--- identifier: quinault_agrippa creator: Quinault, Philippe ; Georges Forestier. date: 1663 title: Agrippa ou le Faux Tiberinus --- Agrippa ou le Faux Tiberinus Par Quinault. Dédié au Roy. A PARIS, Chez GUILLAUME DE LUYNE, Libraire-Juré, au Palais, dans la Salle des Merciers, à la Justice. M. DC. LXIII. *Avec Privilège du Roy.* Édition critique établie par Krysia Roginski dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (1999) # Introduction. Quinault fut, de son vivant, un auteur à succès. De nos jours, si ses pièces ne sont plus jouées, il reste l'un des « minores » les plus connus. Il figure dans les ouvrages consacrés au XVII*e* siècle, son nom généralement associé à celui de Thomas Corneille, et à la tragi-comédie. En outre, deux biographies et une bibliographie sont consacrées à sa vie et ses œuvres, et ses pièces sont, depuis une dizaine d'années l'objet d'éditions critiques [1]. Dans ces conditions, il ne nous a pas paru nécessaire de retracer, une fois de plus, la carrière brillante d'un auteur ayant su s'attirer les foudres de Boileau comme les louanges de Perrault. Nous avons voulu montrer comment, à l'apogée du classicisme, Quinault avait su capter les aspirations frivoles de ses contemporains. S'inspirant de noms historiques, Quinault construit une intrigue fondée sur la reconnaissance. Assistant à la noyade accidentelle du roi Tibérinus, Tirrhene persuade son fils de prendre la place du roi dont il est le sosie et, pour cacher la supercherie, répand la nouvelle de l'assassinat de son fils par Tibérinus. Aussitôt se met en place un complot visant à la mort du roi, auquel participe l'amante et la sœur d'Agrippa. Après de nombreux quiproquos et une tentative d'assassinat durant lequel seul le chef des conjurés trouve la mort, la substitution est révélée, permettant le mariage du héros et de Lavinie, qui, détenant le pouvoir, légitime le règne d'Agrippa. Ce sujet offrait la possibilité d'une réflexion sur la question de l'identité. Mais nous verrons en quoi, sous des apparences classiques propres à la tragédie, *Agrippa* se révèle comme une pièce galante, jouant des faux-semblants pour mieux séduire le public. # Contexte de la pièce. Lorsque cette nouvelle tragi-comédie parut, Quinault était déjà un auteur à succès, et déjà, on se moquait des invraisemblances de ses intrigues et du traitement des sources historiques de ses pièces. Lorsque l'on connaît l'origine du sujet d'*Agrippa*, il paraît évident que Quinault ne s'est absolument pas préoccupé de ces critiques. Aristote, en évoquant dans la *Poétique* le choix du sujet des tragédies, constate que généralement : « on s'attache aux noms d'hommes qui ont existé ». Quinault pour la construction d'*Agrippa* s'est donc contenté de choisir des noms de personnages cités par Tite-Live. Mais, il leur a attribué des actions et des liens de parenté imaginaires. Les noms des principaux personnages sont cités dans les trois premiers chapitres de l'*Histoire romaine* de Tite-Live [2]. Celui-ci évoque la fondation d'Albe par Ascagne, fils d'Énée et de Lavinie, et donne la liste de ses descendants, tous rois d'Albe, où figure celui de Tiberinus et de son fils Agrippa. *Latino Alba ortus, Alba Atys, Atye Capys, Capye Capetus, Capeto Tiberinus, qui in traiectu Albulae amnis submersus, celebre ad posteros nomen flumini dedit. Agrippa inde Tiberini filius* [3]. En choisissant d'intituler sa pièce *Agrippa*, Quinault ne pouvait ignorer qu'il entretenait une certaine confusion pour le spectateur. En effet, pour le public du XVII*e* siècle, Agrippa fait référence au petit-fils d'Auguste, assassiné à la mort de ce dernier, probablement par Tibère et Livie, en 14 après J.-C., événement relaté par parle Tacite, dans les *Annales* [4]. Mézence, lui est également cité par Tite-Live puisqu'il s'agissait du roi de la puissante Estrurie, vers qui se tournèrent les Rutules, après leur défaite contre Albe [5]. C'est donc avec ces données si minces que Quinault entreprend de bâtir une intrigue. Il fait d'Agrippa un parent de Tibérinus, garde l'épisode de la noyade, de la bataille contre les Rutules, et choisit un thème fort en vogue à cette époque, et qu'il a d'ailleurs traité à plusieurs reprises : le déguisement. Ce thème est évidemment lié à une intrigue amoureuse, impliquant Agrippa et Lavinie. *Agrippa* fait suite à une série de tragédies et de tragi-comédies ayant rencontré un certain succès. Le roi appréciait ses œuvres et Quinault se permit donc de lui adresser la dédicace de sa nouvelle pièce. Comble d'honneurs, Sa Majesté lui avait permis de révéler qu'il prenait plaisir à collaborer à ses pièces. Il n'y a pas, SIRE, jusques aux secrets des belles Lettres, où les Lumieres de VOSTRE MAJESTE ne s'estendent ; Elles n'ont pas desdaigné de m'esclairer dans la conduite de cét Ouvrage, & je suis obligé de confesser qu'Elles sont la source de ce que l'on y a trouvé de plus brillant. On peut noter que Quinault, dès le début de son succès, s'était attaché à ne dédier ses œuvres qu'à des personnes de qualité. Ainsi, ses dédicaces concernent notamment : le Cardinal Mazarin, le surintendant Fouquet (puis sa femme), le Duc d'Anjou… La dédicace d'*Agrippa* est un modèle du genre et la flatterie y est portée à son plus haut point : « la Personne Auguste du plus accomply de tous les Monarques, & d'y voir briller de prés ces Vertus éclatantes qui font aujourd'huy l'admiration de toute la Terre ». Il est certain que le lecteur du XX*e* siècle s'étonnera de tant de flagornerie, mais la flatterie était le passage obligé de toute dédicace et celles qui furent composées par Corneille, Racine ou Molière sont tout aussi édifiantes. # Datation de la pièce. *Agrippa*, tout comme *Les Rivales*, a été l'objet de nombreuses discussions quant à l'exactitude de l'année de la première représentation. Boscheron, son premier biographe, mentionne 1660 [6], tout comme D'Olivet et Titon du Tillet. Les Frères Parfaict, quant à eux, indiquent 1661 [7], date reprise par Leris. Loret, lui, dans sa gazette, écrit que *Agrippa* a été représentée en 1662. Etienne Gros [8] retient la date de 1662 en avançant des arguments que nous trouvons des plus convaincants. Tout d'abord, puisque la pièce a connu un très grand succès, pourquoi avoir attendu 1663 pour la publier ? En effet, même s'il est quelques exceptions, dont *La Comédie sans comédie* et *L'Amant indiscret*, au début de la carrière de Quinault, la publication suivait la pièce. Ensuite, les œuvres rencontrant un large succès bénéficiaient généralement d'une édition (légale ou non) en Hollande. Or, Abraham Wolfgang, qui a édité toutes les pièces de Quinault appréciées du public, et cela dans de brefs délais, n'édite *Agrippa* qu'en 1663. Enfin, dernier argument et non des moindres, la dédicace de la pièce est adressée à Louis XIV et il eut été peu délicat d'adresser à ce jeune roi, dont Quinault loue l'orgueil, une pièce vieille de deux ans. William Brooks qui a réalisé une bibliographie critique des œuvres de Quinault se rallie également à cette théorie. Nous en concluons donc que, la même année, furent jouées *Agrippa, le Faux Tibérinus* de Quinault et *Oropaste ou le Faux Tonaxare* de Boyer. # Polémique au sujet de cette « coïncidence ». Ces deux pièces ont déjà fait l'objet d'une comparaison dans l'édition critique de la tragédie de Boyer par G. Forestier. À notre tour, nous nous sommes intéressés à ces troublantes similitudes. Ces pièces traitent toutes deux d'une substitution d'un roi par un de ses sujets. Dans les deux cas également, cette usurpation d'identité n'est pas de leur propre initiative mais de celle d'un parent, père ou frère. Dans *Oropaste*, Cambise, roi de Perse (frère d'Hésione et de Tonaxare), craignant l'avènement au pouvoir de son frère, le fait assassiner par Prexaspe et Patisite. Celui-ci, pour cacher ce crime, fait couronner son frère, Oropaste, en le faisant passer pour Tonaxare, mais sans l'avouer à Cambise. Ce dernier, fou de rage, tente d'assassiner Prexaspe mais se tue avec son épée. C'est le père d'Oropaste, Mégabise, qui rapporte ces faits, tout en les doutant de leur véracité, à Hésione (sœur de Tonaxare), Zopire (prince perse), Darie et Araminte. Darie décide de venger son ami Tonaxare en tuant Oropaste l'imposteur. Zopire lui conseille d'être sûr de la véracité des faits mais penche lui aussi pour l'hypothèse de la supercherie. Hésione ne sait qui croire tandis qu'Araminte, qui était aimée de Tonaxare, refuse catégoriquement d'envisager la substitution. Le roi, épris d'Hésione, lui propose le mariage. Horrifiée, la jeune femme tente de savoir la vérité : elle demande au roi de sacrifier Patisite. Lorsqu'il le fait, elle est persuadée qu'il est réellement Tonaxare. Amarinte, toujours amoureuse du roi, le prévient de l'existence d'un complot. Mais il est trop tard et le roi, sous les coups de Darie, avoue la vérité avant d'expirer. Tout se termine par un double mariage : celui d'Amarinte et de Zopire et celui de Darie et d'Hésione, qui détient dès lors le pouvoir. Si Quinault et Boyer ont choisi le même thème, celui de la substitution, les sources sont extrêmement différentes. Là où Quinault s'inspire, pour bâtir son intrigue, de quelques lignes puisées chez Tite-Live, plus que librement adaptées ; Boyer cherche à respecter des faits avérés sinon tenus pour tels. Et il n'échappe pas que son avis « Au lecteur » est une attaque contre Quinault. Je suis obligé de t'advertir que le Nom de Tonaxare n'est pas un nom inventé, comme quelques uns ont crû citation des sources : Justin, Hérodote, Xenophon. J'ai crû te devoir cét Advis, afin que tu ne juges pas de moy sur l'exemple de quelques Autheurs de ce temps, qui prenans la licence de prester un Nom veritable à un sujet chimerique, pourroient faire croire, que j'ay donné un Nom inventé à un sujet historique. Leur traitement du sujet est tout à fait différent. Oropaste est une tragédie, non pas seulement par la mort du héros. Le faux Tonaxare est affecté par ce changement d'identité au point de ne plus savoir qui il est vraiment. Il se sent devenir de plus en plus proche du roi dont il occupe la place et prend tellement goût au pouvoir qu'il préfère mourir plutôt que d'avouer la vérité. De plus, dès le début de la pièce, la question de l'usurpation est posée aux protagonistes qui doivent alors tâcher de découvrir la vérité alors que seule Lavinie, dans la pièce de Quinault, manifeste des doutes. En outre, le sous-titre des deux pièces : *ou le Faux Tiberinus, ou le Faux Tonaxare* nous informe de l'existence d'une supercherie. Mais, si Quinault, dans les dialogues et les didascalies, a choisi de nommer le héros Agrippa, Boyer a décidé de conserver une légère incertitude, de se mettre au niveau des protagonistes et de mentionner « le roy ». Bien évidemment, cette subtilité de l'auteur n'était visible que pour le lecteur. Le thème de l'inceste est également évoqué, bien que dans les deux cas, il n'y ait pas réellement de danger d'inceste. D'un côté, parce que Hésione n'est pas la sœur d'Oropaste, de l'autre, car Agrippa fait tout pour éloigner sa sœur. Enfin, la pièce de Boyer se termine par l'assassinat du héros tandis que celle de Quinault s'achève sur son mariage. Mais, la fin des deux pièces est tout aussi insatisfaisante, tant elle est traitée brièvement. Dès lors que la reconnaissance est entière, les auteurs traitent superficiellement les derniers vers de leurs pièces, dignes des contes de Perrault, en évoquant le mariage des survivants. Les deux pièces furent différemment reçues : *Oropaste* est représentée par la troupe de Molière et comptera quinze représentations successives. La pièce ne sera plus reprise ensuite. *Agrippa* est jouée à l'Hôtel de Bourgogne. En 1675, la troupe Royale reprend la pièce et, en 1680, la pièce passe au répertoire de la Comédie Française pour n'en disparaître qu'en 1750, au terme de soixante-trois représentations. La pièce a été traduite en hollandais, transcrite en vers (toujours au Pays-Bas) et devient un opéra en Italie. Boyer reçut, de la part des comédiens une somme importante [9]. Pourtant, la pièce ne connut pas le même succès, ni le même nombre de représentations que la pièce concurrente. On peut bien sûr évoquer la priorité donnée par Molière à sa dernière création *L'École des Femmes*. Mais, Boyer se plaignant, dans sa dédicace au Duc d'Espernon, du « degoust des Pieces serieuses » de ses contemporains, il est possible d'attribuer le retrait d'*Oropaste* à l'attrait de la pièce de Quinault, plus légère et conforme aux goûts de l'époque. Reste à savoir qui, de Boyer ou de Quinault, s'est inspiré de l'œuvre de l'autre. Selon Étienne Gros, C'est Boyer qui a « doublé », comme il le dit, Quinault car il pense que l'abbé s'est contenté de développer une pièce déjà écrite ce que Georges Forestier dément totalement. Certes, chacun des critiques défend « son » auteur, Forestier écrivant que la pièce de Quinault repose sur « un traitement superficiel de l'intrigue » et révèle un « vide thématique [10] », Étienne Gros, lui, reprenant à son compte la rumeur du XVII*e* siècle, affirme que « l'abbé Boyer est un exemple de constance littéraire : nul auteur ne fut plus sifflé que lui et nul auteur n'écrivit davantage et plus longtemps [11]. » Quelles que soient nos préférences, nous ne saurions oublier que l'auteur d'*Agrippa* s'est déjà rendu coupable de plusieurs plagiats. En effet, il avait dû reconnaître que *Le Portait d'Isis* était en réalité une création de son ami Perrault. En 1653 (la date est approximative) il réadaptait (sans signaler ses sources) *Les Deux Pucelles*, comédie de Rotrou qui devient sous le nom des *Rivales* une comédie de Quinault, fort appréciée du reste. Enfin, Visé lui reprocha de lui avoir « volé » le sujet de *La Mère Coquette* [12]. # Agrippa : tragi-comédie ? La question se pose d'emblée puisque la pièce ne comporte pas, sur la page de titre, de mention du genre auquel elle appartient. Si l'on s'en tient à la définition proposée par Etienne Gros [13], « une tragi-comédie suppose, en dehors d'une intrigue d'amour, des complots politiques, des incognitos et des reconnaissances », *Agrippa* est effectivement une tragi-comédie. Toutefois, Etienne Gros lui-même classe *Agrippa* dans la catégorie des tragédies, puis, il la cite comme « pseudo-tragédie ». Selon Hélène Baby-Litot, qui a consacré un passage de sa thèse [14] à l'étude de la tragi-comédie chez Quinault, « la disposition des pièces correspond dans l'ensemble à l'habillage classique dessiné par le respect des unités de lieu et de temps ». Concernant Agrippa, il faut ajouter l'unité de ton, d'action et le respect des bienséances externes, bref, de toutes les doctrines classiques. Examinons un peu cet « habillage classique ». La pièce, découpée en cinq actes, se déroule en un lieu unique, l'appartement de Lavinie, et un seul jour. Quinault cherche d'ailleurs à le prouver en multipliant, par le biais de ses personnages, les rappels : « Avant la fin du jour commandez qu'on m'arreste [15] » ; « Tâchez aujourd'huy » ; « Ce jour est le dernier qui doit luyre à ses yeux »… Tous les personnages étant de noble condition, et le déguisement ne transformant pas le héros en « inférieur », le ton de la pièce est grave et uni. L'humour y est absent, si l'on excepte l'ironie. La pièce ne mélange donc pas genre noble et genre bas, éclats de rire et tristesse. L'action est unique, centrée sur la reconnaissance d'Agrippa dont découle le complot et les obstacles à ses amours. Comme le signale Hélène Baby-Litot, l'intrigue amoureuse et le complot mettent en cause la même personne, il n'y pas d'intrigue parallèle. Si Quinault s'était permis quelques libertés avec la bienséance externe, au début de sa carrière, en faisant apparaître, par exemple, un cadavre sur scène, il s'était depuis assagi et dans *Agrippa*, la sanglante dépouille fait place à une saisissante description. Quinault a donc recours à l'hypotypose pour « faire voir » le suicide de Mézence. Il est vrai que ce procédé a l'avantage de retarder la reconnaissance. En outre, le cadavre du Prince aurait pu gâcher les instants de pure félicité des survivants. S'il est vrai que la tragi-comédie chez Quinault arbore un aspect régulier, elle n'en est pas moins différente de la tragédie. Du moins, de la tragédie en général, car les tragédies de Quinault ne sont rien moins finalement que des tragi-comédies à fin malheureuse [16]. Ne nous y trompons pas, H. Baby-Litot n'a parlé que d'un « habillage ». En réalité, elle considère qu'il y a tragi-comédie parce que, bien que donnant des effets de réel, d'imitation, la pièce se moque éperdument de la vérité, de la vraisemblance. Quinault emmène ses personnages en une île coupée du monde extérieur, digne de Watteau. Une île consacrée à l'amour, seul sujet de pleurs ou de joies. Tragédie, tragi-comédie, *Agrippa* est une fois de plus chez Quinault, un prétexte pour parler d'amour sur tous les tons. # Agrippa, pièce galante. Il écrit toujours tendrement : Il conjugue Amo galamment. Jamais auteur hormis lui-même, N'a dit autant de fois je vous aime, Et de plus, selon mon goût mien, On ne l'a jamais dit si bien [17]. Cette citation de Boursault illustre parfaitement bien l'enjeu des pièces de Quinault et notamment d'*Agrippa* où toutes les discussions concernent l'amour. Pour preuve, la récurrence de ce terme : plus de six cent fois. En outre, le mot de la fin revient à l'amour, le dernier vers étant « Vostre Fils de nouveau couronné par l'Amour ». L'isotopie de l'amour est présente également par l'abondance des termes évoquant les sentiments amoureux : « flamme, cœur, plaire, feux ». Les personnages ne cessent d'évoquer l'amour, d'en discuter, de comparer les différents degrés de la passion. Bien évidemment, le dessein de tout acte est l'amour, même l'ambition de Tirrhene est motivée par l'affection qu'il porte à son fils. Dès la scène d'exposition, l'amour (ou plutôt l'Amour) entre en jeu, puisque la question est de savoir qui, de l'amante ou de la sœur, peut aimer le plus, après la mort d'Agrippa. Si les deux héroïnes évoquent la question de la tyrannie, Albine, très vite, replace l'amour au cœur du débat. Les deux femmes comparent l'intensité de l'amour « naturel » à l'amour passionnel. Ces deux notions « Amour » et « Nature » sont constamment en opposition dans cette pièce et seul Tirrhene met les liens du sang avant les sentiments amoureux, considérant plus fiable et moins sujet aux débordements l'attachement dû aux liens de parenté. L'amour et l'ambition entrent également en conflit. Ce sont deux notions opposées pour la société galante en général, et pour les amants des pièces de Quinault en particulier. L'une étant l'aspiration noble, désintéressée des amants, l'autre ne représentant qu'une envie triviale de pouvoir. Pour la société galante, si l'on aime, tout désir de pouvoir pour le seul plaisir de régner doit être banni. Ainsi, Mézence, touché par l'amour, ne songe plus un seul instant à déloger du trône Tibérinus. S'il accepte de fomenter un complot, ce n'est jamais que pour se plier aux désirs de son exigeante maîtresse. Quant à cette dernière, le seul intérêt qu'elle voit au fait de posséder le pouvoir est la possibilité donnée à son amant d'accéder légitimement au trône. Finalement, les seules personnes intéressées par le pouvoir sont Tirrhene et, bien que dans une moindre mesure, Albine. Celle-ci, en effet, se lamente au premier acte de constater le peu de chances d'accéder au trône, chances amenuisées par la disparition de son frère (on ne comprend pas pourquoi, la loi salique n'étant pas en vigueur à Albe). Cette situation, toutefois, lui paraît pénible dans la mesure où elle savait Tirrhene désireux de voir l'un de ses enfants régner. Il avait d'ailleurs fortement encouragé sa fille à accepter les marques d'affection de Tibérinus, parti pourtant peu recommandable pour une jeune fille vertueuse, à seule fin de se frayer une place sur le chemin du pouvoir. Pour Tirrhene, rien ne peut se placer au-dessus du pouvoir et de la fierté de régner. Il faut savoir réprimer les mouvements de son cœur lorsque l'on accède au trône. Ah ! quittez ces erreurs : l'Amour, & ses chimeres, Sont des amusements pour des Ames vulgaires, La foiblesse sied mal à qui donne des loix, Et la seule grandeur est l'amour des grands Rois [18]. De ce point de vue, la pensée de Tirrhene s'inscrit dans une conception que l'on retrouve dans les pièces de Corneille et de Racine, et qui met en évidence la difficulté de concilier amour et devoir politique. Un monarque doit placer son devoir politique avant toute autre motivation personnelle. En outre, l'amour, comme toute autre passion, place les puissants en état de faiblesse. Or, garder le pouvoir étant un exercice périlleux, rien ne doit venir troubler celui qui le possède. C'est pourquoi Tirrhene tente de persuader son fils de renoncer à Lavinie, et de lui préférer des attaches plus superficielles. Il est à noter que l'ambition est, pour les personnages d'*Agrippa*, Tirrhene excepté, une valeur triviale et négative. Pas un des personnages ne se représente le désir de régner comme une manière d'améliorer la vie de son peuple. Si Tirrhene tente de persuader Agrippa de rester au pouvoir, en lui démontrant que son règne serait plus juste et plus vertueux que celui de Mézence, il ne tient ce discours qu'à seule fin de toucher Agrippa, lui-même ne pense qu'au plaisir de voir sa descendance détenir la couronne. Le bonheur du peuple est accessoire comparé au bonheur personnel des amants. Aussi Agrippa évoque-t-il à nouveau la question de ses amours contrariées. La pièce se déroule au gré de déclarations enflammées, de vengeances promises à l'être chéri, de dépits amoureux. Car l'amour chez Quinault n'est pas, malgré l'opinion de certains critiques, un sentiment tiède et fade. Nous nous inscrivons en faux contre l'avis de Buijtendorp [19] qui prétend que dans toutes les pièces de Quinault, l'amour ne contient aucune violence, aucun affrontement. Le conflit opposant Mézence et Agrippa en est d'ailleurs la meilleure preuve. L'intrigue amoureuse est le canevas de toutes les pièces de Quinault, il justifie tout, du mensonge au crime. Selon Michel Pelous [20] « pour Quinault, le jeu consiste à confronter l'amoureux à des problèmes insolubles pour le seul plaisir de le voir obéir en aveugle à l'amour et lui sacrifier jusqu'aux valeurs les plus sacrées ». Pour Hélène Baby-Litot, ce qui est intéressant chez Quinault est que l'obstacle à l'amour des jeunes gens ne vient pas d'un ennemi ou d'une menace extérieure, il est en eux. C'est Agrippa qui lui-même a rendu impossible leur amour en endossant un rôle dont il ne peut se défaire. Quinault est souvent associé aux Précieuses, dont il fut le favori au début de sa carrière. Mais s'il est vrai que, par certains côtés, les intrigues amoureuses de ses pièces sont conformes aux canons de l'amour précieux, il s'en détache peu à peu et, dans le cas d'*Agrippa*, on assiste même à un renversement des codes régissant les comportements amoureux. Les amoureux voulant se conformer aux usages de l'amour galant sont confrontés à des situations apparemment inextricables. Le parfait amant n'est pas censé avouer ses sentiments passionnés, la femme trouvant choquant d'entendre de tels aveux, même si elle ressent la même inclination. Lors des tragi-comédies (ceci est valable pour d'autres auteurs que Quinault), le héros cherche désespérément à cacher sa passion qu'il finit toujours par avouer, tout en s'attendant aux réactions les plus vives de sa dame. Les jeunes femmes se trouvent dans une situation plus délicate encore. En effet, leur pudeur suppose qu'elles taisent leur amour et ne peuvent se découvrir qu'à leur confidente qui, dans les tragi-comédies, n'existe généralement que pour recueillir les aveux amoureux. Dans le cas d'*Agrippa*, aucune incertitude pour le héros puisque Lavinie, pensant avoir affaire au meurtrier de son amant, l'assure de son amour. Le code amoureux adopté par l'esthétique galante exigeait de l'amant qu'il se soumette à diverses épreuves avant de bénéficier d'une quelconque marque d'affection. Le comportement de Mézence est tout à fait conforme à ce code. Le jeune homme vénère Lavinie au point de tout supporter, même son mépris. La Princesse se montre cruelle, attendant tout de lui sans qu'il puisse espérer une seule marque de reconnaissance. A plusieurs reprises, elle met son amour à l'épreuve, s'indignant qu'il ait une seule seconde d'hésitation face à son obsession : venger son amant et pour cela, tuer le roi. Que cette exigence suppose, pour Mézence, de tuer un de ses parents, ne lui importe absolument pas et c'est avec véhémence qu'elle reproche son manque d'enthousiasme au malheureux amant. Mézence lui, se plie humblement aux contraintes de l'amour raffiné, accepte les colères de Lavinie, se soumet à toutes ses volontés sans qu'il ne lui soit même pas permis d'espérer quoique ce soit en retour. L'amant pousse même le zèle jusqu'à mourir pour sa maîtresse. Si les rapports de Mézence et de Lavinie sont tout à fait conventionnels, adaptés aux exigences de raffinement et de galanterie de la Cour, ceux de Lavinie et d'Agrippa sont atypiques. En effet, il est tout à fait normal qu'elle se montre exigeante et cruelle avec Mézence mais il est singulier que son amant, Agrippa, se comporte de la même façon avec elle. Il est admis que la femme peut (et doit) éprouver la valeur de l'amour de ses prétendants mais l'inverse surprend. Agrippa connaît l'authenticité de la tendresse que lui porte sa maîtresse puisque Lavinie est toujours éprise d'un homme tenu pour mort depuis un an. Elle-même, pensant s'adresser au meurtrier de son amant, proclame sa passion pour le défunt. Pourtant Agrippa, qui s'émerveille de la constance de l'amour de la jeune femme, ne peut s'empêcher de « tester » sa maîtresse en lui proposant la couronne. Et ce n'est que lorsqu'elle s'indigne de cette proposition, appelant sur lui toutes les malédictions divines, que le faux Tiberinus, rassuré, chercher à révéler son identité. Et il a beau jeu ensuite, de reprocher à son père de faire couler les larmes de Lavinie alors que son projet était de goûter la douceur de s'assurer de l'amour extrême de sa maîtresse, quitte à supporter sa souffrance. L'amour est bien le sujet principal de la pièce mais trop d'amour tue l'amour et les personnages apparaissent bien seuls. Leur amour n'est pas un amour généreux. Il ne se tourne que vers l'aimé(e) et peut sembler bien égoïste. Dans leur quête de l'amour, les personnages oublient tout, excepté eux-mêmes dans la représentation qu'ils se font de leur personne. # Le déguisement. Le thème du déguisement, source de quiproquos, de rebondissements, est fort en vogue au moment où Quinault compose *Agrippa*. Il a d'ailleurs traité ce thème à plusieurs reprises : *Alamasonte* en 1657, *Le Feint Alcibiade* en 1658. Mais, dans le cas d'Agrippa, il ne s'agit pas, pour le héros, de se faire passer pour un homme de classe inférieure [21] ou de se travestir [22]. Le faux Tibérinus n'est pas dans l'obligation de modifier son apparence. En effet, il est « tout semblable » à Tibérinus. Ce recours aux sosies est également répandu dans le théâtre de l'époque mais, contrairement aux *Mechmenes* de Rotrou ou même au *Feint Alcibiade*, il ne s'agit pas d'une vraisemblable ressemblance. Certes, Tibérinus et Agrippa sont issus du même sang, mais il n'existe entre eux qu'un vague lien de parenté [23] ne justifiant pas une telle similitude de traits. On peut s'étonner et nombre de critiques l'ont fait, de l'absence de doutes des proches d'Agrippa quant à sa réelle identité. Il est vrai que l'auteur a pris soin dès le début de la pièce de prévenir ces objections. Ainsi, Mézence déclare que, pour sa part : … apres les avoir cent fois considerez, Je m'y trompois, moy mesme, à les voir separez. N'ayant plus d'élément de comparaison, c'est tout naturellement qu'il accepte la substitution. Dans le cas d'Albine, l'auteur avait également mis en place un possible changement d'attitude. En effet, Albine n'aimait déjà, en réalité, qu'une seule et même personne en deux corps. Le fait qu'elle aime un homme qui est la copie conforme de son frère est troublant. Albine, elle, inverse la situation : si elle aimait tant son frère, c'est qu'il ressemblait à son amant [24]. Et la Nature exprès pour me le rendre aymable Sceut même à mon Amant le former tout semblable. L'amour qu'elle porte à son amant n'est qu'une réplique de celui qu'elle voue à son frère. Ou plutôt, elle a transféré sur un être identique cet amour excessif donc tabou : Pour un frere jamais le sang avec chaleur, Ne mit tant de tendresse en l'âme d'une sœur [25], Que celui qu'elle considère comme son amant soit ou non le vrai roi importe peu, son amour est là. La reconnaissance se fait tout de même à la fin de la pièce [26]. Toutefois, cette manifestation de « la voix du sang » est surtout un moyen de sauver providentiellement le héros tout en sauvegardant la bienséance interne du personnage d'Albine. En effet, il était nécessaire de transformer la sœur dénaturée en une femme égarée recouvrant ses esprits et rachetant ses instants de faiblesse en évitant la mort à son frère. Selon Agrippa, « le sang dans ce péril s'éveille en ma faveur » mais il souligne toutefois l'ambiguïté de la réaction d'Albine tout en l'expliquant : Comme pour un Amant, son cœur tremble & murmure ; Elle impute à l'Amour, ce que fait la Nature [27], Il est évident que le héros, qui avait cru remarquer l'amour toujours vivant de sa sœur pour le roi, refuse d'admettre que, peut-être, il ne faut imputer qu'à la passion d'Albine ce geste miraculeux. Quant à Lavinie, il est vrai que sa réaction première à la vue d'Agrippa est loin de correspondre à ce que le héros aussi bien qu'elle-même avait pû imaginer. C'est donc avec stupeur que le héros découvre l'absence de « transports de haine et de fureur » [28] de sa maîtresse : … mais ô Ciel ! Qu'aperçois-je, & quels charmes Font que vos yeux aux miens ne montrent que des larmes [29]. Cette réaction n'est d'ailleurs ni du goût d'Agrippa qui craint d'être supplanté par son pseudo-meurtrier, ni de celui de Lavinie qui justifie très vite cette attitude par la ressemblance des deux personnages. Il n'est guère possible de tenir cette manifestation de trouble comme une reconnaissance. En effet, elle est identique à celle d'Albine. Toutefois, lorsque le héros lui révèle son identité, elle n'émet guère d'objections, comme si elle était préparée à une telle révélation. Même lorsque Tirrhene cherche à la convaincre du contraire, elle manifeste des doutes jusqu'au dénouement. Les invraisemblances sont elles-mêmes révélées puis justifiées. Ainsi, lorsque Lavinie s'étonne que le roi ait pu découvrir l'amour qu'elle portait à Agrippa alors que ce dernier n'en savait rien, (Lavinie, en héroïne type ayant, par orgueil, dissimulé sa tendresse) Albine s'émerveille de la capacité d'un homme jaloux à découvrir des « regards muets ». Enfin, pour ce qui est de l'absence de doutes des gardes et de l'armée, Quinault a tout résolu en un procédé artificiel : Agrippa a eu la main transpercée (celle dont il se sert pour écrire, bien sûr) et, selon les protagonistes, ce fait est dû à une intervention du Ciel, heureuse intervention divine ! Nous ne sommes pas sans prétendre qu'une substitution si aisée ne soit pas marquée d'invraisemblance. Toutefois, elle est rendue crédible par la magistrale performance d'acteur de Tirrhene. Si les personnages voient le roi en Agrippa, c'est qu'ils ne sauraient mettre en doute la parole de Tirrhene. Comment un père si aimant chercherait à favoriser l'assassinat de son fils ? C'est d'ailleurs ce qu'avance Tirrhene comme preuve de la véracité de ses propos [30] : Vous sçavez pour la mort quels soins j'ay toujours pris ; Et vous pourriez encor, penser qu'il fût mon fils Luy dont je suis prêt d'aller trancher la trâme… Cependant, si cette attitude justifie la réussite de la supercherie, elle est fort peu plausible. En effet, quoiqu'il fasse dire à Tirrhene (le complot aurait permis de détourner d'éventuels soupçons pouvant peser sur l'identité du roi), Quinault rend peu probable une telle prise de risque. En fait, le complot était nécessaire à la construction dramatique afin d'éliminer le successeur légitime et assurer ainsi la réussite de l'entreprise. # Agrippa, le succès du déguisement. C'est Agrippa qui met lui-même en péril le succès de son déguisement lorsqu'il veut révéler sa véritable identité à Lavinie [31]. Il se trouve alors face à une situation inextricable et douloureuse : à la vue de son amante, Agrippa ne peut s'empêcher de lui parler d'amour. Or, son entreprise est vouée à l'échec. En effet, si elle répond à cet amour, il est trahi, si elle le rejette, il est malheureux. Or, si Agrippa a accepté l'usurpation d'identité, c'est à seule fin d'empêcher que « Mézence devenu roi, il aurait pû être heureux en amour ». Mais, lui-même sur le trône, ne peut accéder au bonheur. Agrippa est prisonnier de son subterfuge. Il ne bénéficie d'aucun moyen pour se faire reconnaître en tant que lui-même, Agrippa. Nulle reconnaissance possible puisque le succès de son subterfuge est justement l'absence, d'une part d'indices compromettants, d'autre part, de témoins autres que son père. Il est surprenant de constater que le héros ne semble guère effrayé à la perspective d'un complot et que la seule raison qui le pousse à révéler son identité est l'impossibilité de se faire aimer sous le déguisement du roi. Même lorsque sa sœur s'apprête à venger son frère et son honneur bafoué, il ne cherche pas à la détromper. Certes, elle aurait peut-être eu du mal à le croire mais il aurait suffi, comme pour Lavinie, de demander l'intervention de leur père pour l'assurer de la véracité de ses propos. Bien sûr, il est possible d'attribuer ce non-recours à l'échec de la première tentative. Mais, face au danger réel encouru par son fils, Tirrhene aurait tout révélé ou, du moins, se serait arrangé pour trouver un stratagème permettant de contourner le danger. De plus, tout comme Oreste face à sa sœur dans *Iphigénie en Tauride* d'Euripide, Agrippa pouvait trouver quelque détail connu d'eux-seuls. Mais, l'identité d'Agrippa dévoilée, le héros avait, certes, la vie sauve pour un temps mais c'était Mézence qui prenait le pouvoir. Or, ce dernier pouvait le punir pour crime d'usurpation dynastique et se débarrasser ainsi d'un rival qui l'avait humilié. Le dénouement assure le succès total du déguisement : la reconnaissance n'intervient que lorsque toutes les conditions favorables au bonheur (et à la gloire) d'Agrippa sont réunies. Après une scène d'une grande intensité dramatique, les remords de Tirrhene et de Lavinie, la fin laisse un peu perplexe. Puisque Lavinie et Agrippa sont réunis, tout va pour le mieux, nous dit Quinault. Qu'Albine ait souffert de la pseudo-mort d'Agrippa comme des mensonges de son frère et de son père ne compte pas. Que le complot ait provoqué la mort de nombreux conjurés et de soldats n'émeut guère. Même la mort de Mézence est traitée sur un ton badin. Apprenant que le prince s'est tué pour respecter la promesse qu'il lui avait faite ne suscite chez Lavinie que ces quelques mots : Je le plains, mais le bien qu'en vous le Ciel m'envoye Ne laisse dans mon cœur, de lieu que pour la joye [32]. La princesse n'est pas non plus préoccupée de la supercherie d'Agrippa. Il semble pourtant qu'un règne et un mariage fondés sur le mensonge ne soient pas de meilleure augure. En outre, il y a eu tout de même usurpation dynastique. En effet, la substitution pose le problème de la légitimité d'un tel acte : quelles qu'en soient les raisons, a-t-on le droit de s'approprier abusivement la place d'un roi ? Cette question se pose évidemment dans le contexte de l'époque de Quinault, non de celui des protagonistes. Au XVII*e* siècle, l'usurpation dynastique est considérée comme un crime de lèse-majesté. Tirrhene, lui, évoque la question du mérite [33] : Regnez mieux qu'il n'eut fait, meritez la Couronne, Mezence en est indigne, & le Ciel vous la donne ; À cela, Agrippa rétorque qu'il n'y pas à juger de la valeur et des qualités des personnes destinées à régner. Étant élues de droit divin, les hommes n'ont qu'à les servir de leur mieux. Le throsne eust pu changer les injustes maximes ; Respectons sa naissance, en detestant les crimes ; Noircy d'impietez, de meurtres, d'attentats, Il sort tousjours d'Ænée [34]. Pour sa part, Agrippa avait toujours loyalement servi son roi, ce que nous indique Lavinie lors de la première scène de la pièce : Il [35] sortait de son sang, & jamais plus de zelle N'esclatta pour un Roy, dans un sujet fidelle. Tiberinus, pourtant, ne passait pas pour un modèle de vertu. On le décrit même comme un compagnon de débauche de Mézence. Cette noirceur d'âme était nécessaire évidemment. Il fallait que le roi et son successeur fussent peu recommandables pour excuser l'action d'Agrippa (usurpation dynastique) comme celle des autres personnages (conspiration contre un roi). En outre, il était nécessaire de respecter la cohérence du personnage. Accuser un roi sage et honnête du meurtre d'un sujet loyal eut été difficile à faire croire, même pour un acteur consommé tel que Tirrhene, même pour un auteur peu attaché aux vraisemblances comme Quinault. L'autre argument de Tirrhene face aux réticences de son fils à considérer leur supercherie comme une action juste est qu'elle est du fait, non de leur propre volonté mais de celle du Ciel : Pour l'esloigner du Throsne, & pour le luy ravir, C'est de vous que le Ciel a voulu se servir ; Vous estes l'instrument sur qui son choix s'arreste, Et puis qu'il veut enfin emprunter vostre teste, Souffrez la Couronne, & vous representez Que c'est à tous les Dieux à qui vous la prestez. Selon Tirrhene, ce sont les dieux qui ont voulu la mort de Tiberinus comme ils ont voulu le règne d'Agrippa. Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner les signes d'une protection favorable : sa main transpercée n'est pas un châtiment car elle lui évite d'être découvert par son écriture, il a gagné la bataille opposant depuis si longtemps les Rutules aux habitant d'Albe et tous les témoins de son subterfuge ont péri providentiellement. En outre, Mézence était prêt à assassiner le roi. Que le héros ne soit pas légitime n'a aucune importance puisque Mézence n'en savait rien. À partir du moment où le Prince était capable de s'attaquer au symbole royal, il ne méritait pas de régner. Les arguments de Tirrhene font mouche et Agrippa consent à rester sur le trône, sans trop se faire prier. Cette faible résistance provient d'une part, de la tonalité de la pièce qui se veut galante avant que d'être politique et, d'autre part, du héros lui-même qui prend conscience du pouvoir que lui confère la couronne. Bien évidemment, ce pouvoir est à l'usage exclusif de l'Amour, seul but noble de l'ambition. Mais, lors de l'entretien avec Mézence, il semble prendre un malin plaisir à humilier le Prince en lui rappelant sa condition de sujet. L'ironie mordante du faux Tiberinus envers Mézence n'était pas nécessaire, celui-ci lui ayant fait comprendre l'amour intact de Lavinie pour Agrippa, sinon à susciter son inimitié et à justifier l'appartenance de Mézence au complot. En effet, Mézence était, pour sa part, attaché au roi et, lors d'une entrevue avec Lavinie, il tente de justifier le meurtre d'Agrippa. Le fait que Mézence accepte d'assassiner le roi peut être envisagé comme une preuve d'amour mais nous pensons, pour notre part, qu'il faut également tenir compte de l'attitude humiliante du roi comme facteur déterminant dans cette décision. # Les enjeux du complot. ## Amour et amour-propre. Les motifs avoués du complot sont liés à l'amour : Lavinie l'entend comme une preuve d'amour à son amant défunt, Mézence s'y résoud par amour pour Lavinie, Albine pour venger son frère. Mais la motivation des personnages provient en grande partie des offenses ressenties face à l'attitude du faux Tiberinus à leur égard. Pour s'en rendre compte, il suffit de relever les termes exprimant la colère et le mépris : « venger, sang, haine, dépit, honte, offense, colère, fureur » ; tous ces termes sont utilisés en abondance par le trio que forment Lavinie, Mézence et Albine. En quelques scènes, Agrippa semble agir et parler dans le seul but de s'attirer la haine de tous. Il est vrai qu'en cela, il est admirablement secondé par Tirrhene qui ne cesse d'exciter la colère des uns et des autres. Ainsi, c'est lui qui « révèle » le véritable motif du meurtre d'Agrippa : se débarrasser d'un rival, amoureux et politique, gênant. Mézence, parfait amant, semble obéir aux ordres de sa maîtresse. Mais, il ne nous échappe pas que ce crime lui permettrait également de se laver de l'affront commis par le roi. C'est un véritable camouflet que lui a fait subir Agrippa, et Mézence est orgueilleux. Si son ambition a disparu du fait de son amour pour Lavinie, il ne supporte pas l'idée d'être « doublé » sur le plan amoureux : Et dés que la Princesse a demandé sa vie, A peine ay-je un moment senty fremir mon cœur, Tant le nom de Rival traîne avec luy d'horreur [36]. Et son suicide est aussi bien la réalisation d'une promesse solennelle que le refus de s'avouer vaincu devant le héros. Lavinie, elle, se sent insultée par l'amour du roi. Cette jeune femme fière supporte difficilement de savoir qu'elle est l'objet de la convoitise du roi : Sçavez-vous qu'un Tyran m'ose offrir ses soupirs ? Et que mes tristes yeux, pour comble de misère, Au plus lâche des cœurs ont la honte de plaire [37] ? Lavinie est blessée dans son orgueil de femme mais aussi de Princesse. Elle qui, par soucis de protéger sa gloire, avait dissimulé son amour pour un homme vertueux et admirable, ne peut que se sentir choquée par les tendres aveux de celui qu'elle considère comme un homme impie et sanguinaire. En outre, elle estime que la conduite infâmante du roi entache la réputation des descendants d'Énée dont elle fait partie. Laisser impuni un crime qui la met en cause, puisqu'elle fut, sans le vouloir, la motivation du meurtre d'Agrippa, serait indigne d'elle. N'ayant pu se résoudre à se donner la mort, il ne lui reste plus, pour laver son honneur, que la mort du roi. L'amour du roi pour Lavinie offense également Albine. Cette dernière se sent doublement blessée dans son orgueil. D'une part, elle éprouve de la culpabilité du fait d'être éprise du meurtrier de son frère, ainsi qu'elle le confie à Julie : Je ne t'ay dit mon mal que pour y resister, Et seule estant trop foible à combattre ma flame, J'appelle tes conseils au secours de mon ame [38]. D'autre part, cet amour est d'autant plus humiliant que le roi n'est plus amoureux d'elle. Enfin, dernière offense, il semble s'être aperçu de cet amour et le lui fait remarquer : J'ay mesme, je l'avoue, eû peur, pour vostre gloire : Il m'a semblé, d'abord, qu'un peu d'émotion A trahy dans vos yeux vôtre indignation, Et qu'encor, à ma veuë, un vieux reste de flame S'est, à travers la haine, eschapé de vôtre ame [39]. La conduite d'Agrippa est des plus offensantes pour Albine car il s'exprime sur un ton badin et feint d'ignorer les souffrances de la jeune femme. L'humiliation d'Albine est manifeste dans le registre utilisé pour exprimer ses sentiments : « honteuse estime, indignée, outrage, offensée… ». ## Mensonges et mal-entendus. Le mensonge est l'apanage de Tirrhene. Certes, Agrippa incarne la supercherie, mais il trompe par son apparence, non par ses mots. Aucun autre personnage ne ment et il n'y a pas véritablement de traître. En effet, si tous veulent la mort du roi (tout en feignant, comme Mézence, la soumission), personne ne veut la mort d'Agrippa et pas une seule personne ne vient révéler la supercherie. Même si Tirrhene ment et que, par son ambition forcenée, il manque provoquer la mort de son fils, il reste foncièrement un adjuvant puisque ses intentions sont destinées à cacher la substitution. Le jeu des apparences est d'ailleurs présent dans le registre lexical du regard et de la démonstration : « tu vas voir [40], vous montrent [41]… » Le déguisement d'Agrippa est prétexte à de nombreux quiproquos et autres jeux d'énoncés à double sens. Les quiproquos sont de deux ordres. Ainsi, lorsqu'Albine apparaît, acte V, scène 5, en confessant son « crime », les protagonistes, comme les spectateurs pensent qu'il s'agit de l'assassinat d'Agrippa, tandis que la jeune femme évoque le fait d'avoir épargné le roi. Aussi, lorsqu'elle annonçant la venue du meurtrier, apparaît Agrippa, la surprise est grande. L'ironie dramatique est également présente. Cette figure de style ne se définit pas comme le fait d'indiquer à son interlocuteur, par un ton railleur ou des hyperboles, que les propos tenus doivent être interprétés différemment, mais le résultat d'une situation spécifique au théâtre où l'énoncé est destiné à la scène et à la salle. Le spectateur, en sachant souvent autant que le personnage qui parle, peut ainsi comprendre un signifié autre sous un même énoncé. Ainsi, lors de la conversation de Mézence et de Tirrhene, acte III, scène 5, ce dernier, évoquant l'heureuse initiative du Prince qui vient de l'informer du complot, tient ces propos : Je doy tout, je l'avouë, à cette confiance, Vous relevez par là ma plus chere esperance, Et m'auriez fait un tort qui m'eut desesperé, Si, sans m'en avertir, vous eussiez conspiré [42]. Tirrhene ne ment pas : il aurait été tragique pour lui de ne pas être informé du complot visant à la mort du roi. Mais, là où Mézence entend la joie de Tirrhene à l'entente de la mort prochaine de l'assassin de son fils, le spectateur lui comprend le soulagement de Tirrhene à l'idée de pouvoir contrôler cette situation dangereuse L'ironie vient de la situation de Tirrhene à qui on réserve l'honneur de décider des modalités du meurtre de son fils. Si Agrippa était une comédie, cette situation aurait pu donner lieu à une scène outrée avec force clignements d'yeux et adresse aux public. Il en est de même acte V, scène 5, lorsque Tirrhene se plaint de ne pouvoir assister le jour même à l'exécution du roi. Tirrhene Pleust au Ciel, seul recours d'un Pere miserable, Que dés ce mesme jour, il m'eust ésté permis D'offrir cette victime aux Manes de mon Fils. C'est un tourment cruel, pour mon impatience, De n'oser pas encor haster nostre vengeance. Il n'y a pas une once de vérité dans les propos de Tirrhene. A cet instant, le spectateur en sait plus que les deux protagonistes. D'une part, il perçoit le sens caché de ces paroles : Tirrhene feint le ressentiment et la tristesse tandis qu'il se félicite de ce retard présumé. D'autre part, le spectateur n'est pas sans savoir que Lavinie vient de presser Mézence de devancer l'heure du meurtre. Tirrhene est donc pris à son propre piège, ses (hypocrites) vœux se trouvant malheureusement exaucés. Agrippa, non plus, n'est pas en reste de sous-entendus. Ainsi, lors de son entretien, qui tourne plutôt à l'algarade, avec Albine, il lui tient innocemment ce langage : Si la perte d'un frere est tout ce qui vous blesse, Vous n'aurez rien perdu que vôtre douleur cesse ; Je vous offre en moy-mesme un frere plein d'ardeur ; [43] On assiste ici à un cas d'ironie liée au déguisement. C'est ce que Georges Forestier appelle le « Dire le vrai en disant le vrai qui paraît faux [44] ». En effet, Agrippa ne ment pas. Si Albine ne souffre que de la mort de son frère, la révélation de l'identité d'Agrippa lui ôtera tout sujet de douleur. En outre, il est bel et bien son frère. Mais, comme Albine ne met pas en doute l'identité du roi, elle ne peut tenir ces propos pour véridiques. Elle n'y voit que raillerie, une cruauté de plus du roi. Quinault n'a pas voulu se priver de cette connivence avec le spectateur mais ce jeu paraît bien cruel et indigne d'Agrippa. Que signifient ces propos, insultants pour Albine qui se voit proposer pour frère le meurtrier de celui-ci ? Si Agrippa se nommait Richard III, on pourrait parler d'audacieuse stratégie, mais, outre le fait qu'Agrippa est loin de ressembler au héros roué et retors de Shakespeare, il n'est guère de profit pour lui à s'exprimer ainsi, sinon, une fois de plus, s'attirer les foudres de son entourage. Agrippa voulait-il susciter des doutes quant à son identité ? Nous ne pouvons croire que le héros se moque de sa sœur. Il s'agit plutôt d'une part, d'entretenir une relation de complicité avec le spectateur, et d'autre part, de justifier la haine de la jeune femme pour le roi. Si *Agrippa* fit les délices de la Cour du XVII*e* siècle, les critiques de l'époque et des siècles suivants se montrèrent plus sévères. Les Frères Parfaict [45], La Harpe [46] et surtout Boileau [47] reprochèrent à son auteur les invraisemblances des situations, l'insignifiance du héros, les quiproquos. L'examen de la pièce aura, nous l'espérons, apporté un éclairage plus nuancé. Les invraisemblances ne sont que le fruit d'un imaginaire contraint par les doctrines classiques. Plus à l'aise dans le registre des *Questions d'amour* que dans celui du tragique, Quinault a su pourtant, approcher le pathétique lors, notamment, de la confrontation entre le héros, Tirrhene et Lavinie [48]. Mais il s'est contenté de laisser entrevoir une situation réellement tragique, sans se détacher de son goût pour la légèreté et les intrigues amoureuses. Il faut donc apprécier *Agrippa* pour ce qu'elle est, un marivaudage plaisant, un conte de fées, dont le dénouement est d'autant plus heureux que le péril fut grand. # Édition du texte. Il n'existe aucun manuscrit des pièces de Quinault. Nous avons reproduit l'édition princeps de 1663, d'après l'exemplaire, sous forme de micro-fiche, de la Bibliothèque de l'Arsenal : *Agrippa, Roy d'Albe ou le faux Tiberinus, Dédié au Roy. A Paris, chez Guillaume de Luyne*, MDCLXIII.–In-12, X-72 p. Cette édition comprend une dédicace au roi, le privilège du roi, l'achevé d'imprimer date du 25 janvier 1663. La page de titre ne porte ni mention de genre, ni indication d'auteur mais l'épître dédicatoire est signée Quinault. Nous avons également consulté l'exemplaire, toujours sous forme de micro-fiche, présent à la Bibliothèque nationale. Cette version est quasiment identique à celle de l'Arsenal puisqu'elle comprend la dédicace, l'achevé d'imprimer, le bandeau caractéristique des éditions de Guillaume de Luyne, l'absence de classification et si le nom de Quinault apparaît, il a été ajouté à la main. En outre, les coquilles repérées dans l'édition de l'Arsenal sont également présentes. Par contre, nous avons pû remarquer une coquille qui n'existe pas dans l'édition de l'Arsenal, signalée dans la présente édition. Une seule autre édition d'*Agrippa* a paru du vivant de l'auteur : *Agrippa, Roy d'Albe ou le faux Tiberinus, Dédié au Roy, suivant la copie imprimée à Paris* Amsterdam, Abraham Wolfgang *1663 (quaerendo)* Elle fait partie d'un recueil factice qui est décrit dans les Elsevier mais qui, malheureusement, a disparu. Nous n'en avons pas trouvé trace dans les autres bibliothèques parisiennes. Il existe une édition pirate, ne comprenant ni mention de date, ni auteur mais une indication de genre : tragédie. La Bibliothèque nationale en possède deux exemplaires [49], qui sont quasiment identiques, exceptées les indications manuscrites sur la page de garde. Sur l'un, il est noté « d'après Quérard », sur l'autre « Parfait ». En outre, l'un des exemplaires est signalé sur le catalogue de la bibliothèque comme étant du fait de Pierre Ribou [50]. Étienne Gros n'avait pas pu consulter ces exemplaires, puisqu'ils n'appartenaient pas encore à la Bibliothèque, mais il signale que des éditeurs affirment qu'il existe une version antérieure à celle de 1663. C'est sans doute cette version que Cioranescu signale dans la bibliographie. Un examen attentif de ces exemplaires permet pourtant d'affirmer que cette version a été attribuée sans grande exactitude à l'année 1660. William Brooks note ceci [51] : La désignation « tragédie » nous ferait peut-être conjecturer que cette édition date du 18*e* siècle, car il y a tout lieu de croire que même si la pièce manque d'indication de genre, elle fut considérée comme une tragi-comédie pendant le 17*e* siècle, et elle ne fut réclamée comme tragédie que par les éditions collectives du 18*e*. Mais une contrefaçon du 18*e* aurait-elle reproduit le privilège [52] ? Nous croyons que non : et nous en concluons donc que cette édition date d'une époque peu postérieure à celle de la 1*e* edition. Nous en arrivons à la même conclusion mais avec un raisonnement différent. En effet, l'orthographe de cette édition est plus moderne que l'édition de 1663 mais présente encore des caractéristiques non présentes dans les éditions datant du XVIII*e*, telles que le « y » à la place du « i », l'absence d'accentuation des « e »… Enfin, les exemplaires que possèdent les université du Minesota et et de la Floride ne portent aucune date. Les éditions parues après la mort de Quinault ne contiennent pas de différences notables, mis à part la ponctuation et l'orthographe. Nous avons fait la distinction moderne entre « u » et « v », « i » et « j ». Nous avons remplacé le tilde de par « m » ou « n », selon les cas. Nous avons toutefois conervé la ligature & et avons respecté la graphie et la ponctuation originales. Toutes les modifications qui nous ont semblé nécessaires sont signalées par des notes de bas de page. # Agrippa Roy d'Albe Ou le Faux Tiberinus. ## Epistre Au Roy. Sire, Il y avait lieu de croire que mon Ambition devoit estre entièrement satisfaite, de l'agréement avec lequel cette Piece a esté receue de vostre majeste. Aprés une grace si considerable, je Luy pouvois en effet espargner la fatigue d'une Epistre ; & l'avantage d'avoir sçeu Luy plaire ; estoit un honneur assez grand, sans chercher encore un nouveau moyen de l'accroistre. Cét emportement est une foiblesse naturelle aux habitans du Parnasse ; & comme la gloire est souvent l'unique fruict qu'ils recueillent de ce Pays sterile, il leur est pardon- nable d'en desirer quelquesfois avec un peu trop d'ardeur. On s'imagi- nera, peut-estre, que je devois estre exempt de ce defaut, parce que j'ay le bon-heur d'approcher la Personne Auguste du plus accomply de tous les Monarques, & d'y voir briller de prés ces Vertus éclatantes qui font aujourd'huy l'admiration de toute la Terre : mais qui ne sçait point, SIRE, que lors qu'il s'agit de gloire, ce n'est pas en VOSTRE MAJESTE que l'on peut trouver des Exemples de moderation ? Cét excés n'est pas de ceux dont Elle se veut deffendre, & c'est proprement là dessus qu'Elle est la plus difficile du monde à contenter. La fin de la Guerre n'a pû devenir la fin de ses Conquestes. La Paix n'a sçeu L'empescher d'en faire de nouvelles, & qui Luy sont d'autant plus glorieuses, qu'elles n'ont pas cousté une seule goutte de sang à ses Subjets, & qu'Elle n'en doit rien qu'à Elle-mesme. A dire vray, SIRE, à moins que d'estre comme nous sommes, les tesmoins de tant de Merveilles, y auroit-il apparence de les pouvoir croire ? Ne pourrions-nous pas avoir bien de la peine à nous persuader, qu'à vingt-quatre ans VOSTRE MAJESTE n'ait pas esté moins redoutable dans son cabinet, qu'à la teste de ses Armées ? Qu'Elle ait sçeu joindre des choses aussi peu compatibles que la Jeunesse florissante, & la Prudence consommée ? Qu'Elle ait eu des Qualitez que l'on n'acquiert que par la perte des plus belles années, dans un âge qui n'est d'ordinaire que pour les plaisirs ? Enfin qu'Elle ait trouvé l'Art de rassembler en Elle seule tous les Avantages que le Ciel a accoustumé de separer dans le reste des hommes ? Il n'y a pas, SIRE, jusques aux secrets des belles Lettres, où les Lumieres de VOSTRE MAJESTE ne s'estendent ; Elles n'ont pas desdaigné de m'esclairer dans la conduite de cét Ouvrage, & je suis obligé de confesser qu'Elles sont la source de ce que l'on y a trouvé de plus brillant. Cette inclination que VOSTRE MAJESTE témoigne pour les Muses, n'avoit garde de Luy manquer, puisque c'est de tout temps la passion des Heros. Les vers d'Homere furent autresfois les Delices du Vainqueur de l'Asie au milieu de ses triomphes ; & les Comedies de Terence receurent leurs derniers traits des mesmes Mains qui venoient de terrasser Annibal, & d'abattre la grandeur de Carthage. Ceux qui sont attachez particulierement à ce genre d'écrire, n'ont plus, SIRE, qu'une seule chose à craindre avec toute l'Europe ; C'est que la haute Valeur de VOSTRE MAJESTE, qui s'est fait tant de violence pour donner le repos à ses Peuples, ne trouve quelque juste occasion de l'interrompre. S'il faut qu'une fois elle reprenne les Armes, le bruit que nous prevoyons bien qu'elles feront, ne nous permettra plus de songer aux Roys les plus Illustres des Siecles passez, & pour nous laisser le loisir de representer leurs actions, Celles de VOSTRE MAJESTE nous donneront asseurément trop d'affaires. Je n'ay pas la hardiesse de promettre de travailler sur de si grands Sujets, avec autant d'esprit qu'une infinité de gens plus habiles que moy, & qui ne laisseront pas eschaper une si riche matiere. J'ose respondre seulement que je puis défier qui que ce soit au monde, de surpasser le zele ardent qui animera toûjours, SIRE, DE VOSTRE MAJESTE, Le tres-humble, tres obeïssant, & tres-fidelle serviteur & subjet QUINAULT. ## Extraict du privilege du Roy. Par Grace & Privilege du Roy, Donné à Paris le quatorzième Janvier mil six cens soixante-trois, Signé par le Roy en son Conseil, LE Mareschal. Il est permis à nostre cher & bien aymé PHILIPPE QUINAULT Nostre Valet de Chambre Ordinaire, de faire imprimer une Piece de Theatre de sa composition, intitulée : Agrippa Roy d'Albe, Ou le Faux Tiberinus, pendant le temps & espace de cinq années, finies & accomplies, à commencer du jour de l'achevé d'Imprimé. Et deffences sont faites à toutes personnes, de quelque qualité & condition qu'elles soient, de l'imprimer ou faire imprimer, vendre & debiter, sans le consentement dudit Sieur QUINAULT, à peine de cinq cens Livres d'amande, & de tous despens, dommages & interests, comme il est plus amplement porté par lesdites Lettres. Et ledit Sieur QUINAULT a cedé & transporté ces droits de Privilege à GUILLAUME DE LUYNE, Marchand Libraire, pour en jouyr le temps porté par iceluy. *Achevé d'imprimer le 25. Janvier 1663.* Les Exemplaires ont esté fournis. *Registré sur le Livre de la Communauté des Libraires & Imprimeurs de cette Ville de Paris, le 24. Janvier 1663.* Signé, DUBRAY, Scyndic. ## Acteurs. – LAVINIE,Princesse du Sang des Roys d'Albe. – ALBINE,Fille de Tirrhene, & sœur d'Agrippa. – CAMILLE,Confidente de Lavinie. – JULIE,Confidente d'Albine. – MEZENCE, Neveu de Tiberinus. – FAUSTE,Confident de Mezence. – TIRRHENE, Prince du Sang d'Enée, Pere d'Agrippa & d'Albine. – AGRIPPA,Fils de Tirrhene, regnant sous le nom et la ressemblance de Tiberinus, Roy d'Albe. – LAUZUS, – ATIS,Officiers d'Agrippa. – Gardes. La scène est au Palais des Roys d'Albe, dans l'Appartement de Lavinie. ## Acte I. ### Scène premiere. Lavinie, Albine, Camille, Julie. LAVINIE. Vostre malheur au mien n'est pas à comparer, Consolez-vous, Albine, & layssez-moy pleurer. ALBINE. Que vous connoissez peu la douleur qui m'emporte, Si vous croyez la vostre, & plus juste & plus forte !  LAVINIE. Dans l'Illustre Agrippa massacré laschement, Vous ne perdez qu'un frere, & j'y pers un amant. ALBINE. J'y pers un frere unique, & le mal qui m'accable, Est d'autant plus cruel, qu'il est irreparable :  Mais pour vous en effet l'on doit vous plaindre moins ; Le Prince à vous aymer a mis ses plus grands soins : Et pour vous consoler vos yeux ont sceu vous faire Beaucoup plus d'un amant, & je n'avois qu'un frere. LAVINIE. J'avois plus d'un amant avant ce dur revers, Mais je n'en aymois qu'un, Albine, & je le pers ; Le Roy jusques au jour qu'il perdit vostre frere, Vous a parlé d'hymen, a tasché de vous plaire, Et le devant haïr, peut-estre en vostre cœur, Un frere ne fait pas toute vostre douleur. ALBINE. Ne me soupçonnez point d'un sentiment si lasche ; Ce coup d'avec le Roy pour jamais me destache ; Et soüillé de mon sang, il me fait trop d'horreur, Pour luy pouvoir laisser quelque place en mon cœur. Le retour en ces lieux de ce Tyran [53] infame, Rouvre encor de nouveau cette playe en mon ame, Et quelque juste ennuy [54] qu'il renouvelle en vous, Aupres de mes malheurs, les vôtres sont bien doux. Pres d'un an escoulé depuis nostre disgrace, Est pour vous consoler un assez long espace. LAVINIE. Dites, dites pour vous, c'est bien plus aisement Que l'on peut oublier un frere qu'un amant. L'amour est bien plus tendre, en pareille avanture, Et n'est pas consolé si-tost que la nature. Le sang dans ses transports, content d'un peu de deüil, Ne va jamais plus loing que les bords du cerceuil : On cesse d'estre sœur quand on n'a plus de frere ; La nature s'arrête, & n'a [55] plus rien à faire ; Mais l'Amour qui penetre au creux d'un monument [56], Peut faire encore aymer, quand on n'a plus d'amant. ALBINE. Pour regretter mon frere, & croistre ma tristesse, L'interest de ma gloire est joint à ma tendresse : Des vieux ans de mon pere estant l'unique appuy, Toute nostre esperance expire avecque luy. Nous descendons du sang dont Albe est l'heritage, Mais c'est d'un peu trop loin pour en prendre avantage ; Vous, vous touchez au throsne, & la Fortune un jour, Pourroit vous consoler des rigueurs de l'amour. LAVINIE. Mon cœur est à l'amour, & non à la fortune ; Je tiendrois maintenant la Couronne importune, Et quand tout ce qu'on aime entre dans le tombeau, La pompe [57] est une peine, & le sceptre un fardeau. Après Tiberinus, & son neveu [58] Mezence, L'empire icy m'est deu, par les droits de naissance ; Mais le Roy trop cruel qui possede ce rang, Soüille par ses forfaits, son throsne, & notre sang, Et son ayeul Ænée [59], en ses faits magnanimes, Fit voir moins de vertus, qu'il n'a commis de crimes. Le meurtre d'Agrippa massacré par ses coups, Fut comme le dernier, le plus cruel de tous : Il [60] sortait de son sang, & jamais plus de zelle N'esclatta pour un Roy, dans un sujet fidelle. Cependant, mesme aux yeux d'un père infortuné, Par ce Tyran barbare [61] il fut assassiné, Sans avoir pû jamais l'accuser d'autre offence, Que d'avoir avec luy beaucoup de ressemblance. Apres ce crime affreux, le sang ny le devoir, N'ont rien en sa faveur qui puisse m'esmouvoir : Je ne vois plus en luy de parent ni de maistre, Je ne le connoy plus, ny ne le veux connoistre ; Et l'injuste assassin de mon illustre amant, Doit tout apprehender de mon ressentiment. Mais qui s'approche, ALBINE.         Adieu, c'est le Prince Mezence, Son amour prés de vous ne veut pas ma presence. ### Scene II. Lavinie, Mezence, Fauste, Camille. LAVINIE. Vous voyez de vos soins quel est pour moy le fruit, Dés que vous m'abordez tout le monde me fuit [62] ? MEZENCE. Si c'est moy qui fais fuir Albine qui vous quitte, J'oste à vostre douleur, un objet qui l'irrite [63]. LAVINIE. Le neveu du Tyran qui fait tout mon malheur Doit bien plustot encor irriter ma douleur. MEZENCE. Par quelle cruauté, puny par vostre haine, Sans avoir part au crime, ay-je part à la peine ? Quand j'aurois de ma main fait perir vostre amant, Pourriez-vous ma traitter plus inhumainement ? LAVINIE. Et qui peut m'asseurer que vostre jalousie, N'ait point poussé la main qui termina sa vie ? Le Roy contre Agrippa n'estoit point irrité : Que sçay-je si son bras n'estoit pas emprunté ? Et n'a point immolé cette illustre victime, Pour vous metre en estat de joüir de son crime ? MEZENCE. Hier [64] le Roy sur ce point s'expliquant hautement, Fit voir qu'il soupçonna la foy de vostre Amant, Qu'il l'avoit fait si grand qu'il luy fut redoutable, Et qu'enfin avec luy le treuvant trop semblable Il voulut, pour s'oster tout sujet de terreur, Prevenir par sa mort quelque funeste erreur. Pour les bien discerner, quelque soin qu'on put [65] prendre, Leur rapport estoit tel qu'on pouvoit s'y meprendre, Et qu'apres les avoir cent fois considerez, Je m'y trompois, moy mesme, à les voir separez. LAVINIE. La Nature oublia sans doute, en leurs visages, Ce dehors different qu'on void dans ses ouvrages, Et contre sa coustume elle ne mit jamais En deux corps separez, de si semblables trais. Mais la diversité qui distingue nos trames [66], Au défaut de leurs corps, se trouvoit dans leurs ames, Et la Nature en eux, avec des soins prudents, L'oubliant au dehors, la mit toute dedans. Mon Amant eut une Ame, aussi noble, aussi belle, Que celle du Tyran est perfide, & cruelle, Et ce Heros receut bien plustost le trepas, Parce qu'à ce Barbare, il ne ressembloit pas. MEZENCE. Ce transport violent n'a rien de condemnable ; Le Roy mesme envers vous sent bien qu'il est coupable : Hier, pour le recevoir, m'estant fort avancé, Il me parla de vous, dés qu'il m'eut embrassé, Et lors que je luy dis la profonde tristesse Où [67] la mort d'Agrippa vous plonge encore sans cesse, Je l'oüis soupirer, je le vis s'esmouvoir, Et pour vous consoler, il promit de vous voir. LAVINIE. Ah ! C'est le dernier mal qui me restoit à craindre ! Ce cruel à le voir pretend donc me contraindre ! Et pour nouveau tourment, veut offrir à mes yeux Une main teinte encor d'un sang si précieux ! MEZENCE. Dans le premier combat, au gré de votre haine, Un trait fatal perça cette main inhumaine ; Et le Destin fit voir par ce coup mérité, Qu'on ne peut vous déplaire avec impunité. LAVINIE. Les Dieux justes vengeurs du sang de l'Innocence, N'ont fait encor sur luy, qu'esbaucher leur vengeance ; Et le trait dont sa main a senty le pouvoir, N'est qu'un premier esclat du foudre prest à choir. Vous mesme qui suivez ses barbares maximes, Et qu'avec luy le sang unit moins que les crimes, Redoutez que ces Dieux, dans leur juste couroux, N'estendent leur vengeance & leurs traits jusqu'à vous. Mais vous n'en croyez point [68], & vous en faites gloire. MEZENCE. Si je n'en ay pas cru, je commence d'en croire : Je me sens convaincu, graces à vos beautez, Que l'on doit de l'encens à des Divinitez : De vos charmes divins l'esclat tout admirable Force assez de connoistre un pouvoir adorable, Et quand j'aurois tousjours douté qu'il fust des Dieux, Pour en croire, il suffit d'avoir veu vos beaux yeux : Du moins, quand en effet, j'aurois l'erreur encore De ne pas connoistre tous les Dieux qu'on adore, Pres de Vous, quelque erreur dont on soit prevenu, L'Amour n'est pas un Dieu qui puisse estre inconnu. LAVINIE. Quoy qu'il en soit, Prince, à ne rien vous taire ; Agrippa n'estant plus, rien ne me sçauroit plaire, Le Ciel dans ce [69] Heros prit soin de renfermer Les vrais & seuls appas qui me pouvoient charmer ; L'invincible pouvoir d'un destin tout de flame N'attacha qu'à luy seul tous [70] les vœux de mon Ame ; On ne doit à l'Amour qu'un tribut à son choix, Et c'est trop pour un cœur d'aymer plus d'une fois. MEZENCE. Je n'en sçaurois douter, inhumaine Princesse : Cet amant seul a pris toute vostre tendresse, Et reservant pour moy toute votre rigueur, Son ombre encor suffit pour m'oster votre cœur : Vostre couroux s'accroist, plus mon amour esclatte. LAVINIE. Perdez donc cet amour. MEZENCE.         Le perdre ! Helas ingratte ! Plustost tousjours pour moy, gardez ce fier couroux, Et laissez moy du moins l'amour que j'ay pour vous, Deussay-je voir tousjours vos beaux yeux en colère, Ils ont beau s'irriter, ils ne sçauroient deplaire. Pour des Destins divers, le Ciel nous sceut former. Le vostre est d'estre aymable, & le mien est d'aymer : Mais vous n'escoutez point, & vos yeux qui s'agittent Lassez de mes regards, avec soin les evitent. LAVINIE. Voicy de mon amant le Pere infortuné, Quelque soucy le presse [71], il paroit estonné [72]. ### Scène III. Tirrhene, Lavinie, Mezence,Fauste, Camille. TIRRHENE *à Mezence*. Ne vous offencez [73] pas, Seigneur, si je m'avance, J'apporte à Lavinie un advis d'importance : Et je viens l'avertir que l'on m'a fait sçavoir, Que le Roy va sortir à l'instant pour la voir. LAVINIE *à Mezence*. Ah ! Prince, si vostre Ame à ma peine est sensible, Empeschez qu'on m'expose à ce tourment horrible, Et tâchez par vos soins d'espargner à mes yeux, Le supplice [74] de voir cet objet odieux. MEZENCE. Mon plus ardent desir est celuy de vous plaire, Et de tout mon pouvoir je cours vous satisfaire. ### Scène IV. Tirrhene, Lavinie, Camille. TIRRHENE. Le Prince entreprendra de l'arrester en vain ; Je ne connois que trop ce Tiran [75] inhumain : Son ame violente en ses desirs persiste, Et sa fureur s'accroist pour peu qu'on luy resiste. Pour mieux vous en deffendre, il faut vous retirer. Je doute que chez vous par force il ose entrer, Il ne passera point à cette audace extréme. Ce Meschant [76] craint le peuple, & le peuple vous ayme. LAVINIE. Mais pour vous … TIRRHENE.         Que peut craindre un Pere desolé ? Le plus beau de mon sang par ses mains a coulé ; Pour le peu qui m'en reste, il faut peu me contraindre, Je suis trop mal-heureux pour avoir rien à craindre. Je veux luy reprocher son crime aux yeux de tous … Gardez qu'il ne vous voye, il vient, retirez-vous. ### Scène V. Agrippa, sous le nom de TiberinusMezence, Lauzus, Atis, Tirrhene AGRIPPA*à Mezence*. Qu'on ne m'en parle plus, je veux voir Lavinie. Mezence se retire A Lauzus [77] Vous, allez donner ordre à la ceremonie. Faites tout preparer pour rendre grace aux Dieux, D'avoir mis par mes soins le calme dans ces lieux. A Atis Que le reste s'esloigne, & devant que je sorte [78] Qu'aucun n'entre en ce lieu …quoy ! l'on ferme la porte ! TIRRHENE. Ouy, l'on la ferme, Ingrat, & c'est par mes avis. AGRIPPA. Mon Pere … TIRRHENE.         A peine en vous je reconnoy mon Fils [79]. Nous sommes sans tesmoins, je parle en asseurance. Quoy ! chercher Lavinie, & contre ma deffence ! Oubliez vous ainsi, ce qu'avoit ordonné Un Pere, dont les soins vous ont seuls couronné ? Ne vous souvient-il plus que c'est par ma prudence, Que vous tenez icy la supresme puissance ? Et que vous ne vivez, ny regnez que par moy ? AGRIPPA. Je n'ay rien oublié de ce que je vous doy. Lorsque pour r'assurer la Frontiere alarmée, Tiberinus pressé de joindre son armée, N'ayant que nous, pour suitte, avec trois de ses gens, Passant l'Albule à gué, fut abismé dedans, Ce fut vous, dont le soin m'inspira l'assurance De regner apres luy , par notre resssemblance, Et sceut persuader les tesmoins de sa Mort De m'assister à prendre & son nom, & son sort [80]. Tandis que sous ce nom qui m'a fait mesconnoitre [81], J'ay trompé tout le Camp, & m'y suis rendu maistre, Pour mieux feindre, en ces lieux retournant sur vos pas, Vous avez au Roy mesme imputé mon trépas … TIRRHENE. Mais lorsque pour tenir l'entremise couverte, Je vous quitay, pour feindre encor mieux vôtre perte, Et pour en accuser la main mesme du Roy, L'ordre le plus pressant que vous eustes de moy, Pour conserver le Sceptre, & vos jours, & ma vie, Ne fut-ce pas, sur tout, d'oublier Lavinie ? Cependant, aussi-tost qu'on vous void de retour, Je vois encor pour elle esclatter vostre amour ? Vous venez hazarder qu'un soupçon, qui peut naistre Par l'esclat de vos feux, vous fasse reconnoitre, Et qu'un œil esclairé par cette vieille ardeur, Dessous les traits du Roy, decouvre un autre Cœur ? Il faloit sur le Throne estouffer cette flame ; Il faloit commencer à regner dans vostre ame, Estre Roy tout à fait & sçavoir reprimer… AGRIPPA. Pour estre Roy, Seigneur, est-on exempt d'aymer ! Pour avoir pris un Sceptre en est-on moins sensible ? Le Throne aux trais d'Amour est-il inaccessible ? Pensez-vous qu'à ce Dieu les Rois ne doivent rien ? Et qu'il soit quelqu'Empire independant du sien ? TIRRHENE. Ah ! quittez ces erreurs : l'Amour, & ses chimeres, Sont des amusements pour des Ames vulgaires, La foiblesse sied mal à qui donne des loix, Et la seule grandeur est l'amour des grands Rois. Agissez comme eust fait Tiberinus luy mesme. AGRIPPA. Mais il aymoit ma Sœur, voulez-vous que je l'ayme ? Que je presse [82] un himen horrible, incestueux ? TIRRHENE. Non, un crime de vous n'est pas ce que je veux. L'heur de vous voir au thrône à mes vœux peut suffire ; Mais ne hasardez point cette gloire où j'aspire, Je veux que mon sang regne, & c'est ma passion. AGRIPPA. Quel mal fait mon amour à vostre ambition ? Lavinie est le charme où mon âme est sensible, Son Cœur avec le Sceptre est-il incompatible ? Quel peril voyez-vous à luy tout reveler ? TIRRHENE. Elle est jeune, elle est fille, & pourroit trop parler. Fiez-vous à moy seul : tout m'alarme, & me blesse, [83] Tout m'est suspect d'ailleurs, l'Amour, vous, la Princesse, Les Amants osent trop, l'Amour est indiscret, La Nature est plus seure, & plus propre au secret, Quand mesme Lavinie auroit l'art de se taire, Vous ne vous pourriez pas empescher de luy plaire, Et si vous luy plaisiez, on verroit aisement, Que Lavinie en vous reconnoit son Amant. Pour mieux garder le sceptre, il faut soufrir sa haine, Et payer à ce prix la grandeur Souveraine. AGRIPPA. Ah ! Vous n'estimez point ce prix si grand qu'il est, Et le Sceptre n'est pas si doux qu'il vous paroist. Depuis que votre soin à qui je m'abandonne, A voulu sur ma teste attacher la Couronne, Je n'ay point ressenty cette felicité, Et ces vaines douceurs, dont vous m'aviez flatté. Je vois incessament le Ciel qui me menace : Les tesmoins de la mort du Roy pour qui je passe, Et qui m'aydoient à prendre un rang si glorieux, Dans le premier Combat perirent à mes yeux ; Sur cét objet encor ma veuë estoit baissée, Lors que d'un trait fatal j'eus cette main percée, Comme si le Ciel juste eust voulu la punir Du Sceptre desrobé qu'elle osoit soutenir. TIRRHENE. Ne craignez rien du Ciel, il vous est favorable, Bien qu'à Tiberinus vous soyez tout semblable : Les tesmoins de sa mort pouvoient vous descouvrir, Et le Ciel vous fit grace en les faisant perir. Vostre main sans ce coup eust mesme pû vous nuire, On vous eust pû connoistre à la façon d'escrire, Et pour vous donner lieu de regner sans frayeur, Le coup qui le perça fut un coup de faveur. Le sort comble avec soin vostre regne de gloire ; Vous avez entassé victoire sur victoire. Et venez de forcer les Rutules deffaits, Apres cent vains efforts, à demander la Paix. Si du Prince en regnant vous occupez la place, La Justice du Ciel vous y met, & l'en chasse, Noircy de cent forfaits qui l'ont dehonoré, Au dernier attentat il s'estoit preparé ; Et sans l'amour qu'il prit depuis pour Lavinie, Par qui l'ambition de son cœur fut bannie, Malgré le nœud du sang, de fureur transporté, Sur Tiberinus mesme il auroit attenté. Regnez mieux qu'il n'eut fait, meritez la Couronne, Mezence en est indigne, & le Ciel vous la donne ; Et puis qu'icy les Roys sont les portraits des Dieux, Faites en un en vous qui leur ressemble mieux. AGRIPPA. Le throsne eust pu changer les injustes maximes ; Respectons sa naissance, en detestant ses crimes ; Noircy d'impietez, de meurtres, d'attentats, Il sort tousjours d'Ænée [84]. TIRRHENE.         Et n'en sortons nous pas ? Le sang des Dieux qu'Ænée a transmis à sa race, Dans le cœur de Mezence & s'altere & s'efface ; Quoy que plus loin en nous l'esclat s'en soustient mieux, Et s'il est de plus pres sorty du sang des Dieux, Le pur sang des Heros, quand la vertu l'anime, Vaut bien le sang des Dieux corrompu par le crime : Il [85] se mocque des loix, se rit des immortels, Ses forfaits ont passé jusques sur les Autels, Et les Dieux offencez pour en tirer vengeance, Avec eux contre luy vous font d'intelligence, Pour l'esloigner du Throsne, & pour le luy ravir, C'est de vous que le Ciel a voulu se servir ; Vous estes l'instrument sur qui son choix s'arreste, Et puis qu'il veut enfin emprunter vostre teste, Souffrez y la Couronne, & vous representez Que c'est à tous les Dieux à qui vous la prestez. AGRIPPA. Accomodez [86] ma flame avec le Diademe. Je consens à regner, mais consentez que j'aime. TIRRHENE. L'amour de Lavinie expose trop nos jours, Si vous voulez aimer, prenez d'autres amours. AGRIPPA. Je ne sçaurois rien voir de plus aimable qu'elle. TIRRHENE. Regardez la Couronne, elle est encor plus belle. AGRIPPA. Je suis amant, Seigneur, & vous ambitieux, Et nous ne voyons pas avec les mesmes yeux. Le Sceptre que j'ay pris ne m'a jamais sceu plaire Qu'autant qu'à mon amour je l'ay cru necessaire : Mezence estoit amant, en mesme lieu que moy, Et pouvoit estre heureux s'il fût devenu Roy. TIRRHENE. Il garde encor ses feux, gardez le Diadesme. AGRIPPA. Mais sous le nom du Roy du moins soufrez que j'aime. TIRRHENE. Sous ce nom odieux vous serez mesprisé [87]. AGRIPPA. Ah ! qu'un mespris est doux, sous un nom supposé ! Caché sous les faux trais d'un Prince, où Lavinie Ne croit voir qu'un Tyran qui m'arracha la vie, Sa rigueur n'aura rien que de charmant pour moy, Ses dédains me seront des garants de sa foy. Comme assassin ensemble, & rival de moy-mesme, Son couroux me doit estre une faveur extreme, Et pour mieux m'exprimer sa tendresse, en ce jour, La haine servira d'interprette à l'amour. TIRRHENE. Hé bien, flattez vos feux de cette douceur vaine, Et perdant son amour joüissez de sa haine, Sondez jusqu'où pour vous son cœur est enflamé, Et sous un nom hay goustez l'heur d'estre aymé. J'ay d'importans secrets dont je vous doy instruire, Mais un long entretien icy nous pourroit nuire. Tirant le corps du Roy, sous vostre nom, des flots, A ses Manes errans je rendis le repos ; Je fis seul son Bucher, & ramassay sa cendre ; Et chacun dans mon deüil s'est si bien sceu mesprendre ; Que tous les factieux [88] trompez par mes regrets, Se sont ouverts à moy de leurs complots secrets. Pour nous revoir, feignez d'en vouloir à ma Teste, Avant la fin du jour commandez qu'on m'arreste ; Vous m'examinerez, & je prendray ce temps Pour vous dire le nom de tous les mescontens. Cependant contre moy, paroissez en furie, Dites que mes conseils ont fait fuir Lavinie, Menacez, & d'abord m'ordonnez en couroux, De n'aprocher jamais ny d'elle ny de vous. AGRIPPA. De ce que je vous doy faire si peu de conte ! TIRRHENE. Un mepris qui vous sert ne me peut faire honte : Je vous deffends moy-mesme icy de m'espargner ; Ma veritable gloire [89] est de vous voir regner. Fin du premier Acte. ## Acte II. ### Scène première. Albine, Julie. JULIE. Ce Palais n'est pour vous qu'un objet de tristesse. Pouvez-vous y rentrer ? ALBINE.         C'est pour voir la Princesse. L'amitié, tu le sçais, nous unit fortement, Au frere que je pers, elle perd un amant, Et meslant nos ennuis, qui par là s'adoucissent, Outre notre amitié, nos malheurs nous unissent. Mezence m'a trop tost contrainte à la quitter ; Et sentant aujourd'huy tous mes maux s'augmenter, J'en veux aller chez elle adoucir l'amertume. Mais la porte est fermée, & contre la coutume. JULIE. Peut-être, que le Roy de son deüil adverty, Est entré pour la voir, & qu'il n'est pas sorty. ALBINE. S'il est vray, je l'attens, & pleine de furie, Je veux luy reprocher sa lasche barbarie, Et dans l'ennuy mortel dont mon cœur est pressé, Luy demander raison du sang qu'il a versé. Je veux enfin : mais Dieux ! puis-je bien t'en instruire ? JULIE. Qui vous fait hesiter , craignez-vous de me dire Que vous le hayssez ? & qu'un couroux puissant … ALBINE. Pour dire que l'on hait [90] l'on n'hesite pas tant. JULIE. Le meurtrier d'un frere à qui le sang vous lie, Pourroit vous plaire encor ? ALBINE.         J'en ay bien peur, Julie : Et mon mal à tes yeux cherche à se découvrir, Afin que tes conseils m'aident à m'en guérir. L'ingrat ! qu'il me fut doux autrefois [91] de luy plaire ! JULIE. Songez que maintenant il vous prive d'un frere. ALBINE. Il m'oste beaucoup plus encor que tu ne crois ; Il m'a ravy mon frere, & son cœur, à la fois. Depuis le coup fatal dont mon Pere l'accuse, Je n'ay point de sa part receu la moindre excuse, L'ingrat pour m'appaiser, n'a pris aucun soucy, Et si mon frere est mort, son amour l'est aussi. JULIE. Vous ne devez pleurer qu'un frere plein de gloire. ALBINE. Il m'estoit cher, Julie, & plus qu'on ne peut croire. Pour un frere jamais le sang avec chaleur, Ne mit tant de tendresse en l'âme d'une sœur, Et la nature exprès, pour me le rendre aymable, Sçeut mesme à mon Amant le former tout semblable. Je l'aymois cherement, & sensible à son sort, J'offre encor tous les jours des larmes à sa mort ; Mais l'Amant que je pers n'ayant que trop de charmes, Mon frere, à dire vray n'a pas toutes mes larmes, Et son Tiran encor trop cher à mes désirs, Luy desrobe en secret beaucoup de mes soupirs. J'ay beau les refuser à cét Amant si lache, Quand j'en donne au devoir, le dépit [92] m'en arrache : Et l'amour, malgré moy, meslé dans mes douleurs, Partage, avec le sang, mes soupirs & mes pleurs. JULIE. Rappellez, pour hair cet assassin d'un frere, Ce que de ses fureurs [93] raconte vostre Pere. ALBINE. Mon Pere à le haïr tâche de m'animer ; Mais luy mesme autrefois m'ordonna de l'aymer. Si j'ayme injustement, j'aimay d'abord sans crime, J'en receus de sa bouche un ordre legitime, Et d'ordinaire on sçait beaucoup mieux obeïr, Lorsqu'il s'agit d'aymer que lorsqu'il faut haïr. Je l'aimay par devoir, je l'ayme par coutume : Et dés qu'on a soufert qu'un premier s'allume, Julie, on s'aperçoit qu'il est si doux d'aymer, Qu'on peut malaisément s'en desacoutumer. JULIE. Je n'ose avoir pour vous l'injuste complaisance, D'excuser laschement un feu qui vous offence, Ce seroit vous trahir que vouloir vous flatter. ALBINE. Je ne t'ay dit mon mal que pour y resister, Et seule estant trop foible à combattre ma flame, J'appelle tes conseils au secours de mon ame. JULIE. Pour fuir ce feu funeste, & trop honteux pour vous, Il faut… ALBINE.         N'acheve pas, mon Pere vient à nous. ### Scene II. Tirrhene, Albine, Julie. TIRRHENE. O dure tirannie ! ô rigueur inhumaine ! Viens prendre part, Albine, à l'excez de ma peine. ALBINE. Qui peut causer, Seigneur [94], le trouble où je vous voy ? TIRRHENE. Un outrage nouveau que j'ay receu du Roy. Mais, Julie, observez si l'on peut nous entendre, Sans plainte & sans transports je ne puis te l'aprendre, Et pour perdre les siens, si tost qu'il [95] l'entreprend, La plainte la plus juste est un crime assez grand. Lavinie a tantost refusé sa visite ; Et croyant, qu'en secret, contre luy je l'irrite, Si j'ose la revoir, il vient de m'assurer, Qu'à perir aussi-tost, je dois me preparer. Sa fureur cherche encor à me joindre à ton frere, Tout le sang de mon fils ne l'a pû satisfaire, Et la soif qu'il en a ne se peut appaiser, Si jusques dans sa source il ne vient l'espuiser. Ce n'est pas que la vie ait pour moy quelques charmes, Je n'ouvre plus les yeux que pour verser des larmes ; Mais te voyant encor, & jeune, & sans secours, Je doy prendre pour toy quelques soins de mes jours. ALBINE. Puis qu'on ne vous deffend que de voir Lavinie, Daignez donc prendre encor ce soin pour vostre vie ; Ou si vous la voyez, engagez la, Seigneur, A voir du moins le Roy pour calmer sa fureur, Et de peur que sur vous, sa cruauté n'esclatte, Par quelques faux respects soufrez qu'elle le flatte. TIRRHENE. Tu veux que je l'engage à flatter son amour ! ALBINE. Son amour ! TIRRHENE.         Ce secret enfin paroist au jour. Il vouloit aborder la Princesse sans suitte ; Et brulant de depit de voir qu'elle l'evite, Dans son premier transport il ne m'a pû cacher, Que pour elle en secret l'amour l'a sceu toucher ; Qu'il n'immola mon fils qu'à cette ardeur couverte, Que sur leur ressemblance il pretexta sa perte, Mais que ce fut l'amour qui seul luy fut fatal, Et qu'il ne le perdit que comme son Rival. Veux-tu me voir servir, aupres de Lavinie, Un feu qui de ton frere a fait trancher la vie, Et mettre enfin, de peur de le suivre au Tombeau, Le cœur de sa Maitresse aux mains de son boureau [96] ! ALBINE. Non, cette lacheté, Seigneur, seroit infame ; Opposez vous plustost à cette indigne flame, Irritez Lavinie, & tâchez aujourd'huy, De redoubler encor l'horreur qu'elle a pour luy. TIRRHENE. C'est aussi maintenant le soucy qui me presse. ALBINE. Mais c'est vous exposer que de voir la Princesse ; Le Tiran vous perdra, s'il vient à le sçavoir, Et sans aucun peril je puis encor la voir. Laissez moy tout le soin d'animer son courage. TIRRHENE. Va donc, parle, agis, presse ; & mets tout en usage Pour nuire à ce Barbare, & le faire haïr. ALBINE. Je vous respons [97], Seigneur, de vous bien obeïr [98]. Ouy, Julie, en effet je vais me satisfaire, Et servir à la fois mon depit, & mon pere, Si la Princesse en croit mon violent transport… Mais on ouvre chez elle, & je la voy qui sort. ### Scene III. Lavinie, Albine, Camille, Julie. LAVINIE. J'allois vous voir, Albine, & confuse & troublée, Vous dire un nouveau mal dont je suis accablée. Le fier Tiberinus contre moy declaré, Soüillé qu'il est du sang d'un Heros adoré, Par une cruauté qui toujours continuë, Veut encor m'exposer à l'horreur de sa vuë. ALBINE. Sa fureur va plus loin que d'offrir à vos yeux, Le bras qui fit couler un sang si precieux : Il porte plus avant son injuste extreme. LAVINIE. Que peut-il faire plus le Barbare ? ALBINE.         Il vous aime. LAVINIE. Ah ! de quel coup affreux frappez-vous [99] mes esprits ! ALBINE. Mon pere qui l'a sceu me l'a luy-mesme apris ; Et sans un ordre exprés de fuir vostre presence, Il vous en eust donné la fatale asseurance. Ce feu perdit mon frere, & luy cousta le jour. LAVINIE. Helas ! luy-mesme, Albine, ignoroit mon amour. Tousjours, un fier orgueil, tant qu'a vescu ton [100] frere, S'il m'a permis d'aymer, m'a contrainte à le taire, J'ay caché tous mes feux avec des soins trop grands… ALBINE. Ah ! qu'un Rival jaloux à les yeux penetrans ! Il aura, malgré vous, esclairé par sa flame, Surpris dans vos regars, le secret de vostre Ame, Et si dans le Tombeau mon Frere est descendu, C'est pour l'avoir aymé, que vous l'avez perdu. Cette flame fatale aujourd'huy découverte, Vous coustant vostre Amant, vous charge de sa perte ; Et pour trancher ses jours, cét Amour odieux Fut un foudre mortel allumé par vos yeux. Le Tiran, à se feux donnant cette victime, Vous a sceu malgré vous, engager dans son crime, Et perdant ce Heros par un jaloux transport, A rendu vostre amour complice de sa mort [101]. LAVINIE. A ce penser horrible, à cette affreuse Image, Vous me voyez fremir & d'horreur, & de rage. Ah Barbare ! ah Tiran ! tremble, & crains ma fureur. ALBINE. Vous ne sçauriez pour luy, concevoir trop d'horreur. Il est digne en effect de toute vostre haine. Ouy, pour cét inhumain rendez-vous inhumaine. Vostre colere est juste, & loin d'y resister, Contre un si lasche amant j'ayme à vous irriter : Puisque son crime vient de l'amour qui l'anime, Faites son chastiment de ce qui fit son crime ; D'un eternel mespris payant ses cruels vœux, De l'autheur de vos maux faites un mal-heureux. Vostre vengeance est seure & dépend de vous même ; Pour punir ce Tiran il suffit qu'il vous ayme, Et l'amour dont son Cœur suit l'empire aujourd'huy, Est du moins un Tiran aussi cruel que luy. LAVINIE. Ce n'est pas où je veux que ma haine en demeure, Elle ira bien plus loin, Albine, il faut qu'il meure. Le sang qu'il a versé demande tout le sien, Si je respire encor, c'est pour ce dernier bien. Apres mon Amant mort [102], il m'est honteux de vivre, Mon Cœur dans le tombeau tarde trop à le suivre ; Mais je luy doy vengeance, & mon cœur affligé N'ose le suivre encor qu'apres l'avoir vengé. Le Tiran de retour à mes fureurs se livre, Au bien qu'il m'a fait perdre, il a sceu trop survivre ; Et si mes vœux ardents sont exaucez des Dieux, Ce jour est le dernier qui doit luyre à ses yeux. Je brule dans sa mort de gouster l'avantage… Mais quel soudain effroy paroist sur ton [103] visage ? ALBINE. Je tremble des perils où vous semblez courir. LAVINIE. Quoyque que puisse un Tiran, du moins il peut mourir. L'Amour au desespoir ne void rien d'impossible. Tiberinus n'a pas un cœur inaccessible ; Tant de bras contre luy s'uniront avec moy, Qu'il ne te doit rester aucun sujet d'effroy [104]. J'ay fait des Partisans, Mezence est temeraire, Et pour servir ma haine ayme assez à me plaire. Fais que de son costé, ton Pere prenne soin De tenir ses amis preparez au besoin. Mais le Roy va passer. Les gardes paroissent. ALBINE.         Evitez ce Barbare. Lavinie rentre & Albine continuë. L'ingrat merite assez le sort qu'on luy prepare, Et toutefois… JULIE.         Songez vous mesme à l'eviter, Il vient. ALBINE.         Si je le voy, c'est pour mieux m'irriter. ### Scene IV. Agrippa, Albine, Julie, suitte. AGRIPPA. Le sort m'offre un bonheur où je n'osois pretendre, Je sçay quels sentimens pour moy vous devez prendre, Madame, & j'avoüeray que le bien de vous voir, Estoit une douceur qui passoit mon espoir. ALBINE. Il n'est pas mal-aisé de connoistre à mes larmes, Ce qu'au bien de me voir vos yeux trouvent de charmes : Et d'un frere meurtry [105] tout le sang épanché Montre à quel poinct pour moy, vôtre cœur est touché. AGRIPPA. Je ne suis point surpris de voir vostre colere, Je vous ay fait outrage en vous ostant un frere ; De ses traits & des miens le merveilleux [106] raport Ne sçauroient envers vous justifier sa mort ; Tout ce que d'une erreur on avoit lieu de craindre, Ny l'interest d'Estat… ALBINE.         Non, non, cessez de feindre. Je sçay quel interest fut en vous le plus fort ; L'Estat moins que l'amour eut part à cette mort ; Et vous sacrifiant cette illustre victime, L'Estat fit le pretexte, & l'amour fit le crime. Vos feux pour Lavinie armerent vostre bras. AGRIPPA. Je voy qu'on vous l'a dit, & ne m'en deffens pas ; Aussi bien, si j'en croy le sang qui vous anime, Pretendre à vostre cœur seroit un nouveau crime ; Et tout ce qu'a l'amour d'innocent & de doux, N'auroient rien desormais, que d'affreux parmy nous. ALBINE. J'ay dû peu m'étonner que vostre ame inhumaine, Pour se donner ailleurs m'ait pû quitter sans peine ; Vous trouvastes d'abord dans ce change fatal, Un grand crime à commettre en perdant un Rival, Et n'eussiez eû jamais, ne cherchant qu'à me plaire, De Rivaux à détruire, & de crimes à faire. De vôtre amour pour moy, vous fustes rebuté Par le trop d'innocence, & de facilité ; Vous ne pouviez m'aymer que d'un feu légitime ; Mais rien ne vous est doux, s'il ne vous coûte un crime Et vôtre ame aux forfaits unie estroitement, Se fut fait trop d'effort d'aymer innocemment. AGRIPPA. Esclattez, & traittez mon feu pour Lavinie, De noire trahison, de lasche Tyrannie, Nommez moy criminel d'adorer ses apas, Le crime en est si beau, que je n'en rougis pas. Mon cœur se treuve exempt, dans des flâmes si belles, Des remors attachez aux flâmes criminelles, Et quoy qu'auparavent noircy de trahison, Mon amour, est en paix, avecque ma Raison. ALBINE. L'absence des remors est, dans un cœur coupable, D'unTyran achevé la marque indubitable, Et c'est où peut monter la dernière fureur D'estre au comble du crime, & n'en voir plus l'horreur. Apres les noirs forfaits que cet amour vous couste, Vostre ame doit fremir de la paix qu'elle gouste. Tant qu'un remords demeure en l'ame d'un meschant, Il a vers l'innocence encore quelque penchant [107] ; C'est toûjours dans un cœur où la fureur domine, De la vertu bannie un reste de racine, Mais ce reste est destruit quand on est sans combas Et l'on ne guerit point d'un mal qu'on ne sent pas. AGRIPPA. Si la perte d'un frere est tout ce qui vous blesse, Vous n'aurez rien perdu que vôtre douleur cesse ; Je vous offre en moy-mesme un frere plein d'ardeur ; Vous aurez mon estime au deffaut de mon cœur. ALBINE. Vôtre estime ? ah du moins, distes moy par quel crime, J'ay pû la meriter cette honteuse estime ? Et puis que les forfaits ont pour vous tant d'apas, Dequoy [108] m'accusez vous pour ne me haïr pas ? Pour m'offrir un barbare, un Tyran pour mon frere ? AGRIPPA. Mon estime s'augmente avec vôtre colere : Et, quelqu'indignité qu'il m'en faille souffrir, Loin de m'en irriter je m'en sens attendrir. Le sang fait plus en vous, que je ne l'osois croire ; J'ay mesme, je l'avoue, eû peur, pour vostre gloire : Il m'a semblé, d'abord, qu'un peu d'émotion A trahy dans vos yeux vôtre indignation, Et qu'encor, à ma veuë, un vieux reste de flame S'est, à travers la haine, eschapé de vôtre ame. ALBINE. Je n'ay pour vous qu'horreur, n'en doutez nullement, Si mes yeux ont osé vous parler autrement, S'ils ont rien avancé [109] dont vôtre orgüeil se louë, Ce sont des imposteurs que mon cœur desavouë. Ce cœur, fut, pour ma honte, offert à vos souhaits ; Mais la mort d'Agrippa vous l'osta pour jamais, Si tost que vos fureurs eurent coupé sa trame, L'Amour, tout indigné, s'arracha de mon ame. La Nature outragée en vint en briser les nœuds, Et dans le sang d'un frere, esteignit tous mes feux. Peut-estre, qu'en effet, vôtre premiere veuë A surpris, dans mes yeux, mon ame encore esmeuë ; Mais, sçachez que la haine, agissant à son tour A ses émotions, aussi bien que l'amour : Que l'abord odieux du Tyran qui m'outrage A pû d'un frere mort me retracer l'image, Et qu'il est naturel, que le sang offencé S'esmeuve en approchant du bras qui l'a versé. AGRIPPA. Je n'inviteray point vôtre haine à s'éteindre ; Ces mouvemens du sang, sont trop beaux pour m'en plaindre, Et vôtre cœur par eux, se montre esgalement, Digne d'un frere illustre, et d'un illustre amant. Apres ce que pour vous j'ay conceu de tendresse, Dans vostre gloire encor mon ame s'interesse, Vous devez me haïr, & j'aurois peine à voir, Qu'un cœur qui me fut cher soûtint mal son devoir. Je veux mesme vous fuïr, de crainte que ma veuë N'altere dans ce cœur la haine qui m'est deuë, Et qu'au fonds de vôtre ame, un charme encor [110] trop doux, N'excite rien pour moy qui soit honteux pour vous. Je sçay bien qu'une offence irrite un grand courage, On s'arrache à l'amour quand ce qu'on aime outrage ; Mais tant qu'on se peut voir, l'amour a des retours Où tout cœur court hazard de retomber toûjours. Je veux en m'éloignant vous sauver cette peine, Et mettre en seureté l'honneur de vôtre haine. ### Scene V. Albine, Julie ALBINE. Pour te faire haïr, va ne prens aucun soin, Graces à tes forfaits, tu n'en a plus besoin. Ne crains plus mon amour, Tyran, crains ma vengeance ; Croy que j'en veux encore à ton cœur qui m'offence, Non plus pour l'attendrir, mais pour le déchirer, Et goûter la douceur de le voir expirer. Ah ! Julie, à ce coup, je sens mourir ma flame [111], C'en est fait, le dépit l'estouffe dans mon ame, Et ce que j'eus de feux ne sert plus seulement, Qu'à grossir les ardeurs de mon ressentiment. Le Tyran me fait grace en me trouvant sans charmes, Je ne veux plus de luy de soûpirs ny de larmes, C'est à verser son sang que tendent tous mes vœux, Et ses derniers soûpirs, sont les seuls que je veux. Allons prester nos soins pour hâter son suplice, Mon frere & mon dépit veulent ce sacrifice ; Et le sang, & l'amour, à la fois outragez, Sont trop forts, estants joints, pour n'étre pas vangez. Fin du second Acte. ## Acte III. ### Scene I. Fauste, Mezence FAUSTE. Quoy ! tant de mécontens qui s'offrent dans l'armée Dont la valeur paroist du repos allarmée, Et dont les bras hardis sont mal accoustumés A se voir par la paix oisifs & des-armés, Joints aux secrets amis dont pour vous Albe est pleine, Tous, pour vos interests prests d'éclater sans peine, N'éveillent point en vous l'ambitieuse ardeur Qui jadis pour le trône animoit vostre cœur ? MEZENCE. Fauste, je suis amant, & depuis qu'on soûpire, A peine à l'amour seul tout un cœur peut suffire, Et cette impetueuse & fiere passion A du mien malgré moy chassé l'ambition. Pour m'élever au Thrône, avant que la Princesse M'eut forcé de me rendre au beau traict [112] qui me blesse, La honte d'obeïr, & l'ardeur de regner M'eut fait tout entreprendre & ne rien épargner ; J'eusse aux derniers forfaits abandonné mon ame : Mais, depuis que ses feux ont allumé ma flame, Mon cœur purifié par leurs feux tout-puissants N'a plus formé que des vœux innocens : Tout mon bon-heur depend du cœur de ce que j'aime, Et s'il pouvoit se rendre à mon amour extreme, Je ne changerois pas un bien si precieux, Pour la felicité ny des Rois, ny des Dieux. FAUSTE. Le Roy vient vers l'endroit où loge la Princesse. MEZENCE. Il s'arreste en resvant, quelque soucy le presse. ### Scene II. Agrippa, Atys, Mezence, Fauste. MEZENCE. Sans paroistre indiscret puis-je estre curieux, Seigneur ? Quel noir chagrin [113] se monstre dans vos yeux ? Tout conspire [114] à l'envy [115] pour remplir vôtre attente, Vous revenés vainqueur d'une guerre sanglante, Et ramenés ensemble au gré de vos desirs La Victoire [116] & la Paix, l'Honneur & les Plaisirs [117]. Dans un destin si beau quelle humeur sombre & noire, Ose aller jusqu'à vous à travers tant de gloire ? Où trouvés vous encore à former des souhaits ? Et qui peut vous troubler dans le sein de la Paix ? AGRIPPA. Tout paroist en effect m'applaudir sur la terre, Je reviens glorieux d'une sanglante guerre, Après d'heureux exploicts j'ay fini nos combats, Tout est tranquile icy, mais mon cœur ne l'est pas. Je ne sçaurois joüir du repos que je donne, Rarement on le gouste avec une Couronne, Et le calme qu'on trouve apres d'heureux exploits, Est fait pour les Sujets, & non pas pour les Rois. MEZENCE. Les Rois heureux n'ont pas des soucis sans relache, La fortune sans cesse à tous vos voeux s'attache, Et tout exprés pour vous, sans jamais se lasser, A sa propre inconstance a semblé renoncer. AGRIPPA. Il est vray, jusqu'icy la Fortune constante A prevenu mes vœux & passé [118] mon attente : Mais la Fortune seule a t-elle entre ses mains Dequoy pouvoir remplir tous les voeux des humains ? Nous sommes dépendans par des loix éternelles De deux Divinités aveugles & cruelles ; On les voit rarement nous flater tout à tour, Et seur de la Fortune, on doit craindre l'Amour. MEZENCE. Je suis surpris qu'Albine encor puisse vous plaire, Elle dont vous avés sacrifié le Frere. AGRIPPA. Mon amour vient d'ailleurs, & vous l'ayant appris Je m'attens à vous voir encore plus surpris ; Ma flame pour Albine est pour jamais finie, Mais, pour vous dire tout, j'ayme enfin [119] Lavinie. MEZENCE. Lavinie ! AGRIPPA.         A ce mot j'entends vostre douleur, Je connoy que ce coup vous perce jusqu'au cœur, J'entends tous vos soupirs se plaindre de ma flame ; Je sçay que Lavinie a sçeu charmer vôtre ame, J'ay regret de l'aymer quand vous l'aimés aussi, Mais il plaist à l'Amour d'en ordonner ainsi. MEZENCE. Malgré l'ennuy profond que je vous fais paroistre, Et dont tout mon respect est à peine le Maistre, Je sçay qu'en ma faveur je ne pourrois qu'à tort Pretendre que mon Roy se fist le moindre effort. Je ne vous feray point de plaintes indiscrettes [120], Je sçay trop qui je suis, je sçay trop qui vous estes, Et ce que la hauteur du rang où je me voy Laisse encore de distance entre un Monarque & moy. Quoy que je sois sorty du sang qui vous fit naistre, Je suis toûjours sujet, quoy qu'enfin je puisse estre ; Et les fronts couronnés dans leur sort glorieux, N'ont pour leurs vrais parens que les Rois ou [121] les Dieux. Le sang n'est entre nous qu'une chaîne imparfaite Qui rend ma dépendance encore plus étraitte, Et le thrône est si haut, Seigneur, qu'aupres des Rois La Nature est sujette & le sang est dans sans droits. Ce n'est donc pas pour moy qu'il faut que je vous presse D'étouffer, s'il se peut, vos feux pour la Princesse, Et si j'ose en parler, je ne vous diray rien Que pour vostre interest sans regarder le mien. Daignés vous épargner l'indignité cruelle De voir payer vos soins d'une horreur éternelle. L'amant de la Princesse immolé par vos coups Vous a fait pour jamais l'objet de son courroux ; Pour vous en faire aymer vostre puissance est vaine, Son ame n'est pour vous capable que de haine, Et c'est souffrir, Seigneur, mille maux tour à tour, D'exciter de la haine où l'on prend de l'amour. La rigueur dont l'ingratte a payé ma constance M'en a fait faire assés la triste experience, Et d'un feu si fatal vous serés peu tenté, Si vous considerés ce qu'il m'en a cousté. AGRIPPA. La rigueur où pour vous la Princesse se porte Loin de me rebutter rend ma flame plus forte ; Forcé de soupirer il doit m'estre bien doux Que ce soit pour un cœur qui ne puisse estre à vous. C'est un bien où mon ame est d'autan plus sensible, Que pour vous la conqueste en paroist impossible, Plus je vous voy hay, plus je suis enflammé, Et n'aymerois pas tant si vous estiés aymé. MEZENCE. Mais sa rigueur pour vous est encor plus certaine ; Vous ne vaincrés jamais les fureurs de sa haine, Et jamais un grand Roy par la gloire animé Ne doit paroistre amant s'il n'est seur d'estre aymé. Il est de la grandeur de vostre rang supreme De menager en vous l'honneur du Diademe, Et de n'exposer pas par d'inutiles vœux La majesté du trône à des mepris honteux. AGRIPPA. Je connois sur ce point tout ce que doy croire ; Ne craignés rien pour moy j'auray soin de ma gloire, Et l'honneur de mon rang dans mes vœux empressés Ne court pas un peril si grand que vous pensés. La Princesse me hait, mais il est peu de haines Qui ne se laissent vaincre aux grandeurs souveraines, Et le sceptre en mes mains peut estre assés charmant, Pour luy faire oublier tout le sang d'un amant. MEZENCE. Ah ! ne vous flattés point d'une si vaine attente, Seigneur, pour Agrippa son ame est trop constante, Et dans son cœur pour vous à la haine obstiné Cét amant quoy que mort est trop enraciné. Vouloir l'en arracher c'est tenter l'impossible ; C'est l'objet de tendresse où seul elle est sensible, Et vous ne sçauriés croire à quel ardent couroux Un sang si precieux l'anime contre vous. Vostre couronne encor fut elle plus charmante, Teint d'un sang si chery tout de vous l'épouvante, A vostre nom ses yeux sont de rage allumés, Et sa fureur est telle… AGRIPPA.         Ah ! que vous me charmés ! Qu'il m'est doux de trouver tant de fermeté d'ame, Tant d'amour, tant de foy, dans l'objet de ma flame ! Et de voir que l'amour en m'imposant des loix Ayt pris soin de me faire un si glorieux choix ! Ah ! Prince ! que d'un cœur si tendre & si fidelle La conqueste doit estre precieuse & belle ! Et qu'un si rare prix sous l'amoureuse loy Est digne d'occuper tous les vœux d'un grand Roy ! MEZENCE. Mais songés vous qu'un cœur si fidelle & si tendre Est un prix que jamais vous ne pouvés pretendre ? Que vos feux vont encor redoubler sa fureur ? Qu'en vain… AGRIPPA.         Que j'ay pitié, Prince, de vostre erreur ! L'espoir de voir sur moy tomber toute sa haine Flatte déjà sans doute en secret vostre peine, Et vous fait presumer que son cœur en courroux En s'aigrissant [122] pour moy s'adoucira pour vous. Mais sçachés qu'à mon gré je puis m'en rendre [123] maître, Que pour le devenir je n'ay qu'à vouloir l'estre, Que j'ay des moyens seurs d'obtenir tant d'appas, Et ne vous reponds point de ne m'en servir pas. Pour vous épargner, Prince, une vaine esperance, Ma pitié se hazarde à cette confidence ; Et pour vos bons avis offerts à mon amour, J'ay crû vous en devoir quelque chose à mon tour. ### Scene III. Mezence, Fauste. MEZENCE. Fauste, as tu bien compris jusqu'où va ma disgrace ? Et le barbare effort [124] dont le Roy me menace ? FAUSTE. Il en dit trop, Seigneur, à ne vous point flatter [125], Pour nous laisser encor quelque lieu d'en douter : Il ne vous a donné que trop connoissance [126] Qu'il pretend se servir de toute sa puissance, Contraindre la Princesse à luy donner la main, Et faire agir la force où l'amour seroit vain, Vos feux vont recevoir cette atteinte cruelle : Mais la Princesse sort, je vous laisse avec elle. ### Scene IV. Lavinie, Mezence. LAVINIE. Vous a [127]-t'on dit, Seigneur, mes nouveaux deplaisirs ? Sçavés vous qu'un Tyran m'ose offrir ses soupirs ? Et que mes tristes yeux, pour comble de misere, Au plus lâche des cœurs ont la honte de plaire ? MEZENCE. Helas ! je sçay bien plus, je sçay que malgré vous Ce fier Rival pretend devenir vostre époux. LAVINIE. Le barbare ! ah, Seigneur ! s'il est vray que sans feinte Pour moy d'un pur amour vostre ame soit atteinte, M'abandonnerés vous dans cét estat fatal Aux attentats affreux d'un si cruel Rival ? MEZENCE. Quoy que ce pur amour où je suis si sensible N'ayt jamais eu pour prix qu'une haine invincible, Il ne balance point, & pour vous secourir Aux plus mortels dangers il est prest à courir. Commandés seulement. LAVINIE.         Cette entreprise est grande ; C'est la mort du Tyran enfin que je demande ; Vous hesités ! & bien ; ne me secourés pas, Je sçauray bien sans vous braver ses attentats : Pour eviter sa rage, & fuïr sa tyrannie, Je sçay trop au besoin comme on sort de la vie, Et contre les Tyrans qui voudront m'attaquer La mort est un secours qui ne peut me manquer [128]. MEZENCE. Ah [129] ! plustost mille fois, vivés, belle inhumaine Au prix fatal du sang qu'exige vostre haine, Du moins à son déffaut vous aurés tout le mien, Et je suis trop à vous pour vous refuser rien. Si j'hesite d'abord [130] d'immoler une vie A qui le sang m'attache & le devoir me lie, C'est bien le moins qu'ont dû ce sang & ce devoir Que de ne ceder pas d'abord sans s'émouvoir. Mais en vain à l'effort où mon cœur se dispose Des droits les plus sacrés la puissance s'oppose [131], Il n'est rien sur mon cœur de si puissant que vous, Et les droits de l'amour sont les premiers de tous. LAVINIE. Ah ! que de cette mort l'agreable promesse Flatte [132] déjà ma haine & suspend ma tristesse ! J'ay fuy toûjours vos soins, mais ce bien m'est si doux, Que je consens, sans peine, à le tenir de vous. Non pas pour le peril dont ce coup me degage Je crains peu du Tyran ny l'amour, ny la rage, Je vous l'ay déjà dit, quoy qu'il puisse attenter, Qui ne craint pas la mort n'a rien à redouter, Vanger l'illustre amant dont j'adore la cendre Est toute la douceur que j'en ose pretendre, Et luy pouvoir donner du sang apres mes pleurs Est l'unique avantage où tendent mes douleurs. Tous mes vœux sont comblés, si j'ay l'heur que j'espere D'offrir cette victime à cette ombre si chere, Et si je puis gouster le plaisir infiny De voir sa mort vangée & son Tyran puny. C'est un grand bien encor dans un malheur extréme De perdre ce qu'on hait, & vanger ce qu'on ayme, La fureur assouvie a du charme à son tour, Et la vangeance est douce au deffaut de l'amour. MEZENCE. Je vous entends, Madame, il faut toûjours m'attendre A me voir mépriser pour un Rival en cendre, Et vous offrant mon bras vous avés déjà peur Que quelque espoir leger n'ose flatter mon cœur. Hé bien, cruelle, & bien, je prens vostre deffense Sans exiger de vous aucune recompense, Mon cœur depuis le temps qu'il a pû vous aymer A servir sans espoir a dû s'accoustumer. Ce n'est pas peu pour moy que l'ingratte que j'ayme Fie au moins sa vangeance à mon amour extréme, Et qu'elle engage enfin son insensible cœur A former une fois des voeux en ma faveur. Le plus mauvais succés n'a rien qui m'epouvante, Vous m'allés voir perir ou remplir vostre attente, Et mon sort, quel qu'il soit, ne peut estre que doux, Par l'heur de vous servir, ou de perir pour vous. Je cours de mes amis solliciter le zele. LAVINIE. Gardés de vous fier à quelque ame infidelle ; Sur tout asseurés vous Tirrhene [133] qui paroit, Au coup que je demande il doit prendre interest ; Mais ma veuë en ces lieux empesche qu'il n'avance, L'ordre expres du Tyran luy deffend ma presence, Et je vous laisse seuls resoudre des moyens De combler promptement tous mes vœux & les siens. ### Scene V. Tirrhene, Mezence. MEZENCE. Venés sçavoir [134] pour vous combien on s'interesse, Et quel remede on cherche à l'ennuy qui vous presse. TIRRHENE. En est-il pour les maux où l'on me voit plongé ? Mon fils peut-il revivre ? MEZENCE.         Il peut estre vangé : La mort du Roy cruel qui termina sa vie Fait sans doute aujourd'huy vostre plus chere envie, Et je viens vous promettre en secondant vos coups. Tout ce que la vangeance eut jamais de plus doux. TIRRHENE. Vous, Seigneur, sur le Roy vous pourriés entreprendre ? MEZENCE. Pensés vous que je feigne afin de vous surprendre ? N'avés vous [135] pas appris qu'il me veut arracher L'aymable & seul objet qui seul m'a pû toucher ? Et ne sçavés vous pas quand l'amour est extréme Qu'on perd tout mille fois plustost que ce qu'on aime ? TIRRHENE. Je condamne avec vous vostre injuste Rival, Et cét indigne amour luy doit estre fatal : Mais se peut-il, Seigneur, estant fils de son frere Que l'amour force en vous la nature à se taire ? Ne pourra-t'elle rien sur vostre ame à son tour ? MEZENCE. Et que peut la Nature opposée à l'Amour ? Je ne sens plus les noeuds par qui le sang nous lie ; Et dés que la Princesse a demandé sa vie, A peine ay-je un moment senty fremir mon cœur, Tant le nom de Rival traîne avec luy d'horreur. Son ordre exprés m'engage & veut ce sacrifice, Quelque devoir qu'il blesse il faut que j'obeïsse, Et ne dépendant plus que de son seul pouvoir Son ordre me tient lieu du plus sacré devoir : Quand ce qu'on ayme ordonne et presse d'entreprendre, En vain la voix du sang tâche à se faire entendre ; L'objet aimé peut tout sur quiconque ayme bien, Et dés que l'amour parle on n'écoute plus rien. TIRRHENE. Le peril qui suivroit l'entreprise avortée, La peur de la voir sçeue ou mal executée, La vengeance [136] d'un Roy qui sçait peu pardonner, Forceront vostre cœur peut-estre à s'étonner. MEZENCE [137]. Non, non, ne craignés point qu'aucun danger m'étonne, Et me force à trahir l'espoir que je vous donne ; Un objet trop puissant m'engage à ce trépas, J'en voy tous les perils, & ne m'en emeus pas : La crainte dans mon cœur ne sçauroit trouver place, Et le Dieu qui l'occupe est un Dieu plein d'audace. TIRRHENE. Je vous laisse à juger dans des desseins si grands, L'effort que je doy faire, & la part que j'y prens : Mais, Seigneur, comme aux Rois on ne peut faire outrage Sans s'attaquer aux Dieux dans leur plus noble image, Peut-estre que l'horreur qui suit ces attentats Prés du coup malgré vous retiendra vostre bras. Si vous meprisés tout du costé de la Terre, Peut-estre craindrés vous les éclats du tonnerre ; Les plus grands criminels s'en treuvent efrayés. MEZENCE. Les criminels toûjours ne sont pas foudroyés ; Quand le Ciel en courroux gronde contre la Terre, C'est sur les malheureux que tombe le Tonnerre, Et souvent, quand les Dieux le lancent avec bruit, Au sortir de leurs mains le Hazard le conduit. Mais quand, pour me punir du crime où je m'appréte, Tout le Ciel ébranlé menaceroit ma teste, Quand tous les Dieux vangeurs à ma perte animez Feroient gronder sur moy leurs foudres allumez, S'agissant de servir cette beauté charmante, Soyez seurs qu'en effet, ny la foudre grondante Ny tous les Dieux vangeurs armez pour mon trépas, Ny le Ciel ébranlé ne m'ébranleroient pas. Conduisez seulement ce que j'ose entreprendre, Faites voir l'interest qu'un Fils vous y fait prendre. TIRRHENE. Si vous pouviez sçavoir, Seigneur, jusqu'à quel poinct Cét interest me touche… MEZENCE.         Ah ! je n'en doute point ; J'ay bien crû que c'estoit vous faire vive injustice Que vous refuser part à ce grand sacrifice ; Et que je ne pouvois, pour conduire mes coups, Me confier icy plus seurement qu'à vous. TIRRHENE. Je doy tout, je l'avouë, à cette confiance, Vous relevez par là ma plus chere esperance, Et m'auriez fait un tort qui m'eut desesperé, Si, sans m'en avertir, vous eussiez conspiré. MEZENCE. Decidez donc de l'heure & du lieu qu'il faut prendre, J'ay des amis puissans & tous prests d'entreprendre, Qui dés mon premier ordre oseront tout tenter. TIRRHENE. Ah ! sur tout gardez vous de rien precipiter. Le Roy s'est fait icy suivre par son armée, Le Fort est bien gardé, la ville est enfermée, Et si le dessein manque, ou s'il est découvert, Nul espoir de salut ne peut nous estre offert. Ce peril de plusieurs peut estonner le zele, Et parmy nos amis nous faire quelque infidelle, Cet obstacle en ces lieux ne sera pas toûjours, Et l'armée au plustost doit partir dans six jours. Nos conjurez alors les plus forts dans la place Voyant moins de peril en prendront plus d'audace. Un grand dessein dépend d'en bien choisir le temps. MEZENCE. Puisque c'est vostre advis, differons, j'y consens, L'entreprise vous touche, & vostre experience Doit icy prevaloir sur mon impatience : Nous tiendrons cependant mes amis preparez ; Je vay mander les miens, & vous en jugerez : J'attens tout de vos soins, c'est en eux que j'espere [138]. TIRRHENE. Ah, Seigneur ! pour un fils que ne fait point un pere ! Pour peu que par le Ciel mes soins soient secondez, Ils pourront faire encore plus que vous n'attendez. Fin du troisième Acte. ## Acte IV. ### Scene I. Lavinie, Mezence LAVINIE. Quel malheur impreveu venez vous de m'apprendre ! Tirrhene est arresté ! MEZENCE.         Ce coup vous doit surprendre. Ainsi que vous, Madame, il m'a beaucoup surpris. J'attendois tout du Pere allant venger le fils ; J'avois fondé sur luy ma plus forte esperance. Il a beaucoup d'amis, de cœur, d'experience ; Il avoit desja veu mes partisans secrets ; Les avoit exortez à se tenir tous prests ; Et chacun, à l'envy, jurant d'estre fidelle, Avoit pris à l'entendre une audace nouvelle : Lors qu'Atis l'ayant veu qui sortait de chez moy, Est venu l'arrester, par les ordres du Roy. LAVINIE. Jamais un prompt secours ne fut plus necessaire. Du sang de mon Amant, ce barbare s'altere : Et veut en perdre encor, d'un courroux obstiné, Jusqu'aux veines du Pere, un reste infortuné. Courez precipiter, sans que rien vous arreste, La perte du Tyran pour sauver cette Teste ; Prevenez, par vos coups, un coup si plein d'horreur, Et dérobez, du moins, ce crime à sa fureur. Il n'a que trop vescu, trop de cœurs en gemissent, Et c'est tousjours trop tard que les Tyrans perissent. Puisque vos Partisans sont tous prests d'esclatter, De leur premier transport songez à profiter : Par des reflexions, craignez qu'il ne s'altere ; Et ne leur donnez pas le temps d'en pouvoir faire. Si Tirrhene perit, sur tout [139], considerez Quel trouble peut alors saisir vos Conjurez ; MEZENCE. Ce sont vos seuls desirs qu'icy je considere ; Je cours sans differer oser tout pour vous plaire : Et sans voir les raisons que vous examinez, La mienne, est seulement, que vous me l'ordonnez. L'heure mesme où le Roy doit faire un sacrifice, Est celle que mon cœur choisit pour son suplice : Et je jure vos yeux, ou de perdre le jour, Ou de vous apporter la teste à mon retour. Mais il vient. LAVINIE.     Je le fuis. MEZENCE.         Contraignez vostre haine ; Il s'est trop avancé, la fuite seroit vaine. Pour l'amuser [140] icy, faites vous quelque effort, Et donnez ces momens aux aprests de sa mort. ### Scene II. Agrippa, Lavinie, Atis, Suite. AGRIPPA. Il se peut donc, Princesse, enfin que je vous voye ? Mais, helas ! c'est pour vous, un tourment que ma joye : Et tout l'ardent amour dont vous touchez mon cœur, N'ose attendre aujourd'huy que mepris & qu'horreur. Mais je voudrois en vain, l'empescher de paroistre Cét amour, trop puissant, dont je ne suis plus maistre : C'est dans les maux communs qu'on peut dissimuler, Et l'Amour n'est pas grand, quand on le peut celer. J'ay preveu, quels transports de haine, & de colere [141], Doit attirer sur moy cét aveu temeraire : Vous m'allez accabler de rigueurs, de mepris, Mais mon amour encor, m'est trop doux, à ce prix. Eclatez : mais, ô Ciel ! qu'aperçois-je ? & quels charmes, Font que vos yeux, aux miens, ne montrent que des larmes ? Ma veuë attendrit elle un cœur si rigoureux ? Helas ! le puis-je croire ? LAVINIE.         Oüy, cruel, tu le peux. Mon cœur ne fait rien moins que ce qu'il croyait faire ; Je croyais que ta veuë aigriroit ma colere, Je croyois sans horreur, ne te pouvoir souffrir, Cependant, je te vois, & me sens attendrir : La haine dans mon cœur à peine à treuver place… AGRIPPA. Quoy , Madame, Agrippa de vôtre cœur s'efface ? Et vous pourriez aymer un Roy trop fortuné ? LAVINIE. Et mon cœur d'un tel crime est par toy soupçonné ? Aymer le Meurtrier de l'objet de ma flame ? D'un Heros que la mort respecte dans mon ame ? Aymer de tous mes maux l'autheur injurieux ? Si tu m'entends si mal, je vais m'expliquer mieux. Avec toy mon Amant eut tant de ressemblance, Que je n'ay pû sans trouble endurer ta presence : Et sous les mesmes traits qui m'ont esté si doux, Tu t'es pû dérober d'abord à mon couroux. Ouy, cette chere image, a sçeu d'abord, sans peine, Amortir [142] ma colere, & suspendre ma haine : Et mon cœur à ce charme engagé d'obeïr, A presque en sa faveur, eu peur de te haïr. Ces trait accoustumez à surprendre mon ame, Ne m'ont rien retracé que l'objet de ma flame, Ils n'ont pû me souffrir ny haine ny fureur, Et l'amour est, tout seul, demeuré dans mon cœur. Mais desja cet amour dont mon ame est si pleine, Rappelle ma fureur & fait place à ma haine ; Et mon couroux honteux d'estre trop suspendu Grossit, pour regagner le temps qu'il a perdu. Tu vas voir à son tour la fureur implacable, Que m'inspire le sang d'un amant adorable ; Tu vas voir tant de haine esclatter dans mes yeux… AGRIPPA. Helas ! Princesse, helas ! je n'attendois pas mieux. Armez vous d'une haine encore plus esclattante, Vous n'en paroistrez point à mes yeux moins charmante. Vous pouvez d'Agrippa m'imputer le trepas, M'en blâmer, m'en haïr, je ne m'en plaindray pas. Je veux bien vous aymer sans espoir de vous plaire, Sans murmurer jamais contre vôtre colere, Sans presser vôtre cœur d'estre moins animé ; Et n'aymeray pas moins pour n'estre pas aimé. LAVINIE. C'estoit donc pour mes yeux trop peu que de mes larmes, Sans la honte & l'horreur, d'avoir pour toy des charmes. Ce feu dans un Tyran tombé mal à propos, Ne devoit enflamer que l'ame d'un Heros. Qu'il fut fatal ce feu que ton cœur deshonore A ce Heros destruit, qui m'est si cher encore ! Cet amour fut pour luy funeste autant que beau, Et sembla naistre exprés pour ouvrir son Tombeau. Fasse au moins, s'il se peut, la vengeance celeste Que cet amour pour toy, soit encor plus funeste ; Que la fatalité de ce feu malheureux T'expose à tout l'effort du sort le plus affreux ; Que cette mesmes flame, avec plus de Justice, Ne t'esclaire à ton tour, qu'à choir au precipice ; Qu'elle attire sur toy tout le couroux des Cieux, Qu'elle allume la foudre entre les mains des Dieux. J'obtiendray de ces Dieux dont tes crimes abusent… AGRIPPA. Ne les pressez point tant, ces Dieux qui vous refusent. Ils sçavent mieux que nous d'où despend nôtre bien, Princesse, croyez moy, ne leur demandez rien. Vous n'avez pas songé, peut-estre, à l'avantage Du Thrône dont mes yeux vous offrent le partage. Un tendre souvenir d'un amant malheureux, A touché jusqu'icy vôtre cœur genereux : Vos beaux yeux de leurs pleurs ont honoré sa perte ; Mais quel deüil ne console une Couronne offerte ? Le sceptre est un doux charme aux plus vives douleurs, Et le bandeau Royal seche aisément des pleurs. LAVINIE. Dans les mains des Tyrans le Sceptre doit déplaire. Et l'ombre d'Agrippa m'est encore si chere, Qu'on me verroit choisir, avec bien moins d'effroy, Le cercueil avec luy que le Trône avec toy. AGRIPPA. Quoy ! haïr jusqu'au Thrône ! helas ! le puis-je croire ? Et que vous preferiez une ombre à tant de gloire ? C'est un exemple rare, encor jusqu'à ce jour, De n'avoir plus d'amant & d'avoir tant d'amour. Qu'il est commun de voir dans le cœur le plus tendre, Le feu bien tost esteint, quand l'objet est en cendre ! Et qu'apres quelqu'esclat de regrets superflus, On oublie aisement un amant qui n'est plus ! LAVINIE. Connoy donc mieux, par moy, ce que la gloire inspire Aux Cœurs où l'Amour prend un legitime empire. La cendre sans chaleur de l'objet de mon deüil Nourrit encor mes feux du fonds de son cerceüil, Et mes soupirs, perçants dans la nuit la plus sombre, Vont jusques chez les morts, rendre hommage à son ombre. Rien n'arreste le cours d'un feu bien allumé ; Qui peut cesser d'aimer n'a jamais bien aimé. Apprens enfin, Barbare, aprens qu'une belle ame Peut perdre ce qu'elle aime, & conserver sa flame : Et que dans les grands Cœurs, en dépit du trépas, L'amour fait des lïens que la mort ne rompt pas. Ah ! devant qu'au Tombeau mon amant put descendre, Que n'a t'il-pû sçavoir ce que tu viens d'apprendre ! Helas ! d'un fier orgüeil l'effort imperieux A peine en sa faveur laissoit parler mes yeux : J'affectois des froideurs, quand je brûlois dans l'Ame, Et j'ay tant sçeu contraindre une innocente flame, Qu'il n'a pas en mourant emporté la douceur, De sçavoir quel empire il avait sur mon cœur. Dieux ! s'il eust pleinement joüy de ma tendresse S'il eust préveu mes pleurs… AGRIPPA.         Ah ! c'en est trop, Princesse ; Je ne puis plus tenir contre un charme si doux. Faites venir Tirrhene, Atis : Vous, laissez-nous ; Atis r'entre, & les autres se retirent. C'est trop vous abuser, & c'est trop me contraindre, Mon amour veut parler, je ne sçaurois plus feindre. Mon secret trop pesant commence à devenir Un fardeau que mon cœur ne peut [143] plus soûtenir. Cessez, cessez enfin, ô Beauté trop fidelle, De chercher Agrippa dans la Nuit eternelle ; Tiberinus fut seul dans le Fleuve abismé, Et vous voyez en moy cét Amant trop aymé. LAVINIE. Vous ! ô Ciel…mais douter d'un Pere qui m'asseure !… AGRIPPA. Je voy que vous m'allez soupçonner d'imposture, Et je vous fais si tard ce surprenant aveu, Que j'ay bien merité qu'on me soupçonne un peu. Aussi ne croy-je pas pouvoir tout seul suffire, A vous persuader ce que j'ose vous dire ; J‘obligeray mon Pere à ne déguiser rien, Croyez en son rapport, n'en croyez pas le mien : Je m'en vais le forcer de nous rendre Justice, De finir [144] vostre erreur, d'avoüer l'artifice, Et de ne chercher plus du moins, à l'avenir, A separer deux cœurs que l'Amour veut unir. Essayez cependant vous mesme à me connoistre, Croyez-en vostre cœur. LAVINIE.         J'en croirois trop, peut-estre ; Mon cœur se peut mesprendre ; interdit comme il est Je n'ose l'écouter. AGRIPPA.         Tirrhene enfin paroist. Connoissez qui je suis par l'aveu qu'il va faire. LAVINIE. Taschez d'estre son fils, si vous me voulez plaire. ### Scene III. Agrippa, Tirrhene, Lavinie AGRIPPA. Il fait signe à Atis de se retirer. Seigneur, à la Princesse, enfin, j'ay tout appris : Vous m'en pouvez blâmer, vous en serez surpris ; Mais enfin, c'en est fait, l'amour m'a fait connoistre, Mon cœur de mon secret n'a pas esté le maistre, Je n'ay pû vous tenir ce que j'avois promis, J'ay tout dit. TIRRHENE.     Quoy ? Seigneur. AGRIPPA.         Que je suis vostre fils. TIRRHENE. Vous, Seigneur ! vous, mon fils ! que pouvez-vous pretendre ? Mon fils est au Tombeau, laissez en paix sa cendre, Helas ! c'est par vos coups… AGRIPPA.         Vos soins sont superflus, Un secret échapé ne se r'appelle plus. Avoüez qu'en faveur de nostre ressemblance, Depuis la mort du Roy, j'ay gardé sa puissance ; Que noyé par mal-heur, son corps tiré de l'eau Eust de vous, sous mon nom, les honneurs du tombeau. Que pour fuir tout soupçon, & pouvoir vous instruire De ce qu'entre-prendroient ceux qui me voudroient nuire, Vous avez accusé le Roy de mon trespas. TIRRHENE. Je vois ou je m'expose en ne l'avoüant pas ; Il y va de ma vie, & desja je m'appreste, Seigneur, à vous payer ce refus de ma Teste. Trahir le sang d'un fils pour m'entendre avec vous ! AGRIPPA. Quoy ?… TIRRHENE.         Non, en vain vos yeux éclattent de courroux : Vous m'avez mal connû si vous l'avez pû croire ; De cette lascheté l'infamie est trop noire, Et le sang mal-heureux qui peut m'estre resté, Ne vaut pas l'acheter [145] par cette indignité. AGRIPPA. Que vous estes cruel, de chercher tant d'adresse Pour tromper une illustre & fidelle Princesse ! Ses beaux yeux dans les pleurs sans cesse ensevelis N'en ont-ils pas assez honoré vostre fils ? TIRRHENE. Je vous entends, Seigneur, vous ne sçauriez encore Souffrir que de ses pleurs la Princesse l'honore ? Et que, jusqu'au cercueil, un cœur si genereux Donne quelques soûpirs à ce fils mal-heureux ? Il ne vous suffit point qu'il ait cessé  de vivre Au delà du trépas vous le voulez poursuivre ? Et dans le tombeau mesme où [146] vous l'avez jetté, Il n'est pas à couvert de vostre cruauté [147]. Ah ! revenez, Seigneur, de cette injuste envie : Vous avez eu son sang, vous avez eu sa vie, Ne sçauriez vous laisser à cét infortuné ; Un cœur que pour luy seul l'Amour a destiné ? AGRIPPA. Ah ! n'empeschez donc pas que je le desabuse, Ce cœur que je possede, & que l'on me refuse : Ce cœur qui pour le mien est plus cher mille-fois Que toutes les douceurs du sort des plus grands Rois ; Ce cœur à qui toujours tout mon bon-heur s'attache ; Ce cœur que l'Amour m'offre, & qu'un Pere m'arrache, Un Pere qui pour fils veut ne m'avoüer [148] pas. TIRRHENE. J'avoürois pour mon fils l'autheur de son trepas ! Sa mort, vous le sçavez, n'est que trop veritable, Et mon rapport, helas ! n'en est que trop croyable. J'en fus tesmoin, Seigneur, vous ne l'ignorez pas ; Tout percé de vos coups, il tomba dans mes bras : Son sang, à grands boüillons, rejaillit [149] sur son Pere [150]. Mais, Madame, admirez ce que l'amour peut faire, Vostre Amant expiroit, lors qu'apres de vains cris, Prononçant vostre nom, j'arrestay ses esprits ; Quoy que desja ses yeux, en baissant leur paupiere, Eussent pris pour jamais congé de la lumiere ; Malgré le voile espais dont la mort les couvrit, A ce nom adoré, l'Amour les entrouvrit. Son ame, avec son sang, desja toute écoulée, Dans sa bouche mourante encor fut rapellée Mais à peine sa flâme eust en vostre faveur, Commencé [151] d'exprimer sa derniere chaleur, Que le Roy s'irritant de ce reste de vie, L'arracha de mes bras avecque barbarie, Et l'ayant fait jeter à la mercy des flots… Ah ! [152] Princesse, d'un Pere excusez les sanglots, Ma parole s'estouffe à cét endroit funeste, Je n'ay plus que des pleurs pour vous dire le reste, C'est le sang qui s'émeut, & pour s'expliquer mieux, Au deffaut de ma bouche, il parle par mes yeux. LAVINIE. Reçoy [153] donc à la fois, Ombre qui m'es si chere, Les larmes d'une Amante, avec les pleurs d'un Pere, Et sois sensible encore, ayant perdu le jour, A ces derniers tributs du sang, & de l'Amour. Pardonne cher Amant, aux troubles qu'en mon ame, Ton Tyran, souz ton nom, a surpris à ma flâme, A ces doux mouvemens, qu'en mon premier transport, De ses traits & des tiens a produit le rapport. Maintenant que mon cœur éclairé par ton Pere Connoist ton assasin, & reprend sa colere, Pour vanger à la fois, ton sang, & mon erreur, Je vais porter si loin le cours de ma fureur, Je vais par tant de vœux, si le Ciel peut m'entendre, Presser sur ce Tyran la foudre de descendre, Et pour voir à mon gré tous les crimes punis. En regardant Agrippa. Mais, Seigneur, mais, helas ! s'il estoit vostre fils ? TIRRHENE. Quoy ! vous écouterez l'erreur qu'on vous inspire ? AGRIPPA. Quoy ! vous n'entendrez pas ce que l'amour veut dire ? N'est-il pas un tesmoin assez digne de foy, Pour l'entendre un moment, s'il veut parler pour moy ? Et puis qu'en vostre cœur sa voix m'est favorable… TIRRHENE. L'Amour parle en aveugle, & n'en est pas croyable. AGRIPPA. Suivrez vous, ma Princesse, une si dure loy ? Ne me croirez vous point ? LAVINIE.         Helas ! tient-il à moy ? TIRRHENE. Vostre cœur n'a-t'il pas, contre cette imposture, Assez bien entendu la voix de la nature ? En a-t'il dit trop peu, ce sang tout interdit, Dont le trouble… LAVINIE.         Ah ! Tirrhene, il n'en a que trop dit [154]. Il ne m'oste que trop, sur un trepas si rude, La flatteuse [155] douceur d'un peu d'incertitude. Vostre fils ne vit plus, je ne puis m'en flatter, La nature le dit, & je n'ose en douter : Mais ce doute est si doux, que l'Amour qui murmure Voudroit bien, s'il osoit, démentir la Nature. TIRRHENE. Quoy que le Roy vous die, asseurez vous si bien… LAVINIE. Regardant encore Agrippa. Ah ! si je ne le fuis, je ne respons de rien. Ses traits ressemblent trop à ceux qui m'ont charmée, Pour les voir sans fremir, & sans estre allarmée. Ce n'est pas que de vous je n'aye assez appris, Qu'il n'est qu'un imposteur, qu'il n'est point vostre fils, Avec trop de clarté vos raisons me le montrent ; Mais, pour peu que ses yeux & les miens se rencontrent, Ce regard, malgré moy, vous, & ses trahisons, Est seul presqu'aussi fort que toutes vos raisons. TIRRHENE. Fuyez-le donc, Madame, & pour mieux vous deffendre… AGRIPPA. Ah ! Princesse, arrestez un moment pour m'entendre. LAVINIE. Cruel, qui que tu sois, jusqu'où va ta rigueur ? N'es-tu pas satisfait des troubles de mon cœur ? AGRIPPA. Quoy ! fuir sans m'écouter ? LAVINIE.         Est-ce peu pour ta gloire ? Va, si je t'escoutois, j'aurois peur de te croire. AGRIPPA. Je ne vous quitte point, que vous n'ayez pû voir… ### Scene IV. Tirrhene, Agrippa. TIRRHENE. Retenant Agrippa. Arreste, aveugle, arreste, & rentre en ton devoir [156] : Sois mon fils en effet, songe à me satisfaire. AGRIPPA. Et vous ne voulez plus, Seigneur, estre mon Pere ! TIRRHENE. A cét aveu fatal trop de peril est joint : C'est estre Pere icy, que de ne l'avoüer point. Puisque la guerre a pû nous oster les complices De vostre heureuse audace, & de mes artifices ; Et qu'en vostre faveur, le Ciel a pris le soin De ne vous en laisser que moy seul pour tesmoin, Obligé d'esmpescher ce secret de paroistre, Pour en répondre mieux, j'en veux seul estre maistre ; Et j'aime mieux dans l'heur de vous voir commander, Des-avoüer mon fils, que de le hazarder. Je voudrois, pour vous voir sans crainte au rang suprême, En vous cachant à tous, vous cacher à vous mesme, Et le sang, seul tesmoin de tout vostre bon-heur, S'applaudiroit [157] assez dans le fonds de mon cœur. Voyez où nous reduît desja vostre foiblesse. Vous deviez si bien feindre, auprés de la Princesse ; Sçavoir bien vous taire, & nourrir son erreur ; Vous l'aviez tant promis. AGRIPPA.         Et l'ay-pû, Seigneur ? Prés d'un Objet aimé vostre Esprit trop severe, Connoist mal un Amant, sil croit qu'il se peut taire. On n'est pas seur toûjours de feindre autant qu'on veut ; Et l'amour bien souvent promet plus qu'il ne peut. J'avois pû me flatter que mon amour, sans peine, Seroit, dans son erreur, satisfait de sa haine, Et ses mespris trompez, en effet trop charmans, M'ont donné cent plaisirs inconnus aux Amans. J'ay gousté la douceur si chere, & si nouvelle, D'estre seur d'estre aimé d'un cœur vrayment fidelle, D'un cœur qu'on ne peut perdre, ayant perdu le jour, Et d'où mesme la Mort ne peut chasser l'Amour. TIRRHENE. N'estoit-ce pas assez de ce bon-heur extréme ? AGRIPPA. Peut-on estre en effet heureux sans ce qu'on aime ? Et quand on est charmé d'un Objet plein d'appas, Est-ce un bon-heur qu'un bien qu'il ne partage pas ? Voir souffrir ma Princesse, & d'une ame inhumaine, Luy desrober ma joye, & joüir de sa peine, C'estoit pour mon amour un plaisir trop cruel : Le bon-heur des Amants est d'estre mutuel. TIRRHENE. Je plains des feux si beaux ; mais il faut les contraindre, Nous avons maitenant trop sujet de tout craindre, Nos secrets, n'ont jamais esté plus importants ; Que vostre amour se taise au moins pour quelque temps. Le moindre éclat nous perd ; Mezence enfin conspire, Pour vous ravir le jour, la Princesse, & l'Empire, Et l'Empire pour vous, la Princesse, & le jour, Valent bien tout l'effort que fera vostre amour. Les autres Conjurez sont Volcens, Corinée, Antenor, Serranus, Sergeste, Ilionée [158], Tous Mescontents secrets, parmy le Peuple aimez, Et tous, sans vous connoistre, à vous perdre animez. Grace à l'heureuse erreur que ma feinte autorise, Mezence m'a rendu maistre de l'entreprise. Sans doute, en ma faveur, il parlera d'abord ; Accordez luy ma grace & sans beaucoup d'effort, Par mes soins, pour six jours, l'attentat se differe. Mesnagez bien un temps pour vous si necessaire ; Donnez aux conjurez, des emplois specieux [159], Qui leur faisant honneur les oste de ces lieux. Feignez quelques avis pour retenir l'Armée, Et redoublez du Fort, la garde accoustumée. Sur tout, flattez Mezence, & de toutes façons, Par une fausse estime, endormez ses souçons ; En suitte, asseurez vous sans bruit de sa personne, Et dans un lieu bien seur…Quoy ! vostre ame s'étonne ! AGRIPPA. Sans scrupules à ce prix peut-on donner des loix ? TIRRHENE. Le scrupule doit estre au dessous des grands Rois. Mezence veut vous perdre, & s'y resoud sans peine, Le crime n'est pas moindre, encor qu'il se méprenne, Et sur ce qu'il vous croit, jugeant de ses desseins, Cest dans un sang sacré qu'il veut tremper ses mains. Le Ciel veut l'en punir, par vostre ministere, Les Dieux vous font regner, il faut les laisser faire, Et sans approfondir leurs secrets, ny vos droits, Leurs soins doivent en vous répondre de leur choix. Si dans ce haut degré, vostre vertu peut craindre Que quelque ombre de crime encor vous puisse atteindre, Tenez-vous ferme au Thrône, & gardez d'oublier Qu'il faut n'en pas sortir pour vous justifier : Quand on monte en ce rang, quelle qu'en soit l'audace, Le crime est d'en tomber, & non d'y prendre place ; On n'a jamais failly qu'au poinct qu'on en descend, Et qui regne tousjours est tousjours innocent [160]. Regnez donc. Ah ! mon fils, si vous pouviez connoistre, Combien est beau le droit de n'avoir point de Maistre… AGRIPPA. Ah ! si vous connoissiez combien l'Amour est doux, Seigneur… TIRRHENE.         J'entends du bruit ; on vient : songez à vous. ### Scene V. Tirrhene, Agrippa, Lauzus, Atis. TIRRHENE. He bien ! par tout mon sang, contentez vostre haine. LAUZUS. Tout est prest dans le Temple. AGRIPPA.         Allons, qu'on le rameine [161]. TIRRHENE. Va, barbare. ATIS.         Ah ! Seigneur, craignez d'estre entendu. TIRRHENE. Que peut-on craindre, helas ! quand on a tout perdu ! Fin du quatrième Acte. ## Acte V. ### Scene premiere. Fauste, Lavinie, Camille. FAUSTE. De quel effroy, Madame, estes vous agitée Au poinct [162] que l'entreprise est presque executée ? On a surpris le Prince, en luy faisant sçavoir Qu'avec empressement vous cherchez à le voir. LAVINIE. Oüy, Fauste, je le cherche, & luy veut faire entendre Qu'il seroit bon encor de ne rien entreprendre ; Que je voy tout à craindre à trop tost éclater ; Qu'un peu trop de chaleur sceut d'abord m'emporter ; Qu'un attentat si grand veut moins de promptitude : FAUSTE. Le Prince s'est douté de vostre inquietude ; Et se trouvant au Temple engagé prés du Roy, Pour vous tirer de peine, il s'est servy de moy. Je viens vous asseurer que pour vostre vengeance, Le Ciel mesme avec Nous, paroist d'intelligence : Jamais un grand dessein ne s'est veu mieux conduit. Le Prince a r'assemblé ses Conjurez sans bruit, Il a joint avec eux les amis de Tirrhene ; Et tous les partisans que s'est fait vostre haine, Qui, tous ensemble unis, brûlent de partager Dans la mort du Tyran, l'honneur de vous vanger. Par de vaines frayeurs cessez d'estre allarmée ; Je sçay que l'on peut craindre, & le Fort, & l'Armée, Mais, Tiberinus mort, Mezence est icy Roy, Et chacun en tremblant en recevra la loy. La Ville en sa faveur, doit estre soûlevée, Et l'on est seur de voir l'entreprise achevée, Avant qu'aucun des Chefs du contraire Party Au Fort, ny dans l'Armée, en puisse estre averty. Tout nous rit, & sans doute, apres le sacrifice, Tiberinus surpris ne peut füir son supplice. Le Palais de Tirrhene en est le lieu marqué ; C'est là, qu'à son retour, il doit estre attaqué, Pour mieux apprendre à tous, que suivant vostre envie, Aux Manes d'Agrippa l'on immole sa vie. On diroit, à le [163] voir flatter les Conjurez, Qu'il s'offre mesme aux coups qui luy sont préparez. Pour Mezence, sur tout, tant d'estime le touche, Qu'à peine pour Tirrhene a-t'il ouvert la bouche, Que le Roy, tout à coup, cessant d'estre irrité, L'a fait en sa faveur remettre en liberté. LAVINIE. Puisque Tirrhene est libre, il est plus seur d'attendre ; Il faut le consulter avant que d'entreprendre. Tout m'effroye en ce jour, je sens secrettement D'un funeste destin l'affreux pressentiment. Helas ! si pour servir mon aveugle colere… Ah ! [164] si Mezence m'ayme, obtenez qu'il differe : Hastez-vous. FAUSTE.         J'obeïs, mais vous courez hazard Que cét ordre impreveu n'arrive un peu trop tard ; Madame, nous touchons à l'heure qu'on a prise ; On doit sortant du temple estre prest sans remise ; Le signal est donné, les ordres sont receus. LAVINIE. Empeschez qu'on n'acheve ; allez, ne tardez plus. CAMILLE. Que pourra-t'on [165] penser du desordre ou [166] vous estes ? De ces troubles pressants, de ces craintes secretes ? Si ce n'est que le Roy par un doux entretien… LAVINIE. Qu'on pense tout, pourveu qu'on n'execute rien. Dieux ! si le coup fatal qu'a tant pressé ma haine Tomboit…mais qu'on me laisse entretenir Tirrhene. ### Scene II. Lavinie, Tirrhene. LAVINIE. Venez, Seigneur, venez, s'il se peut, dissiper Les mortelles frayeurs dont je me sens frapper [167]. Par une voix secrette, en mon cœur eslevée, Ma vengeance s'estonne, & craint d'estre achevée. J'ay fremy quand d'abord j'ay sceu l'amour du Roy, Et j'avois aussi-tost caché ce fer sur moy, Pour pouvoir au besoin m'en servir de deffence, Et sur tout, pour tascher d'en haster ma vengeance : Cependant, l'ayant veu, sans suitte & sans soldats, Une tendresse aveugle a retenu mon bras. Le voyant si semblable à l'objet de ma flâme, Mon couroux en tremblant, est sorty de mon ame, Et jusqu'en un Tyran tout noircy de forfaits, Ma main de ce que j'ayme a respecté les traits. Toute autre à vous entendre eust esté convaincuë ; Mais tous mes sens m'estoient attentifs quà sa veuë, Et quand vous me parliez, dans mon cœur à tous coups, Je ne sçay quoy pour luy ! parloit plus haut que vous. Profitons maintenant maintenant icy de son absence ; S'il n'est point vostre fils, resveillez ma vengeance, Et tandis que de luy rien ne me peut toucher, Rendez moy mon courroux qu'il vient de m'arracher. De ses discours encor mon ame est toute pleine, Et des vostres, Seigneur, il me souvient à peine. TIRRHENE. J'ay preveu tout l'excés du trouble où je vous voy : Et si-tost que Mezence a pû fléchir le Roy, Et que de ce Tiran l'âme aujourd'huy moins fiere, A bien voulu donner ma grace à sa priere, J'ay fait mon premier soin de vous desabuser, Quelque nouveau peril où ce soit m'exposer. On peut connoistre assez à l'ennuy qui m'accable, Si la mort que je pleure, est feinte ou veritable : Mes déplaisirs sans fin, par le temps mesme aigris, Ne vous disent que trop que je n'ay plus de fils. S'il vivoit, s'il regnoit, quoy que je pusse faire, La Nature contente auroit peine à s'en taire ; Le sang comme l'Amour, inspire des transports, Qui tousjours tost ou tard, échapent au dehors. Mais il me reste encore une preuve plus sure, Pour convaincre entre nous le Tiran d'imposture : C'est la pressante ardeur que j'ay pour son trépas, Dont tantost devant luy, je ne vous parlois pas. Mézence est un témoin, dont vous pouvez apprendre Si contre ce barbare, il m'est doux d'entreprendre, Et si des Conjurez dont on connoist la foy, Aucun est de son sang plus altéré que moy. Ne m'avez vous pas veu plein des vœux que vous faites, Chercher des mécontens les factions secretes, Entrer dans leurs complots, me rendre chef de tous, Et briguer ardemment l'honneur des premiers coups ? Je vous ay du Tyran cent fois dépeint le crime, Pour aigrir contre luy l'horreur qui vous anime ; Vous sçavez pour la mort quels soins j'ay tousjours pris ; Et vous pourriez encor, penser qu'il fût mon fils. Luy dont je suis prest d'aller trancher la trâme… LAVINIE. Que vous rendez, Seigneur, un doux calme à mon ame. Pour fuir l'affreux desordre en mon cœur excité, Je prens cette asseurance avec avidité ; J'ecarte de mes sens, j'étouffe en ma memoire, Tout ce qui me pourroit détourner de vous croire. Je ne veux plus ouïr ce que mon cœur me dit ; Un Pere est moins suspect qu'un cœur tout interdit ; L'amour est trop aveugle auprès de la Nature ; Et sur [168] l'aveu du sang ma haine se r'asseure. Tout mon courroux revient plus ardent que jamais ; La perte du Tyran fait mes plus chers souhaits. Je n'ay plus d'autres soins que ceux de ma vengeance : J'en goûte avec transport les douceurs par avance Je m'abandonne entiere à la felicité D'oster au moins la vie, à qui m'a [169] tout osté, Au barbare assassin d'un Heros adorable… TIRRHENE. Pleust au Ciel [170], seul recours d'un Pere miserable, Que dés ce mesme jour, il m'eust ésté permis D'offrir cette victime aux Manes de mon Fils. C'est un tourment cruel, pour mon impatience, De n'oser pas encor haster nostre vengeance. Pressant un si grand coup, on l'eust trop hazardé : L'Armée est autour d'Albe, & le Fort bien gardé. Il faut encor languir, il faut encor attendre. LAVINIE. Non, non, consolez-vous, j'ay fait tout entreprendre. TIRRHENE. Quoy ! sans considerer… LAVINIE.         Vous sçachant arresté, J'ay voulu sans delay, que l'on ait éclaté, Et vous pouvez flatter dés ce jour vostre haine, De toutes les douceurs d'une vengeance pleine. TIRRHENE. Ah, Madame ! empeschons ce coup precipité. LAVINIE. Sans doute, il n'est plus temps, tout est executé. ### Scene III. Fauste, Lavinie, Tirrhene. LAVINIE *à Fauste*. Avez-vous assez tost pû rejoindre Mezence ? FAUSTE. J'ay couru par vostre ordre avecque diligence ; Et dans vos interests le Ciel prend tant de part, Qu'enfin heureusement, je l'ay rejoint trop tard. TIRRHENE. Ciel ! qu'entens-je ! FAUSTE.         Admirez un bonheur sans exemple. Je n'ay pas eu besoin d'aller jusques au Temple ; J'ay trouvé le Tyran au retour attaqué, Prés de l'endroit fatal pour sa perte marqué. Pressé du Prince enfin, sans espoir, hors d'haleine, Et se trouvant fort prés du Palais de Tirrhene, Il a pris, malgré nous, le temps de s'y jetter [171], Tandis que tous les siens ont sceu nous arrester. Leur sang a satisfait nostre troupe animée ; Mais le Tyran entré, la porte s'est fermée, On a craint les fureurs d'un Peuple soûlevé, Et le Roy seul… TIRRHENE.         O Dieux ! se seroit-il sauvé ? FAUSTE. Chacun s'est, comme vous, senty l'ame allarmée : Nous avons craint le Fort, nous avons craint l'Armée, Et perdant tout, enfin, à beaucoup differer, Par force, après le Roy, l'on s'apprestoit d'entrer ; Lors que d'une Terrace [172], Albine, toute émeuë, A tasché d'arrester nos efforts par sa veuë ; Et son sexe, & son rang, la faisant respecter, Nous avons fait silence, afin de l'escouter. Seigneur, a-t'elle dit, s'adressant [173] à Mezence, La Princesse me doit ma part dans sa vengeance ; L'Amour a commencé, c'est au sang d'achever ; Le Roy s'est mieux perdu, quand il s'est creu sauver, Mes Gens l'ont immolé par mon ordre à mon Frere, Tout son sang à mes yeux, vient de me satisfaire. C'en est fait, il est mort. TIRRHENE.     Dieux ! FAUSTE.         Ces mots, tout d'un temps, Ont fait pousser au Ciel mille cris éclatants. Chacun admire Albine, & le Prince s'appreste A venir du Tyran vous presenter la teste : Vous l'avez demandée, & pour vous contenter, De sa main à vos pieds, il la veut apporter. Albine doit la rendre. Il l'attend, & m'envoye Pour preparer vostre Ame à cét excés de joye. LAVINIE *à Tirrhene*. Ainsi donc, tous nos voeux sont comblez pleinement. Vous vengez vostre Fils, je venge mon Amant, Albine venge un frere, & nous goûtons les charmes… Mais, d'où naissent, Seigneur ces soudaines allarmes ? Ce trouble où [174] vous tombez ? TIRRHENE.         Je tremble, je fremis. LAVINIE. Quoy ! le Roy mort ! TIRRHENE.         Helas ! Madame, c'est mon fils. Elle tombe sur un siege, & Fauste se retire. LAVINIE. Vostre fils ! TIRRHENE .         Je sens trop icy que je suis Pere : La voix du sang m'échape, & ne peut plus se taire : La Nature à ce coup, laisse la feinte à part : Elle parle. LAVINIE.         Ah ! pourquoy parle-t'elle si tard ? Enfin, il est donc vray, j'ay perdu ce que j'ayme, J'en recherchois la cause, & la trouve en moy mesme ; J'en poursuivois le crime, & viens de m'en charger ; Et j'ay versé le sang que je voulois venger. J'ay tant sollicité, tant demandé sa perte, Que le Ciel trop propice, à la fin l'a soufferte : De mes vœux importuns, les Dieux se sont lassez, Et c'est pour m'en punir qu'ils les ont exaucez. Que ces Dieux sont cruels, quand ils sont trop faciles [175] ! Helas ! que leur refus sont quelquefois utiles ! Et qu'on trahit souvent ses plus chers interests, En fatiguant le Ciel, par des vœux [176] indiscrets ! Mais, c'est à vous, Barbare, à qui je me doy prendre A Tirrhene Du sang de mon Amant que je viens de respandre. Je l'ay persecuté, sous un nom decevant ; J'ay creu l'adorer mort, & l'ay haï vivant ; Sa perte estoit la mienne, & j'ay pû l'entreprendre ; Mais, Pere ingrat, c'est vous qui m'avez fait meprendre, Et, si je l'ay perdu, persecuté, haï, C'est sur la foy du Sang, que l'Amour s'est trahy. Vous avez aveuglé ma passion extréme ; Vous avez revolté mon feu contre luy mesme ; Vous avez corrompu tous les vœux de mon cœur ; De ma flame innocente envenimé l'ardeur, Et fait cruellement, par vos dures maximes, Du plus pur des Amours, le plus affreux des crimes. Politique [177] inhumain, qu'un soin ambitieux Rend, pour perdre son fils assez ingenieux : Si le jour vous esclaire, apres ce parricide, Si pour vous en punir, mon bras est trop timide, Rendez graces, cruel, dans mon juste courroux, Au sang de vostre fils que je respecte en vous. TIRRHENE. Quand un Pere a fait choir son fils au precipice, Il n'a guere besoin qu'on aide à son supplice ; Et pouvant d'Agrippa me reprocher la mort, Le Sang pour m'en punir, est tout seul assez fort. Ouy, pour ce fils trop cher, ma tendresse trahie N'a rien fait qu'il n'ait veue tourner contre sa vie, Et l'Amour paternel, par trop d'ardeur seduit, L'a jusqu'au coup mortel, en victime, conduit. J'ay sceu rendre avec moy, par tous mes artifices, Son Amante, & sa Sœur, de son trépas complices, Et j'ay pû soûlever pour le perdre aujourd'huy, L'Amour & la Nature à la fois contre luy. Soit crime, soit mal-heur [178], il cesse enfin de vivre, Je l'ay tousjours perdu, c'est assez pour le suivre. LAVINIE. Suivons-le, mais du moins par nos derniers efforts, Entraisnons avec nous Mezence chez les morts. Le crime est assez grand pour luy coûter la vie, D'avoir trop bien servy mes vœux qui m'ont trahie. TIRRHENE. Rien ne me couste à perdre, après ce que je pers, Avec mon Fils & nous, perisse l'Univers ; Que ma Fille elle-mesme évite ma colere. ### Scene IV. Albine, Tirrhene, Lavinie,Camille, Julie. TIRRHENE. Mal-heureuse ! où viens-tu ? ALBINE.         Me livrer à mon Pere ; Luy déclarer mon crime, & m'offrir à ses coups ; Le remords me deffend d'éviter son courroux. TIRRHENE. Sçais-tu ce que ton crime en effet vient de faire ? LAVINIE. Sçais-tu, cruelle Sœur, que tu trahis ton Frere ? ALBINE. Je sçay que j'ay trahy mon Frere, & mon devoir. Son meurtrier vainqueur…Mais vous allez le voir. Il vient. TIRRHENE.         Tournons sur luy la fureur qui nous presse. ### Scene V. Agrippa, Tirrhene, Lavinie,Albine, Camille, Julie, Suite. AGRIPPA. Ay-je encor, contre moy, mon Pere, & ma Princesse ? TIRRHENE. Mon Fils respire encore ! LAVINIE.         Agrippa void le jour ! Quel favorable Dieu le rend à mon Amour ? AGRIPPA. L'instinct sacré du sang est le Dieu tutelaire, Par qui ma Sœur… ALBINE.         Seigneur, vous estes donc mon Frere ? TIRRHENE. Oüy, loin de faire un crime, empeschant son trépas, Tu nous a tous sauvez… Mais ne l'interromps pas. AGRIPPA *à Lavinie*. Par vostre ordre, Madame, attaqué par Mezence, J'ay contre luy d'abord fait peu de resistance, Et voulu témoigner jusqu'aux plus cruels coups, Que je sçay respecter tout ce qui vient de vous. J'ay pourtant creu devoir quelques soins à ma vie, Seur, qu'en effet ma mort n'estoit pas votre envie, Et vostre tendre amour qui m'est venu flatter, Au Palais de mon Pere enfin m'a fait jetter. Le desordre où l'on craint qu'un Peuple émeu s'emporte, Dés qu'on me void entré, force à fermer la porte. Ma Sœur qui m'apperçoit de son appartement, Et qui ne croit, en moy, voir qu'un perfide Amant, S'avance avec transport, & me fait en attendre Ce qu'une aveugle erreur luy peut faire entreprendre : Mais contre mon attente, & malgré son erreur, Le sang dans ce peril s'éveille en ma faveur. Comme pour un Amant, son cœur tremble, & murmure ; Elle impute à l'Amour, ce que fait la Nature, Et la Nature ardente à me sauver le jour, N'a pas honte d'agir sous le nom de l'Amour. Albine cede enfin à l'instinct qui la guide : Va, dit-elle, en tremblant, va, sauve-toy, perfide. J'obeïs sans replique, & passe sans effort, A travers des jardins qui touchent presqu'au Fort. J'y cours, & je m'y rends sans rien voir qui m'arreste ; J'y trouve des Soldats, je m'avance à leur teste ; *Le nombre en croist sans cesse, & dés le premier bruit*, L'élite de l'Armée, & les joint & me suit. J'approche, & trouve encor, pleins de joye, & d'audace, Les Conjurez espars avec la Populace, Qui trompez par ma Sœur, trop credules, & vains, N'attendoient plus qu'à voir ma teste entre leurs mains. Chacun d'eux à ma veüe, & fremit & s'égare ; La consternation de tous leurs cœurs s'empare, Et n'osant mesme fuir, ny faire aucun effort, Tous laissent à mon choix, ou leur grace, ou leur mort. Je fais saisir les Chefs, & je pardonne au reste. Mezence seul s'obstine en cét estat funeste. Je deffends qu'on le presse, & retiens les Soldats ; Mais en vain on l'épargne, il ne s'épargne pas. Animé par vostre ordre, & n'ayant pû le suivre, Par les soins d'un Rival, il dédaigne de vivre, Ne peut se pardonner, & sans monstrer d'effroy, Tourne sur luy, les coups qu'il a manquez sur moy. J*e meurs pour vous, Princesse*, est tout ce qu'il peut dire : Je cours pour l'arrester : mais il tombe, il expire ; Et fait dans son trépas, voir tant d'amour pour vous, Qu'avec tout mon bon-heur, j'en suis presque jaloux. LAVINIE. Je le plains, mais le bien qu'en vous le Ciel m'envoye Ne laisse dans mon cœur, de lieu que pour la joye. TIRRHENE *à Lavinie*. C'est à vous que le sceptre est dû par ce trespas. LAVINIE. De mes droits pour regner, ne vous allarmez pas. Si le sceptre m'est doux, ce n'est pas pour moy-mesme, C'est pour mieux l'asseurer aux mains de ce que j'ayme. Venez, aux yeux de tous, voir dés ce mesme jour, Vostre Fils de nouveau couronné par l'Amour. Fin du cinquième & dernier Acte. # Bibliographie. ## Sources.Poétique ## Ouvrages du XVII*e* siècle.Oropaste ou le faux Tonaxare Œuvres complètes Théâtre du XVII*e* siècle Œuvres complètes Lettre à l'Académie Les MechmenesŒuvres ## Bibliographies.Histoire du théâtre français depuis son origine jusqu'à présent Les Elsevier. Histoire et annales typographiques Bibliographie de la littérature française du dix-septième siècle Bibliographie critique du théâtre de Quinault ## Biographies.La vie de Monsieur Quinault de l'Académie Françoise avec l'origine des opera en France, en tête de l'édition de la Petite Bibliothèque des Théâtres Œuvres choisies de Quinault Philippe Quinault, sa vie et son œuvre Philippe Quinault : sa vie, ses tragédies et ses tragi-comédies Les Visages de l'amour au XVII*e* siècle ## Travaux sur le XVII*e* siècle.L'Esthétique de la tragi-comédie en France de 1628 à 1643 Le Classicisme La Dramaturgie classique en France Recherches de thématique théâtrale. L'exemple des conseillers des rois dans la tragédie classique Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars Introduction à l'analyse des textes classiques History of French Dramatic Litterature in The Seventeenth Century Amour précieux, amour galant. Essai sur la représentation de l'amour dans la littérature et la société mondaine Lycée, ou Cours de littérature ancienne et moderne ## Sur l'esthétique théâtrale.Lire le théâtre Le Théâtre ------- [1] *Bellerophon, Stratonice, Astrate, Alceste et Le Fantôme amoureux.* Toutes ces éditions sont disponibles à la Bibliothèque nationale de France. [2] *Histoire romaine*, Livre I, Paris, Les Belles Lettres, « collection des Universités de France ». [3] Traduction : Latinus fut le père d'Alba, Alba d'Atys, Atys de Capys, Capys de Capetus, Capetus de Tibérinus. Celui-ci sombra dans l'Albule lors de la traversée, et devint célèbre en donnant son nom au fleuve. Son fils Agrippa lui succéda. [4] *Annales*, Livre I, Paris, Les Belles Lettres, « collection des Universités de France ». [5] *Op. cit.*, I, 2. [6] *Vie de Monsieur Quinault, de l'Academie Françoise avec l'origine des opera en France*, Boscheron. Cette biographie n'est toutefois pas exempte d'erreurs, notamment dans la chronologie des évènements et représentations. [7] Cet ouvrage contient également des erreurs. Pour preuve, en lieu et place de la mention *Agrippa*, dans le sommaire, figure *Bellerophon*. [8] *Philippe Quinault, sa vie et son œuvre*, Paris, Champion, 1926. [9] Cent demi-louis. [10] *Op. cit.*, p. 30. [11] *Op. cit.*, p. 37. [12] Date imprécise : octobre 1665 (entre le 11 et le 24). [13] *Op. cit.* [14] *Esthétique de la tragi-comédie de 1628 à 1643.* [15] Tirrhene, acte I, scène 4. [16] En effet, la seule différence entre *La Mort de Cyrus*, tragédie, et *Agrippa*, tragi-comédie, réside en la mort du héros, effective dans la première, évitée dans la deuxième. [17] « Gazette en vers », dans *Les Continuateurs de Loret*, t. I, p. 120, « Gazette du 19 juillet 1665 », éd. James de Rotschild, 1881-1888. [18] Acte I, scène 5. [19] *Philippe Quinault : sa vie, ses tragédies et ses tragi-comédies*, Amsterdam, H.J. Paris, 1928, p. 72. [20] *Amour précieux, amour galant. Essai sur la représentation de l'amour dans la littérature et la société mondaine (1654-1675)*, p. 126. [21] Alamasonte se déguise en jardinier, ce qui le contraint à adopter un langage et des manières vraisemblables aux yeux de la Cour à cette époque. [22] Cléone, dissimulant sa féminité, prend l'apparence de son frère, Alcibiade, ce qui donne lieu, bien sûr à des quiproquos lorsqu'elle est séduite par des jeunes femmes. [23] Ils ont pour aïeul Énée. [24] Acte II, scène 1. [25] *Ibid.* [26] Acte V, scène 5. [27] *Ibid.* [28] Acte IV, scène 2. [29] Acte IV, scène 2. [30] Acte I, scène 2. [31] Acte IV, scène 2. [32] Acte V, scène finale. [33] Acte I, scène 4. [34] Acte I, scène 4. [35] Agrippa. [36] Acte III, scène 5. [37] Acte III, scène 4. [38] Acte II, scène 1. [39] Acte II, scène 4. [40] Lavinie, Acte IV, scène 2. [41] Albine, Acte II, scène 4. [42] Acte III, scène 5. [43] Acte II, scène 4. [44] *Esthétique de l'identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars*, Genève, Droz, 1988, p. 278. [45] *Op. cit.* [46] *Lycée ou Cours de Littérature ancienne et moderne*, Paris, 1805. [47] *Œuvres complètes*, éd. Françoise Escal, Paris, Gallimard, 1996. [48] Acte IV, scène 3 [49] Yf.6192 et 8°Yth.310. Cette édition comprend de nombreuses coquilles. [50] Or, s'il est vrai qu'un Ribou s'est rendu célèbre par ses éditions pirates (notamment *Les Précieuses ridicules* de Molière), il s'agissait de Jean Ribou. [51] *Op. cit.*, p. 23. [52] En réalité, nous pensons que W. Brooks n'a peut-être pas consulté les exemplaires car il fait allusion au privilège du roi, qui est absent de cette édition, et ne signale pas la mention « selon Pierre Ribou ». [53] Tyran : ici, « Prince qui abuse de son pouvoir, qui ne gouverne pas selon les loix, qui use de violence & de cruauté envers ses sujets » (Furetière). Le sens d'usurpateur ne convient pas ici puisque Tiberinus était roi légitime. [54] Ennuy : « chagrin, tourment, désespoir » (Dictionnaire du français classique). [55] Corrigé « na ». [56] Monument : « Ce mot pour dire *tombeau* est poëtique ou de la prose sublime » (Richelet). [57] Pompe : « Dépense magnifique qu'on fait pour rendre quelque action plus recommandable, plus solennelle et plus éclatante. » (Furetière). [58] Neveu : petit-fils. Le sens actuel existait également. [59] Cette filiation glorieuse est exacte, Tibérinus étant l'un des descendants d'Ascagne, fondateur d'Albe, fils d'Énée et de Lavinie. [60] Agrippa. [61] Barbare  « Cruel, impitoyable, qui n'écoute point la pitié, ni la raison. *Un Prince est barbare, qui tyrannise ses sujets* ». L'expression tyran barbare est donc une redondance. [62] Rappelons que la ponctuation, au XVII*e* siècle indiquait l'intonation de la voix. La confusion entre point d'exclamation et point d'interrogation était donc très fréquente. [63] Irriter : ici, ce verbe a le sens d'exacerber, « exciter, rendre plus vif et plus fort » (Furetière). [64]  Hier  « Ce mot ne fait qu'une silabe, & il a son h muette » (Richelet). [65] Ce mot, dans la version de la Bibliothèque nationale, est écrit « pet ». Il a été raturé et on a rajouté à la main « put ». [66] Trame : « se dit figurément en Morale, du cours de la vie. » (Furetière). [67] Corrigé « Ou ». [68] Mézence est un mécréant. [69] Corrigé « ces ». [70] Corrigé « tons ». [71] Presser : ici : « accabler, angoisser » (Dictionnaire du français classique). [72] Étonné : synonyme : troublé. Étonner : « causer à l'âme de l'émotion, soit par surprise, soit par admiration, soit par crainte » (Furetière). [73] Deux orthographes « offense » et « offence » étaient admises. [74] Corrigé « suplice ». [75] Les deux orthographes « Tyran / Tiran «  étaient acceptées. [76] Meschant : « fanfaron, dangereux » (Furetière). [77] Corrigé « Lausus ». [78] Devant que « conjonctive qui n'est plus guere en usage. On se sert en sa place de la conjonction *avant que* » (Richelet). [79] Rappelons qu'à la rime, les consonnes finales se prononçaient. Ainsi avis rime avec fis. [80] Sort : « vie et fortune des hommes » (Furetière). [81] Mesconnoître : « ne pas connoître, ne pas reconnoîstre » (Furetière). [82] Presser : ici, « poursuivre vivement » (Furetière). [83] Blesser : ici, « choquer ». [84] Cette filiation est purement fictive en ce qui concerne Mézence et Tirrhene. Agrippa, par contre, est bien un descendant du célèbre Troyen et de sa femme Lavinie. [85] Il : il s'agit de Mezence. [86] Accomoder : concilier, comme le prouve l'un des exemples de Furetière : *Comment accomodez-vous la dévotion avec la coquetterie* ? [87] Nous avons ajouté un point à la fin du vers. [88] Factieux : « Celuy qui forme les cabales et les factions, ou qui adhere à leur party » (Furetière). [89] Gloire : ici, « Orgueil, presomption, bonne opinion qu'on a de soy-meme » (Furetière). [90] Corrigé « haït ». [91] Corrigé « autres fois ». [92] Dépit : ici « mécontentement causé par une déception, une blessure d'amour propre » (Dictionnaire du français classique). [93] Fureur : « emportement violent causé par un dérèglement d'esprit et de raison, se dit en Morale de la colère, lorsqu'elle est violente et démesurée » (Furetière). [94] Corrigé « seigneur ». [95] Le Roi. [96] Nous avons rétabli la ponctutation. [97] Respondre : ici, assurer, garantir. [98] Tirrhene sort. [99] Corrigé « frapez-vous ». [100] On notera que Lavinie passe brusquement du vouvoiement au tutoiement, pour revenir le vers suivant au « vous ». Émotion de la jeune femme ou étourderie de l'auteur ? Le phénomène se répète dans la même scène. [101] Corrigé « mott ». [102] Corrigé « Amantmort ». [103] À nouveau, Lavinie tutoie Albine. [104] Corrigé « deffroy ». [105] Meurtry : « ce mot signifiait autrefois tuer, aussi bien qu'occire, qui ne se disent plus » (Furetière). [106] Merveilleux : « qui surprend, étonnant, sans nuance admirative » (Dictionnaire du français classique). [107] Corrigé « penchent ». [108] Cette locution pouvait s'écrire en un seul mot. [109] S'ils ont avancé quoique se soit… [110] Corrigé « encore » : cela faisait une syllabe de trop. [111] Nous avons rétabli la ponctuation. [112] « se dit figurément et poëtiquement des regards, et des blessures qu'ils font dans les cœurs, quand ils inspirent de l'amour » Furetière [113] Chagrin : « tristesse, fâcherie » (Richelet), « inquiétude, ennuy, mélancolie » (Furetière). [114] « S'unir ensemble, se liguer pour faire reüssir quelque entreprise quelque dessein. … On le dit aussi en parlant des occasions et des moyens qui favorisent le succès de quelque dessein. *Les vœux du peuple conspiroient à la gloire de leur Prince.* » (Furetière). [115] À l'envy : « par emulation et pour voir qui fera ou reussira le mieux » (Richelet). [116] Corrigé « victoire ». [117] Allusion au retour victorieux de Louis XIV, voir l'épître. [118] Ici, « passer » prend le sens de « dépasser ». [119] Enfin : « après tout, bref, en un mot » (Dictionnaire de l'Académie). [120] Synonymes : imprudent, débordant, « qui agit par passion, sans considérer ce qu'il dit ni ce qu'il fait » (Furetière). [121] Corrigé « où » [122] Aigrir : « se dit figurément en Morale, & signifie, piquer, mettre en colère » (Furetière). [123] Corrigé « puism'en rdre ». [124] Effort : « tout ce qui se fait avec violence » Furetière ; « atteinte, coup » (Dictionnaire du français classique). [125] Flatter : ici, bercer d'illusions » (Dictionnaire du français classique). [126] Corrigé « connissance ». [127] Corrigé « vousa ». [128] Corrigé « nepeut memanquer ». [129] Nous avons rétabli la ponctuation. [130] Corrigé « dabord ». [131] Le dernier mot du vers est pratiquement illisible, on ne déchiffrait que « pose ». Nous avons complété le vers en tenant compte de la version de la BNF. [132] Flatter : ici, « adoucir » (Dictionnaire du français classique). [133] À partir de ce vers, et ce, jusqu'à la fin de l'acte III, le nom de Tirrhene subit des variantes : Tyrene, Tirene, Tirhene, Tyrhene, que nous avons corrigées. [134] Corrigé « sçanoir ». [135] Corrigé « vons ». [136] Corrigé « vengeanee ». [137] Corrigé « Mezenee » (cette erreur se retrouve à l'occurrence suivante). [138] Corrigé « il sort ». [139] Corrigé « sut tout ». [140] Amuser : « Arrester quelqu'un, luy faire perdre le temps inutilement » (Furetière). [141] Le vers original « J'ay préveu quels transports de la haine, & de colere » comportait une syllabe de trop. Sur l'exemplaire de la BNF avait été biffé le mot « la », rectification évidente. [142] Synonyme : adoucir. [143] La dernière lettre de ce mot était illisible, nous avons corrigé. [144] Finir : ici, « mettre fin à, faire cesser » (Dictionnaire du français classique). [145] Corrigé « l'achepter ». [146] Corrigé « ou ». [147] Nous avons rétabli la ponctuation. [148] Avouer un enfant : le reconnaître pour fils. [149] Corrigé « rejallit ». [150] Ce vers est à rapprocher de ceux du *Cid* lorsque Chimène décrit le cadavre de son père, Acte II, Scène 8 : « … mes yeux ont vu son sang / Couler à gros bouillons de son généreux flanc ; ». [151] Corrigé « commence ». [152] Nous avons rétabli la ponctuation. [153] Corrigé « Recoy ». [154] Corrigé « Ah ! Tirrhene, il ne m'en a que trop dit ». [155] Corrigé « flateuse ». [156] Corrigé « denoir ». [157] « Se vanter, se glorifier. Il signifie ordinairement se féliciter de quelque chose » (Dictionnaire de l'Académie). [158] Corrigé « Ilioneé ». [159] « Qui a belle apparence, sur tout en matière de raisonnement » (Furetière). Ce dernier donne deux exemples dont l'un *La guerre s'entreprend toujours sous des prétextes spécieux* paraît recéler un sens péjoratif. Dans le cas présent, « spécieux » s'apparente à « honorifiques ». [160] « t » et « d » à la finale se prononçaient t. [161] Corrigé « remeine ». Ramener existait mais il avait le sens de raccompagner (une dame par exemple). [162] Au point que : au moment où, alors que. [163] Le roi. [164] Nous avons rétabli la ponctuation. [165] Corrigé « pourra on ». [166] Corrigé « ou ». [167] Il est tentant de corriger « frapper » en l'accordant, mais puisque les consonnes finales des infinitifs étaient prononcées, il faut donc garder la terminaison en « er ». [168] Corrigé « sut ». [169] Corrigé « ma ». [170] Nous avons rétabli la ponctuation. [171] Prendre le temps de : « épier l'occasion et ne pas la manquer, saisir le moment favorable » (Richelet). [172] La majuscule avait également pour fonction d'indiquer l'intensité de la voix. [173] Corrigé « s'addressant ». [174] Corrigé « ou ». [175] Facile : « conciliant, complaisant, compréhensif » (Dictionnaire du français classique). [176] Corrigé « veux ». [177] « Celui qui sait l'art de gouverner, ou qui en juge suivant les lumières qu'il a acquises » (Furetière). Il est intéressant de constater que l'un des exemples qu'il choisit pour illustrer cette définition est Machiavel. [178] Corrigé « mal-henr ».