--- identifier: ouville_absentchezsoi creator: Ouville, Antoine d' ; Georges Forestier. date: 1643 title: L'Absent chez soy. Comédie --- L'Absent chez soy Comédie PAR MONSIEUR D'OUVILLE. A PARIS, Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, sous la montée de la Cour des Aydes. M. DC. XLIII. AVEC PRIVILEGE DU ROY. Édition critique établie par Céline Fournial dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (2003-2004) # Introduction. *L'Absent chez soy* est une comédie à l'espagnole écrite par d'Ouville, publiée en 1643 et imitée de la *comedia* de Lope de Vega, *El Ausente en el lugar*. Certes, beaucoup de comédies à l'espagnole ont été représentées et publiées au XVII*e* siècle, mais d'Ouville a le mérite d'être considéré comme l'initiateur de cette mode. Il adapte des comédies espagnoles à la scène française et renouvelle ainsi le théâtre français en y introduisant des intrigues et des caractères nouveaux. Un père qui surprend sa fille en compagnie d'un jeune homme qu'il prend pour son amant l'oblige à l'épouser sous le regard désespéré du véritable amant caché et impuissant. Voilà le point de départ d'une intrigue pleine de vitalité et de mouvement dont quelques scènes particulièrement piquantes et amusantes ont pu inspirer Molière. # Éléments de biographie. Antoine Le Métel, sieur d'Ouville, serait né en 1587 à Rouen, selon James Wilson Coke [1]. Contrairement à certains historiens de la littérature qui affirment qu'il serait né en 1590 à Caen, James Wilson Coke pense que d'Ouville est né avant 1589. D'Ouville est le fils d'un procureur de la Cour des Aydes de Rouen et il est le frère de François Le Métel, abbé de Boisrobert. On ne connaît pas grand-chose de sa vie avant la création de sa première pièce, *Les Trahizons d'Arbiran*, en 1637. On sait qu'il a beaucoup d'intérêt pour les langues étrangères qu'il étudie depuis 1616, avec une préférence pour l'Espagnol. Boisrobert dit de lui qu'il était : « l'homme de toute la France qui parloit le mieux Espagnol. » [2] Il passe sept ans en Espagne où il s'est marié, mais, selon Tallemant des Réaux [3], Boisrobert fit rompre le mariage. Il semblerait que ce séjour s'étende de 1615 à 1622. Ce long voyage permet à l'auteur d'approfondir sa connaissance de la langue et de la littérature espagnoles. Puis, il serait parti quatorze ans à Rome. À son retour en France, en 1636, il est anobli, probablement grâce à l'influence de son frère qui lui obtient aussi une place d'ingénieur de l'État de 1643 à 1650 auprès de Foucault de Dognon [4], gouverneur de Brouage. Outre sa qualité d'ingénieur, d'Ouville est géographe et hydrographe. Il est également employé pendant plus de quinze ans au service du gouvernement comme ingénieur et géographe du roi. Tallemant des Réaux raconte le démêlé de Boisrobert avec Monsieur de la Vrillière, secrétaire d'État, qui : avoit osté de dessus l'estat des pensions un frère de Boisrobert, nommé d'Ouville, qui y estoit comme ingénieur. [5] Sur les instances de Boisrobert, Mazarin intercède en faveur de d'Ouville. Son service auprès du comte de Dognon finit mal, si l'on en croit Tallemant des Réaux [6] : (…) le mareschal Foucault, autrefois le comte de Dognon, au lieu de le recompenser de sept ans de service luy avoit prit un cadran de 300 livres, et à la foire Saint-Germain il luy emprunta, pour achepter des bagatelles à sa fille, les derniers escus blancs qu'il avoit. Parallèlement, d'Ouville poursuit une carrière littéraire. Il a fait publier dix pièces de théâtre entre 1638 et 1650, dont huit sont des comédies : *L'Esprit folet* (1642),* Les Fausses Véritez* (1643), *L'Absent chez soy* (1643), *La Dame suivante* (1646), *Jodelet astrologue* (1646), *Aymer sans sçavoir qui* (1646), *La Coiffeuse à la mode* (1647), *Les Soupçons sur les apparences* (1650). Il s'inspire principalement de la *comedia* espagnole à travers Calderón, Lope de Vega, Montalvan. Dans une moindre mesure, il trouve son inspiration dans la comédie italienne pour *Les Morts vivants* (1646), tragi-comédie imitée des *Morti vivi* de Sforza d'Oddi, et, pour *Aymer sans sçavoir qui*, il s'inspire de l'*Hortensio* de Piccolomini. Sa première pièce, *Les Trahizons d'Arbiran*, est une tragi-comédie. Au XVII*e* siècle, il est aussi connu pour ses contes. Sa grande connaissance de l'Espagnol lui permet de faire paraître la traduction de cinq *novelas* de Maria de Zayas y Sotomayor ainsi que des œuvres de don Alonso, en 1655. Ensuite, il serait parti avec son frère au Mans où Boisrobert aurait confié d'Ouville au chanoine Pierre le Prince, neveu de d'Ouville. D'Ouville meurt au Mans vers 1657 dans une grande pauvreté. Boisrobert disait de lui : Il porte le titre d'Hydrographe, d'Ingénieur, de Géographe ; mais avec ces trois qualités il est gueux de tous les côtés. [7] D'Ouville est considéré comme l'introducteur de la comédie à l'espagnole en France. Quant à l'éditeur de *L'Absent chez soy*, Toussainct Quinet, c'est un libraire du Palais à la réputation fameuse. Il publie beaucoup de nouveautés, à sa mort, en 1652, il possède plus de vingt mille pièces de théâtre dans ses magasins. # La représentation de L'Absent chez soy. La question de la représentation de la pièce pose problème. Nous n'avons pas trouvé de traces certaines de sa représentation. Il est peu probable qu'elle n'ait pas été représentée. On sait que plusieurs œuvres de d'Ouville ont été jouées à l'Hôtel de Bourgogne. Plusieurs d'entre elles apparaissent dans *Le Mémoire de Mahelot : L'Esprit folet, Les Fausses Véritez, Les Trahizons d'Arbiran, La Dame suivante, Jodelet astologue, La Coiffeuse à la mode*. Il cite des pièces antérieures et postérieures à *L'Absent chez soy* mais ne mentionne pas cette comédie. De même, Sophie Wilma Deierkauf-Holsbœr, dans *Le Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne*, ne parle pas de la représentation de *L'Absent chez soy* mais écrit cependant : « D'Ouville (…) dont les pièces ont été jouées par la troupe royale. » [8] Certains auteurs parlent pourtant de la représentation de cette comédie, sans qu'on sache d'où ils tirent ces informations. Antoine Adam dit de d'Ouville : Ce grand connaisseur de la langue et de la littérature espagnoles fit jouer, coup sur coup, entre 1639 et 1643, cinq comédies imitées de Calderón, de Lope de Vega et de Montalvan. Leur succès fut grand. [9] Parmi ces comédies figure *L'Absent chez soy*. Antoine Adam parle même du succès de ces pièces de théâtre, Chamfort en fait de même dans son *Dictionnaire dramatique*, il écrit au sujet des comédies à l'espagnole de d'Ouville : Paré de ces richesses, il se présentoit au Public, et éblouissoit ses yeux par la multiplicité, la variété des couleurs. James Wilson Coke [10] signale, au contraire, l'insuccès de *L'Absent chez soy*. Quant à la date de représentation de cette pièce, les auteurs qui l'évoquent s'accordent à dire qu'elle aurait eu lieu en 1642. Lancaster juge que la guerre des Flandres mentionnée par d'Ouville et qui s'étend 1639 à 1641, a probablement eu lieu peu avant la première représentation de la comédie [11]. Il situe donc la création de la pièce entre 1642 et 1643. Antoine de Leris, les frères Parfaict ainsi que le *Parfait Dictionnaire*, avancent la date de 1643. Cependant, la représentation et le lieu de la représentation de cette comédie restent incertains, les deux historiens de la littérature qui en font état ne donnent aucune grande précision ni certitude. # Résumé de l'action de la source espagnole. D'Ouville imite une *comedia* de Lope de Vega, *El Ausente en el lugar*, qui date de 1617. Avant d'étudier la manière dont d'Ouville adapte son modèle à la scène française et aux exigences du théâtre français, résumons l'intrigue de Lope de Vega. ## Acte [12] I. Au lever du rideau, Elisa, en compagnie de sa suivante, Paula, et de son valet, Marquina, s'entretient avec Laurencia, elle aussi accompagnée de sa suivante, Sabina, et de son valet Maese Juan. Les deux jeunes femmes se sont rencontrées à l'église et se sont lié d'amitié, tout comme les deux servantes ainsi que les deux valets. Elisa, dont le père n'est pas très fortuné, est amoureuse d'un cavalier, Carlos. Sa servante Paula aime le valet de Carlos, Esteban. De son côté, Laurencia aime Feliciano, un jeune homme volage, sa suivante Sabina est amoureuse du valet de Feliciano, Fisberto. Maese Juan et Marquina se plaignent de leur condition de valet et, au cours de cette conversation, Marquina révèle qu'il est poète à ses heures. Laurencia promet à Elisa d'envoyer Feliciano chez elle afin qu'elle fasse sa connaissance. Feliciano, venu voir Laurencia, aperçoit Elisa et s'éprend de cette dernière. Passent alors Carlos et Esteban, Feliciano saisit l'occasion pour dire à Fisberto tout le mépris qu'il a pour Carlos qui a le défaut d'être pauvre. Puis, c'est Esteban qui dresse un portrait dépréciatif de Feliciano à Carlos en soulignant son infidélité en amour et sa vanité. Carlos et Esteban profitent de l'absence du père d'Elisa, Aurelio, et de son frère, Octavio, pour aller chez la jeune fille. En effet, Aurelio a décidé de s'éloigner de chez lui, de faire mine d'aller aux champs, pour s'entretenir avec son fils de l'amour d'Elisa. Aurelio n'approuve pas le choix de sa fille, il juge que Carlos n'est pas assez riche. Octavio avoue alors à son père qu'il est amoureux de Laurencia. Lorsque Feliciano, déguisé en valet, se rend chez Elisa, celle-ci demande à Carlos et Esteban de se cacher car elle juge indécent qu'on trouve un homme chez elle. Carlos et Esteban entendent donc toute la conversation : Feliciano déclare son amour à la jeune femme qui le repousse et lui demande de partir. À ce moment-là, arrivent Aurelio et Octavio qui surprennent Feliciano chez Elisa et l'obligent à épouser la jeune fille. Feliciano accepte, sur les conseils de son valet, davantage par couardise que par amour. Une fois tout le monde parti, Carlos sort de sa cachette furieux, quitte Elisa en déclarant qu'il part à la guerre, malgré les tentatives de sa maîtresse pour lui faire comprendre qu'elle n'a pas d'autre choix que d'obéir à son père. Esteban imite son maître et quitte Paula. Feliciano et Fisberto se rendent chez Laurencia pour lui apprendre la nouvelle. Laurencia croit à un complot contre elle et rejette Feliciano. Ce dernier s'en soucie bien peu, car il est désormais décidé à épouser Elisa, mais à condition que la dot soit augmentée. ## Acte II. Carlos et Esteban préparent leur départ lorsque le Paula et Marquina arrivent. Paula apporte une lettre d'Elisa à Carlos lui demandant d'accepter de la revoir avant qu'il ne parte. Celui-ci, fâché et persuadé qu'Elisa aime Feliciano, déchire la lettre et renvoie Paula et Marquina, tandis qu'Esteban confie à Paula que son maître et lui ne quitteront pas les lieux. Seul avec son valet, Carlos regrette de ne pas avoir répondu à la lettre d'Elisa et décide d'aller voir la jeune fille le jour même. De son côté, Laurencia se lamente d'avoir été abandonnée par Feliciano. Sabina lui conseille de se venger en épousant Carlos. Pour cela, Sabina suggère à sa maîtresse de faire venir Carlos en prétextant savoir qu'il prédit l'avenir. Ainsi, Laurencia lui demanderait de lui dire qui serait son mari, ce qui rapprocherait les deux jeunes gens délaissés et donnerait à Carlos l'idée de se venger d'Elisa en épousant Laurencia. Quant à Feliciano, il regrette d'avoir promis d'épouser Elisa car il pense que la dot est trop faible et qu'on le blâmera quand on saura qu'Aurelio l'a obligé à accepter ce mariage. C'est alors que Carlos va chez Elisa où se trouvent aussi Feliciano, Aurelio et Octavio. Il propose à Aurelio de lui confier son argent pour que celui-ci lui en fasse parvenir pendant son voyage. Il explique les raisons de son départ en prétextant la trahison d'un ami. Quand Elisa se retrouve seule avec Paula, elle décide de désobéir à son père et de faire son possible pour regagner l'amour de Carlos et l'empêcher de partir. Sa suivante lui conseille de le faire venir chez une amie. Elisa choisit d'aller chez Laurencia. Carlos s'y trouve à ce moment-là car Laurencia a suivi le plan de Sabina. Elle et Carlos sont décidés à se marier par vengeance. Esteban et Sabina ont fait de même. Lorsqu'Elisa arrive, Carlos et Esteban se cachent. Carlos, lorsqu'il entend la plainte d'Elisa, est convaincu de la fidélité de la jeune fille. Cependant, arrivent Octavio et Feliciano. Elisa et Paula vont se cacher et voient Carlos et Esteban. Octavio veut savoir si Laurencia l'aime et accepte de l'épouser. Laurencia repousse Octavio et Feliciano en leur disant qu'elle est promise à Carlos. Quand les deux jeunes gens s'en vont, Elisa s'enfuit avec Paula, toutes deux fort en colère contre leurs amants infidèles. Elisa promet à Carlos qu'elle épousera Feliciano sans plus attendre. Carlos et Esteban quittent Laurencia et Sabina pour suivre leurs maîtresses. ## Acte III. Feliciano annonce à Fisberto qu'il a demandé quatre mille ducats supplémentaires à Aurelio dans le but de faire annuler le mariage. Il réprimande son valet lorsque celui-ci lui dit qu'il agit mal et qu'il tente de lui faire entendre raison. Esteban, en compagnie de son maître, va au rendez-vous que lui a donné Paula, Carlos décide alors de parler à la place de son valet de même qu'Elisa prend la place de Paula. S'ensuit une conversation où chaque amant a reconnu la supercherie de l'autre et critique vivement son infidélité. Au cours de la dispute, les amants révèlent leur identité et Carlos, furieux, fait mine de déchirer les portraits et les lettres d'Elisa, qui ne sont autres que les cartes à jouer d'Esteban. Après le départ de Carlos et Esteban, Elisa demande à Paula et Marquina de ramasser les papiers de peur que son père ne les trouve. Ils s'aperçoivent alors de la duperie. C'est le matin, Octavio raconte à Elisa que Feliciano a demandé quatre mille ducats de plus. Elisa arrive à convaincre son père d'augmenter la dot, prétextant qu'elle serait déshonorée si ce mariage n'avait pas lieu : tout le monde croirait que Feliciano aurait quelque chose à lui reprocher. Octavio va donc chercher Feliciano pour lui annoncer que son père accepte sa proposition. Celui-ci se trouve chez Laurencia dont il a regagné l'amour, non sans difficulté, en lui faisant croire qu'il partirai lui aussi pour les Flandres si la jeune fille le repoussait, puis en acceptant de dire du mal d'Elisa. Il en est de même pour Fisberto et Sabina. Face à Octavio, Feliciano quitte Laurencia, son valet l'imite. C'est alors qu'arrivent Carlos et Esteban chez Laurencia, pensant que le mariage d'Elisa est annulé. Détrompé, Carlos décide d'épouser Laurencia. Ils veulent assister déguisés au mariage d'Elisa. Fisberto et Sabina prennent à leur tour le parti de se marier. Lorsque Carlos voit Elisa prête à se marier, il sent son amour renaître et demande à Esteban d'avertir Elisa de sa présence. Après que Feliciano a dit devant toute l'assistance qu'il aimait Elisa, la jeune femme le repousse en déclarant publiquement qu'il n'accepte de l'épouser que par intérêt. Elle annonce à son père qu'elle veut épouser Carlos qui lui déclare son amour. Feliciano se tourne de nouveau vers Laurencia qui lui répond qu'elle est engagée avec Octavio. Esteban épouse Paula et Fisberto Sabina. Feliciano se retrouve seul. # L'Absent chez soy et sa source. Il apparaît avant tout que l'intrigue de *El Ausente en el lugar* et celle de* L'Absent chez soy* sont identiques mises à part quelques différences portant sur des éléments secondaires. Ainsi, le prétexte dont se sert Laurencia pour faire venir Carlos chez elle et lui suggérer de l'épouser n'est pas repris par d'Ouville de même que le mariage final de Fisberto et Sabina. D'Ouville garde le rythme et le dynamisme de la *comedia*, il respecte l'enchaînement des scènes de son modèle. La durée de l'intrigue de la pièce française est semblable à celle de Lope de Vega. Elle commence, pour Lope, le matin à la sortie de l'église pour se terminer le lendemain matin. Chez d'Ouville, quand le rideau se lève, c'est le matin, Élize et Diane sortent du bal, et la pièce s'achève le lendemain matin. Quant au lieu, les personnages de d'Ouville suivent les déplacements des personnages espagnols. Les différents lieux de la pièce française sont présents chez Lope : la maison d'Élize avec sa chambre et une salle principale, la maison de Diane, celle de Clorimant et la rue. Le seul lieu qui diffère est, comme on l'a vu, la sortie de l'église qui devient la sortie du bal chez d'Ouville. Mais comme la didascalie qui précède la première scène dans *El Ausente en el lugar* indique « calle », on imagine que le décor est semblable chez d'Ouville, car Diane et Élize attendent leur carrosse dans la rue. Dans les deux pièces, les valets suivent les agissements de leurs maîtres, tombent amoureux, se fâchent, se raccommodent, au même rythme qu'eux. On peut donc considérer que d'Ouville ne s'est guère éloigné de son modèle. Les différences apportées à la pièce espagnole par l'adaptation de d'Ouville résultent d'une volonté de franciser le modèle et de l'adapter aux exigences du théâtre français davantage que de créer une pièce originale. Cette francisation concerne d'abord le nombre d'actes. La pièce de Lope compte trois actes, ce qui est habituel dans la *comedia*. D'Ouville a étiré ces trois actes en cinq actes, sans ajouter des scènes ni des épisodes. Il a voulu adapter son modèle au goût français : certes il existe des comédie en trois actes en France, mais les cinq actes donnent à la comédie une ampleur qui élève le genre comique. La francisation du modèle espagnol s'applique aussi aux noms des personnages. Feliciano devient Clitandre, Fisberto Ormin, Carlos Clorimant, Esteban Géraste, Aurelio Polémas, Octavio Octave, Laurencia Diane, Sabina Julie, Elisa Élize, Paula Pauline. De même, d'Ouville déplace le lieu de l'intrigue de Tolède à Paris. Tels sont les éléments apparents de la francisation opérée par d'Ouville ; ce ne sont pas les seuls. La francisation de *El Ausente en el lugar* traduit aussi la volonté de d'Ouville d'adapter la pièce aux exigences classiques qui tendent à s'imposer dans le théâtre de l'époque. Le dramaturge a vraisemblablement voulu concentrer la pièce sur son intrigue en la débarrassant de tout ce qui ne la concerne pas directement. Tout d'abord, on remarque qu'il supprime deux personnages, Maese Juan et Marquina. Marquina est l'écuyer d'Élize, il se pique d'être poète, il est âgé. Maese Juan est le valet de Laurencia. Il est vrai que chez Lope de Vega ces deux personnages n'ont aucun lien avec l'intrigue. Ils apparaissent d'ailleurs très peu. D'Ouville supprime le passage où les deux valets parlent de leur vie difficile et remplace les rares interventions de Marquina par celles de Pauline. Chez Lope, ils se bornent à accompagner leurs maîtresses et les suivantes, rien ne les rattache à l'intrigue si ce n'est qu'ils sont les valets des personnages principaux. D'Ouville enlève en outre certains épisodes qui ne sont pas en rapport direct avec l'action principale. La scène où, sur les conseils de sa servante, Laurencia fait venir Carlos pour qu'il lui prédise son avenir afin qu'il ait l'idée de l'épouser pour se venger d'Elisa et de Feliciano, n'apparaît pas chez d'Ouville. À la scène 1 de l'acte IV, Clorimant est déjà chez Diane, l'action se poursuit pendant l'entracte car les deux jeunes gens ont déjà pris la décision de se marier mais le spectateur ignore comment cela s'est passé. De même, chez Lope, Esteban décrit à son maître toutes les femmes qui vivent dans la rue d'Elisa. Cet épisode vif et enjoué disparaît dans la pièce française. L'auteur ne conserve pas ces scènes de mœurs au ton coloré qu'on trouve dans le modèle espagnol. Ainsi, la scène du mariage est plus développée dans la pièce espagnole, Lope y insère une conversation où l'on parle de musique. Le dramaturge espagnol représente la conversation de jeunes hommes et de jeunes filles qui s'entretiennent de sujets divers. Au tout début de la pièce de Lope de Vega, Elisa et Laurencia parlent de la beauté de leurs mains. Lope donne libre cours à leur conversation enjouée. Ainsi, lorsque Marquina demande à Elisa de quoi elle a parlé avec Laurencia, elle répond : « Cosas de mujeres son. » [13] (I, 1). De même, Feliciano et Fisberto, en apercevant Carlos, parlent de sa pauvreté, ce dialogue donne lieu à des considérations sur les vêtements, les tissus, et même, de la part de Fisberto, sur l'homme en général et son statut social. Dans la pièce espagnole, on a l'impression que le rideau se lève sur des personnages en action dans la vie quotidienne, des personnages qui ne sont pas concentrés sur un seul sujet, qui se livrent à des discussions sur des thèmes variés, à des jugements, des pensées autres que les amours des personnages principaux. D'Ouville cherche donc à élaguer son modèle de tous les éléments de la vie quotidienne pour se focaliser sur l'intrigue elle-même. Cette recherche se manifeste également dans la suppression de scènes seulement burlesques présentes chez Lope de Vega. En effet, dans *El Ausente en el lugar*, certaines scènes ont pour seul but d'amuser le spectateur par les bons mots du *gracioso*, comme par exemple le discours burlesque d'Esteban au sujet du mariage que d'Ouville ne garde pas. Certes, on retrouve quelquefois chez d'Ouville ces éléments de comique mais dans une moindre mesure. Relevons quelques exemples de ce comique chez Lope. À la scène 1 de l'acte II, Esteban utilise le vocabulaire des soldats expliquant à son maître que puisqu'il part à la guerre, il faut dire « estala » et non « caballeriza ». Lorsque Paula apporte la lettre d'Elisa à Carlos, Esteban se moque des refus de son maître. À la scène suivante, Carlos demande à son valet de ne pas obéir s'il lui demande de rattraper Paula, ce qui donne lieu à une situation comique car, bien sûr, Carlos ne peut pas s'empêcher d'ordonner à Esteban de rappeler Paula. De même, à la scène 3 de l'acte de III, alors qu'Esteban a fait preuve de couardise, il raconte à son maître qu'il a fait peur à Feliciano et Fisberto. Dans la pièce française, on ne retrouve pas les *topoi* de la *comedia*, comme le déguisement, lorsque ceux-ci ne sont pas nécessaires à l'intrigue. La première fois qu'il va chez Elisa, Feliciano se déguise en valet, de même, Carlos et Laurencia vont au mariage d'Elisa et de Feliciano déguisés. Tous ces éléments parallèles à l'action principale disparaissent dans l'adaptation française. D'Ouville supprime les scènes lyriques et les monologues. Dans la pièce de Lope, plusieurs personnages se livrent à des monologues ou à des tirades lyriques vantant les mérites de la femme ou encore à des plaintes de type élégiaque. Ils laissent libre cours à l'expression de leurs sentiments. Certes, dans la pièce française, les personnages expriment leurs émotions mais au sein d'un dialogue, d'Ouville ne nous les livre pas comme un déploiement de poésie pleine d'images emphatiques et lyriques. Voici un exemple d'un de ces passages poétiques chez Lope de Vega, à la scène 6 de l'acte III. Elisa reste seule à la fenêtre pendant que Paula est partie chercher Marquina pour ramasser les papiers déchirés par Carlos. La jeune fille se livre alors à l'expression de ses sentiments dans un monologue : ¡ Qué propio es en amor, como lo cantan, Ir y quedarse, y con quedar partirse ! ¡Oh cuántos pensamientos quieren irse, Que al primer paso del partir se espantan ! Los piés con el agravio se adelantan A la tierna piedad del despedirse ; Mas suele amor al mismo agravio asirse, Y sentarse donde ellos se levantan. Si amor es un colérico accidente, No puede hacer efetos de cobarde ; Que es fuego, es ira, es furia, es rayo ardiente. Mal huye quien de amor se abrasa y arde ; Que como amor se precia de valiente, Vuelve la espalda a su enemigo tarde. [14] On ne trouve pas ce type de passage dans *L'Absent chez soy*. Comparons maintenant la scène 14 de l'acte I de Lope et la scène correspondante de d'Ouville, la scène 5 de l'acte II. Il s'agit du moment où Laurencia/Diane attend avec sa suivante le retour de Feliciano/Clitandre. Lope laisse libre cours à l'expression des sentiments de Laurencia et de Sabina : Laurencia Deseo en extremo ver A Feliciano, Sabina. Sabina Gloriosa estás de querer Hombre tan galan. Laurencia Inclina A amarle á cualquier mujer. Sabina Tienes, Señora, razon ; Que cuando pienso en Fisberto, Se me baña el corazon De un cierto incendio encubierto. ¡Agradable suspension, Que no deja á mis sentidos Lugar de volver en mí ! Laurencia Amando están divertidos. No dirá Elisa que fuí Sirena de sus oidos. Habrá visto en Feliciano Que lo menos le conté, Pues con atrevida mano En corto mapa cifré Todo un cielo soberano. ¿Quién duda que está invidiosa De verme tan venturosa ? [15] La conversation se poursuit encore pendant quelques vers jusqu'à l'arrivée de Feliciano. Chez d'Ouville, la scène est bien plus brève : Diane Clitandre s'entretient long-temps avec Elize, Crois-tu pas en effet qu'elle sera surprise Et peut-estre jalouse en voyant que j'ay l'heur De posseder ce brave & galand serviteur. Julie Il est vray que Clitandre a beaucoup de merite, Mais n'apprehendez rien d'une telle visite ; Car je sçay de certain qu'Elize ayme, & je croy Qu'elle a, si l'on dit vray, mesme engagé sa foy. Diane J'oy du bruit, voy qui c'est. Julie C'est Clitandre, Madame. (II, 5, v. 679-687). La comparaison de ces deux scènes est tout à fait caractéristique de la volonté du dramaturge français de concentrer l'action en même temps que les répliques des personnages sur le sujet de la pièce. Dans la pièce française, on remarque que l'expression des sentiments tient beaucoup moins de place que dans la pièce espagnole. Diane ne fait qu'exprimer sa jalousie en quatre vers alors que Laurencia exprime d'abord son amour puis sa jalousie. Elle expose sa crainte de la réaction d'Élize face à Clitandre, le résultat de cette rencontre constitue en effet un des éléments essentiels de la pièce. D'Ouville donne la parole à la jalousie de Diane car c'est ce qui la pousse à rejeter Clitandre lorsqu'il lui raconte ce qui s'est passé. L'auteur ne rappelle pas les sentiments de Diane pour son amant, il les a déjà signalés. De son côté, Lope de Vega laisse parler les sentiments de Laurencia et de Sabina comme s'il voulait déployer un passage de poésie amoureuse. D'Ouville concentre la scène sur ce qui va suivre : la révélation de ce qui s'est passé par Clitandre. Les personnages espagnols expriment donc davantage leurs sentiments. Cette diversité des sujets de conversation permet de représenter leur caractère avec plus de précision. Ainsi, Feliciano, contrairement à Clitandre, est méprisant. Il dénigre la pauvreté de Carlos. En outre, les passages de poésie donnent lieu à une analyse plus fine du caractère et des sentiments des personnages. À la scène 2 de l'acte II, la réplique de Marquina : Vámonos, Paula, ¿ qué hacemos ? Mira que en el viento vano Anda deste mozo el seso. Mira los gestos que hace. [16] suggère la violence des passions qui gagnent Carlos : après avoir lu la lettre d'Elisa, il s'agite, semble perdre la raison, ce qui est beaucoup moins net dans le texte de d'Ouville où Pauline dit : « Je reviendray tantost, vous estes en colere. » (III, 2, v. 899). Les valets, chez d'Ouville, se caractérisent d'abord par leur bon sens alors que chez Lope, la multiplication de leurs plaisanteries, leur confère un caractère comique qui est secondaire dans* L'Absent chez soy*. De plus, leur couardise est un trait que d'Ouville ne retient pas dans son adaptation. Même s'ils font des bons mots, Géraste et Ormin sont aussi moralisateurs. Ormin critique l'infidélité de son maître : Vous vous mariez donc ? d'où vous naist cette envie ? Pourrez-vous à Diane ainsi manquer de foy ? (II, 3, v. 544-545). Quant à Fisberto, il pousse Feliciano a épouser Elisa par peur, en exagérant les risques : Yo pienso que te engañan ; que si dices Que no quieres casarte, han de matarte. Si quieres defenderte, mete mano ; Quizá saldrémos, aunque no haya puerta. [17] (I, 11). À travers ces différents points, nous avons vu que l'adaptation de d'Ouville résulte d'une volonté de franciser le modèle espagnol, de franciser le cadre mais aussi de rendre la pièce conforme à certaines exigences du théâtre français classique qui tend à concentrer la pièce représentée sur son sujet. D'Ouville supprime la fantaisie de la pièce espagnole et préfère l'unité de ton, c'est ce qui explique que nombre de critiques ont insisté sur la sécheresse de ses comédies. Il reste néanmoins très proche de son modèle, dans la succession des scènes et même dans les vers puisque parfois il traduit le texte espagnol  en gardant le même rythme, le même mouvement, le même type de langage : Carlos Pues cese del alma el fuego Que de su quietud la priva ; Cobren su perdida fuerza Mis sentidos, pues verán, Si agora lugar les dan, La gloria que los esfuerza. [18] (I, 4). Dans la pièce française, Clorimant déclare : Bannissons desormais de chez nous la tristesse, Quoy ! te verray-je donc, ô ma chere maitresse ? Quoy ! de tant de tourmens me verray-je allegé ? Sortez d'ici soupirs, je vous donne congé, Je banny de chez moi la douleur & la plainte, Puis que je te puis voir sans obstacle & sans crainte, Adorable beauté qui causes mon tourment. Est-il dessous le Ciel un plus heureux Amant ? Tu dis qu'elle m'attend ? (I, 5, v. 119-127). Parfois, la traduction littérale aboutit à des contradictions lorsque ces traductions interviennent au moment où d'Ouville a opéré un changement ou une suppression. La réplique du personnage contredit alors ses sentiments ou ce qu'il vient de dire. Ainsi, Feliciano, après avoir été forcé à épouser Elisa, répond à son valet qui lui demande ce que deviendra Laurencia : Feliciano Lo que hicé yo. Fisberto ¿Qué fué ? Feliciano Tener paciencia [19]. (I, 11). Chez d'Ouville, quand Ormin demande à Clitandre s'il peut manquer de foi à Diane, Clitandre répond : « Elle aura patience aussi bien comme moi. » (II, 3, v. 546). Le fait est que dans la pièce espagnole, il est évident que Feliciano se porte à ce mariage parce qu'il est terrorisé, et qu'il regrette immédiatement ce mariage en disant à Fisberto qu'il ne l'acceptera que si on augmente la dot. Dans* L'Absent chez soy*, la réplique de Clitandre n'a pas grand sens, car il n'hésite pas à accepter la proposition de Polémas et, dès qu'il apparaît à nouveau sur la scène, il exprime son amour pour Élize : « Ouy, c'est pour cét object que je suis tout de flame. » (II, 6, v. 695). De même, contrairement à l'intrigue de d'Ouville, dans la pièce espagnole, le père d'Elisa sait qu'elle aime Carlos mais il est contre ce mariage car Carlos est pauvre. Il veut obliger sa fille à renoncer à ce mariage et déclare : Hoy veré con experiencia Si puede más la obediencia Que el amor en las mujeres. [20] (I, 7). D'Ouville traduit ces vers : Je veux voir aujourd'huy par cete experience Si l'Amour est plus fort que n'est l'obéissance, (I, 6, v. 255-256). Polémas prononce ces mots alors qu'il n'a pas l'intention de contraindre Élize. Il veut rentrer chez lui et surprendre sa fille avec son amant. Il est seulement soucieux de son honneur et de celui de sa fille. Si Clorimant tient à elle, il ne veut pas s'opposer à leur mariage. Cela nous permet également de relever une différence notable dans la dramaturgie des deux pièces. Dans la pièce espagnole, Aurelio est un obstacle à l'amour d'Elisa et Carlos, il s'oppose à cet amour car Carlos n'est pas assez riche. D'ailleurs, à la fin de la pièce, quand il voit le vrai caractère de Feliciano, il regrette de s'être opposé à l'amour de sa fille. L'intrigue de d'Ouville repose, quant à elle, sur un *quiproquo*. Polémas prend Clitandre pour l'amant d'Élize, il ne sait pas qu'Élize aime Clorimant. Cette idée lui vient sûrement du prétexte que donne Feliciano à Laurencia qui affirme qu'Aurelio et Octavio l'ont pris pour l'amant d'Elisa. La concentration recherchée par d'Ouville s'illustre également par le fait qu'il mentionne dès le début de la pièce le mariage d'Élize et Clorimant. Cette journée est présentée comme étant décisive pour l'amour des deux jeunes gens. Cela apporte intensité dramatique et concentration à l'intrigue. On ne trouve pas cela dans la pièce espagnole. Le dramaturge français cherche à renforcer l'unité et la cohérence de sa pièce. Pour cela, il développe quelques points de la pièce espagnole. Il insiste davantage sur ce que l'on peut appeler la religion de l'obéissance chez Élize que ne le fait Lope. L'obéissance d'Élize et les raisons qui l'imposent sont mises en relief par d'Ouville car, comme on le verra dans la suite de l'introduction, il s'agit d'un des éléments-clé de la pièce. À la scène 2 de l'acte II de *L'Absent chez soy*, Clitandre déclare son amour à Élize par des répliques de plusieurs vers et une tirade, alors que chez Lope, Feliciano est beaucoup moins volubile, il ne s'exprime que par de courtes répliques d'un ou deux vers. Clitandre reprend notamment ce que dit Fisberto sur Elisa : No es de las que hizó aprisa La varia naturaleza. Aquí detuvo el pincel, Hizó, deshizó, quitó, Todo el arte puso en él. [21] (I, 10). Feliciano confie ses sentiments à son valet mais n'ose pas les exprimer à haute voix. Pendant cette conversation, d'Ouville ajoute les fureurs de Clorimant que Géraste modère et qui n'apparaissent pas dans le modèle espagnol. De même, Élize se fâche contre son amant qui menace de partir à la guerre dans une longue réplique, alors qu'Elisa se contente de dire : « Espera, repara. » [22] (I, 12). On remarque que d'Ouville développe certains éléments de la pièce espagnole. Ces éléments sont toujours étroitement liés à l'intrigue et alimentent le nœud de celle-ci ainsi que la tension dramatique de la pièce. D'Ouville choisit de franciser la pièce espagnole, de l'adapter aux exigences de la scène française tout en restant proche de son modèle. C'est ce qui lui a valu bien des critiques sur son manque d'originalité et sur la sécheresse de ses comédies. Mais, ce que ces critiques ne voient pas, c'est que la démarche de d'Ouville ne consiste pas à copier une pièce espagnole mais à s'approprier son modèle et à en dégager les situations dramatiques. # L'Absent chez soy et la comédie à l'espagnole. Nombre d'historiens considèrent que d'Ouville est l'initiateur de la mode de la comédie à l'espagnole en France. Le public apprécie cette nouvelle forme de comédie. Selon Antoine Adam [23], son succès s'étend jusqu'en 1656 environ : il explique qu'après la Fronde et la restauration de l'ordre hiérarchique, le public délaisse cette comédie où les valets parlent à leurs maîtres avec désinvolture. *L'Absent chez soy*, comme beaucoup de comédies à l'espagnole, est une comédie d'intrigue. L'auteur n'introduit pas les marques habituelles de la* comedia* comme les déguisements, les duels, les enlèvements, les reconnaissances, il préfère développer une intrigue romanesque avec des aventures galantes. L'intrigue est romanesque par ses thèmes et notamment par son thème principal, l'amour. Les jeunes gens sont passionnés, le père a une autorité absolue, la jalousie des amants cause diverses péripéties, des amants se donnent rendez-vous la nuit, ils sont désespérés car dès leur moindre soupçon ils se croient trahis. Voilà les thèmes romanesques de la *comedia* qu'on retrouve dans la pièce française. Telle est aussi l'origine de la méprise des personnages qui se laissent tromper par les apparences. Ces situations permettent de donner libre cours au dépit des amants et à la fureur du père ou du frère. Ces motifs de la comédie à l'espagnole apportent du mouvement à l'action. Dans *L'Absent chez soy*, les couples se font et se défont au rythme des querelles, des jalousies et des réconciliations. Les principaux thèmes qui y sont représentés sont l'amour, l'honneur et la jalousie, tels sont les *topoi* de la *comedia*. ## L'amour. Dans la* comedia*, comme dans *L'Absent chez soy*, les personnages se préoccupent essentiellement d'amour. Dès le début de la pièce, la conversation des suivantes en témoigne : Et je souhaite fort cette heureuse journée, Qu'ensemble ils seront joints sous les loix d'Hymenée. (I, 2, v. 47-48). L'intrigue repose sur l'amour contrarié d'Élize et Clorimant par l'intervention de Polémas qui a obligé sa fille à épouser Clitandre après l'avoir trouvé chez elle, ce qui contrarie également l'amour de Diane pour Clitandre. Il s'agit donc jusqu'à la fin de la pièce de reformer le couple d'Élize et Clorimant. Les personnages sont passionnés. D'Ouville peint l'amour comme une souffrance, ainsi que l'indique la réplique de Clorimant à la scène 5 de l'acte I. Il emploie le vocabulaire de la douleur en utilisant les mots « tristesse », « tourments », « soupirs », « douleur », « plainte ». En outre, il parle souvent de ses « feux » au sens de sa souffrance. Cette passion va jusqu'à la violence, comme le montre la réaction d'Élize à la scène 2 de l'acte IV, lorsque Diane lui dit que Clorimant est parti. Pour la jeune fille, la fin de son amour avec Clorimant marque immanquablement la fin de sa propre vie : Il faut par une belle & hardie action, Faire paroistre icy quelle est ma passion. Il faut de tant de maux que la mort me délivre, Car Clorimant absent Elize ne peut vivre : (IV, 2, v. 1281-1284) La passion de la jeune fille prendrait des allures tragiques si l'on ne savait pas que Clorimant était caché et entendait tout. Elle trouve son expression dans la violence du vocabulaire, Élize va jusqu'à parler de sa mort comme seule issue à son désespoir amoureux. La passion s'exprime aussi à travers les résolutions de Clorimant. Il menace sans cesse de partir mais n'arrive pas à mettre ses propos à exécution, il veut déchirer le portrait de sa maîtresse mais déchire finalement les cartes de son valet. Saint Marc Girardin dit, au sujet de cette scène, que d'Ouville : a compris d'avance le secret qui fait la supériorité de Molière : il a cherché et trouvé l'intérêt et l'agrément de la comédie dans la peinture fidèle des passions plutôt que dans la complication des aventures. [24] Mais cet amour passionné est parfois difficile à concilier avec l'honneur. ## L'honneur. Dans la comédie à l'espagnole, l'honneur occupe une place essentielle. Pères et frères sont les garants de l'honneur de leur fille ou de leur sœur. Dans *L'Absent chez soy*, dès la première apparition de Polémas et d'Octave, on comprend que leur principal souci est de préserver l'honneur d'Élize en même temps que celui de la famille : Polemas Non, non tu me verrois parler d'une autre sorte, Le fait ne va pas là, car ce fer que je porte, Ayant fait quelque chose indigne de son rang, Auroit esté desjà trempé dedans son sang. (I, 6, v. 155-158). La violence et la vengeance font partie des moyens de conserver cet honneur si vénéré. La peinture de l'honneur est pétrie de tragique. Chez Élize, l'amour et l'honneur se livrent un véritable combat qui voit triompher l'amour à la scène 9 de l'acte III, mais non sans violence : « Mais mon amour m'oblige à présent d'esclater. » (IV, 2, v. 1234). Puis : Permettez qu'à ses yeux, & qu'en vostre presence, Je foule aux pieds l'honneur avec l'obeyssance, (IV, 2, v. 1239-1240). Il s'agit d'un sacrifice de l'honneur au nom de son amour pour Clorimant, ce qui explique sa fureur et son désespoir quand elle apprend le départ de son amant. L'opposition entre l'amour et l'honneur est encore soulignée un peu plus loin : Rigoureux point d'honneur, fantosme ridicule, Exécrable bourreau d'une ame trop crédule. Pour observer tes loix je me prive du jour, Et pour t'avoir suivy j'ay trahy mon Amour. (IV, 2, v. 1271-1274). Élize oppose ici la lumière et la vérité de l'amour à la souffrance qu'impose la vanité de l'honneur qu'elle qualifie d'« exécrable bourreau ». Le langage extrême employé par la jeune fille traduit la violence du conflit intérieur entre l'amour et l'honneur, comme si les personnages de la pièce étaient dirigés par des sentiments dominateurs qui les dépassent. C'est tantôt l'amour, tantôt l'honneur, tantôt la jalousie qui les pousse à agir, leur volonté semble s'effacer devant leurs passions. ## La jalousie. Dans* L'Absent chez soy*, les couples se font et se défont au rythme des querelles dues à la jalousie et des réconciliations. Après avoir assisté, caché, à la scène où Polémas oblige Clitandre à épouser Élize, Clorimant ne songe même pas à croire à l'amour de sa maîtresse, la jalousie prend le dessus. Le schéma se répète lorsqu'Élize trouve Clorimant chez Diane. La confiance n'a pas sa place dans *L'Absent chez soy*, la jalousie éclate immédiatement et donne lieu au désespoir des amants qui se croient trahis, comme en témoigne la tirade de Clorimant au début de la scène 4 de l'acte II, puis celle d'Élize à la scène 4 de l'acte IV. Cette promptitude à la jalousie ne permet pas aux personnages de voir que ce sont des apparences trompeuses qui font naître ces passions. Au contraire, ils cherchent tout de suite la vengeance, c'est pourquoi Clorimant et Diane décident de se marier : Mais quoy que je m'y porte à présent par vengeance, Pour punir cét ingrat, croyez que quelque jour Ma vengeance pourra se changer en Amour. (IV, 1, v. 1196-1198). C'est encore la jalousie doublée de la vengeance qui pousse Élize à annoncer à Clorimant à la scène 5 de l'acte IV qu'elle est décidée à épouser Clitandre. La jalousie est, en outre, finement représentée à la scène 4 de l'acte V, quand Diane dit à Clitandre : Mais si tu veux un peu remettre mes esprits, Dy moy du mal d'Élize. (V, 4, v. 1754-1755). Diane ne demande qu'à croire Clitandre et se trompe elle-même en obligeant celui-ci à tenir des propos contraires à sa pensée. C'est le dépit amoureux qui pousse la jeune fille à demander une telle chose à son amant. « Je te pardonne tout. » (V, 4, v. 1767). Diane prononce ces mots comme un soupir de soulagement. Les sentiments de l'amour, de l'honneur et de la jalousie sont représentés avec finesse par d'Ouville et occupent une place de premier plan dans la pièce. La représentation qu'en donne l'auteur permet d'affiner le caractère des personnages. Contrairement aux comédies à l'italienne, c'est la jeune fille, hardie, qui mène une intrigue faite de méprises sur les apparences, sur les sentiments, et nouée par un *quiproquo*. D'Ouville accentue ce contraste entre la jeune fille déterminée et le jeune homme inerte en rendant Clorimant plus dépendant de la clairvoyance et du recul de son valet que Carlos. Lorsque Clorimant s'apprête à déchirer les portraits d'Élize, c'est son valet qui l'arrête et lui donne ses cartes. Dans la pièce espagnole, c'est Carlos qui se ravise lui-même et qui demande à son valet de lui donner des cartes à jouer. D'Ouville adapte donc un modèle espagnol avec le souci de rendre sa pièce conforme à certaines exigences du théâtre français. Il ne se contente donc pas de copier des pièces espagnoles. Il s'approprie son modèle. # Les personnages. Les personnages de *L'Absent chez soy* sont les personnages traditionnels de la *comedia*. On a cinq amoureux, deux valets, deux servantes, un père et un frère. Leurs relations relèvent du système de la chaîne amoureuse, inventé par le genre pastoral : Octave aime Diane qui aime Clitandre qui aime Diane et Élize qui aime Clorimant qui aime Élize. Antoine Adam, dans son *Histoire de la littérature au XVII*e* siècle*, définit les personnages de la comédie espagnole en ces termes : Partout des amours contrariées, des jeunes filles malheureuses, des jeunes gens au désespoir (…) Les jeunes gens sont, avec quelques nuances, braves, généreux, passionnés ; les vieillards sont sévères, mais bons ; les jeunes filles honnêtes et tendres. [25] On reconnaît dans ces traits certains personnages de la pièce de d'Ouville. Il s'agit ici d'étudier leur caractère en commençant par les jeunes filles, puis les jeunes gens, le père et enfin les valets. Élize, même si ce n'est pas elle dont il est question dans le titre de la pièce, peut-être considérée comme le personnage central de cette comédie. C'est elle qui prononce le plus de répliques dans la pièce. Elle aime Clorimant, mais ne peut s'engager sans l'accord de son père, ce qu'elle explique à son amant à la scène 7 de l'acte de I : Je n'oserois manquer à cette obeyssance Que je dois à celuy de qui je tiens le jour, (I, 7, v. 308-309). Il s'agit d'une véritable religion de l'obéissance chez Élize. La jeune fille répète à son amant dans cette scène et à la scène 4 de l'acte II que son père est le maître, qu'elle doit lui obéir. Le père a tout pouvoir sur elle et elle ne peut contester ce pouvoir, ce qu'elle signifie en disant : Si mon père me dit ; ma fille, je desire Te pourvoir en tel lieu, je n'auray rien à dire, (I, 7, v. 319-320). Il s'agit donc bien d'une question d'éducation dont la jeune fille ne se peut départir. Elle explique d'ailleurs à Clorimant le fonctionnement de cette obéissance avec subtilité à plusieurs reprises, aux actes I et II. Elle dispose de son âme librement mais, quant à son corps, elle doit se soumettre à la volonté de son père car il est l'auteur de ce corps. Son amour pour Clorimant est libre car il relève de l'âme, mais le mariage relève du corps et Élize dépend alors du choix paternel. C'est pour cela qu'elle tente de faire comprendre à son amant que ce mariage forcé n'enlève rien à l'amour qu'elle lui porte. Toute la subtilité des règles de l'obéissance suggère une sorte de religion de l'obéissance. Mais Élize est un personnage qui évolue au cours de l'action. La lamentation que cause l'ordre de son père laisse bientôt la place à l'action. Ainsi, à l'acte II, elle demande même à son amant d'agir pour sauver leur amour : Si tu peux empescher ce fascheux Hymenée, Je ne revoque point ma parole donnée, (II, 4, v. 603-604). Jusqu'à la fin de l'acte de III, Élize obéit en se lamentant, ses plaintes rythment la scène 3 de l'acte II et les scènes 5 et 6 de l'acte III. L'évolution se déclenche à la scène 9 de l'acte III, après que Clorimant a annoncé devant tous son départ. La feinte de Clorimant provoque une réaction vive chez Élize, la plainte s'efface devant la détermination : « L'honneur me le deffend, mais je le veux dompter. » (III, 9, v. 1166). Elle conclut en annonçant la victoire de l'amour, celle du sentiment sur la raison ou du moins sur la raison imposée par son éducation : Mon pere, c'en est faict, pardonnez cette offence, Mon Amour est plus fort que mon obeïssance. (III, 9, v. 1187-1188). Elle cesse alors d'avoir le simple rôle d'objet, l'objet de l'amour de Clorimant, l'objet de la crainte de Polémas, pour devenir le sujet de l'action, le sujet agissant qui a pour objet la reconquête de son amour. Le corps suit le mouvement de l'âme en obéissant aux sentiments de la jeune fille et non plus aux ordres du père. À la scène 8 de l'acte V, elle va contre l'autorité de son père en rejetant Clitandre et en déclarant qu'elle aime Clorimant. Elle finit par affronter l'ordre paternel. On perçoit ainsi l'évolution du personnage au cours de la pièce, la passion amoureuse prenant le pas sur une éducation contraignante. Cette progression est amenée par les péripéties qu'a subies son amour pour Clorimant. Son caractère évolue, ce qui lui permet de faire évoluer l'intrigue en agissant plutôt qu'en subissant, en restant ferme dans ses sentiments, malgré les menaces d'épouser Clitandre qui ont pour but de faire avancer son projet. L'étroitesse du lien entre la progression du personnage et celle de l'intrigue fait d'Élize un personnage-clé de la pièce. Diane est l'autre personnage féminin de la pièce. Elle n'a ni père ni mère, elle ne dépend que d'elle-même. Mais son amour pour Clitandre l'aveugle, elle est incapable de voir les défauts de son amant. Elle passe de la lamentation à la vengeance tout au long de la pièce. Elle n'entreprend pas d'action seule. Même quand elle décide de se venger en épousant Clorimant, on ne sait si c'est elle qui en a eu l'idée, contrairement à *El Ausente en el lugar* où il est clair que Laurencia fait venir Carlos chez elle pour accomplir sa vengeance. À l'acte V, c'est Clorimant qui lui propose à nouveau de se venger. Mais elle est soumise durant toute la pièce à l'irrésolution de Clorimant et à l'inconstance de Clitandre : sa vengeance n'est jamais assouvie et Clitandre ainsi que Clorimant la quittent tour à tour, deux fois chacun. Son sort dépend des autres personnages. Elle est sans cesse abandonnée par son amant. Cependant elle ne cesse pas d'aimer Clitandre, malgré l'inconstance du jeune homme : Clitandre est à mes yeux encore plus charmant. J'auray pour son subject tousjours mesme tendresse, Quoy qu'inconstant pourveu qu'Elize me le laisse. (IV, 6, v. 1426-1428). Cet aveu de faiblesse lui vaut une nouvelle déconvenue quand ce dernier part avec Octave pour épouser Élize et montre que même dans sa vengeance elle n'est pas déterminée. Diane est le personnage toujours trompé car son amant est soit volage, c'est le cas de Clitandre, soit amoureux de quelqu'un d'autre, c'est le cas de Clorimant. Contrairement à Élize, elle ne devient pas véritablement sujet de l'action. Il n'y a qu'à la toute fin de la pièce qu'elle abandonne ce rôle d'objet en rejetant Clitandre et en choisissant Octave, le seul qui l'aime vraiment, plus par dégoût de l'inconstance de Clitandre que par amour. Clorimant est le personnage dont il est question dans le titre de la pièce, « l'absent chez soy ». Ce titre oxymorique traduit la contradiction de Clorimant. Il est « absent » car il annonce son départ pour la guerre lorsque Polémas oblige Élize à épouser Clitandre. Mais il reste « chez soy » car en réalité ce n'est qu'une feinte, il ne quitte pas Paris. Jacques Scherer énonce les caractéristiques du personnage du théâtre classique : le héros classique est jeune ; il est beau (…) La valeur militaire est aussi nécessaire au héros classique qu'à son ancêtre (…) Le courage est inséparable chez le héros classique de la noblesse du sang (…) ces héros sont malheureux (…) Malheureux enfin dans la comédie même, où les obstacles au bonheur des héros déterminent des plaintes souvent passionnées. [26] Il apparaît clairement que Clorimant répond aux caractéristiques du héros classique. Même s'il n'a pas accompli d'exploit militaire, il annonce son départ à la guerre avec patriotisme : A present que mon Prince a besoin de mon bras, Ce Monarque indompté s'advance à la campagne Pour abatre la force, & l'orgueil de l'Espagne, Allons l'accompagner, joignons nous à son sort ; Cherchons, s'il faut mourir, une honorable mort. (II, 4). Clorimant est l'amant passionné qui se laisse emporter par ses émotions. Il aime Élize et n'arrive pas à comprendre qu'elle épouse Clitandre, même par obligation, il prend cette attitude pour de l'infidélité et s'emporte. Michel Corvin écrit : « Le langage remplit un sillon déjà creusé dans l'esprit du héros aliéné. » [27] Cela s'applique parfaitement au personnage de Clorimant. Il interprète les paroles de sa maîtresse à sa manière, la jalousie lui fait perdre toute capacité de réflexion. Il ne reconnaît plus sa maîtresse, alors qu'elle n'a pas changé puisqu'elle lui répète ce qu'elle lui a déjà dit à l'acte précédent sans qu'il se fâche. Mais à l'acte II, il ne veut plus recevoir le discours de la jeune fille. Il a pourtant été spectateur des scènes 2 et 3, comme le public, il ne peut cependant pas accéder à l'objectivité du public ni comprendre qu'Élize reste sincère dans son amour pour lui. Il a perdu, dans la passion de la jalousie, la faculté de jugement et rejette la raison face à l'amour : Tu me dis que je pense, & que je considere ! En matiere d'Amour, celle qui delibere N'en a point, ou du moins s'il faut qu'elle en ait eu En parlant de la sorte elle l'a tout perdu. (II, 4, v. 659-662). Tout au long de la pièce, les passions le font agir, lorsqu'il annonce qu'il part à la guerre, lorsqu'il décide de se venger en épousant Diane. Il a agi par colère et jalousie. La fureur lui fait déchirer la lettre de sa maîtresse que Pauline lui apporte. Géraste lui fait alors remarquer son attitude déraisonnable. Cette scène illustre la contradiction du personnage si impatient d'avoir la lettre de sa maîtresse mais qui la déchire dans un mouvement de colère. Clorimant est le lieu de la tension de deux forces opposées, l'amour pour Élize et la colère parce que les apparences lui font croire qu'elle est infidèle. Pauline, à la scène 10 de l'acte IV, explique à sa maîtresse la contradiction de son amant, aveuglé par la passion : Il n'ira pas bien loing, ce n'est rien qu'un destour, Pour faire rapprocher de plus pres son amour. C'est comme un papillon qui fuit & bat de l'aile, Et qui se vient en fin brusler à la chandelle. Il a devant les yeux un trop obscur bandeau, C'est comme un ciel couvert qui nous menace d'eau, Dont pourtant on ne voit jamais tomber de pluye. (IV, 10, v. 1581-1587). Ces vers résument le caractère de Clorimant. Il se contredit sans cesse, l'amour l'emportant sur la colère ou la colère l'emportant sur l'amour. Cette contradiction se double d'une contradiction entre être et paraître. L'image qu'il veut donner de lui à Élize est celle de l'amant furieux qui veut se venger alors qu'il l'aime et n'arrive pas à la quitter. Élize saisit cette tension lorsqu'elle lui dit à la scène 4 de l'acte II : N'as-tu pas en toy-mesme une guerre intestine ? L'Amour ne fait-il pas chez toy de tous cotez, Mesme dedans ton coeur, des sujets revoltez ? (II, 4, v. 644-646). C'est cette contradiction qui l'empêche d'agir, l'immobilité intérieure se traduit par une immobilité extérieure. Il dit qu'il part mais il reste, il veut se venger mais dès qu'Élize reparaît il abandonne cette idée. Michel Corvin écrit : un amoureux qui n'agit pas, n'existe pas, fonctionnellement, c'est-à-dire théâtralement. Ce n'est qu'un discours incarné. [28] Clorimant est un discours qui ne devient jamais action, il reste passif et irrésolu. C'est Élize qui sauve cet amour. À l'acte III, elle lui reproche sa passivité : (…) car dites-moi de grace, Ce que vous avez fait pour recouvrer la place Que vous aviez acquise au cœur de cet amy ? Pourquoi vous estes-vous sur ce poinct endormy ? Employez en remèdes, & non en larmes feintes, Les heures que sans fruit vous consommez en plaintes ; (III, 6, v. 1087-1092). Clorimant donne toujours l'impression de faire semblant, semblant de partir, semblant de se venger. Les seuls actes dont il est capable sont des feintes, il feint au lieu d'agir, mais même sa fuite est feinte. À chaque fois qu'il apparaît sur la scène, c'est pour fuir, mais il ne va pas au bout de sa fuite, il reste à Paris. Il pense faire réagir sa maîtresse par ces semblants de départ. Mais Pauline, la suivante, n'est pas dupe : « Il n'ira pas bien loing » (IV, 10, v. 1581). Cette réplique se vérifie dans les faits. Clorimant ne va jamais loin, il se contente de débuts de fuite, de débuts de vengeance. Si l'on établit les schémas actanciels de la pièce, on se rend compte que tandis qu' Élize-sujet ne change pas d'objet pendant toute la pièce, déterminée à retrouver son amour, Clorimant change incessamment d'objet, passant d'Élize à Diane, revenant à Élize puis à Diane pour finalement épouser Élize. L'irrésolution du jeune homme s'oppose à la détermination de la jeune fille. Clitandre est le contraire de Clorimant. Alors que Clorimant est irrésolu car, malgré sa colère, il n'arrive pas à quitter sa maîtresse, Clitandre est irrésolu car il ne fait que quitter sa maîtresse. C'est un inconstant. Clorimant quitte Élize car il croit qu'elle aime Clitandre, il va trouver Diane pour se venger mais son amour pour Élize est toujours présent. Clitandre s'éprend d'une jeune femme qu'il ne fait qu'apercevoir. Quand il se présente chez Élize, la conversation tourne immédiatement à une déclaration d'amour passionnée. Il va jusqu'à parler de mariage à Élize alors que Julie avait dit au début de la pièce qu'il devait épouser Diane dans huit jours. Il ne change pas de maîtresse par vengeance mais par infidélité. Octave signale que Clitandre est réputé pour son caractère volage : Car il est si léger, & si lasche en Amour Qu'il fait à tous objets incessamment la Cour. Il est, à ce qu'on dit, jusqu'à tel poinct volage, Qu'on n'a qu'à luy monstrer seulement un visage Pour peu qu'il ait d'attraits qu'à l'instant il est pris. (I, 6, v. 213-217). Son propre valet lui rappelle : « C'est vostre humeur, Monsieur, d'aller courir au change. » (III, 4, v. 956). Mais ces amours qui l'ont enflammé bien vite s'éteignent tout aussi rapidement. Il déclare son amour à Élize et accepte de l'épouser à l'acte II mais dès l'acte suivant, à la scène 4, il confie à son valet qu'il regrette d'avoir accepté ce mariage. Ormin lui réplique : Mais, Monsieur, entre nous, souffrez que je le die, Vostre amoureuse ardeur c'est bien-tost refroidie, Je vous voyois tantost bouïllant, & tout de feu, Et je voy qu'à présent vous en avez fort peu. (III, 4, v. 951-954). À l'acte IV, quand il apprend que Diane se venge de lui en épousant Clorimant, il décide de rompre son mariage avec Élize. De nouveau, il est sous le charme de Diane : Ma Diane a pour moy de plus charmants appas, Elle brusle pour moy, l'autre ne m'ayme pas. (IV, 7, v. 1457-1458). Mais, dans son inconstance, il ne feint pas d'aimer. C'est son caractère d'être volage, il représente le type de l'inconstant et ces mots qu'il dit à Diane après lui avoir avoué qu'il doit épouser Élize – « Je suis tel à présent que j'ay tousjours esté » (II, 6, v. 742) – peuvent être pris en un double sens. Ils veulent faire croire à Diane qu'on l'a obligé à ce mariage, qu'il n'est pas infidèle. Mais, on peut également comprendre qu'il a toujours été volage et que c'est Diane, aveuglée par l'amour, qui ne s'en est pas rendu compte. Clitandre est un personnage type, il ne change pas. Même s'il est vrai quand il dit à son valet qu'il aime, il ment aux autres sur ses sentiments, comme on vient de le voir pour Diane mais aussi lorsqu'il parle à Polémas et Octave : C'est moy qui suis heureux d'asservir ma franchise Sous les divines loix de la parfaite Elize, Qui voy dans ce bon-heur tous mes désirs contents. (III, 5, v. 987-989). Puis, à la scène 8 de l'acte V : Ouy Monsieur je confesse en presence de tous Que volontairement je soubmets ma franchise Dessous les douces loix de la parfaite Elize, Que je suis satis-faict de ce qui s'est passé, Et qu'à ce mariage on ne m'a point forcé. (V, 8, v. 1974-1978). L'outrance avec laquelle il prononce vraisemblablement ces paroles insiste sur la vanité et le ridicule du personnage de Clitandre. Il ment aussi lorsqu'il raconte à Diane comment il en est venu à accepter le mariage avec Élize : il exagère la réalité en prétextant la violence des propos d'Octave et Polémas. Voilà qui participe à rendre le personnage ridicule tout comme son autre défaut, la lâcheté. C'est la lâcheté qui le pousse à épouser Élize. C'est encore la lâcheté qui le pousse à suivre Octave au dernier acte : dès que Julie annonce l'arrivée d'Octave, il est saisi de peur. L'intérêt pour l'argent fait également partie de son caractère. Cette cupidité lui fait manquer à sa parole. Roger Guichemerre écrit ces mots sur Clitandre : un galant épris d'une jeune femme la quitte brusquement pour une autre sans que l'abandon pour la première ou l'attirance pour la seconde soit justifié autrement que par l'inconstance. (…) À quoi bon chercher une vérité psychologique chez ce « fou fieffé », si volage et si facilement inflammable ? (…) Ses emballements et ses revirements brusques ne sont évidemment là que pour soutenir une intrigue romanesque en contrariant les amours d'Élize et de Clorimant, et en mettant à l'épreuve la constance de Diane, qui ne se lassera qu'au dénouement d'un amant aussi instable. [29] Il pense que Clorimant n'a qu'une utilité d'élément perturbateur. Cela explique son éviction finale, il n'entre pas dans le cercle des amants qui vont se marier, il est rejeté et demeure face au public, seul avec son valet. Octave est, quant à lui, l'amoureux repoussé, jusqu'à la toute fin de la pièce. Il aime Diane qui aime Clitandre. Ses deux visites chez Diane se concluent par un refus de la jeune fille. Mais, il s'oppose à Clitandre en ce qu'il est constant dans son amour, malgré les refus de celle qu'il aime. Cette constance a raison de l'amour de Diane à la dernière scène, la jeune fille déclare : « Clitandre j'ayme Octave, & je hay l'inconstance. » (V, 9, v. 2023). En plus du rôle de l'amant, Octave a le rôle du frère. Le frère est garant de l'honneur de la famille, il doit surveiller sa sœur, dans la comédie à l'espagnole. Octave remplit ardemment cette fonction. À la scène 5 de l'acte I, lors de la première apparition d'Octave, Géraste prévient Clorimant : « Octave est un mauvais garçon, » (I, 5, v. 134). Lorsque son père lui parle des amours d'Élize, Octave est prompt à s'emporter de même lorsqu'il trouve Clitandre chez Élize. Il n'hésite pas à user de violence pour garder l'honneur, comme on l'a déjà vu : Vous ferez sagement, allons, si son Amour Perd icy le respect, il en perdra le jour : Quand ce galand seroit un Prince, je vous jure Que ce fer vangeroit nostre commune injure. (I, 6, v. 249-252). Mais, lorsque le rôle de frère et celui de l'amoureux sont dans la balance, Octave n'hésite pas à privilégier son amour en suppliant son père de donner Élize à Clitandre, bien qu'il connaisse l'inconstance de ce dernier. Polémas, qui est le père d'Octave, joue aussi le rôle de son confident. Octave n'a pas de valet sur scène, c'est donc Polémas qui le conseille, comme à la scène 6 de l'acte I. Polémas est très soucieux de son honneur, il rappelle à Octave : (…) je n'y contredy pas Si plutost que l'Amour, l'honneur guide tes pas. (I, 6, v. 181-182). Nous ne revenons pas sur l'importance de l'honneur. Il tient à ce que sa fille obéisse. La scène 6 du premier acte est très représentative du caractère de Polémas. Il s'inquiète, comme tout père du théâtre classique, des amours de sa fille, il veut la marier mais pas forcément la contraindre : il accepte l'amour de sa fille si c'est un amour honnête : Respondre à quelque Amant qui pourroit quelque jour Si je le trouvois bon l'avoir en mariage. (I, 6, v. 174-175). D'ailleurs, à la fin de la comédie, à l'indignation de Clitandre rejeté par Élize, Polémas répond : Ce n'est pas mon dessein d'user de violence, Je luy souffre en ce cas d'agir comme il luy plaist. (V, 8, v. 1996-1997). Contrairement à la pièce espagnole, Polémas ne connaît pas l'amant de sa fille, d'où le *quiproquo* : il prend Clitandre pour l'amant d'Élize. Il est tellemnt persuadé que l'amant de sa fille se trouve chez elle qu'il en est aveuglé : dans l'esprit de Polémas, quiconque se trouve au logis d'Élize à ce moment-là ne peut manquer d'être son amant. Les tentatives d'explication d'Élize et de Clitandre sont donc vaines. Mais c'est une méprise : Polémas est pourtant complaisant car il accepte d'augmenter la dot d'Élize sur les prières de sa fille. Venons-en désormais aux valets. Valets et servantes ont dans cette pièce le rôle de confidents. Leur bon sens et leur recul par rapport aux amours de leurs maîtres leur permettent de les éclairer et de les conseiller. Les maîtres représentent l'émotion, les valets et les suivantes la raison. Ainsi, Géraste dit à Clorimant : « Vous paroissez avoir perdu le jugement. » (II, 3, v. 909). Ils ramènent leurs maîtres à la raison. Ormin dit à Clitandre : C'est mal y proceder. Cette action Monsieur n'est point d'un honnête homme. (IV, 7, v. 1438-1440). Chaque valet ou suivante essaie de guider son maître. Ils sont donc moralisateurs et tentent de calmer les ardeurs et les passions des jeunes gens qu'ils servent. Le *gracioso* est gourmand et lâche, ce n'est pas le cas d'Ormin et de Géraste il n'y a que trois allusions à la nourriture dans la pièce, ce trait n'est pas développé par l'auteur. Ormin est volage comme son maître, mais par accident, il suit les agissements de son maître, qu'il désapprouve pourtant, comme une règle : Julie en te quittant je fay ce que je doy Tu n'aurois par raison de te plaindre de moy, Pourrois-je justement abandonner mon maistre ? (V, 5, v. 1853-1855). On avait déjà cette idée dans *El Ausente en el lugar* : Sabina, ya tú sabes que danzamos Los criados al son de nuestros dueños. [30] (III, 11). Valets et suivantes par là même n'agissent pas vraiment, du moins ils agissent mécaniquement. Ce n'est que par cette imitation des actions de leurs maîtres qu'ils sont proches des valets de la *comedia*. Pauline conduit sa maîtresse éperdue qui craint le départ de son amant et qui doit épouser Clitandre qu'elle n'aime pas. Elle représente la suivante qui a de l'expérience et qui ne se laisse pas tromper par les apparences. Elle conseille sa maîtresse dans son attitude : Mais, Madame, il falloit icy dissimuer, Et luy faire à l'abord un peu meilleure mine, Vous contraindre un moment. (III, 9, v. 1158-1160). Julie est un personnage peu présent. Elle apparaît comme le double de sa maîtresse. Elle est soumise aux humeurs changeantes d'Ormin et de Géraste qui ne peuvent manquer d'imiter leurs maîtres. # Le comique. On ne peut pas parler de véritable force comique dans* L'Absent chez soy*, comme dans la comédie à l'espagnole. On l'a vu, l'intrigue est essentiellement romanesque. Il s'agit d'examiner la manière dont l'auteur intègre le comique à cette intrigue ainsi que les effets produits sur le spectateur. ## Le comique de situation. L'intrigue donne lieu à quelques situations comiques. Diane fait un portrait élogieux d'Élize à son amant déjà séduit par la beauté de la jeune fille. Elle l'ignore, mais le spectateur l'a compris, le décalage entre ce que sait le public et ce que sait le personnage provoque le rire. La situation de Clorimant aux scènes 2 et 3 de l'acte II est elle aussi comique. Le jeune homme, caché dans la chambre d'Élize assiste coup sur coup aux déclarations d'amour de Clitandre à la jeune fille et à l'arrivée du père qui oblige Clitandre à épouser Élize et s'agite vainement. Le comique de situation se double d'un comique de répétition lorsque c'est au tour d'Élize de découvrir son amant chez Diane, à la scène 2 de l'acte IV. Ces situations, qui font naître le dépit amoureux des personnages, sont comiques car, dans le cadre d'une comédie, elles sont sans conséquence. Le comportement des personnages, qui, malgré les apparences, n'aspirent qu'à se réconcilier, laisse entrevoir une fin heureuse. On peut appliquer à ces situations la formule de Marcel Pagnol, citée par Jean Émelina [31], selon laquelle le comique naît de « tout ce qui peut, d'une part, créer un désarroi ; d'autre part résoudre brusquement et heureusement ce désarroi » [32]. Élize et Clorimant s'attirent la sympathie du public, le rire n'est donc possible que dans la mesure où leurs situations difficiles sont appelées à se résoudre de manière heureuse. Le rire ne porte pas sur les personnages mais sur la situation. La situation de Clitandre surpris par Polémas chez Élize est elle aussi comique car elle cause le désarroi du personnage face à une situation sans issue. Mais, dans ce cas, ce n'est pas la résolution heureuse qui conditionne le rire. Le rire varie selon les personnages sur lesquels il porte et diffère même si les situations et le comique qui en découle sont semblables, car les situations peuvent révéler les ridicules du protagoniste. ## Le comique de caractère. Le seul personnage ridicule de la pièce est Clitandre. Ce n'est cependant pas un personnage intrinsèquement ridicule qui serait porteur de l'essentiel du comique de la pièce. Il n'est comique que dans certaines scènes qui mettent en valeur ses défauts. C'est un jeune homme volage, il n'attire donc pas la sympathie du public, les situations qui le mettent en difficulté prêtent donc à rire. Le rire porte alors non seulement sur les situations mais sur le personnage lui-même. Lorsque Polémas et Octave surprennent Clitandre chez Élize, celui-ci est apeuré, comme l'indique cet aparté : « Je suis perdu, grands Dieux » (II, 3, v. 448). Sa couardise, qui contraste avec sa vantardise affichée à la scène précédente – « Croyez-moy qu'en mérite il ne m'égale point, » (II, 2, v. 410) – fait rire le spectateur. S'y ajoute le comique de gestes lorsque Polémas dit à Clitandre : « Passez un peu deçà. » (II, 3, v. 479). On imagine aisément le jeu de scène comique : Clitandre se prépare à subir la vengeance du père d'Élize et craint qu'il ne tire son épée. L'hypocrisie de Clitandre participe du comique de caractère. À la scène 5 de l'acte III, il déclare devant Polémas et Octave qu'il aime Élize alors qu'il vient tout juste de confier à son valet qu'il regrette ce mariage. Son hypocrisie est mise en valeur par l'exagération du vocabulaire qu'il utilise. Il persiste même à la fin de la pièce après avoir essayé de faire annuler la noce. Tels sont les éléments comiques du caractère du personnage. Le rire a ici une valeur morale, le public rit de Clitandre car il est volage, hypocrite, malhonnête et lâche, il rejette ses défauts. La dernière réplique de la pièce, prononcée par Ormin, semble être une adresse au public et indique la présence de ce rire moral : Certes nous meritons à ce que je cognois, Qu'on se mocque, Monsieur, & de vous & de moi (V, 9, v. 2037-2038). Le rire, selon Ormin, est mérité et devient une sanction pour Clitandre. Cette réplique répond à l'indignation de celui-ci : « Que vois-je ? Justes Dieux ! Est-ce ainsi qu'on me traite ? » (V, 9, v. 2036). Le pronom personnel « on » peut référer aux autres personnages mais également à l'auteur et au public. Il est question de la manière dont un personnage comme lui est traité par l'auteur et le public. Clitandre est rejeté par les personnages, le public se moque de lui. Le comique de caractère, lorsqu'il porte sur Clorimant, provoque un rire différent chez le spectateur. Clorimant est le contraire de Clitandre. Il n'est plus question d'un rire réprobateur mais d'un rire de sympathie, amusé par un personnage qui n'arrive pas à quitter celle qu'il aime et qui tente en vain de cacher ses sentiments. L'auteur et le public se jouent des desespoirs amoureux des personnages. Ce comique est le résultat d'une entente implicite entre le spectateur et l'auteur. On peut parler de plaisant plutôt que de comique, pour reprendre la terminologie de Jean Émelina qui écrit que « la déraison des amants bien fous et qui donne lieu à d'innombrables scènes de dépit, n'est que plaisante » [33] car le rire est indulgent et non pas réprobateur. Saint Marc Girardin résume le caractère d'Élize et Clorimant en ces termes : Élize et Clorimant se sont brouillés, sans qu'ils sachent bien pourquoi, et ce sont là les véritables brouilles amoureuses. Ils s'accusent mutuellement d'inconstance, et ils jurent qu'ils ne se reverront plus de leur vie ; mais ils cherchent toutes les occasions de se rencontrer, pour se fuir ouvertement. [34] Ce trait atteint son apogée à la scène 9 de l'acte IV, lorsqu'Élize, se faisant passer pour sa suivante, parle à Clorimant qui a pris la place de Géraste. Dans cette scène plaisante, chaque amant croit tromper l'autre. Cela donne lieu à l'ironie d'Élize quand Clorimant-Géraste, après avoir fait croire qu'il était parti, révèle son identité : Qui Clorimant absent, qui Clorimant qui vole. Qui s'enfuit de ces lieux plus viste que le vent. (IV, 9, v. 1532-1533). De même, la fureur de Clorimant à la fin de la scène est décrédibilisée puisqu'il déchire les cartes de son valet à la place du portrait d'Élize, d'où la réplique de la jeune fille à la scène suivante : Sans doute Clorimant est de jolie humeur, Il se mocque de nous la chose est évidente. (IV, 10, v. 1610-1611) C'est bien le caractère indécis des personnages qui est porteur du comique de ces scènes, comme à la scène 3 de l'acte III où l'irrésolution de Clorimant donne lieu à un jeu de scène comique et se trouve ainsi figurée par les gestes de Géraste qui court, s'arrête, repart, pour revenir, au rythme des ordres contradictoires de son maître. À partir de là, toutes les menaces de Clorimant adressées à Élize, malgré leurs allures tragiques, perdent tout sérieux pour basculer dans le comique. Le public a mis au jour les sentiments de Clorimant et ne peut croire à ses feintes. ## Le comique de mots. Les valets ne sont pas comiques en eux-mêmes, comme le sont les *graciosos*. Ce sont leurs répliques qui sont comiques. Géraste raille son maître à plusieurs reprises. À la scène 1 de l'acte III, il répète les propos de Clorimant avec ironie : J'ateste tous les Dieux Que le moindre soûpir, deux larmes de ses yeux, Quatre mots de sa main escrits avec tendresse, Car je cognois assez quelle est vostre foiblesse, Au milieu de la nuë arresteroient l'esclair Le trait poussé de l'arc, & l'oyseau dedans l'air. (II, 1, v. 797-802). Géraste apparaît alors comme le double du public sur la scène en révélant les contradictions et l'irrésolution de son maître par le rire. Il partage avec le public la connaissance du caractère de Clorimant. Il laisse libre cours à son esprit critique et à son ironie. Le rire bienveillant du valet pour son maître éclaire la nature du rire de sympathie du public envers Clorimant. Géraste émaille ses répliques de bons mots, comme à la fin de la pièce : Monsieur voulez vous pas nous marier ensemble, Pauline & moy j'entends. (V, 9, v. 2032-2033). Le comique de mots est représenté également par l'imitation par les valets des actions de leurs maîtres. C'est par ces imitations que le valet de *L'Absent chez soy* est proche du valet de la *comedia*. Valets et suivantes se fâchent et se réconcilient au même rythme que leurs maîtres. La critique [35] reproche souvent à d'Ouville que le systématisme de ces imitations en ôte la force comique. Outre le jeu d'écho produit par cette imitation, le comique réside alors principalement dans le décalage entre maîtres et valets. Géraste rend à chaque fois sa réplique burlesque en utilisant un langage plein de trivialité, ainsi à la scène 4 de l'acte II : Que je m'enfuy de toy, que nous partons ensemble, Desloyale parjure, ame ingrate, & sans foy. Va qu'une balle passe à mille pas de moy, Et qu'entre deux treteaux je briffe en la cuisine Si tu me vois jamais infidelle Pauline. (II, 4, v. 668-672). Ses propos contrastent avec le sérieux et le ton de ceux de son maître. À la scène 4 de l'acte V, après que Clitandre a dit du mal d'Élize, Ormin en fait de même de Pauline en utilisant des images basses, un vocabulaire terre à terre, le portrait est burlesque. On voit donc qu'il n'y a pas une ligne directrice du comique de *L'Absent chez soy*. Plusieurs sortes de comique sont présents dans la pièce. Certaines scènes relèvent plus du plaisant que du comique car le spectateur est amusé et les personnages lui sont sympathiques. # La dramaturgie. ## Les unités. D'Ouville a voulu adapter la pièce espagnole aux exigences classiques. Il s'agit ici de voir dans quelle mesure il respecte les règles classiques et en particulier la règle des unités. ### L'unité de temps. Le dramaturge respecte l'unité de temps. La pièce dure environ vingt-quatre heures, elle commence le matin, à la sortie du bal, et s'achève le lendemain matin. Au cours de la pièce, les répliques donnent fréquemment des indications temporelles. À la première scène de l'acte I, la didascalie précise : « Diane et Elize sortant du bal au matin. » Clorimant retourne voir Élize « de jour ». Puis, la scène où les deux amants se parlent à la fenêtre se passe la nuit. Au début du dernière acte, c'est le lendemain matin, il est très tôt, Octave dit à son père : « D'où vient que je vous voy, Monsieur, si tost levé ? » (V, 1, v. 1617). Ensuite, jusqu'à la fin de la pièce, il n'y a plus de précisions temporelles mais l'enchaînement des faits donne une impression de rapidité et Polémas dit à Octave à la scène 2 de l'acte V : Mais à condition que sans plus de remise, Il sera ce matin joint à ta sœur Elize. (V, 2, v. 1691-1692). Cela laisse penser que la pièce s'achève le matin même. L'action continue pendant les entractes. Entre l'acte I et l'acte II, il s'est passé 1 h 30, comme le signale Élize. Peu avant la fin de l'acte II, Clorimant quitte Élize et annonce son départ pour la guerre. Au début de l'acte suivant, il est prêt à partir. Lorsque débute l'acte IV, Clorimant et Diane se sont déjà mis d'accord, ils veulent se venger. À l'acte IV, Clitandre dit qu'il est décidé à écrire à Polémas pour faire annuler le mariage en demandant une dot plus importante. Au début de l'acte V, Polémas a déjà lu la lettre et il est furieux. On peut considérer que d'Ouville, comme son modèle espagnol, respecte la règle de l'unité de temps en donnant à sa comédie une durée d'environ vingt-quatre heures et en organisant sa pièce de sorte que l'intrigue évolue durant les entractes, satisfaisant ainsi le souci de vraisemblance quant à la durée de l'intrigue représentée. ### L'unité de lieu. L'intrigue se déroule à Paris, mais pas dans un lieu unique. La didascalie de la première scène de la pièce indique : « Diane & Elize masquées sortant du bal au matin » Les jeunes femmes attendent leur carrosse, le bal est donc relativement éloigné de leur maison, le changement de décor est obligatoire, puisque le reste de la pièce se déroule chez les jeunes filles. Le lieu change à la scène 5 du même acte, Clorimant et Géraste se trouvent devant la maison d'Élise. Ils voient Polémas et Octave sortir : « Ils sortent, je les voy sur le pas de la porte, » (I, 5, v. 131) ils sont dans la rue. À la scène 7, ils entrent chez Élize. À partir de la scène 5 de l'acte II, le lieu change encore, il s'agit de la maison de Diane. L'acte III commence chez Clorimant, jusqu'à la scène 4 où Clorimant et Géraste s'apprêtent à entrer chez Élize. Au début de l'acte IV, l'action a lieu chez Diane, jusqu'à la scène 7 où Clitandre et Ormin sont dans la rue, près de la maison d'Élize. L'acte V se déroule chez Élize, à l'exception des scènes 3 à 7 qui se passent chez Diane. Cet inventaire des lieux de l'intrigue est nécessaire dans la mesure où d'Ouville n'introduit presque pas de didascalie indiquant le lieu de la scène, contrairement à Lope de Vega qui signale chaque changement de lieu. Si l'on se reporte à la pièce espagnole, on peut relever tous les lieux présents dans la pièce française car les personnages de d'Ouville suivent les mêmes déplacements que ceux de Lope de Vega. La pièce comprend donc cinq lieux différents : la sortie du bal, la maison d'Élize, la rue devant cette maison, la maison de Diane, celle de Clorimant. Lors de la représentation, il serait donc question d'un décor à compartiments. On a pu le remarquer, les personnages se déplacent d'un lieu à l'autre au cours d'un même acte, il paraît donc peu probable que le décor change pendant le déroulement d'un acte. On peut supposer que les trois maisons sont voisines, c'est du moins le cas pour celle d'Élize et de Diane. Clitandre dit à Diane au sujet d'Élize : (…) mais vous avez trouvé Pour vous entretenir une du voisinage. (I, 4, v. 94-95). La proximité facilité les déplacements. La rue se trouverait alors devant les maisons. Reste la sortie du bal. Mais, comme les jeunes femmes attendent leur carrosse dans la rue, on peut imaginer qu'un rideau cache les maisons dans les premières scènes de la pièce et qu'il se lève ensuite. Sophie Wilma Deierkauf-Holsboer explique dans *L'Histoire de la mise en scène* : les changements de décor étaient réalisés par l'enlèvement de petits rideaux qui n'avaient pas de place fixe sur la scène et pouvaient couvrir n'importe quel compartiment. [36] Un autre problème est à résoudre. Certaines scènes se passent dans la rue, d'autres dans les maisons. D'Ouville introduit une didascalie à la fin de la scène 4 de l'acte III qui l'explique : « Il faut lever la toile. » Clitandre et Ormin sont dehors et entrent chez Élize. La façade de la maison est peinte sur une toile qu'on lève lorsque la scène se déroule à l'intérieur. Il en est de même pour les maisons de Diane et de Clorimant. Il faut également imaginer deux pièces chez Élize et chez Diane qui servent de cachette visible par le public. Cela peut être une pièce voisine ou un recoin. D'Ouville respecte l'unité de lieu au sens large, c'est-à-dire que l'intrigue se passe dans une seule ville, mais les personnages se déplacent dans cette ville. ### L'unité d'action. Dans *L'Absent chez soy*, plusieurs fils sont en présence. Tout d'abord, il y a deux groupes, les maîtres et les valets. Du côté des maîtres, il y a cinq jeunes gens : deux couples et un amoureux. Quant aux valets, ils forment deux couples également. Les couples de maîtres permutent comme ceux des valets, à l'exception de Pauline qui rejette Ormin. Il faut ajouter le personnage d'Octave, sans cesse repoussé jusqu'à la dernière scène. On peut se demander alors dans quelle mesure on peut parler d'unité d'action dans *L'Absent chez soy*. Jean Chapelain, dans sa lettre du 29 novembre 1630 sur la règle des vingt-quatre heures, écrit : il en est de ceci les poèmes représentatifs précisément comme des tableaux réguliers dans lesquels jamais un bon desseigneur n'emploiera qu'une action principale, et s'il en reçoit d'autres dans les enfonçures ou dans les éloignements, il le fera bien pour ce qu'elles auront nécessaire dépendance de la première, mais ce sera plus encore parce qu'elles se passeront au moins dans le même jour, par la seule raison de l'œil qui ne saurait bien voir qu'une seule chose d'un regard et duquel l'action est limitée à certain espace. [37] Dans le deuxième discours de la poésie représentative, il définit l'unité d'action : les bons anciens n'ont jamais eu dans leur tragédie et dans leur comédie qu'une action principale à laquelle toutes les autres se rapportaient et c'est ce que l'on nomme unité d'action. [38] *L'Absent chez soy* semble s'accorder avec cette définition. Il y a bien une action principale, celle qui occupe les maîtres, et une action secondaire, qui occupe les valets. L'action secondaire se rapporte à l'action principale. La dépendance est double car elle porte sur les actants de cette action secondaire, les valets, qui dépendent de ceux de l'action principale, les maîtres, et sur l'action elle-même, car celle des maîtres gouverne celle des valets. Les valets ne font que reproduire *in extremis* les décisions des maîtres, sans jamais prendre eux-mêmes d'initiative. On peut enlever les aventures amoureuses des valets sans altérer l'action principale. Cette imitation mécanique empêche de parler d'une véritable action des valets, il s'agit davantage d'un effet de miroir, d'un dédoublement de l'action principale et non de deux actions. C'est un fil de l'action principale. Si l'on considère l'action des maîtres, on peut distinguer trois fils : au début de la pièce, Clorimant et Élize s'aiment, Clitandre et Diane s'aiment, Octave aime Diane. Puis, les couples permutent. Le fil principal est constitué par l'amour de Clorimant et Élize. Jacques Scherer, dans *La Dramaturgie classique*, écrit : c'est la possession de ces quatre caractères d'unification qui permettra seule d'affirmer qu'une pièce respecte l'« unité d'action », donnant ainsi à cette formule vague un sens précis. Les trois premiers de ces caractères concernent l'inamovibilité, la continuité et la nécessité des éléments de l'intrigue (…) Le quatrième caractère, plus subtil, concerne la nature du rapport des intrigues accessoires avec la principale. [39] Le critère d'inamovibilité est respecté. Il en est de même pour le critère de la continuité car les différents fils « prennent naissance dès l'exposition et trouvent leur conclusion dans le dénouement. » [40] Le troisième critère est lui aussi respecté. Pour le quatrième critère, Jacques Scherer prend appui sur Marmontel et dit : « chaque intrigue accessoire exerce une influence sur le déroulement de l'intrigue principale. » [41] Ce sont bien les fils secondaires qui influencent le fil principal. Clitandre, à cause de l'intervention de Polémas, doit épouser Élize. Octave incite son père à imposer ce mariage. Il en est de même pour le fil des valets qui imitent les maîtres. Ormin perturbe le couple Géraste/Pauline. Quant à Diane et Julie, elles ne font que se lamenter jusqu'à la fin de la pièce et leur sort dépend du fil principal. On peut dire que cette pièce comporte une action « unifiée », pour reprendre la terminologie de Jacques Scherer. L'unité d'action est respectée. ## La structure de la pièce. ### L'exposition. Dans *L'Absent chez soy*, l'exposition est terminée à la fin de l'acte I, dans la mesure où tous les personnages sont apparus sur la scène. Les deux principales scènes d'exposition, qui donnent le plus grand nombre d'informations sur les personnages et la situation au lever du rideau sont les scènes 2 et 6. D'Ouville rend cela naturel en informant le spectateur par la conversation des deux suivantes dont les maîtresses viennent de faire connaissance, il est donc normal qu'elles s'interrogent l'une l'autre (I, 2). Puis, à la scène 6, Octave annonce à son père qu'il veut se marier, ce qui donne lieu aux questions de Polémas à son fils sur celle qu'il aime, tout comme Octave interroge son père qui lui fait part de son inquiétude pour l'amour d'Élize. Alors que la scène 6 met en place la rivalité entre Octave et Clitandre, Polémas préfère (…) parler d'Elize, Et laisser ce discours pour une autre saison. (I, 6, v. 224-225). Ce sont donc les amours et le mariage d'Élize qui sont mis au premier plan dès le premier acte. Pauline l'a déjà signalé en disant à Julie : Et je souhaite fort cette heureuse journée, Qu'ensemble ils seront joints sous les loix d'Hymenée. Mais j'apprehende bien que selon leurs désirs Ils ne puissent sitost accomplir leurs plaisirs. (I, 2, v. 47-50). La journée est donc décisive pour Élize et Clorimant, Polémas insiste à la scène 6 : Je veux voir aujourd'huy par cete experience Si l'Amour est plus fort que n'est l'obeyssance, (I, 6, v. 255-256). Cependant, aucun obstacle n'est signalé à leurs amours. La flamme naissante de Clitandre n'est qu'esquissée, lorsqu'il demande à sa maîtresse avec qui elle a discouru. Rien à ce moment ne laisse entrevoir quelque difficulté pour l'amour d'Élize et Clorimant qui remplit les conditions énoncées par Polémas à la scène 6, tandis que l'amour d'Octave pour Diane, pour lequel il y a déjà un obstacle, est présenté comme étant secondaire. L'action principale offre donc une situation initiale calme. Quand arrivent les obstacles, le but est alors de revenir à cette situation initiale. Mais l'exposition n'empêche pas l'action de commencer et certains traits qui permettent aux spectateurs de mieux connaître la situation et le caractère des personnages sont intégrés à l'action. Ainsi assiste-t-on à la formation de l'amitié d'Élize et de Diane. Clorimant, à la scène 5, manifeste également la violence de sa passion pour Élize et, à la scène 7 de l'acte I, Élize explique à son amant et au public l'obéissance qu'elle doit à son père. D'Ouville introduit déjà les éléments constitutifs de l'intrigue. L'action commence : Diane promet à Élize d'envoyer Clitandre chez elle pour qu'elle fasse sa connaissance, Polémas fait mine d'aller aux champs pour surprendre l'amant de sa fille, Clitandre tombe amoureux d'Élize. L'exposition met en place, sans que le public s'en aperçoive, l'origine du *quiproquo*, quand Polémas prononce ces vers : J'ay sceu de bonne part, qu'un certain Gentil-homme, Mais je n'ay peu sçavoir encor comme il se nomme, La visite chez elle, & que sa passion Fait remarquer à tous son inclination. Mon dessein à présent n'est autre que d'attendre Qu'il vienne en nostre absence afin de le surprendre, (I, 6, v. 227-232). D'Ouville représente une histoire qui débute sous les yeux du spectateur. À la fin du premier acte, l'action a déjà commencé et le public connaît les éléments nécessaires à la compréhension de l'intrigue. ### Le nœud. L'action se noue au deuxième acte, à la scène 3, lorsque Polémas oblige Élize à épouser Clitandre. Deux types d'obstacles participent à ce nœud, un obstacle extérieur et un obstacle intérieur. L'obstacle extérieur est celui qui apparaît clairement dans la pièce, c'est la décision de Polémas qui force Élize à épouser Clitandre. Cependant, l'obstacle extérieur n'est pas dû à l'autorité d'un père qui refuse l'amour de sa fille, mais à un *quiproquo*. Polémas n'est pas un obstacle en lui-même, il n'avait d'ailleurs pas l'intention de contraindre Élize. L'obstacle paternel est dû à la méprise sur les apparences. Il est par la suite à l'origine de nombreuses méprises des personnages. En effet, chacun croit à un complot : Clorimant (…) Tout estoit concerté, tu l'as fait à dessein, Tu me plonges ingrate un poignard dans le sein, Contre moy vous étiez tous deux d'intelligence, (II, 4, v. 565-567). Diane Perfide, osez-vous bien me tenir ce langage ? Je vous entends très-bien, vous estes je le voy, Tous trois d'intelligence, & liguez contre moy. (II, 6, v. 752-754). Clitandre Pour attraper mon bien, croy moy qu'elle & son père Ont fort adroittement mesnagé cette affaire, Ouy de me la livrer ils avoient fait complot, Mesme à ma première offre & de me prendre au mot. (III, 4, v. 963-966). Ce *quiproquo* est dû au hasard car juste avant que Clitandre n'arrive, c'est Clorimant qui était en compagnie d'Élize. L'obstacle est donc faible et il serait bien facile à lever s'il n'était pas doublé d'un obstacle intérieur. L'obstacle intérieur est bien plus difficile à lever que l'obstacle extérieur car il nécessite une évolution de la part du personnage d'Élize. Il réside dans l'obéissance d'Élize à son père, une obéissance tellement ancrée en elle qu'elle essaie à peine de détromper Polémas quand il prend Clitandre pour son amant. Jacques Scherer écrit : Un obstacle n'est intérieur que si l'on veut bien qu'il le soit, et pour qu'un obstacle extérieur devienne intérieur, il suffit que le héros en admette la légitimité et accepte de s'y soumettre, de lutter contre lui, au lieu de se dérober en donnant à ses désirs un autre objectif ou en fuyant. [42] Cela illustre l'obstacle intérieur d'Élize, elle légitime la contrainte paternelle par sa religion de l'obéissance. Elle a intériorisé l'obstacle, ce qui explique qu'elle obéit sans dissiper le *quiproquo*. Elle fait elle-même obstacle à son amour. Elle accepte d'être contrainte jusqu'à la fin de l'acte III. Clorimant semble avoir compris qu'Élize est le véritable obstacle à leur amour c'est pourquoi il ne tente pas de lever l'obstacle extérieur et accuse Élize pour la faire réagir. Élize est le lieu de l'affrontement de l'amour pour Clorimant et de l'obéissance à Polémas. Elle passe de la soumission à la reconquête de son amour en réaction au départ de Clorimant, sans peser l'un et l'autre. Mais, alors que l'obstacle majeur est levé, la pièce n'est pas terminée, une péripétie s'ajoute et retarde le dénouement. Élize trouve son amant chez Diane et le croit infidèle, elle le rejette à son tour. Ce sont alors les amants eux-mêmes qui font obstacle à leur amour. De même, lorsque Polémas, qui a reçu la lettre de Clitandre, est prêt à annuler le mariage, d'Ouville, par un coup de théâtre, retarde le dénouement car Élize supplie son père d'accepter d'augmenter la dot pour pouvoir épouser Clitandre. Les obstacles sont levés mais Élize n'est toujours pas parvenue à retrouver l'amour de Clorimant. ### Le dénouement. Le dénouement se fait donc attendre jusqu'à la toute dernière scène de la comédie. D'Ouville respecte les exigences du dénouement. Il n'ajoute pas de personnage dans la scène finale, si ce n'est la mention de la compagnie qui entre pour le mariage ou le fait qu'Octave promet à Julie qu'elle pourra épouser un de ses valets. La compagnie n'influence en rien le dénouement et le valet dont Octave parle n'intervient pas sur la scène, en outre, il ne permet pas de dénouer l'action principale de la pièce. Le dénouement est complet, le sort amoureux de chaque personnage est fixé, l'auteur place tous les personnages de la pièce dans la dernière scène. Les uns se marient, les autres sont rejetés. Le dénouement est concentré dans la dernière scène de la pièce. Notons tout de même l'artifice de l'amour soudain de Diane pour Octave, qui relève davantage d'un dégoût pour Clitandre et son inconstance que d'un amour véritable. C'est là la marque de la volonté du dramaturge de donner un dénouement complet. Le dénouement de cette pièce se compose de deux coups de théâtre, l'un est, on vient de le dire, le choix de Diane d'épouser Octave et de repousser Clitandre, l'autre est le fait d'Élize. Élize après avoir entendu Clitandre lui déclarer publiquement son amour : Ouy Monsieur je confesse en presence de tous Que volontairement je soubmets ma franchise Dessous les douces loix de la parfaite Elize. Que je suis satisfaict de ce qui s'est passé, Et qu'à ce mariage on ne m'a point forcé. (V, 8, v. 1974-1978). le rejette : Monsieur je desirois avoir cét advantage, Par la confession qu'il me fait aujourd huy, De monstrer que c'est moy qui ne veut point de luy. (V, 8, v. 1980-1982). Elle exprime sa volonté avec détermination, publiquement. Elle passe de l'obéissance au père à l'expression de sa propre volonté. Élize choisit, au début de l'acte V, de poursuivre ce mariage qui fait obstacle à son amour pour le lever elle-même à la scène 8. Relevons également l'une des phrases prononcées au dénouement par Polémas : Si Monsieur m'eust parlé plustost, j'eusse sur l'heure Terminé cette affaire. (V, 9, v. 2011-2012). Polémas apparaît alors comme l'organisateur de la pièce, autant intérieurement qu'extérieurement. Le mot « affaire » peut être interprété en deux sens différents, il peut référer au mariage d'Élize et Clorimant mais également à la pièce de théâtre elle-même, l'un et l'autre étant étroitement liés car la comédie s'achève lorsque les deux amants sont réunis pour se marier. Polémas est présenté comme le dramaturge qui règle le sort des personnages et donc qui orchestre la pièce. On peut noter l'ironie de l'auteur dans ces vers qui renvoient à la pièce, qui aurait pu ne pas exister. ## La liaison des scènes. Certaines scènes de la pièce ne sont pas liées à celles qui les précèdent. C'est le cas de la scène 5 de l'acte I, de la scène 7 de l'acte I, de la scène 4 de l'acte III, de la scène 7 de l'acte IV. Le motif de l'absence de liaison des scènes est le changement de lieu et le fait qu'on ne retrouve sur scène aucun personnage de la scène précédente. La scène 5 de l'acte I n'est pas liée à la scène 4, contrairement à la scène correspondante dans *El Ausente en el lugar*, car d'Ouville, en supprimant certains éléments parallèles à l'action principale a rendu la liaison des scènes impossible. Dans la pièce espagnole, Feliciano et Fisberto, présents à la scène 3 de l'acte I, sont encore sur scène à la scène suivante. Ils se livrent à la critique de Carlos qui entre en scène avec Esteban puis sortent et laissent Carlos et Esteban seuls à la scène 5. D'Ouville n'a pas conservé cet épisode, ce qui se répercute sur la dramaturgie de sa comédie. Il passe d'une scène à l'autre en changeant le lieu et les personnages au sein d'un même acte. Cette absence de liaison des scènes se double d'une rupture dans la continuité de l'action car Géraste entre en scène en rapportant à son maître qu'Élize veut le voir. On a l'impression que du temps s'est écoulé. À la scène 7 de l'acte IV, la conversation de Clitandre et Ormin dans la rue succède à celle de Diane et Julie chez Diane. Là encore, l'absence de liaison vient de la différence avec le modèle espagnol puisque le passage d'une scène à l'autre correspond au passage de l'acte II à l'acte III chez Lope de Vega. En outre, d'Ouville conserve la même structure que *El Ausente en el lugar* en représentant une conversation qui a déjà commencé au moment où les personnages entrent en scène, il agit comme si c'était le début d'un acte. Dans les deux autres cas, la scène 7 de l'acte I et la scène 4 de l'acte III, la liaison des scènes est omise dans la pièce espagnole. D'Ouville n'y remédie pas. À l'époque où il compose sa comédie, la liaison des scènes n'est pas encore considérée comme une nécessité absolue, comme l'explique Jacques Scherer [43]. Cette absence de liaison vient du fait que d'Ouville change le lieu au cours d'un même acte, ce qui crée une rupture dans la continuité des scènes de la pièce, même si ces lieux sont proches les uns des autres. ## La mise en scène de la parole persuasive. *L'Absent chez soy* est une pièce où la parole, mais aussi l'absence de parole, priment sur l'action. C'est la non-parole d'Élize qui laisse le *quiproquo* s'installer et qui cause la colère de Clorimant. Clorimant parle sans agir, son discours ne devient pas action. Les non-dits causent la méprise des personnages. Il est donc nécessaire de les convaincre par la parole persuasive. Le dramaturge emploie l'art de la rhétorique à plusieurs reprises dans la comédie. Dans de nombreuses scènes, l'enjeu principal est de convaincre, au sens actuel et au sens ancien d'accuser, l'interlocuteur qui n'est pas en mesure de juger avec l'objectivité du spectateur. Chaque personnage dans cette pièce cherche sans cesse à persuader son interlocuteur que ce soit de la vérité de ses sentiments, d'un dessein de partir, de la méprise des apparences. Il ne s'agit pas toujours d'un discours rhétorique organisé. Voici quelques exemples : Clorimant cherche à convaincre Géraste que rien ne l'empêchera de partir (III, 1), Pauline à convaincre Élize que Clorimant ne partira pas (II, 4), Clitandre à convaincre Diane qu'il n'a jamais aimé Élize. Le discours rhétorique le mieux représenté est le discours judiciaire, notamment à la scène 6 de l'acte III. Celui de Clorimant obéit à la composition d'un discours rhétorique avec l'exorde, la narration, la démonstration, la péroraison. Ce discours à double entente doit amener Élize à juger si Clorimant a raison de partir. Clorimant commence par deux vers d'exorde : Cette cause provient d'une melancolie, Je croy qu'en la sçachant je vous feray pitié ; (III, 6, v. 1052-1053). Dans ces vers, il cherche à s'attirer la sympathie et la compassion de l'auditoire. Il parle de « melancolie » et indique le sentiment qu'éprouveront les auditeurs après avoir entendu son discours : la pitié. *Ethos* et *pathos* sont présent dans ce discours. S'ensuit une narration subjective où il est question de son ami en termes dépréciatifs. Il y introduit des arguments et prend à parti la jeune fille en utilisant la figure de l'interrogation rhétorique : Je vous en fait le juge, eut-il quelque raison D'user d'une si lasche & noire trahison Envers un qui l'adore ; (III, 6, v. 1061-1063). comme dans une scène de procès, mais ici l'accusé et le juge ne font qu'un. Il insiste davantage sur la faute de son ami, donc d'Élize, plutôt qu'il ne cherche à justifier son départ, ce qui était pourtant le propos annoncé de son discours. Ses arguments reposent essentiellement sur l'opposition entre ses bons services et la trahison de son ami : Madame il m'a quitté pour suivre un estranger, Qui, comme je l'ay fait, ne sçauroit l'obliger. (III, 6, v. 1069-1070). Il cherche en réalité à accuser Élize sous les traits de son ami. Il arrive à la péroraison sur un ton pathétique : De crainte tous les jours de les trouver ensemble, Bravans ma passion, le meilleur ce me semble, Est de les quitter là. Que je puisse voler Pour sortir de ses lieux viste comme un esclair. (III, 6, v. 1075-1078). S'ensuit un autre discours argumenté, celui d'Élize, qui juge, défend et accuse. Elle commence par juger la décision de Clorimant : Si de vos differents vous me jugez croyable, Je ne vous trouve pas en ce poinct raisonnable ; (III, 6, v. 1079-1080). elle défend l'ami en question pour ensuite porter l'accusation sur Clorimant : C'est avoir peu de soin ; car dites-moy de grace, Ce que vous avez fait pour recouvrer la place Que vous aviez acquise au cœur de cet amy ? (III, 6, v. 1087-1089). Ce discours illustre la double fonction de juge et d'accusée d'Élize. Il ne prend pas la forme d'un discours rhétorique, mais il cherche à persuader. Cependant, on remarque dans les deux cas que le discours n'a aucun effet sur l'interlocuteur. Après le discours d'Élize, Clorimant ne va pas essayer de la reconquérir, mais chercher à se venger. Quant à Élize, il est vrai, c'est après cette scène qu'elle décide de reconquérir Clorimant mais ce n'est pas son discours qui influence son choix mais l'annonce de son départ. Les discours n'ont aucun effet car cette parole persuasive des personnages s'appuie sur des arguments rationnels, qui demandent réflexion. Les personnages, que ce soit Élize ou Clorimant, semblent avoir perdu cette faculté. C'est l'émotion qui provoque une réaction chez eux. Ce n'est que quand Élize ouvre son cœur à Diane et laisse parler le langage de l'émotion que Clorimant, caché, est persuadé de l'amour de la jeune fille. Lorsque, à la scène 4 de l'acte II, Élize se défendait en alléguant l'obéissance qu'elle devait à son père, Clorimant ne pouvait pas recevoir ces arguments de type rationnel. La passion empêche les personnages de réfléchir. Ils ne comprennent que le langage de l'émotion, rejetant celui de la raison. De même, lorsqu'Élize et Clorimant se parlent la nuit en prenant la place de Pauline et Géraste, tous leurs discours sont vains jusqu'à ce qu'Élize déclare vouloir épouser Clitandre, ce qui provoque une violente émotion chez Clorimant qui veut déchirer les portraits d'Élize. Une autre scène est comparable à une scène de procès. Il s'agit de la scène 3 de l'acte II. Clitandre est mis en accusation par Polémas et Octave. Il doit donner les raisons de sa présence ainsi que son identité. Il se défend d'avoir voulu offenser Polémas. Clitandre pense qu'il n'a que deux alternatives : épouser Élize ou mourir. Il choisit d'épouser Élize, ce qui rend le jugement d'Octave favorable : « C'est parler comme il faut, je vous veux embrasser. » (II, 3, v. 542). Clitandre a su les convaincre de son amour. Le discours de type judiciaire est largement employée dans *L'Absent chez soy*. À la scène 4 de l'acte II, Clorimant accuse Élize de lui être infidèle. À la scène 4 de l'acte III, c'est autour d'Élize d'accuser Clorimant. Quand le discours est accusateur, le personnage se laisse emporter par l'émotion. D'Ouville met donc en scène une parole persuasive qui n'est pas toujours efficace. Pour qu'elle atteigne son but, cette parole doit s'adresser à l'émotion et non à la raison, tout en étant elle-même portée par le langage de l'émotion. L'émotion donne lieu à des discours de type judiciaire où les personnages accusent sans réfléchir. La pièce apparaît comme une suite de mises en accusation et de défenses, d'où l'importance que revêt la parole. # La postérité. D'Ouville fait partie de ces nombreux dramaturges du XVII*e* siècle qui ont été oubliés, comme effacés par Corneille, Molière et Racine. Les critiques qui le mentionnent parlent souvent de lui en des termes peu élogieux et réduisent ses pièces à de pâles copies des dramaturges espagnols. Il est vrai qu'il était plus connu pour ses contes que pour ses pièces de théâtre mais celles-ci ont vraisemblablement eu du succès. Certains critiques parlent des qualités des pièces de d'Ouville et relèvent des ressemblances avec certaines pièces de Molière, notamment des similitudes concernant quelques scènes. Selon certains, comme Saint Marc Girardin [44], *L'Absent chez soy* aurait inspiré Molière pour deux de ses comédies, *Le Dépit amoureux* et *Le Mariage forcé*. Les similitudes entre la comédie de d'Ouville et *Le Dépit amoureux* de Molière ne résident pas tant dans l'intrigue que dans certaines scènes. L'intrigue du *Dépit amoureux* est différente de celle de d'Ouville. Au sujet des scènes 9 et 10 de l'acte IV de *L'Absent chez soy*, où Clorimant et Élize prennent la place de leur valet pour se parler, conversation à la suite de laquelle Clorimant fait semblant de déchirer les portraits d'Élize, Saint Marc Girardin écrit : Je viens de relire, après cette scène de *L'Absent chez soy*, la scène du *Dépit* de Molière, et je suis encore moins frappé peut-être de la ressemblance des deux scènes que de leur mérite presque égal. [45] Claude Bourqui [46] considère qu'on peut estimer que Molière a lu la pièce de d'Ouville et qu'il a pu en garder quelques motifs, notamment d'après la comparaison de la scène 9 de l'acte IV de d'Ouville et les scènes 3 à 4 de l'acte III de Molière. Il considère que *L'Absent chez soy* est une source du *Dépit amoureux* à « titre accessoire », que c'est une source indécise. Comparons les deux scènes. La querelle des amants, qui ont été prompts à se fâcher au début des deux pièces, présente des caractères semblables dans la scène 9 de l'acte de IV de d'Ouville et dans la scène 3 de l'acte IV de Molière. Dans les deux pièces, les reproches vont bon train, les amants feignent l'indifférence alors qu'ils n'aspirent qu'à se réconcilier. Chacun accuse l'autre. Cependant, chez Molière, la réconciliation a lieu sur scène. Dans *L'Absent chez soy*, Clorimant déclare à Élize : Je te quitte à present me sentant outragé, Mais croy qu'auparavant je veux estre vangé, Et pour ne garder rien d'un esprit si volage Tien voilà tes escrits que j'immole à ma rage Tes cheveux, ton pourtraict. (IV, 9, 1545-1549). Éraste dit à Lucile : Oui, oui, n'en parlons plus ; Et pour trancher ici tous propos superflus, Et vous donner, ingrate, une preuve certaine Que je veux, sans retour, sortir de votre chaîne, Je ne veux rien garder qui puisse retracer Ce que de mon esprit il me faut effacer. Voici votre portrait : il présente à la vue Cent charmes merveilleux dont vous êtes pourvue ; Mais il cache sous eux cent défauts aussi grands, Et c'est un imposteur enfin que je vous rends. (IV, 3, v. 1331-1340). Plus loin, Clorimant dit à Élize : Et pour plus grand mespris je veux avoir la gloire De bannir de mon cœur jusques à ta mémoire. Adieu perfide, adieu, je sors de son pouvoir, Et n'imagine pas de jamais me revoir. (IV, 9, v. 1563-1566). Éraste s'exclame : Non, non, n'ayez pas peur Que je fausse parole : eussé-je un faible cœur Jusques à n'en pouvoir effacer votre image, Croyez que vous n'aurez jamais cet avantage De me voir revenir. (IV, 3, v. 1323-1327). La similitude apparaît clairement. Saint Marc Girardin affirme, à propos de cette scène que d'Ouville : a compris d'avance le secret qui fait la supériorité de Molière : il a cherché et trouvé l'intérêt et l'agrément de la comédie dans la peinture fidèle des passions plutôt que dans la complication des aventures. [47] La ressemblance entre les deux scènes apparaît donc dans leur structure et leurs répliques mais aussi dans la manière de traiter la scène, en représentant les passions des amants au désespoir. On peut se demander si la source principale du *Dépit amoureux* contient déjà les mêmes éléments que *L'Absent chez soy*. Claude Bourqui [48] écrit que la source principale et avérée de Molière pour cette pièce est *L'Interesse*, comédie de Nicolò Secchi publiée en 1581. L'intrigue est la même que celle de *Dépit amoureux*, mais le dépit amoureux n'est pas représenté et les amants qui correspondent à Éraste et Lucile ne sont pas confrontés. Ces éléments représentent les principales similitudes de *L'Absent chez soy* et du *Dépit amoureux*. Les scènes de dépit amoureux rapprochent donc les deux comédies. On peut comparer la scène 2 de l'acte III de *L'Absent chez soy* avec la scène 5 de l'acte I du *Dépit amoureux*. Clorimant, après avoir lu la lettre que lui a écrite Élize est pris de fureur, on a le même schéma chez Molière. Les amants au désespoir déchirent les lettres de celle qu'ils aiment. La similitude est grande entre les vers 888-893 de *L'Absent chez soy* et les vers 325-328 du *Dépit amoureux*. Ces scènes de dépit amoureux sont proches dans leur forme. De même, dans les deux pièces, les valets imitent les maîtres dans leurs aventures amoureuses, se fâchant, et se réconciliant au même rythme. Cependant, chez Molière, l'imitation paraît moins mécanique. Il développe davantage les possibilités comiques du décalage entre maître et valet, ainsi que le comique du langage des valets. Saint Marc Girardin [49] estime que Molière a emprunté à *L'Absent chez soy* quelques traits pour une autre comédie, *Le Mariage forcé*. Claude Bourqui [50] ne mentionne pas la pièce de d'Ouville parmi les éventuelles sources du *Mariage forcé*. Il parle du *Tiers Livre* de Rabelais comme source à titre essentiel mais qui reste incertaine. La ressemblance viendrait du fait que, comme Sganarelle, Panurge cherche à savoir s'il doit se marier et interroge différents savants à ce sujet. Les ressemblances entre *L'Absent chez soy* et *Le Mariage forcé* ne sont pas du même ordre. Saint Marc Girardin rapproche en premier lieu Polémas d'Alcantor. Tous deux veulent marier leur fille et trouvent l'occasion de la joindre à un riche prétendant. Saint Marc Girardin trouve l'attitude de Clitandre et celle de Sganarelle semblables lorsqu'ils veulent annuler leur mariage, bien que leurs raisons soient différentes. En effet, dans les deux pièces, ces personnages reviennent finalement sur leur décision et acceptent d'épouser la jeune fille qui leur est promise en recevant de nombreux compliments de la part du père ou du frère de la jeune fille en question. Ainsi, à l'avant-dernière scène de la pièce, Polémas, tantôt furieux contre Clitandre, lui dit : (…) sçachez mon cher Clitandre, Que le desir que j'ay de vous avoir pour gendre, (V, 8, v. 1931-1932). Chez Molière, dans l'avant-dernière scène de la pièce, Alcidas, le frère de la jeune fille que Sganarelle doit épouser, après avoir dit à Sganarelle que soit il épousait Dorimène, soit il devait se battre en duel contre lui, lui dit, après que Sganarelle accepte d'épouser la jeune fille : Ah ! Monsieur, je suis ravi que vous vous mettiez à la raison, et que les choses se passent doucement. Car enfin vous êtes l'homme du monde que j'estime le plus, je vous jure ; (scène 9). De même que c'est par lâcheté que Clitandre accepte d'épouser Élize à la scène 3 de l'acte II, de même Sganarelle accepte le mariage avec Dorimène à la scène 9 par lâcheté, craignant de devoir se battre. Le public rit de la couardise des personnages. On retrouve en effet quelques traits de *L'Absent chez soy* dans *Le Mariage forcé*, mais il serait audacieux de prétendre que Molière s'est inspiré de la pièce de d'Ouville, peut-être a-t-il conservé quelques motifs comme dans *Le Dépit amoureux*, mais on ne peut l'affirmer avec certitude. # Note sur la présente édition. L'édition originale de *L'Absent chez soy* de d'Ouville est publiée en 1643 par Toussainct Quinet. Le volume que nous avons pris pour base se présente sous la forme suivante : 1 vol., I-I bl-II 156 p. , in 4° Il s'agit d'un exemplaire de la Bibliothèque Nationale dont la cote est : Res. YF 224 En voici la description : (I) L'ABSENT / CHEZ SOY. / COMEDIE. / PAR Mr. DOVVILLE. / (vignette) / A PARIS, / Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, sous la / montée de la Cour des Aydes. / M. DC. XLIII. / AVEC PRIVILEGE DV ROY. (II) Verso blanc. (III) Extrait du privilège. (IV) Liste des personnages. 156 pages : le texte de la pièce, précédé du titre, en haut de la première page, sous une frise. Il existe un autre exemplaire de cette édition à la Bibliothèque Nationale : Res. YF 1258 ; à la réserve de la Bibliothèque de la Sorbonne inclus dans un recueil : RRA 8= 472 ; à la Bibliothèque Mejanes d'Aix-en-Provence dans un recueil : C. 3359 ; et à la Bibliothèque du British Museum de Londres : 86 i 6. (3). Le texte des exemplaires consultés est le même, aucune correction n'est apportée. Les seules différences résident dans la pagination, certaines erreurs sont corrigées, d'autres ajoutées. Il existe une autre édition de la pièce en 1644, chez Toussainct Quinet, dont deux exemplaires se trouvent à la Bibliothèque Nationale : Res. YF 315, Res. YF 546 ; un exemplaire se trouve à la réserve de la Bibliothèque de la Sorbonne dans un recueil des pièces de d'Ouville : RRA 8= 478-1 ; un autre exemplaire se trouve à la Bibliothèque de l'Arsenal dans un recueil de pièces de d'Ouville : Rf 6610.4 BL 3484 (3). Le texte de cette édition ne présente aucune différence avec celui de l'édition précédente. Il semble que ce soit une réémission de l'édition de 1643. Nous avons conservé les graphies et la ponctuation de l'édition originale. Les modifications apportées au texte concernent les éléments suivants : – conformément à l'usage moderne, nous avons distingué le *i* de *j* et le *u* de *v*. – nous avons supprimé le tilde qui indiquait, parfois, la nasalisation des voyelles. – nous avons corrigé certains accents notamment pour différencier l'auxiliaire *a* de la préposition *à*. – nous avons différencié *quelle* et *qu'elle*. Ce dernier étant souvent employé à la place de *quelle*. – nous avons corrigé les erreurs de pagination. – nous avons corrigé les fautes d'orthographe et de ponctuation dues à des coquilles : Les noms des acteurs : PAULINE, suivante de Diane ; les noms des acteurs : JULIE, suivante d'Élize ; v. 20 : repent ; v. 51 : on en ; v. 53 : Cavalier, ; v. 54 : Clorimant, ; v. 75 : maîtresse, ; v. 80 : ravie. ; v. 81 : fort, ; v. 91 : attendre, ; v. 115 : telle ; v. 118 : advertir : ; didascalie précédent le vers 140 : Lidamant et Géraste ; v. 154 : pudicité. ; v. 226 : maison : ; v. 255 : cete ; v. 371 : heureuse, ; v. 384 : comparu ; v. 387 : franchise. ; v. 403 : voye. ; v. 409 : point. ; v. 460 : offencé ; v. 463 : Où ; v. 493 : honneur, ; v. 494 : suborneur : ; v. 497 : Ouy ; v. 609 : le présente ; v. 643 : son ; v. 655 : raisonnuble ; v. 686 : Qu'elle a (pas de ponctuation) ; v. 723 : quoy j'aye dit ; v.740 : flame (pas de ponctuation) ; v. 743 : encore ; v. 754 : touts ; v. 758 : ardiourd huy ; v. 776 : loing, ; v. 797 : parlez ; v. 832 : lon ; v. 842 : jetté ? ; v. 873 : raisou ; v. 912 : la ; didascalie qui précède le v. 981B : PGLEMAS ; v. 1056 : qn' ; v. 1065 : possede ; v. 1099 : sorte ? ; didascalie qui précède le v. 1105 : POELEMAS ; v. 1139 : semble. ; v. 1140 : retenu (pas de ponctuation) ; v. 1152 : importance (pas de ponctuation) ; v. 1181 : parler ; ; v. 1198 : ce changer ; v. 1237 : voir, ; v. 1238 : M'aymoit ; v. 1240 : Il foule ; v. 1271 : redicule ; v. 1272 : credule. ; v. 1293 : songés ; v. 1321 : manquerez ; didascalie précédent le vers 1375 : ÉLIZE fuyant & Pauline, Clorimant apres ; v. 1405 : lon ; v. 1419 : cruelle (pas de ponctuation) ; v. 1424 : satis-faicte ; v. 1444 : escrire. ; v. 1446 : ducats. ; v. 1447 : mariage (pas de ponctuation) ; v. 1510 : suspect (pas de ponctuation) ; v. 1513 : recommandée ; v. 1517 : entreprends ; v. 1518 : trouver (pas de ponctuation) ; v. 1530 : Qu'elle est (pas de ponctuation) ; v. 1540 : qu'elle (pas de ponctuation) ; v. 1541 : une (pas de ponctuation) ; v. 1554 : Monsieur, ; v. 1564 : memoie ; v. 1567 : cœur (pas de ponctuation) ; v. 1568 : n'entends ; v. 1577 : Madame, ; v. 1586 : d'eau. ; v. 1591 : point (pas de ponctuation) ; v. 1595 : Et ramasse ; v. 1603 : rien, ; avant le v. 1614, omission de la didascalie ELIZE ; v. 1652 : point (pas de ponctuation) ; v. 1665 : audiourd'huy ; v. 1708 : souhaire ; v. 1714 : m'espris ; v. 1772 : l'ozange ; v. 1790 : l'a ; v. 1844 : Et ; v. 1855 : maistre. ; v. 1897 : Clitandre (pas de ponctuation) ; v. 1903 : Ah ; v. 1949 : Elize (pas de ponctuation) ; v. 1949 : nous (pas de ponctuation) ; v. 1950 : tous (pas de ponctuation) ; v. 1961 : n'y ; v. 1970 : volonté. ; v. 1982 : luy. ; v. 1983 : jusques ; v. 1993 : appelle-lé ; v. 2019 : Monsieur, Parlez. Nous n'avons pas ajouté de tiret entre le verbe et le sujet inversé dans les tournures interrogatives lorsque le texte original l'omettait. Ce tiret est parfois présent parfois absent dans l'édition originale, indifféremment. Nous avons mis les didascalies en italique et nous les avons déplacées après le vers où elles prennent effet lorsqu'elles étaient placées avant. Nous avons mis entre tirets toute intervention sur le texte. Les notes grammaticales font référence aux ouvrages des auteurs suivants, nous ne répétons pas systématiquement le titre dans les notes, nous renvoyons aux pages des éditions énoncées dans la bibliographie : Syntaxe française du XVII*e* siècle. Introduction à la langue française du XVII*e* siècle. Grammaire de la langue française du XVII*e* siècle. Remarques sur la langue françoise, utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire. La pièce est en cinq actes et entièrement écrite en alexandrins à rimes plates à l'exception de la lettre d'Élize où le premier quatrain est composé d'alexandrins à rimes embrassées et les trois autres d'alexandrins à rimes croisées. # L'ABSENT CHEZ SOY. COMEDIE. ## EXTRAIT DU PRIVILEGE. Par grâce & Privilège du Roy, donné à Paris le 21 Juillet 1643, signé, par le Roy en son Conseil LE BRUN, Il est permis à TOUSSAINCT QUINET, Marchand Libraire à Paris, d'imprimer ou faire imprimer, vendre & distribuer une pièce de Théâtre intitulée, *L'Absent chez soy, Comédie du sieur D'Ouville*, & ce durant le temps de *cinq ans* à compter du jour que ladite pièce sera achevée d'imprimer. Et deffenses sont faites à tous Imprimeurs & Libraires d'en imprimer, vendre et distribuer d'autre impression que de celle qu'aura fait faïre ledit QUINET, ou les ayans cause ; sur peine aux contrevenans de mil livres d'amende, confiscation des exemplaires, & de tous les despens, dommages, & interests, ainsi qu'il est plus au long porté par lesdites lettres, qui sont en vertu du present Extraict tenuës pour deüment signifiées. Achevé d'imprimer le 28. Avril 1643. Les Exemplaires ont esté fournis. ## Les noms des Acteurs. – DIANE,Damoiselle parisienne, Maistresse de Clitandre. – ELIZE,Damoiselle parisienne, Maistresse de Clorimant. – PAULINE,suivante d'Elize, Maistresse de Geraste. – JULIE,suivante de Diane, Maistresse d'Ormin. – CLORIMANT,Gentil-homme Parisien, amoureux d'Elize. – CLITANDRE,Gentil-homme Parisien, amoureux de Diane. – GERASTE,serviteur de Clorimant, amoureux de Pauline. – ORMIN,serviteur de Clitandre, amoureux de Julie. – POLEMAS,vieillard, Pere d'Elize, & d'Octave. – OCTAVE,frere d'Elize, & amoureux de Diane. La Scene est à Paris. ## ACTE PREMIER. ### SCENE I. DIANE & ELIZE masquées sortant du bal au matin, où elles ont passé la nuict ; & PAULINE & JULIE les accompagnant. DIANE. JE beny cette nuict qui me donne le bien De goûter les plaisirs d'un si doux entretien. Puis que je vous cognoy je me tiens trop heureuse. ELIZE. Je me tiens de cét heur⁎ moy-mesme glorieuse [51], Chery cette rencontre, & vous dy sans mentir, Que ce lieu me plaist tant que je n'en puis sortir. Le voisinage [52] joint à vos rares⁎ merites Me fera vous prier d'agréer mes visites. DIANE. Je joüiray du bien que vous me promettez, Si vous daignez souffrir⁎ mes importunitez [53]. ELIZE. Je sçay trop le respect où mon devoir m'engage, Non, non, vous n'aurez point sur moy cét advantage, Je vous previendray [54] bien ; cependant s'il vous plaist, Je vous rendray chez vous, mon carrosse est tout prest. DIANE. Le mien qu'un cavalier⁎ aura soin qu'on m'emmeine [55], Sera bien-tost icy, n'en prenez pas la peine, Voyez un peu Julie, il doit estre venu. JULIE. Je ne sçay qui l'aura si long temps retenu, Le lacquais que j'attens ne m'a point advertie. DIANE. Je me repens bien donc d'estre si tost sortie. Rentrons. ELIZE.     Je le veux bien. DIANE.         Et toy demeure icy. Attens-y mon carrosse. ELIZE.         Et toy Pauline aussi. ### SCENE II. PAULINE, JULIE PAULINE. JE me réjoüys fort de voir que nos maistresses S'entr'ayment [56], & se font ainsi tant de caresses⁎, Il nous faut contracter⁎ ensemble une amitié Qui surpasse la leur encor de la moitié, J'ay bien intention que nous rions [57] ensemble. JULIE. Nous en aurons souvent le loisir ce me semble. Est-ce depuis long-temps que tu sers là dedans ? PAULINE. J'ay servy la deffunte en mes plus jeunes ans, Et j'ay depuis sa mort tousjours servy la fille. Les biens n'y sont pas grands, mais c'est une famille Des plus nobles qui soient, & personnes d'honneur. JULIE. Élize est-elle douce & d'agréable humeur ? PAULINE. Julie asseure-toy que jamais la Nature, N'a dans le monde encor formé de creature, Qui la passe en merite & l'égale en bonté, Et je n'aurois jamais si grande liberté Chez mes propres parens comme je l'ay chez elle. JULIE. Elle me semble douce ; & parfaitement belle ; Mais ses yeux si charmants auraient-ils le pouvoir De donner de l'amour à tous sans en avoir ? PAULINE. On ne la sçauroit voir en effet qu'on ne l'ayme, Mais elle ayme un Amant cent fois plus qu'elle mesme, Un brave⁎ Cavalier⁎ qui l'adore & je croy, Qu'ils se sont engagez l'un et l'autre de foy⁎. Et je souhaite fort cette heureuse journée, Qu'ensemble ils seront joints sous les lois d'Hymenée⁎. Mais j'apprehende bien que selon leurs desirs Ils ne puissent sitost accomplir leurs plaisirs. JULIE. Pourquoy ? PAULINE.         Parce qu'encor on n'en dit rien au pere. JULIE. Elle a son pere encor ? PAULINE.         Ouy, son pere & son frere, Un jeune Cavalier⁎. JULIE.         Mais dy moy, son Amant, Comment le nomme t'on ? PAULINE.         Son nom est Clorimant. JULIE. Aurois tu point conceu quelque amoureuse flame, Pour quelqu'un de ses gens ? PAULINE.         Tu lis dedans mon ame, Les voyants [58] tous les jours si fort se mignarder, Serions nous entre nous oysifs à regarder ? Ce que j'ayme est plaisant, & de si bonne grace, Qu'il agrée à mes yeux quelque chose qu'il face ; Il reste peu de chose à nous mettre d'accord. Mais de nos actions si tu t'enquiers si fort, A present de tout point que tu cognois les miennes, Fay que je sçache aussi quelque chose des tiennes, Ta maitresse sans doute aura plusieurs galands⁎. JULIE. Quoy ? belle comme elle est, en l'age de vingt ans, Avec beaucoup de biens, & sans pere, & sans mere, N'en aurait elle point estant seule heritiere ? Mais elle est dans huit jours preste à se marier, Avec un galand⁎ homme, un brave⁎ Cavalier⁎, Qu'elle ayme, & et dont elle est sans mentir adorée. PAULINE. Ton galand⁎ est à luy ? JULIE.         Si tu t'es déclarée, N'aurois-je pas grand tort si je te celois rien ? Il est vray que je l'ayme, & qu'il me veut du bien, Le carosse est venu, j'advertis ma maitresse. PAULINE. Elles viennent ensemble. ### SCENE III. DIANE, JULIE, ELIZE, PAULINE DIANE.         Et bien quelle paresse ! JULIE. Il est venu Madame. DIANE *à ELIZE*.         Adieu je vous promets De l'envoyer chez vous. ELIZE.         Croyez moy qu'à jamais, Ce poinct m'obligera⁎ ; car je brusle d'envie De voir ce qui vous a la liberté ravie, Ce brave⁎ Cavalier⁎ que vous vantez si fort. DIANE. Lors que vous l'aurez veu vous benirez mon sort, Je vous le loüe encor bien moins qu'il ne merite. ELIZE. Vostre depart m'afflige & me laisse interditte⁎, Faites-moy s'il vous plaist la faveur de m'aymer, Vous me l'avez promis. DIANE.         Je doy trop estimer L'honneur que je reçoy de vostre connoissance, Pour ne vous pas servir de toute ma puissance. ELIZE. Pauline, allons. PAULINE.         Julie au moins souvienne [59] toy De ce que tu m'as dit. JULIE.         Repose-toy sur moy. ### SCENE IV. DIANE, JULIE, CLITANDRE, ORMIN DIANE. Vous vous estes, Monsieur, fait bien long-temps attendre. CLITANDRE. Quand vous estes au bal vous ne vous sçauriez rendre, Je pensois sans mentir estre encor arrivé Plutost qu'il ne falloit, mais vous avez trouvé Pour vous entretenir une du voisinage, Quel est ce digne object ? quel est ce beau visage Avec qui vous avez si long temps discouru ? DIANE. C'est un sujet divin, je n'eusse jamais cru Qu'on eust pû rencontrer une beauté pareille, Un esprit adorable, une telle merveille, Un œil si gratieux, un entretien si doux. CLITANDRE. Quels estoient vos discours ? DIANE.         Nous discourions de vous. J'ay dit que vous estiez un Cavalier⁎ qui m'ayme, Et que j'estime autant aussi comme [60] moy-mesme. J'ay peint vostre merite, & je vous ay vanté Si plain de courtoisie & de civilité [61], Et l'esprit si bien fait qu'elle vous veut cognoistre. CLITANDRE. Apres tous ces discours je n'oserois paroistre, Car si je la voyois à cette heure, je croy Qu'elle se mocqueroit & de vous & de moy. DIANE. Vous la verrez pourtant, elle s'appelle Elize. Elle est extrémement courtoise⁎ & bien apprise⁎. Vous irez de ma part, & verrez ce que c'est. CLITANDRE. Entrons, je le veux bien, j'iray puis qu'il vous plaist. ### SCENE V. CLORIMANT, GERASTE CLORIMANT. Bien que t'a-t-elle dit ? GERASTE.         Le Ciel vous est prospere, N'apprehendez plus rien, car son pere & son frere S'en vont tous deux aux champs, & sont prests à partir. Elle m'a commandé de vous en advertir. CLORIMANT. Bannissons desormais de chez nous la tristesse, Quoy ! te verray-je donc, ô ma chere maitresse ? Quoy ! de tant de tourmens me verray-je allegé ? Sortez d'icy souspirs, je vous donne congé, Je banny de chez moy la douleur & la plainte, Puis que je te puis voir sans obstacle & sans crainte, Adorable beauté qui causes mon tourment. Est-il dessous le Ciel un plus heureux Amant ? Tu dis qu'elle m'attend ? GERASTE.         Ouy, seule, & qui desire Vous parler à loisir. CLORIMANT.         C'est le but où j'aspire. Et qui rend à ce coup tous mes désirs contens : Mais allons de ce pas, ne perdons point de temps. GERASTE. Ils sortent, je les voy sur le pas de la porte, Ils vous verront, Monsieur, cachez vous. CLORIMANT.         Il n'importe. N'estant point cognu d'eux, puis-je pas sans soupçons Estre en la rue ? GERASTE.         Octave est un mauvais garçon, Que sçavons nous Monsieur, peut-estre qu'il nous guette. ### SCENE VI. POLEMAS, OCTAVE, CLORIMANT, GERASTE POLEMAS. Elize ne vient point ! OCTAVE.         Elle est toute deffaitte [62], Avec certain chagrin⁎. POLEMAS.         Qui [63] cause ce soucy⁎ ? OCTAVE. C'est d'avoir trop veillé. CLORIMANT *à GERASTE*.         Retirons-nous d'icy. Nous pourrions en ce lieu causer des jalousies. (Clorimant & Geraste s'en vont). OCTAVE. Mais qui [64] vous meine aux champs ? POLEMAS.         Certaines fantaisies⁎ Qui troublent mon repos. OCTAVE.         D'où vient cela Monsieur ? POLEMAS. J'ay l'esprit agité pour [65] l'amour de ta sœur. OCTAVE. Comment ! ma sœur estant & vertueuse & sage, Quel subject avez vous d'en prendre de l'ombrage⁎ ? POLEMAS. Pourtant elle me cause un estrange soucy⁎. Je veux sur ce subject t'entretenir icy. OCTAVE. Je ne m'estonne point qu'une fille comme elle, Honneste, vertueuse, & parfaitement belle, D'un esprit agreable en la fleur de ses ans, Resveille les esprits à plusieurs pretendans, Qu'elle soit poursuivie, & qu'elle soit priée. POLEMAS. Je souhaitterois fort qu'elle fust mariée. OCTAVE. Auroit-elle bien fait quelque legereté⁎ Qui peust faire une tache à sa pudicité⁎ ? POLEMAS. Non, non tu me verrois parler d'une autre sorte, Le fait ne va pas là, car ce fer que je porte, Ayant fait [66] quelque chose indigne de son rang, Auroit esté desjà trempé dedans son sang. OCTAVE. Qui [67] vous oblige donc à tenir ce langage ? Il fait bien en effet. POLEMAS.         Non, non, Elize est sage. Mais je souhaitterois qu'il fust en mon pouvoir Pour beaucoup de raisons de bien-tost la pourvoir⁎. Je ne crains pas pourtant, quoy qu'elle soit sans mere, Qu'elle face jamais chose qui degenere [68] De la sage vertu de ses predecesseurs. OCTAVE. Vous me mettez pourtant en l'esprit des frayeurs, Qui me font soupçonner qu'il en est quelque chose. POLEMAS. Non, non, que ton esprit de tout poinct se repose. Tu sçauras ce que c'est. On m'a dit seulement Que son cœur respondoit aux desirs d'un Amant, Un peu plus librement qu'elle ne devroit faire. OCTAVE. C'est veritablement bien déguiser l'affaire, Qu'appelez vous respondre en matiere d'Amour ? POLEMAS. Respondre à quelque Amant qui pourroit quelque jour Si je le trouvois bon l'avoir en mariage. Laisseroit-elle donc pour cela d' [69]estre sage ? OCTAVE. Vous venez à propos m'entretenir du sien, Quand j'avois resolu de vous parler du mien. POLEMAS. Te veux-tu marier ? OCTAVE.         Avec vostre licence. Pourquoy ? n'est-il pas temps. POLEMAS.         Et quelle est l'alliance Que tu nous veux donner ? je n'y [70] contredy pas Si plutost que l'Amour, l'honneur guide tes pas. OCTAVE. L'un & l'autre Monsieur, & de plus la richesse. POLEMAS. C'est ce qui m'en plaist fort : mais quelle est ta Maistresse ? La cognois-je ? OCTAVE.     Fort bien. POLEMAS.     Dy donc. OCTAVE.         Il est besoing De prendre auparavant la chose de plus loing, Vous vous souvenez bien, au moins il me le semble, Que nous fusmes tous deux un jour souper ensemble Au logis de Climante, où l'on me fit asseoir Vis à vis d'un objet⁎ qu'alors vous peustes voir. POLEMAS. Seroit-ce bien Diane ? OCTAVE.         Ouy Monsieur, c'est la mesme, C'est ce divin object⁎, cette beauté que j'ayme, Mais plutost que j'adore, & je jure, & promets Si vous le trouvez bon de l'aymer à jamais. POLEMAS. J'ayme ton choix, & loüe une telle entreprise, Pleust au Ciel que celui qu'a fait ta sœur Elize Fust aussi raisonnable, & que j'eusse cét heur⁎, Tant ce party me plaist, de t'en voir possesseur. Pour mon consentement, oüy, va je te le donne, Quand son pere vivoit, je sçay bien que personne Ne pouvoit sur son cœur autant que je pouvois, Mais ce n'est pas assez que j'approuve ton choix, Tu sçais bien à present que cette Damoiselle N'a ny pere ny mere, & que tout dépend d'elle. As-tu par ton service⁎ acquis sa volonté [71] ? Fait-elle quelque estat de ta fidélité ? Sans cela tu rendras tes pretentions vaines, Tu n'y feras que perdre & ton temps & tes peynes, Elle est riche & puissante, & voudra, que je croy [72], Non un homme mieux fait, mais plus riche que toy. OCTAVE. Elle ayme un Cavalier⁎ qu'on appelle Clitandre, Mais je ne laisse pas pour cela d' [73]y [74] pretendre, Car il est si leger, & si lasche⁎ en Amour Qu'il fait à tous objets⁎ incessamment la Cour. Il est, à ce qu'on dit, jusqu'à tel poinct volage, Qu'on n'a qu'à luy monstrer seulement un visage Pour peu qu'il ait d'attraits qu'à l'instant il est pris. Croyez que ce rival trouble peu mes esprits, Et bien qu'en ce dessein je trouve cét obstacle, L'Amour peut, s'il le veut, faire un plus grand miracle. POLEMAS. C'est l'entendre tres-mal ; car tout homme aujourd'huy A tort d'aller ainsi sur les traces d'autruy, Je n'en espere rien puis que la place est prise. Mais je veux revenir à te parler d'Elize, Et laisser ce discours pour une autre saison [75]. Sitost que nous sortons hors de nostre maison, J'ay sceu de bonne part, qu'un certain Gentil-homme⁎, Mais je n'ay peu sçavoir encor comme il se nomme, La visite chez elle, & que sa passion Fait remarquer à tous son inclination⁎. Mon dessein à present n'est autre que d'attendre Qu'il vienne en nostre absence afin de le surprendre, Et ce qui me le fait encor plus soupçonner, Elize est demeurée, afin de luy donner Le moyen de venir discourir avec elle. Il n'y manquera pas, l'occasion est belle. Nous en le surprenant nous sçaurons quel il est, Son nom, sa qualité⁎, si ma fille luy plaist, Et quel est son dessein. Car je ne veux pas croire, Quand mesme il voudroit faire une action si noire, D'attenter⁎ laschement sur sa pudicité⁎, Qu'il se prist à des gens de nostre qualité⁎. Si tout de bon il veut engager sa franchise⁎ J'accepteray ses vœux, loüeray son entreprise ; L'homme le meritant, & qu'avecque [76] l'honneur Par mon consentement il luy donne son cœur. Et veux si ce ne sont que simples Amourettes Bannir hors de chez moy ces pratiques secrettes. OCTAVE. Vous ferez sagement, allons, si son Amour Perd icy le respect, il en perdra le jour : Quand ce galand⁎ seroit un Prince, je vous jure Que ce fer vangeroit nostre commune injure. POLEMAS. Il n'en faut pas encor venir jusqu'à ce point. Octave taisez-vous, ne vous emportez point. Je veux voir aujourd'huy par cette experience Si l'Amour est plus fort que n'est l'obeyssance, Ou si l'obeyssance est maistresse d'Amour ; Ne tardons point, allons icy pres faire un tour. ### SCENE VII. CLORIMANT, ELIZE, GERASTE, PAULINE CLORIMANT. Je bruslois de desir dedans l'impatience Que j'avois de joüir de ta chere presence. ELIZE. T'imaginois-tu pas cher Clorimant aussi, Que j'estois de ma part en semblable soucy⁎ ? CLORIMANT. Ouy, tu me fais si bien cognoistre à nud [77] ton ame, Que je serois ingrat de douter de ta flame, Et tu serois ingrate aussi de ton costé Si tu pouvois douter de ma fidelité. ELIZE. Je crains qu'avec le temps, mon cœur tu ne mesprises, Ainsi que plusieurs font, ces trop grandes franchises⁎ [78], Tu pourras m'accuser de peu de jugement⁎ De te laisser entrer ceans⁎ si librement. Mais ce seroit user d'une lâche vengeance, Si tu voulois par là tromper mon innocence. CLORIMANT. Ne serois-je pas bien de mon bon-heur jaloux⁎ ? N'y puis-je pas entrer en qualité⁎ d'espoux ? ELIZE. Je crains ton changement. Cela me met en peyne, Le temps change souvent un grand amour en haine, Et c'est ce qui me trouble, & me met hors de moy. CLORIMANT. Quoy ma belle, aurois-tu ces doutes de ma foy⁎ ? Quel sujet en as-tu ? je prie, & je conjure Le Temps, le Ciel, la Mort, & toute la Nature Qu'à l'instant que j'auray seulement le dessein De vouloir arracher cét Amour de mon sein Pour me faire oublier ta beauté que j'adore, Qu'ils conjurent ma perte, & qu'ils rendent encore Ma funeste memoire [79] afin de me punir, Execrable à jamais aux races advenir [80]. Ah tu m'offences trop par cette deffiance. ELIZE. Je te veux demander pardon de cette offence, J'ay tort si je croy rien [81] capable desormais De faire desmentir les serments que tu fais. Pour toy tu sçais assez l'Amour que je te porte, Je ne sçaurois t'aymer d'une amitié plus forte. Ce cœur est à toy seul, en toute liberté Tu peux en disposer de plaine authorité [82], Je t'y cede tout droit, car ma pudique flame Te donne tout pouvoir sur tous ceux [83] de mon ame. Je ne reserve rien, tu peux tout maitriser, Mais quant à ceux du corps, je n'en puis disposer, Ils ne sont point à moy, mon pere en est le maistre, Je les tiens tous de luy puis qu'il m'a donné l'estre. CLORIMANT. Ton pere te peut il deffendre de m'aymer ? ELIZE. Non, mais à son vouloir il me faut conformer : Je te puis bien aymer cher Clorimant sans feindre. Mon pere n'eut jamais pouvoir de me contraindre, Car je tiens des Dieux seuls ma libre volonté. Mais quelque Amour que j'aye [84], & quelque fermeté Je sçay ce que je dois aux droits de ma naissance, Je n'oserois manquer à cette obeyssance Que je dois à celuy de qui je tiens le jour, Quoy qu'il ne puisse pas destruire mon Amour ; Mais cette Amour [85], ô Dieux, ne sert rien qu'à nous nuire, Pour nostre commun bien elle ne peut produire Que des fleurs seulement, car mon heur⁎ qui me fuit Nous peut bien empescher d'en recueillir le fruit. Que ne declares-tu ton dessein à mon pere ? Que differes-tu plus [86] ? qui t'oblige à te taire ? Si quelque rival vient traverser⁎ tes desseins, Que pourray-je pour toy ? mes efforts seront vains Si mon pere me dit : ma fille, je desire Te pourvoir⁎ en tel lieu, je n'auray rien à dire, Sans rien deliberer je suivray son dessein, Quand je devrois me mettre un poignard dans le sein. Ouy, ne m'en blasme point, Clorimant, je te prie. Avec cette pudeur⁎ on m'a tousjours nourrie. CLORIMANT. Le Ciel ne voudra pas me rendre malheureux Jusques à ruyner mes desseins Amoureux. S'il ne tient qu'à cela je te promets mon ame, Que ton pere sçaura mon amoureuse flame, Je me veux declarer à luy si tu le veux, Et bien-tost le prier d'esteindre tous mes feux⁎ [87]. Ayant passé la nuit je te voy le teint fade, C'est pour avoir veillé, de peur d'estre [88] malade Va reposer une heure, & moy durant ce temps J'iray faire une affaire. ELIZE.         Il est vray, je me sens L'esprit tout assoupi. Va, mais ne tarde guere. GERASTE *à Pauline*. Sommes-nous pas d'accord ? PAULINE.         Parle donc à mon pere. Je n'oserois jamais sans son consentement, Quand je devrois mourir, recevoir un Amant. GERASTE. Ne tient-il qu'à cela ? Je le feray Pauline, Mais quand je reviendray, ne me fay pas la mine [89], Si tu ne veux soudain me mettre au desespoir. PAULINE. Va ne crains rien, & vien [90] promptement me revoir. Fin du premier Acte ## ACTE II. ### SCENE I. CLORIMANT, PAULINE, ELIZE, GERASTE CLORIMANT. Je me trompe, ou je voy Pauline dans la ruë ? Dy moy, que fais-tu là ? PAULINE.         Je suis icy venuë Expres pour vous attendre, elle est en grand soucy⁎ Pourquoy [91] vous tardez tant. Madame le voicy. ELIZE. Approche, Clorimant, tu te fais bien attendre. CLORIMANT. J'estois en compagnie, & n'ay peû me deffendre De quelques miens amis qui m'ont entretenu. Je serois toutefois encor plustost venu, Si je n'eusse pensé [92] te trouver endormie. ELIZE. J'ay sans mentir esté plus d'une heure & demie Sans pouvoir fermer l'œil, à ne resver qu'à toy, Je n'ay plaisir aucun [93] que lors que je te voy. CLORIMANT. Ravy d'un tel bon-heur qui d'ayse⁎ me transporte⁎. PAULINE *entre*. Madame, un Cavalier⁎ vous demande à la porte De la part de Diane. ELIZE.         Ah je sçay bien que c'est [94]. Elle veut que je voye un Amant qui luy plaist, Qu'elle m'a fort loué, cache toy la derriere, De peur qu'il ne te voye, il ne tardera guere, Il n'est pas à propos qu'il te rencontre icy. CLORIMANT. Je fais ce que tu veux. ELIZE.         Et toy Geraste aussi. ### SCENE II. CLITANDRE, ELIZE, CLORIMANT, ORMIN, GERASTE, PAULINE CLITANDRE. Pardonnez-moy, je viens de la part d'une Dame Qui vous baise les mains⁎. Dieux je suis tout de flame, Vit-on jamais au monde une telle beauté ? Madame excusez moy, je suis si transporté⁎ En contemplant les traits d'un si parfait visage, Que je ne sçaurois pas achever mon message Je tremble devant vous, & me sens tout transy. ELIZE. Si Diane, Monsieur, vous fait venir icy Pour me faire sçavoir combien elle est heureuse De vous avoir acquis, & se dire Amoureuse D'un homme de merite, & bien fait comme vous, Qu'elle peut regarder en qualité⁎ d'espoux, Elle m'oblige⁎ fort, & je la tiens loüable [95]. D'avoir sçeu faire en vous un choix si raisonnable, Et pour cette faveur je luy baise les mains⁎. CLITANDRE. Je meurs, je n'en puis plus, ah destins inhumains Que voulez vous de moy, que pretendez vous faire ? Appelez-moy Madame, innocent [96], temeraire, Si j'ose devant vous, d'un cœur audacieux, Advoüer franchement que j'adore vos yeux, Devant que de [97] vous voir Diane estoit aymable⁎, Mais estant comparée au sujet adorable Que j'ay devant mes yeux, je jure qu'elle n'est Rien à mon jugement⁎ de ce qu'elle paroist. Heureux qui peut en vous engager sa franchise⁎, Qui vit dessous les lois de la divine Elize. Elize qui n'est point des communes beautez Dont les foibles attraits gaignent [98] les volontez, Ce n'est point un rayon qui d'un faux jour esclate, Nature n'a point fait ce miracle à la haste, Elle a dans ce chef-d'œuvre employé son pinceau, Pour mettre en ce sujet tout ce qu'elle a de beau. Ouy, Madame, j'advouë en ce peril extresme, Qu'on ne vous peut trouver [99] sans se perdre soy mesme, D'abord on est à vous, & l'on n'est plus à soy. ELIZE. Tout ce discours ne tend qu'à vous mocquer de moy, Je souffre⁎ les effets de cette raillerie, Puis qu'elle vient de vous. Mais, Monsieur, je vous prie Laissons les compliments⁎, & me faites [100] l'honneur D'asseurer la beauté qui me fait la faveur De vous faire venir afin que je vous voye, Que je la veux payer en la mesme monnoye, En luy monstrant le choix que j'ay fait d'un espoux Qui sans vous faire tort vaut bien autant que vous. CLITANDRE. Ah Madame, il vaut mieux mille fois que moy-mesme, Puis qu'il a cét adveu de vostre ardeur⁎ extresme, Mais horsmis vostre amour, qui l'esleve à ce point Croyez-moy qu'en merite il ne m'égale point, Et beaucoup moins encor en l'amour qu'il vous porte. CLORIMANT *dedans voulant sortir*. Geraste arreste toy, laisse il faut que je sorte, Que je vange l'affront que ce traistre me fait. GERASTE *dedans*. Tout beau⁎ ! quoy voulez vous vous perdre tout à fait, Ne songez point à vous, considerez Elize. ELIZE. Pardonnez si je parle avec cette franchise, Vous me desobligez de discourir ainsi, D'un homme que j'estime, & qui m'estime aussi. Vous devez pour le moins avoir la complaisance⁎ De ne tesmoigner pas ce que vostre cœur pense, Puis que pour ce sujet je vous ay desjà dit L'estime que j'en fais [101]. CLITANDRE.         Je suis tout interdit⁎. J'ay les sens tout confus, permettez moy, Madame, Puis que vous possedez, & mon cœur, & mon Ame, Que je baise la main qui me donne la mort. ELIZE. Vous vous mocquez de moy, Monsieur vous avez tort, Ce n'est point mon dessein de vouloir estre aymée, Si quelqu'un survenoit serois-je pas blasmée : Car que penseroit-on de vous voir en ce lieu ? Allez vous en de grace, & me dites Adieu. CLITANDRE. Mon ame est dans vos fers tellement enchaisnée, Que s'il plaisoit au Ciel qu'un heureux Hymenée⁎ Nous peust joindre tous deux, quel seroit mon destin. Madame excusez moy tout tend à bonne fin, Si vous me rebutez mon esperance est morte. ORMIN *à Pauline*. Mesprisez vous aussi l'amour que je vous porte ? N'aurez vous point pitié d'un miserable Amant Que vos beaux yeux ont peû charmer en un moment ? PAULINE. J'ay bien d'autres pensers dedans la fantaisie⁎. ELIZE. Ces furieux⁎ transports⁎ dont vostre ame est saisie Ces offres de service⁎, & ces feux vrais, ou feints, Ne peuvent qu'à la fin rendre vos espoirs vains, Laissez moy seule icy, retirez vous de grace. PAULINE. On appelle Madame. ELIZE.         Ah grands Dieux qui sera-ce ? ### SCENE III. ELIZE, PAULINE, POLEMAS, CLITANDRE, OCTAVE, ORMIN ELIZE. Qu'on ouvre promptement. POLEMAS. il entre         Vous mocquez-vous de moy ? De me faire tarder [102]. Mais qu'est-ce que je voy ? L'avois-je pas bien dit ? OCTAVE.         Souffrez⁎-vous cette injure ? CLITANDRE *bas*. Je suis perdu, grands Dieux ! OCTAVE.         Un homme icy ! je jure. [103] POLEMAS. Octave arrestez-vous, laissez-moy ce soucy, Sçachons ce qu'il demande, & ce qu'il fait icy. Parlez à moy, Monsieur, dites-moy quelle affaire Vous emmeine [104] en ce lieu ? ELIZE *bas*.         Grands Dieux je desespere. CLITANDRE *se trouble*. J'estois venu Monsieur, de la part, arrivant ; Mais moy, quand elle fut, je suis auparavant. OCTAVE. Qu'attendez-vous Monsieur ? ELIZE *bas*.         O fille mal-heureuse. POLEMAS. En pareils accidents⁎ la force est dangereuse, Que faites vous icy ? Non n'ayez point de peur, Parlez sans vous troubler. CLITANDRE.         Je vous jure Monsieur, Croyez-moy s'il vous plaist, que jamais en ma vie, Je ne vous offençai, ny n'en ay point d'envie. POLEMAS. Laissons-là ce discours, c'est assez je vous crois, Que faites-vous icy ? CLITANDRE.         C'est la premiere fois, Ou je puisse perir [105]. POLEMAS.         Je sçay bien le contraire. Ce n'est pas le moyen d'accommoder⁎ l'affaire, Si vous me déguisez ainsi la verité. CLITANDRE. Je vous la dy Monsieur. OCTAVE.         Ah quelle fausseté ! POLEMAS. Croyez qu'on ne peut pas aysément me surprendre⁎ : Mais quel est vostre nom ? CLITANDRE.         On m'appelle Clitandre. POLEMAS. Le nom de vostre pere ? CLITANDRE.     Il est mort. POLEMAS.         Mais comment Le nommoit-on ? CLITANDRE.         Son nom estoit Theodomant. POLEMAS. Je l'ay cognu, c'estoit un homme de merite Et de condition⁎ ; mais vous qui vous incite A venir voir ma fille ? estes-vous engagé Sous les lois de l'Hymen ? CLITANDRE.     Non. POLEMAS.         Je l'ay bien jugé. OCTAVE. Pourquoy ces questions où la preuve est si claire ? A quoy bon ce discours ? POLEMAS.         Tout beau⁎, laisse moy faire. Venez çà [106], sçavez-vous que ce logis est mien ? Et que je suis son pere ? CLITANDRE.         Ouy je le sçay fort bien. POLEMAS. Passez un peu deçà [107]. CLITANDRE *bas*.         Dieux soyez à mon ayde, Il faut perir icy, la chose est sans remede, Ou souffrir⁎ un affront. ELIZE *bas*.         J'ay le cœur tout transi⁎. POLEMAS *à ELIZE*. Elize respons moy, quel est cét homme icy ? ELIZE. Celuy qu'il vous a dit. POLEMAS.         Mais dy moy qui l'engage A te venir chercher ? ELIZE.         Il m'apporte un message De Diane qu'il sert. OCTAVE *à Polemas*.         Ah Monsieur en effet C'est mon rival qui sert cét adorable objet⁎ Dont je vous ay parlé faictes que tout à l'heure⁎ Il espouse ma sœur ou souffrez⁎ que je meure ; Je n'en puis autrement jamais venir à bout. POLEMAS *à ELIZE*. Laisse-moy ce soucy, j'accommoderay⁎ tout, [108] Elize ne dy mot, il n'est point necessaire D'alleguer tes raisons, mais appren [109] à te taire. Tu sçais combien je suis jaloux⁎ de mon honneur : Que ce jeune homme icy soit quelque suborneur⁎, Qui tasche effrontement d'acquerir la victoire Sur tes chastes desirs, je ne le veux pas croire Ny luy faire ce tort ; ouy je tiens pour certain Que s'il entre ceans⁎ c'est avec bon dessein, Il tenteroit en vain cette infame⁎ poursuitte [110], J'ay trop d'opinion de [111] ta sage conduitte, A tout ce que je vay resoudre sur ce point, Consens-y sans replique, & ne contredy [112] point. ELIZE. Il faut bien se resoudre à prendre patience⁎. Monsieur vous cognoistrez un jour mon innocence, Et que vous m'accusez en ceci sans raison. POLEMAS. Cavalier⁎ je vous trouve icy dans ma maison, Avec ma propre fille, & ne suis point en peine [113] De m'informer de vous quel sujet vous y meine, Je le cognois assez, j'en suis trop éclaircy. Qu'il soit honneste & saint, je le veux croire ainsi, Mais vous ne devez rien ce me semble entreprendre, Sans mon consentement de qui tout doit despendre. Si ma fille vous plaist, parlez-moy franchement, Aymez-là, servez⁎-là, mais legitimement, Je cognoy vos moyens, je sçay vostre lignage, Si vous la desirez avoir en mariage Je vous l'offre, & vous donne un temps pour y penser : Songez-y, je n'ay point dessein de vous forcer, Car il ne seroit pas juste ny raisonnable. CLITANDRE. Monsieur si mon Amour est saint & veritable Cognoissez-le par là, je me tiens trop heureux Si je puis acquerir le tiltre glorieux, Non seulement d'Espoux, mais d'esclave d'Élize. Et si cette faveur aujourd'huy m'est acquise, Je n'ay plus rien au monde apres à souhaiter. POLEMAS. Ce n'est pas mon dessein icy de profiter De cette occasion par trop precipitée, Avant que cette affaire entre nous soit traittée, Allez-vous-en chez vous, pensez-y meurement ; On ne doit pas ainsi traitter en un moment Une affaire de poids, & de tant d'importance : Je ne possede pas des biens en abondance, Mais je m'efforceray pourtant de la pourvoir⁎, Non selon mon desir, mais selon mon pouvoir, Encor que la vertu d'Elize, & sa sagesse Peuvent bien suppléer au defaut de richesse Qui passe de beaucoup ce que je puis donner. CLITANDRE. Je l'adore Monsieur, & pour vous tesmoigner Que j'estime l'honneur d'une telle alliance Autant que son merite, allons en diligence En dresser les accords, & le contract passer. OCTAVE. C'est parler comme il faut, je vous veux embrasser. POLEMAS. Allons puis qu'il vous plaist, j'en ay l'ame ravie. ORMIN *à CLITANDRE*. Vous vous mariez donc ? d'où vous naist cette envie ? Pourrez-vous à Diane ainsi manquer de foy⁎ ? CLITANDRE. Elle aura patience⁎ aussi bien comme moy [114]. ### SCENE IIII. CLORIMANT, GERASTE, ELIZE, PAULINE CLORIMANT. Ingrate & fiere⁎ Elize a mon ame agitée [115] Cent fois plus que la palme à ceux qui l'ont plantée, Croy que si ce rival eust [116] tardé seulement A sortir de ceans⁎ l'espace d'un moment La mine auroit crevé [117], car mon ardante flame Auroit par cent endroits fait passage à mon ame Quand j'ay veu que Clitandre icy te caressoit, Que jusques à ce point ce traistre m'offençoit J'estois hors de moy-mesme, & je bruslois d'envie De vanger cét affront aux despens de sa vie. Mais ton honneur ingrate, en mon esprit jaloux, A moderé l'ardeur⁎ de mon juste courroux. Ne fay point tes efforts pour forger une excuse, La faute est à toy seule, & toy seule j'accuse, Que sert de me tromper par mille faux serments En feignant de m'aymer, je sçay bien que tu ments. Dy moy, ne crains-tu point que le Ciel te punisse, De rendre à mon Amour une telle injustice. Tout estoit concerté, tu l'as fait à dessein, Tu me plonges ingrate un poignard dans le sein, Contre moy vous estiez tous deux d'intelligence, Mais pourquoy me tromper d'une fausse esperance ? Pourquoy me faire voir en idée un bon-heur, Dont tu veux rendre ingrate un autre possesseur ? J'auray recours au Ciel punisseur des parjures, Pour chastier ton crime, & vanger mes injures [118]. Tu l'as pris à tesmoin, tu m'as donné la foy⁎, Devant luy de n'aymer jamais d'autre que moy. Pourquoy veux-tu destruire une si belle flame ? Pourquoy veux-tu souffrir⁎ que l'on force ton ame Qui dépend des Dieux seuls, & non point de celuy Qui veut injustement te contraindre aujourd'huy A recevoir les loix d'un fascheux Hymenée⁎ Et faire revoquer ta parole donnée ? Peut-on te rendre ainsi le courage abatu ? Pourquoy ne dis-tu mot, que ne me responds-tu ? ELIZE. Ah mon cher Clorimant ! Grands Dieux je suis troublée Par le nombre des maux dont je suis accablée, Je ne suis plus à moy, toutesfois je puis bien Alors que je te perds encor t'appeler mien ; J'ay promis il est vray, mais te faisant promesse, De t'aymer Clorimant, & d'estre ta maistresse, Je n'eusse jamais creu qu'un obstacle si fort Me deust faire aujourd'huy perir dedans le port [119]. L'obstacle qui pouvoit esbranler ma confiance, Estoit comme tu sçais, la seule obeyssance, Ce seul point reservé, dispose à ton plaisir, De tout ce que je puis permettre à ton desir, Pour l'ame elle est à moy, mon cœur je te la donne, Mon pere ne peut pas la livrer à personne, Mais il m'a donné l'estre, & du corps il en peut Malgré moy, Clorimant, disposer comme il veut. Ne m'en veux point de mal, cher Amant je te prie, C'est où je ne puis rien, si par ton industrie [120], Tu peux trouver moyen de rompre cét accord En te satisfaisant tu destournes ma mort. Si tu peux empescher ce fascheux Hymenée⁎, Je ne revoque point ma parole donnée, Dispose à ton plaisir de tout ce que je puis, Je te seray tousjours telle que je te suis. Elize te le jure. CLORIMANT.         Ah non ce n'est point elle, Elize ne sçauroit jamais estre infidelle, Ou celle maintenant qui se presente à moy Est ingrate, parjure, inconstante⁎, & sans foy⁎. Je sçay que la beauté que j'ay tant adorée Me garderoit la foy⁎ qu'elle m'avoit jurée, Puis qu'elle me renonce, & me traitte à tel point, Si c'est elle en effet je ne la cognoy point. ELIZE. Tu me fais tort mon cœur, non, non je suis la mesme Je suis comme je fus, cette Elize qui t'ayme, Croy ce que je te dis, & que je te promets, Quoy qu'il puisse arriver de t'aymer à jamais. As-tu droit Clorimant de me donner du blasme, Si tu vois malgré moy que l'on force mon ame ? Non, on ne peut m'oster ce qui n'est plus à moy, Je t'ay fait dés long temps un present de ma foy⁎, Et tu t'abuserois⁎ si tu croyois qu'Elize Peust à d'autre qu'à toy soumettre sa franchise⁎, Elle auroit peu d'esprit, & moins de jugement⁎ De vouloir preferer un autre à Clorimant, Je te l'ay dit cent fois, & te le dis encore. CLORIMANT. C'est ce qui te convainc [121], & qui te deshonore. Ta voix me favorise, ingrate, mais ton cœur Se livre absolument à ce nouveau vainqueur. Va ne t'en dédy point, poursuy ton entreprise, J'abandonne tes fers ingrate & fiere⁎ Elize, L'honneur me doit soustraire à tes trompeurs appas, A present que mon Prince a besoin de mon bras, Ce Monarque indompté s'avance à la campagne [122] Pour abatre la force, & l'orgueil de l'Espagne [123], Allons l'accompagner, joignons nous à son sort ; Cherchons, s'il faut mourir, une honorable mort. Je conjure le Ciel ingrate, & déloyale, En arrivant au camp, que la premiere bale Laissant mon pasle corps sans force, & sans vigueur, Efface pour jamais ton portrait de mon cœur. ELIZE. Va si la guerre plaist à ton humeur mutine [124], N'as-tu pas en toy-mesme une guerre intestine [125] ? L'Amour ne fait-il pas chez toy de tous costez, Mesme dedans ton cœur, des sujets revoltez ? Combats des passions celle qui te commande [126], Le peril est bien moindre, & la gloire plus grande. Quel exploit te rendroit des ennemis vainqueur, Si tu m'as dit cent fois que tu n'as plus de cœur ? Comment peux-tu jamais rien de bon entreprendre ? Si bien loin d'attaquer tu ne te peux deffendre ? Ne t'en va point mon cœur, ne m'abandonne pas. CLORIMANT. Veux-tu m'accompagner, veux-tu suivre mes pas ? ELIZE. Dieux ! es-tu raisonnable ? CLORIMANT.         Et pourquoy donc ingrate Veux-tu qu'en te croyant encore je me flate ? ELIZE. Quel scandale grands Dieux ! que diroit-on de moy ? Pense à ce que tu dis. CLORIMANT.         Ame lasche⁎ & sans foy⁎. Tu me dis que je pense & que je considere ! En matiere d'Amour, celle qui delibere N'en a point, ou du moins s'il faut qu'elle en ait eu En parlant de la sorte elle l'a tout perdu. ELIZE. Avant que de [127] partir escoute deux paroles. CLORIMANT. Ce ne seroit pour moy que des contes frivoles, Je me mocque à present des discours que tu fais, Si le vent les emporte, il me faut des effets. Non je n'escoute plus. (Il s'en va) PAULINE.         Geraste que t'en semble ? GERASTE. Que je m'enfuy de toy, que nous partons ensemble, Desloyale parjure, ame ingrate, & sans foy⁎. Va qu'une balle passe à mille pas de moy, Et qu'entre deux treteaux [128] je briffe [129] en la cuisine Si tu me vois jamais infidelle Pauline. (Il s'en va) ELIZE. Va promptement Pauline, appelle Clorimant. PAULINE. Il n'ira pas bien loing, car sçachez qu'un Amant Qui fait le furieux en quittant ce qu'il ayme, Fait en cette action violence à soy-mesme. ELIZE. Je suis morte r'entrons [130], peut-estre un mot d'escrit Aura quelque pouvoir sur ce boüillant [131] esprit. ### SCENE V. DIANE, JULIE DIANE. Clitandre s'entretient long-temps avec Elize, Crois-tu pas en effet qu'elle sera surprise, Et peut-estre jalouse en voyant que j'ay l'heur⁎ De posseder ce brave⁎ & galand⁎ serviteur [132]. JULIE. Il est vray que Clitandre a beaucoup de merite, Mais n'apprehendez rien d'une telle visite ; Car je sçay de certain qu'Elize ayme, & je croy Qu'elle a, si l'on dit vray, mesme engagé sa foy⁎. DIANE. J'oy du bruit, voy qui c'est. JULIE.         C'est Clitandre, Madame. ### SCENE VI. DIANE, CLITANDRE, JULIE, ORMIN DIANE. Qu'il est triste ? avez vous quelque trouble dans l'ame ? Vous estes ce me semble interdit⁎ de tout point, Que veut dire cela ? quoy vous ne parlez point. CLITANDRE *bas*. De divers sentiments, je sens mon ame atteinte. DIANE. Qui [133] vous rend interdit⁎ & muët ? CLITANDRE.         Une crainte. DIANE. Une crainte avec moy ? Dieux ! pour quel suject ? Dites avez vous veu cét agreable object ? CLITANDRE *bas en souspirant*. Ouy, c'est pour cét object que je suis tout de flame. DIANE. Comment vous souspirez. CLITANDRE.         Je souspire, Madame. DIANE. Ouy mon cœur, est-ce moy qui vous fait souspirer ? CLITANDRE* bas*. Ouy c'est pour un subject que je veux adorer. JULIE *à Ormin*. Ormin es-tu muët aussi bien que ton maistre ? ORMIN. En cette occasion⁎, helas peussay-je l'estre ! DIANE. Encor d'où venez-vous, qu'avez-vous ? CLITANDRE.         Je ne sçay, Madame, je ne puis vous dire ce que j'ay, Je viens de veoir Elize. DIANE.         He bien quelle nouvelle ? Parlez-moy franchement, comment se porte t'elle ? CLITANDRE. Elle se porte bien. DIANE.         Dites-moy donc mon Cœur, D'où vous naist ce chagrin⁎, cette mauvaise humeur ? Vous a-t-elle pas dit combien je vous estime ? CLITANDRE. Madame excusez moy, je commettrois un crime Indigne de l'honneur de vostre affection, Si je vous celois rien en cette occasion⁎. Je ne sçay toutefois comme je vous puis dire Cét estrange accident⁎ qui cause mon martyre⁎ ; Mais il le faut pourtant, oüy je l'ay resolu, Je n'ay fait qu'obéir, car vous l'avez voulu. Je viens de voir Elize, & je jure Madame, Que ce que n'auroit pû, ni le fer, ni la flame, Un sort injurieux contre ma volonté, M'a fait en mon Amour faire une lascheté⁎. Considerez un peu l'excez de ma misere, A peine estois-je entré que son pere & son frere, M'ont surpris avec elle, & sur certain soupçon Ils m'ont forcé tous deux, mais de telle façon, Que quoy que j'aye dit, quoy que j'aye [134] pû faire, Il m'a falu, grands Dieux, ce mot me desespere. DIANE. Quoy donc ? CLITANDRE.         Il m'a falu sur l'heure l'espouser. DIANE. Que dites-vous grands Dieux ? CLITANDRE.         Pouvois-je m'opposer Avec si peu de force à tant de violence ? On n'a jamais parlé d'une telle insolence, Si j'eusse d'un seul mot resisté [135] seulement, Tous deux ne m'auroient pas laissé vivre un moment. DIANE. Vit-on jamais au monde une telle surprise ? Mais à tout ce discours encor qu'a dit Elize ? CLITANDRE. Qu'auroit-elle pû dire ? en fin il a falu, Puis qu'elle a veu son pere à ce poinct resolu, Se resoudre elle mesme & prendre patience⁎. DIANE. M'osez vous bien parler avec cette impudence ? M'estimez vous si simple, & l'esprit si mal sain Que je ne puisse pas penetrer ? CLITANDRE.         C'est en vain. Vous me blasmez à tort, ouy je jure Madame Que vous n'avez point droict de soubçonner ma flame. Ce que j'ay fait n'est point par infidelité, Je suis tel à present que j'ay tousjours esté. Mais ce qui plus que tout encor me desespere Et me met hors de moy, c'est qu'Octave son frere, Vous le cognoissez bien, brusle d'amour pour vous, M'ayant dit qu'il estoit de mon bon-heur jaloux Et m'a contrainct de faire aupres de vous en sorte Que vous ayez esgard à l'amour qu'il vous porte, Et qu'un sainct Hymenée⁎ apres ces maux soufferts Esteigne tous ses feux⁎ [136] & relasche ses fers. Madame accomplissons ce double mariage. DIANE. Perfide, osez-vous bien me tenir ce langage ? Je vous entends tres-bien, vous estes je le voy, Tous trois d'intelligence, & liguez contre moy. Je voy bien ce que c'est Elize m'a trahie, Adieu, perfide ingrat. CLITANDRE.         Escoutez je vous prie. DIANE. Que veux-tu que j'escoute, ame lasche⁎ & sans foy⁎ ? Ta presence aujourd'huy me cause de l'effroy. (Elle s'en va) Sors, & n'espere pas de [137] me voir de ta vie. ORMIN. Elle part en cholere. CLITANDRE.         Arreste-la Julie. JULIE. Je ne le puis. Ormin tu t'en repentiras. (Elle s'en va) Pauline aura pour toy de plus charmants appas, Imite cét ingrat, comme luy cours au change⁎. ORMIN. Que ferons-nous Monsieur ? CLITANDRE.         Mon Elize est un Ange : Sortons, n'arrestons [138] pas d'avantage en ce lieu. Allons revoir Élize. Adieu Diane, Adieu. Fin du second Acte ## ACTE III. ### SCENE I. CLORIMANT vestu en Soldat, botté & esperonné, avec un grand colet de Buffle [139], & force [140] plumes : & GERASTE vestu en Soldat ridiculement. CLORIMANT. Tout mon fait [141] est-il prest ? GERASTE.         Monsieur vostre valize, Est en fort bon estat. CLORIMANT.         Adieu perfide Elize, Je m'en vay de ce pas, je veux t'abandonner, Mes chevaux ? GERASTE.         Tout à l'heure⁎ on les doit emmener [142], Mais pourrez-vous quitter cét objet⁎ plain de charmes Pour qui je vous ay veu respandre tant de larmes ? CLORIMANT. En doutes-tu Geraste ? GERASTE.         Oüy j'ay lieu d'en douter, Vous feignez de parler, & de vous absenter, Afin de luy donner un peu de jalousie, Vous n'irez pas bien loing. CLORIMANT.         Dieux quelle frenaisie [143], Escoute, & si je ments, me punissent les Dieux. Un trait poussé de l'arc, un oyseau dans les Cieux, Ny l'esclair qui d'abord nous esbloüit la veuë Ne descendit jamais plus viste de la nuë Que je fuy de ces lieux, je suis trop irrité Pour souffrir⁎ les mespris d'une ingrate beauté. GERASTE. Quoy, Monsieur, seriez vous jusqu'à ce point farouche, Qu'un escrit de sa main, un soupir de sa bouche, Une larme d'un œil qui tellement vous plaist, Ne puisse retracter ce rigoureux arrest⁎. CLORIMANT. D'un œil qui pour un autre a maintenant des charmes Pourrois-je voir pour moy jamais couler des larmes ? La main dont mon rival doit estre possesseur, Peut-elle rien tracer qui soit en ma faveur ? Un soûpir de sa bouche ? ah que plustost ma vie Soit d'affronts signalez & d'opprobres suivie, Si pour tous ces efforts je voulois seulement Retarder mon depart l'espace d'un moment, Va tu m'offenceras si tu veux d'avantage T'opposer au dessein d'un si juste voyage. Ne m'en parle donc plus. GERASTE.         J'ateste⁎ tous les Dieux Que le moindre soûpir, deux larmes de ses yeux, Quatre mots de sa main escrits avec tendresse, Car je cognois assez quelle est vostre foiblesse, Au milieu de la nuë arresteroient l'esclair, Le trait poussé de l'arc, & l'oyseau dedans l'air. CLORIMANT. J'entends quelqu'un frapper, ouvre-tost, c'est Pauline. GERASTE. Ils seront occupez, comme je m'imagine, Tous aux nopces d'Elize, à recevoir l'Espoux, Et vous pensez encor qu'elles songent à vous ? Dieux quelle extravagance ! CLORIMANT.         Ouvre, c'est elle-mesme. GERASTE. Me doutois-je pas bien qu'en cette ardeur⁎ extresme, Le moindre compliment⁎ pourroit vous ébranler, Qu'est devenu ce trait, cét oyseau, cét esclair ? Est-ce pour ce subjet que vous faisiez le brave ? CLORIMANT. Ouvre, te dis-je. GERASTE.         Hé quoy ! vous faisiez tant du grave [144], Des larmes de ses yeux, des lettres de ses mains, Des souspirs de sa bouche ! à quoy bon ces dédains ? CLORIMANT. Veux-tu que tout de bon je me mette en colere ! GERASTE. En colere ? pourquoy ! vous n'auriez guere à faire. Elle entre icy, Monsieur. ### SCENE II. PAULINE, CLORIMANT, GERASTE PAULINE.         O le brave⁎ soldat ! GERASTE. Quoy ? n'en vois-tu pas deux prests d'aller au combat ? Lisant des Espagnols la sanglante défaite, Tu verras plusieurs fois mon nom dans la Gazette [145], (Bas) Nous ne partirons point sans doute de chez nous, Et serons dans Paris bien éloignez des coups. PAULINE. O Dieux qu'il est gentil [146], & qu'il a bonne mine, Où de grace allez-vous ? CLORIMANT.         A la guerre, Pauline. PAULINE. Que je ry de vous voir, que j'y prens de plaisir, De grace laissez-vous contempler à loisir. CLORIMANT. Satisfaits si tu veux à present ton envie, Car tu ne me verras je jure de ta vie. Mais Pauline que fais cette femme dy moy ? PAULINE. La nommez-vous ainsi ? CLORIMANT.         Je fay ce que je doy. Dy moy comment veux-tu qu'à present je la nomme, Si l'on donne ce nom à qui possede un homme En qualité⁎ d'Espoux, elle est en ayant deux Doublement femme, & moy doublement mal-heureux, Car par la loy du monde, elle appartient Pauline, A Clitandre, il est vray, mais par la loy Divine Elle ne sçauroit estre à nul autre qu'à moy. Je ne veux en cecy d'autre tesmoin que toy ; M'a t'elle pas cent fois la parole donnée D'estre à moy sous les lois d'un heureux Hymenée⁎ ? Qui la peut obliger à cette lascheté⁎ ? Mais que [147] tardé-je plus ? le sort en est jetté. Fay ce que tu voudras, obeys à ton pere, Romps ta foy⁎ déloyale afin de luy complaire, J'y consens de bon cœur, ouy je te le promets ; Mais je sors de ces lieux pour ne t'y voir jamais, Tu t'en dois asseurer. Mais dy moy qui t'emmeine [148] ? PAULINE. Un papier que voicy. CLORIMANT.         Quoy de cette inhumaine ? Elle me contera sa nopce en cét escrit. PAULINE. Si vous sçaviez le trouble où se voit son esprit, Pour conserver pour vous le tiltre de fidelle, Je croy qu'asseurément vous auriez pitié d'elle CLORIMANT. Une lettre d'Elize est un venin pour moy. Reporte-là de grace. PAULINE.         Ah justes Dieux pourquoy ? Voyez ce qu'elle escrit. CLORIMANT.         Que me peut-elle dire ? Bien pour l'amour de toy, Pauline, il la faut lire. LETTRE Pour avoir desiré garder l'obeyssance Que je dois à celuy de qui je tiens le jour, Pouvez-vous m'accuser d'avoir eu peu d'Amour ? D'avoir trahy vos feux, & manqué de constance ? Ah ! si vous penetriez jusqu'au fond de mon ame, Croyez-moy, Clorimant, que je vous ferois voir, Que malgré le respect mon cœur est tout de flame, Et que je puis aymer sans trahir mon devoir. Que la raison en vous demeure la plus forte, Mais si c'est un spectacle agreable à vos yeux, Avant vostre depart, de voir Elize morte, Vous n'avez qu'à parler d'abandonner ces lieux. Partez, & me laissez de tout poinct affligée, Mais avant donnez-moy le bon-heur de vous voir, Vostre Elize n'est pas tout à fait engagée, Et peut tomber encor dessous vostre pouvoir. CLORIMANT. Ouy j'ay grand tort Elise, & vous avez raison, Justes Dieux quelle noire & lasche⁎ trahison, Quel procedé perfide est aujourd'huy le vostre ? Cette main que bien-tost doit posseder un autre Veut-elle derechef exciter mon courroux Par ce style outrageux ? PAULINE.         De quoy vous plaignez-vous ? CLORIMANT. Allegue-t'elle icy raison en sa deffence Qui puisse d'un moment retarder mon absence ? Que je parle dit-elle ? PAULINE.         Ah vous avez grand tort. D'où vous naist dites-moy ce furieux⁎ transport⁎ ? Voyez-vous pas assez qu'Elize vous adore ? CLORIMANT. Que sous d'autre pouvoir elle n'est pas encore Me dit-elle l'ingrate. PAULINE.         Où [149] songez vous grands Dieux ? Relisez cét escrit, considerez-le mieux, Voyez qu'il est remply d'Amour & de tendresse. CLORIMANT. Il me trahit Pauline il dément sa promesse, Cette lettre ne tend qu'à dégager⁎ sa foy⁎, Elle tesmoigne avoir quelque pitié de moy, La perfide voyant l'excez de ma misere : Mais ce n'est point l'amour qui l'oblige à ce faire [150]. Escrit, tu ris de moy, mais tu le payeras. (Il le rompt) PAULINE. Que faites-vous Monsieur ? ah ne le rompez pas. CLORIMANT. C'en est fait, c'est trop peu pour une ame offencée, Que ne tiens-je aussi bien la main qui l'a tracée. PAULINE. Ne respondrez-vous point ? CLORIMANT.         Tay toy, sors de ce lieu, Ne me parle jamais de cette ingratte, Adieu. PAULINE. Je reviendray tantost, vous estes en colere. ### SCENE III. GERASTE, CLORIMANT GERASTE. Vous avez tort, Monsieur, mais que pensez-vous faire ? Songez qui vous attaque [151], & ne vous laissez point En cette occasion⁎ emporter à tel point. Pourquoy vous prenez vous à la mesme innocence [152] ? Si Pauline obeït, Elize vous offence. C'est elle seulement que vous devez blasmer. CLORIMANT. Quoy traistre en ma presence, oses-tu bien nommer Encor cette perfide ? GERASTE.         En cette ardeur⁎ extresme, Si vous n'estes, Monsieur, du tout hors de vous-mesme Vous parroissez avoir perdu le jugement⁎. Moderez-vous un peu, soyez moins vehement, Valoit-il pas bien mieux sans vous mettre en colere, Sans rebuter Pauline, et faire le severe, Respondre à cette lettre, & luy faire sçavoir Qu'avant que de [153] partir vous iriez pour la voir Puis qu'elle le desire, & qu'elle vous en presse, Ce billet semble escrit avec tant de tendresse Que vous ne devez pas la condamner ainsi. CLORIMANT. Appelle-la, Geraste. GERASTE.         Elle est bien loin d'icy. CLORIMANT. Va promptement apres. GERASTE.     J'y cours Monsieur. CLORIMANT.         Arreste, N'y va pas. GERASTE.     Bien Monsieur. CLORIMANT.         L'action que j'ay faite Monstre que j'ay du cœur [154] en ayant resisté Au desir d'aller voir cette ingrate beauté. Mais pourray-je souffrir⁎ d'estre un moment sans elle. Pauline n'est pas loing, cours apres & l'apelle. GERASTE. J'y vay Monsieur. CLORIMANT.         Que dis-je, escoute n'en fais rien. Vit-on jamais mal-heur qui fust esgal au mien ? La chose est resoluë, oüy sans plus de remise⁎, Il faut absolument que j'aille voir Elize. La Cholere ne peut l'emporter sur l'Amour. GERASTE. Allons-y cette nuit. CLORIMANT.         Non, non, j'yray de jour. GERASTE. De jour, comment cela ? CLORIMANT.         Ne t'en mets pas en peine [155]. Grands Dieux changez Elize, ou mon Amour en haine. ### SCENE IV. ORMIN, CLITANDRE ORMIN. Vous estes tout pensif, qu'avez vous ? CLITANDRE.         Je ne sçay. L'alliance d'Elize où je me voy forcé Me met, lors que j'y pense, en grande inquietude. ORMIN. Vous la trouviez si belle. CLITANDRE.         Ouy, mais n'est-il pas rude Qu'en fait de mariage & d'inclination⁎ On force un Cavalier⁎ de ma condition⁎ ? Vit-on jamais au monde une telle surprise ? La fille me plaist fort, car en effet Elize A beaucoup de merite, & des yeux si charmants, Qu'ils peuvent d'un regard captiver mille amants. Mais à ne point mentir le procedé m'en fasche⁎ ; Que dira-t'on de moy ? je passeray pour lasche⁎, Quand on sçaura par tout, que pour m'avoir trouvé Seul avecque sa fille un pere m'ait bravé, Mais jusques à tel point, ah ce seul mot m'outrage, De m'avoir malgré moy fait faire un mariage. ORMIN. Vous n'avez pas raison, car vous l'avez voulu. CLITANDRE. J'ay feint de le vouloir, car il l'a bien falu. ORMIN. Mais, Monsieur, entre nous, souffrez⁎ que je le die [156], Vostre amoureuse ardeur⁎ s'est bien-tost refroidie, Je vous voyois tantost bouïllant, & tout de feu, Et je voy qu'à present vous en avez fort peu. Mais je ne trouve point en vous ce fait estrange, C'est vostre humeur, Monsieur, d'aller courir au change⁎. CLITANDRE. On me donne trop peu, dy ce que tu voudras. Comment me contenter de six mille ducats [157] Que le pere promet, moy qui les ay de rente [158]. ORMIN. Vous deviez y songer, mais à l'heure presente, Vous n'avez pas raison, car vous ne deviez point, Pour vous en repentir leur accorder ce point. CLITANDRE. Pour attraper mon bien, croy moy qu'elle & son pere Ont fort adroittement mesnagé cette affaire, Ouy de me la livrer ils avoient fait complot, Mesme à ma premiere offre & de me prendre au mot. Pourray-je me sauver, & m'exempter de blasme ? Que dira-t'on de moy ? ORMIN.         Que vous avez pris femme Parfaite, belle, & sage, & qui pourroit je croy, Je dy sans la flatter l'estre mesme d'un Roy. Si l'on vous a surpris [159], cette surprise est belle, Mais que [160] tardez-vous plus, on vous attend chez elle. CLITANDRE. Il le faut bien Ormin, alons n'y pensons plus, C'en est fait ces discours ne sont que superflus, Voy s'ils sont au logis, nous sommes à la porte. ORMIN. Monsieur songez à vous, gouvernez vous [161] de sorte Qu'on n'ait pas de sujet de vous rien reprocher, La chose est sans remede, il n'en faut plus chercher. Je m'en vais appeler, mais faites que l'on voye Des marques sur ce front d'allegresse, & de joie. Tout est ouvert entrons. (Il faut lever la toile) ### SCENE V. POLEMAS, CLITANDRE, ORMIN, ELIZE, PAULINE, OCTAVE [POLEMAS].         Toute la Cour, Monsieur, Ayant sçeu que de vous je reçois tant d'honneur, De desirer entrer dedans nostre famille, M'a fait des compliments⁎ : mais j'ay peur que ma fille N'ait trop peu de merite, & trop peu de beauté, Pour posseder ce bien qu'elle a peu merité. CLITANDRE. C'est moy qui suis heureux d'asservir ma franchise⁎ Sous les divines loix de la parfaite Elize, Qui voy dans ce bon-heur tous mes desirs contents. OCTAVE. Je m'estonne Monsieur, comme en si peu de temps On ait peû dans Paris sçavoir ce mariage. POLEMAS. Pourquoy s'en estonner, Clitandre a l'advantage D'estre connu de tous, & chery d'un chacun. OCTAVE. Croyez que dans Paris ce bruit est tout commun, Et qu'il s'est fait par tout bien promptement respandre. POLEMAS. Je tiens quoy qu'il en soit, Clitandre pour mon gendre. CLITANDRE. J'y gagne seul, Monsieur. ELIZE *bas*.         Et moy seule j'y perds. CLITANDRE. Vous me mettrez aux Cieux. ELIZE *bas*.         Et moy dans les Enfers. POLEMAS. Des sieges promptement. OCTAVE *bas*.         Que j'ay l'ame ravie. ELIZE *bas*. Grands Dieux, c'est à ce coup qu'on attente⁎ à ma vie. ### SCENE VI. PAULINE, POLEMAS, OCTAVE, CLORIMANT, ELIZE, CLITANDRE, ORMIN, GERASTE PAULINE. Un Cavalier⁎ là bas vous demande, Monsieur. POLEMAS. Qu'il entre. C'est quelqu'un qui me fait la faveur De vouloir prendre part à l'excés de joye, Que toute la Cour sçait que le Ciel nous envoye. OCTAVE. Il n'en faut point douter. CLORIMANT *entre*.         Me trouvant fort pressé De faire un grand voyage où je me voy forcé. Ayant appris aussi qu'une importante affaire Vous tient tous assemblez, il n'est point necessaire De vous entretenir de discours superflus. ELIZE *bas*. Que voy-je justes Dieux ? que j'ay l'esprit confus. POLEMAS. Seyez-vous [162] donc Monsieur, mettez vous à vostre ayse ; Holà, que promptement on luy donne une chaise. CLORIMANT. Avant qu'agir [163] du fait qui m'emmeine [164] ceans⁎, Je doy feliciter ces bien-heureux Amants, Puis qu'aujourd'huy l'Hymen joint vos deux destinées, Que ce soit s'il luy plaist pour un siecle d'années. ELIZE* bas à Pauline*. Dieux quelle effronterie ! PAULINE *bas à Elize*.         Elle est au dernier point ; Madame est-il troublé ? ELIZE *bas à Pauline*.         Non non il ne l'est point. POLEMAS. Mes enfants respondez. CLITANDRE.         Pour cét honneur extresme Je vous baise les mains⁎. ELIZE.         Et moy j'en fais de mesme [165]. CLORIMANT *à Polemas*. Pour ne vous tenir pas davantage en soucy, Je vous diray, Monsieur, ce qui m'emmeine [166] icy. Je vay tout de ce pas en poste à Barcelone ; Pourriez vous me donner pour Beziers ou Narbonne Quelque argent à toucher, & me faire ce bien Avant que de [167] partir de recevoir le mien Qui me peze par trop [168]. ELIZE *bas à Pauline*.         Ah ! cét homme Pauline Est venu pour me perdre ; hé Dieux il m'assassine. PAULINE *bas à Elize*. Dissimulez un peu. ELIZE *bas à Pauline*.         Pauline je ne puis. CLORIMANT. C'est de quoy j'ay besoing en l'estat où je suis. J'ay sçeu que vous aviez de la correspondance Sur tous les lieux qui sont aux frontieres de France, Et vous ne voudrez pas, tant vous estes courtois⁎, Me refuser ce bien. POLEMAS.         Il est vray qu'autre fois Aysement j'eusse peû vous rendre ce service, Mais j'ay depuis dix ans quitté cét exercice, Et je suis fort marry [169] de n'avoir point cét heur⁎. CLORIMANT. Je suis trop mal-heureux. ELIZE.         Si vous voulez, Monsieur, Pour quelque peu de temps differer ce voyage Vous en pourrez trouver mesme avec advantage. CLORIMANT. Je le souhaitterois, Madame, extresmement ; Mais je ne sçaurois plus retarder un moment. Ce depart m'est sans doute un rigoureux martire⁎, Mais mon mal en restant seroit encor bien pire. ELIZE. Sçaurois-je point pourquoy vous fuyez de ces lieux ? Nostre sexe, Monsieur, est prompt & curieux ; Excusez si je suis en ce point mal apprise⁎. CLITANDRE *bas à Ormin*. Est-ce ce Cavalier⁎ qui recherchoit Elize ? ORMIN *bas à Clitandre*. Ouy qui part de cholere. CLITANDRE* bas à Ormin*.         Ah ! qu'il l'ait j'y consens Luy cédant de bon cœur le droit que j'y prétens. ELIZE *à Clorimant*. Dites-m'en le sujet, Monsieur, je vous supplie. CLORIMANT. Cette cause provient d'une melancolie [170], Je croy qu'en la sçachant je vous feray pitié ; J'avois fait en ces lieux une estroitte amitié Avec un Cavalier⁎ par trop digne de blasme : Car nous deux en deux corps ne possedions qu'une Ame. Pour l'autre nul de nous n'avoit rien de caché, De ce qui touchoit l'un, l'autre en estoit touché. Mais, Madame, escoutez ; justes Dieux quand j'y pense, Jamais ne fut au monde une telle inconstance⁎ ; Je vous en fait le juge, eut-il quelque raison D'user d'une si lasche⁎ & noire trahison Envers un qui l'adore ; ah ! je jure, Madame, Si, comme je l'ay dit, nous deux n'avions qu'une ame, Nous n'eussions possedé [171] tous deux qu'un mesme corps, Je l'aurois exposé sur l'heure à mille morts. Ouy j'atteste les Dieux qu'il m'eust pris cette envie Pour vanger cet affront aux despens de ma vie. Madame il m'a quitté pour suivre un estranger, Qui, comme je l'ay fait, ne sçauroit l'obliger⁎. Et qu'il ne cognoist point, & cette enorme offence, Il la veut paslier [172] du nom d'obeyssance. Nom que je trouve injuste en un cœur obligé⁎, Voyant que je ne puis estre à present vangé, De crainte tous les jours de les trouver ensemble, Bravans [173] ma passion, le meilleur ce me semble, Est de les quitter là. Que je puisse voler Pour sortir de ces lieux viste comme un esclair. ELIZE. Si de vos differents [174] vous me jugez croyable, Je ne vous trouve pas en ce poinct raisonnable ; Vous vous trompez peut-estre. Ouy je ferois serment Que vous le condamnez un peu legerement. Cét amy n'a vers vous commis aucune offence, Si tout ce qu'il a fait est par obeyssance, Comme vous confessez vous-mesme, & sans mentir Vous ne me pouvez pas sur ce poinct repartir⁎. C'est avoir peu de soin ; car dites-moy de grace, Ce que vous avez fait pour recouvrer la place Que vous aviez acquise au cœur de cet amy ? Pourquoy vous estes-vous sur ce poinct endormy [175] ? Employez en remedes, & non en larmes feintes, Les heures que sans fruit vous consommez en plaintes ; Et vous sçaurez voyant vos soupçons dissipez, Si vostre amy vous trompe, ou si vous vous trompez. CLORIMANT. Le sort en est jetté je ne m'en puis desdire. CLITANDRE. Ouy, de tous les affrons, le mespris est le pire, Je n'en ferois pas moins ; & vous avez raison De vous vanger ainsi de cette trahison. Croyez-moy, Clorimant, usez-en de la sorte. ORMIN *bas à Clitandre*. La passion, Monsieur, en ce poinct vous emporte, Vous vous delorez [176] trop. CLITANDRE* bas à Ormin*.         Nous nous entendons bien. CLORIMANT. Je ne veux pas, Messieurs, troubler vostre entretien, Je pren [177] congé de vous. ELIZE *bas à Pauline*.         Ah Pauline je pasme [178] ! PAULINE *bas à Elize*. Vous vous delorez trop, moderez vous Madame. ELIZE *bas à Pauline*. Pauline je ne puis. [POLEMAS] *à Clorimant*.         Je suis au desespoir ! En cette occasion⁎ que je n'ay le pouvoir De vous servir, Monsieur, comme je le souhaite. CLORIMANT. Pardonnez s'il vous plaist la faute que j'ay faite, C'est abuser du temps qui vous doit estre cher. POLEMAS. C'est ce qu'on ne sçauroit, Monsieur, vous reprocher. CLORIMANT. Adieu, je ne veux pas arrester davantage. OCTAVE. Puissiez-vous revenir en santé du voyage. (Clorimant sort) ### SCENE VII. POLEMAS, CLITANDRE, ORMIN, ELIZE, PAULINE, OCTAVE POLEMAS. Ce Cavalier⁎ icy sans doute me prenoit Pour homme de trafic [179]. CLITANDRE.         C'est ce qui l'emmenoit [180]. POLEMAS. Clorimant, dites-vous ? Est-ce ainsi qu'on le nomme ? CLITANDRE. Ouy, Monsieur. POLEMAS.         Il paroist fort brave⁎ Gentil-homme⁎. Pour quelque peu de temps pourrois-je vous quitter ? OCTAVE. C'est ce qu'il doit, Monsieur, que je croy souhaitter Pour pouvoir discourir avecque sa maistresse. Donnons-luy le loisir. POLEMAS.         Bien Monsieur je vous laisse, Il est juste, & mon fils a fort bonne raison. Disposez comme estant enfant de la maison. CLITANDRE. Vous me rendez confus par cét honneur extresme. (Polemas & Octave s'en vont) ### SCENE VIII. ORMIN, PAULINE, CLITANDRE, ELIZE ORMIN. Je ne sçaurois celer, Pauline, que je t'ayme. Ta maistresse & mon maistre estans tous deux rangez Dessous le joug d'Hymen nous sommes obligez De faire entre nous deux un second mariage. PAULINE. Ne t'imagine pas que je sois si volage, J'ayme, & je ne puis pas me desgager⁎ ainsi. ORMIN. Quoy ! ce nouveau soldat te met-il en soucy ? Ce procedé me semble extremement estrange, Car tu cognois assez que tu gagnes au change. Ce maraut [181] ose-t'il seulement t'aborder ? Et sans trembler de peur peut-il me regarder ? S'il l'osoit je ferois. PAULINE.     Quoy ? ORMIN.         Dieux je desespere, N'excite point de grace à ce point ma cholere, S'il s'oppose jamais au bien que je pretends [182] ! PAULINE. Ormin en ta cholere espargne les absens, S'il estoit devant toy tu serois ce me semble Un peu plus retenu, tel menace qui tremble, Ce courage estant seul, est grandement suspect. ORMIN. (Durant ce temps Clitandre & Elize sont assis sans parler) Apres un tel discours puis-je avoir du respect ? Mais à ce que je voy mon maistre & ta maistresse Sont muets, si j'osois prendre la hardiesse Je les resveillerois. PAULINE.         Pourquoy ? tu le peux bien. ORMIN. Oserois-je Monsieur troubler vostre entretien ? Aupres d'un tel object pouvez vous bien vous taire ? CLITANDRE. Ormin en luy parlant je crains de luy déplaire. Madame ne dit mot, & je me tais aussi. ORMIN *bas à Clitandre*. Vous paroissez, Monsieur, un amoureux transi [183]. CLITANDRE *en se levant*. Madame si j'osois je prendrois la licence De demander congé pour chose d'importance, Mais quoy j'offencerois en ce point mon devoir. ELIZE. Vous estes maistre icy, vous avez tout pouvoir. CLITANDRE. Je sors donc, & ce soir je vous verray, Madame. ELIZE. Faites ce qu'il vous plaist. ### SCENE IX. ELIZE, PAULINE ELIZE.         Ah, Pauline, je pasme [184] ! En cette occasion⁎, qui me peut consoler ? PAULINE. Mais, Madame, il falloit icy dissimuler, Et luy faire à l'abord un peu meilleure mine, Vous contraindre un moment. ELIZE.         Je ne sçaurois Pauline. Que ferois-je grands Dieux ? puis-je agir autrement ? Il faut bien que je meure en perdant Clorimant, Il s'absente ; à ce mot Dieux je perds la parole, Il s'en va de ces lieux, mais plutost il s'envole. PAULINE. Il faut trouver moyen de le faire arrester. ELIZE. L'honneur me le deffend, mais je le veux dompter. Ouy pour toy j'ay tout fait, Honneur, je le proteste⁎, Mais il faut que l'Amour joue icy de son reste [185]. PAULINE. Madame voulez-vous vous resoudre à ce point, Laissez-m'en le soucy, ne vous tourmentez point. Faites choix d'une amie, à qui vous puissiez dire Quelle est la passion qui cause ce martire⁎, Qui puisse vous servir en ce pressant besoing. ELIZE. Croy que pour la trouver je n'irois pas bien loing. Sans doute que Diane ayant perdu Clitandre M'en donnera du blasme, il luy faut faire entendre Que je n'ay point failly, qu'elle m'accuse à tort, Et qu'elle s'en doit prendre à la rigueur du Sort. PAULINE. C'est bien pensé, pourveu qu'elle vous soit fidelle, Il la faut supplier de le [186] mander chez elle, Feignant adroittement qu'elle luy veut parler. ELIZE. Mais en fera-t'il compte, y voudra-t'il aller ? PAULINE. Il n'y manquera pas, vous avez tort de craindre, Et là vous luy direz que l'on vous veut contraindre ; Mais que nul envers vous n'en aura le pouvoir, Et que l'Amour l'emporte au dessus du devoir. ELIZE. Mon pere, c'en est faict, pardonnez cette offence, Mon Amour est plus fort que mon obeïssance. Fin du troisiesme Acte ## ACTE IIII. ### SCENE I. CLORIMANT, DIANE, GERASTE, JULIE CLORIMANT. Est-il dessous le Ciel un plus heureux Amant ? DIANE. Ce que je vous ay dit est tres-vray, Clorimant, Je quitte cét ingrat voyant qu'il me mesprise. CLORIMANT. Ah Dieux ! par quel moyen je me vange d'Elize. Va cheris ce Rival je n'en suis point jaloux, En possedant Diane en qualité⁎ d'Espoux. DIANE. C'est moy qui doit cherir une telle alliance, Mais quoy que je m'y porte à present par vengeance, Pour punir cét ingrat, croyez que quelque jour Ma vengeance pourra se changer en Amour. Mais consultons un peu ce que nous devons faire. (Ils parlent à l'oreille) GERASTE *à Julie*. Que t'en semble Julie, es-tu point en cholere Aussi bien comme moy de perdre ton Espoux ? JULIE. S'ils veulent se vanger, Geraste vangeons-nous ; Si pour l'Amour de moy tu veux quitter Pauline, Je quitte cét ingrat. GERASTE.         Mais ne faits pas la fine, Pour me quitter apres & te mocquer de moy ? JULIE. Va sçache que je t'ayme, & que je suis à toy. CLORIMANT *à Diane*. C'est tres-bien advisé⁎ d'en user de la sorte. DIANE. J'entends quelqu'un là bas qui frappe à nostre porte. Va voir qui c'est, Julie, & reviens promptement. JULIE *sort & rentre*. Madame, c'est Elize. CLORIMANT.     Elize ? DIANE.         Ah ! Clorimant Cachez-vous là dedans, il n'est pas raisonnable Qu'elle vous trouve icy. CLORIMANT.         Se connoissant coulpable, Elle vient pour vous voir afin de s'excuser. DIANE. Cachez-vous donc de grace. CLORIMANT.         Il se faut exposer Encor à cét affront ; car l'honneur m'y convie, Quoy que pour me cacher j'ay hazardé ma vie. Madame j'obeys, & je me cache icy. GERASTE. Que deviendray-je moy ? JULIE.         Va te cacher aussi. (Ils se cachent) ### SCENE II. ELIZE, DIANE, PAULINE, JULIE, CLORIMANT & GERASTE, cachez dans une chambre voisine. ELIZE. Parce que vous avez juste subject de plainte, Je n'ay point, chere amye, en cette rude atteinte De mon cruel destin, dont je ressens les coups, Voulu chercher d'asile autre part que chez vous, Ny qu'autres que vous sçeust les secrets de mon ame. Vous direz que je suis lasche⁎ & digne de blasme, De vous avoir traittée avec tant de rigueur, Qu'apres m'avoir ouvert vostre ame & vostre cœur, Je vous ay laschement ravy vostre Clitandre, C'est un crime, ô Dieux, dont je me veux deffendre. J'ay fait cette action contre ma volonté, Mon pere m'a reduite à cette extremité. Tout mon crime envers vous n'est qu'une obeissance, Il a sur mon esprit fait une violence, A quoy je n'ay pas eu pouvoir de resister, Mais mon amour m'oblige à present d'esclater. Chere amie, aprenez jusqu'où va ma foiblesse, J'adore Clorimant, & voyant qu'il me laisse, Qu'il s'enfuit de ces lieux de crainte de me voir (M'aymant comme il me fait) [187] sous un autre pouvoir, Permettez qu'à ses yeux, & qu'en vostre presence, Je foule aux pieds l'honneur avec l'obeyssance, Je veux presentement, & dans vostre maison, Faire voir qu'on m'accuse à tort de trahison. Trouvez-le bon, Madame, & que je vous supplie D'envoyer promptement de vostre part Julie, Luy dire qu'à cette heure il vous vienne trouver, C'est l'unique moyen qui me pourra sauver. Vous verrez devant vous la chose terminée, Vous nous verrez rangez sous le joug d'Hymenée⁎, Malgré l'obeyssance, & malgré le respect Qui peut rendre l'honneur d'une fille suspect. DIANE. Vous vous estes, Madame, un peu tard advisée⁎, Vous pouvez tout sur moy, la chose estoit aysée, Clorimant est party, croyez que c'est en vain, De penser à present retarder son dessein. Ouy je l'ay veu partir les yeux baignez de larmes- De regret qu'il avoit d'abandonner vos charmes, En passant il m'a dit, Diane obligez⁎ moy De rendre tesmoignage à chacun de ma foy⁎ : Dites je vous supplie à cette ame infidelle, Que je pars de ces lieux, que je m'esloigne d'elle, Que ce fascheux sejour m'est à present fatal, Que pour ne pas souffrir⁎ cét indigne rival, Caresser tous les jours cette ingrate à ma veuë, J'ayme mieux que l'ennuy⁎ de l'absence me tuë. Et sans m'avoir donné le loisir de parler, Il est party d'icy plus viste qu'un esclair. ELIZE. A ce triste discours Dieux que je suis surprise, Clorimant est absent & tu peux vivre Elize ? Ô rage ! ô desespoir ! ô rigueur de mon sort [188]. Où Clorimant n'est plus tout pour Elize est mort. Rigoureux point d'honneur, fantosme ridicule, Execrable bourreau d'une ame trop credule, Pour observer tes loix je me prive du jour, Et pour t'avoir suivy j'ay trahy mon Amour. J'ay la vie en horreur, il faut que je m'en prive, Car Clorimant absent, croy-t'on qu'Elize vive ? Que n'ay-je, en bannissant les pleurs & les soûpirs, Lasché sans consulter la bride à mes desirs ? Tyranique devoir, respect, obeissance, Vous n'esbranlerez pas à ce point ma constance ; Il faut par une belle & hardie action, Faire paroistre icy quelle est ma passion. Il faut de tant de maux que la mort me delivre, Car Clorimant absent Elize ne peut vivre : On ne me peut forcer, mon pere ne peut point Separer nos deux cœurs que l'amour a conjoint [189]. Qu'un ennemi commun attente⁎ sur ma vie, Que par mes propres mains elle me soit ravie Si je consens jamais à cette lascheté⁎, Si je tiens des Dieux seuls ma franche⁎ volonté Peut on icy tenir ma liberté captive ? Et Clorimant absent, croy-t'on qu'Elize vive ? PAULINE. Que faites vous Madame ? ah Dieux songez à vous ! ELIZE. As-tu dessein icy d'exciter mon courroux ? PAULINE. Considerez un peu. ELIZE.         Moy que je considere ? Quoy ? PAULINE.         Madame escoutez sans vous mettre en cholere, Vostre honneur. ELIZE.         Tes discours sont icy superflus. PAULINE. Le respect. ELIZE.         Je le perds, & je n'escoute plus. Non, non, je veux mourir, si je ne le puis suivre, Car Clorimant absent Elize ne peut vivre. CLORIMANT *caché à Geraste bas*. Geraste laisse moy que je suive ses pas. GERASTE *à Clorimant bas*. Retenez vous, Monsieur, grands Dieux ne sortez pas. CLORIMANT *bas à Geraste*. Vois-tu mon heur⁎ present, & qu'Elize m'adore, Va laisse moy sortir. GERASTE.         Il n'est pas temps encore. ELIZE. Je rentre maintenant en un gouffre d'ennuis, Qui me peut consoler en l'estat où je suis ? Non, non, il faut mourir, puis que le Ciel l'ordonne ; A quoy me sert le corps si l'ame m'abandonne ? Ah mon cher Clorimant ! tu peux me reprocher, Que j'ay paru trop lente à te venir chercher. Puis que ma mort te plaist assouvy ton envie : Car Elize sans toy ne peut aymer la vie. DIANE. Madame je voudrois vous pouvoir consoler, Mais dans mon sentiment je ne sçaurois parler. JULIE *entre*. Octave monte icy, Madame, avec Clitandre. ELIZE *surprise*. (Elle entre au mesme lieu où Clorimant & Geraste sont cachez) Dieux il me faut cacher je ne m'en puis deffendre. Grands Dieux que faites vous ? ### SCENE III. OCTAVE, CLITANDRE, JULIE, DIANE, & CLORIMANT, GERASTE, ELIZE, & PAULINE, cachez dans la mesme chambre OCTAVE* bas à Clitandre en entrant*.         En cette occasion⁎ Il vous faut puissamment marquer ma passion, Dire que je l'adore, & que comme beau frere, Vous venez terminer cette importante affaire. CLITANDRE* bas à Octave*. Laissez moy ce soucy, je n'y manquerois point. DIANE. Je vous trouve insolent jusques au dernier point, D'oser avec ce front, avec cette impudence, Vous offrir à mes yeux m'ayant fait une offence, Qui par aucun moyen ne se peut reparer. CLITANDRE. Ce violent courroux ne peut long temps durer, Madame si je prends beaucoup de hardiesse, Si j'ose entrer ceans⁎, c'est qu'Octave me presse, Et c'est pour vostre bien que je vous viens trouver, Il m'accuse d'un fait dont je me veux laver. Madame excusez moy cette affaire m'importe, Vous ay-je pas parlé de l'Amour qu'il vous porte ? Vous ay-je pas priée avecque passion De vous rendre sensible à son affection ? Il veut de vostre voix recevoir la sentence, Et mourir de douleur, ou vivre d'esperance. OCTAVE. Dieux je serois, Madame, au comble de mes vœux, Si vous pouviez souffrir⁎ cét homme ambitieux, Qui brusle de desir de vous dire luy mesme, Combien il vous honnore, & combien il vous ayme. Vostre arrest⁎ quel qu'il soit terminera mon sort, Et me donnant la vie, ou me causant la mort. DIANE. De tant de soins, Monsieur, je me sens obligée⁎ ; Mais j'ay tantost ailleurs ma parole engagée. OCTAVE. Avec qui ? justes Dieux, je demeure transi⁎ ! DIANE. Avec un Cavalier⁎ qui n'est pas loing d'icy. CLITANDRE. Qu'on nomme ? DIANE.     Clorimant. CLITANDRE.     Quel Clorimant ? OCTAVE *bas*.         J'expire. DIANE. Vous cognoissez fort bien celuy que je veux dire. CLITANDRE. Celuy que je cognois est absent de ces lieux. OCTAVE. Madame, il a raison. Qu'entens-je justes Dieux ? CLITANDRE. Par ces inventions pretendez-vous, Madame, Exciter maintenant quelque trouble en mon ame ? Si vous avez dessein de me rendre jaloux Vous travaillez en vain. DIANE.         Qu'ai je affaire de vous ? N'esperez pas perfide, ame ingratte & volage, Que je vous puisse voir & souffrir⁎ davantage. J'abhore tout de vous, jusques à vostre nom, Et demain vous verrez si je vous ments ou non. OCTAVE. Clorimant est party, Madame, je le jure. CLITANDRE. Il n'est rien de plus vray. DIANE.         Dieux l'estrange imposture ! Sçachez que Clorimant n'est pas bien loing d'icy. OCTAVE. Il m'est assez aysé de m'en voir esclaircy. Je sçay bien son logis, allons y je vous prie. CLITANDRE. Allons je le veux bien, c'est une raillerie, Cela ne sçauroit estre en aucune façon. OCTAVE. De grace esclaircissons promptement ce soupçon. Grands Dieux si ce discours estoit bien veritable Seroit-il un Amant qui fust plus miserable ? CLITANDRE *bas*. Si le Ciel me reserve à ce sensible ennuy⁎, Je suis plus miserable & plus confus que luy. S'il est vray qu'elle soit à cét autre engagée, Peut-elle estre de moy plus puissamment vengée ? (Ils s'en vont) DIANE *à Julie*. Sçauroit on jamais voir deux Amans plus honteux ? JULIE. Vous les avez tuez d'un mesme coup tous deux. ### SCENE IV. ELIZE, CLORIMANT, GERASTE, PAULINE, DIANE, JULIE [CLORIMANT *apres Elize & Pauline fuyant*. Justes Dieux quels dédains vous me faites paroistre, Qui vous oblige à fuyr ? ELIZE.         Veux-tu me laisser traistre. CLORIMANT. Considerez, mon Cœur, que de tous les Amans Je suis le plus fidelle. ELIZE.         Ah perfide ! tu ments. Oses-tu bien, ingrat, me tenir ce langage ? CLORIMANT. Qui vous peut obliger à ce cruel outrage ? Vous me venez chercher, & quand vous me trouvez, Vous fuyez ma rencontre, ou bien vous me bravez⁎. ELIZE. N'excite pas encor à ce poinct ma cholere, Devrois-tu pas rougir, infidelle, & te taire, Apres t'avoir fait voir que je n'ayme que toy, Apres t'avoir rendu ces preuves de ma foy⁎. Apres avoir cognu que je bruslois d'envie D'abandonner pour toy l'honneur mesme & la vie Le respect, le debvoir, estant ce que je suis, En te venant chercher perfide tu t'enfuys. Et pour mieux faire voir ton ame desloyalle Je te trouve caché chez ma propre rivale, Qui par la lascheté⁎ d'un traistre suborneur⁎ Pense eslever sa gloire, & bastir son bon-heur Par les débris d'autruy sur ma propre ruine. Quoy ! dois-je encor aymer celuy qui m'assassine ? M'inquieter pour luy, ne l'imagine pas, Va j'ay trop fait pour toy tu t'en repentiras. Pour t'oster tout espoir je te veux faire entendre Que je n'auray jamais d'autre espoux que Clitandre. Avant qu'il soit une heure, il recevra ma foy⁎. Adieu perfide ingrat. CLORIMANT.         Madame escoutez moy. ELIZE. Que veux tu que j'escoute esprit lasche⁎ & volage ? Oses-tu repartir⁎ ? est-ce là ce voyage Que l'on ne pouvoit pas retarder d'un moment ? CLORIMANT. Madame ayez pitié d'un miserable Amant, Qui veut mourir s'il perd vostre beauté divine. GERASTE. Vous perdez vostre temps. Toy que dis tu Pauline ? (Elle s'en va) Feras-tu comme luy [190] ? Veux-tu m'abandonner ? PAULINE. Ne viens pas davantage icy m'importuner, Julie aura pour toy la grace plus charmante. Ay-je si peu de cœur que je ne me ressente [191] D'une si detestable & noire trahison ? Puis que je t'ay trouvé caché dans sa maison. Je ne te veux ny voir ny parler de ma vie. ### SCENE V. CLORIMANT, DIANE, JULIE, GERASTE CLORIMANT. Acheve-moy cruelle, assouvy ton envie. (À Diane) Madame permettez que je suive ses pas. DIANE. Escoutez Clorimant. CLORIMANT.         Non je ne le puis pas. Madame il faut mourir, ou fleschir ma cruelle. JULIE* à Geraste*. Geraste que dis-tu ? veux-tu m'estre infidelle ? Veux-tu comme ton maistre estre ingrat. GERASTE.         Laisse moy. Je veux suivre Pauline & luy garder la foy⁎. (Ils s'en vont) ### SCENE VI. DIANE, JULIE DIANE. Que dis-tu de cela ? vois-tu comme on nous traitte ? JULIE. Vous n'estes pas je croy plus que moy satisfaicte. Mais dites moy Madame, aymez vous Clorimant ? DIANE. Clitandre est à mes yeux encore plus charmant. J'auray pour son subject tousjours mesme tendresse, Quoy qu'inconstant⁎ pourveu qu'Elize me le laisse. ### SCENE VII. ORMIN, CLITANDRE de nuit ORMIN. Pensez y mieux Monsieur, pourquoy desirez vous De deux hommes d'honneur exciter le courroux ? Ne leur avez vous pas la parole donnée D'accomplir aujourdhuy cét heureux Hymenée⁎, Le sort en est jetté vous reculez en vain. CLITANDRE. Je leur ay demandé terme jusqu'à demain. Pour te dire le vray j'ay peine à m'y resoudre, Et je veux si je puis tascher à le dissoudre. ORMIN. Comment le pourrez vous ? CLITANDRE.         Je leur veux demander Plus qu'ils ne m'ont promis. ORMIN.         C'est mal y [192] proceder. Cette action Monsieur n'est point d'un honneste homme, Vous ne leur avez point demandé d'autre somme Avant que de [193] conclure, & maintenant pourquoy Sans raison voulez-vous desgager⁎ vostre foy⁎ ? Que dira-t'on de vous ? CLITANDRE.         Tout ce qu'on voudra dire, J'ay fait presentement dessein de leur escrire Que je suis resolu de ne l'espouser pas, Si l'on n'adjouste encor quatre mille ducats A la somme promise avant le mariage. Ils diront que je suis inconstant⁎ & volage, Perfide, desloyal, & lasche⁎ au dernier point, Qu'ils disent encor pis il ne m'importe point. Ouy je souffriray⁎ tout bien plustost que le blasme Que j'aurois d'avoir pris par contrainte une femme. ORMIN. Vous avez tort Monsieur, car vous l'avez voulu. CLITANDRE. Tay toy je suis, te dis-je, à ce point resolu. ORMIN. C'est d'Octave par trop irriter la colere. CLITANDRE. Octave, me dis-tu, que me sçauroit il faire ? Ma Diane a pour moy de plus charmants appas, Elle brusle pour moy, l'autre ne m'ayme pas. Allons la voir, allons repaistre nostre veuë, Des celestes appas dont le Ciel l'a pourveuë. ORMIN. (Clorimant & Geraste sortent) [194] Il est bien tard Monsieur, regardez qu'il est nuit. CLITANDRE. Allons soupper devant [195] retirons-nous sans bruit. ORMIN. C'est fort bien dit Monsieur, je vais à la cuisine. ### SCENE VIII. CLORIMANT, GERASTE de nuit CLORIMANT. Geraste escoute un mot, dis-tu pas que Pauline Te veut entretenir cette nuit ? GERASTE.         Ouy Monsieur, Mais j'y dois aller seul. CLORIMANT.         Que t'importe, as-tu peur ? GERASTE. Ouy, car facilement on vous pourroit cognoistre, Elle me doit tantost parler à la fenestre. Retirez-vous, Monsieur, on ouvre que je croy. CLORIMANT. Non, je luy veux parler Geraste au lieu de toy. GERASTE. Mais ce que vous voulez ne sçaurois-je luy dire. CLORIMANT. Comme moy tu ne peux exprimer mon martire⁎. ### SCENE IX. ELIZE & PAULINE à la fenestre de Clorimant, & Geraste à la ruë ELIZE. Geraste doit-il pas te venir voir icy ? PAULINE. Madame je l'attens & croy que le voicy. ELIZE. Retire toy ; je veux luy parler en ta place [196]. PAULINE. Luy diray-je pas bien ? ELIZE.         Tu n'auras pas la grace D'exprimer ce que j'ay dans l'ame, cache toy. Est-ce pas toy Geraste ? CLORIMANT.         Ouy Pauline, c'est moy : (Bas) C'est Elize à la voix je l'ay bien recognuë. ELIZE. (Bas) C'est Clorimant sans doute, ou je suis bien deceuë⁎. C'est luy mesme, voyez quel pouvoir a l'amour ? [197] CLORIMANT *bas*. Je recognois Elize aussi bien qu'en plein jour. ELIZE. Dy que fait Clorimant, Geraste, mais peut-estre, Que tu ne voudras pas parler contre ton maistre. Je sçay que tu prens part dedans son interest, Estant aussi volage & perfide qu'il est. Quoy demander que fait cette ame desloyalle, Il trahit ma maistresse, il est chez sa rivalle. Sçavons nous pas que rien ne peut les desunir, Et tu viens cependant icy m'entretenir. Mais peux-tu bien, Geraste, abandonner Julie ? CLORIMANT. Mon maistre aymer Diane ? ah Dieux quelle folie. Tu te trompes Pauline, & crois qu'il n'en est rien. ELIZE. Pourquoy veux-tu nier ce que je sçay fort bien ? L'avons nous pas trouvé n'agueres [198] avec elle ? CLORIMANT. Tu l'imites Pauline, en m'estant infidelle, Je sçay que tu cheris cét Ormin mon rival, A qui ce fer icy bien-tost sera fatal : Mais tay toy je sçay bien à qui je m'en dois prendre. ELIZE. Tu veux dire en effet qu'Elize ayme Clitandre, Mais peux tu bien, Geraste, excuser Clorimant S'il dit qu'il n'ayme pas Diane, asseurement : Tu sçais bien en ce point qu'il celle ce qu'il pense [199]. CLORIMANT. Il mourroit de regret en cette longue absence, Et l'on verroit ses sens de tous points interdits⁎ S'il la quittoit l'aymant ainsi comme tu dis. ELIZE. Il ne s'en ira point : CLORIMANT.         Quoy Pauline es-tu folle Il ne s'en ira point ? non, car croy moy qu'il volle. Il est bien loing d'icy. ELIZE.         Te mocques-tu de moy ? CLORIMANT. Mais te suis-je suspect, doutes-tu de ma foy⁎ ? ELIZE. Si tu dis vray, pourquoy t'a t'il laissé derriere ? CLORIMANT. Il me laisse en ce lieu pour un certain affaire [200] Qu'il m'a recommandé. ELIZE *bas*.         Ah Dieux ! comme aysément En cette occasion⁎ j'abuse⁎ Clorimant. Et luy tout au rebours croit de [201] m'avoir trompée. CLORIMANT *bas*. Elle me croit absent, elle est bien attrapée. ELIZE* bas*. S'il pense me surprendre⁎ il l'entreprend en vain. CLORIMANT. Je m'en vay le trouver, je partiray demain, Si ta maistresse veut luy mander quelque chose Au moins sçache-le d'elle ? [202] ELIZE.         Ah Geraste je n'ose, Elle s'en veut deffaire & le laisser aller, Elle ne veut jamais le voir n'y luy parler. Quoy demain sans faillir elle espouse Clitandre. La chose est resoluë. CLORIMANT.         Ah que viens-je d'entendre ? Elle espouse Clitandre ? est-il dessous les Cieux Homme plus miserable ; oze-t'elle à mes yeux, Commettre cette lasche⁎ & noire perfidie ? Dy luy. ELIZE.         Que veux-tu donc encor que je luy die [203] ? CLORIMANT. Qu'elle trahit, Pauline, un tres-fidelle Amant Qu'elle est … ELIZE.     Tout beau⁎ Geraste. CLORIMANT.         Ah je suis Clorimant, Que la perfide Elize à sa fureur immole. ELIZE. Qui Clorimant absent, qui Clorimant qui vole. Qui s'enfuit de ces lieux plus viste que le vent. CLORIMANT. J'estois absent d'Elize, encore que present, Car l'oubly se peut bien comparer à l'absence. Elize m'oubliant, c'est une consequence Que j'estois absent d'elle, & que je perds le sens Songeant à cette injure, & pour toy qui m'entends Qui voit mon desespoir dis à cette infidelle Qu'il n'est rien plus volage & plus inconstant⁎ qu'elle, Qu'elle est une perfide une … ELIZE.         Tout beau⁎ c'est moy. CLORIMANT. Je te cognoissois bien, ame ingratte & sans foy⁎, J'ay feint de m'en aller, perfide, je le jure Que ce que j'en disois n'estoit qu'une imposture, Je te quitte à present me sentant outragé, Mais croy qu'auparavant je veux estre vangé, Et pour ne garder rien d'un esprit si volage Tien [204] voilà tes escrits que j'immole à ma rage Tes cheveux, ton pourtraict. GERASTE.         Monsieur que faites vous ? CLORIMANT. Pourquoy me retiens tu ? GERASTE.         Moderez ce courroux, Et ne les rompez pas, apres cette cholere Vous mourriez de regret. CLORIMANT.         Quand je le considere Tu dis vray, mais as-tu quelques papiers sur toy. GERASTE. J'ay des cartes, Monsieur. CLORIMANT.         Bon, bon, donne les moy. (Il luy donne des cartes. Il les rompt) Tien [205] je romps le pourtraict de cette ingratte Dame, Que je veux encor mieux effacer de mon ame. Et ces escrits tesmoings de ses legeretez, Pleins de discours trompeurs, pleins d'infidelitez, Qui me reprocheroient à toute heure ton crime, A ma juste fureur serviront de victime. Tout ce que j'ay de toy, je le laisse, & je veux Jetter encor au vent tes indignes cheveux. Et pour plus grand mespris je veux avoir la gloire De bannir de mon cœur jusques à ta memoire [206]. Adieu perfide, adieu, je sors de ton pouvoir, Et n'imagine pas de jamais me revoir. ELIZE. Ne t'en va pas mon cœur, escoute une parole. CLORIMANT. Non je ne l'entends point d'une qui la viole. PAULINE* à Geraste*. Et toy Geraste aussi, veux-tu quitter ce lieu ? GERASTE. (Il s'en va) Ouy perfide, & te dire un eternel adieu. Tien [207] voilà ton pourtraict, pour avec ton image Perdre le souvenir d'un objet⁎ si volage, Tes escrits, tes rubans, tes indignes cheveux, Et je vay dans le vin esteindre tous mes feux⁎. Tu t'en repentiras, je jure aussi bien qu'elle. ### SCENE X. PAULINE, ELIZE ELIZE. Il est le seul coupable & me fait criminelle. PAULINE. Ils sont partis Madame. ELIZE.         Ah si je ne sçavois Que ce n'est pas, Pauline, icy la seule fois Qu'il fait le furieux, qu'il part & qu'il demeure, Je croy qu'assurément je mourrois tout à l'heure⁎. PAULINE. Il n'ira pas bien loing, ce n'est rien qu'un destour [208], Pour faire rapprocher de plus pres son amour. C'est comme un papillon qui fuit & bat de l'aile, Et qui se vient en fin brusler à la chandelle. Il a devant les yeux un trop obscur bandeau [209], C'est comme un ciel couvert qui nous menace d'eau Dont pourtant on ne voit jamais tomber la pluye. ELIZE. Ah ! Pauline, je crains. PAULINE.         Ne craignez pas qu'il fuye. ELIZE. Mais il vient à mes yeux de rompre mes escrits, C'est ce qui me surprend, & trouble les esprits, Je ne le celle point, cela me met en peine [210]. PAULINE. Il ne s'en ira point la chose est tres-certaine, Il est trop enchaisné de vos divins appas. ELIZE. De peur d'un accident⁎, va promptement là bas, Ramasse ces escrits ; grands Dieux je desespere ! Ils pourroient aysément estre veus de mon pere. PAULINE. Bien Madame, j'y vay. (Elle sort) ELIZE.         En l'estat où je suis, Grands Dieux retirez moy de ce gouffre d'ennuis. (Pauline à la ruë avec une chandelle, & Elize à la fenestre) ELIZE. Est-il possible, ô Dieux ! qu'il m'ait fait cette injure, Ramasse ces papiers. PAULINE.         Des papiers je vous jure Que je n'en voy pas un. ELIZE.         Qu'est-ce que je voy là ? PAULINE. Une carte rompuë. ELIZE.     Aporte. PAULINE.         Là voilà. ELIZE. Que porte-t'elle ? PAULINE.     Rien. ELIZE.         Ah Pauline regarde. PAULINE. Je voy bien ce que c'est. ELIZE.     Quoy ? PAULINE.         C'est la hallebarde [211] Du Valet de carreau. ELIZE.     Que dis-tu ? PAULINE.         Que voicy Le bas du Roy de trefle. ELIZE.     Et l'autre ? PAULINE.         C'est icy L'as de cœur. ELIZE.         Vois-tu point quelque pourtrait, Pauline ? PAULINE. Ouy, je tiens une teste elle s'appelle Argine. Madame c'est le haut de la Dame de cœur. ELIZE. Sans doute Clorimant est de jolie humeur, Il se mocque de nous la chose est evidente. PAULINE. L'invention, Madame, est certes excellente. ELIZE. Monte, viens te coucher. PAULINE.         Me coucher ! il est jour. [ELIZE]. Clorimant tu ne peux desmentir ton amour. Va je ne te crains plus, & croy, quoy que tu faces, Qu'à present je me ry de toutes tes menaces. Fin du quatriesme Acte ## ACTE V. ### SCENE I. POLEMAS, OCTAVE OCTAVE. D'où vient que je vous voy, Monsieur si tost levé ? POLEMAS. Comme je m'esveillois ce matin, j'ay trouvé Ce billet que voicy, de la part de Clitandre, Je croy que tu seras aussi surpris d'entendre Ce qu'il m'escrit que moy, lors que tu l'auras leu. OCTAVE. Encore que mande-t'il ? POLEMAS.         Je n'eusse jamais creu Qu'un Cavalier⁎ d'honneur fust parjure ny lasche⁎, Et procedast si mal, mais ce qui plus m'en fasche⁎, Est que tout Paris sçait maintenant nostre accord. OCTAVE. Sçauray-je point que c'est [212] ? POLEMAS.         Ah Clitandre a grand tort. Allons trouver ta sœur, tu sçauras devant elle Le sujet qui me trouble, & me met en cervelle [213], Elle sera surprise aussi bien comme moy. OCTAVE. Il est un peu matin, & ma sœur que je croy Ne peut pas à cette heure estre encor esveillée. Mais la voicy qui sort, mesme toute habillée. ### SCENE II. POLEMAS, ELIZE, PAULINE, OCTAVE POLEMAS. Ma fille quel sujet vous fait veiller ainsi ? ELIZE. Je ne sçaurois dormir. POLEMAS.         Si c'est pour le soucy⁎ Que vous cause l'amour de vostre Espoux Clitandre, Ma fille je vous veux en trois mots faire entendre Que vous n'y pensiez plus. Voyez ce qu'il m'escrit. ELIZE. N'importe cét amour trouble peu mon esprit. Mais encor que dit-il ? POLEMAS.         Sçachez que cét infame⁎ Plus amoureux cent fois des biens que d'une femme Vous veut bien espouser, mais à condition (Voyez jusqu'à quel poinct monte sa passion, Et de quelle façon il vous cherit Elize) Qu'il veut avoir de plus, que la somme promise, Quatre mille ducats. ELIZE.         Grands Dieux que dites-vous ? POLEMAS. C'est ce que par ce mot me mande vostre Espoux. OCTAVE. Ah l'infame⁎ qu'il est de cét esprit volage, Pouvez-vous esperer, Monsieur, un moindre outrage. Il ne me surprend point, il use tous les jours De mesme perfidie & d'aussi lasches⁎ tours. On me l'avoit bien dit. POLEMAS.         Voilà comme il vous ayme. ELIZE. Je ne le celle point, la surprise [214] est extresme, Mais que resolvez vous en cette extremité ? POLEMAS. Que sçaurois-je respondre à cette lascheté⁎ ? Il faut bien quitter-là ce traistre, ce parjure. ELIZE. Mais qui reparera nostre commune injure ? L'affaire est d'un tel poids, qu'elle merite bien D'y songer meurement, & de n'espargner rien. Sçachez que cét affront passe la raillerie, Il y va trop du mien [215], ah Monsieur je vous prie, De considerer mieux ce qu'on dira de moy. Chacun sçait dans Paris qu'il m'a donné la foy⁎. Qu'aujourd'huy l'on devoit terminer l'hymenée⁎, Dont nous avons tous deux la parole donnée, Qui pourroit empescher un chacun aujourd'huy De faire un jugement⁎ advantageux pour luy. Qui me pourroit combler de honte & d'infamie ? Je serois bien, Monsieur, de moy-mesme ennemie, Si je pouvois souffrir⁎ qu'un traistre, un affronteur [216], Par discours médisants offençast mon honneur. Monsieur, à deux genoux j'implore vostre grace. POLEMAS. Mais, ma fille, dy moy que veux-tu que je face ? ELIZE. Accordez-luy, Monsieur, tout ce qu'il veut avoir. POLEMAS. Elize, sçais-tu bien si j'en ay le pouvoir ? ELIZE. Vous ne pouvez, Monsieur, de ce point vous deffendre : Vostre honneur vous y force. POLEMAS.         Il me faudroit donc vendre Jusques à ma maison pour y pouvoir fournir. Où me tiendrois-je [217] apres ? ELIZE.         Vous vous pouvez tenir. Aysément avec moy. POLEMAS.         Mais que dira ton frere ? OCTAVE. Ne laissez pas, Monsieur, de terminer l'affaire, Si Diane est à moy je me tiens trop heureux. POLEMAS. Bien doncques [218] j'y consens, vous le voulez tous deux, Mais où si promptement puis-je avoir cette somme ? OCTAVE. Laissez-m'en le soucy, je cognois bien un homme, Si vous vous obligez⁎, qui nous rendra contens ; Cét homme a de l'argent. POLEMAS.         Va, ne perds point de temps. Puis va-t'en aussi-tost au logis de Clitandre, Dy luy que pour avoir l'heur⁎ de le voir mon gendre, J'ay fait tous mes efforts pour le rendre content, Que je luy veux donner la somme qu'il pretend [219], Mais à condition que sans plus de remise⁎, Il sera ce matin joint à ta sœur Elize. Je m'en vay convier mes amis de ce pas, Fay qu'il vienne avec toy. OCTAVE.         Je n'y manqueray pas. ELIZE *bas en s'en allant*. Puis que ta lascheté⁎ se fait ainsi paroistre, Amour fay qu'aujourd'huy je me vange du traistre. ### SCENE III. CLITANDRE, ORMIN CLITANDRE. C'en est fait me voilà maintenant desgagé⁎, J'ay d'Elize & du pere aujourd'huy pris congé, Ma lettre que je croy leur aura fait entendre Qu'ils ne doivent plus rien esperer de Clitandre, Non, non, ce n'est plus vous, Elize, que je sers, Je me vay renchaisner dedans mes premiers fers. ORMIN. Tout bien consideré, ce procedé m'estonne, Songez à vous, Monsieur, je sçay bien que personne N'approuvera jamais une telle action. CLITANDRE. Il n'importe, il suffit, je suy ma passion. Que sert plus d'y penser puis que la chose est faite ? ORMIN. La conduisent les Dieux [220] ainsi que je souhaite. CLITANDRE. Entrons donc chez Diane. ORMIN.         Elle sort je la voy. ### SCENE IV. CLITANDRE, DIANE, ORMIN, JULIE DIANE. Que veut dire cela ? Clitandre entrer chez moy ? Avez-vous bien encor assez de hardiesse ? Apres avoir acquis Elize pour Maistresse, Apres m'avoir traittée avec tant de mespris, D'oser entrer ceans⁎ ? vous vous estes mespris. Vous prenez ce logis pour la maison d'Elize ? CLITANDRE. Considerez, madame, avec quelle franchise Je vous dy mes pensers, & vous ouvre mon cœur. Je rentre sous les fers de mon premier vainqueur, Elize n'eut jamais pour me vaincre des armes, Qui peussent égaler le moindre de vos charmes : Aussi n'ay-je jamais eu rien de mon costé Qui peust porter mon cœur à l'infidelité. J'adore vos appas, tant qu'il m'est impossible Que pour un autre object je devienne sensible. Je confesse avoir feint d'aymer en autre lieu [221], Mais j'ay brisé mes fers, je viens de dire adieu. Me voilà delivré de ce fascheux servage⁎ Qui m'avoit pres de vous fait passer pour volage. Ne traittez pas Clitandre avec tant de rigueur, Et luy rendez la place acquise en vostre cœur. Acceptez derechef sa nouvelle franchise, Et ne luy reprochez jamais l'amour d'Elize, Puis qu'il proteste⁎ icy, madame, à deux genoux, Qu'il meurt pour vos appas, & n'adore que vous. DIANE. Comment pourrois-je croire, ame ingrate & volage, Qu'on peut en un moment dissoudre un mariage ? Un contract bien passé ? sans doute tu pretends De nouveau m'abuser⁎, & surprendre⁎ mes sens. CLITANDRE. J'ateste⁎ les beautez qui vous rendent aymable⁎, Que je ne vous dy rien qui ne soit veritable. Et vous puis asseurer qu'il ne tiendra qu'à vous Que je ne vous possede en qualité⁎ d'Espoux. DIANE. Je ne me repais point de ces discours frivoles, Comment ? je me fierois encor à tes paroles ? Ne t'imagine pas que je puisse en effect Te pardonner ainsi l'affront que tu m'as faict. CLITANDRE. Madame, au nom des Dieux calmez vostre colere, Accordez-moy ce poinct. DIANE.         Non, je ne le puis faire. Je suis trop irritée. CLITANDRE.         Et bien posons le cas Que j'aye [222] justement merité le trespas, Demandant à genoux pardon de mon offence Ne l'obtiendray-je point ? DIANE.         Clitandre quand j'y pense Je ne sçaurois pour tout endurer ces mespris. Mais si tu veux un peu remettre mes esprits, Dy moy du mal d'Elize. CLITANDRE.         Ah justes Dieux ! Madame, Pourquoy desirez vous que j'endure le blasme Que l'on me donnera de la traitter ainsi. DIANE. Clitandre je le veux, & te l'ordonne aussi Pour refaire ta paix, c'est l'unique remede. CLITANDRE. J'obey donc, Madame, Elize est sotte & laide, Élize n'eut jamais de grace ny d'attraits. Elle déplaist de loing, mais encor plus de prez. Je suis son ennemy, je fais gloire de l'estre, Nul homme ne sçauroit l'aymer, & la cognoistre, Et pour dire en un mot, Elize est à la Cour Un objet de pitié, bien plustost que d'Amour. DIANE. Je te pardonne tout. (Ils devisent bas ensemble) ORMIN *à JULIE*.         Pour rentrer en ta grace, Dy moy ? qu'est-il besoin à present que je face ? JULIE. Dy du mal de Pauline, & puis je suis à toy. ORMIN. Pauline je le jure est un objet d'effroy, Son visage basty d'une façon estrange, Me semble long & large, ainsi qu'une lozange [223], Et croy que je pourrois tant je le trouve laid En quatre coups de serpe en former un mieux fait. Ses gestes tout contraincts sont de mauvaise grace, Elle ne peut ouvrir la bouche sans grimace, Elle est, & plate, & seche, & grande comme un four, Et croy qu'on oublia lors qu'elle vint au jour, À [224] luy faire une bouche, & qu'apres la Nature, Sous le nez d'un razoir luy fit cette ouverture, Quand elle rit son nez en grandeur nompareil, Peut marquer sur ses dents un quadran au soleil [225], Son corps sec & ridé ressemble un vray squelette [226], Elle a la taille faite ainsi qu'une levrette, On peut innocemment avec elle coucher, On n'y trouveroit pas un seul morceau de chair. Et croy qu'en luy coupant le derriere & la pance, On pourroit l'enterrer dans l'estuy d'une lance. JULIE. Pourveu que tes discours, Ormin, ne soient pas feints, Qu'elle soit à tes yeux comme tu la dépeins, Je n'y puis resister, ta grace t'est acquise. DIANE *à CLITANDRE*. Je ne vous trouve pas trop bien deffait d'Elize, Si l'on luy donne encor quatre mille ducats. CLITANDRE. Quand mesme il le voudroit, son pere ne peut pas. JULIE. J'entens monter quelqu'un, Madame, c'est Octave. CLITANDRE. Il vient pour m'attaquer, il vient faire du brave. ### SCENE V. OCTAVE, DIANE, CLITANDRE, ORMIN, JULIE OCTAVE* à Clitandre*. Comme je vous cherchois, quelqu'un m'a dit Monsieur, Que vous estiez ceans⁎, pourrois-je avoir l'honneur De luy dire deux mots, avec vostre licence. DIANE. Ouy pourveu que ce soit, Octave, en ma presence. OCTAVE. Madame je le veux, il ne m'importe pas. Vous demandez encor quatre mille ducats, Quoy que ce procedé me semble fort estrange Voyant que tous les jours vous vous portez au change⁎, Je n'examine point si fort vos actions, Ny quel est le motif de vos intentions. Il suffit seulement de dire que mon pere, Quoy qu'il puisse arriver veut terminer l'affaire, Et si vous estimez tellement l'interest, Venez avecque moy vostre argent est tout prest ; Mon pere veut avoir absolument pour gendre Un tel homme que vous ; & sçachez, cher Clitandre, Qu'à ce dessein ma sœur l'a puissamment porté, Il est advantageux pour vous. De mon costé, J'ay tant que je l'ay peu secondé cette envie, Il ne m'importe pas de moins que de la vie. Vous m'entendez assez, & vous sçavez pourquoy, Mais il vous faut venir promptement avec moy, Car ma sœur vous souhaitte avec impatience. CLITANDRE *à Diane*. Qu'en dites vous Madame ? DIANE.         Ah Dieux quelle impudence ! Osez vous sans rougir me tenir ce discours ? CLITANDRE. Si vous n'estes encor l'object de mes amours, Que je puisse perir. Mais voulez vous, Madame, Qu'en cette occasion⁎ je passe pour infame⁎ ? J'ay donné ma parole, & croyez s'il vous plaist, Que ce n'est point l'Amour, moins encor l'interest, Quoy que vous en pensiez, qui m'oblige à ce faire [227]. DIANE. Impudent imposteur. CLITANDRE.         Vous estes en colere ; Je souffre⁎ tout de vous, mais Madame escoutez, Car je ne diray mot si vous vous emportez. Dites moy, voulez vous qu'à present je viole Les serments que j'ay faits, j'ay donné ma parole : Et cette lascheté⁎ seroit à reprocher, Aux personnes d'honneur qui n'ont rien de plus cher. DIANE. Vous brassiez [228] dés long temps une telle alliance, Vous estiez contre moy tous trois d'intelligence : Je vous entends fort bien : [229] OCTAVE.         Madame au nom des Dieux Moderez ces transports⁎, & tournez ces beaux yeux Vers moy qui vous adore, & qui brusle d'envie De hazarder pour vous, & l'honneur & la vie. Voyez sans envier le bon-heur de ma sœur [230], Si Clitandre à present en devient possesseur. Faites qu'à tant de bien aujourd'huy je succede [231], En me cédant ses droicts qu'Octave vous possede. DIANE. Si Clitandre Monsieur, n'en avoit point parlé, Je vous escouterois, mais il s'en est meslé, Et le sujet qui fait que je n'y [232] puis entendre [233], Est que je ne veux pas m'allier de [234] Clitandre. OCTAVE. Je ne perds pas l'espoir, Madame, quelque jour, Vous recompenserez un si fidelle amour, Ne l'importunons plus, sortons d'icy mon frere. CLITANDRE. J'en suis au desespoir, mais je n'y puis que faire [235]. ORMIN. Julie en te quittant je fay ce que je doy Tu n'aurois pas raison de te plaindre de moy, Pourrois-je justement abandonner mon maistre ? JULIE. Je n'attendois pas moins d'un perfide & d'un traistre. ### SCENE VI. DIANE, JULIE JULIE. Encor que dites-vous de cette lascheté⁎ ? DIANE. Pense-t'il me braver⁎ avec impunité ! Ah Dieux, vit-on jamais femme plus outragée ? Le perfide se vange, apres m'estre vangée, Ah que n'ay je traitté cét infidelle Amant Aussi bien à la fin comme au commencement ? Qu'en cette occasion⁎ j'ay paru mal habile, Hé Dieux que nostre sexe est leger & fragile, Et que celle de nous qui prend le plus de soins D'agir avec esprit, monstre en avoir le moins. Qui doy-je maintenant implorer à mon ayde ? Clorimant est parti, la chose est sans remede, C'est luy seul en ce cas qui pourroit me vanger, Mais puis qu'il est absent, il n'y faut plus songer. JULIE. Madame le voilà. DIANE.         Te mocques⁎ tu Julie ? Ma joye est à present de tout point accomplie. ### SCENE VII. CLORIMANT, DIANE, GERASTE, JULIE JULIE. Quoy vous estes icy Clorimant ? justes Dieux ! CLORIMANT. Madame je feignois de partir de ces lieux, Afin de me vanger d'une Dame infidelle. Mais je suis appaisé, je ne me plaints plus d'elle. J'ay sceu que l'on avoit forcé la volonté De cette incomparable & parfaite beauté : Mais que je n'en dois plus avoir aucun ombrage⁎, Madame on a rompu ce fascheux mariage, Qui nous causoit icy tant de peine⁎ à tous deux : Je vois en ce moment renaistre tous mes feux, Puis que je voy renaistre un rayon d'esperance, De recueillir les fruits de ma perseverance. Vous y participez, madame, que je croy. DIANE. Justes Dieux ! Clorimant, vous mocquez vous de moy ? Vous ignorez encor comme va cette affaire, Vous estes bien trompé, car Clitandre & son frere Vous sçavez bien qui c'est, je nomme Octave ainsi Ne font presentement que de sortir d'icy, Qui de telle façon sont concertez ensemble, Qu'ils ne se peuvent pas separer ce me semble. Le pere vouloit rompre, estant fort irrité Du refus de Clitandre & de sa lascheté⁎. Mais Elize a tant fait, que sur l'heure son pere, En dépit qu'il en eut a terminé l'affaire, Et dans une heure au plus Clitandre … CLORIMANT.         Ah taisez vous. DIANE. Sera n'en doutez point son legitime espoux. CLORIMANT. A ce mot justes Dieux, je manque de parole, Mais si facilement Elize s'en console. Quoy que d'un feu cuisant je me sente brusler, Je l'imite Madame, & me veux consoler. DIANE. Si vous l'estes d'Elize, ah je vous fais entendre. Que je le suis encor beaucoup mieux de Clitandre. CLORIMANT. Si je vous veux aymer, dites, m'aymerez vous ? Et vous puis-je pretendre [236] en qualité⁎ d'Espoux ? DIANE. Je vous l'ay dit tantost, & vous le dis encore. CLORIMANT. Je suis trop glorieux, ô beauté que j'adore, De nouveau je me veux avec vous engager. DIANE. C'est l'unique moyen de nous pouvoir vanger. CLORIMANT. Ouy Madame en un mot j'ay l'ame traversée⁎ De voir une amitié si mal recompensée. Cette legereté⁎ m'offence & je suis las, De me voir tous les jours dans un tel embarras, Je vous donne la main, & demande la vostre. DIANE. Monsieur je suis à vous ; & renonce à tout autre. CLORIMANT. Madame allons au temple [237] ; & faisons devant eux Accomplir nostre hymen. DIANE.         Clorimant je le veux. C'est ainsi que je veux me vanger de ce traistre. GERASTE. Julie où songes tu ? ferons nous pas parestre Qu'aussi bien comme ils font nous nous pouvons vanger ? JULIE. Ouy va je suis à toy, si tu veux m'obliger⁎ De m'aymer à jamais, & de m'estre fidelle. GERASTE. Ouy je te le promets. CLORIMANT *bas à Geraste*.         Dis à cette cruelle Que je suis à Paris & ne l'ay point quitté. Qu'icy j'ay recognu son infidelité. Qu'elle espouze Clitandre, & dy qu'à son exemple, Avecque mes parents à present dans le temple, Dessous les mesmes loix je m'en vay me ranger, Et me joindre à Diane afin de me vanger. ### SCENE VIII. POLEMAS, CLITANDRE, ELIZE, PAULINE, ORMIN, OCTAVE, & accompagnement POLEMAS. Des sieges promptement, sçachez mon cher Clitandre, Que le desir que j'ay de vous avoir pour gendre, Et le ressentiment [238] de tant d'affection Que ma fille tesmoigne à vostre occasion⁎ M'ont fait faire un effort par dessus ma puissance, Et puis que tout le monde en avoit cognoissance Je luy serois peut-estre un subjet de mespris Si je n'achevois pas cét hymen entrepris. CLITANDRE. Jamais pour desirer des biens de la fortune Je n'eusse fait Monsieur de demande importune, Mais l'advis des parents qui sont interessez Ont contre mon amour mes sentiments forcez. POLEMAS. Laissons ces differents [239] & terminons l'affaire. PAULINE *bas à Geraste*. (Geraste entre qui tire Pauline) Quoy Geraste à Paris, hé que pense tu [240] faire, Qui t'emmene [241] en ces lieux ? GERASTE.         Pauline escoute icy Je te veux dire un mot. (Il luy parle à l'oreille) POLEMAS. (La compagnie [242] entre)         Courage les voicy. Messieurs nous n'attendions pas vostre compagnie, Afin d'authoriser cette ceremonie. PAULINE. Je vay trouver Elize, attend [243]. POLEMAS. (Pauline parle à l'oreille d'Elize, & vient dire à Geraste)         Assayons [244] nous, Il ne manque plus rien nous sommes icy tous. PAULINE *bas à Geraste*. Ma maistresse m'a dit que je te face attendre. POLEMAS. Allons donc promptement, vous plaist-il pas Clitandre. CLITANDRE. J'en suis content. ELIZE *à Polemas*.         Monsieur avant que de [245] jouir De ce bien, faites moy la faveur de m'ouir. POLEMAS. Parlez je vous entends. ELIZE.         Monsieur j'ay lieu de craindre Que Clitandre à la fin n'ait subject de se plaindre : Car pour dire le vray vous n'aviez pas raison, Pour l'avoir rencontré dedans une maison, Pour la premiere fois de le vouloir surprendre⁎ Pour par force aujourd'huy l'avoir pour vostre gendre. Ou je jure que luy ny moy ne songions point. Il est tres-important de resoudre ce point. Puis qu'il faut tout conclure, & que l'heure est si proche, Mettez moy s'il vous plaist à l'abry d'un reproche Que Clitandre pourroit me faire justement, Il se plaindroit de moy d'avoir legerement Fait contre son vouloir ce fascheux Himenée⁎, Dont par force il m'auroit la parole donnée. Dites luy donc qu'il est en pleine liberté, Que vous ne voulez point forcer sa volonté, Que tout despend de luy, qu'il est en sa puissance De rompre entierement ou noüer l'alliance. POLEMAS *à Clitandre*. Vostre demande est juste, & bien qu'en dites vous ? CLITANDRE. Ouy Monsieur je confesse en presence de tous Que volontairement je soubmets ma franchise⁎ Dessous les douces loix de la parfaite Elize. Que je suis satis-faict de ce qui s'est passé, Et qu'à ce mariage on ne m'a point forcé. POLEMAS. Vous ne pouvez, ma fille, esperer davantage. ELIZE. Monsieur je desirois avoir cét advantage, Par la confession qu'il me fait aujourd'huy, De monstrer que c'est moy qui ne veut point de luy, Puis que je le cognois jusqu'à ce poinct infame⁎, De faire plus de cas des biens que d'une femme. CLITANDRE. Ah, Madame, est-ce ainsi ? ELIZE.         Lasche⁎ retirez-vous. POLEMAS. Ma fille moderez ce violent courroux, Vous faites trop de perte en rebutant Clitandre. ELIZE. Si je perds cét ingrat, je vous redonne un gendre Qui sçait priser [246] Elize, & trouve plus d'appas En la vertu que j'ay qu'en dix mille ducats. En fin c'est Clorimant. POLEMAS.     Il est absent. ELIZE.         Mon pere, Il n'est pas loing d'icy. Cours & ne tarde guere. Geraste appelle-le. GERASTE.         Bien Madame j'y cours. CLITANDRE. Consentez-vous, Monsieur à de si lasches⁎ tours ? Apres tant de devoirs & tant de complaisance⁎. POLEMAS. Ce n'est pas mon dessein d'user de violence, Je luy souffre⁎ en ce cas d'agir comme il luy plaist. ELIZE. Je cherche mon repos, & vous vostre interest. ### SCENE IX & derniere. CLORIMANT, ELIZE, POLEMAS, DIANE, CLITANDRE, GERASTE, ORMIN, JULIE, PAULINE, OCTAVE, & accompagnement CLORIMANT. Par vostre mandement [247] je suis venu, Madame, Pour vous dire combien je sens d'ayse⁎ en mon ame D'avoir sçeu qu'il vous plaist me faire [248] la faveur De me rendre aujourd'huy bien-heureux possesseur De vos rares⁎ beautez sous la loy d'hymenée⁎. DIANE. Quoy donc pour ce subject m'avez vous emmenée ? CLORIMANT. Madame pardonnez si maintenant mon cœur Se range sous les loix de son premier vainqueur. ELIZE *à Polemas*. Monsieur je mets en vous toute mon esperance. POLEMAS. Si Monsieur veut entrer dedans vostre alliance, Il nous honore trop, non non, je ne sçaurois Jamais avec raison desapprouver ton choix. Si Monsieur m'eust parlé plustost, j'eusse sur l'heure Terminé cette affaire. CLITANDRE.         Ah Clorimant ! je meure Si je suis de vostre heur⁎ aucunement [249] jaloux. Diane je veux estre aujourd'huy vostre Espoux, Je rentre dans vos fers, & j'abandonne Elize. DIANE. Je ne veux point de vous, Monsieur, je suis promise. CLITANDRE. À qui ? DIANE.         Ce Cavalier⁎ n'est pas bien loing d'icy. CLITANDRE. Madame resvez-vous ? me raillez vous ainsi ? DIANE. Je ne vous raille point, Monsieur. Parlez Octave M'estimez vous encor ? OCTAVE.         Dieux je suis vostre esclave. DIANE. Monsieur je suis à vous, & vous donne la main. CLITANDRE. Vous mocquez⁎ vous Madame, à quoy bon ce desdain ? DIANE. Clitandre j'ayme Octave, & je hay l'inconstance⁎. ORMIN. Elle a raison d'user d'une telle vangeance, Les voulant toutes deux Monsieur, vous voyez bien Qu'en voulant tout avoir vous ne possedez rien. J'y perds beaucoup pourtant puisque je perds Julie : Car ne croyez jamais qu'à d'autre je m'allie. JULIE. Ormin tu m'as quittée & je te quitte aussy. OCTAVE. Va je te veux pourvoir⁎ laisse m'en le soucy. Un homme qui me sert est ton fait [250] ce me semble. GERASTE *à Clorimant*. Monsieur voulez vous pas nous marier ensemble, Pauline & moy j'entends. CLORIMANT.         Ouy Geraste je veux Aussi bien que les miens esteindre tous tes feux⁎ [251]. ELIZE. Amour vous m'octroyez tout ce que je souhaite. CLITANDRE. Que vois-je ? Justes Dieux ! est-ce ainsi qu'on me traite ? ORMIN. Certes nous meritons à ce que je cognoy, Qu'on se mocque, Monsieur, & de vous & de moy. FIN # Lexique.Abuser« Tromper », FuretièreV. 623, 1514, 1738.Accident« Malheur, ce qui peut arriver de fâcheux », RicheletV. 456, 712, 1594. Accommoder« Se dit des affaires qu'on termine à l'amiable et des personnes que l'on met d'accord », FuretièreV. 464, 490.Adviser« Prendre quelque résolution après quelque délibération et conseil », FuretièreV. 1207, 1251.Appris« On dit qu'un jeune homme est bien appris lorsqu'il sait bien toutes les règles de la civilité et de la bienséance, et qu'il les pratique », Furetière.C'est dans ce sens que le terme est employé au vers 112. Au vers 1047, il a le sens contraire car il est précédé de l'adverbe mal.Ardeur« Se dit figurément en morale, et signifie, passion »V. 408, 952« Vivacité, emportement, fougue », FuretièreV. 558, 808, 907.Arrest« Promesse, parole donnée. Chose résolue et arrêtée », RicheletV. 786, 1341.Attenter« Tenter, ou entreprendre quelque chose pour nuire à quelqu'un », FuretièreV. 241, 1000, 1287.Atester« Invoquer, appeler à témoin ; et se dit de Dieu et des hommes », FuretièreV. 797, 1739.Aymable« Qui a des qualités qui attirent l'amour », FuretièreV. 383, 1739.Ayse« Joie, contentement », FuretièreV. 355, 2000.Brave« Honnête, galant », RicheletV. 45, 70, 81, 682, 1116.« Bien vêtu », RicheletV. 817.Braver« Insulter, se moquer », RicheletV. 1382, 1858.Caresse« Démonstration d'amitié ou de bienveillance qu'on fait à quelqu'un par un accueil gracieux, par quelque cageolerie », FuretièreV. 24. CavalierHomme de haute naissanceV. 15, 53, 70, 81, 103, 211, 356, 506, 938, 1001, 1048, 1055, 1113, 1346, 1623, 2017. CéansIci, dans ce lieuV. 270, 498, 550, 1013, 1328, 1714, 1798.Chagrin« Mélancolie, ennuy, fâcheuse, mauvaise humeur », AcadémieV. 137, 706.ChangeFait de changer d'amant ou de maîtresse, souvent par inconstanceV. 763, 956, 1804. Complaisance« Déférence aux sentiments et aux volontés d'autrui », FuretièreV. 419, 1995.Compliment« Civilité, ou honnêteté qu'on fait à autrui, soit en paroles, soit en actions », FuretièreV. 401, 809, 984.Condition« Il signifie la qualité que donne la naissance, et en ce sens on l'emploie d'ordinaire avec la particule *de* », AcadémieV. 938.« On dit absolument *de condition*, pour dire, de bonne naissance », AcadémieV. 472.ContracterSe dit « figurément en parlant d'acquisitions morales », FuretièreV. 25.Courtois« Qui a de la civilité, des manières honnêtes et agréables, qui fait un accueil doux et gracieux à tout le monde », FuretièreV. 112, 1033.Decevoir« Tromper adroitement », FuretièreV. 1480.DesgagerRetirer sa parole, se libérer d'un engagementV. 889, 1129, 1442, 1697.Ennuy « Tristesse, déplaisir », RicheletV. 1264, 1369.Fascher« Choquer, offenser quelqu'un », FuretièreV. 943, 1624.Fantaisie« Dessein », RicheletV. 140, 439.Feux« Se dit figurément de l'ardeur, et de la violence des passions, et des mouvements impétueux de l'âme », AcadémieV. 330, 750, 1574, 2034.Fier« Cruel », FuretièreV. 547, 632.Foy« Serment, parole qu'on donne de faire quelque chose, et qu'on promet d'exécuter », FuretièreV. 46, 545, 573, 610, 612, 658, 669, 686, 757, 844, 889, 1401, 1442, 1510, 1542, 1662.« Fidélité », RicheletV. 278, 622, 1258, 1386, 1422.FrancLibreV. 1290.Franchise« Signifie chez les poètes et les amants, liberté », FuretièreV. 243, 268, 387, 624, 987, 1975.Furieux« Plein de furie, violent », RicheletV. 440, 882.GalandSubstantif « amant qui se donne tout entier au service d'une maîtresse », FuretièreV. 65, 72, 251.Adjectif « se dit aussi d'un homme qui a l'air de la Cour, les manières agréables, qui tâche à plaire, et particulièrement au beau sexe », FuretièreV. 70, 682. Gentil-homme« Homme noble d'extraction, qui ne doit point sa noblesse ni à sa charge, ni aux Lettres du Prince », FuretièreV. 227, 1116.Heur« Rencontre avantageuse », FuretièreV. 4« Ce mot signifie bonheur, mais il est bas, est peu usité », RicheletV. 197, 313, 681, 1037, 1303, 1688, 2013.Hymenée« Mariage », FuretièreV. 48, 432, 579, 603, 749, 840, 1248, 1432, 1663, 1967, 2003.Inclination« Se dit de l'amour », FuretièreV. 230, 937.InconstantQui change, qui n'est pas ferme dans ses sentiments, infidèleV. 610, 1428, 1448, 1540.Inconstance« Manque de fermeté, de durée, de résolution », FuretièreV. 1060, 2023.Infame« Qui est sans honneur, qui ne mérite aucune estime dans le monde », FuretièreV. 499, 1639, 1647, 1824, 1983.Interdire« Se dit aussi de ceux qui se troublent, qui s'étonnent, qui ne sauraient parler raisonnablement », FuretièreV. 84, 422, 689, 692, 1505.Jaloux« Se dit à l'égard de quelques autres passions que l'amour, et de ceux qui possèdent une chose qu'ils craignent de perdre », FuretièreV. 273, 493.Je vous baise les mains« On dit proverbialement, je vous baise les mains, pour dire, je me recommande à vous, ou je vous remercie », FuretièreV. 364, 377, 1020.Jugement« Puissance de l'âme qui connaît, qui discerne le bon d'avec le mauvais, le vrai d'avec le faux », FuretièreV. 269, 625, 909.« Sentiment, opinion. Pensée », RicheletV. 386, 1666.Lasche« Se dit figurément en Morale de plusieurs qualités, des vices, et des passions. Un *lasche* est celui qui n'a pas de fermeté de cœur, de générosité, d'honnêteté », FuretièreV. 213, 658, 757, 874, 944, 1062, 1224, 1403, 1449, 1527, 1623, 1650, 1985, 1994.Lascheté« Se dit figurément en Morale des actions lâches, poltronnes, infâmes », FuretièreV. 718, 841, 1289, 1393, 1654, 1695, 1833, 1857, 1894.Légèreté« Inconstance, imprudence », RicheletV. 153, 1913.Martire« Se dit poétiquement et fréquemment de la souffrance des amants », FuretièreV. 712, 1043, 1172, 1472.Moquer (se)« Ne dire pas, ne faire pas quelque chose sérieusement », AcadémieV. 1871, 2022.Objet« Ce qui est opposé à notre vue, ou qui frappe nos autres sens, ou qui se représente à notre imagination », FuretièreV. 1572.« Se dit poétiquement des belles personnes qui donnent de l'amour », FuretièreV. 190, 192, 214, 486, 771.Obligé« Qui a reçu un bon office, qui a obligation à une personne parce qu'il en a reçu quelque plaisir », RicheletV. 1073, 1343.Obliger« Faire quelque faveur, civilité, courtoisie », FuretièreV. 79, 375, 1070, 1257, 1922.À la forme pronominale, il a le sens de « s'engager par une sorte de devoir, ou de nécessité », RicheletV. 1685.OccasionLe mot doit être pris au sens étymologique de *ce qui arrive*, d'où le sens de *circonstance.*V. 700, 710, 902, 1106, 1157, 1317, 1514, 1824, 1863.« Signifie quelquefois sujet », FuretièreV. 1934.Ombrage« Défiance, soupçon », FuretièreV. 144, 1879.Patience« Vertu par laquelle on souffre les adversités, les douleurs, les injures, les incommodités, etc., avec modération, et sans murmurer »v. 546.« On dit *prendre patience*, pour dire, avoir de la modération, de la retenue dans les choses qui font de la peine », AcadémieV. 503, 735. Peine« Douleur, affliction, souffrance, sentiment de quelque mal, dans le corps, ou dans l'esprit », AcadémieV. 1881.Pourvoir« Se dit des établissements qui se font par charge, par mariage », FuretièreV. 162, 320, 533, 2030.Protester« Promettre quelque chose avec serment », RicheletV. 1167, 1733.Pudeur« Honte naturelle qu'on a de faire quelque chose de déshonnête, ou de mauvais », FuretièreV. 324.Pudicité« Chasteté, pureté », RicheletV. 154, 241.QualitéCondition socialeV. 238, 242.La locution *en qualité de* a le sens de *comme, au titre de*V. 274, 374, 833, 1194, 1742, 1906.Rare« Qui arrive peu souvent, qui ne se trouve pas ordinairement. Excellent, précieux, singulier, extraordinaire », RicheletV. 7, 2003.RemiseFait de différer une action dans le temps. L'expression *sans plus de remise* signifie *sans attendre davantage.*V. 927, 1691.Repartir« Répliquer », FuretièreV. 1086, 1404.Servage« Vieux mot qui signifiait autrefois esclavage, servitude, et qui s'est employé pour marquer la captivité, l'attachement d'un amant à une maîtresse », FuretièreV. 1727.ServiceIl s'agit du service amoureux d'un amant pour sa maîtresseV. 205, 441.ServirDans le vocabulaire amoureux, il signifie apporter ses soins, son attention à sa maîtresseV. 514. SoucySens fort d'inquiétudeV. 137, 145, 262, 345, 1634.Souffrir« Supporter »V. 10, 481, 782, 923, 1262, 1338, 1356, 1451, 1829.« Tolérer, n'empêcher pas, quoiqu'on le puisse »V. 399, 447, 576, 1669.« Permettre » Académie.V. 488, 951, 1997. Suborneur« Qui suborne, qui corrompt, qui débauche », FuretièreV. 494, 1393.Surprendre« Tromper quelqu'un »V. 467, 1517, 1738« Lui faire faire une chose trop à la hâte », FuretièreV. 1959.Tout à l'heure« Sur le champ », FuretièreV. 487, 770, 1580.Tout beau« Adverbe. Mot qui se dit lorsqu'on prie, ou qu'on commande de s'arrêter, de ne rien faire, de ne pas parler », RicheletV. 414, 476, 1530, 1541.Transi« Saisi de douleur », RicheletV. 481, 1345.Transport« Se dit figurément en choses morales, du trouble ou de l'agitation de l'âme par la violence des passions », FuretièreV. 440, 882, 1838.Transporter« Se dit des violentes agitations de l'esprit », FuretièreV. 355, 366.TraverserSe mettre en travers de, s'opposer àV. 317.Au figuré, « troubler. Apporter du désordre, causer du désordre », RicheletV. 1911. # Bibliographie. ## Sources. ### Œuvres de d'Ouville. #### Pièces de théâtre. Les Trahizons d'Arbiran L'Esprit folet ou la Dame invisible Les Fausses Veritez La Dame suivante Jodelet astrologue Aymer sans sçavoir qui Les Morts vivants La Coiffeuse à la mode Les Soupçons sur les apparences #### Contes. L'eslite des contes du sieur d'Ouville Contes aux heures perdues du sieur d'Ouville, ou le Recueil de tous les bons mots, reparties, equivoques, brocards, simplicitez, naïfvetez, gasconnades, et autres Contes facétieux non encore imprimez ### Théâtre du XVII*e* siècle. El Ausente en el lugar Biblioteca de autores españoles Le Dépit amoureux Le Mariage forcé ### Autres sources. La Pratique du théâtre Opuscules critiques Dictionnaire portatif, historique et littéraire des Théâtres Histoire du théâtre françois depuis son origine jusqu'à présent Historiettes Remarques sur la langue françoise, utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire ## Instruments de travail. Répertoire chronologique des éditions de textes littéraires : L'ère baroque en France La ponctuation Bibliographie de la littérature française du dix-septième siècle Dictionnaire de l'Académie françoise Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les tremes de toutes les sciences et les arts Syntaxe française du XVII*e* siècle Bibliographie d'histoire littéraire française Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise Introduction à la langue française du XVII*e* siècle Grammaire de la langue française du XVII*e* siècle ## Études. ### Contexte historique et littéraire. Littérature française, 6, L'Âge classique Histoire de la littérature française au XVII*e* siècle Dictionnaire du grand siècle Histoire de l'édition françaiseLe Livre conquérant, Du Moyen-Âge au milieu du XVII*e* siècle Les Poétiques du classicisme Dictionnaire encyclopédique de l'Histoire Histoire de la littérature française au XVII*e* siècle Comédie et société sous Louis XIII. Corneille, Rotrou et les autres ### Livres sur le théâtre. #### Livres. Le Théâtre classique Les Sources de Molière, Répertoire critique des sources littéraires et dramatiques Scarron inconnu Le Masque et le visage. Du baroque espagnol au classicisme français Dictionnaire encyclopédique du théâtre Lire la comédie L'Histoire de la mise en scène dans le théâtre français de 1600 à 1673 Le Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne 1548-1680 Le Théâtre du Marais Valets et servantes dans le théâtre comique en France de 1610 à 1700 Le Comique, Essai d'interprétation générale Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars Introduction à l'analyse des textes classiques Curiosités théâtrales Le Théâtre au XVII*e* siècle La comédie avant Molière 1640-1660 La Comédie classique en France, De Jodelle à Beaumarchais*e* En marge du classicisme, Essays on the franch theater from the Renaissance to the Enlightenment Le Théâtre professionnel à Paris A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century Le Mémoire de Mahelot, Laurent et autres décorateurs de l'Hôtel de Bourgogne Le Langage dramatique La Comedia espagnole en France de Hardy à Racine Cours de littérature dramatique, ou de l'usage des passions dans le drame La dramaturgie classique en France Lire le théâtre Le Théâtre en France des origines à nos jours La Comédie #### Articles. Littératures classiques *e*Bulletin hispanique ### Sur l'auteur. Romance Notes Dissertation Abstracts ------- [1] James Wilson Coke, « Antoine Le Métel, sieur d'Ouville : his life and his theatre », dans *Dissertation Abstracts*, vol. 19, mars 1959. [2] Préface à *La Fouyne de Seville ou L'Hameçon des bourses* de Castillo Solorzano de Alonso, traduit de l'Espagnol par d'Ouville ou Boisrobert. [3] *Historiettes*, La Pléiade, p. 409-410. [4] Foucault de Dognon est né en 1616 et mort en 1659. Il est entré dans la marine, il se bat en Espagne en 1640 et se révolte pendant la Fronde. Puis, il devient maréchal de France. [5] *Historiettes*, p. 405. [6] P. 409-410. [7] Henri Chardon, *Scarron inconnu*, vol. 1, p. 319. [8] Vol. 2, p. 69. [9] *Littérature française 6, L'Âge classique I, 1624-1660*, p. 178. [10] « Antoine Le Métel, sieur d'Ouville : his life and his theatre », dans Dissertation abstracts, vol. 19, mars 1959. [11] *A History of french dramatic literature*, p. 432. [12] *El Ausente en el lugar* est divisé en actes et non en journées, contrairement à la plupart des pièces espagnoles. [13] « Ce sont des affaires de femmes ». [14] « Qu'il est d'usage en amour, comme le dit la chanson, / De partir et rester, et en restant de s'en aller ! / Oh combien de pensées nous disent de partir / Et prennent peur au premier pas du départ ! / Poussés par l'affront, les pieds avancent / Vers la tendre pitié des adieux ; / Mais l'amour a coutume de saisir ce même affront / Et de s'asseoir là où ils se lèvent. / Si l'amour est un accident colérique, / Il ne peut agir en lâche ; / Car c'est le feu, c'est la colère, c'est l'impétuosité, c'est l'éclair ardent. / Celui qui est embrasé et brûle d'amour a peine à fuir ; / Car comme l'amour se pique d'être courageux, / Il tourne trop tard le dos à l'ennemi. » [15] « Laurencia / Je désire par-dessus tout voir / Feliciano, Sabina. / Sabina / Quelle gloire d'aimer / Un homme si beau. / Laurencia / Chaque femme peut s'éprendre de lui. / Sabina / Tu as raison, Madame ; / Car quand je pense à Fisberto, / Mon cœur s'innonde / D'un certain feu caché. / Pause agréable, / Qui m'empêche / De reprendre mes sens. / Laurencia / L'amour les distrait. / Elisa ne dira-t-elle pas que, telle une sirène, / J'ai charmé ses oreilles. / Elle aura vu que de Feliciano / Je lui en ai dit le moins possible, / Puisqu'avec une main hardie, / J'ai résumé en quelques traits / Tout un ciel souverain. / Qui doute qu'elle est envieuse / De me voir si chanceuse ? » [16] « Partons, Paula, que faisons-nous ? / Remarque bien que le vent creux / Emporte avec lui la raison de ce garçon. / Regarde les gestes qu'il fait. » [17] « Moi je pense qu'ils te trompent ; que si tu dis / Que tu refuses de te marier, ils vont te tuer. / Si tu veux te défendre, tends ta main : / Peut-être nous en sortirons-nous, bien qu'il n'y ait pas de porte. » [18] « Que cesse donc le feu / Qui prive l'âme de sa quiétude, / Que mes sens retrouvent leur force perdue / Puisqu'ils verront, / Si on leur en donne l'occasion, / La gloire qui les encourage. » [19] « Feliciano / Ce que je fis moi-même. / Fisberto / Quoi ? / Feliciano / Prendre patience. » [20] « Je verrai aujourd'hui avec cette expérience, / Si l'obéissance a plus de pouvoir / Que l'amour sur les femmes. » [21] « Elle n'est pas de celles que fit à la hate / La nature diverse. / Ici elle arrêta son pinceau, / Fit, défit, ôta, / Elle y mit tout son art. » [22] « Attends, regarde. » [23] *Le Théâtre classique*, p. 102. [24] *Cours de littérature dramatique* (vol. 5), p. 426. [25] P. 331. [26] *La Dramaturgie classique*, p. 21-22. [27] *Lire la comédie*, p. 181. [28] P. 156. [29] *La Comédie avant Molière, 1640-1660*, p. 52. [30] « Sabina, tu sais bien que nous, les valets, / Suivons le mouvement de nos maîtres. » [31] *Le Comique, essai d'interprétation générale*, Paris, SEDES, 1991, p. 17. [32] *Notes sur le rire*, p. 17. [33] « L'esthétique du plaisant », *Littératures classiques*, n° 27, printemps 1996, p. 175. [34] *Cours de littérature dramatique*, vol. 5, p. 419. [35] Comme Roger Guichemerre qui trouve ces imitations lassantes, dans *La Comédie avant Molière*, p. 139. [36] P. 79. [37] Dans *Opuscules critiques*, Droz, 1936, p. 117. [38] *Ibid.*, p. 130. [39] P. 98. [40] P. 99. [41] P. 104. [42] P. 65. [43] Dans *La Dramaturgie classique*, p. 274. [44] *Cours de littérature dramatique ou de l'usage des passions dans le drame*, vol. 5, p. 425- 427. [45] *Ibid.*, p. 425. [46] *Les Sources de Molière, Répertoire critique des sources littéraires et dramatiques*, p. 103-104. [47] *Cours de littérature dramatique ou de l'usage des passions dans le drame*, vol. 5, p. 426. [48] P. 86-93. [49] *Cours de littérature dramatique*, vol. 5, p. 426-427. [50] *Les Sources de Molière, Répertoire critique des sources littéraires et dramatiques*, p. 192-193. [51] L'adjectif *glorieuse* a ici le sens de « fière » (Richelet). [52] *Le voisinage* signifie *le fait que nous soyons voisines*. [53] *–ez* est une variante graphique de *–és*. On trouve souvent cette graphie pour le pluriel des noms et des participes passés. Elle est systématique dans la pièce. [54] Le verbe *prévenir* a ici le sens de : « être le premier à faire la même chose » (Furetière). [55] D'Ouville emploie le verbe *emmener* au sens du verbe *amener* qui convient dans ce vers. Furetière défénit le verbe *emmener* en ces termes : « mener une personne ou une chose en un autre lieu que celui où l'on est », et le verbe *amener* ainsi : « conduire, mener vers quelque personne, ou quelque lieu ». C'est donc le verbe *amener* que le dramaturge aurait dû utiliser dans ce cas puisqu'il s'agit de conduire le carosse de Diane vers elle. Cette confusion est constante dans la pièce. [56] Furetière dit que *entre* « se joint avec quantité de verbes et leur donne une nature de verbe réciproque, en y ajoutant le pronom personnel comme *s'entr'aymer* ». [57] On attend *riions*. Mais, comme en ancien Français, on trouve parfois la première personne du pluriel du subjonctif présent avec la même désinence que celle de l'indicatif présent (Spillebout, p. 190). [58] Le participe présent *voyants* s'accorde avec le pronom régime *les*. À la fin du XVII*e* siècle, la règle interdit l'accord du participe présent actif. Cependant, au cours du siècle et surtout en poésie, on trouve quelques participes présents qui s'accordent avec leur COD quand ils sont employés à la place d'un gérondif, conformément à l'usage du XVI*e* siècle (Haase, p. 209). [59] Le subjonctif de souhait est employé ici plutôt que l'impératif *souviens-toi*, sûrement pour des raisons de versification. [60] Vaugelas juge que le comparatif *autant* doit être suivi de *que* et non de *comme* (p. 242). [61] Le nom *civilité* a pour sens « manière honnête, douce et polie d'agir, de converser ensemble » (Furetère). [62] *Deffaite* a ici le sens de *fatiguée*. [63] Au XVII*e* siècle, persistent d'anciens emplois de *qui* se rapportant à une chose. Ici, *qui* a le sens de *qu'est-ce qui*, l'interrogation porte sur la raison de l'attitude d'Élize et n'appelle pas un nom de personne comme réponse (Haase, p. 85). [64] Voir la note du vers 137. [65] La préposition *pour* a une valeur causale. Spillebout note que cette valeur est fréquente au XVII*e* siècle (p. 314). [66] Le participe présent *ayant fait* se rapporte à Élize et non au locuteur, Polémas. [67] Voir la note du vers 137. [68] Furetière donne au verbe *dégénérer* le sens de « devenir moindre en valeur, en mérite, que ceux qui ont précédé ». Polémas ne craint pas qu'Élize se conduise avec moins d'honneur que ses aïeux ni qu'elle rabaisse le nom de la famille. [69] Le verbe *laisser* se construit parfois avec la préposition *de* au XVII*e* siècle. Haase l'explique par le fait que le XVII*e* siècle envisage le complément de *laisser* comme une cause et non comme un résultat à atteindre (p. 291). *Laisser de* signifie *cesser de*. [70] Le pronom *y* reprend *l'alliance*. [71] *Aquérir la volonté de quelqu'un* a ici le sens *d'aquérir sa bonne volonté, son amour*. [72] Le pronom relatif neutre *que* est ici employé à la place de la locution *à ce que. Que je crois* est une tournure familière que Polémas utilise pour exprimer son avis (Spillebout, p. 159). [73] Voir la note du vers 176. [74] Le pronom *y* reprend le pronom personnel *elle* (Spillebout, p. 154-155). [75] *Saison* « se dit du temps convenable pour faire quelque chose » (Furetière). Le terme est employé au sens figuré. [76] La graphie *avecque* est une variante poétique de la forme *avec* et compte pour trois syllabes devant un mot à initiale consonnatique. Voir aussi les vers 946, 1119, 1333, 1810, 1928. [77] Cette graphie est une analogie de la famille du mot. [78] Le verbe *mesprises* a pour COD la locution *ces trop grandes franchises*. [79] Il s'agit non pas de la faculté de mémoire de Clorimant, mais du souvenir, de l'image qu'il laissera de lui aux générations à venir. [80] *Advenir* remplace la locution *à venir*. C'est une graphie conservatrice qui rappelle l'étymologie de *à venir* qui vient du latin *ad venire*. Clorimant fait référence à ses descendants par cette expression. Il souhaite que son souvenir leur soit execrable s'il trahit Élize. [81] *Rien* doit être pris au sens positif de *quelque chose*. [82] La locution *de plaine authorité* a le sens de *en toute autorité*. [83] *Tous ceux* (v. 296), *ceux* (v. 298) et *tous* (v. 300) désignent les droits dont parle Élize au vers 295. [84] La forme *aye* du subjonctif présent est une survivance de l'ancien Français. [85] Contrairement à l'usage actuel où *amour* est masculin au singulier et féminin au pluriel, ce substantif est indifféremment féminin ou masculin au XVII*e* siècle. Le choix du féminin semble être motivé par la versification car il permet à l'auteur d'utiliser au vers suivant le pronom de rappel *elle* qui compte deux syllabes alors que le pronom masculin* il* n'en compte qu'une. Tout au long de la pièce, c'est le seul cas pour lequel on peut affirmer que le mot *amour* est employé au féminin. Il est masculin aux vers 249, 256, 276, 282, 520, 645, 660, 1188, 1637, 1850. [86] Le verbe *différer*, utilisé ici en emploi absolu, a le sens de *remetttre à plus tard*, comme le verbe *différer* actuel qui est transitif direct, et non le sens de *différer* intransitif, *avoir des avis différents*. [87] Cette expression est ambiguë, il ne faut pas entendre *esteindre mon amour*, mais* calmer les angoisses et les troubles que cause la passion amoureuse*. [88] Contrairement à l'usage actuel où on emploie une proposition complétive quand le sujet du verbe de la proposition est différent de celui de la principale, au XVII*e* siècle, on utilise souvent, dans ce cas, l'infinitif suivi de la préposition *de*. Dans cette occurrence, c'est Clorimant qui a peur qu'Élize soit malade (Haase, p. 199). [89] L'expression *faire la mine* a le sens de « gronder, et être en colère contre une personne » (Richelet). [90] À la deuxième personne de l'impératif, le *–s* final n'apparaît pas toujours au XVII*e* siècle (Spillebout, p. 188). [91] L'adverbe *pourquoy* peut être employé comme une conjonction de subordination qui introduit une subordonnée causale, au XVII*e* siècle. Il a alors le sens de *parce que*. [92] « Pour accentuer le caractère irréel du fait et montrer qu'il n'est qu'une vue de l'esprit, on emploie aussi le plus-que-parfait du subjonctif après *si* » (Spillebout, p. 133). [93] Au XVII*e* siècle, on retrouve la valeur positive de l'indéfini *aucun* issue de l'étymologie du mot. *Aucun* vient du latin *aliquis* qui a le sens de *quelqu'un* et de *unus* qui signifie *un*. C'est avec cette valeur positive qu'il est employé dans ce vers où il équivaut à l'indéfini *quelque, un quelconque*. [94] Vaugelas juge que l'expression *que c'est* est archaïque et doit être remplacée par *ce que c'est* (p. 173). [95] *Je la tiens loüable* a le sens de *je l'estime*. [96] Une des définitions de l'adjectif *innocent* chez Furetière est « se dit de celui qui est simple, qui a peu de raison, et qui est aussi idiot qu'un jeune enfant ». [97] La locution *devant que de* équivaut à *avant que de. Devant*, dans ce vers, a un sens temporel. Vaugelas considère que ces deux locutions sont correctes. Il ajoute que la préposition *de* est cependant nécessaire. [98] Le verbe *gaigner* est un doublet du verbe *gagner* dans l'ancienne langue. Il est cependant archaïque au XVII*e* siècle, il n'est attesté ni dans le dictionnaire de Furetière, ni dans celui de Richelet, ni dans la première édition celui de l'Académie. [99] *Trouver* a ici le sens de *voir, rencontrer*. [100] Au XVII*e* siècle, on trouve parfois le pronom personnel complément avant le verbe à l'impératif (Spillebout, p. 146-147). Il prend la forme du pronom personnel atone. [101] *L'estime que j'en fait* signifie *ce que j'en pense*. [102] Le verbe *tarder* est employé au sens d'*attendre*. [103] Le point équivaut ici à des points de suspension. Octave ne finit pas sa phrase car il est interrompu par son père. [104] Voir la note du vers 15. [105] Il faut entendre *ou bien que je puisse périr si ce n'est pas vrai*. [106] Furetière écrit que *ça* est un « adverbe qui marque le temps et le lieu, Icy au temps présent ». [107] L'adverbe *deçà* signifie « de ce côté-ci » (Richelet). [108] Ce vers s'adresse à Octave, la suite de la tirade s'adresse à Élize. [109] Voir la note du vers 342. [110] Le substantif *poursuitte* désigne une « sollicitation ardente » (Richelet). [111] La locution *j'ai trop d'opinion de* signifie *j'estime trop*. [112] Le verbe *contredire* est parfois employé absolument au XVIIe siècle. [113] *Ne suis point en peine* a le sens de *je n'ai pas besoin*. [114] D'Ouville a ici traduit le vers correspondant dans la pièce de Lope de Vega. Dans la pièce espagnole, Feliciano ne se réjouit pas de cette union avec Elisa aussi rapidement que Clitandre, il exprime d'abord sa soumission en disant qu'il doit prendre patience. Dans le cas de Clitandre, *avoir patience* signifie* avoir de la modération*. [115] On trouve fréquemment cette construction chez les poètes du XVII*e* siècle, même si les grammairiens l'interdisent, comme le dit Gabriel Spillebout (p. 398). Le participe passé s'accorde avec le COD intercalé. [116] Voir la note du vers 351. [117] Avec cette métaphore, Clorimant s'assimile à une mine que la houille est sur le point de faire éclater. Il était lui-même prêt à exploser de fureur et à sortir de sa cachette en voyant Clitandre faire la cour à Élize. Cette image est issue de *El Ausente en el lugar* et est plus explicite dans la pièce espagnole. À la scène 12 de l'acte I, Carlos déclare : « Si se tardan un momento, (…) / Sospecho que como mina / Por la boca reventara / El alquitran que en el pecho / Me estaba abrasando el alma. » [118] *Mes injures* signifie *les injures qui me sont faites*. [119] L'expression *périr dedans le port* signifie *périr au moment d'atteindre son objectif*. [120] *Industrie* signifie ici « adresse de faire réussir quelque chose, quelque dessein, quelque travail » (Furetière). [121] Le verbe *convaincre* a ici le sens de « faire voir clairement que le crime dont on accuse quelqu'un est vrai » (Richelet). [122] Le substantif *campagne* a ici une valeur militaire. Il faut entendre *s'avance à la guerre, engage une expédition militaire*. [123] Clorimant fait ici allusion au conflit franco-espagnol pendant la Guerre de Trente ans, lorsque les Français sont allés se battre en Catalogne. Selon Lancaster, l'intervention française à Barcelone, entre 1639 et 1641, serait assez proche de la date de la première représentation de la pièce. D'Ouville fait donc référence à une actualité récente. Cette guerre contre l'Espagne s'étend de 1635 à 1643 (la bataille de Rocroi est une victoire décisive du duc d'Enghien). [124] L'adjectif *mutin*, selon Furetière, « se dit de celui qui se révolte contre la raison, qui est opiniâtre, querelleux, qui ne se rend point aux remontrances qu'on lui fait ». [125] L'adjectif *intestine* « se dit en parlant des maux dont les causes sont cachées » (Furetière). [126] La passion dont parle Élize est la colère ou la jalousie car ce sont les deux passions qui sont à l'origine de la décision de Clorimant de partir à la guerre. [127] La locution *avant que* peut régir l'infinitif, dans ce cas, elle est suivie de la préposition *de*. [128] Le mot *treteau* désigne une « pièce de bois longue et étroite soutenue ordinairement par quatre pieds, et servant à porter des tables, des théâtres » (Académie). [129] Le verbe *briffer* a le sens de « manger avidement ». Richelet précise que ce mot n'a proprement son usage que dans le style simple, dans le comique, le burlesque ». [130] Élize et Pauline rentrent dans la maison d'Élize. Elles sont sorties pour rappeler Clorimant et Géraste. [131] L'adjectif *boüillant*, selon Furetière, « se dit figurément … de celui qui est agité de quelque violente passion d'amour, de colère, et surtout d'impatience ». [132] * Serviteur* est employé au sens de « qui révère quelqu'un, qui lui obéit, qui le sert. On appelle parmi le peuple *serviteur*, un garçon qui recherche une fille en mariage » (Furetière). [133] Voir la note du vers 137. [134] Le verbe *aye* compte pour deux syllabes. [135] Voir la note du vers 351. [136] Voir la note du vers 330. [137] Au XVII*e* siècle, le verbe *espérer* suivi de l'infinitif était construit avec la préposition *de* (Spillebout, p. 260). [138] Le verbe *arrester* équivaut ici à *s'arrêter*. Au XVII*e* siècle, il arrive que le pronom réfléchi soit omis (Haase, p. 143). [139] Furetière décrit le *colet de buffle* comme une « peau de buffle préparée, qui fait un espèce de justaucorps sans manches. C'est un vêtement pour les cavaliers, qui leur sert d'ornement et de défense ». [140] *Force* est employé comme adverbe et signifie « beaucoup, d'une manière abondante » (Furetière). [141] *Mon fait* a le sens de *mes affaires*. [142] Voir la note du vers 15. [143] Il se peut que l'auteur joue sur le double sens du mot *frenaisie* qui signifie *folie*, mais aussi « passion ardente. Ardeur violente » (Richelet). Si l'on considère le premier sens de ce substantif, Clorimant l'attribuerait aux paroles de Géraste, quant au second, ce serait comme un aparté dans lequel Clorimant exprimerait la violence de son amour malgré les propos qu'il tient devant son valet. [144] Entendre *vous preniez un air si grave, si sérieux*. [145] La Gazette est le « petit imprimé qu'on débite toutes les semaines, qui contient les nouvelles de toutes sortes de pays » (Furetière). Géraste fait référence à la Gazette de Théophraste Renaudot (1586-1653). Lancée le 30 mai 1631, elle paraît le samedi et donne les nouvelles des grandes villes d'Europe. [146] L'adjectif *gentil* a le sens de « beau, joli, mignon » (Furetière). Pauline l'utilise de façon ironique pour se moquer de l'accoutrement de Géraste. [147] L'adverbe interrogatif *que* équivaut ici à *pourquoi*. [148] Voir la note du vers 15. [149] Au XVII*e* siècle *où* peut se rapporter à une chose. Ici, il est employé à la place de *à quoi*, il équivaut « à un relatif construit avec *à* dans le sens d'un datif » (Haase, *Syntaxe française du XVII*e* siècle*, p. 77). [150] Le pronom démonstratif neutre *ce* s'emploie parfois au XVII*e* siècle comme COD du verbe *faire*. Selon Haase, on trouve cet emploi chez les plus anciens auteurs du siècle. Il a le sens de *cela* (Haase, p. 37). [151] Le verbe *songer* est transitif au XVII*e* siècle, conformément à l'usage dans l'ancienne langue (Haase, p. 137-138). Il a le sens de « penser, considérer » (Académie). Géraste rappelle ici à Clorimant que c'est Élize qui l'a offensé et qu'il ne doit pas s'en prendre à Pauline. [152] «  *Même*, quand il correspondait au pronom latin *ipse*, précédait souvent le substantif au XVI*e* siècle ; il en est de même au XVII*e* siècle » (Haase, p. 67). Cette règle est contraire à l'usage actuel. Il faut comprendre* l'innocence même*. [153] Voir la note du vers 663. [154] Le substantif *cœur* doit être compris ici au sens de *courage*. [155] L'expression *se mettre en peine* signifie *s'inquiéter*. [156] La forme verbale* die*, première personne du subjonctif présent du verbe *dire*, est une forme de l'ancienne langue, encore attestée au XVII*e* siècle, selon Spillebout (p. 189). [157] Le ducat n'a pas cours à Paris, mais peut être utilisé dans le royaume car un taux de change est établi. Notons que d'Ouville traduit ici le nom espagnol *ducados* dont il est question dans son modèle, *El Ausente en el lugar* de Lope de Vega. *Le Traité des monnoies* d'Abot de Bazinghen, publié à Paris en 1764, indique que, sous Louis XIII, le double ducat d'Espagne valait environ 10 livres de France. Une livre vaut 3, 5 francs or de 1900, soit environ 12 euros. Il est très probable que le double ducat vaille deux ducats. [158] Les six mille ducats constituent la dot d'Élize, il s'agit donc d'une somme comptant, alors qu'une rente annuelle procure la même somme chaque année. [159] Le verbe *surprendre* est soumis à un jeu sur ses différentes significations. Il peut être compris avec le sens de *prendre par surprise* mais aussi avec celui de « tromper quelqu'un, lui faire faire une chose trop à la hâte » (Furetière). Les deux sens sont applicables à la situation de Clitandre. Il en est de même pour le substantif *surprise*. [160] Voir la note du vers 842. [161] Le verbe *se gouverner* signifie « se comporter » (Furetière). [162] *Seyez-vous* signifie *asseyez-vous*. [163] *Avant qu'agir du fait* équivaut à* avant d'en venir au fait*. [164] Voir la note du vers 15. [165] Jeu sur le double sens de l'expression *je vous baise les mains* qui signifie à la fois « je me recommande à vous » et « ironiquement, je ne veux rien croire de ce que vous dites » (Furetière). Ce jeu de sens participe du langage à double entente de Clorimant et d'Élize dans cette scène. [166] Voir la note du vers 15. [167] Voir la note du vers 663. [168] Il s'agit d'une lettre de change. Furetière en donne la définition : « rescription que donne un Banquier ou un Marchand pour faire payer à celui qui en sera le porteur en un lieu éloigné l'argent qu'on lui compte au lieu de sa demeure ». C'est bien ce dont il est question, Clorimant demande à Polémas de lui faire parvenir l'argent qu'il lui laisse pendant son voyage. [169] *Marry* a le sens de « repentant, fâché, qui a du regret du fait de quelque chose » (Furetière). [170] *Mélancolie* signifie « la tristesse, le chagrin, qui vient par quelque fâcheux accident » (Furetière). [171] Voir la note du vers 351. [172] Le verbe *paslier* a le sens de « couvrir ingénieusement. Donner quelque couleur à une chose afin qu'on la voie tout d'une autre sorte qu'elle n'est véritablement afin qu'on ne découvre pas ce qu'elle a de méchant, de pernicieux et de fâcheux » (Richelet). Clorimant utilise pleinement le sens dépréciatif du terme. [173] Le participe présent* bravans* s'accorde avec le pronom *les*. Voir la note du vers 57. [174] Le dictionnaire de Furetière et la première édition de celui de l'Académie française graphient ce mot avec un *–t* final. Ce n'est que dans la sixième édition du dictionnaire de l'Académie française (1832-1835) que *différend* est graphié avec un *–d* final, comme aujourd'hui. [175] *Endormy* signifie ici *resté inactif*. [176] Ce néologisme de l'auteur vient probablement de la déformation du verbe *leurrer* auquel on ajouterait le préfixe privatif *de*-. Le verbe *se delorer* signifierait alors *se dévoiler, montrer ses sentiments au grand jour*. On remarque que ce verbe n'est employé que par des valets ou des suivantes, ce qui laisse penser que les valets créent un mot par la déformation d'un mot existant. Autre occurrence au vers 1104. [177] Il arrive, au XVII*e* siècle, que la première personne du singulier n'aie pas de *–s* final, cet emploi est archaïque (Spillebout, p. 185). [178] Le verbe *pasmer* n'est pas toujours pronominal au XVII*e* siècle. Furetière note qu'on utilise ordinairement le pronom personnel *se* mais donne des exemples où le pronom n'apparaît pas. [179] Le substantif *trafic* a le sens de « négoce, commerce de marchandises, d'argent » (Académie). [180] Voir la note du vers 15. [181] Furetière écrit que *maraut* est un « terme injurieux qui se dit des gueux, des coquins qui n'ont ni bien ni honneur, qui sont capables de faire toutes sortes de lâchetés ». [182] Le verbe *pretendre* se construit directement au XVII*e* siècle. [183] Furetière écrit : « on appelle ironiquement un amoureux transi, celui qui demeure froid et timide au plus fort d'une passion qui devrait l'échauffer et l'enhardir ». [184] Voir la note du vers 1103. [185] L'expression *jouer de son reste* signifie « faire un dernier effort, un coup de désespoir, hazarder tout » (Furetière). Élize décide de prendre tous les risques en laissant libre cours à son amour, comme seul moyen de pouvoir retrouver Clorimant. [186] Le pronom personnel *le* renvoie à Clorimant. [187] *Fait* est un verbe vicariant qui reprend le verbe *aimer*. Le sens serait alors* m'aymant comme il m'aime*. Cela signifierait que Clorimant quitte Élize, malgré l'amour qu'il a pour elle, car il craint de la voir mariée à Clitandre, sous le pouvoir de Clitandre. La parenthèse introduit une incise. [188] L'auteur parodie *Le Cid* de Corneille en reprenant la forme et le rythme ternaire du vers 235, et en en gardant le premier hémistiche. Ce vers est prononcé par Don Diègue, dans son célèbre monologue de la scène 5 de l'acte I : « Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie ». [189] La règle selon laquelle le participe passé construit avec l'auxiliaire *avoir* s'accorde avec le COD quand celui-ci le précède s'applique au XVII*e* siècle. Cependant, pour des raisons de versification, on trouve quelques cas où elle n'est pas observée. Dans ce vers, l'accord de *conjoint* avec le relatif COD *que* qui reprend la locution *nos deux cœurs* aurait rendu impossible la rime *point / conjoints* (Haase, p. 213). [190] La distinction du genre des pronoms personnels n'est pas systématique (Spillebout, p. 140). Ici, on attend le pronom féminin car *luy* désigne Élize. [191] Le verbe *se ressentir* « se dit figurément en morale des différentes émotions de l'âme au souvenir des bienfaits, ou des injures reçues » (Furetière).   [192] Le pronom *y* reprend l'énoncé de Clitandre. [193] Voir la note du vers 663. [194] Clorimant et Géraste sortent de chez eux et rentrent en scène, ce que permet le décor à compartiments car la façade de la maison de Clorimant fait partie du décor (voir la partie sur l'unité de lieu dans l'introduction). [195] La préposition *devant* peut avoir une valeur temporelle au XVII*e* siècle avec le sens de *avant*. Cet emploi est aujourd'hui perdu (Spillebout, p. 241). [196] Au XVII*e* siècle, la préposition *en* est souvent utilisée là où on emploierait la préposition *à* dans la langue actuelle. Haase note : « *en* s'emploie pour *à* dans certaines tournures : très généralement dans *en la place* » (p. 341). [197] La ponctuation sert dans ce cas à marquer l'intonation. [198] « *Nagueres* se doit orthographier de cette façon en un seul mot, et non pas *n'a-guères*, avec les marques de son origine, et de sa composition » (Vaugelas p. 335). [199] Élize affirme que Clorimant use d'un langage trompeur, qu'il cache ses véritables pensées et ses sentiments amoureux pour Diane. Le verbe *celer* signifie « tenir quelque chose cachée, secrette, dissimuler » (Furetière). [200] Le mot est féminin au XVII*e* siècle. « Ce mot est toujours féminin à la Cour et chez les bons auteurs. Il y en a qui disent que lorsqu'affaire est après l'adjectif, il est masculin (…) et quand il est devant, qu'il est féminin (…), mais cette distinction est entièrement fausse et imaginaire » (Vaugelas, p. 246-247). D'Ouville emploie le masculin ici pour des raisons de versification. [201] Le verbe *croire* se construit parfois avec la préposition *de* (Haase, p. 284). [202] La ponctuation sert ici à marquer l'intonation. [203] Voir la note du vers 951. [204] Voir la note du vers 342. [205] Voir la note du vers 342. [206] *Ta mémoire* désigne ici non pas la propre mémoire d'Élize, mais le souvenir que Clorimant a de la jeune fille. [207] Voir la note du vers 342. [208] Jeu sur le sens propre et le sens figuré du nom *destour*. [209] Furetière dit : « on dit figurément qu'un homme a un bandeau sur les yeux, pour dire, qu'il est préoccupé de quelque passion, qui l'empêche de voir la vérité de quelque chose ». [210] Voir la note du vers 931. [211] Le substantif *hallebarde* désigne « une arme offensive qui a une hampe au bout de laquelle il y a un fer large, poli et façonné » (Richelet). [212] Voir la note du vers 357. [213] « On dit proverbialement qu'on a mis quelqu'un en cervelle pour dire qu'on l'a mis en peine, en inquiétude, quand on lui a fait espérer quelque chose dont il attend impatiemment le succès » (Furetière). [214] Le mot *surprise* peut être compris dans ses deux sens, *étonnement* et « tromperie, chose qu'on fait contre l'ordre ou sur la confiance d'autrui » (Furetière). [215] *Il y va trop du mien* a le sens de *cela me concerne trop*. [216] Le mot *affronteur* signifie « qui trompe » (Furetière). [217] Le verbe *se tenir* a le sens de « loger en un certain lieu », Richelet ajoute que ce sens se trouve dans un style simple, dans le comique. [218] La graphie *doncques* est une variante poétique de *donc* et compte pour deux syllabes. Cependant le *–s* final n'a pas grand intérêt dans ce vers car *doncques* précède un mot à initiale consonnantique, aucune liaison n'est alors possible. [219] Voir la note du vers 1137. [220] Le sujet de cette propostion est inversé pour exprimer le souhait, il faut comprendre *que les Dieux la conduisent comme je le souhaite*. Le pronom personnel *la* réfère à « la chose » dont parle Clitandre, c'est-à-dire le fait de faire parvenir à Polémas la lettre où il demande une dot plus importante. Ormin manifeste ici son souhait quant au sort de son maître, mais ce vœu reste à double entente : on ne sait pas vraiment ce que pense Ormin car il vient de condamner le comportement de Clitandre, peut-être espère-t-il que son maître sera puni pour son manque de parole. [221] *En autre lieu* équivaut ici à *quelqu'un d'autre.* [222] Voir la note du vers 306. [223] Le substantif *lozange* est féminin au XVII*e* siècle. [224] On trouve au XVII*e* siècle *à* à la place de *de* après le verbe *oublier* (Haase, p. 327). [225] Furetière définit l'expression *quadran au soleil* comme « une délinéation sur un plan ou une muraille de certaines lignes qui marquent l'heure par le moyen de l'ombre d'un style qui est élevé au milieu ». Ormin compare la longueur du nez de Pauline à celle du style. [226] Vaugelas estime que l'emploi du verbe *ressembler* avec un régime direct est vielli, qu'il s'emploie avec un datif, sauf en poésie où les deux sont régulièrement admis (p. 481). [227] Voir la note du vers 892. [228] Le verbe *brasser* « signifie figurément, faire quelque conspiration ou machine pour trahir ou perdre quelqu'un » (Furetière). [229] La ponctuation indique ici une pause. [230] Entendre *sans l'envier, sans jalousie*. [231] Octave utilise ici le lexique de l'héritage en employant les termes « bien », « succede ». Le substantif *bien* a ici le sens de « bonheur » (Furetière) et le verbe *succéder* signifie *parvenir à quelque chose après quelqu'un*. Il faut entendre *faites que je prenne la place de Clitandre, que je gagne le bonheur qu'il avait*. [232] Le pronom *y* reprend l'énoncé d'Octave, le mariage que celui-ci propose à Diane. [233] Le verbe *entendre* a ici le sens de « donner son consentement, consentir, approuver » (Académie). [234] « Marquant un rapport de lieu au sens figuré, *de* s'emploie au XVII*e* siècle avec *s'allier* (de quelqu'un qui, comme dans l'ancienne langue, est considéré comme le promoteur de l'action) » Haase, p. 142. [235] La conjonction *que* a ici le sens de *rien*. Vaugelas indique que cet emploi de *que* devant l'infinitif est élégant (p. 489). [236] Voir la note du vers 1137. [237] Le *temple* « se dit quelquefois en un style élevé des Églises des Chrétiens » (Furetière). [238] Le terme *ressentiment* « se dit figurément en morale, des sentiments de l'âme quand elle est émue de certaines passions » (Furetière). [239] Voir la note du vers 1079. [240] Au XVII*e* siècle, on trouve parfois la deuxième personne du présent de l'indicatif des verbes en *–er* sans *–s* final (Spillebout, p. 186). [241] Voir la note du vers 15. [242] Le mot *compagnie*, selon Richelet, désigne des « gens qui sont ensemble en un même lieu pour se réjouir, ou pour quelque affaire ». [243] Voir la note du vers 342. [244] Vaugelas affirme qu'il faut dire *asseions-nous* (p. 166). [245] Voir la note du vers 663. [246] Le verbe *priser* a le sens de « estimer, faire cas » (Furetière). [247] Le substantif *mandement* a le sens d'« injonction de venir » (Furetière). [248] Après certains verbes impersonnels comme *il plaît* suivis de l'infinitif, on omet parfois la préposition *de*. Au XVII*e* siècle, cette construction est déjà archaïque (Haase, p. 201). [249] Voir la note du vers 351. [250] Cette expression se dit de « ce qui est propre et convenable à quelqu'un » (Académie). [251] Voir la note du vers 330.