Un violent desir me presse et m’importune, Pour apprendre ta bonne ou mauvaise fortune. Tu portes, ce me semble, un habit emprunté, Pour cacher à nos yeux beaucoup de majesté. Je tire sans mentir des traits de ton visage, D’une heureuse naissance un certain tesmoignage : J’en voy dans ton maintien des signes apparens ; Appren moy ton dessein, ton païs, tes parens. Madame, le malheur m’en oste la puissance, Je ne connois point ceux dont je tiens ma naissance : Il m’en souvient bien peu, des voleurs inhumains Me ravirent sur mer, jeune d’entre leurs mains. Alsen, est le pays, où je fus enlevée, Où d’honnestes Bergers, m’ont depuis eslevée. Helas ! mais quel dessein te poussa dans ces lieux ? Un vœu que j’avois fait au plus grand de nos Dieux. Celine, si tu veux contenter mon envie, Ne songe qu’à regret à ta premiere vie ; Le penible mestier que ce peuple t’apprit Ne merita jamais d’occuper ton esprit, Les Dieux à ce travail ne t’ont point destinée, Suy l’inclination d’une fille bien née, Esleve ton espoir, tes pensers, tes desirs, Et pren d’oresnavant de plus nobles plaisirs. Sans mentir les appas dont tu me vois pourveuë, Ne contentent-ils pas ton esprit et ta veuë ? La Grace ou la beauté des Dames de la Cour, A-t’elle pas le don de causer de l’amour ? Et quoy que tu sois fille, en es-tu pas attainte ? Vostre naïfveté, vaut elle bien leur feinte ? Prise ces raretez, admire ces pourtraits, Dy moy, ta solitude a-t’elle tant d’attraits ? Vos fleurs sont elles pas moins belles qu’en peinture ? Et l’Art ne plaist-il pas bien plus que la Nature ? Nous trouvons à la Cour de quoy nous contenter, Les plus charmans plaisirs nous peuvent arrester, Et nous doutons souvent parmy tant de merveilles, S’il nous faut employer nos yeux ou nos oreilles ; Mille divers objets charment en mesme temps, Le nombre rend souvent nos desirs mal-contens, Et pour les bien gouster il nous faut, ce nous semble, Le mesme nombre d’yeux, et d’oreilles ensemble ; Mais ne diras-tu pas que c’est trop nous loüer, Et qu’un moindre discours t’auroit fait avoüer, Que l’on passe à la Cour une si douce vie, Qu’elle attire des Dieux et l’amour et l’envie ? Madame, si Celine en ce lieu ne vous plaist, Elle fuira la cour toute heureuse qu’elle est. Les plus charmans plaisirs luy seront des supplices, Si vous n’y recevez ses tres-humbles services. Mais si vous desirez me faire cét honneur, Vous pourrez d’un coup d’œil achever mon bon-heur. Vostre contentement sera ma recompense. Obey moy tousjours avec cette esperance, Et me suy maintenant.         Je la veux suivre exprés, Afin d’entretenir Lisanor de plus prés . Quoy que Prince estranger, il faut que je soupire Du mal-heur impreveu de ce puissant Empire. Grands Princes, apprenez des destins conjurez, Que les plus puissans Roys sont les moins assurez Avoüez maintenant qu’il n’est que trop croyable Que le lieu le plus haut est le plus effroyable. L’Empire des Danois s’alloit borner des Cieux, Mon Prince dessus luy ne voyoit que les Dieux ; Apprenant le respect, on oublioit la guerre, On ne le nommoit plus que le Roy de la terre, Et je croy que les Dieux, craignans que son pouvoir Ne chassast de nos cœurs la crainte et le devoir, Pour troubler son Estat ont troublé la Nature, Faisans un monstre autheur de sa triste avanture. Ce Tyran fait chez nous de furieux efforts, Il gaigne des combats, il s’empare des forts ; Et comme vous voyez son cœur enflé de gloire, Veut que ses gens oysifs luy doivent la victoire ; Il veut combattre seul.         Ce combat est l’objet, De la valeur d’un Prince, et non pas d’un sujet ; Nous avons depuis peu quitté nostre Province, Pour monstrer nostre force en servant ce grand Prince, Et luy mesme aujourd’huy nous ravit ce bon-heur. Je sçay bien que le Roy cherit vostre valeur, Mais qu’il ne veut pas perdre une si belle vie, Et tasche d’espargner le sang de Moscovie. Brise là ce discours, Alcire, mais dy moy, Quel est ce Lisanor tant estimé du Roy ? C’est un jeune estranger, inconnu de naissance, Qui fait de sa vertu dépendre sa puissance, Qui mesprise les biens, et qui cherit l’honneur. Cette vertu n’est rien que beaucoup de bon-heur. Cet estranger est grand, quoy qu’il vienne de naistre, Mais quelle occasion l’a si bien fait connaistre ? Il ne fut pas plustost arrivé dans le port, Que passant la forest, par la faveur du sort, Il vit contre mon Prince une Laye enragée, Et sa Majesté seule au combat engagée ; Je vins bien-tost apres, emmenant avec moy Une jeune beaute que je fis voir au Roy ; Mais luy me regardant l’ame d’ayse ravie, Vous voyez, me dit-il, à qui je dois la vie ; Je contemplay ce Mars en habit de Berger, Et le monstre abbatu m’assura du danger. Mon Prince comparant ces deux rares merveilles, Pareilles en habits, en beauté sans pareilles ; Alcire, me dit-il, je voy dedans leurs yeux, Je ne sçay quoy de grand et de prodigieux : Il ayma Lisanor d’une amitié puissante, Et presenta la fille à la Princesse Agante. Comment la nomme-t’on ?     Celine.         Alcire, adieu ! Nous te remercions, laisse-nous en ce lieu. Et c’est ce Lisanor si digne de loüanges ! Voit-on dans les Romans des choses plus estranges ? Ce puissant Fondateur de l’Empire Romain Fut conduit toutefois d’une pareille main. La fortune se plaist à ces metamorphoses, D’une basse origine on voit de grandes choses. Un heureux aveuglé souvent rencontre mieux, Qu’un malheureux conduit avecque de bons yeux ; Le hazard nous a mis dans le throsne où nous sommes, La fortune se rit de la raison des hommes, L’un cherchant son bon-heur en destourne ses pas, Et l’autre le rencontre en ne le cherchant pas. Qu’il gaigne des combats sur la terre et sur l’onde, Et qu’il se rende enfin maistre de tout le monde. Je ne suis pas fasché qu’il soit dans cét estat, S’il ne me privoit point de l’honneur du combat, Et des moyens de plaire à la Princesse Agante. Moy de plaire à sa sœur.         Mais perdons cette attente, Et cherchons maintenant par des soins curieux , Ce qui peut rendre un Prince agreable à leurs yeux. Mon frere jettons nous aux rets qu’elles nous tendent, Peu d’hommes dans le monde à bon droit y pretendent, On ne sçauroit trouver de partis plus égaux, On ne voit point icy de troupes de Rivaux. Tous les peuvent aymer, mais il faut qu’ils se taisent, Et puis elles n’ont pas les Amans qui leur plaisent. Nous n’osons pas aymer toutes sortes d’objets, Et toujours nostre Hymen dépend de nos sujets. Rendons nous donc, mon frere, et doux et necessaires, Et dans leur entretien, et parmy leurs affaires, Et joignons s’il se peut pour les avoir un jour, La faveur de ce peuple avecque leur amour. Quoy peux-tu bien encor esperer du secours ? Croy-tu que ma raison se rende à tes discours, Et que passionné pour la gloire des armes, Je soumette ma force au pouvoir de tes larmes ? J’ai repris ton amour avecque tant d’aigreur, Et de tant de raisons combattu ton erreur. Toy-mesme as deploré ton esperance vaine, Et veu sans aucun fruit tes soupirs et ta peine ; Apres tant de froideur, de refus, de mespris, Pense-tu resister au dessein que j’ay pris ? Dessein dont les effets tesmoignent la puissance, Dessein qui m’a tiré du lieu de ma naissance. Mon amour a produit de si rares effets, Que ceux de ta valeur me semblent imparfaits ; J’ay quitté comme toy nos bois et nos campagnes, J’ay perdu l’amitié de mes cheres compagnes. J’ay mesprisé pour toy tant de biens apparens, Et ceux qui me rendoient les devoirs de parens ; Mais nous avons tous deux desdaigné ce partage : Je te veux maintenant faire voir l’avantage, Que ma fidelle amour a dessus ta valeur. Dieux ! m’en puis-je vanter sans changer de couleur ? Si ta moindre action peut obliger mon ame, Je suis desja tout prest de ceder à ta flamme. Ce qui seul est l’objet des bonnes actions, Qui seul nous fait forcer nos inclinations, Pour qui nous estouffons nostre amoureuse plainte, Et pour qui nostre esprit se forme plus de crainte. Ce qui nous conduit mieux que l’exemple et les Loix, Qui passe la grandeur et le pouvoir des Roys, Dont le penser plus fort que l’horreur du supplice, Met une ame en repos et la sauve du vice, C’est ce que j’ay quitté pour te suivre en ces lieux. C’est l’honneur.         Ce mespris est un crime odieux, Differente d’humeur lors que tu me veux plaire, Au lieu de mon amour tu gagnes ma colère, L’honneur sur ton esprit a bien peu de pouvoir, Pour l’avoir je te fuy, tu le fuis pour m’avoir, Ce que j’ayme est icy le sujet de ta fuitte. Que dis-tu de l’objet de ma longue poursuitte ? Tu me dois confesser que tu l’aymes aussy ; Car c’est toy seulement que je recherche icy ; Au moins en cet endroit tu cheris ce que j’ayme. Certes si je pouvois, je me fuirois moy-mesme. Quoy n’estime-tu pas un esprit genereux ? Je blasme justement un esprit amoureux. Au moins si mon amour merite cet outrage, Tu ne te deffends pas d’honnorer mon courage. Ton courage t’a fait mespriser ton honneur. Enfin si je ne puis luy devoir mon bon-heur, Si ta temerité ma constance mesprise, Que la peur du trespas rompe ton entreprise. Maintenant tes discours sont faux ou superflus ; Nostre plus grand malheur c’est de ne vivre plus. Quand apres le tombeau la gloire nous doit suivre, C’est un plus grand bon-heur de mourir que de vivre ; Ce trespas qui nous vient d’un sujet glorieux, Nous doit rendre immortels aussi bien que les Dieux. Ces honneurs eternels où mon espoir se fonde, Estoient l’unique prix des conquerans du monde, Qui mesprisans leurs biens, cherchoient dans le trespas Un bon-heur qu’en vivant ils ne possedoient pas. Tu fais Ambition, des biens imaginaires, Tu mets dessous les pieds les grandeurs ordinaires ; Et laissant ce qu’on voit sur la terre de beau, Tu cherches des plaisirs jusques dans le tombeau. Tu nourris, Lisanor, une fausse esperance, Tu cherches un bon-heur de bien peu d’apparence ; Fuy, fuy, si tu me crois ces folles visions, Les biens des trespassez sont des illusions, Ne penses pas forcer les Loix de la Nature, Et vivre encor heureux apres ta sepulture. Cette gloire immortelle, et ces champs eternels, C’est dont on va flattant les pauvres criminels. Ce qui nous fait trouver la mort moins adversaire, Et qui fait agréer un mal-heur necessaire. Quand la mort approchant nous force à soupirer, Et que l’on nous voit craindre, on nous fait esperer, Contens de nous tromper, nous croyons des mensonges, Et nous voulons changer nos biens avec des songes. N’esperes pas aussi ces honneurs immortels, Que l’on rend tous les jours sur ces riches autels. Qu’au milieu de la ville on t’esleve une image, Qu’en ce lieu tous les jours on aille rendre hommage, Et qu’un Roy si puissant, te fasse à l’avenir Revivre apres ta mort dedans son souvenir. Mais quand cela seroit, comme avant ta naissance, Tes sens ensevelis n’auront point de puissance. Tes yeux ne verront pas ces marbres eslevez, Et dessus un tombeau de vains tiltres gravez. Tu n’auras pas le bien d’ouïr la voix commune, Qui doit un jour loüer et plaindre ta fortune, Et jamais ton esprit ne sera satisfait, De l’exploict genereux que ton bras aura fait. Helas ! que ton courage abbaisse ta prudence ! Mon trespas seulement sera ma recompense. A ces mots, mon discours est en confusion, Tu n’as pour me punir que trop d’occasion, Tu ne peux en mourant m’empescher de te suivre, Mais tu peux si tu veux, et me punir et vivre, Tu vivras pour haïr et pour te faire aymer, Et tu me pourras voir, et vivre et consommer. Adieu, car voicy l’heure au combat assignée, Un meilleur entretien doit finir la journée. Puissant Dieu, juste autheur de mon affection, Empesche les effets de son ambition. Fin du premier Acte. Celine sur Agante emporte la victoire, Aupres de tant d’attraits le Sceptre perd sa gloire, Sa beaute me plaist mieux que la grandeur des Rois, Et je prise bien moins leurs presens que ses Loix. Amour seul ennemy de ma bonne fortune, Pourquoy m’as-tu rendu la Couronne importune, D’où me vient ce refus de tant d’honneurs offers, Et qu’un Sceptre en mes mains pese plus que mes fers ? Celine me ravit, ses attraits incroyables Rendent mes biens fascheux, et mes maux agreables, Et font sur mon esprit un effort si puissant, Qu’il semble que mon cœur s’esleve en s’abbaissant. Malgré tous les effets de son humeur farouche, J’adore ses beaux yeux, j’idolatre sa bouche, Et tous ces vains honneurs rendus à sa beauté, Luy changent sa couleur et non sa cruauté ; Je l’appelle mon cœur, et mon tout et ma Reine, En blasmant sa rigueur, je luy conte ma peine. Mais l’inhumaine feint que ma soumission Vient plustost du mespris que de l’affection ; Si je dis le pouvoir que ma grandeur me donne, Si je conte les biens qui suivent ma couronne, En m’estimant plus grand, elle me tient suspect, Et les yeux abbaissez tesmoigne du respect. Amour, aupres de toy les Rois n’ont rien d’auguste, Nous sommes impuissans quand tu veux estre injuste, Tu nous fais preferer des tenebres au jour, Une houlette au Sceptre, et des bois à la Cour ? Quoy tu tires encor tes traits à l’avanture, Comme au Siecle où chacun cedoit à la Nature, Où pour se gouverner on n’avoit que ses Loix, Où les hommes estoient leurs Juges et leurs Rois ; On n’avoit point alors d’inutiles pensees, Les amitiez n’estoient ny feintes, ny forcées. Personne en ce temps-là ne te vouloit de mal, Ton pouvoir estoit juste, où tout estoit égal ; Mais puisque la fortune a borné les Provinces, Qu’elle a voulu créer des sujects et des Princes, Qu’elle nous a rendus aux autres estrangers, Et separe les Roys d’avecque les bergers, Pourquoy veux-tu mesler la nuit à la lumiere, Et remettre le monde en sa forme premiere ? Mutin tu ne veux-pas abolissant ta loy, Ceder à la Fortune aveugle comme toy ; Mais comme ton pouvoir precede sa naissance, Tu veux que sa grandeur revere ta puissance, Je voy venir icy mon frere tout pensif Son visage fait voir son tourment excessif ; Que ma douleur au prix devroit estre legere, Il ayme une Princesse et j’ayme une bergere. Thersandre ces souspirs ne sont plus de saison, Qui les veut excuser, manque un peu de raison. Je ne veux-pas du tout desaprouver ces larmes, Qu’un bel œil dans l’abord attire par ses charmes. Je sçay que la raison ne peut rien sur ces pleurs, Mesme qu’elle permet nos premieres douleurs ; Qu’à ce commencement le respect et la crainte, Obligent à bon droict les amans à la plainte. Mais quand on est aymé, les pleurs sont superflus, Lors que nous possedons nous ne souspirons plus. Vous supposez, mon frere, une chose impossible, Ah si cette beaute n’estoit pas insensible ! Si j’estois seulement flatté d’un peu d’espoir, Que mes pleurs quelque jour la peussent esmouvoir, Que vous verriez bien-tost mes actions changées, Et dessous le pouvoir de mon ame rangées ; Mais sa rigueur à voir naist de mon amitié, Et ma douleur me rend indigne de pitié ; Elle hait mes discours, se rit de mon silence, Et ne donne à mes vœux que le nom d’insolence, Enfin ce mesme amour qui fait aymer me nuit. Que me dittes vous là, quoy Caliste vous fuit ? Non c’est moy qui la fuis.         D’où naist donc vostre plainte. Qu’à descouvrir son mal on souffre de contrainte ! Voicy le seul sujet du mal-heur qui me suit, Je la fuis pour aymer une autre qui me fuit. Vous mesprisez, mon frere, une grande Princesse. Devant un si grand Dieu, cette grandeur s’abbaisse, L’amour ne connoist point les regles du devoir. L’amour d’une Bergere a sur moy ce pouvoir. Enfin ne croyez pas ma bouche mensongere, Quand elle vous dira que j’ayme une Bergere. O Dieux, qu’ay-je entendu ! Mais quel est cét objet Qui peut d’un si grand Prince, en faire son sujet ? Celle qu’on vous monstroit aujourd’huy dans le temple ; Celine, confessez qu’elle n’a point d’exemple, Et que cette beauté qui mesprise le fard, Fait voir que la Nature est au dessus de l’Art. Faisons-luy mespriser ces attraits veritables. Mon frere, sommes-nous dans le siecle des fables, Où tous les Dieux jaloux du bon-heur des humains, Prenoient pour estre aymez la houlette en leurs mains, Et parez seulement de graces estrangeres, Venoient parmy les bois adorer des Bergeres ? Si vous estes jamais de ces pauvres amans, Vous ferez augmenter le nombre des Romans. Pourveu que sa beauté ne passe point pour fable, Sans doute on jugera mon amour veritable. Je ne puis approuver ses traits, ny vos liens, Et je trouve vos yeux plus mauvais que les siens. Ceste vaine beauté dont vostre ame est saisie, N’est rien qu’un pur effet de vostre fantaisie, Et ces yeux impuissans qui vous donnent le jour, Tirent tous leurs attraits de vostre seul amour. Ainsi les amoureux honnorent la Nature, Des beautez que leur sens produit à l’avanture. Voulez-vous voir en elle un triste changement ? Faites que l’amour cede à vostre jugement, Et vos yeux desgagez de cette erreur premiere, Verront ce beau Soleil privé de sa lumiere. La mesme erreur se voit en ces cœurs enflammez, De certains corps mouvans et non pas animez. Leur beauté fait jetter des souspirs et des larmes ; Mais on la voit bien-tost finir avec les charmes, Dont les Demons trompoient nos esprits et nos yeux, Et comme ils sembloient beaux, ils nous sont odieux. Ah que ces vains discours font souffrir mes oreilles ! Que mon esprit ayt fait ces divines merveilles. Et que pour augmenter luy mesme sa douleur Il donne à ces beaux yeux les traits et la chaleur ? Il ne pourroit avoir une si belle image, Si mes yeux autrefois n’avoient veu son visage, Reservons seulement cette puissance aux Dieux, Icy bas nostre esprit ne voit que par nos yeux, Ce sens qui fait chez nous tant de metamorphoses, Doit recevoir d’ailleurs les images des choses, Et ne peut composer ces visages divers, Que des traicts differens qu’on voit en l’univers ; Il ne fait qu’un pourtraict de toutes les idées, Des charmantes beautez que l’œil a regardées. Comme un Peintre qui tire ou des eaux, ou des fleurs Ne fait qu’une couleur de diverses couleurs. Mais pour representer ses graces nompareilles, Tout le monde n’a pas d’assez rares merveilles. Les Dieux devroient changer les roses et les lys, Et les plus beaux objets devroient estre embellis. De toutes ces raisons, mon esprit se deffie, Mais donnons quelque chose à la Philosophie. J’ay peu de passion pour les graces du corps : Comme on n’a point d’amour pour la beauté des morts, Je ne suis point charmé regardant une souche, De la proportion des mains ny de la bouche, Je voudrois qu’une fille, eust un esprit heureux ; C’est la perfection qui me rend amoureux. Comme elle est par l’esprit eternellement belle, Je tasche à luy porter une amour eternelle. Jamais d’autre beauté mon ame ne surprit, Mon esprit seulement est charmé par l’esprit, Voyant qu’elle n’a rien de beau que le visage, Je l’ayme de l’amour dont j’ayme son image. Je ne sçaurois jamais l’appeler mon vainqueur, Elle retient mes sens, mais je retiens mon cœur. Aussi bien que son corps son esprit est aymable, Je n’y reconnois rien qui ne soit admirable, Tous deux sont accomplis, leur pouvoir est égal, Si vous aymez l’esprit vous estes mon rival. Il n’est rien de plus vray que cette conjecture, Dissimulons pourtant. Je sçay que la nature, De son seul mouvement accorde le pouvoir, A nos yeux de charmer aussi bien que de voir. Que sans se faire ayder des forces de l’usage, Elle fait aysément les beaux traits d’un visage, Et sans tirer de l’Art quelque ornement nouveau, Elle compose un corps tout parfait et tout beau. Mais elle ne peut faire un esprit sans estude, Il ne se polit point dans une solitude, Il faut pour l’achever un meilleur entretien, Elle auroit plus de peine à nous donner ce bien : Si nous ne frequentions que des fleurs et des arbres ; Qu’à faire discourir les rochers et les marbres : L’Art mesme fait du corps le maintien gracieux, La majesté du front, et la douceur des yeux ; Ce corps est comme l’or qu’on tire d’une mine, La Nature l’a fait, mais l’estude l’affine ; Et l’esprit de Celine a causé vostre amour ; Cherissez, cherissez quelque objet à la Cour. En ce lieu les esprits sont trop pleins d’artifices, Leurs plus grandes vertu sont pour moy de grands vices, Je ne voy rien que feinte en tous leurs complimens, Et le crime tousjours succede à leur sermens. Celine en sa froideur me fait voir sa franchise, Je croy qu’en me fuyant elle me favorise, J’estime ses desdains, je chery ma langueur, Et trouve des appas mesme dans sa rigueur ; Je voy dans ses mespris, sa bonté naturelle, Et l’ayme également amoureuse et cruelle. Puisque de ses mespris vous estes si content, Allez ; vous meritez d’estre appellé constant. Et pour vous maintenir dans vostre patience ; Je dis que j’ay parlé contre ma conscience ; Celine a tous les yeux, et les cœurs de la Cour, C’est le plus bel objet qui respire le jour ; Les traits de son esprit, et ceux de son visage Ont sur tous les mortels un pareil avantage, Je voy dans sa froideur assez de quoy charmer, Sa hayne a le pouvoir de me la faire aymer ; Enfin nous la devons admirer et nous taire. Avez vous maintenant dequoy vous satisfaire ? Ay-je assez là dessus contenté vos esprits ? Gardez bien qu’en raillant vous n’en soyez espris, Et qu’ayant dans le cœur sa belle image emprainte, Enfin la verité ne succede à la feinte. Je veux l’entretenir et paraistre discret, Et toujours mon rival me dira son secret. Helas nostre grandeur est bien mal assurée, Et nos plus grands plaisirs de bien peu de durée ! Bons Dieux ! que dans la Cour on esprouve d’ennuis, Et que les plus heureux ont de mauvaises nuits ! Ah ! que j’ay bien preveu cette inutile plainte ! Que mes premiers tourmens me donnerent de crainte ! Et que je connus bien ce triste changement, Aussi tost que j’eus vû Lisanor seulement ! Je sentis aussi-tost je ne sçay quelle flamme, Qui presque sans effort se glissa dans mon ame, Et ces petits souspirs sans pleurs et sans douleur, Furent les messagers de mon prochain mal-heur. Mes yeux de tous costez suivoient son beau visage ; Et ma voix ne pouvant recouvrer son usage, Helas ! combien de fois ay-je dit apart-moy Que ne suis-je Bergere, ou bien que n’és-tu Roy ? Ah ! respects importuns qui causez mon silence, Et qui faites passer un mot pour insolence ; Pourquoy sans luy parler verray-je ses appas ? Je luy parlerois bien, si je ne l’aymois pas ; Pourquoy puissant amour, me rens-tu si craintive ? Ne retiens pas ma voix et mon ame captive, Peut-estre qu’en parlant je le pourray charmer ; Tu ne veux pas qu’il ayme, et tu me fais aymer, Tu mets devant mes yeux et la honte et le blasme, De crainte que ma voix ne desgage mon ame ; Tu sçais qu’on souffre plus en souffrant lentement, Et qu’esloignant les feux on accroist le tourment. Mais je nomme cela de foibles resveries, Voyant ce qu’ont produit mes dernieres furies. J’avois au premier coup de libres sentimens, Et mes feux sans mentir n’estoient pas des tourmens. Jamais en le voyant je ne versois de larmes, Je trouvois dans ses yeux du remede et des charmes. Je n’y cherchois encor que de petits plaisirs, Eux-mesmes ils causoient et bornoient mes desirs, Que je souffre aujourd’huy de perte en sa victoire ! Qu’il augmente mes maux, en augmentant sa gloire ! Ah ! que dans ce combat il m’a blessé le cœur ! Que je dois justement l’appeller mon vainqueur ! Et qu’il faut à bon droit que sa vertu se vante, En tuant le tiran, de triompher d’Agante ! Le moyen qu’à present j’approuve son dessein, Puisque du mesme fer il m’a percé le sein ? Mon chagrin suit icy l’allegresse commune, J’ayme nos maux passez, et je hay sa fortune, Nostre ennemy donnoit de la crainte à la Cour, Mais j’ayme encore mieux la crainte que l’amour : Et puis ne dois-je pas donner un moindre blasme Au tiran de mon bien qu’au tiran de mon ame ? Mais qui me vient chercher en des lieux si secrets ; Celuy m’oste beaucoup, qui m’oste mes regrets. C’est ma sœur qui s’approche.         Il faut estre discrette. Quoy ma sœur vostre joye est elle si secrette ? Apres que tant d’objets ont contenté mes sens, Je donne à mon esprit des plaisirs innocens : J’ay veû de mille attraits toute la Cour pourveüe Et tous également ont arresté ma veuë. Si vous eussiez pû voir ces objets de mes yeux, Tous leurs attraits ma sœur vous seroient odieux. Mais qui vous a donc plû ?         Le plus digne de plaire. N’achevons point le reste, il est temps de se taire. Dites donc ?         Mais pourquoy ne luy dirois-je pas ? C’est Lisanor.         O Dieux ! il a quelques appas. Qui me le font aymer.         Mais comme le Roy l’ayme, Le bien commun m’oblige à le cherir de mesme. Pour rompre tout d’un coup ces discours superflus, Vous aymez sa valeur :         Mais j’ayme encore plus. Ah ! n’entretenez point ces amours indiscrettes, Regardez ce qu’il est, voyez ce que vous estes. Sa bassesse ne peut desgager ma raison, Ses vertus ont trop bien estably ma prison. Ces vertus qu’à vos yeux la passion fait naistre, Montrent bien qu’en aymant on ne sçauroit connaistre, Vostre raison captive ignore les defaux, Ma sœur vostre pensée ou vos discours sont faux. Ils sont faux, si je perds une si belle envie. Je veux que sans l’amour on ayt perdu la vie, Qu’aux amans chaque jour des plaisirs soient offers, Et que la liberté soit pire que les fers ; Mais il faut que l’aymé soit égal à l’amante, Afin que cette amour s’entretienne et s’augmente. Songez à vous ma sœur, et voyez ce qu’il est. L’aymé nous est égal aussi-tost qu’il nous plaist, L’amour d’un plus puissant me seroit importune, Je ne l’aymerois pas, j’aymerois sa fortune. Et quels tourmens apres nous seroient preparez, Ayant nos biens unis, et nos cœurs separez ? Je ferois tous les jours des vœux pour son absence, Je vivrois avec luy sans paix et sans licence, Il n’auroit à mes yeux que son sceptre de beau, Et je fuirois plustost son lit que mon tombeau ; Mais, Dieux ! de quels plaisirs ne voit on point comblées, Deux ames que l’Amour a luy mesme assemblées ? Quel sceptre est comparable au bien de deux amans ; Son poids est importun, leurs plaisirs sont charmans. Ah ! si c’estoit un Roy !         Mon cœur luy sert de throsne, Et ses lauriers acquis luy servent de couronne. Que vous estes subtile à tromper la raison ! Mais que vous estes foible à rompre ma prison ! Je blasme vostre amour d’autant que je vous ayme. Si vous m’aymez, ma sœur, vous l’aymerez de mesme. Je perdray mes raisons à vous persuader. Où l’amour est aussi, la raison doit ceder. Que j’ay fait de discours contre ma conscience : Qu’ils sont bien dementis par mon experience ! Je blasme en mesme temps et cheris ses appas, Et donne des raisons dont je ne me sers pas. Pardonne, Lisanor, et croy pour ma deffence, Qu’afin de t’aymer seule, aujourd’huy je t’offence. Je consens que tu sois agreable à mes yeux, Et que devant ma sœur tu sembles odieux. Voulant parler d’amour, je veux qu’elle s’en taise, Et si ton œil me plaist, je veux qu’il luy desplaise ; Je m’en vais à ma sœur presenter du secours, Pour assurer mon bien et trahir ses amours. Fin du 2ème. Acte. Dieux que par une estrange et funeste avanture, Nous voyons pervertir l’ordre de la Nature ! Qu’une horrible fureur tyrannise nos sens ! Et qu’on doit regretter les siecles innocens ! On estoit autrefois exempt de cette flamme, On tiroit ses plaisirs du repos de son ame : On ne connoissoit point la hayne et le mespris, Mais l’amour mutuel enflammoit les esprits ; Les pleurs et les soupirs n’estoient point en usage, Quand on avoit depeint l’amour sur son visage, L’aymé tout à l’instant se sentoit enflammer, Et pour se faire aymer, il ne falloit qu’aymer. Qu’aujourd’huy ce demon tient un cruel Empire ! Et qu’inutillement tous les jours je souspire ! Que j’ay fait de desseins, que j’ay versé de pleurs ! Helas ! combien de fois ay-je dit mes douleurs, Dans la plus reculée et triste solitude, Sans trouver de remede à mon inquietude ? Ah ! je voy bien qu’en vain je la viens implorer ; Ce silence profond m’invite à souspirer, Il semble que ces bois se plaisent à m’entendre, Ces branches à les voir ont bien peur de s’estendre, Le vent en s’approchant tasche de s’alentir, De peur que son doux bruit vienne me divertir, Et l’eau qui va baignant cette aymable verdure, Evite les cailloux de crainte du murmure, Toy-mesme Lisanor que je viens rechercher, Je ne t’esprouve pas moins dur que ce rocher . Le voicy, je suis d’ayse, et de crainte ravie, Si sa voix fait mourir, ses yeux rendent la vie. Mon songe du matin n’a pas esté trompeur, Je voy cét ennemy qui m’a tant fait de peur, Si mes justes raisons n’arrestent sa poursuitte, Il faut d’oresnavant le vaincre par ma fuitte. Dieux comme il se retire ! attends encor un peu, Je n’ay plus à pousser qu’un petit trait de feu. Helas ! j’ay tant blasmé vostre perseverance, Ne me poursuivez plus, perdez vostre esperance. Des presages certains me forcent d’esperer, Songez qu’aucun mal-heur n’a pû nous separer, La Mer en nous portant ne fut jamais esmeuë, Jamais je ne perdis vostre vaisseau de veuë ; Il sembloit que Neptune applanissoit les eaux, Et qu’un Pilote seul gouvernoit deux vaisseaux, Les rames aux Zephirs cederent leur usage, Et ce triste element fit tousjours bon visage, Vostre navire fut devant le nostre à bord, Et dans cette forest qui va jusques au port, M’esgarant je cherchois le chemin de la ville, Et dans le mesme lieu je trouvay mon azile ; Là le Roy nous connut, et dés le mesme jour, Sa liberalité nous retint à la Cour. Si l’onde, l’air, le vent, si le Roy nous assemble, Ne souffrirez vous pas que nous soyons ensemble ? On prend de la façon plaisir à s’abuser : Un songe quoy que faux, vous peut favoriser, Et telle qui se croit de mille appas pourveuë, Pense en captiver cent qui ne l’ont jamais veuë, Enfin vous pouvez bien vous abuser aussi, Si je m’amuse encor à discourir icy. Ah ! mes discours sont faux, et mes plaintes sont vaines, Si j’appelle ses yeux les autheurs de mes peines, Comme pour me guerir, il cesse de me voir, Et sa fuitte aussi-tost m’en oste le pouvoir. Je vous y prends resveuse : Ah ce respect me tuë ! Et quel morne chagrin te cause icy ma veuë ? Quite ces vains honneurs, neglige tous ces soins, Tu me plairas bien plus en me respectant moins ; Traicte de la façon ces glorieux courages, Et croy que tes respects me sont autant d’outrages. Montre pour m’obliger un visage plus doux. Je sçay ce que je dois aux Princes comme vous. Tu les dois fuir, Celine ? Ah ! grandeur importune ? En quoy different donc l’une et l’autre fortune, Si l’on doit fuir aussi ceux qui sont bien-heureux ? Traitte moy, traitte moy comme un pauvre amoureux. Vois moy par où je puis te paraistre agreable, Et non pas par l’endroit qui me rend effroyable : Oste-moy si tu veux les rares qualitez, Qui peuvent t’obliger à ces civilitez, Change dans ton esprit l’image de ce Prince, Voy le sans majesté, sans sceptre, sans province, Efface dessous luy les Royaumes unis, Les tyrans abbatus, les rebelles punis ; Que si tu ne peux pas le voir sans cette marque, Considere le donc, comme un foible Monarque, Laschement abbatu sous les pieds d’un enfant ; Et qu’une chaisne attache à son char triomphant, Voy-le dans ton esprit, despoüillé de ses armes, Le visage abbatu, les yeux moüillez de larmes, Pasle, foible, tremblant, et proche du trespas. Sans mentir ce pourtrait ne ressembleroit pas, Et puis j’ay tousjours eu l’impression bien forte, Je ne pourrois jamais me tromper de la sorte ; Vrayement si je croyois l’excez de vostre amour, Vous auriez dequoy faire un bon conte à la Cour. Tu ne le sçais que trop, injurieuse, ingratte, Pour croire maintenant que mon discours te flatte ! Mais tu feins de douter de cette verité Pour te rendre excusable en ta severité ; Pour me faire trouver ta rigueur legitime, Enfin pour m’empescher de t’accuser d’un crime ; Mais ton humilité se montre vainement, Je sçay que mes soupirs t’ont parlé clairement, Et que la passion trop vivement me touche, Pour ne paraistre pas en mes yeux, en ma bouche. Il la faut delivrer d’une importunité. Excusez s’il vous plaist mon incivilité. Mon frere, l’on diroit qu’une jalouse envie Vous porte à traverser le repos de ma vie : Quel plaisir prenez vous à me chercher icy ? Pour moy je suis fasché que l’on vous traite ainsi. Vous devriez avoir un peu de retenüe ; Quel plaisir avez vous d’aymer une inconnüe Qui vous traite en esclave, et commande en vainqueur ? Quoy vous oubliez vous, n’avez vous plus de cœur ? Et ne sçavez vous pas maintenant qui vous estes ? O Dieux si vous sçaviez le tort que vous me faittes ! Elle ne m’ayme pas ! Laissez-moy donc jouïr Du bien de luy parler, de la voir, de l’ouïr. Il est vray Lisidas que ma poursuitte est vaine, Je perds en te suivant et mon temps et ma peine, Ton amour quoy que juste à ton frere desplaist, J’estime ton dessein tout nuisible qu’il m’est ; Encore as-tu le bien de luy parler sans craindre, Et moy je suis contraint de me taire et de feindre, Je n’ose descouvrir ce que je t’ay celé, Et je te vange ainsi de ce dissimulé ; Essayons d’approcher de cette ame de roche ; Je le destourneray si je voy qu’il s’approche. Quand le Ciel a conclu d’exercer sa fureur, Il a bien tost ravy l’espoir d’un laboureur ; Ses biens où tous les ans sa famille se fonde, Sont des thresors ouverts aux yeux de tout le monde ; Il les avoit hier, il les perd aujourd’huy, Comme ils viennent du temps, ils changent comme luy, Qui les a sur les champs n’en a que l’esperance, Ils sont en cét endroit des biens en apparence, Le chaud gaste les bleds, un petit vent leur nuit, Pour perdre une moisson, il ne faut qu’une nuit : Tel revenant des champs sur le clair de la Lune, Est remply de l’espoir de sa bonne fortune ; Qui sur ses bons pensers ayant fait son sommeil, Ouvrant un peu les yeux ne voit point de Soleil, Sautant nud de son lit, dans un espais nüage, Il remarque en tremblant les signes de l’orage, Et s’en allant aux champs, voit ses bleds renversez, Des flots impetueux que le Ciel a versez ; Confus, il croit que l’air est troublé par des charmes, Il moüille de nouveau ses guerets de ses larmes, A cause qu’il les voit submergez par les eaux, Et ses espics moüillez autant que ses roseaux. Voilà des changemens que le Ciel m’a fait naistre, Depuis que mon bon astre a cessé de paraistre ; Lisanor, que chacun nommoit avec raison, L’espoir et le bon-heur, de ma pauvre maison. Depuis que je l’eus veu bien-loin des yeux du monde Dans un riche berceau, tenant le bord de l’onde Que je l’eûs transporté chez moy secrettement, Tous mes jours sont coulez à mon contentement ; Mes voisins estonnez de voir couvrir la plaine, En moins de quinze mois de mes bestes à laine Crûrent asseurément, et le croyent encor Que mon sort m’avoit fait descouvrir un thresor. J’acheptois aysément les maisons et les terres, De ceux qui se sentoient du mal-heur de nos guerres, Et le plus sec terroir dés le commencement Au lieu de ses chardons me donnoit du froment. Lors que je cultivois mes champs à l’avanture Sans chercher avec soin les secrets de Nature, Ils passoient leurs voisins de la meilleure part ; Les autres me suivans se mocquoient de leur art : Le decours n’estoit plus l’autheur de leurs desastres, Ils ne consultoient plus ny le temps, ny les astres, Leur travail ne suivoit ny coustume ny loy, Mais labourans leurs champs en mesme temps que moy, Ils deffioient sans peur le Ciel et ses injures, Et ne redoutoient plus ni chaleurs ni froidures : Depuis qu’il est sorty de ma triste maison, Je n’ay pas veû les fruits d’une bonne saison. Il semble que le Ciel ne s’est pleû qu’à me nuire, Mon troupeau s’est gasté, mes champs n’ont pû produire, La gresle a fait tomber mes fruits et mes raisins : Le Soleil espargnant les champs de mes voisins, A ramassé ses feux, pour en brusler mes terres, Et deux jours de chaleur m’ont plus nui que les guerres. O Dieux ! injustes Dieux ! ô mal-heureux destin ! Je n’ay plus que l’espoir d’un bon-heur incertain ; C’est de mon Lisanor, l’appuy de ma vieillesse Que je chercheray tant que la force me laisse : Je ne me plaindray plus de mes malheurs passez, Ils seront pour jamais de mon ame effacez ; Pourveu qu’ayant couru quelque temps par le monde Je rencontre celuy que je trouvay sur l’onde. Fin du 3 ème. Acte. Puisque vous m’honorez de vostre confidence, Je veux vous obliger de toute la prudence, Que mes soins curieux m’ont acquis à la Cour, Laissez-moy seulement gouverner vostre amour. Accordez le repos à vos tristes pensées. Que de la moindre crainte elles ne soient blessées : Je toucheray son cœur avec des traits bien dous. Mais sans feindre, ma sœur, comment luy direz vous ? D’abord je tascheray de disposer son ame A brusler sans sujet d’une amoureuse flame. Le moyen de glisser cette amour dans son sein ? Je veux un peu parler de beauté sans dessein, Puis je l’entretiendray de quelqu’une qui l’ayme Que comme sa beauté, son amour est extresme. Et que seul il ravit toute sa liberté. Discourez un peu plus d’amour que de beauté. Toute nostre beauté, peut tomber sous la veuë : Mais jamais nostre amour ne sçauroit estre veuë. C’est une passion que l’on feint aysément, Que vostre esprit conçoive un amoureux tourment, Qu’il me fasse endurer les plus cruels gesnes, Jettez moy dans les feux, mettez moy dans les chaisnes, Imaginez un peu ces ennuis languissans, Qui font perdre l’esprit et l’usage des sens, Enfin descouvrez luy des douleurs que j’ignore. Vous n’avez pas tout dit, j’en imagine encore. Que je vous importune avec ma passion ! Mais j’ay, ma chere sœur, trop de discretion, Je feindrois pour un autre un amoureux martyre : Mais je ne puis avoir de l’amour et le dire. Je le diray pour vous, mais laissez moy resver. Dans une heure au plus tard je vous viens retreuver : Comment ! que je luy sois et rivale et fidelle ! Que j’aye de l’amour, et la fasse pour elle ! Que j’offre en mesme temps et son ame et son cœur, J’ayme trop Lisanor, pour obliger ma sœur : Si cette ruse, Amour, te semble legitime, Acheve-la : sinon, pardonne moy mon crime, Mais je pense qu’à tort tu me voudrois blasmer D’un peché qui n’a point d’autre fin que d’aymer. Alors que ton pouvoir nos volontez transporte, On oublie aysément l’amitié la plus forte, Elle ne sçauroit plus captiver nostre foy, De Reyne elle est esclave et sujette à ta loy, Si donc pour t’obeïr, ma trahison la blesse, Accuse ton pouvoir, et non pas ma foiblesse : Mais doit-on pas permettre à l’amoureux tourment De tromper une sœur, pour servir un amant ? Le voicy ; voudrois-tu me vanger d’un outrage ? Pourray-je disposer de ce puissant courage ? Madame, c’est à tort que vous me demandez, Un bien que je n’ay plus, et que vous possedez. Un jour vostre grandeur permit que je luy fisse Le vœu particulier d’un eternel service. Mais il faudroit quitter cét aimable sejour. Pour vous, je quitteray la lumiere du jour, J’iray dans ces pays, que le Soleil abhore, Pour vous promettre plus, que promettray-je encore ? Vous ne pouvez pas moins dessus moy que les Dieux, Et pour vous obeïr, je laisseray ces lieux, Si mon bannissement, vous contente, il m’oblige. Ton courage me plaist, mais la crainte m’afflige, J’apprehende sur tout de te mettre en danger. C’est croistre le desir, que j’ay de vous vanger. Je desdaigne pour vous les vents, et le tonnerre, Les naufrages, les feux, les tremblemens de terre, Enfin ce que le monde a de plus rigoureux, En ce lieu n’a pour moy qu’un visage amoureux. Ne croy pas mon dessein suivy de ces supplices, Ne pense pas trouver ny feux ny precipices, Ne te proposes point de monstres à dompter, L’ennemy que l’on craint est facile à traitter, Sans armes, et tout seul tu le pourras combatre, On le veut appaiser, on ne veut pas l’abbatre. Madame, je ne puis vous servir qu’à demy. Puisque vous me donnez un si foible ennemy, Sans mentir j’attendois quelque chose de pire. Traitte le seulement, comme je le desire, Et tu m’obligeras, sans sortir de la Cour. Que je sçache son nom ?         Je le veux : c’est l’amour. Celle pour qui je parle, endure un mal estrange, Sous les cruelles loix où ce tyran la range, On voit à tous momens sa pauvre ame aux abois, Tous les jours sans mourir elle meurt mille fois ; D’elle mesme tantost je la croy separée, Je voy sa bouche ouverte, et sa veuë esgarée, Son visage deffait, ses membres languissans, Tantost la passion luy redonne les sens, Pour luy faire souffrir un tourment qui la brusle Selon que sa fureur, s’approche, ou se recule. Qu’elle se rend plus forte, ou perd de sa rigueur, Je croy que son corps laisse, ou reçoit sa vigueur. L’esprit suit la fureur, ou bien plustost j’estime, Au lieu de son espoir que sa fureur l’anime. Vous parlez du plus grand de tous mes ennemis, Mais que j’ay toutefois à mon pouvoir soumis : Elle mesme qui brusle a ces puissantes armes, Qui m’ont fait resister au pouvoir de ses charmes. Quelles ?     C’est la raison.         Elle est bien foible ; joint, Qu’on ne se peut servir, de ce que l’on n’a point. Croy-tu qu’avec l’amour, la raison se conserve ? D’abord il la ravit, de peur qu’on ne s’en serve. Quoy qu’une ame s’esgare en ce fascheux tourment, Elle jouyt parfois de quelque bon moment. Une fureur extresme a fort peu de durée, Et l’esprit est rassis quand elle est moderée. Lors donc que ses souspirs seroient moins irritez, Son visage plus gay, ses sens plus arrestez, Et que je penserois sa fureur appaisée, Ses esprits plus rassis, son ame plus posée, Enfin qu’elle seroit capable de raison, Alors je tascherois de rompre sa prison. Et voulant ramener son esprit à luy mesme, Je le destournerois de cet objet qu’elle ayme. Je luy descouvrirois sa laideur, ses defaux, Et s’il n’en avoit point j’en trouverois de faux, Je ferois bien commun, ce qui seroit bien rare, D’un esprit bien subtil, j’en ferois un barbare : Au plus beau je peindrois un visage odieux. Cela n’est pas mauvais pour ceux qui n’ont point d’yeux. Mais poursuivez ?         Apres je dirois la tristesse, Qui punit les amans ; la douleur qui les presse. Ces larmes, ces souspirs, ces craintes, ces transports, Qui changent à la fois leurs ames, et leurs corps. Que l’on voit leurs plaisirs troublez de jalousie ; Que tousjours leur esprit est dans la frenesie, Et qu’on ne souffre point de peines aux enfers, Qui puissent égaler leurs flammes et leurs fers. Ce n’est pas en ce lieu que l’on en fait accroire, Ne pense pas ainsi remporter la victoire : Je veux bien te montrer une autre invention, Mais sçache le sujet de cette affection. C’est toy qu’elle ayme.         O Dieux ! que cette amour m’irrite : Je m’en deffendray bien sur mon peu de merite. Mais comment son effect se peut-il reprimer ? Le moyen d’appaiser cette amour c’est d’aymer, Une amour mutüel cause de doux supplices, Et convertit ces fers, et ces feux en delices. Mais je trouve pour moy que c’est estre imprudant, Que de penser ainsi le vaincre en luy cedant ; Madame, vos discours implorent mon courage, Pour me faire endurer un si sensible outrage ; C’est me rendre vainqueur pour entrer en prison. Et montrer ma valeur pour trahir ma raison. Afin que ta raison à mes discours consente, Je te veux descouvrir qui t’ayme. C’est Agante. Justes Dieux, que d’ennuis m’arrivent à la fois ! Il perd dans ce transport la couleur, et la vois. Je suis vostre sujet adorable Princesse, Songez à vostre gloire et voyez ma bassesse. Ne pense pas icy relever mon bon-heur, N’use point de ces noms de respect et d’honneur, Desdaigne si tu veux l’esclat qui m’environne, Et songe que je n’ay ni sceptre ni couronne, Appelle moy plustost ou ton ame, ou ton cœur : Et ne te nomme plus esclave, mais vainqueur ! Lors que sur tes esprits je seray souveraine, Tu pourras m’appeller ta Princesse et ta Reyne. Considére le bien, le rang, la qualité, Sans cela ta valeur, n’est qu’une lascheté. La plus rare vertu nous passe pour commune, Quand elle n’est pas jointe avecque la fortune. La fortune jamais ne retint mes desirs, Et jamais mon esprit n’y treuva ses plaisirs. Quoy-donc ? ne suis-je pas de grace assez pourveuë ? Ay-je quelque defaut qui desplaise a ta veuë ? Je ne puis discerner ce qui me plaist le mieux, Des mains, du sein, du front, de la bouche ou des yeux : Vos biens n’égalent point encore vos merites, Et s’ils les égaloient ils seroient sans limites : Mais ils n’ont point rendu mes esprits aveuglez, J’ay pour vous seulement des mouvemens reglez : Je ne suis point esmeu de ces puissans orages, Qui troublent des amans les sens, et les courages. Non que j’aye jamais par un profond discours, De cette passion interrompu le cours : La nature m’en a la puissance ravie, Dés le jour mal-heureux que je receus la vie : Mais je souhaitterois qu’elle-meme en ce jour, M’eust arraché les yeux, ou donné de l’amour. Ne croy pas que les Dieux meritent ce reproche, Et qu’en faisant un homme, ils fassent une roche, Ils ont mesme permis aux plus lourds animaux, De souhaitter les biens, et de craindre les maux. Accuse les plustost avec juste colere, De ce qu’ils m’ont osté les moyens de te plaire, Qu’ils n’ont pas assez mis de flammes dans mes yeux, Que leur hayne a rendu mon visage odieux. Enfin, qu’ils m’ont privé, de merite et de grace. Non, vos yeux sont de flamme, et mon cœur est de glace, Madame mon esprit ne peut dissimuler ; S’il vous plaist je diray que je me sens brusler, Que l’excez de l’amour ma volonté transporte, Qu’on n’esprouva jamais de passion plus forte. Enfin que ces tourmens vont causer mon trespas, Mais je vous promettray ce qui ne sera pas. Quoy, celuy qui tantost en m’offrant son service, Vouloit souffrir pour moy le plus cruel supplice, A qui les flots esmeus ne faisoient point de peur : A qui les feux du Ciel n’estoient qu’une vapeur, Qui desdaignant les maux de la terre et de l’onde, Promettoit d’en chercher dedans un autre monde Ne veut pas endurer le moindre feu d’amour ! Quoy ! m’aymer estre pis que de perdre le jour ! M’aymer estre chercher une mort plus funeste, Que celle du poison, des feux, et de la peste ! Que diray-je ?         Ma sœur, vous voyez un rocher Que les meilleurs discours n’ont jamais peu toucher. Jamais un beau dessein n’entra dans sa pensée. O Dieux quel monstre c’est qu’une femme offencée ! Madame ?         Va cruel tu n’as que trop parlé. Il m’eust peu descouvrir s’il ne s’en fut allé. Ce barbare jamais ne m’a voulu complaire. Dieux que ma passion vous a mise en colere ! Ce n’estoit pas à vous à faire ces regrets, Vous prenez trop de part dedans mes interests : Laissez-moy detester cette ame rigoureuse, Caliste seulement doit estre mal-heureuse. Ce Tigre, ce Tiran, d’un front audacieux, A poussé, sans respect, des traits injurieux Le sang à ce penser au visage me monte, Et je rougis pour vous de colere, et de honte. Mais avez vous bien dit ma douleur, mon ennuy, Que je fondois en pleurs, que je bruslois pour luy, Que luy seul maintenant occupoit ma memoire ? Ma sœur, j’en ay tant dit, qu’il n’en a pû rien croire. Tentez encore un coup ce courage inhumain, Luy voulez-vous donner cet escrit de ma main ? Non j’y veux employer quelque autre aussi fidelle. Mais qui ?         Celine, on peut s’en reposer sur elle. Je le veux.         Laissez moy seulement ce papier : Allez.         Vous me ferez un plaisir singulier. Lisanor depuis cet instant, Que tes vertu me plûrent tant ; Toujours le mesme feu me plaist et m’importune, Je ne sçaurois aymer ni les champs ni la cour, Mais combien que je voye accroistre ta fortune, Je ne ressens jamais accroistre mon amour. Deslors par l’advis de mes yeux, Qui te virent si gracieux, Je te voulus donner mon ame toute entiere : Offre moy maintenant ta constance et ta foy ; Repens toy si tu veux de ta froideur premiere, Tu n’as rien d’avantage à desirer de moy. Elle a dit sans mentir ce que je voulois dire, Ces vers me serviront, je m’en vay les rescrire, Je ne pouvois trouver de discours plus charmans : J’ay le mesme dessein, les mesmes sentimens. A la fin c’est trop vivre en ma perseverance, Le moyen que je puisse aymer sans esperance ? Et quel juste sujet puis-je avoir d’esperer, Un bien où la raison me deffend d’aspirer ? Si quitter pour le voir le lieu de ma naissance, Sur ce barbare esprit n’a point eu de puissance : Si ce que j’ay souffert parmy des Estrangers ; Si mes pertes, mes maux, mes craintes, mes dangers, Pour attirer son cœur n’ont jamais eu de charmes, Que pourront maintenant mes soupirs, et mes larmes ? Helas ! s’il s’est moqué de mon affection, Lors que je l’esgalois en sa condition : Luy doit-elle pas estre encor plus importune, Depuis que sa valeur esleve sa fortune. Dieux ! punissez un peu ses mespris rigoureux, Que je sois plus aymée, et qu’il soit moins heureux. Il faut à ma douleur faire un peu de contrainte, J’ay peur que la Princesse ayt escouté ma plainte. Tu me semble, Celine, assez triste aujourd’huy, Quelque accident nouveau te donne de l’ennuy ? Puisque vostre grandeur approuve mon service, Je peus bien m’exempter de ce fascheux supplice. Madame, vostre esprit m’offre des fers si dous ; Que je promets icy de n’obeïr qu’à vous : Si mes fidelles soins vous peuvent satisfaire. Je les vay reprouver dans une bonne affaire : Presente à Lisanor cet escrit de ma part. Mais je veux que d’un mot, d’un sousris, d’un regard, Ta curiosité descouvre sa pensée, Et le secret tourment dont son ame est blessée. Du port, des actions, du front, de la couleur, On connoist aysément la joye ou la douleur. Et si l’Amour sur nous exerce quelque empire, Tu m’entends bien ? apres, qu’ay-je encor à te dire ? Ah ! lors que tu verras ma sœur avecque moy, Feins bien que Lisanor s’est fasché contre toy. Aussi-tost que la lettre en tes mains il a veuë, Qu’il a passé dessus legerement la veuë, Jettant à tous momens des regards furieux, Enfin que sa colere a paru dans ses yeux ; Mais parle comme si cét escrit venoit d’elle, Et sur tout en ce point tasche à m’estre fidelle. Madame, vous pouvez vous fier sur ma foy. Tu sçais quelles faveurs on peut avoir de moy. L’honneur de vous servir a borné mon envie, Vous m’offrez des faveurs, et vous m’ostez la vie. En vain espoir trompeur tu me viens secourir ; Agante a de l’amour, Celine doit mourir ; Que me faut-il choisir du fer, ou de la flamme ? Helas ! le moindre mot me peut arracher l’ame. Lisanor depuis cet instant ; Que tes vertus me plûrent tant, Toujours le mesme feu me plaist et m’importune, Je ne sçaurois aymer ni les champs, ni la Cour, Mais combien que je voye accroistre ma fortune, Je ne ressens jamais accroistre mon amour. Cela suffit-il pas pour me priver du jour ? Deslors par l’advis de mes yeux, Qui te virent si gracieux, Je te voulus donner mon ame toute entiere. Offre moy maintenant ta constance et ta foy, Repens-toy si tu veux de ta froideur premiere, Tu n’as rien d’avantage à desirer de moy, Ah sortons de ses fers, puis qu’elle est sous sa loy ! Sçachons auparavant si cette amour le touche, J’entendray mon arrest prononcé de sa bouche, Et j’auray ses beaux yeux pour tesmoins de ma mort ! Monstrons nostre douleur par un dernier effort, Chassons de nostre esprit le respect et la crainte, Et ne retenons plus l’amour dans sa contrainte. Agante dans ces vers luy presente sa foy, C’est le mesme present qu’il a receu de moy, Elle dit que l’amour a causé son martyre, Et ce puissant amour les mesmes traits me tire, Puisque nous nous plaignons de ce mesme demon, Son billet doit porter et sa plainte et mon nom. Quel pays servira de retraitte à ma fuite, Comment m’eschapperay-je, Amour, de ta poursuite ? En quel antre secret porteray-je ces yeux Dont tu fais tous les jours quelque esprit furieux ? Iray-je derechef vivre en la solitude ? Mais j’y fus autrefois en mesme inquietude, Que je suis maintenant en ces lieux estrangers : Tu tourmentes autant les Roys que les Bergers, Et qui seroit tout seul dans un pays sauvage, Tu luy ferois aymer une fleur, un rivage. Une fontaine, un bois raviroit ses esprits ; Et de son ombre mesme il se verroit espris : Un tronc te serviroit, pour amollir les ames, Avecque des glaçons, tu produirois des flammes, Tu nous rendrois à nous d’adorables objets, Et nous mesmes serions à nous mesmes sujets : Je ne te vaincray donc jamais par mon absence ; Je devray ma victoire à ma seule puissance. Qu’Agante, que Celine entrent dans ta prison : La pitié ne sçauroit esbranler ma raison. Ne voicy pas encor un sujet de ma gloire ? Ta honte, foible amour, va suivre ma victoire. Je ne vous tiendray point de discours superflus ; Respondez un seul mot, et je ne parle plus : Jettez un peu les yeux dessus cette escriture ; Ce qu’Agante vous dit, c’est mon cœur qui l’endure. Ah ! voicy le rival qui trouble mon repos ; Je romps peut-estre icy vos amoureux propos. Jamais un tel dessein n’occupa ma pensee. Si vous n’estes menteur, Celine est offencee, Mais lisons : Est-ce à vous qu’elle donne son cœur ? Oüy.         Ce riche present sera pour le vainqueur, Lisanor tu le dois acquerir par l’espee. La mienne en ces sujets ne peut estre occupee, Ce dessein tient du lasche ou bien du furieux. Vostre fer n’a-t’il point d’objet plus glorieux ? Je veux vous tesmoigner que je vous suis fidelle. O Dieux !         Helas, sçachez l’autheur de la querelle. Faites un peu cesser ce combat hazardeux. Quoy mon amour peut-il vous obliger tous deux ? Que feray-je en ce lieu ? qui voulez vous que j’ayme ? Si vous me poursuivez, il me poursuit de mesme. Il commence à se plaindre alors que vous cessez. Vous venez, il me laisse : il vient, vous me laissez. Qui recevra mes vœux ?         Dieux, cela peut-il estre ? Esprit dissimulé, lasche, perfide, traistre, Compare ma douceur avec ta cruauté, Sois honteux de ta feinte, et de ma privauté : N’as-tu pas par ma voix ma passion connuë ? Ne t’ay-je pas montré mon ame toute nuë ? Ay-je fait malgré toy quelque amoureux dessein ? Et n’as-tu pas receu mes larmes dans ton sein ? Tu sçavois tous les jours mes secrettes visites, Tu voyois dans mes vers mes passions descrites. Et les vœux que j’offois à ces divins appas ; Enfin je te contois mes souspirs et mes pas ; Tu desirois brusler d’une pareille flamme, Et ton discours taschoit d’en retirer mon ame, Tu mesprisois l’amour, en adorant ses traits. Mon frere, condamnez ces aymables attraits, Cette bouche, ses yeux sont autheurs de mes feintes. Et puis elle n’a rien qui nous reduise aux plaintes, Ce visage n’est pas un objet precieux : L’amour ne tire point de flammes par ses yeux. On ne voit point d’appas sur ce front qui nous touche, Sa neige manque au sein, le corail à la bouche, Par ces termes un jour vouliez vous l’honorer ? Je desdaignois un Dieu que j’allois adorer. Mon ame est innocente, et ma bouche coupable. Ah ! ne condamnez pas un discours veritable. L’amour m’avoit reduit au point de vous blasmer. Il ne me peut reduire au point de vous aymer. Mon frere pour loyer de vos peines passées, Et puisque j’ay connu vos secrettes pensées, Je vous fais un present de mes pretensions. Et moy de cet objet de vos affections. Parmi tant de refus tu recevras mon ame. Parmi tant de froideur appaisez vostre flamme. Quelque jour vous verrez son courage soumis : Venez, je crain de faire encor des ennemis. O Dieux je suis perduë !         Ah ! je suis descouverte. J’attens de sa responce ou ma vie ou ma perte ; De tant de vains soupçons delivrez mes esprits. J’ay disposé mon ame à souffrir ses mespris : L’escriture d’Agante, et le nom de Celine ! Ma sœur que dites vous ?         Ne faites plus la fine. La feinte est reconnuë, et le mesme discours, Qui descouvroit mon mal, m’a fait voir vos amours : Vous m’estes tout d’un coup rivalle et confidente. Que peux-tu maintenant me respondre impudente ? Et vous ne recherchez que les amours d’un Roy. Et tu m’avois juré que tu n’aymois que moy. Est-ce ainsi qu’on m’abuse ?         Est-ce ainsi qu’on m’affronte ? Vous n’en rougissez point ?         Tu n’en as point de honte ? Infame ! mais dis moy quel estoit ton dessein. Celuy que la fureur peut mettre dans le sein. J’implorois tous les jours vos soins, et ma franchise Avoit entre vos mains, ma liberté remise. Je ne vous cachois point mes souspirs ni mes pleurs : Vos yeux estoient tesmoins de mes justes douleurs, Vostre feinte pitié suivoit mes tristes plaintes, Et vostre ame sembloit se troubler de mes craintes : Vous rompiez mes desseins en m’offrant du support : Vous prolongiez ma vie, en conspirant ma mort : Et vostre esprit jaloux desguisant sa souffrance, En ravissant mon bien, m’en laissoit l’esperance : O detestable feinte !         O dangereux appas ? Ma sœur que peut l’amour ?         Mais que ne peut-il pas ? Perfide tu sçauras, la presence d’un pere, Empesche les effets de ma juste colere. Vrayment je ne pouvois venir plus à propos, Celine voulez-vous nous ravir le repos ? Avez-vous resolu de nous faire la guerre ? Nous n’avons plus que vous d’ennemis sur la terre. Vos attraits sont autheurs des troubles de la Cour : Redonnez-nous la paix, ayez un peu d’amour, Et si vostre esperance en quelque objet se fonde, N’aymez que celuy-là, contentez tout le monde : Que tous pensent vous vaincre, et qu’un seul soit vainqueur ; Gardez les pleurs pour l’un, et pour l’autre le cœur, Que luy seul le possede, et que chacun l’espere. Sire, c’est un courrier de la part de mon pere. Que desire le Duc ?         Sire, il m’a deputé, Pour porter cette lettre à vostre Majesté. Vostre pere craignant l’effort des destinées, Qui menacent le cours de ses vieilles années, Devant que son trespas ait rompu ses projets, Il desire vous voir gouverner ses sujets, Et mourir satisfaict, asseuré qu’il leur donne Des fils qu’il a rendus dignes de sa couronne. Un Prince comme luy qui cherit bien les siens, Doit assurer ainsi leur repos et leurs biens : Doit craindre qu’avec luy leur paix ne soit ravie, Qu’ils ne perdent leurs biens, alors qu’il perd sa vie. Il les exemptera de regret et de peur. S’il laisse apres sa mort quelque bon successeur, Il n’a point tant d’horreur de sa perte prochaine, Il quitte sa couronne avecque moins de peine, Et je ne doute point qu’abandonnant ces lieux, Il n’en soit plus chery des hommes et des Dieux. Mais approuverez vous l’hymen qu’il vous conseille ? Je ne sentis jamais une froideur pareille : Dans cét estonnement, je ne sçay si je vis, Mon esprit m’abandonne, et mes sens sont ravis : Plus je voy ce vieillard, plus je le considere ; Plus je me sens contrainte à l’appeller mon pere ; Je ne puis resister à ce puissant transport ; Oüy : c’est là son visage, et sa voix et son port : Mon cher pere, est-ce vous que je revois encore ? Ah ! que je vous embrasse ou que je vous adore : Accordez ces faveurs à ma sainte amitié ; Pleurez en me voyant, ou d’aise ou de pitié. Je suis celle qui fut d’entre vos mains ravie, Et c’est à vous Chrysante à qui je dois la vie. Chrysante c’est mon nom, mais j’ignore le sien. Vous ignorez mon nom, et je vous doy mon bien ! Dieux ! que je suis surpris ?         Contentons leur envie : Quel est vostre pays ?         Sire, c’est Moscovie. Je ne sçay pas, Celine, où vous l’avez pû voir. Sire, pour mon païs, je ne le puis sçavoir. Je n’en ay dans l’esprit qu’une image confuse, L’âge auquel j’en sortis me doit servir d’excuse : Mais je me ressouviens à peu prés du danger, Qui m’a poussé depuis chez un peuple estranger. Je fremis quand je pense aux efforts d’un Corsaire, Qui me prit sur la mer dans les bras de mon pere. Pour lors je ne pouvois ressentir mes mal-heurs, Mais les pleurs qu’il versa provoquerent mes pleurs Ce danger seulement me reste en la memoire. C’est elle asseurément ! Bons Dieux le dois-je croire ? Le penser seulement rend mon esprit confus. Vous pouvez, Lisanor, l’esclaircir là dessus : Et nous faire sçavoir la suitte de l’histoire. Le jour qu’on emporta cette heureuse victoire, Et que tant de voleurs perirent sur les eaux, Un soldat la treuva dans un de leurs vaisseaux, Et l’a depuis ce temps fait nourrir dans nostre Isle. Sire, un plus long discours vous seroit inutile. Ceux de qui le destin à son sort est pareil, Ne se peuvent cacher non plus que le Soleil. Et cette majesté qu’ils ont dés leur naissance, Se fait bien adorer sans sceptre et sans puissance. Grand Prince, s’il vous plaist d’excuser mon peché, Je vous vay rendre un bien que je vous ay caché. Escoutez seulement : le Duc de Moscovie, Dont aussi bien que vous elle a receu la vie, Aussi-tost qu’elle pût appercevoir le jour La fit nourrir chez nous assez prés de la Cour : La plaisance du lieu, la vertu de ma femme, Qui devoit gouverner cét objet de son ame, Attira la Duchesse, et l’y fit consentir : Mais elle en eut bien-tost un juste repentir : De son âge en ce temps nous avions une fille, Le bien le plus chery de toute ma famille. Je diray pour loüer ce thresor precieux ; Qu’elle luy ressembloit de la bouche et des yeux : Pour la voir seulement, je cherissois ma vie, Et je croy que les Dieux m’en porterent envie. Un jour comme elle estoit dans un profond sommeil, L’air à coup se troublant obscurcit le Soleil : Les esclairs en son lieu chasserent les tenebres, Pour estonner nos yeux de mille objets funebres ; Mais on connut apres, que ce dereglement Avoit pronostiqué mon mal-heur seulement ; Lors que chacun tremblant, les yeux fichez en terre, Taschoit par de saints vœux d’esloigner le tonnerre. Le Ciel qui m’avoit fait l’objet de sa fureur, Retira par mon mal tout le monde d’horreur. Un toit de mon logis fut bien-tost mis en poudre, Et ma fille au berceau receut le coup de foudre. Apres mille regrets, voyant que mes vieux ans, M’ostoient presque l’espoir d’avoir d’autres enfans. J’aimois cette beauté d’une amitié si forte, Que pour elle à la Cour je supposay la morte. Le Duc en souspira ; la Cour en prit le düeil, Et comme une Princesse on la mit au cercueil. Il me crût aysément, car l’effort de l’orage Avoit du tout changé les traits de son visage, Et la compassion, les larmes, la douleur L’empeschoient bien de voir cét objet de mal-heur. Cependant la Princesse à mon cœur fut bien chere, Ma femme luy rendit les devoirs d’une mere, Et le monde ignorant de ma mauvaise foy, Venoit de mon bon-heur s’esjouïr avec moy. Mais que l’on perd bien-tost, malgré son artifice, Un bien que l’on possede avec tant d’injustice ! Une sainte coustume, oblige les parens, Lors qu’ils ont une fille à l’âge de cinq ans, De la mener bien loin vers la chaste Deesse, Comme pere en ce temps j’y menois la Princesse. Mais un Pirate affreux l’arrachant de mon sein, Destourna le succez de ce pieux dessein. Elle se vit bien-tost de secours despourveuë, Car presque en ce moment je la perdis de veuë. Elle avoit sur le bras la marque d’une fleur, C’est elle asseurément : ô merveille !         O bon-heur ! Ma sœur !         Vit-on jamais des fortunes pareilles ? Me fieray-je à mes yeux ? croiray-je mes oreilles ? Mais pourquoy differer tant de contentemens ? Nous ne t’embrassons pas en qualité d’Amans. Moderez ces transports.         J’ay des regrets extresmes, De ne t’avoir traittée, autrement que nous mesmes. Madame, obligez-moy de laisser ce discours, Je fais encore vœu de vous servir tousjours. Remercions le Ciel du bien qu’il nous envoye, Quelqu’un vient-il icy pour troubler nostre joye ? Quel crime a-t’il commis ?         Nous l’avons arresté, Sur un juste soupçon, et vostre Majesté Verra des noms icy qui nous mettent en peine. Sire, il l’avoit sur luy.         Je connoy cette chaisne. Qu’en ce moment je souffre une vive douleur ! Voicy le vray tesmoin de mon plus grand mal-heur. Ne dissimulez point, où l’avez-vous treuvee ? Sire, voicy comment l’affaire est arrivee. Il me reconnoistroit.         Grand Prince, si je ments, Qu’on invente pour moy de nouveaux chastimens. Sire, me promenant un jour sur le rivage, Aprés un fort long-temps de tonnerre, et d’orage, J’apperçeus d’assez loing dessus le bord de l’eau, Au gré d’un petit vent remuer un berceau, Où paroissoient en or des lettres enlassées, Mais que l’eau de la mer avoit presque effacées. J’y pouvois remarquer encore en quelques parts, Les mesmes ornemens que l’on donne au Dieu Mars. Les armes avec quoy l’on bastit un trophée, Et la rebellion sous leur poids estouffée, Ayant veu de plus prés ce berceau precieux, Un objet au dedans y convia mes yeux. C’estoit un jeune enfant, que je voyois sousrire, Qui des yeux, de la bouche, et des mains sembloit dire, Qu’il estoit bien content apres un grand danger, De rencontrer quelqu’un qui le peust soulager, J’estends bien loin mes bras, et n’y pouvant attaindre, J’y porte mon baston : les ondes sembloient craindre De perdre ce thresor qu’elles tenoient bien cher, Et ne se vouloient plus du rivage approcher : Je le retire enfin ; ses mains et son visage, Estoient mouïllez de l’eau qu’avoit esmeu l’orage. Je l’essuye aussi-tost avecque mon mouchoir, Et luy d’un doux souris m’invite à ce devoir. Dieux qu’en ce petit corps j’admiray de merveilles ! Je n’ay point veu d’attraits ni de graces pareilles, Presque tout le matin je ne pûs me lasser, A luy baiser les mains, le plaindre et l’embrasser. Ses beautez à l’envy demandoient des loüanges Il avoit des cheveux comme on les peint aux Anges. Le teint blanc et vermeil, et montroit dans ses yeux, Cette vive couleur qui paraist dans les Cieux. Alentour de son col cette admirable chaisne Me fut de sa grandeur une marque certaine, Tout son accoustrement estoit digne d’un roy, Je le prens sur mes bras, je le porte chez moy, Où je l’ay gouverné vingt ans mieux que moy-mesme, Je croy qu’il fut autheur de mon bon-heur extresme, Car quand je l’eus porté dans ma pauvre maison, Les biens de tous costez me vinrent à foison, Mais helas ! puissant Roy je vous parle sans feinte. Je suis en mesme temps esmeu d’ayse et de crainte. Mon fils avoit ces yeux, ces cheveux, et ce teint, Je pense encor le voir, comme il me l’a depeint. Pour rendre le Dieu Mars à ses armes propice, Je l’envoyois sur mer luy faire un sacrifice. Et depuis ce temps là j’ay vieilly de vingt ans Mais en quelle saison ?         Sire, vers le printemps, Quand l’Aurore nous donne encor de la froidure, Et le Soleil levant voit blanchir la verdure. Vers la mesme saison je l’envoyois sur mer, Que pour lors aucun vent n’empeschoit de calmer. Et ne menassoit plus ses vaisseaux de naufrage. Mais les flots par aprés grossirent de l’orage, Et furent attaquez d’un vent si furieux, Qu’ils sembloient s’eslever, et descendre des Cieux. Le moindre vent au port me donnoit de la crainte, Un murmure, un esclair, me tiroit une plainte. Je pensois à tous coups que la mer s’eslevant, En des gouffres profonds engloutist mon enfant. Apres deux jours entiers de ce cruel orage, Un des miens retournant sans voile et sans cordage, Me dit qu’il avoit veu mon fils dans un berceau, Voguer assez long-temps à la mercy de l’eau, Mais que la mer enfin s’estant plus fort esmeuë, L’avoit en un instant destourne de sa veuë. Ne seroit-ce point luy que j’aurois eslevé ? Quel nom porte celuy que vous avez treuvé ? Le nom de Lisanor gravé dessus la chaisne. Bons Dieux ! que ce discours met mon esprit en peine ! Lisanor c’est mon fils qui s’appelloit ainsi ? Est-il encor chez vous ?         Non, Sire, le voicy. Vous qui m’avez rendu ma gloire et ma puissance. Vous devois-je grand Roy, le bien de ma naissance ? C’est mon frere ?     O merveille !         O Dieux ! c’est Lisanor. Oüy c’est toy mon cher fils, que je revois encor. Tes exploits glorieux sont tesmoins de ta race, Ton courage est Royal : vien çà que je t’embrasse. Le reconnoissez-vous ?         Helas, Sire, c’est luy. Ah ! Prince genereux qui fustes mon appuy, Si je vous ay rendu ma pauvreté commune, Ne m’en accusez pas, accusez la fortune. Esperez seulement.     Mon cher frere.         Ma sœur. Que de biens à la fois !         Mon frere, mon bon-heur. Oubliez s’il vous plaist nos actions passées. Nous avons maintenant de plus justes pensées. Oubliez mes desdains, oubliez mes refus. Que fais-je ! où suis-je ? ô Dieux ! que j’ay l’esprit confus. Mais pour mieux celebrer cette insigne journée, Vous pouvez approuver un heureux Hymenée. Qui plaist à vostre pere, et que j’approuve aussi, Approchez vous tous deux, vous le verrez icy. Grand Prince un tel bon-heur passe nostre esperance, Et je n’en puis avoir encore d’asseurance. Je vous en veux donner, Agante, approchez vous, Reconnoissez icy ce Prince pour espoux. Madame le Roy seul vous force à luy complaire. Thersandre assurement peut autant que mon pere. Nous avons, Lisidas, de quoy vous contenter. Je vous fais ce present, voulez-vous l’accepter ? Grand Roy, je vous dois plus qu’à ceux qui m’ont fait naistre, Et crains de ne pouvoir assez le reconnaistre. Monsieur, quoy que je tienne un bien si precieux, Permettez que je sois encor ambitieux, Je ne suis point content, si Celine souspire, Donnez luy s’il vous plaist le bien qu’elle desire. Monsieur, j’en reçois plus que je n’en puis donner. Victorieux amour, il te faut couronner. Beauté que je fuiois, et qu’aujourd’huy j’adore, Dois-je pas estre honteux si tu m’aymes encore ? Puis-je sans t’offencer pretendre à tes amours, Et dois-tu pas haïr ma veuë et mes discours ? Appelle moy cruel, traistre, perfide, lasche. Mes delices, mon tout.         Ton amitié me fasche. Mon crime et ta faveur me viennent affliger, Mon cœur en m’obligeant c’est me desobliger. Tu m’offres un bon-heur dont je suis incapable. Cheris moy seulement, et tu n’es plus coupable. Songes que si l’amour que je porte en mon sein, A commencé bien tard, il n’aura point de fin. Il est vray, justes Dieux, que jamais vos Oracles N’ont predit en ces lieux de semblables miracles, Nous ne les tenons pas de la faveur du sort, Mais de vostre pouvoir, et plus juste, et plus fort. Aussi comme tous seuls vous nous estes propices, Vous recevrez tous seuls nos humbles sacrifices, Faisons voir nostre joye au service des Dieux, Et dans un long excez de festins et de jeux. FIN.