Je ne me trompe pas, c’est ce fripon d’Amour ! C’est ce coquin de Mercure ! Eh ! Bonjour, frère. Sois le bien rencontré. Par quel hasard sur la terre ? Par le même hasard que toi. Comment ? Comme toi, je suis banni de l’Olympe. Et la cause de ton bannissement ? Toute simple. Lorsque, lassé de tes fredaines et de tes espiègleries, le Seigneur Jupiter t’eut chassé du Ciel, il renoua avec sa chère épouse. La bonne Dame, comme tu sais, est acariâtre et rancuneuse en diable ; elle m’en voulait, depuis longtemps, de toutes mes complaisances pour son mari, et mon exil a été la première condition du raccommodement des deux tristes époux. Tu n’en es pas extraordinairement fâché ? Je t’en réponds ! Depuis ton bannissement tout est d’un triste et d’une monotonie dans l’Olympe à périr ! C’est la prude et sage Minerve qui préside à ta place : juge de la gaîté qu’elle inspire ! Jupiter bâille majestueusement auprès de sa tendre épouse ; Neptune s’est retiré sous ses eaux, plus glacé qu’elles ; la jeune Aurore veut en vain réchauffer son vieil époux, et ta belle maman est réduite à souffler les forges de son vilain mari. Mon exil ne sera pas long. Mais que comptes-tu faire lut ce pauvr« globe ? Je suis, comme tu sais, à deux mains. Je n’y manquerai pas d’occupation. En quittant l’Olympe, j’ai demandé à Plutus des Lettres de recommandation auprès de plusieurs traitants. Si je puis obtenir une caisse, je vivrai honnêtement et paisiblement : Mercure peut, je crois, sans déroger, devenir financier ? Certainement. Et toi, où vas-tu de ce pas ? Je reste ici. Comment ! Dans un faubourg ? Oui ; je suis en guerre.... Vois-tu cette maison ? C’est, sans doute, celle de quelque jaloux, car je la vois hérissée de grilles ? Non. C’est donc une prison ? Encore moins. Qu’est-ce donc ? Un colombier qui renferme de jeunes tourterelles, charmantes autant qu’innocentes. Explique-toi plus clairement. Je bloque cette maison d’éducation : elle est habitée par une vieille Maîtresse qui garde de jeunes pensionnaires, entre lesquelles on en compte trois de seize à dix-sept ans, belles comme le jour. La rose qui vient de s’épanouir a moins de fraîcheur et d’éclat ; ce sont ces roses que je veux cueillir. Toujours le même... Mais dis-moi, quel costume compte-tu prendre ? Le mien, sans doute ? Le tien ? En est-il de plus intéressant ? Pauvre Amour ! Il faut te pardonner, tu ne connais plus les usages ; mais apprends que, s’il t’arrive de paraître ainsi, ou de te nommer seulement, c’est fait de toi. Imagine-toi, mon cher frère, que tu n’es plus reçu dans ce qu’on appelle la bonne compagnie ; ton nom seul donne des vapeurs. Si tu veux réussir, cache-toi bien sous un des habits du Caprice. Sous un des habits du Capiice, dis-tu ? Quoi ! Ce dieu volage, inconséquent, dont les faveurs sont des offenses, qui traîne après lui souvent le remords, et toujours le mépris ?... Est le Dieu qu’adorent les Français. Il a détruit tes Temples, et reçoit aujourd’hui l’encens que les Mortels brûlaient autrefois sur tes autels ; profite donc de mon conseil, et ne te montre que sous les livrées de ton plus cruel ennemi. Et quel est son habit favori ? Il en a mille pour un. Vrai Caméléon, il paraît le même jour sous vingt formes différentes. On le voit, le matin, en simple habit d’uniforme, à la toilette d’une jeune coquette, parler combats, chevaux, courses, batailles, et nouer en même-temps un ruban, ou placer une mouche assassine. Le soir, aux genoux d’une prude, il parle constance et discrétion, en grasseyant, sous la figure intéressante d’un Abbé musqué. Veut-il s’introduire chez la précieuse ? Il prend le ton et l’air empesé d’un froid Robin. Faut-il plaire à cette savante, qui, sans rien savoir, parle de tout, juge tout, et dont les arrêts sont irrévocables ? Plus négligé dans sa parure, il vient, d’un pas de héros de théâtre, lui débiter, d’un ton emphatique, les mille et une fadeurs. Mais l’habit sous lequel il n’a jamais trouve de cruelles, avec lequel il soumet les beautés les plus rebelles, est celui de financier. J’ai toujours trouvé tes conseils excellents ; sers-moi donc de Mentor et de guide. Eh ! Bien, suis-moi ; tu n’auras pas sujet de t’en repentir. Allons, Mesdemoiselles, rentrez ; il se fait déjà tard, et la promenade a été plus longue qu’à l’ordinaire. Qu’avez-vous donc dans la poche de votre tablier Ursule ? Bien, Madame. Comment ! Rien ?... Voyons, voyons. Oh ! Ciel ! Un roman, un roman, Mademoiselle ? Voilà donc à quoi vous vous occupez, à lire des romans ! Vous ne savez donc pas que rien n’est plus dangereux que cette lecture, et pour le cœur et pour l’esprit, et qu’il faudrait brûler tous ceux qui les composent, comme des empoisonneurs publics ? Il est cependant bien intéressant. Taisez-vous... Si vous voulez vous orner l’esprit et vous former le cœur, lisez le Miroir du Monde, les Délices de la Retraite... Voilà ce qu’on appelle de bons livres, et non pas des romans.... Allez ; que cela ne vous arrive plus. Non, Madame. Rentrez. Un instant. Mademoiselle Brigitte, un instant : que vois-je là dans votre bavette ? Ah ! Madame ! C’est une Chanson charmante ; elle est intitulée : L’Amour Quêteur... Écoutez bien, je vais vous la chanter : « Jupiter un jour, en fureur, Avait banni l’Amour... » Voulez vous vous taire ?... Voulez-vous vous taire ?... Est-ce qu’une Demoiselle, bien élevée, doit chanter de pareilles Chansons ? Vous mériteriez !... Que je vous en trouve jamais, et vous verrez !... Ah ! Vous pouvez la garder, je la sais par cœur. L’impertinente !... Voyons, où en est votre ouvrage, Agnès ?... Voilà donc à quoi vous vous occupez ?... Un bilboquet !... N’avez-vous pas de honte ? À votre âge ! Cela m’amuse. Bel amusement, qu’on pardornerait à peine à un enfant ! Allez, Mademoiselle, allez vous mettre à l’ouvrage. Vous faites un crime de tout. Vous raisonnez, je crois, grande sotte !... Rentrez, rentrez... Toi, reste, Rosette. Que voulez-vous, Madame ? Écoute, rosette. Je suis obligée d’aller faire des emplettes pour toutes mes Pensionnaires, veille bien, pendant mon absence, sur toutes ces friponnes-là ; et , à mon retour, tu me diras tout ce qu’elles auront fait. Oui, Madame. Vous savez que je vous rapporte tout bien exactement ? Oui, mon enfant... Tiens, voilà les clefs de la porte ; tu les remettras à Agnès, et tu lui recommanderas bien, de ma part, de n’ouvrir à personne qu’à moi. Entends-tu ? Oui, Madame... Vous penserez à moi en faisant vos emplettes. Oui, oui ; mais rentre, car je ne veux pas m’amuser longtemps, et l’heure me presse... Ferme bien la porte. Bon, voilà Madame Barbara éloignée ; profitons de son absence, pour tâcher de nous introduire chez elle sous ce déguisement... Frappons à la porte. Qui frappe ? Un pauvre Pèlerin, un bel Ange, mourant de faim et de fatigue, qui demande la charité et l’hospitalité. Je suis bien fâchée, Monsieur le Pélerin ; mais nous ne laissons jamais entrer d’hommes ici. Je n’aurais cependant qu’à dire un seul mot, Mademoiselle, et cette porte t’ouvrirait d’elle-même devant moi. Ah ! Ciel !... Vous êtes peut-être sorcier ? Rassurez-vous, ma belle enfant, rassurez-vous ; je n’ai ni l’intention, ni le pouvoir même de vous faire aucun mal. Vous ne mentez pas ? Non... Vous voyez bien ce cordon qui me ceint les reins ? Oui, Monsieur. Eh ! Bien, lui seul fait toute ma sorcellerie. Comment cela, Monsieur le Pélerin ? Je n’ai qu’à en frapper doucement trois ou quatre fois une porte, sur le champ elle s’ouvre d’elle-même. Voilà un merveilleux cordon !... Mais, de grâce ! Ne vous en servez pas ici. Que craignez-vous ? C’est ma semaine à garder la porte, et si Madame Barbara trouvait un homme dans sa maison, elle s’en prendrait à moi-seule. Ne craignez rien, mon aimable Demoiselle ; je mourrais plutôt de fatigue à votre porte, que de l’ouvrir malgré vous. Je serais bien fâchée d’être la cause de votre mort. Et vous la serez cependant, si vous persistez dans votre refus cruel... Je succombe à la fatigue. Madame Barbara ne peut pas tarder à revenir : attendez-là ; vous lui ferez pitié, sans doute, et elle vous fera entrer. A-t-elle un coeur plus tendre que le vôtre ? Oh ! Non, non.... Certainement, non. Eh ! Bien, Mademoiselle, je le sens , avant qu’elle soit de retour, je serai mort de faim et de fatigue. Surement ? Sûrement... Si vous avez la cruauté de me refuser, vous allez me voir expirer sur le pas de votre porte. Ah ! Ne mourez pas, Monsieur le Pélerin, ne mourez pas; j’aime mieux m’exposer à toute la colère de Madame Barbara. Les Dieux vous en récompenseront... Je la tiens ! Venez, Monsieur le Pèlerin, venez. Que je vous ai d’obligation ! Si Madame Barbara le savait, je serais perdue. Ne craignez rien, ma belle enfant, ne craignez rien ; je me tiendrai caché bien exactement où vous voudrez, et demain, à la pointe du jour, je m’en irai. Venez donc. Prenez-moi par mon cordon, ma chère Demoiselle ; car je n’y vois pas trop clair. Venez. Laissez-là vos ouvrages, Mesdemoiselles, et écoutez-moi bien attentivement... Vos parents vous ont confiées à mes soins, et vous devez bénir le jour heureux où vous êtes entrées chez moi, comme dans un asile sûr, un port calme et tranquille. Tremblez toutes d’en sortir, pour rentrer dans le monde ! Vous ne le connoissez pas comme moi, c’est un gouffre, c’est un abîme où l’innocence, sans cesse attaquée, périt et disparaît en un jour. Tous les hommes y sont volages, ingrats, parjures, perfides. Ce sont des monstres qui n’en veulent qu’à notre honneur. Et qu’est-ce que c’est que notre honneur, Madame ? La sotte, avec sa demande !... Notre honneur c’est... c’est ce que nous avons de plus cher au monde... C’est la vertu... Les hommes cherchent continuellement à nous la faire perdre pour se moquer ensuite de nous ; car une fille, qui a perdu sa vertu, devient la risée de tout le monde. Et comment voit-on qu’une fille a perdu sa vertu ? Cela se voit par sa conduite... Pour vous accoutumer de bonne heure à la conserver précieusement, écoutez-moi. Vous voyez ces anneaux de verre ? Oui , Madame. Ils sont bien fragiles, l’honneur l’est mille fois davantage. Je vais donc vous donner à chacune un de ces anneaux. Conservez-les bien précieusement : ne les donnez à personne ; empêchez même qu’on n’y touche. Je me les ferai représenter tous les jours, et celle qui aura le malheur de le casser ou de le donner, doit s’attendre à toute ma colère... Il se fait déjà tard : rangeons la Classe. Retirez-vous chacune dans votre chambre. Couchez-vous tranquillement, et, surtout, conservez bien précieusement les anneaux que je viens de vous donner... Bonsoir ; bonsoir. Et surtout conservez bien précieusement les anneaux que je viens de vous donner... Madame Barbara, Madame Barbara, j’espère bien vous en escamoter plus d’un ! Après avoir, dans votre jeunesse, abusé de mes faveurs, fait brûler mille fois l’encens sur mes autels, goûté toutes les douceurs que je procure, vous voulez briser mon sceptre et renverser mon Empire ; dépitée de voir l’âge, en effaçant vos chaînes, éloigner vos galants, vous cherchez à vous venger des outrages du temps sur ces jeunes Beautés confiées à vos soins, et vous prétendez soustraire leurs tendres cœurs à mon pouvoir... Eh ! Bien, eh ! Bien, faisons assaut de puissance, et voyons qui de nous deux s’en rendra maître... Prenons avec chacune le ton qui convient à son caractère... Voilà la porte d’Ursule ; c’est la plus raisonnable, et c’est par elle que je veut commencer... Frappons doucement... Ursule, ma chère Ursule ! Qui m’appelle d’une voix si tendre ?... Ah ! Ciel ! Un homme ! Rassurez-vous, charmante Ursule, rassurez-vous, et ne m’exposez pas, par une crainte indiscrète, à toute la colère de Madame Barbara ; je hasarde tout pour vous voir. Et que me voulez-vous ? Ursule, née avec un cœur tendre, ne sentez-vous donc pas qu’il a besoin d’aimer ? Ah ! Pourquoi venez- vous troubler ma tranquillité ? Qui donc êtes-vous ? Votre amant. Mon amant ? Mais l’amant le plus tendre et le plus passionné, qui vent vous adorer toute sa vie, qui brûle pour vous de l’amour le plus violent. Je ne sais où j’en suis... Quel feu, jusqu’alors inconnu, vous faites passer dans mon sein. Vous êtes faite pour aimer ; livrez-vous à l’amour. Mais qui donc êtes vous ? Comment êtes-vous ici ? Quel est votre dessein ? Je demeure ici près, je vous ai vue quelquefois à la promenade, et je n’ai pu vous voir sans vous adorer. À l’aide de ce cordon, par la vertu duquel rien ne m’est impossible, je me suis introduit ici sans être reconnu de personne, et je viens à vos yeux vous jurer un amour éternel, ou mourir à vos pieds, si je vous trouve insensible. Ah ! Vous ne mourrez pas ! Achevez mon bonheur... Dites-moi que vous n’aimez... Ne le voyez-vous pas dans mes yeux ? Charmante Ursule ! Hélas ! Madame Barbara dit que tous les hommes sont faux, volages, parjures. Qui vous voit ne peut plus changer. Vous serez donc constant ? En pouvez-vous douter ? Mais vous, Ursule, mais vous, m’aimerez-vous toujours ? Toujours. Il m’en faut une preuve. Et quelle preuve en voulez-vous ? Vous me la refuserez, peut-être ? Non, je vous le promets. Madame Barbara vient de vous donner un petit anneau de verre ? Eh ! Bien ? Me le refuserez-vous ? Ah, Ciel ! Que me demandez-vous ? Bien peu de chose. Non, vous êtes trop exigeant. Je vois bien que vous ne m’aimez pas... Adieu, Mademoiselle, adieu. Où allez -vous donc ? Mourir, loin de vous, de douleur et de désespoir. Que vous êtes cruel ! Vous me refusez ? Mais... Vos Compagnes ne seront peut-être pas si difficiles. Vous allez les leur demander ? Oui, Mademoiselle, et celle qui me donnera son anneau, sera celle que j’aimerai. Madame Barbara m’avait tant recommande de le garder ! Et vous aimez mieux lui obéir que de m’obliger, cruelle ! Ah ; que vous connaissez peu mon cœur... Écoutez ! Je l’avais serré bien précieusement, je ne comptais pas le perdre sitôt ; mais, puisqu’il vous fait tant de plaisir, je vais vous le chercher. Que je vous aimerai ! Ne vous éloignez pas, je reviens dans l’instant. Allez, je vous attends avec impatience... Et d’une de prise... Courage ! Ne perdons pas de temps ; et pendant que l’innocente est allée chercher son anneau, attaquons-en vite une seconde... Brigitte ! Charmante Brigitte ! Me voilà, me voilà... Ah ! Ah ! C’est un homme ! Oui, charmante Brigitte ! Mais, de grâce ! Ne faites point de bruit, ou je serais perdu. Vous avez raison ; mais qui vous amène ici ? Qu’y faites-vous ? Que me voulez-vous? J’y suis pour vous seule, et je viens, sous ce déguisement, vous déclarer mon amour. Vous êtes donc amoureux de moi ? Oui, charmante Brigitte. J’en suis charmée, car il y a longtemps que je désirais avoir un amoureux : je crois que c’est fort drôle ; et autant vous qu’un autre. Ce n’est pas tout, Brigitte, si vous voulez que je vous aime, il faut m’aimer aussi. Cela est absolument nécessaire ? Absolument. On n’aime pas longtemps sans espoir de retour. Eh i bien , je vous aimerai, moi. Je ne me contente pas de paroles. Vous avez raison. Je veux des preuves. Et quelles preuves voulez-vous ? Ce que vous avez de plus précieux. Ma foi ! Je n’ai rien de plus précieux à vous donner... qu’un petit anneau de verre, que vient de me confier Madame Barbara. Il n’y a pas une heure que je l’ai, et j’ai déjà pensé le casser vingt fois : j’aime encore mieux que vous le gardiez que moi. Le voulez-vous ? Très volontiers. Eh ! Bien, attendez-moi, je vais le chercher. Ne soyez pas longtemps. Non, non. Sans adieu, mon amoureux. Et de deux... Attaquons vite la troisième.... Agnès ! Aimable Agnès !... Ah ! C’est vous, Monsieur le Pèlerin ; que me voulez-vous ? C’est trop longtemps me contraindre, Agnès ! Apprenez que je ne suis pas ce que je parais à vos yeux : je vous adore ! Et je me suis ainsi déguisé pour m’introduire ici ; voyez en moi votre amant. Mon amant !... Et qu’est-ce qu’un amant ? C’est un homme sensible, qui ne voit que la beauté qu’il adore, qui ne vit que pour elle, et qui met son étude et son bonheur à lui plaire. Et quand il lui plaît ? Il est le plus heureux des hommes ! Vous êtes donc le plus heureux des hommes, car vous me plaisez beaucoup. Agnès, que ce tendre aveu m’enchante ! Je vous dis la vérité... J’aime beaucoup toutes mes compagnes ; mais je ne ressens pour aucune le sentiment nouveau que vous m’inspirez. Vous voulez donc bien de moi pour votre amant ? Oh ! Oui... Écoutez, Agnès ; on ne doit rien refuser à son amant. Je ne veux aussi vous rien refuser. Eh ! Bien, donnez-moi... votre anneau ? Mon anneau ? Je vous en conjure ! Et qu’en voulez-vous faire ? Le garder toute ma vie. Je le garderai aussi bien que vous. Il me serait si précieux ! À quoi pourrait-il vous servir ? Il me serait un gage toujours présent de votre amour pour moi ; il me prouverait combien vous m’aimez. Vous le prouverait-il plus que ma parole ? Je crois bien à la vôtre : me voyez-vous vous rien demander ? Ah ! Vous pouvez tout exiger : mon sang, ma vie, tout est à vous. Et... Et... Votre cordon ? Il est à vous. Ah !... Gardez-le. Eh ! Bien, Agnès... cet anneau ? Oh ! Non. Madame Barbara m’a trop défendu de le donner à personne. Quoi !... Vous me refusez ? Il le faut. Vous ne m’aimez donc pas ? Je crois que si. Et vous ne voulez pas me donner cet anneau ? Non... Mais... Le voilà. Eh ! Bien ? Ne pouvez-vous pas me le prendre ? Vous êtes charmante ! Tenez... J’aurais dû mieux vous résister : voilà mon anneau, cruel ! Mais je vous le donne en pleurant. Pouvez-vous être fâchée d’obliger votre amant ? Tiens, mon amoureux, tiens, voilà mon anneau. Il fera mon bonheur. Elles vous donnent chacune leur anneau ? Oui. Que vois-je ? Vous avez l’anneau de Brigitte et celui d’Agnès ? Oui. Le tour est bon, le fripon a nos trois anneaux ! Ingrat ! Vous me trompiez donc ? Vous les aimez donc aussi ? Vous êtes toutes les trois charmantes ; pourquoi ne vous aimerais-je pas toutes les trois ? J’y consens volontiers, moi ; mais à charge de revanche. Faites comme vous voudrez... Mais pourquoi ne m’aimez-vous pas seule ? Vous êtes un perfide : rendez-moi mon anneau. Soyez aussi raisonnable qu’elles. Elles ne connaissent pas l’amour comme moi. Allez, je vous aimais de bonne foi ; je veux être aimée de même. Ah ! Ah !... Que vois-je ? Un homme ici ! Un homme avec ces Demoiselles !... Madame Barbara! Madame Barbara ! Eh ! Bien... quoi ! Qu’est-ce ? Nous sommes perdues ! Ah ! Ciel ! Un homme ! Un homme ! Eh ! Oui ! Un homme ! Et qui nous a pris nos anneaux à toutes les trois. Vos anneaux ! Vos anneaux !... Qu’entends-je !... Retirez-vous, malheureuses ! Retirez-vous, et craignez tout de ma juste colère ! Et vous, Monsieur le drôle, que faites- vous ici ?... Ah ! Je vais vous faire punir de la bonne manière. Arrêtez, Madame Barbara, arrêtez ; vous ne connaissez pas encore tout mon crime : l’amour, il est vrai, m’a conduit ici ; mais ce n’est pas de ces morveuses dont je suis amoureux. Et de qui donc ? De vous seule. Ah ! S’il disait vrai ! C’est vous seule, oui, vous seule que je cherchais ici ; c’est pour vous seule que je m’y suis introduit, à l’aide de ce cordon magique qui m’en a ouvert la porte, et c’est à vos pieds que je veux vivre ou mourir. Eh ! Bien, me voilà toute déconcertée... Ah ! Relevez-vous donc, relevez-vous donc ; vous êtes trop dangereux ! Non, je meurs à vos pieds, si vous m’êtes cruelle ! Ah ! Vivez, vivez, et qui pourrait vous résister ? Vous m’aimez donc ? Eh ! Oui, dont bien j’enrage ! Que mon triomphe est glorieux ! Je vous adore : restez dans ma maison ; établissez-y votre demeure, régnez-y en souverain, comme vous régnez sur mon cœur. Qui m’assurera de votre amour ? À mon âge, me prenez-vous pour une trompeuse ? Non ; mais j’aime les preuves. Ah ! Que vous êtes exigeant. Ménagez-moi, je vous prie. Écoutez-moi. Vos Pensionnaires m’ont donné leurs anneaux ; et vous ? Oh ! Moi, je n’ai plus de ces joujoux d’enfants ; que puis-je vous offrir à la place ? Donnez -moi... Votre martinet. Mon martinet ! Oui. Et que diront toutes mes pensionnaires, en me voyant sans martinet ? Nous les laisserons dire. Prenez le donc, le voici. Ah ! Ah ! Ah!.... Je suis perdue ! Voilà toutes mes pensionnaires. Fort bien, Madame Barbara, fort bien ! N’avez-vous pas de honte, à votre âge ?... Ah ! Ah ! Ah ! Ah !.... Taisez vous, impudentes : et retirez-vous. Nous ne voulons pas. Avez-vous oublié que je suis votre maîtresse. Nous ne connaissons plus de maître ici, que celui qui tient le martinet. Oui, nous vous reconnaissons pour notre Maître et notre conducteur ; nous ne voulons obéir qu’à vous seul. Je serai moi-même votre première esclave ; restez à jamais avec nous. J’y consens de tout mon cœur. Halte-là, Seigneur Amour ! Ton exil est fini. Jupiter, à la prière de tous les Dieux, nous rappelle dans l’Olympe. Il faut y remonter sur le champ. Qu’entends-je ? Quoi ! Vous êtes l’Amour ? Oui, Madame... J’avais choisi votre maison pour y établir ma demeure. Jupiter en ordonne autrement, il faut lui obéir, et je pars. Quoi ! Vous nous quittez, petit Fripon ? Je ne vous quitte pas pour toujours, je viendrai vous revoir. Donnez-nous donc des gages. Et que voulez-vous ? Laissez-nous votre cordon. Qu’en feriez-vous ? Nous le garderons bien précieusement. À quoi pourrait-il vous servir ? À diminuer l’ennui de votre absence. Le voilà. Eh ! Bien, Mesdemoiselles, que veulent donc dire ces façons-là ? Ah ! Prenez garde qu’il ne devienne plutôt, entre vous un sujet de discorde, qu’un objet de consolation.