Gargame pourrait-il former un tel dessein ? Oui, je l’ai résolu, tu m’en parles en vain. Quoi vous pourriez ternir l’éclat de votre gloire, Et des bienfaits du Roi perdre ainsi la mémoire ; Au milieu de sa Cour le Grand Arcagambis Vous reçois, vous chérit comme son propre fils, À vous combler d’honneurs chaque jour il s’empresse, Et vous voulez, Seigneur, lui ravir la Princesse ? Elle qu’un nœud sacré doit unir à son sort ; Daignez considérer...         Je sais bien que j’ai tort, Mais ne retrace point à mon âme agitée Cette loi du devoir trop longtemps respectée. Soumis au joug charmant d’une invincible ardeur, Toute autre loi paraît importune à mon cœur. Qui pourrait en effet y combattre, Thamire, Et les transports pressants que sa beauté m’inspire : En vain Arcagambis tyrannise ses vœux ; Et d’un Hymen prochain croit allumer tes feux ; Non, non de cet hymen ne flatte point ton âme, Ses feux ne brilleront que par ceux de Gargame. Le cœur de la Princesse au vôtre est-il soumis ? En êtes-vous aimé ?     N’en doute point.         Tant pis. Je prévois des malheurs dont tous mes sens frémissent, Et mes cheveux d’horreur fur mon front se hérissent ; Ne verrai-je jamais que de faibles héros Oubliant leur devoir aimer mal à propos. Il est vrai, mais je cède au penchant qui m’entraîne, Et je ne puis briser une si belle chaîne ; L’amour ne porte point d’atteintes à l’honneur : Quand on a fait partout admirer sa valeur On est sur de sa gloire, et l’on peut sans bassesse Avec mille vertus avoir une faiblesse. Étranger en ces lieux, osez-vous bien ; Seigneur, Jusques à la Princesse élever vôtre cœur. Quoi donc ne sais-tu pas qu’une Reine est ma mère ? Oui, mais vous ignorez quel était votre père. Pour en être éclairci je venais en ces lieux Lorsque je fus frappé de l’éclat de ses yeux, Je la vis au moment qu’un fatal hyménée. Devait au sort du Roi joindre sa destinée ; Elle lut dans mes yeux, je connus dans les siens Que nos cœurs étaient faits pour de plus doux liens, Seigneur dans ce Palais Arcagambis commande, Thamire doit s’unir au Roi qui la demande, Vous verrez par ce coup renverser votre espoir. Un cœur comme le mien ne craint aucun pouvoir, Et ce bras qui cent fois a conquis des provinces, S’il sait les soutenir, sait abattre les Princes. Seigneur, quand vous allez conquérir des États, De fortes Légions secondent votre bras ; Mais vous êtes ici sans amis et sans suite. Du dessein que j’ai pris la Princesse est instruite, Son aveu me suffit, et je veux aujourd’hui Faire voir qu’un héros sait vaincre sans appui. C’est une trahison.         L’amour en est complice ; Un absolu pouvoir...         Gardes, qu’on le saisisse : Oui lui-même Gargame, allez et de ce pas Dans la même prison qu’on enferme Hierbas. Quel ordre rigoureux, daignez du moins m’instruire... Gardes obéissez, je n’ai rien à lui dire. le Roi, cher Hierbas, a su ma trahison. Et moi qui n’en suis point on me mène en prison. Seigneur, ce changement a lieu de de ma surprendre, J’en cherche les motifs, et n’y puis rien comprendre, Quel crime a donc commis ce Prince infortuné ! Pourquoi sans l’écouter l’avez vous condamné, Ciel ! Dans quelle frayeur votre courroux me plonge ; Qu’elle en est la raison, qui vous y porte ?         Un songe. Écoute Nabotas : les ombres de la nuit M’invitaient à goûter le repos qui la suit ; Lorsqu’au fond de mon cœur une voix effrayante A répandu soudain le trouble et l’épouvante ; J’ai cru voir un guerrier menaçant ; furieux , Le glaive dans la main, le courroux dans les yeux, Contre moi conduisant une nombreuse armée, Inspirer la terreur à ma garde alarmée ; C’était Gargame, Oh Dieux, j’en tremble encore d’effroi ! Sur mon trône, l’ingrat s’est assis malgré moi, Et cédant aux transports d’une aveugle tendresse, Lui-même a présenté le sceptre à la Princesse : Thamire l’a reçu, mais par un coup du sort, En recevant le sceptre, elle a reçu la mort ; Et dans le même instant, l’usurpateur perfide A plongé dans mon sein un acier homicide ; J’ai passé le Cocythe, et le noir Achéron, Et le songe a fini par un coup de canon. Devez-vous craindre un songe, et ses images vaines, Peuvent-elles régler nos plaisirs ou nos peines, Sans en être frappé, j’ai rêvé mille fois. Vous rêvez en sujets et nous rêvons en Rois. En croirai-je le bruit, qui vient de se répandre, Seigneur, un étranger qui ne peut se défendre Et qui dans votre Cour se croit en sûreté, Est dans ce même instant par vôtre ordre arrêté. J’ai de justes raisons pour immoler ce traître, Et quand il sera mort je les ferai connaître. Ah ! Seigneur, quel arrêt allez-vous prononcer ? C’est un ordre des Dieux qui vient de m’y forcer, Et je vais, le livre au plus cruel supplice. Les Dieux ordonneraient une telle injustice ! Ce Héros de ces Dieux retrace la grandeur Par toutes les vertus qui règnent dans son cœur. Lorsque dans cette Cour vôtre amitié l’arrête, Pouvez-vous vous résoudre à proscrire sa tête ? Non, je ne verrai point ce spectacle odieux, Et la mort secourable en privera mes yeux. Ce transport imprévu me surprend, et j’ignore Quel secret intérêt vous force...         Je l’adore. Vous l’adorez, et moi !         Je ne vous aime plus. Vous feriez sur mon cœur des efforts superflus, Conduite dans ces lieux par l’ordre de mon père, Je vous vis, et son choix avait de quoi me plaire, Mais Gargame parut, je m’en laissai charmer, Et pour aimer toujours c’est lui qu’il faut aimer. Vous avouez sans honte un amour téméraire. Je rougirais Seigneur, si je pouvais le taire, Ne me reprochez rien, mais applaudissez vous De n’être pas encore devenu mon époux. Je le serai bientôt, perfide, et sans rien craindre, À me garder ta foi, je saurai te contraindre ; Puisque Gargame seul peut nuire à mon amour, Lui seul en deviendra la victime en ce jour. Vous vous creusez vous-même un affreux précipice, Oh Ciel qu’avez-vous dit !         Ah chère Tetonice ? Dans l’état où je suis, au comble du malheur, Je dois quand je le perds avouer mon vainqueur, Gargame va périr, et mon ardeur fidèle M’ordonne de le suivre dans la nuit éternelle. Ce secret à jamais devait être celé. Je voulais le cacher, mais l’amour a parlé, Je déteste le Roi, pour augmenter sa peine Je prétends à ses yeux faire éclater ma haine, Et malgré tous ses soins, quoiqu’il puisse m’offrir, L’accabler de mépris, l’en convaincre et mourir. À de tels sentiments me serait-je attendue ? Rendez, rendez le calme à votre âme éperdue, Un transport .violent a troublé votre esprit, De mes sages conseils voila donc tout le fruit ! Je ne condamne point votre amour pour Gargame, C’est un Prince accompli, mais déviés-vous, Madame Faire de cet amour l’aveu trop indiscret ? Je suis femme, et tu veux que je garde un secret ! Ah ! Madame en ces lieux Arcagambis s’avance. Le verrai-je toujours, évitons sa présence. Rappelé par l’amour je reviens sur mes pas, Mais Dieux où courrez-vous ?         Où tu ne seras pas. Tyran tu crois éteindre une si belle flamme, Ou donne moi la mort, ou rends-moi mon Gargame ; En vain dans la prison on le cache aujourd’hui ; Mon cœur malgré tes soins y soupire avec lui. La perfide me fuit, quel projet forme-t-elle ? Je n’en suis plus aimé l’ingrate infidèle, Elle-même à l’instant vient de m’en assurer : Mon malheur est certain je ne puis l’ignorer, Malgré tous mes bienfaits et ma tendresse extrême, Quand je veux sur son front mettre le Diadème, Croit elle impunément déshonorer le mien ? Le Prince vous demande un moment d’entretien. Qu’ose-t-il demander, quoi malgré son offense Le traître pourra-t-il soutenir ma présence ? Qu’il vienne, j’y consens, mais qu’il n’espère pas Après notre entrevue éviter le trépas. Quel secret important as-tu donc à m’apprendre ? De tes noirs attentats pourras-tu te défendre ? Est-ce ta grâce enfin que tu viens demander ? Mes pareils ne sont faits que pour en accorder, Et loin que le trépas ait rien qu’ils appréhendent, Les Héros du même oeil le donnent et l’attendent. Ordinaires discours de ces aventuriers Qui viennent chez les Rois faire les grands guerriers. Portez plus de respect au sang qui m’a fait naître. Est-tu Roi ?         Je suis plus, je suis digne de l’être. Je ne vois rien en toi qui puisse m’assurer Qu’à l’éclat de ce rang tu dois aspirer, Et les Dieux protecteurs des Souverains Monarques, Sur leur front glorieux en impriment les marques. Je ne puis être issu que d’illustres aïeux, Et j’en crois plus mon cœur, que le sort et les Dieux. Tu ne sais dans quel sang tu puisas ta naissance, Et tu m’oses parler avec tant d’arrogance ! Tous ceux qu’à de hauts faits le Ciel a destinés N’apprennent que bien tard de quel père ils sont nés ; Mais je connais ma mère, et je sait qu’elle est Reine, Et du moins d’un côté ma naissance est certaine ; Pour l’autre c’est à vous de m’en rendre éclairci, Et ce seul intérêt me conduisait ici : "Si tu veux de ton sort pénétrer le mystère Au Grand Arcagambis va demander ton père :" Me dit Penthésilée...         Hélas ! Qu’ai-je entendu, Quel trouble dans met sens ce nom a répandu, Penthésilée ; ô Ciel !         D’où vient cette surprise ? À me dire son fils, Seigneur, tout m’autorise. Quel signe peut ici prouver ce que tu dis ? L’oreille d’un Sanglier que je porte. Ah ! Mon fils !     Moi votre fils !         Mon âme a lieu d’être étonnée ; Seigneur, vous qui jamais au joug de l’hyménée N’avez assujetti votre invincible cœur, De trouver un enfant vous avez le bonheur ? Je fus jeune autrefois, et guidé par la gloire Je courus l’Univers suivi de la victoire. Un jour me reposant au bord du Thermodon, Mon coursier près de moi paissant sur le gazon, Je le vis emporté d’une fougue soudaine, Courir malgré ma voix dans la forêt prochaine, Je se suis, je le joins, mais quel étonnement, Lorsque Penthésilée en ce même moment Fit briller à mes yeux plus d’appas, plus de grâce Que Vénus n’en offrit au grand Dieu de la Thrace. Elle fuyait alors un sanglier furieux Prêt à trancher le fil de les jours précieux ; Je vole à son secours, et d’une main hardie Je triomphe du monstre et le laisse sans vie. Sans perdre un seul instant respectueux vainqueur, J’apporte à ces genoux et s hure et mon cœur ; Je vis dans ses beaux yeux, que troublait ma présence, Éclater plus d’amour que de reconnaissance Ô souvenir charmant du prix de mes travaux ! "L’hymen n’est pas toujours entouré de flambeau," Le Temple était trop loin, et sans cérémonie Cette Reine avec moi consentit d’être unie. Je vous dois donc la vie.         Oui, c’est de cet amour, De cet hymen secret que tu reçus le jour. Je veux que mes sujets que je vais en instruire Reconnaissent en toi l’héritier de l’Empire. Mais tu me céderas la Princesse, mon fils ; Qui moi vous la céder, moi Seigneur ; je ne puis. Tu veux l’aimer toujours ?         Rien ne peut m’en distraire Dieux je n’ai plus de fils !         Dieux je n’ai plus de père ! Par de tels sentiments n’allez pas vous trahir, Puisqu’il est votre père, il lui faut obéir. Non, non lorsqu’il prétend me ravir ce que j’aime Je ne reconnaît plus sa puissance suprême. À vôtre âge l’on doit craindre le nom d’époux, La Princesse Seigneur lui convient mieux qu’à voué. Puisqu’enfin tu ne peux étouffer ta tendresse, Je vais pour te punir épouser la Princesse. Et moi, je ne crains point un fort si rigoureux, Thamire m’a promis de couronner mes feux ; Je sais que rien ne peut ébranler sa constance, Je suis sûr de sa foi de sa persévérance ; Vous prétendez en vain disposer de son cœur, C’est un prix qui n’est dû qu’à ma fidèle ardeur ; Adieu... Je vais Seigneur. Dans ce péril extrême... Que vais-je faire, hélas !... Je l’ignore moi-même. Il n’en faut point douter, Gargame en ce moment Va trouver la Princesse en son appartement ; Prévenez ses desseins, ordonnez qu’on le suive, S’il parvient à la voir, son ardeur est si vive Que loin de redouter votre juste courroux ; Il pourrait bien, Seigneur, l’épouser avant vous. Allez vous opposer vous-même à son passage. Courez cher Nabotas.         Comptez sur mon courage, Je saurai de ce soin dignement m’acquitter, Malheur à votre fils, s’il m’ose résister. Quels combats tout à coup s’élèvent dans mon âme, Souffrirai-je qu’un fils outrage ainsi ma flamme ? Non, si jusqu’à ce point il ose me braver ; Des horreurs de la mort rien ne peut le sauver. Que dis-je ! C’est mon fils, ma plus chère espérance, Il a jusqu’à ce jour ignoré sa naissance ; Je viens de l’en instruire, et père rigoureux Je le condamnerais au sort le plus affreux ! Ah ! Rien n’est comparable au tourment que j’endure ; Écoute Arcagambis la voix de la nature ; Elle-même te parle, et vécut te retenir... Il aime la Princesse, et je dois l’en punir... L’amour me le prescrit, c’est lui que j’en veux croire... Non cet ordre barbare offense trop ma gloire... Que ferai-je.. Tous deux m’agitent tour à tour... Dieux ! Ne puis-je accorder la nature et l’amour. Ah ! Seigneur écoutez...         Seigneur, daignez m’entendre. Je viens vous informer...         Je viens pour vous apprendre... Thamire au désespoir...         Le Prince malheureux... Parlez l’un après l’autre, ou taisez-vous tous deux. Animé des transports qu’un tendre amour inspire, Le Prince en vous quittant à couru chez Thamire, Nabotas de la porte ayant su s’emparer, Lui dit, on n’entre point, et moi je veux entrer, Répond en l’attaquant votre fils en furie, Et dans le même instant le prive de la vie. Quoi le fier Nabotas aurait pu succomber ! Seigneur du premier coup nous l’avons vu tomber. Alors de ce héros redoutant le courage, Vos Gardes effrayez lui livrent le passage, Il vole vers Thamire, il la voit, mais ô Dieu ! Quel spectacle fatal se présente à ses yeux ! Au bruit qu’on avait fait la Princesse étonnée Croyant que vous veniez presser votre hyménée, Rencontre par malheur un poignard sous sa main, Et malgré nos efforts le plonge dans son sein. Dieux !         Gargame arrivant la voit pâle et sanglante, "Dans quel funeste état trouvai-je mon Amante". Lui dit-il ?         "Ah ! J’ai cru arriver le Roi." Lui dit-elle ?         "Il fallait croire que c’était moi ;" Lui dit-il ! "Je vous perds adorable Thamire." Elle veut lui répondre, et soudain elle expire. L’ingrate en expirant n’a point brisé mes fers, Et je les porterai jusques, dans les enfers. Meurs, meurs Arcagambis, tu ne peux lui survivre , Ton malheureux amour t’ordonne de la suivre. Ce jour par notre mort devait être marqué, Justes Dieux ! C’en est fait, mon songe est expliqué. Ô Destin trop cruel ! Ô père trop barbare ! Ta rigueur de Thamire à jamais me sépare. Ces reproches sont vains, versez plutôt des pleurs, Le Roi vient d’expirer.         Ô comble de malheurs ! Je perds en un seul jour la Princesse ; et mon père, Et je respire encore.         Cette perte est légère. Le trône doit Seigneur adoucir vos regrets. Quelle nuit tout à coup obscurcit ce Palais, De, quels lugubres eth retentissent ces voûtes, La foudre des enfers vient d’entrouvrir les routes ; Quel invisible bras m’y traîne malgré moi ! Que vois-je au bord du Styx, la Princesse et le Roi ? Ils sont prêts à monter dans la barque fatale, Ne croyez point sans moi passer l’onde infernale ; Arcagambis, Thamire... attendez, je vous fuis ; En vain je les appelle, ils sont sourds à mes cris. Déjà le vieux Nocher à quitté le rivage, Mais je saurai bientôt les atteindre à la nage, Et les flots enflâmes rie m’arrêteront pas.. Belle Thamire, enfin je revois tant d’appas, Ah ! Puisque je retrouve une amante si chère, Je ne vous quitte plus... que vois-je ! C’est Cerbère, Il répand dans mon cœur son funeste poison, Tisiphone a sur moi secoué son tison ; Mais quoi tout disparaît, et mon malheur extrême Me ramène en des lieux plus craint que l’enfer même ; Bravons par le trépas un sert trop inhumain Que ce fer...     Ah ! Seigneur...         Quoi tu retiens ma main ? Laisse-moi terminer des jours que je déteste. Vous n’accomplirez point un dessein si funeste, Vous vous devez Seigneur au sein de vos États. Il faut donc m’immoler en ne me tuant pas.