Oui c’est le Dénoument, oui c’est moi je vous jure, C’est moi qui du Grand-Prêtre emprunte la figure. C’est vous-même, Seigneur ! Quel important besoin Vous a fait devancer l’intrigue de si loin ? Ne dois-je pas ici paraître la première ? Heureux le Dénoument qui seyant la lumière Libre du personnage où je suis attaché, Reste à l’endroit où l’auteur l’a caché! Cessez donc d’insulter un pauvre misérable Que la faute d’autrui seule a rendu coupable ; Au reste, je sais trop le rang que vous avez Madame, je me tais, parlez si vous pouvez, L’avouerai-je, Seigneur ? J’ai perdu la parole ; Mais vous, si vous vouliez jouer ici mon rôle ?... Madame y pensez-vous ? Moi qui suis si discret, Qui sais avec tant d’art ménager un secret, Vous voulez que je sois ici votre interprète ? Mais attendez ... oui...     Quoi ?         La royale cassette Que pour bonnes raisons j’ai fait venir ici, En ce pressant besoin peut vous servir aussi. Aux yeux du spectateur nous n’avons qu’à la mettre. Voici le Diadème, et l’Epée , et la Lettre ! Voilà, sans vous donner la peine de causer, Ce qu’en terme de l’art on appelle EXPOSER. L’expédient est bon, et s’il ne peut suffire, J’ai deux Actes encore où l’on n’a rien à dire. Pour expliquer le fait j’introduirai des gens. ; Adieu, je vous sais gré de vos soins obligeants. Elle s’en va contente, et je me moque d’elle. Faut-il donc à parler instruire une femelle ? Voilà comme un sujet souvent mal déclaré Rampe au mépris des lois, et languit ignoré. Viens, suis-moi, les remords, qu’on croit si méprisables Sont la seule vertu qui reste à des coupables. Non, mais à dire vrai, tout scélérat prudent Ne doit jamais avoir que nous pour confident. N’étant, non plus qu’Assur, là-dessus fur vos gardes, Le secret sera su du moindre de vos gardes ; C’est un de vos défauts.         Pourquoi le rappeler ? Te plairas-tu toujours à me faire trembler ? Mes défauts, je le sais, ont comblé la mesure J’ai confondu l’amour, l’inceste et la nature, Choqué la vraisemblance, et sur un vain tombeau Jetté les fondements du succès le plus beau ! Misérable ! Et je vis, et je soutiens la vue De ce sacré Public dont le bon goût me tue ! Pourra-t-il retenir ce qu’il pense de moi ! Il se tairait en vain !         Eh, n’ayez point d’effroi. Je connais la valeur des belles Tragédies, Seigneur, je ne suis point de ces pièces hardies Qui goûtant au Théâtre une tranquille paix , Ont su se faire un nom qui ne périt jamais. Mourons ; que de mes maux la chûte me délivre ; Est-ce un si grand malheur que de cesser de vivre. Je ne suis point, Madame, ici pour vous flatter. Mais je serais honteux de vous trop tourmenter ; Croyez-moi, n’allez point dans la nuit infernale. INTRIGUEZ-VOUS ; voyez, courtisez la cabale La voici justement, qui sous les traits d’ASSUR Porte l’air tapageur, l’oeil fier, et le coeur dur. Ah, dissipez ASSUR, mes mortelles allarmes Et pour me protéger daignez prendre les armes. Le peu d’éclat que j’ai vous a rendu jaloux ; Je vous hais, je vous crains, mais j’ai besoin de vous. De mille affreux remords je fuis persécutée, Et par des revenants sans cesse épouvantée : Vous trembleriez vous-même, et tous les esprits forts... La terreur des vivants peut-il craindre les morts ? Au reste, attendez tout de ma toute-puissance Pourvu que vous ayez un peu de complaisance. Il faut par certains noeuds sceller notre union. Ce que vous dites-là mérite attention. Vous savez que tantôt tout mon conseil s’assemble ; Nous pourrons la-dessus délibérer ensemble, Adieu, je vais revoir dans mon Théâtre Anglais S’il est vrai que mon plan soit tout-à-fait mauvais. Comme si loin de nous le maître de la terrre N’eut placé le bon goût qu’au fond de l’Angleterre. Allons, prenons scéance. Etes-vous tous ici ? L’ACTION ?     La voilà.     Bon ! Le NOEUD ?         Me voici ! L’INTÉRÊT ?     Il arrive.         Il se fait bien attendre ; J’aurais dû, j’en conviens, un peu plus tôt me rendre. Moi je suis à venir exacte au dernier point. Je ne vois point L’INTRIGUE,         On dit qu’il n’en est point. Et vous, que faites vous ?         TERREUR pour mouvoir l’âme. Et vous, belle Azema ?         Je fais PITIÉ, Madame. Et DÉCORATIONS.         Elle est sur la hauteur. Qui tâche d’amuser de loin le spectateur. Que chacun s’il se peut garde son CARACTÈRE Allons je vais parler; que l’on songe à se taire. Je vous ai fait venir ici de tous côtés Pour vous faire en deux mots savoir mes volontés. Vous connaissez, amis, mes maux et ma faiblesse, Et savez, comme on dit, par où le bât me blesse. Il m’est donc important de choisir un appui Qui puisse me sauver et la chute et l’ennui, Qui détermine enfin ma crise violente, Et soutienne longtemps ma beauté chancelante. Je choisis ; ... n’allez point répliquer point d’humeur, Oui je me donne...     À qui ?     Je tremble...         À l’imprimeur. Hélas !     Ciel !     Patatras !         Qu’entends-je ? Ce tapage De quelque part qu’il vienne est un mauvais présage. Il vous vient du parterre.         Oh non ! Moi je vous dis Que le parterre est vide , il vient du paradis. À des traits si hardis mon Ombre se réveille. Dieux quelle est ma frayeur ! C’est l’ombre de Corneille, Pourrai-je en cet état paraître devant lui ? Je t’invoque. Ô mon père! Ô mon unique appui. Oses-tu me nommer ? Et par quelle insolence Me joindre ici celui qui ta donné naissance ? Ciel !         Qu’il soit, sans former un lien si fatal Le second de son siècle et non pas mon rival. Oui je veux bien encore attendu la disette Qu’on le regarde un jour comme premier poète ; Mais avant que dans lui j’adopte un héritier Dans ma tombe, à ma cendre il faut sacrifier. Est-ce moi qu’il demande ? Ah s’il faut que je tombe, Accorde moi l’honneur d’être auprès de ta tombe ! Il est donc des défauts, ll est donc des excès Que les maîtres de l’art ne pardonnent jamais ! Si tu ne tombes pas, pour apaiser ma cendre Avec le temps du moins je te ferai descendre. Seigneur je me soumets. On peut sans s’avilir Écouter vos arrêts, les craindre et s’y tenir. Non je ne prétends pas dans ma douleur profonde Rechercher un ingrat qui meprise le monde. Moi vous haïr. Ô ciel ! Non ma chère moitié, L’Intérêt n’aimera jamais que la Pitié. Non tu n’es qu’un perfide, un volage, un parjure Qu’on ne voit qu’à travers une lumière obscure, Et qui jamais ici ne passe... qu’en passant. Quand on ne me voit pas, c’est que je suis absent. La pointe est admirable et digne de ta mère. Ma mère est, et sera ce que l’a fait son père, Mais que veut le Grand-Prêtre ?         Ah ! C’est le Dénoument. Je voudrais en secret vous parler un moment. Je viens vous apporter...         J’entends, c’est une Lettre. C’est un paquet qu’on m’a chargé de vous remettre. De quelle part ?         L’adresse est bien à Ninias. Prenez donc, rendez grace, et ne répliquez pas. Ouvrons vite et voyons quel est tout ce mystère : Oh oh : voici de quoi bien réjouir ma mère. Lettre sur Sémiramis, Critique de Sémiramis, seconde Critique, troisième Lettre, Apologie, Contre-Critique, etc. Ceci sent la cabale ! Hélas Sémiramis, A donc plus de Censeurs en ces lieux, que d’Amis ! Ah ! Cachons...         D’où te vient cet air triste et sauvage ? Les traits du désespoir sont peints sur ton visage. Madame ce n’est rien.         Non, tu te tais en vain. Mais vous dis-je...         Je veux.. que tiens-tu dans ta main ? Rien... c’est... que lui dirai-je ?     Hem ! quoi ?         C’est la sentence... D’un pauvre malheureux qu’on mene à la potence. Donne.     Fi donc ?     Tu ments, c’est autre chose.         Eh bien ! C’est un paquet pour vous ; mais vous n’en verrez rien. Contient-il les raisons d’un refus qui m’assomme ? Oui.     Donne !     Je ne puis.     D’ou le tiens-tu ?         D’un homme. Si tu ne m’obéis, tiens, je te chasse.         Eh quoi. Êtes-vous pour si peu déjà lasse de moi ? Eh bien que ces écrits soient donc le seul supplice, Qui de tous vos excès puissent faire justice. Ah, mon fils, je me meurs... et prête à succomber... Soutiens-moi.         Je ne puis... Eh, vous allez tomber ! Qu’ai-je vu ? Des Censeurs, la rage déchaînée, Poursuit cette coupable et cette infortunée ! Vous coupable ? Ah peut-on s’aveugler à ce point ? Non non? ma Mère, non, je ne les croirai point, Vous avez du brillant ; et ne leur en déplaise. Avec tant de beautés on n’est pas mauvaise. À ce noble transport je reconnais mon fils, Viens, suis-moi, nous allons brûler tous ces écrits. Viens ma chère Pitié, je connais ta tendresse, Et je sais à quel point ma douleur t’intéresse. Madame, ce n’est pas pour vous le reprocher, Mais lorsque vers l’abîme on vous a vû pencher, N’ai-je pas, tel qu’Atlas qui soutient un des Pôles, Oui, ne vous ai-je pas porté sur les épaules ? Dans votre plan pourtant qu’aviez-vous fait pour moi ? Rien.         Rien : une autre fois nous songerons à toi. Tenez, à vos périls mon coeur encore s’éveille, Je vois que vous lorgnez le tombeau de Corneille, Et que d’entrer dedans il vous prend un désir. Ce n’est que par son ordre, il lui faut obéir. Croyez-moi, n’allez pas jouter contre un tel Maître, Vous trouveriez quelqu’un plus fort que vous, peut-être. Vous raillez !         Point du tout : mais sérieusement, J’ai cru voir la Cabale entrer secrètement, Sachant que votre fils, et vous, devez descendre Dans la tombe, elle veut tous deux vous y surprendre. On en veut à mon fils, dites-vous ? C’est assez, J’y cours de ce pas même, et vous m enhardissez. Elle y va ; je crains bien que cette conjoncture N’apporte à mon amant quelque triste aventure. N’entends-je pas sa voix parmi ces cris affreux... J’entends tomber quelqu’un, le coup a sonné creux. Ah c’est lui...         Triomphez ! Je sors du fond de cale, Où j’ai vu sous mes pieds expirer la Cabale, J’ai traîné tout sanglant son corps auprès d’ici, Elle invoquoit ses Dieux.         Tu ments, chien ! Me voici ! La victime, grands Dieux, nous est donc échappée, Tu n’échapperas pas toi-même à mon épée. Je veux rabattre ici de cet air triomphant, Par ordre de l’Auteur rends-toi comme un enfant. Je me rends.     Tuons-la.     Non.     Pourquoi, Pitié ?         C’est que... Il vaut mieux l’envoyer vivante au Fort-l’Évêque. Je m’y rends, mais aussi, bientôt vous allez voir, Qui de nous deux, Seigneur, doit être au désespoir. Que vois-je ?     Quel objet !         Ah grands Dieux ; C’est ma mère ! Si j’en meurs, Ah c’est bien la faute de mon père ! D’où venez vous, Madame ? Et par quel accident ?... Est-ce vous qu’à mes pieds...         Hélas en descendant, Mon fils, j’ai rencontré quelqu’un à la traverse,... Et j’ai fait... une chute, horrible à la renverse. Pieux ! Où donc ?         À l’entrée, hélas du monument Mais encor quel hasard ?     Par centrecoup.         Comment ? En me heurtant le front.... mais d’une violence... Haye .. .     À quoi ?     Contre qui ?         Contre la VRAISEMBLANCE. Le coup m’a renvoyé tomber à quatre pas... Et je ne ssais, mon fils, si je n’en mourrai pas, Je suis si MALTRAITÉE et ma douleur est telle... ’Ah !     Là , là ...         Ce que c’est que d’aller sans chandelle ! Si j’en meurs, ... vous ma bru, vous mon fils, écoutez .... Hélas !         Que je vous dicte ici mes volontés. Je veux qu’un noeud sacré tous les deux vous assemble ; Tâchez d’être confìants et de bien vivre ensemble. Gagnez vous tous les coeurs ; si de votre union Vous donnez au Public quelque production... Ah...         Que la Vraisemblance et la Belle nature, En soient, mes chers enfants, la règle et la mesure. Si des fâcheux Censeurs vous craignez le couroux , En ne m’imitant pas ne craignez point leurs coups. Mais j’ai surtout encore une chose à vous dire... Il convient d’abréger un peu quand on expire, Madame, trop parler pourrait vous étouffer, Dans votre lit plutôt allez vous réchauffer, Vous en rechapperez.     Plut aux Dieux !         Moi j’espère Au bon tempérament qu’elle tient de son père, Je compte aussi sur vous, et wur tous les amis , Que malgré ses défauts s’est fait Sémiramis.