qui est tout à fait transposable ici [24]. En effet, selon lui, on peut simplifier la trame de la manière suivante : « un sujet désire un objet » (dans notre cas l'argent), « il rencontre des opposants » (le « frère » de Lucie, Maître Braillart), « et bénéficie parfois de quelques soutiens » (sa femme). Tel est le schéma si l'on se place du point de vue de Trigaudin. Si l'on se place selon celui de Lucie on aura : « un sujet désire un objet » (empêcher Trigaudin de tuer Géronte), « il rencontre des opposants » (Trigaudin), « et bénéficie parfois de quelques soutiens » (Géronte, Valère, L'Industrie, La Forêt, Julie). Michel Corvin nous fait remarquer d'autre part que « le sujet désirant est d'ordinaire en position de faiblesse (c'est un intrus) : la tromperie va être son arme préférée pour arriver à ses fins. » Les personnages contribuent eux aussi à renforcer « l'intrusion » de ce genre dans une pièce qui est pourtant qualifiée de comédie. Même si tous les personnages typiques de la farce - comme le docteur, le charlatan, le valet stupide, ou bien encore la femme acariâtre - ne sont pas véritablement représentés ici, on rencontre dans cette pièce le valet rusé, le mari cocufié, le vieillard facile à berner, personnages déjà présents dans cette forme théâtrale sans être ces personnages fouillés, caricaturés qu'ils vont devenir par la suite. De plus, le rire que nos protagonistes entraînent, comme celui de la farce, « ne prétend ni instruire ni corriger, ni même pousser le spectateur à prendre parti pour un personnage contre un autre [25] » si bien que nous sommes tentés là encore de faire un rapprochement entre ces deux formes de comique. Il faut noter cependant qu'au dix-septième siècle la farce est un genre qui se transforme, et qu'« un effort sensible de réalisme de la part des auteurs mène à l'introduction de traits de mœurs pris à la vie et à la société contemporaines [26] ». Si bien que nous sommes en droit de nous demander si Montfleury a voulu tenter de créer une nouvelle forme de comédie – la comédie de mœurs [27], comme nous l'avions suggéré un peu plus haut – ou bien s'il a simplement suivi le nouveau visage de la farce. Farce qui devient « petite comédie [28] » et qui selon Marie-Claude Canova annonce la comédie de mœurs du dix-huitième siècle [29]. ## Une satire des mœurs du temps ? Montfleury, même s'il ne s'attache pas beaucoup à la psychologie de ses personnages, s'intéresse malgré tout au personnel dramatique usuel dans la comédie ; mais plutôt que de créer de véritables portraits il fait des esquisses. Nous apercevons, à travers les personnages de la pièce, le jeune homme « à la mode » [30], le bourgeois cupide [31] et prêt à tout pour parvenir à ses fins, la jeune femme intrigante [32], le barbon ridicule par amour et fat par vanité [33]… Divers statuts qui auraient pu être les points de départ de caractères fouillés, exagérés et auraient ainsi pu permettre la mise en place d'une critique implicite. Mais l'auteur ne fait qu'effleurer la psychologie et le fonctionnement de ses héros ; aucun de ceux-ci ne devient véritablement central. Le dramaturge paraît plus s'atteler ici à décrire une société – celle de la bourgeoisie cupide et arrogante – qu'à fouiller les particularités de ses acteurs. Comme le dit Alain Couprie à propos de la comédie de mœurs, Montfleury semble également substituer à l'universalité (…) l'individualisation des types, et aux « caractères », plus ou moins intemporels des personnages issus de l'actualité – au risque de soumettre la progression dramatique à la vérité de la peinture [34]. Nous n'apprenons que peu de choses sur Lucie, nous ne savons pas quelles sont ses motivations, ni si elle aime véritablement son mari ; les jeunes gens amoureux – personnages stéréotypés de la majorité des comédies – sont particulièrement mis de côté. Finalement ceux que le lecteur connaît le mieux sont ceux qui sont ridiculisés du début à la fin, c'est-à-dire Géronte et Trigaudin. La peinture que nous aurions attendue n'a été qu'une ébauche de tableau, peut-être au profit d'un autre art : le théâtre. ## La mise en place d'un jeu de rôle. Découvrant que son maître est animé par de vils projets, le valet L'Industrie se propose de fomenter un plan qui mettra celui-ci en échec. En effet, devant la perplexité de Lucie, à la scène 9 du second acte , qui ne sait « que résoudre » car elle « craint son humeur violente » [35], le serviteur de Trigaudin déclare « pour vous tirer d'affaire, & tromper son attente, / Je m'offre à vous servir, si vous y consentez » [36]. Nous avons une nouvelle fois, quelques vers plus loin, la confirmation que c'est effectivement lui qui échafaude le plan, puisqu'au vers 710 Lucie demande « ce que tu proposes / Pourra-t-il… », mais nous ne savons toutefois toujours pas sous quelle forme celui-ci va se dérouler. Dès lors spectateurs et lecteurs sont en situation d'attente et le suspens apparaît pour un court instant. À la scène 9 de l'acte 3, Géronte, caché, découvre le dessein de son ami Trigaudin si bien qu'il accepte de prendre part, lui aussi, à la mise en place du tour qui va être joué. Mais une nouvelle fois ce projet n'est pas dévoilé, il est juste évoqué puisqu'à la question du barbon « Quel est ce tour » [37] ?, Lucie répond « Venez, je m'en vay vous l'apprendre » [38]. C'est à la seconde scène de l'acte 4 qu'il nous est enfin fourni quelques indices quant à la réalisation de la farce. Nous apprenons alors qu'il va être question de déguisements et de jeu de rôle. Il y a dès cet instant « surplomb » [39] des spectateurs sur Trigaudin, car ceux-ci sont mieux informés que ce protagoniste. Dès lors c'est l'effet comique qui est recherché, et non plus le suspens. En effet, en fournissant ce nouvel élément l'auteur nous confère une certaine supériorité vis à vis du personnage ; supériorité qui nous permet de rire au dépend du héros éponyme de la pièce que l'on voit s'enfermer dans ce piège. Outre l'effet comique produit sur le plan dramatique même de la pièce, le jeu de rôle qui se met en place permet l'introduction de l'élément théâtral qu'est le déguisement et qui est, dans la comédie, l'un des ressorts majeurs du rire. Nous reviendrons en détail sur ce point lorsque nous étudierons les différentes techniques mises en place par Montfleury pour rendre son sujet comique. Cette symbolisation de l'activité théâtrale permet surtout l'apparition de personnages plus ou moins grotesques dans leurs rôles. Sans ce stratagème il aurait été difficile d'introduire des personnages aussi burlesques que le sont La Riviere et La Forest. C'est grâce à leur arrivée que Trigaudin s'enfonce, et s'enferme, dans le piège qui lui est tendu ; ils deviennent, en endossant des identités supérieures à leurs qualités, à la fois le prétexte à bon nombre de quiproquos, jeux de mots, satires, et le moyen de faire progresser l'action. L'introduction de ce stratagème a donc également une conséquence du point de vue de la dramaturgie. Son implication n'est donc pas ornementale ; le jeu de rôle et les déguisements qu'il implique sont des éléments à part entière de la trame de cette pièce. C'est même sur ces procédés que repose tout son canevas, du point de vue formel comme thématique. Cette technique théâtrale a en effet également une incidence au niveau stylistique. Chacun des personnages jouant à partir de ce moment un rôle, une triple énonciation peut ainsi se mettre en place. La réception du message émis par chacun des personnages devient différente de ce qu'elle était au début. Trigaudin, lui, est le seul à recevoir les messages de la même manière qu'au commencement de la pièce. C'est à dire qu'il croit à ce que lui disent Lucie, Géronte et L'Industrie. Mais du point de vue des « trompeurs » et des spectateurs la réception est transformée. Ceux-ci savent, notamment grâce aux apartés, qu'il y a un faux message adressé à Trigaudin et un vrai qui leur est destiné. Par exemple à la scène 4 de l'acte 4 Géronte réplique à son ami qui veut l'inviter à dîner « Je veux prendre demain certain petit Remede, / Et par précaution me coucher sans manger » [40] ; si l'on se place du point de vue du récepteur direct qu'est Trigaudin le mot « précaution » n'a pas d'importance, mais le récepteur indirect qu'est le spectateur comprend, lui, que Géronte cherche – à juste titre – à se protéger du poison détenu par son interlocuteur. Il s'installe alors une sorte de connivence entre ces personnages et les spectateurs, comme s'ils devenaient complices de la supercherie. Dès lors le rôle titre est mis à l'écart de cette relation, et tous peuvent rire de lui. # Trigaudin, pièce invraisemblable et immorale ? La comédie classique, comme la tragédie, est régie par des règles. L'action de la pièce doit se dérouler sur un jour, tout doit se passer dans le même lieu. Mais plus que tout il faut que la bienséance règne sur scène. Le théâtre se doit de *docere, movere et delectar*e [41] tout en imitant le plus fidèlement possible la nature. Le dramaturge est censé changer les mœurs des spectateurs, c'est du moins ce que pense Molière dans le « Premier placet au Roi » du *Tartuffe*. Selon lui, il s'agit de « corriger les hommes en les divertissant. » Au premier abord, Montfleury ne semble pas partager cette conception du théâtre [42]. Il nous présente ainsi un homme cupide, prêt à vendre sa femme et à tuer son ami. La moralité aurait été respectée si la pièce s'était terminée par sa mort, ou au moins sa condamnation [43]. Mais le genre même de la pièce – une comédie – veut que tout se termine bien, c'est pourquoi nous assistons à l'incroyable pardon de Trigaudin par Géronte. Pourtant notre auteur, par de petits détails, justifie ce déroulement. Avant d'apprendre ce que trame véritablement son « ami », Géronte promet à Lucie, scène 8 acte 3, de « faire aveuglément ce qu'elle exigera de ses soins ». Si bien que lorsqu'il sait tout, à la scène 10,  il ne peut plus reculer et entre donc dans le stratagème formé par L'Industrie et Lucie. Dès lors, au dénouement, s'il oubliait sa promesse, cela deviendrait aussi invraisemblable car au dix-septième siècle l'honneur, pour les hommes, était sacré et surtout devant une femme. De plus, toute la progression de la pièce est légitimée soit par un mot, soit par une action. En effet, s'il est une question que nous pouvons nous poser [44] c'est comment Trigaudin, « vieux bourgeois parisien » [45], a-t-il pu épouser en secret à Orléans une femme comme Lucie et « comment cette femme peut-elle lui être dévouée » ? La réponse se trouve dans l'innocence de Lucie. Est-elle si dénuée d'intérêt qu'elle le montre ? Montfleury nous dit par le biais de L'Industrie, dans la scène d'exposition, que d'une part les enfants de Trigaudin habitent à Orléans et que s'ils avaient su que leur père se remariait, ils auraient réclamé l'héritage de leur mère, que d'autre part le couple a corrompu un prêtre pour pouvoir se marier secrètement et surtout que la cousine lui dit qu'elle avoit certain Frere Qui vouloit de sa main luy donner un Epoux, Le tout pour le forcer [46]… Si bien que le valet, doutant de la bonne foi de la jeune femme, nous fait douter aussi ; d'autant que « la Cousine plus riche en monnoye, / N'a de fond (…) qu'un fort grand fond de joye [47] ». Par ces quelques vers se trouvent justifiés et le mariage secret à Orléans et le fait que Lucie soit dévouée à son mari. En fait, ce n'est pas à lui qu'elle semble dévouée, c'est au mariage. Ce qu'elle cherche avant tout, c'est à révéler son union au grand jour, c'est à rendre son hymen public. Si nous considérons cette protagoniste comme étant animée de projets personnels, ces points de la pièce, discutables en effet, deviennent plus vraisemblables. Mais malgré tout il est vrai que le sujet de cette comédie et la manière dont il a été traité restent immoraux [48]. # Une comédie du mensonge. La trame même de cette pièce est basée sur la tromperie et le mensonge. Tromperie du point de vue de Lucie, Géronte et leurs complices qui dupent – à juste titre – Trigaudin ; et mensonge de la part de celui-ci qui cache la vérité sur son mariage secret. Absolument tous les personnages dissimulent, à un moment ou à un autre de la pièce, ou leurs pensées véritables, ou leurs actions, ou leurs motivations. C'est incontestablement une comédie de l'hypocrisie et de l'individualité. Chacun – ou presque – se bat pour ses propres intérêts. Ainsi Trigaudin ment à Géronte puisqu'il fait passer sa femme pour sa Cousine. Lucie abuse Trigaudin puisqu'elle lui fait croire qu'elle participe à son plan, tout en le trahissant. Géronte feint d'ignorer la tromperie et les valets jouent des rôles de composition. Même Julie, la jeune fille, ment à son oncle quand, scène 5 acte 1, elle lui fait croire qu'elle n'est pas intéressée par le mariage, alors que c'est le prétendant qui la rebute [49]. Chacun des personnages devient antipathique et il est alors difficile, pour le spectateur ou le lecteur, de soutenir l'un des héros et de vibrer avec lui. Tour à tour Montfleury nous fait découvrir les mobiles, les arrière-pensées de ses sujets ; tour à tour il y a de brèves focalisations internes sur chacun des personnages. Mais cela reste insuffisant pour que nous ayons le temps d'orienter notre sympathie vers tel ou tel protagoniste. Habituellement les personnages attachants des comédies sont les jeunes amoureux, lorsqu'ils font partie du personnel dramatique. Or ici, Julie et Valère participent peu à la progression de la pièce, et tiennent plus un rôle de figurants que de véritables protagonistes. Leur histoire d'amour n'apparaît qu'en filigrane, et visiblement notre auteur n'en fait que peu de cas. Ces héros, d'ordinaire sympathiques, deviennent donc dans cette pièce des « êtres » sans intérêt et sans attrait. Si bien que la distance esthétique entre spectateurs et comédiens ne peut jamais se réduire. Aucun des acteurs présents sur scène ne permet de se lier à son destin ; on ne peut vraisemblablement s'identifier à aucun des personnages et on ne peut oublier que l'on est au théâtre. C'est certainement là un des plus gros défaut de la pièce. Cette erreur tient essentiellement au fait que Montfleury a placé son personnage central – Trigaudin – au sein d'une structure criminelle qui, par ce fait même, le rend antipathique. Le spectateur ne peut pas, en toute logique, apprécier ce personnage et ne peut donc pas épouser son point de vue. Les regards – et les espoirs – se tournent alors vers les autres protagonistes, qui par leurs insipidités ou leurs côtés grotesques, ne permettent pas non plus de créer un nouveau personnage central. Il y aurait pu, ou du, y avoir alors l'émergence d'un autre rôle présentant une morale et un comportement en tous points différents de ceux de Trigaudin ; mais en devenant un groupe face à celui-ci, et fonctionnant comme une entité à part entière, les « trompeurs » empêchent la création d'un élément de substitution à cet antihéros. Si bien que les caractères sensés soutenir la comédie – puisque l'intrigue a été annulée par la révélation faite à Géronte – ne jouent pas le rôle attendu. La pièce n'est alors plus portée que par ses éléments comiques. # L'art de faire rire. Le rire se distingue de plus en plus, au dix-septième siècle, de la comédie. « Comique et comédie ne se recouvrent pas, même s'il n'en reste pas moins vrai que beaucoup de comédie font rire [50] ». « Susciter le rire n'est cependant pas constitutif de la comédie [51] ». Montfleury ne déclenche pas chez le spectateur, ou le lecteur, de gros éclats de rire ; son humour fait plutôt sourire, et ce, même s'il lui arrive d'employer les ressorts habituels de la farce et de la comédie. ## Un comique de situation. Au fil des scènes les protagonistes de la pièce se placent dans des positions qui nous font sourire, et même parfois rire. Tout peut débuter par un mot ou par une attitude, sans que notre dramaturge fasse appel aux gros ressorts de la farce ou de la comédie grossière. Ainsi, à la scène 1 de l'acte 1, l'hésitation du valet L'industrie face à son maître amuse le lecteur. Il ne sait comment il doit nommer la femme de Trigaudin, d'autant que celui-ci ne lui a pas donné d'explication. Si bien que pendant un instant il continue à l'appeler « vostre femme [52] » et ne se tait que lorsqu'il est menacé de « cent coups [53] ». Son aparté est également amusant puisque, dans une situation incompréhensible pour lui, il pense que son « Maistre devient fou [54] ». Le comique résulte donc d'une carence de vocabulaire ; L'Industrie ignore qu'il doit dire que la nouvelle épouse de Trigaudin est sa cousine. Toinette, servante de Géronte, ignore, elle, que son interlocuteur, à la scène 2 de l'acte 1, est de la « même famille » que la jeune femme dont est épris son maître. Elle commence donc par critiquer celle qu'elle ne connaît pas : « Et s'il se marioit cent fois, je gagerois / Ma teste, que Monsieur seroit cocu cent fois [55] » ; mais lorsque le bourgeois lui révèle « sçavez-vous bien, Madame la Coquine / Que vostre maistre épouse une mienne Cousine ? [56] » la femme change totalement d'attitude et se comporte de manière particulièrement hypocrite puisque lorsqu'il lui dit « qu'elle est sage [57] » elle lui répond « je le croy bien [58] ». Mais ce qui est encore plus drôle est la manière dont elle se tire de cette situation embarrassante. C'est par la pirouette verbale « par forme d'entretien [59] » qu'elle répond à la question – « pourquoy donc en parler [60] » – de Trigaudin. Cette situation comique résulte donc, elle aussi, de l'ignorance d'un des personnages. Valère en décidant d'affronter son « rival » – le mari secret de Lucie étant devenu le nouveau prétendant de Julie, par l'entremise de Géronte – va lui aussi entraîner une scène des plus risibles. Feignant d'ignorer la promesse de mariage faite par l'oncle de sa bien-aimée, le jeune homme va ridiculiser le barbon. Il fait ainsi de lui un portrait peu flatteur « un Homme dégoûtant, / Sans naissance, sans bien, mal-fait de sa personne [61] » que son interlocuteur agrée sans se défendre « Sans vanité, c'est moy qu'on a voulu vous dire [62] ». Mais la couardise de cet homme se fait nettement plus visible lorsqu'il lui est fait une menace directe Songez, en Homme sage, A ne plus vous flatter d'un pareil Mariage. Si j'aprens que vos soins l'importunent jamais, Et que vous prétendiez [63]… Trigaudin préfère promettre de tout faire pour éviter ce mariage, plutôt que de relever l'arrogance d'un homme plus jeune que lui. Par ce fait, il devient ridicule. Ridicule, Géronte l'est également lorsque Montfleury utilise un ressort comique déjà vu dans d'autres pièces. Ainsi à la scène 9 de l'acte 3, Lucie pour lui prouver qu'il est en danger demande au vieil homme de se cacher pour apprendre la vérité de la bouche même de Trigaudin. Nous ne pouvons lire ce passage sans penser à Orgon caché sous la table dans *Le Tartuffe* de Molière [64] qui reprenait déjà une situation très courante dans les farces. Cette technique réussit encore malgré tout à provoquer le rire car qu'y a-t-il de plus grotesque qu'un barbon prêt à tout, et même à se ridiculiser, pour les beaux yeux d'une jeune femme. ## Des mots tremplins du rire. Le point fort de ce dramaturge réside essentiellement dans sa manière d'appréhender les mots. Certains termes qu'il emploie et sa façon de les mettre en forme parviennent encore plus à atteindre un effet comique. Loin des chutes et des coups de la farce, Montfleury s'amuse avec les expressions et nous amuse par leur utilisation. Dès les premiers vers de la pièce un parallélisme de construction nous fait largement sourire. En effet, par deux fois [65] L'Industrie interrompt le récit de son maître pour lui demander s'il s'agit bien du portrait de Lucie dont ils sont en train de parler, si bien que par deux fois on trouve les mots « De vostre Femme ? ». Questions qui trouvent par deux fois pour toutes réponses le mot « Paix » [66]. Ces doubles répétitions ont également une double incidence. D'une part elles ont un effet comique certain, et d'autre part elles permettent de briser le rythme d'un récit qui aurait été trop long, ennuyeux, et peu vraisemblable. Ce phénomène de répétitions comiques est également visible à la scène première de l'acte 2 dans laquelle Toinette répond « Et qu'auroit-elle dit ? Elle n'a rien dit [67] » à Valère qui lui demande « Dy-moy, qu'a t-elle dit pendant cet entretien [68] ? ». Le comique tient ici non seulement au fait que le verbe dire est répété quatre fois, mais aussi que ces répétitions s'insèrent dans une longue suite de questions posées par Valère et qui ne trouvent pour toute réponse que le mot « rien ». Valère se trouve également au centre du comique de la scène 3 de l'acte 2. En effet, il pose de longues questions à son interlocuteur Géronte et n'obtient des réponses que par « oui » ou par « non ». Pendant plusieurs vers il l'interroge sur Julie, sans obtenir de vrai réponse. C'est la passivité de Géronte qui est risible ici ; il n'a aucune pitié pour le jeune homme et ne développe son point de vue que parce qu'il est impatienté comme le montre le verbe « Ecoutez », vers 482. De plus, certains termes que Montfleury utilise ont des doubles sens, comme par exemple au vers 135 le mot « bois » qui désigne en réalité les cornes du cocu. Certaines expressions sont le tremplin pour rendre comique une situation. Ainsi à l'acte 4 scène 7, Trigaudin découvre avec stupeur le soi-disant frère de Lucie. Or La Forest, jouant ce rôle dit à un moment [69] qu'il a retenu sa place pour repartir à Orléans ; notre bourgeois se félicite alors rapidement : « Bon, le Beaufrere va nous quitter demain ». Mais sa joie est de courte durée, puisque ces quelques mots « Mais puis que vous voilà, je change de dessein, / Je ne pars plus » anéantissent son espoir de voir partir ce gêneur. Les quatre derniers mots de son « beau-frère » entraînent chez lui une désillusion brutale qui fait sourire le lecteur « Ah je tremble ». À l'acte 5 scène 11, Trigaudin se méprend de nouveau sur les termes et se croit découvert. Lorsque Géronte arrive et l'interpelle en lui disant « Ah lâche amy, sans honneur et sans foy ! [70] » il se demande simplement ce qui arrive à sa victime ; mais lorsque ensuite il est traité de « Fourbe » aussitôt il pense que tout est découvert. L'effet comique réside ici dans le déclenchement de sa réaction. C'est parce qu'on lui a dit ce mot là, qu'il croit que tout est perdu. Mais sa réaction hypocrite – feignant l'ignorance il dit « Qu'avez-vous ? » – devient tellement ridicule, et son enfermement dans sa cupidité tellement grotesque, qu'on rit de lui. L'Industrie, dans une toute autre circonstance, par son attitude et ses mots se rapproche du bouffon quand, scène 7 de l'acte 2, il fait semblant d'obéir à son maître qui lui demande de partir. En effet, malgré la didascalie *Il s'éloigne* le valet dit en partant « je feins de m'éloigner et reviens sur mes pas », ce qui introduit une relation avec le spectateur typique de la comédie. Et surtout, il ne peut s'empêcher de commenter ce qu'il entend. Nous l'entendons alors dire « Peste ! [71] », « voilà, je vous l'avouë un méchant Garnement [72] » ce qui amène la majeure partie du comique dans cette scène qui au premier abord paraît sérieuse puisqu'il s'agit pour Trigaudin de convaincre sa femme de seconder son projet. De même l'innocence avec laquelle il répond à Lucie lorsqu'elle lui demande, scène 9 de l'acte 2, s'il espionnait, ne peut que faire sourire. La simplicité de sa réponse – « d'icy, je venois de m'y mettre » – a plus d'effet cocasse que s'il avait essayé de nier. ## Le déguisement comme moteur comique. Le jeu de rôle mis en place dans cette pièce a introduit, comme nous l'avons vu précédemment, un nouveau ressort théâtral qu'est le déguisement. Il conserve, malgré son importance du point de vue de la dramaturgie, le rôle qui était le sien au dix-septième siècle. En effet, il était tout à fait courant de trouver des héros – hommes ou femmes – qui se transformaient afin de séduire l'être aimé ou parvenir à épouser un amant refusé par un père, et ce surtout dans la comédie . Nous en avons des exemples avec *Le Malade imaginaire* de Molière ou *Agésilan de Colchos* de Rotrou…Il était toutefois possible d'en trouver dans les tragédies – où alors sa signification et son rôle dramatique étaient tout autres – mais le déguisement reste essentiellement un véritable procédé comique du genre considéré comme plus bas. Nous assistons ici à ce que Georges Forestier appelle un déguisement conscient [73] ; les valets La Rivière et La Forêt usurpent deux identités sur l'ordre de leurs maîtres. Pour ce faire, ils prennent d'autres habits et surtout ils surfont leurs langages. Ou plutôt ils tentent de dissimuler leurs qualités de serviteurs sous des phrases pompeuses ; celui qui joue le rôle de Martin Braillart est particulièrement mauvais. Les images qu'il utilise pour parler d'amour – comme nous le verrons un peu plus loin – le rendent ridicule, or l'effet comique est accentué par le fait qu'il porte des habits – la robe et le bonnet – signes de grande sagesse et d'intelligence [74]. Ce qui aboutit alors à un comique de déguisement, c'est-à-dire que « si un personnage ridicule fait rire, un personnage déguisé en personnage ridicule ne fera pas plus rire, mais son jeu qu'on sait emprunté (ou imité) provoquera un plaisir supplémentaire [75] ». Les valets ne sont pas les seuls dont on se moque. En effet, Trigaudin ne reconnaît pas le valet de Géronte – son ami qu'il connaît depuis *dix ans* [76] – et qu'il a certainement déjà du croiser. Dès lors il y a donc « comique de la victime du déguisement [77] » c'est-à-dire « qu'on rit de l'aveuglement de celui qui est incapable de reconnaître le personnage déguisé, et l'on rit du tour qui lui est joué ». Une telle situation permet ainsi l'utilisation de l'ironie verbale. Notre trompeur dupé feint de connaître le père de monsieur Braillart : « J'estois intime Amy de Monsieur vostre Pere, / C'estoit un Avocat fameux, dont les Ecrits… », acte 5 scène 7, ignorant la véritable identité de son interlocuteur. À quoi La Rivière répond en aparté « Il faisoit des Souliers mieux qu'Homme de Paris, / Tres-fameux ». L'ironie de cette « réplique » étant évidemment facilitée par l'aveuglement de Trigaudin. D'autre part, le spectateur mis au courant de la situation, et connaissant les véritables personnes qui se cachent derrière des parures, voit Trigaudin s'enfermer dans son erreur et entraîner ainsi complication sur complication, permises par le travestissement. Ce qui est donc également le moteur d'une des parties comiques de la pièce. Mais son rôle ne se borne pas à ces effets. Il a également une incidence sur la dramaturgie. À partir du moment où les déguisements entrent en jeu, nous assistons à l'arrêt de la progression de l'intrigue pour aboutir – comme nous l'avons déjà vu – à la mise en place d'un simple tour de farce. D'atout comique, il devient alors obstacle à la progression dramaturgique de la comédie. ## Des héros « ridiculement risibles ». Celui qui de toute la pièce est le plus grotesque et le plus ridicule est sans aucun doute Géronte. Le barbon amoureux est par définition un personnage relativement cocasse et destiné à être ridiculisé. Mais ici, Montfleury crée non seulement une sorte de bouffon passionné, mais aussi un imbécile naïf et arrogant, ce qui entraîne bien sûr nombre de situations comiques. Dans la première scène où Géronte nous est présenté, il apparaît parlant seul à un portrait et vantant les qualités de ce qu'il voit. Il semble perdu dans l'amour qu'il a contracté, rappelons-le, non à la vue de Lucie, mais par l'intermédiaire d'une peinture. Ce n'est pas tant le fait qu'il parle au portrait, ni qu'il soit tombé amoureux d'une image, qui est en soi ridicule – Agésilan de Colchos, dans la tragi-comédie éponyme écrite par Rotrou, s'éprend de Diane de la même manière, à la scène 2 de l'acte 1 – c'est le fait que ce soit un vieillard, et non un jeune homme, qui espère susciter de l'amour chez une jeune femme qui rend la situation risible. D'autant que son attitude et ses propos deviennent carrément grotesques lorsqu'il rencontre le modèle, à la scène 6 de l'acte 3. Refusant tout d'abord de croire à ce qu'on lui raconte, il répond à son interlocutrice « Si fait, friponne de mon ame ; / Par pitié pour mes jours recevez mieux ma flâme [78] ». Et atteint des sommets de naïveté lorsqu'il lui promet qu'il répond lui « livrant sa personne, / Des ardeurs d'un Blondin sous un poil qui grisonne [79] ». Grotesque, il l'est également dans l'arrogance et la superbe qu'il veut se donner. En effet, il se vante non seulement de posséder une fort belle bibliothèque, mais en plus il se permet de toiser Valère et de le traiter d'ignorant. Or par cette simple réplique de la scène 3 de l'acte 2, il montre que Trigaudin a raison et que c'est effectivement un imbécile. Voulant donner une leçon à ce jeune « blondin » il commence à lui parler d'Ovide comme d'un excellent philosophe, de Platon comme d'un grand poète, d'Aristote comme du plus grand historien, et de Plaute comme d'un fabuleux orateur. En tentant de se faire passer pour un érudit, il montre en fait son manque d'instruction, et s'assimile par ce fait plus à la catégorie des marchands qu'à la haute bourgeoisie. Comme Monsieur Jourdain, il essaie de se faire passer pour quelqu'un qu'il n'est pas. Le valet La Rivière campe lui aussi, scène 8 de l'acte 4, un personnage ridicule par sa fatuité. Il n'utilise en effet pour s'exprimer – comme nous l'avons déjà dit – qu'une succession d'images sans aucun lien avec la situation. Il parle du cheval de Troie [80] pour parler d'amour, or en exagérant cette image, en la développant ainsi, le serviteur finit par traiter trivialement ce noble sentiment et crée alors un contraste qui donne naissance à un effet burlesque. Effet qui se trouve accentué par la répétition dans cette même tirade du verbe « figurer » ; répété cinq fois ce terme tend à dévoiler que la culture de ce personnages est limitée. De même il évoque les tortures infligées par les anciens [81] pour montrer toute la passion qu'il éprouve pour Lucie ; cette fois encore la comparaison est inappropriée. Le serviteur est bien loin des lieux communs qu'on utilise pour déclarer sa flamme, son exagération est une nouvelle fois source de burlesque. Ce contraste dans les termes, c'est-à-dire l'utilisation d'un style inapproprié pour parler de l'amour, est essentiellement le fait du déguisement. En se travestissant en maître les valets se doivent de prendre la même parlure pour que le personnage puisse être crédible. De ce fait, contrefaisant les manières de cette couche de la société, maître Martin Braillart en exagère les habitudes. En créant un tel avocat, Montfleury a non seulement pu engendrer un nouvel effet comique, mais il a aussi glisser une satire à l'encontre de ses contemporains. # Une critique de la société. Contrairement à son très célèbre concurrent, Montfleury ne s'est pas attaché à décrire et critiquer un type, un caractère, comme l'avare. Il a malgré tout glissé certaines piques envers diverses catégories sociales et même contre des institutions. Sa proie préférée dans cette pièce semble avoir été la justice. Non seulement il crée un faux avocat, ridicule dans sa diction et dans l'amour qu'il feint de porter à Lucie, mais en plus il intègre dans plusieurs passages une critique farouche, voire cynique, de ce métier. Dès la scène d'exposition notre dramaturge ironise sur le fils de Trigaudin, puisqu'il fait dire de celui-ci qui est avocat, « Il est bruyant, actif, aspre au gain, grand hableur, / Fort propre à son Mestier il faut qu'on le confesse [82] ». Il atteint le paroxysme du cynisme lorsqu'il rétorque à Lucie, qui ne veut pas entendre parler de son dessein, « Pend-on les Avocats, pend-on les Procureurs, / Qui font mourir de faim les trois quarts des Plaideurs [83] ». Leurs mœurs et leurs langages, ainsi que leurs réputations, sont même passés en revue à la scène 8 de l'acte 4. Montfleury a repris ici l'un des thèmes habituels de la comédie du XVII*e* siècle. À la suite de Racine qui, en 1668, créa *Les Plaideurs*, notre auteur s'amuse à tourner en ridicule cette instance. En introduisant un faux avocat déguisé – ceci symbolisant par excellence le théâtre – jouant un rôle, et en lui faisant tenir des propos dignes de vrais plaidoyers [84] Montfleury crée de la même manière que son prédécesseur une « analogie entre l'activité théâtrale et la justice pour dénoncer celle-ci [85] ». C'est également un moyen pour lui d'apporter plus encore d'élément comique à la pièce. En choisissant de faire du prétendant un avocat, notre auteur renforce l'ironie mise en place à l'encontre de Trigaudin. Si on avait opposé à celui-ci un simple bourgeois, sa réaction aurait eu moins de poids et surtout l'effet aurait été moins cocasse. En effet nous savons depuis le début de la pièce [86] le peu d'estime qu'il porte à cette catégorie si bien que le fait que ce soit un homme de justice – qu'il devrait craindre vu ses projets – qui vienne lui mettre des bâtons dans les roues accentue davantage le côté burlesque de la situation. L'institution sacrée qu'est le mariage est également mise ici en question. Le dramaturge crée en effet un personnage pour qui le mariage n'a finalement que peu de valeurs puisqu'il est prêt à remarier sa propre femme. Nous noterons d'ailleurs, à la suite d'Edward Forman [87], que beaucoup de ses pièces parlent de ce lien matrimonial. « Les sujets et les titres des pièces montrent l'intérêt que Montfleury prend à des situations équivoques qui ont rapport au mariage ou à la sexualité : on serait presque tenté de parler d'obsession ». Nous pensons que la critique implicite faite dans cette œuvre n'est pas due à des intérêts personnels, mais qu'elle est liée au théâtre. En effet en faisant de Trigaudin un protagoniste injurieux des règles sacrées, le dramaturge renforce la fourberie de celui-ci ; il en fait un gredin tout à fait détestable n'ayant aucun respect ni pour l'amitié, ni pour l'amour, ni pour la religion. Par ces traits, il accentue le caractère de ce personnage et tente ainsi de tendre le fil conducteur de toute la pièce : le manque absolu de conscience et de morale chez son héros. Il insiste également avec lourdeur sur un thème que l'on a souvent reproché à Molière. En effet le cocuage est présent dans toute la pièce, ou plus exactement c'est la menace de celle-ci qui plane sur la trame. Celui de Géronte est d'ailleurs très clairement évoqué par Toinette à la scène 2 de l'acte 1. Non seulement son maître en a déjà été victime comme elle le laisse entendre des vers 158 à 159, mais il semble aussi destiné à l'être éternellement puisqu'elle dit « Et s'il se marioit cent fois, je gagerois / Ma teste, que Monsieur seroit Cocu cent fois [88] ». Montfleury semble apprécier ce thème puisqu'il a crée une pièce *L'École des jaloux, ou le Cocu volontaire* qui repose essentiellement sur celui-ci. Il semble même être très railleur vis à vis des cocus puisque dans l'épître dédicatoire de cette pièce, il leur dit En vous dédiant ce livre, je suis assuré, quant aux exemplaires, que si chacun de vous en achète un, le libraire sera riche à jamais, et que si le quart de ce que vous êtes me fait des remerciemens, j'ai des complimens à recevoir pour plus de six mois. D'autres petits jugements apportent, en revanche, plus d'humour à la pièce sans pour autant chercher véritablement à railler certains types sociaux. Ainsi nous n'échappons pas dans cette pièce à l'habituelle plaisanterie sur les médecins avec ce vers de Trigaudin « Pend-on les Medecins, qui tous les jours en tuënt ? [89] » de même que parlant de son fils cadet il ajoute c'est une pauvre espece, Il ne sera jamais qu'un Asne, & ne vaudra… Je l'ay fait Medecin à cause de cela [90]. Mais ce sont là des plaisanteries si classiques qu'elles en perdent leur mordant ; elles sont devenues banales et surabondent dans beaucoup de comédie comme dans *Le Malade imaginaire*. La jeunesse n'est pas non plus oubliée par Montfleury. C'est une nouvelle fois par l'intermédiaire de Géronte qu'on découvre un certain nombre de reproches faits aux jeunes hommes. Ils sont accusés d'être devenus trop coquets, ils font consister le bel air dans leurs contorsions ; (…) et portent chez tous ceux qui les trouvent commodes, La charge d'un Mulet du fatras de vingt modes [91]. Ils seraient également devenus plus grands parleurs qu'habiles acteurs, préférant jouer aux cartes et courtiser les belles qu'aller se battre [92] comme il est dit à la scène 3 de l'acte 2. Mais il faut signaler que ce sont là encore des thèmes habituels, qui se trouvaient déjà présents dans la commedia dell'arte – avec le personnage de Pantalon « nostalgique des valeurs du passé [93] » – de même que chez Racine et ses *Paideurs* dans laquelle Dandin, scène 4 de l'acte 1, critique son fils dont « Chacun de ces rubans lui coûte une sentence. » Dans le choix de ces satires, et dans la manière dont il les met en forme, Montfleury ne fait preuve d'aucune originalité. La modernité qu'il avait semblé montrer dans le choix de son sujet s'annihile ; il échoue en s'inscrivant dans la continuité de ses contemporains, incapables de renouveler la comédie. # Des héros peu attachants. ## Trigaudin. Personnage éponyme de la pièce, il est celui contre lequel le spectateur s'insurge. Sans morale, il ne respecte ni femme, ni ami, ni religion, sa seule valeur étant celle de l'argent. Sa cupidité se trouve d'ailleurs au centre même de la trame. C'est sur elle que toute la pièce repose et c'est à cause d'elle que l'action démarre. Poussée à l'extrême, elle fait de Trigaudin un assassin en puissance et c'est là une nouvelle manière de traiter ce thème. En effet, Molière, ou d'autres, ont développé la pingrerie de certains de leurs personnages – rencontrée déjà chez Pantalon, protagoniste de la commedia dell'arte – pour en faire des comédies de caractère comme *L'Avare*. Montfleury lui ne s'en sert que comme prétexte à l'action, puisque nul part – hormis dans son projet – l'argent n'est évoqué. Cette motivation sous jacente permet de mieux cerner son caractère. En tout premier lieu, elle permet de remarquer la violence du personnage. En effet, divers points montrent que c'est effectivement un homme dangereux. Il n'hésite pas ainsi à menacer Lucie, à la scène 8 de l'acte 2, d'une part par les mots, ou plutôt l'interruption de son discours qui est lourde de sens : « Faites-luy bonne mine, autrement… » et qui s'accompagne d'un geste noté en didascalie *Luy montrant une Boiste*. Cette interruption et ce geste ont plus d'impact sur le spectateur car on ne sait pas exactement de quoi il menace Lucie, nous ne pouvons nous perdre qu'en conjectures puisque cette boîte peut aussi bien contenir le poison que des papiers ennuyeux pour Lucie – nous rappelons que ces deux personnages sont liés par autre chose que le mariage puisque celle-ci dit « Mon ame est trop sensible à la reconnoissance, / Pour oublier jamais… » – ou bien encore autre chose. De même il la menace une nouvelle fois à la scène 5 de l'acte 3 aux vers 837-838 puisqu'il dit « Ne faites pas l'Idole, / Autrement… ». Là encore son discours est interrompu, comme si la menace était en elle même trop terrible pour être prononcée. En se conduisant ainsi avec les autres, Trigaudin tente d'afficher une certaine supériorité. Supériorité face à L'Industrie qu'il menace de frapper « crains que de cent coups… » [94] ou face à Toinette qu'il avertit d'un « une autre fois soyez sage ; autrement… » [95] ; il se présente ainsi comme le maître incontesté et montre alors énormément d'assurance. À cela s'ajoute un caractère rusé. En effet pour ne pas se mettre Valère à dos, à la scène 2 de l'acte 3, il se montre couard face au jeune homme. Il lui dit ainsi que s'il épousait Lucie ses « jours, cet Hymen terminé, / Courroient risque… » [96] ; mais on peut douter de la sincérité de sa crainte puisque certains de ses propos peuvent être pris ironiquement. En effet, il qualifie Valère d'« Homme aussi terrible », or l'on n'a absolument pas l'impression d'être face à un jeune homme dangereux vue l'attitude qu'il a eu jusqu'à présent dans la pièce. Si ironie il y a, elle est également renforcée par le « bon, cela saute aux yeux » de Trigaudin. Il est peu probable que, tout à coup, Valère soit devenu aventureux. Il semble que notre bourgeois ait voulu se défaire rapidement de cet interlocuteur, et s'est donc tenu au rôle que le jeune homme attendait certainement de lui. Ceci fait preuve d'une certaine rapidité intellectuelle. Montfleury l'utilise non seulement du point de vue dramatique – Trigaudin réagit immédiatement en voyant Géronte amoureux du portrait – mais aussi du point de vue stylistique. Elle est en effet pour notre auteur un moyen de s'amuser avec les alexandrins. Ainsi à la scène 3 de l'acte 1 il déstructure ceux-ci en enchaînant courtes questions et courtes réponses : « Quoy, ses yeux… / T : Sont plus grands et plus doux. G : Son teint ? T : Est bien plus beau… », ce qui accélère le rythme de la scène et montre la tension des deux personnages – Géronte qui est animé par l'amour et le désir, et Trigaudin qui veut séduire encore plus sa proie pour ne pas la perdre. Tout cela contribue à donner un sentiment de domination sur les autres personnages ; personne n'a encore réussi à le déstabiliser, si bien qu'il continue la mise en place de son vil projet. Pas un moment il ne pense qu'il peut échouer, et a réponse à toutes les objections de Lucie : épousant nostre Dupe, Il faut qu'absolument vostre adresse s'occupe A faire la Malade, afin que ce moyen Assure en mesme temps vostre honneur & le mien, Tandis que de ma part je sçaurois le résoudre A lui faire avaler douze grains d'une Poudre. Il ne fait preuve de doute qu'une seule fois, lorsque les entraves à son dessein deviennent de plus en plus nombreuses, c'est-à-dire à la scène 10 de l'acte 4, où il « tombe de son haut » et où « tout l'alarme, & tout le desespere », il ne sait « que résoudre », ni « que faire » [97]. Pourtant, malgré cela il continue son projet, toujours parce qu'il a une importante confiance en lui-même, et qu'il se montre ainsi vaniteux. C'est là sa principale erreur ; c'est parce qu'il a trop foi en son projet et qu'il est sûr de son emprise sur Lucie qu'il se fait piéger, malgré sa ruse. Trop confiant, il devient trop crédule et permet ainsi la mise en place du plan. Dès lors on peut rire de sa naïveté « Qu'il est dupe ! Allons voir…Mais ma Femme paraist » [98]. La trame se renverse et au lieu d'avoir un personnage principal engendrant l'action, nous sommes face à un personnage qui la subit. Son comportement et sa morale font qu'il nous est antipathique, et que nous rions donc de lui, et non avec lui. Pourtant, même dans son erreur il montre quelque signe d'intelligence et a conscience que Martin Braillart n'est qu'un fat et qu'un ignorant comme il le dit à la scène 8 de l'acte 4, puisqu'en aparté il signale que « Martin Braillard n'est qu'un Sot, une Beste, / Qu'il garantit tel des pieds jusqu'à la teste » [99]. Enfin, il fait preuve d'une certaine dose de culot. Le dénouement devrait montrer la condamnation de Trigaudin, or la comédie entraîne un dénouement heureux, si bien que celui-ci doit être pardonné. Pour ce faire Montfleury garde, pour ce personnage là, la continuité de son caractère. C'est-à-dire que Trigaudin s'étant montré jusqu'à présent très sûr de lui, il reste le même dans cette situation *a priori* néfaste pour lui. En effet, en mettant sur le même plan les deux tours joués dans cette pièce il se montre plus malin que Géronte et toujours très optimiste dans la conclusion de cette affaire. « Je veux oublier ce tour dés cet instant, / Pourveu qu'en ma faveur Géronte en fasse autant [100] » montre qu'il a renversé les rôles et qu'il a fait des autres personnages les vrais coupables de la pièce. Ce personnage ne peut donc être aucunement apprécié car jusqu'au bout il niera ses torts et se montrera ainsi détestable jusqu'à la fin. ## Géronte. Montfleury a créé, avec ce personnage, un barbon parfaitement ridicule dans son rôle d'amoureux. En effet, il parle de Lucie sans arrêt et ce, même lorsqu'il est seul à la scène 4 de l'acte 1. Le fait qu'il puisse espérer inspirer de l'amour à une belle jeune femme le rend comique et naïf. Toutefois il est important de noter qu'un brin de lucidité apparaît chez lui lorsqu'il propose cent mille francs à la femme de Trigaudin pour l'épouser. Par cela il semble se rendre compte du grotesque de sa situation. Grotesque, il paraît l'être dès le début de la pièce. Les différents propos tenus à son égard par Trigaudin et Toinette [101] tendent à faire de lui un assez pitoyable portrait avant même son entrée en scène. Ainsi nous apprenons qu'il passe énormément de temps dans une bibliothèque remplis de livres et d'objets aussi divers que variés ; que malgré tout, ses voisins ne croient pas à son érudition [102]. Montfleury semble s'inspirer pour ce personnage des différents *dotore* de la commedia dell'arte. Comme ses prédécesseurs, Géronte – dont le statut de barbon est non seulement révélé par son nom qui signifie « le vieillard », mais aussi par les indications données textuellement par L'industrie, choqué de sa réaction face au portrait de Lucie [103] et par Trigaudin qui nous révèle qu'ils sont « amis » depuis « près de vingt ans [104] » – est ce savantissime docte qui se révèle être « surtout un cuistre patenté, un imbécile fieffé, un ignorantissime crétin qui estropie le latin, l'hébreu et le grec avec un égal talent » [105]. Il présente également quelques ressemblances avec Pantalon puisque comme celui-ci il fait preuve d'une « morale conservatrice » ainsi que le montre sa réaction face à Valère, des vers 482 à 502. De même, Toinette montre qu'il a déjà été marié à une femme qui avait semble-t-il quelques galants. Si bien que cet homme incarne dès le début de l'action le stéréotype du barbon cocu et trompé par tous ceux qui l'entourent. Dès lors on pourrait penser que le spectateur serait tenté d'éprouver de la sympathie ou au moins un peu de compassion pour ce personnage, mais sa naïveté – plus proche encore de l'imbécilité – son attitude, son obstination dans l'erreur et surtout son mépris et sa vanité font que Géronte n'inspire aucun de ces sentiments là ; on a plus envie que Trigaudin échoue plutôt que Géronte ne soit sauvé, ce qui est une fois de plus relativement paradoxal. Mais ce paradoxe peut notamment s'expliquer par le manque de continuité de ce caractère. En effet, Montfleury le fait évoluer ou régresser selon ses besoins. Il le rend naïf et grotesque face à Lucie à la scène 5 de l'acte 3 pour pouvoir développer un double niveau de langue ; une fois informé du projet de Trigaudin il en fait un protagoniste réaliste et même ingénieux puisque c'est lui qui est à l'origine du quiproquo de la scène 11 de l'acte 5 ; il redevient ensuite le même personnage stupide puisqu'il pardonne à son ami – cette dernière fluctuation étant constitutive du genre. ## Lucie. Nous avons déjà dit que la jeune femme est moins coupable que le modèle dont s'est inspiré Montfleury. Pourtant elle ne nous paraît pas être aussi innocente que cela. En effet, d'après les propos tenus par L'Industrie, qui nous signale qu'elle était certainement assez pauvre, nous pouvons nous demander si son mariage avec Trigaudin n'a pas été pour elle un mariage d'intérêt. Que peut donc trouver d'attirant chez un barbon une belle femme comme elle semble l'être ? Le fait que cette union l'ait dégagée d'une part de l'emprise de son frère et que d'autre part, elle lui apporte un nouveau statut justifierait son attirance pour notre bourgeois. D'ailleurs ses paroles « Mon ame est trop sensible à la reconnaissance, / Pour oublier jamais… [106] » font penser qu'il s'agit plus d'un mariage arrangé que d'un mariage d'amour. D'autant plus que durant toute la pièce son but premier sera de révéler cette union au grand jour. D'autre part ses promesses faites par « amour » : « Plus l'effort sera grand, plus j'impute à bonheur / Le moyen de pouvoir vous prouver mon ardeur [107] » sont vite oubliées, même si l'on comprend tout à fait pourquoi. Présente dans 15 scènes, elle est évoquée tout au long de la pièce. Son apparition est longuement préparée puisqu'elle n'entre qu'à la scène 8 de l'acte 2, alors que tous en parlent depuis le début de l'acte 1. L'obstacle essentiel qu'elle oppose au projet de son mari est sa vertu. Ce sera tout au long de la comédie le point qu'elle accentuera et auquel Trigaudin échappera par diverses pirouettes. Le principal intérêt de ce personnage est que toute la pièce tourne autour de sa personne. C'est elle l'objet central de cette comédie, dont il est bon de signaler que c'est la seule dont il est fait une description physique. En effet, Géronte demande à son ami de lui décrire sa « cousine ». Dès lors nous apprenons qu'elle a de grands yeux doux, une bouche vermeille, une gorge bien blanche, qu'elle a un esprit délicat…Cet état de fait se justifie car c'est sa personne qui est convoité par deux prétendants, il est donc de bon ton de savoir ce qu'elle a de si attrayant. Il faut signaler qu'elle possède également un excellent talent d'actrice au vue de son comportement face à Géronte en présence de Trigaudin. Elle accepte de manière totalement naturelle les compliments qu'il lui fait à l'acte 3 tout en répliquant de manière laconique. Nous pouvons d'ailleurs signaler le fait que dans ses réponses elle parle de son mari sans que l'autre n'en devine rien. Il semble y avoir une véritable ruse de sa part, puisque ses paroles véhiculent un double message. Disant Vous avez eu raison, J'ay reçeu de sa main un Époux que j'honore, Qui m'aime, & dont le cœur… [108] elle veut bien évidemment parler de Trigaudin et non pas de Géronte. Tout son jeu dans cette scène réside dans le fait que pour s'adresser à son interlocuteur, Lucie ne le vouvoie pas, mais utilise la troisième personne du singulier. Ainsi le barbon peut croire que c'est par timidité, ou déférence, qu'elle ne lui parle pas directement, alors qu'en fait son discours s'adresse à la troisième personne présente, c'est-à-dire son vrai mari sans que celui-ci semble même s'en rendre compte. Sa ruse se dévoile également dans sa manière de forcer Trigaudin à reformuler son plan pour que son prétendant caché puisse l'entendre. Elle mène la discussion en posant des questions – dont elle connaît déjà les réponses – comme si elle attendait une confirmation des attentions de son mari. À ce moment précis de la pièce elle lui joue déjà un tour. Pour tenir Géronte à distance la jeune femme se montre assez brusque. En effet c'est par une phrase violente qu'elle refuse ses avances : « En vain vous prétendez devenir mon Époux, / Ne vous en flattez plus, je ne puis estre à vous [109] ». Elle semble donc avoir un caractère assez fort, comme celui des femmes de la commedia dell'arte, d'autant plus qu'elle ose contrecarrer les projets de son mari sans trop craindre sa réaction. Lucie est également importante du point de vue de la progression de l'action car c'est grâce à elle que le faux beau-frère est introduit. C'est elle qu'il vient saluer, en toute logique. Pourtant elle essaiera toujours de faire renoncer Trigaudin ; à chaque occasion elle tentera de lui faire abandonner son projet. Mais son comportement par moment faux avec Géronte ou Trigaudin, le fait qu'on ne connaisse pas vraiment ses motivations et qu'on doute de son attachement véritable à son mari font que ce n'est pas non plus un personnage attachant. ## Les serviteurs. Selon qu'ils soient homme ou femme leur importance varie d'une pièce à l'autre. Dans cette comédie il est donné la part belle au valet plutôt qu'à la servante. Celle-ci sert avant tout à éclaircir certaines situations, ou à en entraîner d'autres. Elle apporte également quelques pointes humoristiques à cette comédie. Présente dans 5 scènes seulement, Toinette sert avant tout d'intermédiaire et de pondérateur dans le couple formé par Julie et Valère. Elle incarne donc le type stéréotypé de la servante là pour faciliter les amours des jeunes gens. C'est en effet elle qui essaie de calmer, comme nous l'avons vu, Valère et qui le force à réagir. D'elle nous ne savons que peu de chose hormis qu'elle est au service de Géronte depuis assez longtemps puisqu'elle a connu sa femme. Nous pouvons également dire qu'elle est jalouse de Lucie, dont son maître est amoureux, car elle la critique vivement sans la connaître et que d'autre part, elle aurait aimé prendre sa place. Ses mots « Je me connois bien, & ne jurerois pas, / S'il vouloit m'épouser, qu'il n'en eut… [110] » montrent soit qu'elle est intéressée par la nouvelle situation que cette union lui apporterait, soit qu'elle aime effectivement le vieil homme. Comme toute servante de comédie elle semble peu de cas du respect et de la retenue que l'ordre hiérarchique imposerait ; ainsi elle parle franchement à Trigaudin à la scène 2 de l'acte 1 et que de plus pour motiver Valère elle lui dit : Ma foy, si Trigaudin me chassoit de ces Lieux, Comme Dieu m'a donné du penchant au vacarme, Je ne partirois pas sans luy donner l'alarme [111]. Les valets ont eu un rôle beaucoup plus prépondérant car c'est de leurs attitudes que dépend la réussite ou l'échec du tour joué à Trigaudin. Même si on leur a dicté une certaine marche à suivre, ils ont une certaine autonomie dans le jeu puisque ce sont eux qui créent les personnages qu'ils interprètent. L'Industrie est au commencement de la pièce le personnage mis en position de confident ; c'est par sa présence que la scène d'exposition est rendue possible. C'est également par ses questions qu'on apprend les circonstances du mariage de Trigaudin, la manière dont Géronte a découvert Lucie… Il a donc déjà par là une responsabilité essentielle dans la progression dramatique. Mais son statut ne se borne pas à cela. Il a en effet un rôle absolument déterminant, car c'est lui qui trouve le moyen de tendre un piège à son propre maître. Il renforce d'autant plus cette importance en élaborant lui-même la mise en place du plan ; il s'inquiète en effet scène 2 de l'acte 4 de savoir si Géronte a fait chercher les habits et surtout il demande : Où prendrons-nous un Aigrefin bien dru, dont la mine soutienne Ce que nous prétendons [112]… De même c'est encore lui qui montre à Lucie l'opportunité qu'elle a de tout révéler à son nouveau prétendant : Madame, le hazard le force à vous quitter, C'est une occasion dont il faut profiter ; Vous sçavez [113]… C'est lui qui fait entrer en scène le valet La Forêt à la scène 7 de l'acte 4, puisque caché dans une entrée il dit « La Forest, la voilà, va luy donner l'aubade ». C'est également lui qui vient prévenir Trigaudin que son « beau-frère » est parti marier sa femme à Martin Braillart à la scène 12 de l'acte 5. C'est donc lui qui est le véritable moteur de certaines actions, et c'est visiblement à lui que Montfleury donne le soin de faire progresser la pièce. D'ailleurs son nom même montre qu'il s'inscrit dans la lignée d'un Sganarelle ou d'un Scapin ; en effet le mot industrie désigne « l'habileté, l'ingéniosité » [114]. Son franc-parler apporte également une pointe d'humour à la comédie, de même que sa ruse. Nous avons déjà évoqué le fait qu'il se cache pour espionner son maître si bien que nous nous attacherons ici aux mots qu'il emploie. Dès la scène 1 de l'acte 1 son aparté face à Trigaudin : « Ma foy, je pense que mon Maistre / Devient fou » donne une situation cocasse à la scène et permet surtout de commencer le récit du mariage clandestin qui s'est fait à Orléans. C'est à cause de son incompréhension que le bourgeois dit « Parle-moy d'autre chose, ou bien songe à te taire [115] ». Son *a priori* sur Lucie est également amusant puisqu'il en fait un petit jeu de mot : « La Cousine plus riche en appas qu'en monnoye, / N'a de fond que je croy, qu'un fort grand fond de joye [116] ». Les commentaires qu'il fait lorsqu'il apprend secrètement le projet de son maître « Peste ! [117] », « Voilà, je vous l'avouë un méchant Garnement [118] » ou bien encore « Le grand pendard de Maistre que j'ay là ! [119] » contribuent également à apporter une pointe burlesque à une scène qui aurait été par trop sérieuse. D'autre part, à la scène 2 de l'acte 4 il se méprend sur le nom du valet de Valère. En effet, celui-ci propice au jeu de mots, entraîne l'interrogation de L'Industrie : « Qu'est-ce que La Forest ? ». L'effet comique réside dans l'utilisation de *qu'est-ce* au lieu de *qui est-ce*. L'Industrie est donc le valet qui a le plus d'importance au sein de cette comédie car il apporte à la fois une touche humoristique et surtout il est à la base de l'évolution dramatique. Et c'est également le personnage le plus sympathique car il ne devient hypocrite que pour faire échouer le projet de son maître. Il ne faut pas, néanmoins, sous-estimer l'importance des deux autres valets, sans qui le tour joué à Trigaudin n'aurait pu avoir lieu. On apprend que La Rivière a été au Collège et clerc chez un procureur, c'est donc véritablement la personne appropriée pour jouer le rôle d'un avocat – comme L'Intimé dans *Les Plaideurs* qui répond à Léandre, à la scène 2 de l'acte 2, insinuant que Petit-Jean et lui sont deux ignorants, « Non pas, Monsieur, non pas / J'endormirai Monsieur tout aussi bien qu'un autre » – mais son éducation semble loin, ce qui entraîne diverses situations comiques, notamment du point de vue de son jeu verbal. En effet il lui reste quelques bribes de latin, si bien qu'il fait des – fausses – citations au détour de chaque phrase ; dès lors cela en devient ridicule. De même que les expressions qu'il emploie pour déclarer sa « flamme » à Lucie, comme nous l'avons déjà dit. Ses phrases sont pompeuses et à rallonge ; il multiplie les subordonnées relatives et conjonctives au sein de la même tirade, comme par exemple acte 4 scène 8 : Si de vous saluer je n'ay pas eu l'honneur, Du moins en bon Parent, faites-moy la justice, De croire en ma faveur, qu'aux offres de service Que mon zele vous fait, je prétens joindre encor Tout le respect pour vous, qu'on eust pour le Veau d'Or. De même c'est certainement lui qui a les répliques les plus longues, préférant des réponses développées, et rendues grotesques par certains propos, à des réponses brèves et directes. D'autre part, jouant un avocat, et, nous le rappelons, ayant travaillé chez un procureur, il emploie des formules d'apparence judiciaire comme *la* « Loy Nuptia [120] », « *paragrapho neque* [121] », il fait même un véritable plaidoyer pour convaincre Trigaudin qu'il a bien l'intention d'épouser Lucie malgré le risque qu'il a d'être trompé par sa femme. Il construit son discours à la scène 7 de l'acte 4, et fait une vraie démonstration. Il commence par énoncer la thèse qu'il va développer : « Un avocat doit prendre une Femme [122] », puis du vers 1593 à 1598 il évoque une sorte de loi ancestrale : C'est pour un Avocat un nœud si necessaire, Que qui peut l'éviter, dément son caractere Et son devoir. Ensuite il passe aux raisons pour lesquelles il est inévitable qu'un homme de justice se marie, des vers 1559 à 1608. Pour finir, il réfute l'affirmation de Trigaudin pour qui le métier d'avocat est propice à l'adultère. Mais ses propos sont ridiculisés par son argument final : Si la Belle, malgré toute ma prévoyance, Me destine à porter du bois à l'Audiance, (…) Je me consoleray de pouvoir me flatter Du plaisir de me voir, par des Loix necessaires, Semblable à quantité de Messieurs mes Confreres. Si bien que les mots qu'il emploie surfont son langage, d'autant plus qu'ils sont pour la plupart erronés et par-là vides de sens. Le rôle de La Forêt est à peu près parallèle à celui de La Rivière, à cela prêt qu'il n'est pas autant déguisé. En effet, on ne nous dit pas qu'il s'est travesti, même si l'on se doute qu'il n'est pas apparu avec sa livrée. Il est chargé de mettre en place la « pièce » jouée à Trigaudin et d'introduire le personnage de maître Braillart. Nous tenons à signaler que notre bourgeois ne connaît pas son vrai beau-frère car celui-ci était absent d'Orléans lors du mariage et que de plus celui-là s'est fait secrètement ; si bien que l'entrée d'un faux beau-frère est tout à fait plausible. L'individu choisi pour cela ne risque pas non plus de faire échouer le piège puisqu'il s'agit d'un valet de chambre de Valère, que le mari de Lucie connaît visiblement assez peu. Son vocabulaire est peu soutenu ; il emploie en effet par exemple « timbré », au vers 1315, pour parler de son ami avocat. Or le dictionnaire de Richelet nous dit que « c'est un mot burlesque qui n'entre que dans la conversation et le style comique [123] ». Mais ses répliques sont peu nombreuses et relativement courtes, si bien qu'elles présentent dans leurs formes peu d'intérêt. En revanche, il est important de noter que c'est lui qui pousse Trigaudin à avouer son mariage à l'acte 5 en lui demandant directement « Vous estes donc, Monsieur, son Epoux à ce compte ? [124] ». ## Le jeune couple Julie/Valère. Si le personnage de Valère permet de découvrir le caractère de différents protagonistes – comme nous l'avons évoqué précédemment – celui de Julie a nettement moins d'importance. La jeune femme ne semble être présente que pour que le jeune couple aux amours contrariés, attendu dans la plupart des comédies, puisse être formé et que le mariage qui doit conclure ce genre soit évoqué. La nièce de Géronte n'est visible que dans 5 scènes et son rôle est très limité. Elle permet que soit introduit l'habituelle scène où il y a méprise sur le futur mari. Comme Agnès dans *L'École des Femmes*, Julie croit, à la scène 5 de l'acte 1, que son oncle va la marier à l'homme qu'elle aime, c'est-à-dire Valère. Dès lors elle vante les mérites du mariage, mais lorsqu'elle apprend que Géronte parle en fait de Trigaudin et non de son amant, elle prend une attitude hypocrite et réfute l'union en prétextant que « L'Hymen a tous les jours des suites si fâcheuses [125] ». Elle montre ici peu de caractère puisqu'elle n'avoue pas véritablement qu'elle en aime un autre, elle ne s'oppose pas directement à cette union, et c'est ce que lui reprochera deux scènes plus loin celui qu'elle souhaiterait épouser : Si cette Loy vous eust fait violence, Ce cœur en ma faveur eust rompu son silence (…) vous en avez reçu l'ordre sans murmurer [126]. Pourtant elle semble prendre plus d'assurance lorsque son amant est à ses côtés car elle se permet de donner une leçon à Géronte, à la scène 1 de l'acte 4, puisqu'elle lui dit ouvertement qu'il est trop naïf et facile à berner. De même que l'utilisation de l'impératif des vers 405 à 409 évoque une certaine supériorité de la maîtresse sur son amant. Elle lui ordonne, ni plus ni moins, de se battre pour elle. En cela, il subsiste en elle quelques bribes du caractère des jeunes filles de la commedia dell'arte, qui menaient « leurs amants avec un art consommé de l'intrigue et de la diplomatie » [127]. Mais malgré tout, c'est un personnage qui n'apporte rien à la progression dramatique et dont le rôle ressemble plus à de la figuration. Elle n'entraîne que peu de scènes amoureuses – si l'on peut les qualifier ainsi – car les entrevues entre les deux amants sont rares et s'apparentent plus à des querelles qu'à de véritables transports passionnés. L'amour n'a semble-t-il que peu d'importance dans cette comédie. Valère, dont il nous est fait un « portrait » – comme nous l'avons déjà vu – par Géronte, permet quant à lui de dévoiler certains côtés des personnalités de ses interlocuteurs successifs. En effet, c'est parce qu'il va menacer Trigaudin que celui-ci se montre couard ; c'est parce qu'il tente de faire changer d'avis l'oncle de sa bien aimée qu'on découvre que celui-ci est loin d'être savant et n'est qu'un fat arrogant. Mais il ne semble pas être un jeune homme très courageux non plus, car il aurait voulu que sa fiancée se défende elle-même face à son tuteur. Il serait d'ailleurs prêt à prendre la fuite si Toinette, la servante, ne le retenait pas : Pour moy, qui sans souffrir une douleur mortelle, Ne puis voir cet Hymen, je veux m'éloigner d'elle ; Je veux quitter ces Lieux où tout me fait horreur [128] ». (…) T : Gardez-vous bien de la quitter, vous dis-je. Ce n'est pas non plus de son propre fait qu'il va trouver son rival, c'est parce que cette femme le lui suggère : Je vous le dis tout net, Monsieur, j'irois le voir, & luy dirois son fait ; Et que si son amour à cet Hymen s'obstine, Je sçaurois [129]… Il semble conserver le rôle galant de l'amant, c'est-à-dire soumis aux volontés de sa belle, mais en le ridiculisant par son manque de combativité et de ruse. D'ailleurs il semble être également un piètre négociateur, puisqu'il n'oppose à l'oncle de Julie que la valeur de l'amour qu'il éprouve pour celle-ci sans tenter de vanter ses propres qualités. Même la flatterie – ou l'ironie – qu'il use à son égard : Monsieur, n'est pas Docte qui veut. Si je balance un jour sur le choix d'un bon Livre, Vos avis sont des lois que je pourray bien suivre [130] échoue à convaincre son « adversaire ». Toutefois son implication ne s'arrête pas là puisqu'il a également un petit rôle dans la progression de l'action. C'est lui qui trouve en effet celui qui sera le second valet pour tromper le mari de Lucie, c'est-à-dire La Forêt. Le caractère effacé de ces personnages et leur attachement peu montré ne nous les rendent pas spécialement sympathiques. Même si leur amour est menacé par une hypothétique union entre Julie et Trigaudin, le fait que nous les voyions si peu ne nous lie pas à leurs destins, et nous avons véritablement l'impression qu'ils ne sont présents que pour que la pièce se termine par un mariage. # Vers une analyse stylistique. Notre propos n'est pas ici de réaliser le même travail que celui fait par Gabriel Conesa sur Molière [131] ; nous nous attacherons en effet essentiellement à montrer de quelle manière Montfleury a appréhendé le texte, comment il l'a construit, quels moyens stylistiques il a mis en œuvre pour créer la pièce et les personnages. Outre les paroles qu'il fait dire par ses protagonistes, l'auteur a à sa disposition divers procédés verbaux ou non qui lui permettent d'accentuer tel ou tel point de son discours. ## Les éléments non verbaux. Le texte d'une pièce de théâtre est généralement écrit dans le but essentiel d'être représenté sur scène avant d'être publié. L'auteur crée des personnages, les nomme, les mets dans certaines situations, leur crée un discours, mais indique rarement quels mouvements ils doivent faire. Si bien que lorsqu'en didascalie ou intra-textuellement on apprend que tel protagoniste a fait quatre pas vers l'autre, qu'il lève un bras, qu'il secoue la tête etc., ces gestes, *a priori* insignifiants, prennent une dimension toute autre. D'une part ce sont des indications essentielles pour un hypothétique metteur en scène et d'autre part c'est un moyen d'accentuer soit le discours du personnage, soit son caractère, et parfois également de faire la liaison entre deux scènes. Le rôle que joue un geste n'est donc pas uniquement ornemental. Montfleury parsème sa pièce – de manière plus ou moins naturelle – d'indications gestuelles. Mais elles servent ici davantage à créer une sorte d'unité entre deux scènes successives qu'à aider à la mise en scène du texte. En fait, notre auteur utilise principalement ses personnages pour créer un lien visuel lors d'un changement de scènes, et pouvoir ainsi justifier d'une progression dramatique, plutôt que pour donner des détails sur leurs postures ou leurs physionomies. En effet nous remarquons que les protagonistes de *Trigaudin* signalent souvent qu'ils voient un personnage approcher. Ainsi à la scène 2 de l'acte 2 Toinette déclare en parlant de Géronte : « Je l'aperçoy qui sort [132] », si bien qu'une nouvelle scène peut commencer entre Valère et ce même Géronte puisque l'apparition de celui-ci a été justifiée par les propos de la servante. Il en va ainsi pour la plupart des indications données au sein même du texte. Nous pouvons encore citer en exemple le vers 535, où L'Industrie permet l'entrée de ses maîtres en disant « Les voicy », ou bien encore au vers 808 « Le voicy ». Dans quelques cas cependant l'enchaînement scénique n'est pas le seul élément recherché. Signalons par exemple le vers 536, à la scène 8 de l'acte 2, dans lequel une indication de mouvement est faite de deux manières. En effet, une didascalie nous informe, dans un premier temps, que le valet L'Industrie *s'éloigne* ; nous avons donc là une indication gestuelle extra-textuelle. Puis le personnage nous donne lui-même une explication sur ce qu'il fait puisqu'il dit « Je feins de m'éloigner & reviens sur mes pas ». Si bien que l'information nous est doublement donnée. Plusieurs effets en découlent alors : d'une part cela nous permet d'apprendre qu'il va y avoir un interlocuteur dissimulé – puisque le serviteur désobéit à son maître – ce qui fait partie de la théâtralité, et d'autre part cela confère une dimension comique à l'aparté en lui-même car le personnage commente ses actes. Il faut de même noter que certaines informations contenues dans le texte lui-même permettent de manière différente d'entraîner ces mêmes effets. Par exemple au vers 842, à la scène 5 de l'acte 3, Géronte dit : « Je vous livre un baiser ». L'indication est ici à la fois scénique – puisque l'acteur qui incarne le barbon sait quel mouvement il doit faire – et à la fois comique – puisqu'elle entraîne la réaction justifiée de Trigaudin « *les séparant* ». Effet comique accentué par le fait que Géronte embrasse Lucie devant son époux secret. Enfin, nous citerons le vers 1697, à la scène 13 de l'acte 5, comme dernier exemple d'information intra-textuelle. Dans ce vers Géronte donne une indication physionomique sur son vieil ami ; en effet il signale en aparté que « le sang lui monte au visage », ce qui permet alors d'envisager et comprendre l'état mental dans lequel se trouve Trigaudin. En utilisant ainsi ses personnages pour fournir des renseignements sur les autres protagonistes, Montfleury ne rompt pas la progression dramatique et contribue au naturel de la pièce. Les didascalies sont, elles, des indications scéniques beaucoup plus évidentes ; elles sont en effet là pour guider l'acteur dans l'interprétation de son rôle et se résument souvent à signaler qu'un personnage sort, entre, se cache, parle bas etc. Dans cette pièce elles ont effectivement ce rôle comme le montre celle précédant le vers 413 « GERONTE *sortant* », ou bien encore celle du vers 997 « GERONTE *caché* ». Toutefois il y a ici une exception ; en effet la didascalie « *Luy montrant une Boiste* » [133] apporte plus qu'une simple indication gestuelle. Elle est en fait plus lourde de sous-entendu qu'aucun des mots qu'aurait pu dire Trigaudin. Montfleury grâce à ce procédé théâtral accentue davantage la menace faite par le personnage. Le geste, ici, ne continue pas une phrase, il la remplace ; c'est ce qui rend cette didascalie si importante. D'autant qu'elle vient à la suite d'un discours inachevé « autrement… » [134] qui dévoile un paroxysme dans la tension entre les deux interlocuteurs et renforce la supériorité de notre gredin sur Lucie. Maître de son discours et de ses effets, il montre qu'il est dangereux puisqu'en ne finissant pas sa phrase, et en la remplaçant par ce geste, il prouve que sa vengeance sera si terrible qu'aucun mot ne peut la définir. Dès lors il plane une sorte de chantage et de menace sur la tête de Lucie, d'autant plus angoissante qu'on ne sait pas vraiment de quoi il s'agit. L'interruption permet donc d'avoir un effet sur la dramaturgie. Selon la manière dont on l'utilise elle entraîne divers effets. Dès la première scène de la pièce, l'interruption du discours a un effet rythmique puisque Trigaudin et L'Industrie se coupent la parole à tour de rôle. De ce fait, la scène d'exposition paraît moins longue et moins artificielle. Sans oublier qu'elle permet également d'introduire une dimension comique aux personnages puisque le valet interrompt lui-même son discours, au vers 45, ne sachant pas comment nommer la femme de son maître : « Vous fûtes avec…la…faut-il que je devine… ». Si bien que nous apprenons de manière somme toute assez naturelle les divers éléments nécessaires à la compréhension de la pièce. En effet, les diverses coupures qui sont faites par les deux protagonistes non seulement varient, mais aussi permettent – par cette variation – divers rebondissements du discours, comme on en trouve souvent dans la réalité. Elles interviennent ainsi pour permettre aux interlocuteurs de se contredire comme nous en avons un exemple au vers 56 : «LI : Le tout pour vous forcer…/ T : Point du tout », ou bien également vers 74 : « LI : J'ai crû que librement… / T : Non, c'est ce qui t'abuse », ce qui montre la supériorité de Trigaudin sur son valet puisqu'il se rend maître du discours de celui-ci. Ainsi, ces éléments non verbaux que sont les mouvements, les didascalies ou les interruptions apportent des éléments essentiels à la pièce, au même titre que les répliques elles-mêmes. Non seulement ils nous informent sur l'action, mais en plus ils ont une incidence sur la forme du texte. ## Les éléments verbaux. Comme nous venons de le voir certaines informations sont données sans vraiment rompre la progression de l'action ; les éléments dont nous venons de parler s'intègrent à la pièce, ils permettent d'enchaîner les répliques ou les scènes sans que le rythme ne soit véritablement rompu. L'aparté, au contraire, brise la logique d'une scène. Si l'auteur y recourt aussi souvent ici, c'est à la fois dans le but de montrer l'état d'esprit de ses personnages et dans celui d'apporter des éléments comiques à certains scènes où la tension et l'affrontement sont forts. Ainsi prenons en exemple ceux de Géronte à la scène 4 de l'acte 4 ; lors de ce passage Trigaudin tente de faire croire à son ami que Lucie est charmée ainsi que de le convaincre de venir dîner chez lui. L'élément comique réside ici dans le fait que Géronte tient deux discours : l'un à haute voix destiné à son interlocuteur, et l'autre à voix basse destiné à lui-même et surtout aux spectateurs. D'une part, ses propos sont en eux-mêmes comiques du point de vue des termes employés : « Le Fourbe ! » [135], « Ah l'effronté maraut ! » [136], « Ah l'effronté pendard ! / Je tiens sa Poudre un mets où j'aurois bonne part » [137], et d'autre part ils prouvent que le barbon n'est plus dupe de son ami et qu'ainsi les rôles sont renversés. Géronte, par cela, se montre moins imbécile et révèle aussi ses pensées. Nous avons alors ici une sorte de focalisation interne puisque c'est le personnage lui-même qui nous révèle à la fois son caractère et son état d'esprit. Le monologue permet également cette focalisation. Jugé relativement artificiel, il brise le rythme des scènes. En effet, il n'y a plus échange de répliques avec un interlocuteur réel, mais dialogue avec soi-même ; si bien que le « tempo » nécessaire à la progression de l'action se ralentit. Toutefois, son rôle est lui aussi essentiel. En effet, sans cette forme dramatique nous ne connaîtrions les personnages que par leurs actions ou leurs mimiques, ainsi que par la description faite par les autres personnages ; mais en percevant un protagoniste de l'intérieur le spectateur peut faire son propre jugement. Outre le fait que cette forme permet de faire également le lien entre différentes scènes, elle révèle bien souvent la motivation des personnages. Ainsi, à la scène 4 de l'acte 2, Valère montre qu'il est bouleversé par le destin qui attend sa fiancée : « Ah, si je perds sa Niéce, il faut perdre la vie » [138]. Dès lors, son intervention auprès de Trigaudin est justifiée, il se montre prêt à tout pour garder celle qu'il aime. Le monologue de notre héros éponyme, à la scène 10 de l'acte 4, est essentiel. Pour la première fois, nous pouvons voir Trigaudin en train de douter. En effet il dit : « Sur tout cet embarras que faut-il que je fasse ? » [139], le tour que les autres protagonistes lui jouent est donc en train de porter ses fruits. Montfleury nous présente donc son héros hésitant, et ce non seulement pour révéler le caractère de ce personnage, mais aussi pour justifier de la suite de l'action. De fait, c'est ici que l'on comprend pourquoi l'apprenti criminel ne renonce pas à ses projets, malgré tous les obstacles qui se présentent à lui. Il avoue qu'il craint pour la suite des opérations : « Ah Ciel ! tout me fait peur » [140], et révèle également sa vanité dans la raison qui le pousse à ne pas tout avouer : « Déclarer notre Hymen, c'est me perdre d'honneur » [141]. C'est donc dans ce monologue que le dénouement de l'action se joue ; deux choix sont ici présentés à lui et suivant la décision qu'il va prendre la clôture de la pièce sera différente. On est en quelque sorte à l'acmé de la comédie. L'aparté et le monologue – deux formes qui brisent en quelque sorte le fonctionnement du théâtre – apportent en fait dans cette pièce certains éléments essentiels au bon déroulement dramatique. Ils ont à la fois une utilité sémantique et formelle puisqu'ils nous informent sur les motivations et les caractères de nos personnages et parce qu'ils créent un lien stylistique entre les répliques et les scènes. ## L'enchaînement des répliques. Pour qu'une pièce de théâtre soit jugée de bonne qualité, il faut que les répliques s'enchaînent le plus naturellement possible. Montfleury utilise dans cette pièce essentiellement trois procédés. C'est souvent par la répétition d'un même mot que les répliques s'emboîtent. Ainsi à la scène 1 de l'acte 1, on assiste à ce que Michel Pruner [142] appelle un « bouclage serré » c'est-à-dire que les répliques reprennent les mots contenus dans celles qui les précèdent. Par exemple des vers 40 à 42, le verbe se taire est repris alternativement par Trigaudin et L'Industrie : LI : Non, Monsieur, je me tais. T : Parle-moy d'autre chose, ou bien songe à te taire. LI : Je me tais ; c'est, Monsieur, ce que je sçai mieux faire ce qui confère également une sorte de rythme par leitmotiv à la scène. D'autre fois, la liaison entre répliques se fait par l'affrontement de deux points de vue. Ainsi à L'Industrie qui déclare : La Cousine vous dit qu'elle avoit certain Frere Qui vouloit de sa main lui donner un Epoux, Le tout pour vous forcer [143]… Trigaudin réponds « Point du tout » [144] dès lors nous sommes dans le cadre d'une conversation comme il en existe dans la réalité, où les opinions différent et où les propos se suivent de cette manière. Enfin, Montfleury fait souvent usage des questions/réponses. Il utilise ainsi un procédé affectionné par Molière qui lui aussi brisait ainsi ses alexandrins. En effet, à la scène 3 de l'acte 1, la progression de l'action et la livraison d'information se fait par une suite de petites questions et de petites réponses : G : Ses yeux… T : Sont plus grands & plus doux. G : Son teint ? T : Est bien plus beau. G : Sa bouche ? T : Plus vermeille [145]… Plusieurs effets découlent de cette manière d'appréhender le texte ; d'une part cela montre la tension, l'excitation des deux protagonistes, d'autre part ces ruptures de l'alexandrin confèrent une rapidité à la scène puisque les personnages se répondent coup sur coup. À la scène 3 de l'acte 2, les questions/réponses diffèrent quelque peu de ce que nous venons de voir. En effet ici les questions faites par Valère se développent sur un ou plusieurs alexandrins : « Vous sacrifiëriez le feu dont j'ay brûlé, Et vous le pourrez ? » [146], tandis que les réponses de Géronte tiennent en quelques syllabes : « Oüy » [147]. Ceci à la fois rythme le « dialogue » et introduit un effet comique puisque le jeune homme n'obtient pas de véritables réponses à ses questions, c'est un peu une situation de dialogue de sourds. D'un point de vue stylistique la pièce semble assez réussie ; tout s'enchaîne, se justifie mais cette réussite est à relativiser par le fait que Montfleury a là aussi échoué à créer une pièce originale. Il reprend en effet les mêmes méthodes que ses contemporains. Certes ses thèmes font partie de la tradition comique, certes le renversement de l'action criminelle en banale farce rend le sujet médiocre, certes l'écriture de notre auteur n'est pas celle de Corneille ou Molière, mais Montfleury mérite d'être redécouvert ne serait-ce que pour montrer la diversité dramatique des auteurs du XVII*e* siècle. Il est important de savoir que même si à nos yeux Molière reste le maître incontesté de la comédie classique, le public contemporain ne partageait pas toujours la même opinion et préférait parfois des auteurs aujourd'hui méconnus. # Le texte de la présente édition. Nous reproduisons ici le texte de l'unique édition de la pièce faite du vivant de l'auteur. Cet ouvrage se présente dans un format in-12 et a été imprimé chez Pierre Promé en 1674. Sa permission est datée de la même année, et le permis d'imprimer date du 10 mars 1674. On le retrouve également dans un recueil factice : *Les Œuvres de Montfleury*, Paris, Jean Ribou, 1676, t. I. (Cote Arsenal RF 6550) Il faudra ensuite attendre le premier recueil de l'ensemble des pièces de Montfleury – qui date de 1705 – pour la retrouver. L'édition originale, éditée à part, ne présente ni épître dédicatoire, ni sonnet, ni frontispice, ni avis au lecteur. Seules la page de titre et la liste des acteurs précèdent donc le texte qui se compose de 96 pages. La page de titre se présente de la manière suivante : TRIGAUDIN / OU / MARTIN BRAILLART, / COMEDIE. / PAR A.I. MONTFLEURY. / fleuron du libraire / A PARIS, / Chez PIERRE PROMÉ/ sur le Quay / des Grands Augustins, à la Charité. / filet M. DC. LXXIV. / *AVEC PERMISSION.* Nous avons corrigé les erreurs d'impression suivantes : – Acte 1, sc 5, v. 321 : « nos » (remplacé par « vos ») – Acte 1, sc 5, v. 321 : v. 325 : c'est – Acte 2, sc 3, v. 505 : « vonlez » – Acte 2, sc 8, v. 595 : « souvens » – Acte 4, sc 1, v. 1055 : « ma » remplacé par « sa » – **Acte 4, sc 7, v. 1238 : « le** »** devient « la** » – Acte 5, sc 5, v. 1618 : « Imprtinente » # TRIGAUDIN, OU MARTIN BRAILLART, COMEDIE. ## ACTEURS [148]. – TRIGAUDIN. – LUCIE,Femme de Trigaudin. – GERONTE. – JULIE,Nièce de Géronte. – VALERE,Amant de Julie. – TOINETTE,Servante de Géronte. – LA FOREST,Valet de Chambre de Valere. – LA RIVIERE,Valet de Géronte. – L'INDUSTRIE,Valet de Trigaudin. La scène est à Paris. ## ACTE PREMIER. ### SCENE PREMIERE. TRIGAUDIN, L'INDUSTRIE. L’INDUSTRIE. Bon, pour vous divertir, vous me faites un conte. TRIGAUDIN. Non ; point ; Ayant soupé l'autre jour chez Géronte, En tirant par hazard de ma poche un Mouchoir, Le Portrait que tu sçais que j'avois, vint à choir. L’INDUSTRIE. De vostre Femme ? TRIGAUDIN.         Paix. Géronte le ramasse, L'ouvre, & jusqu'à son cœur l'éclat de ses yeux passe ; Il se sentit charmé des traits de sa beauté, Et de l'Original s'estant fort enquesté⁎ [149], Je luy dis que c'estoit une mienne Cousine Qui venoit à Paris. Je vis bien à sa mine⁎ Que nostre Homme en tenoit⁎; je n'en témoignay⁎ rien ; Prestez-le moy, dit-il, pour quelques jours… L’INDUSTRIE.         Hé bien ? TRIGAUDIN. Je luy laissay. L’INDUSTRIE.         Comment, celuy de vostre Femme ? TRIGAUDIN. Paix. L'amour s'est si fort emparé de son ame, Qu'il baise⁎ à tous momens ce Portrait à genoux ; Jusques-là [150] qu'il me [151] vint hier au soir, entre nous, La larme presque à l'œil, prier avec instance, De vouloir avec luy faire cette alliance, Me disant qu'en moy seul il mettoit son espoir : Il a cent mille francs contens [152] qu'il m'a fait voir, Qu'il veut en l'épousant luy donner. L’INDUSTRIE.         A son âge, Ce Géronte, Monsieur, si sçavant et si sage… TRIGAUDIN. Il n'est ny l'un ny l'autre. L’INDUSTRIE.         Est-il possible ? Il a Une Biblioteque où toûjours… TRIGAUDIN.         Tout cela Marque sa vanité plus que sa suffisance⁎, A l'abry des Sçavans il met son ignorance, Et croit pour habiter le soir & le matin Un Cabinet [153] farcy de Grec & de Latin, Passer pour Homme docte, & que chacun l'admire : Ses Livres sont fort beaux, mais il n'y sçait pas lire ; Depuis pres de vingt ans que nous sommes amis, Je connois sa portée⁎,& sçais ce que je dis. L’INDUSTRIE. Mais vous n'avez [154] pas dû laisser croistre sa flâme ; Car dans une heure au plus Madame vostre Femme Arrivant d'Orleans, sera de nostre écot⁎. TRIGAUDIN. Chut, Maraut⁎; si jamais tu prononces ce mot… L’INDUSTRIE. Vostre Femme, Monsieur, m'avez vous dit… TRIGAUDIN.         Ah Traistre, Te tairas-tu ? L’INDUSTRIE.         Ma foy, je pense que mon Maistre Devient fou [155]. TRIGAUDIN.         Que ce mot ne t'échape jamais, Ou crains que de cent coups… L’INDUSTRIE.         Non, Monsieur, je me tais. TRIGAUDIN. Parle-moy d'autre chose, ou bien songe à te taire. L’INDUSTRIE. Je me tais ; c'est, Monsieur, ce que je sçai mieux faire. TRIGAUDIN. As-tu mis en oubly qu'un Hymen clandestin… L’INDUSTRIE. Non ; Je me souviens bien, Monsieur, qu'un beau matin Vous fûtes avec…la…faut-il que je devine… TRIGAUDIN. Quand tu voudras parler d'elle, dis ma Cousine. L’INDUSTRIE. Avec vostre Cousine, assez pres d'Orleans, Sans avoir pris d'avis d'Amis, ny de Parens, Qu'un Curé, peu chargé d'argent & de scrupules, Vous maria, qu'on prit du Papier des Formules [156] Pour faire le Contract, & que des deux costez On prit pour y signer, des Témoins apostez⁎; Que pour vous obliger à conclure l'affaire, La Cousine vous dit qu'elle avoit certain Frere Qui vouloit de sa main luy donner un Epoux, Le tout pour vous forcer… TRIGAUDIN.         Point du tout ; Entre nous, J'ay sçeu de Gens de foy, que sans certain voyage, Son Frere auroit déslors [157] conclu son Mariage. L’INDUSTRIE. L'avez-vous veu ? TRIGAUDIN.         Jamais ; mais il sera content D'un Hymen… L’INDUSTRIE.         Qu'est-ce donc qui vous allarme tant ? Ou laissez-moy parler, ou daignez m'en instruire. TRIGAUDIN. Ne sçais-tu pas… L’INDUSTRIE.         Je sçay ce que vous voulez dire Que vous avez deux Fils en différent état, Que l'un est Medecin, & l'autre est Avocat, Mais tous deux chicaneurs, qui sur ce Mariage Vous auroient de leur bien demandé le partage ; Et que pour éviter ce desordre intestin, L'amour vous a fait faire un Hymen clandestin. La Cousine plus riche en appas qu'en monnoye, N'a de fond que je croy, qu'un fort grand fond de joye, Et vous estes content du present de sa foy ; Mais estant à Paris sur le pavé du Roy, Vos Fils dans Orleans, sans vous en faire excuse, J'ay crû que librement… TRIGAUDIN.         Non, c'est ce qui t'abuse : L'Avocat est celuy dont j'aurois plus de peur, Il est bruyant, actif, aspre au gain, grand hableur⁎, Fort propre à son Mestier il faut qu'on le confesse. Pour George son cadet, c'est une pauvre espece, Il ne sera jamais qu'un Asne, & ne vaudra… Je l'ay fait Medecin à cause de cela : Mais outre la raison qui m'oblige à leur taire L'Hymen qu'à leur insçeu mon amour m'a fait faire, Je dois plus que jamais tenir le cas secret. Comme je te connois depuis longtemps discret, Je puis de mes projets te faire confidence : Cet Hymen clandestin, qui selon l'apparence Devoit estre un obstacle au bonheur de mes jours, Me flate d'un espoir qui m'est d'un grand secours, Et par une avanture à nulle autre commune, Me fournit un moyen d'établir ma fortune ; Et Géronte m'a fait promettre qu'aujourd'huy… J'acheveray tantost, j'entens du bruit chez luy, Il n'est pas à propos qu'en ce lieu je poursuive. Voicy l'heure à peu pres que le Carosse arrive, Ma Femme y sera ;cours la preparer un peu A l'effort que je veux exiger de son feu ; Dy-luy qu'il ne nous faut parler devant personne Sous les noms que le joug⁎ de nostre hymen nous donne ; Et que pour des raisons importantes enfin Je prétens à Paris passer pour son Cousin. L’INDUSTRIE. Quel seroit son dessein? [158] C'est une affaire faite. ### SCENE II. TRIGAUDIN, TOINETTE. TOINETTE. Ah Monsieur Trigaudin, est-il vray… TRIGAUDIN.         Quoy, Toinette ? TOINETTE. Que nostre Maistre songe à se remarier ? TRIGAUDIN. Hé bien, trouvez-vous là de quoy vous effrayer ? TOINETTE. Comment, c'est tout-de-bon ? TRIGAUDIN.         Eh cela pourroit estre. TOINETTE. Hé bien… TRIGAUDIN.     Quoy ? TOINETTE.         N'ay- je pas toûjours dit que mon Maistre Deviendroit fou ? TRIGAUDIN.         Comment, pour avoir de l'amour… TOINETTE. Le moyen qu'il s'en [159] sauve ? Aussi dés qu'il est jour Il s'enferme tout seul dedans la Chambre aux Livres, Et parfois il ne prend pas pour deux liards⁎ de vivres. Vous sçavez comme elle est ? TRIGAUDIN.         Pleine de haut-en- bas De Volumes dorez, de Cartes, de Compas, De Cilindres divers, d'Astrolabes⁎, de Spheres… TOINETTE. Et d'autres Instrumens aussi peu necessaires. Il dépense à cela plus d'argent qu'il n'est gros : Quelquefois en trois jours il ne dit pas trois mots, Tant ce chien d'attirail le rend triste & sauvage. Tout ce qui m'en déplaist, Monsieur, & dont j'enrage, C'est que tous nos Voisins me parlant de cela, Disent qu'il n'entend rien dans les Livres qu'il a [160], Que tout cela chez nous ne sert que de parade, Que mon Maistre à crédit rend son timbre malade, Et ne se plaist⁎ [161] avoir chez luy tout ce butin Que pour nourrir des Rats de Grec & de Latin ; Qu'il en a dont jamais il n'a fait l'ouverture Et qu'il n'y connoist rien que par la couverture. Vous ne croiriez jamais les sottises qu'on dit… TRIGAUDIN. L'amour pourra donner relâche à son esprit ; Et sa Femme pourra, pour peu qu'elle le prie… TOINETTE. C'est un Homme gasté⁎, Monsieur, s'il se marie : On pourra luy trouver une Femme à souhait ; Mais quelque magazin de vertu [162] qu'elle ait fait, Quelque amas de pudeur, quelque fonds de sagesse Que la Nature en elle ait joint à sa jeunesse, Si Monsieur met chez nous à profit tout son bois [163], Nous passerons l'Hyver sans souffler dans nos doigts, J'en suis seûre ; & Monsieur, s'il se met en ménage, En aura de son crû du moins pour son chauffage ; Son âge & son humeur ne l'en sçauroient sauver ; Et comme son Amy, pouvez-vous aprouver… TRIGAUDIN. Comment, connois-tu bien la Femme qu'on luy donne ? TOINETTE. Non, Monsieur, voyez-vous, je ne connois personne, Mais je me connois bien, & ne jurerois pas, S'il vouloit m'épouser, qu'il n'en eut… TRIGAUDIN.         En ce cas Tu seras du mestier [164] ;mais Femme qui s'emprunte [165]… TOINETTE. Helas ! Dieu fasse paix à la pauvre Défunte : Mais ne sçait-on pas bien le train qu'elle menoit ? TRIGAUDIN. Hé bien ? TOINETTE.         Eh de Monsieur quand on l'entretenoit, Ses Galants⁎ (car parfois j'oyois leur conference) Luy disoient franchement que c'estoit conscience Qu'il ne fust pas Cocu, jurant tout de leur mieux Qu'il avoit pour cela des talens merveilleux, Qu'il estoit vieux, jaloux, défiant, incommode, Et que pour estre enfin tout-à-fait à la mode, Il manquoit à son front ce qu'ils vouloient qu'il eut : Bref chacun luy dit tant… TRIGAUDIN.     Hé bien ? TOINETTE.         Qu'elle le crût. TRIGAUDIN. De sorte que la Belle apres cette assurance, Faisant d'estre Coquette un cas de conscience, En faveur du Galant décidant sur ce point… TOINETTE. Laissons les Morts en paix, & ne médisons point : Mais pour mon Maistre enfin, dûssay-je estre chassée, Je ne puis m'empescher de dire ma pensée ; Et s'il se marioit cent fois, je gagerois⁎ Ma teste, que Monsieur seroit Cocu cent fois. TRIGAUDIN. Oh, oh, sçavez-vous bien, Madame la Coquine Que vostre Maistre épouse une mienne Cousine ? TOINETTE. Ah Monsieur… TRIGAUDIN.     Qu'elle est sage, & que… TOINETTE.         Je le croy bien. TRIGAUDIN. Pourquoy donc en parler ? TOINETTE.         Par forme d'entretien. ### SCENE III. TRIGAUDIN, GERONTE, TOINETTE. GERONTE. *vers une Entrée, regardant un Portrait.*. O le charmant Portrait ! TRIGAUDIN.         Si jamais mesme audace… TOINETTE. Mon Maistre vient. Monsieur, de peur qu'on ne me chasse… TRIGAUDIN. Allez, une autre fois soyez sage ; autrement… TOINETTE. Je n'en parleray plus, Monsieur, assurément. GERONTE. Que ces yeux languissans⁎,cet air tendre & modeste, Cette gorge⁎… pourquoy n'a-t-on peint tout le reste ? Ah Monsieur Trigaudin, quel bonheur !qu'il m'est doux De pouvoir embrasser⁎ un Amy tel que vous ! TRIGAUDIN. Vous sçavez qu'à vous voir je n'ay pas moins de joye, Et que quand mon bonheur permet que je vous voye… GERONTE. Laissons ces vains discours où la sincerité A souvent moins de part que la civilité, Ces complimens farcis de pompeux verbiage⁎, Dont le bon sens commence à reformer l'usage, C'est un soin dont tout l'art consiste en jeu de mots Qu'on ne peut pardonner qu'à des Provinciaux : Parlez-moy bien plutost, si ma peine⁎ vous touche, De cet Objet⁎ charmant, de ses yeux, de sa bouche, Tout en est merveilleux. Mais parlons franchement, Le Peintre a-t-il rendu ses traits fidellement ? Ne l'a-t-il point flatté ?car pour estre à la mode, Il faut qu'un Peintre flatte, & se rende commode, En vain la verité voudroit paroistre au jour ; Qui fait bien ressembler, fait souvent mal sa cour ; En dépit du bon sens, ce Sexe veut paroistre Moins tel que Dieu l'a fait, que tel qu'il voudroit estre ; Et quand dans un Alcove⁎ on plante un beau Portrait, Soit qu'il ressemble, ou non, il est toûjours bien fait. Non, morbleu, je voudrois qu'on menast aux Galeres Ces lâches Barboüilleurs, ces Peintres mercenaires, Qui par l'espoir du gain, corrompus la plûpart, Renoncent sans scrupule aux regles de leur Art, Dispensent leur Pinceau sujet à l'imposture Du tribut qu'en ce cas on doit à la Nature, De qui l'art sans respect se mesle en leurs Portraits De faire les Gens beaux, quand Dieu les a fait laids, Et chez qui tous les jours la plus laide Personne Est belle au *pro rata* [166] de l'argent qu'elle donne. Les Loix à cet abus devroient un Reglement. TRIGAUDIN. Il est vray, mais l'usage en décide autrement : Si le Peintre en cecy me paroist peu fidelle, C'est que sans vanité ma Cousine est plus belle ; Ce crayon imparfait n'en est… GERONTE.         Que dites-vous, Plus belle ? Quoy, ses yeux… TRIGAUDIN.         Sont plus grands & plus doux. GERONTE. Son teint ? TRIGAUDIN.     Est bien plus beau. GERONTE.     Sa bouche ? TRIGAUDIN.         Plus vermeille. GERONTE. Sa gorge ? TRIGAUDIN.     Bien plus blanche. GERONTE.         Elle est donc sans pareille ; Car je ne doute point qu'avecque [167] tant d'appas⁎ Le Ciel n'ait embelly ce qui ne paroist pas. Sa taille ? TRIGAUDIN.     Est à charmer. GERONTE.     Son humeur ? TRIGAUDIN.         Complaisante. GERONTE. Son esprit ? TRIGAUDIN.     Délicat. GERONTE.     Sa maniere ? TRIGAUDIN.         Engageante. GERONTE. Jeune ? TRIGAUDIN.     Cela se voit. GERONTE.     Modeste ? TRIGAUDIN.     Oh, oh. GERONTE.         L'air bon ? TRIGAUDIN. Majestueux & grand. GERONTE.     Douce ? TRIGAUDIN.         Comme un Mouton [168]. GERONTE. Que voila bien mon fait ! Ah sur cette assurance, Quand arrivera-t-elle ? TRIGAUDIN.         Aujourd'huy, que je pense. GERONTE. Aujourd'huy, juste Ciel ! Si nous prenions le soin D'aller au devant d'elle ? TRIGAUDIN.         Il n'en est pas besoin Afin de ménager doucement chaque chose, Il faut qu'adroitement à tout je la dispose : L'air dont je luy prétens parler, vous proposant, Luy paroistroit suspect, si vous estiez present ; Et le Portrait enfin que je luy prétens faire, Estant fait sans témoins, paroistra plus sincere. GERONTE. Ah ! que ne doit-on point à de pareils Amis ? Oüy, comme il vous plaira ; mais vous m'avez promis Que je l'épouserois ; J'en meurs d'impatience. Vous m'avez répondu de son obeïssance, Et m'avez assuré que l'offre de sa foy⁎… TRIGAUDIN. Oüy, je m'en souviens bien, reposez-vous sur moy, Sa main vous est acquise. Il faut qu'elle vous voye. GERONTE. Ah ce dernier aveu met le comble à ma joye. Quant aux conditions, vous sçavez mon dessein : Mais comme je m'oblige en luy donnant la main, Et que par un Contract avantager la Belle, Sans rien faire pour vous, c'est faire tout pour elle, Je veux que mon amour redevable à vos soins, Ait de tous mes transports les vostres pour témoins : Ainsi dés-à-present je m'oblige, & m'engage A vous donner… TRIGAUDIN.     Hé quoy ? GERONTE.         Ma Niéce en mariage. TRIGAUDIN. Vostre Niéce ? Fort-bien, voila ce qu'il me faut. Ah c'est sans intérest… GERONTE.         Venez-la voir tantost. TRIGAUDIN. Moy, me remarier ? Ah Monsieur, je vous prie, Qu'on ne me parle point de Femme de ma vie : Non, la mienne estant morte, il est hors de saison De croire que l'Hymen… GERONTE.         C'est par cette raison Qu'il en faut prendre une autre, & songer à luy plaire : Si la vostre vivoit, vous n'en auriez que faire. TRIGAUDIN. J'aime le Célibat. GERONTE.         Ce dessein changera ; Ma Niéce est un morceau… L'appétit vous viendra. TRIGAUDIN. Valere qui l'adore… GERONTE.         Il est vray ; mais Valere, A ne le point flater, n'est pas bien son affaire ; C'est un jeune éventé⁎, faineant, & mutin⁎, Et qui, pour parler franc, sent trop son libertin ; Ma Niéce est encor jeune, il luy faut un bon Guide, Un Mary qui soit meur, dont l'esprit soit solide ; Et vous trouvant enfin d'un modele achevé… TRIGAUDIN. Le Carosse, Monsieur, pourroit estre arrivé ; Je veux qu'en arrivant ma Cousine me voye Prompt a luy faire part du sujet de ma joye, Et je vay disposer cet Hymen concerté. GERONTE. Et moy pres de ma Niéce agir de mon costé. ### SCENE IV. GERONTE. *seul*. Que mon amour se sent fier de cette assurance ! Mon bonheur aujourd'huy passe mon espérance. Que mes jours qui sembloient au chagrin destinez, De joye & de repos vont estre assaisonnez ! Qui l'eust crû, qu'un Portrait d'une jeune Personne M'eut donné tout l'amour que celuy-cy me donne ? Et qu'un intime Amy, que tant d'ardeur surprend, Se fust à point-nommé rencontré son Parent, Pour se charger de faire agréer mes hommages ? Ah qu'il est vray qu'au Ciel se font les Mariages ! Et qu'un Homme à l'Hymen s'oppose vainement, Alors que son Etoille en ordonne autrement ! Le Ciel à mon bonheur visiblement travaille ; Car outre sa beauté, son esprit, & sa taille, Répondent, m'a-t-il dit…Mais, ma Niéce paroist ; Je dois de Trigaudin ménager l'intérest ; Et ma Niéce n'ayant de but que de me plaire, Je puis luy déclarer l'Hymen que je veux faire. ### SCENE V. JULIE, GERONTE. GERONTE. Ma Niéce, aprochez-vous, & dans un compliment Renfermez tout l'effort de vostre jugement, Et me remerciez de la belle maniere D'un present que demain ma bonté vous veut faire. JULIE. Vos bontez ont pour moy de si frequents effets, Que mes remercîemens ne finiroient jamais, Si mes soins, mon respect, & mon obeïssance, Ne marquoient mieux mon zele, & ma reconnoissance : Mais quel est ce présent ? GERONTE.         Je vous donne un Mary ; Vous en riez ? JULIE.     Non ; mais… GERONTE.         Si-fait, vous avez ry ; Je n'en suis point fâché, n'en faites point la fine [169] : Mais, ma Niéce, un Mary dont l'esprit & la mine Doivent plaire, & je croy que c'est bien vostre fait. JULIE. *à part.*. Helas [170] ! je reconnoy Valere à ce Portrait. GERONTE. *à part.*. Les Filles à ce mot ne se sentent pas d'aise [171]. JULIE. Pour me plaire, mon Oncle, il suffit qu'il vous plaise ; Mon cœur est trop instruit de ce que je vous dois, Pour oser appeler [172] jamais de vostre choix. GERONTE. J'apréhendois qu'en vous l'embarras du ménage N'eust mis quelque dégoust touchant le Mariage, Et qu'enfin cet effort ne vous gesnast⁎ un peu. JULIE. Non, mon Oncle ; & de plus quand pour un pareil noeu J'aurois quelque dégoust, je sçaurois vous le taire, Et le sacrifier au desir de vous plaire. GERONTE. Hé bien, s'il est ainsi, soyez preste demain A prendre pour Epoux… JULIE.     Qui ? GERONTE.         Monsieur Trigaudin ! JULIE. Monsieur Trigaudin ! GERONTE.     Oüy. JULIE.         L'embarras du ménage Me fait terriblement craindre le Mariage, Mon Oncle ; & si je puis… GERONTE.         Ah je voy l'embarras ; Le Mariage plaist, mais l'Epoux ne plaist pas. JULIE. L'Hymen a tous les jours des suites si fâcheuses, Que nous ne nous sçaurions rendre trop scrupuleuses ; L'affaire est importante, & ce choix veut du temps. GERONTE. Ah ne déguisez point icy vos [173] sentimens. JULIE. Si j'ose vous ouvrir mon ame avec franchise, Oüy, mon Oncle, il est vray, vostre choix m'a surprise ; J'ay frémy, je l'avouë, au nom d'un tel Mary, Mon cœur en sa faveur ne peut estre attendry ; Cest Homme est un objet si choquant à ma veuë… GERONTE. C'est un Homme d'honneur, de probité connuë, Un Homme de bon sens, d'un mérite achevé : Mais je voy ce que c'est ; votre goust dépravé Aimeroit beaucoup mieux quelque teste éventée, Ma Niéce, & je vous voy de ces Gens entestée, Qui font, étudiant toutes leurs actions, Consister le bel air dans leurs contorsions⁎ ; Qui portent chez tous ceux qui les trouvent commodes, La charge d'un Mulet du fatras de vingt modes [174], Et de qui tous les jours, malgré ce qu'on en dit, Le fracas sert de Farce à tous les Gens d'esprit. Trigaudin, il est vray, n'est pas de ce modele, Il est sage, bien fait, plein d'honneur, plein de zele, Modeste en ses habits ; mais enfin tel qu'il est, Il sera vostre Epoux, ma Niéce, s'il vous plaist ; Et comme à cet Hymen ma parole m'engage, Je vay tout disposer pour vostre Mariage. JULIE. S'il faut qu'à ce malheur mes jours soient reservez, Mon Oncle… GERONTE.         Taisez-vous, vous dis-je, & me suivez. Fin du premier Acte ## ACTE II. ### SCENE PREMIERE. VALERE, TOINETTE. TOINETTE. Et j'allois vous chercher, Monsieur, pour vous l'aprendre. VALERE. Toinette, que dis-tu ? TOINETTE.         Ce que je viens d'entendre. VALERE. Il donneroit sa Niéce à Monsieur Trigaudin, Ce Pied-plat⁎… TOINETTE.         Il est vray que c'est un laid Mâtin⁎. VALERE. Qu'a dit Julie encor sur tout ce qui nous touche ? Cet ordre à son amour a-t-il fermé la bouche ? A-t-elle, en l'acceptant, perdu le souvenir De ces deux cœurs que rien ne devoit des-unir ? Geronte a-t-il trouvé son cœur sans Interprete, Son visage sans trouble, & sa bouche muette ? Dy-moy, qu'a t-elle dit pendant cet entretien ? TOINETTE. Et qu'auroit-elle dit ? Elle n'a rien dit. VALERE.         Rien ! Ah que ne dois-je point croire d'un tel silence ? Tout trahit mon amour. TOINETTE.         Ma foy, Monsieur, je pense Que vous eussiez comme elle esté bien empesché ; Elle ne prévoyoit rien moins qu'un tel marché : Tenez, en vous trouvant vous-mesme à telle feste ; Il vous seroit venu des cornes à la teste, Que vous eussiez esté moins surpris, & la peur… VALERE. Oüy, peut-estre. TOINETTE.         Mon Dieu, je connois vostre humeur, Vous estes amoureux, violent, & je gage Que vous auriez joüé le mesme personnage. VALERE. Et quand de Trigaudin reçoit-elle la main ? Quand doit-il l'épouser ? TOINETTE.     Demain, Monsieur. VALERE.         Demain ? TOINETTE. Oüy, nostre Maistre veut que par cette alliance Sa Niéce soit le prix de la reconnoissance Qu'il prétend témoigner à Monsieur Trigaudin, Qui luy fait épouser sa Cousine demain. VALERE. L'épouser ? & ce cœur verroit lors qu'il me quitte, Ma raison sans éclat, mon desespoir sans suite ? Non, non, je veux parler à cet Objet sans foy⁎, Je veux luy reprocher… TOINETTE.         Doucement, je la voy. ### SCENE II. JULIE, VALERE, TOINETTE. VALERE. Ah qu'un cœur à l'aspect d'une personne aimée… JULIE. Je voy dedans vos yeux que vostre ame alarmée Se prépare à se plaindre, & veut me condamner, Sur le choix d'un Epoux que l'on me veut donner ! Mais sans perdre de temps en plaintes inutiles, Ecoutez, s'il se peut, des transports⁎ plus tranquiles, Sans m'en croire capable, ou venir sur ce bruit Consommer un temps cher en reproches sans fruit ; Tâchez, en me plaignant, de vous dire à vous-mesme, Satisfait du plaisir de sçavoir qu'on vous aime, Que tant que je pourray me choisir un Epoux, Je feray mon bonheur du plaisir d'estre à vous. VALERE. Non, non, si cette Loy vous eust fait violence⁎, Ce cœur en ma faveur eust rompu son silence. Sans la bouche & les yeux, sur quoy s'en assurer ? Vous en avez reçeu l'ordre sans murmurer ; Ce silence mortel au feu qui m'inquiéte, De l'aveu qu'on vouloit, s'est rendu l'Interprete ; Et l'Amant⁎ de ses feux⁎ tire bien peu de fruit, S'il se promet un cœur par le devoir séduit. JULIE. Que vous estes cruel ! C'est avec trop d'étude Vouloir chercher matiere à vostre inquiétude ; Je vous aime, & l'aveu que je vous en ay fait, Doit rendre avec raison vostre amour satisfait : Mon Oncle m'a prescrit ce qu'on vous vient d'aprendre ; J'ay, pour le ménager, des mesures à prendre ; Et ma surprise jointe à la peur de l'aigrir, A causé mon silence. VALERE.         Et vous pourrez souffrir… JULIE. Parlez-luy, ménagez mon repos & le vostre ; Il sçait que dés longtemps nous brûlons⁎ l'un pour l'autre, Tâchez de l'ébranler, obtenez son aveu ; Et s'il veut jusqu'au bout contraindre un si beau feu, Soyez seûr que pour lors la peur de luy déplaire, N'aura rien dont mon cœur… TOINETTE.         Tout-doux, il faut se taire, Madame, & détaler, je l'aperçoy qui sort. JULIE. Je vous quitte. VALERE.         Et je vay faire un dernier effort… ### SCENE III. GERONTE, VALERE. GERONTE. *sortant.*. Sa Cousine sans doute est venuë, & j'espere Que l'Hymen où j'aspire… Ah vous voila, Valere Qu'est-ce ? que dit le cœur ? Je vous voy bien pensif. VALERE. J'allois vous chercher. GERONTE.     Moy ? VALERE.     Vous-mesme. GERONTE.         Quel motif M'attire un tel honneur ? pourrois-je quelque chose… VALERE. Pour peu que vous vouliez en deviner la cause, Quelque espoir dont ce cœur ait esté prévenu, Ce desordre où je suis vous doit estre connu ; Car vous n'ignorez pas jusqu'où vont ma tendresse⁎, Mes respects & mes feux⁎, pour votre aimable Niéce, Depuis quel temps je l'aime, & vos yeux sont témoins Du plaisir que j'ay pris à luy rendre des soins⁎. Ensemble l'un & l'autre élevez dés l'enfance, L'Amour se résolut d'en troubler l'innocence ; Et soûmis à ses Loix, sans connoistre son nom, La tendresse en nos cœurs préceda la raison : Nos regards animez d'un feu tendre & timide, N'eurent de nos transports qu'un peu d'instinct pour guide ; Et tous deux de ces feux destinez à brûler, Sçeûmes aimer avant que de sçavoir parler. Quand l'âge nous permit d'aimer avec étude, Nous aimâmes par choix comme par habitude ; Et ce choix confirmant nos transports à son tour, Mit d'accord dans nos cœurs la raison & l'amour ; Le mien de ses ardeurs ne fit plus un mistere, J'aimay, je m'aplaudis⁎ du bonheur de luy plaire, Je luy rendis des soins ; vous pûtes l'observer, Vos yeux qui les souffroient⁎, sembloient les aprouver : Cependant quand je n'ay que mon bonheur en veuë, Vous voulez par un choix dont la rigueur nous tuë, Nous forcer d'étouffer, luy donnant un Epoux, Un amour dés l'enfance élevé parmy nous. GERONTE. Ah voicy de mes Gens, des timbres sans conduite, Chez qui les beaux discours tiennent lieu de mérite, De ces Galans jurez, qui font leur capital De bien philosopher sur le nœud conjugal. Voila ce qu'a produit cette lecture fade De ces petits Romans dont Barbin fait parade [175], De ces Livres sans sel, aussi-bien que sans noms D'Ecrivains qu'en fureur fait pleuvoir Apollon [176]. Lisez-moy, lisez-moy, pour vous faire un bon Guide, Quelque bon Philosophe, ainsi qu'estoit Ovide [177]. Si vous cherchez en Vers quelque chose de bon, Lisez les Vers galants & tendres de Platon [178]. Si vous aimez l'Histoire, achetez-moy par botte De bons Historiens comme estoit Aristote [179]. Si chez les Orateurs vous trouvez plus de goust, Lisez-moy goulûment Plaute [180] de bout en bout : Et si de Vers pompeux le torrent vous entraîne, Aprenez-moy par cœur tous ceux de Demostene [181]. Voila, pour estre Docte, une Ecole où l'on peut… VALERE. Il est vray ; mais, Monsieur, n'est pas Docte qui veut. [182] Si je balance un jour sur le choix d'un bon Livre, Vos avis sont des loix que je pourray bien suivre : Mais comme c'est d'amour dont il s'agit icy, Si je m'explique bien, répondez juste aussy. GERONTE. Je le voy, vous voulez mourir avec constance Dans l'abisme où vous a plongé vostre ignorance : Hé bien, il faut répondre à vos intentions, Parlez, je répons juste, & tres-juste ; voyons. VALERE. Se peut-il, connoissant mon cœur & ma tendresse, Qu'à Monsieur Trigaudin vous donniez vostre Nièce ? GERONTE. Oüy. VALERE.         Qu'en nostre faveur rien ne vous ait parlé ? GERONTE. Non. VALERE.         Vous sacifiërez le feu dont j'ay brûlé, Et vous le pourrez ? GERONTE.     Oüy. VALERE.         Vostre ame combatuë Ne revoquera⁎ point un ordre qui me tuë ? GERONTE. Non. VALERE.         Il épouseroit vostre Niéce demain ? GERONTE. Oüy. VALERE.         Je n'aurois plus rien à prétendre à sa main ? GERONTE. Non. VALERE.         Ah si d'un tel coup ma flâme est menacée… GERONTE. Ecoutez. Pour vous dire en deux mots ma pensée, Et vous faire un aveu dépoüillé d'intérest, De quel air vivez-vous, mon Cadet⁎, s'il vous plaist ? Vous aimez le fracas⁎, & portez l'équipage⁎ [183] D'un Fanfaron⁎ nourry dans le libertinage ; Les plaisirs, les Cadeaux vont toûjours mesme train, On vous voit tous les jours des Cartes à la main [184], Et c'est un Almanac⁎ dont vous faites le vostre, Qui fait faire bien plus de jeusnes qu'aucun autre. Comme un Mestre de Camp il faut que vous portiez Une Epée au costé trop longue de deux piez ; Vous qui n'avez oüy, depuis qu'on vous éleve, Que les coups de Canon que l'on tire à la Greve [185] ; Qui fuyant le Salpestre ainsi que les Lauriers, Imitez dans Paris nos Breteurs cazanniers [186], Nos braves Citadins, nos Heros de Ruelles, Ces paisibles Martyrs du caprice des Belles, Qui dans un Lieu public se campant fierement, D'un plaisir sans péril font leur retranchement, Et de qui tous les ans, malgré les railleries, Les Campagnes⁎ se font dedans les Tuilleries [187]. Voila vostre Portrait, & c'est pourquoy je veux, Pour vous faire plaisir, vous séparer tous deux : Je voy que vous voulez dans ce libertinage, Tant que le permettront vostre argent & vostre âge, Chercher en étourdy, pour contenter vos feux, Quatre mois de plaisir, pour estre dix ans gueux ; Et qu'enfin vostre esprit qui sans choix se travaille⁎, A l'exemple du fruit veut meurir sur la paille, Soit. Mais je dois songer à regler vostre espoir, Il faut un autre Epoux à ma Niéce, bon-soir. ### SCENE IV. VALERE. *seul.*. Que d'un pareil mépris ma flâme soit suivie ! Ah si je perds sa Niéce, il faut perdre la vie ; Suivons-le, mon amour ne se peut rebuter, Aussi-bien quelqu'un vient qui pourroit m'arrester. ### SCENE V. L’INDUSTRIE. *seul.*. Mon Maistre à son retour met un assez long terme, La Cousine est venuë, & l'attend de pié ferme ; Je suis d'avis de voir ce qu'il est devenu, Il a quelque dessein qui ne m'est pas connu : Mais enfin par mes soins sa conduite observée… ### SCENE VI. TRIGAUDIN, L'INDUSTRIE. L’INDUSTRIE. Monsieur… TRIGAUDIN.     Qu'est-ce, qu'as-tu ? L’INDUSTRIE.         Madame est arrivée, Elle est dans l'autre Chambre. TRIGAUDIN.         Elle sçait bien qu'il faut… L’INDUSTRIE. Sans doute. TRIGAUDIN.         Il faut la voir, & la voir au plutost, Pour luy communiquer l'affaire qui s'apreste ; J'entre, & luy veux parler un moment teste-à-teste. ### SCENE VII. L’INDUSTRIE. *seul.*. Je ne sçay quel dessein fait mon Maistre aujourd'huy ; Sans Toinette tantost je l'aurois sçeu de luy : Faire passer sa Femme icy pour sa Cousine, Me semble… Si c'estoit ce que je m'imagine… J'ay l'honneur de servir un aussi grand Fripon⁎ Qu'il s'en puisse trouver du Couchant au Japon ; Je connois son allûre⁎, & ne me trompe guere, Je veux les écouter, & voir sur cette affaire… Les voicy. ### SCENE VIII. TRIGAUDIN, LUCIE, L'INDUSTRIE. TRIGAUDIN.     Laisse-nous. L’INDUSTRIE.     Si… TRIGAUDIN.         Ne replique pas. L’INDUSTRIE. *bas.*. Il s'éloigne. Je feins de m'éloigner, & reviens sur mes pas. LUCIE. D'où vient ce sombre accueil, & ce regard farouche, Ce trouble qui vous ouvre & vous ferme la bouche ? TRIGAUDIN. Vous le sçaurez bientost ; mais il faut visiter Cette Chambre où quelqu'un nous pourroit écouter. Nous sommes seuls, je puis m'expliquer sans scrupule ; Et sans vous ennuyer d'un trop long préambule, Je croy que vostre esprit content d'un tel Epoux N'a pas mis en oubly ce que j'ay fait pour vous. LUCIE. Mon ame est trop sensible à la reconnoissance, Pour oublier jamais… TRIGAUDIN.         Mais sur cette assurance Qui sent le compliment qu'on cherche à s'attirer, Quelle preuve de vous en pourrois-je esperer ? LUCIE. Tout ce qu'un cœur soûmis, tout ce qu'un amour tendre, D'une ame toute à vous, peuvent vous faire attendre. TRIGAUDIN. Prenez bien garde à quoy ce cœur va s'engager. LUCIE. Douter de mon amour, c'est n'en pas bien juger. TRIGAUDIN. La preuve que j'en veux est un peu singuliere, La matiere en est neuve, & mesme Cavaliere. LUCIE. Plus l'effort sera grand, plus j'impute à bonheur Le moyen de pouvoir vous prouver mon ardeur. TRIGAUDIN. Puis que d'un tel effort vostre vertu⁎ se pique, J'aime à n'en point douter. Je poursuis, & m'explique ; Il faut premierement, pour venir à ma fin, Ne nous nommer par tout que Cousine & Cousin. LUCIE. On me l'a déja dit, Monsieur ; & quelque peine Que fasse à ma tendresse⁎ un titre qui la gesne⁎, Le plaisir de vous plaire où j'aspire en ce jour, Sçaura d'un tel effort consoler mon amour. TRIGAUDIN. C'est fort bien répondu. J'ay déja par avance Jetté les fondemens de cette intelligence⁎ ; Et soupant l'autre jour chez un Amy parfait, Où le hazard voulut qu'on vit vostre Portrait, Afin de parvenir au but que j'imagine, Je vous fis pres de luy passer pour ma Cousine. LUCIE. Vous avez vos raisons ; vous pouvez ordonner, Et je souscris à tout, sans les examiner. TRIGAUDIN. Fort-bien. Expliquons-nous, puis que rien ne l'arreste ; Cet Amy dont je parle, est bien fait, sage, honneste, Et vous allez vous-mesme en demeurer d'accord, Sçachant qu'il a chez luy dedans un Coffre-fort Cent mille francs contens qu'il m'a… LUCIE.         La preuve est forte ; Mais qu'importe pour nous… TRIGAUDIN.         Si fait il nous importe. Cet Amy donc bien fait, honneste, sage, & doux, A sur vostre Portrait pris tant d'amour pour vous, Qu'il ne respire plus qu'apres vostre présence : Du trouble de son cœur il m'a fait confidence, Et lors qu'à cet aveu je m'attendois le moins, M'a prié de souffrir qu'il vous rendist des soins⁎ : Mon amitié sensible à l'amour qui l'obsede, Au mal dont il se plaint a promis du remede, Et réduit pour raison à le favoriser, Je prétens dés demain vous le faire épouser. LUCIE. A moy, Monsieur ? TRIGAUDIN.     A vous. LUCIE.     Bon. TRIGAUDIN.     Comment bon ? LUCIE.         Vous dites Que vous avez promis… TRIGAUDIN.         D'agréer ses visites, De vous donner à luy pour Femme, & que ce point… LUCIE. La raillerie⁎ en est ? TRIGAUDIN.         Non, je ne raille point. LUCIE. Vous ne raillez point ? TRIGAUDIN.     Non. LUCIE.         C'est de quoy je vous blâme, Avez-vous oublié que je suis vostre Femme ? TRIGAUDIN. Non, je m'en souviens bien ; mais ce petit effort Nous peut donner acces pres de son Coffre-fort ; Et ce moyen enfin qu'il faut que l'on hazarde, Peut nous aproprier tout l'argent qu'il y garde. LUCIE. Vous vous divertissez⁎ sans doute, & ma vertu… TRIGAUDIN. Je parle tout de bon, & prétens estre crû. LUCIE. Vous pourriez, soûmettant mes sentimens au vostre, Voir ainsi vostre Femme entre les bras d'un autre ? Et vous perdant d'honneur, en disposant de moy, Faire par intérest commerce⁎ de ma foy ? TRIGAUDIN. Un Homme revenu des erreurs populaires, De scrupules pareils ne s'embarasse gueres ; Chez le plus régulier⁎ on voit mille fois l'an Et la vertu venduë, & l'honneur à l'encan. Vouloir de ces abus rectifier l'usage, Ce seroit s'entester d'un point-d'honneur sauvage ; Chacun pour s'agrandir, hazarde plus ou moins, Le Marchand son argent, le Praticien ses soins, L'Homme de Cour son sang, l'Artisan son adresse, La Coquette au besoin hazarde sa jeunesse, L'intérest sert par tout de guide à la vertu ; Mais de trop d'embarras l'esprit est combattu, Quand il faut sur l'espoir qui flatte cette envie, Risquer ses soins, son bien, son adresse, ou sa vie, Et c'est à bon marché joüir de son bonheur, Que d'en estre aujourd'huy quitte pour de l'honneur. LUCIE. A vous dire le vray, Monsieur, cette Morale Est nouvelle pour moy ; mais enfin le scandale Qui suivroit… TRIGAUDIN.         Vostre esprit se gendarme⁎ de peu. Craignez-vous qu'abusant icy de vostre aveu… LUCIE. Mais ce lien, Monsieur, par des Loix necessaires, Demande de l'Hymen les suites ordinaires ; Et je ne comprens pas comment vous accordez Cette suite & l'effet que vous en attendez. TRIGAUDIN. Ecoutez ; Nous pourrons rendre par nos adresses Vostre esprit satisfait sur ces délicatesses ; Mon dessein est de voir ces suites sans effet ; Voicy comment. Si-tost que l'Hymen sera fait, Pour n'avoir sur ce point aucun sujet de crainte, De quelque mal subit vous vous feindrez atteinte, Dont le prétexte adroit bornera quelque temps Au plaisir de vous voir, tous ses empressemens⁎ ; Tandis que de ma part je sçauray me résoudre A luy faire avaler douze grains d'une poudre Qui fait des Heritiers du soir au lendemain. [188] L’INDUSTRIE. *caché.*. Peste ! TRIGAUDIN.         Quand j'auray fait reüssir mon dessein, Je vous sçauray sous-main, pour vous voir à la mode, De nos Veuves du temps éclaircir la méthode. LUCIE. Quoy, le faire mourir ? TRIGAUDIN.         Passons sur ces objets. LUCIE. Mais songez-vous, Monsieur, que de pareils projets Font pendre quelquefois ceux qui les effectuënt. TRIGAUDIN. Pend-on les Medecins, qui tous les jours en tuënt ? Pend-on les Avocats, pend-on les Procureurs, Qui font mourir de faim les trois quarts des Plaideurs Vous vous moquez de moy :toute la diférence Qui nous distinguera dedans cette occurence, C'est que pour s'enrichir, ces Messieurs moins humains Font crever [189] par milliers ceux qu'ils ont dans les mains, Et que plus scrupuleux cent fois, & plus honneste, Je n'auray pour du bien, fait tomber qu'une teste. L’INDUSTRIE. *caché.*. Voila, je vous l'avouë un méchant Garnement⁎. LUCIE. Je ne puis revenir de mon étonnement, Car vostre bien suffit aux besoins d'une vie… TRIGAUDIN. Oüy, j'en puis vivre avec bien de l'oeconomie, Il est vray :mais aimer une tranquilité Que l'on ne peut trouver que dans l'obscurité ; N'avoir dans les plaisirs, par qui l'ame est émeuë, Que sa misere en teste, & sa bassesse en veuë, Et plein des mouvemens qui chatoüillent les cœurs, Subsister sans éclat du fruit de ses sueurs, En faire avec ses sens un si foible partage, C'est de la pauvreté se sauver à la nage, C'est estre à sa bassesse en Esclave enchaîné, Et ramper sans espoir dans un état borné : Quand on peut se vanger du Sort qui nous gourmande⁎, Quelque effort que de nous l'occasion demande, Il faut sans balancer la prendre avec chaleur ; Et qui peut la manquer, mérite son malheur. LUCIE. Pour moy, je vous l'avouë, & je ne puis m'en taire, Je n'ay d'ambition que celle de vous plaire ; Je borne ma fortune au plaisir de vous voir Dans cet état tranquile, & ne puis concevoir Comment sur cet espoir… TRIGAUDIN.         L'occasion est belle. LUCIE. Vous exposez vos jours. TRIGAUDIN.         C'est une bagatelle Où je mettray bon ordre ; & lors que vostre foy M'aura mis… LUCIE.         Non, Monsieur, n'attendez rien de moy, Ce dessein me fait peur, j'en frémis. TRIGAUDIN.         L'Innocente⁎ ! LUCIE. N'attendez rien de moy, vous dis-je, il m'épouvante, Je n'y veux point entendre, & mon cœur en conçoit Une suite… TRIGAUDIN.         Et je veux morbleu que cela soit. LUCIE. Je ne m'y puis résoudre ; & quoy que l'on exige De mes soins… TRIGAUDIN.         Et je veux que cela soit, vous dis-je, Que vous suiviez en tout ce que je vous prescris, Pour trouver cet Amy, je vais à son Logis. Vous sçavez de quel air je veux qu'on le reçoive ; Secondez mon dessein, sans qu'il s'en aperçoive, Et que tous vos discours d'accord avec vos yeux, Ménagent comme il faut mon secret & ses feux : Enfin souvenez-vous, faisant vostre harangue, Que je donne vos jours en garde à vostre langue ; Dans une heure au plus-tard je vous l'amene icy, Faites-luy bonne mine, autrement…Songez-y. Luy montrant une Boiste [190]. ### SCENE IX. LUCIE, L'INDUSTRIE. LUCIE. Cecy me semble un songe, & jamais ma surprise N'estoit venuë au point où ce discours l'a mise. Quoy, toutes mes raisons contre celle qu'il a, N'ont pû… L’INDUSTRIE. *sortant de l'Entrée où il estoit.*.         **Le grand pendard⁎ de Maistre que j'ay là ! LUCIE. Tu l'écoutois. L’INDUSTRIE.         D'icy, je venois de m'y mettre, Madame, & comme vous je ne puis m'en remettre : Le Fourbe ! marier sa Femme à son Voisin, Pour le faire crever, & piller son douzain [191] ! LUCIE. Que résoudre ? je crains son humeur violente. L’INDUSTRIE. Pour vous tirer d'affaire, & tromper son attente, Je m'offre à vous servir, si vous y consentez, Et je sçais une piece⁎ où toutes ses clartez… LUCIE. Je me trouve en état de risquer toutes choses, Plutost que de souffrir…Mais ce que tu proposes Pourra-t-il… L’INDUSTRIE.         Vostre esprit en sera satisfait. LUCIE. Vien m'en entretenir, pour en presser l'effet. Fin du Second Acte ## ACTE III. ### SCENE PREMIERE. VALERE, TOINETTE. TOINETTE. Je vous cherchois, Monsieur ; on meurt d'impatience De sçavoir le succés de vostre conférence, Et j'allois pour sçavoir de vous en ce moment, Ce que nostre Oncle a dit à vostre compliment. VALERE. Helas, Toinette ! TOINETTE.     Hé bien ? VALERE.         Va dire à ta Maîtresse, Qu'il m'oste tout l'espoir qui flattoit ma tendresse, Que malgré tant d'amour tout trahit nos souhaits, Et que je vay demain la perdre pour jamais. TOINETTE. Ah Monsieur ! VALERE.         Oüy, demain on contraindra sa flâme A souffrir Trigaudin, elle sera sa Femme. TOINETTE. Helas ! VALERE.         Son Oncle en est tellement entesté Qu'il m'a presque laissé, sans m'avoir écouté. TOINETTE. Mais de quel air encor voit-il vostre ame atteinte ? VALERE. De quel air ? comme un Tigre insensible à la plainte, De qui l'ame inflexible, & le cœur endurcy, Fait répandre des pleurs sans en estre adoucy. Non, tant de dureté me confond, & la honte… De mon peu de bonheur va-t-en luy rendre compte, Peins-luy le desespoir d'un Amant qui la croit… TOINETTE. Je n'ay garde, Monsieur, cela la fâcheroit. VALERE. Pour moy, qui sans souffrir une douleur mortelle, Ne puis voir cet Hymen, je veux m'éloigner d'elle ; Je veux quitter ces Lieux où tout me fait horreur, Je le dois ; car enfin, Toinette, quand ce cœur Qui ne sentit jamais de feu pareil au nostre, La verroit sans mourir entre les bras d'un autre, Je ne répondrois pas que mon ressentiment Ne portast ma douleur à quelque emportement, Et que contre l'Epoux que l'on la force à prendre, Un juste desespoir n'osast tout entreprendre. Il vaut mieux m'éloigner. TOINETTE.         Ah gardez-vous-en bien. VALERE. Non, non, tous tes conseils ne serviront de rien [192] ; La raison, mon amour, tout à partir m'oblige, Il faut… TOINETTE.         Gardez-vous bien de la quitter, vous dis-je. VALERE. Je veux partir, te dis-je ; éloigné de ses yeux… TOINETTE. Ma foy, si Trigaudin me chassoit de ces Lieux, Comme Dieu m'a donné du panchant au vacarme, Je ne partirois pas sans luy donner l'allarme, Mais si chaude… VALERE.     Comment ? TOINETTE.         Je vous le dis tout net, Monsieur, j'irois le voir, & luy dirois son fait ; Et que si son amour à cet Hymen s'obstine, Je sçaurois … Mais tenez, le voicy qui rumine. VALERE. Laisse-nous ; tout mon sang s'émeut à son abord, Je suivray ton conseil, & je l'aprouve fort. TOINETTE. Quel Galant ! La figure en est-elle pas bonne ? VALERE. Mon amour est confus du Rival qu'on me donne ; Et si pour m'en vanger, je suivois mon chagrin… ### SCENE II. TRIGAUDIN, VALERE. TRIGAUDIN. Ah Monsieur. VALERE.         Ah c'est vous, Monsieur Trigaudin. TRIGAUDIN. Pour vous servir, Monsieur. VALERE.         Ecoutez…Eh de grace, Pour m'entendre un moment, suprimez la grimace. Encor ? Eh ces saluts ne sont pas de saison ; Et voulant avec vous en user sans façon, Vous pouvez vous couvrir : vous sçavez bien que j'aime⁎ ? TRIGAUDIN. Tout le monde le sçait. VALERE.         Que l'on m'aime de mesme. TRIGAUDIN. Cela s'en va sans dire ; un Homme de vostre air⁎… VALERE. Pour l'Objet, il n'est pas besoin de le nommer ; Vous sçavez bien que c'est… TRIGAUDIN.         La Niéce de Géronte. VALERE. Justement⁎. TRIGAUDIN.     Oh. VALERE.         L'on vient de m'en faire un sot conte, Et je ne sçay qu'en croire. On m'a dit qu'il prétend Luy donner pour Epoux un Homme dégoûtant, Sans naissance, sans bien, mal-fait de sa personne : C'est un bruit qui d'abord m'a surpris. On s'étonne De ce choix ; mais estant de ses Amis enfin, Sçauriez-vous point le nom de cet heureux Faquin⁎ ? Et sur un tel Portrait pourriez-vous point m'instruire… TRIGAUDIN. Sans vanité, c'est moy qu'on a voulu vous dire, Monsieur. VALERE.     Qui, vous ? TRIGAUDIN.     Moy-mesme. VALERE.         Aussi quand j'y songeois, J'y trouvois de vostre air, & beaucoup de vos traits ; Ainsi vous l'épousez, & l'espoir de luy plaire… TRIGAUDIN. Moy, Monsieur ? VALERE.     Oüy. TRIGAUDIN.         J'ay trop de respect pour Valere : Géronte à cet Hymen semble s'estre attendu ; Mais loin de l'accepter, je m'en suis défendu ; Je connois vostre amour, Monsieur, & je devine Les ennuis qui suivroient… VALERE.         Mais enfin s'il s'obstine A vouloir vous donner sa Niéce, & que son choix… TRIGAUDIN. Monsieur, je ne puis pas me marier deux fois ; Et ce second Hymen la rendant malheureuse, Pouroit avoir pour moy quelque suite fâcheuse. VALERE. Cela pourroit bien estre. TRIGAUDIN.         Oh je me doute bien Que si je l'épousois, sans m'étonner de rien, Ce seroit m'exposer…& la chose est plausible, A passer par les mains d'un Homme aussi terrible… VALERE. Sans-doute. TRIGAUDIN.         Et que mes jours, cet Hymen terminé, Courroient risque… VALERE.         Ma foy, vous l'avez deviné. TRIGAUDIN. Bon, cela saute aux yeux. VALERE.         Songez, en Homme sage, A ne vous plus flatter d'un pareil Mariage. Si j'aprens que vos soins⁎ l'importunent jamais, Et que vous prétendiez… TRIGAUDIN.         Non, Monsieur, je promets Que de quelque façon que Géronte me voye, Au feu dont vous brûlez je la cede avec joye, Et que de mes respects vous serez satisfait. VALERE. Cela suffit ; Adieu, nous en verrons l'effet. ### SCENE III. TRIGAUDIN. *seul.*. Ce Geronte entesté de l'Hymen qu'il veut faire, Avec cet Etourdy⁎ me fera quelque affaire. Cherchons-le cependant, pour luy dire qu'icy Ma Cousine arrivée y peut… Mais le voicy. ### SCENE IV. TRIGAUDIN, GERONTE. GERONTE. Je vous cherchois. Hé bien, vostre aimable Parente… TRIGAUDIN. Est icy. GERONTE.         Quel bonheur ! tout flatte mon attente. Peut-on la voir ? TRIGAUDIN.         Sans-doute ; elle n'attend que vous. GERONTE. Mais sans l'incommoder ? TRIGAUDIN.     Nullement. GERONTE.         Avez-vous Avantageusement parlé de la personne ? Vanté la mine & l'air de l'Epoux qu'on luy donne ? TRIGAUDIN. Sans-doute. GERONTE.         Avez-vous bien fait valoir le présent Que mon amour prétend luy faire en l'épousant ? Et parlé de l'argent… TRIGAUDIN.         Comme en ce Mariage L'heur⁎ de vous posseder est l'unique avantage Qui doit causer en elle un amour bien reglé, Cet Article est un point dont je n'ay pas parlé. GERONTE. Pourquoy ? TRIGAUDIN.         Quand l'intérest en un pareil rencontre [193] Peut avoir quelque part dans l'ardeur qu'on nous montre ; Quand l'argent rend un cœur sensible à son aspect, Ce qu'il promet d'amour est un présent suspect : Il faut, pour s'aplaudir⁎ de l'ardeur d'une Femme, Ne pouvoir imputer qu'à soy toute sa flâme, Et se pouvoir enfin répondre en s'engageant, Que c'est nous qu'on épouse, & non pas notre argent. GERONTE. Fort-bien. C'est avoir sçeu me rendre un bon office. Mais avez-vous de moy fait un Portrait qui puisse… TRIGAUDIN. Si parfait, que son cœur charmé sur mon raport, Vous adore. GERONTE.         Déja ? Voila qui prend bien fort. Ainsi donc nostre Hymen sera chose facile ? TRIGAUDIN. Il dépendra de vous. GERONTE.         Allons voir si mon stile Ne diminuëra rien de cette opinion. TRIGAUDIN. Je m'en vay l'appeller. GERONTE.     Fort-bien. ### SCENE V. TRIGAUDIN, LUCIE, GERONTE. LUCIE.         Que me veut-on? TRIGAUDIN. *bas à Lucie.*. Voicy nostre Homme. LUCIE.     Ah Ciel ! TRIGAUDIN. *bas.*.         **Ne faites pas l'Idole⁎, Autrement…La voila, joüez bien vostre rôle. GERONTE. Qu'elle est belle ! jamais je ne vis rien d'égal, Et son Portrait n'est rien pres de l'Original : Souffrez que sur l'espoir de vous avoir pour Femme, Je vous livre un baiser pour gage de ma flâme. TRIGAUDIN. *les separant.*. Il entre en ces baisers, sans un nœud solemnel, Des transports indécens d'un feu trop sensuel : On sçait qu'un nœud sacré comme le Mariage, Ne doit pas commencer par le libertinage, Et qu'on doit de ses feux marquer la pureté Par un retranchement de sensualité : Quand par les droits d'Hymen vous en serez le maître, Dans vos embrassemens vos feux pourront parestre. Jusques-là… GERONTE.         J'y consens : mais laissez-moy du moins Luy marquer mes transports par quelques petits soins ; Sur l'aveu du Cousin, j'ay crû que la Cousine Recevroit sans chagrin l'Epoux qu'il luy destine ; Qu'aimant ce cher Parent, vous pourriez trouver bon Qu'il disposast d'un cœur… LUCIE.         Vous avez eu raison, J'ay reçeu de sa main un Epoux que j'honore, Qui m'aime, & dont le cœur… GERONTE.         Ma Belle, il vous adore. LUCIE. Quelque trouble secret qui m'étonne aujourd'huy, Je fais tout mon bonheur du plaisir d'estre à luy ; Mon cœur à son amour s'est trouvé si sensible, Que pour le signaler, tout luy sera possible, Et ma raison ne peut résoudre ma pudeur A cacher un amour maître de tout mon cœur. GERONTE. Ah de trop de bontez c'est honorer ma flâme : Ainsi donc cet Epoux aura toute vostre ame ? LUCIE. Toute entiere ! GERONTE.         Et ses soins témoins de ses desirs… LUCIE. Me plairont. GERONTE.     Son amour ? LUCIE.         Fera tous mes plaisirs. GERONTE. Sa personne, hem ? parlez. LUCIE.         Me sera toûjours chere. GERONTE. Et ses transports ? LUCIE.         Croistront le desir de luy plaire. GERONTE. Son entretien⁎ ? LUCIE.         Pour moy sera plein de douceur. GERONTE. Ses caresses ? LUCIE.         Daignez épargner ma pudeur. GERONTE. *voulant l'embrasser.*. C'en est trop ; & mon feu qui s'efforce à paraistre, De mon ravissement ne me sent plus le maître. TRIGAUDIN. *l'arrestant.*. Doucement, ces transports sont un peu trop fréquens : Je vous l'ay déja dit, un Homme de bon sens Ne doit point exposer, exigeant de ces preuves, La pudeur d'une Fille⁎ à de telles épreuves ; Il faut, quand nous pouvons donner tout à nos sens, Epargner les témoins de nos empressemens, De crainte d'exciter, par un soin condamnable, De petits mouvemens dont on est responsable. GERONTE. Tout ce raisonnement me semble bien subtil ; De petits mouvemens ! Comment se pourroit-il Qu'un Cousin pût avoir ces scrupules dans l'ame ? Que devant le Mary l'on caresse la Femme Tous les jours, sans qu'aucun… TRIGAUDIN.         *Distingo* [194], s'il vous plaist. GERONTE. Puis qu'elle me veut bien, & que je suis tout prest De l'épouser, pourquoy… ### SCENE VI. TRIGAUDIN, L'INDUSTRIE, GERONTE, LUCIE. L’INDUSTRIE.         Monsieur, on vous demande, C'est vostre Procureur, qui par son Clerc vous mande Que jusqu'à son Logis vous alliez au plutost. TRIGAUDIN. Le fâcheux contretemps ! Je m'y rendray tantost. L’INDUSTRIE. Il presse. TRIGAUDIN.     Qu'il attende. L’INDUSTRIE.         Il dit que c'est pour faire… TRIGAUDIN. Ah Ciel ! il ne faut pas negliger cette affaire, Les laisser seuls, tandis que d'amour transporté Celuy-cy… Puis que c'est une necessité, Le Logis où je vay n'est pas loin, & j'espere Estre bientost icy, je ne tarderay guère. ### SCENE VII. L'INDUSTRIE, GERONTE, LUCIE. L’INDUSTRIE. Madame, le hazard le force à vous quitter, C'est une occasion dont il faut profiter ; Vous sçavez… LUCIE.         C'est à quoy je suis bien résoluë : Laisse-nous seuls. ### SCENE VIII. GERONTE, LUCIE. GERONTE.         Enfin, malgré la retenuë Où ses yeux me forçoient, je puis en liberté Vous montrer tout l'amour dont je suis transporté ; Et ces mains… LUCIE.         Ce transport qui paroist légitime, Ne sçauroit de ma part estre souffert sans crime ; En vain vous prétendez devenir mon Epoux, Ne vous en flattez plus, je ne puis estre à vous. GERONTE. Ah que m'avez-vous dit, trop charmante mignonne ? Je ne puis estre à vous ? Est-ce que ma personne Vous déplaist ? LUCIE.         Non, Monsieur ; mais toutes mes ardeurs Se bornent au plaisir… GERONTE.         Ah vous aimez ailleurs, Traistresse ; & d'un Galant la flâme sera cause… LUCIE. Non, un Galant n'est pas ce que je vous oppose ; Un obstacle plus fort m'oblige à refuser Un honneur… GERONTE.         Vous voulez me voir agonizer : Ce refus coloré me cache une autre flâme ; Mais peut-on le sçavoir cet obstacle, Madame ? LUCIE. Oüy, Monsieur, je vous croy galant Homme, & discret, Vostre embarras me touche ; & comme ce secret, S'il estoit divulgué, pourroit bien me commettre, Je vous en feray part, si vous voulez promettre De faire aveuglement ce qu'on exigera De vos soins. GERONTE.         Je feray tout ce qu'il vous plaira. LUCIE. Mon cœur n'ose exposer sur si peu d'assurance… GERONTE. Faut-il par des sermens vaincre la défiance ? LUCIE. Il m'importe beaucoup de n'en pouvoir douter. GERONTE. Si quoy que de ma part vous puissiez souhaiter, Je balance⁎ un moment à vous rendre service, Qu'à mon premier refus tout l'Enfer me punisse, Que la foudre à vos yeux m'écrase, si je mens. LUCIE. Il suffit, je veux bien en croire vos sermens. Celuy qui vous a dit que j'estois sa Cousine Et qui vous fait sa Cour du cœur qu'il vous destine, Qui semble me porter à répondre à vos feux, Ce mesme Homme qui vient de nous quitter tous deux, Vous le diray-je… GERONTE.         Hé bien, ce mesme Homme, Madame… LUCIE. Est mon Mary, Monsieur, & vous voyez sa Femme. GERONTE. Vous, sa Femme ? LUCIE.     Moy-mesme. GERONTE.         Ah Ciel… Mais non, sur quoy Pourrois-je à ce discours adjouter quelque foy ? Il est de mes Amis ; Depuis dix ans, Madame, Je sçay bien qu'il est Veuf, & j'ay connu sa Femme, Et ce détour pour moy n'est pas bien concerté. LUCIE. Ah que de vostre erreur vous estes entesté ! Il l'entretient, vous dis-je, apres l'avoir causée : Il m'a près d'Orleans en secret épousée Et depuis quatre mois, pour des raisons qu'il a, Il cache cet Hymen clandestin. GERONTE.         Tout cela N'est qu'un conte à plaisir, une défaite honneste, Pour détourner l'Hymen où mon amour s'apreste⁎ ; Ma personne vous choque, & je voy clairement Que vous vous mitonnez⁎ un Epoux plus charmant. LUCIE. Non, vous dis-je. GERONTE.         Si fait, friponne⁎ de mon ame ; Par pitié pour mes jours recevez mieux ma flâme ; Croyez que vous pourrez, sans que j'en dise un mot, Disposer de mon bien, & regler vostre dot, Et que je vous en veux donner pour hypoteque Tous les* Duplicata* de ma Biblioteque. Quant aux plaisirs divers que vous pourriez avoir, Que je veux que l'effet surpasse vostre espoir, Et que je vous répons, vous livrant ma personne, Des ardeurs d'un Blondin⁎ sous un poil qui grisonne, Mille tendres soûpirs poussez de temps en temps, Viendront cautionner mes regards languissans ; Sans cesse ces soûpirs cherchant à se confondre… LUCIE. Ces offres sont fort beaux [195], mais je n'y puis répondre ; Et la douleur que j'ay de vous avoir connu, Est moindre que l'ennuy de vous voir prévenu : Mais lors que vous sçaurez…Vous avez des oreilles, Cachez-vous, vous allez entendre des merveilles ; Tous mes discours vous ont paru mysterieux, Mais mon Mary qui vient, vous en convaincra mieux ; Ecoutez seulement, prestez-nous grand silence, Et ne vous montrez point. GERONTE.     Hé bien, soit. LUCIE.         Il avance. ### SCENE IX. TRIGAUDIN, LUCIE. GERONTE. caché. TRIGAUDIN. Qu'est devenu Geronte ? LUCIE.     Il est sorty. TRIGAUDIN.         Fort-bien. Craignant que l'embarras d'un premier entretien Ne trahist un secret dont je fais grand mystere, J'ay pour quelques momens differé mon affaire, Et pressé mon retour ; outre que… LUCIE.         Je vous croy Content de mon début. TRIGAUDIN.         Tres-content ; & je voy Que cet Oyson⁎, suivant ma premiere pensée, A dedans nos panneaux donné teste baissée. LUCIE. Et qui n'y donneroit ? Les Gens de bonne-foy Sont aisez… TRIGAUDIN.         C'est un Homme à berner, croyez-moy ; Et dont l'esprit n'est pas capable de reforme, La matiere chez luy fait honneur à la forme, Et ne presente aux yeux dans tout cet Animal, Qu'un corps d'Homme, animé de l'ame d'un Cheval. GERONTE. *caché.*. Il débute assez bien. TRIGAUDIN.         Mais ce que je propose… LUCIE. Quoy, voulez-vous plus loin, Monsieur, porter la chose ? TRIGAUDIN. Je croy m'estre avec vous expliqué sans détour. LUCIE. Comment, sans écouter la raison, ny l'amour, Avec un Inconnu marier vostre Femme ? Contraindre sa tendresse à ce commerce infame, Contre un de vos Amis écouter ce transport, Pour vous faire héritier de son bien par sa mort ? GERONTE. *caché.*. Comment diable ? LUCIE.         Et sans voir que mon honneur s'expose. TRIGAUDIN. Vous vous éfarouchez toûjours de peu de chose, Avecque vostre honneur. Je sçay que comme Epoux, J'y dois prendre toûjours mesme intérest que vous : Aussi vous ay-je dit, qu'épousant nostre Dupe, Il faut qu'absolument vostre adresse s'occupe A faire la Malade, afin que ce moyen Assure en mesme temps vostre honneur & le mien, Tandis que de ma part je sçaurois le résoudre A luy faire avaler douze grains d'une Poudre Qui fera tout l'effet que je m'en suis promis. GERONTE. *caché.*. Le Traistre ! LUCIE.         Et vous pourrez consentir qu'à ce prix… TRIGAUDIN. Finissons : ces discours d'une ame trop commune Rendroient vostre Morale à la fin importune : Vous sçavez mon dessein, ne le combattez plus, Ou craignez… Je n'ay rien à dire là-dessus ; Je veux, quelque embarras que le Sort nous destine, Que vous passiez toûjours icy pour ma Cousine, Qu'à ce nom vostre amour s'efforce à se borner ; Que pour quelque raison qu'on puisse imaginer, Quelque coup impréveu qui pût troubler vostre ame, Vous ne disiez jamais que vous estes ma Femme, Et ne me nommiez pas mesme dans le Païs Vostre Mary, que quand je vous l'auray permis, Entendez-vous ? N'estant plus icy necessaire, Je retourne à loisir terminer mon affaire ; Préparez-vous sur tout à vous abandonner Aux ordres absolus que j'ay sçeu vous donner ; J'iray tantost trouver Géronte à sa demeure, Et pour l'Hymen qu'il veut, prendre le jour & l'heure. ### SCENE X. GERONTE, LUCIE. LUCIE. Croyez-vous à present que ce soit tout de bon ? GERONTE. Voila, je vous l'avouë, un dangereux Fripon ! Non, je ne veux jamais le voir ; sa perfidie… LUCIE. Il faut dissimuler, Monsieur, je vous en prie ; Appaisez, s'il se peut, ce transport indiscret. S'il sçavoit que ma bouche eut trahy son secret, Il me perdroit ; Je puis, sans attirer sa plainte, Tirer avecque vous quelque fruit de ma feinte ; J'ay besoin de secours, vous m'en avez promis, Je ne vous ay fait part du secret qu'à ce prix : Je voy bien qu'il prétend faire toûjours mistere De l'Hymen clandestin qu'il m'obligea de faire ; Et j'apréhende enfin, sur ce que je prévoy, Les bruits qu'un tel secret peut semer contre moy ; Outre que nostre Hymen concerté m'embarasse ; Et je puis par un tour que je veux qu'on luy fasse, Le forcer, sans qu'il ose ou puisse s'en fâcher, A déclarer l'Hymen qu'il s'obstine à cacher ; Et l'embarras enfin où je le prétens mettre, Peut nous vanger tous deux de luy sans nous commettre. GERONTE. Et si pendant ce temps il m'assaisonne un Plat De sa Poudre ? Ecoutez, c'est un grand Scélerat⁎ ; Il faut pourtant sçavoir, avant que s'en défendre, Quel est ce tour. LUCIE.         Venez, je m'en vay vous l'aprendre. Fin du Troisième Acte. ## ACTE IV. ### SCENE PREMIERE. GERONTE, VALERE, LUCIE. GERONTE. Ouy Valere, oüy ma Niéce, ils n'ont que trop parlé, C'est un secret qui vient de m'estre révelé, Et j'en ay pour témoins mes fidelles oreilles, Qui m'ont fait sur ce point entendre des merveilles : Sans le secret aveu que sa [196] Femme m'a fait, Trigaudin, pour venir au point qu'il se promet, M'auroit veu dans deux jours le Mary de sa Femme : Il me prestoit son corps aux despens de mon ame, Et m'eussent régalé tous deux à frais communs, De dix grains d'une Poudre à faire des Défunts. Ah le Scélerat !Non, je ne puis m'en remettre. JULIE. Puis que vous voulez bien, mon Oncle, me permettre Que sur un tel sujet je parle en liberté ; Vous avez bien-souvent trop de facilité⁎ [197] : Pour le premier venu, ce cœur plein de franchise, Doute, en se montrant tout, qu'un autre se déguise, Et croit aveuglement sur la foy du dehors, Qu'un vray zele par tout regle mesmes transports. La bonne-foy sied bien ; on peut estre sincere ; Mais enfin avec choix un Amy se doit faire. Nostre Siecle est fertile en Amis contrefaits, Dont la bouche & le cœur ne s'accordent jamais ; On ne trouve par tout sous ce dehors fantasque Que des Gens dont le cœur ne va jamais sans masque, Dont le plus grand chagrin seroit qu'on les connût, Et dont chaque grimace a toûjours quelque but. VALERE. Vous le voyez, Monsieur, cet Amy dont le zele… GERONTE. Il n'est que trop constant, & je l'échape belle : Mais, comme vous sçavez, sa Femme attend de nous Un remede aux transports⁎ de Monsieur son Epoux ; Son Valet qui s'apreste à servir sa Maistresse, A besoin que nos soins secondent son adresse, Pour conduire le tour qu'il s'est imaginé : Il doit venir chez nous, & je suis étonné… Mais je le vois : Hé bien, est-il temps, l'Industrie ? ### SCENE II. GERONTE, VALERE, JULIE, L'INDUSTRIE. L’INDUSTRIE. Il faut se dépescher, Monsieur, je vous en prie, Le temps presse. Avez-vous fait chercher les habits… GERONTE. Oüy, mon valet est prest, qui t'attend au Logis ; Tu ne peux mieux choisir pour un semblable piege : Il perdit quelque temps autresfois au College, Et fut mesme depuis Clerc chez un Procureur : Il s'est fait sa leçon, qu'il sçait presque par cœur ; Et comme il n'est point sot, on peut sur ma parole Esperer que tantost il joüera bien son rôle. L’INDUSTRIE. Voila bien nostre fait. Où m'attend-il ? chez vous. Mais il nous faut encor quelqu'un : Où prendrons-nous  Un Aigrefin⁎ bien dru, dont la mine soûtienne Ce que nous prétendons… VALERE.         Te voila bien en peine ? Nous prenons la Forest. L’INDUSTRIE.         Qu'est-ce que la Forest ? VALERE. C'est mon Valet de Chambre ; il est déja tout prest, Et son humeur folâtre a de quoy satisfaire. GERONTE. D'accord ; mais avec eux voyez ce qu'il faut faire, Ce que leur soin demande ou du vostre, ou du mien, Et si pour ce projet ils n'ont besoin de rien. VALERE. Puis-je de quelque espoir flater… GERONTE.         Allez, vous dis-je, Je sçay ce que de moy vostre tendresse exige : Mais comme il faut songer à ce qu'on veut de nous, Rentrez, & soyez seûr que ma Niéce est à vous. ### SCENE III. GERONTE, JULIE. GERONTE. Ouy, ma Niéce, je veux que l'Hymen vous unisse, Et qu'avec mes refus vostre peine finisse, Et que tous deux (pourveu qu'il te plaise s'entend) Car si… JULIE.         Tout m'en plaira, quand vous serez content. GERONTE. C'est, en s'expliquant bien, répondre avec adresse : Mais je voy Trigaudin tout resveur, qu'on nous laisse. ### SCENE IV. TRIGAUDIN, GERONTE. TRIGAUDIN. He bien, vous avez veu ma Cousine ? GERONTE.     Oüy. TRIGAUDIN.         Comment La trouvez-vous ? GERONTE.         Comment ? Belle admirablement, L'œil modeste, l'air grand ; l'Hymen qui nous doit joindre… TRIGAUDIN. Sa beauté n'est pour vous que ce qu'elle a de moindre. GERONTE. Non, son esprit m'enchante, & j'en suis tres-content. TRIGAUDIN. Sa tendresse est pour vous un point plus important ; Elle vous aime. GERONTE.     Moy ? TRIGAUDIN.         De l'amour le plus tendre Qu'un cœur… Avec le temps vous le pourrez aprendre. GERONTE. A quoy l'avez-vous veu ? TRIGAUDIN.         Depuis vostre entretien, Elle resve toûjours, sans s'occuper à rien ; Mille petits soûpirs dont elle se console, Prononçant vostre nom, luy coupent la parole : Tantost s'apercevant que je puis l'observer, Elle parle de vous, en cessant de resver, Me vante vostre esprit. GERONTE.     Mon esprit ? TRIGAUDIN.         Vostre mine. GERONTE. Ma mine ? TRIGAUDIN.         Et d'un soûpir l'entretien se termine, Disant, Ah qu'il est doux d'avoir un tel Epoux ! GERONTE. Un tel Epoux ? Le Fourbe ! à part. TRIGAUDIN.         En luy parlant de vous, J'exagere avec soin, avant qu'elle me quitte, Ce qu'en vous la Nature assemble de mérite. Enfin je n'obmets point à dire ce qu'il faut, Pour croistre… GERONTE. *à part.*.         **Je le crois. Ah l'effronté maraut⁎ ! TRIGAUDIN. Seûr d'un cœur qui n'a rien que le vostre n'obtienne, Je croy que vostre ardeur répond fort à la sienne. GERONTE. Oüy ; mais l'amour qui joint l'esprit devant les corps, N'ayant rien de si doux que ses premiers transports, Que ces momens lardez⁎ de fréquens teste-à-teste, Ces tendres avantgousts d'un Hymen qui s'apreste, Je me trouve d'humeur, pour mieux m'y disposer, De faire un peu l'amour [198] avant que d'épouser. Ces préludes galants font lors que l'on s'engage, Que se connoissant mieux, on s'aime davantage ; Et le feu dont je voy l'exemple avec plaisir, Doit, pour durer longtemps, s'alumer à loisir. Ainsi je suis d'avis de prendre une quinzaine Pour mettre doucement ma tendresse en haleine : Cela fait… TRIGAUDIN.         Ces plaisirs dont on est aveuglé, Sont des échantillons d'un feu⁎ trop déreglé, Monsieur, & c'est vouloir dans le libertinage Epuiser les douceurs qu'on trouve au Mariage. Le plaisir ne se peut jamais justifier, Si l'Hymen ne prend soin de le purifier ; Et tous ces avantgousts où l'honneur se hazarde, Sont des tentations dont il faut qu'on se garde. Que si pour des raisons vous voulez quelque temps Différer vostre Hymen, différez, j'y consens : Mais pour ne point nourir une flâme indécente, Dispensez-vous de voir jusque-là ma Parente. La vertu n'admet point de semblable complot. GERONTE. *à part.*. Ah qu'il seroit penaut⁎, s'il estoit pris au mot ! Non, si de ce delay vostre vertu s'offence, Concluons cet Hymen, & faisons diligence ; Vos avis sont des loix que je veux m'imposer, Et dans deux ou trois jours je la veux épouser. TRIGAUDIN. Hé bien soit, pour régler une union si belle, Je vous attens ce soir à souper avec elle : Rendez-vous de bonne heure, & je prendray le soin. GERONTE. Fy, cecy sent la Poudre, & j'évente de loin [199] ; Je ne sçaurois… TRIGAUDIN.         Pourquoy l'amour qui vous possede… GERONTE. Je veux prendre demain certain petit Remede, Et par précaution me coucher sans manger. TRIGAUDIN. D'accord ; mais n'allez pas demain vous engager, J'auray soin du Disner. GERONTE.         Il seroit inutile ; Demain je suis prié d'aller disner en Ville, Et cela ne se peut. TRIGAUDIN.         Si je ne puis vous voir, Je feray préparer le Soupé pour le soir, Et nous vous attendrons… GERONTE.         N'en prenez pas la peine, Je fais Collation⁎ trois jours de la Semaine, Et demain en est un. Ah l'effronté pendard ! Je tiens sa Poudre un mets où j'aurois bonne part [200]. TRIGAUDIN. Mais il faudroit… GERONTE.         Cessez de vous en mettre en peine, Je me charge du soin qu'il est besoin qu'on prenne, Et je vay de ce pas donner ordre aux Habits, Au Festin… TRIGAUDIN.         C'est bien dit. Moy, je rentre au Logis Aprendre à ma Cousine une telle nouvelle. GERONTE. Adieu, dans peu de temps je me rendray près d'elle. ### SCENE V. TRIGAUDIN. *seul.*. Qu'il est dupe ! Allons voir… Mais ma Femme paraist. ### SCENE VI. TRIGAUDIN, LUCIE. TRIGAUDIN. Qu'avez-vous ? LUCIE.     Du chagrin⁎. TRIGAUDIN.         D'où vient-il, s'il vous plaist ? LUCIE. On m'écrit d'Orleans… TRIGAUDIN.         Qu'a-t-on pû vous aprendre ? LUCIE. Que dans deux ou trois jours mon Frere s'y doit rendre. TRIGAUDIN. Hé bien ; qu'avez-vous tant à craindre sur ce point ? LUCIE. Je dois apréhender que ne m'y trouvant point, Ignorant nostre Hymen, un peu de défiance ; Ne le fasse pas bien juger de mon absence. TRIGAUDIN. Qu'un semblable chagrin ne vous trouble jamais ; Je sçay bien le secret de faire vostre paix ; Et nostre affaire enfin en ce lieu terminée, Il pourra s'appaiser, sçachant nostre hymenée. Oubliez pour un temps ce chagrin mal fondé, Pour sçavoir le détail de tout mon procedé ; Tout flate nos desseins, le Destin les feconde, Et nostre affaire prend le meilleur train du monde. Ce Géronte charmé de l'éclat de vos yeux, Prétend vous épouser dedans [201] un jour ou deux ; Et tant de joye enfin flate son espérance, Qu'il se charge du soin de toute la dépense : Des Habits, du Festin ; & sa crédulité Nous répond à tous deux de nostre seûreté. LUCIE. Enfin c'est sans retour, & sur vos entreprises, Sans consulter que vous, vos mesures sont prises, Monsieur, & ma priere enfin est un secours Que je m'efforce en vain de prester à vos jours : Vostre esprit à ce noeu veut me voir résoluë, Vous me le commandez de puissance absolüe, Et toûjours entesté du titre d'Héritier, Vous en prenez sur vous le risque tout entier. TRIGAUDIN. Oüy, je prens tout sur moy, vous dis-je, & vous dispense Du soin de m'expliquer quelle en est l'importance : Ce dessein sans péril se peut exécuter, L'occasion nous rit⁎, il en faut profiter ; Et puis que c'est pour vous un moyen de me plaire… LUCIE. Hé bien, Monsieur, hé bien, il faut vous satisfaire ; Puis que ce sont pour moy des ordres absolus, Me voila preste à tout, je ne resiste plus. TRIGAUDIN. Ah que je suis content de vous voir disposée… LUCIE. Il faudra, l'Hymen fait me feindre indisposée ? TRIGAUDIN. Oüy, de peur que son feu n'eust, devenant trop promt, Des suites qui pouroient incommoder mon front… LUCIE. Mais si dans les transports d'une ardeur violente, Il exige… TRIGAUDIN.         Feignez que vostre mal augmente : Mais ce point au Logis pouroit estre agité Avec plus de loisir & plus de liberté, Entrons pour y songer, car je me persuade… ### SCENE VII. TRIGAUDIN, LUCIE, LA FOREST, L'INDUSTRIE. L’INDUSTRIE. *dans une Entrée.*. La Forest, la [202] voila, va luy donner l'aubade⁎. LA FOREST. Ma Sœur, vous dans Paris ! LUCIE.     Ah mon Frere ! TRIGAUDIN.         Sa Soeur! LA FOREST. *Bas, l'embrassant.*. Secondez comme il faut ma feinte. Quel bonheur ! TRIGAUDIN. Pour me faire enrager, d'où diable sort ce Frere ? LA FOREST. Vous trouver dans Paris ! Que venez-vous y faire ? LUCIE. La curiosité de voir ce beau Sejour, Me pressoit dés longtemps d'y venir faire un tour. Quelques Amis communs qui sçavoient cette envie, M'avoient, pour y venir, mise d'une partie ; Et pour m'accompagner, Monsieur mesme est venu, C'est un de nos Cousins qui vous est inconnu, Galant, spirituel, sur tout civil aux Dames. LA FOREST. Cousin ! de quel costé ? TRIGAUDIN.         C'est du costé des Femmes. LA FOREST. *salüant Trigaudin.*. De quelque endroit que vienne un Parent tel que vous, Monsieur, assurément c'est un honneur pour nous, Qui nous sera bien cher : Mais, mon Cousin, je pense Que comme entre Parens on se fait confidence, Je puis à cœur ouvert, touchant nostre bonheur, Faire part devant vous d'un secret à ma Sœur. TRIGAUDIN. Si suspect… LA FOREST.         Non, pour faire au Païs une Nôce, Je viens de retenir deux places au Carosse. TRIGAUDIN. Bon, le Beaufrere va nous quitter le terrain. LA FOREST. Mais puis que vous voila, je change de dessein, Je ne pars plus. LUCIE.     Comment ? LA FOREST.         Ce mesme Personnage Qui vous fit demander, quand je fis mon voyage, Plus que jamais épris du feu qu'il sent pour vous, M'a prié de soufrir qu'il devint vostre Epoux. J'ay donné ma parole, & nous partions ensemble Pour aller terminer cet Hymen. TRIGAUDIN.         Ah je tremble. LA FOREST. J'allois le retrouver ; mais sans aller plus loin, Puis que nous voicy tous, on peut prendre le soin… TRIGAUDIN. Comment, vous prétendez marier ma Cousine ? LA FOREST. Oüy, je vais, si l'Hymen à mon choix se termine, La voir Femme demain, sans attendre plus-tard, D'un fameux Avocat nommé Monsieur Braillart ; Monsieur Braillart *autem* [203] a la mine engageante, Son nom fait son éloge, & son mestier sa rente. TRIGAUDIN. Je ne le connois point, & c'est à mon égard… LA FOREST. Vous ne connoissez point Maistre Martin Braillart, Fils de Thibaut Braillard, ce torrent d'éloquence, Dont la voix faisoit peur aux Gens à l'Audiance, Dont les doctes Ayeuls connus de toutes parts Donnerent au Barreau tant d'Illustres Braillarts ? TRIGAUDIN. Non. Où se sont-ils veus ? sur quelles assurances… LA FOREST. Venant dans Orleans pour prendre ses Licences [204], Maistre Martin Braillart prit chez nous tant d'amour, Qu'il promit d'épouser ma Sœur à son retour. TRIGAUDIN. Il faut songer, avant que l'Hymen se consomme… LA FOREST. Maistre Martin Braillart, Monsieur, est bien son Homme. TRIGAUDIN. Mais pour faire un tel choix, il faut prendre du temps. LA FOREST. Comment ? je ne pourois mieux choisir en cent ans. TRIGAUDIN. Un Avocat est-il un si grand avantage, Qu'on doive tellement haster ce Mariage ? Ma Cousine est bien faite, elle a de la beauté ; Il faudroit à loisir, s'estant bien consulté, Joignant à ses appas quelque legere somme, Luy chercher pour Mary, Cousin, quelque honneste Homme, Qui… LA FOREST.         Comment donc, Cousin, est-ce qu'un Avocat N'est pas un honneste Homme ? TRIGAUDIN.         Oüy, mais un tel Etat N'est point, selon mon sens… LA FOREST.         Pouroit-il vous déplaire ? TRIGAUDIN. Si j'ose m'expliquer en Parent bien sincere, A vous dire le vray, ce choix ne me plaist pas, Cousin ; & la plûpart de tous ces Avocats Sont des Gens, entre nous, dont toûjours l'alliance Laisse quelque scrupule aux Gens de conscience ; Des Causeurs qui sans cesse, outre la liberté Qu'ils prennent de tout dire avec impunité, Font commerce au Barreau, comme en une Boutique, Du pétulent⁎ babil⁎ dont chacun d'eux trafique [205] ; Et font chercher au Juge, yvre de leurs dictons, Comme la verité, la justice à tâtons. Le desordre public grossit chez eux la presse⁎, Ce sont des nourrissons que la Discorde engraisse, De qui le plus fameux & l'Esprit le plus net, Doit aux debats d'autruy sa Robe & son Bonnet [206]. LA FOREST. C'est à trop de mépris joindre trop de franchise, Ce sont d'honnestes Gens, Cousin, quoy qu'on en dise. Je m'en vay l'avertir, & je suis assuré… Ah que vous allez voir un Homme bien timbré⁎ ! Vous en serez surpris, & vous pourez connoistre, Cousin, si dans ce choix mon bon goust sçait paroistre. Maistre Martin Braillart est proche de ce lieu, Chez certain Magistrat, pour y faire un adieu' Mais en habit décent, & je luy cours aprendre Un bonheur impréveu qui poura le surprendre, Et que je n'ay pas dû [207] si longtemps luy cacher. Où demeurez-vous ? LUCIE.     Là. LA FOREST.         Je m'en vay le chercher. Mais je le voy qui vient, ma course seroit vaine. ### SCENE VIII. TRIGAUDIN, LUCIE, LA FOREST, LA RIVIERE. LA RIVIERE. *en Robe & en Soutane.*. Je vay changer d'habit. LA FOREST.         N'en prenez pas la peine. Ma Sœur qui dans Paris se rencontre au besoin, Nous oste l'embarras de la chercher plus loin, Nostre voyage est fait, la voila. LA RIVIERE.         Quelle joye ! Madame, le Cheval qu'on fit entrer dans Troye, Est un don qui figure intelligiblement La suite de nos feux, & leur commencement : Cette crédulité qui l'admit dans la Ville, Figure à vous aimer combien je fus facile ; Et les Gens qui sortoient de ses flancs tenébreux, Figurent les Braillarts qui naistront de nous deux ; Le desordre où la nuit cette Ville fut mise, Figure nettement mon trouble & ma surprise ; Et le feu qui brûla ce Cheval plein de coups, Figure les ardeurs dont je brûle pour vous. LUCIE. Ce début de ma part demanderoit des suites ; Mais tant d'esprit paroist en tout ce que vous dites, Qu'un discours si galant & si bien figuré, Doit n'estre interrompu, que pour estre admiré. LA RIVIERE. Je suis ravy de voir qu'il ait de quoy vous plaire ; Mais je sens qu'il me faut préparer à me taire. Madame, vostre esprit étonné de cecy, N'en voit peut-estre pas la raison, la voicy. Comme les divers temps ont diverses maximes, Les Anciens ostoient la langue des Victimes, Que la bonté du Ciel, que leurs vœux imploroient, Leur faisoit immoler aux Dieux qu'ils adoroient : L'Amour suivant pour moy cette mode ancienne, En m'immolant à vous, semble m'oster la mienne ; Et vous ne verrez plus, le Sacrifice fait, Dedans Martin Braillart, qu'un Avocat muet. LA FOREST. Hé bien, Cousin ? LA RIVIERE.     Cousin ! LA FOREST.     Oüy. LA RIVIERE.         J'ay honte, Beaufrere, De l'incivilité que vous me laissez faire, Et vous deviez plutost me l'avoir dit, Monsieur. Si de vous saluer je n'ay pas eu l'honneur, Du moins en bon Parent, faites-moy la justice, De croire en ma faveur, qu'aux offres de service Que mon zele vous fait, je prétens joindre encor Tout le respect pour vous, qu'on eust pour le Veau d'or [208]. TRIGAUDIN. *à part.*. Ma foy, Martin Braillart n'est qu'un Sot, une Beste, Que je garantis tel des pieds jusqu'à la teste. LA RIVIERE. C'est dequoy vous pouvez vous tenir assuré. Pour prendre mon discours où j'en suis demeuré, Je fais voir clairement, qu'on doit (sauf revérence) Adjuger vostre main à mon impatience, Et par provision⁎ établir mon repos, Et ce par deux moyens que j'explique en deux mots : Le premier est l'aveu de Monsieur vostre Frere, Cy present qui bien loin d'estre à mes vœux contraire S'oblige à garantir l'espoir qu'il m'a permis : Il peut s'inscrire en faux contre ce que je dis, Si j'impose [209] ; La Loy naturelle & civile, Rendroit sans son aveu vostre choix inutile ; La disposition de la Loy *Nuptia* [210] Décide sur ce fait, *paragrapho neque* [211]** ; En cela son suffrage est necessaire au vostre. Ce moyen est assez prouvé, je passe à l'autre. L'espoir dont vostre amour a sçeu flater le mien, Madame, en quatre mots, fait mon second moyen. On ne sçauroit nier, quoy qu'ait promis ce Frere, Que vostre aveu pour moy n'ait esté volontaire ; Et je ne puis douter des suites qu'il aura, Sur ce que, *volenti non fit injuria* [212]. Entre les Gens d'honneur, sans qu'il soit besoin d'Acte, La parole devient une espece de pacte ; Mes soins à le prouver deviendroient superflus, On le sçait : c'est pourquoy je finis, & conclus, A ce que faisant droit d'abord sur ma demande, Vous direz à l'instant, si haut qu'on vous entende, Que sans avoir égard aux vœux d'aucuns Galans, Vous me prendrez demain pour Epoux, sans despens [213]. TRIGAUDIN. Belle conclusion ! LUCIE.         Une pareille affaire Dedans un autre lieu veut qu'on en délibere. Nous pourons là-dedans en parler à loisir. LA FOREST. Entrons, elle a raison ; je me fais un plaisir… LA RIVIERE. Mais… LUCIE.     Je vous suis. LA RIVIERE. *à Trigaudin.*.         **Allons, Monsieur, je vous en prie. LA FOREST. Entrons, notre Cousin est sans cerémonie. ### SCENE IX. LUCIE, TRIGAUDIN. LUCIE. Vous voyez l'embarras où vous vous estes mis, Et vous pouvez juger de la peine où je suis : Mais ne pouvant qu'à vous en imputer la cause, C'est à vous à songer à quoy cecy m'expose, Car je ne pense pas que vous soyez d'avis Que je sois aujourd'huy Femme de trois Maris. Voyez par quel moyen il sera necessaire De me tirer du pas que vous m'avez fait faire ; Et pour vous épargner des conseils superflus, J'entre, & j'attens chez nous vos ordres là-dessus. ### SCENE X. TRIGAUDIN. *seul.*. Sur tout cet embarras que faut-il que je fasse ? Je tombe de mon haut⁎, & tout cecy me passe. Quoy, lors qu'en mes desseins tout semble prendre part, Il faut qu'à point-nommé Maistre Martin Braillart Escorté par un Frere, & plein d'amour dans l'ame, Se prépare à se voir le Mary de ma Femme ? Quel party faut-il prendre ? Ah Ciel ! tout me fait peur : Declarer nostre Hymen, c'est me perdre d'honneur ; Passer pour Scélerat dans l'esprit de Géronte, Ne le point déclarer, c'est me couvrir de honte ; Car ce Frere obstiné, peut-estre dés demain, Fera prendre à sa Sœur un Epoux de sa main. Cet obstacle impréveu trouble tout le mystere : J'enrage ; tout m'alarme, & tout me desespere. Que résoudre ? que faire ? Entrons pour y resver, Et voyons quel remede on y poura trouver. Fin du Quatrième Acte. ## ACTE V. ### SCENE PREMIERE. TRIGAUDIN, LUCIE. LUCIE. Jusqu'où doivent aller vos belles entreprises ? Vos résolutions, Monsieur, sont-elles prises ? Mon sort est en vos mains. Quand vous en ordonnez, Peut-on sçavoir à quoy vous vous déterminez ? TRIGAUDIN. Oüy, vous l'allez sçavoir, il faut vous satisfaire : Je prétens voir jusqu'où peut aller cette affaire ; Sans trahir mon secret, je veux voir jusqu'au bout, Et faire à petit bruit guerre à l'œil [214] ; mais sur tout, Mettez-vous dans l'esprit, que de vostre silence Dépend tout le succés de nostre intelligence⁎ ; Et qu'il faut préparer, secondant mes transports, Vostre discretion à de nouveaux efforts. LUCIE. Attendray-je à parler, trahissant vostre flame, Que de Monsieur Braillart l'Hymen me rende Femme ? Et trouvez-vous enfin bien de la seûreté A pousser ma tendresse à cette extremité ? TRIGAUDIN. Non. Si dans l'embarras que son amour nous cause, Sa perte à nos desseins servoit de quelque chose, Ou que l'on vous forçast à répondre à ses feux, Je crois avoir assez de Poudre pour eux deux. Telles Gens à l'Estat sont si peu necessaires, Qu'un millier, plus ou moins, ne l'affoibliroit guéres ; Et le Barreau, qui doit sa gloire à d'autres soins, N'en iroit pas plus mal, pour un Braillart de moins. C'est de quel œil je voy de pareils Personnages ; Mais ce n'est pas mon but ; & tous les Mariages Où l'on voit tous les jours les Parens disposez, Ne s'accomplissent pas, pour estre proposez, Outre que je prétens ou détourner ce Frere, Ou dégoûter Braillart de l'Hymen qu'il veut faire. Vous pourez librement, vous expliquant tantost, Dire qu'un tel Party n'est point ce qui vous faut, Et combattre ses feux d'assez de répugnance, Pour les faire douter de vostre obeïssance. Je sçauray de ma part ménager le surplus ; Allez-y travailler. LUCIE.     Mais… TRIGAUDIN.         Ne repliquez plus. LUCIE. Si vostre amour du mien veut encor cette preuve, Je veux bien essuyer cette derniere épreuve ; Vos ordres sont des loix que je veux m'imposer. Mais prenez garde à quoy vous m'allez exposer ; Car enfin si malgré toute vostre conduite A recevoir sa main je me voyois réduite, Je ne vous répons pas que contre vostre espoir Ma flâme & ma vertu ne fissent leur devoir ; Et quoy que de ma part vous pussiez vous promettre… TRIGAUDIN. C'est à quoy j'auray soin de ne vous pas commettre : Vostre Frere est tout seul ; quoy qui puisse arriver, Gardez-bien le secret, & l'allez retrouver. ### SCENE II. TRIGAUDIN *seul.*. Pour peu qu'à différer son refus les engage, Je feray de ce temps un assez bon usage : Tandis qu'elle se va charger de ce soucy, Allons voir si Géronte est chez luy. Le voicy. ### SCENE III. TRIGAUDIN, GERONTE. GERONTE. He bien, conclurons-nous l'Hymen que je propose ? TRIGAUDIN. Avez-vous meûrement reflechy sur la chose ? Et sur un choix qu'on doit avoir examiné, Vous sentez-vous, Monsieur, la …bien déterminé ? GERONTE. Si-fort, que je voudrois l'épouser tout-à-l'heure ; Je ne souhaite point de fortune meilleure ; Et je borne mes vœux, charmé de tant d'appas, Au plaisir de la voir aujourd'huy dans mes bras. TRIGAUDIN. S'il est ainsi je puis établir vostre joye ; Mais cependant, Monsieur, je n'en sçay qu'une voye. Si pour la posseder ce cœur ne se résout… GERONTE. Parlez ; pour l'obtenir, je vous répons de tout… TRIGAUDIN. Pour rendre sur ce choix vostre ame satisfaite, Il faut tenir d'abord la chose un peu secrette ; Et donnant vostre main en recevant sa foy, Cacher pour quelque temps cet Hymen. GERONTE.         Et pourquoy L'épouser en secret ? Est-ce… TRIGAUDIN.         C'est un mistere Que je ne me suis pas attendu de vous taire : Mais comme il se fait tard, & qu'il faudroit du temps, Il faut, pour en parler, prendre d'autres momens. Afin que sans éclat la chose se termine, Je meneray chez vous, sur le soir, ma Cousine : Donnez, en achevant cet Hymen au plutôt, Pour le tenir secret, tous les ordres qu'il faut. GERONTE. Oüy, oüy, je vay songer à regler cette affaire. à part. Le Fourbe jusqu'au bout soûtient son caractere. ### SCENE IV. TRIGAUDIN *seul.*. Ce dessein est hardy, mais bien imaginé ; Et cet Hymen enfin une fois terminé, Quoy que puisse entreprendre ou Braillart, ou le Frere, Je sçay bien le moyen de me tirer d'affaire. Je vay les disposer tous deux adroitement A différer d'un jour cet Hymen seulement, Tandis que je sçauray… Mais le Beaufrere avance. ### SCENE V. TRIGAUDIN, LA FOREST. LA FOREST *feignant d'estre en colere.*. Ouy, je me moqueray de vostre resistance, Et vous l'épouserez. TRIGAUDIN.         Il paroist en couroux. LA FOREST. Je vous feray bien voir… TRIGAUDIN.         Mon Cousin, qu'avez-vous ? LA FOREST. Je parlois à ma Sœur. TRIGAUDIN.         L'affaire est importante, Puis qu'un si grand couroux… LA FOREST.         C'est une Impertinente. TRIGAUDIN. Eh, Parent, doucement. LA FOREST.         L'Impudente⁎, là-haut, M'a dit qu'un tel Party⁎ n'est point ce qu'il luy faut. TRIGAUDIN. Comment, de ce couroux sa répugnance est cause ? LA FOREST. Oüy. TRIGAUDIN.         J'ay crû que c'estoit, Cousin, toute autre chose. LA FOREST. Comment donc, ce motif n'est-il pas assez fort ? TRIGAUDIN. Oüy ; mais je ne voy pas qu'elle ait eu tout le tort… LA FOREST. Vous prenez contre moy son party ? TRIGAUDIN.         Je n'ay garde : Mais si par cet Hymen son bonheur se hazarde, Voulez-vous la forcer de prendre cet Epoux ? LA FOREST. Et que luy manque-t-il ? TRIGAUDIN.         Ecoutez, entre nous, Vostre Martin Braillart, Cousin, est d'un modelle A ne pas allumer bien de l'amour en elle : Le cœur de vostre Sœur peut-estre prévenu, Et vous devez enfin vous estre souvenu, Qu'un cœur… LA FOREST.         Je me souviens que j'ay donné parole ; Ma Sœur avecque vous estoit en bonne école : Mais avec moy, Cousin, il faut changer de ton, Elle l'épousera, j'en suis seûr. TRIGAUDIN.         Que sçait-on ? LA FOREST. Que sçait-on ? Contre moy prendre party pour elle ? Vous en pourez sçavoir dans peu quelque nouvelle, C'est un point que je vay décider de ce pas. ### SCENE VI. TRIGAUDIN *seul.*. Tout cet emportement ne m'épouvante pas : Mais j'aperçoy Braillart qui paroît plein de flâme, Je veux le dégoûter de l'hymen de ma Femme ; Mon discours peut avoir l'effet que j'en prévoy. Un mot, Monsieur Braillart ? ### SCENE VII. TRIGAUDIN, LA RIVIERE. LA RIVIERE.         Que voulez-vous de moy ? TRIGAUDIN. Quoy que je doive au Sort l'honneur de vous connoistre, Le mérite qu'en vous tant d'esprit fait paroistre, Me force à vous montrer par ma sincérité Combien à vous servir je me trouve porté. Cela n'est point produit par un zele ordinaire ; J'estois intime Amy de Monsieur vostre Pere, C'estoit un Avocat fameux, dont les Ecrits… LA RIVIERE *à part.*. Il faisoit des Souliers mieux qu'Homme de Paris, Tres-fameux. TRIGAUDIN.         C'est pourquoy, Monsieur, la conjoncture D'un Hymen que demain vous prétendez conclure, Me contraint à vous dire un mot sur vos amours, Qui peut estre important au bonheur de vos jours. LA RIVIERE. Comme il est à propos qu'à son tour on s'explique, Je demande, Monsieur, quatre mots de replique, Pour oposer, afin de n'estre point surpris, *Et pares aquilas  pila minantia pilis* [215] . TRIGAUDIN. J'y consens. LA RIVIERE.         C'est beaucoup d'honneur que vous me faites. TRIGAUDIN. Et pour vous parler franc du Mestier dont vous estes, Quand un Homme n'est point sur un pied d'étourdy, Monsieur, prendre une Femme, est un coup bien hardy. Les soins d'un Avocat, ses fréquentes absences, Font qu'une Femme prend quelques fois ses licences ; Et tandis qu'un Mary tourmenté d'un Procés, Malgré tous ses efforts, perd sa Cause au Palais, Pour peu que sa Moitié souffre qu'on l'entretienne, Le Galant au Logis gagne souvent la sienne, Et contre l'Avocat venant d'abord au fait, Met des Cornes dessous, comme sur son bonnet : Outre que cette affaire est assez d'importance, Ma Cousine a l'esprit fort coquet, & je pense, Si vous en échapiez, que vous seriez bien fin⁎. Elle aime à cajoler⁎ le soir & le matin ; Et s'il arrive un jour que par quelque caprice, Au pouvoir d'un Epoux elle s'assujettisse, Je doute que celuy qui l'aura souhaité, Y trouve pour son front bien de la seûreté ; Et je ne pense pas qu'un jour, à ne rien taire, Vous fussiez bon marchand d'une pareille affaire. Songez-y meûrement, Monsieur, c'est entre nous, (Ce que je ne dirois à nul autre qu'à vous) On cache entre Parens ce qu'on a de foiblesse : Mais pour vous cependant mon zele s'intéresse, Et je ne puis souffrir qu'on vous trompe. LA RIVIERE.         Monsieur, Comme *noui∫simè* [216] vous m'avez fait l'honneur De m'avoir concedé quatre mots de replique, Par un raisonnement succint & juridique, Je prouve que malgré ce discours plein d'aigreur, Un Avocat doit prendre une Femme. Monsieur, Outre qu'avec les Loix, la Nature & l'Usage, Ont parmy les Mortels admis le Mariage, Qu'il est de tous les temps, & que cette union Etablit icy-bas la Propagation, C'est pour un Avocat un nœud si necessaire, Que qui peut l'éviter, dément son caractere Et son devoir. *Primo* [217], l'on sçait qu'un Avocat Est un Homme en tout temps necessaire à l'Etat ; Que de peur qu'on en manque, il doit quoy qu'il se fasse, Avoir soin de laisser au Barreau de sa Race : De plus, qu'estant contraint d'estre souvent dehors, La Femme doit *intus* [218] seconder ses efforts, Conserver au Logis par son oeconomie Le fruit de ses travaux, comme de son génie : C'est pourquoy l'Avocat se doit plus tost que tard Indispensablement marier. A l'égard Du bois dont vous parlez, qui si l'on vous veut croire, De l'Hymen parmy nous devient un accessoire ; Et pour répondre mesme au peu de seûreté Que vous trouvez pour moy dans l'Hymen concerté, Je replique, Il est vray, c'est un abus qu'en France N'aprouverent jamais les Loix, ny l'Ordonnance ; L'usage des Galants dont on est entesté, Ne trouve dans le Code aucune autorité : Mais enfin sans vouloir feüilleter de Volume, Il est autorisé, Monsieur, par la Coûtume. C'est dans un Avocat, dont le cœur s'est fixé, A la Profession un malheur annexé. Si la Belle, malgré toute ma prévoyance, Me destine à porter du bois à l'Audiance, Comme il n'est pas toûjours à propos d'éclater⁎, Je me consoleray de pouvoir me flater Du plaisir de me voir, par des Loix necessaires, Semblable à quantité de Messieurs mes Confreres ; Et je ne pense pas, parlant de bonne-foy, Puis qu'ils en portent bien, qu'ils se moquent de moy. TRIGAUDIN. Quoy, vous pouriez, malgré tant de sujets de craindre… LA RIVIERE. Ce mal est parmy nous trop commun, pour s'en plaindre. TRIGAUDIN. Mais l'affront… LA RIVIERE.         Pour la voir, je retourne au Logis. Je vous suis cependant obligé⁎ de l'avis⁎ : Mais de grace, Monsieur, n'en parlez point à d'autre, Mon honneur en cecy se trouve joint au vostre ; Car la Belle ne peut offencer son Epoux, Sans qu'un pareil affront se répande sur vous. ### SCENE VIII. TRIGAUDIN *seul*. Maistre Martin Braillard dit plus vray qu'il ne pense, Son front d'un pareil nœud craint peu la consequence, Et je voy que malgré tout mon raisonnement, Il traite tout cecy fort cavalierement : Je voy qu'il faut bientost changer de batterie [219], Pour ne pas m'exposer…Mais je voy L'Industrie. ### SCENE IX. TRIGAUDIN, L'INDUSTRIE. TRIGAUDIN. Ecoute, va chez nous promptement de ma part, Dire à ma Femme…Il faut la tirer à l'écart, Et sans estre entendu, t'efforcer de luy dire, Que je l'attens icy. L’INDUSTRIE.         Je m'en vay l'en instruire. ### SCENE X. TRIGAUDIN *seul.*. Il faut agir ; Cecy me semble un peu gaillart⁎, Et sur ce que je voy, Maistre Martin Braillart Pouroit m'inquiéter, & je veux tout-à-l'heure Voir Géronte, & mener ma Femme à sa demeure : Il conclûra d'abord. Mais c'est luy que je voy, Il faut… ### SCENE XI. TRIGAUDIN, GERONTE. GERONTE.         Ah lâche Amy, sans honneur & sans foy ! TRIGAUDIN *à part.*. Qu'auroit-il ? GERONTE.     Fourbe ! TRIGAUDIN.         Helas il sçait toute l'affaire. Qu'avez-vous ? GERONTE.         Ce que j'ay, traistre ? Puis-je le taire ? Quoy, quand de bonne-foy je m'attens d'épouser Vostre Cousine… TRIGAUDIN.     Hé bien ? GERONTE.         On peut me mépriser, Jusques à luy donner celuy qu'on me préfere ? Et lors que tout est prest, on me dit qu'un sien Frere L'est allé marier en secret quelque part Avec un Avocat nommé Martin Braillart. TRIGAUDIN. La marier ? Qui peut vous avoir fait entendre… GERONTE. C'est de vostre Valet que je le viens d'aprendre. ### SCENE XII. TRIGAUDIN, GERONTE, L'INDUSTRIE. TRIGAUDIN. L'Industrie, est-il vray qu'ils sont… L’INDUSTRIE.         Ils sont partis. Le Laquais de Braillart, Monsieur, m'a tout apris : C'en est fait ; & de l'air qu'il m'a conté l'affaire, S'ils ne sont mariez, il ne s'en faudra guére. TRIGAUDIN. Ils seroient mariez ? Ah Ciel, quel embarras ! Mais parle, en quel endroit ? L’INDUSTRIE.         C'est ce qu'on ne sçait pas. TRIGAUDIN. Ma Femme mariée ? Ah funeste journée ! Maudite soit la Poudre, & qui me l'a donnée. Ah que si je me puis tirer d'un pareil pas, Je me garderay bien d'un semblable embarras. Mais c'est à mon insçeu, Monsieur, qu'on se propose… Son Frere vient, & va nous éclaircir la chose. ### SCENE XIII. TRIGAUDIN, GERONTE, LUCIE, LA FOREST, L'INDUSTRIE. LA FOREST. En vain vostre refus s'obstine à me fâcher ; C'est différer la chose, & non pas l'empescher. TRIGAUDIN. Qu'est-ce, Cousin, a-t-on marié ma Cousine ? LA FOREST. Preste à prendre l'Epoux que mon choix luy destine, Elle a pour l'éviter trouvé, mais vainement, Un prétexte qui veut un éclaircissement : Mais à sa honte icy ce secret va paraistre, Et ce qu'elle nous dit enfin ne peut pas estre ; Personne ne m'en peut éclaircir mieux que vous. TRIGAUDIN. Que vous a-t-elle dit ? LA FOREST.         Se jettant à genous, Et feignant de sentir un grand trouble dans l'ame, Elle nous a juré… TRIGAUDIN.     Quoy ? LA FOREST.         Qu'elle est vostre Femme. LUCIE. Oüy, Monsieur, me voyant en cette extremité, Je n'ay pû me résoudre à cette indignité : Un Hymen clandestin nous a joints l'un à l'autre. Si mon silence a sçeu mal seconder le vostre ; Si j'ay trahy malgré les ordres d'un Epoux, Un secret dont j'estois convenuë avec vous, Avec le mouvement qu'a produit ma tendresse, Accusez-en, Monsieur, mon trouble & ma foiblesse, Pardonnez-m'en la faute, & croyez qu'à regret Mon cœur s'est veu réduit à trahir ce secret. GERONTE *à part.*. Qu'il est confus ! le sang au visage luy monte. LA FOREST. Vous estes donc, Monsieur, son Epoux à ce compte ? TRIGAUDIN. Oüy, Monsieur. GERONTE.         Scelérat ! vous estes son Epoux ? Et quand de bonne-foy j'agissois avec vous, Vous vouliez en secret me la donner pour Femme ? TRIGAUDIN. Croyez… GERONTE.         Ah nous sçavons le secret de vostre ame, Fourbe, & que si plus-tard l'on m'en eust fait l'aveu, Vostre Poudre chez nous auroit joüé beau jeu. TRIGAUDIN *à Lucie.*. Auriez- vous… LUCIE.         Oüy, craignant un pareil Mariage, Pour vous ouvrir les yeux, j'ay tout mis en usage ; J'apréhendois pour vous, & vostre aveuglement Vous cachant le péril de cet engagement, J'ay tout dit, & j'ay crû que dans cette occurrence⁎ Mon adresse feroit plus que ma resistance ; Que pour vous empescher de faire un mauvais pas, Vous me pardonneriez ce petit embarras, Et que je me pouvois servir d'un stratagéme, Puisqu'on doit tout risquer pour sauver ce qu'on aime. LA FOREST. Vous voyez dans vos jours ce qu'on a pris de part. TRIGAUDIN. A ce compte, Messieurs, Maistre Martin Braillart N'est qu'un Homme aposté ? GERONTE.     Justement. TRIGAUDIN.         Et ce Frere ? ### SCENE DERNIERE. TRIGAUDIN, GERONTE, LUCIE, VALERE, JULIE, LA FOREST, L'INDUSTRIE, TOINETTE. VALERE. Est mon Valet de Chambre. GERONTE.         Aprochez-vous, Valere. TRIGAUDIN. Quelque trouble où je sois, je dois vous avoüer, Que loin de vous blâmer, je vous en dois loüer : Me tirer d'un péril où me mit mon caprice, C'est avoir sçeu me rendre un signalé⁎ service ; Et je veux oublier ce tour dés cet instant, Pourveu qu'en ma faveur Géronte en fasse autant. GERONTE. D'accord ; je suis sans fiel⁎, & veux vous satisfaire ; Mais je vay marier ma Niéce avec Valere. VALERE. Ah de trop de bontez c'est combler mon espoir. GERONTE. Ne songeons qu'à la joye. Et pour vous faire voir Qu'à tout mettre en oubly je veux bien me résoudre, Vous serez du Festin, mais sur tout point de Poudre. FIN. *Permis d'imprimer ce 10 Mars 1674.* **DE LA REYNIE.** # Glossaire. Dictionnaire françaisR. Dictionnaire de l'Académie Françoise, Dédié au Roy Dictionnaire universelF Dictionnaire du français classique, la langue du XVII*e* siècle*e* Comprendre la langue des œuvres classiques, de Corneille à Châteaubriand Aigrefin« Terme ironique et burlesque, qui veut dire un escroc, un escamoteur. On le dit aussi dans le style bas, et par mépris d'un jeune étourdi. » (*R., 1759*)V. 1097Air«Se dit de la mine, de la contenance. » (*A, 94*)V. 767« Physionomie, mine ». *(R.)* « Ce mot vague était très à la mode. Il « veut dire je ne sais quoi qui paraît en un instant, que la nature donne et qu'on ne peut bien définir », dit Andry de Boisregard (*Réflexion sur l'Usage présent de la Langue Française, 1689*). Mais l'abus du mot le rendit ridicule. « Ceux qui parlent bien, dit le Père Bohours (*Les Entretiens d'Ariste et Eugène, 1671*) ne s'en servent qu'en riant pour se moquer des gens du *bel air* ». (*Cayr.*)AlcoveLa graphie est aujourd'hui « alcôve ». « Endroit dans une chambre séparé du reste où l'on place d'ordinaire le lit. » (*A, 94*)V. 195AlmanacAujourd'hui « almanach ». « Imprimé qui marque les fêtes et les changements de lune et de temps. » (*R.*)V. 489« On dit figurément et en raillant *Faire des almanachs* pour dire s'occuper à de vaines imaginations, à des rêveries. » (*A, 94*) Allûre« Se dit au figuré, en parlant de la conduite, des intrigues de quelqu'un. » (*F.*)V. 533 Amant« Celui qui aime » (*R.*)V. 395Aposter« Disposer, préparer quelqu'un pour s'en servir dans une méchante action. » (*A, 94*)V. 52 « Donner charge à quelqu'un de tenter, & d'entreprendre quelque chose pour faire réussir un dessein. » (*R.*) AppasOrthographié apas dans *Dictionnaire français, P. Richelet, 1680* et dont la définition est « Charmes puissants, grands attraits, beauté, agrément, plaisir. »V. 215Applaudire (s')« Se louer, se vanter soi-même. » (*A, 94*)V. 438, 825 « Se savoir bon gré de quelque chose. » (*R.*)Aprester (s')« Se préparer. » (*R.*)V. 950Astrolabes« Instrument astronomique, qui est un plan sur lequel sont décrits plusieurs cercles servant à faire des observations astronomiques. » (*A, 94*)V. 113« Instrument avec lequel on observe la hauteur, la grandeur, le mouvement et la distance des astres. » (*R.*)Babil« Vice qui consiste à trop parler (le babil est la marque d'un petit esprit). » (*R.*)V. 1306« Caquet, superfluité excessive de paroles. » (*A, 94*) Baiser« Appliquer la bouche sur quelque chose en signe d'amitié, d'amour, de respect. » (*A, 94*)V. 15Balancer« Examiner, considérer, chanceler, hésiter, ne savoir se résoudre. » (*R.*)V. 929« Peser, signifie figurément considérer mûrement dans son esprit une chose. » (*A, 94*) Blondin« On appelle *blondins* les jeunes galants qui font les beaux, parce qu'ils portent d'ordinaire des perruques blondes. » (*A, 94*)V. 962Brûler« Être consumé d'amour. Avoir de l'amour. Avoir de la passion pour quelque chose. Désirer ardemment. » (*R.*)V. 406Cadet« Se dit de celui qui est plus jeune qu'un autre, ou qui a été reçu dans une charge après un autre. (Les cadets doivent céder à leurs anciens). » (*R., 1759*)V. 484 Cajoler« Dire des paroles civiles et obligeantes. » (*R.*)V. 1576 « Flatter, louer, entretenir quelqu'un de choses qui lui plaisent et qui le touchent. »Campagnes« Temps durant lequel les armées sont ordinairement en campagne, qui est le printemps, l'été et l'automne. » (*A, 94*)V. 502Chagrin« Tristesse, fâcherie. » (*R.*)V. 1192« Mélancolie, ennuie ; fâcheuse, mauvaise humeur. » (*A, 94*)Chambre« Partie de logis où l'on habite.» (*R.*)Collation« Signifie encore ce repas léger qu'on fait au lieu de souper, particulièrement les jours de jeûnes… » (*A, 94*). « Repas qu'on fait entre le dîner et le souper. » (*R.*)V. 1182Contorsion« Mouvement du corps accompagné de postures peu agréables. » (*R.*)V. 332Divertir (Se)« Se divertir de quelqu'un : en faire son jouet et s'en moquer » (R.)« Railler, se moquer agréablement. » (*A, 94*)V. 599 Donner l'aubade« Régal de violons qu'on donne à quelqu'un pour lui marquer l'estime qu'on fait de lui, ou pour lui marquer de la joie, ou de la passion. » (*R.*)V. 1238« Concert de musique que l'on donne vers l'aube du jour, à la porte ou sous les fenêtres d'une personne. Se dit aussi figurément et à contresens d'une insulte, d'un vacarme que l'on fait à quelqu'un. » (*A, 94*) Éclater« Briller, reluire. Faire du bruit. » (*R.*)V. 1623Écot«Ce que chacun paie par tête pour avoir bu et mangé au cabaret, ou en quelque autre lieu où chacun paie ses dépens. » (*R.*)V. 35Embrasser« Serrer, étreindre avec les deux bras » (*A, 94*)V. 176EmpressemensAujourd'hui orthographié « empressements ». « Soins ardents et pleins de zèle. Bons offices. » (*R.*)V. 636« Mouvement que se donne celui qui recherche une chose avec ardeur. » (*A, 94*) Enquester (s')« S'enquérir. » (*A, 94*)V. 8Entretien« Conversation, discours qu'on a avec quelqu'un touchant quelque matière. » (*R.*)V. 871Équipage«Tout le meuble d'un particulier, état, habit. » (*R.*)V. 485« Se dit du train, de la suite, mulets, chevaux, valets, hardes… » (*A, 94*) Étourdy« Qui est un peu précipité dans sa conduite, qui a de l'imprudence. » (*R.*)V. 806Éventé« Écervelé, étourdi. » (*R.*)V. 259« Se dit d'un homme qui a l'esprit léger, écervelé, évaporé. » (*A, 94*)Facilité« Indulgence excessive. » (*A, 94*)V. 1064Faire commerce« Trafic, négoce de marchandise, d'argent, soit en gros, soit en détail. » (*A, 94*)V. 604 Fanfaron« Qui veut passer pour brave et qui ne l'est pas. Se dit aussi pour celui qui se vante au delà de la vérité ou de la bienséance. » (*A, 94*)V. 486Faquin« Homme de néant. Un misérable sans mérite, sans honneur et sans cœur. » (*R.*) « Terme de mépris et d'injure qui se dit d'un homme de néant, d'un homme qui fait des actions indignes d'un honnête homme. » (*A, 94*)V. 776Feu(x)« Se dit poétiquement pour signifier la passion de l'amour ». (*A, 94*)V. 395, 422, 1152Fiel« Signifie figurément haine, animosité. » (*A, 94*)V. 1725 « Haine, ressentiment, aigreur, colère. » (*R.*) Fille« Se dit simplement pour marquer simplement le sexe féminin. Se dit aussi par opposition à la femme mariée. » (*A, 94*)V. 878Fin« Se dit des personnes et signifie habile, avisé, rusé.» (*A, 94*)V. 1575FoyAujourd'hui orthographié foi. « Assurance donnée de garder sa parole, sa promesse. » (*A, 94*)V. 235, 375Fracas« Bruit, tumulte, désordre. » (*A, 94*)V. 485Fripon« Méchant, maraud, fourbe et coquin. » (*R.*) « Fourbe qui n'a ni honneur, ni foy, ni probité. » (*A, 94*)V. 531Friponne« Coquine, fourbe et méchante. » (*R.*)V. 953Gager« Parier » (*R.*)V. 163 GaillartS'écrit de nos jours « gaillard ». « Un peu trop libre, plaisant » (*R.*). « Chose hardies, périlleuses, nouvelles, extraordinaires. » (*A, 94*) V. 1647Galants« Celui qui aime une Dame et qui en est aimé. » (*R.*)V. 149« Se dit le plus ordinairement de celui qui fait (sa cour) à une femme mariée, ou à une fille qu'il n'a pas dessein d'épouser. » (*A, 94*)Garnement« Libertin, et dont la vie est un peu déréglée. » (*R.*)V. 655 « Fripon, vau-rien. » (*A, 94*)Gaster« Changer de bien en mal. Corrompre, Rendre pire. » (*R.*)V. 130Gendarmer (Se)« Se fâcher. Se piquer de quelque chose, s'en alarmer, s'en mettre en colère. » (*R.*)V. 623GesnerSignifie faire souffrir.V. 307, 562La gesne est aussi une torture. Elle se dit également « de toute peine ou affliction de corps ou d'esprit.Les poètes mettent leur esprit à la gesne, à la torture pour trouver des anagrammes. » (*F*.)Gorge« Sein de femme. » (*R.*)V. 174 Gourmander« Maltraiter une personne de paroles. Quereller. » (*R.*) V. 669« Traiter rudement, impérieusement de paroles. » (*A, 94*) Hableur« *L'h de ce mot est aspirée.* Grand parleur, celui qui à force de trop parler et de trop exagérer ment. » (*R.*)V. 76 Heur« Bonne fortune. » (*A, 94*) « Ce mot signifie bonheur, mais il est bas et peu usité *& se prononce sans faire sentir son h*. » (*R.*)V. 818Idole« On appelle Idole une personne qui paraît stupide ou qui ne se donne pas assez de mouvement.» (*A, 94*)V. 837 Impudente« Effrontée. » (*R.*)V. 1519 Innocente« Bonne et simple. » (*R.*)V. 681 Intelligence« Amitié, union, paix, liaison, concorde. » (*R.*)V. 566, 1438« Correspondance, communication entre des personnes qui s'entendent l'une avec l'autre. » (*A, 94*) Joug« Prononcez *jouc*. » (*R.*) « Il signifie figurément servitude, sujétion. » (*A, 94*)V. 98 Justement« Précisément, à point nommé. » (*R.*)V. 770 Languissans« Plein d'amour, amoureux, plein d'une langueur amoureuse. » (*R.*)V. 173 Larder« Piquer de la viande avec une lardoire et y laisser le lardon. » (*R*). « On dit figurément *larder de coups d'épée* pour dire percer de plusieurs coups d'épée. » (*A, 94*)V. 1141 Liards« Petite pièce de monnaie blanche qui vaut trois deniers et qui avait cours au temps de François Premier. » (*R.*)V. 110MarautOrthographié *Maraud* dans le dictionnaire de P. Richelet. « Coquin, fripon. » (*R.*) « Terme d'injure et de mépris. » (*A, 94*)V. 36, 1136Mâtin« Gros chien. » (*R.*)V. 348 Mine« Façon, manière et action d'une personne, air d'une personne. » (*R.*) V. 10 Mitonner« Mitonner quelqu'un : Ménager adroitement son esprit en vue d'en tirer quelque avantage. » (A, 94)V. 952 Mutin« Opiniâtre, obstiné. » (*R.*)V. 259 ObjetDésigne « la personne aimée, qui est alors l'« objet » du désir amoureux. » (*H. & P.*)V. 186Obligé de« Qui a reçu un bon office, qui a obligation envers une personne parce qu'il en a reçu quelque plaisir. » (*R.*)V. 1632 Occurrence« Rencontre, conjoncture. » (*R.*)V. 1709 OysonOrthographié *oison* dans le dictionnaire de P. Richelet. « Sot, ou sotte, niais, qui est fat et innocent. » (*R.*)V. 981« Se dit figurément pour dire que c'est un idiot à qui l'on fait faire tout ce qu'on veut. » (*A, 94*)PartyOrthographié *parti* dans le dictionnaire de P. Richelet. « Avantage, offre qu'on présente à quelqu'un. Chose avantageuse, utile et considérable pour une personne. » (*R.*)V. 1520Peine« Inquiétude, ennui, chagrin, fâcherie. » (*R.*)V. 185Penaut« Qui est embarrassé, honteux, interdit. » (*A, 94*) (Ce mot est orthographié *penaud* dans ce dictionnaire.)V. 1164 Pendard« Prononcez *pandar*. Méchant, coquin, fripon, scélérat. » (*R.*)V. 700 PétulentOrthographié *pétulant* dans le dictionnaire de P. Richelet. « Qui a une sorte de conduite emportée et insolente. » (*R.*)V. 1306Pied-platOrthographié *pié-plat* dans le dictionnaire de P. Richelet. « Misérable, coquin, rustre, grossier. » (*R.*) N. B. : « Il se dit proprement « d'un rustre, d'un paysan qui a des souliers tout unis » (*Dictionnaire universel, A. Furetière, 1690*), au lieu de porter de hauts talons, comme les gentilshommes » (*Cayr.*)V. 348Plaire (Se)« Trouver du plaisir et de la satisfaction en quelque chose, en quelque lieu, ou avec quelque personne. » *(R.*)V. 123 Portée« Se dit des personnes, et veut dire capacité, ce que peut faire une personne, ce que peut produire son esprit. » (*R.*)V. 32Presse« Foule, multitude de monde. » (*R.*)V. 1309 Provision« Ce mot se dit en parlant d'offices civils. Ce sont des lettres repliées et scellées du sceau de la grande Chancellerie de France par lesquelles le Roi déclare qu'étant informé de la capacité d'une personne, il donne à cette personne l'office vacant pour en jouir dans tous ses droits avec ordre à ceux à qui il appartient de recevoir cette personne dans la charge dont il est pourvu. » (*R.*)V. 1371 Raillerie« Mot plaisant et satirique, moquerie. » (*R.*)V. 592 RégulierCelui « qui vit selon les règles et les canons de l'Église. Qui observe telles règles. Qui est fait dans les formes et selon les règles de l'art. Qui ne fait rien contre son devoir. » (*R.*)V. 607Rendre des soins« On dit rendre des soins à quelqu'un pour dire : Le voir avec assiduité et lui faire sa cour. » (A, 94)V. 424, 584RévoquerAvec un complément d'objet signifie « retirer, annuler » (*Cayr.*)V. 478Rire (Se)« Se moquer. » (*R.*)V. 1224 SçavoirOrthographié *savoir* dans le dictionnaire de P. Richelet. « Connaître, découvrir. » (*R.*)V. 708ScéleratOrthographié *sélérat* dans le dictionnaire de P. Richelet. « Ce mot se dit des personnes et des choses, et veut dire méchant, perfide, noir, malin. » (*R.*)V. 1048Signalé« Considérable, particulier, remarquable. » (*R.*)V. 1722 Soins« Application d'esprit à faire quelque chose. » (*A, 94*)V. 799 Souffrir«Endurer, avoir de la peine, supporter. » (*R.*)V. 440Suffisance« Orgueil. » (*R.*) « Vanité, présomption. » (*A, 94*)V. 25 Témoigner« Faire paraître, faire voir, faire éclater, découvrir. » (*R.*)V. 11 Tendresse« Se mot ne se dit bien qu'au figuré dans le discours ordinaire, et il veut dire amitié, amour. » (*R.*)V. 421, 562 Tenir (en)« Se laisser tromper, croire à des mensonges. » (*Cayr.*) « Être pris, être dupé, être attrapé. » (*R.*)V. 11Timbré« Mot burlesque qui n'entre que dans la conversation et le style comique, et qui veut dire qui a bonne tête, qui est sage. » (*R.*)V. 1316 Tomber de son haut« Être extrêmement surpris de quelque chose. » (*A, 94*)V. 1414Transports« Se dit… figurativement en choses morales du trouble ou de l'agitation de l'âme » (*Dictionnaire universel, A. Furetière, 1690*), « de toute violente émotion, agréable ou désagréable, qui nous met hors de nous ; emportement, égarement, élan de passion, en parlant de l'amour, de l'ambition, du désespoir, de la colère… » (*Cayr.*)V. 382, 1080 Travaille (se)« Se donner de la peine, se fatiguer à une tâche, se torturer moralement ou physiquement. » (*H. & P.*)V. 509Verbiage« Paroles inutiles. » (*R.*)V. 181 Vertu« Se dit de la valeur morale d'une personne, de sa grandeur d'âme, de son mérite » (*Cayr.*)V. 557 « Habitude de l'âme qui la porte à faire le bien et à fuir le mal. » (*A, 94*)Violence« Exaction, sorte de tirannie. » (*R., 1759*)V. 389 # Bibliographie d'Antoine Jacob, dit Montfleury. Le mariage de rien : comédie en vers de 8 syllabes, en 1 acte, 1660 Les bêtes raisonnables : comédie en vers, en lacté, 1661 Le mari sans femme : comédie en vers, en 5 actes, 1663 L'impromptu de l'Hôtel de Condé : comédie en vers, en 1 acte, 1663 Trasibule : tragi-comédie, 1663 L'école des jaloux, ou le cocu volontaire : comédie en vers, en 3 actes, 1664 L'école des filles : comédie en vers, en 5 actes, 1666 La femme juge et partie : comédie en vers, en 5 actes, 1669 Le procès de la femme juge et partie : comédie en vers, en lacté, 1669 Le gentilhomme de Beauce : comédie en vers, en 5 actes, 1670 La fille capitaine : comédie en vers, en 5 actes, 1672 L'ambigu comique, ou les amours de Didon et d'Enée : tragédie en 3 actes, en vers, mêlée de 3 intermèdes comiques, 1673 Le comédien poète : comédie en vers, en 5 actes ; de moitié avec M. Corneille de l'Isle, 1673 Trigaudin ou Martin Braillart : comédie en vers, en 5 actes, 1674 Crispin, gentilhomme : comédie en vers, en 5 actes, 1677 La dame médecin : comédie en vers, en 5 actes, 1678 La dupe de soi-même : comédie en vers, en 5 actes. Sans date, et peut-être non représentée. # Bibliographie. ## Éditions collectives.Les œuvres de MONTFLEURY. LES ŒUVRES DE MONSIEUR MONT-FLEURY, contenant ses pièces de THEATRE, représentées par la Troupe des Comédiens du Roy à PARIS.*ère* CHEF-D'ŒUVRE DE MONTFLEURY ## Ouvrages bibliographiques.Bibliographie der Französischen Literaturwissenschaft Bibliographie de la littérature française de XVII*e* siècle ## Ouvrages généraux.Les Genres littéraires Les Genres littéraires La Versification appliquée aux textes Les Figures de style La Grammaire du français Art poétique précédé d'une Notice littéraire et accompagné de notes par F. Brunetière La Poétique Dictionnaire du Grand Siècle Dictionnaire culturel de la Bible Introduction à la langue du XVII*e* siècle. Syntaxe et vocabulaire Comprendre la langue des œuvres classiques Dictionnaire du théâtre ## Ouvrages généraux sur le théâtre.Le Théâtre Lire le théâtre Le Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne Introduction à l'analyse du théâtre Introduction à l'analyse des textes classiques Le Théâtre dans le théâtre*e* Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1580-1680), Le déguisement et ses avatars L'Analyse du texte de théâtre Le Langage dramatique ## Ouvrages sur la comédie.Lire la comédie La Comédie La Comédie de l'âge classique La Comédie à l'âge classique La Comédie aux XVII*e* et XVIII*e* siècles Visages du théâtre français au XVII*e* siècle ## Ouvrages relatifs à Montfleury.Histoire du théâtre françois Histoire du théâtre françois depuis son origine jusqu'à présent Le Registre de La Grange, 1659-1685, reproduit en fac-similé Archives de la Comédie Française ; Registre de La Grange (1658-1685) French Dramatic Literature in the Seventeenth Century1673-1700 Molière en toutes lettres Les Contemporains de Molière Le Théâtre au XVII*e* siècle Petites comédies rares et curieuses du XVII*e* siècle Leben und dramatische Werke des älteren und des jüngeren Montfleury Édition critique de d'Antoine Jacob de Montfleury Les Comédiens français du XVII*e* siècle, Dictionnaire biographique Dictionnaire dramatique Histoire de la littérature française au XVII*e* siècle Le Mercure Galant La Commedia dell'arte et son influence en France du XVI*e* au XVII*e* siècle Le Dialogue moliéresque, étude stylistique et dramaturgique ## Articles.Da Molière a Marivaux XVII*e* siècle , XVII*e* siècle XVII*e* siècle ------- [1] Poème anonyme contenu dans *Chef-d'œuvre de Montfleury, Petite Bibliothèque des théâtres*, Bélin & Brunet, Paris, 1787, p. 11. C'est la première occurrence que nous ayons trouvé pour ce texte. [2] « Il est particulièrement intéressant d'analyser l'œuvre du concurrent le plus distingué de Molière dans le domaine comique. Leurs carrières créatrices coïncidèrent presque exactement : entre 1660 et 1678 Montfleury produisit une comédie par an à peu près. » Forman, E. *Édition critique de* Le Mary sans Femme *d'Antoine Jacob de Montfleury*, University of Exeter, 1985. p VI [3] « Avec toutes ces infériorités il est encore un de ces auteurs comiques qui se rapprochent le plus du maître. » Godefroy, F., *Histoire de la littérature française au XVII*e* siècle*, Paris, Gaume & Cie, 1877, p. 359. [4] « A cause que ce gros coquin est si gros qu'on ne peut le bâtonner en un jour, il fait le fier ! » [5] On le fait parfois naître en 1640, mais Walter Rohr, p. 23 de *Leben und dramatische Werke des älteren und des jüngeren Montfleury*, Leipzig, Druck von Grimme & Trömel, 1911, fait remarquer qu'il est noté dans un acte de baptême : « Le 22 septembre 1639 (fut baptisé) Antoine Jacob, fils de Zacharie Jacob, Comédien du Roy, et de Jeanne de La Chappe, sa femme. » [6] Dorénavant nous n'emploierons le nom de Montfleury que pour désigner Antoine Jacob. Lorsque nous voudrons parler de Zacharie Jacob nous mentionnerons Montfleury-père. [7] « La comédie de *La Femme juge et partie* eut un succès prodigieux non pas tant à cause de son mérite que parce qu'on crut y reconnaître l'histoire du Comte de ⁎⁎⁎ qui avait vendu sa femme à un corsaire. » Anonyme, *Histoire du théâtre français*, Paris, 1746, t. 9. [8] Écrite en 1673. [9] Gabriel Conesa, dans *La Comédie de l'âge classique (1630-1715)*, Paris, Seuil, 1995, p. 196, parle de Montfleury comme étant l'auteur de *vingt-deux comédies*, or nous n'avons trouvé recensées, et nommées, que 17 pièces. [10] Walter Rohr fait référence – o*p. cit.*, p. 26 – à un passage de Victor Fournel pour appuyer ce point : « L'absence du nom de Montfleury dans la liste des acteurs vivants de l'Hôtel de Bourgogne et des autres théâtres, donnée par Chappuzeau en 1674, et dans toutes celles contemporaines ou postérieures, est déjà une raison sans réplique. Plus loin Chappuzeau marque le nom de Montfleury parmi ceux des acteurs « qui ne sont plus » et il veut parler du père qui était mort en 1667, mais nulle part il n'est question du fils dans son livre. Une fois Zacharie Jacob passé de vie à trépas, le nom de Montfleury disparaît des catalogues d'acteurs. » (Fournel,* Les Contemporains de Molière*, t. I, p. 213-214). Wilma Deierkauf-Holsboer semble être la seule à penser que père et fils sont tous deux montés sur les planches. [11] En 1677. [12] En 1678. [13] *Art Poétique* de Boileau *précédé d'une Notice littéraire et accompagné de notes par F. Brunetière*, Paris, Hachette & Cie, 1907, Chant III, vers 421 à 428, note 6 « parcourez à volonté le théâtre de Scarron, de Poisson, ou de Montfleury. »   [14] Jules Adenis créa, en 1887, un opéra comique en deux actes d'après la pièce de Montfleury. [15] Ce qui peut être expliqué par le peu de recette qu'elle fit puisque au plus fort des représentations elle ne rapporta que 1128 livres. [16] Forman, E., o*p. cit.*, p. XI. [17] Donneau de Visé, *Le Mercure Galant*, Paris, 1673, t. IV. [18] Lancaster note, dans *French Dramatic Literature in the Seventeenth Century*, Gordian Presse, 1940, puis 1966, part IV 1673-1700, vol. I, que « d'après les frères Parfaict, la pièce serait tiré d'un fait divers publié dans le Mercure Galant de Visé, de 1672, sous le titre la Femme aux deux Maris. » [19] « Indessen meine Ich, daβ die Geschichte ein Phantasieprodukt ist, da in den folgenden Bänden des Mercure Galant von der Affäre nicht mehr die Rede ist. » o*p. cit.*, p. 116. [20] *La Femme aux deux Maris*, p. 127 à 165. [21] Alors que dans la Nouvelle l'idée de poison n'est présente qu'implicitement, par quelques petits sous-entendus çà et là. [22] « Dans *Trigaudin* (…) le spectateur doit s'attendre à voir ce drôle pendu au dénouement, tandis qu'il est simplement puni par un bon tour qu'on lui joue. » Fournel, V., *Les Contemporains de Molière*, Slatkine reprints, 1967, t. I. [23] Farce anonyme datant de 1464. [24] Corvin, M., *Lire la Comédie*, Paris, Dunod, 1994, p. 50. [25] Couprie, A., *Le Théâtre (texte, dramaturgie, histoire)*, Paris, Nathan, 1995, p. 64. [26] Canova, M.-C., *La Comédie*, Paris, Hachette, 1993, p. 36. [27] On ne commencera vraiment à parler de « comédie de mœurs », en tant que tel, qu'à partir de Regnard (1655-1709). [28] Canova, M.-C., o*p. cit.*, p. 36. [29] O*p. cit.*, p. 37. [30] Valère. [31] Trigaudin. [32] Lucie. [33] Géronte. [34] Couprie, A., o*p. cit.*, p. 75. [35] Vers 705. [36] Vers 706 et 707. [37] Vers 1050. [38] Vers 1050. [39] Pruner, M., *L'Analyse du texte de théâtre*, Paris, Nathan, 2000, p. 22.  [40] Vers 1174-1175. [41] Apprendre, émouvoir et plaire. [42] Montfleury est « sans variété dans l'invention et n'a nul souci de la vraisemblance. (…) Ses pièces n'ont de moral que le titre. » C'est du moins ce que pense Godefroy, *op. cit.*, p. 359. [43] Selon La Mesnardiere, « si la Fable ne permet pas qu'ils reçoivent à l'heure mesme les punitions qui leur sont deües, il faut qu'ils soient menacez de la Justice divine par quelqu'un des personnages qui exagere et qui deteste leur honteuse difformité. » (*La Poétique*, Paris, Antoine de Sommaiville, 1639, p. 224). [44] Et que pose Georges Forestier dans son article « Réflexions sur la comédie, de la mort de Molière à la fondation de la Comédie-Française », dans *Da Molière a Marivaux*, actes du colloque international de l'université de Pise, 3-4 novembre 2000, Pisa, Edizioni Plus, 2002, p. 51-62. [45] Georges Forestier, *op. cit.* [46] Vers 54 à 56. [47] Vers 69, 70. [48] « L'indécence du sujet n'est pas le seul défaut de cet ouvrage ; il ne pêche pas moins contre la vraisemblance, que contre nos mœurs. » La Porte, J., *Dictionnaire dramatique*, Paris, Lacombe, 1776d p. 316-321 (erreur de pagination, il s'agit en fait de la page 317). [49] Nous ne pouvons manquer de faire un rapprochement avec la scène IV de l'Acte II (vers 613 à 632) de *L'École des femmes* de Molière, dans laquelle il y a le même quiproquo sur l'identité du futur mari. [50] Canova, M.-C., o*p. cit.*, p. 7. [51] Gilot, M., et Serroy, J., o*p. cit.*, p. 8. [52] Vers 35 et 37. [53] On retrouve ici un des ressorts favoris de la farce, c'est-à-dire les coups, mais l'effet en est atténué car il ne s'agit que de menaces sans suite. S'il y avait eu effectivement des gifles, elles auraient amené le rire facile, que les théoriciens reprochaient aux genres bas comme le théâtre de foire. [54] Vers 38-39. [55] Vers 163-164. [56] Vers 165. [57] Vers 167. [58] Vers 167. [59] Vers 168. [60] Vers 168. [61] Vers 772-773. [62] Vers 778. [63] Vers 777-800. [64] Scène 5, Acte IV. [65] Aux vers 5 et 13. [66] Vers 5 et 14. [67] Vers 356. [68] Vers 355. [69] Vers 58. [70] Vers 1652. [71] Vers 640. [72] Vers 655. [73] *Op. cit.*, p. 54. [74] Nous nous sommes appropriés la remarque de Georges Forestier, *op. cit.*, p. 58, « L'effet comique sera infiniment supérieur s'il se conduit en valet dans de magnifiques vêtements », et l'avons adaptée à notre pièce. [75] *Op. cit.*, p. 366. [76] Vers 941. [77] *Op. cit.*, p. 365. [78] Vers 953-954. [79] Vers 961-962. [80] Vers 1330. [81] Vers 1350. [82] Vers 76-77. [83] Vers 647-648. [84] Par exemple des vers 1588 à 1628. [85] Georges Forestier, *Le Théâtre dans le théâtre, op. cit.*, p. 349. Propos tenus au sujet de la scène du procès dans la pièce *Les Plaideurs*. [86] Vers 76- 77 [87] O*p. cit.*, introduction. [88] Vers 163-164. [89] Vers 646. [90] Vers 78-80. [91] Vers 332-334. [92] Nous signalons à ce sujet que la France de Louis XIV est alors en pleine guerre de Hollande (qui se déroulera de 1672 à 1678). [93] Jolibert, P., *La Commedia dell'arte et son influence en France du XVI*e* au XVII*e* siècle*, Paris, L'Harmattan, 1999, p. 80. [94] Vers 40. [95] Vers 171. [96] Vers 796. [97] Vers 1414 et 1426-1427. [98] Vers 1191. [99] Vers 1365-1366. [100] Vers1723-1724. [101] Scène 1 et 2 de l'acte I. [102] Vers 24-25 « Tout cela / Marque sa vanité plus que sa suffisance » ; Vers 119-121 « C'est que tous nos voisins me parlant de cela, / Disent qu'il n'entend rien dans les Livres qu'il a, / Que tout cela chez nous ne sert que de parade ». [103] « A son âge, / Ce Géronte si sçavant et si sage… » [104] Vers 31. [105] Jolibert, P., *op. cit.*, p. 30. [106] Vers 545-546. [107] Vers 555-556. [108] Vers 856-858. [109] Vers 907-908. [110] Vers 142-144. [111] Vers 748-750. [112] Vers 1096-1098. [113] Vers 899-901. [114] Cayrou, G. [115] Vers 41. [116] Vers 69-70. [117] Vers 640. [118] Vers 655. [119] Vers 701. [120] Vers 1379. [121] Vers 1380. [122] Vers 1592. [123] Cf. Glossaire. [124] Vers 1698. [125] Vers 317. [126] Vers 389-390 et 392. [127] Jolibert, P., *op. cit.*, p. 10. [128] Vers 73- 735. [129] Vers 751-754. [130] Vers 464-466. [131] Conesa, G., *Le Dialogue moliéresque : étude stylistique et dramaturgique*, Paris, PUF, 1983. [132] Vers 411. [133] Vers 696. [134] Vers 696. [135] Vers 1132. [136] Vers 1136. [137] Vers 1181-1182. [138] Vers 514. [139] Vers 1413. [140] Vers 1419. [141] Vers 1420. [142] Pruner, M., *L'Analyse du texte de théâtre*, Paris, Nathan, 2001. [143] Vers 54-56. [144] Vers 56. [145] Vers 212-213. [146] Vers 476-477. [147] Vers 477. [148] L'orthographe des noms de personnages varie souvent de vers en vers, de scène en scène ou d'acte en acte. Nous avons respecté l'édition originale de 1674 et n'avons donc pas corrigé ces fluctuations. [149] Les mots suivis d'une astérisque renvoient au glossaire page 158. [150] Préposition qui marque le temps et le lieu. *Jusque-là est très bien dit, & mieux que jusques-là* (A. Furetière) [151] Au XVII*e* siècle il était encore en usage de placer ainsi le régime direct de ce verbe avant celui-ci. [152] « Il n'y a entre « compte » et « conte » qu'une différence d'orthographe, ce mot s'écrivant tantôt d'après l'étymologie, tantôt d'après la prononciation, identique dans les deux cas. Il n'y a pas entre eux de différence de sens avant la fin du siècle. » Gayrou, G., *Dictionnaire du français classique, la langue du XVII*e* siècle*, 2*e* éd., Paris, Klincksieck, 1924. [153] Il existe à cette époque une équivalence entre la bibliothèque et le cabinet puisque ces deux termes peuvent désigner des pièces destinées à recevoir des livres. « On dit chez le Roy et quelques grands seigneurs, le cabinet des livres, des armes, des médailles, pour signifier les lieux où ces choses sont rangées, et les choses mêmes qui y sont conservées. » Furetière. Géronte semble tenter , par cette bibliothèque, d'élever son rang social. Sur ce point, voir Introduction. [154] L'indicatif prend une valeur modale lorsqu'il est utilisé avec certains auxiliaires ou verbes comme devoir ou pouvoir. Ici il faut donc comprendre *vous n'auriez pas dû*. [155] Il faut lire cette réplique comme un aparté. [156] Il s'agit certainement du Papier timbré obligatoire depuis 1655 pour la validité des Actes. « Liste des actes à dresser sur papier timbré : pièces judiciaires, …, diplômes, nominations publiques…, registres publics, comme ceux de baptêmes, de mariage ou de décès. Les décisions judiciaires définitives…devaient être également inscrits sur des Formules » (F. Monnier, *Dictionnaire du Grand Siècle*, dir. F. Bluche). « Au palais on appelle du *papier timbré*, du *papier marqué*, ou *formulé*, le papier qui est marqué d'une certaine marque Royale, sur lequel seul il est permis d'écrire tous les actes, expéditions et procédures de Justice. » (A. Furetière) [157] Il était en usage de souder ainsi cette locution. [158] Cet hémistiche doit se prononcer en aparté. [159] Le pronom personnel *en* renvoie aux mots de Toinette vers 106-107 «… mon Maistre deviendroit fou » et remplace donc implicitement le mot *folie*. [160] Trigaudin, aux vers 22 et 23, a montré qu'il faisait partie de ces voisins. Il écoute donc de manière hypocrite ce que dit la servante. [161] Au XVII*e* siècle, il n'existait pas encore de règles bien définies pour ce qui concernait le régime des verbes. Ainsi certains pouvaient être construits indifféremment de manière transitive directe, indirecte, ou intransitive. De nos jours le verbe « se plaire » se construit indirectement, avec la proposition *à*, ou *de* lorsqu'il est employé de manière réfléchie. [162] On appelait *magazin* le lieu où l'on gardait des marchandises. Ici Toinette veut dire que même si la future femme de Géronte regorge de vertu, elle le fera cocu. [163] Il s'agit ici du bois qui lui poussera au front. Toinette sous-entend que son maître sera tellement cocufié, que la maisonnée pourra se chauffer tout l'hiver grâce au bois de ses cornes. [164] « On dit qu'une femme est du mestier, quand elle est de mauvaise vie. » (A. Furetière) [165] Avant le XVII*e* siècle ce verbe, employé de manière réfléchie et pour parler d'une femme, désignait une femme « qui se donne ». Godefroy F., *Dictionnaire de l'Ancienne Langue Française & de tous ses dialectes, du IX*e* au XV*e* siècle*, Paris, Vieweg, 1884. [166] « En proportion de » (*Petit Larousse illustré*), proportionnellement. Précisons qu'au XVII*e* siècle l'expression est encore technique, d'où sa préservation sous sa forme latine. [167] C'est ici le doublet poétique de *avec*, c'est-à-dire qu'il compte pour trois syllabes et facilite la versification. [168] Sur la fragmentation des répliques de cette scène consulter l'introduction. [169] « On dit faire le fin pour dire* Ne vouloir pas expliquer ses sentiments*. » (A. Furetière) [170] Habituellement cette interjection marque la plainte ; cependant, ici il s'agit plutôt d'un soupir de contentement. [171] *Aise* signifie « joie, contentement, plaisir. » (A. Furetière) [172] « On dit figurément, quand on réclame contre quelque proposition, que quelqu'un a avancé, qu'on en appelle. » (A. Furetière) [173] L'édition originale présentait l'adjectif possessif *nos* ; mais la présence de la forme impérative dans cette phrase nous amène à penser qu'il y avait là une coquille, si bien que nous avons rétabli la forme voulue par le sens. [174] À force de suivre les vingt dernières modes, s'il devait porter sur lui tous les vêtements qu'il a, Valère serait chargé tel un mulet. Cette phrase sert à présenter à quel point Géronte réprouve la coquetterie que semble montrer l'amant de Julie. On retrouve alors dans ce personnage certains traits de caractère habituels de la commedia dell'arte, dans laquelle Pantalon se montre à la fois pingre, et nostalgique des valeurs et des modes passées. [175] « Barbin vient juste de publier *Ne pas croire* et *Zayde* de M*me* de La Fayette » (H. C. Lancaster, *French Dramatic Literature in the Seventeeth Century*, part IV 1673-1700, vol. I). *Zayde* est une histoire espagnole qui renoue avec la tradition du roman héroïque et que Madame de La Fayette a publié sous le nom d'un de ses amis. [176] Apollon est le dieu grec de la Beauté, de la Lumière, des Arts et de la Divination. C'est l'inspiration qu'il conférait aux poètes et aux artistes dont il est ici question. [177] Ovide, poète latin (43 av. J.-C.-17 ou 18 ap. J.-C.), dont les oeuvres les plus célèbres sont *Les Métamorphoses* et *Les Héroïdes*, n'était absolument pas philosophe. Montfleury commence dès ce moment à mélanger les talents de chacun des auteurs qu'il va citer. Sur l'effet comique de ce passage, voir introduction. [178] Platon, philosophe grec (427-348 ou 347 av. J.-C.). [179] Aristote est un philosophe grec (384–382 av. J.-C.), auteur de nombreux traités philosophiques, politiques, métaphysiques… mais pas historiques. [180] Plaute, poète comique latin (254-184 av. J.-C.) aurait écrit une centaine de pièces. [181] Démosthène est un homme politique et un orateur athénien (384–322 av. J.-C.). Son principal talent est d'avoir écrit des discours, et non des « vers pompeux ». [182] Cette réplique est une parodie de la réponse de Néron à Burrhus dans *Britannicus* de Racine. En effet à l'acte III, scène1 des vers 791 à 799, Néron refuse les conseils et les remarques de son interlocuteur car il juge celui-ci incompétent dans ce domaine – comme le fait également Valère ici – « Je vous croirai, Burrhus, lorsque dans les alarmes / Il faudra soutenir la gloire de nos armes, / Ou lorsque, plus tranquille, assis dans le Sénat, / Il faudra décider du destin de l'État: / Je m'en reposerai sur votre expérience. / Mais, croyez-moi, l'amour est une autre science, / Burrhus ; et je ferois quelque difficulté / D'abaisser jusque-là votre sévérité. / Adieu. Je souffre trop, éloigné de Junie. » [183] « Il se dit du train, de la suite, des valets, mulets, chevaux, carrosses, hardes, armes, et tout ce qui est nécessaire pour s'entretenir honorablement. » (A. Furetière) [184] Il y a ici un parallèle entre Géronte et Dandin, l'un des personnages des *Plaideurs* de Racine. En effet, à l'acte IV, scène 4, de la pièce de Racine, son héros rétorque à son fils : « Du repos ? Ah ! sur toi tu veux régler ton père. / Crois-tu qu'un juge n'ait qu'à faire bonne chère, / Qu'à battre le pavé comme un tas de galants, / Courir le bal la nuit, et le jour les brelans ? / L'argent ne nous vient pas si vite que l'on pense. / Chacun de tes rubans me coûte une sentence. » [185] Il s'agit ici de la place de Grève à Paris, dont l'origine du nom repose sur le fait qu'elle soit située le long de la Seine. C'est là qu'avaient lieu les exécutions capitales et c'est là également que l'on tirait les coups de canons pour la naissance des enfants du Roi et de La Reine ; suivant le nombre de coups le peuple savait s'il s'agissait d'un garçon, d'une fille ou bien encore si l'enfant était mort-né. Aujourd'hui cette place est devenue la place de l'Hôtel de ville. [186] Le salpêtre (nitrate de potassium) était employé comme oxydant dans la composition des poudres et des explosifs ; le laurier, arbuste consacré à Apollon, symbolise l'immortalité acquise par la victoire et donc la gloire, si bien que Géronte reproche à Valère de fuir tout ce qui, visiblement selon lui, montre la valeur d'un homme c'est à dire la gloire acquise par l'usage des armes. Le Bourgeois emploie ensuite deux termes contradictoires ; en effet, un bretteur désignait un homme qui aimait se battre à l'épée, et qui, par conséquent, restait peu chez lui. Si bien que la juxtaposition de *Breteur* et *cazanniers* est à la limite de l'oxymore. [187] C'est l'ancien palais de Paris, commandé par Catherine de Medicis. Il fut quitté par Louis XIV au profit du château de Versailles. Géronte semble vouloir dire ici que cette jeunesse, dont Valère fait partie, préfère délaisser les « nobles » actions comme la guerre, pour ne s'intéresser qu'aux badineries de Cour. [188] Trigaudin évoque très clairement son dessein ; sa cupidité l'entraîne jusque dans l'organisation d'un assassinat. Dans *La Femme aux deux maris*, il n'est jamais explicitement dit que Licaste veut, et va, tuer Robinval. [189] Ce verbe n'avait pas encore la connotation familière, voire vulgaire, qu'il peut avoir aujourd'hui. [190] Nous ne savons pas exactement quelle est cette menace et que contient la boîte. Nous ne pouvons émettre que des hypothèses : il peut donc ici s'agir de la boîte contenant du poison, primitivement destiné à Géronte, qu'il pourrait lui destiner si elle le trompait ; ou bien cette menace fait référence à des affaires passées, comme s'il s'agissait d'un chantage. [191] Le douzain était une monnaie de cuivre, équivalente aux sols marqués du XVII*e* siècle. [192] Aujourd'hui, il est d'usage de dire *ne servir à rien*. [193] *Rencontre* au masculin désigne généralement une occasion. [194] Il existe un verbe latin qui s'orthographie *distinguo* et qui signifie « je sépare, je divise ». Nous pouvons donc penser que c'est effectivement dans ce sens qu'il faut prendre ce mot. [195] « *Offre* est considéré comme masculin dans les premières années du siècle. (…) On ne voit le mot régulièrement féminin qu'après 1660. » (A. Sancier-Château, *Introduction à la langue du XVII*e* siècle*, p. 37). La conservation du genre masculin pour ce mot peut donc être regardée comme archaïque. [196] Nous avons transformé ici l'adjectif possessif *ma* de l'édition originale de 1674 en *sa* car Géronte n'est pas marié à Lucie. Il ne peut donc pas faire référence à sa femme mais bien à celle de Trigaudin. [197] « Facilité se dit pour foiblesse, mollesse, simplicité, indulgence excessive. » (A. Furetière) [198] Il faut comprendre ici *faire la cour*. [199] Il s'agit ici d'un aparté. [200] De « Ah l'effronté pendard ! » à « j'aurois bonne part », il s'agit là encore d'un aparté non indiqué par quelque didascalie. [201] À cette époque il y a encore confusion entre *dans* et *dedans*. Mais elle se fait, malgré tout, de plus en plus rare dans les dernières années du XVII*e* siècle. Aussi, comme le souligne Anne Sancier-Château, « le non-respect de cette distinction dans le dernier quart du siècle témoigne sans doute d'une recherche expressive » (*op. cit.*, p. 91). Toutefois cette confusion apporte également une facilité prosodique car dedans compte pour deux syllabes. [202] Nous avons changé le pronom personnel masculin *le* de l'édition originale en pronom personnel féminin car il nous semble que le valet L'Industrie montre à son confrère Lucie, que seuls Géronte, Trigaudin et lui-même connaissent, et non pas le bourgeois. D'autre part, c'est vers elle que La Forest se dirige et c'est à elle qu'il s'adresse. [203] *Autem* serait à prendre ici dans le sens de « en outre ». [204] Les licences sont les lettres, les « diplômes », qu'on reçoit dans les universités de l'époque, en théologie, en droit et en médecine.* Les écoliers de Droit vont prendre leurs licences à Orléans, à Bourges.* (A. Furetière) [205] Le terme est ici à prendre dans son sens premier ; trafiquer signifie primitivement « faire commerce. » (A. Furetière) [206] La robe et le bonnet sont les attributs des gens de justice. [207] Il faut comprendre *je n'aurais pas dû*. Sur l'utilisation de l'indicatif, cf. note 7 de l'acte I, scène 1. [208] Le Veau d'or est la représentation matérielle de Dieu imaginée par le peuple hébreu au sortir du désert. Cette idole entraîna la fureur de Moïse car il est interdit de créer des images de Dieu. La Rivière passe d'une image épique (le cheval de Troie) à une image biblique, ce décalage donnant naissance au côté burlesque de sa tirade. [209] « *Imposer*, tout seul, veut dire mentir. » (A. Furetière). Ici il faut donc comprendre *si je mens*. [210] Nous avons affaire ici à un latin de «populaire» puisque le mot *nuptia* a certainement été inventé d'après le véritable mot latin *nuptiae, arum. f.* qui ne se décline qu'au pluriel et qui signifie « les noces, le mariage ». Cette forme n'existe donc pas et a été créée par le valet. Sur ce point, consulter l'introduction. [211] *Neque* est la forme latine pour « ne…pas », le mot *paragrapho* existe bien au sens de « paragraphe » ; mais l'association des deux n'a aucune signification. Le valet semble utiliser les quelques bribes de latin qu'il lui reste de son passé de clerc. [212] Là encore les formes ne sont pas exactes, mais on pourrait traduire cette formule par « l'injustice ne se produit pas de manière bienveillante. » [213] Dans cette tirade, le valet La Rivière mélange donc le français et le latin. Cette technique comique a été observée chez d'autres auteurs, et notamment chez Racine. En effet, chez celui-ci, le valet L'Intimé cite, à la scène 3 de l'acte 3 des *Plaideurs*, un vers de *La Pharsale* de Lucain : « *Victrix causa diis placuit, sed victa Catoni.* » (« La cause du vainqueur eut la faveur des dieux, mais la cause du vaincu eut celle de Caton. ») La traduction de ce vers a été prise dans l'édition des œuvres complètes de Racine faite par Georges Forestier pour la Bibliothèque de la Pléiade. La différence entre ces deux valets réside dans le fait que l'un parle un bon latin et prouve sa culture tandis que l'autre parle un très mauvais latin et montre ainsi son ignorance. [214] On dit « *Faire la guerre à l'œil* pour dire espier tout ce qui se passe en quelque affaire où on a interest, pour y trouver ses avantages quand l'occasion s'en offre. » (A. Furetière) [215] Ce vers peut se traduire par « Des aigles aussi forts et des javelots menaçants les javelots ». Pour une fois les termes latins qui sont employés par le valet signifient sont exacts. [216] Orthographié *novissime* il signifie *dernièrement, tout récemment*. [217] D'abord. [218] Au dedans, de l'intérieur. [219] « Le mot de batterie en ce sens est du stile familier, & comique ; & se prend en general pour toutes sortes de moyens & d'invention que l'on emploie pour reüssir dans ses entreprises. On dit* il faut changer de batterie* pour je vais chercher un autre moyen, trouver un autre biais. » (A. Furetière)