Ô pur sang de nos Rois, ô fille auguste et chère, Vous qu’Hésus voit ici d’un regard tutélaire, Vous qui, déjà remise en ses bras paternels, Allez vous consacrer au soin de ses autels ; Partagés les transports de ces Vierges fidèles Qui, fières de vous voir engagée avec elles Aux lois du même culte, au joug des mêmes voeux, Par leurs tendres soupirs, hâtaient ce jour heureux. Hélas !         À la faveur de cette auguste fête, Vous savez qu’en secret votre père s’apprête À surprendre en leur camp ces farouches Romains, Des Alpes au Caucase oppresseurs des Humains. Ce jeune Clodomir descendu de nos Maîtres, Héritier des vertus de ses braves ancêtres, Qui, formé, dès l’enfance, au grand art des combats, Par tant d’heureux exploits a signalé son bras... Clodomir !         Il arrive et déjà l’on publie Que ces chefs, ces héros vengeurs de la patrie, De l’une à l’autre mer, par ses soins appelés, Sont, par divers chemins, dans nos bois rassemblés. Depuis que, de César défiant la fortune, Votre père s’immole à la cause commune, Depuis que tant d’États, qu’il a su protéger, Se reposent sur lui du soin de les venger, Jamais ce Roi puissant, si près de la victoire, Aux Gaulois indomptés ne promit tant de gloire ; Et vous allez vous-même, à ses nobles projets, Intéresser les Dieux arbitres du succès. Moi !         Ce Druide saint qui, né dans nos contrées, Les a, de ses vertus, si longtemps éclairées, Cet auguste vieillard qui, par l’humanité, Fait, aux coeurs attendris, aimer sa piété, Et depuis quelques mois, par le choix du ciel même, De la religion tient le sceptre suprême, Le sage Cyndonax est mandé d’Albion. Il vient, avec le ciel, sceller votre union. Sur nos rives, sans doute, il est prêt à descendre. S’il m’apporte la paix que j’ai droit d’en attendre, Mon coeur impatient vole au-devant de lui. Mais, ô Ciel qui m’entends ! S’il venait aujourd’hui Sous mes pas égarés creuser un précipice, Et du ciel qui m’accable et ministre et complice, À des pleurs éternels livrer mes tristes jours ! Que dites-vous !         Hélas ! Pour en troubler le cours, C’est assez des horreurs où je suis appelée. J’en frémis. Sur ces bords la Gaule est assemblée, Et c’est par l’homicide et le sang d’un mortel, Répandu par mes mains, coulant sur cet autel, Que l’on doit consacrer cette affreuse journée ; Et moi, triste prêtresse, à ce culte enchaînée, Par cette urne effroyable, organe de la mort, Je dois, sur la victime interroger le sort. Je sais trop ce que coûte un devoir si terrible ; Quel trouble il doit porter dans une âme sensible ; Mais la pitié se tait où commande la loi. Un coeur offert aux Dieux ne doit plus être à soi. Quand je fus élevée à mon saint ministère, Je frémis, comme vous, de ce sanglant mystère, J’osai le condamner et ma tremblante main Se refusa d’abord à ce culte inhumain. Mais quoi ? L’homme à nos yeux ne meurt que pour renaître ; Un Dieu même l’attend pour épurer son être ; Ainsi, lorsque tout tremble à l’aspect de la mort, Le Gaulois éclairé l’embrasse avec transport. Je me rendis. Que dis-je ? En frappant ma victime, J’admirai, sans effroi, son dévouement sublime. Je sentis que mon coeur, vers les Dieux élancé, Fier d’un destin si beau, n’aurait point balancé, Le vôtre, en ce grand jour, brûlant du même zèle, Aux lois de nos aïeux sera-t-il infidèle ? Ah, cette loi de sang, ce mystère abhorré, Est le moindre tourment qui me soit préparé. Ciel ! Et, dans ce séjour, que craignez vous encore ? Silence, du tombeau c’est vous seul que j’implore ! Ah, c’est trop vous confondre. Au nom de vos vertus... Vous ne voyez ici que ces filles d’Hésus Dont la tendre amitié partage vos alarmes. Faut-il leur dévoiler la honte de mes larmes ? Laissez-nous un moment... Que vais-je apprendre ? Ô Dieux ! Vous semblez consternée à l’aspect de ces lieux ! Eh quoi ? Depuis un an que, dans ce sanctuaire, Vous attendez du Ciel le sacré caractère, J’élève votre esprit à ces secrets profonds, Que notre piété dérobe aux Nations ; Vous apprenez de moi ces sublimes cantiques, De l’Être Tout-Puissant archives authentiques ; Et, sur ces grands objets, lorsque vos yeux ouverts, Ont dû voir le néant de ce vil univers ; Quand la vérité parle à votre âme éclairée, Vous semblez redouter cette chaîne sacrée, Ce joug de la vertu qui fait les vrais heureux ! N’est-il donc de vertu que sons ce joug affreux ? N’est-il de vrai bonheur qu’à porter cette chaîne ? Bonheur trop acheté ! Vertu trop inhumaine ! Tyran de la nature ! Effroi de la raison ! Éteins en moi du moins ce funeste poison Qui, m’embrasant d’un feu que le Ciel désavoue, Profane les autels où mon sort me dévoue. Ah, que m’apprenez-vous ?         Voilà le trait vainqueur, Le trait envenimé qui déchire mon coeur, Le trait que je repousse et qui renaît sans cesse. Condamnez, s’il le faut, punissez ma faiblesse ; Elle outrage les Dieux, vous devez les venger. Frappez, voilà mon sein. Sauvez-moi du danger De leur offrir un coeur qui n’est plus à lui-même. Sauvez-moi du tourment de trahir ce que j’aime. Oui, frappez ; mais plaignez l’objet infortuné Qu’à m’aimer sans espoir le Ciel a condamné. Ah, si vous connaissiez le charme qui m’attire, L’invincible ascendant dont j’éprouvai l’empire, Le pouvoir que son coeur avait pris sur le mien ! Allons. Le Ciel est juste, il sera mon soutien ; Mais faut-il que j’immole à ce devoir barbare Le Héros le plus grand, la vertu la plus rare ?.... Hélas ! Et quel revers l’attendait aujourd’hui ! Quel spectacle funeste est préparé pour lui ! Il revient, et le Ciel lui ravit son amante ! Clodomir !         Ô transport ! ô douleur impuissante ! Quel coup pour un coeur tendre ! En apprenant mon sort, Je le sens par moi-même, il va trouver la mort. Cette horrible pensée épuise ma constance. Tous deux, près de mon père, élevés dès l’enfance, Qui m’eût dit, dans ces temps d’innocence et de paix, Que vous dussiez, grand Dieu, nous séparer jamais ! Ah ! Fallait-il porter, dans un coeur qu’il réclame, Jusqu’à ses autels même, une coupable flamme ? Eh ! Pouvais-je éviter ou prévoir mon malheur ? En ces temps orageux de trouble et de terreur Où ce chef des brigands qui dévastent la terre, César remplit ces bords des flammes de la guerre, Dans un combat fatal, mon père infortuné, Par ses lâches soldats, se vit abandonné. Prêt à subir le joug dés Romains en furie, Mais frappé seulement des maux de sa patrie, « Ô Dieux ! s’écria-t-il, épargnez-moi l’horreur De voir, en expirant, triompher mon vainqueur. Sauvez de son courroux les tombeaux de nos pères ; Je dévouerai ma fille à vos sacrés mystères. » Ai-je pu démentir un voeu si solennel ? Ce jour même, ce jour, d’un honneur éternel Couronna les exploits de ton jeune courage, Cher Prince. Hélas, sans lui, le plus dur esclavage, La mort la plus sanglante était l’horrible prix Des efforts de mon père indignement trahis. Lui seul, dans tous les coeurs, sut réveiller la gloire. On s’arme, on se rallie, on vole à la victoire ; On dégage mon père et l’ennemi pressé, Jusqu’aux bords de la Seine, est enfin repoussé. Des Romains cependant la fureur indomptable Annonçait à la Gaule un joug inévitable, Et ce torrent fougueux, un moment retenu, Allait tout entraîner s’il n’était prévenu. Clodomir fut choisi pour ranimer nos Princes Endormis trop longtemps au fond de leurs provinces. Il partit. Il vola chez cent peuples divers Menacés, comme nous, des plus indignes fers. Je cachais de mes feux le dangereux mystère, Lorsqu’il fallut remplir le serment de mon père, Et les voeux qu’en ce jour on attend de ma foi, Quand mon amant paraît, vont m’arracher à moi. On vient. Cachez vos pleurs.         Par pitié, par tendresse, Vous-même, jurez-moi de cacher ma faiblesse. N’en doutez point.     Mon père !     Ah ! Ma fille !         Ah ! Seigneur ! Introduit, par vous seul, en ce lieu de terreur, C’est à vous que je dois cette douceur extrême De revoir, d’embrasser un fille que j’aime. Oui, tout autre, sans doute, en entrant dans ces lieux, Eut rencontré la mort sous le glaive des Dieux ; Mais nous devions suspendre une loi trop sévère Pour la gloire d’un Roi, pour la vertu d’un père Qui va, d’un coeur soumis, en ce jour solennel, Consacrer, par nos mains, sa fille à l’éternel. Ma fille, c’en est fait, le devoir, la justice, De tes voeux, de toi même attend le sacrifice. Ton coeur, de passions dès longtemps épuré, À ces moments heureux doit être préparé ; Le mien seul en soupire. Une voix gémissante, A ta vue, en tes bras, y porte l’épouvante. Tu vas quitter la terre avec moins de regrets. Aux yeux de la vertu le Ciel a plus d’attraits. Tu sauras, mieux que moi, combattre la nature. Eh, qui peut étouffer son déchirant murmure ? Qui peut, maître de soi, sans combats, sans douleur, Sans quelque effroi caché triompher de son coeur ? Je ne le nierai point, en ces saintes retraites, J’espérais que, sensible à mes larmes secrètes, Ce Dieu, quel qu’il puisse être, à qui l’on va m’unir, Effacerait en moi tout autre souvenir. Vain espoir qui m’abuse !         Ô fille encor si chère ! Qu’oses-tu dire ? Hélas, songe au voeu de ton père, Au bonheur dont les Dieux l’ont déjà couronné, Au prix que, dans ce jour, ils m’en ont destiné. Ah, ma vie et ma mort sont en votre puissance ; Mais à ce coeur trop faible imposez donc silence. Hélas ! En ces bois même, au pied de ces Autels, Asile inaccessible aux profanes mortels, En ces bois où l’on dit que, dans la nuit profonde, L’esprit, source de l’être et principe du monde, Dévoile, avec horreur, son éclat ténébreux Au Druide tremblant qui lui porte nos voeux, De mes pleurs, chaque jour, dévorant l’amertume, J’offre, à ce Dieu puissant, l’effroi qui me consume. Je crois le voir lui-même, attentif à mes cris ; Sa présence et sa voix rassurent mes esprits. Dans ces moments d’ivresse, une céleste flamme, Vers son trône éternel, semble élever mon âme ; Mais bientôt, rappelée au trouble de mes sens, Ce calme passager, ces songes ravissants Se perdent dans l’horreur d’un réveil effroyable. Et d’où peut naître en toi ce trouble inconcevable ? Contemple les mortels, vains jouets de leur coeur, L’un l’autre se heurtant dans la nuit de l’erreur ; Sur une mer trompeuse, environnés d’orages, Et livrés, l’un par l’autre, aux plus cruels naufrages. Ah, crois qu’un Dieu propice, auteur de tes destins, Te prépare des jours plus purs et plus sereins. SEIGNEUR, on voit au loin, sur le fleuve tranquille, Des vaisseaux élancés s’ouvrir un cours facile. Bientôt le grand Druide arrive sur ce bord ; Et déjà tout le peuple attend, avec transport, Que, dans ce Sanctuaire, honorant son entrée, Vous devanciez ses pas à l’enceinte sacrée. Oui, tel est mon devoir. Par notre auguste loi, Ce droit, dans nos parvis, n’est réservé qu’à moi. Je vais vous y conduire. Assemblez nos Druides. Vous, courez vous rejoindre à ces Vierges timides, Qui, l’encens à la main, vont marcher sur nos pas. Allez.         Fille des Rois, vous ne les suivrez pas. Du ministère saint non encore honorée, Attendez le Pontife, et, d’une âme éclairée, Elevez-vous au Dieu qui va vous adopter. Seigneur, à votre amour quoiqu’il puisse en coûter, Il est tems, pour jamais, de vous séparer d’elle. Ah, ma fille !     Ah, Seigneur !         Votre rang vous appelle A conduire le Peuple et les Chefs des Gaulois. Mon coeur se brise...         Adieu, pour la dernière fois. Souviens-toi de ton père, en acquittant mon zèle. Hélas, que deviendrai-je ? O sagesse éternelle, Qui vois, d’un oeil vengeur, les troubles de mon sein, Tes ordres absolus m’appellent-ils en vain ? Mais quoi ! tout m’abandonne en cette triste enceinte ! Un Dieu terrible, un Dieu qui regne par la crainte, Interdit aux humains tout accès jusqu’à moi ! Ah ! qui m’arrachera de ce séjour d’effroi ? Où s’égarent mes pas dans l’horreur des ténèbres ? Je marche en frémissant sous ces ombres funèbres. Qu’entends-je ?         Un sombre effroi soulève encor mes sens. Dieu, dérobe à mes yeux ces glaives menaçants. Cache, ou lance les traits suspendus sur ma tête. Quel mortel sacrilège ?... Ah ! malheureux ! Arrête. Tu viens chercher la mort.         N’entends-je pas des cris ? Sors, te dis-je.         Une voix a frappé mes esprits. Si c’était.... avançons.... !         Ah ! Grands Dieux ! Emirène ! Clodomir !     Est-ce vous ?         Je me soutiens à peine. Sortez.         Moi vous quitter ! Ah ! Pour venir à vous, Des dieux et des mortels j’ai bravé le courroux. Qu’avez-vous fait, ô Ciel ?         J’ai suivi mon courage. J’ai saisi le moment qu’on accourt au rivage. J’ai franchi le rempart d’un peuple épouvanté Qui n’ose me poursuivre en ce lieu redouté. Ah ! pouvez-vous, des Dieux, soutenir la présence ? Dans le trouble où je suis, je crains peu leur vengeance. Ils ont en vain, sur moi, déployé la terreur. Puis-je rien écouter, en ce moment d’horreur, Que l’affreux sentiment d’une mortelle injure ? Je vous perds.     Tu sais donc ?...         Il est donc vrai ! Parjure ! Je ne pouvais le croire et mon coeur, malgré moi, Opposait, à ce bruit qui me glaçait d’effroi, Vos vertus, vos serments, l’excès de ma tendresse. Dieux ! lorsque, plein d’espoir et tout à mon ivresse, Après un an d’absence, après de longs travaux, J’amène à la patrie un peuple héros ; Quand, par mes soins heureux, digne enfin de vous plaire, J’allais ouvrir mon âme à votre auguste père, J’apprends qu’un voeu fatal vous destine aux autels ! Je vois un peuple faible et des prêtres cruels, Fiers de vous voir liée à leur funeste chaîne, Préparer, à l’envi cette pompe inhumaine !....... Mais parlez sans contrainte et ne me trompez pas. A ce joug odieux cédez-vous sans combats ?...... De mes voeux, de ma foi rejetez-vous l’hommage ? Ah ! si je le croyais, dans l’excès de ma rage, Je percerais ce coeur qui ne peut vous toucher, Ce coeur que, de vos fers, rien ne peut détacher, Ce coeur que tant de feux dont l’ardeur me dévore, Même au sein de la mort, animeront encore. Heureux, en expirant, de tomber à vos pieds ; D’arracher quelques pleurs à vos yeux effrayés, D’emporter dans la tombe une trop chère image ! Ah ! plutôt !....     Achevez.         Soutenez mon courage, Grands Dieux... mon coeur tremblant d’un froid mortel saisi... Que dis-je ? Ah ! malheureux ! qui t’a conduit ici ? Fuis. Cesse de me rendre, en ce désordre extrême, Coupable envers le ciel, odieuse à moi-même... Seigneur, ayez pitié de mes justes frayeurs. Je veux bien, à vos yeux, ne point cacher mes pleurs ; Mais quittez ce séjour où le Ciel qui m’opprime, De mes mains, aux autels attend une victime. Hélas ! à quels transports vous abandonnez-vous ? Si, de leurs droits sacrés, les Ministres jaloux, Déjà peut-être instruits de votre audace impie, Demandent qu’en ces lieux votre trépas l’expie ! Si je suis destinée à ce fatal emploi ! Si votre sang... Cruel, je mourrois avant toi. Ah daignez voir le joug où je suis asservie. Se peut-il qu’un Guerrier, l’espoir de la Patrie, Lorsque, sous nos drapeaux, cent peuples réunis Vont surprendre, en leur camp, nos tyrans endormis, Quand, de ma liberté, le juste sacrifice Doit, à ce grand dessein, rendre le Ciel propice, Un Guerrier, un Héros qui se doit à l’Etat, D’un amour criminel fasse un honteux éclat ? La Gaule vous attend. Volez à sa défense, Et songez que mon sort n’est plus en ma puissance. Mon père, en triomphant, m’avait promise aux Dieux. Je n’ai pas dû trahir ces soins religieux, Ce voeu qui, dans son Camp, ramena la victoire, Ce voeu qui, pour vous-même, en assura la gloire. Moi, je n’aurois vaincu que pour votre malheur ! Les destins, à ce ptix, me vendroient cet honneur, Et leur faveur cruelle, à mes armes offerte, Attacheroit ainsi ma gloire à votre perte ! Car enfin, dans la nuit où vos yeux sont plongés, Connaissez-vous les lois où vous vous engagez ? Quoi vous qui, des humains, pouviez vivre adorée, Par un père trop faible aux autels consacrée, Vous allez prononcer le serment solennel De faire, avec la terre, un divorce éternel ! Vous ! Et moi, dans les pleurs !... Ô jours de notre enfance ! Ces pleurs, sur vous, alors avaient quelque puissance : Alors vous m’auriez plaint ; alors, dans votre coeur, Mon sang, prêt à couler, eût porté la terreur... Je vois qu’à cette gloire il ne faut plus prétendre. J’obéis. Cependant, si l’amour le plus tendre Donnait un droit... Mais, non. Je me dois oublier, Et votre bonheur seul m’occupe tout entier. Qu’allez-vous devenir, si, malgré sa constance, Votre coeur se repent de son obéissance ? Voyez quels jours affreux vous seraient préparés ; Quels regrets ! Quels tourments en secret dévorés ! Toujours cacher son coeur ; s’éviter ; se contraindre ; Pleurer ; se condamner ; tout désirer ; tout craindre ; Nourrir toujours en soi son plus fier ennemi ; Ne voir jamais le Ciel d’un regard affermi ; Attendre, avec effroi, la mort que l’on implore, Et traîner au tombeau la chaîne qu’on abhorre. Ah, je suis à vos pieds, arrosés de mes pleurs ; Princesse, au nom des Dieux, prévenez tant d’horreurs. Lève-toi.... Mais quel bruit ? Ah, tout mon sang se glace ! On vient.... où ces forêts attestent ton audace. Lève-toi. Songe aux lois de ce temple cruel. Regarde ces tombeaux. Contemple cet autel. C’est-là, qu’en invoquant un pouvoir inflexible, Je vais puiser un nom dans cette urne terrible. C’est-là, qu’en frémissant, je vais porter la mort Au sein du malheureux qu’aura proscrit le sort. Je ne pourrai suffire à cet effort barbare. Va. C’est assez des maux que ce jour me prépare, Sans que, dans ce parvis, surpris et confondus, Nous tombions... Je frissonne et ne me connais plus. Pars. Adieu...     Non. Cruelle.         Où courez-vous, impie ? Arrêtez.     Ciel ! Où suis-je ?         Ah, c’est fait de sa vie ! Perfides, osez-vous ?...         Qu’on l’entraîne en ce bois. Quand il en sera temps, les vengeurs de nos lois, Instruits de l’attentat, ordonneront la peine. Dieux ! m’abandonnez-vous à leur foule in humaine ? Barbares, arrêtez. Où le conduisez-vous ?... On l’entraîne !... O destin, lance tes derniers coups... Ah ! dût-on me punir, je saurai...         Mais où vais-je ? Puis-je, hors du parvis, mettre un pied sacrilège ? Quel forfait !... Ah, grands Dieux, dans l’horreur de mon sort, Sauvez-moi de moi-même, ou me donnez la mort. Des transports d’un vain peuple, en secret, trop flatté, Cyndonax sur la rive est encore arrêté. Sans doute en nos parvis il daignera se rendre. Ce qui frappe ce peuple et qui doit vous surprendre, Sans pompe, sans escorte, il vient dans nos climats. Un seul Druide, un seul accompagne ses pas. On dit qu’il suit les lois d’une vertu sévère. J’aurais cru que son rang, son nouveau caractère Demandaient plus d’éclat et plus de majesté. Sous un dehors si simple on est peu respecté. Mais quelquefois aussi, par un orgueil extrême, On fait gloire, en public, de braver l’orgueil même. Quoiqu’il en soit, ce Prince, en ces lieux arrêté, Ce jeune audacieux est-il en sûreté ? Oui, Seigneur.         Au Conseil que pourra-t-il répondre ? L’impie, aux yeux du Ciel, est facile à confondre. Je le plains ; mais nos lois déposent contre lui. D’autres soins cependant m’appellent aujourd’hui. Au fond de cette enceinte obscure et retirée, Allez, Eubages saints, portez l’urne sacrée. Assemblez-y le peuple, et dès que, sous leurs lois, Les Dieux auront reçu la fille de nos Rois, Que tout soit préparé pour ce divin mystère, Dont elle doit sceller son premier ministère. Qu’on ouvre ces parvis. Arbitre des mortels, Permets à tous les tiens l’accès de tes autels ; Des enfants vertueux, dont la gloire t’est chère, Ont tous un droit égal aux bontés de leur père. Souffrez que les premiers, à vos sacrés genoux, Seigneur, nous adorions...         Hélas, que faites-vous ? Ministres des autels, ignorez-vous encore Qu’il est un être au ciel et le seul qu’on adore ? C’est son image, en vous, qui frappe ici nos yeux, En vous, seul confident des volontés des Cieux... Moi ! je ne suis qu’un homme, et tout me le rappelle. Que le faible vulgaire, enivré d’un faux zèle, Pense qu’à nos regards, dévoilant ses secrets, Le Ciel, par notre bouche, annonce ses décrets ; C’est à nous de détruire une erreur dangereuse, Souvent fatale au monde, au Ciel injurieuse, Que peut-être, en secret, l’orgueil autorisa, Et dont, plus d’une fois, l’hypocrite abusa. Au respect des humains, si nous osons prétendre, Sachons le mériter, et non pas le surprendre. Pontife auguste et saint, dont l’exemple et la voix, Du Ciel, aux nations, fait respecter les lois, Tout reconnaît ici votre pouvoir suprême, Et je viens à vos pieds mettre mon diadème. A qui déférez-vous ce fastueux honneur ? Périsse le Pontife, ivre de sa grandeur, Qui nourrit, sans rougir, sa vanité secrète, Des voeux dont, sur la terre, il n’est que l’interprète. Ah, loin de voir un Dieu dans un faible mortel, Grand Roi, Prêtres, Guerriers, sachez que si le Ciel M’a placé dans un rang dont abusent des traîtres, C’est pour apprendre au monde à respecter ses maîtres, C’est pour donner l’exemple au vulgaire indompté, De ce que doit le sage à leur autorité. Seigneur, de nos destins heureux dépositaire, Vous allez attaquer un peuple sanguinaire, Tyran de l’univers, effroi des nations, Qui profita longtemps de nos divisions ; Mon devoir, mon partage est de bénir vos armes ; De présenter au Ciel le tribut de mes larmes, Et non de balancer le souverain pouvoir Qui, des Gaulois, en vous, est devenu l’espoir. Je reconnais, Seigneur, à ce noble langage, Que la grandeur du rang est l’épreuve du sage. Quel exemple offrez-vous aux vulgaires humains, De leurs droits usurpés si jaloux et si vains ! Et que n’obtiendra point une âme si sublime, Du sort qui la respecte et du Ciel qui l’anime ! Oui, dans le grand dessein qui nous rassemble tous, Ce que j’attends des Dieux je l’obtiendrai par vous. Je leur promis ma fille. À mon serment fidèle, Je leur rends tous les droits qu’ils m’ont donné sur elle. Ses voeux, reçus par vous, vont dégager ma foi, Et, dès cet instant même, elle n’est plus à moi. Elle est encore à vous. Tant qu’un aveu sincère N’a point ratifié le serment de son père, Vous conservez un droit justement respecté. Mais craignez d’abuser de votre autorité. Le Dieu qui, par mes mains, recevra son hommage, Demande une âme pure, et la veut sans partage ; Vous savez qu’à ses yeux il n’est rien de secret, Et qu’il refuse un coeur qui se donne à regret. Nourri des sentiments que la vertu fait naître, Son coeur m’est mieux connu qu’il ne peut se connaître. Ah, c’est cette ignorance où l’on retient un coeur Qui, dès ses jeunes ans, l’abandonne à l’erreur. Quand l’âge y vient porter sa tardive lumière, Il s’étonne, il voudrait rentrer dans la carrière, Pour un autre destin d’autant plus prévenu, Qu’en y renonçant même, il l’avait moins connu. Madame, en ce parvis conduisez la Princesse. Je dois, sur ces dangers, éclairer sa jeunesse. Vous, Prêtres, Chefs, allez et, soumis à vos Rois, De la terre et du Ciel distinguez mieux les droits, Et craignez les erreurs qu’un zèle aveugle entraîne. Avançons.         Où vas-tu, malheureuse Emirène ? Ciel, si tu l’as choisie, éclaire tous ses pas. Mes yeux sont presque éteints dans la nuit du trépas. Laissez-nous.         Cher objet des soins de la nature, En qui je vois briller une candeur si pure, D’où vient que mon aspect semble vous étonner, Et que vos yeux, vers moi, n’osent se détourner ? Tout impose, Seigneur, à mon âme timide. Des Dieux, en ce séjour, la majesté réside ; Leur Pontife suprême y vient sceller ma foi ; Entre le Ciel et vous, puis-je êtte sans effroi ? Que craignez-vous ? Le juste, au-dessus de la crainte, Doit-il, comme l’impie, en éprouver l’atteinte ? Cette sainte frayeur, en présence des Cieux, Vous rend plus précieuse et plus chère à leurs yeux. Vous avez dû peser, au poids du sanctuaire, La grandeur des devoirs où vous destine un père. Vous savez qu’un mortel, dont Dieu même a fait choix Pour annoncer son Être et faire aimer ses lois, Vit et meurt éloigné de la foule égarée Qui, toujours de plaisirs et d’erreurs enivrée, S’agite, avec orgueil, sur les bords du tombeau, Et de la vérité dédaigne le flambeau ; Mais avez-vous compris quelle vertu sévère Doit distinguer en nous un si grand caractère ? S’il n’arrache nos coeurs au joug des passions ; S’il n’épure nos sens de leurs illusions ; S’il n’est en nous du Ciel et l’amour et la gloire, Il en devient l’opprobre... Ah, vous devez m’en croire. Intrépide, ou trop faible à repousser l’erreur, Un Prêtre est, des humains, l’ornement ou l’horreur. Grand Dieu, si tu prévois qu’à tes lois infidèle, Son coeur s’élève un jour et dépose contre elle, Que ta voix, dans ce coeur, ne tonne point en vain ! Que ton bras déployé, comme un rempart d’airain, Au zèle qui l’égare oppose une barrière ! Ou daigne, é ton Ministre, accorder ta lumière, Et m’épargner du moins la honte et la douleur D’avoir, en te l’offrant, préparé son malheur ! Ah, vous voyez l’effroi de mon âme attendrie. Ce jour va décider du sort de votre vie ; Vous livre, ou vous arrache à des regrets amers, Et vous ouvre à jamais les Cieux ou les enfers. Où suis-je ? Que résoudre ?... ô justice suprême ! Ah, Seigneur !         Songez-y. Descendez en vous-même, A mon coeur paternel daignez vous confier. Vos sentiments secrets peuvent se déployer. Hélas, dans les terreurs dont je suis combattue, Par les Dieux accablée, à vos pieds confondue, Mon coeur est-il à moi ? Sais-je quel sentiment Le conduit où l’égare en cet affreux moment ? Dois-je même en avoir contre les lois d’un père ? Est-ce à moi d’élever une voix téméraire ? Il le faut. Oui, sur vous, sur votre liberté, Votre père, aujourd’hui n’a qu’un droit limité ; Oui, de son voeu fatal la Gaule vous dégage, S’il n’offre à vos regards qu’un funeste esclavage. Eh bien, si vous lisez en ce coeur déchiré... On allait commencer le mystères sacrés. Le peuple, rassemblé dans la première enceinte, Plein de l’esprit des Dieux, attendait, avec crainte, Le choix de la victime et l’urne de la mort, Et chacun, par ses voeux, semblait hâter le sort ; Mais un revers, Seigneur, qu’on ne pouvait attendre, En ce moment fatal, nous force à le suspendre. Un profane, un impie, au mépris de nos lois, A violé tantôt l’asile de nos bois. Juste Ciel !         Jusqu’à lui son crime est sans exemple. Quelle aveugle fureur l’entraînait dans ce temple ? Les mortels vertueux, qu’un pur zèle y conduit N’y viennent qu’en tremblant, dans l’horreur de la nuit, Chargés de fers, garants de leur obéissance, Avouant, à nos pieds, leur juste dépendance ; Mais suivre les transports d’un courage indompté ! Rendre le jour témoin de son impiété !... Nos Gardes l’ont surpris, et, dans le moment même, Il vient de comparaître au tribunal suprême. Le croirez-vous, Seigneur ? Quelque fût son dessein, Nulle crainte n’a pu l’arracher de son sein. Nos prêtres, nos vieillards demandent son supplice ; Mais, craignant de souiller l’auguste sacrifice, Qui, dans nos bois sacrés, assemble les Gaulois, Nous croyons qu’avant tout on doit venger les lois. Ah, malheureuse !         Eh quoi, notre saint Ministère Doit-il nous inspirer un zèle si sévère ? Ah, malheur à quiconque, approchant des autels, Porte un coeur insensible aux erreurs des mortels ! Vous connaissez le Dieu que la Gaule révère. Combien il est jaloux des droits du sanctuaire ! La terreur et la mort, en ce lieu redouté, Annoncent sa présence à l’homme épouvanté. Des Dieux des Nations c’est le plus inflexible ; Et, puisqu’il est si craint, si puissant, si terrible, C’est le vrai Dieu, sans doute.         Ah, Seigneur ! croyez-vous Que ce Dieu, par qui seul, en qui nous vivons tous, Ait asservi la terre à ce dur esclavage, Et voulu, par la crainte, arracher notre hommage ? Qu’osez-vous dire ? Ô ciel ! Et ne craignez-vous pas Que dévoilant son Être et déployant son bras, Ce Dieu qui se renferme en ces retraites sombres, Ce Dieu dont la présence en redouble les ombres, Ce Dieu, que le plus juste implore avec terreur, Ne vous accable ici du poids de sa grandeur ? Quoi, par son ordre exprès, la mort la plus cruelle Punit également le faible ou le rebelle Qui, sans porter un coeur et des voeux épurés, Oserait s’introduire en ces parvis sacrés, Et vous, vous qu’il appelle à servir sa vengeance, D’un tel coupable ici vous prenez la défense ! Et pour mieux l’insulter, vous condamnez la loi ! Quelle loi ! Dieu clément, témoin de mon effroi, Est-ce ainsi qu’en son coeur, prompt à te méconnaître, L’homme, par le mensonge, a dégradé ton être ! Appelez-vous la loi ces mystères cruels Où le sang, à grands flots, coule sur vos autels ? Il n’est pas temps encor de porter la lumière Sur ce culte, du crime exécrable carrière ; Mais si Dieu m’appelait, en ses profonds desseins, A le justifier des forfaits des humains, Si mon coeur, à ses yeux, n’en était pas indigne, Je saurais mériter cette faveur insigne, Fallût-il, de mon sang, sceller la vérité. Seigneur...         Ce malheureux, en vos fers arrête, Peut être, en son forfait, plus faible que coupable, Quel est-il ?         An, Seigneur ! dans quel trouble effroyable Le Ciel va-t-il plonger les malheureux Gaulois ! Le Roi, les Chefs, le Peuple, insultant à nos lois, Menacent d’enlever, jusqu’en ce sanctuaire, D’arracher de nos fers ce jeune téméraire, Qui, sur leurs autels même, osait braver nos Dieux. Ciel, éclate !         Et d’où naît ce transport furieux ? Qui peut !...         Ces fiers Romains que nous croyions surprendre, Dans nos champs, dans nos bois, sont prêts se répandre. On dit qu’ils attendaient, pour s’élancer sur nous, Que ce parvis sacré nous eût rassemblés tous. Le peuple s’épouvante. On frémit. On s’agite. Parmi ces flots émus le Roi se précipite. Il vient de rassembler ces Princes, ces Héros Qu’on a vus, ce jour même, unis à nos drapeaux ; Mais il n’attend, dit-il, sa vengeance et sa gloire Que du Chef qui jadis lui rendit la victoire. Eh bien ce Chef coupable est proscrit par la loi. Ô Ciel, peux-tu l’entendre !         Ah, voyez notre effroi, Seigneur. Le Roi, le Peuple, et vous-même peut-être, Tout est prêt à tomber sous le pouvoir d’un maître. L’intérêt de la terre, en ce jour odieux, Se joint, pour vous fléchir, à l’intérêt des cieux. Car enfin, pensez-vous que le Romain farouche Qu’aucun frein ne retient, que nul respect ne touche, Épargnera ce temple et ces parvis sacrés, Où, d’un culte si pur, nos Dieux sont honorés ? L’horreur de ce séjour, nos mystères terribles Pourront-ils ébranler ces âmes inflexibles ? Voulez-vous, pour venger le droit de nos autels, Livrer ces autels même à des bras criminels ? Je crois déjà les voir enivrés de carnage, Dans nos bois redoutés se frayer un passage. Je vois, à leur aspect, les Prêtres éplorés, Dans la flamme et l’horreur, mourants désespérés, Ces autels renversés, ces tombes écrasées, Nos oracles muets, nos forêts embrasées Découvrant, sans nuage, à leurs profanes yeux, Ce sanctuaire auguste où résident nos Dieux, Ces Dieux abandonnant leur retraite profonde, N’ayant plus désormais où se cacher au monde, Et leur culte sublime, à nos pères tracé, De la terre coupable à jamais effacé, Ah ! pourriez-vous, Seigneur, à ce tableau funeste, Proscrire, sans frémir, le vengeur qui nous reste ? Eh ! Ce sont ces horreurs dont nous frémissons tous ; Ce sont ces dangers même accumulés sur nous ; Ah, c’en est trop enfin. Quel que soit son forfait, vous prétendez en vain Qu’au mépris de mes droits, je vous laisse répandre Un sang....         Tous vos efforts ne sauraient le défendre. Si sa grace est encore au pouvoir des humains, Ce n’est....     Eh bien ! Seigneur ?         Ce n’est que par vos mains. Que dites-vous ? faut-il que je me sacrifie ? Dieux puissants, pour ses jours, demandez-vous ma vie ? Prononcez, je suis prête à voler à la mort. Vous, ô Ciel ! vous !         Seigneur, est-ce un si grand effort Que de donner son sang pour un père qu’on aime, Pour l’Etat menacé, pour les Dieux, pour vous-même ? Ah ! le Ciel qui m’entend et qui lit dans mon coeur, Ce Ciel qui m’éprouvait me devait ce bonheur. D’un trouble dévorant trop longtemPs agitée, Je dois.... je dois sauver la Gaule épouvantée. De quoi lui serviraient mes inutiles jours, Et quel honneur plus grand peut terminer leur cours ? Hâtez-vous, répondez, à quel prix, à quel titre, Les Dieux, de ses destins me laissent-ils l’arbitre ? Parlez.         Une Prêtresse offerte à nos autels, Quand elle a prononcé ses serments solennels, De la rigueur des lois peut sauver un coupable. Ce mot a fait mon sort.... ô loi trop favorable ! Ô Patrie ! ô mon Père ! Il faut remplir vos voeux. Le Ciel s’est déclaré. Je le dois. Je le veux. Ah ! Qu’il vive à ce prix, je serai trop heureuse. Arrêtez. Ce transport d’une âme généreuse Vous égare peut-être, et, ce moment passé, Vous voudrez rétracter un dévouement forcé. Non, grands Dieux, à vos lois librement asservie, Emirène à jamais leur consacre sa vie. Je le jure en vos mains sur cet autel vengeur. C’en est fait. À l’État rendez son défenseur. Ah ! Dois-je recevoir ce serment téméraire ? Oui. C’est assez qu’aux Dieux il ait pu satisfaire. Je vais armer le Prince et hâter les combats. Vous, tandis que les chefs assemblent les soldats, Rassemblez, près de vous les Bardes, les Eubages. Que leurs chants belliqueux enflamment les courages. Vieillards, femmes, enfants, peuple chéri des Cieux, Que tout marche, avec nous, sous l’étendard des. Dieux. Qu’à ce saint appareil, une terreur soudaine, L’égarement, la mort frappent l’aigle romaine. Et nous viendrons après offrir sur nos autels Le pur sang d’un Gaulois promis aux immortels. Vous qui devez ici, par ce grand sacrifice, De vos divins emplois commencer l’exercice, Obtenez de ces Dieux qu’ils comblent notre espoir, Et méritez l’honneur de remplir ce devoir. Le fanatisme affreux de ce Prêtre barbare, L’exécrable attentat que la Gaule prépare, L’effroi de la Princesse et ses voeux égarés, Ses mouvements secrets que j’ai mal pénétrés, Tout m’afflige et mon coeur que la justice anime Tremble de partager ou l’erreur ou le crime. Moi ! Non. Le Ciel m’inspire. Il est temps d’éclater. Non, la Gaule, à ma voix, ne saurait résister. Dans ce peuple qu’on trompe une lumière sûre, Même au sein des erreurs, rappelle la nature. Le Druide farouche en détourne les yeux. Vous m’entendrez, cruels, contre un culte odieux Dont je ne fus jamais ni fauteur, ni complice, Du ciel et de la terre attester la justice. Allons voir cependant ce que, dans son courroux, L’arbitre des combats ordonnera de nous, Et revenons soudain confondre l’imposture, Justifier Dieu même, effacer son injure, Des superstitions déchirer le bandeau, Éclairer ma patrie ou creuser mon tombeau. Oui, depuis que le Ciel a reçu mes serments, Des présages affreux, de noirs pressentiments, Des remords, des terreurs vainement repoussées, Tout enchaîne mes sens et confond mes pensées. Je fuis. Je me dérobe à ces filles d’Hésus Dont les soins innocents, l’amitié, les vertus Insultent à mon trouble, en offrant à ma vue L’image d’une paix que mon âme a perdue. Loin d’elles, loin de moi ma douleur me conduit ; Je cherche un Dieu propice.... et mon coeur me poursuit ! Mon coeur ! que dis-je ? ô ciel ! et quels nuages sombres, De ces bois ténébreux, ont épaissi les ombres ? Ces autels, ces tombeaux, par de longs tremblements, Semblent ici répondre à mes gémissements. Les airs ont retenti d’un funèbre murmure.... Ciel ! que vois-je ?... indigné de mon lâche parjure, Hésus !... C’est lui... Quels traits va-t-il lancer sur moi ? Non, grand Dieu, non, ce coeur n’a point trahi sa foi. Il est encore à vous, quelque horreur qui l’égare, Où fuyez-vous, Princesse ?         Et quoi qu’il me prépare Des tourments que je n’ose embrasser sans frémir, Ils me seront trop doux, j’ai sauvé Clodomir. Quoi, de ce souvenir votre âme encor frappée Dans le sein de Dieu même....         Ah ! ce Dieu m’a trompée. Pourriez-vous démentir ces nobles sentiments Que, devant le Pontife, ont dicté vos serments, Quand nous admirons tous la grandeur de votre âme ? Eh ! Connoissais-je allons tout l’excès de ma flamme ? Proscrit par mes tyrans, sans secours, sans appui, Il périssait pour moi... je ne vivais qu’en lui ; Je n’ai vu que lui seul... ô sagesse ! ô justice ! Dieu qui m’avez forcée à ce grand sacrifice, Remplissez donc ce coeur frappé de tant de coupe, Ce coeur qui désormais doit n’être plus qu’à vous, Ce coeur dont tous mes voeux vous ont offert l’hommage, Ce coeur qui vous adore.... et qu’un autre partage !.... Hélas, et plût au Ciel que la foudre en éclats, Aux gouffres des enfers eut entraîné mes pas Au moment redoutable où les Dieux virent naître Ce malheureux penchant... qui nous vient d’eux peut-être ; Au moment où le Prince, en pleurs à mes genoux.... Quel charme, à ce transport, se répandit sur nous ! Quel trouble ! quelle ivresse !... oui. Mon âme étonnée Aux temples éternels se croyait entraînée. Oui. Mon coeur, dans le sien, semblait anéanti ; A nos yeux éperdus l’univers englouti Tous entiers à jamais nous livrait l’un à l’autre. Dieux cruels, ce bonheur eut surpassé le vôtre, Mais nous n’étions point nés pour un destin si grand. Ah ! songez-vous enfin que le Ciel vous entend, Que ces lâches regrets ?....         Calmez votre colère. N’insultez point, cruelle, à ma longue misère. Vous n’avez point aimé. Vous ne concevez pas Ce tumulte des sens, ces remords, ces combats, Tous ces élans d’un coeur trop sensible et trop tendre Renaissants des efforts qu’on fait pour s’en défendre. Oui. J’appartiens aux Dieux ; j’attends, de leurs bontés, Qu’ils imposent silence à mes sens agités. Oui. Je suis digne encor de mon saint ministère, De mon sang, de vos lois, et du ciel qui m’éclaire, Du ciel que vainement je n’ai point attesté. Je ne puis, de mes voeux, trahir la sainteté. Je saurai m’élever au-dessus de moi-même. Je saurai.... cependant que devient ce que j’aime ? Que devient Clodomir ? Libre, par mes liens, Hélas ! Il ne fait pas que, pour briser les siens, Dans ce tombeau sacré, tremblante, consternée, Dévouée à la mort, à la vie enchaînée, Le flambeau de mes jours, lentement consumé, N’éclaire plus en moi qu’un fantôme animé Pour qui le jour et l’être ont perdu tous leurs charmes. Ah, jouissez du moins, en vos sombres alarmes, Du témoignage heureux que vous doit la vertu. Pour l’état menacé vous avez combattu. Vous lui rendez un chef, son unique espérance, Qui va sans doute encore affermir sa puissance. Cet espoir me ranime... oui, tirans, frémissez, Voyez fuir, devant lui, vos soldats dispersés. Votre vainqueur s’avance, il vole, il va paroître. Rentrez dans la poussiere et redoutez un maître. La fureur me transporte au seul nom des Romanis. Les cruels ! ils ont fait l’horreur de mes destins ; Ils ont creusé l’abîme où je me vois plongée ; Ils ont hâté ma mort ;.. mais je serai vengée.... Je le suis... oui... j’entends... je ne me trompe pas. Voyez vous tous ces chefs, ces drapeaux, ces soldats ? Le temple retentit des chants de la victoire. Ah, Prince ! Ah, jour heureux ! Tout m’annonce ta gloire. Gloire au Dieu de bonté qui sauve ses enfants Des mains de l’oppresseur et du fer des tyrans ! Dieu, qui pèses les cieux et balances la terre, Précipite aux enfers la discorde et la guerre Et, qu’unis, sons tes lois, par les noeuds de la paix, Les peuples à l’envi célèbrent tes bienfaits ! Protège les Gaulois. Puisse l’aigle romaine S’éloigner à jamais des rives de la Seine ! Ou, s’il faut, quelque jour, que ces fiers ennemis Étendent leur pouvoir sur l’Occident soumis, Que leur règne, agité par d’éternels orages, Soit un enchaînement de pertes, de naufrages ; Que, de l’Ourse au Midi, l’univers indigné, Foulant aux pieds leurs fers et de leur sang baigné, Brise un joug odieux à tout ce qui respire ! Et que, sur leur ruine, il s’élève un empire Dont le nom, respectable à cent peuples divers, Par son éclat auguste étonne l’univers ! Que le Seine s’élève à la gloire du Tibre ; Et qu’un Monarque heureux, maître d’un peuple libre, Régnant sur sujets plus en père qu’en Roi, Trouve, dans leur amour, le garant de leur foi ! Alors, braves Gaulois, ouvrez-vous la carrière. Régnez par les talents et, qu’à votre lumière, Les fières nations viennent, de toutes parts, Puiser, dans votre sein, la sagesse et les arts ; Et qu’enfin vos vertus, dans les fastes des âges, Soient l’exemple du monde et le flambeau des sages. Dieu, que ces justes voeux s’élèvent jusqu’à toi ! Ma fille, ce triomphe est le prix de ta foi. Qu’il m’est doux que la Gaule, au sein de la victoire, Ne doive qu’à mon sang son bonheur et sa gloire ! Ah ! Ce retour du sort, s’il n’a rien de trompeur, S’il rend heureux mon père, il est cher à mon coeur. Qu’ainsi toujours le ciel me soutienne et vous guide ! D’où vient que ce héros dont la valeur rapide, Sur nos tyrans surpris, a signalé ses coups, Se dérobe à sa gloire et n’est point avec nous ? Quand la Gaule doit tout à son bras tutélaire, Aux voeux d’un peuple entier, voudrait-il se soustraire ? Brennus et Bellovèse et ces Chefs généreux Célébrés de tous temps dans nos chants belliqueux, Qui, jusqu’au sein de Rome, ont porté le carnage, Ont moins fait pour l’Etat que son heureux courage ; Mais il en doit la gloire au Dieu qui l’a conduit. Seigneur, ce jeune Chef que son crime poursuit, Vous ne l’ignorez pas, quelque grand qu’il puisse être, Dans ce temple, avec nous, ne peut plus reparAître Que désarmé, soumis et dans les fers des Dieux. Tel est l’ordre éternel transmis par nos aïeux. Son crime est pardonné, mais il faut qu’il l’expie. Il faut que, par vos mains, le Ciel le purifie. En sortant du combat on a dû l’enchaîner. Ciel ! Encore !         Et bientôt on va vous l’amener. J’accepte, avec transport, cet heureux ministère. Ramener l’homme à Dieu, rendre un fils à son père, Est le droit le plus cher d’un Ministre de paix. Et nous, sur qui ce Dieu verse tant de bienfaits, Gaulois, que tardons-nous d’offrir le sacrifice Que notre piété promit à leur justice ? Par nos Eubages saints avec ordre appelé, Dans le premier parvis le Peuple est rassemblé. J’ai pris soin que, du sort, l’urne y fût apportée Avant qu’on eût surpris la Gaule épouvantée. Dans un esprit de paix, de crainte et d’union, Que chacun, sans tumulte, y dépose son nom. Venez.         Ciel ! Arrêtez. Ô Ciel ! Qu’allez-vous faire ? Remplir le voeu du peuple et de la Gaule entière. Souffrez...         Ah, malheureux ! Au nom de l’Éternel, Gardez-vous de remplir un voeu si criminel. Comment ?         J’ai vu la Gaule à ses erreurs livrée ; J’en ai frémi. Mon âme, en secret déchirée, Attendait le moment où ces tristes parvis, En présence du Ciel, nous verraient réunis. Ce moment est venu. Je proscris ces mystères. Quoi, la loi des autels ? Le culte de nos pères ? Seigneur, je l’avouerai. Je tremble qu’aujourd’hui Le peuple, contre vous, ne s’en rende l’appui. Je n’examine point ce que le Ciel ordonne ; Mais j’ai promis aux Dieux, dont je tiens ma couronne, Qu’en moi ce culte auguste aurait un protecteur. Ah, ce n’est point aux Rois à protéger l’erreur. Non. Mais c’est moi surtout que ce peuple contemple. De la fidélité je dois donner l’exemple. Quand l’urne de nos Dieux aura reçu mon nom, Vous pourrez prononcer sur la religion. Non, Seigneur, je vous suis, Ce peuple qu’on égare M’entendra réclamer contre une loi barbare ; Et, dût ce jour horrible éclairer mon trépas, Le fanatisme ici ne l’emportera pas. Ô Dieux qui vous jouez de ma fureur extrême, Me rendrez-vous ici le seul objet que j’aime, Pour qui seul je m’abaisse à la honte des fers ? Ô vous, par qui la Gaule, après tant de revers, Voit, en ce jour heureux, sa gloire rétablie, Venez. Qu’avec le Ciel je vous réconcilie. Esprit de la nature, arbitre des humains, Qui mettez votre force en ses vaillantes mains, Le vainqueur de César ne doit point vous déplaire ; Et, s’il a mérité votre juste colère, Son sang, versé pour nous, efface son erreur : Daignez ne voir en lui que notre défenseur. Que toujours la vertu le soutienne et l’anime ! Brisez, au haut des Cieux, la chaîne de son crime, Comme je romps ces fers qu’il a pris aujourd’hui Pour avouer vos droits sur le monde et sur lui. Reprenez de mes mains ces armes, cette épée Dans le sang ennemi si justement trempée. Défendez la Patrie et soyez, en tout temps, L’espérance du faible et l’effroi des tyrans. Vous voyez que le Ciel a daigné me conduire Pour épurer le culte et non pour le détruire. Retournez, et du moins attestez aux Gaulois Qu’en abhorrant l’erreur, je respecte les lois. Ô mon père !         Mon fils ! dirai-je aussi mon frère, Puisqu’en Dieu l’univers adore un même père ? Je vous vois libre enfin des lois de ces cruels Qui font, d’un Dieu si bon, l’ennemi des mortels ! Puissent vos jours sauvés ne point coûter de larmes A des coeurs innocents troublés par tant d’alarmes ! Mais quelle sombre erreur précipitait vos pas ? Veniez-vous, en ces lieux, affronter le trépas ? Quel dessein vous guidait en cette triste enceinte ? Tous les transports divers, l’égarement, la crainte, Le chagrin dévorant, le désespoir, l’horreur, Tout ce qui peut abattre ou déchirer un coeur, L’amour sur-tout, l’amour, ce tyran de mon être, Qui, dans mes sens surpris, règne et commande en maître. Quoi, l’amour ?...         Oui, je brûle. Oui, ce coeur égaré, Aux fureurs de l’amour est à jamais livré. Je ne vis que par lui. C’est ce feu qui m’anime, Ce délire effréné qui seul a fait mon crime, Et va trancher le cours de mes jours malheureux, Si, pour mieux m’accabler, vous condamnez mes voeux. Moi ?         Vous, Seigneur. L’objet de cette ardente flamme, Cet objet adoré, le seul Dieu de mon âme, Qui du sort, avec moi, partage le courroux... Eh bien ?         Il ne dépend que des Dieux et de vous. Des Dieux, Seigneur ?         Eh quoi, ma fureur sacrilège, L’orage de mes sens, le trouble qui m’assiège, Mon entrée en ces bois, malgré les Dieux vengeurs, Mes combats, mes remords, et ma rage et mes pleurs, Et la mort que j’implore, et dont l’horreur me presse, Tout ne vous dit-il pas que c’est cette Princesse. Que vous allez soumettre à de funestes voeux ? Ciel !         Nous touchions à peine à l’âge dangereux Où, de feux inconnus, une âme pénétrée, S’ouvre aux premiers désirs dont elle est enivrée ; Quand le plus tendre amour, pour nous tyranniser, Forma ces noeuds puissants que vous allez briser. Ah, que m’avez-vous dit ? Et quels nouveaux orages ?... Juste Ciel, démentez ces horribles présages ! Cher Prince ! Ah, c’est ici qu’enchaînant votre coeur, Il faut, de vos vertus, déployer la grandeur. Étouffez pour jamais une vaine espérance. Ah qu’entends-je ? Emirène ?...         Imiz sa constance. Quoi, ses voeux ?..     J’en frémis, mais...         Ils sont prononcés ! Je n’ai pu prévenir.... ses frayeurs....         C’est assez. C’est à son dévouement que vous devez la vie. Ah, qu’à ses pieds plutôt ne m’est-elle ravie ! Mais, comment ?         Oui, mon fils. Le céleste courroux, A sa voix, aujourd’hui, s’est détourné de vous. C’est le droit qu’une loi, de tout tems révérée, Accorde à la Prêtresse aux autels consacrée. Avec quelle grandeur, remplissant cette loi !... Quoi, son coeur vertueux s’est immolé pour moi ! C’est moi, c’est mon forfait qui forme ici sa chaîne ! Il n’est donc point de terme à l’horreur qui m’entraîne ! Et je respire encore !... Ah rendez-moi mes fers. Que l’enfer m’engloutisse en ses gouffres ouverts ! Plongez ce fer sacré dans le sein d’un coupable. Égalez mon supplice au tourment qui m’accable. Ah malheureux !         Barbare ! à la honte des Dieux, Avez-vous pu lier à ce joug odieux Un coeur jeune et facile enchaîné par la crainte ? Ciel, reçois-tu des voeux dictés par la contrainte, Et mettrois-tu ta gloire à jouir de nos pleurs ? Cette horrible injustice épuise mes douleurs. Toi, qui m’as trop aimé, que je perds et j’adore, Si tu meurs à la terre, y puis-je vivre encore ? Seul !... Ah j’y traînerais un trop affreux destin. Mourons.     Ciel ! arrêtez.     Non, cruel,         C’est en vain, Respectez les autels et ce lieu redoutable, Profane et, dans mes mains, laissez ce fer coupable, Après avoir comblé les horreurs de mon sort, Votre fausse pitié m’ose envier la mort ! Eh bien, vous répondrez des excès de ma rage. Vengeance, désespoir, ranimez mon courage... Ah je les sens renaître et, pour vous défier, Mon coeur, à leurs transports, se livre tout entier. QUE de troubles, grand Dieu ! Dieu juste que j’implore ! Des troubles plus pressants me rappellent encore. Une Princesse en pleurs dont on surprend les voeux ; Un amant éperdu qui réclame contre eux ; Des Prêtres, s’appuyant sur d’affreux privilèges ; Un peuple à détromper de leurs lois sacrilèges ; L’erreur, le fanatisme... allons, le Roi m’attend. Courons où le danger, où le crime est plus grand. Par quel avis du Ciel, abusant de ses droits, Cyndonax ose-t-il attenter à nos lois ? Un Pontife ! Ah grands Dieux ! si la Gaule plus juste Daigne m’offrir un jour ce rang, ce titre auguste Qui, dans le dernier choix, peut-être m’était dû, Votre culte immortel sera mieux défendu. Prévenant son indigne et lâche résistance J’avais su profiter de son heureuse absence ; Tandis que Clodomir l’arrêtait en ces lieux, J’ai reçu tous les noms dans l’urne de nos Dieux ; Mais je n’en crains pas moins l’audace ou la faiblesse. Tout nous trahit, le Roi, Clodomir, la Princesse, Le peuple...     Quoi le peuple ?         Incertain dans sa foi, Il s’étonne, il balance entre un parjure et moi. À peine ai-je calmé, dans ces âmes vulgaires, L’effroi toujours pressant qu’inspirent nos mystères. Qui les ose juger est prêt à les haïr ; Et si ce fier Pontife, ardent à nous trahir, Leur fait entendre encor sa voix séditieuse, Maître, n’en doutez point, d’une foule orageuse, Régnant sur les esprits, il pourra tout tenter. Cependant un Roi faible ose le consulter. Emirène soupire et, dévorant ses larmes, S’abandonne en secret aux plus sombres alarmes. Clodomir, jeune, ardent, aigri par ses revers, Semble toujours frémir d’avoir porté nos fers ; Des Dieux et des mortels défiant la puissance, De cet affront peut-être il cherche la vengeance. Oserait-il ?...         J’ai lu dans son coeur ulcérée. D’un long ressentiment je l’ai vu pénétré. Loin de nous, sur les bords de la forêt sacrée, Aux Romains fugitifs vous en fermiez l’entrée, Lorsque, vers cette enceinte, il s’avance à grands pas. Je l’entends appeler ses plus braves soldats. Ils déposaient leurs noms dans l’urne de nos pètes. Je l’invite lui-même à se joindre à ses frères. Ses yeux lancent sur moi des regards menaçants. Une douleur profonde étouffe ses accents. Il frissonne, et bien-tôt sa main désespérée Trace et jette son nom dans notre urne sacrée. Dieux, qui me poursuivez, puisse-t-il en sortir Pour éteindre ma rage ou bien pour la punir ! Dit il, et toujours plein d’un trouble épouvantable, Toujours plus dévoré de l’horreur qui l’accable, Il vole à ses guerriers, rassemblés à sa voix, Et, fuyant avec eux, s’élance au fond des bois. Quel complot, quel forfait peut méditer sa rage ? Quelle fureur tantôt égarait son courage, Quand vous l’avez surpris en ces augustes lieux ? Seigneur, le même trouble éclatait dans ses yeux ; Au même désespoir son âme était livrée, Et j’ai cru voir, de loin, la Princesse éplorée, Frémissant du revers qui l’avait confondu. Ah que me dites-vous ! notre culte est perdu, Nos mystères détruits, si l’enfer en furie, Contre eux, des passions, arme la rage impie. Dieux, sauvez vos autels ! Dieux, soutenez ma voix Contre ces coeurs ingrats déserteurs de vos lois ! Hâtez nos Prêtres saints, qu’on vienne, qu’on se presse. Avec eux, à l’instant, amenez la Princesse. Ce n’est que de mes mains qu’elle doit recevoir Le voile et le bandeau garants de son devoir. Déchu du rang sacré qu’il aurait dû défendre, Cyndonax, parmi nous, n’a plus rien à prétendre. Courez, dis-je.         Sans doute, enflammé de courroux, Il viendra réclamer contre le Ciel et nous ; Prévenons les éclats de sa raison troublée. Qu’il trouve, en arrivant, la victime immolée. Ô vous, de nos autels, défenseurs respectés, Vous qui seuls présidés à nos solennités, Avancez. Prenez place et, d’un regard propice, Honorez, avec moi, ce juste sacrifice. Tout entiers à nos Dieux, libres de soins mortels, Élevons nos esprits aux trônes éternels. A quelle horreur encor puis-je être réservée ? Ô mort, de tes poisons, suis-je assez abreuvée ? Recevez, de mes mains, ce voile révéré. Baissez un front soumis sous ce bandeau sacré. Hélas ! C’en est donc fait, et ce voile funeste D’un faible jour encor me dérobe le reste. Je meurs et, par vos lois qu’à peine je comprends, Retranchée à jamais du séjour des vivants, Je ne recevrai point, à mon heure dernière, Dans mon sein palpitant, les larmes de mon père, Les larmes de l’amour... où m’égarai-je encor ? Où mes voeux vont ils prendre un si coupable essor ? Hésus, descends toi-même en cette âme éperdue ! Dieu, si, de ces parvis, tu remplis l’étendue, Reçois à tes autels, tes fidèles Gaulois. Venez. C’est en vos mains qu’il a remisses droits. Digne fille du Ciel, que votre âme réponde À ce qu’attend de vous sa justice profonde. Les noms de ses enfants, soumis aux lois du sort, Sont ici, sous vos yeux, dans l’urne de la mort. Tous !         Oui, le Roi lui-même en a donné l’exemple, Et tout son peuple encore environne ce temple, Attendant que le Ciel dévoile ses décrets. Tout est donc, en ce jour, complice des forfaits ! Quoi, même un père tendre, appui de sa famille, Un fils, son espérance, une mère, une fille, Une épouse... un amant peut tomber sous mes coups ! Le sort n’en frappe qu’un, mais les embrasse tous. En est-il qui n’aspire au bonheur qui l’appelle ? Mon sang se glace encore. Ô sagesse éternelle, Cet homicide affreux peut-il vous honorer ? Et par quelle fureur osons-nous consacrer Ces pieux attentats érigés en mystères, Et jouir, sans remords, du meurtre de nos frères ? Et qu’est-ce, aux yeux d’Hésus, que le sang des humains ? Dans l’éternel espace, atomes incertains, Nous sommes trop heureux que sa voix le demande, Que sa bonté facile en reçoive l’offrande, Qu’il daigne la payer de l’immortalité. Est-ce ainsi que d’un Dieu vous peignez la bonté ? Puis-je, à ces traits affreux, la distinguer ?         Parjure ! Osez-vous opposer ce coupable murmure Au décret éternel qui nous fut révélé, Et doutez-vous encor quand le Ciel a parlé ? Malheur à l’homme faible, en sa vaine sagesse, Qui, suivant de ses sens la dangereuse ivresse, Blasphème un Dieu profond qu’il ne peut pénétrer. Dieu terrible, à son coeur puisses tu le livrer ! Élève, autour de lui, des remparts de ténèbres ! Qu’il marche environné de nuages funèbres ! Que l’effroi, que la mort, que son spectre odieux, De leurs flambeaux cruels épouvantent ses yeux ! Et qu’enfin, sous ses pas, ouvrant le sombre abîme, Ta foudre dévorante y poursuive son crime ! Voilà, n’en doutez point, le châtiment vengeur Qu’il prépare à l’impie en sa juste fureur. Voilà l’affreux destin réservé pour vous-même, Si...         N’attendez-vous pas le Pontife suprême ? Je ne sais, mais, peut-être...         Ah, c’est trop balancer. Par le Dieu que je sers, j’ai droit de vous forcer. Remplissez vos serments. Tremblez sous sa puissance. Obéissez.         O Dieu, tu vois la violence Que leur zèle farouche est prêt à m’opposer, Grand Dieu, tu m’es témoin qu’il ne peut m’imposer. Vous m’y forcez, je cède, et cette barbarie Rompra bientôt le noeud qui m’enchaîne à la vie. Cet espoir rend la force à mon coeur frémissant. Puisse tomber sur vous le sang de l’innocent ! Qu’ai-je lu ? Ciel ! ô Ciel !         Qu’allez-vous entreprendre ? Malheureux, est-ce ainsi que vous osiez m’attendre ? Grand Dieu ! Le fanatisme, en ce jour détesté, A-t-il, dans tous les coeurs, éteint l’humanité ? Qu’avez-vous fait, Princesse ? Et quel aveugle zèle A pu surprendre encore ?...         Ah quelle voix m’appelle ?... C’est-vous, Seigneur ! eh bien, le crime est commencé, Et ma main...     Juste Ciel !         Je n’ai point prononcé. Ah ne prononcez pas quelque effroi qui vous presse. Ah je n’avais d’espoir que dans votre sagesse. Vous vous flattez en vain de nous cacher le sort. Il faut parler, Madame, ou marcher à la mort. Telle est la loi d’Hésus.         Eh bien, me voilà prête. Arrache-moi, barbare, à l’horrible tempête Où ton zèle effréné m’entraîna trop longtemps. Et vous, de ses fureurs, les Ministres sanglants, Artisans éternels de discorde et de haine, Farouches imposteurs, dont j’ai porté la chaîne, Sachez que je réclame, à la face des Cieux. Contre vos attentats, et vos lois et vos Dieux. Être éternel, qui seul as droit à notre hommage, Reçois le désaveu d’un culte qui t’outrage, Dont on te rend complice et dont l’atrocité, Au nom de son Auteur, détruit l’humanité. Ah ! Ce Dieu vous inspire.         Ô fureur ! Ô blasphème ! La Prêtresse d’Hésus s’arme contre Hésus même ! Vous trahissez les Dieux que vous avez servis, Perfide !         C’est ainsi, qu’infectant les esprits... C’est ainsi, tôt ou tard, que le ciel les éclaire. Pontife dégradé, redoutez sa colère. Qu’elle éclate sur moi si, par ma lâcheté, J’autorise jamais ce culte détesté. Non. Ne l’espérez pas.         Vous, bravez leur vengeance. Gardez surtout de rompre un si juste silence. Et croyez, si le ciel prévient les attentats, Que ce mystère affreux ne s’accomplira pas. Barbares, votre roi prétend qu’à l’heure même, De la religion la tribunal suprême S’assemble en ce parvis où, plein d’un juste effroi, Il veut qu’on juge enfin cette exécrable loi. Si la vérité règne en ce Conseil auguste, J’irai... j’attesterai, ce Dieu clément et juste, Et son nom que lui-même en nos coeurs a tracé, Et que vos lois de sang en ont presque effacé. Vous, si, contre sa voix, vous osez le défendre... Si je les défendrai ! Dieu, qui daignez m’entendre Tonne, ouvra, sous mes pas, les gouffres éternels Si je trahis jamais les droits de tes autels. Tremblez plutôt, tremblez qu’il ne se justifie. Aux coups de sacrilège il peut livrer ma vie ; Mais mon dernier soupir attestera ma foi. Qu’il soit donc seul arbitre entre l’erreur et moi. Marchons.         Vous, soyez prête à nommer le victime. Ô monstre !... Mais où suis-je ? Ô désespoir ! Ô crime ! Et j’ai servi ces dieux !... Soutenez-moi. Je meurs. Ah mon coeur tout entier partage vos douleurs. Mais je crains ce conseil ; et sa rigueur extrême... Non, dût leur cruauté retomber sur moi-même ; Dussent-ils à l’envi, par un barbare accord, Enfoncer, dans mon coeur, tous les traits de la mort, Dût à jamais ce coeur, trop éprouvé peut-être, Dans l’horreur des tourments, expirer et renaître ; Les fureurs des mortels ni le courroux des Dieux Ne m’arracheraient pas ce secret odieux. Le malheur à son comble élève le courage. C’en est fait.         Ah Princesse, en ce nouvel orage, Vous vous tairez en vain ; j’ai vu couler vos pleurs. Je vois trop que l’objet de des rives terreurs, Condamné par le sort... est...         Arrêtez, cruelle. Respectez ma misère et ma douleur mortelle. Ou plongez-moi vous-même un poignard dans le sein. Qu’osez-vous dir ? Hélas !         Laissez-moi mon destin. Sortez. Votre présence irrite mon supplice. De l’horreur de mon sort tout me semble complice. Je crois voir l’univers s’élever contre moi, Et mon coeur déchiré n’est ouvert qu’à l’effroi. La voici.     Dieux !         Gardez ce passage, Amis.         Quel crime, et quel nouvel ouvrage ?... Veillez, de toutes parts, sur ces affreux parvis Livrez, par l’imposture, à des Dieux ennemis. Ah le froid de la mort se répand dans mes veines. Malheureux, où viens-tu ?         Je viens briser tes chaînes. Suis-moi.     Vous oseriez ?...     Viens.         Quel emportement ! En quel lieu ! Je frisonne. En quel affreux moment ! Barbare, es-tu donc né pour l’horreur de ma vie ? Du dernier désespoir la mienne est poursuivie. Tu m’a livré, cruelle, aux tourments des enfers. Tes voeux...     Tu sais donc tout ?         Oui, mes sens sont ouverts Aux longs déchirements, aux transports de la rage. Ah devais-tu jamais ?... Par quel triste courage, T’enchaînant à ce temple, habité par la mort, T’immolais-tu même aux rigueurs de mon sort ? Ah, j’ai lu dans ton coeur. Cet affreux sacrifice, L’amour te l’arrachait... Et j’en serais complice ! Non, Ne t’en flatte pas. Non C’est trop m’outrager. Marchons.     Contre mes voeurs ?         Ils n’ont pu t’engager. L’autel les a reçus.         Le Ciel les désavoue. Mon père les dicta, mon devoir m’y dévoue. Ils ont été surpris.         Ils sont sacrés pour moi. Je suis aux Dieux.         Mon coeur avait reçu ta foi Avant qu’on t’arrachât cette horrible promesse. Ah j’en suis plus à plaindre.         Abjure ta faiblesse. Songe que, de tous temps, un plus sacré lien, Un noeud plus légitime unit ton coeur au mien ; Que livrés, l’un par l’autre, à la plus vive flamme, En deux embrasés, nous ne formons qu’une âme ; Que mes maux sont les tiens ; que tu ne vis qu’en moi ; Que je n’ai d’être enfin qu’en toi seule et par toi. Ah Dieux !         Songe à ces jours où ce feu plein de charmes Confondait nos désirs, nos chagrins, nos alarmes. Trône de l’univers, espoir ambitieux, Vain éclat des grandeurs, qu’étiez vous à nos yeux ? Pleins dune ivresse ardente au dessus de la vôtre, Seuls, dans le monde entier, nous l’étions l’un à l’autre. Nous le sommes encore. Oui, ces tyrans sacrés Abusaient vainement de de tes voeux égarés ; Oui, sous un ciel plus doux, un Dieu juste et facile, Contre leur cruauté, nous offre un asile sûre Oui, nous y reprendrons, par les mains du bonheur, Les premiers droits de l’homme usurpés par l’erreur. C’est la loi, le devoir, la voeu de la nature, Le serment de ton coeur ; tout autre est un parjure. Ciel, où fuir ? Où cacher mon trouble et mes combats ? La terre, avec effroi, semble fuir mes pas... N’abuse point... impie !... Ah, je suis plus coupable. Le crime me poursuit et le remords m’accable Et mes sens, coup sur coup; frappés de tant d’horreur... Je meurs.         Reviens. Arrête, idole de mon coeur ! Chère amante !         Cruel ! Jouis de ta victoire. Jouis de ces combats si honteux à ma gloire, Qu’au prix de tout mon sang je voudrais expier ; Mais crains un Dieu vengeur prêt à te foudroyer. Si tu savais... Oui, tremble. Il vient punir ton crime. Il vient m’encourager à frapper sa victime. Toi, sa victime et moi !... Dieu terrible et jaloux, Puissance épouvantable où me réduisez-vous ? Va, ce jour n’est, pour nous, qu’une chaîne d’orages. Oui, la paix n’est, pour toi, que fuir d’autres rivages ; Qu’avec moi. J’en réponds. Tu le dois ; c’en est fait, Il faut me suivre.         Eh bien, consomme ton forfait. Porte aux derniers excès ta criminelle audace. Arrache une prêtresse aux autels qu’elle embrasse. Ce n’est qu’en l’immolant qu’on peut l’en séparer. Tyran d’un coeur trop tendre, ose le déchirer. Punis, de tes fureurs, ta sacrilège amante. Emporte, après ce coup, ma dépouille sanglante. Ce n’est qu’en cet état que tu peux m’obtenir. Grands Dieux, ce n’est qu’ainsi que je peux le punir. Ô ciel !         Mais, non, Seigneur, je lis mieux dans votre âme. Je connais, mieux que vous, la vertu qui l’enflamme. C’est trop vous offenser par un si lâche effroi. Non, le choix de mon coeur est digne encore de moi. Je puis, de tes transports, braver la violence. Seule, en ces bois sacrés, sans secours, sans défense, Ma faiblesse est ma force et, malgré ta fureur, Mon appui le plus sûr est encore dans ton coeur. En vain l’amour frémit dans ton âme égarée ; Tu sauras respecter la foi que j’ai jurée, La sainteté du lieu, mon sexe, mon effroi, Mon effroi renaissant qui n’a d’objet que toi. Adieu. Ma destinée attachée à ta vie M’appelle à te sauver... elle sera remplie. Ne craignez rien ; sortons.         Je demeure éperdu. Quel rempart, à ma rage, oppose sa vertu ! Quel charme me retient, et quel pouvoir m’enchaîne ! Tu fuis, et pour jamais ! Ô trop faible Erimène ! Quand l’amour frémissant... Mais que m’a-t-elle dit ? Ses funèbres adieux ont glacé mon esprit. Quoi, son destin l’appelle à ma sauver encore ! Ah la mort, en ce jour, ne peut frapper que moi, Quel est donc ce danger, en ce jour, ne peut frapper que moi, Et mon coeur éperdu l’obtiendra malgré toi. Ô vous qui, dans ce temple, organes de nos Dieux, Ratifiez les lois de la terre et des cieux, Pardonnez si ce jour a vu couler mes larmes ; Je ne puis vous cacher mes secrètes alarmes À ces apprêts de mort, à ce mystère affreux Par qui ma fille en pleurs va contacter ses voeux. Pardonnez. Éclairez ma raison confondue ; Rendez enfin le calme à mon âme éperdue Prononcer. Est-il vrai que le Ciel ?...         Non, Seigneur. Ce ciel trop offensé s’explique en votre coeur. Proscrivez ces forfaits dont on le rend complice, Et vendez sa clémence ainsi que sa justice. Et quel droit avez-vous, Pontife audacieux, De renverser un culte avoué par les Dieux ? Le droit de la raison ; ais vous, faibles druides, Osez-vous consacrer la loi des homicides ? Juges, législateurs, ministres des autels, Arbitres respectés de la foi des mortels Qui croyez la contraindre et devez en répondre, Plus instruits que le peuple, est-ce à vous de confondre, Avec les lois du Ciel et de la vérité, Ce culte, enfant impur de la férocité ? C’est la vérité même annoncée à nos pères Qui, par eux, à leurs fils a transmis ces mystères Que nous devons transmettre à nos derniers neveux. J’en atteste ce temple et ces bois ténébreux, Asile de la mort, où, du sein du tonnerre, Hésus, se dévoilant, épouvantant la terre, Lorsque, scellant son pacte et pénétré d’effroi, Pour nos aïeux, pour nous, Druïs reçut sa loi. « Mon esprit, leur dit-il règne en ce sanctuaire. Si vous portez jamais un regard téméraire Sur ces lois, sur ces rites que je vous ai tracés, Si le sang le plus pur... malheureux, frémissez. Vomis de mon saint temple et de la terre entière, Aux pieds de vos tyrans vous mordrez la poussière. Je verserai sur vous des torrents de fureur. Vous vivrez dans l’opprobre et, frappés de terreur, Pénétrés de mes traits, poursuivis par mes flammes, Vos prêtres, vos vieillards, vos enfants et vos flammes Chercheront, contre moi, dans la nuit du trépas, Un asile éternel qu’il ne trouveront pas. » Quoi ce Dieu dont la foudre épouvante les crimes, Verrait tous les humains comme autant de victimes ! Il n’est, dans vos portraits, qu’un despote jaloux Toujours ivre de rage et brûlant de courroux, Qu’il nous faut apaiser par le sang et les larmes ; Et que sommes-nous donc ? Environnez d’alarmes, Vils jouets d’un pouvoir qui nous frappe à son gré, Nous ne levons au Ciel qu’un front mal assuré. Oui, tremblez. Quel qu’il soit, qui le juge, l’offense. Dieu puissant, comparée à ta sagesse immense, Qu’est donc celle de l’homme, objet de sa fierté, Qu’il prétend opposer à ton autorité, Qu’une clarté trompeuse, une faible lumière Qu’on voit, aux traits du jour, s’éclipser toute entière ? Non, quoique vous disiez, et j’en crois ma raison, Plus il est tout puissant, plus il doit être bon. Et comment distinguer sa justice suprême Que par l’heureux flambeau qu’il nous donna lui-même ? Ah ! Loin d’en faire encor, dans nos sombres erreurs, Un tyran sanguinaire, aveugle en ses fureurs ; Sachons, pour le connaître, écouter la nature. C’est par elle qu’il parle, et sa voix est plus sûre Que ses décrets sanglants de farouches mortels, Consacrés sous le nom de décrets éternels Qui font l’effroi du faible et que le sage abhorre. Effaçons de la terre, il en est temps encore, Ces préjugés cruels de nos tristes aïeux, L’opprobre des humains et la honte des cieux. Par un décret auguste et scellé de nos larmes, De ce séjour de paix bannissons les alarmes. Vous balancez ! Vos fronts, pâlissants de courroux, M’annoncent que mes pleurs n’obtiennent rien de vous ! D’un zèle forcené votre âme dévorée, Du pur sang des humains, et toujours altérée ! Mais non. Je le vois trop, vous ne la croyez pas Cette religion mère des attentats. Vous n’abusez, cruels, de l’humaine ignorance Que pour mieux affermir votre affreuse puissance, Pour enchaîner le faible en l’enivrant d’erreurs, Et, sous le nom des Dieux, consacrer vos fureurs. Mais craignez.         C’en est trop et, puisque votre audace Ose, à l’insulte encore ajouter la menace, Traître, apprenez, qu’ici, pontife ainsi que vous, Je peux, de tant d’affronts, venger les Dieux et nous. Eh bien, si vous l’osez, tranchez ma triste vie. Commencez, par mon sang, se sacrifice impie. Ouvrez à ma douleur l’asile du trépas. Contre l’humanité comblez vos attentats. Du nom d’homme du moins remplissant l’étendue, J’emporterai l’honneur de l’avoir défendue. Oui, frémissez du sort qui vous est destiné. Déchu de votre sang lâchement profané, Jeté dans l’univers, sans amis, sans défense, Blasphémateur marqué du sceau de la vengeance, Éloignez-vous, partez et sachez, qu’en ces lieux, Nous ne connaissons plus l’ennemi de nos Dieux. Et vous, malheureux roi, qui, dans ce temple même, Recevant de nos mains le sacré diadème, Avez juré, par nous, de venger nos autels, Oubliez-vous ainsi vos serments solennels ? Quoi, tous nous abandonne et la fille et le père ! La fille, trahissant son sacré ministère, À peine unie aux Dieux, ose braver nos lois, Et de ces Dieux enfin nous dérober le choix. Ma fille !         Oui, vainement à périr condamner, Dans son silence injuste elle est plus obstinée. Ni la loi de ses voeux, ni l’effroi de la mort, Rien ne peut le convaincre à révéler le sort. C’est assez. Ô justice, ô vertu qui m’anime ! Ma fille ! Ah, sur toute autre victime La paix renaît enfin dans mes sens éperdus. Ciel ! Comment ?         Non, Seigneur, je ne balance plus. Erimène se tait ! Son silence m’éclaire. Oui. La victime, amis, n’est autre que son père. Qu’on amène ma fille. Allez.         Rassurez-vous. Je me rends à vos lois.         Ô destins en courroux ! Dans quel abîme encor un faux zèle nous plonge ! Qui vous ! De votre sang consacrer le mensonge ! Ah, du mien, dans mon coeur, le cours est arrêté. Vous, sceller les forfaits d’un culte détesté ! Vous Roi, père !         Oui, moi-même. Et quel Roi, sur la terre, Du monde qu’on opprime ayant banni la guerre, N’envierait pas l’honneur de sceller aux autels Le bonheur de on peuple et la paix des mortels ? Les animaux courbés que la terre a vu naître Marchent, d’un cour égal, vers le terme de l’être ; La nature, en tout temps, déployant ses ressorts, S’anime, se dissout, renaît de corps en corps ; Un flot, en un instant, sur l’océan du monde, Les jette dans la vie ou dans une nuit profonde L’homme dont la pensée embrasse l’univers, Législateur et roi de ses hôtes divers, Voir, à ses grands destins, la mort même asservie. En vain ce souffle actif, principe de a vie, Étincelle échappée aux feux de l’éternel, Est esclave un instant d’un corps vil et mortel ; Quand le bras de la mort semble arrêter sa course, Il va, libre et vainqueur, se rejoindre à sa source. Quoi, jusqu’à la vertu tout s’arme contre moi ! Ah, c’en est trop, mon coeur n’espère plus qu’en toi, Humanité, lumière adorable, immortelle, C’est ici le moment où ta gloire m’appelle ; Conduis mes pas.         Venez fortifiez ma voix. Au secours de leur maître appelons les Gaulois. Qu’ils viennent renverser ces autels homicides, Embraser ces forêts, confondre ces perfides, Ces tyrans des esprits qui, dans les plus grands coeurs, Trop souvent, du faux zèle, ont versé les fureurs. Arrêtez.         Bannissez cet effroi qui m’outrage. Rien ne peu, en ce jour, ébranler mon courage. Non. Je suis Roi, mais homme, et soumis à la loi. Le ciel voit, d’une même oeil, les sujets et le roi. Il demande mon sang, il a droit de l’attendre. Vainement les Gaulois prétendraient me défendre. Ah ! Si Dieu nous forma, s’il m’appelle aujourd’hui, Si tout doit s’engloutir, tout doit renaître en lui, Si la terre est, pour nous, le berceau de la vie, Qui peut, en la quittant, la voir d’une oeil d’envie, Et regretter en lâche, à des sens asservi, Un bien qui, tôt ou tard, nous est aujourd’hui ravi ? Ce n’est pas moi du moins qu’un noble esprit anime. Ma fille, il n’est plus temps de cacher la victime. Je sais, j’ai pénétré la volonté des Dieux. Qui vous ?         Et ta frayeur m’en assure encore mieux. Viens, que du moins ma gloire élève ton courage. Viens, qu’Hésus, de tous deux, reçoive un peu hommage. Quel hommage ! Quel crime !         Ah, calme un vain effroi. Je vois trop que le sort n’a condamné que moi. Si ton père t’est cher, bénis ma destinée Que, d’un bonheur si grand, le Ciel a couronnée. Prononce et frappe.         Où suis-je ? En est-ce assez, ô Dieux ! Va, déjà l’univers se dérobe à mes yeux. Mon esprit, élancé loin de mon existence, S’empresse de se joindre à la première essence Où tout va se confondre et dont tout est sorti. Ô mon père !         Mon coeur ne s’est pas démenti. J’ai vécu ; j’ai régné ; j’ai rempli ma carrière ; Je l’a due, aux Gaulois, consacrer toute entière ; Victime de mon zèle et digne de mon sort, Je dois, en ce beau jour, leur consacrer ma mort. Heureux qui, comme moi, par ce grand sacrifice, Homme, Roi, Citoyen, remplit toute justice ! Ah !         Ranime ta force et, dégageant ta foi, Ose enfin, sur tes sens, t’élever comme moi. Songe que, de mes jours, la course est mesurée ; Que le temps, malgré moi, tranchera leur durée ; Souviens-toi que ce temps, dont un ordre arrêté Sépara du tombeau notre être limité, N’est qu’un instant rapide, un point dans l’étendue, Un vain éclair qui brille et qui fuit notre vue. Et je vais précéder, de ce rapide instant, Le grand jour de ta gloire où, te manifestant, Dans l’abîme infini de ton être suprême, Grand Dieu, tout ce qui fut ne sera que toit-même ! Et je n’expire pas ! Ô père infortuné ! Arrachez-moi ce jour que vous m’avez donné. Ce jour affreux.         Hésus, pardonne à sa faiblesse. Ministres des autels respectez sa tendresse. Si sa main refuse à ce coup douloureux, Vous-même, en m’immolant, ratifiez ses voeux. Épargnez à nos coeurs ce combat effroyable. Frappez.         Ciel ! Arrêtez... Ah ! Tant d’horreur m’accable, Ranimons mes esprits pour la dernière fois. Le sort ne peut ici parler que par ma voix. Je réclame le droit de mon saint ministère, La loi de nos autels, la loi du sanctuaire Qu’avez tant de grandeur mon père ose trahir. Je n’en peux dire plus. Vous voulez m’en punir, Frappez ; mais admirez un maître qui vous aime, Qui veut ici, pour vous, se dévouer lui-même. Tenez lui compte un jour d’un si sublime effort. Je peux, à ce seul prix, vous pardonner ma mort. Sa mort : C’est à moi seul, c’est à moi qu’elle est dûe. Que vois-je ? Où reposer mon âme confondue. Qu’attendez-vous encore, guerrier audacieux ? Ce que j’attente ! Ô ciel ! Égaré, furieux. Cherchant à renverser votre affreuse puissance, J’invoquais à grands cris la mort ou la vengeance ; D’un profond désespoir la pontife agité, Appelle tout-à-coup la peuple épouvanté ; Le foule autour de lui frémit de ses alarmes. Il me voit, il s’avance et, m’arrosant de larmes, « Courez, volez au temple, et, d’une horrible loi, Défendez, me dit-il, la Princesses ou le Roi. L’un cache du sort la fatale sentence, L’autre, contre lui-même, explique ce silence. Je vais armer pour vous, ce peuple généreux. » Quelle horreur m’a saisi ! Quel trait, quel jour affreux ! Ah !... Roi, Prêtres, Vieillard qu’un même zèle anime, S’il est vrai qu’à vos Dieux on doive une victime, Frappez celle du sort qui se livre à vos coups ; Frappez, dis-je, c’est moi.         Cruel, que dites-vous ? Ah ! Cher Prince !...         Seigneur, apprenez un mystère Dont le pontife seul était dépositaire. J’adore votre fille, elle m’aime, et son coeur Pour me soustraire au sort en embrasse l’horreur. Cet effort généreux...         Ah ! Garder-vous de croire... Oui, vous m’aimez. Souffrez que j’ose en faire gloire. Si vous n’en croyez pas son trouble et son effroi, Gaulois, qu’elle prononce entre son père et moi. Malheureux, qu’as-tu fait ?         Ce qu’il fallait attendre De l’amour le plus pur et du coeur le plus tendre, Ce que chercha toujours mon désespoir affreux DEpuis que, par la criante, on eut surpris tes voeux. Ô terre, engloutis-moi !         Puissance que j’adore Quels traits votre courroux peut-il lancer encore ? Mes enfants, (car mon coeur, prêt à se déchirer, En ce moment affreux ne peut vous séparer) Vous vous aimiez... Seigneur... ma fille... leur visage Porte du désespoir l’épouvantable image ! Qui moi, plein du bonheur de mourir de sa main !... Non, si le sort l’appelle à cet affreux destin, Tranche plutôt mes jours. Ton père est trop coupable. J’abjure encor les lois de ce culte exécrable. Brabares, c’en est trop, arrachez moi ce coeur Ivre de désespoir et brisés de douleur. Mon père, et vous, Seigneur, si vous m’avez aimée, N’insultez point aux maux où je suis abîmée. Cruels, que l’un ou l’autre expire dans mes bras, Dans le nuit du tombeau ne le suivrai-je pas ? Voulez-vous que, des Dieux, épuisant la colère, J’assassine, en mourant, mon amant ou on père ? Ah, je suis à vos pieds ; terminez mes tourments. N’augmentez point l’horreur des me derniers moments. Laissez la loi du sort dans un e nuit profonde. Songez que votre vie est nécessaire au monde. Non je ne suis ici nécessaire qu’à vous. Levez-vous, c’est à moi d’embrasser vos genoux. Où me vois-je réduite ? Ô monstres ! Ô furie ! Ministres des enfers qui, parce culte impie, Avez conduit mes pas dans ce piège sanglant, Eh bien, c’est un des deux, mon père ou mon amant. Avant de dévorer mon coeur prêt à s’éteindre, Quel tigre, parmi vous, osera me contraindre À frapper l’un ou l’autre et, d’un bras assuré Enfoncer un poignard dans un sein si sacré ? Ah ! C’en est trop, ou frappe, ou...         Je n’y puis suffire. Parlez, ou je m’immole.         Arrêtez ou j’expire. Dieux, recevez mon sang.         Cruel, ce n’est pas vous. C’est donc moi ! Je triomphe.         Ô Crime ! Accourez tous. Dieu, suis-je encore à temps de venger ton outrage ? Désarmez, enchaînez leur aveugle courage. Vous qu’un noir fanatisme a longtemps aveuglés, Le ciel se justifie, adorez et tremblez. Renversons ces autels, détruisons ces mystères. Tombez vils monuments des erreurs de nos pères, Instruments et témoins de tant d’atrocités. Éclatez Dieu puissant !         Eh bien, vous l’emportez. À vos affreux parjure un vil peuple se livre. À ma religion je ne veux pas survivre. Tombent, sur vous, d’Hésus tous les foudres vengeurs ! Ah ! Respectez son sang en plaisant ses erreurs ; Il est homme, il suffit. Ne donnez pas l’exemple Des forfaits dont lui-même a trop souillé ce temple. Il est assez puni s’il connaît les remords. Qu’il vive et se repente.         Ô sublimes transports ! Où suis-je ?         C’est ainsi, qu’après tant de tempêtes, Le sang de ces héros retombait sur vos têtes. Ah, de la voix du ciel, distinguez désormais La voix du fanatise, organe des forfaits. Avez-vous pu penser que l’autel de la vie, Dieu qui se manifeste à la terre attendrie Par son amour, ses soins, ses bienfaits renaissants, Demandât en tribut le sang de ses enfants ? Non. C’est lui qui vous parle : aimez-moi dans vos frères, Vous trouverez en moi le plus tendre des pères, PAr un commerce heureux et bienfaits et de soins, L’un de l’autre, à l’envi, prévenez les besoins. Que le sort tende au faible une main protectrice. Parents, amis, sujets, voilà pour ma loi, Et l’hommage, et l’encens qui monte jusqu’à moi. Roi, c’est à ce grand Dieu que ma voix vous rappelle, Votre coeur, né pour lui, doit pardonner mon zèle. Honteux de mes erreurs, je tombe à vos genoux. Oui, c’est la voix d’un Dieu qui s’explique par vous. Il m’éclaire. Il m’enflamme... Ah ! Cher Prince, ah ! Ma fille. Et vous peuple, à mon coeur, plus cher que a famille, Tombez aux pieds d’un sage, instruit par la vertu, Qui vous rend à ce Dieu trop longtemps combattu. Je crois le voir lui-même, écartant le tonnerre, Apporter le bonheur et la paix à la terre. Vous deviez ramener l’univers égaré. L’exemple d’un grand homme est un flambeau sacré Que le Ciel bienfaisant, en cette nuit profonde, Allume quelquefois pour le bonheur du monde. Mais quoi ? Souffrirons nous qu’il soit encore des coeurs Abreuvez d’amertume et nourris de douleurs? Emnon qui, loin de nous, fuit un Dieu qui le presse, De votre aveugle fille a surpris la faiblesse ; Mais je n’ai point reçu ses téméraires voeux. Le Ciel les désavoue et ma main l’en dégage. Ô mon père !     Ah ! Seigneur !         Que ce jour soit le gage Des beaux jours que le Ciel a promis aux Gaulois. Grand Roi, si désormais vous distinguez sa voix, Des pièges de l’erreur songez à vous défendre. Si Dieu parle à nos coeurs, c’est là qu’il faut l’entendre. Que la Religion, sous votre auguste loi, Soit le lien du monde et n’en soit plus l’effroi.