--- identifier: ouville_espritfolet creator: Ouville, Antoine d' ; Georges Forestier. date: 1642 title: L'Esprit folet. Comédie --- L'Esprit folet Comédie PAR Monsieur D'OUVILLE. A PARIS. Chez TOUSSAINT QUINET, au Palais, en la gallerie des Merciers, sous la montée de la Cour des Aydes. M. DC. XLII.*Avec Privilege du Roy.* Édition critique établie par Elsa Jollès dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (2000). # Introduction. *L'Esprit Folet* d'Antoine Le Métel, sieur d'Ouville, fut représenté pour la première fois à l'hôtel de Bourgogne en 1638 ou en 1639. Cette pièce est une comédie, et qui plus est, une comédie dite « à l'espagnole », parce qu'elle est adaptée d'une *comedia* de Calderòn de la Barca, *La Dama duende*. Angélique, une jeune veuve, est cloîtrée chez elle par ses deux frères qui exigent d'elle une conduite irréprochable. Lors d'une de ses escapades secrètes, elle rencontre l'un de ses frères, Licidas, alors qu'elle est voilée et qu'il ne peut la reconnaître. Pour échapper à sa curiosité, elle demande à un gentilhomme, Florestan, de la protéger. Or ce dernier n'est autre que l'ami de l'autre frère d'Angélique, Lizandre, qui doit le loger chez lui. Florestan se retrouve à son insu dans la même maison que sa protégée, laquelle va tout faire pour communiquer avec celui dont elle est tombée amoureuse, au moyen de panneaux coulissants qui séparent leurs deux chambres. Elle lui fait passer des lettres et des présents sans que le jeune homme ne puisse s'expliquer par quel moyen, bien que son valet superstitieux, Carrille, croit que c'est là l'œuvre d'un « esprit folet ». Si Isabelle, la suivante d'Angélique, puis Angélique elle-même, manquent avouer le subterfuge à Florestan lorsqu'elles se font surprendre aux actes III et IV, elles préservent le mystère jusqu'à l'acte V, lorsqu'elles reçoivent le jeune homme et son valet. La fête nocturne est interrompue par Licidas, qui se croit déshonoré par sa sœur. Finalement, l'issue de la pièce est heureuse : Florestan et Angélique vont se marier, ainsi que Licidas et la sœur de Florestan, dont il a été question du portrait. Cette pièce est extrêmement originale dans la mesure où elle nous présente une jeune fille plus qu'audacieuse, et un valet bouffon, qui n'aide en rien les amours de son maître. Cela est dû, bien sûr, à la nouveauté de la source d'inspiration, car d'Ouville est l'un des premiers à se tourner vers le vivier des *comedias* espagnoles, qui développent des thèmes originaux, mais également au savoir-faire de l'auteur français, dont la verve comique a su inspiré Molière. # Qui est d'Ouville ? Établir la biographie d'Antoine le Métel, sieur d'Ouville, semble assez problématique, car sa vie est très mystérieuse, à commencer par ses dates : il serait né, selon toute probabilité, à Rouen, entre les années 1587 et 1590. Sa mort est attestée en 1657 dans la *Suite des Mémoires de Michel de Marolles*, où l'auteur mentionne « feu seigneur d'Ouville ». Il est le fils d'un procureur de Rouen, et surtout le frère aîné du fameux abbé François le Métel, sieur de Boisrobert, le confident de Richelieu, qui écrivit également des pièces de théâtre et des recueils de contes et de nouvelles. D'Ouville a probablement pâti de la réputation brillante de son frère, en jouant les faire-valoir : c'est ce dernier qui lui a, semble-t-il, obtenu ses titres de noblesse et a protégé sa carrière. Ingénieur hydrographe et géographe du roi, d'Ouville perd un jour sa pension ainsi que le raconte Tallemant des Réaux. Boisrobert va défendre les intérêts de son frère auprès de Monsieur de la Vrillière, le secrétaire d'Etat, qui le tance vertement : « Vous vous passeriez bien de me faire accabler par tout le monde pour vostre frere, pour un homme de nul mérite. » Boisrobert, en contant l'histoire à ses proches, n'a garde d'ajouter : « Je le sçavois bien, il n'avoit que faire de me le dire, je n'allois pas là pour l'apprendre. » La postérité n'est pas amène non plus, comme en témoignent certains jugements d'érudits tel que celui-ci : « Ses Comédies n'ont eu aucun succès ; ses Contes, quoiqu'écrits avec plus de naturel, ne méritent pas le succès qu'ils ont obtenu. Ils n'ont guère servi qu'à populariser une foule d'anecdotes ordurières et de mauvais quolibets que la morale et le goût devraient vouer à l'oubli [1]. » Bien pis, une certaine tradition attribue l'œuvre de d'Ouville à son frère, le premier servant de prête-nom au second ! Essayons de nous débarrasser des jugements à l'emporte-pièce et d'une certaine tradition littéraire pour nous en tenir aux témoignages de d'Ouville lui-même. Tout d'abord, si d'Ouville est ingénieur, cela signifie que la littérature n'est pour lui qu'un passe-temps, une activité complémentaire, ce qui est très courant au XVII*e* siècle. Mais avec ce que l'on pourrait appeler la « professionnalisation » de la littérature aux siècles suivants, il est normal que cette position aie été mal comprise. En somme, d'Ouville ne serait qu'un amateur, un dilettante pour la postérité. Un amateur tout de même fort original: au XVII*e* siècle, il est célèbre pour sa connaissance exceptionnelle des langues étrangères, ainsi qu'en témoigne Boisrobert dans *La Fouyne de Seville* : d'Ouville est « l'homme de toute la France qui parloit le mieux Espagnol. » En effet, et c'est là la spécificité de d'Ouville, il a beaucoup voyagé. C'est ainsi que l'on est sûr qu'il a effectué un séjour de sept ans en Espagne durant sa jeunesse, et que Frederick de Armas situe entre les années 1615 et 1622 [2]. Il est donc très au fait de la vie quotidienne espagnole, et surtout de la vie littéraire. Témoin de la prodigieuse vitalité de la *Comedia nueva*, c'est tout naturellement qu'il adapte, à son retour en France, des pièces de Lope de Vega ou de Calderòn. C'est ainsi qu'il écrit et fait jouer dix comédies, entre 1638 et 1650. Mais l'Espagne n'est pas son seul centre d'intérêt, puisqu'il fait également un long séjour de quatorze ans à Rome, que seule mentionne l'épître dédicatoire de ses *Nouvelles exemplaires et amoureuses.*(Il faut d'ailleurs noter qu'il écrivit deux comédies à l'italienne.) Il se fait également le traducteur de nouvelles picaresques, tels en 1644 les *Contes aux heures perdues*. Il est parallèlement au service de Louis Foucault, Comte du Dognon, entre 1643 et 1650. Puis il se retire au Mans, où il meurt en 1657. *L'Esprit folet* est sa deuxième pièce, après *Les Trahizons d'Arbiran*, une tragi-comédie de 1637. # L'intrigue et sa source. *L'Esprit folet* est une adaptation assez fidèle d'une *comedia* de Calderon de la Barca, *La Dama duende*. La scène se passe à Madrid, le 4 novembre 1629. Analysons brièvement la pièce de Calderon. ## Première journée. À l'occasion du baptême du dauphin, Don Manuel, un gentilhomme de province, se rend à Madrid avec son valet Cosme. Il doit loger chez son ami Don Juan, qui est également son obligé. Il sauve Angela, une jeune femme voilée, d'un importun, Don Luis. Les deux hommes sont en train de se battre, lorsque survient Don Juan, le frère de Don Luis, que Beatriz son amante veut dissuader de prendre part à la querelle. Don Manuel, blessé, et Don Juan se reconnaissent et s'embrassent, tandis que Don Luis se montre galant envers Beatriz qui l'éconduit. Il se plaint de ses malheurs à son confident Rodrigo, et s'inquiète de ce que son frère loge Don Manuel en la même maison que leur sœur. Elle est veuve, et son mari est mort avec des dettes. Bien heureusement, une armoire vitrée cache la porte qui relie les appartements de Don Manuel et d'Angela. Cette dernière, qui n'a pas été reconnue par son frère, est obligée de se changer rapidement, et fait ses doléances à sa suivante Isabelle : sa condition l'empêche de se livrer aux plaisirs mondains, elle est donc obligée de se voiler. Survient Don Luis qui lui raconte son aventure : il a rencontré une mystérieuse jeune femme sur la place du palais, et fut piqué au vif par son entêtement à se cacher de lui. Il lui annonce également la venue de Don Manuel au logis. Dès qu'il est parti, Isabelle révèle à sa maîtresse le secret de l'armoire : elle pourra ainsi prendre des nouvelles du convalescent. Après que Don Manuel et Don Luis ont échangé leurs épées en signe de courtoisie, Cosme se plaint d'être tombé dans une fontaine et amuse la galerie. Seul, il vérifie qu'il a bien tout l'argent qu'il a dérobé à son maître. Puis Angela et Isabelle entrent dans l'appartement de Don Manuel laissé vacant. Elles fouillent les valises du maître et du valet, et Isabelle dérobe l'argent de Cosme en le remplaçant par du charbon. En rentrant, Cosme trouve l'appartement en désordre et son argent métamorphosé. Il prend peur, et soutient aux gentilshommes que c'est l'œuvre d'un esprit follet. Personne ne le croit. Quant à Don Manuel, il trouve la lettre de remerciement que lui a laissée Angela et soupçonne quelque galanterie. ## Deuxième journée. Angela s'est confiée a Beatriz, elle est heureuse de la réponse que Don Manuel a faite à sa lettre. Don Juan arrive, et Beatriz lui raconte qu'elle s'est querellée avec son père qui a vu un homme à son balcon, lequel n'est autre que Don Juan. Ce dernier sorti, Don Luis arrive, Beatriz veut se retirer. Malgré ses protestations d'amour, il importune la jeune femme, qui sort. Rodrigo écoute donc à nouveau les plaintes de Don Luis, jaloux à la fois de son frère et de Don Manuel. Celui-ci arrive et apprend que Don Luis est dédaigné, peut-être de l'inconnue, ainsi qu'il se l'imagine. Pour sa part, il s'avoue heureux de sa bonne fortune, même s'il ne comprend pas comment les lettres de l'inconnue lui parviennent. Pendant ce temps, Isabelle n'est pas très rassurée dans l'appartement de Manuel. Elle doit lui déposer une corbeille en cadeau. Lorsque Cosme survient, elle lui fait peur par taquinerie, mais Don Manuel l'attrape. Elle se dégage en lui laissant une lettre de sa maîtresse. Finalement, Angela, Isabelle et Beatriz rient du bon tour qu'elles leur ont joué. Mais Don Luis les espionne, et croit par un quiproquo que Don Juan va passer dans l'appartement de Beatriz. Ce dernier survient pour annoncer l'absence de Don Manuel jusqu'au lendemain. Beatriz et lui s'entretiennent tendrement de leur amour réciproque. Angela vient ravir dans l'appartement de Don Manuel le portrait d'une dame qu'elle a trouvé dans les affaires du jeune homme. Lorsque surviennent Cosme et Don Manuel à l'improviste, ce dernier s'émerveille de la beauté de la jeune fille et la saisit. Angela ne parvient à s'échapper qu'en employant la ruse. Les deux hommes ne peuvent s'expliquer sa mystérieuse disparition. ## Troisième journée. Dans l'obscurité, Isabelle conduit Don Manuel au rendez-vous que lui a donné Angela. Il se retrouve entouré de toutes les jeunes femmes, et fait la cour à Angela, qui dissimule son identité par un subterfuge : Beatriz joue les fausses étourdies en faisant passer Angela pour une grande dame. Lorsque Don Juan survient à l'improviste, Don Manuel sort, accompagné d'Isabelle. Les deux jeunes femmes décident de se cacher dans un cabinet. Quant à Don Manuel, il est reconduit à son insu dans son appartement, et retrouve Cosme à sa grande surprise. Isabelle enlève le valet à cause d'un quiproquo, tandis que Don Manuel se cache dans l'alcôve. Stupéfaites quand Isabelle ramène Cosme, elles sont très désappointées lorsque Don Luis survient et découvre Beatriz. La colère de ce dernier est à son comble quand il se rend compte que les deux appartements communiquent effectivement, et qu'il trouve Cosme chez sa sœur. Furieux, il provoque Don Manuel en duel. Ce dernier le désarme en faisant montre de sa générosité, ce qui laisse Don Luis perplexe. Pendant ce temps, Don Juan a surpris Angela qui s'enfuyait, et la mène dans l'appartement de Don Manuel. La jeune femme se voit obligée de dire tout son subterfuge, et d'avouer à son amant qu'elle est la sœur de ses hôtes. Don Manuel ment pour la défendre, en prétendant qu'il ne la connaît pas. Don Luis lui accorde alors la main d'Angela. Quant à Don Juan, il a découvert son amante qui s'était dissimulée. L'issue est donc heureuse, et l'auteur s'excuse par la bouche de Cosme de ses extravagances. S'il semble évident que d'Ouville fut l'adaptateur fidèle de Calderòn, il nous faut noter quelques différences essentielles. Tout d'abord, d'Ouville est le premier auteur à substituer aux noms espagnols des noms français ou d'origine grecque en usage : Angela devient Angélique, Don Manuel devient Florestan. Ensuite, il ancre son intrique dans des réalités bien parisiennes : il est fait mention de l'hôtel de Bourgogne, du Cours-la-Reine, du cimetière joignant Saint Innocent, tandis que chez Calderòn, l'intrigue se déroule à Madrid, à l'occasion des fêtes pour le baptême de l'infant Baltazar. La rencontre entre Angela et Don Luis a lieu sur la P*laza del Palacio*. De même, d'Ouville évoque des réalités contemporaines françaises, comme l'épuration récente du théâtre, l'éloge de la comédie, ou les distractions d'une Parisienne. L'intrigue de la pièce française est fidèlement calquée sur la pièce espagnole, c'est pourquoi nous n'en redonnerons pas de résumé. Cependant, d'Ouville a fait l'effort de se mettre au goût français en simplifiant et en concentrant l'action pour plus de cohérence : l'intrigue secondaire, qui concernait l'idylle de Beatriz et Don Juan, et la jalousie de Don Luis, disparaît. Lucinde, dans la pièce française, n'a donc pas la même importance que Beatriz, de même que Lizandre, puisqu'ils ne sont liés par aucune intrigue amoureuse d'aucune sorte. Ceci a notamment pour conséquence de simplifier le dénouement de *L'Esprit folet* : toute la troisième journée de *La Dama duende* représente l'acte V de la pièce de d'Ouville. Ce dernier a concentré l'action riche en péripéties et en quiproquos, et supprimé le fait que le rendez-vous de Manuel et Angela soit interrompu par les entrées successives de Don Juan et Don Luis et compliqué d'un quiproquo (la servante prend le valet pour le maître). Lucinde n'est pas obligée de se cacher comme Beatriz, et dans la pièce française, le rendez-vous est uniquement interrompu par Licidas qui découvre Florestan et Carrille dans leur fuite. Licidas tente de provoquer Florestan en duel, mais y renonce lorsqu'il se rend compte que le jeune homme est également dupe d'une farce que seule sa sœur peut expliquer. L'action de cette pièce n'est donc pas très compliquée : elle consiste en de nombreuses péripéties qui s'organisent selon un *crescendo*. Florestan et Angélique ne se rencontre véritablement que deux fois : au début et à la fin. Entre-temps, leurs rapports auront changé : Florestan se porte d'abord au secours d'une inconnue, dont il tombe progressivement amoureux. Angélique éprouve très vite des sentiments amoureux à l'égard du jeune homme, et doit donc le séduire. L'action progresse de façon à rapprocher les deux jeunes gens : à l'acte II, Angélique et sa suivante pénètrent dans la chambre de Florestan lorsqu'il est absent. C'est la première rencontre galante. Elle est indirecte, car Angélique ne se familiarise qu'avec les objets qui lui appartiennent (sa valise). Puis à l'acte III, c'est Isabelle qui rencontre Florestan. Là encore la rencontre est indirecte, puisqu'Isabelle est l'émissaire de sa maîtresse. La progression est nette à l'acte suivant, étant donné qu'Angélique se déplace en personne, et rencontre involontairement Florestan, lequel est séduit par sa beauté. Enfin, nous pouvons considérer qu'Angélique a gagné la partie à l'acte V : C'est Florestan qui décide de son plein gré de se déplacer et d'aller chez elle. La rencontre amoureuse se fait dans les conditions qu'avait souhaitées Angélique. L'unité de lieu n'est guère respectée dans les deux pièces, ce qui est normal puisque les ais coulissants entre les appartements de Florestan et d'Angélique forment le cœur de l'intrigue : c'est ainsi qu'on passe de la rue à la chambre d'Angélique puis à celle de Florestan. On peut noter plusieurs liaisons à vue : I, 5 ; II, 5 ; III, 1, 2, 4, 6 ; IV, 2, 5 ; V, 4, 6. En revanche, l'unité de temps est mieux respectée dans la pièce française que dans la pièce espagnole : l'intrigue se déroule dans la nuit qui suit le jour où elle a commencé. Ceci correspond en fait à l'exigence classique – naissante – de concentration dramatique, par souci de plaire au goût français. En outre, les personnages de d'Ouville se démarquent de ceux de Calderòn. Florestan est un jeune provincial qui est ébloui de découvrir en Louis XIII un urbaniste avisé. Il est l'ami de deux gentilshommes qui appartiennent à la bonne société fréquentant l'hôtel de Bourgogne ou le Cours-la-Reine. Les valises de Don Manuel étaient très représentatives d'un homme qui a fait la campagne du Piémont, a commandé un régiment et va être gouverneur de province : elles contiennent le nécessaire d'un homme d'action. Il doit avant tout remettre des dossiers au roi. À l'inverse, les valises de Florestan sont celles d'un jeune oisif, d'un provincial qui monte à Paris. Il est avant tout un élégant, qui possède le nécessaire comme le superflu : rubans, bas de soie, poudre pour les cheveux, bracelets. Voilà l'attirail du courtisan. Carrille est, quant à lui, un valet plus actif que Cosme. Il tient tête à son maître, et peut faire montre de beaucoup d'esprit, notamment lorsqu'il se tire d'un mensonge face à Licidas (II, 3), alors que Cosme s'en tire plus platement : Je ly bien le moûlé, mais non pas l'escriture. Tous ses défauts (saleté, goinfrerie…) sont mis en relief par l'inventaire de sa valise sur lequel d'Ouville insiste à plaisir. Si ses terreurs superstitieuses sont plus cocasses que celles de Cosme, parce qu'il énumère bien plus de croyances absurdes, il est en même temps plus audacieux : il ose s'approcher de Lucinde et Isabelle pour les conjurer (V, II), contrairement au valet espagnol. C'est son caractère très fort qui donne en partie à la pièce sa tonalité comique. Dans la *Dama duende*, on trouve beaucoup plus d'images emphatiques et lyriques. Songeons par exemple au compliment de Manuel pour Angela à la scène 1 de la troisième journée : Que quien sabe al aurora, bien sabe que su cuidado En las sombras sepultado de la noche oscura y frìa, Ha de tener ; y asì hacìa gusto el pesar que pasaba Pues cuanto màs se alargaba tanto màs llamaba al dìa. Si bien no era menester p asar noche tan oscura, Si el sol de vuestra hermosura me habèia de amanecer ; Que para resplendecer vos, soberrano arrebol, La sombra ni el tornasol de la noche no os habìa De estorbar ; que sois el dìa que amanece sin el sol. Huye la noche señora, y pasa a la dulce salva De los pàjaros del alba que ilumina, mas no dora ; Después del alba la aurora, de rayos y luz escasa Dora, mas no abrasa. pasa La aurora, y tras su arrebol Pasa el sol ; y sòlo el sol dora, ilumina y abrasa. El alba, para brillar, quiso a la noche seguir ; La aurora, para lucir, al alba quiso imitar ; El sol, deidad singular, a la aurora desafìa, Vos al sol ; luego la frìa noche no era menester, Si podéis amanecer sol del sol después del dìa. Ce compliment est long, c'est un véritable déploiement de poésie cosmique, d'images baroques mêlant mouvement et lumière. Soleil, aube et aurore s'entremêlent en un mouvement étourdissant. Le compliment de Florestan à Angélique (V, 2) est autre : Deesse que j'adore On souffre bien la nuit quand on attend l'Aurore, Elle m'eust semblé longue en osant esperer Qu'un si brillant Soleil me devoit esclairer, Mais si vos divins yeux excitent dans un Ame Si tost qu'on les regarde une si belle flame Qui peut en son abord chasser l'obscurité, Que n'ay-je veu plus tost cette rare beauté, Ce miracle d'Amour, dont le merite extreme, Me fait perdre les sens, et m'oublier moi-même. Le compliment est ici précieux, mais il ne s'agit que d'une aimable poésie de salon, quelques pointes aux images déjà connues. À l'inverse, les scènes les plus savoureuses de la pièce française, telles que l'inventaire des deux valises, ou la dispute « théologique » du maître et du valet ne se trouvent pas exploitées pour leur potentialité comique dans le modèle espagnol. La pièce de d'Ouville est plus franchement bouffonne. Cependant, la tonalité de la pièce est nettement duale, et varie très clairement avec les personnages. Les gentilshommes sont remplis de leur sens de l'honneur et du devoir, c'est pourquoi la pièce prend une coloration héroïque lors du duel, de l'échange des épées, voire tragi-comique lorsque Licidas veut tuer sa sœur. Lorsque il fait irruption à l'acte V, les jeunes femmes sont catastrophées : c'est la fin de la fête. Le ton de Florestan, autre vaillant cavalier, est un peu plus léger car il est amoureux et veut percer le mystère de son inconnue. Dans ses lettres ou dans ses conversations avec Angélique, il n'hésite pas à employer le vocabulaire et les gestes de la chevalerie. Cette tonalité se veut donc très romanesque, surtout lors des scènes des jeunes filles. Ce sont elles qui sont à l'origine de l'intrigue, et elles mènent une véritable entreprise galante. Il s'agit pour Angélique de charmer Florestan, au sens propre comme au sens figuré. À cette tonalité romanesque s'oppose la tonalité comique voire bouffonne, qui est l'apanage exclusif du valet Carrille. Il est très présent sur scène, et assure donc une comédie joyeuse d'un bout à l'autre par ses craintes irrationnelles. C'est ce mélange unique et harmonieux de romanesque héroïque et galant et de comique presque farcesque qui confère à *L'Esprit folet* son originalité. # Les caractères. **Florestan** est le type du *caballero*, le « cavalier » au sens de « chevalier » ; il est d'ailleurs très souvent nommé ainsi. Il en possède toutes les vertus et tous les attributs, dont le plus évident est son épée : après avoir sauvé Lizandre qui est son obligé, il protège Angélique des entreprises de Licidas (I, 1). Il n'hésite pas à se battre en duel avec lui, puis à procéder à l'échange des épées lorsque les deux hommes ont reconnu leur bravoure respective (II, 2). Enfin c'est son courage qui le dessert aux yeux du même Licidas, puis qu'il a l'épée à la main, ce qui semble prouver sa culpabilité (V,5). Florestan répond fièrement : Ne sçachant où j'estois en cette extremité Est-il homme de cœur qui l'eust euë au costé Se voyant poursuivi ? Cette bravoure ne va pas sans un certain manque de finesse : stupéfait devant les ruses d'Angélique, il tire son épée pour l'obliger à se démasquer (IV, 3), ce qui montre ses limites. Sa bravoure l'entraîne à faire davantage usage de sa force physique. La jeune fille sait d'ailleurs fort bien se jouer de lui en se montrant plus astucieuse. En outre, il la met en danger en refusant de mentir devant Licidas (V,5) : en lui avouant qu'il ne connaît pas Angélique, il révèle au frère de cette dernière qu'elle a agi de son propre chef. D'autre part, la bravoure de l'Hidalgo est ici nettement parodique : c'est le modèle de Don Quichotte qui est évoqué (I, 4), alors qu'il voudrait être Amadis. Cependant, Florestan est également l'idéal du galant homme : c'est un personnage raffiné, qui sait apprécier la beauté du nouvel urbanisme parisien (I, 1) mais aussi employer métaphores et images précieuses pour séduire celle qu'il nomme sa Dame (III, 1). Sa tournure est « curieuse », c'est-à-dire élégante, comme en témoigne l'énumération des richesses de sa valise (II, 5). Enfin, l'originalité du caractère de Florestan réside essentiellement dans son bon sens : il comprend instinctivement la supercherie, bien qu'il ne puisse clairement se l'expliquer (II, 8). Cet homme pragmatique ressemble à s'y méprendre à un libertin, lorsqu'il explique à son valet, dans la même scène, qu'il ne croit à aucune des superstitions en vogue. Cependant, il avoue croire à Dieu et diables, ce qui nous permet de comprendre que la scène servait avant tout à ridiculiser le crédule Carrille. Le valet **Carrille** est assurément un type nouveau sur la scène française. D'Ouville en est conscient, puisqu'il écrit dans son épître dédicatoire : « Ce foible Esprit qui fait le bouffon de la pièce (et qui à bon droit en peut estre nommé le Heros, puisque c'est luy qui fait la plus grande partie du sujet) ». C'est là le point important : Carrille est l'un des moteurs essentiels de l'action, il n'est plus le simple serviteur de son maître, il est d'ailleurs autant présent sur scène que Florestan ( 21 scènes sur 37). Par ses craintes superstitieuses, c'est lui qui confère à l'intrigue son caractère surnaturel, alors qu'elle n'est qu'une aimable farce. Comme les valets italiens, Carrille a de l'esprit : il ironise sur ses malheurs (IV, 1), et sait avoir du répondant face à Licidas qui le met face à ses mensonges (III,1), lorsqu'il lui rétorque : Je ly bien le moûlé, mais non pas l'écriture. Carrille est un peu l'héritier d'Arlequin, il remplit à merveille son rôle de bouffon, comme en témoigne sa dernière réplique, qui est aussi la réplique finale (V, 7): Je vay donc de bon cœur faire une capriole Carrille sait faire rire. Mais sa grande originalité, c'est de faire rire à ses dépens : il est, de façon caricaturale, l'homme du *vulgum pecus*, l'exact opposé de l'hidalgo. C'est le valet des *comedias* que l'on nomme le *gracioso.* Ses préoccupations sont tout à fait grossières : il est gourmand, ivrogne, voleur, menteur, borné, misogyne, et rustre. Loin de s'extasier, à l'instar de Florestan, sur la beauté de Paris, il affirme la supériorité de son village (II, 3), ce qui marque pour l'époque son absence de raffinement. Sa valise parle pour lui : ce bric-à-brac utilitaire est celui d'un paysan sale et rustre. Fatalement, c'est celui d'un homme pauvre, comme le remarque Isabelle (II, 5). Cette valise est bien entendu risible, et son ridicule est mis en valeur par l'examen antérieur de la valise très raffinée de Florestan. En outre, la principale caractéristique de Carrille est celle d'être un lâche, en toutes situations. À l'acte I, il craint de se trouver mêlé à un duel. Aveuglé dès le départ par sa superstition, il refuse de raisonner et se voit donc toujours la victime des ruses d'Angélique et Isabelle. Il enrichit l'intrigue de ses croyances absurdes : coq d'Inde noir, esprit follet ou diable, c'est ce que pourrait bien être Angélique. Cependant, le spectateur connaît l'astuce dès le premier acte ; les peurs de Carrille ne peuvent donc être que comiques. Son absence de courage est éminemment dramatique parce qu'elle est physique. Sa peur est tellement grande qu'il va jusqu'à « s'oublier », en une sorte de grotesque apothéose de sa peur. Mais la superstition du valet en vient presque à surpasser sa lâcheté, lorsqu'il effectue un jubilatoire rite de conjuration (V, 2). Nous pouvons finalement penser que Carrille est le double négatif de son maître, en toutes circonstances. Lorsque Florestan tremble d'amour, Carrille tremble de peur (IV, 3). Plus que jamais maîtres et valets se retrouvent opposés et complémentaires, c'est-à-dire indispensables l'un à l'autre. Cependant, il est difficile de ne pas accorder la préférence au valet :il est le véritable personnage original, face à un gentilhomme qui ne débite que des platitudes galantes ou chevaleresques. Il faut ainsi noter que la tonalité comique l'emporte largement sur la tonalité romanesque et galante . C'est bien Carrille qui donne son titre à la pièce. **Angélique** est également un personnage très intéressant. C'est incontestablement elle qui mène l'action, ce qui est tout nouveau car imité de la Comedia. Depuis Plaute et Térence, les jeunes filles étaient toujours l'objet du désir des jeunes hommes, et elles étaient soit absentes, soit muettes. Dans la comédie espagnole, tout se renverse : ce sont elles qui sont passionnées et qui font tout pour conquérir le jeune homme dont elles sont éprises. Angélique est veuve : cette condition pourrait être celle du seul affranchissement que connaissent traditionnellement les femmes, comme Célimène dans *Le Misanthrope* de Molière, mais ce n'est pas le cas, comme elle le dit elle-même : Estant vefve j'ay creu me voir en liberté, Mais on me traitte avec bien plus d'austérité Je n'avois qu'un mary, maintenant j'ay deux freres, Qui plus qu'il ne m'estoit, cent fois me sont severes Cependant, elle réussit à faire de la maison dans laquelle elle est enfermée, c'est-à-dire de sa prison, le lieu de sa toute puissance et de sa liberté, en se jouant de ses frères et de Florestan lui-même. Le lieu de l'enfermement est détourné de sa fonction première, et comme perverti par l'utilisation des deux ais coulissants. Angélique est une audacieuse, une révoltée contre sa condition : elle va à tous les plaisirs mondains à l'insu de Licidas et Lizandre. Puis lorsqu'elle se trouve attirée par Florestan et qu'Isabelle lui propose un subterfuge pour le rencontrer, elle n'hésite pas une seule seconde (I, 7) : Allons donc promptement, Et sans plus consulter executer la chose, J'approuve cet advis que ton esprit propose Il faut tout de même noter qu'Angélique ne va pas jusqu'à dépasser les limites de la bienséance, ainsi qu'elle l'explique à Lucinde (II, 1) : son amour « est bien dans l'innocence ». Cependant, son audace est telle qu'elle frôle la mort (V, 7), car Licidas s'estime offensé par sa conduite impudique : une jeune fille ne se « produit » pas elle-même. Son esprit d'initiative et son indépendance lui font prendre des risques. En outre, Angélique n'est pas un personnage de jeune première traditionnelle, car elle n'est pas véritablement précieuse. Elle est tout à fait interloquée par la lettre métaphorique et hyperbolique de Florestan, qui se veut galante (III, 1). De même, elle refuse ses compliments un peu trop rhétoriques (V, 2) : Mais je ne celle point Florestan, que je hais De pareils complimens quand ils vont dans l'excez. Les attentions d'Angélique à l'égard de Florestan appartiennent à l'arsenal de la préciosité (lettres de forme poétique, présents délicats…), mais la jeune fille en elle-même est bien plus romanesque que précieuse :elle n'attend pas qu'on lui fasse une cour raffinée, elle va au-devant de ce qu'elle souhaite. **Isabelle** est un personnage de servante plus traditionnel : elle est là avant tout pour aider sa maîtresse dans ses entreprises. Elle la suit lors de ses escapades, et est sa confidente attitrée (I, 5). Ingénieuse, c'est elle qui est à l'origine de la ruse des ais coulissants. Avec malice, elle substitue à l'argent de Carrille du charbon (II, 5),puis lui donne, comme dans la farce, quelques coups de bâton (III, 5). Elle se joue même avec plaisir de ses peurs (V, 2). Angélique reconnaît son adresse (III, 6) : Isabelle il est vray, tu vaux ton pesant d'or. Pleine de bon sens et consciente des bienséances, elle calme les révoltes de la jeune maîtresse dont elle est proche (I, 5), mais sait également se montrer un peu impertinente à son égard, car elle a le sens de la répartie (II, 5). Sa morale est quelque peu douteuse : une jeune fille peut se livrer à ses plaisirs, à condition que personne ne le sache. **Licidas** joue un double rôle de fâcheux dans l'intrigue : il est à la fois le prétendant éconduit par Angélique (I, 2), et le frère sévère qui représente une sorte d'autorité paternelle : avec aménité, il conseille à sa sœur de ne plus pleurer son mari (I,6), mais en même temps il ne peut supporter qu'elle se distraie innocemment avec sa cousine (V, 5). Lorsqu'il découvre la supercherie, il est prêt à la tuer (V, 7). Licidas semble en fait un personnage de tragi-comédie ; il est toujours prompt à tirer l'épée (ses duels réels ou esquissés avec Florestan encadrent l'action). Il est gentilhomme, il a donc un sens élevé de l'honneur : c'est à son initiative que Florestan et lui échangent leurs épées (II, 2). Cependant, son naturel susceptible prend toujours le dessus. Ainsi que l'affirme Angélique (I, 5) : « il est prompt ». Il ne sait pas se comporter en galant homme avec la belle inconnue, parce qu'il est vexé qu'elle ne veuille pas lui montrer son visage. De même, il s'impatiente vite face à Carrille (I, 3) et se bat sans états d'âme. Il peut ainsi proclamer : De satisfaction je n'en fis en ma vie **Lizandre** est l'obligé de Florestan, ce pour quoi il se montre à son abord très amical. C'est un personnage de moindre importance que Licidas, car il est plus pondéré. Lorsque la ruse d'Angélique est découverte, et alors que Licidas semble prêt à tuer sa sœur, Lizandre veut d'abord entendre ses explications (V, 7) : Mais sans nous abuser Dy-le tout franchement et sans rien déguiser. **Ariste** est le modèle du serviteur discret et courageux quand il s'agit de prendre le parti de son maître (I, 3). Sa bravoure, qui est un pastiche d'une réplique fameuse de Don Diègue dans *Le Cid*, met surtout en valeur la couardise de Carrille. # Les thèmes principaux. En adaptant une comédie espagnole, d'Ouville introduit non seulement un type d'intrigue et de personnages bien défini, mais également certains thèmes nouveaux. Il faut tout d'abord remarquer que l'intrigue de cette pièce consiste en une grande mascarade : une jeune fille se dissimule pour communiquer avec l'élu de son cœur, sans que ce dernier sache comment elle y parvient, et sans que ses frères en soient informés. C'est pourquoi nous pourrions parler ici d'un véritable jeu d'**ombre et lumière**. Les personnages se répartissent selon plusieurs catégories : -certains sont des êtres qui ne dissimulent rien, ils n'ont aucun secret, ils sont donc en pleine lumière. C'est le cas de Florestan, de Licidas et de Lizandre. Les actes de ces gentilshommes se font au grand jour, ils ont même besoin de cette lumière pour s'affirmer. Ceux que l'on désigne souvent dans la pièce sous le nom de « cavaliers » se définissent avant tout par leur bravoure. Ils doivent nécessairement la faire paraître, c'est pourquoi ils agissent suivant des cérémonies très codifiées, comme les duels ou les échanges d'épées. Ce n'est pas par hasard que le valet de Licidas pastiche un vers du *Cid* lors du duel de l'acte I : à l'instar des héros cornéliens analysés par Jean Starobinski, ces gentilshommes choisissent l'attitude la plus glorieuse, car ils doivent se montrer, par leurs exploits, identiques à ce qu'ils se sont proclamés [3]. De fait, cette propension à se montrer tels qu'ils se réclament les rend incapables de mensonge et de dissimulation : Florestan nie connaître Angélique pour rester un homme loyal aux yeux de Licidas, l'homme qui lui a fait présent de son épée (V, 5). Mais si ces hommes sont des braves, ce sont aussi des courtisans qui se doivent de montrer une certaine activité mondaine : Florestan décide de se rendre à la cour, parce qu'il désire « un peu paroistre » en ce lieu. Certaines au contraire ne sont qu'ombre, dissimulation, comme Angélique et sa suivante Isabelle. Elles sont toutes deux responsables de l'intrigue, et la mènent en agissant dans l'ombre. Angélique est une veuve : elle porte la couleur du deuil et doit agir en conséquence. Lorsque Licidas l'interroge sur ses occupations, elle évoque son chagrin qui est son ordinaire de veuve. La jeune femme se doit de mener une vie austère. Dans le cas contraire, elle serait victime des médisances, comme l'affirme Isabelle (I, 5) : Toutes vos actions aux faux bruits sont sujettes C'est pourquoi la jeune femme est obligée de se voiler lorsqu'elle sort pour participer aux plaisirs mondains, et échapper à la surveillance de ses frères. Donc dès le début, Angélique et sa suivante sont des êtres de l'ombre. Puis elle décide de faire parvenir des lettres et des présents dans la chambre de Florestan sans qu'il puisse deviner d'où ils proviennent. Durant toute la pièce, la lumière est l'ennemie des deux jeunes femmes : lorsqu'Isabelle décide de jouer un bon tour à Carrille (III, 5), elle se défie de lui parce qu'il apporte de la lumière, et mouche sa chandelle. Quand Angélique décide, à l'acte IV, de récupérer le portrait que Florestan garde dans ses affaires, elle est trahie par la lanterne sourde qui la démasque aux yeux de Florestan et de Carrille. La jeune fille, contrairement aux gentilshommes, est toujours celle qui ne revendique pas ses actes en son nom propre. Pourtant, et c'est cela qui fait la grande originalité de la pièce, l'audace d'Angélique est très grande. Comme nous l'avons dit, pour la première fois sur la scène française, c'est la jeune fille qui exprime son désir. Si elle est obligée de le cacher à ses frères, elle se montre franche envers ses compagnes et Florestan, quant à ses sentiments. Les lettres sont le lieu de la lumière (II, 8) : Je vous descouvre icy les secrets de mon cœur  C'est également la grande franchise qu'elle met dans l'aveu de ses sentiments qui la rend presque incapable de préciosité : elle est trop amoureuse pour feindre la retenue ; ses aveux sont tout à fait explicites (V, 2), et pourraient la perdre. Finalement, le statut d'Angélique est plus ambigu qu'il n'y paraît ; elle est à la fois ombre et lumière : si elle se dissimule, c'est pour mieux avouer ses sentiments à Florestan. Le voile dont elle s'entoure lui permet de grandes audaces. L'attitude de la mystérieuse jeune femme fait nécessairement des gentilshommes des spectateurs avides de connaître sa véritable identité. Ces derniers ne dissimulent rien, et ne peuvent donc comprendre la dissimulation. Licidas le premier aperçoit la jeune femme voilée ; le mystère dont elle s'entoure lui inspire le désir de la contempler, désir d'autant plus vif qu'Angélique se dérobe : Car la peur qu'elle avoit d'entrer en mon pouvoir M'augmentoit cent fois plus le desir de la voir.  Ensuite c'est au tour de Florestan de céder à sa curiosité : l'intrigue se noue selon l'envie de Florestan de surprendre la jeune femme dans un premier temps (actes IV et V), puis d'aller la voir. Contrairement à son valet paralysé par la peur, Florestan n'a de cesse de savoir la vérité (III, 6) : Je l'espieray si bien que je la surprendray.  D'ailleurs souvent sa curiosité lui fait entrevoir la vérité, et il manque même découvrir tout le subterfuge (IV, 4). Toutes les actions de Florestan tendent donc à dissiper l'aveuglement dans lequel le maintient Angélique. Son insistance à démasquer le subterfuge est extrême ; on pourrait presque comparer son attitude à celle d'un chasseur qui guette patiemment sa proie. De scène en scène, sa curiosité est aiguisée. Et lorsqu'il entrevoit la lumière de la vérité, tel le prisonnier de la caverne de Platon, il en est ébloui (IV, 3) : L'esclat de ses yeux brille avec tant de lumiere Qu'il esbloüit mes yeux, et sille ma paupiere.  C'est déjà là la lumière de l'amour. Ces jeux d'ombre et de lumière entre des jeunes gens bien nés qui se cherchent et se cachent est compliquée par la superstition d'un valet qui donne à la pièce sa tonalité comique. Aussi peut-on parler de **surnaturel et superstition** dans *L'Esprit folet*. Notons dans un premier temps l'importance du champ sémantique des croyances surnaturelles. Pour désigner des manifestations qu'il ne comprend pas, Carrille emploie les termes : « esprit folet », « diable », « familiers », « sorcier », « larves au teint blesme », « nigromantiens », « farfadet », « fée », « moine bouru », « ame en peine », « succube », « lutin », « demon », « loups-garoux », « Lucifer », « sathans ». Calderon raillait la crédulité superstitieuse de ses contemporains et en faisait un objet théâtral ; d'Ouville à son tour traite de manifestations surnaturelles que craignent les Français de l'époque dans leur grande majorité. Carrille ne fait que refléter les réactions de la masse. Non seulement il est très craintif, mais en outre il n'oppose que des pratiques superstitieuses à ses craintes irréfléchies : il promet à Dieu trente livres d'encens, il conjure les deux jeunes femmes qu'il prend pour le diable… Cependant, le public ne peut se mettre du côté de Carrille car il est au courant dès le début que les craintes du valet ne sont pas fondées. C'est justement ce qui rend Carrille ridicule, et qui fait de cette surenchère de phénomènes surnaturels une mécanique essentiellement comique. Les craintes du valet sont d'autant plus drôles qu'elles s'opposent au courage intrépide de Florestan. Celui-ci, lorsqu'il n'est pas dédaigneux devant la crédulité de Carrille, fait également mention de manifestations fantastiques ; il évoque les « titans », les « monstres », les « geans », il parle également d'une « hydre ». nous pouvons tout de suite remarquer qu'il s'agit plutôt ici de monstres mythologiques. Si Florestan les évoque, c'est parce qu'il a conscience, en parfait « cavalier », du combat à mener et de l'exploit à accomplir. Il ne s'agit pas ici de craindre des contes à dormir debout. De fait, si d'Ouville utilise, comme son prédécesseur, la crédulité d'un valet comme ressort comique, il ne craint pas de rendre la pièce plus noire que son modèle quant au traitement du surnaturel. D'Ouville surenchérit à plaisir dans la terreur. Lorsque Florestan se voit blesser lors du duel, il a la prémonition de nouveaux malheurs (I, 4) : En entrant dans Paris, Dieux ! quel mauvais augure, Qu'il me couste du sang. De plus, l'auteur cherche à frapper le spectateur en évoquant souvent la figure du diable. Le terme de « diable » est employé dix-sept fois par Carrille, c'est-à-dire presque autant que celui d' « esprit ». Encore ce terme n'est-il pas employé sans ses nombreux attributs d' »enfer », « sathans », « Lucifer », « ongles croches ». Finalement, tout se passe comme si d'Ouville voulait tirer des effets de comique mais aussi de sensationnel de cet emploi des superstitions. D'Ouville serait-il un esprit fort, un libertin ? Cela ne serait pas impossible, à en juger par les réactions de l'homme sensé, Florestan, face à son valet trop crédule. Il ne croit à aucune des superstitions de la masse (II, 8). Ce personnage n'est pas sans annoncer le Don Juan de Molière, comme nous le verrons par la suite. Dans tous les cas, force est de constater que d'Ouville possède un certain courage à choisir un sujet brûlant, celui de la superstition, qui est nécessairement lié à celui de la religion en général, comme en témoignent les démêlés de Molière avec les dévots pour des pièces telles que *Don Juan* ou *Tartuffe*. # La dramaturgie. L'utilisation de l'**espace** est au cœur de l'intrigue de *L'Esprit folet*, puisqu'il s'agit, pour Angélique, de pénétrer dans la chambre de Florestan et d'en sortir sans qu'il sache comment. Leurs deux chambres communiquent par des ais coulissants, aussi tout un jeu de scène consistera à passer de l'une à l'autre le plus rapidement possible. L'unité de lieu n'est donc pas respectée, mais cette exigence classique n'est pas encore prédominante dans la première moitié du XVII*e* siècle. C'est l'unité au sens large qui prédomine, c'est-à-dire l'unité de ville (Paris). Les décorateurs utilisent un décor multiple, ou décor à compartiments : la scène est divisée en plusieurs compartiments qui s'organisent autour de la rue, comme on peut le supposer ici. Des tapisseries se levaient ou s'abaissaient suivant l'endroit où devait se dérouler l'action. Dans *L'Esprit folet*, le premier acte représente essentiellement la rue, puis, aux actes suivants, il s'agit de l'intérieur de la maison d'Angélique et de ses deux frères. On peut noter de nombreuses liaisons à vue : I, 5 ; II, 5 ; III, 2, 4, 6 ; IV, 2, 5 ; V, 2, 4. La difficulté consiste à savoir s'il faut considérer les chambres de Florestan et d'Angélique comme un lieu unique. La réponse est variable : à l'acte II, scène 5, et à l'acte III, scène 1, on voit Isabelle passer et repasser d'une chambre à l'autre. L'action réside dans le fait qu'elle doit déposer ou reprendre une lettre tandis qu'Angélique parle toujours dans sa chambre. En ce cas, le lieu de l'action est celui des deux chambres conjointes, le spectateur voit comme au travers. En revanche, toutes les liaisons à vue nous indique qu'il faut parfois considérer ces deux pièces comme distinctes, lorsqu'elle renferment Florestan et Carrille d'une part, Angélique, Isabelle et Lucinde de l'autre. Bien au contraire, cette séparation est nécessaire entre celles qui jouent et ceux qui sont joués. S'il ne nous a pas été possible de connaître le décor exact de la pièce, qui figure dans le *Mémoire* de Mahelot sans aucune autre forme d'indication, il nous est cependant possible de le reconstituer grâce à l'inventaire du décor de *La Dame invisible, ou l'esprit follet* de Hauteroche, adaptation de la pièce de d'Ouville, qui y est pour sa part figuré. On sait que l'acte I doit représenter une rue, l'acte II, « deux chambres séparées par un pivot et deux portes. » Au nombre des accessoires, on peut compter des malles de vêtements, une bourse, des lettres, du papier, une lanterne sourde, entre autres. L'unité de **temps** est bien plus respectée, puisqu'elle n'excède pas vingt-quatre heures. La pièce commence un après-midi, lorsque Licidas poursuit Angélique au sorit d'une représentation théâtrale. Puis Florestan, reconnu par son ami Lizandre, s'installe chez eux non sans que Carrille ne cherche la maison pendant deux heures (II, 3) : J'ay esté deux heures planté comme une grüe Puis les gentilshommes partent se promener en carrosse au Cours-la-Reine pendant une heure, avant de souper, et de partir au bal de la Cour. Lorsque Florestan rentre, il trouve un billet lui donnant rendez-vous à minuit. C'est donc dans la nuit que se dénoue l'intrigue à l'acte V. Il est, dans un premier temps, intéressant de constater que cette journée est bien représentative de l'emploi du temps de gentilshommes oisifs qui se livrent à leurs plaisirs : théâtre, promenade, bal… Ensuite, nous pouvons constater que l'utilisation qui est faite du temps dans cette pièce est tout à fait dramatique : l'intrigue se déroule lorsque Florestan est censé être absent. Angélique se calque sur les plaisirs du jeune homme pour pouvoir le mystifier à son aise. À l'acte II, la lettre est déposée lors de sa promenade en carrosse, à l'acte III, Isabelle vient vient porter le panier quand ils soupent, puis Angélique vient chercher le portrait, à l'acte IV, alors qu'il n'est pas censé être encore rentré du bal. Florestan pourrait fort bien n'être qu'un personnage de moindre importance puisque l'intrigue a nécessairement besoin de son absence pour avancer. Ce sont ses apparitions inopinées qui lui permettent de participer à l'action. Étrange intrigue que celle où la présence du jeune premier est le principal obstacle au but poursuivi par la jeune première ! Nous pouvons noter que la nature des **conflits** censés faire avancer l'intrigue est d'une certaine complexité parce qu'elle est duale : il existe un conflit traditionnel, extérieur aux deux jeunes gens, représenté par Licidas. Ainsi que nous l'avons dit, Licidas occupe un double rôle : il est à la fois l'amoureux éconduit à l'acte I, et le frère revêtu d'une forme d'autorité paternelle à l'acte V. Ces deux interventions encadrent l'action. À l'acte I, Angélique le fuit, et c'est ainsi qu'elle rencontre Florestan. À l'acte V, il vient écourter le tendre entretien des amants. À chaque fois, il provoque Florestan en duel, et met sa sœur en danger physique (il manque la tuer au dernier acte), c'est pourquoi ces obstacles peuvent sembler du ressort de la tragi-comédie. Cependant, il n'est guère question de Licidas aux actes II, III, IV, il faut donc nécessairement que les conflits soient d'un autre ordre. Tout d'abord, notons que les deux amants ne se voient presque pas lors de ces actes. En outre, lorsqu'ils se rencontrent (IV, 3), Angélique cherche à fuir Florestan. Les deux amants ne poursuivent pas le même but qu'à l'acte I, Florestan étant résolu à sauver Angélique, où qu'à l'acte V, lorsqu'ils s'entretiennent enfin galamment. Aux actes II, III, IV, Angélique tente de communiquer avec Florestan de façon indirecte : elle veut d'abord savoir si le jeune homme logé chez elle est bien celui qui l'a sauvé de son frère (II, 5). Tout est bon pour lui adresser des lettres, des présents sans qu'il puisse la voir. Le but non avoué d'Angélique est de suffisamment piquer la curiosité du jeune homme pour qu'il fasse la démarche de l'aller trouver, car la bienséance interdit à la jeune fille de se trouver face à Florestan dans la chambre de ce dernier. Florestan, quant à lui, n'a de cesse de surprendre le prétendu « esprit folet », et de comprendre comment l'on peut pénétrer dans sa chambre à son insu. Fatalement, la rencontre de Florestan et Isabelle à l'acte III, puis de Florestan et Angélique à l'acte IV sont des affrontements : à chaque fois le jeune homme tente de retenir la jeune fille qui ne songe qu'à s'enfuir, car les deux jeunes gens ne partagent pas les mêmes buts. Tout cela est hautement dramatique, et fait la joie du public qui se demande lequel des deux héros aura raison de l'autre. La dramaturgie est également riche de jeux liés à la **dissimulation d'identité** ; on peut distinguer deux méprises différentes. À l'acte I, Angélique, voilée, est poursuivie par son frère, lequel ne l'a pas reconnue. C'est cette première méprise qui va entraîner les autres, et qui dure tout au long du premier acte. Lorsque Licidas vient faire le récit de ses aventures à sa sœur (I, 6), celle-ci manie adroitement l'ironie, adressant ainsi un discret clin d'œil au public : Ne vous laissez jamais tromper à l'apparence, Le vice prend souvent le masque d'innocence. Aux actes suivants, un nouveau jeu sur l'identité se met en place : Angélique pénètre dans la chambre de Florestan sans que le gentilhomme et son valet ne comprenne comment, ce qui fait croire très rapidement à Carrille que cette intervention est surnaturelle, dès la scène VI de l'acte III : Que veut dire cela ? Qui m'a fait ce mesnage, Qui nous a mis ainsi nos hardes au pillage ? En fait-on un encan ? Dieux je tremble de peur, Seroit-ce quelque diable, ou bien quelque enchanteur ? Le public sait bien évidemment que les craintes de Carrille sont injustifiées. C'est sa peur qui le paralyse et permet aux jeunes filles de passer pour ce qu'elles ne sont pas : à l'acte III, scène 4, Isabelle a très peur car elle avance à tâtons dans la chambre de Florestan. Mais lorsqu'elle se rend compte, à la scène suivante, que Carrille la prend pour un esprit, elle n'hésite pas à jouer de sa prétendue supériorité surnaturelle pour éteindre sa chandelle et lui donner un coup de poing. De la même façon, Lucinde et Isabelle ne se piquent de jouer les esprits que lorsque Carrille montre sa crédulité en tentant de les conjurer (V, 2). Puis c'est la peur panique de Carrille qui lui fait prendre, à l'acte V, un frère indigné pour le « vray diable ». Finalement, la pièce française comporte beaucoup moins de jeux sur l'identité proprement dramatiques (quiproquos…) que la pièce espagnole. Carrille déploie, tout au long de la pièce, une véritable « rhétorique de la superstition » qui est bien plus oratoire que dramatique. L'essence surnaturelle du stratagème n'est au départ qu'un fantasme de Carrille ; Angélique n'a pas l'intention de passer pour un fantôme, elle s'étonne de la lettre de Florestan qui la considère comme telle (III, 1), et si elle tente d'impressionner Florestan en lui faisant croire qu'elle a des pouvoirs surnaturels (IV, 3), c'est avant tout pour gagner du temps. D'ailleurs le jeune homme ne se laisse jamais vraiment prendre, il est juste perplexe devant une astuce qu'il devine contingente, sans réussir toutefois à l'identifier. Tout serait beaucoup plus simple si Florestan n'ignorait pas un fait essentiel : ses hôtes ont une sœur qui vit avec eux, recluse, et qu'il a sauvé à l'acte I, par le plus grand des hasards. Le véritable mystère presque surnaturel est là, comme le souligne Angélique (II, 7) : Ce cas est bien estrange, et s'il ne m'est visible A peine le croiré-je, il est presque impossible, (Et l'esprit le mieux fait s'y trouveroit surpris) Qu'un estranger rencontre arrivant à Paris Une femme en passant qui d'abord le convie De luy vouloir sauver et l'honneur et la vie, Se voir en mesme temps par son frere blessé, Arriver l'autre frere et s'en voir caressé, Luy donner son logis, les accorder ensemble, C'est un fait qui n'est pas croyable ce me semble. # Succès et influence de la pièce. La postérité a oublié Antoine Le Métel d'Ouville, ou l'a considéré comme un auteur tout à fait mineur. Une chose est certaine : ses pièces ont eu du succès, et particulièrement *L'Esprit folet*. Nous avons recensé au moins cinq éditions différentes de cette pièce à la Bibliothèque Nationale, dont trois du vivant de l'auteur. En outre, *L'Esprit folet* a influencé ses contemporains ainsi que ses successeurs. L'intrigue de cette pièce fournit le sujet de différentes comédies qui s'en inspirent d'assez près. En 1682, Crosnier publie *Les Frayeurs de Crispin*, qui conte les mésaventures d'un valet craintif, puis Hauteroche fait représenter en 1684 *La Dame invisible*, qui fut un grand succès, puisque la pièce demeura de 1684 à 1809 au répertoire de la Comédie française. Cette pièce inspira à son tour Charles Collet, qui écrivit en 1770 *L'Esprit follet ou la dame invisible*. Comme en témoignent les titres, ces pièces s'inspirent bel et bien de l'adaptation de *La Dama duende*. Les modifications sont moindres, telles celles de la comédie de Hauteroche : elles concernent les noms des personnages (Florestan devient Pontignan, lequel n'est plus originaire du Languedoc mais de Limoges), le fait que la jeune première ait un espion à sa solde et qu'elle cherche à rompre la promesse de mariage du jeune homme. Somme toute, les changements sont mineurs, ce qui traduit la force du modèle initial. Bien plus qu'un simple canevas d'intrigue, la comédie de d'Ouville lança durablement en France la vogue des comédies à l'espagnole. C'est l'une des premières fois où une jeune fille mène l'action de façon si audacieuse, ce qui n'était pas le cas dans les précédentes comédies à l'italienne. De rusé, le valet devint bouffon, tandis que son maître donnait à son rang la fierté hispanique. Mais la comédie à l'espagnole ne procède pas uniquement d'un exotisme dépaysant, elle est porteuse de toute une esthétique baroque : la vie est un songe, le monde est une vaste scène, ce qui implique que tous les personnages portent des masques. D'Ouville lança donc un type de comédies auxquelles Scarron donna par la suite ses lettres de noblesse, avec notamment *L'Héritier ridicule* en 1649. Corneille écrivit également une comédie à l'espagnole en 1642, *Le Menteur*. Il est intéressant de noter que c'est un écrivain mineur comme d'Ouville qui influença un auteur majeur, ce qui n'est pas si courant, l'originalité étant, selon nos critères modernes, l'apanage des plus grands. Enfin, on perçoit de nettes réminiscences de *L'Esprit folet* dans le *Don Juan* de Molière. Si les intrigues et le propos de ces deux pièces sont radicalement différents, l'affrontement de Don Juan et Sganarelle fait écho à celui de Florestan et Carrille, de façon certes plus grave, car Don Juan est un véritable impie, tandis que Florestan ne fait montre que d'un certain bon sens. L'influence de d'Ouville se fait sentir très fortement dans certains passages comiques bien précis, comme celui des croyances de Don Juan (III, 1) qui rappelle la scène 8 de l'acte II de *L'Esprit folet*, vers 759 et suivants : SGANARELLE.- Je veux savoir un peu vos pensées à fond. Est-il possible que vous ne croyiez pas du tout au Ciel ? DON JUAN.- Laissons cela. SGANARELLE.- C'est-à-dire que non. Et à l'Enfer ? DON JUAN.- Eh ! SGANARELLE.- Tout de même. Et au diable, s'il vous plaît ? DON JUAN.- Oui, oui. SGANARELLE.- Aussi peu. Ne croyez vous point l'autre vie ? DON JUAN.- Ah ! ah ! ah ! SGANARELLE.- Voilà un homme que j'aurai bien de la peine à convertir. Et dites-moi un peu, le Moine bourru, qu'en croyez-vous ? eh ! DON JUAN.- La peste soit du fat ! Il est intéressant de noter que la scène de d'Ouville est beaucoup plus drôle et plus enlevée que celle de Molière, probablement parce qu'elle ne sert pas les mêmes motifs : ici nous rions de la superstition du valet, là nous nous effrayons d'un impie qui ne croit ni à dieu, ni à diable. Outre cette scène, nombreuses sont les réminiscences de Molière dans *Don Juan* que nous avons signalées en notes de bas de page au cours de la pièce. # Notes sur la présente édition. L'édition originale de *l'Esprit folet* porte le titre suivant : L'ESPRIT / FOLET / COMEDIE. / PAR Monsieur D'OUVILLE. / A PARIS. / Chez TOUSSAINT QUINET, au Palais, en la gallerie /des Merciers, sous la montée de la Cour / des Aydes./ M. DC. XLII. / *Avec Privilege du Roy.* (in-4°, 143p.) B.N. M-16837. Deux autres éditions ont paru du vivant de d'Ouville. Ce sont : L'ESPRIT / FOLET / COMEDIE / PAR Monsieur D'OUVILLE / A PARIS / Chez TOUSSAINCT QUINET, au / Palais, en la gallerie des Merciers, sous la montée de / la Cour des Aydes. / M.DC.XLIII. / *Avec Privilege du Roy.* Cette édition nous a permis de corriger en grande partie les vers faux de la première édition, mais a la particularité de présenter une ponctuation particulièrement fautive. L'ESPRIT / FOLET / COMEDIE / PAR Monsieur D'OUVILLE / sur l'imprimé / A PARIS. / Chez TOUSSAINT QUINET, au / Palais, sous la montée de / la cour des Aydes. / M.DC.XLVII. Cette édition permet de corriger les derniers vers faux, tout en présentant une orthographe souvent différente (ainsi, au v.66  *avancer* à la place de *advancer*.) Comme les variantes sont inexistantes (d'Ouville n'a apporté aucune modification à son texte), nous avons pris comme texte de base celui de l'édition originale de 1642, en signalant les variantes et les corrections intéressantes des éditions postérieures. En règle générale, nous avons conservé l'orthographe et la ponctuation de l'édition originale, à quelques réserves près : – Nous avons, conformément à l'usage moderne, distingué le *u* et le *v*, le *i* et le *j*. – Nous avons résolu la ligature *&* en *et*. – Nous avons supprimé le tilde (ainsi v.23 *hoñeur* est devenu *honneur*). – Enfin, diverses corrections sur des fautes d'orthographe et de ponctuation, manifestement dues à des coquilles, ont été apportées : v. 25 beaucop, 79 la deffendu, 223 damoiselle, comment., 236 vers, 332 la fait, 390 luy., 394 vie., 546 aperçoit., 572 portrait ?, 574 beau., 630 où, 668 sans-dessus dessous, 724 esprit., 799 surpris., 832 titons, 833 dents., 928 escrit,, 946 la veuë, 972 menace ;, 1075 toute pleine, 1132 qu'on,1197 Dame ?, 1198 exiter, ame,, 1227 cy devant,1274 fantaisie, 1283 hazard,, 1331 ou, 1341 que ce, 1342 amiable, 1393 femme est- il, 1424 occasion, 1440 pensois, 1479 qu'avons-no9, 1487 cerveau,, 1488 flambeau, 1504 enchantement,, 1509 songegeai-je, 1518 ont attend, 1520 esclairer, 1614 quelheur, 1697 Cousin, 1768 signalez, 1885 effrontee ?. # L'ESPRIT FOLET COMEDIE. ## A MADAME [4] DE ⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎. Madame, *Si mon esprit estoit capable de mettre au jour des choses plus sérieuses, je ne vous dédierois point un ESPRIT FOLET, mais des ouvrages aussi excellens que le vostre est capable d'en produire. Tout ainsi que ce foible Esprit qui fait le bouffon de la piece (et qui à bon droit en peut estre nommé le Heros, puisque c'est luy qui fait la plus grande partie du sujet) croit estre enchanté par les choses estonnantes qui se presentent à ses yeux, il n'y a personne qui ne croye l'estre en contemplant les merveilles de vostre visage, que je nomme à bon droit l'Abregé des merveilles de ce siècle.Quoy que vostre modestie m'aye defendu de mettre vostre nom au frontispice de ce Livre, ce titre que je vous donn vous doit faire assez cognoistre de ceux qui ont eu l'honneur de vous avoir veuë, je parle mesme de celle de vostre sexe ; parmy lesquelles, quoy que le monstre d'envie regne tres absolument, il faut pour ce coup qu'il meure, puis que pas une ne vous peut disputer cette qualité, sans perdre avec la veuë la raison et le jugement. Par mon autre piece, qui est toute preste d'esclorre, et qui ne paroistra point en public que sous vostre nom, si vous me le permettez, comme je vous en conjure, on verra que si je fais passer cet ESPRIT FOLET sous vostre protection, ce n'est à autre dessein que pour vous prier d'agreer les sumissions d'une personne autant indigne de vous les rendre, que ce Livre l'est de porter en teste vostre nom, que je revere de sorte, que la principale de mes ambitions est de meriter par mes services la qualité*, MADAME, de Vostre tres-humble et tres-obeïssant serviteur, D'OUVILLE. ## A MONSIEUR D'OUVILLE, SUR SA COMEDIE DE L'ESPRIT FOLET. SONNET. D'OUVILLE, à quel propos charmes-tu nos esprits ? Penses-tu nous surprendre, et nous rendre incapables De tout ce que l'on croit de ces corps non palpables, Dont les illusions font que l'homme est surpris ? Bien que le tien, subtil en ses rares escrits, Nous veut faire passer des lutins pour des fables, J'en veux croire pourtant les rapports veritables Dans cét ESPRIT FOLET, de qui je suis épris. Il emprunte le corps et la forme d'un livre, Qui fait voir ton genie, et qui fera revivre A jamais ton renom comme il fait aujourd'huy. Il a des pieds nombreux, on les voit, on les touche, Et dans son entretien, bien qu'il n'ait point de bouche, Il parle toutefois par l'organe d'autruy. GUILLEMOT [5] ## PRIVILEGE DU ROY. LOUIS par la grace de Dieu Roy de France et de Navarre, A nos amez et feaux Conseillers les Gens tenans nos Cours de Parlemens, Maistres des Requestes ordinaires de nostre Hostel, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, leurs Lieutenans, et à tous autres de nos Justiciers et officiers qu'il appartiendra, Salut. Nostre cher et bien amé TOUSSAINT QUINET, Marchand Libraire de nostre bonne ville de Paris, Nous a fait remonstrer qu'il desiroit faire imprimer une Comedie intitulée *L'esprit Folet*. Ce qu'il ne peut faire sans avoir sur ce nos Lettres, humblement nous requerant icelles : A CES CAUSES, desirant traitter favorablement le dit Exposant, nous luy avons permis et permettons par ces presentes, de faire imprimer, vendre et debiter en tous lieux de nostre obeissance ladite Comedie en telles marges et tels caracteres, et autant de fois que bon luy semblera durant l'espace de cinq ans entiers et accomplis, à compter du jour qu'elle sera achevée d'imprimer pour la premiere fois. Et faisons tres-expresses deffences à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, de l'imprimer, faire imprimer, vendre ne debiter durant ledit temps en aucun lieu de nostre obeissance sans le consentement de l'Exposant, sous pretexte d'augmentation, correction, changement de titre, fausse marque, ou autre, en quelque sorte et maniere que ce soit,à peine de trois millivresd'amende, payables sans deport, nonobstant depositions ou appellations quelconques par chacun des contrevenans, applicables un tiers à Nous, un tiers à l'Hostel-Dieu de nostre bonne ville de Paris, et l'autre tiers au dit Exposant, confiscation des exemplaires contrefaits, et de tous despens, dommages et interests : A condition qu'il sera mis deux exemplaires en blanc de ladite Comedie en nostre Bibliotheque, et un en celle de nostre cher et feal le sieur Seguier, Chevalier, Chancelier de France, avant que de les exposer en vente, à peine de nullité des presentes, du contenu desquelles nous vous mandons que vous fassiez joüir et user pleinement et paisiblement ledit Exposant, et tous ceux qui auront droict de luy, sans qu'il leur soit donné aucun trouble ny empeschement. Voulons aussi qu'en mettant au commencement ou à la fin de ladite Comedie un extraict des presentes elles soient tenuës pour deuëment signifiées, et que foy y soit ajoutées, et aux coppies d'icelles collationnées par l'un de nos amez et feaux Conseillers et Secretaires comme à l'original. Mandons au premier nostre huissier ou Sergent sur ce requis, de faire pour l'execution des presentes tous exploicts necessaires sans demander autre permission : Car tel est nostre plaisir. Nonobstant Clameur de Haro, Chartre Normande, et autres lettres à ce contraires. Donné à Paris le vingt-troisiesme jour de Decembre l'an de grace 1641. Et de nostre resgne le trentiesme. Signé, Par le Poy en son Conseil, DE MONCEAUX. *Achevé d'imprimer pour la premiere fois le dernier jour de janvier 1642.* Les exemplaires ont esté fournis. ## ACTEURS. – FLORESTAN,Gentil-homme de Languedoc. – CARRILLE,serviteur bouffon de Florestan. – ANGELIQUE,Damoiselle Parisienne Amoureuse de Florestan. – ISABELLE,suivante d'Angelique. – LICIDAS, – LIZANDRE [6],Gentils-hommes Parisiens, freres d'Angelique. – ARISTE [7],serviteur de Licidas. – LUCINDE,Damoiselle Parisienne, cousine d'Angelique. La Scene est à Paris. ## ACTE I. ### Scene première. Florestan, Carrille FLORESTAN. Oui Paris en effet est l'abregé du monde Dans l'enclos de ses murs toute merveille abonde, Et je ne l'aurois pas sans doute recognu Depuis dix ans entiers que je n'y suis venu. Cent palais d'un desert, une cité d'une isle [8], Et deux de ses fauxbourgs enfermez dans la ville [9]. Ces fameux changemens que maintenant j'y vois Marquent bien la grandeur du plus puissant des rois [10]. Cette ville est aussi le sejour ordinaire Des plus grands Potentats que le Soleil esclaire ; Il n'en voit point de tels dessus nostre horison, CARRILLE. Allons donc chez Lizandre,et cherchons sa maison. A quoy tant de discours, Monsieur, je meurs d'envie De voir ce cher amy qui chez luy vous convie ; Que je suis aujourd'huy favorisé du sort, Nous y ferons grand chere, ou je me trompe fort . Depeschons-nous. FLORESTAN.         Lizandre est un homme qui m'ayme, Je le sçais de certain à l'égal de luy-mesme, Je n'en sçaurais douter : car cette affection Est fondée en effet sur l'obligation⁎, Il me loge chez luy, dont il brusle d'envie⁎, M'estant sans me vanter obligé⁎ de la vie, Sans mille autres biens-faits, dont un homme d'honneur Ne se peut souvenir sans lascheté de cœur, Et beaucoup moins encor en venir aux reproches : Mais à ce que je croy nous en sommes bien proches, Demande son logis. ### Scene II. Angelique, Isabelle, Florestan, Carrille ANGELIQUE.         Si comme je le croy, Vous estes Gentil-homme,ayez pitié de moy, Estant nay cavalier⁎, vous ne pouvez sans blasme Laisser perdre la vie, et l'honneur d'une femme, Si vous ne désirez m'ayder d'un prompt secours, Je perds l'honneur, et suis à la fin de mes jours. Il m'importe, Monsieur, de l'honneur,de la vie, Que vous vous opposiez à la jalouse⁎ envie⁎, D'un qui me veut cognoistre, et brusle de me voir, Je suis morte, autant-vaut [11], si j'entre en son pouvoir, En cette occasion monstrez vostre courage, Adieu, je ne puis pas en dire davantage. Le voila qui me suit. CARRILLE.         Est-ce une illusion ? Que pretendez-vous faire en cette occasion ? FLORESTAN. Elle veut ce secours, Carrille il luy faut rendre, Estant ce que je suis je ne m'en puis deffendre. CARRILLE. Mais pourquoy voulez-vous prendre son interest, Sans l'avoir jamais veuë, et sans sçavoir qui c'est ? FLORESTAN. Elle est femme, il suffit, cherchons donc je te prie, Pour en venir à bout quelque prompte industrie [12] : Et si par ce moyen je ne puis l'arrester, J'useray de la force. CARRILLE.         Il faut donc inventer Quelque subtil⁎ moyen, à propos cette lettre Nous y pourra servir. (Il tire une lettre de sa poche.) ### Scene III. Licidas, Carrille, Florestan, Ariste LICIDAS.         Ouy je la veux cognoistre Avant qu'elle m'eschape, et veux sçavoir pourquoy Elle fuit ma rencontre, et se cache de moy . CARRILLE *(lui monstrant une lettre.)*. Excusez s'il vous plaist, Monsieur, ma hardiesse, Et me dites à qui cette lettre s'adresse, De grace, obligez-moy. LICIDAS *(le repoussant rudement.)*.         Retire-toy maraut. FLORESTAN. Ce valet est à moy, ne parlez pas si haut, C'est me desobliger, car sans qu'il vous offence Vous le traittez trop mal, et mesme en ma presence, Et par moy sur le champ en ayant autant fait A quelqu'un de vos gens vous seriez satisfait⁎. LICIDAS. De satisfaction⁎ je n'en fis en ma vie, Et d'esclaircir aucun, je n'en ay nulle envie, Mon courage à ce poinct ne se sousmit jamais, Prenez si vous voulez, ou la guerre ou la paix. FLORESTAN. Cette guerre par vous qui m'est si tost offerte, Monstre que vous voulez advancer votre perte, Et si j'avais besoin de satisfaction⁎, Je l'aurois bien de vous en cette occasion, Et vous guerirois bien de cette frenesie : Mais si je trouve en vous si peu de courtoisie, Que tout homme de Cour, que je croy, doit sçavoir, Je vous veux enseigner quel est vostre devoir, Marry qu'un estranger vous acquiere la gloire De l'apprendre de luy. LICIDAS.         C'est trop s'en faire accroire⁎, Je puis quand je voudray vous en faire leçon, Et lors que je la faits, c'est de cette façon, (Ils mettent tous deux l'espée à la main.) ARISTE *(à Carrille l'espée à la main.)* [13]. As-tu du cœur⁎ ? il faut le faire icy paroistre [14]. CARRILLE. Toubeau, je n'oserois, j'offencerois mon maistre, Il me l'a deffendu. ### Scene IV. Lizandre, Licidas, Florestan, Carrille, Ariste LIZANDRE.         Que vois-je justes Dieux ? Doy-je croire en ce poinct ou desmentir mes yeux ? (il met l'espée à la main) On en veut à mon frere, on l'attaque on l'outrage, Allons le secourir, sus mon frere courage, Je suis à vous. LICIDAS.         Mon frere en voulant m'obliger⁎, Vous me desobligez, et voulez m'outrager ; C'est me faire un affront signalé que de croire Que sans vous je ne puisse emporter la victoire, Vous me feriez passer pour un homme sans cœur⁎ ; Puis si ce cavalier⁎ a beaucoup de valeur, Il n'a jusqu'à present sur moy nul advantage ; FLORESTAN. Vous tesmoignez assez quel est vostre courage, Cette noble action m'honore tout à fait, Mais si vous n'estes pas de tout poinct satisfaict Et qu'il vous reste encor quelque scrupule en l'ame**** Je desire envers vous estre exempt de tout blasme, Me le faisant sçavoir où bon vous semblera, Nous nous rencontrerons . LICIDAS.         Tout ce qu'il vous plaira . LIZANDRE. Que vois-je tout de bon ? pourroy-je me mesprendre ? Florestan, est-ce vous ? FLORESTAN.         Est-ce vous cher Lizandre ! LIZANDRE. Veille-je,ou si je dors ? Dieux je ne puis penser Que mon frere ait jamais eu dessein d'offencer Un amy que j'estime à l'esgal de moy-mesme : Mon frere,vous devez aymer celuy que j'ayme ; Que j'en sçache la cause. LICIDAS.         Il est vray qu'en effet, Nous nous sommes piquez pour fort peu de sujet, Ce valet m'empeschant de poursuivre une affaire, Qui m'importoit beaucoup, m'a fait mettre en colere. Je l'ay poussé, son maistre à l'instant a voulu S'interesser [15] pour luy, ses discours m'ont dépleu, J'ay reparti, soudain de parole en parole, Nous nous sommes picquez ; mais ce qui me console Est que ce Cavalier⁎ accompli de tout point Me le pardonnera, ne le cognoissant point. FLORESTAN. C'est moy qui veux de vous esperer cette grace, J'ay tort, je le confesse, excusez mon audace, La faute est à moy seul. LIZANDRE.         Il faut tout oublier. Mon cher frere, embrassez ce brave Cavalier⁎, A qui je doy mon bien, mon honneur et ma vie, Secondez je vous prie en ce point mon envie, C'est ce cher Florestan, ce n'est pas d'aujourd'huy Que vous sçavez les biens que j'ay receus de luy, Je vous l'ay dit cent fois, et vous le dis encore. FLORESTAN. Pour tesmoigner combien je l'ayme et je l'honore, Je veux premier qu'à vous [16] luy rendre ce devoir . (Il embrasse Licidas.) LICIDAS. Vostre vertu⁎ , Monsieur, s'est fait assez valoir, Sans en cette action me la faire paroistre, Oüy par vostre valeur je vous devois cognoistre, Mais vous m'excuserez puis que je m'en repens . FLORESTAN. Je n'ay que trop connu la vostre à mes despens, Car vous m'avez blessé. LIZANDRE.         Grands Dieux ! je desepere. Quoy ! vous estes blessé ? FLORESTAN.         La blessure est legere, Ce n'est que dans la main . LICIDAS.         Monsieur, à deux genoux J'en demande pardon. FLORESTAN.         Ah Dieux ! que faites-vous ? LIZANDRE. Allons icy devant penser vostre blessure. FLORESTAN *(bas)*. En entrant dans Paris, Dieux ! quel mauvais augure, Qu'il me couste du sang. LICIDAS *(bas)*.         Je suis au desespoir, Que ce rencontre [17] icy m'empesche de sçavoir Quel estoit cet object que je voulois cognoistre. CARRILLE *(bas)*. M'en doutais-je pas bien ? on a payé mon maistre, Il le meritoit bien pour avoir imité Ce fol de Don Quixote en sa temerité. ### Scene V. Angelique, Isabelle ANGELIQUE. Oste-moy promptement ces habits Isabelle, Redonne-moy mon deüil, ah ! fortune⁎ cruelle, N'ay-je pas, miserable, encor assez pleuré, Mais si mon sort le veut prenons le tout en gré [18]. Faut-il m'ensevelir tous les jours toute vive ? (Elle reprend son düeil.) ISABELLE. Depeschez-vous avant que vostre frere arrive, S'il a quelque soupçon de vous asseurément Vous luy confirmerez avec ce vestement, Qu'en l'hostel de Bourgongne [19] il vous a tantost veüe, Car quand vous jureriez vous ne seriez point creüe. ANGELIQUE. N'est-ce pas grand pitié de me voir sans raison Tous les jours enfermée au fonds d'une maison, Où mesme le Soleil ne m'y peut voir qu'à peine, C'est une cruauté certes trop inhumaine, Estant vefve j'ay creu me voir en liberté, Mais on me traitte avec bien plus d'austerité, Je n'avois qu'un mary, maintenant j'ay deux freres, Qui plus qu'il ne m'estoit, cent fois me sont severes, Inventans tous les jours mille nouveaux tourmens, Pour priver mon esprit de tous contentemens . Quoy, fais-je une action trop libre et trop hardie Si je me plais parfois à voir la Comedie ? Qu'on a mise à tel point, pour en pouvoir joüir, Que la plus chaste oreille aujourd'huy peut l'oüir [20] ? Et si [21] l'on ne veut pas pourtant me le permettre. ISABELLE. Mais à leurs volontez il faut bien vous sousmettre, Et pour vous dire vray, vos freres ont raison De vous tenir ainsi recluse à la maison. Considerez un peu l'estat auquel [22] vous estes, Toutes vos actions aux faux bruits sont sujettes, Et c'est avec raison que n'ayant plus d'espoux, Ils ne desirent point qu'on murmure de vous, Les grands festins, le Cours [23], le Bal, la Comedie Sont lieux suspects pour vous, souffrez que je le die, Et vos freres estans jaloux⁎ de leur honneur, S'ils vous le permettoient il irait trop du leur . Les jeunes vefves sont d'aise aujourd'huy comblées, De se voir tous les jours aux grandes assemblées, Et rendent leur grand düeil en ce point criminel, Qui ne devroit marquer qu'un regret eternel, Car on le fait servir pour orner d'avantage Par mille ajustemens leur mine et leur visage, Elles escoutent tout, et parmy leurs chalans [24] Content ceux qu'elles ont acquis pour leurs galans, Croyans que c'est l'honneur et la gloire des belles De voir plusieurs captifs brusler d'amour pour elles . Quoy que vous n'ayez pas ces sottes visions, Il en faut toutefois fuir les occasions ; Vous n'avez pas sans doute un courage si lasche. Mais laissons ce discours qui peut-estre vous fasche, Vous ne me parlez point de ce jeune estranger, Qui de si bonne grace a sceu vous obliger⁎. ANGELIQUE. Isabelle, je crois que tu lis dans mon ame. ISABELLE. Auriez-vous bien pour luy quelque secrette flame ? ANGELIQUE. Je ne dis pas encor que je l'ayme, mais croy Qu'il peut avec le temps gaigner beaucoup sur moy. Il est vray qu'il me plaist, mais j'ay peur Isabelle, Qu'il n'ait pour mon sujet à l'heure [25] pris querelle, Je cognois bien mon frere, il est prompt, et je crains Qu'ils n'en soient sur le champ tous deux venus aux mains. Mais me voyant pour lors à l'extreme reduite, Ainsi que moy toute autre eust manqué de conduite: Mais par ta foy, crois-tu qu'il ait sceu l'arrester ? ISABELLE. Vous mocquez-vous Madame ? en pouvez-vous douter ? Vostre frere depuis ne vous a pas suivie. ANGELIQUE. Je ne veux point celer que je brusle d'envie De sçavoir quel il est, et de le voir aussi. ISABELLE. Madame taisez-vous,vostre frere entre icy. ANGELIQUE. Ah dieux ! Que j'apprehende, il semble estre en colere. ### Scene VI. Licidas, Angelique, Isabelle LICIDAS. Que faites-vous ma sœur ? ANGELIQUE.         Mais vous-mesme mon frere ? Vous semblez interdit, chagrin et tout deffait, Estes-vous en colere ? LICIDAS.         Oüy j'y suis en effet. ISABELLE *(bas)*. Ah Madame, il le sçait. ANGELIQUE*(bas)*.         Grands Dieux ! je suis perdüe, Qu'avez-vous donc ? LICIDAS.         Je viens de me battre en la ruë. ANGELIQUE. Vous battre, contre qui ? LICIDAS.         Contre un jeune estranger ; Et qui pis est encor, qui vient icy loger. ANGELIQUE. Qui vient icy loger ? LICIDAS.         Mon frere nous l'emmeine, C'est Florestan, de qui Lizandre estoit en peine, Dont nous avons parlé plusieurs fois entre nous. ANGELIQUE *(bas)*. Mes esprits sont remis. Dieux ! que me dites-vous ? Mais quel sujet a fait naistre votre querelle ? LICIDAS. Nous nous sommes battus pour une damoiselle. ANGELIQUE. Pour une damoiselle ? LICIDAS.     Ouy ma sœur ANGELIQUE.         Mais comment ? LICIDAS. Je vous veux tout conter dés le commencement, Pour entendre le fait il faut que je vous die, Que j'ay voulu tantost oüir la Comedie, Pour voir un beau sujet dont on a tant parlé, Dont l'excellente intrigue est tres-bien desmeslé, Les fourbes d'ARBIRAN [26], c'est ainsi qu'on l'apelle, Cette piece en effet n'est pas beaucoup nouvelle, Les vers n'en sont pas forts, je ne suis pas flateur, Quoy que je sois pourtant grand amy de l'autheur, Mais dans l'oeconomie [27], il faut que je confesse, Qu'il conduit un sujet avecque tant d'adresse, Le remplit d'incidents si beaux et si divers, Qu'on excuse aisément la foiblesse des vers. J'entre dedans l'Hostel avecque mille peines Car jamais on a vu les loges aussi pleines, Et mille ont pour entrer fait leurs efforts en vain, **** Qu'il a fallu remettre à Dimanche prochain. Comme j'estois actif à trouver une place J'ay veu chacun tourné pour contempler la grace D'une jeune merveille, à ce que l'on m'a dit, Car pour moy je n'ay veu d'elle rien que l'habit, Car comme j'ay voulu jetter les yeux sur elle Pour la voir à mon ayse, aussi-tost la cruelle A rabaissé sa coiffe, et comme par mespris Donné [28] cette algarade [29] aux cœurs qu'elle avoit pris. Moy bruslant de desir de voir ce beau visage, A qui cent languissants desja faisoient hommage, J'accuse seulement la rigueur de mon sort D'estre arrivé trop tard. Mais la voyant d'accord Avec plusieurs galands, et de ris et de gestes, Par ces muets discours j'ay bien compris le reste, Car deslors j'ay cognu⁎ que pour moy seulement Elle voulait cacher ce visage charmant. Lors j'ay creu, comme un autre eust creu la mesme chose, Qu'elle me cognoissait, et que c'estoit la cause Qui pouvoit l'obliger à se cacher ainsi, Ce qui m'a fait resoudre à m'en voir esclaircy, Je sors tout le premier [30] pour l'attendre à la porte, Elle s'en aperçoit, et me previent [31] de sorte, Qu'encor que je m'efforce à prendre le devant Elle descend aussi plus vite que le vent, Je la voy devant moy, je tasche, je m'efforce**** De la suivre à grands pas, et l'atteindre par force, Car la peur qu'elle avoit d'entrer en mon pouvoir M'augmentoit cent fois plus le desir de la voir : Sur ce point un maraut qui vient pour me distraire [32], Me presente un escrit qui me met en colere, J'ay veu qu'il le faisoit expres pour m'arrester, Et que je n'avois point de sujet d'en douter, [33] Car comme elle avoit peur de se faire cognoistre⁎, Je l'avois veüe avant parler avec son maistre, Ce qui me l'a fait lors traitter si rudement, Que son maistre ayant eu quelque ressentiment, [34] M'a parlé de façon en prenant sa defense, Que je n'ay pû du tout souffrir son arrogance, J'ay mis l'espée au poing, l'autre s'est defendu, Mon frere sur le lieu soudain s'estant rendu, A cognu⁎ son Amy. Quoy qu'il ait du courage, Du combat cependant j'ai eu quelque avantage. [35] Je l'ay blessé. ANGELIQUE.         Blessé, bons Dieux ! je n'en puis plus, Soustenez-moy, je meurs. LICIDAS *(la soustenant)*.         J'ay les sens tous confus : Mais d'où vient que son mal jusqu'à ce point vous touche ? ANGELIQUE *(bas)*. Ah grands Dieux ! ma douleur m'a trahy par ma bouche . Quoy, jusques à ce point dois-je pas m'attrister, Si le coup est mortel, qu'il vous faille absenter [36] ? LICIDAS. Non, non, ne craignez rien, sa blessure est legere, Ce n'est que dans la main. ANGELIQUE.         J'apprehendois mon frere, Je respire à ce coup, et mes sens sont remis. LICIDAS. Nous sommes toutefois demeurez bons amis. ANGELIQUE. Je m'en resjouis fort, que je hay cette infame, Cause de tout le mal, ah ! la meschante femme, Qui vous a pensé mettre en un si grand danger, Elle ne vous fuyoit que pour vous obliger, Sans qu'elle vous cognust, de courir apres elle, Et je gagerois bien qu'elle n'est point si belle. Croyez si c'eust esté quelque rare beauté, **** Qu'elle vous eust surpris par un œil affeté⁎, Elle vous l'eust fait voir ; Dieux ! que c'est chose aisée, De decevoir⁎ vos sens pour peu qu'on soit rusée, Vous vous laissez gagner par un geste en effet, Et par le faux rapport que l'on vous en a fait . Ne vous laissez jamais tromper à l'apparence, Le vice prend souvent le masque d'innocence, Et par de faux attraits telle femme vous plaist Qui bien souvent n'est rien de ce qu'elle paroist. Mon frere quittez là ces jeunes affetées⁎, Qui n'ont point d'autre but que d'estre muguetées [37], Et qui ne pensent point qu'on les puisse obliger⁎ Sans mettre un honneste homme en evident danger, Pensans bien mieux valoir, lors que pour l'amour d'elles Des hommes de merite embrassent cent querelles. LICIDAS. Brisons-là, ne disons jamais du mal d'autruy, A quoy vous estes-vous divertie aujourd'huy ? ANGELIQUE. Aux occupations qui me sont ordinaires, A pleurer tout le jour l'excez de mes miseres, Me le demandez-vous ? LICIDAS.         Ma sœur vous avez tort, Vos pleurs ne peuvent pas faire revivre un mort, Aux plus ardans soupirs, laissez la porte ouverte Ils ne vous feront pas recouvrer vostre perte ; Mais adieu je vous laisse. ANGELIQUE.         En quel appartement Logez-vous Florestan ? LICIDAS.         Pour plus commodément Le loger, sans qu'il soit mesme veu de personne, Et qu'il puisse y venir à toute heure, on luy donne Le quartier de derriere, où mon frere a logé, Ayant la clef il n'est à personne obligé⁎ ; Car dans sa chambre il faut,et qu'il entre et qu'il sorte Et par une autre ruë et par une autre porte, Ainsi chez nous il semble estre en autre maison [38] On l'a fait pour cela. ANGELIQUE.         Vous avez eu raison. Mais bien loing d'estre encor contre luy en colere, Il vous faut estre amis, aimez-le mon cher frere, Vous desobligeriez mon frere asseurément Si vous aviez dessein d'en user autrement. LICIDAS. Bien, je m'en vay le voir. ### Scene VII. Isabelle, Angelique ISABELLE.         Qu'en dites-vous, Madame ? Celuy que vous aymez d'une secrette flame, Ce gentil Estranger, ce galand incognu, Celuy qui vostre honneur a si bien maintenu, Qui genereux pour vous a hazardé⁎ sa vie, Qu'on a blessé pour vous, que vous brusliez d'envie De voir et de cognoistre, il est logé chez vous, Et vous le pouvez voir en dépit des jaloux⁎. ANGÉLIQUE. Ce cas est bien estrange, et s'il ne m'est visible A peine le croiré-je, il est presque impossible, (Et l'esprit le mieux fait s'y trouveroit surpris) Qu'un estranger rencontre arrivant à Paris Une femme en passant qui d'abord le convie De luy vouloir [39] sauver et l'honneur et la vie, Se voir en mesme temps par son frere blessé, Arriver l'autre frere, et s'en voir caressé [40], Luy donner son logis, les accorder [41] ensemble, C'est un fait qui n'est pas croyable ce me semble. ISABELLE. Pourquoy ne l'est-il pas ? ANGELIQUE.         Ce sont des accidens Qui merveilleusement me surprennent les sens, Je n'ose seulement esperer cette gloire, Et je pense en effet qu'on me le fait acroire⁎. ISABELLE. Il m'est assez aisé de vous le faire voir. ANGELIQUE. Ah ! ma chere Isabelle aurois-tu ce pouvoir ? Comment pourrois-je voir de ma chambre en la sienne, Veu qu'elle est tellement distante de la mienne . ISABELLE. Laissez-m'en le soucy⁎ par une invention Je viendray bien à bout de vostre intention. Je cognoy un endroit prés de la galerie Qui respond à sa chambre, où la tapisserie Que l'on voit par dedans ne couvre que des ais Qui font une cloison, qu'on a fait tout exprés, Pour pouvoir pratiquer un lieu propre pour faire Un cabinet qui lors nous estoit necessaire. Or de cette cloison il est tres à propos De destacher deux ais, et dessus deux pivots, Et par haut et par bas, faire tourner de sorte Ces deux ais entr'ouvers qu'ils nous servent de porte. Par là nous pourrons bien entrer fort aisément, Sans qu'on s'en apperçoive, en son appartement. Ces ais estans rejoints, et fermez par derriere, Qui ne jugera pas la cloison estre entiere ? Un menuisier pourra mesme dans un moment Accomoder ces ais. ANGELIQUE.         Allons donc promptement, Et sans plus consulter executer la chose, J'approuve cet advis que ton esprit propose, Va donner ordre à tout, car je desire avoir Ce divertissement, et mesme dés ce soir. Mais mandons ma cousine, il est bon ce me semble, Que nous ayons ce soir ce passe-temps ensemble, Faisons-luy donc sçavoir, sans luy dire pourquoy, Qu'elle vienne soupper et coucher avec moy. ISABELLE. Mais tout de bon Madame ? ANGELIQUE.         Oüy j'en veux voir l'issuë. ISABELLE. Vous entrerez chez luy ? ANGELIQUE.         M'y voilà resoluë. Je veux voir si c'est luy, car si c'est l'estranger Qui de si bonne grace a voulu m'obliger⁎, Qui me voyant tantost d'un jaloux⁎ poursuivie, Pour moy si librement a hazardé sa vie, Qui s'est monstré vers moy si courtois et si franc, Qui n'a pas épargné mesme jusqu'à son sang, Qui m'a gaigné le cœur, et de si bonne grace, Isabelle il n'est rien pour luy que je ne face. ISABELLE. J'y songerois devant [42], car en cette action, Quelle preuve avez-vous de sa discretion ? Ne nous fions jamais aux Amours passageres, S'il s'en alloit vanter, et le dire à vos freres ? ANGELIQUE. Il ne le fera pas quand je luy defendray, J'en suis tres-asseurée, il ne peut estre vray Qu'un homme genereux⁎, qui pour mon advantage A mesme à ses despens signalé son courage, Par cette lascheté desmentit aujourd'huy Les rares qualitez qui se trouvent en luy. Fin du premier Acte. ## ACTE II. ### Scene première. Lizandre, Florestan LIZANDRE. Si le courage⁎ est grand, la maison est estrette, Pour vous bien recevoir comme je le souhaite. FLORESTAN. Je ne merite point tant de civilitez. LIZANDRE. Vous n'estes pas receu comme vous meritez, Mais selon mon devoir et selon mon envie, Je ne le pourrois pas quand j'y mettrois la vie. Mais laissons ce discours, et sans vous amuser [43] A tant de complimens, allez vous reposer, Le lict pour vostre mal vous est fort necessaire. FLORESTAN. Le mal n'est pas si grand pour en faire un mystere, Comment, cela vaut-il seulement en parler [44] ? LIZANDRE. En vain on me voudroit desormais consoler, Si vous aviez sujet de me faire un reproche D'estre en peril, blessé par un qui m'est si proche. FLORESTAN. Lizandre, vostre frere est un homme de cœur⁎, Je veux doresnavant estre son serviteur, Et l'honorer bien fort, sa vertu⁎ m'y convie. ### Scene II. Licidas, Florestan, Lizandre LICIDAS *(mettant son espée aux pieds de Florestan)*. C'est moy qui dois pour vous mettre cent fois la vie. Voilà ce fer, Monsieur, qui fut si malheureux D'avoir osé blesser un bras si genereux⁎, Je banny de chez moy cette insolente espée, Qui ne sera jamais par mon bras occupée, Ainsi qu'un serviteur qui m'a desobligé, L'infame je la chasse, et luy donne congé, Je la mets à vos pieds. FLORESTAN.         Puis-je sans jalousie⁎ Voir qu'encor vous vueilliez me vaincre en courtoisie ? C'est trop, contentez-vous ; puis que je recognoy Qu'au combat vous l'avez emporté dessus moy, Je l'accepte pourtant, sans vous en faire excuse, Un si rare present jamais ne se refuse. Ce fer venant de vous, fera qu'en bataillant, J'apprendray desormais à devenir vaillant, Je ne m'en deferay pour quoy qui me survienne, Mais daignez s'il vous plaist vous servir de la mienne. LICIDAS. J'accepte de bon cœur si vous le desirez, Ce gage d'amitié duquel vous m'honorez, Quoy que facilement chacun puisse cognoistre⁎ Qu'elle perdra beaucoup ayant changé de maistre. LIZANDRE. Laissons ces compliments qui sont hors de saison. ### Scene III. Carrille, Licidas, Florestan, Lizandre. CARRILLE *(avec deux valises sur les espaules)*. Au diable mille fois je donne la maison, Avec ceux qui m'ont fait esgarer par la ruë, J'ay esté deux heures planté comme une gruë A chercher le logis, et sans mentir je croy Que ces fils de putains se mocquoient tous de moy, L'un m'envoyoit en haut, l'autre en bas, il n'importe Je l'ay trouvé sans eux, le diable les emporte, Ils se rioient de moy, mais moy d'eux je me ris. Quoy c'est icy ce lieu qu'on appelle Paris, Dont on fait tant d'estat, ah ! grands Dieux j'en enrage, Je fais plus mille fois cas de nostre vilage, On y sçait en une heure autant comme en un jour, Car tous les chemins vont aboutir au carfour. LICIDAS. Ce valet est plaisant. FLORESTAN.         Tu prens trop de licence, Maraut, va bouffonner ailleurs qu'en ma presence. LIZANDRE. Laissez-le. FLORESTAN.         Tes discours sont un peu bien hardis. CARRILLE. J'avois leu que Paris estoit un paradis, Mais je croy qu'on dit vray, ce n'est pas chose estrange Qu'on nomme Paradis où l'on ne boit ne mange [45], Sçachez que je croiray mon livre une autre fois. LICIDAS. Tu sçais lire, et partant si tantost tu disois Que tu ne pouvois pas, c'estoit une imposture . CARRILLE. Je ly bien le moûlé, mais non pas l'escriture [46]. FLORESTAN *(bas)*. Il a bien réparé, je hay les froids⁎ bouffons. CARRILLE. Aux plus fins du mestier j'en feray des leçons, Laissez-y moy penser, et je vous feray dire Que vous n'eustes jamais un tel sujet de rire. LIZANDRE *(luy baillant une clef)*. Monsieur, voilà la clef de vostre appartement, Je vous ay mis icy pour pouvoir librement Entrer quand vous voudrez sans qu'on vous divertisse. FLORESTAN. Quand pourray-je jamais payer ce bon office ? LIZANDRE. Si vous ne voulez pas si tost vous mettre au lit Pour tascher d'acquerir un peu plus d'appetit, Puis que vous estimez si peu vostre blesseure Allons nous promener il est encor bonne heure, Si nous allons au Cours [47] quelque rare beauté Vous pourra dans Paris ravir la liberté. FLORESTAN. Allons, je le veux bien, c'est ce que je desire. LIZANDRE. Descend là-bas Ariste, et va promptement dire Que le carroce vienne, et qu'on nous tienne prest Le soupé dans une heure. FLORESTAN.         Allons puis qu'il vous plaist. Carrille escoute un mot. CARRILLE.         Bien Monsieur sans remise. ### Scene IV. CARRILLE *(seul)*. Or ça revisitons un peu nostre valize, Voicy ma bourse, il faut que je voye à la fin Combien j'ay pu gaigner en tout nostre chemin. Quelle commodité que de ferrer la mule [48], Si je ne l'avois fait je serois ridicule, On peut plus librement voler qu'à la maison, Je n'ay qu'à dire : « on conte icy hors de raison, Je n'ay jamais rien veu de plus opiniastre, L'hostesse des trois Rois n'a rien voulu rabattre, Elle est toute en un mot [49] » [50], et quand je suis party Qui me peut soutenir au nez que j'ay menti ? Contons [51], mais qui pourroit m'avoir pris quelque chose ? Ma bourse est pleine, et puis ma valise estoit close, En voyageant ainsi je pourrois m'enrichir, Mais prenons notre linge et le portons blanchir. (Il foüille dans la valize de son maistre, et prend son linge.) Pourquoy rien refermer, laissons tout de la sorte, J'ay la clef, c'est à faire [52] à bien fermer la porte. ### Scene V. (Angelique et Isabelle entrent dans la chambre de Florestan par les deux ais qu'elles ont desjoints de la cloison.) ISABELLE * (dans sa chambre)*. Madame, tout à l'heure on me vient d'advertir Que vos freres et luy ne font que de sortir. [53] ANGELIQUE. Tout est-il prest ? entrons, je meurs d'impatience De voir de ton dessein la prompte experience. (Elles entrent dans la chambre de Florestan.) ISABELLE. Qu'en dites-vous Madame ? est-il rien plus aisé ? L'esprit le plus subtil et le plus advisé Pourroit-il descouvrir jamais cette finesse ? ANGELIQUE. Je ne sçaurois assez admirer ton adresse. ISABELLE. Laissez-moy repasser, et je vous feray voir Comme on ne s'en sçauroit jamais apercevoir, (Elle repasse.) Quand mesme on defferoit cette tapisserie On peut entrer soudain dans cette galerie Si quelqu'un survenoit, et la fermer ainsi, Poussez. ANGELIQUE.         Je n'en suis plus maintenant en soucy, Il n'est rien de plus clair, la preuve en est certaine, Et je n'ay pas de peur que l'on nous y surprenne. ISABELLE *(ressortant)*. Mais encor dites moy quel est vostre dessein ? [54] Quoy Madame aurions-nous pris tant de peine en vain ? Quel fruit pretendez-vous tirer, ou quelle joye, Si vous ne voulez pas le voir ny qu'il vous voye ? ANGELIQUE. Si je puis découvrir que nostre Hoste est celuy Qui m'a par sa valeur secouruë aujourd'huy, Estant blessé pour moy, dois-je pas Isabelle Par mes soins procurer qu'il cognoisse mon zele, Et m'informer aussi comme va sa santé ? C'est le moins que je doy. Mais qui m'a transporté Mon cabinet icy ? ******** ISABELLE.         Madame, vostre frere S'est tantost contre moy quasi mis en colere, Car je ne voulois pas en effect qu'on l'hostat, Il l'a voulu par force, et que l'on apportast Des plumes, du papier, de l'ancre, une escritoire Et des livres aussi qui sont dans cette armoire En grande quantité ; c'est pour le divertir. ANGELIQUE. A ce conte il n'est pas si tost prest à partir, Courage tout va bien, grand Dieu tu favorises Aujourd'huy mes desseins. Voilà ses deux valises. ISABELLE. Ouy Madame, elles sont ouvertes, et pouvons [55] Visiter ce qu'il a. ANGELIQUE.         Je le veux bien, voyons Comme il est curieux⁎ dans les hardes⁎ qu'il porte. ISABELLE. Mais s'il s'en aperçoit ? ANGELIQUE.         Tire tout il n'importe. (Isabelle tire tout ce qu'il y a dans la valize du maistre, et l'espand par la place.) ANGELIQUE. Qu'est-ce là que tu tiens ? ISABELLE.         Un bel habit d'esté. Qu'il est riche et superbe, ah quelle propreté ! Madame peut-on voir de plus belles chemises ? Pour moy je ne crois pas qu'il les ait jamais mises ; Quelle belle dentelle, et quel beau point-couppé [56], Mais qu'est-ce que cela qu'il tient enveloppé Dans ce papier broüillart [57]. ANGELIQUE.         Attend que je le voye. Ce sont de beaux rubans, avec deux bas de soye. ISABELLE. Ouvrons ce cuir, je sens quelque chose dedans, (Elle l'ouvre.) Cela ressemble aux fers d'un arracheur de dents. Que fait-il de cela ? Dieux que je suis surprise. **** ANGELIQUE. A-t'-on jamais parlé d'une telle sottise ? Vois-tu pas que ceux-cy servent pour le raser, Ceux-là pour la moustache, et ceux-cy pour friser. ISABELLE. Voicy deux oreillers de satin amaranthe [58]. ANGELIQUE. Ce sont coussins d'odeur, ah ! qu'elle est excellente. ISABELLE. Ce sont icy des gands, des mouchoirs, des colets [59], Des mules de velours, et deux beaux bracelets. Des peignes, un miroir, ah la belle toillette, Mais que peut-il garder fermé dans cette boëtte ? ANGELIQUE. Ouvre, c'est de l'Iris [60] pour poudrer les cheveux. ISABELLE. En verité Madame il est fort curieux⁎, Voicy force papiers. ANGELIQUE.     Monstre. ISABELLE.         Tenez Madame. ANGELIQUE. Dieux ! qu'est-ce que je voy ? ce sont lettres de femme Qui luy parlent d'amour, je veux voir leur secret, Desployons-les. Ah Dieux ! quel excellent portrait ! Isabelle voy-le, je crois que la nature A mis tous ses tresors dedans cette peinture, [61] Et si l'original pouvoit estre aussi beau, ISABELLE. Sans doute vous seriez jalouse du tableau. ANGELIQUE. Tay toy, ces sots discours me mettent en colere, Va , ne tire plus rien. ISABELLE.         Que pretendez-vous faire ? ANGELIQUE. Puis qu'icy j'ay de quoy, je veux à ce galand Escrire un mot de lettre. (Elle se sied, et se met à escrire.) ISABELLE.         Et pour moy cependant Je veux revisiter icy cette autre male, (Elle tire les hardes de la valize de Carrille.) C'est celle du valet, voicy du linge sale, Quels infames haillons, mais quel est ce livret, C'est l'Almanach de l'an mil six cens vingt et sept, Des brosses, une estrille, un pair de décrotoire [62], Un bonnet gras sans coiffe [63], un paquet de lardoires [64], Deux gands despairiés, un grand chanteau [65] de pain, Un morceau de fromage, ah ! le sale vilain, Des tenailles, des clous, un marteau, des mouchettes [66], Du savon, un fusil, un pacquet d'allumettes, Des cartes, des cornets, des dez, un chausse-pié, Un peigne gras encor rompu par la moitié, Voicy sa bource, il faut maintenant que je voye Combien il a d'argent, voicy de la monnoye, Des doubles [67] et des sols [68], et quelques quarts d'escus [69], Courage il ne faut point consulter là-dessus, Prenons-les et mettons des charbons à la place, Il deviendra tantost aussi froid qu'une glace, Et se verra sans doute en estrange soucy. ANGELIQUE. Ma lettre est faite , il faut que je la laisse icy, Raccomode le tout, rajuste ces valizes. ISABELLE. J'entens ouvrir la porte, ah Dieux nous sommes prises, Sauvons-nous promptement. ANGELIQUE.         Laisse tout comme il est, Je mets ma lettre là. (Elles se retirent par les ais.) ### Scene VI. CARRILLE *(seul)*.         Bon, mon fait est tout prest, Que veut dire cela ? qui m'a fait ce mesnage, Qui nous a mis ainsi nos hardes au pillage ? En fait-on un encan ? Dieux je tremble de peur, Seroit-ce quelque diable, ou bien quelque enchanteur ? Personne ne respond, j'ay bien peur pour ma bourse, Si mon argent est pris où sera ma resource ? Allons-y voir, j'en tremble, ah Dieux c'est tout de bon, Ce diable a transformé mon argent en charbon, Autre que luy n'eust peu me traiter de la sorte, Personne n'est entré, j'ay la clef de la porte : Esprit change en charbon l'argent qui vient de toy, Mais celuy que je vole à mon maistre pourquoy ? Voilà ce que nous sert un trafic illicite, Et comment un argent mal acquis nous profite. Qui me peut maintenant r'asseurer les esprits ? Je suis icy tout seul, sans doute je suis pris, A l'ayde mes amis, au secours de Carrille, Empeschez que le diable à present ne l'estrille, Il est en son pouvoir. ### Scene VII. Licidas, Carrille, Florestan, Lizandre LICIDAS.         Dy, qui te fait crier ? CARRILLE. Il ne m'a pas laissé Messieurs un seul denier. FLORESTAN. Parle, t'a-t-on battu, t'as-t-on fait quelque injure ? CARRILLE. Vous ne croirez jamais cette estrange adventure. LIZANDRE. Dy-le donc, qui t'empesche à present de parler ? CARRILLE. Pourquoy vous forcez-vous à le dissimuler ? Si l'on me voit icy transporté de la sorte, Vous en sçavez la cause, ou le diable m'emporte, Si vous gardez ceans pour nous prendre au filet, Un diable familier, ou quelque Esprit folet⁎, Pourquoy nous avez-vous, Monsieur, à la malheure Donné pour logement cette estrange demeure ? LIZANDRE. Es-tu fou ? parles-tu de bon [70], ou si tu ris [71]. CARRILLE. Je n'ay point beu depuis que je suis à Paris, Non, non, je ne ris point, voyez cet équipage, L'Esprit dont je vous parle a fait tout ce mesnage, Je n'ay fait que sortir à quatre pas d'icy, A mon retour j'ay veu tout nostre fait ainsi, Je ne ments point, Monsieur, c'est chose veritable. LIZANDRE. Ne te manque-t'il rien ? CARRILLE.         Mon argent que ce diable M'a pris, ou converty pour le moins en charbon. FLORESTAN. Ah ! l'insigne maraut. LICIDAS.         O le mauvais bouffon ! LIZANDRE. Pour ce froid⁎ entretien as-tu pris tant de peine, Sont-ce là ces beaux traits ? CARRILLE.         Que le diable m'entraine Au plus creux de l'enfer, si je vous ments d'un mot. LICIDAS. O le froid⁎ passe-temps, faites taire ce sot. FLORESTAN. Si je prens un baston, avec tes menteries Tu conteras ailleurs tes froides⁎ railleries. CARRILLE. Et bien je me tairay Monsieur, puis qu'il vous plaist, Mais LIZANDRE.         Dedans un moment le souper sera prest, On vous advertira, mais n'ayez point d'ombrage Que nostre Esprit folet⁎ vous face du dommage, J'en demeure garand, Adieu, pour ce garçon Faites qu'il estudie un peu mieux sa leçon, Il nous feroit pleurer pensant nous faire rire. LICIDAS *(en s'en allant)*. Tay toy, tu feras mieux, il te faut interdire Le mestier de bouffon si tu t'en veux mesler, Au plus chaud de l'esté tu nous ferois geler. (Ils s'en vont.) ### Scene VIII. Florestan, Carrille FLORESTAN. Et bien traistre, qui peut souffrir tes impudences, Je reçoy mille affronts pour tes impertinences, Tu vois qu'en ma presence on se mocque de moy. CARRILLE. Vous ne voulez donc pas me croire sur ma foy ? Que sur tous les mal-heurs, mon mal-heur soit extreme, Si ce que je vous dy n'est la verité mesme. Voudrois-je bouffonner seul à seul avec vous ? En entrant j'ay trouvé tout sans dessus-dessous, Comme vous le voyez, ce n'est point une fable Que ce soit un esprit, ou que ce soit un diable, Pour moy je n'en sçay rien. FLORESTAN.         Tu penses m'abuzer, Et reparer ta faute, en voulant t'excuser, Fut-il jamais au monde une telle insolence ? Regarde ces papiers qui me sont d'importance En quel estat ils sont. CARRILLE.         Je puisse estre bruslé, Je puisse estre à present tout vif escartelé, Je puisse voir du ciel la foudre toute preste A tomber dessus moy. FLORESTAN.         Je te rompray la teste Si tu contestes plus, insolent, c'est assez. CARRILLE. Vous m'obligerez⁎ fort si vous vous en passez, Je ne veux pas mourir, je veux encore vivre, Je sçay fort bien pourtant que je ne suis pas yvre. (il va pour jetter [72] les papiers.) FLORESTAN. Laisse-là mes papiers, j'en auray le soucy⁎, Rajuste tout le reste. Atten, que voy-je icy ? (Il trouve la lettre.) Une lettre fermée. CARRILLE.         A qui s'adresse-t'elle ? FLORESTAN. A moy d'une façon certes toute nouvelle. CARRILLE. Comment ? FLORESTAN.         Ne m'ouvrez pas, j'appartiens seulement A Florestan, dit-elle. CARRILLE.         Et bien asseurément, Vous serez à la fin obligé de me croire, Avez-vous jamais veu de plus estrange histoire ? Ne l'ouvrez pas avant que de la conjurer. FLORESTAN. La nouveauté m'estonne, et me fait admirer⁎. Mais ce n'est pas la peur, car encor que j'admire⁎, Je ne crains rien pourtant. Ouvrons, il la faut lire. Lettre [73] Je suis au desespoir, Florestan, d'avoir mis Un homme comme vous en danger de la vie, Et que pour mon suject vous ayez eu l'envie De combattre la fleur de vos meilleurs amis. J'ay fait respandre un sang que je dois estimer ; Et ce sang ouvrira la source de mes larmes ; Mais mon mal cesseroit si j'avois quelques charmes⁎, Qui vous peussent un jour obliger à m'aymer. Excusez cét effect de mes legeretez, Vous ne vous plaindrés poinct de m'avoir obligée⁎, Et de mon desplaisir je seray soulagée En me faisant sçavoir comme vous vous portez. Ayez soin cependant de bien-tost vous guerir, Et si vous m'escrivez, obligez⁎ moy de mettre Vostre escrit au lieu mesme où sera cette lettre, Et je prendray le soin de l'envoyer querir. Je vous descouvre icy les secrets de mon cœur ; Gardez de reveler ce secret à personne ; Si l'un de vos amis seulement le soubçonne, Je perds en mesme temps et la vie, et l'honneur. CARRILLE. Que dites-vous, Monsieur, de ce miracle icy ? FLORESTAN. Mon doute est à present, peu s'en faut esclarcy Car on cognoit⁎ assez que cette femme mesme, Qui maintenant m'escrit, et qui dit qu'elle m'ayme, Est celle qui tantost fuioit de Licidas : Estant vray comme il est, pourquoy ne veux-tu pas (Car je tiens pour certain que ce soit sa Maitresse,) Que pour entrer ceans elle ait assez d'adresse, Ou pour par un des siens m'envoyer cet escrit ? CARRILLE. Non je ne puis penser qu'un autre qu'un esprit Puisse entrer en ce lieu, la porte estant fermée, Ou par un sortilège, il faut qu'il l'ait charmée⁎. FLORESTAN. Avant que nous vinssions ? CARRILLE.         Vous me feriez damner, A ce compte il faudroit qu'elle eut peu deviner Que vous deviez avoir sur l'heure une querelle, Et que l'on vous devoit blesser pour l'amour d'elle. Laissez-moy ces raisons, croyez vostre valet ; Cette femme, sans doute, c'est un Esprit folet⁎, Nos hardes⁎ en font foy ; c'est pourquoy je me fonde, Qu'il faut que ç'ait été quelqu'un de l'autre monde, Quel autre eust peu changer mon argent en charbon ? FLORESTAN. Mais viençà, dis-tu vray, parles-tu tout de bon ? CARRILLE. Je vous l'ay dit cent fois, en doutez-vous encore ? FLORESTAN. Ce fait cache sans doute un secret que j'ignore. Tout est-il bien fermé, regarde bien partout ? CARRILLE. Tout est clos comme un œuf, de l'un à l'autre bout. En faut-il davantage encor pour vous confondre ? Mais que resolvez-vous ? FLORESTAN.         Je pretends luy respondre, Et luy faire paroistre un trait de jugement⁎ [74], De n'avoir de sa lettre eu nul estonnement, Puis qu'elle doit escrire, avec le temps j'espere De pouvoir aisement descouvrir ce mystere. CARRILLE. N'en parlerez-vous point ? FLORESTAN.         Comment, fausser la foy A qui s'est confiée si franchement à moy ? J'aymerois mieux mourir. CARRILLE.         Vous avez donc envie D'offencer Licidas. FLORESTAN.         Moy, je perdray la vie Avant que je consente à cette lascheté, Je puis bien contenter ma curiosité, Sans envers mon amy paroistre en rien coupable. (Florestan se met à escrire.) CARRILLE. S'il faut que cet esprit, ou bien plustost ce diable, Entre ceans, en sorte, et se laisse approcher Sans qu'on le puisse voir, entendre, ny toucher, Que croirez-vous alors ? FLORESTAN.         Rien d'extraordinaire Qu'on ne puisse en effet naturellement faire. CARRILLE. Mais n'est-il point d'esprits ? FLORESTAN.         D'esprits, c'est le vieux jeu. CARRILLE. De familiers. FLORESTAN.     Non plus . CARRILLE.     De folets⁎ ? FLORESTAN.         Aussi peu. CARRILLE. De sorciers ? FLORESTAN.     Point du tout. CARRILLE.         De larves au teint blesme [75] ? FLORESTAN. Quelle folie, ô Dieux ! CARRILLE.     Des enchanteurs ? FLORESTAN.         De mesme. CARRILLE. Des nigromantiens [76] ? FLORESTAN.         Imaginations. CARRILLE. Des farfadets ? FLORESTAN.         Ce sont pures impressions. CARRILLE. N'est-ce point une fée ? FLORESTAN.         O l'estrange chimere ! CARRILLE. Ou le moine bouru [77] ? FLORESTAN.         Maraut, te veux-tu taire ? CARRILLE. Seroit-ce pas une ame en peine ? FLORESTAN.         Et tu pretends Qu'elle me fist l'amour [78] ? as-tu perdu le sens ? CARRILLE. Un succube [79] ? FLORESTAN.     Es-tu fol ? CARRILLE.     Un lutin ? FLORESTAN.         Ce sont fables. CARRILLE. A ce coup je vous tiens, et n'est-il point de diables ? FLORESTAN. Oüy ; mais ils ne sont rien sans un divin pouvoir. CARRILLE. Mais que sera-ce donc ? FLORESTAN.         Je ne le puis sçavoir, Plus je me romps l'esprit sur un sujet si rare, Plus mes sens sont confus, et ma raison s'esgare. Achevons. CARRILLE,* (à par soy en ramassant les hardes.)*.         Ce demon,cét esprit enragé S'est sauvé de l'enfer sans demander congé, Avec son esprit fort mon maistre est heretique, De nier les esprits et le pouvoir magique. Je croy tout sur ce poinct, jusques aux loups-garoux [80]. (Ariste entre.) ARISTE. On a servi, Monsieur, on n'attend plus que vous. FLORESTAN. Je m'en vay de ce pas, toy prend le soin de mettre Cet escrit au lieu mesme ou j'ay trouvé sa lettre, Et vien-t-en me servir incontinent apres. CARRILLE. Sans me le commander, je vous suivray de pres ; Non n'ayez pas de peur, qu'icy seul je demeure, Je veux souper aussi, je m'en vay tout à l'heure. Fin du second Acte. ## ACTE III. ### Scene première. Lucinde, Angelique, Isabelle, (dans la chambre d'Angelique.) LUCINDE. J'avouë en vérité que vous me surprenez Jusques au dernier poinct mes sens sont estonnez, Et d'autre que de vous, j'aurois bien peine à croire Les divers incidents qui sont en ceste histoire, Vous avez par ces ais trouvé subtilement⁎ Le moyen de passer dans son appartement. On n'a jamais parlé d'aventures semblables, Et semble [81] qu'en effect vous me contez des fables, Qu'il doit estre surpris s'il a veu vostre escrit, Sans mentir c'est assez pour luy troubler l'esprit. ANGELIQUE. Je croy qu'il l'aura veu. LUCINDE.         Je meurs d'impatience, Aussi bien comme vous de sçavoir ce qu'il pense, Qu'il doit estre surpris ! ANGELIQUE.         **C'est ce que je pretends, Nous le sçaurons bien-tost, et peut-estre est-il temps, A present que l'on soupe, allez voir Isabelle, S'il aura respondu, mais soyez en cervelle [82], Gardez d'estre surprise, et surtout hastez-vous. ISABELLE. Il ne faut rien dire. (Elle sort.) ANGELIQUE.         **En fin je me resous, Comme je vous ay dit, de le voir, et peut-estre Ce sera dés ce soir. (On voit cependant Isabelle entrer dans la chambre de Florestan et prendre la lettre sur la table.) LUCINDE.         Et vous faire cognoistre ? ANGELIQUE. Je m'en garderay bien. LUCINDE.         Dieux ! et comment cela ? ANGELIQUE. Vous le sçaurez tantost. (Isabelle entre par derriere et presente la lettre à Angelique.) ISABELLE.         Madame la voilà : LUCINDE. Comment voilà sa lettre ? ANGELIQUE.         Ah Dieux ! j'en suis ravie, Voyons-la promptement, car j'en brusle d'envie. Lettre [83] Ouy, qui que vous soyez, ma belle Damoiselle, Je ne sçay si je doy vous appeler ainsy ; Je ne vous ay point veuë, et je suis en soucy, Si quand je vous verray je vous trouveray telle. Laissons passer ce mot, n'importe tout que vaille [84], Un chevalier errant est toujours obligé De flatter vostre sexe, et se voit engagé**** Pour luy de s'escrimer et d'estoc et de taille [85]. J'offre pour vous vanger d'employer ma vaillance Contre ce fier, felon, et mal-courtois Amant, Qui vous retient captive en cet enchantement, Et pour vous contre luy, tirer un coup de lance. [86] S'il est magicien, qu'il enchante⁎ ses armes, Oüy de son sort, mon bras sera victorieux, Si peut-estre ce n'est celuy de vos beaux yeux, Je porte un coutelas à l'espreuve des charmes⁎. Quand vous l'ordonnerez j'entreray dans la lice, Puis que vous me nommez pour vostre Chevalier, A ce bras tranche-tout, vous vous pouvez fier, J'affronterois le ciel pour vous rendre service. Faites paroistre icy tous les foudres [87] de guerre, Suscitez des titans, des monstres, des geans ; Ce bras nerveux les peut pourfendre jusque aux dents, Avec l'acier trempé de ce fier cimeterre. Pour vous du monde entier je ferois la conqueste, Mars est-il contre vous, je l'extermineray, Le secret vous importe, oüy je le garderay, Quand pour vous obeir il iroit de ma teste. Comme vous meritez, vous serez respectée, Soyez fantosme, larve [88], ou bien ESPRIT FOLET⁎, Vous obligez d'avoir honoré d'un poulet [89], Le Chevalier choisi par la Dame enchantée⁎. ANGELIQUE. Ce style est sans mentir ridicule, et je croy Par ce bouffon discours, qu'il se mocque de moy, Ce sont en mon endroict d'estranges procedures. LUCINDE. J'ay veu dans Amadis [90] de telles adventures. ANGELIQUE. Certes je meurs de honte, et de confusion, J'estimois [91] cet escrit plein d'admiration⁎, Et qu'il seroit surpris d'une telle industrie, Et luy sans s'estonner la prend en raillerie. LUCINDE. Mais c'est de bonne grace, et fort subtilement, Il feint cette adventure, et cét enchantement, Il croit avec raison que vous estes charmée⁎ : Si vous entrez chez luy la porte estant fermée ; Peut-il s'imaginer qu'un autre qu'un esprit, Peut sans se laisser voir luy porter un escrit ? ANGELIQUE. Je ne le celle point, cela me rend confuse. LUCINDE. Il peut avec le temps descouvrir vostre ruse, S'il vous fait espier, peut-il pas en effect, Par cent subtils moyens, vous prendre sur le faict ? ANGELIQUE. Oüy, si je n'estois pas tous les jours en cervelle, J'auray des espions toujours en sentinelle, Qui ne mancqueront pas de soin pour m'advertir Si-tost que dans la rue on les verra sortir, S'ils r'entrent par hazard, en nous voyant pressées [92], Encor plus promptement nous serons repassées, Non, non, ne doutez pas de cela, je promets Qu'ils ne pourront ainsi nous surprendre jamais. LUCINDE. Mais un homme d'esprit, tel que vous me le faites [93], Peut-il pas descouvrir ces praticques secrettes ? [94] Et raffinant un jour sur vos subtilitez⁎, S'imaginer par où vous entrez et sortez. ANGELIQUE. Non, il ne le peut pas ; voulez-vous qu'il devine ? Qu'il luy tombe en l'esprit, ou qu'il se l'imagine ? LUCINDE. Il le peut aysément, pour peu qu'il soit rusé. ANGELIQUE. A vous qui le sçavez, il semble tres-aysé ; Mais pour luy qui l'ignore, encor qu'il soit habile, Il trouvera la chose estrange et difficille. LUCINDE. Posons qu'il ne le puisse et qu'il travaille en vain ; Mais encor dites-moy quel est vostre dessein ? Que je sçache le but où vostre cœur aspire. ANGELIQUE. Helas c'est sur ce poinct que je n'ay rien à dire, Je confesse mon foible, et vous dy franchement, Que je perds de tout poinct icy le jugement⁎, Je n'esperois tirer de toutes ces folies Qu'un divertissement à mes melancolies ; Mais me voyant les sens interdits et confus, Je cognoy bien que j'ay quelque chose de plus : Car je ne puis nier que j'ay l'ame saisie, Et l'esprit agité d'un peu de jalousie, D'un beau portraict qu'il garde, et de certains escrits Qui m'ont en quelque sorte estonné⁎ les esprits, Ne m'estant arrivé rien de tel en ma vie, Et si j'avoue aussi que je brusle d'envie De le voir cette nuict, et mesme luy parler, Jugez chere Cousine où cela peut aller. LUCINDE. Envers moy voulez-vous estre si rigoureuse ? Ne me le celez poinct, vous estes amoureuse. Pourquoy dissimuler ce que je cognoy mieux**** Mille fois que vous mesme, et qu'on lit dans vos yeux ? Au lieu de vous blasmer, non, non, je vous en louë. ANGELIQUE. Oüy, vous m'avez surprise, et quasi [95] je l'avouë, Si lors qu'on ayme, on a de pareils sentiments ; Si je ne dis tout haut que je l'ayme, je ments. Mais quoy que j'aye [96] pour luy beaucoup de complaisance Cét amour, je vous jure, est bien dans l'innocence : Car je mourrois plustost ma Cousine, et me croy [97], Que je fisse jamais rien indigne de moy ; Il est temps maintenant, et partant Isabelle Va promptement là bas querir de la chandelle, Ils sont tous occupés, et je veux à present Respondre à son escrit, et luy faire un present De cette escharpe icy, d'une façon nouvelle, Pour supporter son bras blessé pour ma querelle, Avec quelques douceurs ; il ne faut point tarder, Ils sortiront bien-tost.Taschez d'accomoder Ces hardes⁎ là dedans, afin qu'avant qu'il sorte, Et qu'ils soient retirez, Isabelle les porte. LUCINDE. Disiez-vous pas tantost, qu'on vous a faict sçavoir Qu'ils doivent tous ensemble aller au bal ce soir ? ANGELIQUE. Oüy, je luy veux mander que l'on m'en a priée, Qu'il y vienne, et d'autant que je suis espiée, Qu'il me pardonnera, si je n'ose pas là Me descouvrir à luy. LUCINDE.         Mais à quoy bon cela ? Puis que vous sçavez bien que vous ne pouvez faire Ce que vous promettez ? ANGELIQUE.         Il est tres necessaire, Pour luy troubler encor d'avantage l'esprit, Laissez-moy promptement respondre à son escrit. LUCINDE. Je veux ce qu'il vous plaist ; cependant Isabelle Plions bien cette escharpe, ajustons la dentelle, Donne moy ce panier, mettons tout proprement. ISABELLE. Sans doute qu'il sera saisi d'estonnement⁎ Alors qu'il trouvera ce present sur sa table [98]. LUCINDE. Qui ne trouveroit pas cette chose admirable⁎ ? Couvrons-le maintenant avec ce tafetas. **** ISABELLE. Depeschez-vous, Madame, on a souppé là-bas. ANGELIQUE. C'est faict, mettons encor ma lettre avec ses hardes, Depesche toy, va-tost, qu'est-ce que tu regardes ? LUCINDE. J'aurois un grand desir d'apprendre du destin, A quoy reüssira cette histoire à la fin. ### Scene II. Lizandre, Florestan, Licidas LIZANDRE. Voulez-vous voir le bal ? vous en prend-il envie ? Nous vous y conduirons ; croyez qu'en vostre vie Vos sens n'ont point esté tellement enchantez⁎, Comme ils seront de voir tant de rares beautez, Vous y verrez la Cour, et de long-temps peut-estre Personne ne l'a veüe en tel estat paroistre ; Mais pourrons-nous de vous cette grace obtenir, De nous donner congé de nous en revenir, Quand vous serez entré ; car c'est nostre ordinaire De nous retirer tost. FLORESTAN.         Je serois temeraire, Si j'avois le dessein de vous incommoder, J'irois plustost sans vous. LIZANDRE.         Vous y pourrez tarder Autant qu'il vous plaira, vous auriez de la peine D'entrer en ce lieu là, si l'on ne vous y meine. Il faut estre cognu, c'est à vingt pas d'icy, Vous reviendrez bien seul. FLORESTAN.         Laissez-m'en le soucy⁎, Aussi bien comme vous je n'y veux pas tant estre ; Mais parce qu'en ce lieu je veux un peu paroistre, Vous me permettez bien de m'aller ajuster, Et de changer d'habit. LICIDAS.         Sans vous precipiter, Vous avez trop de temps. FLORESTAN.         Donc sans plus de demeure [99] Je vous iray trouver chez vous avant une heure. ### Scene III. Florestan, Carrille FLORESTAN. Carrille, que fais-tu ? CARILLE.         Dieux ! je tremble de peur. FLORESTAN. Pourquoy n'es-tu là haut ? CARRILLE.         Je n'oserois, Monsieur. FLORESTAN. Pour quel sujet, qu'as-tu ? CARRILLE.         Dois-je pas avoir crainte Que cét Esprit Folet⁎ ne me donne une atteinte [100] ? Je crains trop d'esprouver ce que pese sa main. FLORESTAN. L'impertinent maraut, tu le fais à dessein De faire le plaisant. CARRILLE.         Quand on me devroit pendre, Faschez-vous-en, ou non, je ne m'en puis deffendre, J'y fais ce que je puis, qu'importe si j'ay peur, Par menace croit-on me relever [101] le cœur ? On ne sçauroit m'oster aysément ces ombrages, Non pas quand on devroit me retrancher mes gages, J'ayme mieux perdre tout. FLORESTAN.         Mais voyez ce maraut, Allume la chandelle, et la porte là haut, Apreste mon habit, le diable te confonde. CARRILLE. Je n'irois pas tout seul, pour tous les biens du monde, Ne me l'ordonnez pas, je sçay fort bien pourquoy. FLORESTAN. Va, j'y seray, te dis-je, aussi-tost comme toy, Va querir un flambeau, je t'attens à la porte. CARRILLE *(en s'en allant)*. Ah Dieux ! c'est à ce coup, Monsieur, qu'il nous emporte [102]. ### Scene IV. Isabelle, (seule dans la chambre de Florestan, avec son present à tatons.) ISABELLE. Je sçay qu'ils sont dehors, on m'en vient d'advertir, Mais j'ignore à present par où je dois sortir, Ne pouvant remarquer par où je suis entrée, Dans cette obscurité je me suis esgarée, Que deviendray-je, ô Dieux ? j'en suis fort en soucy, Ny mesme où je mettray ce present que voicy ; [103] Car je ne puis trouver la porte, ny la table ; Juste Ciel, soyez moy maintenant favorable, Si quelqu'un survenoit, de quels charmes⁎ grands Dieux, Pourrois-je me servir pour ebloüyr ses yeux ? Tout seroit descouvert, la chose est infaillible ; Car de passer plus outre, il seroit impossible ; J'en tremble en y pensant, c'est à ce coup, j'entends Qu'on ouvre cette porte, ah ! je perds tous les sens⁎ ; Celuy qui l'ouvre encor, porte de la lumiere, Que deviendray-je ? il faut me cacher là derriere. ### Scene V. Carrille, Isabelle, Florestan CARRILLE, *(seul avec de la chandelle.)*. Esprit je te conjure en toute humilité (Car tu n'es pas, je croy, de basse qualité) Si ta mauvaise humeur icy ne se transporte, Si la sumission d'un homme de ma sorte, Peut en cét accident quelque chose sur toy, Aujourd'huy pour le moins ne songes [104] point à moy, Je suis le serviteur, tu n'en veux qu'à mon Maistre. (Isabelle se met derriere luy, de peur qu'il ne la voye.) ISABELLE *(bas)*. La lumiere m'a faict aysément recognoistre. CARRILLE. Aye pitié de moy, tout mal-heur me poursuit, Je suis las, laissez-moy reposer cette nuit [105]. ISABELLE* (bas qui va derriere luy.)*. Je me puis aysément desrober à sa veuë, Il ne m'a point encor dans la chambre aperceuë ; Joüons luy d'une fourbe, ayons-en le plaisir, Tüons luy la chandelle [106], avant qu'il ait loisir De l'aller rallumer, je seray repassée. CARRILLE. Je sens mon ame, ô Dieux ! de cent craintes glacée ; Mon Maistre tarde bien, ah ! qu'il est aujourd'huy Bien aisé de railler, mesme aux depens d'autruy. (Isabelle luy tuë la chandelle et luy donne un grand coup de poing.) CARRILLE. On m'assomme, grands Dieux ! misericorde, à l'ayde, Tout de bon, ce Demon à present me possede ; Il m'emporte, il m'estrangle, ah Dieux ! j'ay beau prier, Invoquant tous les Dieux. FLORESTAN.         Dy qui te fait crier ? Qu'as-tu ? CARRILLE.         Monsieur, ils sont tous sourds à ma priere. FLORESTAN. T'ay-je pas commandé d'avoir de la lumiere, Pourquoy n'en as-tu pas ? CARRILLE.         Ah ! cét ESPRIT FOLET⁎ Nous a tuez tous deux, moy d'un si grand souflet Qu'il m'a, fort peu s'en faut, fait cracher la cervelle, Et d'un souffle aussi-tost a tué la chandelle. FLORESTAN. Comme la peur te fait avoir ces visions. CARRILLE. Ce ne sont pas, Monsieur, imaginations, Diable, je ne suis point, tout à fait insensible. ISABELLE *(bas)*. Maintenant par ces ais, r'entrons s'il est possible. FLORESTAN. (Il rencontre Isabelle.) Qui va là, je la tiens, va promptement là-bas, R'allumer ta chandelle. CARRILLE.         Ah ! ne le laschez pas. (Carrille sort.) ISABELLE *(bas)*. Justes Dieux ; c'est bien pis, j'ay rencontré le Maistre. FLORESTAN. Qui que tu sois, atten, car si tu fais paroistre De vouloir eschaper, je te poignarderay. ISABELLE *(bas)*. Que deviendray-je, ô Dieux ! qu'est-ce que je feray ? Il a pris le panier, je luy laisse, il n'importe, Je m'en vay me sauver, j'ay remarqué la porte Par où je suis entrée, allons y vitement. (Elle rentre par les ais.) FLORESTAN. Elle s'est eschapée, et je ne sçay comment. Ce n'est point une femme en effect que je touche, Que veut dire cela ? vrays Dieux ! plus qu'une souche Je demeure immobile, et ne sçay que penser. [107] CARRILLE, (*r'entre avec de la chandelle.)*. Esprit malin, qui croit icy nous traverser, Tu n'eschaperas pas. FLORESTAN.         Aporte la lumiere. CARRILLE. Qu'est-il donc devenu ? FLORESTAN.         Regarde là derriere, Je le tenois tantost ; mais il m'est eschapé. CARRILLE. Aussi bien comme moy vous estes attrapé, Et bien qu'en dites-vous ? ne vouliez-vous pas croire Que c'estoit une fable, et non pas une histoire ? Vous disiez que c'estoient imaginations, Que la peur me faisoit avoir ces visions, Cela suffit-il pas encor pour vous confondre ? Ne le teniez-vous pas ? FLORESTAN.         Je ne puis que respondre, Il me vient de laisser ces hardes⁎ dans les mains, Et puis s'est eschapé. CARRILLE.         Voyez donc si je crains, Que c'est avec raison [108]. Ah ! Monsieur, je vous prie Ne vous en mocquez point. FLORESTAN.         C'est une raillerie, De croire que jamais on me puisse charmer⁎. CARRILLE. Mais qu'en croyez-vous donc ? FLORESTAN.         Il est à presumer, Que dis-je à presumer ? sans doute qu'il doit estre Que c'est celle qui craint de se faire cognoistre, Et qu'un de ses valets m'apportant ses escrits, Estoit entré ceans, et se trouvant surpris, T' a tué ta chandelle, et traicté de la sorte, Et s'est enfuy apres. CARRILLE.     Par où ? FLORESTAN.         Par cette porte. CARRILLE. Vous me feriez mourir, bien mocquez-vous de moy, Je l'ay veu, je vous jure, ainsi que je vous voy. FLORESTAN. Dy donc comme il est fait ? CARRILLE.         Ah ! de crainte j'en tremble, Laissez-moy respirer ; il est fait ce me semble Comme un coq-d'Inde [109] noir ; mais trente fois plus grand. FLORESTAN. Voyez comme la peur saisit cét ignorant. Tien, pren. (Luy donnant le panier.) CARRILLE.         Moy manier des choses infernales ? FLORESTAN. Pren, te dis-je, pendart. CARRILLE.         Monsieur, j'ay les mains salles. Comme vous le voyez toutes pleines de suif. FLORESTAN. Je ne cognu jamais un maraut si craintif, Dy moy, de quoy peux-tu jamais estre capable ? CARRILLE. Ce n'est pas pour cela, mettez-le sur la table, Vous le verrez bien mieux. FLORESTAN.         Sus donc puis qu'il te plaist, Ostons ce taffetas, et voyons ce que c'est, C'est une belle escharpe, et quelques confitures. CARRILLE. A-t'on jamais parlé de telles adventures ? FLORESTAN. Et cette lettre icy, voyons ce qu'elle dit. Lettre [110] Je vay ce soir au bal, ne manquez pas d'en estre, Recevez cette escharpe, et pour en faire cas, Daignez de l'honorer d'un si genereux⁎ bras, La portant cette nuit, je vous sçauray cognoistre⁎. Mais pour moy qui me vois de cent yeux esclairée [111], Pardonner si la peur de faire des jaloux⁎, Fait que je ne pourrois me descouvrir à vous, Sans courir le hasard d'estre deshonorée. Qu'un sort injurieux à tous malheurs me livre, Si pour aymer je fais jamais un autre chois, Et quand je cesseray de reverer vos loix, Croyez qu'assurément je cesseray de vivre. FLORESTAN. Apporte, donne-moy promptement mon habit, Fut-il jamais au monde une telle surprise ? CARRILLE. Croyez-vous aux esprits ? FLORESTAN.         Ah Dieux, quelle sottise ! CARRILLE *(en habillant son maistre.)*. Vous en dites autant de tout ce que je fais, Vous en voyez vous-mesme arriver tant d'effets, Vous voyez un present que par l'air on vous porte, Que l'on entre ceans sans passer par la porte, Et vous n'en croyez rien ? Mais à ce que je voy Tout le bien est pour vous, et tout le mal pour moy. FLORESTAN. Comment le mal pour toy ? CARRILLE.         Si je voy qu'on renverse Nos hardes⁎ en ce lieu, pour en faire un commerce, J'ay la peine, et le soin de les raccomoder, Vous ne faites que rire, et que me gourmander, On vous fait des presens, avec des confitures, Moy, l'on me fait jeusner, et n'ay [112] que des injures, On ne me donne rien si ce n'est du charbon, Si je perds mon argent, on m'appelle bouffon, On escrit, on vous flate, on vous esleve en gloire, A moy d'un coup de poing on me rompt la maschoire. FLORESTAN. Je l'espieray si bien que je la surprendray. CARRILLE. Et vous diray, je gage, encor qu'il n'est pas vray, Je n'en veux point avoir de plus grand tesmoignage [113]. FLORESTAN. Allons sans discourir en ce lieu davantage. ### Scene VI. Isabelle, Angelique, Lucinde ISABELLE. Tout comme je vous dis estoit desesperé, Mais je l'ay sans mentir plaisamment reparé. ANGELIQUE. Tu nous contes icy de bien estranges choses, Et je doute quasi que tu nous les supposes [114], Je ne puis sans mentir l'imaginer encor, Isabelle il est vray, tu vaux ton pesant d'or. ISABELLE. Si dans les accidens⁎ j'eusse esté moins experte, Vostre fourbe⁎ sans doute eust esté descouverte, Ce n'a pas toutefois esté sans avoir peur, Mais je l'ay fait avoir plus grande au serviteur. LUCINDE. Le succez en effet en est plus qu'admirable, Et rendra cette fourbe⁎ encor plus vray semblable, Je voudroy bien sçavoir ce qu'il pense à present, De sentir qu'en ses mains on luy mette un present, Qu'il reçoive une lettre et qu'il n'ait veu personne, Quelque esprit fort qu'il ait il faut qu'il s'en estonne⁎. ANGELIQUE. Il aura bien sujet d'estre plus interdit Quand nous effectuërons ce que nous avons dit. LUCINDE. Qui ne serait confus se trouvant en sa place ? Le fait est tres-subtil⁎, mais grands Dieux quand sera-ce ? ANGELIQUE. Cette nuit, je n'attends pour luy joüer ce tour, Que l'heure et le moment qu'il sera de retour, Il ne s'est veu jamais si surpris en sa vie Comme il sera tantost. LUCINDE.         Mon ame en est ravie. ANGELIQUE *(à Isabelle.)*. Toy si tost qu'un chacun se sera retiré Tu sçais bien ce que j'ay tantost deliberé, Apreste la lumiere, afin d'aller moy-mesme Dans sa chambre querir ce beau portrait qu'il ayme, Je ne veux pas qu'un homme à qui je veux du bien, Cherisse si je puis d'autre objet [115] que le mien. Fin du troisiesme Acte. ## ACTE IV. ### Scene première. Angelique, Carrille, Lucinde ANGELIQUE. Isabelle m'as-tu preparé la lumiere ? Il est temps que je passe à present là derriere, Chacun est retiré, je pourray librement Aller sans qu'on me voye en son apartement. Mais de peur de surprise, ajuste la chandelle Dans la lanterne sourde [116], et sois en sentinelle, Je ne l'ouvriray point que je ne sois dedans, De crainte que quelqu'un qui peut veiller ceans, Descouvre la clarté, vous cousine allez faire Ce que vous sçavez bien nous estre necessaire : Mais Dieux j'oubliois bien icy le principal, De l'advertir qu'il vienne à son retour du bal, [117] Il me faut promptement escrire un mot de lettre, Il n'y manquera pas, oüy je m'ose promettre Qu'il me viendra trouver, où je le manderay. LUCINDE. Ne doutez point de moy, croyez que je feray Mieux que vous ne croyez. ISABELLE.         Et moy je vous proteste⁎ [118] Que je viendray fort bien à bout de tout le reste. [119] ### Scene II. Florestan, Carrille FLORESTAN. On t'a pris ton flambeau, maraut, je gagerois Qu'on te l'a derobé pendant que tu dormois, Comment me coucheray-je à present sans chandelle ? CARRILLE. Si vous ne desirez à present que j'appelle Quelqu'un dans le logis, vous n'en sçauriez avoir. [120] Mais ne sçauriez-vous pas vous coucher sans y voir ? Vostre lit est tout prest. **** FLORESTAN.         Penses-tu que je vueille Faire du bruit ceans, afin que je resveille Tout le monde qui dort ? Ouvre donc promptement. CARRILLE. Tout est ouvert Monsieur. FLORESTAN.         Marche tout doucement, Garde en faisant du bruit de resveiller personne, Parle bas. CARRILLE.         Croyez-moy, de crainte je frissonne, Je crains plus que la mort cet Esprit enchanté⁎, Que ne nous secourt-il à present de clarté ? (Angelique entre par l'autre bout de la chambre avec sa lanterne sourde, et l'ouvre un peu par devant.) ANGELIQUE. Descouvrons la clarté que je tenois cachée. CARRILLE. Dieux ! de quelle pitié cette dame est touchée, Elle vous ayme bien à present je le voy, La clarté vient pour vous, et l'on esteint pour moy. FLORESTAN. Que veut dire cela ? Dieux que j'en suis en peine, Cela ne peut venir d'invention humaine, Il est surnaturel qu'on puisse avoir le soin De m'apporter ainsi la lumiere au besoin [121]. CARRILLE. N'estes-vous pas contraint de confesser vous-mesme Qu'il revient des esprits ? FLORESTAN.         La surprise est extresme, Je ne sçay que penser tant j'ay l'esprit confus. CARRILLE. Mais contesterez-vous encore là dessus ? Peut-on desavoüer ce qui nous est visible ? FLORESTAN. Je suis quasi forcé de croire un impossible. ### Scene III. Angelique, Florestan, Carrille (Angelique tire la chandelle de la lanterne, et la met dans un chandelier, qui sera sur la table, et prend une chaire à dos, et se sied les espaules tournées vers eux.) [ANGÉLIQUE]. Mettons là la chandelle, et voyons ces escrits. (Tandis que Florestan et Carrille parlent bas ensemble, elle trouve tous les papiers et les lit et receut [122] le portrait.) FLORESTAN. Carrille, vois-tu bien ? atten, l'esprit est pris Parlons bas, vois-tu point cette parfaite Dame, Capable d'exciter mille feux dans une ame ? Vit-on jamais au monde une telle beauté, C'est à ce coup grands Dieux que je suis enchanté⁎. Ce prodige m'estonne, et me rend immobile, Car d'un Hydre [123] abatu, j'en vois renaistre mille. Je suis icy si fort saisi d'estonnement⁎ Que je manque d'esprit et perd le jugement⁎ Je suis quasi contraint de te croire, et me taire. Elle prend mes papiers, qu'en pretend-elle faire ? CARRILLE. C'est pour les mettre d'ordre, et les arranger mieux, Car pour vous cet esprit est fort officieux. FLORESTAN. Que de charmes, grands Dieux, les Cieux et la Nature Ont mis tous leurs tresors en cette creature, On ne voit point au monde une telle beauté, Il faut bien que ce soit quelque divinité, Qui se fait voir à moy sous ce parfait image [124]. CARRILLE. Si le diable devoit emprunter un visage Il eut esté bien sot s'il en eust pris un laid, Il est, et me croyez, plus qu'un Esprit folet⁎. FLORESTAN. L'esclat de ses yeux brille avec tant de lumiere Qu'il esbloüit mes yeux, et sille ma paupiere. CARRILLE. Voyez-vous pas aussi qu'au plus creux de l'Enfer Elle a pris cet esclat des yeux de Lucifer [125] ? FLORESTAN. Je ne luy puis donner d'assez dignes loüanges Et sans doute je croy qu'elle est du rang des Anges. CARRILLE. Ouy, mais du rang de ceux qui sont tombez du Ciel, Tout ce que vous voyez n'est qu'artificiel, Croyez qu'asseurement vous craindrez ses approches, [126] Si vous voyez ses pieds, avec ses ongles croches [127]. FLORESTAN. Qu'est devenu ce cœur⁎ que cy-devant j'avois ? Je n'ay jamais tremblé que cette seule fois. CARRILLE. La frayeur dans mon cœur⁎ tant de craintes assemble [128] Que j'ay toujours tremblé, comme encore je tremble. FLORESTAN. Mes cheveux sur mon chef⁎, de crainte herissez Me rendent le cœur⁎ lasche, et les sens tous [129] glacez, Mais faut-il qu'un soubçon, une idée, un ombrage Sans aucun fondement, esbranle mon courage ? Il faut voir ce que c'est. CARRILLE.         Ne soyez pas si fou De vous joüer du Diable [130], il vous tordroit le cou. FLORESTAN. Quoy ? dans mon cœur⁎ la peur pouroit-elle estre empreinte ? Non non, resolvons-nous, banissons toute crainte. Ombre, Ange, Diable, Esprit, femme, ou qui que tu sois Tu n'eschaperas pas de mes mains cette fois [131]. (Il la prend au colet.) ANGELIQUE *(surprise, bas.)*. Je suis surprise, ô Dieux que je suis miserable ! CARRILLE. Si tu viens de Dieu parle, et si tu viens du Diable Retourne t'en sur l'heure aux Enfers, sans parler. FLORESTAN. Que me veux-tu, respons ? ANGELIQUE *(bas.)*.         Il faut dissimuler. [132] Genereux Florestan, à qui seul la Nature Prepare dés long-temps [133] la plus rare adventure Qui soit jamais des Cieux arrivée icy bas, N'approche point de moy, va ne me touche pas, Songe à ce que tu fais, car s'il te prend envie De passer plus avant tu perds l'heur [134] de ta vie ; Tu verras, que jamais sous la voute des Cieux Ne fut homme si fort favorisé des Dieux, Une felicité parfaite, et de durée Qui t'est par ton destin [135] aujourd'hui preparée T'eschapera des mains, croy moy, si tu pretends Contre l'arrest du Ciel l'avoir avant le temps. Je ne dis rien icy qui ne soit veritable, Et pour t'en faire foy regarde sur ta table, Je te laisse un escrit pour la derniere fois, Consulte là dessus Florestan, et me crois [136] ; Je t'escris qu'aujourd'huy je me rendray visible A telle heure qu'il est, il est donc infaillible Que je ne te mens point si selon ton desir [137] Comme tu le peux voir, j'ay desiré choisir La plus humaine forme, et la plus raisonnable Que j'ay peu pour me rendre à tes yeux agreable. Ne preten rien de moy que ce que je voudray, Et croy que de tout point je te satisferay [138] Si tu sçais observer l'ordre que je te donne, Mais pren garde sur tout de le dire à personne, Et croy que tu seras mal-heureux à jamais Si tu ne te resous de me laisser en paix. [139] CARRILLE. Puis qu'elle la demande ainsi par courtoisie Contentez sur ce poinct, Monsieur, sa fantaisie ; Accordez luy la paix. FLORESTAN.         Je ne crains rien icy Avant qu'elle m'eschape il faut estre esclaircy. [140] Je veux presentement que tu me satisfasses, Parle donc, je me ris de toutes tes menaces, Je rougis seulement de honte que mon cœur⁎ Ait en cet accident tesmoigné d'avoir peur. Si j'en suis venu là, je te jure et proteste⁎, De ne te point quitter sans sçavoir ce qui reste. Quand je devrois tout perdre, et tout mettre au hazard, Femme donc, car tu l'es, respons-moy par quel art [141] Par quel subtil⁎ moyen, que jusqu'icy j'ignore Entres-tu dans ma chambre, et quel dessein encore As-tu quand tu m'escrits ? dy qui te peut mouvoir [142] ? Car je jure les Dieux que je le veux sçavoir, Je l'ay presentement, sans vouloir plus attendre, [143] Et le souverain bien où tu me fais pretendre, Je l'auray tout à l'heure, ou bien je le perdray Je n'apprehende rien, croy que j'en joüiray Si je tiens un Demon par le moyen du Diable, Ou s'il faut que tu sois, comme il est plus croyable Une femme mortelle, il faut presentement Qu'une femme m'esclaire en cet aveuglement, Quoy que je sçache bien, ayant un corps visible Qui se laisse toucher, que c'est chose infaillible Que tu n'es qu'une femme, et non pas un Demon. CARRILLE. J'en donnerois, Monsieur, le choix pour un teston [144]. Pour moy je croy que c'est presqu'une mesme chose. **** ANGELIQUE. Garde de transgresser la loy que je t'impose Fay ce que je te dis, et ne me touche pas Car s'il t'arrive encor tu t'en repentiras. CARRILLE. Peut-estre elle est, Monsieur, fragile comme verre Et puis n'estant ny luth, ny harpe, ny guiterre Que sert de la toucher ? FLORESTAN.         En cette extremité J'en puis bien aisement sçavoir la verité Ce fer m'esclaircira bien-tost de cette affaire, Car estant un esprit je ne te puis mal-faire, Et pourras eviter la fureur de mon bras. (Il met la main à l'espée.) ANGELIQUE * (à genoux.)*. Toubeau, Seigneur, de grace, ah ne me frappez pas ! Je confesseray tout, plustost que cette lame Soit teinte dans le sang d'une chetive femme ; Je le suis, je l'advouë, et de plus que j'ay tort, Je confesse mon crime ; et merite la mort, Si vous vous offensez en vous disant que j'ayme Vos rares qualitez à l'egal de moy-mesme, C'est de ce crime seul, dont on peut m'accuser [145] Voyez si vous devez vous en formaliser. FLORESTAN. Que je sçache ton nom. ANGELIQUE.         Puis que j'y suis forcée Vous sçaurez les mal-heurs, dont je suis traversée, Je sçay que je me perds de vous desabuser Mais il n'est plus saison de vous rien desguiser. Mais si par imprudence, ou par mal-heur extresme On venoit à sçavoir, je ne dy pas que j'ayme, Mais qu'on peut seulement soubçonner cet abord, Le Ciel ne pourroit pas me garantir de mort. Et c'est ce qui m'estonne⁎, et qui fait que je tremble, Car je suis en effet autre que je ne semble. Et j'ay sujet de craindre, où le danger est grand, Si quelqu'un par mal-heur ensemble nous surprend, (Car on est aux aguets) vous prendroit-il envie, Que pour vous je perdisse et l'honneur et la vie ? Je crains tout par le bruit qu'icy vous avez fait Rendez donc sur ce poinct mon esprit satisfait, Voyez si tout est clos, si par quelque fenestre Cette lumiere icy ne pourroit point parestre Chacun n'est pas encor tout à fait retiré. FLORESTAN. Elle a raison, esclaire. Et bien, j'eusse juré Que c'estoit ce que c'est : voy ce n'est pas un Diable Comme tu le croyois. (Carrille prend la chandelle.) CARRILLE.         Il est bien aimable S'il faut que c'en soit un, encore n'en sçay-je rien. (Ils regardent partout avec la chandelle.) FLORESTAN. Regarde aussi la porte, et si tout ferme bien. (Comme ils sont attentifs à fermer les portes, et considerer les fenestres, Angelique sort par les ais de la chambre, et les referme tout à l'heure, et remporte la lanterne.) ANGELIQUE. Tout m'arrive grands Dieux comme je le souhaite, J'ay pour m'eschaper d'eux trouvé cette deffaite [146], Rentrons et refermons aussi-tost apres nous. ### Scene IV. Florestan, Carrille FLORESTAN. Tout est fermé, Madame, avec de bons verrous, Contez-moy, mais grands Dieux, qu'est-elle devenuë ? Comment s'est-elle peu desrober à ma veuë ? CARRILLE. Moy le puis-je sçavoir ? FLORESTAN.         Je perds icy le sens⁎. CARRILLE. Et bien qu'en dites-vous ? FLORESTAN.         Regarde là dedans, Quel prodige est-ce icy ? m'eschaper de la sorte ? CARRILLE. N'est-elle point encor sortie par cette porte ? Le soustiendrez-vous point ? estes-vous esclaircy ? Quel autre qu'un esprit peut nous traitter ainsi ? FLORESTAN. Non, mon ame jamais ne fut plus estonnée⁎. L'as-tu point veuë aller ? CARRILLE.         Ouy, par la cheminée Je l'ay veuë eschaper. FLORESTAN.         Ah l'insigne maraut ! CARRILLE. Ouy, Monsieur, je l'ay veuë, ah regardez la haut Comme elle s'est soudain convertie en choüette ? La voyez-vous voler ? FLORESTAN.         Quelle vertu secrette A ctte femme icy d'eschaper de mes mains ? Il m'en faut esclaircir, tous ces discours sont vains. Je veux chercher partout ; Dieux c'est chose admirable⁎, Voyons dans les rideaux, sous le lit, sous la table, Derriere le chevet, cherchons, renversons tout, Dans cette chambre icy, de l'un à l'autre bout. Arrachons et voyons si quelque tromperie, Seroit point en effet sous la tapisserie ; Ce n'est qu'une cloison, voyons si dans ces ais Seroit point quelque trou qu'elle eut fait tout expres, Pour pouvoir aisement de nous deux se deffaire : Je ne la puis tenir pour chose imaginaire, Pour un esprit non plus, puis qu'elle a craint la mort. CARRILLE. Croyez que c'en est un, ou vous avez grand tort. FLORESTAN. Et toy de ton costé, cherche par tout, regarde Dessous ces tafetas. CARRILLE.         Ah, Monsieur, je n'ay garde ! La chercher ! ce seroit de tout poinct m'achever, Moy qui plus que la mort craindrois de la trouver. FLORESTAN. Sa lumiere en effet a paru plus qu'humaine, Je ne le cele point, cela me met en peine, Mais d'un autre costé, comme femme, elle a craint [147], Et dans cette action je n'ay rien veu de feint. Elle a d'illusion esbloüy nostre veüe, Et comme un vrai fantosme apres est disparuë. Si dans ces vains discours je me laisse emporter, J'ay sujet de tout croire, et doy de tout douter, D'un et d'autre costé j'y vois tant d'apparence [148], Qu'en cela je ne sçay que dire, et plus j'y pense, Plus ma raison se perd, et mes sens sont confus. CARRILLE. Je sçay bien ce que c'est, moy je n'en doute plus. FLORESTAN. Quoy ? CARRILLE.         C'est un diable femme, est-il pas raisonnable, Si la femme paroist le plus souvent un Diable, Que le Diable ait pouvoir, une fois seulement De paroistre une femme [149] ? FLORESTAN.         O le beau jugement⁎. Est-il temps de railler ? CARRILLE.         Quoy ne peut-il pas estre ? Je croy ce que je dy. FLORESTAN.         Tay toy, cherchons sa lettre ; Est-elle sur la table ? CARRILLE.         Ouy, Monsieur, je la voy. FLORESTAN. Voyons si je pourray par elle estre esclaircy. Lettre Je ne veux pas vous faire attendre davantage, Je veux de mon Amour vous rendre un tesmoignage, Et vous faire parestre adorable estranger, Que je recognoy ceux qui sçavent m'obliger. Quoy que je ne sois pas de tant d'attraits pourvuë Je desire vous voir, et de vous estre veuë, Et parce que le jour est à mon heur⁎ fatal Vous me verrez sans faute en revenant du bal. CARRILLE. Elle l'a deviné, sans doute elle est sorciere. Lettre Trouvez-vous à minuit devant le cimetiere Joignant Saint-Innocent [150]. CARRILLE.         Estrange rendez-vous. FLORESTAN. J'iray. CARRILLE.         Je vous tiendray pour le maistre des fous. Lettre (Il lit.) Avec vostre valet rendez-vous à la porte. CARRILLE. Je n'iray point, Monsieur, si quelqu'un ne m'y porte. Lettre (Il lit.) Des gens vestus de noir. CARRILLE.         Ce seront des Sathans. *Lettre* (Il lit.) Meneront un carosse, entrez tous deux dedans. N'ayez crainte de rien, venez sur ma parole. CARRILLE. Pour nous faire aux Enfers faire une capriole [151]. Si j'y vay jusqu'au sang, je puisse estre foüetté. Lettre Montrez encor ce trait de generosité⁎, Vous viendrez sans resver [152] sur ce poinct davantage Si vous avez autant d'Amour que de courage. CARRILLE. Pretendez-vous aller à l'assignation ? FLORESTAN. Quoy, je voudrois manquer à cette occasion ? Plustost mourir, allons, l'heure est je croy passée. CARRILLE. Je veux estre berné [153] si j'ay cette pensée. FLORESTAN. Il faut venir, te dis-je, allons despeche-toy. CARRILLE. Ayez pitié, Monsieur, et de vous, et de moy. Irez-vous sans flambeau, grands Dieux quelle folie ? [154] Laissez-moy seul icy, Monsieur, je vous supplie, Mais que dis-je ? aussi bien y mourrois-je de peur, Je ne sçay qui [155] pour moy des deux est le meilleur. FLORESTAN. C'est à cent pas d'icy, tien pren cette lumiere. CARRILLE. Pour aller aux Enfers trouver une sorciere, Qu'en est-il de besoin ? Grand Dieu je vous promets Trente livres d'encens si j'en reviens jamais. ### Scene V. Lucinde, Angelique, Isabelle LUCINDE. Que me comptez-vous là, grands Dieux ? ANGELIQUE.         Je me suis veuë, Sans mentir, sur le poinct tantost d'estre perduë. Il m'avoit tout de bon surprise cette fois Je ne le celle point, lors que moins j'y pensois ; Mais de ses mains soudain je me suis escartée Par la subtilité⁎ que je vous ay contée, N'ayant [156] à son retour rien trouvé que du vent. LUCINDE. Il sera plus surpris encor qu'auparavant L'heur⁎ sans doute est pour vous, et le Ciel favorise Plus que vous ne voulez cette belle entreprise. ANGELIQUE. Il se verra tantost sans doute au desespoir, Quand il verra mes gens qui sont vestus de noir, A cause de mon duëil, et mon carosse mesme, Que pourra-t'il penser ? LUCINDE.         «  L'estrange stratageme. » [157] Mais quand il se verra dans cet apartement, Si riche et si superbe ; en quel estonnement⁎ Ne se verra-t'il point ? ANGELIQUE.         En ayant veu ma lettre Je ne sçay s'il voudra dans ce peril se mettre, Mais son cœur⁎ genereux⁎ n'apprehendera rien. LUCINDE. Nous jouïrons tantost d'un plaisant entretien. ANGELIQUE. Je croy qu'il passera de beaucoup nostre attente, Pour l'heure vous tiendrez le rang de ma servante. Comme je vous ay dit. Vous Isabelle aussi, Agissez comme il faut. ISABELLE.         Laissez-m'en le soucy⁎. Fin du quatriesme Acte. ## ACTE V. ### Scene première. Florestan et Carrille (dans l'obscurité, conduits par Isabelle.) ISABELLE. Permettez-moy, Monsieur, qu'en ce lieu je vous laisse, Je m'en vay de ce pas advertir ma Maistresse, Je ne tarderay point. (Elle sort et ferme la porte.) CARRILLE.         Monsieur, nous voilà pris, Nous sommes maintenant au pouvoir des esprits. Voyez un peu que c'est que d'estre opiniastre [158] Nous avons à present tout l'Enfer à combatre. FLORESTAN. Quoy qu'il arrive il faut que j'en voye une fin. **** CARRILLE. J'apprehende bien fort cet endiablé lutin Il n'en veut rien qu'à moy, c'est moy qui me doy plaindre Car pour vous, vous n'avez aucun sujet de craindre, Il vous ayme, et ne fait avec vous que railler, Ou s'il me mande icy, c'est pour bien m'estriller, Mais si vous le voulez il faut bien que j'endure. FLORESTAN. Quelle fin peut avoir une telle adventure ? CARRILLE. Quelle fin justes Dieux ? croyez asseurement Qu'on ne peut esperer d'un tel commencement, Ou je me trompe fort, autre fin que mauvaise, Et que vous ne verrez icy rien qui vous plaise. Ah Dieux ! qu'avons-nous fait ; n'estions-nous pas bien fous De nous estre trouvés tous deux au rendez-vous Pour avecque le Diable avoir aucun negoce ? On nous a promené plus d'une heure en carosse, Tant par haut que par bas, par cent chemins divers C'est ainsi qu'on m'a dit qu'on chemine aux Enfers. Deux valets nous menoient, aussi noirs que des Diables, Et le carosse noir, qui sont choses capables Au plus determiné de troubler le cerveau ; Estants entrez on a mesme esteint le flambeau, En un portail [159] obscur on nous a fait descendre, Et sans sçavoir par qui l'on nous est venu prendre, On nous a faits aller par cent endroits charmez⁎, Au bout de tout cela l'on nous a renfermez Dans cette chambre obscure, et vous verrez peut-estre Qu'on nous fera tantost sauter par la fenestre. Ah nous sommes sans doute aux portes de l'Enfer Ou nous aurons bien-tost loisir de nous chauffer, Le Diable mescognoit les hommes de merite ; Pour deux cens coups de fouët j'en voudrois estre quite, Et perdre encor de plus, quatre doigts de la main Et r'estre [160] à la maison. FLORESTAN.         O le joly dessein, Je veux tout hazarder⁎, mesme jusqu'à la vie, Pour sçavoir ce que c'est, car j'en brusle d'envie, Je ne sçaurois plus vivre en cet aveuglement, Je sçauray si c'est fourbe⁎ ou quelque enchantement. CARRILLE. Je voy de la clarté, je croy par cette fente. FLORESTAN. On ouvre, justes Dieux, que mon ame est contente. Carrille, vois-tu pas cette rare beauté ? ### Scene II. (Qu'on voye [161] une chambre superbement parée et meublée, avec un grand aparat, et vaisselle d'argent, et de chandeliers de cristal, et le plus de servantes qu'on pourra, Isabelle et autres, et Angelique superbement vestuë toutes luy faisant la reverence.) Carrille, Florestan, Angelique, Lucinde, Isabelle CARRILLE. C'est à ce coup, Monsieur, que je suis enchanté⁎. FLORESTAN. Que songeai-je, grands Dieux ? car je n'oserois dire Qu'est-ce que je regarde, ou qu'est-ce que j'admire⁎, Tous ces rares objets m'esbloüissent les yeux. CARRILLE. Il fait icy plus beau cent fois que dans les Cieux, Si l'on voit aux Enfers des lieux si delectables, Que je serois heureux d'aller à tous les Diables. ANGELIQUE (À FLORESTAN.). Vous vous plaindrez de moy, certes avec raison, De vous avoir tenu si long-temps en prison Parmy ces lieux obscurs. FLORESTAN.         Deesse que j'adore On souffre bien la nuit quand on attend l'Aurore, Elle m'eut semblé longue en osant esperer Qu'un si brillant Soleil me devoit esclairer. Mais si vos divins yeux excitent dans une Ame [162] Si tost qu'on les regarde une si belle flame, Qui peut en son abord chasser l'obscurité, Que n'ay-je veu plus tost cette rare beauté, Ce miracle d'Amour, dont le merite extreme, Me fait perdre le sens⁎, et m'oublier moy-mesme. ANGELIQUE. Quoy que ce compliment paroisse en ma faveur, Je devrois m'offencer d'un discours si flatteur, J'ay fort peu de merite, et toutesfois j'advoüe Qu'il ne me déplaist pas quand j'entends qu'on me loüe, Mais je ne celle point Florestan que je hais De pareils complimens quand ils vont dans l'excez. Si j'ay ces qualitez en moy je les ignore, Je ne suis point Soleil, je ne suis point Aurore : Quoy que je sois pourtant tout ce que vous voudrez, Je veux suivre la loy que vous me prescrirez. Nommez-moy seulement femme, mais qui vous ayme Tenez-le pour certain à l'esgal d'elle-mesme, Que vous obligerez⁎ s'il vous plaist d'accepter**** L'offre qu'elle vous fait icy sans en douter. FLORESTAN. Fut-il jamais fortune⁎ à la mienne pareille ? Je ne sçay si je dors, grands Dieux, ou si je veille, Si l'on gouste en dormant des plaisirs si parfaits ? Juste Ciel permets-moy de dormir à jamais. ANGELIQUE. Des sieges promptement. (Lucinde et Isabelle leur presentent chacun [163] une chaire avec de profondes reverences.) (Angelique et Florestan devisent bas.) CARRILLE.         Je ne fus en ma vie Surpris comme je suis, que mon ame est ravie, Est-ce une illusion, ou quelque enchantement ? ISABELLE * (à Lucinde.)*. Apellons ce valet, le divertissement N'en sera point mauvais, faisons luy des caresses. LUCINDE *(appellant Carrille.)*. Hola-hau mon amy. CARRILLE.         Mes Reynes, mes Princesses, Vous voulez m'attraper par quelque illusion, **** Qui de vous a changé mon argent en charbon ? ISABELLE. Ah quelle fausseté ! quelle insigne sottise. CARRILLE. Le mien n'estoit point faux, c'estoit argent de mise. LUCINDE. Approche toy. CARRILLE.         Non, non, je suis fort bien icy, Mesdames. [164] ISABELLE.         As-tu peur ? qui te met en soucy ? Tu sembles interdit, qu'est-ce qui t'espouvente ? CARRILLE. Quelque valet d'Enfer en habit de suivante, Comme il a tantost fait me pourroit testonner [165]. ISABELLE. Responds-nous à propos, cesse de boufonner. CARRILLE. Vous parlerez long-temps avant que je responde, J'abhorre l'entretien des gens de l'autre monde, Je n'iray pas, vous dis-je, et je sçay bien pourquoy . ISABELLE. Je sçay que tu viendras mesme en depit de toy. CARRILLE. J'ay les gouttes aux pieds. ISABELLE.         Ah l'estrange imposture ! CARRILLE. Je n'eschaperay point si je ne les conjure, Je dois icy tout craindre, et ne rien esperer, Mais je ne sçay comment il les faut conjurer. Retirez-vous maudites ames, Au fond des infernales flames, Quoy que je sois du rang des sots Je vous assure ombres sans os, Et je vous le dis en trois mots Que l'impitoyable Atropos [166], Que Rhadamante [167], et que Minos [168], Trouveront tous trois à propos, Que vous me laissiez en repos, Et que vous me tourniez le dos [169]. ISABELLE. Tu crois par ces vains mots avoir quelque puissance, Nous sçavons comme il faut chastier l'insolence. Nous allons t'estrangler si tu dis un seul mot. CARRILLE. Je ne parleray plus, je ne suis pas si sot, Pardonnez, s'il vous plaist à mon effronterie A deux genoux icy Carrille vous en prie, Au moins permettez-moy d'avoir un peu de peur. ISABELLE. Ah ! insigne maraut, quoy ? n'as-tu point de cœur⁎ ? CARRILLE. Non, je n'en eu jamais pour resister aux Diables. LUCINDE. Mais te parroissons-nous si fort espouventables ? CARRILLE. Non, je ne vy jamais de plus rares beautez, Mais ces attraits sont faux, ils sont tous empruntez, Car si je vous voyois en forme autre qu'humaine, Je mourrois sur le champ, la chose est tres certaine. ANGELIQUE, *(à Florestan.)*. Quoy doncques Florestan vous vous pleignez de moy ? FLORESTAN. Ouy, puis que vous avez ces doutes de ma foy, En me tenant ainsi vos affaires secrettes, Pourquoy refusez-vous de dire qui vous estes ? ANGELIQUE. C'est ce que je ne puis vous dire, et je vous fais Cette priere icy, ne m'en parlez jamais : Vous ne le sçaurez point encor que je vous ayme, (Tenez-le pour certain) à l'esgal de moy-mesme, Quand vous desirerez me parler,et me voir Je vous obeiray, faites-le moy sçavoir, Ce sera tous les jours, en tous lieux, en toute heure [170], Mais vous ne sçaurez point mon nom ny ma demeure. Je parois en effet ce que je ne suis pas, Et l'on doit faire aussi de moy bien plus de cas Que je ne le paroy, cette enigme suffise [171], C'est assez de sçavoir que je vous suis acquise, Que je suis toute à vous, si vous voulez m'aymer, Croyez que ce n'est point pour vous mes-estimer, Mais pour avoir pour vous une amour trop parfaite Si je vous tiens ainsi cette affaire secrette ; Peut-estre avec le temps que vous sçaurez un jour, Quel heur⁎ vous possedez d'acquerir mon amour, Je vous en dis assez, et si vous estes sage**** Vous ne chercherez point d'en sçavoir davantage. FLORESTAN. N'estes-vous point maistresse au moins de Licidas, Ne me le celez point. ANGELIQUE.         Non je ne la suis pas. Et je dy plus encore, je ne la sçauray estre. FLORESTAN. Pourquoy donc devant luy n'oseriez-vous paroistre ? Quelle crainte avez-vous ? ANGELIQUE.         Si vous estes discret, Ne vous informez pas non plus de ce secret, Il m'importe il suffit, puis-je pas estre femme De telle qualité [172]. FLORESTAN.         Pardonnez-moy, Madame, Si dans ce grand desir je vous perds [173] le respect, Je ne parleray plus si je vous suis suspect, Ce n'est que par amour, mais si je ne vous fasche, Faites-moy la faveur pour le moins que je sçache, Puis que vous m'honorez de vostre affection, Par quel subtil⁎ moyen, par quelle invention Vous entrez dans ma chambre. **** ANGELIQUE.         Il n'est pas temps encore. Vous le sçaurez un jour. FLORESTAN.         Puis que je vous adore, Au moins me devez-vous contenter sur ce poinct. ANGELIQUE. Vous perdez vostre temps, vous ne le sçaurez point. Pourquoy sur ce sujet voulez-vous me desplaire ? FLORESTAN. Puis que vous le voulez, Madame, il me faut taire, Je ne veux desirer rien que ce qui vous plaist. ANGELIQUE. Que nous sert-on donc ? LUCINDE.         Madame, tout est prest. ### Scene III. (Comme on apporte la colation superbe et en bel ordre, on frape à la porte, tout le monde se trouble, et les femmes laissent tomber les plats.) Angelique, Lucinde, Isabelle, Licidas, Florestan, Carrille. ANGELIQUE. Apelle-t'on ? (On frape à la porte.) LICIDAS *(derriere le theatre.)*.     Ouvrez. ANGELIQUE* (bas à Lucinde.)*.         Justes dieux c'est mon frere ! LUCINDE. En cette extremité que pretendez-vous faire ? ANGELIQUE *(bas à Lucinde.)*. C'est luy-mesme, à la voix je l'ay bien recognu. CARRILLE. Ah ! tout de bon, Monsieur, le vray diable est venu. Il va nous testonner, hé dieux de quelle sorte ! LICIDAS* (dedans.)*. Me fera-t'on long-temps attendre à cette porte ? ANGELIQUE. Monsieur retirez-vous, (A Isabelle à l'oreille)         Isabelle fay les Entrer dedans leur chambre, et passer par les ais. Dieux aux extremitez où je me vois reduite Je perds le jugement et manque de conduite⁎ ! Isabelle entends-tu ? sus donc depesche toy. ISABELLE. Je vous entends, venez tous deux et suivez moy. FLORESTAN. Ne verray-je jamais la fin de cette histoire ? CARRILLE. Monsieur vous avez fait la faute, il la faut boire. FLORESTAN, *(s'en allant.)*. Où m'avez vous conduit, justes dieux ! CARRILLE, *(s'en allant.)*.         Ah Monsieur ! C'estoit avec raison que je mourois de peur. LICIDAS *entre.*. Pour ouvrir une porte [174] il faut bien du mystere. ANGELIQUE. Qui vous peut obliger à ces heures mon frere De troubler mon repos ? LICIDAS.         Lucinde vous voicy, Mais que vois-je, grands dieux ? quel habit est-ce icy ? Quel apparat de plats ? et quel desordre ? dites , Je vous voy toutes deux grandement interdites, Pasles, sans contenance et l'esprit esgaré, Que veut dire ce lict superbement paré ? Ce riche emmeublement, ces perles, ces dorures, Et mesme ce pavé semé de confitures [175] ? ANGELIQUE. Pourquoy suis-je obligée à vous rendre raison De ce que nous faisons seules en la maison ? Quel crime faisons-nous ? dites je vous supplie Si pour me divertir en ma melancholie Nous avons ma Cousine et moy, pris le soucy⁎ D'ajuster cette chambre, et nous parer ainsi ? S'il ne m'est pas permis de sortir à la rüe, Si de qui que ce soit on me defend la veüe, Hormis de ma Cousine, et si je me veux voir Despoüillée entre nous de ce vestement noir, Qui ne fait qu'augmenter mon deüil et ma tristesse, Est-ce un crime d'estat ? veut-on que je me laisse Emporter aux regrets qui me troublent les sens ? Me defends-on encor ces plaisirs innocens ? Qui vous fait sans raison m'espier de la sorte ? Et venir à minuict me faire ouvrir ma porte ? LICIDAS. Ma chambre estant là bas, ma curiosité Ayant oüy du bruit dessus moy, m'a porté De venir m'informer qui de nuict vous visite. ANGELIQUE. Ma Cousine est icy. (Carrille bat et faict du bruict dedans.) LICIDAS.         Je vous vois interdite, Je sçay qu'asseurement quelqu'un est là dedans. ANGELIQUE. Vous vous trompez, vous dis-je. LICIDAS.         Et le bruit que j'entends ? CARRILLE *(dedans.)*. Ah dieu ! si cette fois de ses griffes j'eschape, Il sera bien subtil⁎, s'il faut qu'il m'y r'atrape. LICIDAS. Aurez-vous bien encor l'esprit assez rusé De dire qu'en cela je me suis abusé ? Comment Lucinde aussi vous en estes complice ? LUCINDE. Si nous vous offensons que le Ciel me punisse. LICIDAS. J'y veux aller moy-mesme, attendez je veux voir. ANGELIQUE. Non, vous n'entrerez point. LICIDAS.         Si je fais mon devoir. Je vous monstreray bien. ANGELIQUE.         Ah dieux c'est Isabelle ! LICIDAS. Je verray ce que c'est, baillez-moy la chandelle. (Il sort avec la chandelle.) ANGELIQUE. Dieux, il les trouvera, Cousine. LUCINDE.         Nullement, Ils seront repassez dans leur appartement. ANGELIQUE. Il trouvera ces ais dé-joints, je suis perduë. LUCINDE. Ne vous affligez point, sans en sçavoir l'issuë. ### Scene IV. (Florestan et Carrille entrent dans leur chambre à tastons par les ais déjoints, sans sçavoir où ils sont.) FLORESTAN. Nous sommes, que je croy [176], veu cette obscurité Dans quelque cabinet en lieu de seureté, Dont la porte est estroite, ayant eu de la peine D'entrer avec l'espée. CARRILLE.         Ah ! la chose est certaine, Resolvons-nous au pis, nous allons estouffer , Car nous sommes sans doute en un cachot d'enfer. FLORESTAN. Quels hazards⁎ ne court point un homme de courage, Qui veut entrer par tout où son desir l'engage, Sans se fier à rien qu'à sa propre valeur ? CARRILLE. Vous eussiez bien mieux faict, si vous eussiez eu peur Aussi bien comme moy. FLORESTAN.         Que sera devenuë Cette rare beauté qui m'a charmé⁎ la veuë ? Qui par tant de faveurs a daigné m'obliger⁎ ? Mourons, ou la tirons de ce present danger. CARRILLE. On entend quelque voix, soyons en sentinelle , Peut-estre en pourrons-nous sçavoir quelque nouvelle. LICIDAS *(derriere le theatre à Isabelle.)*. Je proteste⁎ qu'un homme est entré là dedans. ISABELLE *(derriere le theatre.)*. Par où Monsieur ? LICIDAS.         Par où vilaine ? tu pretends De m'esbloüyr les yeux par ta cajolerie : **** Je le trouveray bien. CARRILLE.         Ah grands dieux ! je vous prie Ayez pitié de moy, de grace aveuglez-les ; On nous cherche . LICIDAS *(derriere.)*.         Qui peut avoir dé-joinct ces ais ? ISABELLE. Moy le puis-je sçavoir ? CARRILLE.         **Je voy de la lumiere. LICIDAS *(derriere.)*. Infame sors d'icy. CARRILLE.         **Cachons-nous là derriere : Quelqu'un entre, Monsieur. FLORESTAN.         J'ay l'esprit tout confus, Mais il ne me faut point consulter là dessus, Je ne doy craindre rien, puis que j'ay l'advantage De pouvoir au besoin m'ayder de mon courage. CARRILLE. Je me coule pour moy derriere ce buffet. (Il se cache.) ### Scene V. Licidas, Florestan, Carrille (caché). LICIDAS. Quoy donc, c'est Florestan ? FLORESTAN.         **Licidas ? en effect Je ne me trompe point, c'est luy-mesme, ô merveille : A-t'on jamais parlé d'une chose pareille ? Il faut bien que ce soit par quelque enchantement Que je me trouve icy dans mon apartement. Vit-on jamais au monde un succez⁎ plus estrange ? LICIDAS. Et tu ne penses point traistre que je me vange De l'affront signalé que j'ay receu de toy ? Perfide, desloyal, homme ingrat et sans foy, Infame et faux amy, quel bien, ou quelle gloire Esperes-tu tirer d'une action si noire ? Peux-tu te dire noble, ayant la lascheté De violer les droicts de l'hospitalité ? As-tu si peu d'honneur et si peu de courage ? FLORESTAN. Est-ce à moy Licidas , que l'on tient ce langage ? Je suis si fort surpris de me trouver icy, De vous oüyr parler, et de parler ainsi, Et toutes mes raisons en sont si confonduës Que je crois, sans mentir, que je descends des nuës ; Et j'ay sujet de croire, aux lieux où je me voy Que ce discours s'adresse à tout autre qu'à moy. LICIDAS. Je ne me repais poinct de ces discours frivoles ; Il me faut des effects, et non pas des paroles ; Je veux avoir ta vie, et croy qu'asseurement Tu ne me sçaurois pas satisfaire autrement. Defend toy si tu veux, car encor que sans blasme Je puisse en trahison me vanger d'un infame, Et d'un perfide amy qui me ravit l'honneur, Je penserois pourtant offenser ma valeur, Si l'on me reprochoit, que je veux entreprendre [177] D'attaquer un poltron qui n'ose se defendre. FLORESTAN. Arrestez Licidas, et me dites pourquoy Avec tant de chaleur vous vous pleignez de moy, Obligez-moy, voyons sans vous mettre en colere Si par autre moyen je vous puis satisfaire ? LICIDAS. Par quel autre moyen, dy lasche suborneur Puis-je estre satisfaict si tu m'ostes l'honneur ? FLORESTAN. Escoutez Licidas, que desormais ma vie Soit d'affronts signalée, et d'opprobres suivie, Que le Ciel m'extermine, et s'oppose à mon bien Si vostre honneur ne m'est aussi cher que le mien. LICIDAS. Tous ces discours sont vains, que me peux-tu respondre Si tout ce que je voy ne sert qu'à te confondre ? T'ay-je pas descouvert ? n'estois-tu pas caché Naguere dans sa chambre ? et quand je t'ay cherché Ne t'és-tu pas sauvé par cette fausse porte ? Par ces ais entr'ouvers, qu'on a coupés de sorte Que tu peux quand tu veux entrer secrettement De cette chambre icy dans son apartement ? Que peux-tu repartir ? FLORESTAN.         Monsieur que cette espee Que je tiens maintenant, dans mon sang soit trempee, Que dis-je cette espee ? ah je luy ferois tort ! Car elle vient d'un bras trop genereux⁎ et fort, Puis qu'elle vient de vous ; mais que plustost la lame, **** Du plus lasche poltron, du cœur⁎ le plus infame Me perce en mille endroicts, et le cœur et le flanc, Si j'ay rien fait qui soit indigne de mon sang, Et de l'affection que je vous ay jurée, Si j'ay jamais cognu cette secrette entrée, Si je ne suis surpris, plus que vous mille fois, Et si je puis vous dire en quel endroict j'estois. Pour cette femme icy, que je perisse à l'heure Si je sçay quelle elle est, son nom ny sa demeure, Je dy la verité, je ne veux rien celer, Et sçachez que la peur ne me fait point parler. LICIDAS. Si ce que tu me dis estoit bien veritable, Pourquoy l'espée au poing, si tu n'és point coupable ? FLORESTAN. Ne sçachant où j'estois en cette extremité Est-il homme de cœur⁎ qui l'eust euë au costé Se voyant poursuivy ? LICIDAS.         Pour vous purger de blasme Il vous faut confronter avecque cette infame, Cause où je suis trompé de ce scandale icy. FLORESTAN. Je le veux, vous serez de tout point esclaircy Que je ne trempe point du tout dans ce mystere. LICIDAS. Allons, mais en passant advertissons mon frere, Entrons par cet endroict. FLORESTAN *(bas.)*.         Je le veux. Justes dieux En cet aveuglement esclaircissez mes yeux ! CARRILLE *(sortant d'où il estoit caché.)*. Grand Dieu fay moy ce bien, que mes craintes soient fausses, J'ay d'apprehension lasché tout dans mes chausses. Mais quoy sans les laver les laisserois-je ainsi ? Oüy, suivons-les de loing, j'aurois peur seul icy [178]. ### Scene VI. Angelique, Lucinde, Isabelle ANGELIQUE. Que me dis-tu, grands dieux ! ISABELLE.         Madame vostre frere, Est entré qui soudain s'est fort mis en colere, J'entendois par dehors de bien grandes rumeurs. ANGELIQUE. Il le tuera, Cousine, ah, je pasme, je meurs ! Et viendra tost apres m'assassiner moy-mesme. LUCINDE. Je ne puis que resoudre en ce malheur extresme, Toute excuse à present seroit hors de saison, Fuyons, et me croyez hors de cette maison : Il nous faut bien garder d'attendre sa venuë. ANGELIQUE. A telle heure qu'il est, irons-nous par la ruë ? LUCINDE. Allons-nous-en chez nous, mon logis n'est pas loing. ANGELIQUE. Mais quoy, laisserons-nous Florestan au besoin ? LUCINDE. Que pouvons-nous pour luy ? dieux si vous estes sage Fuyons sans consulter sur ce fait davantage. ### Scene VII et derniere. Licidas, Lizandre, Angelique, Florestan, Isabelle, Lucinde, Carrille. LIZANDRE. Où vas-tu mal-heureuse ? et vous Lucinde aussi Où l'accompagnez-vous ? quel desordre est-ce icy ? ANGELIQUE. Puis que Florestan vit, qu'il paroist à ma veuë, Mourons s'il faut mourir, m'y voilà resoluë : Mais oyez mes raisons, et ne me jugez pas, Avant que de m'oüir, meriter le trespas, Je croy que ma requeste est juste et raisonnable, Et si vous me trouvez en un seul poinct coupable, J'entends contre l'honneur, ny de loing, ny de prés, Ne me laissez pas vivre un seul moment après. LICIDAS. Parle, et s'il t'est entré seulement en pensee [179], Ta priere sera sur le champ exaucee, Nous n'y manquerons pas. LIZANDRE.         Mais sans nous abuser, Dy-le tout franchement et sans rien déguiser. ANGELIQUE. Florestan escoutez, car ce discours vous touche, Que vous ne sçaurez point, si ce n'est par ma bouche, Puisque contre mon gré l'on m'oblige à parler, Je declareray tout, je ne veux rien celer ; Je suis donc, puis qu'il faut à cette heure me rendre, La sœur de Licidas, et la sœur de Lizandre. Sans doute ils ont tous deux raison de me blasmer De m'estre à leur deceu [180] portée à vous aymer : Mais comme eussay-je osé leur descouvrir la flame Qui me brusle pour vous, et me consomme l'ame ? Si je suis criminelle en confessant ce point, Je merite la mort, je n'y recule point. Mais je ne puis penser qu'on puisse estre blasmée Pour confesser d'aymer, et vouloir estre aymée : Dés la premiere fois vous sçeustes m'engager, Quand je vous vis si prompt à vouloir m'obliger⁎, Sans sçavoir qui j'estois, et cette gentillesse Me fit avoir pour vous une telle tendresse, Qu'admirant la valeur d'un cœur si genereux⁎ Vous rendistes le mien aussi-tost amoureux. Vous mon frere sçachez que je suis celle-mesme Que vous suiviez tantost avec ardeur extresme, Qui si subtilement⁎ eschapé [181] de vos mains A l'aide de ce bras qui rompit vos desseins ; (Monstrant Florestan.) Cette insigne faveur m'a fait brusler d'envie De voir ce Cavalier qui m'a sauvé la vie, Car je n'attendois pas, je le dy franchement, De vostre promptitude un meilleur traitement ; Car encor que je fusse exempte de tout blasme, Je n'eusse pas passé pour telle dans vostre ame. Desirant donc le voir avecque passion J'en suis venuë à bout par cette invention, Par ces deux ais j'entrois de ma chambre en la sienne Sans qu'il en ait rien sçeu. Si tantost dans la mienne Vous l'avez rencontré, croyez il est certain Qu'il n'a jamais ny sceu, ny cogneu mon dessein, Estant bien esloigné, de penser, je vous jure, Qu'il s'adressast à vous, et qu'il vous fist injure. Mais pour ne rien celer, je vous diray de plus, Que quand j'entré [182] chez luy j'eus l'esprit tout confus : Car mon Ame pour lors fut puissament saisie De cette passion , qu'on nomme jalousie, Luy trouvant ce portraict, que j'ay pris à ce soir, Mourant de deplaisir qu'il fust en son pouvoir. (Elle luy baille le portraict.) LICIDAS. Monstre que je le voye, as-tu bien l'impudence D'oser ainsi parler mesme en nostre presence ? Insolente, effrontee, oses-tu presumer Qu'un Cavalier⁎ d'honneur se resolve d'aymer Une qui laschement se produit⁎ elle-mesme, Et qui peut sans rougir luy dire qu'elle l'ayme, Estant adorateur d'une divinité, Car je n'ose autrement nommer cette beauté, Ce ravissant portraict ? as-tu bien cette audace D'esperer que jamais il te mette en sa place ? Sçais-tu bien s'il n'a pas mesme engagé sa foy A celle-cy qui vaut mille fois mieux que toy ? Auras-tu bien le front de te voir refusee, Et de servir apres à chacun de risee ? Avant que cela soit tu mourras de ma main. (Il veut mettre la main à l'espée, et Florestan l'arreste.) FLORESTAN. Ah ! tuez-moy plutost que d'avoir ce dessein. Licidas, j'ay le cœur comblé de telle joye Du bien inesperé que mon destin m'envoye, Que je seray ravy d'avoir en mon pouvoir Cette felicité qui passe mon espoir : Il ne tiendra qu'à vous, Messieurs, qu'à l'heure mesme Je ne sois possesseur de sa beauté que j'ayme, Et qu'un lien estroit de consanguinité, Nous tienne joints bien plus que nous n'avons esté : Car pour ce beau portraict c'est celuy d'une Dame, Qui ne peut s'opposer à ma nouvelle flame ; Vous l'exaltez par trop , mais croyez tel qu'il est Que je suis tres-content de sçavoir qu'il vous plaist, Et je serois ravy qu'une seule journée, Joignist nos deux maisons par un double hymenee : Sçachez que ce portraict est celuy de ma sœur, Dont je souhaiterois vous rendre possesseur, Car puis que vostre sœur confesse qu'elle m'ayme Et qu'elle s'offre à moy, je vous l'offre de mesme, Marry pour esgaler cette felicité, Que ma sœur n'ait autant comme elle de beauté ; Le Peintre luy fait tort, loing de l'avoir flatee, Et s'il m'estoit sceant, je dirois en effect, Que c'est le jugement que tout le monde en faict. LICIDAS. Dieux ! mes ambitions seroient trop satisfaites Si j'osois esperer l'offre que vous me faites, Mais mon peu de merite, et mon peu de valeur, Me font desesperer d'une telle faveur. FLORESTAN. Non, je ne vous promets rien que je ne vous tienne, Donnez-moy vostre sœur, je vous donne la mienne. LICIDAS. C'est moy qui vous doy bien demander à genoux L'heur⁎ de nostre maison, puis qu'il despend de vous, Ainsi que je le suis, je sçay bien que mon frere Est ravy de l'honneur qu'il vous plaist de nous faire. LIZANDRE. Oserois-je esperer tant de bien à la fois ? Mon cœur usurpera l'office de ma voix : Car je deviens muet, mais ce qui me console Est qu'un tel bien ne peut s'exprimer par parole. LICIDAS. Le bien que vous m'offrez me rend trop glorieux, Ma sœur, et vous et moy rendons graces aux dieux. FLORESTAN* (à Angelique.)*. Vous Madame, acceptez un cœur que je vous donne, Et croyez qu'en constance il ne cede à personne. ANGELIQUE* (à Florestan.)*. C'est moy, Monsieur, qui suis au bout de mes souhaits Et qui vous dois aymer et servir à jamais. LIZANDRE. Allons-donc achever cet heureux mariage. FLORESTAN *(à Licidas.)*. Et dans huict jours d'icy nous ferons un voyage Tous ensemble chez nous, pour vos nopces aussi. CARRILLE* sort.*. Et moy qui me suis veu malheureux jusqu'icy, Puis que mes craintes sont de tout point effacées, Il ne faut plus songer aux tristesses passees, Il se faut réjoüyr. FLORESTAN.         Carrille, d'où viens-tu ? CARRILLE. De peur de mal-parler, Monsieur je me suis teu, Mais dois-je pas aussi dans la commune joye Participer au bien que le Ciel nous envoye ? Me veut-on oublier ? FLORESTAN.         Non, parle librement, Dy nous ce que tu veux. CARRILLE.         Je veux premierement, (Puis que l'on me permet de parler de la sorte,) Afin que de tout poinct ma tristesse soit morte ; Qu'aujourd'huy l'on me fasse intendant du Festin, Que j'aye seul l'honneur de presider au vin ; Que sans mon ordre exprez icy rien ne se fasse, Que je puisse de vous esperer cette grace, Apres cela je suis au bout de mes souhaits. Me le promettez-vous ? FLORESTAN.         Oüy je te le promets, Repose-toy sur moy, je t'en donne parole. CARRILLE. Je vay donc de bon cœur faire une capriole, Et tout droict de ce pas ordonner du festin, Pour boire à la santé de cet Ange lutin : Il faut auparavant aller laver mes chausses, Et puis preparer tout, et donner ordre aux sausses. Fin de la Comedie de L'Esprit Folet. # Lexique.AccidentÉvénement.V. 1125AccroireFaire croire à quelqu'un une chose fausse. (Furetière)V. 74, 358 Admirer / Admiration / AdmirableRegarder avec estonnement quelque chose de surprenant, ou dont on ignore les causes. (Furetière)V. 692, 693, 848, 934, 1365, 1510AffettéCe qui est trop recherché. V. 300, 309 CavalierGentilhomme qui porte l'épée.V. 29, 88, 111, 116, 1886 Charmer / charmeFaire quelque effet merveilleux par la puissance des charmes ou du Demon. (Furetière)V. 701, 726, 826, 853, 991, 1059, 1491, 1712 ChefTêteV. 1231CœurCourageV. 77, 87, 423, 1227, 1229, 1232, 1237, 1279, 1455, 1586, 1784, 1798ConnaîtreReconnaîtreV. 255, 273, 281, 445, 717, 1087CourageCœur V. 409CurieuxPropre, bien net, bien vestu. (Furetière)V. 545, 568 DecevoirTromper.V. 302EnvieChagrin qu'on a de voir les bonnes qualitez ou la prosperité de quelqu'un. (Furetière)V. 21, 34EnchanterUser de magie, d'art diabolique, pour operer quelque merveille qui arreste le cours de la nature. (Furetière)V. 823, 842, 943, 1179, 1200, 1508 Esprit foletDemon ou lutin qui fait peur à des enfans, ou à des gens foibles, par des visions, ou par des actions, dont ils ne sçavent point la cause. (Furetière)V. 632, 654, 732, 840, 966, 1023, 1216 Estonner / EstonnementCauser à l'ame de l'emotion, soit par surprise, soit par admiration, soit par crainte. (Furetière)V. 892, 932, 1134, 1203, 1329, 1357, 1452FortuneCe qui arrive par hazard, qui est fortuit et impreveu. (Furetière)V. 142, 1541 FourbeTromperie, desguisement de la verité fait avec adresse. (Furetière)V. 1126, 1130, 1504 FroidPesant, posé, sérieux.V. 471, 645, 648, 650 Generosité / GenereuxGrandeur d'ame, de courage. (Furetière)V. 405, 428, 1086, 1420, 1455, 1782, 1857HazardPeril, dangerV. 1707 HazarderV. 341, 1501HeurChance, bonheurV. 1407, 1445, 1614, 1929 HardesHabits et meubles portatifs qui servent à vestir, ou à parer une personne. (Furetière)V. 545, 733, 917, 1055, 1106 JalouxEnvieux, concurrent. Celui qui craint de perdre une chose qu'il possede. (Furetière)V. 34, 175, 344, 393, 1089 JalousieV. 433JugementPuissance de l'ame qui connoist, qui discerne le bon d'avec le mauvais, le vray d'avec le faux. (Furetière)V. 743, 884, 1204, 1396 ObligerFaire quelque faveur, civilité, courtoisie. (Furetière)V. 22, 83, 192, 311, 328, 392, 680, 704, 708, 1539, 1854 ObligationV. 20ProtesterAssurer fortement quelque chose.V. 1165, 1281, 1717Produire (se)S'exposer.V. 1887SatisfaireFaire réparation, demander pardon, se battre. (Furetière)V. 60, 61, 67SensEsprit, jugement, raisonV. 1351, 1526 SoucySoinV. 363, 683, 956, 1460, 1669 Subtil / Subtilité / SubtilementCe qui est fait avec une adresse cachée et inconnüe aux autres. (Furetière)V. 49, 791, 871, 1138, 1285, 1442, 1630, 1688, 1861SuccezCe qui arrive à quelqu'un de conforme ou de contraire au but qu'il se proposait. (Furetière)V. 1735 VertuForce, vigueur.V. 124, 425  # Bibliographie. L'oubli dans lequel est tombé d'Ouville ainsi que ses pièces explique clairement l'absence de grandes études menées à leur sujet. Dans l'état actuel des recherches, l'essentiel des informations nous a été fourni par les articles de différentes revues. ## Sur la comédie en France au milieu du XVII*e* siècle. A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth CenturyThe Period of Corneille (1632-1651) La Dramaturgie classique La Comédie avant Molière (1640-1660) Esthétique de l'identité dans le théâtre français : 1550-1680, le déguisement et ses avatars ## Sur la vie d'Antoine le Métel, sieur d'Ouville. Dissertation Abstracts Romance Notes ## Sur les rapports entre Comedia et Comédie à l'espagnole. Le Masque et le visage, du baroque espagnol au classicisme français Deux siècles de relations hispano-françaises, de Commynes à Madame d'Aulnoy L'Age d'or de l'influence espagnole ## Sur la représentation et le décor. Le Théâtre de l'hôtel de Bourgogne Le Mémoire de Mahelot, Laurent et autres décorateurs de l'hôtel de Bourgogne et de la comédie française au XVII*e* siècle ## Sur l'influence de d'Ouville. Les Sources de Molière Revue d'histoire littéraire de la France ## Sur la langue. Dictionnaire universel Dictionnaire de l'Académie françoise Dictionnaire françois… Syntaxe du XVII*e* siècle Introduction à la langue du XVII*e* siècle ------- [1] F. Boisard, *Notices sur les hommes du Calvados*, Caen, 1848. [2] F. de Armas, « Antoine Le Metel, sieur d'Ouville, the « lost » years », *Romance Notes*, Chapel Hill, n° 14, p. 72-73. [3] Jean STAROBINSKI, *L'Oeil vivant*, Paris, Gallimard, 1961. Voir en particulier « Sur Corneille », p. 29-68. [4] D'ouville n'a pas tenu sa promesse, à notre connaissance : la dédicataire de cette pièce reste inconnue à ce jour. [5] Guillemot est un poète dont on ne trouve pas trace dans la bibliographie de F. Lachêvre. [6] Il y a manifestement une coquille dans l'édition de 1642, qui voit « Carrille » à la place de « Lizandre ». De même, il est écrit « Lizis » pour « Ariste ». [7] [8] En 1642, d'Ouville écrit « Isle » au masculin, mais la liaison avec l'article se fait oralement. [9] Il s'agit du faubourg Saint-Honoré et du quartier Richelieu, aujourd'hui situé autour du boulevard Poissonnière. [10] C'est-à-dire Louis XIII. [11] Expression que l'on peut traduire par « ou peu s'en faut ». [12] « Adresse de faire réussir quelque chose, quelque dessein, quelque travail. » (Furetière) [13] C'est bien entendu Ariste qui tient cette épée, et non Carrille qui n'a aucune envie de se battre. [14] D'Ouville parodie ici clairement *Le Cid*, représenté en 1637, en plaçant dans la bouche d'un valet la réplique de Don diègue (I, 5) : « Rodrigue, as-tu du cœur ? » [15] « Prendre son parti. » [16] « Avant vous ». [17] Le mot « rencontre » se trouve ici au masculin pour des raisons métriques. Le contexte nous permet également de mieux saisir cet emploi. [18] « De bon gré . » [19] L'hôtel de Bourgogne, ancienne résidence des ducs de Bourgogne, fut transformée en 1548 par les *Confrères de la passion* en salle de spectacle. Il fut, à partir de 1599, le premier théâtre régulier de Paris. [20] L'auteur fait ici allusion à « l'épuration récente du théâtre » (R.Guichemerre), devenu fréquentable pour les chastes oreilles des dames. Songeons ainsi à la défense du théâtre prononcée par Alcandre dans *L'Illusion comique* (V,5) : « A présent le théâtre / Est en un point si haut que chacun l'idolâtre, / Et ce que votre temps voyait avec mépris / Est aujourd'hui l'amour de tous les bons esprits » [21] « Et cependant ». [22] On peut supposer que cette tournure est elliptique : il s'agit de l'état auquel Angélique est réduite. [23] Autrement appelé « Cours-la-Reine », « lieu agréable où est le rendez-vous du beau monde pour se promener à certaines heures ; et se dit tant du lieu, que de l'assemblée qui s'y trouve. » (Furetière) C'est en fait l'amorce des Champs-Elysées. [24] « Celui qui a coustume d'acheter à une même boutique chez un même marchand. » (Furetière) [25] « Tout-à-l'heure ». [26] Autrement appelée : « Les trahisons d'Arbiran ».Première pièce de d'Ouville, publiée en 1638. Il est intéressant à ce propos de citer quelques passages du prologue de cette pièce, qui ne diffère presque pas des paroles de Licidas : « «Les intrigues sont en quantité et assez bien démeslez », et plus loin : « Mais quoy que les Vers ne soient pas bien forts, vous les trouverez assez bien raisonnez, et le sujet fort divertissant. » [27] « Bel ordre et disposition des choses. » (Furetière) [28] 1642 : « Donne ». Le participe passé semble plus pertinent dans ce contexte. [29] « Signifie les injures ou les insultes qu'on fait à quelqu'un qu'on méprise, soit par des paroles soit par quelque adresses malicieuses. » (Furetière) [30] « Le tout premier ». [31] Signifie : « Devancer ». [32] Ed. de 1642 : « sur ce point un maraut vient pour me distraire, » Il manque une syllabe,on utilisera donc la correction de l'édition de 1643. [33] Ed. de 1642 : « Et que je n'avois point sujet d'en douter. »De même, il manque une syllabe. On utilisera la correction de 1643. [34] Edition de 1642 : « Que son maistre en ayant eu quelque ressentiment » Ce vers a treize syllabes. La correction de 1643 est satisfaisante. [35] Ce vers n'apparaît pas dans l'édition de 1642. [36] Les duels ont été interdits par Richelieu dans un édit en 1626. [37] Mugueter : « Faire le galant, le cajolleur, tascher de se rendre agréable à une Dame. » (Furetière) [38] 1642 : « Ainsi chez nous semble estre en autre maison ». On rétablira l'alexandrin grace à l'édition de 1643. [39] « Vouloir » et « voir » du vers 351 ont pour sujet Florestan. [40] Caresser : « Faire des démonstrations d'amitié ou de bienveillance à quelqu'un par un accueil gracieux. » (Furetière) [41] « mettre d'accord ». [42] Signifie : « Avant ». [43] « Perdre son temps inutilement. » (Furetière) [44] « Cela vaut-il seulement la peine d'en parler ? » La tournure est elliptique. [45] « Ne » est employé au sens de « ni ». [46] L'écriture, qui s'écrit à la main, s'oppose au moûlé, imprimé avec des caractères de plomb. [47] Voir note 13. [48] Proverbe : « quand les valets ou les commissionnaires trompent sur le prix des marchandises, et les comptent plus qu'ils ne les ont achetées. » (Furetière) [49] Se dit dans le commerce du prix qu'on demande d'une marchandise, et de l'offre qu'on en fait. [50] Les guillemets sont omis dans le texte original. Nous les avons ajoutés car ils sont nécessaires à une meilleure compréhension. [51] « Compter » et « conter » sont encore homographes au XVII*e* siècle. [52] « Il faut. » [53] Ed. de 1642 : « Que vos freres et luy ne font que sortir. » Il manque une syllabe, la correction de l'édition de 1643 est donc préférable. [54] 1642 : « mais dites-moy, quel est vostre dessein ? ». Nous utilisons la correction de 1643. [55] Le pronom personnel « nous » est omis. [56] «Dentelle à jour qu'on faisoit en collant du filet sur du quintin, et puis en perçant et emportant la toile qui estoit en deux. » (Furetière) [57] « Papier sans colle, tel que le papier gris, qui sert à philtrer. » (Furetière) [58] Rouge vif (de la couleur de la fleur du même nom). [59] Petite pélerine courte couvrant les épaules. [60] « Fleur marécageuse dont la racine est odoriférante ; quand elle est broyée, on la mesle avec de la poudre qu'on appelle poudre d'iris. » (Furetière) [61] Ce vers ne comporte que onze syllabes dans l'édition de 1642 : « A mis tous ses tresors dans cette peinture. » Nous utiliserons donc la correction de l'édition de 1643. [62] « Petite brosse faite avec du poil de pourceau, ou de sanglier, qu'on laisse fort court, et qui sert à décrotter des souliers. » (Furetière) [63] Garniture intérieure qui constitue le fond d'un chapeau. [64] « Petit instrument qui sert à larder. Il est pointu par un bout, et pointu de l'autre pour y inserer le lardon. On en fait de cuivre et de bois. » (Furetière) [65] « Partie qu'on coupe en entamant le pain bénit, par extension l'entameure d'un pain domestique ou un gros quartier qu'on en retranche. » (Furetière) [66] « Ustencile qui sert à moucher les chandelles et les bougies. » (Furetière) [67] Petite monnaie de cuivre valant deux deniers. [68] Pièce de menue monnaie qui vaut douze deniers. [69] Petite monnaie. L'inventaire d'Isabelle nous laisse supposer que Carrille n'est pas très riche. [70] Tournure elliptique pour « tout de bon ». [71] Signifie « ou est-ce que ». [72] C'est-à-dire : « pousser ou remuer sans faire grand effort ». (Furetière) [73] Cette lettre se présente comme un poème, de par ses quatrains et ses rimes embrassées. [74] C'est à dire de la perspicacité. [75] « Termes de philosophie, qui signifie les Démons de l'air, et les Esprits folets. » (Furetière) [76] Nécromantien : « Magicien qui communique avec le Diable, et qui l'invoque pour faire des choses extraordinaires, et surtout par l'apparition des morts. » (Furetière) Ici Carrille déforme comiquement le terme. [77] « Fantosme qu'on fait craindre au peuple, qui s'imagine que c'est une ame en peine qui court les rues pendant les Avents de Noël, qui maltraite les passans. » (Furetière) L'adjectif « bourru » s'explique par le fait qu ‘il est vêtu de bure (bourre). C'est exactement la croyance dont fait mention Sganarelle dans *Don Juan* (III, 1). [78] C'est à dire qu'Angélique lui tient des propos galants. [79] « Demon qu'on dit emprunter la figure d'une femme pour exciter les hommes à paillardise. » (Furetière) [80] Ce dernier vers n'est pas sans rappeler l'acte I, scène 1 de *Don Juan*, lorsque Sganarelle présente son maître comme un hérétique « qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou ». [81] L'ancienne langue n'exprimait pas toujours les nominatifs des pronoms atones, sujets du verbe. (Haase) [82] Estre en cervelle : avoir l'esprit vif. [83] Cette lettre se présente à nouveau comme un poème : il se compose de huit quintils dont les rimes sont embrassées. [84] Furetière donne pour équivalent à cette expression : « A tout hasard », ce que l'on peut traduire par « quelqu'en soit le danger », puisque c'est là la principale signification du mot « hasard » au XVII*e* siècle. [85] L'estoc est la pointe, le fer d'une arme. La taille se dit des coupes et des incisions qui se font par des instruments tranchants. L'expression employée ici suppose un combat acharné. [86] Ed. de 1642 : « et pour vous contre luy, tirer un coup de lame. »Il y a un problème de rime que résolvent les éditions dès 1643. [87] « Foudre » est ici masculin. [88] Voir note 58. [89] « Petit billet amoureux qu'on envoye aux Dames galantes, ainsi nommé parce qu'en pliant on y faisoit deux pointes qui représentoient les ailes d'un poulet. » (Furetière) [90] *Amadis de Gaule* : roman de chevalerie espagnole, publié par Garci Rodriguez de Montalvo (1508). Le héros de ce livre, Amadis, esr resté le type des amants fidèles et de la chevalerie errante. [91] « Estimer » se construit ici de façon transitive avec un nom d'objet. [92] C'est-à-dire « prises au piège ». [93] Signifie « décrire ». [94] 1642 : « Peut-il descouvrir ces pratiques secrettes ? »L'édition de 164 3 propose une correction rétablissant l'alexandrin. [95] Quasi régit ici une proposition. [96] Le y doit ici se comporter comme une voyelle pour que le vers soit un alexandrin. [97] Signifie : « J'en suis sûre ». Cette tournure est encore celle de l'ancien français. (Haase) [98] Cette proposition est temporelle : « alors que » est mis pour « lorsque ». [99] Signifie : « Sans attendre plus longtemps ». (Furetière) [100] C'est-à-dire une blessure. [101] Signifie « élever ». [102] Le sujet de cette phrase est bien entendu le diable, ou l'esprit folet. [103] Cette proposition est elliptique : il faut sous-entendre une proposition principale commençant à nouveau par « je suis fort en soucy de savoir ». [104] 1642 : « songés ». On trouve souvent l'impératif des verbes du premier groupe orthographié avec le *s* au XVII*e* siècle. [105] Il faut noter ici le passage du tutoiement au vouvoiement qui peut traduire la panique de Carrille, mais peut également être une négligence de l'auteur. [106] Signifie  « éteindre la chandelle ». [107] 1642 : « Je demeure immobile, et je ne sçay que penser. » L'édition de 1643 supprime le pronom personnel, et rétablit ainsi l'alexandrin. [108] La syntaxe du XVII*e* siècle est très lâche : ici la conjonction de subordination « que » devrait se placer derrière l'adverbe « donc ».  [109] « Gros oiseau domestique, qui a les mêmes qualitez d'un coq, et qui a été apporté depuis quelques temps des Indes occidentales. » (Furetière) [110] Encore une fois la lettre adopte une forme poétique : il s'agit ici de quatrains constitués de rimes embrassées. [111] Esclairer : « espier, controller secrettement ». (Furetière) Tout se passe comme si les actions d'Angélique étaient mises en pleine lumière. [112] Le pronom personnel « je » est omis. [113] Le sens de ces vers est assez obscur : Carrille veut dire qu'il est absolument certain que l'esprit n'est pas un être humain, c'est pourquoi il n'est pas « vrai », et qu'il est prêt à le répéter à nouveau. Le témoignage dont il est question est le coup de poing qu'a reçu le valet. [114] Supposer : « Mettre une chose à la place d'une autre par fraude et tromperie. » (Furetière) [115] « Se dit poëtiquement des belles personnes qui donnent de l'amour ». (Furetière) [116] « Lanterne de fer blanc ou noirci, qui n'a qu'une ouverture, qu'on ferme quand on veut cacher la lumière, et qu'on présente au nez de ceux qu'on veut voir, sans qu'on en puisse estre apperceu. » (Furetière) [117] 1642 : « De l'advertir qu'il revienne à son retour du bal. » Ce vers de treize syllabes a été corrigé en 1643. [118] Protester : « Assurer fortement quelque chose. » (Furetière) [119] 1642 : « Que je viendray bien à bout de tout le reste. » Nous avons utilisé la correction de 1643. [120] Ce vers de treize syllabes dans l'édition de 1642 : « Vous ne sçauriez en avoir. » a été corrigé en 1643. [121] « Lorsqu'on en a besoin ». [122] L'emploi du verbe « reçut » est assez étonnant puisqu'il suit des verbes au présent ; on peut supposer une coquille pour « reçoi t », c'est-à-dire « recueille ». [123] « Hydre » est ici un nom masculin. [124] Pour des raisons métriques, « image » est au masculin, ce qui était accepté en poésie. [125] Selon son étymologie latine, Lucifer est littéralement celui qui porte la lumière. [126] 1642 : « Croyez qu'asseurement vous crainderiez ses approches ». Ce vers de treize syllabes est dû manifestement à une coquille. Nous avons utilisé la correction de 1643. [127] Par licence poétique, l'auteur a employé « croches » pour « crochus ». [128] 1642 : « La frayeur dans mon cœur tant de crainte assemble ». Ce vers ne comporte que onze syllabes si l'on ne rétablit pas le pluriel de « crainte ». [129] « Tous » renforçant l'idée exprimée par l'attribut et construit avec l'adjectif est encore adjectif au XVII*e* siècle. [130] La tournure « se jouer à  »  est courante au XVII*e* siècle. [131] À la scène 5 de l'acte V, le Don Juan de Molière affirme face au spectre d'une femme voilée : « Spectre, fantôme, ou diable, je veux voir ce que c'est. » [132] C'est là un aparté qui n'est marqué par aucune didascalie. En outre, l'édition de 1642 ne présente pas de ponctuation en fin de vers, ce qui peut renforcer la confusion. [133] « Depuis longtemps ». [134] 1642 : « De passer plus avant tu perds l'heure de ta vie, » Il a semblé necessaire de corriger « heure » car le vers comportait treize syllabes, d'autre part, « heur » est plus cohérent. (cf lexique) D'autre part, l'édition de 1643 ne présente pas de correction. [135] 1642 : « Qui t'est par ton dessein aujourd'huy preparée ».La correction de 1643 est plus pertinente. [136] Tournure d'ancien français qui signifie : « crois-moi ». [137] 1642 : « que je ne te veus point selon ton desir. » (Nous proposons la correction de 1643.) [138] 1642 : « Et croy de tout point je te satisferay » Ce vers de onze syllabes nécessite manifestement la conjonction  « que » (édition de 1643.) [139] La ponctuation de cette longue tirade n'étant constituée que de virgules, nous avons cru bon de ménager des pauses typographiques plus conséquentes ; ainsi nous avons mis un point virgule au vers 1250, et des points aux vers 1256 et 1266. [140] 1642 : « Avant qu'elle m'eschape il faut estre esclaircy, » Ce vers est un aparté, il doit donc être ponctué plus fortement. [141] Art : « Se dit de toutes les manieres et inventions dont on se sert pour desguiser les choses, ou pour les embellir, ou pour reüssir dans ses desseins. » (Furetière) [142] Un point d'interrogation ponctue cette interrogative indirecte pour souligner l'inflection de la voix. [143] Vers de onze syllabes dans l‘édition de 1642 : « J'ay presentement, sans vouloir plus attendre, » L'édition de 1643 rétablit le complément d'objet. [144] « Ancienne monnoye de France qui portoit sur les revers les testes des rois. » (Furetière) [145] 1642 : « C'est de ce crime seul, dont on me peut m'accuser. » Le pronom « me » est de trop, indiscutablement (1643). [146] Excuse, échappatoire. [147] « Craindre » est ici employé de façon intransitive. [148] « Apparence » est ici employée dans son sens fort de phénomène trompeur. [149] Carrille exprime là l'opinion traditionnelle de l'église à l'égard de la femme. [150] 1642 : « S. Innocent ». Autrement appellé « cimetière des Innocents » (1186-1786), lequel céda ensuite la place a un marché. Ce lieu de rendez-vous est destiné à renforcer le mystère surnaturel dont s'enveloppe la jeune femme. [151] Les deux graphies « capriole » et « cabriole » coexistent. « Capriole » est néanmoins plus proche de l'étymon latin : « capriolare ». [152] «Appliquer sérieusement son esprit à raisonner sur quelque chose. » (Furetière) [153] Berner : « Faire sauter quelqu'un en l'air avec une couverture. » (Furetière) Au sens figuré, berner signifie « tromper ». [154] Le point d'interrogation est mis bien après la véritable question pour indiquer plutôt une exclamation. [155] Tournure elliptique pour : « ce qui ». [156] Florestan est le sujet de ce participe présent. [157] Les guillemets ne figurent pas dans l'édition originale, mais sont nécessaires à la compréhension du texte. [158] Tournure elliptique pour « ce que c'est que ». « Que » peut, au XVII*e* siècle, être employé sans antécédent. [159] « Face, frontispice d'une église, veuë par l'endroit où sont ses grandes portes ». [160] « Etre à nouveau ». Le *re*- élidé marque la répétition. [161] « Il faut qu'on voie ». [162] 1642 : « un  Ame ». Ce n'est pas un nom masculin : la prononciation ne varie pas. [163] « A chacun ». [164] La prosodie du vers 1556 exige que *Mesdames* compte pour trois syllabes, ce qui implique que l'actrice qui joue le rôle d' Isabelle fait la liaison avec la réplique de Carrille. [165] « Battre et donner des coups, particulièrement sur la teste. » (Furetière) [166] Signifie en grec « Irrésistible ». L'une des trois Parques. Sa fonction, d'après les poètes, était de couper le fil de la vie. [167] Personnage mythologique, fils de Zeus et d'Europe. Il ne mourut pas, mais s'en fut dans l'Elysée, dont il devint roi. Dans certains récits, il est établi juge des Enfers, avec Minos et Eaque. [168] Roi de Crète plein de justice, devenu juge des Enfers. [169] Nous avons ici une sorte d'incantation en octosyllabes dont la rime est toujours la même. [170] Cette tournure ne semble pas exister, et l'édition de 1643 présente la correction « à toute heure ». Cependant, l'on peut considérer que l'anaphore autorise cette licence poétique. [171] Tournure elliptique pour « que cette énigme suffise ». Le subjonctif ne nécessite pas toujours au XVII*e* siècle le « que » d'injonction. [172] Angélique induit à dessein Florestan en erreur : elle sous-entend que sa haute naissance exige le secret. L'absence de point d'interrogation semble nous indiquer que Florestan l'interrompt. [173] Le verbe « perdre » se construit ici avec un complément d'objet second signifiant « à votre égard ». [174] 1642 : « Païs,ouvre une porte il faut bien du mystere. » Ce vers n'a aucun sens, il faut donc s'en reporter à l'édition de 1647 qui propose une lecture cohérente. [175] Il faut se souvenir que les suivantes d'Angélique ont, dans leur trouble, laisser tomber les plats. [176] Signifie « je pense » en incise. [177] Tournure elliptique pour « le fait que je veuille entreprendre ». [178] C'est avec un peu plus de finesse que Sganarelle, déguisé en médecin dans le *Don Juan* de Molière, expose les fâcheuses conséquences de sa poltronnerie (III, 5) : « Pardonnez-moi, Monsieur ; je viens seulement d'ici près. Je crois que cet habit est purgatif, et que c'est prendre médecine que de le porter. » [179] « Si cela t'est seulement venu à l'esprit ». [180] « En les trompant ». cf lexique. [181] Le XVII*e* siècle emploie encore la graphie « é » pour la première personne du singulier au passé simple. [182] Cf note 168.