--- identifier: ouville_soupcons creator: Ouville, Antoine d' ; Georges Forestier. date: 1650 title: Les Soupçons sur les apparences. Héroïco-comédie --- Les Soupçons sur les apparences Héroïco-comédie PARIS, Chez TOUSSAINCT QUINET ; au Palais, sous la montée de la Cour des Aydes. M. DC. L. *AVEC PRIVILEGE DU ROY.* Édition critique établie par Clotilde Avel dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (2005-2006) # Introduction. Les *Soupçons sur les apparences*, héroïco-comédie en cinq actes et en vers, publiée en 1650, est la dernière pièce connue d'Antoine Le Metel, sieur d'Ouville, qui a commencé sa carrière d'auteur dramatique douze ans plus tôt, en 1638, avec une tragi-comédie intitulée les *Trahizons d'Arbiran.* Les *Soupçons sur les apparences* occupent une place particulière dans l'oeuvre de d'Ouville, réputé pour avoir adapté sur la scène française des pièces espagnoles et italiennes, et pour n'avoir pas su produire des œuvres originales. Or, la première et la dernière pièce de d'Ouville n'ont pas de sources italiennes ou espagnoles connues, et présentent en outre une parenté d'inspiration. Avec sa dernière pièce, d'Ouville semble abandonner la comédie à l'espagnole qui a pourtant fait sa réputation théâtrale, pour revenir aux thèmes abordés dans sa première pièce : la trahison, la jalousie, et le désir de vengeance, sans pour autant renoncer à certains effets de la *comedia*, notamment le jeu sur les apparences. Cette pièce est d'autant plus particulière qu'aucun nom d'auteur n'apparaît sur la page de titre et, plus étonnant, ni dans le Privilège du Roy à la fin de l'ouvrage, et cela dans les deux impressions connues, de 1650 et de 1651. La pièce n'est précédée non plus par aucune dédicace. Ces deux faits méritent d'être mentionnés car toutes les pièces de d'Ouville, à l'exception de la *Coifeuse à la mode* (1646) [1], comportent le nom de l'auteur sur leur page de titre et très souvent une dédicace [2]. Cependant, il ne semble pas y avoir de doute sur l'attribution des *Soupçons sur les Apparences* à d'Ouville. Dans les catalogues des bibliothèques que nous avons consultés, la pièce est toujours attribuée à d'Ouville. Toutefois, les sources imprimées ne mentionnent cette attribution qu'à partir de 1733. C'est Maupoint qui, dans sa *Bibliothèque des theatres*, est le premier à noter : « *Soupçons sur les apparences.* Heroï-comédie par M. Douville en 1658 » [3]. S'il se trompe de date, il ne soulève pas d'interrogation au sujet de cette attribution. Beauchamps, en 1735, cite à la suite des autres pièces de d'Ouville, les « *Soupçons sur les apparences*, héroï-comédie en cinq act. en vers, in-4°. 1651 » [4], le chevalier de Mouhy en 1752 parle des « dix Pièces de Théâtre de d'Ouville qui ont été placées dans cet Ouvrage [5] », Leiris cite en 1763 « *Les Soupçons sur les Apparences*, com. héroïque en cinq Ac. en vers, attribuée à Douville, et donnée en 1650 » [6], J.M.B. Clément et J. de Laporte citent en 1775 les « *Soupçons sur les Apparences*, … Comédie héroïque, en cinq Actes, en vers, par Douville, 1650 » [7], et la pièce apparaît enfin dans la notice consacrée aux œuvres de d'Ouville dans la *Bibliothèque dramatique* de Soleinne [8]. Nous n'avons trouvé finalement que les frères Parfaict au XVIII*e* siècle pour remettre en cause cette attribution. Dans leur *Dictionnaire des théâtres de Paris*, on peut lire : « Les *Soupçons sur les Apparences.* Héroï-comédie en Cinq Actes, 1650. On peut douter que cette dernière soit de M. d'Ouville » [9]. Leur article traitant des *Soupçons* commence ainsi : C'est sur la foi des Catalogues que nous mettons cette Pièce sur le compte de M. d'Ouville, n'en ayant aucune preuve certaine. On pourroit même en douter, si l'on vouloit en juger par conjecture, attendu qu'elle est plus foible par l'intrigue et la conduite que les autres du même Auteur, qui certainement entendoit mieux le Théatre. [10] Remarquons toutefois que la provenance d'un exemplaire de la pièce, impression de 1651, aujourd'hui à la Réserve des livres rares de la Bibliothèque nationale de France (BnF, Rés-Yf-1519), tendrait à confirmer l'attribution des *Soupçons* à d'Ouville. Cet exemplaire, en reliure parchemin du XVII*e* siècle, porte l'ex-libris manuscrit rayé de Jacques Aubert du Mans, ville où d'Ouville termina ses jours, seulement quelques années après la publication de sa pièce. Cette coïncidence nous paraît en faveur de d'Ouville [11]. D'autre part, un exemplaire de l'impression de 1650 qui ouvre une collection de pièces de théâtre (1636-1652) en trente-quatre volumes (BnF, Rés-Yf-237-401) en reliure de la deuxième moitié du XVII*e* siècle et portant l'ex-libris gravé d'un membre de la famille Brulart de Sillery, sans doute l'officier bibliophile Roger, [12] nous paraît intéressant. L'attribution à d'Ouville apparaît sur la liste manuscrite des pièces figurant sur chaque contreplat supérieur. Cependant les *Soupcons* ne font pas partie du volume 17 consacré aux pièces de d'Ouville [13]. L'attribution à cet auteur s'est donc faite dans un deuxième temps mais sans doute dès le XVII*e* siècle. Par ailleurs, des similitudes de situations avec ses précédentes pièces méritent d'être relevées. Ainsi comme dans les *Trahizons*, les *Soupçons* mettent en scène un fourbe qui veut séduire la femme de son ami. Mettre en scène un couple marié est suffisamment rare dans la comédie et tragi-comédie du XVII*e* siècle pour qu'on le remarque [14]. Notons encore un même personnage, l'ami venu de Lyon, dans la *Dame suivante* et la *Coifeuse à la mode*. Nous citerons enfin Clément et Laporte dans leurs *Anecdotes dramatiques* qui, reprochant à d'Ouville l'« uniformité des sujets de ses Pieces et des principaux personnages », écrivent : Lorsqu'on a lu une Piece de Douville, on connoit presque tous les sujets de ses Comédies. Ce sont toujours des rencontres inopinées, de trompeuses apparences, des brouilleries et des raccommodements. On retrouve tous ces « sujets » dans les Soupçons. Mais il faut remarquer que si d'Ouville en a beaucoup usé dans ses comédies, ils ne lui sont pas propres. Ils relèvent de l'esthétique, de l'idéologie, et des ressorts comiques en vogue dans le théâtre de la première moitié du XVII*e* siècle. # Vie et œuvre de D'Ouville. La vie d'Antoine Le Metel, sieur d'Ouville, est peu connue. Antoine Le Metel, né entre 1587 et 1590 à Caen ou Rouen, et mort entre 1655 et 1657 au Mans [15], est le fils de Jeanne Delion et de Jérémie Le Metel, issu d'une lignée d'avocats, et procureur à la Cour des Aides de Rouen avant d'être avocat au parlement de Rouen. La famille, d'origine rouennaise, a tardivement rallié la Réforme. Les possessions de la famille sont modestes. Il est l'aîné de quatre enfants, dont du célèbre abbé [16] François Le Metel de Boisrobert [17]. La famille émigra à Caen dans les années 1590, avec les officiers royalistes des cours souveraines opposés au gouvernement ligueur de la ville, avant de revenir à Rouen quand les troubles sont finis. Antoine Le Metel passa ses premières années dans la capitale normande, ville de premier ordre dans le domaine de l'édition, où vivait alors une importante communauté commerçante espagnole. [18] Entreprit-il des études de droit, comme son frère ? On l'ignore. Il devint hydrographe, ingénieur et géographe. La succession de la suite des événements de sa vie fait problème. Selon Frederick de Armas, il effectua un séjour de sept ans en Espagne de 1615 à 1622, où il se maria, apprit la langue espagnole, et découvrit sur la scène espagnole les *comedias* de Calderon de la Barca, Lope de Vega et Montalvan, qui écrivaient des * comedias nuevas*, type de comédie fondée sur les jeux de masque et d'illusion, que d'Ouville importera en France en adaptant la *comedia* à la scène française. Il passa ensuite quatorze ans en Italie, à Rome, de 1622 à 1636. [19] La connaissance de l'espagnol et de l'italien joua un grand rôle dans sa carrière littéraire, avant tout d'Ouville se fera adaptateur et traducteur. Dans sa préface à la *Fouyne de Seville, ou l'hameçon des bourses*, nouvelle d'Alonso de Castillo Solorzano, traduite de l'espagnol par d'Ouville, Boisrobert écrit que son frère était l'homme de toute la France, qui parloit le mieux Espagnol, & qui connoissoit le plus parfaitement toutes les graces de cette langue. De retour en France en 1636, il aurait obtenu cette année là ses titres de noblesse et le titre d'« ingenieur et geographe du Roy ». À partir de cette date, Antoine Le Metel, sieur d'Ouville, resta au service du gouvernement pendant plus de quinze ans, dont sept, de 1643 à 1650, au service de Louis Foucault, comte du Dognon, grâce aux relations de Boisrobert. C'est pendant cette période que se situe sa carrière littéraire. En 1638 parut sa première pièce, les *Trahizons d'Arbiran* [20], tragi-comédie écrite, sur commande d'un « maistre à qui personne ne peut, ny ne doit desobeïr » [21], le Cardinal de Richelieu. Dans l'adresse au lecteur, d'Ouville se vantait d'avoir porté sur la scène française un nouveau type de pièce, où il n'y avait ny mort, ny mariage, ny recouvrement d'enfans ou de parens perdus, qui sont les sujets de toutes les pièces que l'on a traittées jusques à aujourd'huy. Lancaster rappelle à juste titre que d'Ouville semble avoir oublié les *Galanteries du Duc d'Ossone* de Mairet. [22] Les *Trahizons*, « coup d'essay » salué par Rotrou, semble avoir obtenu un grand succès. L'auteur, dans sa comédie suivante, *L'Esprit folet* [23], en rend compte : Pour entendre le fait, il faut que je vous die Que j'ai voulu tanstot ouir la comedie Pour voir un beau sujet dont on a tant parlé Dont l'excellent intrigue est tres bien démeslé Les fourbes d'ARBIRAN, c'est ainsi qu'on l'appelle, Cette pièce en effet n'est pas beaucoup nouvelle, Les vers n'en sont pas forts, je ne suis pas flatteur Quoy que je sois pourtant grand amy de l'autheur, Mais dans l'oeconomie, il faut que je confesse, Qu'il conduit un sujet avecque tant d'adresse, Le remplit d'incidents si beaux et si divers, Qu'on excuse aisément la faiblesse des vers Avec *L'Esprit folet*, probablement représenté pour la première fois en 1638, d'Ouville importa en France la comédie à l'espagnole, et signa la première adaptation d'une longue série des pièces des auteurs espagnols. *L'Esprit folet* est une adaptation de la *Dama Duende* de Calderόn. La publication tardive du texte de la pièce, en 1642, témoigne de son succès public : la troupe de l'Hôtel de Bourgogne voulait en garder l'exclusivité [24]. Avec les *Fausses Veritez* [25] (1641/1643), adaptées de la *Casa con dos puertas mala es de guardar* de Calderόn, d'Ouville achèva d'adapter la *comedia* au goût du public français en transposant l'action à Paris. Suivront l'*Absent chez soy* [26] (1643), adapté d'*El Ausente en el lugar*, de Lope de Vega, la *Dame suivante* [27] (1645), adaptée de la *Doncella de Labor* de Montalvan, puis, en 1646, *Jodelet Astrologue* [28], une adaptation de l'*Astrologo fingido* de Calderόn, et en 1647 la *Coifeuse à la mode* [29], sans doute inspirée des *Tres mujeres en una* de Remon. Toutes ces comédies, à l'exception de l'*Absent chez soy*, remportèrent un grand succès à Paris. Ce ne fut pas le cas de ses deux adaptations de pièces italiennes. Sa comédie *Aymer sans savoir qui* [30] (1646), adaptée de l'*Hortensio* de Piccolomini, est considérée par Lancaster comme la plus faible des pièces de d'Ouville à cause de son intrigue compliquée, son exposition fastidieuse, ses nombreuses redites, ses entrées et sorties inexpliquées, son dialogue sans grand esprit. Et les *Morts vivants* [31] (1646) sont une tragi-comédie adaptée des *Morti vidi* de Sforza d'Oddi. Le temps qui sépare cette pièce de la suivante et dernière est relativement long par rapport à son habitude : trois ans, contre un an pour les autres. D'Ouville était renommé pour écrire ses pièces très rapidement. Une autre question se pose : pourquoi d'Ouville n'est-il pas revenu à la *comedia* qui lui a valu ses plus grands succès ? Par une ironie du sort, son frère, Boisrobert, qui jusqu'ici n'avait pas exploité la veine espagnole, écrivit des comédies à l'espagnole à partir de 1650. Et en 1650 parut la dernière pièce d'Ouville, les *Soupçons sur les Apparences* [32]. C'est cependant pour ses contes [33] que d'Ouville fut surtout célèbre au XVII*e* siècle, comme l'attestent les catalogues du XVIII*e* siècle qui présentent une biographie succincte de d'Ouville [34], et les nombreuses éditions qu'ont connues ses contes. Publiés pour la première fois en 1641, ils connurent de nombreuses rééditions de son vivant et après sa mort, où ils furent parfois associés à ceux de l'italien Boccace [35]. D'Ouville traduisit également des *novelas*, petits romans, d'Alonso de Castillo Solorzano [36] et de Maria de Zayas y Sottomayor [37]. D'Ouville se serait retiré au Mans en 1654 « gueux de tous les côtés » [38], chez son neveu, le chanoine de la cathédrale du Mans, Pierre Leprince, fils de sa sœur Charlotte, dans la dépendance financière de Boisrobert. De son vivant et après sa mort, d'Ouville a pâti de la réputation littéraire et de l'influence à la Cour de son frère Boisrobert, au point que les *Nouvelles héroïques et amoureuses*, qui parurent après sa mort en 1657, furent attribuées à Boisrobert. Selon les historiens, ces traductions devraient être attribuées à d'Ouville. # Les Soupçons sur les apparences dans l'histoire du théâtre français. *Les Soupçons sur les Apparences* sont publiés en 1650 : une date emblématique pour l'histoire de la comédie en France, non pour ce qu'elle représente en elle-même mais pour sa place historique comme exact milieu du XVII*e* siècle, et un titre emblématique. ## La comédie en France en 1650. En 1650, la comédie moderne française a presque un siècle : Jodelle a fait représenter en 1552 ou 1553, l'*Eugène*, première comédie qui renoue avec la tradition de la comédie antique en cinq actes, même si l'intrigue tourne toujours autour du trio mari cocu, femme infidèle et amant de la farce médiévale. Il s'agit cependant d'une révolution dans le cadre du théâtre français. À partir de cette date, les auteurs français vont puiser leur inspiration chez les Italiens qui imitent depuis déjà un siècle le grec Ménandre, inventeur de la comédie d'intrigue, et les latins Plaute et Térence. Cette comédie à l'italienne se caractérise par son dénouement nuptial, et ce sont les obstacles au mariage des jeunes gens amoureux qui constituent le corps de la comédie. Celle-ci tarde pourtant à s'imposer sur la scène française : du début du XVII*e* siècle aux alentours de 1630, la comédie moderne est presque absente du paysage dramatique. En lieu et place, on trouve d'un côté la farce, qui reste le genre comique prédominant, et de l'autre des genres véritablement modernes, car non hérités des Anciens, la pastorale dramatique et la tragi-comédie, tous deux d'inspiration romanesque. Et pourtant en 1650 la comédie est un genre reconnu. La renaissance a eu lieu autour de 1630, en grande partie grâce au Cardinal de Richelieu, qui, arrivé au pouvoir en 1624, a pour ambition de donner à la France un théâtre national. En 1629, l'Hôtel de Bourgogne devient la salle des Comédiens du Roi, et à la suite de l'installation d'une nouvelle troupe à Paris, une nouvelle salle est aménagée, qui devient le Théâtre du Marais en 1634. Une nouvelle génération d'auteurs écrit pour le théâtre, le jeu des acteurs s'affine, le public se féminise. Le rôle de Pierre Corneille [39] est primordial. En 1629, avec *Mélite*, « pièce comique », il invente un nouveau type de comédie, sentimentale, galante et parisienne, qui transpose les intrigues amoureuses en chaîne de la pastorale dans la bonne société parisienne. Dans l'*Examen* de 1660 de sa pièce, Corneille écrit : La nouveauté de ce genre de Comédie, dont il n'y a point d'exemple en aucune Langue, et le style naïf, qui faisait une peinture de la conversation des honnêtes gens, furent sans doute cause de ce bonheur surprenant, qui fit alors tant de bruit. On n'avait jamais vu jusque-là que la Comédie qui fit rire sans Personnages ridicules, tels que les Valets bouffons, les Parasites, les Capitans, les Docteurs, etc… Lorsqu'on lit les *Soupçons sur les Apparences*, on s'aperçoit combien d'Ouville est tributaire de cette esthétique nouvelle. Puis, en 1638, avec l'*Esprit folet* que d'Ouville adapte de la *comedia* de Calderon, un type encore nouveau de comédie apparaît en France : la comédie à l'espagnole, qui culminera jusqu'en 1655 en France, et dans laquelle s'illustreront brillamment Corneille et Scarron, auxquels d'Ouville a ouvert la voie. Jeunes filles passionnées et audacieuses, femmes voilées, rendez-vous nocturnes, jeux de cache-cache, sens de l'honneur poussé à l'extrême, valet bouffon, variations autour du thème des illusions et des apparences, tels sont les ingrédients que l'on retrouve dans presque toutes ces comédies à caractère très romanesque. Notre héroïco-comédie, sans être une comédie à l'espagnole, lui doit beaucoup : que l'on pense à l'atmosphère nocturne des deux premiers actes, à l'escapade nocturne de l'héroïne (mais, et là est la différence, ce n'est pas son amant qu'elle va rejoindre, mais bien sa cousine sur le point de mourir), à l'importance du « poinct d'honneur » et du devoir d'hospitalité pour Leandre, au caractère chevaleresque de Filemon et à sa profondeur romanesque, à la hardiesse d'Astrée qui n'a aucun scrupule à décacheter les lettres adressées à Filemon pour mener à bien l'intrigue amoureuse de son amie, et bien sûr à ces variations constantes sur les apparences qui nous trompent continuellement (mais qui prennent ici un caractère de démonstration et de dénonciation qui est absent des comédies à l'espagnole : le plaisir de l'illusion, si important dans la *comedia*, est absent des *Soupçons*). À ce tableau des comédies à l'honneur au moment où d'Ouville fait représenter sa pièce, il faudrait ajouter la comédie à l'italienne avec son lot d'enlèvements, d'esclaves, de naufrages, de retours imprévus et de reconnaissances, ainsi que ses parasites, fanfarons, barbons, pédants, jeunes gens amoureux et étourdis, valets rusés. On ne trouve pas trace de cette tradition dans les *Soupçons* de d'Ouville, dont les deux essais d'adaptation de pièces italiennes se sont soldés par un échec. Jacques Scherer situe également aux alentours de 1650 la fin de l'époque préclassique et les débuts de l'époque classique. Scherer distingue trois période dans l'histoire de la dramaturgie classique. La période archaïque va du début du XVII*e* siècle à 1630 environ et se caractérise par une esthétique de l'abondance et du spectacle, l'absence des bienséances et des unités, et par des thèmes romanesques. La période qui s'ouvre en 1630 et s'achève autour de 1650, est l'époque des créations décisives pour la dramaturgie : unification de l'action, restriction du temps et du lieu, découpage moderne des scènes, introduction de la vraisemblance, théorie et pratique de la liaison des scènes. Le texte de théâtre est pensé non plus seulement comme un texte littéraire indifférent aux contraintes matérielles de la scène, mais dans son rapport même à la scène. Tout doit concourir à ce que l'illusion théâtrale soit parfaite et à ce que rien ne vienne rappeler au spectateur qu'il se trouve au théâtre. Mais pendant cette période de transition, bien des invraisemblances sont encore admises, les thèmes romanesques encore fréquents, le souci des bienséances quasiment inexistant et le concept de l'unité de lieu large. C'est pendant la période suivante que s'impose véritablement ce qu'on appellera *a posteriori*, au XVIII*e* siècle, le classicisme, qui atteint son apogée dans les années 1660 et se caractérise par le respect des règles, un respect plus fréquent des vraisemblances et surtout un respect rigoureux des bienséances. Ce bref aperçu théorique étant fait, nous nous apercevons que les *Soupçons* sont assez classiques dans leur forme. Nous y reviendrons, mais les unités d'action, de temps et de lieu, quoique cette dernière moins strictement, sont respectées. Cependant certains éléments relèvent encore de l'esthétique préclassique : la longueur des tirades, un nombre assez important de monologues (on en compte pas moins de cinq), et le fait que soient montrés sur la scène trois tentatives d'enlèvement par la force et un combat à l'occasion duquel un des protagonistes est blessé. Il ne fait pas de doute que d'Ouville avait connaissances des débats théoriques de son temps. Ayant conscience qu'on pourrait lui reprocher d'avoir rompu la liaison des scènes à la scène 6 de l'acte V, il note dans une indication scénique liminaire : « Pour lier la Scene avec la précédente, il faut que Leandre paroisse en un coin du Theatre », mais il ne donne pas de précision sur la manière dont il reliera cette scène avec la suivante, même si l'on peut supposer que c'est avec un procédé semblable. Toujours est-il que ce procédé qui consiste à opérer une sorte de fondu entre deux scènes qui se déroulent dans deux lieux distincts et mettent en scène des personnages tout aussi distincts, constitue une effraction à la règle de la liaison des scènes [40]. Notre pièce se situe donc à une date charnière de l'histoire du théâtre, et des idées, même si elle semble davantage clore une époque qu'en ouvrir une. Dans sa forme, l'héroïco-comédie d'Ouville ressemble en effet beaucoup aux premières comédies de Corneille, issues du schéma actanciel de la pastorale. Dans le *Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique*, Corneille écrit : Dans les comédies de ce premier volume, j'ai presque toujours établi deux amants en bonne intelligence ; je les ai brouillés ensemble par quelque fourbe, et je les ai réunis par l'éclaircissement de cette même fourbe qui les séparait. On a la trame de l'intrigue des *Soupçons*, le schéma cornélien qui unit, désunit et réunit les amants, qui brouille et éclaircit. Il fait peu de doute que d'Ouville ait vu représenter ou lu les pièces de Corneille. On trouve dans les *Soupçons* quelques réminiscences, conscientes ou inconscientes, de vers cornéliens, tous genres confondus. Nous les signalons en notes. L'ingénieur hydrographe et géographe n'a donc pas seulement admiré les œuvres d'outremonts, il connaissait et certainement admirait les comédies et tragédies de son compatriote rouennais. La comparaison s'arrête là : le style de d'Ouville n'est pas celui de Corneille. ## Une problématique baroque. Le titre même de la pièce, on l'a dit, est emblématique de l'époque qui s'achève. *Les Soupçons sur les Apparences* n'est pas un titre original. D'Ouville a le goût de ces titres qui invitent à soupçonner les apparences : la *Dame suivante*, les *Fausses veritez*, et il est loin d'être le seul. Il serait trop long d'énumérer toutes les variations autour de ce thème, citons *Jodelet ou le maistre valet* de Scarron, les *Apparences trompeuses* de Boisrobert (1655), la *Fausse apparence* ou encore les *Songes des hommes esveillez* de Brosse (1646). Ces titres reflètent l'idéologie dominante de l'époque, appelée postérieurement baroque (par analogie avec l'architecture), et que Montaigne exprimait déjà : Le monde n'est qu'une branloire pérenne : Toutes choses y branlent sans cesse, la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d'AEgypte : et du branle public, et du leur. La constance même n'est autre qu'un branle plus languissant. Je ne puis assurer mon objet : il va trouble et chancelant d'une ivresse naturelle. Je le prends en ce point, comme il est, en l'instant que je m'amuse de lui. Je ne peins pas l'être, je peins le passage. [41] La thématique du change, de l'inconstance dans l'amour, un des thèmes privilégiés des comédies de l'époque, apparaît en sourdine dans la pièce de d'Ouville à travers le personnage de Filemon. Le titre fait également directement référence à Descartes qui, lorsqu'il écrit les *Méditations métaphysiques*, tout en élaborant un système de pensée rigoureux qui théorise la remise en question des fondements du savoir, ne fait également qu'exprimer plus profondément les inquiétudes de ses contemporains : Je m'attaquerai d'abord aux principes, sur lesquels toutes mes anciennes opinions étaient appuyées. Tout ce que j'ai reçu jusqu'à présent pour le plus vrai et assuré, je l'ai appris des sens, ou par les sens : or j'ai quelquefois éprouvé que ces sens étaient trompeurs, et il est de la prudence de ne se fier jamais entièrement à ceux qui nous ont une fois trompés. Les personnages des *Soupçons* n'ont pas ces préoccupations métaphysiques. Les *Soupçons* ne sont pas une pièce à thèse dans le sens où les personnages débattraient entre eux comme ils le feraient dans un salon. Il s'agit plutôt d'une application et d'une démonstration en action de la thèse selon laquelle les apparences sont trompeuses. On ne trouve chez les personnages de d'Ouville nulle remise en question de ce qu'ils voient. Au contraire, au lieu de soupçonner, d'interroger les apparences, ils se font prendre au piège par elles. Cependant la morale, s'il y en a une, se trouve énoncée dans le titre : ce n'est pas à partir de simples apparences qu'on doit fonder des soupçons, les apparences doivent être soupçonnées, c'est-à-dire interrogées et non pas acceptées d'emblée comme vérité, car elles sont souvent, sinon toujours, trompeuses. Tel est le leitmotiv de la pièce qui revient après que chaque personnage, en proie au soupçon sur le témoignage de simples apparences, découvre qu'il s'est trompé. Nous reviendrons sur ce thème des soupçons sur les apparences, et sur la manière dont il est traité, dans notre développement, car c'est là que se trouve la signification de la pièce. Enfin, comme dernière dette des *Soupçons sur les Apparences*, à leur temps, nous pourrions évoquer le nom de son héroïne, Astrée, qui renvoie explicitement au roman éponyme d'Honoré d'Urfé [42]. Il ne s'agit pas ici d'une adaptation sur le théâtre d'un des épisodes de ce roman fleuve, comme il y en a eu beaucoup dans la première moitié du XVII*e* siècle, mais l'*Astrée* reste bien le roman « baroque » par excellence, avec pour faisceau thématique l'inconstance, les jeux de l'illusion et du déguisement. Tony Gheeraert considère l'*Astrée* comme la mise en scène de la « crise de signification » que connaît l'époque. Quand Astrée découvre Céladon feignant de déclarer (mais prononçant tout de même les mots dans les faits) son amour à une bergère comme elle lui a demandé, elle découvre à ce moment que les mots, les signes, peuvent être trompeurs. Le monde transparent, lisible et heureux de la Renaissance devient alors un univers opaque et indéchiffrable, où l'on ne pourra plus s'assurer de la vérité des êtres ni des choses – et encore moins de celle des sentiments. [43] Dans une pièce, où les apparences sont sans cesse démenties et où l'énigme, pour les protagonistes comme pour les spectateurs, reste l'identité de la mystérieuse femme aimée de Filemon, laquelle nous est dévoilée *in extremis* au dénouement, peut-être le choix du nom Astrée n'est-il pas anodin. ## Synopsis. ### Acte I. L'action se passe la nuit, tard dans la soirée. Alors que son mari, Léandre, est absent, Astrée est tirée à sa fenêtre par des violons commandés par un ami de son mari, Alcipe (sc.1 & 2). Lasse de la cour assidue de ce dernier, elle refuse de le recevoir et lui dit son mépris (sc.3). Mais on vient lui annoncer que sa cousine, Orphise, est malade et qu'elle doit aller la voir de toute urgence (sc.4). Alors qu'elle est sortie, Léandre, qui est rentré à Paris, arrive devant chez lui avec Filemon, qu'il a rencontré à Lyon. Surpris qu'on ne lui ouvre pas la porte, il soupçonne sa femme de le tromper quand un voisin, que les coups répétés à la porte ont alerté, lui apprend qu'elle s'est rendue au chevet de sa cousine malade. Après avoir demandé à Filemon de l'attendre, Leandre se dirige vers la maison d'Orphise (sc.5) au moment même où Astrée revient, par un autre chemin. Alcipe, qui croit être seul, tente de l'enlever, mais est blessé à la main, désarmé et contraint à la fuite avec son valet Sylvain par Filemon qui est venu au secours d'Astrée. Cette dernière remercie le valeureux jeune homme, et quand elle apprend que c'est l'ami de Lyon de son mari, elle le prie de taire cette affaire à Léandre et ordonne à sa servante, Hyppolite, de cacher l'épée d'Alcipe, avant de rentrer (sc.6). À ce moment Leandre, qui n'a évidemment pas trouvé sa femme chez sa cousine, revient. Filemon lui apprend qu'elle vient de rentrer, et accepte enfin l'hospitalité de son ami (sc.7). ### Acte II. Alcipe, qui ignore le retour de Léandre, revient frapper à la porte d'Astrée, décidé à la surprendre avec celui qu'il croit être son amant, Filemon (sc.1). Quand il se retrouve face à face avec Leandre et Filemon, il simule la folie sur le conseil de Sylvain, qui prétend que son maître a été blessé par des brigands qui lui ont pris son épée. Alcipe demande à Leandre de le venger puisque lui ne le peut plus. Filemon sans dire un mot sort (sc.2), bientôt suivi par Leandre, laissant seul Alcipe et Sylvain avec Astrée que le bruit a attiré (sc.3). De nouveau rejeté avec mépris, Alcipe décide de changer de tactique et déclare à la jeune femme que son amour est devenu pur. Astrée l'approuve mais exprime le souhait qu'il la laisse en paix, avant de se retirer (sc.4 & 5). Filemon revient avec l'épée et apprend à Leandre devant Alcipe que ce dernier n'a pas été attaqué par des voleurs, mais par un seul homme. Ce dernier aurait secouru la femme d'un des amis d'Alcipe que celui-ci voulait enlever, profitant de l'absence du mari. Leandre soupçonne Alcipe de malhonnêteté à son égard, mais ce dernier dissipe ses soupçons. Leandre et Filemon rentrent (sc.6), et Alcipe, resté seul avec Sylvain, affirme de nouveau son obstination à obtenir Astrée par la force, s'il ne le peut autrement (sc.7). ### Acte III. Le lendemain, Orphise, qui a recouvré dans la nuit la santé, se rend chez Astrée pour la remercier. Mais après de nombreuses dénégations, elle finit par avouer qu'elle est tombée amoureuse de Filemon en le voyant à l'église le matin même, et qu'elle a appris qu'il logeait chez sa cousine (sc.1). Valentin, le valet de Filemon, vient alors interrompre les deux femmes. Il leur révèle qu'il est chargé par son maître d'aller au Courrier voir s'il n'a pas reçu une lettre de sa maîtresse de Lyon. Astrée envoie discrètement Hyppolite chercher la lettre (sc.2). Filemon surprend Valentin en train de traîner, et l'envoie s'acquitter de sa commission. Questionné par les jeunes femmes, il leur apprend qu'il a fui Lyon après avoir blessé ou tué le mari de Florinde, qui fut son amante, à la suite d'un malentendu. Il attend d'elle une lettre qui lui commande ce qu'il doit faire. Il leur révèle cependant à la fin que depuis qu'il est à Paris il est tombé amoureux d'une femme dont il doit taire le nom car elle touche « de trop près à l'un de ses amis », ce qui laissent les deux cousines songeuses [44] (sc.3). Valentin revient bredouille du Courrier et Filemon les quitte pour écrire à Florinde de lui adresser ses lettres sous un faux nom (sc.4). Quand elles sont de nouveau seules, Astrée charge Hyppolite d'intercepter au Courrier les lettres qui sont adressées à Filemon, et celles qu'il veut envoyer, car Astrée et Orphise ont peur qu'il ne veuille retourner à Lyon protéger son amie de la jalousie de son mari (sc.5, 6 & 8). Cependant, Leandre surprend sa femme en train de cacher la lettre que lui a remise Hyppolite et la soupçonne de dissimuler, d'autant qu'il trouve que sa femme plaide la cause de Filemon avec trop de véhémence. Celle-ci, pour se justifier, prétend que Filemon est en danger de mort et qu'il ne lui faut pas quitter la maison (sc.7). Après avoir loué l'esprit des femmes (sc.9), Hyppolite intercepte la lettre de Filemon que Valentin doit porter au Courrier en faignant de s'inquiéter du danger mortel qui le guette si jamais il s'y rend (sc.10). ### Acte IV. Leandre surprend à nouveau sa femme en train de cacher une lettre, mais il fait semblant de rien et lui annonce qu'en dépit de ses injonctions Filemon est sorti ou s'apprête à sortir (sc.1 & 2). Resté seul, il essaie de se persuader que sa femme n'estime son ami que parce que lui-même l'estime (sc.3). Il est interrompu par Sylvain qui cherche Filemon pour lui remettre un billet de son maître. Pensant qu'Alcipe veut défier son ami, Leandre lit le billet dans lequel Alcipe déclare en fait son amitié à Filemon. Les soupçons de Leandre à l'égard d'Alcipe s'envolent (sc.4), et quand ce dernier vient à sa rencontre pour lui demander la permission de courtiser Orphise, de laquelle il est tombé amoureux, Leandre lui ouvre sa maison. Mais en se retirant Alcipe laisse tomber un billet anonyme (sc.5) dans lequel il apprend à Leandre qu'Astrée et Filemon sont amants. Fou de rage, Leandre fait le serment de se venger (sc.6) et il poignarderait Astrée si Filemon n'intervenait pas, prévenu par Hyppolite qui a entendu les menaces de Leandre (sc. 7, 8, 9 & 10). Prit sur le fait, Leandre leur fait croire que ses propos ont été mal interprétés et les époux semblent se réconcilier (sc.11). Leandre sorti, Astrée exprime sa gratitude à celui qui l'a sauvée, et Filemon, par une formule ambiguë : Il n'est point de danger que je n'affronte ainsi Pour vous servir, Madame, et vous Madame aussi. [45] laisse les deux cousines en proie au doute (sc.12). Astrée réaffirme sa fidélité envers son mari (sc.13). ### Acte V. Le dernier acte s'ouvre sur Leandre, seul en scène. Il tient à la main la lettre qu'il a trouvée dans le cabinet de sa femme, dans laquelle Filemon prévient Florinde que leur correspondance est surveillée. Il croit qu'elle est adressée à Astrée et décide de tuer les deux amants (sc.1). Il enjoint Alcipe à se détacher d'Orphise, car elle est aussi fausse que sa cousine. Alcipe essaie de persuader Leandre de ne pas tuer Astrée, mais de la répudier et l'abandonner. Quand à Filemon, il n'a qu'à l'attendre dans la rue (sc.2). Seul avec Sylvain, Alcipe se réjouit de bientôt arriver à ses fins (sc.3). Quand Filemon arrive, il lui annonce que Leandre se bat en duel dans la rue, et que suite à sa blessure, il ne peut venir le seconder. Filemon se précipite dehors (sc.4), tandis qu'Alcipe, tente une deuxième fois d'enlever Astrée avant de prendre la fuite devant l'arrivée d'Hyppolite (sc.5). Pendant ce temps, Leandre provoque Filemon en duel, ce dernier refuse de se battre et dévoile à Leandre toutes les fourberies d'Alcipe. À moitié convaincu, Leandre accepte de rentrer avec Filemon (sc.6), à temps pour surprendre Alcipe, revenu tenter d'enlever Astrée par la force, en dépit de la présence d'Hyppolite et Orphise, en flagrant délit. Alcipe prend la fuite (sc.7 & 8). Sylvain, retenu, vient confirmer les dires de Filemon. Leandre refuse de revoir Alcipe et se réconcilie avec sa femme, tandis que Filemon demande la main d'Orphise et que les valets badinent (sc.9). # La représentation des Soupçons sur les apparences. ## Contexte historique. *Les Soupçons sur les Apparences* ont vraisemblablement été créés à l'Hôtel de Bourgogne [46] par les Comédiens du Roi à la fin de l'année 1649 ou au premier semestre 1650. [47] Le *Mémoire* de Mahelot, décorateur de l'Hôtel de Bourgogne, précieuse source d'information pour savoir quels étaient les décors et les accessoires utilisés pour les pièces au répertoire, s'arrête après l'année 1634 [48], et il n'existe pas, pour les années 1649-1650, de journaux qui nous apprennent quelle a été la réception de la pièce par le public. Nous savons en revanche par les décorateurs qui ont tenu un registre des pièces au répertoire de l'Hôtel de Bourgogne que les *Soupçons* ne restent pas au répertoire après leur création en 1649 ou 1650, contrairement à d'autres pièces de d'Ouville. Enfin, créée pendant la période troublée de la Fronde [49], aucun document de valeur se rapportant à l'histoire de l'Hôtel de Bourgogne pour les années 1648-1653, n'a été exhumé des archives. [50] Nous savons cependant qu'après avoir quitté Paris pour des tournées en province et à l'étranger pendant la Fronde parlementaire, la troupe royale reprend ses représentations à l'Hôtel de Bourgogne dès son retour à Paris, fin 1649, au début de la Fronde des princes. Cette période fut marquée par des combats de rue et le dressement de barricades dans la capitale. Les *Mazarinades* nous apprennent que l'Hôtel de Bourgogne, comme le Théâtre du Marais, durent fermer à plusieurs reprises, mais nous ignorons les dates exactes. Les comédiens ont pu rencontrer quelques difficultés financières, et donc se trouver dans l'impossibilité matérielle d'acquérir de nouveaux décors, tandis que les auteurs ne parvenaient que difficilement à faire imprimer de nouvelles pièces, et à les vendre. Il est cependant attesté que les comédiens de l'Hôtel de Bourgogne ont payé la location de la salle aux Confrères de la Passion pendant la Fronde, ce qui implique qu'ils ont fait des recettes, et que l'Hôtel de Bourgogne a connu une grande activité théâtrale pendant cette période. En effet, si la production des tragédies et tragi-comédies diminua, car les parisiens, d'après le mot d'Antoine Adam [51], préféraient se procurer de la farine plutôt que d'aller voir des « farinés », et n'avaient sans doute pas le cœur à aller voir des tragédies, comme au temps des guerres de religion où Catherine de Médicis avait interdit les représentations de tragédies, causes, d'après elle, du malheur qui s'était abattu sur la France, les troubles politiques, en revanche, n'affectèrent pas la comédie . On ne constate pas de chute du nombre de comédies annuellement produites, et en raison du déclin des autres genres, c'est la comédie, et notamment la comédie à l'espagnole, romanesque et divertissante, qui domine le paysage théâtral pendant la Fronde [52]. Même si la tonalité générale des *Soupçons*, comme l'ont souligné Lancaster et Guichemerre [53], est sombre par rapport aux précédentes comédies de d'Ouville, on ne trouve aucune allusion à ce contexte historique troublé dans la pièce. ## *Les Soupçons sur les Apparences* sur la scène. ### Les indications scéniques. La notion moderne de mise en scène n'existe pas au XVII*e* siècle. Le texte de théâtre est conçu comme un tout devant contenir en lui-même des indications pour le jeu de l'acteur. À propos des écrivains de théâtre, Jules de la Mesnardière écrit : « l'appareil de la scène … est une partie de leur art ; … il n'est pas moins nécessaire aux écrivains de théâtre d'en savoir la disposition qu'aux acteurs. » [54] L'abbé d'Aubignac écrira même dans sa *Pratique* que : … dans le poème dramatique, il faut que le poète s'explique par la bouche des Acteurs. … Toutes les pensées du Poète, soit pour les Décorations de Théâtre, soit pour les mouvemens de ses personnages, habillements et gestes nécessaires à l'intelligence du sujet, doivent être exprimées par les vers qu'il fait réciter [55]. Il condamne ensuite l'usage des auteurs dramatiques de noter dans la marge les actions scéniques, c'est-à-dire ce que nous appelons didascalies ou indications scéniques externes. Corneille, dans son Discours sur les trois unités, publié en 1660, estimera quant à lui que le poème dramatique ne peut pas prendre en charge toutes les indications de mise en scène, et justifiera le recours aux notes dans la marge. Les indications scéniques notées dans la marge sont peu nombreuses dans les *Soupçons*. En revanche, de nombreuses actions scéniques ou autres informations nécessaires à la compréhension de la pièce, sont signifiées dans le poème dramatique proprement dit. Si l'indication scénique liminaire traditionnelle nous apprend que l'action se déroule à Paris, c'est le discours des personnages qui indique que les deux premiers actes sont nocturnes et mentionnent une rue devant la maison d'Astrée, tandis que les trois derniers sont diurnes et se déroulent à l'intérieur de cette même maison. Arreste, nous voicy dans la ruë, où demeure L'inflexible beauté, qui consent que je meure ; [56] tels sont les premiers vers de la pièce, qui situent immédiatement l'action. De même, la nuit et l'obscurité sont sans cesse rappelées dans ces deux premiers actes. Un agrandissement de l'espace est même suggéré à la scène 5 du premier acte. Au vers 150, Leandre dit à Filemon : « Vous vous delasserez, nostre logis est proche. » Neuf vers plus loin, on lit : « Il ne faut que heurter, voicy nostre maison. » Entre ces deux vers, les amis ont donc dû franchir l'espace qui les séparait de la maison, et nous voyons que le chemin parcouru ne peut être suggérée que par les vers. Il faudrait aussi signaler de nombreuses actions qui ont lieu sur la scène et qui ne sont pas indiquées dans la marge. Il en est ainsi à la scène 6 du premier acte : ALCIPE. **Arrestez**. ASTRÉE. Pour Alcipe. ALCIPE. Oüy, pour Alcipe, ingratte. La force m'obtiendra ce qu'en vain les soûpirs Ont tâché d'obtenir à mes ardens desirs. ASTRÉE. **Au secours**, justes Cieux ! pouvez -vous sans vangeance, Souffrir d'un effronté la brutale insolence ? FILEMON. **Deffends toy, temeraire**, et reçoy de ma main, De tes lâches efforts⁎, le chastiment soudain. ALCIPE. O Ciel, **je suis blessé** ! FILEMON. C'est encor mon envie, Que tu sois sans parole, et sans force, et sans vie. SYLVAIN. Fuyons, c'est le plus seur. FILEMON. **Fuyez, lâches, fuyez**, [57] Nous voyons qu'une dizaine de vers suffit pour signifier le surgissement d'Alcipe de l'ombre, l'attaque d'Astrée par Alcipe, l'interposition de Filemon, lui-même sorti de l'ombre, entre eux, l'échange de coups d'épée entre Filemon et Alcipe, la fuite d'Alcipe : aucune indication scénique, seulement les paroles des personnages. Il en est de même pour les deux autres tentatives d'enlèvements d'Alcipe qui ne donnent lieu à aucune autres indications que celles données par le texte. Le traitement de la troisième et dernière tentative est particulièrement intéressant parce que nous apprenons les gestes opérés après coup. À la scène 5 du dernier acte, nous avons l'échange suivant : ALCIPE. Consentez… ASTRÉE. Insolent ! ALCIPE. Consentez ou… HYPPOLITE. Madame, Rentrez, et vous sauvez des mains de cét infame. [58] L'intervention d'Hyppolite suffit à nous faire comprendre le geste menaçant d'Alcipe, mais ne nous en dit pas davantage. Or, deux scènes plus loin, à la scène 7, Astrée répond à sa cousine qui s'enquiert auprès d'elle de ce qui s'est passé : Il a mesme passé jusqu'à la violence. Il m'a dessus la gorge osé porter la main, Et fait quelqu'autre effort plus grand ; mais aussi vain. [59] C'est une indication a posteriori de mise en scène. L'action, qui n'était que suggérée dans les vers précédents, est ici explicitée. ### Le décor. Nous ne donnons qu'une hypothèse de ce qu'aurait pu être le décor des *Soupçons*, d'après le texte de la pièce et les conventions de l'époque. Toutefois, les *Soupçons* furent créés pendant la Fronde, et les moyens des comédiens royaux devaient être limités. On ignore donc si la pièce fut créée avec les mêmes moyens qu'elle l'aurait été dans une période plus prospère. Cette question se pose notamment à propos de l'éclairage. On sait que l'éclairage était très cher au XVII*e* siècle. Pour éclairer la scène on utilisait des chandelles de suif qu'il fallait moucher toutes les demi-heures, pendant les entractes, pour éviter que la fumée n'envahisse la salle. Or, en plus de cet éclairage obligatoire à la chandelle de suif, les deux premiers actes des *Soupçons* sont nocturnes. Dans ses indications scéniques, d'Ouville note la présence de flambeaux et de lanternes. Ces accessoires étaient très prisés du public, en raison de leur caractère spectaculaire, mais aussi en raison de leur luxe. L'unité de lieu commence à s'imposer chez les écrivains de théâtre dès les années 1640. À partir de ces années le décor unique tend donc à remplacer le décor à compartiments qui se justifiait par l'abondance des lieux représentés. Nous avons vu que l'action de notre pièce se déroule devant et à l'intérieur de la maison d'Astrée. Quand le rideau [60] se lève au début de la pièce, la scène représente sans doute le carrefour traditionnel de la comédie. Il s'agit d'une toile peinte représentant un décor citadin : de part et d'autre de la scène, deux maisons, derrières lesquelles sont peintes en plus petit, pour créer un effet de profondeur deux autres maisons séparées par des intervalles représentant des rues ; entre ces deux groupes de trois maisons partant vers le fond, une rue centrale qui aboutit à une autre rue qui passe devant les deux premières maisons. Les deux premières maisons, à cour et à jardin, au premier plan, ou en « belle chambre », sont plus grandes que les suivantes qui ne sont là que pour planter le décor citadin et créer un effet de profondeur et de perspective. Elles ont chacune une porte et une fenêtre, à l'étage, qui peuvent s'ouvrir et se fermer. Astrée et le Voisin se montrent ainsi tous deux à la fenêtre de leur maison respective au premier acte, Leandre et Filemon frappent à la porte d'Astrée en faisant du bruit, on voit successivement Astrée sortir et renter de la maison, puis Filemon et Leandre y rentrer à la fin du premier acte avant d'en ressortir, alertés par les coups d'Alcipe. Au-dessus de ce décor, on devait trouver ce que les décorateurs appellent une « nuict », c'est-à-dire une toile peinte représentant un ciel nocturne généralement parsemé d'étoiles. Pour passer du décor de rue à celui d'intérieur, on devait soulever la toile peinte qui représentait la façade de la maison d'Astrée. Lancaster évoque ce type de décor en ces termes : Une chambre était probablement faite d'un assemblage de planches de bois sur lequel on tendait une toile peinte. Quand le compartiment était fermé, cette toile représentait la façade de la maison où la chambre était située. Elle disparaissait quand il était nécessaire de voir à l'intérieur de la chambre. [61] Il semblerait que ce soit ce type de décor qui ait été utilisé pour la dernière pièce de d'Ouville. En raison de sa situation sur un des côtés du théâtre, les acteurs devaient sortir de cette chambre, selon une convention utilisée à l'époque des compartiments, pour indiquer au public où se déroulait l'action qu'il allait voir, et venir jouer au milieu de la scène. Pour le changement de décor de la scène 6 du cinquième acte, on devait rebaisser la toile devant la chambre le temps de la scène, ou bien laisser la toile relevée et se contenter de faire apparaître Leandre et Filemon en « un coin du theatre », comme le note d'Ouville, c'est-à-dire de la rue, afin de signifier que l'action ne se situait non plus dans la chambre, mais dans la rue, à l'extérieur. Le décor de la chambre, soit de l'intérieur de la maison d'Astrée, devait être assez neutre en raison de l'imprécision de l'identité de cette pièce. Il fallait en tout cas une autre porte dans le fond pour permettre à Léandre d'enfermer Astrée avec lui à la scène 10 du quatrième acte, et à Filemon de frapper de l'extérieur à la porte, puis d'entrer dans la chambre une fois que Leandre lui a ouvert. Il faudrait ajouter que la toile peinte, à partir du troisième acte, devait représenter un ciel diurne, et non plus nocturne comme pour les deux premiers actes. Les personnages portent des costumes de cour. Les trois personnages masculins, Alcipe, Filemon, et Leandre ont chacun une épée au côté. Il faut ajouter à la liste des accessoires la correspondance de Filemon et Florinde, le faux billet d'Alcipe, ainsi que des violons (et des violonistes). # Analyse dramaturgique des Soupçons sur les apparences. ## L'action. La dramaturgie de la comédie moderne se caractérise par un dénouement heureux, c'est-à-dire nuptial. Toute comédie se termine au moins par un ou deux mariages. Le dénouement nuptial de la comédie faisant office de règle, l'intrigue de la comédie est fondée sur les obstacles au mariage des jeunes gens amoureux, le plus souvent les parents ou plus largement l'autorité familiale, et sur la manière dont ces obstacles sont surmontés. Les *Soupçons sur les Apparences* d'Ouville appartiennent à un type de comédie où les parents ont pas ou peu de place dans l'intrigue. C'est le cas des premières comédies de Corneille qui font s'affronter des jeunes gens d'une même classe d'âge et d'un même milieu social. Dans la pièce de d'Ouville, l'action est construite autour de cinq jeunes gens, trois jeunes gens et deux jeunes filles, comme dans les premières comédies de Corneille dans lesquelles les jeunes gens étaient issus des quatre amants et du cavalier isolé de la pastorale. Au dénouement, face aux deux couples formés par Léandre et Astrée d'une part, et d'autre part Filemon et Astrée, Alcipe est isolé, et son isolement est symbolisé par son exclusion de la scène finale, du dénouement proprement dit. Enfin, l'action principale des *Soupçons* est du même type que celle des premières comédies de Corneille, c'est, en général, l'histoire de « deux amants en bonne intelligence, … brouillés ensemble par quelque fourbe, et … réunis par l'éclaircissement de cette même fourbe qui les séparait ». Les amants dont le couple est mis en péril sont Léandre et Astrée, mariés quand commence la pièce, tandis qu'Alcipe est le fourbe, prêt à tout pour détruire cette union. À cette première intrigue, à ce premier « fil » s'en superpose un autre, celui qui conduit au mariage d'Orphise et Filemon. Ces deux « fils », qui tissent les *Soupçons*, ont tous deux leur but et leurs obstacles spécifiques, mais sont en réalité étroitement intriqués. ### L'action principale ou le premier fil. Le « fil » central de l'action pourrait être résumé comme suit : Leandre et Astrée sont mariés et forment un couple uni, la vertu d'Astrée est louée par son mari, mais aussi par Sylvain qui tente de persuader son maître que son amour n'est pas raisonnable. Alcipe, qu'Astrée traite avec mépris, persuade Leandre que sa femme lui est infidèle et le trompe avec Filemon. Au dénouement la perfidie d'Alcipe est découverte, Leandre reconnaît son erreur et les époux se réconcilient. L'intrigue est en réalité plus complexe : le véritable « fourbe » qui brouille les époux ne sont autres que les apparences, trompeuses, causes des soupçons de Leandre sur la fidélité de sa femme. Alcipe ne serait pas un obstacle à l'union des époux si les apparences ne jouaient pas en sa faveur. L'obstacle est donc double et fait de l'union d'un obstacle plein constitué par Alcipe, qui veut désunir les amants, et d'un obstacle vide, imaginaire, qui naît des apparences et aide le projet d'Alcipe. Dans cette pièce, qu'on peut considérer comme un exercice de variation sur les apparences, nombreuses sont les « apparences » qu'Astrée est infidèle. Dès la scène 4 de l'acte I, avant même le retour de Leandre donc, Alcipe et Picart mettent en doute la vertu d'Astrée : Alcipe prend Picart, qui vient annoncer à Astrée que sa cousine est malade, pour un entremetteur ; Picart pense être pris pour « quelque galand … autresfois en faveur » [62] parce qu'il est mal reçu par Astrée qui le prend pour Alcipe. À la scène 5, se retrouvant devant une porte close, Leandre et Filemon croient à une escapade nocturne de la belle, et à la scène 6, Filemon se demande pourquoi Astrée ne veut pas faire part de l'attaque dont elle a été victime, si elle est innocente. Ces apparences sont souvent démenties après coup, n'empêche que le soupçon s'est insinué : LEANDRE. Vous avez, comme moy, mal pensé de ma femme. FILEMON. L'on garde comme vous un déplaisir en l'ame. [63] La dernière réplique de Filemon est ambiguë : si comme Leandre il regrette de s'être fait prendre aux apparences, qui sait si ce « déplaisir » n'est pas un soupçon récalcitrant. On peut donc penser que dès cet instant la croyance de Leandre en la vertu de sa femme est entachée. Les apparences de l'infidélité d'Astrée se poursuivent. À la scène 1 de l'acte II, Alcipe, qui ignore le retour de Leandre mais a vu Filemon entrer chez Astrée, s'imagine qu'ils sont amants. À la scène 1 du troisième acte, Orphise se demande quelques instants si sa cousine n'est pas attirée par Filemon devant les propos élogieux qu'elle tient. De mêmes propos, à la scène 7, conduisent Leandre à se poser la même question, d'autant qu'il la surprend en train de cacher une lettre à son approche, ce qui se reproduit à la scène 2 du quatrième acte. Jusqu'ici, les soupçons de Leandre à l'égard de sa femme n'ont pas été éveillés par Alcipe, mais bien par une série d'apparences trompeuses. À la scène 6 de cet acte, les deux obstacles, les apparences d'une part, et les actes d'Alcipe d'autre part, se rejoignent enfin avec le faux billet dans lequel Alcipe accuse Astrée et Filemon de tromper Leandre. Le faux billet d'Alcipe vient confirmer les soupçons de Leandre : « J'en ay pour mon mal-heur plus d'une conjecture [64] » dit-il, et plus loin, il ajoute : « En pourrois-je douter après tant d'apparences ? [65] » Les apparences seules permettent aux soupçons de s'insinuer dans l'esprit de Leandre, et Alcipe matérialise les craintes de celui-ci. À la scène 1 de l'acte V un nouveau palier est franchi, le mot de « vérité » est prononcé : Je croy, je sçay, je voy son infidelité, Ce n'est plus un soupçon, c'est une verité, Leur lâche trahison, me paroist toute nuë, Cette lettre convainc ma raison et ma veuë, [66] Cette lettre, Leandre l'a trouvée tout seul dans le cabinet d'Astrée, ce n'est pas une perfidie de plus d'Alcipe. Mais cette lettre, authentique même si elle n'est en réalité pas adressée à Astrée, vient confirmer les accusations du billet d'Alcipe, qui venait lui-même confirmer les apparences. Toutes ces apparences conduisent presque tous les personnages à soupçonner à un moment de la pièce la vertu d'Astrée, et conduisent surtout Leandre à recevoir pour vraies les calomnies d'Alcipe. Il faudrait ajouter un troisième obstacle à la réunion des époux, qui vient s'ajouter aux trahisons d'Alcipe et à tout l'engrenage des apparences qui, du premier acte au début du dernier, accusent Astrée. Cet obstacle réside dans le refus de Filemon de dévoiler qui, d'Orphise ou d'Astrée, il aime. En effet, si Filemon révélait dès l'acte III l'identité de la femme aimée, Leandre ne pourrait plus soupçonner sa femme de le tromper avec Filemon. Cette interrogation sur les sentiments du jeune homme laisse la place à d'autres soupçons sur les apparences, et nous amène à examiner l'autre « fil » de l'action, au cœur duquel est Filemon. ### L'action accessoire ou le second fil. Parallèlement à l'action principale de la pièce, qui obéit au schéma union-désunion-réunion, et qui aboutit à la réconciliation d'Astrée et de Leandre, se développe une autre intrigue qui mène au mariage de Filemon et d'Orphise. Il s'agit de l'intrigue menée, à partir du début du troisième acte, par Astrée pour que Filemon demande Orphise en mariage. Or ce projet initial est contrecarré par un obstacle : une rivale, Florinde. Cette femme, l'ancienne maîtresse de Filemon, est géographiquement éloignée du lieu de l'action, puisqu'elle est à Lyon, mais elle reste présente dans les propos de Filemon, et par la correspondance épistolière entre eux. En effet, si Filemon, à la scène 3 du troisième acte, révèle être tombé amoureux d'une femme depuis qu'il est arrivé à Paris, c'est-à-dire depuis la veille, et que cette femme ne peut être par déduction qu'une des deux cousines, son tempérament chevaleresque le tient à la disposition de son ancienne dame, et il peut à tout moment retourner à Lyon pour la protéger de la violence de son mari jaloux, si elle le lui demande. C'est pour parer à cette éventualité qu'Astrée imagine d'intercepter les lettres arrivant de Lyon au Courrier, et d'empêcher que celles de Filemon partent. On pourrait ajouter un second obstacle et qui consiste en réalité en une énigme, qui permet de faire se croiser les deux fils de l'action des *Soupçons* : à qui sont ces « deux beaux yeux » [67] qui ont séduit Filemon à son arrivée à Paris, ou plus précisément, à laquelle des deux cousines ? Le dénouement de cette seconde intrigue ne consiste d'ailleurs pas en la réussite de l'entreprise d'Astrée pour séparer Filemon de Florinde. Filemon le dit aux vers 1595-1596 : Il n'estoit pas besoin de prendre ce souci : J'ay bien dedans le sein une autre ardeur aussi. Son dénouement consiste bien en la révélation de l'unique inconnue de toute la pièce, l'identité de la femme aimée. Il s'agit d'une révélation et pour les personnages, et pour les spectateurs, quoi que les bienséances s'opposaient à ce qu'un homme « généreux », un « cavalier », allât déclarer son amour à l'épouse de son ami et hôte. Filemon n'est pas Alcipe. Pour ce qui concerne les autres soupçons sur les apparences, les spectateurs sont complices d'Astrée : ils l'ont vue aller chez sa cousine, ils savent pourquoi des lettres de Filemon se trouvent dans son cabinet. ### L'unité d'action ou le croisement des deux « fils ». Interrogations sur les sentiments réels de Filemon, lettres lues par les jeunes femmes en secret des hommes, de Filemon, mais aussi de Leandre qui est son ami, le second « fil » des Soupçons est nécessaire au développement du premier. L'intrigue d'Astrée pour aider sa cousine à conquérir le cœur de Filemon en le détournant de Florinde, permet le jeu des lettres lues en secret et cachées, et alimente donc les soupçons de Leandre sur les relations qu'entretient Astrée avec son ami de Lyon [68]. Or ce sont précisément les soupçons sur la nature de ces relations qui sont au cœur de la pièce et deviennent le principal obstacle à la réunion du couple initial, d'Astrée et de Leandre. En liant aussi étroitement les deux « fils » de l'action, d'Ouville se conforme à une des règles fondamentales de l'unité d'action, qui a cours depuis 1640 environ : « chaque action accessoire doit exercer une influence sur l'action principale » [69], et non l'inverse, et « aucune action accessoire ne doit pouvoir être supprimée sans rendre partiellement inexplicable l'action principale » [70]. L'action des Soupçons, comme l'a reconnu Lancaster, est très habilement construite. Cependant, si l'action accessoire, l'intrigue menée par les femmes, est nécessaire à l'action principale, elle n'apparaît que tardivement dans la pièce. L'action principale commence *in medias res* : Alcipe courtise Astrée depuis des mois, Astrée est lasse des assiduités d'Alcipe [71] ; soit juste avant la péripétie, le retournement de situation, que constitue, à la scène 5 du premier acte, le retour du mari, Leandre, qui ruine momentanément les desseins d'Alcipe. Le retour de Leandre permet en outre l'introduction d'un nouveau personnage indispensable pour la suite de l'action : Filemon. La pièce semble ainsi se diviser en deux moments distincts autour du troisième acte : d'un côté les deux premiers actes nocturnes tournent autour des tentatives d'Alcipe pour séduire Astrée, et ces actes sont d'ailleurs dominés par la présence d'Alcipe ; de l'autre, les deux derniers actes sont centrés sur la jalousie grandissante de Leandre et de nouvelles tentatives d'Alcipe pour enlever Astrée. Au centre, le troisième acte est plus serein, dominée par les femmes. Une nouvelle intrigue, galante celle-ci, vient se superposer à la première, l'intérêt du spectateur ne se porte plus sur les perfidies d'Alcipe, qui n'apparaît pas une seule fois dans cet acte, qui s'achève cependant sur les premiers soupçons de Leandre concernant l'honnêteté de sa femme. Les deux « fils » se sont rejoints. ### Astrée et Filemon à l'intersection des deux fils. Ainsi, l'action des *Soupçons* est composée de deux « fils » étroitement entremêlés. Or, quels sont les deux personnages ayant un rôle dans ses deux intrigues ? Astrée et Filemon, personnages autour desquels tournent les soupçons des trois autres personnages, et du spectateur, du moins en ce qui concerne les sentiments de Filemon. On pourrait dire qu'Astrée et Filemon forment presque un troisième couple, fantasmé celui-ci, mais qui s'il était réel mettrait en péril les deux couples tels qu'ils apparaissent au dénouement. Leandre considère Filemon comme un obstacle qui le sépare d'Astrée, tandis que cette dernière, bien plus que Florinde, fait peut-être de l'ombre à Orphise. Astrée et Filemon apparaissent bien alors comme les héros de la pièce. Astrée est le personnage central de la pièce, celui qui est présent dans le plus grand nombre de scènes, même si elle parle beaucoup moins que Leandre et Filemon. Elle est convoitée par Leandre et Alcipe, et ne laisse pas indifférent Filemon. On a enfin montré que beaucoup des soupçons des personnages tournaient autour de ses agissements. Qu'Astrée apparaisse comme le personnage central de la pièce n'a rien d'étonnant. En revanche, il est plus intéressant de constater que le personnage masculin qui lui fait pendant est non pas Leandre, le mari, mais Filemon, l'ami du mari. Des trois personnages masculins le moins présent sur scène [72], il est celui qui prononce le plus grand nombre de vers, et à qui sont attribuées les deux récits qui constituent les deux plus longues tirades de la pièce. Si c'est à la maîtrise de la parole qu'on mesure l'importance d'un rôle dans une pièce de théâtre, Filemon est le personnage central. Peu présent sur scène, il est néanmoins présent dans la scène maîtresse, la plus longue, de chaque acte : arrivée de Leandre et Filemon (I,5) ; récit de Filemon à Leandre devant Alcipe, mettant en abyme la tentative d'enlèvement de ce dernier (II,6) ; récit de Filemon à Astrée et Orphise de ses aventures avec Florinde et des raisons pour lesquelles il a fui Lyon (III,3) ; explication mensongère de Leandre après avoir été pris en flagrant délit de vouloir assassiner Astrée par Filemon alerté par Hyppolite (IV,11) ; explication finale entre Leandre et Filemon (V,6) [73]. À ces scènes maîtresses, il faudrait ajouter la première scène du troisième acte, une des plus longue de la pièce, où Filemon, absent, est cependant l'objet des confidences d'Astrée et d'Orphise. ## Le lieu. En plaçant son action à Paris, d'Ouville inscrit sa pièce dans la ligne des comédies contemporaines où est mise en scène la bonne société parisienne. Les hauts lieux de la mondanité parisienne sont évoqués : la Place Royale, le Théâtre, le bal. Le lieu de l'action est cependant beaucoup plus restreint que ne le laisse entendre l'indication liminaire : l'action est circonscrite dans un périmètre comprenant le carrefour devant la maison d'Astrée et une pièce de l'intérieur de la maison de cette dernière. L'unité de lieu, au sens large, est respectée dans les *Soupçons*. Même la demeure d'Orphise, bien que hors scène, se situe à proximité, et cette proximité est importante car elle justifie aux spectateurs le fait qu'Astrée puisse partir de chez elle pour se rendre chez sa cousine à la scène 4 du premier acte, et en revenir deux scènes plus loin, et de même que Leandre s'y rende à la fin de la scène 5 et soit de retour à la scène 7. Les allées et venues des personnages d'un lieu à l'autre dans un temps restreint peuvent ainsi se faire sans invraisemblance. C'est également sans invraisemblance que les époux ne se croisent pas lors de leurs allées et venues, d'Ouville prend le soin de faire dire à Leandre qu'Astrée est venue : « Par ce chemin, sans doute, et moi par cette ruë. [74] » De même, au cinquième acte, la rue dans laquelle Leandre attend Filemon pour le provoquer en duel est dite à plusieurs reprises la « prochaine ruë ». C'est indiquer au spectateur que même si l'action se déroule dans deux, ou trois, lieux différents [75], ces lieux restent proches. Si le premier lieu, le carrefour comique, ne pose pas de problèmes quand à la vraisemblance, il n'en est pas de même de la chambre représentant l'intérieur de la maison d'Astrée. D'Ouville ne nous donne pas d'éléments sur celle-ci, mais nous devons vraisemblablement penser que la chambre représente la même pièce dans les trois derniers actes. On pourrait dire qu'il s'agit d'une pièce « à volonté », pour reprendre le mot des décorateurs de l'Hôtel de Bourgogne à propos des palais de la tragédie. En effet, cette pièce que nous pourrions considérer au début du troisième acte comme étant l'appartement d'Astrée, car celle-ci et sa cousine s'y livrent à des confidences intimes, est aussi un lieu de passage pour aller au Courrier. De plus Astrée et Orphise se retirent pour poursuivre ailleurs leur entretien, et Filemon, Leandre, et Alcipe y entrent sans cérémonie. Leandre vient y faire ses monologues, parle de la lettre qu'il a trouvée dans le « cabinet » d'Astrée. Il faut en conclure que la pièce dans laquelle se déroule l'action des trois derniers actes n'a pas d'identité propre, est une pièce neutre. ## Le temps. La règle des 24 heures est strictement respectée [76]. L'action commence à la nuit tombée et s'achève le lendemain, vraisemblablement dans l'après midi. La proximité des lieux que nous avons évoquée précédemment contribue à cette concentration du temps. Le temps des trois derniers actes par rapport aux deux premiers est rapporté à l'arrivée de Filemon qui a eu lieu la veille. Astrée à la scène 1 du troisième acte fait allusion à la messe du matin à laquelle a assisté Orphise. Cette indication constitue le seul élément qui permette de scander la journée. Les deux premiers actes, nocturnes, semblent se succéder assez près dans le temps. Pas d'événement majeur n'a lieu dans l'entracte [77] qui sépare le premier acte du second. La même atmosphère nocturne règne dans les deux actes. La seule réelle rupture temporelle a lieu entre le deuxième et le troisième acte : la nuit a passé, Orphise s'est remise. Nous avons vu que cette rupture temporelle s'accompagnait d'une rupture spatiale [78], et surtout d'une rupture d'intérêt : les entreprises d'Alcipe pour obtenir les faveurs d'Astrée sont momentanément laissées de côté, Astrée et Orphise sont au cœur de l'action. Les trois derniers actes s'enchaînent comme les deux premiers, sans que la division actancielle soit pleinement justifiée : aucune action significative n'a lieu dans les entractes. Entre le troisième et le quatrième acte, Hyppolite a remis la lettre, qu'elle a prise à Valentin à la fin du troisième acte, à sa maîtresse ; entre le quatrième et le cinquième acte, Leandre a découvert dans le cabinet d'Astrée cette même lettre qui achève de convaincre Leandre de la culpabilité de sa femme. La concentration de l'action dans le temps montre que l'action des *Soupçons* commence *in medias res*, au moment du retour de Leandre à Paris avec Filemon. Alcipe harcèle Astrée depuis déjà six mois. ## La correspondance par lettres. Lancaster, dans sa notice sur les *Soupçons*, écrit que la seule peinture de mœurs dans la dernière pièce de d'Ouville, serait à chercher, éventuellement, dans la manière qu'ont les personnages d'ouvrir et lire les lettres qui ne leur sont pas destinées. La correspondance par lettres tient un rôle important dans la pièce et participe de l'esthétique de la dissimulation. On compte cinq lettres dans les *Soupçons*. Ecrites en prose, elles rompent le rythme des alexandrins, et introduisent une autre dimension dans la pièce. Toutes ces lettres ont pour caractéristique soit de ne pas être lues par leur véritable destinataire, soit d'être mensongères. Astrée, à la scène 6 du troisième acte, lit la lettre de Florinde à Filemon qu'Hyppolite a été chercher au Courrier, et à la scène 1 du quatrième acte, celle que Filemon envoie à Florinde pour lui demander de se méfier car leur correspondance est surveillée. À la scène 1 du cinquième acte, Leandre a trouvé cette même lettre dans le cabinet d'Astrée et imagine qu'elle en est la destinataire, à la scène 4 du quatrième acte, Leandre lit la lettre qu'Alcipe adresse à Filemon avant son ami pour voir ce qu'elle contient. La lettre apparaît ainsi comme un instrument privilégié de la feinte. En substituant au Courrier les lettres de Filemon et de Florinde, Astrée espère détourner Filemon de son ancienne maîtresse. Elle se justifie au dénouement en arguant de la fausseté, ou au moins de l'exagération, des sentiments dans les lettres [79]. Une lettre n'est finalement qu'un bout de papier avec des mots écrits dessus, sincères ou mensongers, auxquels on peut faire dire tout ce que l'on veut. La lettre fait figure de témoin pour Leandre de l'infidélité de sa femme : à deux reprises, il la surprend en train de cacher une lettre, et quand il trouve celle que Filemon adressait à Florinde dans le cabinet de sa femme, il la prend pour ultime preuve. Instrument de la feinte, la lettre l'est surtout pour Alcipe, dont la première lettre adressée à Filemon n'est qu'un mensonge pour obtenir à nouveau les faveurs de Leandre et le persuader de ses bonnes intentions, tandis que le billet qu'il adresse à Leandre calomnie sa femme et l'ami qu'il reçoit. Filemon réfute d'ailleurs facilement les deux lettres qui l'accusent lors de son face à face avec Leandre. # Les caractères. Les onze personnages, ou « acteurs », des *Soupçons sur les Apparences* peuvent se diviser en deux catégories : d'une part les cinq jeunes gens autour desquels tourne l'action, d'autre part les comparses, composés des valets des jeunes gens et de personnages plus ponctuels, comme Picard [80], les Violons [81], et le Voisin [82], ce dernier n'apparaissant même pas dans la liste initiale des « Acteurs » [83]. L'action repose donc uniquement sur les cinq jeunes amoureux issus de la pastorale. Chose intéressante, les parents sont absents de la comédie. La seule mention de l'autorité familiale en tant qu'obstacle traditionnel à l'amour des jeunes gens intervient dans le récit de Filemon de la scène 3 du troisième acte, et n'a donc pas d'emprise sur l'action. L'autorité familiale est ici incarnée dans la figure du mari. Les *Soupçons* se caractérisent en effet par la mise en scène d'un couple déjà marié au début de la pièce. Cette situation est rare dans la comédie d'après 1630, et s'explique par la volonté des auteurs de distinguer la grande comédie renaissante de la farce, qui mettait en scène le trio mari cocu/femme infidèle/amant. Dans les *Soupçons*, ce trio apparaît bien d'ailleurs en filigrane : Leandre craint d'être fait cocu, Astrée est accusée d'être infidèle, et Alcipe et Filemon, tous deux pour des raisons différentes, peuvent apparaître comme les amants potentiels : Alcipe voudrait que ce trio soit effectif, tandis que Leandre se persuade qu'Astrée et Filemon sont amants. C'est donc le trio de la farce qui est réactivé, et l'originalité de la pièce  est de faire de la femme mariée une femme vertueuse. Pour rester dans le ton de la comédie, le couple formé par Leandre et Astrée ne doit pas être brisé. Si Leandre était réellement trompé, la pièce deviendrait une farce ; si Leandre tuait réellement sa femme vertueuse et donc innocente, par jalousie, la pièce deviendrait une tragi-comédie ou une tragédie du type d'*Othello* [84]. Si dans la comédie du milieu du XVII*e* siècle le thème du « change » est fréquent, et si les couples de jeunes gens se font et se défont selon la loi de la nature, la bienséance s'oppose aux errements d'un couple marié. L'Hymen est sacré. Filemon, en revanche, peut être inconstant car il n'est pas marié : il a aimé Florinde, il aime à présent Orphise. Enfin, outre le spectre de la farce, la présence d'un couple marié est d'autant plus rare dans ces années là, que la scène française est dominée par la comedia. Or, en Espagne, en raison de leur caractère sacré, jamais mères et épouses ne sont montrées sur le théâtre. Tous les personnages des *Soupçons* sont ce que Roger Guichemerre appelle des « caractères conventionnels », caractérisés par leur rôle dramaturgique : le ou les jeunes premiers et jeunes premières, le rival, les auxiliaires. Les « types traditionnels », tels que valets bouffons, capitans, et autres docteurs sont absents de la dernière pièce de d'Ouville. Nous allons maintenant étudier ces différents caractères dans l'ordre dans lequel ils sont mentionnés dans la liste des « Acteurs ». ## Les jeunes gens. **Leandre**, le mari d'Astrée, conjugue les fonctions de mari et de jeune homme. Avant tout mari, Leandre en a la caractéristique comique fondamentale : la hantise d'être fait cocu. Il y est fait référence explicitement à deux reprises dans la pièce [85] : la tradition veut que des cornes poussent sur le front du mari trompé, et la rougeur du front irrité par la poussée des cornes en est le premier signe. Parallèlement, en tant que mari, il représente la figure de l'autorité. Il a le pouvoir sur sa femme et peut la répudier, comme le lui suggère d'ailleurs Alcipe. L'autorité familiale, traditionnellement dédiée au père est ici conférée au mari. Sous l'Ancien Régime, la femme passe de l'autorité du père à celle de l'époux, et ne devient libre qu'une fois veuve (sauf en Espagne, où elle retourne sous l'emprise familiale, comme le personnage d'Angélique, veuve cloîtrée chez elle par son frère dans les *Fausses veritez* !). Orphise, sa parente, est également sous sa tutelle. Alcipe, puis Filemon, doivent passer par lui pour obtenir sa main. Leandre a cependant aussi les caractéristiques d'un jeune homme au sens de l'honneur très poussé : devoir d'hospitalité (I, 5), importance du « point d'honneur » [86], maniement de l'épée (il suit Filemon parti à la poursuite des prétendus « filoux » qui ont blessé Alcipe). Leandre a pourtant un comportement contradictoire : du jeune homme il a la fougue et la passion, et si l'honneur lui interdit de tuer Filemon à l'intérieur de sa maison, dans sa fureur il est prêt à poignarder sa femme. Il ne peut d'ailleurs pas reconnaître cette action honteuse devant témoins, et prétend à Hyppolite, qui a surpris ses menaces, de les avoir mal interprétées. Leandre est le personnage qui évolue le plus au cours de la pièce. Aveuglément persuadé de la vertu de sa femme, tellement que Filemon s'en moque, au début de la pièce, il est tout aussi convaincu de sa trahison à la fin de la pièce. Leandre est le seul personnage à avoir des monologues, si on exclut celui d'Hyppolite qui a une valeur plus morale. À cinq reprises seul en scène, à partir de la fin de l'acte III, Leandre passe du soupçon à la certitude et le spectateur est témoin du mouvement de sa pensée. Leandre, plus qu'Alcipe, donne sa tonalité sombre, tendue, à la pièce. Son caractère de jaloux ne lui attire pas la sympathie du spectateur, d'autant plus qu'il est mis en parallèle avec le mari jaloux de Florinde. **Filemon** est l'héritier du *caballero* de la *comedia*. Caractérisé par sa « generosité », la noblesse de son sang et surtout de son âme, c'est le « Cavalier ». Comme le chevalier médiéval, il se met au service de sa Dame, ou de ses Dames, généralement mariées, sans rien attendre de retour. Il promet protection à son ancienne maîtresse, défend Astrée à deux reprises, d'abord contre Alcipe qui tente de l'enlever, puis contre son mari prêt à la tuer, et serait prêt à venir secourir Orphise s'il était besoin. Cavalier, il est un homme de « cœur » et de « courage » qui n'hésite pas à manier l'épée. Écoutons Astrée : Genereux Cavalier, je ne sçaurois moins faire Que de vous appeler mon Ange tutelaire ; Encor que le peril ne fut que supposé Pour l'eloigner de moy, vous avez tout osé : Le pouvoir d'un mari, ses fureurs, son ombrage, N'ont point intimidé vôtre illustre courage. [87] C'est un « honneste homme » [88], comme il se présente lui-même dans son récit. Astrée vante ainsi ses mérites à sa cousine : Il n'ignore pas un des termes à la mode, A tout ce que l'on veut son esprit s'accommode. Qu'on le mette au cageol ou sur le serieux, Il s'en rencontre peu qui s'en demèlent mieux. Vous parlez de son port ; que voit-on qui n'agrée ? [89] Cette capacité de discourir de tous les sujets, n'est-ce pas la première qualité de l'honnête homme ? D'autre part, le récit de ses amours contrariées avec Florinde donne à ce personnage une grande profondeur romanesque. Filemon est aussi une figure de l'amant, à la fois inconstant et passionné, tombant immédiatement amoureux, galant [90]. On peut enfin considérer Filemon comme une figure de l'ambiguïté dans la pièce. Filemon demeure un personnage énigmatique pour les deux jeunes femmes, ses propos sont ambigus : Il n'est point de danger que je n'affronte ainsi Pour vous servir, Madame, et vous Madame aussi. [91] Filemon maîtrise l'ironie, le langage à double sens. Il n'est pas dupe du portrait trop parfait que fait de sa femme son ami à la scène 5 du premier acte, il s'amuse de la colère d'Alcipe dont il a révélé à Leandre l'entreprise malheureuse. **Alcipe** est la figure du rival perfide, tel qu'on le trouve dans les premières comédies de Corneille. C'est l'ami qui trahit son ami par amour, qui se laisse envahir par la passion plus forte que la raison et l'amitié. Cette situation est posée dès la première scène. À son valet Sylvain, qui veut le rappeler à la raison et à son devoir, il rétorque : L'on ne respecte rien en pareille rencontre. Les plus parfaits amis, les plus proches parents Ne passent en amour que pour indifférents. [92] Puis seul, il s'adresse à Leandre absent : Tu m'opposes la loy d'une amitié jurée, J'oppose à ceste loy tous les charmes d'Astrée. Selon les sentimens d'un cœur comme le mien, Où l'on void tant d'appas, un amy n'est plus rien [93] Alcipe légitime la trahison de l'ami par des forces supérieures contre lesquelles l'homme est impuissant. Le rival perfide est donc le personnage qui crée le conflit au sein de l'harmonie du début de la pièce, symbolisée par le couple uni. Méprisé par la femme qu'il aime, il décide d'utiliser la force pour la vaincre. L'usage du billet anonyme pour dénoncer les agissements d'autres personnages et donc tromper son rival, est un procédé fréquent dans la comédie préclassique, avec l'usage des fausses lettres. Si Alcipe présente donc quelques-unes des caractéristiques fondamentales du rival perfide cornélien, il s'en distingue en ce qu'il est dénué d'évolution dans le cours de la pièce. Du début à la fin, Alcipe reste le même, il n'éprouve à aucun moment du remord à trahir son ami, et il est finalement banni de la scène, seul personnage absent du dénouement. De nombreuses scènes se terminent sur l'expression de sa volonté à persévérer dans son entreprise et à vaincre Astrée. Alcipe est donc un personnage bas, dénué de scrupules. S'il connaît une gradation au cours de la pièce, c'est bien dans la radicalité de ses procédés pour vaincre Astrée, et non dans une quelconque rédemption. Après avoir essayé de la séduire pendant l'absence de son mari, il décide de passer à l'agression physique à la fin du premier acte. Le retour du mari ne le ramène pas à la raison. Après avoir feint la soumission devant Astrée, il obtient ses entrées chez Leandre en faignant d'aimer Orphise, et en profite pour tenter une nouvelle fois d'enlever Astrée, mais il est arrêté dans son entreprise par l'arrivée de la cousine et de la servante. Le summum est atteint avec l'avant-dernière scène, où Alcipe ne craint plus de montrer son vrai visage devant elles. Parallèlement à cette évolution, alors qu'il n'espérait au début de la pièce que de faire Léandre cocu, il suggère à Leandre de répudier sa femme, avant d'envisager la situation où Leandre pourrait être tué en duel par Filemon et Astrée devenir veuve. L'objet de la convoitise d'Alcipe est bien le « lict » d'Astrée, et il ne s'en défend plus devant elle. Alcipe apparaît ainsi comme l'antithèse exacte de Filemon. À sa bassesse d'âme se joint la lâcheté. S'il se sert de sa force contre les plus faibles, Astrée en l'occurrence, il refuse de se battre, envoyant les autres à sa place, et prend à deux reprises la fuite, d'abord devant Filemon au premier acte, puis au dénouement. Son valet, Sylvain, est supérieur à lui. Se retrouvant dépourvu devant Leandre dont il ignorait le retour à la scène 2 du deuxième acte, il simule la folie conseillé par Sylvain et tient donc des propos incohérents, pendant que le valet invente pour lui un mensonge cohérent et mène l'action. **Astrée** est la figure centrale de la pièce, l'astre [94] autour duquel gravitent les autres personnages, et elle illumine en effet la pièce par sa beauté [95] et son esprit. De même que la « generosité » est l'apanage de Filemon, la « vertu » est la qualité d'Astrée, et c'est autour de ce thème que tourne la pièce. La vertu d'Astrée est affirmée dès le début de la pièce, par son mari, bien sûr (I, 5), mais aussi par Sylvain qui tente de détourner Alcipe de son entreprise : L'amour qu'elle luy porte, est sans comparaison. En quelque lieu qu'il soit le mari, il possede son âme, Et la vertu du sexe, est toute en cette femme ; [96] Et à sa cousine qui lui fait remarquer l'ambiguïté des ses propos sur Filemon, elle répète : Ma vertu se soutient, sans que l'on la soutienne, Au prix de mon mari l'estranger ne m'est rien. [97] Cependant, si nous ne remettons pas en doute la vertu d'Astrée, nous ne pouvons que sourire au portrait idéalisé qu'en fait Leandre [98]. Bien que mariée, Astrée appartient à la catégorie des jeunes filles intrépides et hardies, meneuses d'intrigues, de la comédie à l'espagnole, affectionnées par d'Ouville. Elle met au point tout un stratagème pour retenir Filemon auprès de sa cousine : Nous mettrons tant la ruse, et l'intrigue en usage, Que nous l'empêcherons de faire ce voyage [99] sans jamais le révéler à son mari, ce qui pourtant la disculperait. Elle inspire à sa servante, Hyppolite, ses considérations sur les « ressors divers [100] » de l'esprit féminin. Cette jeune femme, brillante dans tous les sens du terme, et vertueuse, n'en est pas moins montrée sensible au charme et à la courtoisie de Filemon, seul, finalement, parmi les trois personnages masculins de la pièce à la respecter. Et peut-être n'est-elle pas loin d'éprouver pour l'ami de son mari des sentiments semblables à ceux que la Comtesse du *Mariage de Figaro* éprouve pour Chérubin, à la différence que Filemon est un homme accompli. Toujours est-il qu'Astrée, jeune mariée, est en bute à la brutalité de son mari et reçoit les hommages ambigus d'un Cavalier. Les jeunes filles des comédies à l'espagnole ne tombent-elles pas souvent amoureuses de celui qui leur a sauvé la vie ? Tandis que sa cousine craint que Filemon ne l'aime pas, Astrée craint qu'il ne l'aime, et elle répond à sa cousine : Vôtre soupçon, cousine, est juste, je l'avouë, Dans le doute où je suis, je le blâme et le loue ; S'il m'aime, il se méprend : s'il vous aime, il fait bien ; D'Orphise il aura tout, d'Astrée il n'aura rien. [101] La tension atteint bien sûr son comble au dénouement, quand Astrée, après avoir demandé à Filemon de dévoiler son secret, ne veut plus l'entendre [102]. La tension est telle que lorsque Filemon dévoile enfin son amour à Orphise, Astrée a cette exclamation magnifique : « O Ciel ! quelle surprise ? [103] » L'exclamation [104] finale montre à quel point Astrée est surprise, soulagée… ou déçue ? Pour finir, nous citerons l'hommage que rend Roger Guichemerre  à cette dernière : Dans toute ces pièces qui mettent en scène un couple marié, on ne rencontre guère qu'une femme mariée qui échappe à l'insignifiance ou à la convention, et dont le caractère présente quelque originalité. [105] Il s'agit d'Astrée. **Orphise** est plus effacée que sa cousine, sans laquelle elle ne paraît jamais sur scène. Dans l'intrigue, elle n'est qu'un personnage secondaire, et la seule initiative qu'elle prend est d'aller trouver sa cousine pour lui avouer son amour, même si cette initiative est importante pour la suite de l'action, puisqu'elle est le point de départ de la seconde intrigue. À côté de sa cousine, mariée et intrépide, Orphise est conforme au type de la jeune fille amoureuse, et si sa participation à l'action est réduite, la peinture de son caractère est assez subtile, au point que Guichemerre la considère comme l'un des personnages de jeunes filles les plus originaux, aux côtés de Dorotée ou de Flore [106], autres personnages de d'Ouville par ailleurs [107]. Orphise a la pudeur de l'ingénue qui ne veut d'abord pas avouer son amour, mais se révèle ensuite amoureuse passionnée : ORPHISE. Ah ! ma chère cousine excusez moy de grace, Je brûle, et j'essayois de paraître de glace, J'ay veu ce Cavalier, son visage m'a pleu. ASTREE. En un mot vous l'aimez ? ORPHISE. Non pas, mais je l'ay veu. [108] Elle trouve présomptueux de convoiter le cœur de Filemon qui est certainement pris [109], et devant l'attitude étrange de Filemon est en proie aux mêmes doutes que sa cousine, avance tous les arguments tendant à prouver que Filemon aime Astrée, craint de ne pas être aimée, et quand Filemon révèle enfin à tous son amour, en jeune fille faussement obéissante, elle se soumet au choix de son tuteur, Leandre. ## Les comparses. Les valets, dans les *Soupçons*, sont cantonnés au rôle d'adjuvants de leurs maîtres. Ils ne correspondent ni au *zanni* de la *commedia dell'arte*, caractérisé par son habileté, sa ruse et son absence de scrupule, ni au *gracioso* de la *comedia*, aimant boire et manger, souvent peureux, bouffon, source de comique. **Sylvain**, le valet d'Alcipe, est le plus important des trois : le plus individualisé, et le plus présent sur scène. Du *zanni* de la *commedia dell'arte*, il a hérité l'habileté et la ruse. Après avoir tiré son maître d'embarras à la scène 2 de l'acte II en faisant le récit de son combat contre les filous pendant que son maître faisait semblant de retrouver ses esprits, il se présente comme « habille homme » [110] : Il se trouve des Clercs, plus ignorans à Rome. Et sans faire du vain, je jurerois ma foy, Qu'on en void dans Paris de plus badauts que moy. Mon esprit a paru dedans mon personnage, Lors que de ces filoux j'ay supposé l'outrage. [111] Il se distingue cependant du* zanni* par sa moralité. Il réprouve les entreprises de son maître, tâche de l'en dissuader, et quand il n'y parvient pas, le met en garde contre les suites. Et même quand à la fin Alcipe se croît proche du but, Sylvain est là pour lui rappeler le cours incertain des événements. Au dénouement, après la fuite d'Alcipe, il confirme à Leandre les accusations de Filemon, ainsi que sa complicité envers son maître, mais finit par ces mots : Et bien-tost en ce jeu l'on m'eut veu le trahir, N'eust esté qu'un valet doit toûjours obeïr. [112] **Valentin**, le valet de Filemon, serait plus du genre du *gracioso* de la *comedia* par son parler imagé, son aspect lourdaud, et l'esquisse de son caractère peureux. Sa partition n'est cependant pas assez importante, et les scènes avec son maître quasiment absentes, pour en faire un digne héritier de ce type espagnol généralement haut en couleurs. **Hyppolite** est la servante d'Astrée. Tout comme Valentin, elle est réduite au rôle d'auxiliaire de sa maîtresse. Elle est cependant caractérisée par le même esprit que sa maîtresse, à laquelle elle s'associe d'ailleurs dans son monologue de louange de l'esprit féminin. [113] Elle appliquera ses maximes avec Valentin à la scène suivante pour obtenir de lui les lettres de Filemon. En dépit de leur place infime dans l'action, le mot de la fin revient aux valets. Cela n'a rien d'original. Dans la comédie du XVII*e* siècle, les serviteurs sont très souvent présents dans la scène finale, comme la plupart des personnages de la pièce, sauf quand ils ont été volontairement exclus, comme Alcipe. La tradition veut que chaque personnage dise quelque chose à la fin de la pièce, d'où les apartés de Valentin [114]. Les derniers mots de comédie sont souvent prononcés par les valets, sous forme d'une réflexion morale et plaisante. Si Valentin et Hyppolite ne rompent pas l'illusion comique en s'adressant directement à la salle, comme dans la tradition latine du *valete et plaudite*, ce sont tout de même eux qui sont chargés par l'auteur dramatique de clore la comédie : VALENTIN. Hyppolite di moy si tu m'aimes encore ? HYPPOLITE. Non, c'est peu de t'aimer, Valentin, je t'adore. VALENTIN. Je pensois échapper de tes mignons appas. HYPPOLITE. Tu le peu faire encore ; car je ne t'aime pas. [115] Après la conclusion de la comédie par le traditionnel double mariage, même s'il s'agit dans les Soupçons de la consolidation d'un mariage déjà accompli et d'un vrai mariage [116], les valets, toujours selon la tradition, semblent former un troisième couple. Hyppolite et Valentin reprennent leur badinage là où ils l'avaient laissé à la scène 10 du troisième acte, et, originalité dans la comédie du XVII*e* siècle, se renvoient mutuellement. C'est l'occasion pour d'Ouville de finir sa pièce légèrement et de provoquer le sourire du spectateur. C'est l'occasion aussi, toujours selon la tradition de la comédie latine, de le faire réfléchir. Cette pirouette finale peut donner lieu à de multiples interprétations. S'agit-il seulement d'un badinage amoureux inoffensif, ou s'agit-il aussi de la mise en abyme de sentiments plus profonds qui se jouent entre leurs maîtres, et plus généralement peut-être du sentiment amoureux même ? Les derniers mots, « je ne t'aime pas », closent une pièce dans laquelle le couple formé par Leandre et Astrée a été fortement compromis, et dans laquelle l'amour de Filemon pour Orphise n'a pas été une évidence. De quoi se demander à la fin, avec Filemon, « si tout ce bon-heur n'est pas illusion ». Quelle que soit la réponse, la question des apparences est une dernière fois posée. Ce doute final ouvre un éventail d'interprétations au metteur en scène. # Une héroïco-comédie. ## Un hapax dans les sous-genres dramatiques du XVII*e* siècle. Les *Soupçons sur les apparences* sont l'unique héroïco-comédie de la production dramatique du XVII*e* siècle [117]. Il apparaît donc que le terme « héroïco-comédie » a été non seulement forgé par d'Ouville en 1650 pour définir sa nouvelle et dernière pièce, mais représente en plus un hapax parmi toutes les dénominations qui ont été données aux pièces de théâtre au XVII*e* siècle. Cette étrangeté a d'ailleurs contribué à nourrir de nombreuses confusions. Ainsi, Maupoint, Beauchamps et les Frères Parfaict parlent d'« héroï-comédie », mais étant donné que ce terme est lui-même un hapax, il ne représente pas un contresens. Plus grave apparaît la confusion opérée par Leiris, Clément et Laporte, qui parlent de « comédie héroïque ». Ce terme, inventé en 1650 par Pierre Corneille pour qualifier sa pièce* Dom Sanche d'Aragon*, recouvre une réalité toute autre. Corneille, dans l'épître qui précède sa pièce, explique et justifie la nécessité d'un nom spécifique pour un nouveau type de pièce dont l'action ne présente pas de grand péril [118] pour les personnages, mais dont le personnel est illustre. L'action de *Dom Sanche*, en dépit du caractère illustre de ses personnages, reste une action de comédie, et ce n'est que le statut de ses personnages qui justifie l'épithète « héroïque » qu'il lui accole, pour la distinguer de la simple comédie. Nous voyons que l'héroïco-comédie de d'Ouville n'est en aucun cas une comédie héroïque : les personnages mis en scènes ne sont pas des rois ou des héros mi-homme, mi-dieu, mais des jeunes gens de la bonne société parisienne, et lyonnaise, contemporains, comme on en trouve de nombreux exemples dans la comédie du milieu du XVII*e* siècle. La confusion, ou du moins l'analogie, avec la comédie héroïque, et plus largement la tragi-comédie persiste au XX*e* siècle. Jacques Scherer considère que l'héroïco-comédie, et donc la pièce de d'Ouville puisqu'il n'y en a pas d'autre, est à ranger parmi la production tragi-comique du XVII*e* siècle, il en est de même pour Hélène Baby qui fait rapidement allusion à l'héroïco-comédie en début de son chapitre intitulé « La tragi-comédie, et le désaveu cornélien : la comédie héroïque » [119]. Il faut noter cependant que ces classifications sont opérées à partir du sous-titre des œuvres dramatiques, et non de ce qu'elles sont réellement. Les auteurs dramatiques du XVII*e* siècle se sont caractérisés par leur recherche incessante de nouvelles dénominations, et d'Ouville s'inscrit dans cette lignée. Mais de ces regroupements nous pouvons conclure que dans l'histoire de la production dramatique du XVII*e* siècle, l'héroïco-comédie d'Ouville est jugée comme un sous-genre de la tragi-comédie. Lancaster définit les *Soupçons* comme « a sort of tragi-comedy of treachery and jealousy [120], though he d'Ouville classified it as an ‘heroïco-comedie'. » [121] Pour arguments, il cite l'atmosphère sombre des deux premiers actes, le fait qu'un homme soit blessé dans un combat sur la scène, les nombreuses menaces de mort, la tonalité peu comique de l'ensemble, et les personnages du type de ceux mis en scène par Shakespeare dans *Othello*, Tragédie : la femme vertueuse (Astrée / Desdémone), le mari jaloux (Leandre / Othello), le jaloux perfide (Alcipe / Iago). Ces arguments sont repris par Roger Guichemerre, qui parle lui de « drame ». Au sujet d'Alcipe, James Wilson Coke parle lui aussi d'un « Iago-like character » particulièrement bien peint, et considère les *Soupçons* comme une comédie morale. ## D'Ouville et la tragi-comédie. L'âge d'or de la tragi-comédie en France se situe autour des années 1630-1640. Genre caractérisé par son irrégularité, son absence de règles, par rapport à la comédie et à la tragédie, elle décline à partir du moment où les règles et le respect des unités de la dramaturgie classique s'imposent sur la scène d'une part, et d'autre part quand la tragédie, à partir de *Cinna*, peut avoir un dénouement heureux. La tragi-comédie n'étant plus à la mode en 1650, d'Ouville aurait pu donner le nom d'« héroïco-comédie » à sa dernière pièce pour ne pas lui donner celui de « tragi-comédie », passé de mode. Ce n'est pas le cas. D'Ouville a écrit et fait représenter deux tragi-comédies quand il publie les *Soupçons*. La dernière, les *Morts Vivants*, 1646, n'a pas eu beaucoup de succès. Elle mettait en scène un épisode tiré du roman pastoral d'Achille Tatius, *Clitophon et Leucipe*, de nombreuses fois adapté à la scène [122]. Nous nous intéresserons davantage à sa première tragi-comédie, les *Trahizons d'Arbiran*, parce qu'elle présente une parenté de sujet avec notre comédie, mais aussi parce qu'elle permet de voir en quoi les *Soupçons* ne relèvent pas de l'esthétique de la tragi-comédie. À Salerne, Arbiran aime Leonide, la femme de Rodolphe. Arbiran découvre que Rodolphe est amoureux de Doralice, la femme de son ami Cleonte, et qu'il s'apprête à envoyer ce dernier à la cour pour avoir le champ libre. Arbiran révèle à Leonide que son mari aime Doralice et fait croire à Cleonte que sa femme lui est infidèle. Cachés par Arbiran, ils assistent à une entrevue où Doralice, influencée par Arbiran, cède à Rodolphe et lui promet qu'elle sera sienne le lendemain, car elle est sûre que Cleonte, qu'elle croit parti à la cour, sera de retour le lendemain et la sauvera. Arbiran convainc ensuite Leonide et Cleante de se venger en envoyant au Roi des lettres qui accusent Rodolphe de trahison, pendant que lui-même va trouver le Roi à Naples pour lui annoncer les complots de Rodolphe. Cleonte poignarde Doralice et s'en va à la Cour, le Roi fait venir Rodolphe. En chemin celui-ci est surpris en train de dire qu'il est opposé au Roi, il est arrêté alors qu'il porte des armes, et emprisonné. Le Roi envoie chercher Leonide, restée à Salerne, et la demande en mariage. Craignant de perdre Leonide, Arbiran obtient une entrevue avec elle, mais est traité avec tant de mépris qu'il décide de faire sortir son mari de prison pour l'empêcher d'épouser le Roi. Il va trouver le Roi, retire ses accusations contre Rodolphe et prétend avoir été induit en erreur par Leonide et Cleonte qui voulaient se débarrasser de Rodolphe pour pouvoir se marier. Mais Leonide, qui n'est pas dupe, prend au piège Arbiran en lui faisant croire qu'elle l'aime et est d'accord pour tuer le Roi, alors qu'elle a caché ce dernier pour qu'il soit témoin de l'hypocrisie d'Arbiran. Arbiran est arrété et emprisonné, Rodolphe est remis en liberté et rendu à Leonide. À la fin, Doralice réapparaît, en armes, pour demander vengeance de son meurtre, mais devant les remords de Cleonte, elle lui pardonne. Lancaster et Wilson Coke font tous deux état de la parenté d'inspiration de la première et de la dernière pièce de d'Ouville. Les deux pièces diffèrent cependant en plusieurs points. Le premier est que la première relève de l'esthétique de la tragi-comédie, et la dernière de la comédie. Dans les *Trahizons*, l'action s'étale sur plus de 24 heures, et se déroule à Salerne, puis Naples, tandis que dans les *Soupçons* l'action est concentrée dans l'espace et le temps. La figure du Roi, la femme tuée par son mari dans un accès de rage, et son ultime apparition en armure à la fin de la pièce pour réclamer vengeance sont également typiques de la tragi-comédie. On ne trouve rien de tel dans les *Soupçons* : aucun personnage extérieur aux cinq protagonistes ne vient troubler l'action, aucun emprisonnement, aucun mort. En proie à la jalousie et la fureur, Leandre veut certes tuer sa femme pour laver son honneur, mais il n'y parvient justement pas. Le rapport qui unit les cinq personnages principaux diffère enfin. Le schéma actanciel des *Trahizons* est strictement conforme à celui des amours en chaîne de la pastorale : Arbiran aime Leonide qui aime Rodolphe qui aime Doralice qui aime Cleonte, et est aimée de lui. Il faudrait ajouter à ce schéma, à partir du quatrième acte, le thème de l'amour du Roi pour la bergère citadine. Le schéma actanciel des *Soupçons* est à la fois plus complexe et plus simple. Plus complexe parce qu'il comporte une, voire plusieurs inconnues [123], plus simple parce qu'en définitive si on reconstruit le schéma actanciel après coup, cela donne  d'un coté Alcipe qui aime Astrée qui aime et est aimée de Leandre, de l'autre, Orphise qui aime Filemon qui avoue être effectivement tombé amoureux d'elle. Ces deux pièces diffèrent enfin dans leur but. Le personnage d'Arbiran permet à d'Ouville de faire une satire de la Cour et des Courtisans : Tout Recors est Sergeant, tout Sergeant est huissier, Tout mestier est estat, un petit despensier D'un Courtisan croté plus gueux qu'un rat veut être A la halle et par tout nommé Monsieur le Maistre. Tout Courrier envoyé se dit Ambassadeur, L'habit y fait l'honneur, car à la Cour on nomme Tout maraut bien vestu, Monsieur le Gentil-homme … Un Athée aujourd'hui passe pour esprit fort, Bref, j'abhorre la Cour cent fois plus que la mort. [124] On ne trouve pas de satire de la sorte dans les *Soupçons*, dont la leçon est plus abstraite, morale : les apparences sont trompeuses. La confrontation de ces deux pièces montre en quoi les Soupçons ne sont pas qu'une réécriture des Trahizons, comme l'écrit injustement Lancaster. Si le fondement de l'intrigue dans les deux pièces consiste dans les fourberies d'un rival perfide pour obtenir la femme d'un ami, Arbiran est beaucoup plus habile qu'Alcipe qui ne profite finalement que des circonstances, et l'intérêt du spectateur se porte principalement, non pas sur les fourbes d'Alcipe, mais bien sur les soupçons sur les apparences. Le titre des deux œuvres est en cela révélateur. ## *Les Soupçons sur les Apparences*, pièce héroïco-comique. Pourquoi d'Ouville sous-titre-t-il sa dernière pièce « héroïco-comédie », lui qui jusqu'ici n'a écrit, à l'exception de deux tragi-comédies, que des comédies ? Si les *Soupçons* sont la seule héroïco-comédie, ou encore héroï-comédie [125], comme elle est indiquée dans la plupart des catalogues, l'adjectif « héroï-comique » est attesté dès 1640 [126]. Cet adjectif, issu de l'haplologie de l'adjectif héroïco-comique (de héroïco-, issu du latin heroicus « relatif au héros », c'est-à-dire aux demi dieux de la mythologie, « relatif à la poésie qui célèbre les héros », et de comique), se dit dès le milieu du XVII*e* siècle d'un genre littéraire qui tient de l'héroïque et du comique, et s'apparente au burlesque (genre littéraire parodique qui traite en style bas un sujet noble). ### L'honneur, l'amitié, la générosité : valeurs héroïques. L'honneur et l'amitié, valeurs essentielles au XVII*e* siècle, le sont aussi dans les *Soupçons*. Les fourbes d'Alcipe mettent tout autant en péril l'amitié qui unit Leandre et Filemon, que l'amour ou le mariage de Leandre et Astrée. Leandre doit se venger d'une femme infidelle, D'un lâche et faux ami qui m'outrage avec elle ; De deux objets aimez, de qui je suis hai, De qui je suis trompé, de qui je suis trahi : De Filemon, d'Astrée … [127] L'amitié est un lien très fort entre deux personnes qui se mettent l'une à la disposition de l'autre et se doivent fidélité. Filemon, de même qu'Astrée, est un « perfide », il rompt la foi jurée à Leandre. La rupture de l'amitié, au même titre que celle de l'Hymen, est ressentie comme une trahison. Au XVII*e* siècle l'amitié est un sentiment plus fort que l'amour. Sa constance, son caractère raisonné s'oppose à celui irraisonné et passionné du sentiment amoureux. Cette dialectique entre ces deux sentiments est exprimée dès la première scène de la pièce. Entre son amour pour Astrée et son amitié pour Leandre, Alcipe, le véritable « perfide », c'est-à-dire le traître de la pièce, a tranché. Le devoir que lui impose son amitié pour Leandre est en revanche plus fort pour Filemon que l'amour qu'il ressent pour Orphise, ou Astrée. S'il aime la première, il ne le peut que s'il reçoit le consentement de Leandre, s'il aime la seconde, Filemon, en véritable Cavalier, ne pourra qu'étouffer cette passion [128]. La pièce peut également être qualifiée d'héroïque par les sentiments exaltés des personnages. Comme dans la *comedia* espagnole les sentiments sont grands, la conscience de l'honneur est poussée à son extrême. ### Le comique. Comédie et comique, c'est-à-dire comédie et rire ne vont pas nécessairement de pair au XVII*e* siècle. La comédie se définit d'abord par rapport à la tragédie : ses personnages sont de condition moyenne, son action ne présente pas de « grand péril », comme nous l'avons vu précédemment. Il faut ajouter à cela que la grande comédie qui renaît dans ces années là veut se démarquer de la farce. Au rire grossier de la farce, les auteurs de comédies, depuis Corneille, préfèrent le sourire, l'« enjouement ». Corneille écrira en 1660 : La tragédie veut pour son sujet une action illustre, extraordinaire, sérieuse ; la comédie s'arrête à une action commune et enjouée. [129] La nouveauté de ce genre de comédie, dont il n'y a point d'exemple en aucune langue, et le style naïf qui faisait une peinture des honnêtes gens, furent sans doute cause de ce bonheur assez surprenant qui fit alors tant de bruit. On n'avait jamais vu jusque là que la comédie fît rire sans personnages ridicules, tels que les valets bouffons, les parasites, les capitans, les docteurs, etc. Celle-ci faisait son effet par l'humeur enjouée de gens d'une condition au-dessus de ceux qu'on voit dans les comédies de Plaute et de Térence, qui n'étaient que des marchands. [130] Les perfidies d'Alcipe et la jalousie grandissante de Leandre, qui mettent en péril la vertu et la vie d'Astrée, créent une forte tension dramatique et contribuent à assombrir la pièce. Le troisième acte, consacré à l'intrigue galante des jeunes filles, instaure une parenthèse plus légère dans la pièce : Orphise ouvre son cœur à sa cousine, Astrée imagine des stratagèmes pour retenir Filemon auprès d'Orphise, les lettres sont subtilisées, lues en secret et cachées, les deux cousines badinent avec Filemon. Lancaster ne dénombre qu'une seule scène véritablement comique : la scène 10 du troisième acte, qui clôt l'acte, et qui met en scène la rencontre sur le chemin du Courrier Valentin, valet de Filemon, et Hyppolite, servante d'Astrée. Dans cette scène, très rapide, où la servante obtient du valet qu'il lui remette la lettre qu'il porte, on assiste à un véritable duo amoureux, même si Hyppolite profite de la naïveté de Valentin pour arriver à ses fins. Leur langage, imagé et reprenant des expressions populaires, contraste avec le langage plus pompeux de leurs maîtres [131]. Cette scène est certes une exception, qui vient du rôle peu important des valets, traditionnellement sources de comique, dans la pièce, et de leur rôle peu typé, à part dans cette scène. On trouve également quelques réflexions émanant des valets qui peuvent faire sourire. Il en est ainsi du « Je vous l'avois bien dit » [132], que Sylvain adresse à Alcipe, à l'avant dernière scène, quand la traîtrise de ce dernier est découverte, et de l'aparté de Valentin, au dénouement, après que Sylvain a écopé du soufflet à la place de son maître : Voilà pauvres valets, comme on nous traitte tous, Quand nostre sort permet que nous servions des fous. [133] La pièce présente cependant un grand nombre de situations comiques, si on la regarde de plus près, qui peuvent donner lieu à des jeux de scène intéressants et provoquer sinon le rire, du moins l'amusement du spectateur. D'Ouville a recours pour cela à des procédés comiques très utilisés dans la comédie préclassique. À deux reprises, Alcipe croit triompher, et se retrouve pris au piège. À la scène 2 du deuxième acte, il se retrouve nez à nez avec Leandre, dont il n'a pas été témoin du retour comme le spectateur, alors qu'il pensait prendre Astrée en flagrant délit d'adultère avec Filemon. Pris au dépourvu, il ne peut que prononcer des propos incohérents et simuler la folie [134], et quand il feint enfin de reconnaître Leandre, il laisse à Sylvain le soin de le disculper [135] tandis que le Sylvain peint un portrait d'Alcipe en Matamore : Il presse, il est pressé ; mais luy seul contre eux tous, Comment se pourroit-il garantir de leurs coups ? On le blesse à la main dont il tient son épée. Elle tombe, aussi-tost la mienne est occupée ; Il la prend, il s'en sert, et chaud en ce combat, Les attaque en lyon, et les charge et les bat. [136] Alcipe est doublement ridiculisé dans cette scène. Non seulement il est incapable de prononcer des propos sensés, mais le portrait que fait Sylvain de lui contraste avec la vérité du personnage, caractérisé par sa lâcheté. Alcipe est une sorte de Matamore sans panache, dont les déclarations contrastent comiquement avec son comportement. La mention de son « épée » ou de son « bras » revient souvent dans la pièce, mais toujours pour exprimer ensuite son incapacité à s'en servir. [137] Un second renversement de situation intervient à la fin de la pièce, et sa force comique vient essentiellement de l'effet visuel produit par le jeu des acteurs. Alcipe annonce la mort de Leandre à Astrée au moment même où celui-ci et Filemon arrivent, probablement en fond de scène, derrière Alcipe. Astrée et le public ne peuvent donc que s'amuser de l'arrogance d'Alcipe : ALCIPE Leandre ne vit plus, la mort vous le ravit, Et je veux obtenir sa place en vostre lit. ASTRÉE. S'il ne vit plus, méchant, le Ciel le ressuscite [138] Pour prendre une vengeance égale à son mérite. SYLVAIN. Filemon l'accompagne. [139] La scène 6 du deuxième acte permet également un jeu intéressant, et dévoile la virtuosité de Filemon. Toute cette scène est construite selon le principe de la double énonciation. Filemon, qui sait pertinemment qu'Alcipe n'a pas été attaqué par des brigands pour la bonne raison que c'est lui qui l'a mis en fuite, décide de jouer le jeu de ce dernier. Après avoir fait mine de partir à leur poursuite, il revient muni de l'épée et la remet lui-même, non sans malice, à Alcipe, qui s'exclame, en parlant vraisemblablement de Filemon et Leandre : « Les filoux ! », ce sur quoi Filemon rebondit en feignant de croire que les « filoux » sont les supposés brigands : « Ha ! toubeau, vous sçavez mal leur nom. [140] » S'ensuit toute une scène où Alcipe et Filemon se parlent par troisième personne interposée, au plus grand plaisir du spectateur. À ces situations comiques, il faut compter également le quiproquo du premier acte, où Astrée prend Picard pour Alcipe, et l'admoneste vertement. Le public s'amusait certainement plus de la méprise d'Astrée et de la surprise de Picard d'être ainsi reçu, qu'il ne voyait en cet épisode une variation sur les apparences. Enfin, peuvent contribuer au comique des situations qui se répètent, comme les trois tentatives d'enlèvements toutes vouées à l'échec, ou encore les scènes de commentaire de l'action, entre Alcipe et Sylvain, qui ponctuent la pièce. Les *Soupçons* ne sont donc pas si sombres qu'il y paraît, et de nombreuses situations relèvent bien de la comédie. Le terme d'héroïco-comédie convient donc particulièrement bien à cette pièce, où alternent moments de forte tension dramatique, et confrontation de personnages faisant ressortir le ridicule des uns et la noblesse des autres. ### Style de la pièce. La dernière pièce de d'Ouville se caractérise par l'importance des tirades et monologues dans l'économie de la pièce. Véritables récits de plus d'une centaine de vers chacun, les deux tirades de Filemon contribuent à donner de la profondeur au personnage. Si le premier [141] montre la virtuosité et l'esprit du Cavalier, le second [142] constitue un moment lyrique, et pose Filemon comme le jeune homme mélancolique de la pièce. À l'inverse, les monologues de Leandre sont plus sombres et tendus dramatiquement. Il ne s'agit plus de raconter, mais de déplorer, délibérer, et se poser en homme abandonné par le sort et se retrouvant face à un dilemme. La vivacité de certains échanges est un autre trait de la pièce à noter, et résulte de la tension dramatique amenée par la mise en jeu de sentiments très forts comme la jalousie et la violence. De nombreux vers sont distribués entre plusieurs personnages, la suspension est très souvent utilisée. Les tirades et monologues peuvent être considérées comme des pauses à l'intérieur d'une action très rapide, marquée par des rebondissements et le retour rapide de mêmes événements : il en est ainsi pour les deux tentatives d'enlèvement d'Astrée tentées par Alcipe au cinquième acte. # Une mise en soupçon systématique des apparences. ## Une pièce en forme de démonstration. ### Le dénouement comme résolution de toutes les énigmes. Le dénouement est par définition le lieu de la pièce où le nœud de l'intrigue se défait. Le dénouement des *Soupçons* consiste essentiellement en la résolution de toutes les énigmes soulevées dans la pièce, et causes des soupçons des différends personnages. Ainsi, tout rentre dans l'ordre. La scène 6 du cinquième acte se terminait sur ces mots de Filemon : Allons donc la trouver Astrée et nous éclaircissons Sur les divers motifs de nos fâcheux soupçons. Qu'aujourd'huy nôtre erreur tout à fait se dissipe . [143] C'est annoncer le dénouement. Quels sont ces « divers motifs de nos fâcheux soupçons », sinon d'une part la perfidie d'Alcipe, et de l'autre l'aveu d'Astrée d'avoir intercepté les lettres de Filemon pour le rendre disponible à l'amour d'Orphise. Le dénouement consiste bien en l'éclaircissement de soupçons, dont celui qui n'est pas le moins important pour le bonheur des quatre jeunes gens : qui Filemon aime-t'il ? Ces soupçons des divers personnages dissipés, Leandre et Astrée peuvent se réconcilier, Orphise et Filemon se marier, et le valet et la servante envisager de les imiter. Trop soupçonneux mari, j'ay pris à contre sens, Ses pensers d'Astrée les plus saints et les plus innocens. Les derniers mots de Leandre condamnent une dernière fois les apparences qui l'ont fait soupçonner injustement sa femme. L'éclaircissement doit également être compris au sens propre. Le thème de la lumière associée à la raison, et de l'obscurité associée aux apparences traverse toute la pièce. La pièce présente en effet un cheminement vers la lumière. La pièce commence de nuit, et s'achève de jour, mais de l'obscurité de la nuit, et donc sensible des deux premiers actes, on passe à une obscurité figurée, liée à l'incompréhension de Leandre. À la fin de la pièce il s'agit de lever le voile de l'obscurité, de l'obscurantisme dans lequel plongent les apparences. ### Une démonstration. L'analyse dramaturgique a montré que les soupçons sur les apparences constituaient l'obstacle principal au développement des deux intrigues de la pièce, et on peut en effet lire la pièce comme un essai de démonstration de l'aphorisme suivant : les apparences sont trompeuses, il ne faut pas s'y fier. Le titre de la pièce est en cela programmatique de son contenu qui constitue un véritable exercice de variation sur les apparences et les illusions. Les deux termes clefs du titre sont repris régulièrement et non seulement les personnages sont victimes des apparences, mais ils en sont conscients et tirent fréquemment la morale de leur erreur, rappelant par là même au spectateur le titre de la pièce. En superposition des deux fils qui composent l'action proprement dramaturgique, on peut lire la pièce comme une succession d'exemples au sens rhétorique du terme qui développeraient et prouveraient la thèse présentée initialement dans le titre. Ces exemples sont construits sur le même schéma. Dans un premier temps, l'apparence va conduire un ou des personnages à concevoir des soupçons, qui vont s'avérer dans un deuxième temps avoir été non fondés. Dans un troisième et dernier temps, les victimes de l'apparence tirent la morale de leur erreur et se promettent de ne jamais s'y laisser reprendre. Ces trois moments peuvent se dérouler dans un temps très court. À la scène 4 du premier acte, Alcipe, en voyant Picard frapper à la porte d'Astrée de nuit, croit d'abord qu'il s'agit d'un entremetteur, avant d'entendre qu'il est juste venu la conduire chez sa cousine malade, devant quoi Sylvain conclue : … Vostre esprit quand j'y pense, Establit un **soupçon** dessus peu d'**apparence**. L'exemple est plus développé à la scène suivante, même s'il reste condensé dans une scène. Les étapes sont chaque fois soulignées par la reprise des deux thèmes clefs. D'abord, aux vers 191-194 : L'on ne vient point ouvrir ; surpris, triste, confus, Et troublé de **soupçons**, si jamais je le fus, Je croy trop convaincu d'une telle **apparence**, Qu'Astrée indignement me traitte en mon absence. Puis, aux vers 209-210 : Je n'en doy plus douter, l'**apparence** l'asseure, Et je l'apperçoy trop dans cette nuit obscure. Et enfin, aux vers 219-220 : Que d'un doutte fâcheux, mon ame est éclaircie ! **Soupçon** injurieux, mensonge que je hays ! Va, sors de mon esprit et n'y rentre jamais. Et aux vers 225-226 : … qu'aisément dessus peu d'**apparence**, Il nous arrive à tous d'accuser l'innocence. On a ici le développement complet d'un petit exemple. On trouve aussi des exemples, réduits à un échange de réplique, mais suffisants à mettre en relation les deux termes. À la question d'Astrée, au vers 648 : « Mais d'où naist ce **soupçon** que vous avez de moi ? » Orphise répond deux vers plus loin : « … Il naist de l'**apparence**. » On pourrait multiplier les exemples. La déclinaison des « soupçons » et des « apparences » se retrouve dans tout le texte, et aussi bien dans la scène la plus légère opposant Valentin et Hyppolite à la scène 10 du troisième acte, que dans les deux récits de Filemon. Si dans le récit de l'acte II, scène 6, ces deux termes ne sont pas employés, le supposé honnête homme de Filemon admoneste celui-ci en le prenant pour Alcipe avant de se rendre compte que « l'ombre a fait son abus », et que c'est en réalité à un honnête homme qu'il s'adresse. Cette confusion est anecdotique et n'est pas l'objet du récit, mais elle permet une variation de plus dans la pièce. On peut en revanche considérer le récit des aventures lyonnaises de Filemon (III, 3) comme une mise en abyme du sujet de la pièce. De même qu'Astrée est soupçonnée injustement par Leandre de lui être infidèle, le mari de Florinde soupçonne cette dernière d'avoir pour amant Filemon, et le principal défaut du mari est d'être « ombrageux », d'avoir de l'« ombrage », c'est-à-dire des soupçons. Écoutons Filemon : Son mari trop enclin aux jalouses erreurs, En conçoit contre nous de secrettes fureurs. Toutes nos actions, luy donnent de l'**ombrage**. [144] Et plus loin, il retranscrit leur échange : … Monsieur, quel caprice est le vostre ? Faut-il que vous suiviez ces **ombrages** légers ? Faittes mieux, n'ayez plus ces indignes pensers. Et n'en venez jamais à de telles violences, Pour des **soupçons** fondez dessus des **apparences**. - L'**apparence** est trop claire, et mon bras irrité En vange le **soupçon** comme une verité. [145] Nous voyons que ce récit constitue un exemple de plus dans la démonstration de d'Ouville. Il n'a d'autre but que de mettre en abyme l'action de la pièce et de montrer au spectateur comment les apparences trompent et combien les soupçons sur celles-ci peuvent être dangereux. Cette mise en abyme ne s'adresse pas aux deux cousines, qui sont les destinataires immédiates de ce récit, mais bien aux spectateurs. Leandre aurait pu tirer, en tant que personnage, une leçon de ce récit. On aurait eu alors un procédé semblable à celui dont use d'Ouville dans le premier récit de Filemon, où celui-ci raconte à Leandre sans le nommer dans l'histoire, comment Alcipe a voulu enlever la femme d'un de ses amis alors que le mari de cette dernière était absent. L'introduction de Florinde comme obstacle aux amours de Filemon et Orphise, permet également à la fois une variation sur le thème des apparences, et une mise en abyme de l'action de la pièce. Apparences et soupçons : ces deux termes mettent en relation ce que l'on voit, ou plus généralement ce que livre les sens, et le mécanisme de la pensée, soit le sensible et l'intelligible. L'immédiatement sensible doit être interprété, n'est pas une vérité en soi. Le problème de l'interprétation est au centre du texte, et ce mot apparaît d'ailleurs pour la première fois très tôt dans la pièce, bien avant les premiers soupçons sur les apparences proprement dits. Après avoir rejeté Alcipe venu la solliciter à sa fenêtre, Astrée se retire en le prévenant : Adieu, nourrissez-vous d'esperances frivolles, Mais interpretez bien mes dernieres parolles. [146] Il s'agit donc bien d'une élucubration de la pensée à partir de choses sensibles, et le problème vient justement du fait que ces deux domaines sont confondus. Cette confusion est à son paroxysme dans le monologue de Leandre qui ouvre le cinquième acte : « Je croy, je sçay, je voy son infidelité [147] » et quelques vers plus loin : « Cette lettre convainc ma raison et ma veuë, [148] ». Croire, savoir et voir sont mis sur le même plan, il en est de même pour la raison et la vue. On peut même dire qu'à chaque fois c'est la vue, le sens, l'apparence donc, qui fait office de preuve. Par cette démonstration affichée et soulignée que les apparences sont trompeuses, la pièce de d'Ouville diffère de ses précédentes comédies à l'espagnole où les jeux sur les apparences et les illusions sont avant tout source de plaisir. Plaire et instruire, tel est le principe classique qui semble avoir guidé d'Ouville dans sa dernière pièce. Pourtant, malgré ce ton démonstratif, dont on ne peut savoir s'il est voulu ou si c'est maladresse d'écrivain, la pièce reste baroque dans la prolifération des exemples, dans l'usage qu'il est fait de la nuit, dans les deux premiers actes, qui permet de voir sans être vu ou d'avancer sans voir, ainsi que les jeux d'ombre et de lumières permis grâce aux éclairages au flambeau ou à la lanterne, mais aussi dans ses contre exemples. Les apparences, dans notre pièce, ne sont pas toujours trompeuses. À la scène 11 du quatrième acte, Leandre, empêché à temps par Filemon de tuer sa femme, nie avoir eu ce dessein, et à Hyppolite qui a entendu Leandre menacer Astrée, il dit : Propos mal entendus, discours mal digerez, Soupçon injurieux, et mal conjecturez ! [149] Leandre tient ici le même discours que lorsque lui-même se fait prendre par les apparences. Or, cette fois-ci les apparences n'étaient pas trompeuses, et le spectateur, qui assiste depuis le début de la pièce à la progression des soupçons de Leandre, sait que la menace de mort contre Astrée était bien à prendre au sens propre, et non au figuré comme il le prétend. Ce contre-exemple nous invite à nous interroger sur ce que nous voyons, sur ce qu'est une apparence. ### La feinte, la dissimulation, et le jeu au cœur des Soupçons. Comme dans beaucoup de comédies préclassiques, la feinte est au cœur de la pièce. Alcipe est un hypocrite, un fourbe, qui vient insinuer le doute dans les certitudes de Leandre. La dichotomie entre son cœur et sa langue est plusieurs fois soulignée [150]. Face à face avec Leandre à l'acte II, alors qu'il espérait trouver Astrée, il feint la folie ; à la scène 4 du même acte, il feint d'aimer Astrée purement et de ne rien prétendre ; au quatrième acte, il feint de se réconcilier avec Filemon, d'aimer Orphise et de sauver l'honneur de Leandre en lui dévoilant l'infamie à laquelle se livre Astrée et Filemon. Alcipe n'est cependant pas le seul personnage de la pièce à recourir à la feinte et à dissimuler ses sentiments. Astrée et Orphise recourent à la feinte quand elles empêchent Florinde et Filemon de communiquer en dérobant au Courrier leurs lettres. Quant à Filemon, il dissimule ses véritables sentiments jusqu'à la fin. La mise en œuvre de la feinte et de la dissimulation nous amène à considérer l'importance du jeu dans les *Soupçons.* Si les apparences sont constamment dénoncées, les personnages jouent, au sens du comédien qui joue un rôle. Car enfin les filoux n'estoient qu'**imaginaires**, Leurs coups que **fiction**, nos clameurs que **chimeres** : Et bien-tost en ce **jeu** l'on m'eut veu le trahir … [151] Tels sont les derniers mots de Sylvain avant de quitter le plateau dans la dernière scène. Or, à cette « fiction » orchestrée par Alcipe et Sylvain au deuxième acte, répond le « conte » de Filemon [152]. Le premier récit de Filemon, qu'Alcipe voudrait faire passer pour un conte, c'est-à-dire un mensonge, constitue en effet un petit conte à l'intérieur de la pièce : Que l'on void peu d'amis veritables et fermes ! Alcipe en av**oit** un qui le voul**oit** trahïr ; Il en aim**oit** la femme, et c'est**oit** le haïr. Pour elle, il **eut** au cœur une illicite flame. Il cr**eut** en triompher, parce qu'elle estoit femme. L'absence d'un mari flatt**a** son lâche espoir, Il en venoit **toûjours**, ou **toûjours** l'alloit voir. **Tout ce que** l'Art d'aimer, ou plustost de seduire, Peut en un tel dessein suggerer et prescrire : **Tout ce qu'**un lâche Amant sçauroit s'imaginer Pour plaire, pour surprendre, enfin pour suborner, **Alcipe** le pratiqu**e, Alcipe** l'execut**e**. Sans relâche il poursuit, sans cesse il persecute ; **Aujourd'huy** les soûpirs parl**ent** pour son amour, Ce s**ont demain** les dons, la plainte **un autre jour**, Mais la beauté qu'il aim**e**, en espouse fidelle S'oppos**e**, et rép**ond** mal aux pensées qu'il **a** d'elle. [153] Ainsi commence le récit dans le récit de Filemon. L'exclamation à portée gnomique initiale, le passage de l'imparfait narratif, qui pose la situation de départ, au passé simple, qui marque le déclenchement de l'action, et le passage de ce passé simple au présent de narration, qui donne de la vie au récit, sont des procédés stylistiques que l'on retrouve dans le conte ou la fable. En présentant la tentative d'enlèvement d'Alcipe de la sorte, Filemon dresse celle-ci au statut d'exemple. C'est un conte qu'il fait dans le but de mettre en garde, indirectement, Leandre contre les manœuvres d'Alcipe, mais aussi Alcipe lui-même. Filemon a reconnu Alcipe, si celui-ci réitère ses agissements sur la femme de son ami, il révèlera la vérité à Leandre. Il conclut ainsi son récit, en faisant dire à l'« honneste homme » [154] qui n'est autre que lui-même : Si son courage imite et seconde le mien, L'ami qu'il trahissoit n'en sçaura jamais rien. [155] L'emploi du « je » est double : première personne du récit rapporté pour Leandre, véritable première personne qui se rapporte à l'énonciateur, Filemon, pour Alcipe, et le spectateur. ### La remise en cause de toutes les certitudes. La confiance de Leandre en sa femme reposait sur la certitude de sa vertu. À partir du moment où il remet la vertu de sa femme en cause, c'est du même coup l'ordre du cosmos qui est bouleversé. La vertu d'Astrée était aussi sûre que le géocentrisme. Si elle est remise en cause, alors on peut croire les élucubrations de Copernic et de Galilée qui présentent le soleil et la Terre comme un astre et une planète parmi d'autres, et qui remettent du même coup en cause la place centrale de l'homme dans l'univers : Tu te méprends Alcippe, ou le flambeau des Cieux, N'est qu'un Comete en l'air qui paroist à nos yeux : L'air un rien complaisant, et la terre une boulle Qui se meut de tout temps, et que le destin roule : L'Ocean un amas de feux et de buchers ; Ses poissons des oyseaux ; des hommes ses rochers ? [156] L'hypothèse de l'infidélité de sa femme plonge Leandre dans un désarroi semblable à celui qu'ont connu ou connaissent encore les contemporains de d'Ouville devant les découvertes de Copernic et Galilée. Si ce qui paraissait la vérité immuable par excellence se révèle être en réalité une mystification, alors la marche du monde en son entier s'en trouve bouleversée, toutes les apparences doivent être soupçonnées de fausseté. De l'incertitude sur les choses, on passe ensuite à l'incertitude sur les êtres, tous accusés de dissimulation. À Alcipe qui demande à la scène 2 du cinquième acte de quoi Leandre veut se venger, ce dernier lui répond : L'ignorez-vous ? d'une femme infidelle, D'un lâche et faux ami qui m'outrage avec elle ; De deux objets aimez, de qui je suis hai, De qui je suis trompé, de qui je suis trahi : De Filemon, d'Astrée, et s'il vous faut tout dire, De celle qui sur vous s'est acquis de l'empire : D'Orphise, d'Hyppolite, enfin de tous les miens. [157] ## Une pièce sur l'interprétation qui invite à se poser la question de son interprétation. C'est pourquoi je prendrai garde soigneusement de ne point recevoir en ma croyance aucune fausseté …. Mais ce dessein est pénible et laborieux, et une certaine paresse m'entraîne insensiblement dans le train de ma vie ordinaire. Et tout de même qu'un esclave qui jouissait dans le sommeil d'une liberté imaginaire, lorsqu'il commence à soupçonner que sa liberté n'est qu'un songe, craint d'être réveillé, et conspire avec ses illusions agréables pour en être plus longuement abusé, ainsi je retombe insensiblement de moi-même en mes anciennes opinions, et j'appréhende de me réveiller de cet assoupissement, de peur que les veilles laborieuses qui succèderaient à la tranquillité de ce repos, au lieu de m'apporter quelque jour et quelque lumière dans la connaissance de la vérité, ne fussent pas suffisantes pour éclaircir toutes les ténèbres des difficultés qui viennent d'êtres agitées. [158] Ainsi Descartes concluait sa première méditation, en insistant sur la paresse de l'esprit humain qui préfère conserver ses illusions plutôt que d'interroger ses certitudes, après avoir démontré dans toute cette première méditation que les sens étaient trompeurs. Les *Soupçons* s'achèvent sur l'espoir de Filemon que tout ce bonheur n'est pas illusion et sur les piques finales des valets. Bien que le dénouement heureux soit constitutif du genre comique, ne pourrait-on pas se demander si une paresse semblable à celle qui saisit Descartes à la fin de sa première méditation, alors qu'il s'est acharné à monter que les sens sont trompeurs, nous fait préférer croire à cette apparence de dénouement heureux, après que d'Ouville s'est acharné à nous montrer que les apparences étaient souvent trompeuses ? Cette interprétation ne vise pas à remettre en cause le sens de la pièce ou toute autre interprétation, mais il nous semble qu'en regard de l'époque dans laquelle les *Soupçons* ont vu le jour, et surtout en regard du message qu'ils nous livre cinq actes durant, la question de son interprétation mérite d'être soulevée. Les *Soupçons* peuvent être considérés, comme le fait Wilson Coke [159], comme une pièce morale. En plus de développer une intrigue complexe captivant l'attention du spectateur, les actions des différents personnages amènent le spectateur à méditer sur son rapport aux choses qu'ils voient et sur sa manière de les interpréter trop rapidement. Nous avons vu que d'Ouville soulignait à maintes reprises cette intention moralisatrice à travers les conclusions que tiraient ses personnages après avoir été victimes des apparences. À la fin d'une pièce en forme de démonstration, il serait donc légitime que le spectateur soit amener à se poser à son tour la question des apparences. Or, qu'est-ce qu'un dénouement, et à plus forte raison, une pièce de théâtre, qu'une apparence, une illusion, un jeu d'optique ? Le théâtre, étymologiquement, est d'abord un lieu qui donne à voir, où le spectateur regarde, et par le regard se laisse prendre à l'illusion que ce qu'il voit est vrai [160]. De manière indirecte, et très probablement non voulue par l'auteur, les *Soupçons* peuvent inviter le spectateur ou le lecteur moderne à ce poser la question de la nature du théâtre. Le traitement de l'apparence est d'ailleurs ambigu dans la pièce. Si elles trompent le plus souvent les personnages, certaines n'en sont pas moins à prendre au sérieux. Que ce soit d'Astrée dont Filemon est tombé amoureux en arrivant à Paris ne fait presque aucun doute en lisant la pièce. Nous pourrions énumérer nombre d'indices : Astrée est la première femme que voit Filemon en arrivant à Paris, et il la défend contre Alcipe avant même de savoir qu'il s'agit de la femme de son ami. On ne choisit pas d'aimer, ce que l'on choisit c'est de céder ou non à cet amour. Ainsi s'exprime Filemon au supposé Cavalier qui aurait sauvé la femme qu'Alcipe voulait enlever, dans le récit qu'il fait à Leandre : Mais le flambeau d'amour nous peut tous ébloüyr. Qu'est-ce qu'un bel objet me peut tenter, luy dis-je, Et n'aimer pas l'aimable, est-ce pas un prodige ? Sans lâcheté l'on cede à de divins appas ; Si l'on manquoit de cœur, on n'y cederoit pas. Alcipe à dire vray, me semble peu coupable ; Et puis qu'elle est d'amour, sa faute est excusable. [161] C'est avouer indirectement que Filemon est tombé sous les charmes d'Astrée. Ne finit-il pas par accepter l'hospitalité de Leandre, « sans compliment » [162], à la fin du premier acte, après l'avoir refusé tout au long de l'acte ? Vont dans ce sens également les propos équivoques que Filemon adresse aux deux cousines et qui mettent celles-ci dans l'embarras. Il faudrait citer enfin le récit des aventures lyonnaises de Filemon [163]. Nous avons vu que ce récit mettait en abyme le sujet de la pièce en faisant de ce récit un exemple de plus que les apparences sont trompeuses, et en montrant que les soupçons et la jalousie du mari ne sont pas fondés. Ce récit met encore d'une autre manière le sujet des Soupçons en abyme. Filemon aime une femme mariée Florinde, avec laquelle il entretient des relations innocentes, mais dont la complicité entraîne la jalousie du mari, fondée sur les apparences. On remarque que si Filemon aime effectivement Astrée, et non Orphise, dans notre pièce, alors l'adéquation entre le sujet du petit récit de Filemon et la grande pièce est totale. Du point de vue de la bienséance et du caractère « genereux », c'est-à-dire noble, de Filemon, celui-ci ne peut que combattre son amour pour Astrée, de même qu'il a dû étouffer celui qu'il éprouvait pour son ancienne maîtresse, Florinde, du moment qu'elle était mariée. Alcipe, qui nous l'avons vu, constitue l'antithèse exacte de Filemon, n'a aucun scrupule à vouloir séduire une femme mariée. Deux attitudes face à l'amour s'affrontent ici : d'une part l'amour courtois représenté par Filemon, de l'autre l'amour brutal, sans considération pour l'objet aimé et qui ne s'occupe que de son propre plaisir [164]. Le dénouement reste pourtant heureux : Orphise épouse celui qu'elle aime, Leandre refait confiance à sa femme. Les deux couples traditionnels de la comédie sont formés ou reformés au dénouement, mais comme souvent dans la comédie de cette époque, le temps, la feinte, la jalousie a fait son œuvre, et les personnages peuvent finalement obéir davantage aux lois de la raison, qu'à celles de la passion. Au dénouement de *Mélite*, aux côtés du couple d'amoureux formé par Mélite et Tircis, Cloris refusait la main de Philandre, qui l'avait trompée, et acceptait celle d'Eraste, l'amoureux éconduit de Mélite. Le dénouement des *Soupçons* est peut-être ainsi plus noir qu'il n'y paraît au premier abord. La force de la dernière pièce de d'Ouville est, selon nous, de donner lieu à de multiples lectures, et de là à de multiples interprétations. Puisque les apparences doivent être soupçonnées, puisqu'elles peuvent, mais pas toujours, induire en erreur, le sens de la pièce diffère selon l'interprétation que l'on fait de l'apparence. C'est en cela qu'on peut considérer les *Soupçons sur les apparences* comme une pièce baroque. Si l'aspect démonstratif que lui donne d'Ouville peut lui donner l'apparence d'une comédie morale, dont le dénouement serait l'apothéose avec la résolution des tous les soupçons et des énigmes qui demeurent pour les personnages, le phénomène constant de mise en miroir en fait une pièce éminemment baroque, dont le sens doit être interrogé, et n'est en tout cas pas évident, au sens cartésien, c'est-à-dire clair et distinct. # Jugements critiques. Nous reproduisons quelques critiques des *Soupçons sur les Apparences.* Nous n'avons pas trouvé de critiques antérieures au XVIII*e* siècle, et donc contemporaines de la pièce. Si nous ignorons quelle fut la réception de la pièce à sa création, celle-ci a connu deux impressions, ce qui témoigne un certain succès. Plus d'un millier de pièces ont été écrites au XVII*e* siècle. Dès la fin du XVII*e* siècle, les chefs d'œuvres de ce que nous considérons désormais comme les trois grands « classiques », Corneille, Molière et Racine, font rapidement sombrer dans l'oubli tous les autres auteurs contemporains, et notamment ceux de la période préclassique. Au cours du XVIII*e* siècle, le paysage théâtral du siècle précédent se réduit encore. Les quelques autres auteurs encore représentés comme Thomas Corneille, Du Ryer ou Tristan Lhermitte sont de moins en moins joués, les comédies de Corneille ne sont plus jouées. La production théâtrale préclassique est victime du triomphe du classicisme, qu'elle a pourtant contribué à construire, à partir des années 1660. Ce n'est qu'à partir du milieu du XX*e* siècle que ces œuvres sont redécouvertes, notamment à partir des travaux de Jean Rousset sur le baroque littéraire [165]. Les, ou plutôt la critique que l'on va lire, puisqu'il s'agit en fait de la même, ne témoignent donc pas de la réception qu'a connue la dernière pièce d'Ouville à sa création. Les mentalités ont changé en un siècle, et la conduite de Filemon, que les Frères Parfaict jugent irrégulière, n'est en rien immorale au milieu du XVII*e* siècle : le change, l'inconstance dans l'amour de la jeunesse est un lieu commun, qui se trouve au fondement de nombre de comédies de l'époque, basées sur les jeux de l'amour, du hasard et de la feinte, et où une certaine cruauté n'est pas absente du dénouement. Le temps fait son œuvre. ## Jugement des Frères Parfaict [166] : LES SOUPCONS SUR LES APPARENCES, heroico-comédie (de M. D'Ouville). C'est sur la foi des Catalogues que nous mettons cette Pièce sur le compte de M. d'Ouville, n'en ayant aucune preuve certaine. On pourroit même en douter, si l'on vouloit en juger par conjecture, attendu qu'elle est plus foible par l'intrigue et la conduite que les autres du même Auteur, qui certainement entendoit mieux le Théâtre ; quoi qu'il en soit, voici le sujet de cette Pièce qui est très-médiocre ; Alcipe, amoureux d'Astrée, femme de Léandre, fait tout son possible pour la séduire pendant l'absence de son mari ; le retour de ce dernier, ne fait point cesser son odieuse poursuite ; au contraire, il tâche de semer des soupçons sur sa fidélité. À la vérité, les démarches imprudentes d'Astrée, et la foiblesse de l'esprit de Léandre, ne donnent que trop de prise aux calomnies d'Alcipe ; sa fuite précipitée, le sauve à la catastrophe [167] des reproches, et peut-être des coups qu'il a si bien mérité : au reste, si la Piéce est embrouillée et mal conduite, il est très-aisé de s'apercevoir que les personnages en sont détestables. Astrée que l'on qualifie de femme vertueuse, sert trop gratuitement Orphise, son amie, dans une intrigue galante, où Filemon, ami de Léandre, se laisse entraîner comme un jeune sot, sans expérience, et rompt les engagements qu'il a avec une première Maîtresse ; on conviendra que cette conduite n'est guéres régulière. Orphise est une fille oisive, qui ne demande qu'à faire une inclination ; le rôle d'Alcipe est celui d'un scélérat impudent et sans esprit ; c'est tout ce qu'on peut dire d'une Piéce aussi foible ; on va juger de la versification : Léandre, soupçonnant la fidélité d'Astrée, et ne pouvant cependant la croire coupable, s'exprime ainsi : Tu te méprends Alcippe, ou le flambeau des Cieux, N'est qu'un Comete en l'air qui paroist à nos yeux : L'air un rien complaisant, et la terre une boulle Qui se meut de tout temps, et que le destin roule : L'Ocean un amas de feux et de buchers ; Ses poissons des oyseaux ; des hommes ses rochers ? Tu te trompes, te dis-je, et ton advis offence Et la sagesse mesme et la méme innocence. … Mais mon honneur le veut, sois y donc preparée ; Je tiendray ma parole, et tu mourras Astrée !  [168] ## SOUPÇONS SUR LES APPARENCES (les), comédie en cinq actes, en vers, par Douville, aux Français, 1650 [169]. Alcipe profite de l'abscence de Léandre, pour séduire Astrée, sa femme. Loin de lui faire cesser ses poursuites, le retour du mari ne fait au contraire qu'en accroître l'ardeur : en conséquence, il tâche de semer des soupçons sur la fidélité de Léandre : il est vrai que la sottise de ce dernier, et les démarches imprudentes d'Astrée ne donnent que trop de prise à ses calomnies. Au dénouement, il se sauve, pour éviter les reproches, et peut-être des coups de bâton, qu'il a si bien mérités. Cette pièce est embrouillée et mal conduite. Astrée, que l'on qualifie de femme vertueuse, sert trop gratuitement Orphise, son amie, dans une intrigue galante, où Philémon, ami de Léandre, se laisse entraîner comme un jeune sot sans expérience, et où il rompt les engagements qu'il a contractés envers une première maîtresse. Orphise est une fille oisive qui ne demande qu'à faire une inclination ; enfin le rôle d'Alcipe est celui d'un scélérat imprudent et sans esprit. On constate qu'on retrouve des passages textuellement cités de l'analyse des Frères Parfaict dans cette critique du début du XIX*e* siècle. Il paraît évident que les auteurs de cette notice n'ont eu connaissance de la dernière pièce de d'Ouville que par l'ouvrage des précédents, et ne sont pas allés la lire. Le jugement des lecteurs du XX*e* siècle contraste avec les précédents. James Wilson Coke, qui a étudié l'œuvre de d'Ouville, considère au contraire les *Soupçons sur les Apparences*, avec les *Trahizons d'Arbiran*, comme la pièce la plus intéressante de l'auteur, par leur intrigue très bien menée, la peinture non stéréotypée et humaine de ses caractères, et notamment de celui qu'il appelle le « Iago-like character », Alcipe. [170] Lancaster insiste également sur la grande complexité d'une intrigue très bien menée où l'unité d'action n'est jamais compromise. [171] Guichemerre ne porte pas de jugement général sur les *Soupçons*, mais considère ses deux figures féminines, Astrée et Orphise, comme méritant d'être remarquées parmi les personnages féminins de la comédie préclassique [172]. Quant à tous les reproches que les Frères Parfaict adressent aux personnages des *Soupçons*, et qu'un lecteur moderne peut effectivement considérer comme fondés : imprudence d'Astrée et interrogations sur ses motivations, ils ne contribuent qu'à enrichir la pièce en soulevant des interrogations chez le lecteur, puis le spectateur. Au lieu de les prendre comme des faiblesses de la pièce, mieux vaut désormais les considérer comme points de départ de multiples interprétations. # Note sur la présente édition. On ne connaît à ce jour qu'une seule édition des *Soupçons sur les Apparences* de d'Ouville, exécutée en 1650 à Paris par le libraire Toussainct Quinet. Cette édition a connu deux impressions : l'une datée de 1650, l'autre de 1651. Les pages de titre des deux impressions ne comprennent pas de nom d'auteur. Les coquilles de l'impression de 1650 ne sont pas corrigées dans celle de 1651. L'impression de 1651 est même plus fautive que celle de 1650. Nous avons relevé les erreurs suivantes, la version de 1650 est entre parenthèses : v.1200 : Soupçon (Soupçons), v.1220 : il sont (ils sont), v.1229 : soiez (sois), v.1236 : des (ses), v.1265 : Sacrez (sacré), v.1278 : infamie, (infamie ?), v.1279 : front, (front ?). Nous constatons aussi des variantes graphiques ou de ponctuation : v.1220 : entretiens, (entretien.), v.1223 : tresors (thresors), v.1224 : morts, (morts.), v.1269 : trahyson (trahison), v.1270 : convaint (convainc). Toutes ces variantes et coquilles supplémentaires se trouvent dans le cahier O, c'est-à-dire entre les pages 105 et 112. Nous émettons l'hypothèse suivante : au moment de la réimpression des *Soupçons* en 1651, la forme du cahier O était manquante ou abîmée. Les protes auraient alors réutilisé une forme primitive et fautive du cahier O, qu'ils avaient laissée de côté en 1650. L'impression de 1650 nous semble donc plus fiable pour l'établissement du texte que celle de 1651. Nous avons suivi l'exemplaire de 1650 de la Réserve des Livres Rares de la Bibliothèque nationale de France (RES-YF-237), qui a été microfiché (P89/1561) [173]. Sur la page de titre on trouve la mention manuscrite *Attribuée à Douville.* ## Autres exemplaires consultés. ### Impression de 1650. Bibliothèque de l'Arsenal : 4-BL-3486 (4). Reliure XVIII*e* siècle. *Théatre de Douville Tom. III* sur le dos. Exemplaire comprenant dans l'ordre : *Aymer sans scavoir qui, Jodelet Astrologue, La Coifeuse à la mode, Les Soupçons sur les Apparences.* Bibliothèque Mazarine : 4° 10918-20. Reliure XVII*e* siècle. *Recueil de div. comed. Tom. XX* sur le dos. L'exemplaire a d'abord appartenu à la collection de pièces de théâtre de Nicolas Joseph Foucault (1643-1721), membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres (ex-libris sur le contre-plat supérieur), puis à celle de Louis-Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre (1725-1793), dont les armes ont été rajoutées sur la reliure. Le volume comprend dans l'ordre : *L'Amant libéral, Tragi-comédie* (1637)*, Perside ou la Suitte d'Ibrahim Bassa, tragédie* (1644), *Alcidiane ou les Quatre Rivaux, Tragi-comédie* (1644), *Les Soupçons sur les Apparences* (mention manuscrite à l'encre sur la page de titre : *par d'Ouville).* Toutes les pièces sont éditées chez Toussainct Quinet. Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne : RRA 8 = 478-2. Ex-libris d'Am. Berton sur le contre-plat supérieur. *Theatre de D'Ouville T. 2.* sur le dos. Le volume comprend dans l'ordre : *Jodelet Astrologue, Les Morts Vivants, La Coifeuse à la mode, Aymer sans savoir qui, Les Soupçons sur les Apparences.* Les *Soupçons* sont la seule pièce du volume à n'avoir pas été remontée. ### Impressions de 1651. Réserve des Livres Rares de la Bibliothèque nationale de France : RES-YF-1519. Reliure parchemin du XVII*e* siècle. Ex-libris de Jacques Aubert, du Mans, et du collège de Saint Eloi des Barnabites à Paris. Cet exemplaire présente des annotations manuscrites à l'encre marron : v.407 : un *c* est superposé au *t* dans le mot *presente* ; v.541 : *retirer* est barré de deux traits, et remplacé au dessus par *reciter ;* v.606 : le *e* final de *encore* est raturé (le vers faisait en effet treize syllabes) ; v.1051 : *ce* est rajouté dans l'interligne entre *seroit* et *par* (le vers faisait sinon onze syllabes) ; v.1229 : le *ez* de *soiez* est raturé (vers sans cela de treize syllabes. Il s'agit en outre d'une coquille qui ne figure pas dans les impressions de 1650 que nous avons consultées, où on trouve *sois*) ; v.1640 : le *e* final de *encore* est raturé (vers de treize syllabes). Arts du Spectacle (BnF) : 8-RF-6618. Fonds Auguste Rondel. La coquille *soiez* est attestée au v.1229. Autres exemplaires repérés dans le Catalogue collectif de France et le Karlsruher Katalog Virtueller KVK : – 1650 : Bibliothèque municipale Rouen : m 2624, Fonds Cas ; Bibliothèque municipale Angers : 2225 (11.3) ; Trinity College Dublin : OLS L-5-969 no.3 ; Universitäts und Landesbibliothek, Münster : 6 MS : ULB. – 1651 : British Library : 86.i.6.(10.) ## Description de la collation. II-141142p. -in 4°, signé A-S Le Privilège a été obtenu le 9 juillet 1650. L'achevé d'imprimer est daté du 28 juillet 1650. I Titre II Acteurs 1-141 Texte de la pièce 142 Extrait du Privilège du Roi. ## Description de la page de titre. LES / SOVPÇONS / SVR LES / APPARENCES / HEROICO-COMEDIE. / fleuron du libraire : une corbeille de fruit / PARIS, / Chez TOVSSAINCT QVINET ; au Palais, / sous la montée de la Cour des Aydes. / filet / M. DC. L. /* AVEC PRIVILEGE DV ROY.* ## Établissement du texte. Nous avons conservé la ponctuation et l'orthographe originales du texte. La graphie des mots n'est pas fixée au XVII*e* siècle, il est donc fréquent de trouver un même mot graphié differemment : *vostre / vôtre ; tousjours / toûjours ; mari / mary…* Nous avons conservé les différentes graphies utilisées pour le nom du personnage Hyppolite, tantôt orthographié Hipolite, Hyppolite, Hyppolyte, ou encore Hypolite, ces graphies étant récurrentes dans le texte. Nous avons également maintenu la graphie Alcippe pour Alcipe, quand elle se présentait. Nous avons cependant, pour la lisibilité du texte, systématiquement : – modernisé le grand s en s et β en ss. – distingué i voyelle de j consonne, et u voyelle de v consonne. – résolu la ligature & en et. – décomposé les voyelles nasales surmontées d'un tilde en un groupe voyelle-consonne. – rétabli l'accent diacritique, les rares fois où il manquait, pour distinguer *à* préposition de *a* verbe, et *où* adverbe de *ou* conjonction, dans les cas suivants : 115 : a / 1172 : a tort Le texte présentait de nombreuses coquilles, sans doute dues à l'inadvertance de l'imprimeur, que nous avons corrigées : – Rubrique Acteurs : VALENTIN valet d'Alcipe. / SYLVAIN valet de Filemon. – Acte I : v.14 : peine. / 45 : l'admire / rubrique personnage au milieu du v.55 : ASCIPE / 111 : Orphile / 115 : cousine ? / 137 : prompte / rubrique personnages de la scène V : FLERIMONT / rubriques personnage entre les vers 148-149 ; 152-153 ; 159-160 ; 161-162 ; 164-165 ; 166-167 ; 180-181 ; 186-187 ; 194-195 ; 210-211 : FLERIMON / 164 : Flerimon / 152 : traittté / 181 : merveille. / 189 : tonnerre. / 214 : heur / 220 : Va sort / rubriques personnage entre les vers 238-239 ; 241 ; 243 ; 260-261 : FLERIMON – Acte II : v.279 : Prend / 301 : adversaire / 306 : A ton jamais / 347 : avec / 348 : avec / rubrique personnage entre les vers 352-353 : FILEMON / 362 : discoursn'est / 388 : yeux [174] / 405 : jusq'uà / 407 : presente / 421 : suprends / 457 : un attaque / 511 : matelots. / 534 : Et genereusement ; conrroux / 539 : répends – Acte III : v.606 : encore / v.633 : qui voit-on / 626 : tout ce qui m'a dit / 648 : n'aist / 671 : dedans ! / 710 : fuis / 815 : peu temps / 818 : dautant / 858 : où [175] / lettre de la scène VI : peine, / 881 : ouvvre / 920 : le seconde fois [176] / 933 : diverties / 938 : tarde. La page 96 est notée 64. – Acte IV : chapeau de la lettre de la scène I : Florimon / 1045 : que / 1051 : seroit par dessein / 1076 : à l'égard de la mort / 1159 : s'imagner / 1248 : osé (point en haut). Après le v. 1000 : SCENE IV. / après le v.1049 : SCENE V. / entre les deux segments du v.1101 : SCENE VI. / après le v.1108 : SCENE VII. / après le v.1120 : SCENE VIII. / après le v.1136 : SCENE IX. / après le v.1176 : SCENE X. / après v.1245 : SCENE XI. / après le v. 1252 : SCENE XII. – Acte V : v.1534 : ton / après le v.1524 : SCENE VII. / rubrique personnage entre les vers 1590-1591 : SYLVAIN / 1640 : encore L'indication scénique *Il luy donne la lettre qu'il a trouvée dans le cabinet d'Astrée* est en vis-à-vis du v.1493, à la page 129. Lorsque des personnages, muets mais présents sur la scène, n'apparaissent pas dans la rubrique des personnages de la scène correspondante, nous les avons rétablis entre crochets. Contrairement à la graphie, la ponctuation relève de règles stables, et joue un rôle essentiel dans la lecture des vers. La poésie est destinée à la lecture à voix haute, et même, dans le cas du poème dramatique, à la déclamation. La ponctuation a donc moins un rôle syntaxique que rythmique et d'indication d'intentions pour l'acteur. Pour la compréhension de la phrase, nous avons cependant remplacé les points-virgules qui fermaient les v.1081 ; 1143 et 1145 par des virgules, et nous avons supprimé les deux points qui se trouvaient à la fin des v. 107, 231 et 233, ceux-ci ne se justifiant que par l'indication d'une respiration obligatoire en fin de vers, respiration, par ailleurs obligatoire à la fin de chaque vers pour le comédien. Nous avons enfin rétabli les points de suspension dans leur forme actuelle dans les cas suivants : 89 : priois…….. / 581 : reproche….. / 581 : Ailleurs….. / 953 : Cachez…. / 1433 : Consentez.. / 1433 : Consentez ou …. / 1525 : envie ?…. Les astérisques renvoient au lexique qui se trouve à la suite du texte de la pièce. # LES SOUPÇONS SUR LES APPARENCES HEROICO-COMEDIE. ## ACTEURS. – LEANDREmary d'Astrée. – FILEMONamy de Leandre. – ALCIPEAmoureux [177] d'Astrée. – ASTREEfemme de Leandre. – ORPHISEparente de Leandre. – HIPOLITEservante d'Astrée. – SYLVAINvalet d'Alcipe. – VALENTINvalet de Filemon. – PICARTlaquais. – UN VOISIN – VIOLONS. La Scene est à Paris. ## ACTE  I. ### SCENE PREMIERE. ALCIPE, SYLVAIN tenant un flambeau. ALCIPE. Arreste, nous voicy dans la ruë, où demeure L'inflexible beauté, qui consent⁎ que je meure ; J'apperçoy son logis. SYLVAIN.         Appercevez aussi Que de vostre tourment elle a peu de soucy. Depuis cinq ou six mois que vous brûlez pour elle, Ne vous est elle pas également cruelle ? L'absence d'un mari vous flate sans raison, L'amour qu'elle luy porte, est sans comparaison. En quelque lieu qu'il soit, il possede son ame, Et la vertu [178] du sexe, est toute en cette femme ; Je ne suis qu'un valet ignorant et brutal, Mais si vous me croyez [179], vous ne feriez pas mal, Cessez [180]d'une poursuite injuste⁎ autant que vaine, Vous ferez plus ailleurs avecques [181] moins de peine Et n'offencerez pas dans vostre passion, D'un ancien amy la pure affection. ALCIPE. Oüy, tu n'es qu'un valet, ce propos me le montre ; L'on ne respecte rien en pareille rencontre⁎. Les plus parfaits amis, les plus proches parents Ne passent en amour que pour indifferents. Leandre, je l'avouë, est bien dans mon estime ; Mon bras pour le servir tiendroit tout legitime : Mais au terme [182] où sa femme aujourd'huy m'a rendu ; Croy que pour en joüyr, rien ne m'est deffendu. Suy moi sans repliquer, je m'en vais à sa porte Prendre l'occasion que quelqu'un entre ou sorte. Esteind donc le flambeau. SYLVAIN.     Cela vaut fait [183]. ALCIPE.         Allons, Mais ciel qu'heureusement j'entens des violons ! Ils ne sont au plus loin qu'en la place prochaine : Si tu m'aimes Sylvain, cours viste et les ameine : De ces doux instrumens les sons melodieux Divertiront l'objet⁎ qui plaist tant à mes yeux. [184] Leandre c'est trop tard que tu me fais reproche, J'aime trop mes plaisirs, et je m'en croy trop proche. Donne tréve à la plainte, et c'est un vain discours Qui ne peut m'empécher d'arriver où je cours. Tu m'opposes la loy d'une amitié jurée, J'oppose à ceste loy tous les charmes⁎ d'Astrée. Selon les sentimens d'un coeur comme le mien, Où l'on void tant d'appas⁎, un amy n'est plus rien. Son respect peut beaucoup ; mais sa force est petite, Où la beauté se treuve [185] avecque le merite ; Astrée a l'une et l'autre, et cét objet⁎ charmant⁎ Me rend traistre envers toy sans mon consentement [186] : Quelque attrait qu'en ses yeux je découvre et j'admire, Je ne m'y porte pas, leur vif éclat m'attire, Et vouloir resister à leurs puissans efforts⁎, C'est m'estreindre [187] de noeuds plus preignants⁎ et plus forts. ### SCENE II. ALCIPE, SYLVAIN, les violons. ALCIPE. Amis concertez [188] vous, et que vostre harmonie Soulage, s'il se peut ma langueur infinie, Par vos divers accords essayez de toucher Un esprit insensible ou plûtost un rocher. (Les violons joüent.) C'est assez, quelqu'un vient d'ouvrir une fenestre : Retirez vous, Sylvain songe à les reconnoistre [189]. ### SCENE III. ASTRÉE, ALCIPE, SYLVAIN. ASTRÉE *à sa fenestre.*. N'est-ce pas vous Alcipe ? ALCIPE.         Oüy, Madame, c'est moy, Avec tout le respect et l'amour que je doy. ASTRÉE. Puis qu'en un fol espoir vostre coeur persevere, Retenez les avis d'une femme en cholere [190] : Alcippe [191], je suis lasse, et vos vaines ardeurs Bien loing de m'enflamer augmentent mes froideurs. J'ay long-temps par mépris negligé vostre peine ; Mais ce mépris se change en une forte haine. Evitez-en l'effet, en vous ostant du sein [192] L'espoir d'executer vostre lâche dessein : Pour estre sans mari, ma vertu n'est pas moindre. A vostre vain effort⁎, l'enfer se pourroit joindre ; Tout l'Univers enfin me viendroit assaillir, Sans qu'en ce grand assaut mon honneur pût faillir. Apres un tel discours qu'avez-vous à pretendre⁎ [193] ? Craignez, craignez plustost le retour de Leandre. Il viendra pour punir vos projets insensez, Plustost [194] que je ne dis, et que vous ne pensez. Adieu, nourrissez-vous d'esperances frivolles [195] ; Mais interpretez bien mes dernieres parolles. (Elle ferme la fenestre et se retire.) SYLVAIN. Qu'en dites-vous, Monsieur ? ALCIPE.         Menace ni mépris, Ne me peut destourner du chemin que j'ay pris, Deussè-je [196] avec l'honneur y perdre la lumiere [197], Je veux aller au bout, et franchir la carriere [198]. SYLVAIN. Comment le pourrez vous, si Leandre revient ? ALCIPE. L'on m'en a menacé, Sylvain, il m'en souvient, Mais je connois assez que [199] l'ingratte que j'aime, Pour esprouver mon coeur, trouve ce stratagéme. C'est pour mieux s'asseurer si je suis resolu, Et ne me dédis point de ce que j'ay voulu. Mais que Leandre vienne ; et qu'apres tout sa femme, D'un langage indiscret⁎ luy découvre ma flame, Je n'ignore pas l'art de luy persuader [200] Que je m'en tenois prés, afin de la garder [201] ; Que je ne la priois… SYLVAIN.         Monsieur, quelqu'un s'avance. ALCIPE. Tirons nous à l'écart, et gardons le silence. ### SCENE IV. PICARD, ALCIPE, SYLVAIN, ASTRÉE.HYPPOLITE. PICARD *tenant un flambeau.*. Malgré l'ombre et l'horreur de cet air obscurcy, Je ne me trompe pas : heurtons⁎ fort, c'est icy. ALCIPE. A voir de ce garçon l'habit et la posture⁎, Il semble un officier⁎ du Bureau⁎ de Mercure [202]. PICARD. Déja dans ce logis chacun est endormi, Redoublons toutesfois en Maistre, ou comme ami. ALCIPE. Ah ! je n'en doute plus, c'est un de ces infames, Qui vendent la jeunesse et la beauté des femmes ; L'infidelle à dessein m'a traitté rudement ; Pour s'aller divertir avec un autre amant. ASTRÉE *à la fenestre.*. Insolent c'en est trop, vostre impudence est telle, Qu'un propos de mépris, n'est pas assez pour elle : Je ne sçay qui me tient, qu'en mon juste⁎ courroux Je ne fasse sortir les voisins dessus⁎ vous. Heurter⁎ violemment, et de nuit à ma porte ! Traitte-t'on de cét air les femmes de ma sorte ? Retirez-vous, ou bien. PICARD *bas.*.         Cette male-façon Fay naistre en mon esprit je ne sçay quel soupçon ; Mais desabusons-la. ASTRÉE.         Quelle audace est la vostre ? PICARD. Madame, appaisez-vous, vous prenez l'un pour l'autre, Je suis valet d'Orphise. ASTRÉE.         Ah ! bon Dieu que j'ay tort ! Pourquoy viens-tu si tard, et heurtes⁎-tu si fort ? PICARD. Pour vous donner advis de venir tout à l'heure⁎, Autrement sans vous voir, il faudra qu'elle meure. ASTRÉE. Quel mal à ma cousine est-il donc survenu ? PICARD. Je ne vous le puis dire, il ne m'est pas connu. ASTRÉE. Attends moy, je m'en vay. SYLVAIN* à ALCIPE.*.         Vostre esprit quand j'y pense, Establit un soupçon dessus⁎ peu d'apparence. ALCIPE. Que veux-tu, tout me choque [203], et quiconque aime bien, Craind, pense mal de tout, et ne se fie à rien. PICARD. A qui pouvoit Astrée addresser ses menaces ? Peut-estre à quelque Amant hors de ses bonnes graces. Quelque galand possible⁎ autresfois en faveur, Est aujourd'huy puni d'avoir esté causeur, L'apparence à cela donne quelque ouverture. L'absence de Leandre en croist la conjecture, Toutesfois, tels soupçons souvent sont mal conceus, Et d'ailleurs je n'ay rien à gloser là dessus. ALCIPE *bas.*. Voyez l'opinion de ce dernier des hommes. ASTRÉE. (Sortant de son logis, et suivie d'Hypolite portant une petite lanterne.) Allons, ce n'est pas loing : en trois pas nous y sommes. ALCIPE. L'occasion est belle, agissons sans parler. SYLVAIN *le retenant.*. Monsieur, que pensez-vous ? où voulez vous aller ? [204] ALCIPE. Sylvain, je la veux suivre, et puisque la prière Ne peut rien m'obtenir de cette femme altiere, Je me sens resolu dans mes brûlans transports⁎, Pour vaincre son orgueil, d'en venir aux efforts⁎. SYLVAIN. Surmontez cette humeur [205], et si chaude et si prompte. Vous verrez vos efforts⁎ tourner à vostre honte. Les voisins sortiront au moindre de ses cris, Et vous aurez l'affront de fuyr, ou d'estre pris. ALCIPE. Il ne m'importe pas ; cette fiere ennemie Aura du moins sa part dedans cette infamie. Allons sans plus tarder, au poinct de son retour, Contenter à la fois ma haine et mon amour. SYLVAIN. Monsieur, encor un coup. ALCIPE.     Tay toy. SYLVAIN.         Pour vous je tremble. ALCIPE. Retirons nous d'icy, quelqu'un vient, ce me semble. ### SCENE V. LEANDRE, FILEMON. LEANDRE. Je rends graces au Ciel, nous sommes arrivez ; J'en sens plus de plaisir que vous n'en concevez. FILEMON. Je me trouve lassé [206] du chemin et du coche. LEANDRE. Vous vous delasserez, nostre logis est proche. Avec affection, nous vous y recevrons, Et vous serez traitté le mieux que nous pourrons. FILEMON. Sans autre compliment⁎, cher amy, je vous prie ; Permettez moy d'aller en mon Hostellerie⁎. Ne vous opposez pas à ce juste⁎ desir. LEANDRE. J'Escoute ce discours avec peu de plaisir. Quoy j'auray fait chez vous si long-temps ma demeure, Et vous iriez ailleurs ? non ferez [207], ou je meure [208], Il ne faut que heurter⁎, voicy nostre maison. (Il frape à la porte.) FILEMON. Adieu. LEANDRE.         De tels Adieux ne sont pas de saison, Vivons avec franchise⁎, et méprisons la mode. FILEMON. Faut-il qu'à mon sujet, chez vous l'on s'incommode ? LEANDRE. Certes vous agissez d'autre air⁎ que je n'agis : Ce propos, Filemon, me pique⁎, et j'en rougis. FILEMON. Mais me dois-je produire en habit de campagne ? LEANDRE. La grace et l'air⁎ de Cour toûjours vous accompagne. FILEMON. Leandre encor un coup, s'il vous plaist, consentez. LEANDRE. Je m'offence à la fin de vos civilitez. Aucun [209] ne nous répond, ma femme est endormie. FILEMON. Il se peut faire en ville avecques quelque amie. [210] LEANDRE. Des maximes qu'elle a, vous estes mal instruit, Elle sort peu de jour, et point du tout de nuit : Quoy que belle, que jeune, et que Parisienne, L'on trouve peu d'humeurs⁎ semblables à la sienne ; Elle aime la retraitte, et fait son entretien D'un Livre, dont l'Autheur à son gré parle bien. Elle ne fut jamais jusqu'à ce point hardie, De voir sans mon aveu⁎, ni bal, ni Comedie⁎ ; Et croit trop accorder à ses yeux innocens, Quand par une fenestre, elle void les passans. FILEMON. De son sexe elle est donc l'exemple et la merveille, Et Paris n'en a pas encor une pareille ; Cependant, entre nous, je diray, s'il vous plaist Qu'on tarde à demander qui heurte⁎, et ce que c'est. LEANDRE. Je m'en vay redoubler, mais d'une main si forte, Que s'ils ne sont tous morts, ils viendront à la porte. FILEMON. Certes apres ce bruit, il nous sera permis De les estimer morts aussi-tost qu'endormis. Les vitres ont tremblé de ces coups de tonnerre, Et j'ay dessous⁎ mes pieds senty fremir la terre. LEANDRE. L'on ne vient point ouvrir ; surpris, triste, confus, Et troublé de soupçons, si jamais je le fus, Je croy trop convaincu d'une telle apparence, Qu'Astrée indignement me traitte en mon absence. FILEMON. N'ayez pas ce penser d'un miracle [211] d'amour, Qui ne sort point de nuit, et rarement de jour ; D'une Parisienne, et jeune, et bien aimable, Dont le bon naturel n'eut jamais de semblable ; Qui se plaist d'estre seule, et qu'un Livre bien-fait Du soir jusqu'au matin instruit et satisfait. D'une femme soûmise, et qui vous idolatre, Jusqu'à vous consulter pour aller au Theatre ; Et qui croit qu'à ses yeux c'est beaucoup accorder, De souffrir qu'en la ruë ils puissent regarder. [212] LEANDRE. Est-ce ainsi qu'en raillant, amy, tu me consoles ? Pourquoy m'adresses-tu ces piquantes paroles ? Il est vray que l'ingratte avec son suborneur, Sans respect de l'Hymen⁎, me blesse dans l'honneur. Je n'en doy plus douter, l'apparence l'asseure, Et je l'apperçoy trop dans cette nuit obscure. FILEMON. Heurtez⁎ encor un coup. LEANDRE.         Je le feray sans fruit. (Il heurte.) UN VOISIN *à la fenestre.*. Qui sont ceux qui là bas font si long-temps du bruit ? LEANDRE. Mon amy, c'est Leandre, ou le mari d'Astrée. LE VOISIN. Un quart-d'heure plustost [213], vous l'eussiez rencontrée ; Elle est sortie alors, pour aller secourir Sa cousine malade en danger de mourir. LEANDRE. Il me suffit, voisin, je vous en remercie ; Que d'un doutte fâcheux, mon ame est éclaircie ! Soupçon injurieux, mensonge que je hays ! Va, sors de mon esprit, et n'y rentre jamais. Vous avez comme moy, mal pensé de ma femme. FILEMON. L'on garde comme vous un déplaisir en l'ame. [214] LEANDRE. Vous plaist-il demeurer [215] icy seul un moment, Je vay chez ma parente, et reviens promptement. FILEMON. Volontiers, qu'aisément dessus⁎ peu d'apparence, Il nous arrive à tous d'accuser l'innocence ! Mais où va cette Dame, il me le faut sçavoir, Et sans qu'elle me voye, essayer de la voir. ### SCENE VI. ASTRÉE, HYPPOLITE, PICARD,ALCIPE, SYLVAIN, FILEMON. ASTRÉE. Retourne t'en Picard, c'est assez d'Hypolite : Ma frayeur de ce soir n'a pas esté petite. Ma cousine toûjours sentant le moindre mal M'allarme, et me remplit d'un trouble sans égal. Mets la clef à la porte, Hyppolite, et te haste. ALCIPE. Arrestez. ASTRÉE.     Pour Alcipe. ALCIPE.         Oüy, pour Alcipe, ingratte. La force m'obtiendra ce qu'en vain les soûpirs Ont tâché d'obtenir à mes ardens desirs. ASTRÉE. Au secours, justes Cieux ! pouvez -vous sans vangeance, Souffrir d'un effronté la brutale insolence ? FILEMON. Deffends toy, temeraire, et reçoy de ma main, De tes lâches efforts⁎, le chastiment soudain. ALCIPE. O Ciel, je suis blessé ! FILEMON.         C'est encor mon envie, Que tu sois sans parole, et sans force, et sans vie. SYLVAIN. Fuyons, c'est le plus seur. FILEMON.         Fuyez, lâches, fuyez, Vous faites des affronts, mais vous les essuyez. [216] Heureux en ce combat autant qu'on le peut estre [217], J'ay vangé vostre affront, et desarmé ce traistre. ASTRÉE. Genereux Cavalier [218], sçauray-je vostre nom ? FILEMON. Ceux qui le sçavent bien, me nomment Filemon. ASTRÉE. Lyonnois ? FILEMON.     Lyonnois. ASTRÉE.         Grand amy de Leandre ? FILEMON. Nous venons d'arriver, et je suis à l'attendre. ASTRÉE. Si pour mes interests, je puis vous émouvoir, Taisez luy l'action que vous venez de voir. Quoy qu'en moy quelquesfois se forment des chimeres, Et conçois des soupçons de choses plus legeres ; Cavalier, je vous croy discret jusqu'à ce poinct. FILEMON. Pour de plus grands secrets, je ne parlerois point ; Mesme pour éviter qu'en voyant cette espée De quelque faux ombrage⁎, il ait l'ame occupée, Je la sçauray fort bien dérober à ses yeux. ASTRÉE. Hyppolite, prends-la, c'est encor pour le mieux. FILEMON. Tant de precaution que pareille occurence N'est pas en mon avis de fort bonne apparence. J'interprete sa peur de mauvaise façon, Et rentre, peu s'en faut, dans mon premier soupçon. ### SCENE VII. LEANDRE, FILEMON. LEANDRE. Je ne l'ay pas trouvée. FILEMON.         Elle est aussi venuë [219]. LEANDRE. Par ce chemin, sans doute, et moi par cette ruë : Ma cousine n'est pas si preste de mourir. Semblable maladie est promte à se guarir [220], J'ay sçeu du Medecin et de l'Appoticaire ; Que ce n'estoit qu'un mal aux femmes ordinaire. Entrons sans compliment⁎. FILEMON.         Je n'en sçay faire aucun. LEANDRE. Passez-donc. FILEMON.         Je le veux, de peur d'estre importun [221]. Fin de l'Acte premier. ## ACTE II. ### SCENE PREMIERE. ALCIPE, SYLVAIN. ALCIPE. Donne moy ton espée, il faut que mon courage⁎ Me vange hautement de ce sensible outrage. Avant que le Soleil nous rameine le jour, J'esteindray dans leur sang leur criminelle amour. L'insolent, dont la main plus heureuse qu'adraitte [222] M'a de son premier coup contraint à la retraitte, Pend au bras [223] de l'ingratte, et reçoit à l'envy⁎ Le doux contentement qu'en vain j'ay poursuivy ! C'est le second mary [224] de cette ame infidelle ; Auroit-il autrement entrepris⁎ sa querele⁎ ? L'apparence en ce poinct, marque sa trahison, Persuade mes yeux, et convainct ma raison. SYLVAIN. Il est vray qu'à juger de chaque circonstance, Astrée avec cét homme a de l'intelligence⁎. Entrer dans son logis ! Et pour son interest, Estre à vous attaquer et si prompt et si prest, Montre aux moins avisez et clairement explique, Qu'ils fomentent [225] entr'eux une ardeur [226] impudique. ALCIPE. Il est entré le traistre ! Et celle qu'il seduit, Le croit faire sortir, et dans l'ombre et sans bruit ; Mais d'un semblable espoir en vain elle se flatte, Il faut que mon dépit⁎ et que sa honte éclatte ; (Il heurte⁎ à la porte.) Sors, lâche, je t'attends, et mon coeur irrité⁎ Prepare un chatiment à ta temerité. SYLVAIN. Hé de grace, Monsieur, voyez ce que vous faites ; L'appeler au combat tout blessé que vous estes ? ALCIPE. Si pour tirer raison de [227] cét audacieux, Mon bras ne me sert bien, je le tuëray des yeux. SYLVAIN. L'on sort. ALCIPE.         Ciel, c'est Leandre avec mon adversaire ! En cette occasion qu'imaginer ? que faire ? SYLVAIN. Continuez toûjours vos menaçants propos ; Asseurez vous du reste, et soyez en repos. ### SCENE II. LEANDRE, FILEMON,ALCIPE, SYLVAIN. LEANDRE. En des maisons d'honneur apporter du scandale ! A t'on jamais parlé d'une insolence égale ? ALCIPE. Les lâches, les marauts, les traitres, les filoux, Ils seroient bien hardis, s'ils ne craignoient les loups ! Me prendre à l'impourveuë⁎, et saisir mon espée ? D'un mortel déplaisir⁎ j'en ay l'ame occupée ; Je me meurs, je deteste, et du dépit⁎ que j'ay, Je ne me connois plus, et suis pis qu'enragé. LEANDRE. Je ne me trompe pas, c'est Alcipe luy-méme. Qu'en cét évenement, ma surprise est extréme ! ALCIPE. N'estes vous pas encor de ces courages⁎ bas [228], Qui, s'ils ne voloient [229] point, ne subsisteroient pas ? Rien que deux contre moy, vous sçaurez tout à l'heure⁎ Qu'il n'arrive jamais qu'un affront me demeure [230]. LEANDRE. Ces propos envers nous ne vous sont pas permis ; Alcipe, connoissez [231] vos anciens amis. ALCIPE. Infames, mes amis n'ont rien qui vous ressemble. FILEMON *bas.*. C'est luy que j'ay tantost⁎ desarmé, ce me semble. LEANDRE. Vos propos à la fin sont trop injurieux. SYLVAIN. Excusez les transports⁎ d'un homme furieux⁎. Monsieur, r'entrez en vous, et me veüillez entendre, C'est Leandre. ALCIPE.         Est-il vray ! seroit-ce vous, Leandre ? LEANDRE. Oüy, c'est moy. ALCIPE.         Pardonnez, ce qu'un juste⁎ courroux Me faisoit addresser à tout autre qu'à vous. LEANDRE. Dittes-nous le sujet de ce desordre extréme ? ALCIPE. Sylvain vous le peut dire aussi bien que moy-méme : Cependant [232] j'essayray de rappeller mes sens, Et sortir tout à fait de ces transports⁎ puissans. SYLVAIN. Mon Maistre revenoit de faire une visite : Je vous laisse à penser si l'objet⁎ le merite ; Quand au coin de la ruë il se trouve surpris De cinq ou six filoux des mieux faits de Paris : Ils demandent d'abord⁎ ou la bourse ou la vie ; Mais son coeur et son bras combattent cette envie. Il presse, il est pressé ; mais luy seul contre eux tous, Comment se pourroit-il garantir de leurs coups ? On le blesse à la main dont il tient son épée. Elle tombe, aussi-tost la mienne est occupée ; Il la prend, il s'en sert, et chaud en ce combat, Les attaque en lyon, et les charge, et les bat. Au signal d'un sifflet, leur troupe se dissipe, Et je me vois alors tout seul avec Alcipe. LEANDRE. D'où vient donc qu'il s'emporte avecque [233] tant d'excez ? Si ton recit s'accorde avecque le succez, Sa valeur en ce choc, n'a pas esté trompée. SYLVAIN. C'est qu'un de ces filoux emporte son espée ; (Icy Filemon rentre chez Leandre.) Et qu'il est affligé plus que tous les humains, De sçavoir qu'elle passe en de si viles mains. [LEANDRE.] [234]. Le sujet est petit, pour de si grandes plaintes. ALCIPE. J'en ressens toutesfois de mortelles atteintes, Et ne sçaurois penser à ce sanglant affront, Qu'avec la rage au coeur, et la rougeur au front. LEANDRE. Mais pourquoy rudement heurter⁎ à cette porte ? SYLVAIN. Pour vous mieux obliger à nous prester main-forte. LEANDRE. De qui donc sçaviez-vous mon retour à Paris ? SYLVAIN. D'un Marchand de Lyon, qui nous l'avoit apris. ### SCENE III. ASTRÉE, LEANDRE, ALCIPE,SYLVAIN. ASTRÉE. Voulez-vous demeurer toûjours dans cette ruë ? Pour de si longs discours n'est-il pas heure induë ? Vous avez des secrets au moins un million ; Mais où peut estre allé vostre amy de Lyon ? LEANDRE. Il n'en faut pas douter, ce genereux⁎ courage⁎ Court apres les filoux, pour vanger vostre outrage, Je vay le secourir. ALCIPE.         Les miens suivroient vos pas ; Mais mon coeur seroit mal secondé de mon bras. LEANDRE. Alcipe demeurez ; tout le pouvoir des charmes⁎ Ne le peut empécher de tomber sous nos armes. ### SCENE IV. ALCIPE, ASTRÉE, HYPPOLITE, SYLVAIN. ASTRÉE. Je rentre. ALCIPE.     Je vous suy. ASTRÉE.         N'allez pas plus avant. ALCIPE. Madame ! ASTRÉE.         C'est donner des paroles au vent ; Quoy dedans ma maison j'introduirois un homme Que l'impudique ardeur d'un fol amour consomme ? Et qui depuis long-temps sans crainte et sans respect, Tient ma vertu forcée, et mon honneur suspect ? Un infidele ami, de qui l'ame est si noire, Qu'il tâche de soüiller de son amy la gloire ; Et contre tous les droits d'amour et d'amitié, Voudroit ingratement luy ravir sa moitié : C'estoit peu d'employer d'inutiles amorces. Vous en estes venu jusqu'à d'injustes forces ; Mais le Ciel favorable, en ce besoin pressant, Oüy le Ciel a rendu vostre effort⁎ impuissant. ALCIPE. Madame, ce reproche est juste, je l'avouë : Le principe en est noble, et méme je le louë. Je fus trop insolent, et trop audacieux De me flatter du bien d'agréer à vos yeux, Rien d'impur ne peut plaire à ces Astres sans tache. Ils penetrent un coeur, ils voyent ce qu'on y cache. Dans son aveuglement, il en est éclairé : S'il a quelque soüillure, il en est espuré. Et si sa passion s'accroist et persevere, Ils sçavent l'en guerir d'un regard de colere. Je ressens dans le mien, ce prompt et rare effet ; Mes illicites feux sont esteints tout à fait ; Je ne suis plus pressé de ces transports⁎ estranges, Et je vous aime enfin comme on aime les Anges, D'un amour pur et saint, exempt de tout remorts, Franc⁎ des impressions qui nous viennent du corps : Et s'il faut qu'en un mot, je m'exprime, Madame, Plus pur que le Soleil, aussi pur que vostre ame. ASTRÉE. Si vous parlez sans fard, mon courroux affoibly Possible⁎ avec le temps mettra tout en oubly : Mais jusqu'à ce moment, ou par grace, ou par crainte, Redoutez de mes yeux une seconde atteinte. Evitez ma presence, et vous affermissez Dedans le repentir de vos projets passez. ALCIPE. Quoy m'imposer, Madame une Loy si severe ? ASTRÉE. Le soin⁎ de vostre bien m'ordonne de le faire ; C'est pour vostre repos que j'en dispose ainsi, Ne trouvez pas mauvais que je vous laisse icy. ### SCENE V. ALCIPE, SYLVAIN. ALCIPE. Ne trouvez pas mauvais que j'en tire vangeance : Mon feu conserve encor toute sa violence. Ma langue avec mon coeur, ne s'accordoit pas bien, Lors que je vous disois, qu'il ne m'en restoit rien. SYLVAIN. Estouffez-en plûtost, et le tout, et le reste : Vous vous delivrerez, d'un poison, d'une peste, D'un mal de tous les maux le plus contagieux Que l'on reçoit dans l'ame, et qu'on prend par les yeux. ALCIPE. Sylvain, tu me surprends, tu parois habille homme. SYLVAIN. Il se trouve des Clercs [235], plus ignorans à Rome. Et sans faire du vain, je jurerois ma foy, Qu'on en void dans Paris de plus badauts [236] que moy. Mon esprit a paru dedans mon personage, Lors que de ces filoux j'ay supposé l'outrage. ALCIPE. Oüy certes, tu t'en es dignement acquitté ; J'ay connu ton Genie, et ta dexterité : Mais quelque bon succez qu'ait eu nostre mensonge, Un soupçon dissipé dans un autre me plonge ; Leandre est abusé ; mais l'ami de Lyon N'est pas asseurément de mesme opinion : Il m'a connu [237] sans doute, et s'est fait violence De me voir, de m'oüyr⁎ et garder le silence. SYLVAIN. Ils reviennent tous deux, nous serions bien trompez, S'ils avoient en courant nos filoux attrapez. ### SCENE VI. FILEMON, LEANDRE, ALCIPE,SYLVAIN. FILEMON. Ma peine, grace au Ciel, n'a pas esté trompée ; Ne vous affligez plus, j'apporte vostre espée. LEANDRE. Tout cede, tout se rend au brave Filemon. ALCIPE. Les filoux ! FILEMON.         Ha ! toubeau [238], vous sçavez mal leur nom. Et comme les objets se grossissent dans l'ombre, A vos sens estonnez⁎ un seul homme a fait nombre. ALCIPE. Un seul homme ! FILEMON.     Un seul homme. ALCIPE.         Ils estoient plus de six. FILEMON. Cavalier, parlez-en d'un esprit plus rassis [239], Vous nous feriez juger dedans cette occurence, Que la peur vous osta jusqu'à la connoissance ; Qu'en des temps seulement [240] vous estes genereux⁎, Et que la mort pour vous est d'un aspect affreux. Un seul avantagé de sa bonne conduite [241], Vous a mis sans deffence, et contraint à la fuitte. LEANDRE. Vous me parlez icy d'un langage inconnu. FILEMON. Nous estions separez quand vous estes venu, Et celuy dont je parle, et pour qui je respire, M'avoit dit à peu prés ce que je vay vous dire. Vous vous méprenez trop, de crier aux filoux, Arrestez, et m'oyez⁎ Alcipe, si c'est vous. La mortelle frayeur d'une attaque impreveuë Vous a troublé l'esprit aussi bien que la veuë. De tous les gens d'honneurs je professe la Loy ; Si vous estes blessé, sçachez que c'est de moy. Je n'ay pû supporter l'extréme violence Dont vostre aveugle amour usoit en ma presence ; Et crois avoir agi comme un homme de coeur, D'avoir pris le parti d'une femme d'honneur. ALCIPE. Ce brave est fanfaron. FILEMON.         Ce brave a du courage, Et je ne pense pas qu'il change de langage, LEANDRE. Vous vous piquez, ce semble, Alcipe, à quel sujet ? Il ne dit rien de luy, c'est un recit qu'il fait. ALCIPE. C'est un conte [242] ennuyeux⁎. FILEMON.         Achevez de m'entendre. ALCIPE. Je ne puis. FILEMON.         En tout cas, je m'adresse à Leandre, Je laisse quelque temps l'inconnu dans l'erreur. Il parle en menaçant, j'écoute sans terreur : Mon silence le choque, il veut que je réponde, Il demeure à ma voix le plus surpris du monde, Six en attaquer un, le prendre en trahison ; Il faut qu'en ce moment vous m'en fassiez raison, Luy dis-je, et si la mort n'a point pour vous de charmes⁎, Que vous vous disposiez à me rendre les armes. Vous me redoutez peu, mais en vous assaillant, Vous sçaurez si je suis temeraire ou vaillant. S'il vous est plus aisé de me vaincre qu'un autre ; Je prends son interest, soustenez bien le vostre. Lors l'oeil bon, le pied ferme, et le bras prompt et fort ; Je luy porte, il s'écrie, ah ! Cavalier, j'ay tort, L'ombre a fait mon abus que vostre voix dissippe, Je vous ay creu d'abord, et traitté comme Alcippe. L'abus est pardonnable où la nuit vous a mis, Je le connois, luy dis-je, et nous sommes amis. J'en ressens, répond-il, un plaisir incroyable : Je vous feray de tout un recit veritable. 490 Si mon juste motif n'est pas raison pour vous, Je porte à mon costé de quoy la faire à tous [243]. Cela dit, il commence à peu prés en ces termes. Que l'on void peu d'amis veritables et fermes ! Alcipe en avoit un qui le vouloit trahïr [244] ; Il en aimoit la femme, et c'estoit le haïr. Pour elle, il eut au coeur une illicite flâme. Il creut en triompher, parce qu'elle estoit femme. L'absence d'un mari flatta son lâche espoir, Il en venoit toûjours, ou toûjours l'alloit voir. Tout ce que l'Art d'aimer [245], ou plustost de seduire [246] ; Peut en un tel dessein suggerer et prescrire : Tout ce qu'un lâche Amant sçauroit s'imaginer Pour plaire, pour surprendre, enfin pour suborner, Alcipe le pratique, Alcipe l'execute. Sans relâche il poursuit, sans cesse il persecute ; Aujourd'huy les soûpirs parlent pour son amour ; Ce sont demain les dons, la plainte un autre jour ; Mais la beauté qu'il aime, en espouse fidelle S'oppose, et répond mal aux pensées qu'il a d'elle. Et comme en l'element où vont les matelots, Une Roche resiste à la fureur des flots ; Elle repousse Alcipe, et sa vertu s'explique ; Plus ce brutal courage⁎, ou s'échauffe, ou se pique⁎. Cette rare vertu qu'il devroit respecter, Loin de guerir son mal, ne fait que l'irriter⁎. Privé de tout espoir d'obtenir ce qu'il pense, Il le veut emporter avecque violence. Il choisit le temps propre à ce honteux dessein, Il tient à cette Dame un poignard sur le sein : Et la nuit secondant sa criminelle envie, Il tâche à luy ravir [247], ou l'honneur, ou la vie. Lors vers luy par le Ciel heureusement conduit, Je voy cette action plus noire que la nuit : Dedans le mesme instant ma main paroist armée, Et sert plus promptement qu'elle n'est reclamée. Le nom de Cavalier, mon courage⁎, mon rang, Pour satisfaction me demandent du sang. Je donne à ce brutal une soudaine allarme ; J'attaque, je poursuis, je blesse, je desarme : Il fuit pour éviter de plus funestes coups, Et se croit bien vangé de crier aux filoux. Voila sans déguiser⁎ le recit veritable Du glorieux motif d'un courroux équitable [248] ; Voila pourquoy ce coeur jamais noble à demi, A genereusement⁎ entrepris⁎ vostre ami. Si vous n'approuvez pas cét Acte magnanime, Vous me voyez tout prest à soûtenir mon crime. Je ne m'en repends point, de si nobles forfaits N'apportent point de honte à ceux qui les ont faits. ALCIPE. Vous avez bonne grace à retirer un conte. [249] FILEMON. Qui fait qu'un peu de sang au visage vous monte ; Mais sans plus vous aigrir [250], puis que ce nom vous plaist, Je m'en vais achever le conte comme il est. LEANDRE. Soit conte, soit histoire [251], Alcipe faites tréve ; Et pour l'amour de moy permettez qu'il achéve. FILEMON. Estonné⁎ des propos que tient le Cavalier, Si je fay des efforts⁎, c'est à le supplier ; Obligé par raison d'estouffer ma colere : Du parler arrogant, je passe à la priere, Cavalier j'ignorois ce que je viens d'oüyr⁎ ; Mais le flambeau d'amour nous peut tous ébloüyr. Qu'est-ce qu'un bel objet⁎ me peut tenter, luy dis-je, Et n'aimer pas l'aimable⁎, est-ce pas un prodige ? Sans lâcheté l'on cede à de divins appas⁎ ; Si l'on manquoit de coeur, on n'y cederoit pas. Alcipe à dire vray, me semble peu coupable ; Et puis qu'elle est d'amour, sa faute est excusable. Devenez bons amis, cherissez-vous tous deux. Et faites un accord sincere, et genereux⁎. Ma haine, répond-il, est toute dissipée ; Pour vous en asseurer, je vous rends son espée. Si son courage⁎ imite et seconde le mien, L'ami qu'il trahissoit n'en sçaura jamais rien. Là ses adieux se font, les miens se font de mesme, Resolu de l'aimer, et d'aimer ce qu'il aime [252]. LEANDRE. Alcippe à vostre ami, faire un pareil affront ! Ce discours me regarde autant qu'il me confond. ALCIPE. Me soupçonneriez-vous d'une telle insolence ? LEANDRE. Oüy, si j'estois d'humeur à croire l'apparence. Quel autre en peut avoir de plus justes⁎ soupçons ? ALCIPE. Des soupçons qu'a fait naistre un conteur de chansons. FILEMON. Ce nom luy convient mal, on le tient honneste⁎ homme ; Je le connois fort bien et sçay comme il se nomme. Que si le moindre mot vous choque en mon recit, Il vous le soutiendra, je vous l'ay déja dit. ALCIPE. Je vous l'ay dit aussi, quoy qu'on se persuade, Qu'il sçait la raillerie et la rodomontade [253]. FILEMON. Nous voyons toutesfois, et vous le confessez, Que l'on vous compte au rang de ceux qu'il a blessez. ALCIPE. Ah ! ce reproche… LEANDRE.         Alcipe où va vostre colere ? ALCIPE. Ailleurs… FILEMON.         Le mesme bras toûjours prest à bien faire. LEANDRE. De grace, Filemon, terminez ce propos. FILEMON. Cavalier autre part nous en dirons deux mots. Adieu. LEANDRE.         Je sçauray bien adoucir ce courage⁎. ALCIPE. C'est assez. LEANDRE.         Je le suy, montrez-vous le plus sage. ### SCENE VII. ALCIPE, SYLVAIN. SYLVAIN. Il vous a balotté d'une estrange façon, Dessus le bout du doigt il sçavoit sa leçon : Apres ce traittement pretendez⁎ vous encore D'entretenir [254] long-temps le feu qui vous devore ? Voulez vous abusé d'un espoir decevant⁎, Dessus⁎ la mer d'amour cingler à contre-vent ? ALCIPE. Oüy, je veux persister malgré tous les obstacles, En faveur des amants le temps fait des miracles : J'auray par l'artifice⁎, y deusse-je perir, Ce qu'en vain mes soûpirs ont tâché d'acquerir. Fin de l'Acte second. ## ACTE III. ### SCENE PREMIERE. ASTRÉE, ORPHISE, HYPPOLITE. ASTRÉE. Cousine à quel propos vous donner cette peine ? Ne me le celez⁎ point, autre chose vous meine, Apprenant vostre mal, j'ay deu vous visiter ; Et rien ne vous oblige à vous en acquiter. ORPHISE. Sans paroistre incivile, et manquer de conduitte ; Je ne pouvois d'un jour differer ma visite. Mon devoir m'obligeoit de respondre à vos soins, Et pour n'y pas manquer pouvois-je faire moins ? Mais de grace cousine, ostez moy d'une peine, Quelle autre chose encor [255] croyez vous qui m'ameine ? Quelque secret penser que vous puissiez avoir, N'en imaginez rien que l'honneur de vous voir. ASTRÉE. Hyppolite au matin vous a dit à l'Eglise, Qu'un jeune Cavalier, vous rougissez Orphise ! ORPHISE. Qu'un jeune Cavalier, et bien qu'en pensez-vous ? ASTRÉE. Arrivé d'hyer au soir estoit logé chez nous. Si le vray s'accommode avec ma conjecture, Elle vous en a fait l'agreable peinture ; Et le desir secret de voir l'original, Vous a fait, je m'assure, oublier vostre mal. ORPHISE. Cousine, vostre esprit se forme une pensée, Dont toute autre que moy se tiendroit offencée ; Ce Cavalier a-t'il tant, et de tels appas⁎, Que pour les admirer on doive faire un pas ? ASTRÉE. Cousine avecques moy, soyez plus ingenuë⁎, Ne l'avez vous pas veu quand vous estes venuë ? C'estoit luy qui lisoit, et dont le compliment⁎, Vous a semblé d'abord⁎ si doux et si charmant⁎. ORPHISE. Vous en dittes beaucoup, je ne m'y connois guere, Ou tout ce qu'il m'a dit est d'un stile ordinaire. Que voit-on dans son port qu'on ne remarque ailleurs ? ASTRÉE. Vostre oreille et vos yeux ne sont pas des meilleurs. Il n'ignore pas un des termes à la mode, A tout ce que l'on veut son esprit s'accommode. Qu'on le mette au cageol [256], ou sur le serieux, Il s'en rencontre peu qui s'en demélent mieux. Vous parlez de son port ; que voit-on qui n'agrée ? Cousine avoüez-le, vous faites la sucrée [257] ; Ou si vos sentimens se produisent sans fard, Vous n'aimâtes jamais et n'en sçavez pas l'Art. ORPHISE. Si ce discours Cousine explique bien les vostres, Je vous y croy sçavante autant et plus que d'autres : Cét hoste si bien fait au rapport de vos yeux, S'il garde le secret, ne sçauroit estre mieux. Cousine vous l'aimez, afin que je m'exprime ; Si l'amour n'accompagne, il suit de prés l'estime. ASTRÉE. C'est aller trop avant, cousine je m'en plains, Je regle mieux mes yeux, mon coeur et mes desseins. Quoy qu'en ce Cavalier l'on trouve d'agreable : Leandre est l'homme seul qui me paroist aimable⁎. J'expireray devant que [258] lui manquer de foy ; Mais d'où naist le soupçon que vous avez de moy ? Respondez ma cousine. ORPHISE.         Il naist de l'apparence ; Vous loüez l'Estranger avec trop d'eloquence. Celles que l'Hymenée⁎ attache à des maris, Ne parlent en ce sens que de leurs favoris. ASTRÉE. Que vostre intention explique mal la mienne ! Ma vertu se soûtient, sans que l'on la soûtienne, Au prix de mon mari l'estranger ne m'est rien, C'est pour l'amour de vous que j'en ay dit du bien ; C'est à vostre sujet que j'ay voulu moy-méme Vous parler hautement de son merite extréme : Ses parens dans Lyon peuvent tout aujourd'huy, Et je voulois de loing vous incliner pour luy. ORPHISE. Ah ! ma chere cousine excusez moy de grace ; Je brûle, et j'essayois de paroistre de glace, J'ay veu ce Cavalier, son visage m'a pleu. ASTRÉE. En un mot vous l'aimez ? ORPHISE.         Non pas [259], mais je l'ay veu. ASTRÉE. Avant que de ceder, vous ne resistez guere : Quoy ce jeune Estranger a pû si-tost vous plaire ? Ce Cavalier a-t'il des charmes⁎ si puissans, Qu'ils triomphent d'abord⁎ de l'esprit et des sens ? ORPHISE. Honteuse d'avoüer le foible de mon ame, Je montrois des glaçons et cachois de la flâme ; Mais helas les brasiers que j'avois au dedans  Pour estre plus secrets, n'estoient pas moins ardens. ASTRÉE. A ce mal si pressant il faut trouver remede. ORPHISE. Puis-je sans vanité me promettre de l'aide ? Ce noble Cavalier si chery dans Lyon, N'y passoit pas le temps sans inclination : Et ma presomption sembleroit bien estrange De croire qu'il voulut pour moy courir au change [260]. ASTRÉE. Ne desesperez rien [261], menageons vos amours ; Encor qu'on soit aimé, l'on aime pas toûjours. Le Lyonnois possible⁎ et sans fers et sans flâme, Est venu dans Paris afin d'y prendre femme ; Son valet à propos dresse ses pas icy, Il rendra sur ce point nostre doute éclaircy. ### SCENE II. VALENTIN, ASTRÉE,ORPHISE, HYPPOLITE. ASTRÉE. Escoute un mot. VALENTIN.         Le temps ne me le peut permettre, Je vay voir au Courier s'il n'a point quelque lettre. ASTRÉE. De Lyon ? VALENTIN.     De Lyon. ASTRÉE.     Pour ton Maistre ? VALENTIN.         Pour luy. ASTRÉE. De la part ? VALENTIN.         D'un objet⁎ qui l'enflame aujourd'huy. ORPHISE. Ah ! je meurs à ces mots. ASTRÉE.         Qu'ont-ils de si funeste ? Venez l'entretenir, je conduiray le reste. (Astrée parle à Hyppolyte bas à l'oreille.) ORPHISE. Les lettres sont dis-tu de la part d'un objet⁎ Dont ton Maistre amoureux est esclave et sujet, De qui depuis long-temps il supporte les chaisnes ; Et seul aujourd'huy fait ses liens et ses peines. VALENTIN. Il est ainsi, Madame, et permissent les Cieux Qu'il portast autre part sa pensée et ses yeux ! ASTRÉE *bas à Hyppolyte.*. Va viste, et fay si bien que tu me les apporte [262]. ORPHISE. Qui t'oblige à former des souhaits de la sorte ? Celle de qui ton Maistre est si fort enflammé, A-t'elle rien [263] qui soit indigne d'estre aimé ? N'est-elle pas bien noble, et bien riche, et bien belle ? VALENTIN. Toutes ces qualités se rencontrent en elle ; Mais. ORPHISE.     Explique ce mais. VALENTIN.         Ce poinct m'est deffendu, Mon Maistre le sçauroit, et je serois perdu. ASTRÉE. Nous ignorons de tout [264] ; et nos bouches sont closes ; Apres qu'on nous a dit en secret quelques choses. Parle. VALENTIN.         Mon Maistre vient, Ciel quel est mon soucy⁎, Que ne dira-t'il pas de me trouver icy ! ### SCENE III. FILEMON, ASTRÉE, ORPHISE.VALENTIN. FILEMON. Quoy maraut, quoy coquin, quoy perfide, quoy traistre ? C'est ainsi que tu suis les ordres de ton Maistre ; Mes Dames pardonnez, si mon juste⁎ courroux Envers ce miserable éclate devant vous : J'attends par le Courrier des lettres d'importance, Pour qui j'ay des desirs et de l'impatience ; Va viste mal-heureux, mille coups aujourd'huy, [265] ASTRÉE. Nous sommes elle et moy, plus coupables que luy : Nous l'avons retenu, soyez luy moins severe. FILEMON. Mes Dames à ce mot, je suis hors de colere, Rends grace à ces beautez de qui je suy les Loix, Et sois à me servir plus prompt une autre fois. [266] ORPHISE. Nous ne demandons pas si c'est quelque Maistresse Que vostre éloignement retient dans la tristesse ; Et qui pour soulager son tourment amoureux Vous doit dans ses écrits exaggerer ses feux. FILEMON. Je veux bien l'avoüer, les lettres que j'espere Sont de douces faveurs d'une main qui m'est chere ; D'un objet⁎ plus aimable⁎ encor qu'il n'est aimé : Mais pour qui vainement mon coeur est enflammé. ORPHISE. Pourrions nous Cavalier sçavoir cette avanture ? FILEMON. Elle est certainement bien estrange et bien dure. Oüy vous sçaurez l'estat de mes tristes amours Que la suitte du temps vous aprendroit toûjours. J'aimay dedans Lyon, et fus aimé de mesme, D'une Dame charmante⁎ et de merite extréme, Jeune, de noble sang, et mesme dont les biens S'ils ne les surpassoient, ne cedoient pas aux miens ; Elle souffroit pour moy, si je brûlois pour elle ; Nous avions en un mot une amour mutuelle. Mais une vielle haine entre nos deux maisons, S'oppose au doux Hymen⁎ que nous nous proposons. Nous tâchons vainement de reünir nos peres ; Plus nous les en prions, plus ils nous sont contraires, Ainsi n'esperant rien que du sort et des Cieux, Je quitte pour six mois le charme⁎ de mes yeux. Rome, Naples, Venize, et Padoüe, et Florence ; Furent pendant ce temps, tesmoins de ma souffrance. L'Esté quand je partis commençoit ses chaleurs, L'Hyver quand je revins, exerçoit ses rigueurs : Florinde à mon abord⁎ ne fut pas oubliée ; L'on m'asseura d'abord⁎ qu'elle estoit mariée, (Florinde, c'est le nom de l'objet⁎ souverain [267], A qui j'ay tant rendu de services [268] en vain) Si j'en sentis au cœur, une mortelle atteinte, Si mon ressentiment s'exprima par la plainte ; Et si mes vains regrets furent si-tost [269] passez, Je ne vous le dy pas, vous le jugez assez. Je revoy cependant cette aimable⁎ personne, Toûjours dans les respects que le devoir ordonne. Son mari trop enclin aux jalouses erreurs, En conçoit contre nous de secrettes fureurs. Toutes nos actions, luy donnent de l'ombrage⁎, Il croit que nous parlons de tout nostre visage. Que nos yeux concertez s'entretiennent d'amour, Qu'ils se marquent le lieu, qu'ils se donnent le jour. Cela n'arreste pas le cours de mes visites, Je revere toûjours Florinde, et ses merites ; Enfin qu'arriva-t'il ? nous estions elle et moy A nous entretenir de je ne sçay plus quoy ; Quand son petit Laquais contre son ordinaire, Ferma sur nous la porte, et creut beaucoup nous plaire. La clef tombe en fermant : il ne l'avise pas [270], Nous demeurons en haut, et luy descend en bas. Par un nouveau mal-heur, nostre jaloux arrive, Florinde est à sa voix aussi morte que vive : Il heurle, l'on ne peut ouvrir par le dedans. Il redouble, et tout bas murmure entre ses dents. Enfin cét ombrageux⁎ à tel excez s'emporte, Que d'un grand coup de pied il enfonce la porte. Il entre, et sans parler, cét homme furieux⁎ Vient donner à Florinde un souflet à mes yeux. Il relevoit la main pour en donner un autre, Quand je luy dis : Monsieur, quel caprice [271] est le vostre ? Faut-il que vous suiviez ces ombrages⁎ legers ? Faittes mieux, n'ayez plus ces indignes pensers.  Et n'en venez jamais à telles violences, Pour des soupçons fondez dessus⁎ des apparences. L'apparence est trop claire, et mon bras irrité⁎ [272] En vange le soupçon comme une verité. Il me porte à ces mots un ou deux coups d'espée ; La mienne en ma deffence est soudain occupée. Je passe, et plus adroit, ou plus aimé du sort, Je le mets sur la place [273], et le laisse pour mort. Sa cheute fait du bruit, j'entends quelqu'un qui monte, Si l'accident est prompt, ma retraitte est plus prompte. Le coup se fit le soir, je partis le matin. Voila de mes amours l'histoire et le destin ; Les lettres que j'attends sont de l'infortunée, Qui seule à tant de maux se void abandonnée. ASTRÉE. Que peut-elle esperer de vostre affection ? FILEMON. Je m'en retourneray s'il le faut à Lyon ; Et si pour cette mort la justice l'arreste, Jusques sur l'échaffaut j'iray porter ma teste. ORPHISE. Mais avez vous tué ? FILEMON.         Je n'en suis pas certain, Mon courage⁎ en ce cas desavouëroit ma main. ORPHISE. Et cette veufve un jour deviendroit vostre femme ? FILEMON. Elle craint autrement les soupçons et le blâme, Elle aimoit son espoux ; et feroit son effort [274] D'immoler le vivant sur la tombe du mort. ASTRÉE. N'esperant donc plus rien que vangeance et que larmes, Que ne devenez-vous sensible à d'autres charmes⁎ ? Que ne faites-vous choix de quelque digne objet⁎, Dont vous soyez ensemble [275] et Monarque et Sujet ? FILEMON. Je n'ay pas tant tardé de [276] perdre ma franchise⁎ ; Presque dés mon abord⁎ elle vous fut surprise [277] : Depuis le peu de temps que je suis dans Paris, On m'a volé mon coeur : deux beaux yeux me l'ont pris. ORPHISE. Ne connoistrons-nous point ces voleurs admirables, Qu'on aime d'autant plus qu'on les trouve coupables ? FILEMON. M'en plaindre et les nommer, il ne m'est pas permis ; Ils touchent de trop prés à l'un de mes amis. Que ce mot soit assez, le temps et mes affaires M'empéchent de parler en paroles plus claires ; Vous connoistrez un jour ces yeux remplis d'appas⁎, Si je voy que mes feux ne leur deplaisent pas. ### SCENE IV. VALENTIN, FILEMON, ASTRÉE,ORPHISE. FILEMON. Et bien m'apportes-tu les lettres desirées ? VALENTIN. Ah ! Monsieur. FILEMON.     Qu'est-ce donc ? VALENTIN.         On les a retirées, Quelqu'un de vostre part les est allé querir. FILEMON. Ce coup est suffisant de [278] me faire mourir. Voila, méchant coquin ! l'effet de ta paresse. ASTRÉE. Vous nous avez promis. FILEMON.         Je tiendray ma promesse, Permettez cependant que changeant de propos, J'aille sur ce sujet écrire un ou deux mots. Je veux donner avis de cette procedure, Afin qu'une autre fois l'on change d'écriture, D'adresse, de cachet, de qualitez, de nom, Et que ce soit Alcandre, au lieu de Filemon. ### SCENE V. ASTRÉE, ORPHISE. ASTRÉE. Vous estes, ma cousine, à present soulagée ; Son ame dans Lyon ne s'est point engagée ; J'espere que l'Hymen⁎, vous fera son lien. ORPHISE. Je le souhaitte helas ! Et n'en espere rien. Ne vous souvient-il pas des choses qu'il a dittes ? Qu'il adore un objet⁎ sans égal en merites ; Qu'il n'estoit presque pas arrivé dans Paris, Qu'il apperceut des yeux dont son coeur fut espris. ASTRÉE. Ce n'est que d'hyer au soir qu'il est en cette ville ; Ainsi de son discours le sens est bien facile. Il n'a pû voir encor personne que nous deux. Conjecturez de-là, que vous causez ses feux. ORPHISE. Il vous a veuë aussi. ASTRÉE.         Mais l'Hymen⁎ qui me lie, Dit trop qu'il n'en peut rien esperer sans folie. ORPHISE. Il aima bien Florinde, et mesme noeud pourtant. ASTRÉE. Vous me vaincrez enfin, si vous en dittes tant. A juger toutesfois selon les apparences, Vous seule asseurément fondez ses esperances. ORPHISE. Cousine, que ce mot me soit encor permis, Vous touchez de plus prés à l'un de ses amis. ASTRÉE. Vous me mettez, Orphise, en une peine extréme, Je doute si c'est vous ou si c'est moy qu'il aime. L'apparence est égale, et de tous les costez, J'y vois de mesmes nuicts et de mesmes clartez. ### SCENE VI. HYPPOLITE, ASTRÉE, ORPHISE. HYPPOLITE. J'ay le paquet, Madame, et si [279] j'ay fait promettre Qu'on me reconnoistra s'il vient quelqu'autre lettre. ASTRÉE. Voyons en le secret, et si le Cavalier N'a rien au fond du coeur de plus particulier. Lettre de Florinde à Filemon. MONSIEUR. Le Ciel a voulu pour ma joye et pour vostre repos, que mon mary ait presque esté aussi-tost guary que blessé ; si une demarche [280] qu'il fit, ne le garentit pas tout à fait du coup que vous lui portâtes, il le rendit leger. Le pied luy manqua, non la force, ni la resolution. Il se porte aussi bien qu'auparavant ; mais j'en suis plus mal-traittée que jamais : Ses Soupçons le travaillent sans tréve, et luy me persecute sans relasche. S'il continuë, je vous le manderay⁎ ; mais partez aussi-tost, et si vous estes genereux⁎, venez delivrer de peine l'innocente autant qu'affligée FLORINDE. ASTRÉE *apres avoir leu.*. Nous mettrons tant la ruse, et l'intrigue en usage, Que nous l'empécherons de faire ce voyage. ORPHISE. Destournez ce papier, Leandre vient à nous. ### SCENE VII. LEANDRE, ASTRÉE, ORPHISE.HYPPOLITE. LEANDRE. Que craignez vous de moy, quel écrit cachez vous ? A voir vostre maintien vous paroissez surprise. Qu'est-ce ? ASTRÉE.         Ce sont des vers qu'on a fait pour Clorise [281]. LEANDRE. D'Amour ? ASTRÉE.     Peut estre bien. ORPHISE.         Vous voulez tout sçavoir ? LEANDRE. Ne vous en fâchez point, je ne les veux pas voir ; Mais je desirerois d'entendre [282] de vous mesme, Si nostre nouvel hoste est indigne qu'on l'aime. ORPHISE. Il n'est pas hayssable, il le faut avoüer, Mais qu'a-t'il tant aussi que l'on doive loüer ? ASTRÉE. Vous vous connoissez mal au merite des hommes ; Il est un doux aimant du sexe que nous sommes. [283] Vous ne vistes jamais de Cavalier mieux fait ; Il n'est point d'agreement, ni de vertu⁎ qu'il n'ait. S'il parle, on est ravy dés qu'il ouvre la bouche. Il charme⁎ sur le luth lors que sa main le touche, Aux armes il est craint, il ravit dans le bal ; Et le Dieu des combats [284] n'est pas mieux à cheval. LEANDRE. Quelle naïveté se compare à la vostre ? Ce discours seroit mieux en la bouche d'une autre. Madame, une autre fois parlez d'autre façon, Un mary plus credule en auroit du soupçon. ASTRÉE. Mais vous n'estes pas homme à prendre de l'ombrage⁎. Je vous diray de plus, que je crains qu'on l'outrage, Il a des ennemis qui conspirent sa mort, On ne les connoist pas, il est perdu s'il sort. LEANDRE. Comment le sçavez-vous, pourquoy faut-il qu'il craigne ? ASTRÉE. Des hommes inconnus, sous une fausse enseigne, Ont surpris aujourd'huy ses lettres au Courrier. LEANDRE. Vostre crainte est prudente, il s'en faut deffier. ASTRÉE. Ce sont quelques amis du mary de Florinde. LEANDRE. Je prise [285] Filemon plus que tout l'or de l'Inde. ASTRÉE. Faites donc qu'on le cele⁎, et qu'il ne sorte pas. LEANDRE. Je vay touchant ce poinct le trouver de ce pas. ### SCENE VIII. ASTRÉE, ORPHISE, HYPPOLITE. ASTRÉE. Connoissez vous le but de ce prompt stratagéme ? Il iroit s'il sortoit, chez le Courrier luy mesme ; Recevroit ses paquets, feroit response aussi, Et possible⁎ demain s'eloignera d'icy. ORPHISE. J'admire vostre esprit. ASTRÉE.         Ce n'est pas tout encore, Le Lyonnois écrit à l'objet⁎ qu'il adore ; Il faut avoir sa lettre, et pour n'y pas manquer, Hyppolite, écoutez, ce qu'il faut pratiquer. (Elle luy parle à l'oreille.) ORPHISE. Amour qui sçait mon mal aide à nostre entreprise. ASTRÉE. Mes ordres sont donnez, retirons nous Orphise. ### SCENE IX. HYPPOLITE. [HYPPOLITE.]. Que l'esprit d'une femme a de ressors divers ! Qu'il sçait de faux sentiers et de chemins couverts, Qui croit nous voir dedans, ne nous void qu'en l'écorce, Nous faisons plus par air que les hommes par force. Les plus ruzez d'entr'eux s'y trouvent confondus, Et se prennent aux rets que nous avons tendus. Filemon le sçaura ; mais son valet s'approche, Et tire en mon avis [286] des lettres de sa poche : Elles sont de la part du jeune Lyonnois. Il les faut attrapper pour la seconde fois, Et pour y reüssir, me servir de l'addresse⁎, Dont me vient en secret d'instruire ma Maistresse. ### SCENE X. HYPPOLITE, VALENTIN. VALENTIN. Adieu belle Hyppolite ! HYPPOLITE.         Adieu beau Valentin. VALENTIN. Ce que c'est qu'en un mois me peigner un matin [287] ; Encor un coup, adieu, je vay porter ma lettre. HYPPOLITE. En quel mortel danger, ne te vas tu pas mettre ? Tu n'en reviendras pas, songe à ton testament, J'en pleure de douleur. VALENTIN.         Hyppolite, comment ? HYPPOLITE. Comment pauvre garçon ? es-tu sans conjecture, De te voir accueilly d'une triste avanture, Où t'allois-tu jetter, où t'es-tu presque mis ? Ton Maistre n'a-t'il pas de secrets ennemis. N'a-t'on pas aujourd'huy ses lettres diverties⁎ ? Que l'on fait contre luy de funestes parties [288], Je te plains s'il avient [289] qu'une fois tu sois pris : Ils t'assassineront pour avoir ses écrits, Qu'en croy-tu Valentin ? VALENTIN.         Hyppolite, je pense Qu'on garde des soupçons dessus moins d'apparence ; Mais ce paquet tout seul, ira-t'il au Courrier. HYPPOLITE. Reçoit de mon amour ce plaisir tout entier, Donne. VALENTIN.     Tu m'aimes donc ? HYPPOLITE.         O la belle demande ! VALENTIN. J'aurois tort d'en douter, l'apparence en est grande, Parlons de nostre amour. HYPPOLITE.         Non, disons-nous adieu, Ton Maistre pesteroit s'il venoit en ce lieu. VALENTIN. J'y suis depuis ce mot pied-nuds sur des espines. Le retour, comme on dit, seroit pis que matines [290] ; Adieu donc, Hyppolite ! HYPPOLITE.         Adieu donc Valentin, Que sois-tu [291] quelque jour mon réveille-matin. [292] ## ACTE IV. ### SCENE PREMIERE. ASTRÉE, ORPHISE. ASTRÉE. Il faut de plus en plus que nostre esprit s'exerce A prendre leurs écrits, et rompre leur commerce. L'addresse⁎ d'Hypolite a secondé vos veux, Deplions cette lettre, et lisons toutes deux. Lettre de Filemon à Florinde. MADAME. Je vous donne avis que vostre mari a mis ordre de surprendre nos lettres. Ce procedé me fait croire que les soupçons qu'il a pû concevoir, s'augmentent d'heure à autre ; S'il est ainsi, quoy que vous n'en soiez pas mal traittée maintenant vous le pourrez estre un jour. Je le crains FILEMON. ### SCENE II. LEANDRE, ASTRÉE, ORPHISE. ORPHISE *à ASTRÉE.*. Cachez… LEANDRE.         Encor un coup, ce procedé me fâche ; [293]  Que puis-je presumer d'un écrit qu'on me cache ? Dissimulons pourtant, et nous fermons les yeux ; L'on est souvent puny d'estre trop curieux. J'ay fait ce que j'ay pû, sans le pouvoir reduire : Filemon ne croit rien capable de luy nuire. Son coeur⁎ pour le peril ne s'est point dementy ; Il sortira bien-tost s'il n'est déja sorty. ASTRÉE. Il faut l'en empécher quelque soit son envie, C'est à vous plus qu'à luy de conserver sa vie. Il est logé chez vous, vous l'avez amené. Du destin qu'il auroit vous seriez soupçonné. Ma priere possible⁎ aura plus d'efficace, J'en obtiendray ce poinct ou de force ou de grace ; Ma cousine venez, en ce pressant danger, Nous avons tout à craindre, et rien à negliger. ### SCENE III. LEANDRE seul. [LEANDRE.]. A mille autres ces soins donneroient de l'ombrage⁎ ; Mais le Ciel n'est pas dur, ou bien [294] Astrée est sage. Ses plus secrets desirs se conforment aux miens. Elle suit mon humeur, mes pensers sont les siens. J'estime Filemon, Astrée en fait de mesme : Et l'aime seulement à cause que je l'aime. ### SCENE IV. SYLVAIN, LEANDRE. SYLVAIN. Il me faut aquiter de ma commission. LEANDRE. Sylvain, qui cherche tu ? SYLVAIN.         Vôtre amy de Lyon. LEANDRE. Pourquoy ? SYLVAIN.         Pour luy donner le billet que je porte. LEANDRE. De la part ? SYLVAIN.     De mon Maistre. LEANDRE.         En user de la sorte ! Donne le moy. SYLVAIN.     Je crains. LEANDRE.         Donne sans resister, Il luy fait un deffi ; je n'en doy pas douter. En voicy le cartel [295], tout semble me le dire : J'en ferois un serment avant que de le lire. Alcipe, vos respects sont feints et dangereux ; Ce n'est pas là le trait d'un homme genereux⁎. Appeler mon amy ! je commence à connoistre Que vous ne l'estes pas, ou ne voulez plus l'estre. Je liray ce billet, non pour m'en asseurer ; Mais pour en voir le style, et puis le déchirer. Lettre d'Alcipe à Filemon. MONSIEUR . J'ay fait reflexion sur le sujet de nôtre different ; j'eus tort de m'emporter, et j'avoüe que vôtre recit fut plus obligeant qu'outrageux. Je vous recherche d'amitié, si vous n'estes moins genereux⁎ que je me le persuade, vous ne refuserez pas qu'ayant aujourd'huy à visiter Leandre pour quelque chose de secret, nous nous entrevoyons, et estouffions toute nôtre haine dans nos embrassemens [296], je vous en prie, et suis vôtre tres affectionné serviteur, et si vous le voulez dés maintenant, *Vostre tres intime amy Alcipe.* Je demeure confus, ma surprise est estrange. Alcipe, mon regret me punit et vous vange ; Je meurs de déplaisir⁎ qu'un soupçon si tost pris M'ait fait parler de vous avec tant de mépris. Indices decevants⁎, clartez fausses et sombres. C'est la derniere fois que je suivray vos ombres, C'est la derniere fois que je seray deceu⁎, Et mon repos troublé d'un soupçon mal conceu. Va retrouver ton Maistre, et luy dis qu'avec joye J'ay receu de ta main le billet qu'il envoye. J'attends icy qu'il vienne, au reste cele⁎ luy Ce qu'un trompeur soupçon m'a fait dire de luy. ### SCENE V. ALCIPE, LEANDRE, SYLVAIN. ALCIPE *portant le bras droit en écharpe.*. Mon secret est pressant, et ne m'a pû permettre D'attendre pour venir, response de ma lettre. Au surplus cher amy ! voyez moy d'un bon œil. J'ay salüé vostre hoste, et luy m'a fait accueil : Nos petits differens sont esteins sans reserve, Et j'entreprendray tout s'il faut que je le serve. LEANDRE. Les grands coeurs d'ordinaire ont de prompts mouvements ; Mais ces nobles chaleurs [297] ne durent pas long-temps. Un important secret vous amenoit encore ? ALCIPE. Ce secret est l'aveu d'un feu qui me devore, Et qui rendu plus grand depuis vostre retour, Ne sçauroit differer à se produire au jour ; N'osant rien esperer de ma propre personne, Si ce feu ne vous plaist, tout espoir m'abandonne ; Et si vôtre credit⁎ n'agit en ma faveur, Je mourray du beau trait qui m'a blessé le coeur [298]. LEANDRE. Pour vos felicitez si je puis quelque chose, Il n'est rien que je craigne, il n'est rien que je n'ose ; Il n'est rien où mes soins ne veüillent témoigner Qu'un amy me fait tort, qui pense m'épargner [299] ; Declarez moy d'où naist vostre amoureux martyre : J'employeray le credit⁎, la priere et l'empire. Je n'entreprends jamais une chose à demy, Et sçay bien le devoir d'un veritable amy. ALCIPE. La divine beauté dont mon ame est esprise ; C'est et sera toûjours l'incomparable Orphise ; Mais qu'avecques raison, je crains que ses attraits Soient peu d'intelligence avecques mes souhaits ! Cher Leandre vous seul favorable à ma plainte, Pouvez facilement dissiper cette crainte : Orphise vous est proche, et si vous l'y portez, Son inclination suivra vos volontez. LEANDRE. Oüy je vous le promets, je feray mon possible Pour la rendre à vos voeux exorable⁎ et sensible⁎ : Un plus noble party ne se peut proposer ; J'essairay dés tantost⁎ de la l'y disposer. ALCIPE. Je croy qu'il vaudroit mieux, avant que [300] luy rien dire, Tâcher de m'acquerir sur elle quelque empire ; Luy faire les doux yeux, luy marquer mon tourment ; L'incliner à l'amour sans qu'elle sçeut comment ; Et par la complaisance aux Amants ordinaire, Avant que de parler [301], m'asseurer de luy plaire. LEANDRE. L'avis est raisonnable, et me fait presumer Que vous composeriez un nouvel Art d'aimer [302]. ALCIPE. Cependant [303] à l'objet⁎ qui mes ardeurs excite Chez vous sous vôtre aveu⁎, je puis rendre visite. LEANDRE. Vous y pouvez venir comme en vôtre maison. ALCIPE. Adieu ; cette faveur est sans comparaison, Mon esperance croist, et ma peur se dissipe. (Il laisse tomber un billet.) ### SCENE VI. LEANDRE seul. [LEANDRE.]. Ce papier est tombé de la poche d'Alcipe, Seroit-ce à son insceu, seroit ce par dessein ? Je n'en sçaurois former un jugement certain. Liray-je cét écrit, dois-je ne le pas lire ? Secret empressement, ne me le peux tu dire ? Mouvement curieux ne sçaurois-tu juger S'il doit me satisfaire ou s'il doit m'affliger ? Enfin quelque en mon coeur en puisse estre l'atteinte ; La curiosité l'emporte sur la crainte. Billet d'Alcipe à Leandre. LEANDRE. Connoissez mieux vos veritables amis, des deux que vous croyez avoir, l'un vous sert et l'autre vous trahit. Je ne nomme personne ; mais je suis asseuré que si vous estiez revenu seul de Lyon, vôtre femme vivroit avecques plus d'honneur, et vous avec moins d'infamie. Apres avoir leu. Tu te méprends Alcippe, ou le flambeau des Cieux, N'est qu'un Comete [304] en l'air qui paroist à nos yeux : L'air un rien complaisant, et la terre une boulle Qui se meut de tout temps, et que le destin roule : [305] L'Ocean un amas de feux et de buchers ; Ses poissons des oyseaux ; des hommes ses rochers ? Tu te trompes, te dis-je, et ton advis offence Et la sagesse mesme et la méme innocence. Astrée et la vertu s'accordent en ce poinct, Qu'où l'une ne peut estre, aussi l'autre n'est point. Alcipe toutesfois mon interest te touche, Ce n'est qu'un envers moy que ton coeur et ta bouche ; Tu me cheris sans fard, et ta sincerité M'apprend que cét écrit n'est pas sans verité. Mais que mal-aisément, et qu'avec peine extréme Un homme se resoult à blâmer ce qu'il aime ! Que difficilement il demeure d'accord Des choses qu'il redoute à l'égal de la mort ! Astrée, il est trop vray que vous m'estes parjure ; J'en ay pour mon mal-heur [306] plus d'une conjecture : J'en rencontre à regret dedans mon souvenir Trop d'indices puissants, que j'en voudrois bannir. Par deux diverses fois surprise à l'impourveuë⁎, N'avez vous pas caché des écrits à ma veuë ? N'avez vous pas loüé d'un air, que j'ay repris L'insolent qui me traitte avec tant de mépris, Le temeraire amy, l'ame perfide et noire, Qui soüille ingrattement et mon lict et ma gloire ? C'estoit peu, lâche femme, infidelle moitié ; Seul et digne sujet de mon inimitié ! Tu m'as enveloppé dans tes sales⁎ pratiques, J'ay servi d'instrument à tes feux impudiques. J'ay moy-méme à ton gré supplié ton Amant Qu'il se tint au logis, ou sortit rarement [307]. C'estoit pour le mieux voir, et selon ton envie Estre en ta sale⁎ ardeur à toute heure assouvie. Si tu crois t'excuser, tu le pretends en vain ; Rien ne peut m'arracher le poignard de la main. De tes brutalitez j'ay trop de connoissances, En pourrois-je douter apres tant d'apparences ? Non non, je ne le puis, et je ne le doi pas ; Mais vanger mon affront et haster son trépas : Tu mourras, il le faut. ### SCENE VII. LEANDRE, HYPPOLITE. HYPPOLITE.         De qui parle Leandre, Son discours est obscur, tâchons à [308] le comprendre. LEANDRE. Rien ne te peut parer de ce funeste coup, Je te plainds toutesfois, et je me plainds beaucoup ; Mais mon honneur le veut, sois y donc preparée ; Je tiendray ma parole, et tu mourras Astrée ! HYPOLITE *à l'écart.*. Qu'a-t'il dit, qu'ay-je oüy⁎, Ciel quelle est sa fureur ! Allons par nos avis empécher ce mal-heur. ### SCENE VIII. LEANDRE seul. [LEANDRE.]. Amy qui mieux que moy decouvres l'artifice⁎, Que ne te dois-je pas pour un si bon office⁎ ? Tous deux m'assassinoient par un si lâche tour ; Puisque le poinct d'honneur [309] m'est plus cher que le jour. Tu brûles pour Orphise, ah deviens froid pour elle ! Elle est d'intelligence avec mon infidelle ; Tu courrois mesme sort, et bien-tost mesme affront Noirciroit ta memoire, et rougiroit ton front [310]. De ce pressentiment le motif est bien ample, Elle frequente Astrée, elle en suivroit l'exemple. Elle vient la perfide, avec une chaleur [311] Qui montre assez les feux qu'elle cache en son coeur. ### SCENE IX. LEANDRE, ASTRÉE, HYPPOLITE. ASTRÉE. Monsieur informez moy de l'outrage ou du crime, Pour qui [312] ma mort vous semble aujourd'huy legitime ? Je viens sçavoir de vous le sujet du dessein Qui vous porte à me mettre un poignard dans le sein. De quoy vous plaignez vous, de quoy suis-je coupable ; Quel crime ay-je commis, m'en croyez vous capable ? Expliquez-vous, Leandre, ou mes justes⁎ douleurs Previendront en ce lieu, l'effet de vos fureurs. LEANDRE *bas.*. L'innocente personne ! il est juste, Madame, Que je vous ouvre icy jusqu'au fond de mon ame ; Mais qu'Hyppolite sorte, un homme est peu discret⁎, Qui declare à plusieurs un semblable secret. HYPPOLITE *bas en s'en allant.*. Je le comprends assez sans que l'on me le die [313], Il la veut poignarder, Cieux quelle perfidie ! A quel aveuglement s'est-il abandonné ? Mais détournons ce coup avant qu'il soit donné. ### SCENE X. LEANDRE, ASTRÉE. ASTRÉE. Hyppolite est sortie. LEANDRE.         Il faut fermer la porte, Aucun [314] ne doit entendre un secret de la sorte. ASTRÉE. Il va trancher mes jours, l'indice en est trop grand. J'en voy venir le coup que mon courage⁎ attend ; Quel desespoir le meut, quelle fureur l'inspire ? LEANDRE. Ne vous doutez vous point de ce que je veux dire ? ASTRÉE. Vôtre trouble present d'où procede le mien, Est un fâcheux Enigme [315] où je ne comprends rien : Toutesfois ma memoire en ce mal-heur heureuse, Mais pour le croistre aussi peut-estre ingenieuse, Me propose qu'Alcipe estoit tantost icy. J'augure que luy seul cause vôtre soucy⁎ ; Et que ce faux amy dissimulant sa haine, Vous a fait des discours qui vous mettent en peine. LEANDRE. Madame apprenez moy de qui vous le tenez. Vous en estes instruite, ou vous le devinez : Ce que j'ay sçeu de luy, trouble en effet ma joye, Et vous fera mourir, si le Ciel n'y pourvoye. ASTRÉE. Il invente, il suppose et ce méchant esprit Ne tend qu'à vous tromper de parole ou d'écrit. Ne vous y fiez pas, jugez mieux de son ame ; Que l'amitié defere à l'amour d'une femme. La malice [316] qu'il a, ne peut s'imaginer, Alcipe me veut perdre, et vous veut ruïner [317]. LEANDRE. Ni vostre opinion, ni vostre médisance, Ne sçauroit en ce poinct affoiblir ma croyance. Alcipe est veritable, il ne suppose rien, Mon interest le touche, il veille pour mon bien ; S'il songe à mon honneur, je songe au sien de mesme ; Il me sert, je le sers ; il me cherit, je l'aime. Bref entre mes amis il n'est pas le dernier : Mais que sers ce discours ? vous m'allez tout nier. ASTRÉE. Oüy je vay tout nier ; pour plaire à son envie, Accorderay-je un poinct si fatal à ma vie ? LEANDRE. Vous le confessez-donc, vous en devez mourir. ASTRÉE. Oüy, le Ciel mesme à tort me voudroit secourir : Sans marquer mon regret par des ruisseaux de larmes, Mes mains mes propres mains auroient recours aux armes. LEANDRE. L'Arrest en est donné, c'est fait de vostre sort ; Mon honneur m'y contraint, attendez donc la mort. ### SCENE XI. FILEMON, ORPHISE, ASTRÉE,LEANDRE, HYPPOLITE. FILEMON. Cruel, impitoyable, inhumain, sanguinaire ! Ouvrez, ou vous verrez, ce qu'un effort⁎ peut faire. LEANDRE. User de violence ! FILEMON.         Ouvrez vous dis-je, ouvrez. LEANDRE. Que je sçache pourquoy ? FILEMON.         Tantost⁎ vous le sçaurez. (Leandre ouvre.) (Estant entré.) Quelle aveugle fureur, quelle soudaine rage Vous conseille aujourd'huy ce criminel outrage ? Par quelle aversion, par quelle inimitié Vostre bras s'arme-t'il contre vostre moitié ? Et pour dire en un mot, quelle brutale envie, Vous fait, mari barbare, attenter sur sa vie ? LEANDRE. Moy vouloir accourcir la trame de ses jours ? D'elle, sans qui des miens j'arresterois le cours ? D'où vous naist ce soupçon, d'où vous vient cette crainte ? FILEMON. C'est inutilement recourir à la feinte, C'est nous cacher en vain ce que nous connoissons ; Un indice trop fort establit nos soupçons, Hyppolite parlez, et dittes à sa honte Les propos qu'a tenus sa colere trop prompte. LEANDRE. Qu'est-ce donc que j'ay dit, qu'as-tu donc entendu ? HYPPOLITE. Ces mots dont mon esprit est resté confondu ; Mais mon honneur le veut, sois y donc preparée  Je tiendray ma parole, et tu mourras Astrée. LEANDRE. Propos mal entendus, discours mal digerez, Soupçons injurieux, et mal conjecturez ! J'ay prononcé ces mots, je ne m'en puis deffendre, Mais elle, Astrée et vous les deviez mieux entendre [318]. Escoutez seulement, vous serez convaincus : Alcipe m'est venu demander mil écus, Il les doit, on le presse, il les faut sans demeure⁎ ; Par mal-heur je n'ay pas cette somme pour l'heure ; L'amitié toutesfois qui m'a parlé pour luy, M'a fait la luy promettre au plus tard aujourd'huy. Je ne sçay d'où l'avoir ; dans le temps où nous sommes Emprunter de l'argent, c'est poignarder les hommes. L'on ne preste plus rien, et moins que mille écus Feroient qu'un honneste homme auroit mille refus : Obligé neantmoins de tenir ma promesse, Je me suis en révant⁎ avisé d'une adresse⁎, C'est de faire tantost⁎ venir des joüailliers, Leur proposer bijous, bagues, pendants, coliers, Ce qu'Astrée en un mot peut avoir de plus rare, Et dont selon son gré parfois elle se pare ; Je sçay comment son sexe aime ces petits biens, Qu'ils sont tous ses plaisirs, et tous ses entretiens. J'ay crû que pour Alcipe executant mon Zele⁎, Astrée en souffriroit une peine eternelle, Et que la dépoüiller de ces petits thresors, Ce seroit d'un seul coup luy donner mille morts. L'ame de ce penser diversement émeuë, Je me deliberois [319] d'en éviter l'issuë, Quand l'objet [320] d'un ami nuisible à mon repos, M'a fait, je m'en souviens prononcer ce propos ; Mais mon honneur le veut, sois [321] y donc preparée, Je tiendray ma parole, et tu mourras Astrée ; Voila de vos soupçons les indices puissans ; Mais de ce que j'ay dit, le veritable sens. FILEMON. Certes nous avons tort. ASTRÉE.         Leandre est seul coupable, Et si je l'oze dire, il n'est pas excusable ; A-t'il deu presumer qu'estant ce que je suis, Un absolu refus augmentast ses ennuys ? Recevez cette clef, allez sans plus attendre, Prendre en mon cabinet, les choses qu'il faut vendre, Satistaites Alcipe avant la fin du jour, Et recevez de moy cette preuve d'amour. LEANDRE. O femme genereuse ! ô femme complaisante, Que ce consentement me plaist et me contente, Que ce trait de bonté remplit bien mes souhaits : Ami, parole, honneur vous serez satisfaits. ### SCENE XII. FILEMON, ASTRÉE, ORPHISE.HYPPOLITE. ASTRÉE. Genereux⁎ Cavalier, je ne sçaurois moins faire Que de vous appeler mon Ange tutelaire ; Encor que le peril ne fut que supposé Pour l'eloigner de moy, vous avez tout osé. Le pouvoir d'un mari, ses fureurs, son ombrage⁎, N'ont point intimidé vôtre illustre courage⁎. FILEMON. Il n'est point de danger que je n'affronte ainsi Pour vous servir, Madame, et vous Madame aussi. ### SCENE XIII. ASTRÉE, ORPHISE, HYPPOLITE. ORPHISE. Qu'en dirons nous cousine, et qu'en devons nous croire, Laquelle de nous deux occupe sa memoire ? Vous servir luy seroit un glorieux employ ; Il dit en mesme temps, mesme chose de moy. Qu'en devons nous juger, laquelle est ce qu'il aime ? Si mon amour est grand, mon soupçon est extréme, Il me parloit de feux, mais pour vous secourir, L'a-t'il fallu presser, a-t'il craint de mourir ? ASTRÉE. Vôtre soupçon, cousine, est juste, je l'avouë, Dans le doute où je suis, je le blâme et le louë ; S'il m'aime, il se méprend : s'il vous aime, il fait bien ; D'Orphise il aura tout, d'Astrée il n'aura rien. ## ACTE V. ### SCENE PREMIERE. LEANDRE. LEANDRE *seul tenant une lettre.*. Sacré respect d'Hymen⁎, sentimens de tendresse, Silence, abandonnez une espouse traistresse, Je croy, je sçay, je voy son infidelité [322], Ce n'est plus un soupçon, c'est une verité, Leur lâche trahison, me paroist toute nuë, Cette lettre convainc ma raison et ma veuë, Cét infidelle écrit dit tout fidellement, Et quoy qu'il soit müet il parle hautement, J'y lis leur lâchetez, j'y voy leur artifice, Chaque trait de leur plume, en est un de malice, Le Ciel à qui nos coeurs ne sçauroient rien cacher, Me fournit ce témoin qu'on ne peut reprocher [323]. (Il lit.) Lettre de Filemon à Florinde. MADAME. Je vous donne avis que vostre mari a mis ordre de surprendre nos lettres. Ce procedé me fait croire que les soupçons qu'il a pû concevoir, s'augmentent d'heure à autre ; s'il est ainsi quoy que vous n'en soiez pas mal-traittée maintenant vous le pourrez estre un jour. Je le crains, mais si ma crainte est vraye, declarez le moy, rien ne m'empéchera de vous voir, et de trouver si vous y consentez, le moyen de vous delivrer de sa tyrannie ; au reste comme vostre réponse nous importe à tous deux également, ne la confiez qu'à Hyppolite, qui me la fera tenir, et pour chercher en tout nostre seureté, que la suscription soit d'autre main que de la vôtre, changez de cachet, et faittes l'adresse non plus à Filemon, mais au Cavalier Alcandre chez Arimant dans la Place-Royale [324]. Traistre ami, qui me rend mon espouse ennemie, Pourquoy m'as-tu jetté dedans cette infamie [325] ? Pourquoy de cét opprobre as-tu chargé mon front ? Ah ! je me vangeray de ce sensible [326] affront, Ma colere sera pleinement assouvie ; Tu m'as osté l'honneur, je t'osteray la vie, Quand on noircit ainsi les hommes de mon rang, Pour laver cette tâche, ils demandent du sang [327]. Et toy perfide femme autre fois tant aimée ! Pourquoy si lâchement trahir ta renommée ? Pourquoy jusqu'à ce poinct dementir ta vertu ? Qui t'en peut excuser, quel sujet en as-tu ? N'as-tu pas dessus moy toûjours eu cét Empire⁎, Que l'amour nous demande et que l'Hymen⁎ desire ; T'ay-je rien refusé, qu'est-ce en quoy mes désirs Ont jamais négligé de suivre tes plaisirs ? Quelque reste d'amour en ta faveur s'exprime, Je tâche de trouver quelque excuse à ton crime ; Mais je n'en trouve point, et puis je dois sçavoir Qu'un tel aveuglement [328] n'en peut jamais avoir ; Ta faute est sans excuse, elle sera sans grace. J'apprends de mon honneur ce qu'il faut que je fasse ; Son rigoureux desir s'accorde à mon souhait, Il demande ta mort, il sera satisfait. ### SCENE II. ALCIPE, LEANDRE, SYLVAIN. LEANDRE. O vous ami parfait accourez à mon aide ! Par vous j'ay sçeu mon mal, donnez y du remede. Toute chose est commune aux amis genereux⁎, Joignons donc nos efforts⁎ et nous vangeons tous deux. ALCIPE. Dequoy ? LEANDRE.         L'ignorez-vous ? d'une femme infidelle, D'un lâche et faux ami qui m'outrage avec elle ; De deux objets aimez, de qui je suis hai, De qui je suis trompé, de qui je suis trahi : De Filemon, d'Astrée, et s'il vous faut tout dire, De celle qui sur vous s'est acquis de l'empire : D'Orphise, d'Hyppolite, enfin de tous les miens ; Voyez ce qu'en depose un écrit que je tiens. ALCIPE *apres avoir leu.*. Apres ce témoignage on ne peut que respondre. Quelque excuse qu'on cherche, il la sçaura confondre, Orphise toutesfois n'est point nommée ici. LEANDRE. L'amour parle pour elle, et vous aveugle aussi. Ignorez vous encor qu'elle et ma lâche femme Semblent dedans deux corps n'avoir qu'une seule ame ? Que l'une ne fait rien que l'autre ne l'ait sçeu ? Elle vous decevroit⁎ comme elle m'a deceu⁎. ALCIPE. Il n'en faut plus parler, j'ay l'ame trop outrée : J'aime dés maintenant Orphise moins qu'Astrée ; Mais comment cét écrit qui les accuse tous, A-t'il pû de leurs mains passer jusques à vous ? LEANDRE. Mon ingratte moitié, seul objet de ma haine, A le tenir secret mettoit toute sa peine ; Mais dans son cabinet introduit par bon-heur, Je l'ay veu, je l'ay pris, j'ay leu mon dés-honneur. ALCIPE. Que pretendez vous faire en cette conjoncture ? LEANDRE. Ce que veut un affront de pareille nature, Ce que le poinct d'honneur conseille aux nobles cœurs ; Esteindre dans leur sang leurs coupables ardeurs. ALCIPE. Joignez le jugement avecques le courage⁎ : Filemon doit tout seul perir dans cét orage ; Les autres ne sont pas pour supporter vos coups, Il faut que le sujet se mesure au courroux. Qu'il ait pareille force, et que la resistance Soit cause que le coup ait plus de violence ; Abandonnez Astrée : Un genereux⁎ dédain, Luy sera plus mortel qu'un coup de vostre main. LEANDRE. J'écoute vôtre avis que je pourray bien suivre ; Mais mon perfide ami demain ne doit plus vivre. Quelque Dieu qu'à son aide il invoque aujourd'huy, Mes sanglantes fureurs doivent fondre sur luy. Oüy le juste dessein de chatier ce traistre, Est tout prest d'éclatter, s'il sçavoit où paroistre. Car de me l'immoler dedans nôtre maison, Cét acte auroit des traits de quelque trahison. Pour perfide qu'il soit, pour lâche qu'on le nomme, Je le voudrois pourtant traitter en honneste⁎ homme. Le voir hors de chez moy, l'y punir, me vanger ; Contenter mon dépit, ou du moins l'alleger. Mais quoy ce criminel, si digne de ma haine, Est par cette raison à couvert⁎ de sa peine. Il ne sort point du tout, et simple que je suis, J'ay moy-mesme adjousté ce comble à mes ennuis⁎ ! ALCIPE. Si c'est ce sujet seul qui s'oppose au tonnere Dont l'éclat foudroyant le doit jetter par terre ; Je sçais et rien du tout ne l'en peut garentir, L'infaillible moyen de l'en faire sortir. Allez, d'un seul moment n'en differez l'issuë, Vous n'avez qu'à l'attendre en la prochaine ruë. LEANDRE. J'y vay dans le dessein de ne rien pardonner, D'y recevoir la mort, ou bien de la donner. ### SCENE III. ALCIPE, SYLVAIN. ALCIPE. Courage, mon amour augmente et persevere : La fortune [329] se rend, tout me devient prospere [330]. Je touche au doux moment si long-temps attendu, Je m'en vais tout gagner, où j'avois tout perdu. Soit que Leandre tuë, ou soit tué luy mesme ; L'un et l'autre trespas rend mon bon-heure extréme. La fin de ce combat ne peut trahir mes voeux, D'un et d'autre costé j'obtiens ce que je veux. S'il tuë il faut qu'il fuye, et cependant [331] ma flâme Pourra tout à loisir solliciter sa femme. S'il est tué, mon sort ne sera pas moins doux, J'aime Astrée et pourrois devenir son espoux. Toy, Sylvain, qui tantost reprenois ma conduitte ; Tiens un autre discours, admires-en la suitte ; Si j'avois écouté tes conseils et ta peur, Je ne me verrois pas si prés de mon bon-heur. SYLVAIN. On se trompe parfois, et contre l'apparence, Un orage impreveu destruit nôtre esperance. On eschouë à la rade, et vos pareils souvent, Croyans tenir un corps, n'embrassent que du vent. Quelque soit vôtre joye [332], elle est mal asseurée, Et crains qu'elle ne soit de fort peu de durée. ALCIPE. Tay-toy, tu me déplais de tenir ce discours ; Tout me rit [333], j'apperçoy l'objet de mes amours. Filemon la conduit, feignons de bonne grace, Et l'obligeons par ruse à nous ceder la place. ### SCENE IV. FILEMON, ASTRÉE, ALCIPE,SYLVAIN, HYPPOLITE. ALCIPE. Ah ! Madame, j'allois, il y va, je l'ay veu, Sans second [334], on le dit, il est vray, je l'ay sçeu ; C'est pour tirer raison d'une injure receuë : Ils se doivent trouver dans la prochaine ruë, Inhumain envers vous, à soy-mesme cruel Leandre. ASTRÉE.     Qu'est-ce donc ? ALCIPE.         Va se battre en duel, Si j'avois la main libre, on verroit mon espée En cette occasion volontiers occuppée. FILEMON. Il suffit de la mienne, et d'un zele⁎ aussi grand Je feray repentir quiconque l'entreprend [335]. ### SCENE V. ALCIPE, ASTRÉE.HYPPOLITE, SYLVAIN. ALCIPE. Leandre a de l'adresse autant que de courage ; Mais le sort en ce poinct imite le visage [336]. Qu'il paroist different, qu'il est souvent trompeur, Qu'il dement la pensée et qu'il trahit le coeur ! ASTRÉE. Son bon droict maintenu de la faveur celeste, Détournera de luy tout accident funeste. ALCIPE. Mais enfin, si le Ciel permettoit son trespas ? ASTRÉE. Je le suivrois de prés, j'irois dessus ses pas. ALCIPE. Quoy cedant à l'excez d'une douleur profonde, D'un si rare ornement vous priveriez le monde ? Vous laisseriez perir tant de divins attraits ? Toute la terre en dueil en feroit des regrets, Tous les yeux pleureroient cette perte commune, Et Charon [337] passeroit cent milles ames pour une. Formez d'autres desseins, tenez d'autres discours, Et souhaittez plustost d'eterniser vos jours. De quelle vaine crainte estes vous allarmée ? Une galante veuve est toûjours estimée. C'est toûjours un objet cherissable et cheri, Qui ne manque jamais d'amant ou de mari. ASTRÉE. Alcipe gardez bien [338] d'en dire davantage. De quel front osez vous me tenir ce langage ? Est-ce là le respect que vous m'avez promis ? Qu'est devenu ce coeur si pur et si soûmis ? Vos illicites feux se r'allument sans doute ; Vôtre flâme renaist ; mais estouffez la toute. Ma vertu continuë, et mes severitez Vous puniroient enfin de vos temeritez. ALCIPE. N'importe, à vostre gré soyez douce ou severe. Oüy, ma flame renaist, elle croist, et j'espere : La douceur ne peut rien, la force pourra tout, J'entreprends rarement que je n'en vienne à bout. Consentez… ASTRÉE.     Insolent ! ALCIPE.     Consentez ou… HYPPOLITE.         Madame, Rentrez, et vous sauvez des mains de cét infame. ALCIPE. Vous fuyez ; mais en vain, j'irois pour vous trouver, Où le flambeau du jour ne sçauroit arriver. SYLVAIN. Monsieur. ALCIPE.     Ne me di rien. SYLVAIN.         Mais Leandre peut estre… ALCIPE. Leandre ne vit plus, ou n'ose plus paroistre. ### SCENE VI. LEANDRE, FILEMON. (Pour lier la Scene, il faut que Leandre paroisse en un coin du Theatre. ) [339] LEANDRE. Je le voy le perfide, il vient le suborneur. Mourons dans ce combat, ou vangeons nôtre honneur : Deffends-toy, lasche ami. FILEMON.     Leandre. LEANDRE.         L'artifice⁎ Ne sçauroit d'un moment reculer ton supplice. FILEMON. Vous me méconnoissez. LEANDRE.         Non, infidele, non. FILEMON. Considerez, je suis… LEANDRE.         Le traistre Filemon. FILEMON. Je m'offence à ce mot, Leandre que je sçache, Qui vous fait me traitter d'infidelle et de lasche ? LEANDRE. Tu ne le sçais que trop ; mais sans plus repliquer, Ce n'est que par ce fer que je veux m'expliquer, Deffends-toy donc. FILEMON.         Le sang au visage me monte, Tout autre esprouveroit ma colere plus prompte. Je vous satisferay n'en doutez nullement : Mais ne me niez⁎ pas cét éclaircissement. Que je connoisse au moins la nature du crime Qui m'acquiert vostre haine, et m'oste vostre estime. LEANDRE. Ce crime est le plus noir qu'on ait jamais commis ; Horrible et detestable à tous les vrais amis. Attenter sur mon lict, abuser de ma femme ! Sus l'espée à la main, ce penser seul m'enflamme. FILEMON. Je ne la l'y mets point, l'innocent opprimé Se tient plus fort tout nud, qu'un criminel armé ; Tenez voila mon sein, faites une ouverture : Vous verrez dans mon coeur une amitié plus pure. LEANDRE. A la fin j'auray tort ! FILEMON.         Vous l'aurez en effet, Avec le repentir de l'affront qui m'est fait. Quel indice avez vous qui marque mon offence ? LEANDRE. J'en ay plus d'une preuve et plus d'une apparence ; Mais pour n'en faire pas un importun recit : Consultez ce billet, et voyez ce qu'il dit. (Il lit le billet qu'Alcipe a laissé tomber.) Vous demeurez confus. FILEMON. (Apres que Filemon a leu.)         J'imagine, je songe Qui peut avoir écrit cét horrible mensonge ? Quiconque l'a pû faire, est certain de sa mort : Ce projet de mon coeur est un Arrest du sort. LEANDRE. C'est, FILEMON.     Poursuivez. LEANDRE.     Alcipe. FILEMON.         Alcipe, le perfide ! Fut-il un Gerion, je seray son Alcide. [340] Je ne vous ay jamais à ce point offencé ; C'est un traistre imposteur. LEANDRE.         Je l'avois bien pensé. FILEMON. Ne m'osant attaquer avec la force ouverte, Sa malice en secret tente tout pour ma perte : Mais le lâche qu'il est, se le promet en vain. Sçachez que sa blesseure est un coup de ma main. Que vous estes celuy dont il aimoit la femme, Et que pas un que moy n'a puni cét infame. Vous apprendrez un jour cette histoire à loisir. LEANDRE. Alcipe m'auroit fait ce sanglant déplaisir ! Non cela ne se peut, si je l'aime, il m'honore. A cét autre témoin que direz vous encore ? (Il luy donne la lettre qu'il a trouvée dans le cabinet d'Astrée.) FILEMON. Ce témoin me convainct bien moins que le premier. Cét écrit est de moy ; je ne le puis nier, Je l'adresse à Florinde, et mande⁎ à cette belle, Que j'ay le mesme coeur qu'autre fois j'eus pour elle ; Et que si son mari la traitte rudement, J'en meditte et resous le dernier chatiment. LEANDRE. Mais en ce grand dessein que peut faire Hyppolite ? FILEMON. Qu'aisement un soupçon dans vôtre ame s'excite ! Hyppolite est parente et confidente aussi De la belle affligée à qui j'écris ceci : Ressouvenez vous en, vous l'avez cent fois veuë Dans le bal, au Theatre, au Temple [341], et dans la ruë. LEANDRE. Oüy je m'en ressouviens, et reçois des clartez Qui dissipent mon doute et mes obscuritez. FILEMON. Leandre à vôtre tour tirez moy d'une peine. D'où vous vient cét écrit ? faittes que je l'apprenne. Vous avez au rapport qu'Alcipe vous a fait, Corrompu le Courrier, ou gagné mon valet. L'apparence le dit, et m'oblige à le croire. LEANDRE. Vous m'accusez à tort d'une action si noire. J'use moins d'artifice⁎, et ma sincerité Ne me permit jamais une infidelité. FILEMON. Mais cette lettre enfin ? LEANDRE.         Consultez en Astrée ; C'est dans son cabinet que je l'ay rencontré⁎. FILEMON. Allons donc la trouver et nous éclaircissons [342] Sur les divers motifs de nos fâcheux soupçons. Qu'aujourd'huy nôtre erreur tout à fait se dissipe ; Hastons nous, nous pourrons y rencontrer Alcippe ; Et le traistre avoüera, s'il n'aime mieux perir, Qu'un autre plus que moy, ne vous sçauroit cherir. LEANDRE. Justes Cieux accordez à mon ame tremblante, Qu'Alcipe soit coupable, et ma femme innocente ! Que j'apprenne de l'un le Zele⁎ dangereux, De l'autre l'innocence et l'amour genereux⁎. ### SCENE VII. ORPHISE, ASTRÉE, HYPPOLITE. ORPHISE. L'insolent vous parloit avec tant d'impudence ? ASTRÉE. Il a mesme passé jusqu'à la violence. Il m'a dessus la gorge [343] osé porter la main, Et fait quelqu'autre effort⁎ plus grand ; mais aussi vain. ### SCENE VIII. ALCIPE, ASTRÉE, ORPHISE,HYPPOLITE, SYLVAIN. HYPPOLITE. Il revient. ASTRÉE.         Temeraire avez vous donc envie ?… ALCIPE. D'obtenir vos faveurs, ou d'avoir vostre vie. ASTRÉE. Ah ! le lâche courage⁎. ALCIPE.         Ah ! le coeur sans pitié. ASTRÉE. Le genereux⁎ amour ! la parfaitte amitié ! ALCIPE. Ne parlez plus d'ami, quand la vie est esteinte, Le coeur le plus zelé⁎ n'a qu'une amitié feinte ; Leandre ne vit plus, la mort vous le ravit, Et je veux obtenir sa place en vostre lit. ASTRÉE. S'il ne vit plus, méchant, le Ciel le ressuscite Pour prendre une vangeance égale à son merite. SYLVAIN. Filemon l'accompagne. ALCIPE.         Ah ! je suis découvert. SYLVAIN. Je vous l'avois bien dit. ALCIPE.         Tout me nuit, tout me perd ; Mais que tarday-je plus ? évitons leur colere, Fuyons Sylvain. SYLVAIN.         Fuyons, nous ne sçaurions mieux faire. ### SCENE IX. LEANDRE, FILEMON, ASTRÉE,ORPHISE, HYPPOLITE,SYLVAIN, VALENTIN. (Hyppolite retient Sylvain.) LEANDRE. Tien le bien Hyppolite. FILEMON.     Arreste. SYLVAIN.         J'obeïs. FILEMON. Au brave qui s'enfuit, tu donnois des avis, Et suivant d'aujourd'huy le Proverbe vulgaire⁎, Estois de ses secrets le grand depositaire [344] ? SYLVAIN. Monsieur, s'il eust voulu suivre mes sentimens, Je ne recevrois pas ces mauvais traittemens. Luy dedans la chaleur d'une indiscrette⁎ flame, N'auroit pas attenté sur l'honneur de Madame ; Ni de ce bras vainqueur, le juste et prompt secours, Presque esteind dans son sang le flambeau de ses jours ; Car enfin les filoux n'estoient qu'imaginaires, Leurs coups que fiction, nos clameurs que chimeres : Et bien-tost en ce jeu l'on m'eut veu le trahir, N'eust esté qu'un valet doit toûjours obeïr. FILEMON. Apres un tel aveu, quel soupçon vous demeure ? Meritay-je de vivre, ou faut-il que je meure ? Suis-je un perfide ami ? LEANDRE.         Mais ne le suis-je pas ? Pour ma punition, est-ce assez d'un trespas ? Hymen⁎, ami, vertu que j'ay tant offencée ; Remarquez de quel trait j'en ay l'ame blessée, Et que vostre Justice ait égard aujourd'huy A ne me punir pas des malices d'autruy. Toy de mon faux ami confident et complice, Tu devrois esprouver un rigoureux supplice ; Mais puis qu'avec regret tu suivois ses desseins, Ton mal ne sera pas si grand que tu le crains. Cependant à mes yeux n'oze jamais paraistre, Et porte de ma part ce soufflet à ton Maistre. VALENTIN. Voila pauvres valets, comme on nous traitte tous, Quand nostre sort permet que nous servions des fous. [345] LEANDRE. La verité connuë a dissipé mes douttes ; Et comme eux, cher ami, mes craintes le sont toutes : Je joüis maintenant d'un repos accomply. FILEMON. Pour moy, je n'ay pas mis cette lettre en oubly. Son secret m'inquiette, et je prirois Madame De donner sur ce poinct quelque jour à mon ame. ASTRÉE. Je le veux ; aussi bien de vostre part aussi, Il me reste un soupçon qui doit estre éclairci : Vous estes noble, riche, adroit en toute chose : Qui vous void une fois vous aime ou s'y dispose. Je vous connois discret⁎, modeste et genereux⁎, Je souhaittois de plus de [346] vous voir amoureux, Mais d'un digne sujet, et de qui l'Hymenée⁎ Avecque vôtre sort joignit la destinée. J'ay creu, (vostre coeur mesme en a fait un aveu) Que vous pouviez nourrir en secret quelque feu ; Et qu'ayant le merite égal à la fortune [347], Vous vous faisiez partout cent Maistresses pour une. J'ay pensé d'autre part que dans l'éloignement Une lettre entretient l'Amante avec l'Amant : Que c'est où leur amour à bien feindre s'exerce, Et j'ay fait mon pouvoir d'en rompre le commerce. [VALENTIN] [348] *bas.*. Je suis perdu, Madame. FILEMON.         Encor à quel dessein ? ORPHISE. Cousine. ASTRÉE.         De vous mettre une autre ardeur au sein. FILEMON. Il n'estoit pas besoin incomparable Astrée ! Admirable en beauté plus encor qu'admirée ; Il n'estoit pas besoin de prendre ce souci : J'ay bien dedans le sein une autre ardeur aussi. Dois-je la declarer, non non je la doy taire : Dans cette passion, je suis trop temeraire. Leandre, s'il le veut, m'y pourroit bien aider ; Mais l'en prier aussi, c'est trop se hazarder. Toutesfois ASTRÉE.         Filemon, n'achevez pas de grace. ORPHISE. Il l'aime et non pas moy. FILEMON.         Que faut-il que je fasse ? Escoutez un Amant à demy consumé D'un feu que vous avez en partie allumé. LEANDRE. Que pourroit-il pretendre ? ASTRÉE.         Encor un coup silence. FILEMON. Ami, souscrirez-vous à cette violence ? C'est me donner la mort, que me nier⁎ ce bien. LEANDRE. Vous tenez un propos où je ne comprends rien. FILEMON. Il faut donc m'adresser à la divine Orphise : Elle en prendra le sens, ainsi que ma franchise⁎. C'est elle qui m'enchaine, et qui me fait brûler ; C'est le souverain bien dont je voulois parler. ASTRÉE. O Ciel ! quelle surprise ? [349] ORPHISE.         Cousine qu'elle est douce ! FILEMON. Vostre visage change, est-ce qu'il se courrouce ? Astrée, Orphise, ami favorisez mes feux, Et n'éconduisez pas un discret amoureux. LEANDRE. Orphise est trop prudente, et trop respectueuse, Pour contrefaire ici la fille dédaigneuse. Ma cousine parlez, vainquez vôtre pudeur⁎ ; Ne repondez vous pas à cette noble ardeur ? ORPHISE. Estant vostre parente et sous vostre tutele, Si cette ardeur vous plaist, elle me semble belle. ASTRÉE. Ce mot a mon soupçon tout à fait éclairci. Vous vous aimiez tous deux, et m'en doutois aussi ; Mesme pour mieux former ces douces harmonies, Qui composent un tout de deux ames unies ; Et de peur qu'en sortant vous ne vinssiez à voir Quelque agreable objet qui peût vous émouvoir ; J'ay sçeu sur un soupçon d'une noire entreprise, Vous retenir toûjours aupres de vostre Orphise. LEANDRE. Trop soupçonneux mari, j'ay pris à contre sens, Ses pensers les plus saints et les plus innocens. FILEMON. Vous m'avez fait, Madame, une faveur insigne⁎ ; Je ne l'esperois pas, et je m'en crois indigne ; Mais si tout ce bon-heur n'est pas illusion, Allons tout quatre ensemble en écrire à Lyon. VALENTIN. Hyppolite di moy si tu m'aimes encore ? HYPPOLITE. Non, c'est peu de t'aimer, Valentin, je t'adore [350]. VALENTIN. Je pensois échapper de tes mignons appas. HYPPOLITE. Tu le peu faire encor ; car je ne t'aime pas. FIN. ## Extraict du Privilege du Roy. Par grace et Privilege du Roy donné à Paris le 9. jour de Juillet 1650. Signé, Par le Roy en son Conseil, LEBRUN. Il est permis à Toussainct Quinet Marchand Libraire à Paris, d'imprimer ou faire imprimer, vendre et distribüer une piece de Theatre intitulée, *Les Soupçons sur les Apparences*, pendant le temps de cinq ans entiers et accomplis [351]. Et defenses sont faites à tous Imprimeurs, Libraires et autres, de contrefaire ledit Livre, ni de vendre ou exposer en vente d'autre impression que de celle qu'il a fait faire, à peine de trois mil livres d'amende, et de tous dépens, dommages et interests, ainsi qu'il est plus amplement porté par lesdittes Lettres, qui seront en vertu du premier Extraict tenuës pour bien et deuëment signifiées, à ce qu'aucun n'en pretende cause d'ignorance. Achevé d'imprimer pour la premiere fois le 28. Juillet 1650. *Les exemplaires ont esté fournis.* # Lexique. Les lettres A., F. et R. entre parenthèses renvoient respectivement aux *Dictionnaires* de l'Académie française, de Furetière et de Richelet. Quand cela a été nécessaire, nous avons eu recours au *Dictionnaire de la Langue française du XVI*e* siècle* de Huguet, nous le signalons par la lettre H. entre parenthèses. Nous avons modernisé l'orthographe. Pour l'établissement de ce lexique, nous avons souvent suivi les définitions proposées par Gaston Cayrou [352]. Nous avons également consulté le *Dictionnaire historique de la langue française* de Rey. Les numéros renvoient aux vers correspondants.AbordArrivée.V. 749 ; 814.Abord (d')Aussitôt, immédiatement.V. 337 ; 624 ; 668 ; 750.AdresseArtifice, ruse, finesse.V. 921 ; 951 ; 1214.AimableDigne d'être aimé (Rey).V. 554 ; 646 ; 727 ; 757.AirFaçon, manière de se comporter (Rey).V. 163 ; 166.AppasAttraits physiques, en poésie.V. 40 ; 555 ; 619 ; 823.Artifice« Ruse, déguisement, fraude » (A.).V. 595 ; 1109 ; 1441 ; 1507.AveuAutorisation, permission.V. 178 ; 1046.BureauAgence, magasin.V. 94.CelerCacher.V. 598 ; 899 ; 999.Charme« Puissance magique par laquelle, avec l'aide des démons, les sorciers font des choses merveilleuses, au-dessus des forces ou contre l'ordre de la nature …V. 369Sign. fig. Attrait, appât, qui plait extrêmement, qui touche sensiblement » ( A.).V. 38 ; 369 ; 477 ; 667 ; 744 ; 810.Charmant : v. 43 ; 624 ; 734.Charmer : v. 882.CœurPeut signifier « Courage ».V. 959.ComedieThéâtre (la Comédie est le lieu où l'on joue des comédies, pièces de théâtre sans distinction de genres).V. 178.Compliment« Civilité ou honnêteté qu'on fait à autrui, soit en paroles, soit en actions » (F.)V. 153 ; 271 ; 623.ConsentirReconnaître, approuver.V. 2.CouragePeut signifier « Coeur », c'est-à-dire la force d'âme, l'énergie, la volonté, la force vitale.V. 273 ; 315 ; 365 ; 514 ; 527 ; 563 ; 585 ; 804 ; 1140 ; 1250 ; 1333 ; 1527.Couvert de (à)Sous l'abri, la protection de.V. 1354.CreditConsidération.V. 1015 ; 1022.DecevoirTromper.V. 591 ; 993 ; 995 ; 1320.DeguiserDéfigurer, déformer, dénaturer.V. 533.DemeureDélai, retard.V. 1205.DepitIrritation violente, causée par une marque de mépris, par un affront.V. 294 ; 311.DeplaisirDésespoir.V. 310 ; 991.DessousSous.V. 190.DessusSur.V. 104 ; 118 ; 225 ; 592 ; 786.DiscretPeut signifier Raisonnable, prudent.V. 1131 ; 1579.DivertirSignifie aussi Détourner.V. 933.EffortAction énergique, violente. Désigne toute activité d'un être conscient qui utilise ses forces pour vaincre ou résister à une résistance (Rey).V. 66 ; 136 ; 138 ; 240 ; 384 ; 548 ; 1178 ; 1304 ; 1524.Effet puissant, violent.V. 47. EmpirePouvoir souverain, supériorité.V. 1289.Ennuy« Fâcherie, chagrin, déplaisir, souci » (A.).V. 1356.EnnuyeuxDétestable.V. 469.EntreprendreQuereller.V. 282 ; 536.Envy (à l')« Adv. A qui mieux mieux. » (F.).V. 279.Estonner« Ebranler, faire trembler par quelque grande, … violente commotion » (A.).V. 442 ; 547.Exorable« Qui se laisse vaincre et persuader par les raisons, les prières et la compassion » (F.).V. 1034.FranchiseLiberté, en poésie et en parlant d'amour.V. 161 ; 813 ; 1610.Franc : 400.FurieuxFou, insensé, égaré par une passion.V. 324 ; 779.GenereuxDe noble race, noble. « Qui a l'âme grande et noble, et qui préfère l'honneur à tout autre interêt. … Sign. aussi, Brave, vaillant, courageux. » (F.).V. 365 ; 447 ; 560 ; lettre (III) ; 984 ; lettre (IV) ; 1245 ; 1303 ; 1339 ; 1520 ; 1528 ; 1579.Genereusement : 536.Heurter« Sign. aussi, Frapper à la porte pour se faire ouvrir » (F. ), plus précisément frapper le marteau de la porte.V. 92 ; 105 ; 112 ; 159 ; 184 ; 211 ; entre-vers 294-295 ; 357.Honneste« Qui mérite de l'estime, de la louange » (F.).V. 573 ; 1350.HostellerieDemeure.V. 154.HumeursL'ensemble des fluides circulant dans le corps et conditionnant notre caractère.V. 174.HymenLien du mariage.V. 208 ; 740 ; 839 ; 849 ; 1265 ; 1290 ; 1557.Hyménée : 651 ; 1581.Impourveu (à l')« Avec surprise ». (F.)V. 309 ; 1081.Indiscret« Qui agit par passion, sans considérer ce qu'il dit ni ce qu'il fait » (F.), inopportun.V. 86 ; 1545.IngenuNaturel, loyal, sans déguisement dans ses propos.V. 621.Insigne« Remarquable, excellent, qui se fait distinguer de ses semblables » (F.).V. 1633.Intelligence« Sign. aussi Union, amitié de deux ou plusieurs personnes qui s'entendent bien ensemble » (F.).V. 286.Irriter« Exciter, rendre plus vif et plus fort » (F.).V. 516.Irrité : 295 ; 787.Juste« Se dit aussi de … choses qui ont la mesure et la proportion requise, qui est tout à fait convenable » (A.)V. 103 ; 155 ; 327 ; 571 ; 711 ; 1127.Injuste : 13.Mander Communiquer une nouvelle par lettre ou par messager.Lettre (III) ; v. 1489.Nier« Sign. aussi, Refuser » ( F.).V. 1452 ; 1607.Objet« Se dit aussi poëtiquement des belles personnes qui donnent de l'amour » (F.)V. 32 ; 43 ; 334 ; 553 ; 688 ; 691 ; 727 ; 751 ; 811 ; 842 ; 906 ; 1045.OfficeService.V. 1110.OfficierTitulaire d'une charge, d'un office. « Celui qui est pourvu de quelque office, grand ou petit, dans la robe, dans l'épée ou dans quelque autre condition de la vie » (R.).V. 94.Ombrage« Sign. fig. Défiance, soupçon » ( F.).V. 258 ; 761 ; 783 ; 889 ; 969 ; 1249.Ombrageux : 777. OuïrEntendre.V. 434 ; 456 ; 551 ; 1107.PiquerAffliger.V. 164.Irriter, passionner, émouvoir vivement.V. 514.PossiblePeut-être.V. 123 ; 404 ; 681 ; 904 ; 965.PostureMaintien, port.V. 93.Preignant« Pressant, décisif » (H.).V. 48.Pretendre« Aspirer à quelque chose, avoir espérance de l'obtenir … Signifie encore Avoir intention, avoir dessein » (F.)V. 69 ; 589.PudeurConfusion, embarras, « Honnête honte » (A.).V. 1619.QuereleCause. « Se dit aussi de l'intérêt d'autrui quand on en prend la défense » (F.).V. 282.RencontreCirconstance, occasion.V. 18.RencontrerPeut signifier Trouver.V. 1510.Resver« Signifie aussi, Appliquer sérieusement son esprit à raisonner sur quelque chose, à trouver quelque moyen, quelque invention » ( F.)V. 1214.Sale« Se dit figurément en choses morales, de choses qui sont criminelles, deshonnêtes ou obscènes » (F.).V. 1089 ; 1094.SensibleSignifie aussi Qui frappe les sens.V. 1034.Soin« Se dit aussi des soucis, des inquiétudes qui émeuvent, qui troublent l'âme » (F.).V. 410. Soucy« Inquiétude, soin fâcheux » (R.).V. 707 ; 1148.TantostÀ l'instant.V. 322 ; 1036 ; 1180 ; 1215.Tout à l'heure« Sur l'heure, présentement » (R.).V. 113 ; 317.TransportViolente agitation de l'esprit, vive émotion.V. 135 ; 324 ; 332 ; 397.VertuQualité. «  Sign. encore, Force, vigueur, tant du corps que de l'âme » (F.).V. 880.VulgaireQui est relatif à la foule.V. 1541.ZeleVive ardeur à servir une personne, une cause.V. 1221 ; 1399 ; 1519.Zélé : 1530. # Bibliographie. ## Ressources numériques. Catalogue collectif de France : http://www.ccfr.bnf.fr (juillet 2005) Karlsruher Katalog Virtueller KVK : http://www.ubka.uni-karlsruhe.de/kvk.htlm (janvier 2006) César : Calendrier électronique des spectacles sous l'Ancien régime et sous la Révolution : http://cesar.org.uk/cesar2 (mars 2006) Centre de recherche sur l'histoire du théâtre (Paris IV-Sorbonne) : *http://*www.crht.org ## Pour le lexique.Dictionnaire *Gaston* Le Français classique. Lexique de la langue du XVII*e* siècle *Antoine*Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts *Frédéric*Dictionnaire de l'ancienne langue française, et de tous ses dialectes du IX*e* au XV*e* siècle Dictionnaire de la langue française du XVI*e* siècle *Alain*Dictionnaire historique de la langue française *Pierre*Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise…. avec les termes les plus connus des arts et des sciences ## Pour la grammaire.*Nathalie* Grammaire du français classique Syntaxe française du XVII*e* siècle *Gabriel*Grammaire de la langue française du XVII*e* siècle ## Ainsi que pour les notes.*Pierre*Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine *Jacques*Dictionnaire historique des rues de Paris *Georges*Racine, Œuvres complètes *Noëlle*Précis de phonétique historique ## Textes de référence.Les Songes des hommes esveillez *Pierre*Mélite ; Clitandre ; La veuve ; La galerie du palais ; La suivante ; La place royale ; L'illusion comique ; Le menteur ; La suite du menteur ; Don Sanche d'Aragon ; Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique ; Discours des trois unités d'action, de jour, et de lieuŒuvres complètes *René, « P*Méditations métaphysiques Essais *Antoine*Les Trahizons d'Arbiran *William*Othello ## Éditions critiques consultées. Voir http://www.cellf.paris-sorbonne.fr/ Les Fausses veritez*uñón, sous la direction de Georges Forestier, 2000.* L'Esprit folet La Coifeuse à la mode ## Sources imprimées.*Pierre-François*Recherches sur les théatres de France Dictionnaire portatif historique et littéraire Bibliotèque des theatres *François**Claude*Dictionnaire des théâtres de Paris *François & Claude*Histoire du théâtre françois depuis son origine jusqu'à présent ## Ouvrages sur l'histoire matérielle des théâtres.*Sophie Wilma*L'Histoire de la mise en scène dans le théâtre français de 1600 à 1657 *Sophie Wilma* Le Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne 1548-1680 *Alan*Le Théâtre professionnel à Paris. 1600-1649 Le Mémoire de Mahelot, Laurent et autres décorateurs de l'Hôtel de Bourgogne *Georges*La Vie quotidienne des comédiens au temps de Molière*e* ## Sur d'Ouville.*ARMAS Frederick*Romance Notes *CHARDON Henri*Scarron inconnu et les types des personnages du roman comique *Georges*Dictionnaire des lettres françaisesLe Dix-septième siècle, Paris *Anastasia* *James*Dissertation Abstracts ## Ouvrages sur la période.*Antoine*Histoire de la littérature française du XVII*e* siècle *Tony*Astrée », Etudes Epistémè *Jacques* Histoire de la littérature française – De Montaigne à Corneille *Jean*La Littérature de l'âge baroque en France ## Ouvrages sur le théâtre en France au XVII*e* siècle.*Hélène*La Tragi-comédie de Corneille à Quinault *Gabriel*Pierre Corneille et la naissance du genre comique *Michel*Lire la comédie *Jean*Les Valets et les servantes dans le théâtre comique en France de 1610 à 1700 *Roger*La Comédie avant Molière 1640-1660 *Roger, « L*Visages du théâtre français au XVII*e* siècle *Henry Carrington*A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century *Jacques*La Dramaturgie classique en France *Pierre*La Comédie *Marc*Dictionnaire analytique des œuvres théâtrales françaises du XVII*e* siècle Littératures classiques Théâtre du XVII*e* siècle ------- [1] La *Coifeuse* a été attribuée à d'Ouville par Beauchamps. Pour Lancaster, cette attribution semble justifiée par la nature de l'intrigue, similaire à celle de ses autres pièces, et par le nom des cinq personnages, qu'on retrouve dans *Jodelet astrologue.* [2] Les *Trahizons* sont dédicacées à Bouthiller, surintendant des Finances, l'*Esprit folet* à M*me* de ⁎⁎⁎, les *Fausses Veritez* à M*me* de Saincte Marie (Suzanne d'Espinay), la *Dame Suivante* au Duc de Guise, *Aymer sans savoir qui* à la marquise de Saint-Germain, les *Morts Vivants* à l'archevêque de Rouen. La comédie *Jodelet astrologue* est quant à elle dédiée par l'imprimeur à M. de Villennes, en raison de son intérêt pour l'astronomie. [3] MAUPOINT, *Bibliothèque des theatres, contenant le catalogue alphabétique des Pieces dramatiques, Opera, Parodies, & Opera Comiques ; et le temps de leurs Representations*, Paris, Prault, 1733 ; rééd. Paris, Arche du Livre, 1970, p. 289. [4] BEAUCHAMPS, *Pierre-François* GODART de, *Recherches sur les théâtres de France*, Paris, Prault, 1735, vol. 2, p. 185. [5] Il s'agit des dix pièces d'Ouville que nous connaissons, et parmi lesquelles figurent les *Soupçons.* [6] LERIS, *Dictionnaire portatif historique et littéraire des théatres. contenant l'origine des differens theatres de Paris…*, seconde édition, revue, corrigée & considérablement augmentée, Paris, C.A. Jombert, 1763, p. 561-562. [7] CLEMENT, J.B.M. et LAPORTE, J. de, *Anecdotes dramatiques*, 1775, t. 2 p. 198. [8] *Bibliothèque dramatique de Monsieur de Soleinne*, catalogue rédigé par P. L. Jacob, bibliophile, Paris, Alliance des Arts, 1843, notice 1170, p. 259. [9] PARFAICT, *François* & *Claude*, *Dictionnaire des théâtres de Paris*, Paris, Rozet, 1767, vol. 5, p. 235. [10] PARFAICT, *Histoire du théâtre françois, depuis son origine jusqu'à présent, avec la vie des plus célèbres Poëtes dramatiques, un catalogue exact de leurs Pièces, et des Notes historiques et critiques*, Slatkine Reprints, Genève, 1967, t. 2, p. 188. [11] L'exemplaire passa ensuite dans la bibliothèque du collège St Éloi de Paris des clercs réguliers de St Paul des Barnabites. Nous remercions J.-M. Chatelain, conservateur à la Réserve des livres rares (BnF), de nous avoir aidée à identifier les ex-libris et dater les mentions manuscrites et les reliures. [12] Roger Brulart, baptisé en avril 1640, chevalier de l'ordre du Saint-Esprit en 1705, mort le 1*er* janvier 1719. *Archives de la Société française des collectionneurs d'ex-libris*, 19*e* année, 1912, p. 115-117. L'ex-libris ne porte pas le collier du Saint-Esprit. [13] Rés-Yf 312-316 : *La Coiffeuse à la mode,  L'esprit folet, La dame suivante, L'absent chez soi, Les fausses vérités*. Comme pour les *Soupçons*, le nom de l'auteur de la 1*re* pièce a été ajouté dans un 2*e* temps sur la liste des pièces du contreplat. On constate une même graphie. L'identification paraît donc concomitante. [14] GUICHEMERRE, *Roger*,* La Comédie avant Molière 1640-1660*, 1972, Deuxième partie, deuxième chapitre, sous-chapitre « Maris trompés et femmes légères », p. 241. [15] Je me base ici sur les informations de l'article de Frederick de Armas « Antoine Le Métel Sieur d'Ouville : The "Lost Years" », *Romance Notes*, XIV, 1972-1973, p. 538-543, aussi bien que sur la thèse de James Wilson Coke, *Antoine Le Métel, Sieur d'Ouville : His Life and his Theatre*, Indiana University, 1958, p. 2344. [16] Boisrobert se convertit au catholicisme. Les convictions religieuses de d'Ouville sont inconnues. [17] Boisrobert (1592-1662), abbé de Châtillon-sur-Seine, fut conseiller d'État. Comme son frère, il, écrivit des contes et des pièces de théâtre, ainsi que des poésies, des chansons et des lettres. Il joua un grand rôle dans la création de l'Académie française, dont il fut un des premiers membres. Proche du Cardinal de Richelieu, au pouvoir de 1624 à 1642, d'Ouville lui doit sans doute pension et titre de noblesse. [18] Je me fonde sur la thèse de l'École des Chartes sur Boisrobert effectuée par Anastasia Iline en 2004. [19] Ces dates sont contestées. Coke place les sept ans en Espagne entre 1630 et 1637, Henri Chardon entre 1640 et 1646. [20] *LesTrahizons d'Arbiran*, tragi-comédie, par Monsieur Douville. Paris, Augustin Courbé, 1638, in 4°. [21] Dédicace des *Trahizons* à Bouthiller, surintendant des Finances. [22] Comédie de Mairet, publiée en 1636 et représentée en 1632. [23] L'*Esprit folet.* Comédie, par Mr D'Ouville. Paris, Toussainct Quinet, 1642, in 4°. [24] Au XVII*e* siècle, les pièces de théâtre sont représentées avant d'être imprimées. L'auteur vend sa pièce à une troupe. À partir de ce moment la pièce appartient à la troupe qui en garde l'exclusivité, généralement pendant une période de dix-huit mois, au bout desquels l'auteur peut faire imprimer sa pièce. La pièce tombe alors dans le domaîne public. Quand une pièce marche bien, la troupe a tout intérêt à ce que la pièce ne soit pas imprimée. [25] Les *Fausses véritez*, comédie, par Mr D'Ouville. Paris, Toussainct Quinet, 1643, in 4°. [26] *L'Absent chez soy.* Comédie, par Mr D'Ouville. Paris, Toussainct Quinet, 1643 in 4°. [27] La* Dame suivante.* Comédie. Paris, Toussainct Quinet, 1645, in 4°. [28] *Jodelet astrologue*, comédie du Sieur D'Ouville. Paris, Cardin Besongne, 1646 et 1647, in 4°. [29] La *Coifeuse à la mode.* Comédie. Paris, Toussainct Quinet, 1647, in 4°. [30] *Aymer sans savoir qui.* Comédie du Sr D'Ouville. Paris, Cardin Besongne, 1646-1647, in 4°. [31] Les *Morts Vivants*, tragi-comédie du Sieur D'Ouville. Paris, Cardin Besongne, 1646, in 4°. [32] Les *Soupçons sur les Apparences*, héroïco-comédie, Paris, Toussainct Quinet, 1650, in 4°. [33] Les *Contes aux heures perdues ou le Recueil de tous les bons mots, reparties, équivoques, brocards, simplicités, naïvetés, gasconnades, et autres contes facétieux*, Paris, 1644. *L'Elite des Contes du Sieur d'Ouville*, Rouen, 1671-1680-1695. *L'Elite des Contes du Sieur d'Ouville*, réédition par G. Brunet, Paris, 1883. [34] Les catalogues de pièces de théâtre du XVIII*e* siècle retiennent les faits suivants : d'Ouville est le fils d'un procureur de la Cour des Aides de Rouen, il a été ingénieur, hydrographe et géographe, ses contes lui ont valu une certaine renommée au XVII*e* siècle, et son frère Boisrobert était plus brillant que lui. [35] *Nouveaux contes en vers et en prose tirés de Boccace et d'Ouville*, 1678. *Nouveaux contes à rire de Boccace, de d'Ouville et autres personnes enjouées*, 1692. [36] La *Fouine de Séville ou l'hameçon des bourses*, traduit de don Alonso Castillo de Solorzano, Paris, 1661. *Histoire de Dona Rufina de Séville*, traduction du même, Paris, 1731. [37] Il s'agit de six petits romans, formant les *Nouvelles amoureuses et exemplaires. La Précaution inutile*, Paris, 1656.* S'aventurer en perdant*, Paris, 1656.* La Belle invisible ou la constance éprouvée*, Paris, 1656.* L'Amour se paye avec amour*, Paris, 1656.* La Vengeance d'Aminte affrontée*, Paris, 1656.* A la fin tout se paye*, Paris, 1657. [38] Nous citons Boisrobert, cité par Lancaster, p. 90 de son *History.* [39] Pierre Corneille, né à Rouen en 1606, mort en 1684. [40] « Liaison des scènes : Type de relations, considérées comme nécessaires à partir de 1650 environ, entre les personnages de deux scènes successives appartenant à un même acte. Deux types seulement sont à la fois jugés légitimes et représentés en fait : 1° *Liaison de présence* : Type où un personnage au moins est présent à la fois dans une scène et dans le suivante. 2° *Liaison de fuite* : Type où un personnage quitte le plateau au moment où un autre personnage y entre, parce qu'il ne désire pas que celui-ci le voie ou lui adresse la parole. » SCHERER, *Jacques*,* La Dramaturgie classique en France*, p. 437. [41] *Essais*, Livre III, chapitre 2 « Du repentir », Pochothèque, 2001, p. 1255-1256. [42] Honoré d'Urfé (1567-1625) publie les 5000 pages de l'*Astrée* entre 1607 et 1624. Le secrétaire de d'Urfé, Baro, écrit et publie sa fin en 1627. [43] GUEERAERT, *Tony*, « L'Eden oublié : le brouillage des signes dans l'*Astrée* », *Études Epistémè*, n° 4, automne 2003. [44] V. 820. [45] V. 1251-1252. [46] L'Hôtel de Bourgogne était situé dans le quartier du Temple, au coin des rues Mauconseil et Française, à l'emplacement de l'actuelle rue Étienne Marcel. [47] DEIERKAUF-HOLSBOER, *Sophie-Wilma*, *Le Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne*, p. 67. [48] LANCASTER, *Henry Carrington*, éd., *Le Mémoire de Mahelot, Laurent et autres décorateurs de L'Hôtel de Bourgogne*, Paris, Champion, 2005. [49] La Fronde (1648-1652). Révolte et alliance des parlementaires humiliés par Richelieu et Mazarin avec un certain nombre des grands du Royaume contre le pouvoir royal. Les combats parisiens contraignent le roi à s'exiler de Paris pendant deux ans, et Mazarin à quitter la France de 1651 à 1653. [50] DEIERKAUF-HOLSBOER, *Sophie Wilma*,* Le Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne 1548-1680*, Paris, Nizet, 1968-1970, p. 67. [51] ADAM, *Antoine*, *Histoire de la littérature française au XVII*e* siècle*, Belin, 1996, t. II, chapitre VI, p.309. [52] LANCASTER, *An History*, part II, vol. 2, p. 727. [53] Lancaster parle d'une « tragi-comedy », *An History*, p. 740, Adam d'un « drame de la jalousie et de la trahison », *Histoire de la littérature française du XVII*e* siècle*, p. 329, note 1. [54] LA MESNARDIERE, Jules de la, *Poètique*, Paris, Antoine de Sommaville, 1640, p. 140, cité dans *L'Histoire de la mise en scène dans le théâtre français de 1600 à 1657*, p. 87. [55] D'AUBIGNAC, *Pratique du théâtre*, Paris, Champion, 1927, p. 52-53, cité dans *Ibid.* [56] V. 1-2. [57] V. 234 - 243. [58] V. 1433-1434. [59] V. 1522-1524. [60] Depuis 1647, date de rénovation de la salle, la scène de l'Hôtel de Bourgogne possède un rideau qui couvrait tout le devant de la scène et était relevé au début de la pièce. On ne le rabaissait cependant pas entre les actes, en raison de la difficulté à le manier. Les changements de décor avaient donc lieu à vue. [61] LANCASTER, H-C, *An History*, vol. II, p. 720. [62] V. 123. [63] V. 221-222. [64] V. 1078. [65] V. 1098. [66] V. 1267-1270. [67] V. 816. [68] Le récit de Filemon, III,3, a donc un rôle dramaturgique essentiel. Il introduit le personnage de Florinde comme obstacle à l'action accessoire, et indirectement à l'action principale, puisqu'elle est cause du jeu des lettres, causes de la jalousie de Leandre. La lettre est un accessoire privilégié de la comédie préclassique, qu'on songe à la première comédie de Corneille, *Mélite ou les Fausses lettres.* Elle constitue aussi un accessoire dramaturgique : on peut la chercher ou la cacher. Elle introduit quelque chose de l'ordre du domaine privé ou romanesque sur la scène. [69] SCHERER, *Jacques*, *La Dramaturgie classique en France*, p. 438. [70] *Ibid.* [71] Sylvain à Alcipe, v. 5-6 : « Depuis cinq ou si mois que vous brûlez pour elle, / Ne vous est elle pas également cruelle ? Et Astrée, v. 61-62 : J'ay long-temps par mépris negligé vostre peine ; / Mais ce mépris se change en une forte haine. »  [72] Astrée est présente dans 25 scènes sur 46, Leandre dans 20, Alcipe dans 18, et Filemon dans 12. [73] C'est en réalité le dénouement qui constitue la scène la plus longue de l'acte V, mais nous ne le considérons pas comme la scène maîtresse de l'acte, d'autant plus que c'est à la scène 6 que les certitude de Leandre commencent à vaciller, et que s'amorce donc le dénouement. Toujours est-il que même dans la scène dernière où tous les personnages présents, selon la tradition, prennent la parole, c'est Filemon qui prononce le plus grand nombre de vers, et le mot de la fin, avant l'intervention des valets. [74] V. 266. [75] Nous disons deux ou trois lieux différents car nous ne savons pas si la rue des deux premiers actes, devant la maison d'Astrée, est la même que celle de la scène 6 du cinquième acte, où se rencontrent Leandre et Filemon pour se battre en duel. [76] L'unité de temps s'impose parallèlement à celles de lieu et d'action. La contrainte des 24 heures oblige les dramaturges à resserrer et concentrer l'action afin qu'elle tienne en un lieu et un temps restreint. [77] L'entracte correspond matériellement au moment où l'on doit moucher les chandelles. Pendant ce temps le public peut parler et manger des « confitures », des pâtes de fruit. Dans la dramaturgie classique, le temps de l'entracte n'est pas vide. Les personnages continuent d'évoluer hors scène, ils accomplissent des actions sans intérêt pour le public, comme manger ou dormir, ou qui ne peuvent être montrées sur scène parce que malséantes. La première scène d'un acte ne peut donc pas mettre en scène les deux mêmes personnages qui étaient présents dans la dernière scène de l'acte précédent. Chaque acte doit commencer *in medias res.* C'est le cas dans les *Soupçons.* [78] L'action a désormais lieu dans la demeure d'Astrée et de Leandre. [79] V. 1587-1589 : « J'ay pensé d'autre part que dans l'éloignement / Une lettre entretient l'Amante avec l'Amant : / Que c'est où leur amour à bien feindre s'exerce, ». Nous pouvons rapprocher ces propos d'Astrée à ceux d'Orphise aux vers 721-724 : « Nous ne demandons pas si c'est quelque Maistresse / Que vostre éloignement retient dans la tristesse ; / Et qui pour soulager son tourment amoureux /Vous doit dans ses écrits exaggerer ses feux. » [80] Picard, laquais, appartient à la catégorie de valets qu'on surnomme selon sa région d'origine. [81] Les Violons sont muets, mais jouent la sérénade sous les fenêtres d'Astrée au premier acte. Le thème de la sérénade est fréquent dans les comédies à l'espagnole. [82] Le personnage du Voisin, qui tend à disparaître dans le théâtre du XVII*e* siècle, est commode et naturel pour le déroulement de l'intrigue, quand le scène présente une rue et des maisons comme dans notre pièce. Témoin de la cause de la venue de Picard, il peut détromper Leandre et lui dire qu'Astrée est chez sa cousine. [83] Ce type d'oubli est fréquent dans les pièces du XVII*e* siècle. Nous l'avons rajouté entre crochets à la suite des autres personnages dans notre édition, car le Voisin n'est pas un rôle moindre en importance que Picard ou les Violons. [84] Lancaster et Guichemerre rapprochent le sujet de la pièce de celui de la tragédie de Shakespeare. Dans les deux pièces nous retrouvons en effet la femme vertueuse accusée d'infamie, le mari dont la jalousie se change en fureur, et l'ami hypocrite. Mais, dans *Othello*, Desdémone finie étranglée, et Othello ne se rend compte de son égarement qu'une fois l'acte fatal accompli. [85] V. 1116 : Noirciroit ta memoire, et rougiroit ton front. V. 1279 : Pourquoy de cét opprobre as-tu chargé mon front ? [86] V. 1112, 1331. [87] V. 1245-1250. [88] V. 573 : Ce nom luy convient mal, on le tient honneste homme ; [89] V. 629-633. [90] V. 623-624 : C'estoit luy qui lisoit, et dont le compliment, / Vous a semblé d'abord si doux et si charmant. [91] V. 1249-1250. [92] V. 19-21. [93] V. 37-40. [94] Alcipe, v. 389 : Rien d'impur ne peut plaire à ces Astres sans taches. Ici, selon un lieu commun précieux, les « Astres » (d'autres fois les « soleils ») métaphorisent les yeux de la femme aimée. On ne peut cependant ne pas y voir un jeu de mot sur le nom de notre héroïne. [95] Filemon, v. 1593-1594 : « … incomparable Astrée ! / Admirable en beauté plus encor qu'admirée ; » [96] V. 8-10. [97] V. 656-657. [98] Acte I, scène 5, v. 171-180. [99] V. 865-866. [100] V. 911. [101] V. 1261-1264. [102] V. 1599-1611. [103] V.1611. [104] Le point d'interrogation n'est là que pour indiquer l'inflexion montante de la voix, inflexion qui traduit l'étonnement. [105] GUICHEMERRE, *Roger*, *La comédie avant Molière*, Deuxième partie, chapitre 2, sous-chapitre « Maris trompés et femmes légères », p. 244-245. [106] *Ibid*, sous-chapitre « Les jeunes filles » p. 231-232. [107] Dorotée et Flore sont les héroïnes de* La Coifeuse à la mode* de d'Ouville. [108] V. 661-664. [109] V. 674-679 : « Puis-je sans vanité me promettre de l'aide ? / Ce noble Cavalier si chery dans Lyon, / N'y passoit pas le temps sans inclination : / Et ma presomption sembleroit bien estrange / De croire qu'il voulut pour moy courir au change. » [110] II, 5, v. 421. [111] V. 422-426. [112] V. 1551-1552. [113] III, 9, v. 913-916. [114] V. 1567-1568 et v. 1591. [115] V. 1637-1640. [116] V. 1635-1636 : « Mais si tout ce bon-heur n'est pas illusion, / Allons tout quatre ensemble en écrire à Lyon. » [117] Les *Soupçons* sont la seule héroïco-comédie répértoriée par Jacques Schérer dans sa *Dramaturgie*, p.457, et Hélène Baby, dans sa *Tragi-comédie de Corneille à Quinault*, p. 87, nous apprend que le terme « héroïco-comédie » apparaît en 1650, et ne cite également que l'héroïco-comédie d'Ouville. [118] Le péril est un « grand péril », et donc un péril tragique, s'il provoque la terreur et la pitié, et donc s'il oppose, selon Aristote, des protagonistes originellement alliés. Le péril de mort n'est pas en soi un « grand péril ». Pour que le péril soit grand, l'intrigue amoureuse doit être reléguée au second plan. Si la primauté est donnée à l'intrigue amoureuse, alors l'action est comique. Dans le *Discours du poème dramatique*, Corneille écrira en 1660 : «  S'il ne s'y rencontre point de péril de vie, de pertes d'Etat, ou de bannissement, je ne pense pas que le poème ait le droit de prendre un nom plus relevé que celui de comédie … La dignité de la tragédie demande quelque intérêt d'Etat, ou quelque passion plus noble et plus mâle que l'amour ». [119] *La Tragi-comédie de Corneille à Quinault*, p. 87 *sq.* [120] Adam traduira cela en « drame de la trahison et de la jalousie ». [121] LANCASTER, *An History*, p. 740. [122] Notamment par Hardy et Du Ryer. [123] Qui Filemon aime t-il ? Astrée n'aimerait-elle pas secrètement Filemon sans l'avouer parce qu'elle est mariée et estime son mari ? Faire le schéma actanciel des *Soupçons* n'est pas simple, d'autant qu'il faut inclure Florinde : Alcipe aime Astrée qui aime Leandre, à moins qu'elle ne soit attirée par Filemon, ce dernier étant aimé de Florinde, et aimant une mystérieuse jeune fille dont il doit taire le nom, mais qui ne peut être qu'Astrée ou sa cousine. [124] Acte IV, scène 1. Cette pièce n'a pas encore fait à ce jour l'objet d'une édition critique. Lancaster émet l'hypothèse que Molière devait connaître la première pièce de d'Ouville, d'autant plus que celle-ci eu un relatif succès, et qu'il se serait souvenu de certains passages en écrivant son *Tartuffe.* [125] Ce terme est issu par haplologie du premier, et ne représente donc pas une réalité autre, comme la comédie héroïque. [126] REY, *Dictionnaire historique de la langue française*, p.957. [127] V. 1305-1309. [128] Notons que si Filemon aime réellement Astrée, l'antithèse avec Alcipe en serait augmentée. [129] *Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique.* [130] *Examen* de *Mélite*, p. 28. [131] V. 943-948. [132] V. 1536. [133] V. 1567-1568 [134] Le spectacle de la folie, véritable, ou feinte comme ici, est très goûté au XVII*e* siècle. À la fin de *Mélite*, Acaste, le rival malheureux, devient fou après avoir cru causer la mort de Tircis, son ami. [135] V. 330-331 : « Sylvain vous le peut dire aussi bien que moy-méme : / Cependant que j'essayrai de rappeler mes sens. » [136] V. 339-344. [137] V.367-368 : « … Les miens suivroient vos pas ; / Mais mon cœur seroit mal secondé de mon bras. » V. 1397-1398 : « Si j'avois la main libre, on verroit mon épée / En cette occasion volontiers occupée. » De quoi faire résonner ironiquement le v. 22 : « Mon bras pour le servir tiendroit tout legitime. » [138] Nous voyons ici qu'une fois de plus l'indication scénique se trouve dans le texte même, et que d'Ouville n'a pas jugé nécessaire de mettre une note dans la marge. [139] V. 1531-1535. [140] V. 440. [141] Acte II, scène 6. [142] Acte III, scène 3. [143] V. 1511-1513. [144] V. 759-761. [145] V. 782-788. [146] Acte I, scène 3, v. 73-74. [147] V. 1267. [148] V. 1270. [149] V. 1199-2000. [150] Alcipe, au v. 415, dit : « Ma langue avec mon cœur, ne s'accordoit pas bien, » tandis qu'au v. 1070, Leandre dit, pris au piège sans le savoir par Alcipe : « Ce n'est qu'un envers moy que ton cœur et ta bouche. » [151] V. 1549-1551. [152] V. 469 : C'est un conte ennuyeux. V. 541 : Vous avez bonne grace à retirer un conte. V. 544 : Je m'en vais achever le conte comme il est. V. 545 : Soit conte, soit histoire, Alcipe faites tréve. [153] V. 494 - 510. [154] V. 573. [155] V. 563-564. [156] V. 1059-1064. [157] V. 1305-1311. [158] *DESCARTES, René*, *Méditations métaphysiques*, fin de la « Première méditation ». [159] *Op. cit.* [160] La racine *thea* signifie *voir* en grec ancien. Quant au verbe latin *specto, regarder*, il a donné en français *spectacle, spectateur.* [161] Acte II, scène 6, v. 552-558. [162] V. 271. [163] Acte III, scène 3. [164] Alcipe feint l'amour courtois à la scène 5 du quatrième acte quand il vient demander la permission à Leandre de courtiser Orphise, pour obtenir ses entrées dans la maison, et se rapprocher ainsi d'Astrée, v. 1037-1042 : « Je crois qu'il vaudroit mieux, avant que luy rien dire, / Tâcher de m'acquerir sur elle quelque empire ; / Luy faire les doux yeux, luy marquer mon tourment ; / L'incliner à l'amour sans qu'elle sçeut comment ; / Et par la complaisance aux Amants ordinaire, / Avant que de parler, m'asseurer de luy plaire. [165] ROUSSET, *Jean*, *Circé et le Paon. La Littérature de l'âge baroque en France*, Paris, Corti, 1954. [166] PARFAICT, *Histoire du theatre françois*, p.188. [167] Le retournement de situation qui amène le dénouement. [168] Les Frères Parfaict citent les v. 1059-1066, et 1105-1106. [169] *Annales dramatiques, ou Dictionnaire général des théâtres*, par une société de gens de lettres, Paris, Barault, Capelle et Renand, Treuttel et Wurtz, Le Normant, 1809, p. 383-384. [170] WILSON COKE, *James*, voir biblio. [171] LANCASTER, *An History*, p.750-752. [172] GUICHEMERRE, ROGER, *La comédie avant Molière*, chapitre sur les personnages conventionnels, p. 207 *sq.* [173] La description de cet exemplaire a été faite p.iii de notre introduction. Sur le contre plat supérieur de l'exemplaire, on trouve la liste manuscrite des pièces reliées dans le volume : « les Soupçons sur les apparences trompeuses heroy comedie 1650 par Douville / la Victime Destat ou la mort de Plautius Silvanius preteur romain par le Sr De Prades 1649 / les chastes martirs par Mlle Cosnard tragedie 1650 / le martyre de Ste catherine tragedie 1650 / le martyre de St Eustache tragedie 1644 ». [174] Coquille attestée également dans les exemplaires de 1651 de la Réserve de la BnF et des Arts du Spectacle. On trouve cependant *yeux*, dans les exemplaires de 1650 de l'Arsenal et de la Mazarine. ** [175] On trouve cependant *ou* sans accent diacritique dans l'impression de 1650 de l'Arsenal, et dans celle de 1651 de la Réserve de la BnF. La coquille *où* est maintenue dans l'impression de 1650 de la Mazarine, et dans celle de 1651 des Arts du Spectacle. [176] La coquille est attestée dans l'exemplaire de 1650 de l'Arsenal, et dans ceux de 1651 de la Réserve de la BnF et des Arts du Spectacle. Nous trouvons *la seconde fois* dans les exemplaires de 1650 de la Mazarine et de la Sorbonne. [177] On distingue l'*amoureux* de l'*amant*. L'*amoureux* est celui qui aime sans être aimé de retour, tandis que l'*amant* est celui qui aime et est aimé en retour. Il n'y a pas de connotation sexuelle dans ce dernier terme. Celle-ci est prise en charge par le *mari*, lié à sa femme par l'*Hymen*, c'est-à-dire le lien sacré du mariage. Le mari et la femme partagent le même *lict.* [178] Qualité qui est arrribuée à Astrée dans toute la pièce. C'est la « force, la vigueur, tant du corps que de l'âme » (Furetière). Plus particulièrement, la *vertu* désigne la chasteté et à l'honneur qui sied à la femme. La vertu d'Astrée est l'enjeu principal de la pièce : trompe t'elle son mari ? [179] À la place de *si vous me croyiez.* Facilité pour transcrire l'imparfait de l'indicatif. [180] *Cesser* : Verbe intransitif. D'après Vaugelas, il commence à figurer sous sa forme transitive au XVII*e* siècle, mais l'usage intransitif est encore approuvé par l'Académie. [181] *Avecques* : Doublet poétique de *avec.* Le mot compte pour deux syllabes. À l'origine, le –*s* final, qui permet de faire la liaison, apparaissait dans les cas où le mot suivant commençait par une voyelle. On trouve aussi la graphie *avecque.* [182] *Au terme* : À la limite, au point de non retour. [183] « Cela vaut fait, ou, Cela est fait, autant vaut ; pour dire, qu'une chose est presque achevée. » (Furetière). [184] Sortie de Sylvain. On attendrait ici un changement de scène. La suite est un monologue d'Alcipe. [185] Forme ancienne de *trouve.* Au XVII*e* siècle, la graphie *ou* a souvent pour doublet la graphie *eu.* Cela permet notamment de faire la rime avec des mots comme *preuve.* [186] Thème de la passion amoureuse qui nous saisit malgré, en dépit de notre raison. [187] Me ligoter (du latin *stringere* serrer, resserrer). [188] *Concerter* : « Faire concert » (Académie), « jouer ensemble harmonieusement » (Rey). [189] *Reconnoistre* : « Signifie aussi, Payer à discrétion, récompenser un service rendu » Furetière), et donc rémunérer. [190] Graphie étymologique. La *colère* est issu du grec *cholera.* Les graphies étymologiques se sont développées au XVI*e* siècle pour rappeler les origines grecques et latines de la langue française. [191] Les deux graphies Alcipe et Alcippe sont attestées dans le théâtre du XVII*e* siècle. C'est cependant la graphie Alcipe qui prédomine dans notre texte. [192] Le *sein* désigne au figuré l'esprit, le cœur de l'être humain. Comprendre : en vous ôtant de la tête, de l'esprit. [193] *Qu'avez-vous à pretendre* : Que pouvez-vous prétendre ? (dans le sens de prétendre à la la main d'une femme). [194] *Plustost* : au XVII*e* siècle, on écrivait souvent *plustost* pour *plus tost.* [195] Vaines. [196] *Eu* est une variante graphique pour le son *u*. [197] La lumière du jour, la vie. [198] *Carriere* : « Signifie aussi, le terrain, l'étendue d'un champ où on peut pousser un cheval, jusqu'à ce que l'haleine lui manque » (Furetière). Franchir la carrière : aller jusqu'au bout, parcourir tout le chemin de l'épreuve. [199] *Connoistre que* : Verbe de connaissance. Même construction que *savoir que.* Signifie *avoir idée que, avoir dans l'esprit que, avoir bien conscience que* (Rey). [200] « Lorsque persuader signifie *conseiller*, porter à croire, faire croire, il semble qu'il veuille un datif. » (Richelet). Au contraire, « il semble qi'il régisse l'accusatif quand il signifie … convaincre une personne à force de raisons ». La construction indirecte du verbe confirme l'inscription dans la thématique du faux et du mensonge, qui caractérise Alcipe. [201] Sauvegarder. [202] Périphrase burlesque pour : *entremetteur.* Dans la mythologie gréco-romaine, Mercure, dieu des voyageurs, du commerce et des voleurs, est aussi l'entremetteur entre son père Jupiter et les beautés qu'il voulait séduire. [203] *Choquer* : Heurter, blesser. [204] Sortie de Picard, Astrée et Hyppolite. On aurait attendu un changement de scène. [205] *Humeur* : ici, la *colère*, un des quatre fluides, appelés *humeurs*, qui composent le corps humain selon Hypocrate. [206] *Lasser* : « Epuiser ses forces, fatiguer jusqu'à avoir besoin de repos » (Furetière). [207] *Non ferez* : Vous n'en ferez rien. L'absence de sujet clitique, généralisé en ancien français, est maintenue au XVII*e* siècle dans des locutions figées de ce type. [208] Comprendre : sinon je meurs. [209] *Aucun* : Pronom substantivé sans antécédant. S'emploie dans le sens de *personne* dans les propositions négatives. [210] Comprendre : il peut se faire *qu'elle est* en ville. Construction attestée au XVII*e* siècle. [211] Prodige. [212] Dans toute cette tirade de Filemon, nous conservons la ponctuation originale, qui nous semble refléter le rythme de la parole. [213] Voir la note du v. 72. [214] Le sens de la réplique de Filemon est ambigue : on est fâché d'avoir mal pensé ; mais aussi : malgré la vérité rétablie, un soupçon demeure. [215] *Il plaist + infinitif* : archaïsme au XVII*e* siècle. Survivance dans la langue du Palais. [216] Signifie : Vous provoquez des affrontements, mais vous en serez la victime. [217] Alcipe et Sylvain sont sortis. Filemon s'adresse à Astrée. On aurait attendu un changement de scène. À partir de 1650 environ, une scène est déterminée obligatoirement par l'entrée ou la sortie d'un personnage. Cette division n'est pas obligatoire si le personnage entrant ou sortant est peu important et a un rôle très court, ou si sa sortie est suivie d'un court monologue prononcé par un personnage resté sur le plateau. Au moment où d'Ouville écrit les *Soupçons* cette règle n'est pas encore rigoureusement appliquée. [218] *Cavalier* : « Sign. aussi, un gentilhomme qui porte l'épée et qui est habillé en homme de guerre » ( Furetière), soit qui appartient à la noblesse d'épée, par opposition au bourgeois et à l'homme de robe. « Ce mot à la mode, d'origine italienne ou espagnole, s'impose définitivement vers le milieu de XVII*e* siècle, et Corneille le substitue en 1660 dans ses vers au vieux mot français *chevalier* d'abord employé. » (Gaston Cayrou, voir bibliographie). [219] C'est parce qu'elle est arrivée, elle est effectivement venue. Nuance causale de la conjonction *aussi.* [220] Guérir. Au XVI*e* siècle, en raison de l'influence ouvrante du r on prononçait ar au lieu de ér dans les milieux populaires et à Paris. La graphie *guarir* reflète cet état ancien de la prononciation. [221] Filemon finit donc par accepter l'hospitalité de Leandre. [222] Doublet d'*adroite*. Permet la rime avec *retraitte.* [223] Dans le texte original, nous avons : *Prend au bras de l'ingratte…* Nous pensons qu'il s'agit d'une coquille pour *Pend au bras…* L'expression *Prendre au corp* est attestée dans le Furetière, dans la langue du Palais, pour « arrêter prisonnier ». Le sens du verbe *Pendre* semble davantage convenir, et s'accorde assez bien avec la manière de parler d'Alcipe. *Pendre* : « Signifie aussi, S'attacher à quelqu'un, le caresser. … Ce mari est toujours pendu au cou de sa femme, il ne la peut quitter. On dit qu'un homme est toujours pendu aux côtés d'un autre pour dire qu'il l'accompagne, qu'il le suit partout. … *Pendre* : Etre attaché. » (Furetière.). [224] *Le second mary* : l'amant. Dans cette périphrase, la connotation sexuelle est très forte. C'est bien le lit d'Astrée que convoite Alcipe (voir Acte V, v.1529-1530 : Leandre ne vit plus, la mort vous le ravit, / Et je veux obtenir sa place en vostre lit.) [225] *Fomenter* : Entretenir une action ou un sentiment néfaste (Rey). [226] Un feu, une passion amoureuse. [227] *Tirer sa raison de quelqu'un* : Se venger. Cette expression est marquée comme archaïque au XVII*e* siècle. [228] Comprendre : de ces personnes de peu de volonté, d'énergie. [229] Graphie étymologique qui se souvient du latin *volere.* Effets de la réforme érasmienne aux XVI*e* et XVII*e* siècles. Hésitation entre la prononciation *o* (latine) et *ou* (française, depuis le XII*e* siècle) à l'initiale. C'est la prononciation populaire *ou* qui finira par l'emporter au cours du XVII*e* siècle. [230] Comprendre : Qu'il n'arrive jamais qu'un affront qu'on me fait demeure impuni, sans vengeance. [231] Reconnaissez. [232] *Cependant* : Pendant ce temps. [233] Pour la correction de l'alexandrin nous rétablissons la graphie *avecque* comme il était d'usage au XVII*e* siècle, à la place de *avec*, aux v. 347 et 348. [234] La leçon originale attribuait cette réplique à Filemon. Or, Filemon étant rentrer deux vers plus tôt pour aller chercher l'épée, nous pensons que c'est Leandre qui parle. [235] *Clerc* : « Ce mot signifiait originairement trois choses : un Ecclesiastique ; un homme savant ; et un homme qui écrit sous autrui » (Furetière citant Loyseau). [236] *Badaut* : « Sot, niais, ignorant …. C'est un sobriquet injurieux qu'on a donné aux habitants de Paris, à cause qu'ils s'attroupent, et s'amusent à voir, et à admirer tout ce qui se rencontre en leur chemin, pour peu qu'il leur semble extraordinaire. » (Furetière.). [237] Reconnu. [238] *Toubeau* : Contraction graphique de *tout-beau.* D'après Richelet, «on se sert de ce mot pour prier qu'on agisse avec moins d'emportement, et de violence » ou «pour prier ou commander qu'on arrête ». [239] *Rassis* : « Se dit aussi en Morale, de ce qui n'est pas ému, ni troublé de passion » (Furetière). [240] Que vous n'êtes pas noble de manière constante, tous les jours. « Temps, signifie aussi un terme, un jour certain et précis » (Furetière). [241] Un seul par son adresse au combat… [242] Une fable, un mensonge. [243] Périphrase pour désigner l'épée. Si jamais Filemon ne le croit pas, il le provoquera en duel. Le duel est issu de la pratique médiévale des tournois. Gagner un duel, c'est prouver qu'on est dans son droit. Pour éviter que les duels ne déciment la noblesse, Richelieu publia de nombreux édits qui interdisent les duels. Nous trouvons de nombreux duels dans la comédie préclassique. Furetière cite cette phrase de Pascal : « Il est permis de se battre en duel, pourvû que ce ne soit que dans la vue de conserver son honneur ». [244] Le pronom relatif *qui* a pour antécédant *Alcipe.* Il faut comprendre : Alcipe avait un ami qu'il voulait trahir. [245] Référence à *l'Art d'aimer* du poète latin Ovide. [246] *Seduire* : « C'est tromper une personne dans les choses qui concernent la religion ou les moeurs » (Richelet). [247] *Tâcher à + infinitif* : emploi très fréquent au XVII*e* siècle. [248] Juste. [249] *Retirer* : «tirer en longueur » (Furetière). Dans l'exemplaire RES-YF-1519 de la Bibliothèque nationale, on a barré le mot *retirer* à l'encre marron, et écrit au-dessus *réciter.* Cet exemplaire a une reliure en parchemin qui date du XVII*e* siècle. Il semblerait donc que l'expression *retirer un conte* n'était pas forcément comprise, ou du moins jugée propre, au XVII*e* siècle. Cependant, étant donné que le *Dictionnaire universel* de Furetière atteste le sens *tirer en longueur*, et que ce sens convient à notre texte, nous conservons la leçon originale. [250] Mais sans vous irriter davantage… [251] Soit conte fictif, soit histoire véridique… [252] Définition condensée de ce qu'est l'*amitié* dans la société du XVII*e* siècle. Le grand modèle de l'amitié reste celle qui unit Achille et Patrocle dans l'*Iliade* d'Homère. La notion éthique et philosphique de l'amitié est issu des traditions aristotélicienne (*Ethique à Nicomaque)*, cicéronienne (*De Amicitia)*, et épicurienne (commentaires d'Epicure par l'italien Gassendi, 1592-1655). [253] *Rodomontade* : Désigne l'attitude d'un fanfaron, une prétention ridicule et injustifiée, et par métonymie, les paroles d'un fanfaron. [254] L'infinitif complément est souvent accompagné de la préposition *de* lorsqu'il est construit avec le verbe *prétendre.* [255] *Encor* : Doublet poétique de *encore.* Le mot, suivi d'une consonne, compte pour deux syllabes, au lieu de trois. [256] Comprendre *Qu'on lui parle d'amour, qu'on badine avec lui.* Le substantif *cageol* n'est pas attesté dans les dictionnaires, mais est à rapprocher du verbe *cageoler* : « Se dit plus particulièrement à l'égard des femmes et des filles, auxquelles on fait l'amour, et dont on tâche de surprendre les faveurs à force de leur dire des douceurs et des flatteries » (Furetière). [257] « On dit aussi, qu'une femme fait la *sucrée*, lorsqu'elle est dissimulée, qu'elle fait la prude, qu'elle affecte des manières douces et honnêtes pour couvrir ses coquetteries secrètes » (Furetière). [258] Comprendre : *avant que de.* Dans la langue du XVII*e* siècle, la préposition *de* est très souvent omise devant un infinitif construit avec le *que* comparatif. *Devant que* : « Conjonction, signifie, Auparavant. Devant que de se confesser …. Ce mot n'est plus guères en usage. On dit, Avant que. … Monsieur de Vaugelas approuve qu'on dise indifferremment, *Devant que* de mourir ; ou, *Avant que* de mourir. » (Furetière.). [259] Négation attestée dans les dialogues. Contraction pour *Non je ne l'aime pas.* [260] Expression du langage amoureux. Thème baroque du *change* ou de l'inconstance amoureuse. [261] *Rien*, construit avec la particule *ne* a l'acception de l'adverbe pas. Comprendre : Ne désespérez pas. [262] Au XVII*e* siècle, il y a alternance des désinences avec –*s* ou sans –*s* à la deuxième personne du singulier. La forme sans –*s* permet ici la rime avec *porte.* [263] *Rien* : du latin *res*, la chose. Survivance au XVII*e* siècle dans l'interrogation de la valeur affirmative étymologique. [264] Cette construction du verbe *ignorer* n'est pas attestée dans les dictionnaires de l'époque. Il semble que ce soit une construction archaïque, d'ailleurs arrestée dans le *Dictionnaire de l'ancienne langue française du XI*e* au XV*e* siècle* de F. Godefroy, avec le sens de *faire semblant de ne pas savoir quelque chose.* [265] Les points de suspension se généralisent dans la seconde moitié du XVII*e* siècle. À la fin d'une tirade, on trouve toutes les formes de suspension : point, virgule, point-virgule, deux points, une suite de points de nombre variable (que nous avons remplacé dans cette édition par les points de suspension actuels), ou encore une absence totale de ponctuation. [266] Ici Valentin sort. [267] Supérieur. [268] Thème de l'amant comme un serviteur de sa maîtresse, de celle qui règne sur son cœur. Nous retrouvons dans le texte les termes d'« esclave » et de « sujet », à propos de l'amant. Orphise suggère plus loin à Filemon de s'engager dans une relation où amant et maîtresse soient à égalité, dont ils soient tous deux « et Monarque et Sujet ». [269] Aussi rapidement, au bout d'un temps si bref (Rey). [270] *Aviser* : verbe transitif. Comprendre : il ne la voit pas, il ne s'en rend pas compte. [271] Dérèglement de l'esprit. Le *caprice*, issu du latin *caper*, le bouc, peut être considéré comme un doublet étymologique de la *chimère* (v. 253), issu du grec *khimaira*, la chèvre, et la créature mythologique composite de forme variable avec un corps ou une tête de chèvre. Depuis le XVI*e* siècle, la *chimère* désigne une création imaginaire de l'esprit. Ces deux mots ont tous deux à voir avec le dérèglement de l'esprit, et la formation d'idées trompeuses à partir des apparences. [272] Ce vers, et le vers suivant, constituent la réponse du mari. L'emploi des guillemets n'est pas encore en usage au XVII*e* siècle pour signaler le discours rapporté. [273] *Mettre* : « Peut signifier, Détruire … Mettre sur le carreau » (Furetière.). [274] Comprendre : et mettrait toute son énergie à … [275] *Ensemble* : « Signifie aussi, Tout à la fois, en même temps » (Furetière.). [276] Il faut comprendre *tarder à.* Au XVII*e* siècle, *tarder de* signifie *espérer* (Richelet). Furetière, dans son *Dictionnaire universel* ne mentionne que la construction *tarder à.* [277] *Surprendre* : « Prendre à l'impourvû, au dépourvû » (Furetière.). [278] *Suffisant de me faire mourir : De* accompagne souvent au XVII*e* siècle l'infinitif dans des constructions où l'usage moderne exigerait *pour.* [279] *Si* : Les dictionnaires du XVII*e* siècle et du XVI*e* ne répertorient pas cet usage. Peut-être faut-il voir ici une survivance de l'adverbe de phrase de l'ancien français issu du *sic* latin, qui ne fait que marquer un ajout à une première phrase, et qu'on peut ne pas traduire. [280] *Demarche* : Pas. [281] La proximité graphique et phonétique de Clorise avec Orphise pourrait faire penser qu'il s'agit ici d'une coquille de l'imprimeur. Cependant, les deux interprétations demeurent possibles en raison du flou dans lequel restent Astrée et Orphise, qui mentent. Dans le doute, et rien ne permettant de la contredire avec certitude, nous conservons la leçon de l'imprimeur, qui fait de Clorise, personnage extérieur à l'action, la destinataire fictive de vers eux-mêmes fictifs. [282] *Désirer de +* infinitif : Construction concurrente de *Désirer +* infinitif. Ces deux constructions sont attestées dans le *Dictionnaire* de l'Académie de 1694. [283] Comprendre : Il attire les femmes. [284] Mars. [285] *Priser* : accorder de la valeur à, estimer. Au départ, métaphore économique. [286] À ce qu'il me semble voir. [287] Comprendre : *Quel effet ça fait de se peigner une fois en un mois, quelle chance j'ai eu de le faire ce matin.* Référence à la paresse du valet de comédie qui ne se lave ni ne se peigne. Cette indication apporte trivialité et comique dans le duo amoureux. Il s'agit probablement d'un aparté. [288] *Partie* : « Complot, dessein formé pour nuire ou perdre quelqu'un » (Richelet). [289] S'il advient. [290] *Matines* : « Offices de l'Église qu'on dit de grand matin, quelquefois à minuit et quelquefois la veille. … On dit aussi, que le retour vaudra pis que Matines, en parlant de ceux qui prennent la revanche de leur ennemi, dont on trouve la commodité la nuit au retour de Matines » (Furetière). Comprendre que Valentin risque gros si son maître le surprend en train de parler à Hyppolite au lieu de porter sa lettre au Courrier. [291] Forme syntaxique de phrase subjonctive en usage au XVII*e* siècle, faisant concurrence à *Que tu sois…* [292] Le *réveille-matin* désigne depuis le XV*e* siècle, ce qui réveille le matin. Hyppolite dit, badinage ou sincérité, par cette formule qu'elle espère se réveiller un jour aux côtés de Valentin, et peut-être même être mariée avec lui. [293] Ce vers introduit un aparté qui s'étend jusqu'au v.956. [294] Ou encore, ou sans cela. Reprend le sens du *aut* latin (Rey). [295] *Cartel* : Avis de provocation (en duel), lettre de défi (Rey). [296] *Embrassemens* : Etreintes. [297] À l'époque classique, se rapportent à des passions violentes, comme l'emportement et la haine (Rey). [298] Métaphore précieuse. Il s'agit ici du trait de la flèche lancée par l'Amour. Dans la peinture italienne de la Renaissance, l'Amour était représenté sous la forme de Cupidon, fils de Vénus. Celui-ci tirait des flêches de son arc, qui allaient percer le cœur de ses victimes et les rendaient amoureuses. L'humain est ainsi montré passif, impuissant devant l'amour, la femme aimée. [299] Comprendre : Qu'un ami qui pense m'épargner me fait tord. [300] Comprendre : *avant que de…* Voir la note du v. 647. [301] Comprendre : Avant que de me déclarer, c'est-à-dire de déclarer mon amour. [302] Nouvelle allusion à *L'Art d'Aimer* d'Ovide. [303] Pendant ce temps. [304] Substantif féminin (Rey). Licence poétique pour respecter les douze syllabes de l'alexandrin. [305] Allusion à l'apparence trompeuse des phénomènes par rapport à la vérité, au débat entre la théorie de la révolution copernicienne qui démontre l'héliocentrisme contre l'apparence, et la théorie soutenue par la tradition aristotélicienne du géocentrisme. Leandre (et d'Ouville ?) semble être partisan de la théorie soutenue par la tradition. Quelle que soit la position de d'Ouville sur le sujet, il fait en tout cas écho aux débats de son temps. Copernic (1473-1543) découvre le système héliocentrique : toutes les planètes, dont la Terre, tournent autour du soleil, la Terre n'est pas au centre du système, n'est qu'une planète parmi d'autres, et c'est la rotation de la Terre sur elle-même qui explique l'alternance du jour et de la nuit. La découverte de Copernic ébranle la vision médiévale du monde, qui mettait l'homme, créé par Dieu, au centre de l'univers. Galilée (1564-1642) défend la théorie de Copernic. Il est condamné en 1633 par le Saint Office, mais cette condamnation n'est pas enregistrée par la France gallicane, où les ouvrages de Galilée circulent librement, et trouvent de puissants protecteurs, tel que le religieux Mersenne. Descartes (1596-1630) reprend l'idée du mouvement de la Terre en 1644 dans les *Principes de la philosophie.* En 1637, avec le *Discours de la Méthode*, il a instauré le doute systématique sur les apparences comme la démarche fondatrice de la connaissance philosophique. La vertu d'Astrée est pour Leandre aussi certaine que le géocentrisme. Si cette certitude s'effondre, c'est du même coup l'effondrement de toutes les certitudes, à commencer par celles des loix qui régissent le cosmos. [306] Employé seul, l'*heur* désigne la *fortune avantageuse.* Lorsqu'il est accompagné d'adjectifs de valeur, comme dans *bon-heur* ou *mal-heur*, il désigne la fortune bonne, ou mauvaise. [307] Emploi fréquent, dans la langue du XVII*e* siècle, du mode indicatif à la place du mode subjonctif dans les propositions finales. [308] La préposition *à* devant un infinitif est d'un emploi très fréquent au XVII*e* siècle. [309] *Honneur* : «  S'applique particulièrement à deux sortes de vertus ; à la vaillance pour les hommes, et à la chasteté pour les femmes » (Furetière). Le *poinct d'honneur* comportent les règles de vie que doit suivre tout *cavalier* pour conserver son honneur. [310] Thème du cocuage : on disait que des cornes poussaient sur le front des maris trompés par leur femme. [311] Ardeur. [312] *Pour qui* : Pour lesquels. Le promom relatif *qui* peut s'appliquer à des choses au XVII*e* siècle. [313] *Die* : Forme ancienne de la troisième personne du singulier du présent du subjonctif de *dire*. [314] *Aucun, aucune* : «  Pronom relatif, qui à l'affirmative signifie, Quelqu'un ; et à la négative, Nul, personne ». (Furetière.). [315] Archaïsme de d'Ouville. Le groupe nominal compte pour cinq syllabes au lieu de six. D'aprés le Furetière, *enigme* est un substantif féminin. Il est masculin dans le dictionnaire de la langue française du XVI*e* siècle de Huguet. Ce mot a donc changé de genre au cours du siècle. [316] *Malice* : « Malignité, inclination qu'on a à faire du mal, et des actions qui sont nuisibles à quelqu'un » (Furetière.). [317] Faire la diérèse sur *ruïner.* Le mot compte pour trois syllabes. [318] Au double sens d'*entendre* et de *comprendre.* [319] Je délibérais en moi-même… [320] Ici « ce qui … se représente à notre imagination » (Furetière), c'est-à-dire l'image, le souvenir. [321] On trouve *soiez* dans l'impression de 1651. C'est une coquille. Voir notre note sur la présente édition à la fin de l'introduction. [322] « Je vois, je sais, je crois, je suis désabusée ». Corneille, *Polyeucte* (1643), v.1727. [323] *Reprocher* : « En termes de Palais, signifie, Détruire la déposition des témoins ; et monter qu'on ne doit point ajouter foi à leur témoignage. On ne doit point lire la déposition d'un témoin valablement *reproché* » (Furetière.). Il faut donc comprendre : Me fournit ce témoin qu'on n'a pas lieu de réfuter, qu'on doit croire. [324] Actuellement la place des Vosges à Paris. Au XVII*e* siècle, « séjour en vogue … des beaux esprits, des « précieuses » et de la fine fleur de la galanterie », HILLAIRET, *Jacques*, *Dictionnaire historiques des rues de Paris*, Paris, Les Editions de Minuit, 1963, p.663 (t.2). La *Place Royale* est aussi une comédie de Corneille (1637). [325] Voir l'acte I, scène 4 du *Cid* de Corneille, v. 238 : «N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ». [326] Douloureux. À l'époque classique, *sensible* se dit avec la valeur passive de ce qui se fait douloureusement sentir dans les domaines physique et moral (Rey). [327] « Ce n'est que dans le sang qu'on lave un tel outrage », Corneille, *Le Cid* (1637), v.274. [328] Egarement de la raison, par opposition à la clarté de la raison. [329] Ici la mauvaise fortune. [330] Propice (Rey). [331] *Cependant* : Pendant ce temps. [332] *Quelque soit* : comprendre *Quelle que soit.* Grossière erreur qui ne peut être que de d'Ouville lui-même du fait de la prosodie car *Quelle que soit* rendrait le vers faux. Nous ne la corrigeons donc pas. [333] Tout me sourit, m'est favorable. [334] *Second* : « Il se dit aussi d'un ami choisi pour soutenir un autre dans une occasion, un duel » (Furetière.). [335] *Entreprendre quelqu'un* : « Signifie aussi, Poursuivre quelqu'un, …, le railler, le persécuter » (Furetière.), quereller. [336] Comprendre qu'il est difficile d'interpréter un événement. La destinée est semblabla au visage dans ses fluctuations, sautes d'humeur. [337] Dans la mythologie grecque, Charon a pour fonction de conduire, ou passer, les âmes des défunts sur l'autre rive de l'Achéron, le fleuve des morts. [338] Comprendre : gardez-vous bien de… Usage de l'omission du pronom régime dans les verbes réfléchis au XVII*e* siècle. [339] Cette indication scénique initiale fait référence à la question de la liaison des scènes soulevée par les théoriciens du théâtre du XVII*e* siècle. Pour qu'il n'y ait pas de vide sur le plateau entre la sortie d'Alcipe et Astrée et l'entrée de Filemon et Leandre, et étant donné que les deux scènes se déroulent dans deux lieux différents, Leandre doit entrer en scène alors que la scène précédente n'est pas encore terminée, de manière à opérer un « fondu » entre les deux scènes. [340] Alcide est le nom primitif d'Héraklès, ou Hercule, dans la mythologie greco-romaine. Il est fait référence à l'un de ses douze travaux. Gérion était un géant à trois têtes et trois bustes, qui possédait des troupeaux de boeufs. Sur l'ordre d'Eurysthée, Héraklès combattit et tua le géant afin de lui dérober ses troupeaux. [341] . Il y a peu de chances que ce Temple renvoie au lieu de culte protestant : Lyon n'en avait pas dans ses murs au XVII*e* siècle d'une part, d'autre part, l'« Église » est évoquée à la scène 1 du troisième acte. Le Temple, selon Furetière, « se dit quelquefois dans le style élevé, des Eglises des Chrétiens ». « On appelle aussi Temples, les lieux où demeuraient en certaines villes les Templiers, et qui sont présentement possédés en France par les Chevaliers de Malte. C'est pour cette raison qu'il y a un lieu à Paris appelé le Temple » (Furetière). Il existait un quartier des Templiers à Lyon près d'un port de la Saône. Il n'est pas exclus de penser cependant que d'Ouville imagine une topographie lyonnaise sur le modèle de celle de Paris. [342] C'est-à-dire : Eclarcissons nous. L'antéposition du pronom personnel au mode impératif est fréquent dans la langue classique. [343] *Gorge* : « Signifie aussi, le sein d'une femme » (Furetière.). [344] *Tu seras de mon cœur l'unique secrétaire, / Et de tous mes secrets le grand dépositaire.* Corneille, *Le Menteur*, Acte II, sc. 6 (Dorante à son valet Cliton). Comédie, représentée en 1643 et publiée en 1644, ayant connu un immense succès. [345] Même si l'on pourrait estimer logique que cette réplique émane de Sylvain qui vient de recevoir un soufflet de Filemon, nous conservons la leçon de l'imprimeur qui attribue cette réplique à Valentin, témoin de la scène et solidaire de son confrère dans cette épreuve (et qui peut annoncer par là les valets de la comédie du XVIII*e* siècle). *Tu seras de mon cœur l'unique secrétaire, / Et de tous mes secrets le grand dépositaire.* Corneille, *Le Menteur*, Acte II, sc. 6 (Dorante à son valet Cliton). Comédie, représentée en 1643 et publiée en 1644, ayant connu un immense succès. Même si l'on pourrait estimer logique que cette réplique émane de Sylvain qui vient de recevoir un soufflet de Filemon, nous conservons la leçon de l'imprimeur qui attribue cette réplique à Valentin, témoin de la scène et solidaire de son confrère dans cette épreuve (et qui peut annoncer par là les valets de la comédie du XVIII*e* siècle). La portée gnomique de ce qu'il dit nous fait pencher en ce sens. Il s'agit en outre très probablement d'une adresse publique. [346] La préposition *de* accompagne souvent le verbe *souhaiter* au XVII*e* siècle. [347] Ici la fortune matérielle, les biens. [348] L'imprimeur attribuait cette réplique à Sylvain. Il s'agit ici évidemment d'une coquille de l'imprimeur : Sylvain, à ce moment de la pièce, vient d'être chassé par Filemon et n'est donc plus en scène. De plus, Sylvain n'aurait eu aucune raison de prononcer cette réplique, tandis que Valentin a des raisons de redouter une punition de son maître puisqu'il a servi, sans le vouloir, les manoeuvres d'Astrée. [349] Le point d'interrogation marque l'intonation montante de la phrase. [350] « C'est peu de dire aimer, Elvire : je l'adore », Corneille, *Le Cid* (1637). [351] Absence curieuse de la mention « à commencer du jour qu'elle sera achevée d'imprimer », qui stipule je jour à partir duquel le privilège prend effet. [352] CAYROU, *Gaston*, *Le Français classique*, Paris, Didier, 1923.